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Vois son visage.

Il témoigne de ses origines, Garrincha est un indien. Mais avant d’être vaincu, principalement par l’alcool des blancs, les
indiens ont appris à circuler discrètement, à bouger près de leurs ennemis sans que ceux-ci les remarquent. Ils ont
appris à semer leurs poursuivants par des détours illogiques, des feintes variées qui les menaient « devant » quand on
les attendait « derrière. »

Pendant des siècles les indiens ont appris à dribbler…

Garrincha venait d’un temps qui n’appartenait qu’à lui, d’une légende indienne, d’un arbre de l’amazone, d’un livre
d’images. Il est né à Pau Grande, Etat de Rio de Janeiro.

Son père, Amaro, travaille dans une usine de textile, tout comme l’avait fait son grand-père, tout comme le fera Mané
Garrincha, à 14 ans, 1 mois et 1 jour, pour 61 centimes l’heure. Amaro vit comme un de ces indiens de la Serra de
Barriga, dont il est issu. Et s’il s’appelle Francisco dos Santos, c’est parce que le propriétaire terrien qui avait réduit
l’ancêtre en esclavage s’appelait ainsi.

Mané né le 18 octobre 1933. Son père a tellement fêté cette naissance que lorsqu’il fini par se rendre à l’état civil, fin
saoul, il le déclare du 28 octobre.

Non seulement Garrincha est mort trop tôt mais il est né trop tard !

Son premier surnom : « Camisinha », parce qu’il porte toujours la même chemise sale. C’est une enfance désordonnée,
sans règle aucune, celle d’un enfant sauvage qui ne rentre que lorsqu’il a faim, parle peu, ne crie jamais, sourit et n’en
fait qu’à sa tête.

Rosa, sa sœur préférée, lui trouve son véritable surnom, celui qui va le structurer quelque peu : Garrincha, nom d’un
passereau tropical brun et frêle, au chant ravissant. On ne peut l’entendre qu’en pleine nature car le garrincha meurt
sitôt capturé !

Mané chasse les oiseaux. Il les tue à coup de pierre, jusqu’à 50 en une matinée. Et il joue au foot, partout, sur la terre
battue, contre les murs, dribble les arbres, avec une boule de chiffons, puis avec ce ballon de cuir offert par Rosa en
1940.

Il joue comme il respire, de l’aube au crépuscule, bien qu’il soit né avec des jambes tordues. On aurait alors pu rectifier
cette infirmité. Personne n’y a pensé.

Grâce à l’intervention du pharmacien, effrayé de son état général, le père l’expédie à l’école Santana, celle de l’usine. En
deux ans, il y apprend plus à déchiffrer qu’à lire. La pâtissière tente de lui faire vendre des gâteaux devant l’usine, il
mange son fond de commerce.
Reste l’usine. Il s’y sent d’autant mieux que son chef de service est le président du Sporting Club Pau Grande, dont
l’adolescent est déjà la vedette.

Nilton Santos, maître défenseur des champions du monde brésiliens 1958 et 1962, son coéquipier à Botafogo et le plus
fidèle de ses amis raconte : « Il était déjà professionnel à Botafogo que les amateurs de son village venaient le
chercher. Ils avaient deux ou trois buts de retard à la mi-temps et lui, Garrincha, il y allait. Sinon me disait-il, ils allaient
virer son frère qui était le gardien de but ! Quel brave type c’était. Jamais il ne s’est senti supérieur aux autres.

Il ne se rendait pas compte qu’il était Garrincha. »

Manoel Francisco dos Santos dit Garrincha, un inventeur de formes, un génie de l’arabesque, le plus grand ailier droit de
tous les temps.

Coupe du monde 1966, Angleterre : après les titres de champion du monde 1958 et 1962, le Brésil est éliminé au
premier tour. C’est la première défaite de Garrincha en 41 sélections. C’est aussi sa dernière. La dégringolade a
commencé.

Les blessures s’accumulent, les genoux cèdent, les accidents de motos, de voiture, les périodes de méforme…

Il y avait les femmes, les alcools durs et les nuits sans sommeil.

Quand il fait la connaissance d’Elza Soares, la reine de la Bossa Negra, Garrincha est veuf de Naïr avec qui il est resté
marié onze ans. Ils ont eu sept enfants, sept filles.

En novembre 1961, il accompagne son ami Nilton Santos chez Elza Soares, l’une des plus grandes étoiles de la chanson
brésilienne. Ils ne se quitteront pluspendant 16 ans.
Leur mariage défraie la chronique et divise le Brésil tout entier. Un footballeur noir ou indien devait rester cantonné
dans son rôle de joueur. En épousant Elza Soares, Garrincha passait des pages sportives à la rubrique mondaine…
Mané devient réellement alcoolique. Un joueur travaille le jour, un artiste la nuit. Pour vivre avec l’autre, l’un des deux
aurait du arrêter sa carrière, aucun ne l’a fait. Garrincha passait ses nuits dans les clubs où chantait Elza. Il l’attendait en
buvant et il s’est mis à boire beaucoup, parce qu’il n’a jamais rien su faire à moitié.

Elza luttera encore et encore pour l’empêcher de boire. En vain. Il aimait boire comme il aimait les femmes. Infiniment...

Son père était alcoolique, son oncle aussi. Dans son village de Pau Grande, il n’y avait qu’un terrain de foot, une Eglise
et un bar.

Garrincha boit du Cognac ou de la « blanche ». Chaque fois qu’il faut aller le chercher, Nilton s’y colle. C’est normal.
C’est ça un ami.
Un jour Elza croit qu’il s’est enfin arrêté. Mais en jardinant, un ouvrier découvre des cadavres de bouteille. Elle
comprend alors qu’il ne cessera plus. Qu’il en mourra.

19 décembre 1973, 130 000 spectateurs assistent à son jubilé, au Maracana. Garrincha est ruiné. Il faut lui venir en
aide.
Ils sont tous là, les Pelé et autres « tri-campeao »de 58, 62 et 70.

30 août 1977, 60 rue Barata Ribeiro, Garrincha bat Elza depuis longtemps. Ce jour là elle parvient à le foutre dehors. Il
revient, force la porte, il est ivre, elle s’enfuit. Le lendemain matin elle rentre chez elle accompagné de deux flics. Il n’est
plus là.
Elle ne le reverra plus.

L’errance tragique commence. D’hôpitaux psychiatriques en cures de désintoxication, de bouges en favelas. Il ne sait
plus le nombre de ses enfants, 10 ? 15 ? Plus peut-être ? Ses divorces l’ont saigné, le reste, il l’a donné, jeté, brûlé.

L’ailier n’a plus d’aile, plus rien…

20 janvier 1983, Garrincha meurt à l’hôpital d’un œdème pulmonaire, à quarante-neuf ans.
Nilton Santos raconte : « Pour Garrincha la réflexion n’existait pas. Il ne voyait le mal nulle part. Il était instinctif et tout
était bon et bien. C’était un saint autant qu’un fou.
Quelques jours avant sa mort, je suis allé le voir à l’hôpital. Ils l’avaient attaché. La veille, une infirmière était venue le
nettoyer ; il avait avalé la bouteille d’alcool à 90 degrés.
Je ne suis resté que 5 mn. Je ne supportais pas, il paraissait dans le coma. Mon ami, Moreira s’est penché vers lui,
comme endormi, et lui a dit : « Mané ! Nilton est là, ton compadre, ton ami …

Garrincha a alors murmuré : « Où est la camionette pour aller jouer. Viens on va jouer, on va sur le terrain, on va
gagner Nilton… »

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