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§2 La représentation démocratique
D La « crise » de la représentation :
Plusieurs symptômes au moins peuvent être identifiés :
Exemple : la parité sociale, ethnique, religieuse est de plus en plus revendiquée. Mais cet
objectif pose deux types de problèmes.
1) Le but originel de la représentation était de favoriser la formation, l’expression de l’intérêt
général et non de refléter la composition de la société ou d’exprimer la volonté de ses
différentes composantes politiques, sociales, ethniques, etc... La recherche de la parité si sa
logique est poussée jusqu’au bout contredit la représentation. En effet, une Assemblée
composée à l’image de la société « réelle » risque de devenir une réunion de mandataires
d’intérêts particuliers.
2) La parité peut conduire à l’introduction de procédures portant atteinte au principe d’égalité.
Des citoyens, indépendamment de leurs mérites et de leur réelle conviction (critère subjectif),
auront un poste de représentant en fonction de leur sexe, de leur origine ethnique (critère
objectif). C’est contraire à l’art. 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de
1789. Le Conseil constitutionnel l’a rappelé lui-même dans une décision du 18 novembre
1982.
E) Critique de la notion de représentation.
La représentation est comprise le plus souvent comme une innovation technique introduite
dans la transformation moderne du régime démocratique. De ce point de vue, elle pourrait être
"dépassée" notamment en ayant recours à des mécanismes originaux visant à permettre une
expression directe des peuples ou à éviter certaines dérives oligarchiques ou populistes des
représentants (Cf. par exemple le modèle de pensée "postmoderne").
Mais la représentation correspond à une nécessité fonctionnelle de la démocratie liée à
l'impossibilité pour le Souverain d'exister comme être réel ou empirique. Reconnaître cette
nécessité ne signifie pas renoncer à promouvoir une démocratisation accrue de la
représentation. Les réformes possibles sont connues :
- mandats électoraux courts, non cumulables et renouvelables
- interdiction aux fonctionnaires d'être représentants
- contrôle de l'ingérence des puissances économiques dans les processus électoraux (Cf. J.
Rancière, La haine de la démocratie, La fabrique, 2005).
Il reste que la représentation est aujourd'hui concurrencée par le triomphe du "spectaculaire
intégral" (Debord, Baudrillard) qui la délégitime comme moyen d'expression privilégié du
Souverain sauf à utiliser elle-même les techniques de la société du spectacle. Cela est sans
remède à l'heure actuelle...
§3 La séparation des pouvoirs
Ce principe nous vient de la Grande-Bretagne. Ce sont les anglais qui, à partir du 17ème
siècle, ont commencé à le mettre en pratique. Ce sont les premiers qui ont essayé de diviser,
de partager le pouvoir politique qui n'appartenait traditionnellement qu'à un seul titulaire, le
Roi. Mais dans un second temps, ce sont les penseurs politiques français (dont Montesquieu)
et américains qui au 18ème siècle ont théorisé et popularisé avec succès ce principe qu'on
peut énoncer ainsi : une même autorité ne doit pas cumuler entre ses mains tous les pouvoirs
au sein de l'Etat. On peut dire qu'avec les révolutions française et américaine, la séparation
des pouvoirs devient à la fois un "lieu commun" et un "dogme" de la pensée politique :
- un lieu commun car ce principe n'est pas contesté ou critiqué chez les partisans des
Lumières. Même Rousseau qui est souvent présenté comme un adversaire de la théorie y est
favorable. Il déclare presque banalement dans le Contrat Social : "Il n'est pas bon que celui
qui fait les lois les exécute, ni que le corps du peuple détourne son attention des vues
générales pour la donner aux objets particuliers" liv. III, chap. IV. Ce consensus ne signifie
pas pour autant que l'on s'entend sur les modalités de la séparation des pouvoirs. A cet égard,
les Constitutions de 1791 et de 1793 organisent de façon très différente la séparation des
pouvoirs.
- un dogme car on arrive à considérer qu'une société qui ne respecte pas le principe de
séparation des pouvoirs est inévitablement despotique ou tyrannique. Sa Constitution n'est
donc que de papier. D'où l'article 16 de la DDHC de 1789 qui déclare qu'une société dans
laquelle la séparation des pouvoirs n'est pas déterminée n'a pas de constitution.
Revenons d'abord sur l'expérience anglais.
a. Notion
C’est cette séparation qui va être théorisée surtout par les auteurs européens, notamment
Montesquieu. Ce dernier va distinguer trois grandes fonctions étatiques qui ne doivent jamais
être confiées à un même titulaire au sommet de l’Etat. Par ordre d’importance (et donc
hiérarchiquement) :
- la fonction de légiférer : « faire des lois pour un temps, ou pour toujours, la corriger ou
l'abroger »
- la fonction exécutrice : exécuter les lois et au sens large gouverner : « faire la paix ou la
guerre, envoyer ou recevoir des ambassades, établir la sûreté et prévenir les invasions ». (=
pouvoir fédératif selon Locke).
- la fonction de juger : punir les crimes ou juger les différends des particuliers.
Or, nous dit Montesquieu, « Tout serait perdu si le même homme, ou le même corps de
principaux, ou des nobles, ou du peuple, exerçaient ces trois pouvoirs ».
Mais, une fois que l’on a admis la nécessité de répartir les fonctions étatiques (exécuter,
légiférer, juger) entre différentes autorités, il reste à établir comment cette répartition va se
faire. Différentes difficultés surgissent qui appelleront des solutions divergentes : on ne
s’entendra pas sur le choix des titulaires de ces fonctions, sur la nature de leurs relations
(seront-ils indépendants ou dépendants). Pourront-ils agir les uns sur les autres ? etc.
La difficulté la plus grande est la suivante : comment faire en sorte que l’autorité qui est
chargée de la fonction législative, (fonction la plus noble mais aussi la plus importante) ne
profite pas de sa suprématie pour se saisir des autres fonctions et devienne finalement
despotique. Dans ce cas, on aurait échangé une tyrannie (celle du Roi) pour une autre (celle
du Parlement)... Deux grandes solutions vont être imaginées qui vont conduire à l’édiction de
Constitutions très différentes au 18ème siècle.
3) risque
La séparation des pouvoirs n’exclut pas une subordination de tous les organes au Parlement le
risque est qu’elle mène au despotisme de ce Parlement n’est pas négligeable.
Dernier des principes du droit constitutionnel occidental classique. Mais last non least, c'est
celui qui justifie ou confirme tous les autres.
En effet le droit constitutionnel classique a pour but dernier de promouvoir et garantir des
libertés fondamentales (ou droits fondamentaux). De ce point de vue, les autres principes
étudiés peuvent être compris comme des moyens pour atteindre ou mettre en œuvre ces
libertés. L'État de Droit, la représentation démocratique, la séparation des pouvoirs ne sont
pas des objectifs en soi ; leur réalisation est motivée avant tout pour garantir ces libertés.
1. SIGNIFICATION DE CES LIBERTÉS
Depuis les révolutions française et américaine, les constituants occidentaux ont pris l'habitude
de placer à la tête des Constitutions, dans ce qu'on appelle un Préambule, des Déclarations de
Droits ; Déclarations qui contiennent une liste de droits ou libertés dont le contenu peut être
aussi bien politique, économique que social. On s'aperçoit en étudiant ces déclarations que
leur signification est toujours paradoxale car elles s'inspirent de doctrines ou pensées
politiques d'inspiration différente, voire contradictoire.
On découvre ainsi que ces droits sont aussi bien :
- des droits d'agir au moyen de l'État ou en dehors de l'État (distinction reflètant l'opposition
entre pensée politique traditionnelle et moderne)
- des droits-libertés et droits-créances (distinction reflètant l'opposition entre pensée politique
libérale et socialiste/communiste)
A droits d'agir au moyen de l'État et en dehors de l'État
À droits d'agir au moyen de l'État et en dehors de l'État
D'emblée, dès 1787 aux USA, 1789 en France sont proclamés des droits fondamentaux qui
pour certains vont permettre aux individus d'agir à travers ou au moyen de l'État et pour
d'autres d'agir en dehors de l'État.
a) droits d'agir au moyen de l'État
Il s'agit de ce qu'on appelle les " droits du citoyen " : soit des droits de participer directement
au Gouvernement, ou indirectement en désignant les gouvernants. Ces droits fondent ce qu'on
appelle la liberté politique au sens traditionnel (comme l'entendent les grecs anciens).
Pour les grecs anciens, celui qui est libre est en effet celui qui peut participer à la vie de la cité
(par opposition à l'esclave ou à l'étranger). Les révolutionnaires français, admirateurs de
l'Athènes du Vème siècle av. J.C, ont donc prévu et organisé des droits politiques qui doivent
faire de nous des "citoyens" (participant à la vie de la cité). Ces droits vont nous permettre de
participer à la formation de la volonté des organes gouvernementaux ou institutions politiques
: droit de vote, droit d'éligibilité (= de faire acte de candidature) ou encore le droit d'adhérer à
un parti politique de son choix...
L'article 6 de la DDHC 1789 prévoit ainsi : " tous les citoyens ont le droit de concourir
personnellement ou par leurs représentants à la formation de la loi" . Mais dès 1776, aux
États-Unis, la Déclaration des Droits de l'État de Virginie (12 juin 1776) donnait déjà aux
citoyens le droit de participer au Gouvernement.
c) En dehors de l'État
Il s'agit de ce qu'on appelle les " droits de l'homme " ; soit des droits qui donnent aux
individus ou groupes d'individus la possibilité de réaliser en toute indépendance leur destinée
personnelle au sein de la société civile (sphère ainsi distinguée de l'État et même protégée
contre lui). De tels droits caractérisent une liberté-autonomie au sens moderne (comme on
l'entend à partir du XVIIe siècle) pouvant être exercée hors de l'Etat, voire contre lui ; ce qui
revient à limiter les prérogatives étatiques.
- Ces droits ont essentiellement une origine anglaise et hollandaise. (Cf Pour aller plus loin :
B. Kriegel La politique de la Raison, Payot,1994). Nous devons à Hobbes la formulation du
droit à la sûrete : chaque homme a droit à son corps, à sa vie. En conséquence personne ne
doit être esclave et aucun pouvoir n'a droit de vie et de mort sur personne. À Spinoza, nous
devons la formulation de la liberté de conscience : chaque homme a le droit d'opiner comme il
lui semble ce qui fonde les libertés d'opinion et d'expression. Aucun pouvoir ne peut
contraindre le jugement en conscience. À Locke, nous devons le droit ou la liberté de
propriété : chaque homme a le droit de s'approprier une part des objets de la nature. Ce qui
implique que l'Etat ne peut s'approprier la domination de la Nature à la place des individus. À
tous ces auteurs nous devons l'idée d'égalité abstraite des individus fondée sur une idée propre
aux religions du Livre : l'identité de l'humanité.
- Il revient aux Français d'avoir su faire un synthèse cohérente de ces libertés dans la
Déclaration de 1789 qui proclame notamment le droit à la sûreté (Article 2), la liberté
d'opinion (Article 10), la liberté de communication (et donc d'imprimer) (Article 11), le droit
de propriété considéré comme "inviolable et sacré" (Article17). À l'époque récente (XIXe et
XXe siècle), ces droits ont été étendus par la loi. Ils consacrent la liberté de l'enseignement, de
la presse et de l'information, de réunion, d'association et de se syndiquer.
Parmi toutes ces libertés, l'une des plus essentielles est bien sûr la liberté d'opinion dont la
garantie par le droit constitutionnel occidental conduit à le distinguer fortement d'autres droits
constitutionnels (fasciste, théocratique...). Un des corollaires de cette liberté est la liberté
religieuse. Cette liberté implique la mise en place d'une séparation entre l'Eglise et l'Etat ; une
séparation en France qui ne signifie pas indépendance ou indifférence réciproque. Il s'agit en
fait plutôt d'une séparation tolérante connue sous le nom de régime de laïcité. Ce régime
découle de l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " Nul
ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses... " et de la loi du 9 décembre 1905
portant séparation entre l'Eglise et l'Etat. Le contenu de la laïcité tient en deux points :
- L'Etat ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte. L'Etat ne reconnaît aucune
religion. Il n'y a pas de religion d'Etat. Tous les cultes sont sur le même plan. En conséquence,
l'Etat ne saurait financer aucun culte ; il pourra cependant subventionner certaines activités
d'intérêt général s'exerçant dans un cadre confessionnel (hospices, crèches), rémunérer des
ministres du culte quand ceux-ci rendront des services à des personnes publiques ...
- L'Etat garantit la liberté de conscience : l'Etat s'oblige lui-même à respecter cette liberté et à
en prévenir les violations. Cela implique notamment qu'il garantisse le droit pour chacun
d'avoir la religion de son choix et d'en voir protéger le secret (CE, 9 juillet 1943, Ferrand), le
droit pour tout agent public de ne pas être défavorisé en raison de ses croyances (CE Melle
Weiss, 28 avril 1938).
c) rapports entre droits du citoyen et droits de l'homme
Il faut savoir que dans notre droit constitutionnel classique, Ies droits de l'homme sont
considérés comme plus essentiels que les droits politiques. Pourquoi ? C'est qu'avant d'être
des citoyens titulaires de droits politiques, citoyens français ou autres, nous sommes avant
tous des hommes titulaires de droits pré-politiques, pré-étatiques que nous pouvons
revendiquer au non de notre seule qualité d'être humain. Voilà pourquoi la Déclaration de
Droits de 1789 est intitulée Déclaration des droits de l'homme (en premier) puis du citoyen
(en second).
Si notre qualité d'être humain est plus importante que celle de français, cela implique qu'il y a
primauté de l'individu sur la société, sur l'État. Nous ne sommes pas de simples éléments, ou
parties de telle ou telle communauté politique (cf. l'État français) avec qui nous devrions
toujours être d'accord. Nous sommes avant tout des hommes, des personnes que l'Etat doit
respecter.
B droits-libertés et droits-créances
Les droits fondamentaux garantis aujourd'hui par les Constitutions modernes peuvent être des
droits individuels mais aussi des droits sociaux. Les premiers ont été proclamés au XVIIIème
siècle essentiellement et correspondent à l'idéologie libérale. Ils conduisent à ce que l'État
s'abstienne. Les seconds ont été proclamés vers la fin du XIXème siècle et correspondent
plutôt à l'idéologie socialiste, voire communiste. Ils conduisent à ce que l'État intervienne.
a) Pour les libéraux : les individus doivent avant tout compter sur eux-mêmes. Les libertés
sont donc des possibilités, potentialités que nous possédons déjà et que devons développer par
nous mêmes ; ce sont selon l'expression du doyen Hauriou des « routes ouvertes au devant de
l'indépendance et de l'initiative des individus ». Ce n'est pas l'Etat qui nous rend libre, nous le
sommes déjà virtuellement.
Double conséquence :
- la reconnaissance par l'Etat que tout homme [quelle que soit son origine sociale, culturelle,
ethnique] est libre de naissance et la garantie par l'Etat que cet homme pourra jouir de sa
liberté sans entraves. On en déduit que le droit constitutionnel proclamera des droits
individuels (en tant que droits de s'exprimer, d'agir en toute indépendance) et devra défendre
le principe d'égalité devant et dans la loi. On trouve l'énoncé de ces droits-libertés dans la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
- l'État se voit borné à une mission d'Etat-gendarme : soit la mission d'assurer la sécurité
extérieure, la justice, la police, un minimum de commodités communes... pour rendre possible
l'exercice des droit individuels. Pour le reste, il doit s'abstenir. Cela veut dire que tous les
autres domaines doivent être pris en charge par les individus eux-mêmes. Les droits-libertés
constituent donc des limites à l'Etat qui ne doit pas intervenir dans une sphère qu'on peut
qualifier de « privée ».
(nota : cela n'exclut pas que l'Etat organise par exemple des « secours publics » Constitution
de 1791Titre 1. Il ne s'agit pas de la reconnaissance effective de créances en tant que
véritables droits. L'Etat ici satisfait plutôt à un devoir moral de charité publique, non à une
obligation juridique proprement dite. Idem avec le droit au travail mis en place en 1848 ;
Tocqueville « Il n'y a rien là qui donne au travailleur un droit sur l'Etat ; il n'y a rien là qui
force l'Etat à se mettre à la place de la prévoyance individuelle, à la place de l'économie, de
l'honnêteté individuelle »).
b) Pour les socialistes : les individus ne sauraient compter sur eux-mêmes uniquement. Il faut
que l'État nous aide pour que nous soyons effectivement libres. Si l'État ne le faisait pas, si on
nous laissait se débrouiller avec des droits individuels comme le veulent les libéraux, alors
seulement certains individus seraient libres : ceux qui sont les plus intelligents mais aussi les
plus favorisés par leur naissance, leur milieu familial, social, etc.
En conséquence, les libertés deviendront réelles, réalisables pour tous que si nous pouvons
réclamer à l'État de nous aider, surtout parmi nous les plus défavorisés. Cela implique la mise
en place de garanties collectives qu'on peut analyser comme des "droits-créances" (= droits
de demander à l'État certaines prestations).
Double conséquence :
- l'octroi de droits collectifs sociaux et économiques modulés en fonction des besoins de
chacun : droit à la santé, à des allocations sociales, droit aux congés payés, aux loisirs, à
l'assistance en cas d'invalidité... (Cf. la Constitution soviétique : droit à un emploi). On trouve
l'énoncé de ces droits dans le Préambule de la Constitution de 1946.
- l'État voit ses missions s'élargir : d'où l'expression moderne d'Etat-Providence chargé de
créer une liberté et une égalité de fait. Ce qui passe par le développement des institutions
administratives chargées de services publics (enseignement public, sécurité sociale).
C'est le rôle des Cours constitutionnelles, en France du Conseil constitutionnel français
d'essayer de rendre compatibles, même complémentaires les droits individuels et collectifs.
Une opposition peut demeurer entre ces types de droits surtout si on pousse trop loin leur
logique. Ainsi la préservation acharnée des droits individuels peut conduire à un Etat
minimaliste sans conscience social ; d'autre part un développement excessif des droits sociaux
pourrait créer un État tentaculaire compromettant nos droits individuels.
2. LA GARANTIE DE CES LIBERTÉS
Elle va conduire à l'intervention d'abord du législateur puis du constituant. Le juge se
chargeant de sanctionner le respect des libertés protégées par la loi puis par la Constitution.
Cette garantie interne tend à se renforcer avec le rôle joué par l'Europe.
A. L'intervention du législateur
La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 réservait déjà à la loi, expression
de la volonté du peuple, la réglementation des libertés. Ce principe a été constamment repris
en France notamment en 1946 (par exemple à propos du droit de grève) et en 1958.
Concernant, notre Constitution, l'article 34 dispose que " la loi fixe les règles concernant les
garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés ". Les
conséquences de ce principe sont les suivantes :
- le législateur peut toujours proclamer une liberté qui n'a pas été consacrée par la
Constitution ou son Préambule. Il en a été ainsi dans le passé avec la liberté d'association (loi
de 1901). L'exécutif se trouve alors lié par la loi et ne saurait y déroger par voie de
réglementation.
- le législateur peut se contenter de déterminer le statut d'une liberté déjà consacrée par le
constituant. C'est le cas du droit de grève aujourd'hui.
Il appartient au juge de vérifier si les actes des particuliers ou de l'Etat sont conformes aux
lois qui réglementent des libertés : juge ordinaire dans le premier cas, juge administratif dans
le second cas.
B. L'intervention du constituant
La Constitution peut elle-même consacrer une liberté. Ainsi dans la Constitution de 1791, on
trouve au titre 1er cette règle générale : "Le pouvoir législatif ne pourra faire aucune loi qui
porterait atteinte et mettrait obstacle à l'exercice des droits naturels consignés dans le présent
titre et garantis par la Constitution". Des droits de l'homme sont ainsi constitutionnalisés dès
1791 (la liberté d'aller et venir, la liberté de réunion, de parler et d'écrire…) . Notre
Constitution de 1958 prévoit dans son article 66 que " Nul ne peut être arbitrairement détenu
".
Il appartient au juge constitutionnel, le Conseil constitutionnel français de vérifier si la loi
porte atteinte aux dispositions constitutionnelles qui réglementent des libertés.
Il est évident qu'avec la constitutionnalisation en 1971 du Préambule de 1958 et par extension
du précédent Préambule de 1946 et de la DDHC de 1789, le contrôle du Conseil s'est élargi et
renforcé. Il est devenu le gardien ultime des libertés.
C. L’intervention du juge constitutionnel
Il appartient au juge constitutionnel, en France le Conseil constitutionnel de vérifier si la loi
porte atteinte aux dispositions constitutionnelles qui réglementent des libertés.
Il est évident qu’avec la constitutionnalisation en 1971 du Préambule de 1958 et donc des
textes qui s’y référent (Préambule de 1946 et DDHC de 1789), la garantie juridictionnelle des
libertés s’est renforcée. Le Conseil constitutionnel a ainsi développé et concrétisé un certain
nombre de libertés traditionnelles dont le respect s’impose directement au Parlement. Pour
cela il a agi de deux manières.
il a énoncé des principes à valeur constitutionnelle contenus ou formulés dans la Déclaration
de 1789 : par exemple les principe de liberté et d’égalité dont il diversifie la signification
(égalité devant la justice, devant les charges publiques…).
Il a cherché à déterminer « les PFRLR » mentionnés par le Préambule de 1946 mais non listés
par lui. Il a ainsi énoncé à partir du corpus des lois républicaines antérieures à 1946 des
principes comme la liberté d’association et la liberté de l’enseignement.
Cependant le rôle de protecteur de libertés n’est pas monopolisé par le Conseil constitutionnel
; il tend même à lui échapper car les juridictions ordinaires en effectuant un contrôle de
conventionnalité (contrôle des lois aux traités) protègent peut être encore plus efficacement
les libertés.
C’est le cas lorsque par exemple le Conseil d'Etat se réfère aux normes internationales
d’origine non communautaire comme la Convention européenne des droits de l’Homme
(Conseil d'Etat Ass 21 décembre 1990, Confédération européenne de sauvegarde des droits de
l’homme). Le juge administratif exerce alors un contrôle des lois par rapport aux libertés
fondamentales très proche du contrôle opéré par le Conseil constitutionnel par rapport au
Préambule de 1958. Avec un avantage considérable : il s’agit alors d’un contrôle plus
systématique car effectué a posteriori et ouvert aux citoyens. Dès lors le contrôle de
conventionnalité vient concurrencer le contrôle de constitutionnalité.
Cependant les juridictions européennes jouent elles aussi un rôle croissant.
Nota : L'exception d'inconstitutionnalité : un nouveau droit pour les citoyens
Nota : le 14 octobre 2000 à Biarritz, les Etats de l’Union européenne ont adopté le projet
d’une « Charte des droits fondamentaux » que devront accepter les futurs adhérents. Cette
Charte a été intégrée dans la partie 2 du projet de Constitution européenne qui a été présenté
au Conseil européen de Thessalonique en mai 2004.
Section 1. Les formes d'Etat
S 1. Les gouvernements
Classiquement, les Etats peuvent être distingués selon l’origine de la souveraineté qui les
fondent et la manière dont le pouvoir d’Etat est exerce. On parlera dans un cas de
gouvernements et dans l’autre cas de régimes (politiques). La recherche d’une classification
des gouvernements est pratiquée depuis l’Antiquité ; Platon et Aristote en avaient déjà établi
une. La typologie des régimes est plus récente. Elle a été développée surtout à l’époque
moderne, soit à partir du 18e siècle. On peut tout à fait combiner ces deux genres de
typologies.
§ 1. Les gouvernements
1. La notion de gouvernement
A définition
Les gouvernements (forma imperii) sont classés selon l’origine de la souveraineté. La
distinction repose sur la réponse à la question : « Qui gouverne et au nom de quoi ? ».
B origine
Ce critère a été utilisé par la pensée politique notamment à partir de Platon et Aristote. Pour
différencier les Etats, ces auteurs ont recherché qui gouvernait au sens large, ou encore qui
était titulaire du pouvoir d’édicter les normes juridiques. Ils ont ainsi décrit des formes de
gouvernement dont certaines sont devenues archaïques. Il en est ainsi de la « timocratie »
(gouvernement de ceux qui recherchent les honneurs).
Un tel critère est avant tout qualitatif (notamment pour Platon). En effet, chaque forme de
gouvernement est associée à certains caractères que l’on retrouve dans les Constitutions de
ces gouvernements et chez les gouvernants eux-mêmes (il s’agit de leurs « âmes »). La prise
en compte de ces caractères permet alors de juger et de hiérarchiser les formes de
gouvernement.
Par exemple, chez Platon (La République, livre VIII), on trouve cette hiérarchie : 1.
l’aristocratie des « rois-philosophes » est associée à la sagesse 2. la timocratie est associée à la
recherche des honneurs 3. l’oligarchie est le gouvernement de ceux qui sont avides de richesse
4. la démocratie est fondée sur la tolérance et l’égalitarisme 5. la tyrannie repose sur les
passions (la peur, le désir bestial)
C évolution
Les théoriciens modernes de l’Etat (Bodin, Hobbes, Montesquieu) restent encore fidèles à ce
critère. Par exemple Hobbes dans le Léviathan explique que « la différence qui existe entre les
Républiques repose sur celle qui se trouve entre leurs souverains... ». D’où sa distinction entre
trois types de Républiques (ou États) :
1 quand le représentant (celui qui détient le pouvoir souverain) est un seul homme, la
République est une Monarchie
2 quand « c’est l’assemblée de tous qui voudront part à la réunion, c’est une démocratie ou
une République populaire »
3 quand « c’est l’assemblée d’une partie seulement de l’ensemble, on l’appelle Aristocratie »
(p. 192).
Mais ils vont tenter de rationaliser la typologie fondée sur ce critère. C’est le cas de
Montesquieu qui veut s’appuyer sur les lois ou les Constitutions pour déterminer ce qu’il
appelle « le principe » ou ce qui fait agir chaque gouvernement. Il ne s’agit plus dit-il de
s’appuyer sur « des choses d’accident comme les vertus ou les vices du prince » tel Aristote.
(p. 306 L’esprit des lois). Ils vont aussi hiérarchiser les gouvernements de manière nouvelle :
ainsi, pour Montesquieu : la République (principe : vertu), la Monarchie (principe : honneur),
le Despotisme (principe : crainte).
b) Typologie contemporaine
Typologie utilisée aujourd'hui. Elle part toujours du critère de la séparation des pouvoirs et
donc ne fait que complexifier la typologie à partir Montesquieu.
Les régimes parlementaires contemporains monistes ou dualistes peuvent être classés en deux
autres types : majoritaires et non majoritaires
- Si les élections législatives conduisent à la victoire d'une coalition de partis peu nombreux,
unis, disciplinés (obéissant aux consignes de leurs leaders), alors on parle alors de régimes
parlementaires majoritaires. Ces régimes ont l'avantage d'être stables politiquement car le
Parlement n'aura pas la possibilité politique de s'opposer au Gouvernement et de le renverser.
Ces régimes ont un inconvénient. Ils connaissent en pratique une tendance à la confusion des
pouvoirs au profit de l'Exécutif. On parlera de tendance présidentialiste. Exemple :
l’Angleterre, la R.F.A., le Japon, la France de la Vème République.
- Si les élections législatives conduisent à la victoire d'une coalition de partis nombreux, non
unis, indisciplinés (n'obéissant pas aux consignes de leurs leaders), alors on parle de régimes
parlementaires non majoritaires. Ces régimes ont l'inconvénient d'être instables politiquement
car le Parlement a la possibilité de s'opposer au Gouvernement et de le renverser (ce dont ils
ne se prive pas). Dès lors, ils connaissent une tendance à la confusion des pouvoirs au profit
du Parlement. On parle de dérive vers le Régime d'Assemblée. Exemple : l'Italie jusqu'en
1993, Israël, la France de la IVe République.
c) Critique de la classification moderne des régimes
1 critique scientifique
- catégories hétérogènes : on utilise en même temps des élements juridiques comme
l’existence d’un droit de dissolution (ordre de ce qui doit être, textuel) et des élements
politiques comme la présence d’une majorité stable au Parlement (ordre de ce qui est, de
l’effectivité, pratique).
-catégories sans portée cognitive : les critères juridiques utilisés ne permettent pas déterminer
la véritable nature d’un régime. Par exemple, il ne permettent pas de déterminer si un organe
est réellement dominant (il peut être titulaire de droits qui ne se révélent pas être des
pouvoirs) ou enore quelle est la nature réelle d’un régime (confusion ou non des pouvoirs)
2 critique philosophique
La classification contemporaine héritée largement de Montesquieu ne permet pas de rendre
compte de régimes nouveaux de confusion des pouvoirs nés au 20e siècle : les régimes
totalitaires ou de domination totale.
Ces régimes peuvent avoir une apparence constitutionnelle très classique : le régime nazi qui
avait maintenu la Constitution de Weimar organisant un régime parlementaire ; le régime
soviétique qui avait une Constitution organisant un régime de spécialisation des pouvoirs.
Pourtant, en deçà du droit constitutionnel existait une autre organisation plus cachée mais
effective du pouvoir réel au profit d’un leader et de son parti gouvernant par la terreur grâce à
une police secrète.
B le critère de la séparation verticale du pouvoir
On s’attachera ici à déterminer dans quelle mesure le pouvoir central accepte l’autonomie de
pouvoirs locaux. On distinguera principalement les Etats unitaires qui peuvent se décentraliser
des Etats fédéraux. On terminera en décrivant la confédération qui n’est pas une forme d’Etat
mais plutôt la manière habituelle des Etats de coopérer entre eux.
Nota : le critère de la séparation verticale du pouvoir est aussi retenu en droit international
pour classifier les Etats.
a) l'État unitaire
C'est un État dans lequel l’exercice du pouvoir juridique d’État est monopolisé par un seul
centre politique ou Gouvernement central. Corollaire : tous les individus sont soumis au
même Gouvernement qui seul dispose d’un pouvoir normatif propre. Cela n’exclut pas que
l’Etat unitaire admette en son sein l’existence de collectivités territoriales capables de créer
leur propre droit (règlements, lois). Mais dans ce cas, les collectivités devront se soumettre à
un droit commun minimal issu du gouvernement central. Cette forme d'organisation qui
caractérise l'État français actuel et la majorité des États dans le monde est la plus ancienne.
Historiquement, les premiers États occidentaux apparus au XIe, consolidés au XVIIe siècle
étaient unitaires.
On distingue deux types d'États unitaires : centralisés et décentralisés. Cette distinction doit
être relativisée en pratique. En effet, un Etat unitaire ne peut accepter une décentralisation
complète sauf à disparaître, démembré en plusieurs Etats. Donc chaque Etat recherche un
équilibre entre centralisation et décentralisation.
a) les États centralisés : État dans lequel le pouvoir juridique d’État est exercé seulement par
des agents nommés et soumis à l’autorité hiérarchique du Gouvernement central. Ils n’ont
donc aucun pouvoir juridique propre.
Un État centralisé est généralement déconcentré au sens où certains de ses agents bénéficiant
de délégations pourront être délocalisés. Exemple : le Préfet en France. La concentration est
donc un mode théorique d'organisation administrative.
b) les États décentralisés : État dans lequel le pouvoir juridique d’État est en partie confié aux
individus eux-mêmes qui, à travers certaines institutions administratives généralement élues
vont s’administrer avec un contrôle souple du Gouvernement central. Cette « libre
administration » peut conduire lorsqu’elle est très poussée à permettre à ces institutions de
disposer d’un pouvoir normatif (réglementaire, législatif…) autonome (Espagne, Italie) dans
certains domaines. Mais ce pouvoir ne saurait être constituant ; donc permettre aux
institutions décentralisées de définir leur propre statut.
Le principe de « libre administration » se manifeste par le fait que les institutions
décentralisées ont :
la personnalité juridique (ce qui leur permet d'avoir leurs propres agents publics et
ressources).
disposent d'une compétence spécialisée sous le contrôle de l'État : en France on distingue la
tutelle (contrôle administratif exercé par le Préfet sur les personnes et les actes) du contrôle
juridictionnel moins sévère (contrôle sur les actes, exercé par les préfets qui déférent ces actes
devant les juridictions lorsqu'ils estiment qu'ils sont illégaux).
b) L’Etat fédéral
C’est un État dans lequel le gouvernement central confie l’exercice de certaines compétences
à des entités (Républiques, Provinces...) qui vont se diriger elles-mêmes. Principe de « libre
gouvernement ». Corollaire : les individus seront soumis à des normes fédérales communes
(Constitution fédérale, lois fédérales...) et à des normes locales propres aux entités fédérées
(Constitution, lois des entités fédérées). Le gouvernement central conserve en général des
compétences dites « régaliennes » : droit de faire la guerre, droit d'avoir des représentations
diplomatiques à l'étranger, droit de battre monnaie.
Nota : il est souvent difficile de distinguer entre un État fédéral et un État unitaire
décentralisé. Cela parce qu'il n'y a pas de différence essentielle entre décentralisation
gouvernementale et décentralisation administrative, État unitaire et État fédéral. En effet, en
dernière analyse, la compétence des institutions décentralisées et des entités fédérées dépend
dans les deux cas d'un ordre juridique supérieur et peut être modifiée par le pouvoir central. Il
n'y a entre l'un et l'autre système qu'une "différence de degrés".
La coopération interétatique
La coopération internationale entre les Etats se traduit par la mise en place d’organismes
destinés à gérer certains domaines d’action communs. Le statut de ces organismes résulte
d’un traité et le droit produit par ces organismes est distinct du droit interne des Etats. En
conséquences, les souverainetés nationales sont préservées et aucun Etat nouveau n’est créé
au-dessus des Etats. On parle alors de confédérations d’Etats. Cependant, comme dans le cas
de l’Union européenne, la coopération interétatique est si poussée dans certains domaines
(économiques, monétaires) qu’on aboutit à un système mixte en partie fédéral et confédéral.
1. La confédération
2. Le cas de l'Union européenne
1. La confédération
La confédération se présente comme l'association d'États unitaires ou fédérés qui acceptent de
gérer ensemble certaines compétences grâce à des organes communs. Ils forment une alliance
dans un but de coopération dans des domaines plus ou moins fondamentaux (économie,
militaire...). En aucun cas, le ou les organes communs ne constituent un autre État ni du point
de vue interne (pour les individus membres des États confédérés), ni point de vue externe
(pour les autres États sur la scène internationale).
1) origine
Les confédérations modernes sont apparues au 18ème et 19ème siècles ; elles étaient fondées
sur une identité ou solidarité nationale qui ne pouvait s'exprimer par la création d'un seul État
(État unitaire/fédéral). Exemples :
- la confédération des États-Unis de l'Amérique du nord (1778-1787)
- la confédération germanique (1815/1886).
Ces confédérations, en tant que formes transitoires ont disparu assez vite lorsqu'elles ont pu
déboucher sur la création d'un seul État. Ex : 1787 pour les États-Unis et 1871 Pour
l'Allemagne.
Les confédérations modernes (celles du 20e siècle) sont fondées plutôt sur une solidarité
d'intérêts (intérêts économiques, politiques...). Elles sont méconnues car en trop grand
nombre, créées à l'occasion de la conclusion de nombreux traités internationaux. On peut citer
parmi les plus célèbres le Commonwealth, dernier vestige de l'Empire colonial anglais,
l'OTAN, la CEE (à laquelle a succédé l’UE en 1992)), etc. Parmi les plus récentes, la
Sénégambie (1982) qui a disparu depuis, la CEI qui s'est substituée à la fédération de l'URSS
et demain peut être l'alliance entre Bohème Moravie et Slovaquie, le Canada et le Québec...
2) caractéristiques
1. le lien de droit qui unit ces États et précise les compétences des organes communs
confédéraux n'est pas une Constitution mais un traité. Cela manifeste bien que les États ont
conservé leur pouvoir d’État et restent indépendants.
2. les organes communs sont composés de simples délégués des États qui n'ont donc aucun
pouvoir de décision propre ; ils doivent constamment référer à leurs États respectifs. Leur vote
lors de la prise de décision se fait à l'unanimité. Cela permet de ne pas passer outre l'avis d'un
État qui détient en conséquence un droit de veto.
3. les décisions prises par les organes communs ne sont pas applicables directement sur les
territoires des différends États confédérés. Elles doivent faire l'objet d'une autorisation ou
d'une ratification interne sans lesquelles elles n'ont pas de valeur juridique dans l'ordre interne
des États.
4. les différents États peuvent sortir facilement de l'alliance ou de l'association
Nota : le cas de la Suisse. La Suisse est bien une fédération même si le terme de confédération
est utilisé dans sa nouvelle Constitution pour désigner le pouvoir central (ou fédéral).
2. Le cas de l'Union européenne
Sources : G. Isaac, Droit communautaire, Masson et B. Chantebout, Droit constitutionnel,
Colin.
A. Historique
À l’origine, il a été question de créer une Europe fédérale sur le modèle américain (les «
Etats-Unis d’Europe »). Mais cette voie s’est révélée sans issue. Le projet Briand, présenté le
7 septembre 1929 à l’Assemblée générale de la SDN, n’a pas connu de suite. Il en a été de
même avec le « message aux Européens » qui avait conclu le congrès des mouvements
fédéralistes les 8-10 mai 1948.
Le plan Shuman en tira les conséquences : il préfère une intégration plutôt économique que
politique, de procéder par étapes en créant des solidarités de fait plutôt que d’un seul coup. Le
postulat était qu’en procédant de manière pragmatique, on fabriquerait un engrenage qui
aboutirait finalement à une solution fédérale. On suggéra de commencer par la mise en
commun de ressources comme le charbon et l’acier (des ressources nécessaires pour faire la
guerre ; leur mise en commun entre la France et l’Allemagne devait empêcher toute nouvelle
guerre). L’acceptation de cette proposition par 5 Etats (Allemagne, Belgique, Italie,
Luxembourg, Pays-Bas) fut formalisée par la signature du premier grand traité européen
instituant le 18 avril 1951 la CECA.
On peut dire que cette idée a à la fois réussi et échoué :
- la réussite, c’est évidemment que l’intégration économique s’est effectivement produite et
renforcée jusqu’à la création d’une monnaie européenne unique. Dans ce domaine, on peut
parler d’un fonctionnement quasi fédéral de la Communauté européenne. Les étapes auront
été les suivantes :
• La C.E.E.A. : la Communauté européenne de l’énergie atomique (Euratom) visant à
promouvoir l’utilisation de l’énergie nucléaire à des fins pacifiques et le développement d’une
industrie nucléaire. 25 mars 1957
• La C.E.E. : la Communauté économique européenne qui tente de créer un marché commun,
c’est-à-dire un marché unique étendu aux territoires des 6 états signataires. Cela impliquait
une union douanière (libre circulation interne des marchandises et tarif douanier commun), la
libre circulation des facteurs de production et une protection de la libre concurrence. 25 mars
1957
• Le S.M.E. : le système monétaire européen de 1978.
Les 6 et 7 juillet, le sommet de Brême décide d'instaurer un système monétaire européen
(SME). Il vise à établir en Europe une zone monétaire stable, moins sensible aux grandes
variations de taux de change entre les monnaies européennes. Il se substitue au "serpent"
monétaire, constitué en 1972.
• L’A.U.E. : l’Acte unique européen de 1986. Il relance la construction communautaire en
prévoyant un marché intérieur commun vraiment intégré qui est assorti du principe de
solidarité financière. Passage au vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil pour le
rapprochement des législations. La coopération en matière de politique étrangère fait l’objet
de dispositions conventionnelles et est étendue aux aspects économiques et politiques de la
sécurité.
• Le traité de Maastrich de 1992 qui réforme le traité CEE de 1957. Le traité CEE (maintenant
CE) est complété par des dispositions qui aménagent une Union économique et monétaire ;
économique car est prévue une coordination des politiques économiques des Etats membres et
le respect du principe d’une économie de marché ouverte // monétaire car sont fixés de
manière irrévocable les taux de change entre monnaies européennes pour aboutir à
l’instauration d’une monnaie unique.
• Le traité d’Amsterdam de 1997 tente de faciliter la coopération dans des domaines non
communautarisés : Europe sociale, politique étrangère et sécurité commune. Une
communautarisation des politiques d'asile, d'immigration et de libre circulation est prévue
ainsi que l'intégration de l'acquis de Schengen dans l'Union européenne.
• Le traité de Nice de 2001 (entré en vigueur en 2003). Il prévoit une nouvelle répartition des
sièges au Parlement européen, une nouvelle composition de la Commission et une nouvelle
définition de la majorité qualifiée au Conseil. Les Etats membres les plus peuplés perdent à
partir de 2005, la possibilité de proposer un deuxième commissaire.
- l’échec, c’est le fait que l’intégration économique n’a pas été relayée par une intégration
politique notamment dans les domaines de la diplomatie, de la sécurité intérieure et
extérieure. Dans ces domaines, il n’existe qu’une coopération institutionnalisée de type
confédéral. Le traité de Maastricht a certes crée une entité nouvelle, l’Union européenne
chargée d’harmoniser les politiques dans ces domaines mais cette entité n’a pas de
personnalité juridique et notamment n’a pas de capacité d’engagement international. Cet
échec s’explique par le fait que ne s’est pas constitué comme l’espéraient les fédéralistes, un
Peuple de l’Union, une Nation européenne ou au moins une opinion publique européenne. On
comprend alors pourquoi l’Europe a été incapable d’agir de façon unie notamment lorsque les
conflits au sein de l’ex-Yougoslavie ont conduit à des génocides à répétition ou encore
lorsqu’il s’est agi de prendre position sur l’intervention américaine en Irak. L’idée d’une
souveraineté européenne capable de subsumer les souverainetés nationales reste une utopie.
B. Les structures de l’Union européenne.
Depuis l’entrée en vigueur du Traité de Maastricht le 1er novembre 1993, les organes de la
Communauté européenne exercent une double activité :
- une activité notamment judiciaire, administrative et surtout législative en application des
traités dans le domaine économique mais aussi depuis 1993 dans des domaines comme
l’éducation, la santé publique, la culture, les transports… (il s’agit des matières dites «
communautarisées »). On estime qu’à moyen terme les 4/5èmes du droit national des Etats
membres auront pour base la réglementation européenne. Cette activité tend à être fédérale
sans pour autant donner à l’Union européenne le statut d’un véritable Etat fédéral.
- une activité de coopération dans les domaines de la politique étrangère et de sécurité
commune ou encore de la justice et des affaires intérieures. Cette activité est de type
confédéral.
Voici les principaux points du traité modificatif qui devrait entrer en vigueur mi-2009.
Alors que la Constitution remplaçait tous les traités précédents, par souci de clarté, le nouveau
traité « modificatif » amendera les traités de Rome (1957) et le traité de l'Union européenne
(1992), comme l'avaient fait les traités d'Amsterdam (1996) et de Nice (2000).
- Système de vote : Les règles de vote actuelles, définies par le traité de Nice continueront à
s'appliquer jusqu'en 2014. La règle de la double majorité prévue par la Constitution entrera en
vigueur le 1er novembre 2014 : une décision sera adoptée si elle obtient le soutien de 55 %
des États membres représentant 65 % de la population de l'Union. Du 1er novembre 2014 au
31 mars 2017, un État membre pourra toujours demander l'application du système de Nice.
Jusqu'en 2017, le système de « Ioanina » s'applique. Il permet à un groupe d'État risquant
d'être mis en minorité de prolonger la discussion. Ce système est renforcé à partir de 2017. Le
champ d'application de la majorité qualifiée est étendu à une quarantaine de domaines,
principalement la coopération judiciaire pénale et policière. La Grande-Bretagne et l'Irlande
bénéficient d'un opting in dans les affaires de justice et de police : elles peuvent participer aux
politiques communes lorsqu'elles le souhaitent. L'unanimité demeure la règle pour la politique
étrangère, la fiscalité, la politique sociale, les ressources de l'UE ou la révision des traités.
- Terminologie, symboles Les symboles (drapeau, hymne, devise) ne figurent plus dans les
traités, même si ces derniers continueront à exister. Les expressions « loi » et « loi-cadre
européenne » sont abandonnées au profit de règlements, directives, décisions.
- Présidence Un président stable du Conseil européen sera élu par ses pairs pour deux ans et
demi, au lieu de l'actuelle rotation semestrielle par pays.
- Diplomatie de l'UE Le titre de « ministre » des Affaires étrangères est supprimé. Il est
remplacé par celui de « haut-représentant pour la Politique étrangère et la Sécurité ». En 2009,
il sera aussi vice-président de la Commission. Il disposera d'un service diplomatique propre
(service pour l'action extérieure).
- Charte des droits La charte des droits fondamentaux ne sera plus reprise in extenso. Un
article y fera référence. Son caractère juridiquement contraignant est maintenu. Londres
bénéficie d'une dérogation à son application. La Pologne a obtenu la garantie que la charte «
ne porte atteinte en aucune manière au droit des États de légiférer dans le domaine de la
moralité publique, du droit de la famille, de la protection de la dignité humaine, de l'intégrité
humaine physique et morale ».
C Le principe de majorité qui veut qu'en démocratie, le parti majoritaire à la suite d'une
élection libre soit appelé à gouverner est supprimé. Le parti fasciste en Italie lors des élections
de 1924 est devenu le parti majoritaire mais ce n'est qu'une justification subsidiaire de son
pouvoir.
(Cf. la déclaration de son secrétaire général : "Quand bien même 12 millions de oui se
transformeraient en 24 millions de non, Mussolini demeurait au Palazzo Venezia et la
révolution des chemises noires poursuivrait sa route... Si 24 millions de non étaient déposés
dans les urnes, cela voudrait dire que la masse des électeurs a été saisie d'une folie collective,
que toute l'Italie n'est plus qu'un asile d'aliénés. Raison de plus pour que les sages demeurent à
leur poste...").
On aboutit donc à un État idéologique dans lequel l'idéologie prime sur le droit ou se substitue
à lui. L'État fasciste n'a même pas besoin de Constitution ou de Déclaration des droits
fondamentaux. L'idéologie telle qu'elle s'exprime dans la bouche du chef de l'État et appliquée
par tous est censée garantir, préserver mieux que le droit, l'intérêt de l'État et de ses membres.
Il peut existerà la rigueur un droit constitutionnel fasciste qui ne ferait que traduire, rendre
efficace la pensée du chef de l'État (qui a le pouvoir constituant).
Cela explique que l'Italie fasciste comme l'Allemagne nazie n'a pas eu de véritable
Constitution, seulement quelques lois à portée constitutionnelle - 3 ans après l'arrivée au
pouvoir de Mussolini ; le régime de Vichy non plus n'a pas édicté et fait ratifier une
Constitution comme le prévoyait pourtant la loi du 10 juillet1940.
Section 2 : gouvernement dictatorial (ou d'un seul).
Définition : gouvernement exercé directement et entièrement par le souverain identifié à un
chef qui commande en raison de ses qualités ou vertus propres. La nation ou le peuple n'ont
pas vocation à gouverner même de façon indirecte à travers des représentants. A la rigueur, ils
s'exprimeront pour affirmer leur confiance envers le dictateur (principe du plébiscite).
B la conception modérée
Deux solutions :
a)la réinterprétation de la charî'a et du droit musulman
Les partisans de cette solution expliquent que le Coran peut et doit être interprété si on veut
être fidèle à son esprit. D'ailleurs le droit musulman qu'on peut en tirer a toujours su évoluer
selon différentes méthodes. Ainsi au moins deux méthodes sont utilisables aujourd'hui :
- le Talfik : on interprète le droit musulman en essayant de remonter à son origine pour en
comprendre les défauts actuels et pour l'adapter. C'est la méthode adoptée par le législateur
tunisien.
- L'herméneutique : on recherche par de là la lettre l'esprit du Coran. Et l'on cherche à placer
chaque question dans le dessein divin global. C'est que l'esprit est éternel, la lettre
circonstancielle. Le droit musulman peut alors évoluer, être abrogé. (idem pour le judaïsme, le
catholicisme).
Si on n'utilise pas de telles méthodes, alors on est condamné à une application littérale par
exemple de la loi du talion ou d'un statut pour la femme discriminant. C'est le recours aux
châtiments corporels comme la flagellation publique, l'amputation de la main, du pied, de
l'œil... Concernant la femme, le refus de lui donner des droits politiques. Procéder ainsi
revient à nier :
- d'une part la tradition musulmane à laquelle on prétend se référer. Par exemple, selon
certains auteurs le châtiment de la main coupée n'a été appliqué que 6 fois durant les 6
premiers siècles de l'Hégire. En Iran, l'établissement de la loi du talion serait en contradiction
avec l'histoire de ce pays
- d'autre part, des siècles de science juridique classique musulmane (le fiqh) qui a permis
d'adapter, de systématiser et finalement au 20ème siècle de moderniser le droit islamique.
Exemple d'interprétation moderne : la polygamie. Si le Coran autorise les hommes à prendre 4
épouses, il impose une parfaite égalité de traitement entre elles, ce qui est impossible dans les
sociétés actuelles. On peut donc conclure à l'interdiction de la polygamie.
2) la séparation totale entre droit et religion
Seule cette solution selon certains juristes musulmans permettrait de faire accéder le monde
musulman à une conception réellement universelle et égalitaire des droits de l'homme comme
en Occident. Cette solution a eu un début d'application dans les années 50 (cf. la Déclaration
universelle des droits de l'homme adoptée par l'ONU a été approuvée en 1948 par tous les
pays musulmans, avec la seule abstention de l'Arabie Saoudite) mais depuis elle est en déclin.
Certains Etats musulmans modérés ont ainsi adopté (l'Algérie) ou maintenu (le Maroc) des
codes civils ou de statut personnel inspirés par une Charî'a interprétée strictement. Ainsi au
Maroc, si la polygamie se fait très rare (200 demandes en 1999), la répudiation augmente
(environ 10 % par an selon certaines sources).
Le modèle « postmoderne »
On peut parler d’un modèle de pensée postmoderne apparu d’abord aux Etats-Unis (cf.
Richard Rorty), inspiré en partie par un ensemble de philosophes français (la "French theory")
pendant les années 1960 et 70. Parmi ces auteurs, citons Michel Foucault, Jean-François
Lyotard et Jacques Derrida. Le contexte politique qui a favorisé la diffusion de la pensée
postmoderne est notamment celui des mouvements sociaux et estudiantins de 1968 (dont mai
68 en France).
Le postmodernisme a eu des effets idéologiques dans le domaine des arts (notamment en
architecture) mais aussi dans le domaine politique. Dans ce dernier domaine, se développe
aujourd’hui ce qu’on peut désigner comme une « doctrine politique postmoderne ».
Nous étudierons la forme « vulgaire » ou pédagogique de cette doctrine telle qu’elle est par
exemple illustrée dans les ouvrages de Georgio Agamben, Michael Hardt et Antonio Negri.
Préalable :
Les auteurs postmodernes expriment un doute sur le projet universel d’émancipation de
l’homme élaboré par les Modernes, sur la possibilité même de le renouveler. Nous n’aurions
pas de « signes » que les Idées de liberté et d’égalité tendent à se réaliser dans l’histoire ;
qu’un progrès politique, moral est en cours. Auschwitz signifie peut-être la mort de ce projet
(Cf. J-F. Lyotard, Le différend, Minuit, 1986). Dès lors, on doit remettre en cause les
principes juridiques issus des Lumières (état de droit, représentation politique, séparation des
pouvoirs, protections des droits de l’homme) censés favoriser cette émancipation. Peut-être
sont-ils devenus obsolètes et ne conservent-ils au fond qu’une utilité de type idéologique dans
les discours de légitimation des États ? Comme l’explique G. Agamben in « Le commun :
comment en faire usage ? », 1992, « Les termes de « souveraineté, de droit, de nation, de
peuple, de démocratie et de volonté générale recouvrent désormais une réalité qui n’a plus
rien à voir avec celle que désignaient ces concepts et celui qui continue de s’en servir de
manière acritique ne sait littéralement pas de quoi il parle ».
Cependant certains auteurs postmodernes comme M. Hardt et A. Negri estiment que l’idéal
démocratique ouvre encore des possibilités réelles d’action ; cela à condition de réinterpréter
les principes juridiques issus des Lumières. Cette réinterprétation devrait se faire dans un sens
différentialiste (plutôt qu’universaliste) au profit de la souveraineté du peuple (plutôt que la
souveraineté nationale qui justifie la représentation politique) et en favorisant la résistance à
l’Etat souverain. Les analyses de M. Hardt et A. Negri vont s’appuyer en partie sur des
concepts néo-marxistes et décisionnistes (C. Schmitt). Ce qui confirme qu’elles ne rompent
pas complètement avec le projet d’émancipation des Modernes.
Nous procéderons en développant et en critiquant les nouveaux principes du droit
postmoderne formulés dans les ouvrages de M. Hardt et de A. Negri (notamment, Multitude,
10-18, 2006 - 1ère édition en français La Découverte, 2004) :