Vous êtes sur la page 1sur 7

DU NUDISME A L’EROTISME...

J’avais à peine 14 ans quand un jour, en faisant de la gymnastique devant un miroir,


j’eus une véritable révélation : je venais de me rendre compte, subitement, que le corps
humain est une machine merveilleusement conçue et dont l’ensemble comme forcément
chacune de ses parties sont esthétiquement admirables.

Voilà qui allait complètement à l’encontre de mon éducation puisque j’avais été élevé
dans l’idée qu’un corps nu -et spécialement lorsqu’il était de sexe masculin- ne pouvait être
que scandaleux, dégoûtant, franchement vilain ou, au mieux, parfaitement ridicule. Je croyais
tenir jusque-là pour assuré que le corps humain comportait des parties honteuses et que les
dévoiler à une autre personne que son conjoint ou un médecin relevait du vice et ne pouvait
qu’aboutir à se couvrir de honte ou de ridicule.

J’étais un esprit extrêmement logique et ce que je venais de découvrir, là, dans un


miroir, m’imposait de conclure qu’aucune partie de mon corps ne pouvait être davantage
méprisable, honteuse ou scandaleuse qu’une autre. Je retirai donc mon slip pour me regarder
entièrement nu cette fois. Ce geste fut celui d’une libération ultime...

J’éprouvai en effet un sentiment de fierté et de bien-être de me voir et d’être tel que la


nature, dans sa sagesse, avait voulu que je sois. Je n’étais plus désormais un pénis repoussant
greffé comme par erreur sur un corps que la religion disait fait à l’image de Dieu, mais bien
un corps sexué, transcendé dans sa totalité par sa nudité en un chef d’oeuvre mécanique et
esthétique. Je me voyais désormais avec d’autres yeux et je compris mieux encore
qu’auparavant cette idée selon laquelle le mal est bien souvent dans l’esprit même des gens.

Ma décision fut prise en un instant : la logique pure m’imposait de renoncer à de


vieux principes dont la fausseté m’était devenue évidente. Il me fallait les remplacer par
d’autres, plus en harmonie avec la vérité et me comporter désormais en accord avec ceux-ci.
Je décidai donc de vivre désormais nu aussi souvent que possible.

Sans que personne de mon proche entourage le sache -car ni mes frères ni mes parents
n’auraient pu comprendre ma décision- je me mis donc à vivre nu à la maison chaque fois que
j’y étais seul, ce qui, par chance, était fréquent. Cela entraîna chez moi une découverte de
sensations plaisantes ignorées jusque-là. L’air commença à me caresser la peau aussi
agréablement que le soleil en été ou que l’eau sous la douche. En remuant librement quand je

-1-
marchais ou quand je montais un escalier, mes parties génitales me donnaient une sensation
de liberté jamais connue jusque-là. Inutile de le cacher : toutes ces sensations nouvelles eurent
des répercutions importantes sur ma sensualité. C’est ainsi qu’à l’inverse des garçons de mon
âge qui ne songeaient qu’à se libérer de leur tensions sexuelles par une explosion rapide des
sens obtenue dans un mélange de honte sexuelle et de crainte d’être surpris, je recherchais
désormais à faire durer aussi longtemps que possible certaines sensations voluptueuses afin
de connaître des extases prolongées au cours desquelles il me semblait pénétrer dans un autre
monde...

Le moment vint où il me parut nécessaire d’assumer pleinement mon choix nudiste en


révélant tout naturellement ma nudité dans tous les cas où je serais persuadé n’offenser
personne en agissant ainsi. Ce n’était pas simple, mais je me devais d’essayer. J’eus l’idée de
réaliser une première expérience avec mon meilleur copain, persuadé qu’il pourrait me
comprendre.

Jean passait souvent à la maison quand j’y était seul et, depuis quelque temps, j’avais
pris l’habitude de le recevoir vêtu seulement d’un slip. Ce jour-là, quand nous fûmes dans ma
chambre, je retirai mon slip aussi naturellement que si Jean n’avais pas été devant moi. Même
si ce geste n’entraîna pas le moindre embarras de ma part, j’avais néanmoins conscience
d’enfreindre un grand tabou. Cette impression, conjuguée avec la surprise de Jean puis
l’intérêt que ce dernier manifesta aussitôt pour ce que je venais de lui révéler me firent entrer
aussitôt en érection. Ne sachant quelle attitude adopter -car je n’avais pas prévu cela- je restai
cloué sur place. Jean, se méprenant sans doute un peu sur mes intentions, s’approcha, toucha
mon membre pour en estimer la rigidité et me souffla “c’est agréable hein quand ca arrive ?”

Tout en marmonnant je ne sais quoi je me détournai, j’ouvris la porte de ma garde-


robe et j’y pris un short que j’enfilai rapidement. Je lançai une conversation sans rapport avec
ce qui venait de se passer et l’incident parut clos.

J’étais néanmoins déçu et frustré, rien n’ayant marché comme je le souhaitais. Le


lendemain, je pris mon courage à deux mains et j’eus une franche explication avec Jean. Il en
ressortit qu’il acceptait que je le reçoive désormais nu lorsqu’il viendrait me rendre visite. Il
en fut donc ainsi. Mais je dois à la vérité de dire que mon érection réapparut de manière
systématique, sans que je comprenne pourquoi. J’imaginais qu’elle pourrait embarrasser Jean
et j’essayais donc de me placer par rapport à lui de manière qu’elle fut aussi souvent que
possible au moins partiellement occultée. Mais après trois ou quatre rencontres au cours
desquelles je n’avais cessé de me focaliser sur cette question, je déduisis que mes efforts
étaient vains et m’allongeai sur mon lit sans plus rien faire pour dissimuler mon état. Jean
comprit-il ? Toujours est-il qu’il me sourit. Je cessai d’y penser et, dans les quelques minutes
qui suivirent, mon érection disparut pour ne plus revenir...

Elle revint pourtant le jour où, alors que nous discutions Jean et moi, répondant à une
de ces nombreuses envies que peuvent avoir les adolescents, je me mis machinalement à me
caresser le sexe. Lorsque j’en pris conscience, je me confondis en excuses, croyant avoir
choqué mon vis-à-vis. Mais ce dernier m’avoua tout le contraire et, lors de nos rencontres
suivantes, me demanda de recommencer car, disait-il, il aimait beaucoup me voir ainsi.

-2-
Une écrasante majorité de gens ont fait leurs premières expériences de nudisme soit
dans des centres naturistes soit sur des plages nudistes. En se mettant nus devant d’autres
gens nus ils n’ont fait que modifier les règles d’un tabou, mais ne l’on pas réellement vaincu.
Aussi ces gens ne se sentent-ils à l’aise nus que devant d’autres gens nus. Pour ma part, et
c’est une énorme différence, j’ai appris à être à l’aise nu devant des gens qui ne l’étaient pas.

Mes rencontres avec Jean se déroulèrent pendant les grandes vacances et, à la rentrée,
nous nous perdîmes de vue. Je me retrouvai alors dans un lycée de garçons où les douches des
vestiaires de gym étaient chacune séparée des autres par des cloisons conçues de telle manière
qu’on pouvait se doucher à l’abri des regards et se dévêtir en ne se montrant nu que de dos.
C’est là, dans ces douches, que mes copains et des garçons d’autres classes se rendirent
vraiment compte que j’étais bien différent d’eux. Car j’y laissais désormais voir le plus
naturellement du monde ce que tous essayaient de dissimuler aux autres.

Quelques garçons cherchèrent à me déstabiliser ou à prendre un ascendant sur moi en


jouant sur le fait qu’ils en savaient désormais plus sur moi que moi je n’en savais sur eux. Le
sens de la répartie humoristique, parfois cinglante, m’aida beaucoup pour remettre ces
copains à leur place ou même à les embarrasser furieusement par rapport à moi. Il fut très vite
clair que je n’étais pas un naïf ni un exhibitionniste, mais que j’assumais ma “différence”.
Sans doute devais-je être le sujet de certaines conversations ; mais au moins ne venaient-elles
pas jusqu’à moi. En revanche, quelques-uns m’avouèrent qu’ils aimeraient pouvoir faire
comme moi mais qu’ils n’osaient pas. Pour la première fois, je sentis que ma façon de faire
impressionnait et me valait du respect, même si celui-ci était masqué, parfois, par des
fanfaronnades...

J’eus une preuve nouvelle de la chose lorsque je quittai le lycée pour entrer dans une
autre école, mixte celle-là. Là aussi nous avions un cours de gymnastique et, comme notre
tenue était libre, je choisis de me vêtir simplement d’un slip de bain. Cette école ne
comportait que des douches communes constituées d’un plateau carrelé au-dessus duquel se
trouvaient une dizaine de pommeaux de douche. Avec un certain écoeurement, je me rendis
compte que ce type d’installation poussait la plupart des garçons à se rhabiller sans même se
doucher après l’effort. Je l’ai vérifié cent fois depuis, une pudeur mal placée est la principale
ennemie de l’hygiène, intime ou non.

Après notre premier cours de gym, je me suis retrouvé avec seulement trois autres
garçons sous les douches. Mon rapport sensuel avec les éléments était devenu tel que, sous le
jet impétueux qui sortait d’un tuyau dont le pommeau de douche avait été arraché, je sentis
que j’allais avoir une érection. J’en acceptai l’augure avec un enchantement certain et cela se
produisit donc sous les yeux de mes trois copains qui rentrèrent précipitamment dans les
vestiaires sans mot dire. Quand je les y rejoignis un peu plus tard, toujours sur mon nuage et
le sexe aussi glorieux qu’auparavant, un silence de mort régnait dans notre vestiaire.
Cependant, à mesure que mes copains en sortirent, de plus en plus de rires gras et
d’exclamations étouffées me parvinrent du dehors. Jusqu’au moment où une copine dont je
reconnus parfaitement la voix s’exclama : “Imbéciles, on croirait des jaloux à vous entendre
et vous voir. Au moins lui il ose montrer naturellement ce dont vous vous vantez sans cesse
sans jamais rien prouver !”

-3-
D’un seul coup je compris. Avais-je eu tort d’agir aussi naturellement devant mes
copains ? Non puisque l’intervention de ma copine s’était soldée par un nouveau silence
prouvant que tous ces rires et ces exclamations étouffées ne faisaient rien d’autre que
masquer un malaise général de la part de tous ces garçons. Une fois rhabillé, j’ouvris la porte
du vestiaire, bien décidé à affronter une fois de plus d’éventuelles provocations. Devant moi,
je vis trois groupes distincts. A gauche, des filles qui affectaient une neutralité de façade,
comme si elles n’étaient au courant de rien. A droite, les garçons et quelques filles qui
affectaient un air à la fois faussement détaché et hautain. Et, au milieu, trois ou quatre filles
souriantes qui rapidement m’entraînèrent au dehors en ne parlant que du plaisir que c’était de
pouvoir retourner chez nous après une journée fatigante.

Je savais désormais que dans ce nouveau microcosme il me faudrait une fois de plus
montrer de manière évidente que j’assumais pleinement ma “différence”. Aussi, quelques
jours plus tard, quand le professeur de gym nous convoqua à la piscine, tout le monde put m’y
voir avec un minislip hyper moulant qui, une fois mouillé, devint translucide et ne laissa plus
rien ignorer de ce qu’il recouvrait. Comme je l’avais deviné, cela suffit à démontrer qu’il était
désormais inutile de chercher à me déstabiliser par des réflexions méchantes.

Il n’empêche : tout au long de ces études, je sus que mon comportement suscitait pas
mal d’étonnement chez mes copains et je ne fus pas étonné un jour d’apprendre qu’on en
discutait derrière mon dos...

C’est pendant les vacances précédentes que, pour la première fois, j’avais posé nu
pour un photographe amateur de mon âge. Je l’avais rencontré par hasard à la bibliothèque
municipale. Il m’avait parlé de sa passion pour la photo et de son souhait de pouvoir réaliser
des nus. Je lui avais aussitôt proposé mes services. Quelques jours plus tard, j’avais été reçu
très cordialement par sa mère qui était artiste peintre et qui nous avait laissé travailler seuls
dans une grande pièce qui avait été aménagée spécialement en studio pour la circonstance.
Après avoir réalisé plusieurs dizaines de clichés, ce garçon qui s’était fait aider de son jeune
frère pour les éclairages, m’avait demandé, avec un certain embarras, si je voulais bien poser
également en érection. J’avais accepté et je m’exécutais le plus naturellement du monde
quand leur grande soeur frappa à la porte et demanda à se joindre à nous. J’acceptai et la
jeune fille qui était étudiante aux beaux-arts réalisa quelques croquis de moi pendant que la
séance de poses continuait. Finalement, quand les photos furent terminées, elle me demanda
de poser ainsi plus longuement pour elle afin de réaliser un beau fusain érotique.

Les travaux artistiques réalisés ce jour-là me donnèrent envie de continuer à poser et


je me promis de le faire une fois mes études achevées.

Deux ans plus tard, donc, je me mis à répondre à toutes sortes d’annonces placées par
des gens qui se présentaient comme photographes amateurs. Puis il me parut plus efficace
d’en insérer personnellement dans diverses publications pour mieux cibler les gens auxquels
je voulais m’adresser.

Je n’avais en effet pas été long à faire trois constatations qui demeurent vraies
aujourd’hui. La première était que tous les gens qui souhaitaient me rencontrer faisaient
preuve d’un voyeurisme qu’ils assumaient différemment selon les cas. Les uns éprouvaient un

-4-
vif plaisir esthétique à découvrir mon corps nu en toute liberté et avouaient pour la plupart
que cela engendrait chez eux une forme d’excitation non pas directement sexuelle mais plutôt
intellectuelle qui décuplait leur sens créatif. D’autres, à l’opposé, n’éprouvaient qu’une saine
curiosité sexuelle qu’ils masquaient en fait derrière l’alibi artistique. Dès lors que cette
curiosité était satisfaite, elle leur apportait un apaisement psychologique qui n’engendrait
cependant chez eux aucune forme de créativité. A aucun moment je n’ai regretté les brèves
rencontres qui se révélaient n’avoir aucun rapport réel avec la création artistique car dans tous
ces cas-là il fut manifeste que j’avais apporté beaucoup aux personnes qui m’avaient contacté
sous un faux prétexte. Mais il est clair que les rencontres réellement artistiques étaient
nettement plus exaltantes, tant pour moi que pour ceux pour qui je posais.

La seconde constatation que je fis concerna l’érotisme. Toutes les personnes pour qui
j’ai posé nu cherchèrent à me représenter dans des situations plus ou moins érotiques. S’il y
en eut un petit nombre qui, d’emblée, m’expliquèrent franchement souhaiter que je pose en
érection, il s’en trouva bien davantage qui arrivèrent au même résultat par une gradation
habile de suggestions diverses. Sans doute ces personnes étaient-elles moins embarrassées de
me demander cela que d’essuyer un éventuel refus de ma part. Fort heureusement pour elles
j’étais très à l’aise et naturel dans cette situation et dès lors que je m’y trouvais plongé la
séance de poses prenait souvent une tournure bien plus conviviale. C’est alors que je
découvris la nécessité pour un modèle de travailler en harmonie avec les artistes en
développant entre eux et lui une forme de connivence intimiste d’un genre tout particulier.
Cette connivence avait certes des limites (je n’ai jamais “couché” ) mais celles-ci étaient
situées bien loin au-delà des attouchements inévitables dont un modèle peut être l’objet dans
le cadre d’un travail de moulage par exemple.

Ma troisième constatation fut que 95% des artistes qui firent appel à moi étaient des
hommes. Il y a, à cela, plusieurs raisons que voici. D’une part, beaucoup d’artistes féminines
aimeraient travailler avec des modèles masculins nus, mais elles éprouvent souvent une
certaine angoisse à l’idée de rester seules avec des inconnus dans de telles circonstances.
D’autre part, elles peuvent avoir peur du qu’en dira-t-on car une femme qui regarde des
hommes nus ne peut qu’être dépravée, n’est-ce pas ? Une autre raison est que beaucoup de
nus masculins sont réalisés par des artistes homosexuels ou qu’ils s’adressent à la
communauté homosexuelle. Ceci explique cela...

Dès que j’ai trouvé du travail, j’ai préféré obtenir ma totale indépendance en louant
mon propre appartement. Ma petite amie d’alors supportait mal l’idée que je pose nu. Elle me
disait qu’elle ne voulait pas que l’on sache comment j’étais fait, ce qui visait, bien sûr,
l’apparence de mon sexe lorsqu’il était en érection. A l’époque, je prenais cela pour une
forme de jalousie dont elle finirait par guérir ; mais je sus plus tard, grâce à ma première
femme, qu’il s’agissait là d’un sentiment bien plus complexe.

Peu après que je fus marié, nous décidâmes de faire construire la maison qui,
désormais, abriterait nos amours. C’est dans une de ses caves, aménagée en studio, qu’il
m’arrivait parfois de poser pour un photographe qui ne pouvait me recevoir chez lui pour
toutes sortes de raisons matérielles ou autres. Ma femme semblait apprécier que d’autres
hommes n’ignorent rien de la manière dont j’étais fait. Cependant, un jour, un incident
révélateur survint...

-5-
J’entrevoyais alors la possibilité de publier un livre consacré au nudisme et, selon
certains conseils qui m’avaient été donnés, j’avais décidé de l’illustrer de photos pour
lesquelles j’avais posé. Bien décidé à ne laisser aucun sujet dans l’ombre, je demandai ce
jour-là l’avis de mon épouse pour le choix d’une photo qui me montrerait en érection. C’est
alors qu’elle m’expliqua que si elle se sentait flattée du fait que d’autres hommes sachent tout
de mes parties intimes, elle se sentirait honteuses au cas où ses copines en sauraient tout
autant. Ce jour-là, je compris que pour certaines femmes il existe un singulier lien
psychologique entre elles et le pénis de leur amant...

Le moment arriva où j’eus envie de faire d’autres choses. Je pris contact avec une
école où l’on enseignait les arts plastiques et j’y offris mes services en tant que modèle.

J’appris très vite les contraintes de l’emploi, compte tenu que poser dans ces
circonstances exige une grande immobilité et une parfaite connaissance de son schéma
corporel afin de prévoir, à l’avance, durant quelle durée on pourra conservé une pose plutôt
qu’une autre et en quels endroits il conviendra éventuellement d’appliquer des coussins ou
des linges pour éviter qu’une forte douleur apparaisse vite.

Enthousiasmé par l’idée que j’apportais véritablement quelque chose d’important à


des artistes en herbe, je résolus d’offrir mes services dans plusieurs écoles ou groupements
artistiques. Ainsi, pendant quelques années, j’eus la satisfaction de me sentir utile pour des
centaines d’élèves ici et là...

Hélas, il me fallut peu à peu déchanter. Plus je rencontrais des professeurs différents
et plus j’étais déçu de constater qu’aucun n’avait jamais eu l’idée, par exemple, de demander
à leurs modèles d’exercer des tractions sur des cordes pour faire saillir leur musculature. Je
me rendis compte d’autre part que les professeurs ne répondaient pas exactement aux attentes
de leurs élèves. Les plus doués d’entre eux espéraient bien autre chose que ce qui leur était
proposé d’une manière quasi monotone. Ils voulaient des poses plus difficiles, plus riches, en
un mot plus utiles pour apprendre l’anatomie artistique. Mais ils voulaient aussi de
l’érotisme. Cela se voyait à travers certains travaux et cela me fut également dit d’une
manière non équivoque. Un élève m’expliqua même sa frustration de se trouver devant des
hommes nus et de ne pouvoir voir, représenter et toucher leur virilité triomphante.

Plus libre sans doute que beaucoup de modèles, je profitais des breaks pour aller d’un
chevalet à l’autre ou d’un carnet de dessin à l’autre, discutant ici et là avec les élèves que ma
nudité ne semblait pas du tout embarrasser, contrairement à d’autres qui s’éloignaient de moi.
Il me suffisait de regarder certaines oeuvres pour me rendre compte que ceux et celles qui
étaient là appréhendaient ma nudité de manières très différentes. Il y avait ceux et celles qui
évitaient de dessiner mes organes génitaux, ceux et celles qui, au contraire, les représentaient
en tons vifs ou plus grands que nature, ceux et celles qui féminisaient complètement mes
formes anatomiques etc...

Souvent j’ai demandé aux professeurs pourquoi les modèles devaient poser
entièrement nus. Il me fut toujours répondu que c’était parce qu’un cache-sexe détruirait les
lignes harmonieuses du corps en les brisant et en attirant sur lui l’attention. Cette réponse
était si “classique” qu’elle m’apparut bientôt comme un credo mensonger. Il flottait en vérité

-6-
dans ces classes un parfum d’érotisme que nul ou presque n’osait avouer. N’étant pas né de la
dernière pluie, je savais par exemple pourquoi la plupart des femmes et même pas mal
d’hommes préféraient me représenter de dos plutôt que de face. Simplement parce que les
fesses masculines sont bien plus érotiques qu’un sexe flaccide...

En dépit du fait que je constatais que le dessin, la peinture et la sculpture étaient des
arts bien plus complexes et difficiles que la photographie, et bien que très heureux de pouvoir
aider des quantités d’artistes en herbes qui n’avaient pas souvent à leur disposition des
modèles masculins, je finis par choisir de faire autre chose car la monotonie des séances de
poses commençait à me peser. Je décidai donc de poser désormais pour des artistes
plasticiens qui souhaitaient travailler sur le nu masculin pour leur propre compte.

Le nu masculin se vend mal parce qu’il a encore mauvaise presse. La conséquence


logique de cela est que peu d’artistes sont motivés pour travailler avec des modèles
masculins. Il y en a heureusement ! Avec eux, j’ai retrouvé cette connivence érotique que
j’avais connue avec les photographes que j’avais délaissés pendant quelques années. Mais
cette connivence alla cette fois souvent beaucoup plus loin. En effet, lors de longues poses
érotiques, il m’était désormais souvent possible d’offrir aux artistes qui le souhaitaient le
spectacle admirable de la transfiguration extatique au cours de laquelle le corps devient, en
quelque sorte, glorieux. Les artistes le savent : il n’y a pas vraiment de différence entre
l’extase mystique et l’extase sexuelle et pouvoir travailler avec un modèle qui a la capacité
d’enchaîner les orgasmes sans toutefois éjaculer est, pour eux, un ravissement qui confine au
sublime.

Si j’avais à refaire ma vie, je multiplierais les rencontres artistiques et autres au cours


desquelles il m’est apparu que je pouvais donner ou transmettre quelque chose de précieux à
des gens qui osaient aborder de manière très saine les questions en rapport avec la nudité, la
sexualité et l’érotisme.

Nous vivons dans une société où les tabous stupides et les idées fausses en matière de
sexualité entraînent toutes sortes de blocages et de comportements bizarres voire pervers. Je
n’ai aucun doute sur le fait qu’une attitude plus ouverte en ces domaines pourrait conduire à
une société dont les membres seraient bien plus équilibrés et heureux. Je n’ai pas la
prétention de croire que j’ai fait changer les choses ; mais au moins ai-je essayé d’apporter ma
pierre à l’édifice et au moins suis-je satisfait de savoir que j’ai aidé ceux qui ont osé tendre la
main vers moi...

Carl

-7-

Vous aimerez peut-être aussi