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Les principes du droit constitutionnel occidental classique

Le droit constitutionnel occidental classique est né notamment des Révolutions anglaise au


XVIIème siècle puis américaine et française au XVIIIème siècle. Ces révolutions sont à
l'origine de ses principes essentiels ; principes toujours valables et capables de s'universaliser
(voir leur adoption par les démocraties d'Europe de l'Est lors de la chute de l'URSS par
exemple).
Ces principes sont à la fois :
- des principes constitutifs : c'est-à-dire des principes dont découlent certaines règles, normes
d'organisation concrètes incorporées au droit constitutionnel occidental.
- des principes régulateurs : au sens où leur mise en œuvre par les États est une tâche jamais
achevée. Aucun État ne saurait dire qu'il est devenu un État de droit en tous domaines, que la
protection des libertés y est pleinement assurée sur son territoire, etc.
Ils sont caractéristiques de l'idéal moderne d'émancipation que porte l'Occident depuis le
XVIIIème siècle (Les Lumières). Le droit constitutionnel occidental se légitime en effet par
l'idée que l'application de ces principes doit nous permettre de nous libérer, de progresser, de
rejeter la barbarie. Évidemment, nous savons que la réalisation de ces principes nous renvoie
à un futur, sans doute inatteignable. Le projet occidental ne s'inscrit donc pas dans le présent,
dans le réel mais dans un possible-impossible. Cet aspect utopique est cependant la principale
force du droit constitutionnel occidental classique. Car il contraint les États occidentaux à la
modestie, à l'effort contrairement aux États totalitaires qui prétendent toujours avoir atteint
des objectifs grandioses et vivent dans le mensonge.
Quelle est sa faiblesse ? C'est qu'il repose sur un "optimisme transcendantal". Nous voudrions
tous la liberté, le progrès ; il y aurait un accord universel potentiel autour de certaines valeurs
humanistes. Mais cet optimisme n'a plus lieu d'être après Auschwitz. Nous avons fait cette
expérience inimaginable pour Rousseau, Voltaire qu'un peuple "civilisé", vivant selon le droit
des Lumières pouvait approuver un régime raciste qui a fini par nier l'humanité de l'homme en
organisant un génocide (la Shoah). Expérience qui s'est répétée depuis sous d'autres formes au
détriment d'autres peuples. Après la Shoah, le droit constitutionnel occidental a perdu de sa
crédibilité ; il est entré en crise. Une crise que semble pourtant ignorer nombre d'interprètes de
ce droit qui se contentent de proposer des analyses internes et techniciennes de nos
Constitutions.
On peut dégager au moins 4 principes tous liés logiquement entre eux.
§ 1. L'État de droit
A Définition
On entend par État de Droit, un État dans lequel tous les individus ou collectivités ont leurs
activités déterminées et sanctionnées par le droit.
Un État de droit s'oppose à un État où règne l'arbitraire, le bon plaisir du prince ; bref, l'État
où certaines personnes, autorités ne voient pas leurs activités et pouvoirs encadrés, limités par
le droit. C'est l'Etat de police.
Nota: il faut distinguer entre les notions juridique et politique de l'État de droit. La notion
politique identifie État de droit et État libéral (Etat qui protège les libertés fondamentales).
Cependant, les deux notions peuvent être reliées. On ne voit pas en effet comment un État qui
se voudrait un État de droit au sens juridique ne serait pas aussi en partie un Etat de droit au
sens politique ; au sens où il est bien obligé de respecter un minimum de libertés
fondamentales tout simplement s'il veut être obéi ou être efficace.
B Historique
Un des moments essentiels dans l'apparition de l'Etat de droit en Occident a été la
formalisation d'un principe fameux en droit pénal : le principe de légalité des délits et des
peines. Ce principe a été énoncé par Béccaria, juriste et économiste italien dans son petit livre
Des délits et des peines (1764). Selon ce principe, il ne peut exister d'infraction qui ne soit
prévue dans un texte ; le juge ne peut inventer un délit ou un crime, sous peine de trahison. Le
principe de légalité a deux conséquences heureuses :
- il permet d'établir la sécurité juridique : le délinquant sait exactement ce qu'il risque en
commettant telle ou telle infraction
- il instaure une sécurité physique en limitant le pouvoir étatique par la loi : le juge appliquera
des lois générales et ne pourra faire d'exception pour telle ou telle personne.
L'Etat de droit a été un des buts fondamentaux des révolutionnaires français. Ils voulaient
ainsi soumettre tous les individus, même les rois au droit. Ainsi, la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen du 26 août 1789 expose de façon solennelle des droits fondamentaux
reconnus à chaque individu ; droits qui doivent être respectés par "tous les membres du corps
social". Ces droits constituent des buts et des limites à la fois à l'action de "toute institution
politique", précise la Déclaration.
C Sanction
Il faut insister sur le fait que la notion d'État de droit est vide, n'induit pas de conséquences
pratiques s'il n'y a pas de sanction, si les règles juridiques ne voient pas leur application
contrôlée.
Deux contrôles cumulés ou non sont possibles :
- le contrôle politique : par exemple, aujourd'hui le président de la République en France est le
garant politique du respect de la Constitution (art. 5) par les autres institutions politiques
- le contrôle juridictionnel : par exemple, aujourd'hui, le Conseil constitutionnel est le garant
juridictionnel du respect de la Constitution par le Parlement (art. 61).
D. Critique de l'Etat de droit
La notion d'Etat de droit comporte au moins deux faiblesses :
- une faiblesse constitutive : comme on l'a vu, même l'État à travers ses institutions politiques
et administratives est soumis au droit. Or l'Etat est à l'origine de la majorité des normes
juridiques et est de plus chargé de veiller à leur respect. Il est donc très facile pour l'Etat de se
soustraire au droit. Le principal danger pour l'Etat de droit, c'est donc l'Etat.
[Aporie classique : il faut un gendarme pour surveiller le gendarme et ainsi de suite...]
- une faiblesse née dans l'application : l'Etat de droit suppose que les opérateurs du droit
(notamment le juge) fassent un usage sincère, correct du droit. Ainsi on attend du juge qu'il
n'utilise pas sa fonction d'interprétation, de jugement à des fins politiques. C'est très difficile à
vérifier et à sanctionner.

§2 La représentation démocratique

Le droit constitutionnel occidental classique ne connaît et n'organise que des régimes


politiques fondés sur le principe de représentation démocratique ; c'est-à-dire des régimes où
le peuple (ou la nation) ne gouvernent pas directement. Ils le font seulement à travers des
institutions politiques ou administratives composées de représentants élus. En France, ce sont
par exemple, les députés à l'Assemblée Nationale, le président de la République française
pour les institutions politiques, les conseillers généraux, municipaux, régionaux pour les
institutions administratives.
Les Français au XVIIIe siècle ont largement contribué à l'élaboration d'une doctrine de la
représentation (notamment grâce à Montesquieu et Sieyès). Une doctrine qui au moment de la
Révolution n’a presque pas rencontré d’adversaires. Ainsi, Aulard dans son Histoire politique
de la Révolution Française, Paris, A. Colin, 1901, reéd. 1926, p. 257 rappelle que sous la
Révolution « Tout le monde semble d'accord pour établir une république représentative.
L'idée que le Peuple pût et dût exercer directement sa souveraineté ne fut guère formulée, à
ma connaissance, que par un membre de l'assemblée électorale de Seine et Oise, qui proposa
un mandat d'après lequel les députés « demanderaient que le peuple exerçât sa souveraineté
non par des délégués, mais par lui-même ». Cette motion ne fut même pas discutée.
A Justification
Le passage de la multitude à l’unité, la constitution d’un corps politique (ou incorporation)
permettant la formation de l’Etat et de tous ses organes peut être assimilé à un phénomène de
représentation. Quelques uns vont parler au nom de tous. Entendue de cette façon, la
représentation n’est pas une idée moderne. Elle est connue sous l’antiquité grecque et
romaine. Selon Mommsen, « les pouvoirs de l’Etat n’exercent pas un droit propre ; ils
exercent tous par représentation les droits du peuple ; le prince lui-même n’est rien de plus
qu’un magistrat ». Elle a été développée dans la théologie catholique à qui l’on doit cette idée
que l’Etat est une personne collective, morale ; qu’au final, il n’existe en droit que sa seule
volonté car les représentés n’ont pas de volonté différente de celle de l’Etat. Ils n’existent pas
juridiquement en tant que membres de l’Etat.
Pourtant le droit constitutionnel classique refuse d’identifier tous les agents de l’Etat à des
représentants. En effet, selon la théorie moderne de la représentation, ne sont représentants
que ceux qui expriment la volonté du Peuple ou de la Nation, c’est-à-dire du souverain. C’est
le cas ainsi des députés qui expriment à travers la loi la volonté du souverain. Les autres
agents de l’Etat ne font qu’obéir à cette volonté. Ils sont passifs. On reconnaît aujourd’hui les
représentants au fait qu’ils sont élus au SU.
Il appartient aux penseurs de Lumières d’avoir organisé à travers l’idée de mandat
représentatif la représentation moderne du Souverain qui aboutit à mettre en place un système
nouveau de démocratie représentative. Dans ce type de démocratie, les citoyens pris
individuellement ne sont pas habilités à gouverner ; ils s'en remettent à des porte-parole
qualifiés s'exprimant au nom du peuple ou de la nation comme entités collectives. On les
appelle représentants. Les représentants se substituent aux citoyens pour gouverner. Ces
derniers en droit ne sont pas considérés comme ayant une volonté différente des représentants
et ne peuvent faire pression sur eux.
Reste à savoir comment justifier que les individus ne gouvernent pas directement.
a) Arguments favorables
1. Arguments pratiques (Montesquieu)
- l'impossibilité d'organiser dans les grands États des systèmes de gouvernement direct (Cf. les
exceptions des cantons suisses de Glaris, d'Unterwalden et d'Appenzell = système des
assemblées générales du peuple, "Landsgemeinde").
- la lourdeur et la complexité des tâches de gouvernement.
Ces caractères les rendent impraticables par le peuple. "Le grand avantage des représentants,
écrit Montesquieu, c'est qu'ils sont capables de discuter les affaires. Le peuple n'y est point du
tout propre ; ce qui forme un des grands inconvénients de la démocratie" in l'Esprit des lois
Livre XI Chapitre VI. Pour autant, le peuple peut entrer et doit entrer dans le Gouvernement
pour choisir ses représentants, "ce qui est très à sa portée. Car, s'il y a peu de gens qui
connaissent le degré de la capacité des hommes, chacun est pourtant capable de savoir, en
général, si celui qu'il choisit est plus éclairé que la plupart des autres...". Nous ne pouvons
effectuer des tâches de gouvernement ni évaluer exactement comment ceux qui en sont
chargés les maîtrisent mais nous pouvons au moins juger de la compétence générale de nos
représentants.
Notons que le rejet de la technique du référendum (comme technique de démocratie directe
sans intervention des représentants) par les pays anglo-saxons est justifié aujourd'hui encore
souvent par cet argument. Il reste que certains Etats américains comme la Californie les
appliquent (référendum, recall)
2. Arguments théoriques (Madison-partisans de la souveraineté nationale)
- facteur de stabilité et de vertu : La démocratie directe est soumise aux désirs multiples et
changeants qui peuvent émaner du peuple. La représentation introduit de la stabilité,
homogénéise la volonté du peuple et peut même la limiter. Elle permet surtout aux
représentants de faire des lois correspondant à l'intérêt général ; un intérêt dont les individus
ne sont pas forcément conscients eux-mêmes.
CF Madison The Federalist n°10 "The effect of the first difference is, on the one hand, to
refine and enlarge the public views, by passing them through the medium of a chosen body of
citizens, whose wisdom may best discern the true interest of their country". Madison préfère
la République entendue comme démocratie représentative à la démocratie directe.
- compatibilité avec l’idée de Nation : la Nation au sens moderne n’est pas un être concret.
Elle n’a pas de volonté empirique identifiable. Elle doit donc être représentée, c’est-à-dire
incarnée. La représentation en droit public diffère sur ce point avec la représentation en droit
privé. Il n’y a pas ici de représenté qui confie un mandat au représentant.
b) Arguments critiques
1 arguments logiques (Rousseau-Sieyès)
La représentation est impossible si l’on veut respecter le principe de souveraineté
démocratique selon Rousseau. Le peuple sauf à ne plus être souverain ne saurait céder ou
aliéner sa volonté au profit de délégués parlant en son nom. Autrement il ne serait plus
souverain, il ne serait plus le peuple. La volonté n’est pas transmissible ; c’est un attribut
essentiel, indétachable de la personnalité du peuple. La seule solution est une démocratie
directe ou indirecte (où les délégués ou « commissaires » obéissent à des consignes données
par ceux qui les ont élus).
Il reste que Rousseau maintient une solution représentative par certains aspects : l'Exécutif est
selon sa préférence aristocratique et la volonté du souverain est comprise comme Volonté
générale, c'est-à-dire comme transcendante.
2 arguments sociologiques (Marxisme)
La représentation est un moyen détourné pour confisquer la démocratie, notamment au profit
des classes dominantes. Les représentants appartiennent inévitablement à ces classes car il
faut pour être élu avoir des moyens financiers ou encore un bagage culturel. En conséquence,
les classes populaires sont sous représentées et leurs intérêts sont sacrifiés.
B Mécanisme juridique
Il repose entièrement sur la mise en place d'un mandat représentatif : le représentant (un
député par exemple en France) va bénéficier d'un mandat qui a deux caractéristiques. C'est un
mandat :
a) collectif le représentant représente l'ensemble de la Nation (ou du Peuple) et non pas les
individus qui l'ont nommé ou qui l'ont élu. L'article 7 de la première constitution française de
1791 précise : "Les représentants nommés dans les départements ne seront pas les
représentants d'un département particulier mais de la Nation entière".
exemple : un député français élu de la 1e circonscription de Meurthe et Moselle n'est pas
député de cette circonscription ou encore de la Lorraine : il est député de la Nation française
tout entière.
b) non impératif le représentant est en droit complètement libre. Il a entière liberté d'opinion,
de parole, de vote (notamment par rapport à ceux qui ont permis son élection, l'ont élu). Il
n'existe aucune subordination juridique de d'un représentant élu à ses électeurs. En
conséquence, le représentant est irresponsable. En droit, il n'a pas de comptes à rendre à ceux
qui l'ont désigné. Il ne peut donc être révoqué. Par exemple, il ne peut démissionner sur la
pression de ceux qui l'ont nommé ou élu ou encore il ne saurait rédiger une lettre de
démission en blanc. cf. article 27 de la Constitution de la Vème République (« Tout mandat
impératif est nul »).
Illustration: Condorcet : « Mandataire du peuple, je ferai ce que je croirai le plus conforme à
ses intérêts. Il m'a envoyé pour exposer mes idées, non les siennes ; l'indépendance absolue de
mes opinions est le premier de mes devoirs envers lui ».
C. Évolution de la représentation
Double évolution :
a) Renforcement du caractère démocratique :
A l'origine, la représentation n’est pas forcément élue et ouverte même lorsque le souverain
devient le Peuple ou à la Nation avec les Révolutions américaine et française :
- les représentants qu'ils soient membres d'assemblées ou chefs de l'Exécutif n'étaient pas tous
élus [exemple : le Roi dans la première constitution française, celle de 1791, est considéré
comme représentant de la Nation sans avoir été élu].
- quand ils étaient élus, les représentants l'étaient souvent au suffrage restreint [exemple : aux
États-Unis, le président en 1787 est élu par des grands électeurs eux-mêmes non élus pour la
plupart au suffrage universel]. Certaines catégories de la population ne peuvent voter ou ne
sont pas éligibles (exclusion des non propriétaires, des noirs, des femmes aux États-Unis).
Ces solutions vont apparaître de plus en plus comme des anomalies ou contradictions dans des
régimes fondés sur une souveraineté démocratique. [Nota : les premiers députés français,
membres de l'Assemblé Nationale prévue par la Constitution de 1791, étaient élus par les
seuls citoyens de sexe masculin et "actifs", (c'est-à-dire ceux qui paient un impôt au moins
égal à trois journées de travail). Les citoyens dits "passifs" n'avaient donc pas le droit de vote
et n'étaient pas membres du Souverain. Cette distinction entre citoyens actifs et passifs qui
aujourd'hui nous semble peu démocratique a fait qualifier la Révolution française de
"bourgeoise" par les commentateurs marxistes. Au-delà de cette critique, il faut se souvenir
des arguments avancés par les révolutionnaires qui dans leur très grande majorité étaient
contre le suffrage universel au sens moderne (même, semble-t-il, Robespierre). On voulait
donner le droit de vote à ceux qui en fait pouvaient l'exercer librement parce qu'indépendants
économiquement ; ce qui explique qu'on refuse de donner le droit de vote notamment aux
domestiques, travailleurs journaliers qui auraient voté sous la pression de leur maître ... et
mari].
b) La nouvelle exigence de représentativité
Aujourd’hui, on admet que les représentants doivent être représentatifs. Ce qui a été obtenu en
France :
- en les faisant élire au suffrage universel direct ou indirect (1848 : suffrage universel
masculin, 1944 : suffrage universel féminin - pour les députés, 1962 : suffrage universel direct
pour le chef de l'État).
- en veillant à ce que les députés soient élus en gros par le même nombre d'habitants chacun.
Aujourd'hui, le Conseil constitutionnel veille ainsi à ce que le découpage des circonscriptions
électorales soit égalitaire. Il exige une révision de la délimitation des circonscriptions après
chaque recensement général, de façon à tenir compte des évolutions de la population. [Voir
les décisions 86-108 DC et 86-218 DC "Découpage électoral"]
- en faisant en sorte que les assemblées soient sociologiquement plus proches du corps
électoral qui les a élues (selon différents critères : socio-économique, genre, etc.). Ainsi la
révision constitutionnelle de juillet 1999 a tenté d’augmenter le nombre des femmes en
favorisant une parité. Cf. Art. 3 nouvel alinéa 5 : « La loi favorise l'égal accès des femmes et
des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives » et Art. 4 Nouvel alinéa 5 : Les
partis et groupements politiques « contribuent à la mise en œuvre du principe énoncé au
dernier alinéa de l'article 3 dans les conditions déterminées par la loi ». Cette révision a
largement échoué car les partis politiques préfèrent payer des amendes plutôt que de présenter
des candidatures féminines plus nombreuses.
- en permettant que la représentation au plan parlementaire, régional, communal ne soit pas
seulement nationale. Cela suppose qu’on ouvre le droit de vote et d’éligibilité aux résidents
étrangers.Nota : Les étrangers résidants appartenant à des pays de l’Union ont déjà obtenu un
tel droit pour les élections municipales (Article 88-3 de la Constitution) à la suite du traité de
Maastricht. Il en est question maintenant pour les étrangers non ressortissants de l’Union
européenne toujours pour ce qui concerne les élections municipales. Une proposition de loi
allant dans cette direction a été adoptée par l’Assemblée nationale le 4 mai 2000. Mais le
gouvernement a refusé de poursuivre la procédure devant le Sénat. Les hésitations viennent
notamment du problème de la séparation entre citoyenneté et nationalité.

D La « crise » de la représentation :
Plusieurs symptômes au moins peuvent être identifiés :

a) La prise en compte des intérêts particuliers :


À l'origine, les représentants n'étaient censés n’exprimer ou n’incarner que l'intérêt général.
Progressivement, de façon ouverte ou insidieuse, on a admis qu'ils puissent prendre en compte
des intérêts particuliers.
1. De façon ouverte
La Révolution française avait, par la loi Le Chapelier, supprimé les corporations, c'est-à-dire
les organismes représentant les intérêts professionnels. On voulait, à l'époque, que seuls les
citoyens s'expriment en désignant des députés animés par la recherche du seul intérêt général.
Mais, à partir du 19ème siècle, on a admis que des intérêts particuliers de type économique et
social puissent s’organiser et être entendus. Pour la France, légalisation des syndicats (1884)
et des associations (1901).
Aujourd'hui, ces intérêts particuliers sont tout à fait reconnus et peuvent être représentés par
des organismes spécifiques aux niveaux politique et administratif. Mais normalement, ces
organismes ont un rôle réduit par rapport aux organes qui incarnent l'intérêt général
(Assemblée Nationale, Sénat). Ils ne sauraient par exemple légiférer. Ainsi, au niveau
politique et administratif, ils n’ont, en droit, qu’un rôle consultatif (voire un rôle de
participation à la gestion des activités administratives). Mais, en fait, syndicats, associations
tendent à devenir des partenaires des autorités élues, participant à la définition des politiques
publiques (idée de cogestion). Jusqu’où ?Exemple : la Constitution de 1958 a créé un Conseil
Économique et Social succédant au Conseil Économique de la Constitution de 1946 ; (il
comprend aujourd'hui 230 membres dont des représentants des intérêts économiques : 69
représentants des salariés, 72 représentants des entreprises, des intérêts sociaux etc.). Son rôle
est précisé par les articles 69 et 70 : Art 69 : "Le Conseil économique et social, saisi par le
Gouvernement, donne son avis sur les projets de lois, d'ordonnances ou de décrets ainsi que
sur les propositions de loi qui lui sont soumis". Art 70 : "Le Conseil économique et social
peut être également consulté par le Gouvernement sur tout problème de caractère économique
et social..."]
Exemple : certains organismes publics crées par l'État comme les chambres professionnelles
(gérées par des conseils élus par les professionnels œuvrant aux intérêts communs ex-:
Chambres de Commerce et d'industrie) ou des organismes à la fois publics et privés comme
les ordres professionnels (organisant certaines professions libérales et précisant leur
déontologie).NOTA les régimes démocratiques privilégient toujours la représentation
classique qui incarne l'intérêt général par opposition aux régimes autoritaires (fascistes, Vichy
en France) . Ces derniers ont privilégié la représentation corporatiste par rapport à la
représentation démocratique quand ils n'ont pas remplacé l'une par l'autre.
2 de façon insidieuse
C’est l'intervention dans le fonctionnement même des institutions politiques élues (défendant
en principe l'intérêt général) d’organismes défendant des intérêts particuliers de type
économique, politique, social. Il s’agit des groupes de pression (ou lobbies), des syndicats et
partis politiques qui cherchent à avoir une influence sur les représentants au risque de
menacer leur liberté d'expression. Dès lors le risque est que les représentants agissent sans le
dire selon un mandat impératif.
Exemple : en France, les partis politiques selon l'article 4 de la Constitution française de 1958
devraient seulement "concourir à l'expression du suffrage". En fait, ils font bien plus. Ils sont
conduits à établir des programmes électoraux, à investir des candidats et à financer leur
campagne ou encore à les encadrer lorsqu'ils sont élus... etc. ; mais, par ce biais, les partis
politiques influencent sinon déterminent largement les positions de nos représentants. Par
exemple, à l'Assemblée Nationale ou au Sénat, les élus sont prisonniers pour la plupart d'une
discipline de vote partisane. Ils votent en fonction des consignes données par les chefs des
groupes parlementaires, émanations de partis politiques. Du coup, le mandat représentatif de
nos députés et sénateurs devient en grande partie théorique.
b) La désaffection vis-à-vis de la représentation :
Elle se manifeste notamment par :
- des taux d’abstention de plus en plus élevés dans Europe ou en Amérique au 20ème siècle
(cf. en France : élection présidentielle 2002 1er tour : 28,4% contre 15,2 % en 1965 1er tour//
élections législatives 1er tour 2002, 35,6% contre 22,8% en 1958 ; la forte participation à
l'élection présidentielle de 2007 contredit apparemment cette évolution sauf à considérer que
le style assez populiste de certains candidats, une médiatisation inégalée ont pu provoquer
cette anomalie). cf. Dossier TNS SOFRES
- le succès de partis populistes ou nationalistes en Europe qui critiquent violemment le
système actuel de représentation
- le goût pour des techniques de démocratie directe (référendum, droit de pétition, recall…)
qui sont censées corriger les excès du gouvernement représentatif (élitisme, non prise en
compte de l’opinion publique).
c) La confusion entre le souverain et la société « réelle » :
Cette confusion est née d’une radicalisation de l’exigence de représentativité. Les
représentants devraient parler au non d’un souverain identifié à la société civile ou encore les
assemblées devraient refléter fidèlement la composition du corps électoral qui les a élues. On
aboutit à cette idée utopique que la représentation doit être « une photographie » du corps
social. Une idée qui finalement tend à contredire le principe de souveraineté nationale, la
recherche d’un intérêt général qui transcende les différences d’origine et le nature anarchique
de la démocratie.

Exemple : la parité sociale, ethnique, religieuse est de plus en plus revendiquée. Mais cet
objectif pose deux types de problèmes.
1) Le but originel de la représentation était de favoriser la formation, l’expression de l’intérêt
général et non de refléter la composition de la société ou d’exprimer la volonté de ses
différentes composantes politiques, sociales, ethniques, etc... La recherche de la parité si sa
logique est poussée jusqu’au bout contredit la représentation. En effet, une Assemblée
composée à l’image de la société « réelle » risque de devenir une réunion de mandataires
d’intérêts particuliers.
2) La parité peut conduire à l’introduction de procédures portant atteinte au principe d’égalité.
Des citoyens, indépendamment de leurs mérites et de leur réelle conviction (critère subjectif),
auront un poste de représentant en fonction de leur sexe, de leur origine ethnique (critère
objectif). C’est contraire à l’art. 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de
1789. Le Conseil constitutionnel l’a rappelé lui-même dans une décision du 18 novembre
1982.
E) Critique de la notion de représentation.
La représentation est comprise le plus souvent comme une innovation technique introduite
dans la transformation moderne du régime démocratique. De ce point de vue, elle pourrait être
"dépassée" notamment en ayant recours à des mécanismes originaux visant à permettre une
expression directe des peuples ou à éviter certaines dérives oligarchiques ou populistes des
représentants (Cf. par exemple le modèle de pensée "postmoderne").
Mais la représentation correspond à une nécessité fonctionnelle de la démocratie liée à
l'impossibilité pour le Souverain d'exister comme être réel ou empirique. Reconnaître cette
nécessité ne signifie pas renoncer à promouvoir une démocratisation accrue de la
représentation. Les réformes possibles sont connues :
- mandats électoraux courts, non cumulables et renouvelables
- interdiction aux fonctionnaires d'être représentants
- contrôle de l'ingérence des puissances économiques dans les processus électoraux (Cf. J.
Rancière, La haine de la démocratie, La fabrique, 2005).
Il reste que la représentation est aujourd'hui concurrencée par le triomphe du "spectaculaire
intégral" (Debord, Baudrillard) qui la délégitime comme moyen d'expression privilégié du
Souverain sauf à utiliser elle-même les techniques de la société du spectacle. Cela est sans
remède à l'heure actuelle...
§3 La séparation des pouvoirs
Ce principe nous vient de la Grande-Bretagne. Ce sont les anglais qui, à partir du 17ème
siècle, ont commencé à le mettre en pratique. Ce sont les premiers qui ont essayé de diviser,
de partager le pouvoir politique qui n'appartenait traditionnellement qu'à un seul titulaire, le
Roi. Mais dans un second temps, ce sont les penseurs politiques français (dont Montesquieu)
et américains qui au 18ème siècle ont théorisé et popularisé avec succès ce principe qu'on
peut énoncer ainsi : une même autorité ne doit pas cumuler entre ses mains tous les pouvoirs
au sein de l'Etat. On peut dire qu'avec les révolutions française et américaine, la séparation
des pouvoirs devient à la fois un "lieu commun" et un "dogme" de la pensée politique :
- un lieu commun car ce principe n'est pas contesté ou critiqué chez les partisans des
Lumières. Même Rousseau qui est souvent présenté comme un adversaire de la théorie y est
favorable. Il déclare presque banalement dans le Contrat Social : "Il n'est pas bon que celui
qui fait les lois les exécute, ni que le corps du peuple détourne son attention des vues
générales pour la donner aux objets particuliers" liv. III, chap. IV. Ce consensus ne signifie
pas pour autant que l'on s'entend sur les modalités de la séparation des pouvoirs. A cet égard,
les Constitutions de 1791 et de 1793 organisent de façon très différente la séparation des
pouvoirs.
- un dogme car on arrive à considérer qu'une société qui ne respecte pas le principe de
séparation des pouvoirs est inévitablement despotique ou tyrannique. Sa Constitution n'est
donc que de papier. D'où l'article 16 de la DDHC de 1789 qui déclare qu'une société dans
laquelle la séparation des pouvoirs n'est pas déterminée n'a pas de constitution.
Revenons d'abord sur l'expérience anglais.

1 L'origine de la séparation des pouvoirs

En Grande-Bretagne, à l'époque féodale finissante, les pouvoirs pour l'essentiel étaient


confondus dans les mains du Roi (comme dans les autres monarchies européennes). Le
monarque anglais détenait ainsi le pouvoir de faire la loi, de l'exécuter et d'exercer la justice.
Cependant, dès le 13ème siècle, apparaît un Parlement comprenant des représentants répartis
entre deux chambres selon des critères sociaux et géographiques. En 1295, se réunit ce qu'on
appelle le "Parlement modèle" composé de :
- représentants de la noblesse et de l'église qui forment la Chambre des Lords
- représentants des bourgs et des comtés qui forment la Chambre des Communes.
Ce Parlement, fort de sa légitimité "nationale" va tenter d'arracher au roi le pouvoir de faire la
loi ordinaire : soit de la proposer et de la voter. Comment va-t-il s'y prendre? Les
parlementaires vont exercer un chantage de plus en plus efficace sur le Roi en profitant d'une
prérogative que la grande Charte de 1215 (§2) leur avait donnée : les impôts ne pouvaient être
levés par le Roi sans leur consentement. Du coup, en échange de l'acceptation d'un impôt, le
Parlement exigera du roi qu'il signe les pétitions (bills) votées par les parlementaires. Ce qui a
pour effet de leur donner valeur de loi (statutes). Familièrement dit, si vous voulez de l'argent,
il vous faudra accepter nos propositions de loi.
Tout ira bien pour le Parlement jusqu'au 17ème siècle. En effet, à cette époque, les souverains
Stuart vont se rebeller : ils vont notamment prétendre créer des impôts sans le consentement
du Parlement. C'est une des raisons qui va provoquer le déclenchement de la première
Révolution anglais. Une guerre civile éclate qui va mener Cromwell au pouvoir en 1658. En
1660, la Monarchie est rétablie sous condition : elle devra respecter certaines libertés
notamment parlementaires et religieuses. Mais les monarques ne respecteront pas cet
engagement. En 1688, Jacques II (1685/1688) doit s'enfuir en France (il essaiera de débarquer
en Écosse en 1708). Le Parlement appelle alors sur le trône Guillaume d'Orange.
Cíest un épisode déterminant pour l'instauration définitive de la séparation des pouvoirs en
Angleterre. En effet, Guillaume d'Orange (1689/1702) accepte de renoncer au pouvoir de
faire la loi ou de légiférer ; pouvoir qui est alors transmis sans restriction au Parlement. Tout
cela est transcrit dans une Déclaration des droits (bill) de 1689 (§1/§2), un des premiers textes
constitutionnels anglais toujours en vigueur.
Ainsi, pour la première fois, dans un État occidental a été mise en place une séparation des
pouvoirs politiques. D'un côté le Parlement acquiert le pouvoir législatif tandis que le Roi
conserve le pouvoir gouvernemental. Attention! même si on parle de séparation des pouvoirs,
il faut préciser que les organes qui détiennent ces différents pouvoirs ainsi partagés doivent
collaborer et peuvent agir l'un sur l'autre. Par exemple, le Roi peut s'opposer aux lois (droit de
veto) en refusant de les signer (ou promulguer) et garde la prérogative féodale de dissoudre le
Parlement.
Cette expérience anglais va fortement impressionner les penseurs politiques de l'époque ;
d'abord les penseurs anglais tels John Locke (voir par exemple ses deux Traités sur le
Gouvernement civil de 1690) puis les penseurs français comme Montesquieu. Ce dernier dans
un livre fameux intitulé De l'Esprit des Lois (1750) va, en s'inspirant de la Constitution
d'Angleterre, exposer dans sa forme quasi définitive le principe de séparation des pouvoirs.
Principe qui deviendra un des fondements de la pensée libérale révolutionnaire en France, aux
États-Unis... et que les constitutions les plus modernes ou récentes tentent toujours
d'appliquer.
Nous allons préciser successivement à partir de Montesquieu le but, les modalités
d'application et les interprétations de ce principe.

2. Le principe de la séparation des pouvoirs

Ce principe s'analyse chez Montesquieu et ses contemporains en une recette de gouvernement


destinée à éviter le despotisme.
A. La justification du principe :
Montesquieu part du constat que toute personne qui détient des pouvoirs, (a fortiori tous les
pouvoirs), aura tendance à en abuser. Autrement dit, il aura tendance à utiliser ses
compétences sans respecter aucune limite, notamment de droit. C'est une "loi" psychologique
ou sociologique qu'on peut vérifier facilement. Les français de l'époque pensent à la
Monarchie absolutiste, celle d'un Louis XIV par exemple usant sans retenue de lettres de
cachet.
Il faut donc faire en sorte que s'instaure un "Gouvernement modéré" ; idéal de Montesquieu
comme des premiers révolutionnaires français, américains... Autrement, les libertés, la sûreté
comme on disait à l'époque ne seront pas garanties.
La solution : diviser le pouvoir, ne pas le confier dans son entier à un seul titulaire quel qu'il
soit ( Roi, Prince, Sultan, Peuple). S'il est distribué à différents individus, organes, alors la
puissance d'État sera mieux répartie, freinée et du coup, la tyrannie sera évitée. On veillera en
conséquence que les trois grandes fonctions étatiques distinguées par Montesquieu (et avant
lui par Locke notamment) ne soient jamais confiées à un même titulaire. Quelles sont ces trois
grandes fonction ?
Par ordre díimportance (et donc hiérarchiquement) :
1 la fonction de légiférer : "faire des lois pour un temps, ou pour toujours, la corriger ou
l'abroger"
2 la fonction exécutrice : exécuter les lois et au sens large gouverner: "faire la paix ou la
guerre, envoyer ou recevoir des ambassades, établir la sûreté et prévenir les invasions". (=
pouvoir fédératif selon Locke).
3 la fonction de juger : punir les crimes ou juger les différends des particuliers.
Or, nous dit Montesquieu, "Tout serait perdu si le même homme, ou le même corps de
principaux, ou des nobles, ou du peuple, exerçaient ces trois pouvoirs".
B. L'originalité du principe :
Cette solution semble aller de soi aujourd'hui. Elle est presque banale. Mais il faut savoir qu'à
l'époque, elle fut considérée comme neuve, iconoclaste. Elle s'opposait en effet à des siècles
de pensée politique ; une pensée politique qui depuis les grecs (Platon, Aristote) en passant
par le Moyen-Age (Saint Thomas saint Augustin) admettait au contraire les bienfaits du
régime de confusion des pouvoirs. Pour tous ces penseurs, le meilleur régime était un régime
de monocratie (un seul pouvoir confié à un seul titulaire). Soit en Occident, la monarchie.
Il allait de soi pour les partisans de la théorie politique traditionnelle que l'on devait confier
tous les pouvoirs à un seul titulaire et non les disperser entre plusieurs organes. Autrement, on
courait le risque de l'anarchie. Or l'anarchie était pour tous ces penseurs le pire des régimes
(après la démocratie selon Platon), soit l'expression du mal politique par excellence.
Dans un souci de cohérence, afin de préserver l'unité et la continuité de l'action de l'Etat, il
allait de soi que l'on confie la totalité des pouvoirs à un seul responsable [ce qui n'excluait pas
des délégations]. Ce responsable, c'est le roi-philosophe de Platon, le roi très chrétien désigné
par la providence divine des penseurs chrétiens du Moyen-Age. Ce roi par sa sagesse, son art
de gouverner, a vocation a diriger l'Etat. Son régime ne dérivera pas en tyrannie car le roi
enclin à respecter les préceptes fournis par sa conscience ou sa religion saura agir avec
mesure.
Montesquieu et la majorité des révolutionnaires sont persuadés au contraire que cette barrière
(la conscience, la religion) est trop fragile. Il faut opposer au pouvoir du pouvoir et ne pas
faire confiance à un seul homme. Autrement, l'Etat de droit ne serait exister. C'est ce
qu'exprime de façon catégorique l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme : «
Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des
pouvoirs déterminée, n'a point de constitution ».
3 La séparation des pouvoirs
Ce principe nous vient de la Grande-Bretagne. Ce sont les anglais qui, à partir du 17ème
siècle, ont commencé à le mettre en pratique. Ce sont les premiers qui ont essayé de diviser,
de partager le pouvoir politique qui n'appartenait traditionnellement qu'à un seul titulaire, le
Roi. Mais dans un second temps, ce sont les penseurs politiques français (dont Montesquieu)
et américains qui au 18ème siècle ont théorisé et popularisé avec succès ce principe qu'on
peut énoncer ainsi : une même autorité ne doit pas cumuler entre ses mains tous les pouvoirs
au sein de l'Etat. On peut dire qu'avec les révolutions française et américaine, la séparation
des pouvoirs devient à la fois un "lieu commun" et un "dogme" de la pensée politique :
- un lieu commun car ce principe n'est pas contesté ou critiqué chez les partisans des
Lumières. Même Rousseau qui est souvent présenté comme un adversaire de la théorie y est
favorable. Il déclare presque banalement dans le Contrat Social : "Il n'est pas bon que celui
qui fait les lois les exécute, ni que le corps du peuple détourne son attention des vues
générales pour la donner aux objets particuliers" liv. III, chap. IV. Ce consensus ne signifie
pas pour autant que l'on s'entend sur les modalités de la séparation des pouvoirs. A cet égard,
les Constitutions de 1791 et de 1793 organisent de façon très différente la séparation des
pouvoirs.
- un dogme car on arrive à considérer qu'une société qui ne respecte pas le principe de
séparation des pouvoirs est inévitablement despotique ou tyrannique. Sa Constitution n'est
donc que de papier. D'où l'article 16 de la DDHC de 1789 qui déclare qu'une société dans
laquelle la séparation des pouvoirs n'est pas déterminée n'a pas de constitution.
Revenons d'abord sur l'expérience anglais.
1 L'origine de la séparation des pouvoirs

En Grande-Bretagne, à l'époque féodale finissante, les pouvoirs pour l'essentiel étaient


confondus dans les mains du Roi (comme dans les autres monarchies européennes). Le
monarque anglais détenait ainsi le pouvoir de faire la loi, de l'exécuter et d'exercer la justice.
Cependant, dès le 13ème siècle, apparaît un Parlement comprenant des représentants répartis
entre deux chambres selon des critères sociaux et géographiques. En 1295, se réunit ce qu'on
appelle le "Parlement modèle" composé de :
- représentants de la noblesse et de l'église qui forment la Chambre des Lords
- représentants des bourgs et des comtés qui forment la Chambre des Communes.
Ce Parlement, fort de sa légitimité "nationale" va tenter d'arracher au roi le pouvoir de faire la
loi ordinaire : soit de la proposer et de la voter. Comment va-t-il s'y prendre? Les
parlementaires vont exercer un chantage de plus en plus efficace sur le Roi en profitant d'une
prérogative que la grande Charte de 1215 (§2) leur avait donnée : les impôts ne pouvaient être
levés par le Roi sans leur consentement. Du coup, en échange de l'acceptation d'un impôt, le
Parlement exigera du roi qu'il signe les pétitions (bills) votées par les parlementaires. Ce qui a
pour effet de leur donner valeur de loi (statutes). Familièrement dit, si vous voulez de l'argent,
il vous faudra accepter nos propositions de loi.
Tout ira bien pour le Parlement jusqu'au 17ème siècle. En effet, à cette époque, les souverains
Stuart vont se rebeller : ils vont notamment prétendre créer des impôts sans le consentement
du Parlement. C'est une des raisons qui va provoquer le déclenchement de la première
Révolution anglais. Une guerre civile éclate qui va mener Cromwell au pouvoir en 1658. En
1660, la Monarchie est rétablie sous condition : elle devra respecter certaines libertés
notamment parlementaires et religieuses. Mais les monarques ne respecteront pas cet
engagement. En 1688, Jacques II (1685/1688) doit s'enfuir en France (il essaiera de débarquer
en Écosse en 1708). Le Parlement appelle alors sur le trône Guillaume d'Orange.
Cíest un épisode déterminant pour l'instauration définitive de la séparation des pouvoirs en
Angleterre. En effet, Guillaume d'Orange (1689/1702) accepte de renoncer au pouvoir de
faire la loi ou de légiférer ; pouvoir qui est alors transmis sans restriction au Parlement. Tout
cela est transcrit dans une Déclaration des droits (bill) de 1689 (§1/§2), un des premiers textes
constitutionnels anglais toujours en vigueur.
Ainsi, pour la première fois, dans un État occidental a été mise en place une séparation des
pouvoirs politiques. D'un côté le Parlement acquiert le pouvoir législatif tandis que le Roi
conserve le pouvoir gouvernemental. Attention! même si on parle de séparation des pouvoirs,
il faut préciser que les organes qui détiennent ces différents pouvoirs ainsi partagés doivent
collaborer et peuvent agir l'un sur l'autre. Par exemple, le Roi peut s'opposer aux lois (droit de
veto) en refusant de les signer (ou promulguer) et garde la prérogative féodale de dissoudre le
Parlement.
Cette expérience anglais va fortement impressionner les penseurs politiques de l'époque ;
d'abord les penseurs anglais tels John Locke (voir par exemple ses deux Traités sur le
Gouvernement civil de 1690) puis les penseurs français comme Montesquieu. Ce dernier dans
un livre fameux intitulé De l'Esprit des Lois (1750) va, en s'inspirant de la Constitution
d'Angleterre, exposer dans sa forme quasi définitive le principe de séparation des pouvoirs.
Principe qui deviendra un des fondements de la pensée libérale révolutionnaire en France, aux
États-Unis... et que les constitutions les plus modernes ou récentes tentent toujours
d'appliquer.
Nous allons préciser successivement à partir de Montesquieu le but, les modalités
d'application et les interprétations de ce principe.
2. Le principe de la séparation des pouvoirs

Ce principe s'analyse chez Montesquieu et ses contemporains en une recette de gouvernement


destinée à éviter le despotisme.
A. La justification du principe :
Montesquieu part du constat que toute personne qui détient des pouvoirs, (a fortiori tous les
pouvoirs), aura tendance à en abuser. Autrement dit, il aura tendance à utiliser ses
compétences sans respecter aucune limite, notamment de droit. C'est une "loi" psychologique
ou sociologique qu'on peut vérifier facilement. Les français de l'époque pensent à la
Monarchie absolutiste, celle d'un Louis XIV par exemple usant sans retenue de lettres de
cachet.
Il faut donc faire en sorte que s'instaure un "Gouvernement modéré" ; idéal de Montesquieu
comme des premiers révolutionnaires français, américains... Autrement, les libertés, la sûreté
comme on disait à l'époque ne seront pas garanties.
La solution : diviser le pouvoir, ne pas le confier dans son entier à un seul titulaire quel qu'il
soit ( Roi, Prince, Sultan, Peuple). S'il est distribué à différents individus, organes, alors la
puissance d'État sera mieux répartie, freinée et du coup, la tyrannie sera évitée. On veillera en
conséquence que les trois grandes fonctions étatiques distinguées par Montesquieu (et avant
lui par Locke notamment) ne soient jamais confiées à un même titulaire. Quelles sont ces trois
grandes fonction ?
Par ordre díimportance (et donc hiérarchiquement) :
1 la fonction de légiférer : "faire des lois pour un temps, ou pour toujours, la corriger ou
l'abroger"
2 la fonction exécutrice : exécuter les lois et au sens large gouverner: "faire la paix ou la
guerre, envoyer ou recevoir des ambassades, établir la sûreté et prévenir les invasions". (=
pouvoir fédératif selon Locke).
3 la fonction de juger : punir les crimes ou juger les différends des particuliers.
Or, nous dit Montesquieu, "Tout serait perdu si le même homme, ou le même corps de
principaux, ou des nobles, ou du peuple, exerçaient ces trois pouvoirs".
B. L'originalité du principe :
Cette solution semble aller de soi aujourd'hui. Elle est presque banale. Mais il faut savoir qu'à
l'époque, elle fut considérée comme neuve, iconoclaste. Elle s'opposait en effet à des siècles
de pensée politique ; une pensée politique qui depuis les grecs (Platon, Aristote) en passant
par le Moyen-Age (Saint Thomas saint Augustin) admettait au contraire les bienfaits du
régime de confusion des pouvoirs. Pour tous ces penseurs, le meilleur régime était un régime
de monocratie (un seul pouvoir confié à un seul titulaire). Soit en Occident, la monarchie.
Il allait de soi pour les partisans de la théorie politique traditionnelle que l'on devait confier
tous les pouvoirs à un seul titulaire et non les disperser entre plusieurs organes. Autrement, on
courait le risque de l'anarchie. Or l'anarchie était pour tous ces penseurs le pire des régimes
(après la démocratie selon Platon), soit l'expression du mal politique par excellence.
Dans un souci de cohérence, afin de préserver l'unité et la continuité de l'action de l'Etat, il
allait de soi que l'on confie la totalité des pouvoirs à un seul responsable [ce qui n'excluait pas
des délégations]. Ce responsable, c'est le roi-philosophe de Platon, le roi très chrétien désigné
par la providence divine des penseurs chrétiens du Moyen-Age. Ce roi par sa sagesse, son art
de gouverner, a vocation a diriger l'Etat. Son régime ne dérivera pas en tyrannie car le roi
enclin à respecter les préceptes fournis par sa conscience ou sa religion saura agir avec
mesure.
Montesquieu et la majorité des révolutionnaires sont persuadés au contraire que cette barrière
(la conscience, la religion) est trop fragile. Il faut opposer au pouvoir du pouvoir et ne pas
faire confiance à un seul homme. Autrement, l'Etat de droit ne serait exister. C'est ce
qu'exprime de façon catégorique l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme : «
Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des
pouvoirs déterminée, n'a point de constitution ».
3 Les modalités d'application
A. La séparation horizontale
Pour aller plus loin :

- M. Troper, La séparation des pouvoirs et l'histoire constitutionnelle française, LGDJ, 1980.


(spécialement p. 121 pour la balance des pouvoirs et p. 142 pour la spécialisation)
- M. Troper, "L'interprétation de la déclaration des droits...", Droits, 1988, n°8, p. 111.

a. Notion
C’est cette séparation qui va être théorisée surtout par les auteurs européens, notamment
Montesquieu. Ce dernier va distinguer trois grandes fonctions étatiques qui ne doivent jamais
être confiées à un même titulaire au sommet de l’Etat. Par ordre d’importance (et donc
hiérarchiquement) :
- la fonction de légiférer : « faire des lois pour un temps, ou pour toujours, la corriger ou
l'abroger »
- la fonction exécutrice : exécuter les lois et au sens large gouverner : « faire la paix ou la
guerre, envoyer ou recevoir des ambassades, établir la sûreté et prévenir les invasions ». (=
pouvoir fédératif selon Locke).
- la fonction de juger : punir les crimes ou juger les différends des particuliers.
Or, nous dit Montesquieu, « Tout serait perdu si le même homme, ou le même corps de
principaux, ou des nobles, ou du peuple, exerçaient ces trois pouvoirs ».
Mais, une fois que l’on a admis la nécessité de répartir les fonctions étatiques (exécuter,
légiférer, juger) entre différentes autorités, il reste à établir comment cette répartition va se
faire. Différentes difficultés surgissent qui appelleront des solutions divergentes : on ne
s’entendra pas sur le choix des titulaires de ces fonctions, sur la nature de leurs relations
(seront-ils indépendants ou dépendants). Pourront-ils agir les uns sur les autres ? etc.
La difficulté la plus grande est la suivante : comment faire en sorte que l’autorité qui est
chargée de la fonction législative, (fonction la plus noble mais aussi la plus importante) ne
profite pas de sa suprématie pour se saisir des autres fonctions et devienne finalement
despotique. Dans ce cas, on aurait échangé une tyrannie (celle du Roi) pour une autre (celle
du Parlement)... Deux grandes solutions vont être imaginées qui vont conduire à l’édiction de
Constitutions très différentes au 18ème siècle.

b. Balance des pouvoirs


Cette solution est développée par Montesquieu à partir de l’expérience anglaise (dans le livre
XI de l’Esprit des Lois). Elle sera adoptée notamment par les constituants français en 1791 et
1795 et par les constituants américains en 1787.
1 définition
La balance des pouvoirs consiste à partager le pouvoir législatif entre plusieurs organes
hiérarchisés qui se font contrepoids. On refusera en conséquence de confier ce pouvoir à un
seul organe comme le Parlement ; les autres organes (comme le Roi) participeront de cette
fonction. Ils entreront dans le processus de fabrication de la loi. Comme cela, le
gouvernement d’assemblée ou la tyrannie du Parlement sera évité. La solution est complexe :
on ne se contente pas de répartir les trois grandes fonctions (exécuter, légiférer, juger) entre
des organes différents. On prend soin de répartir aussi la fonction législative entre plusieurs
autorités dont il faut coordonner les activités et prévoir les interactions.
2) les conséquences
- La « puissance législative » est répartie entre plusieurs organes. Chez Montesquieu, il s’agit
du Parlement [divisé en deux chambres, une chambre haute représentant les nobles, une
chambre basse représentant le peuple] et du Roi. De la même façon, ce pouvoir est réparti
dans la Constitution de 1791 entre le Corps législatif et le Roi. Aux Etats-Unis en 1787, le
Président et le Congrès [Parlement bicaméral] participent au pouvoir législatif.
- Les organes chargés de la législation se font contrepoids ou équilibre (d’où le terme de
balance). Aux Etats-Unis, on parle ici de la théorie des « checks and balances » (freiner
l’action - faire équilibre). Pour cela on va permettre selon l’expression de Montesquieu aux
organes de « s’arrêter » ou de faire pression les uns sur les autres.
Ainsi, selon Montesquieu, le Roi, en tant qu’organe/partie de la législation, se voit confier une
« faculté d’empêcher ». On l’appellera droit de veto dans les Constitutions française et
américaine.
• Constitution de 1791, chapitre III, section III intitulée De la sanction royale. Il est prévu que
le Roi peut refuser son consentement ou sa sanction aux actes du pouvoir législatif mais ce
refus (article 2) n'est que suspensif. Le consentement du roi est exprimé par cette formule : "le
roi consent et fera exécuter". Le refus suspensif est exprimé par celle-ci : "le roi examinera".
Le veto est suspensif au sens où il est temporaire. Ainsi, selon l'article 6, les actes législatifs
qui lui auront été présentés trois fois de suite (après avoir été votés à l'occasion de 3
législatures donc sur trois ans) ont "force de loi et portent le nom et l'intitulé de lois".
• Constitution américaine de 1787 (toujours en vigueur, article premier, section VII). Le
Président américain aura le choix entre approuver un texte ou le renvoyer avec ses objections
à la Chambre dont il émane. Dans le premier cas, il le revêtira de sa signature.
- Aucun organe n’est spécialisé. Si plusieurs organes se partagent le pouvoir législatif, ils sont
en même temps organe d’une autre fonction. Ainsi, selon Montesquieu, le monarque se voit
confié par ailleurs la fonction exécutive. Le Parlement à travers la chambre basse peut
participer à la fonction de juger qui est confiée principalement à des tribunaux temporaires
composés par « des personnes tirées du peuple ».
3) les risques
Les moyens d’interaction entre les organes sont limités. On peut craindre la survenance de
blocages, conflits sans solution, et finalement la paralysie du système. C’est ce qui se passera
en 1791 avec l’abus du droit de veto par Louis XVI, surnommé « monsieur veto ».
c. La spécialisation des pouvoirs
Cette solution est proposée notamment par Rousseau et va être reprise dans les Constitutions
de 1793 et de 1848. Elle sera reprise à l’époque contemporaine dans les Constitutions des
Etats communistes.
1) définition :
Les organes constitutionnels hiérarchisés se voient confier l'entièreté ou le monopole d'un
pouvoir. Il existe une séparation absolue entre eux, donc aucune interaction. Pas de faculté
d’empêcher (ou de dissolution) en conséquence. Le Parlement se voit confier la fonction
essentielle, la fonction législative car il est censé parler au nom du Peuple ou de la Nation. Les
autres organes se voient confier les fonctions dérivées (pouvoir exécutif et judiciaire). Il faut
noter que la séparation ici n’exclut pas des liens de subordination qui profitent au seul
Parlement. Ainsi la Constitution de 1793 prévoit à son article 63 que le Corps législatif
choisira les membres du Conseil exécutif ; ce dernier réside auprès du Corps législatif (art.
75) et est entendu toutes les fois qu’il a des comptes à rendre (art. 76).
Comment cette solution se justifie-t-elle et préserve-t-elle la liberté ?
2) justification
Pour Rousseau, le pouvoir législatif appartient nécessairement au peuple souverain qui
l’exerce à travers un Parlement qui lui est fidèle et lui obéit. Le peuple ne saurait donc
partager le pouvoir législatif avec personne. Ce serait abdiquer sa liberté. La spécialisation est
donc nécessaire ; elle préserve la séparation des pouvoirs et finalement garantit la liberté.
Le peuple ici n’obéit qu’à lui-même ; il est l’auteur de la loi qu’il s’impose et nul ne vient
interférer dans la fabrication de cette loi. Dès lors, le peuple est libre et la tyrannie impossible.

3) risque
La séparation des pouvoirs n’exclut pas une subordination de tous les organes au Parlement le
risque est qu’elle mène au despotisme de ce Parlement n’est pas négligeable.

d. L'interprétation traditionnelle (et sa critique)


Les idées de Montesquieu (mais aussi de Locke) ont fait l'objet d'une interprétation, dite
"traditionnelle" par les juristes français lors du 19ème siècle. Elle est presque complètement
abandonnée ; ses erreurs ayant été mises à jour. Il reste qu'elle a profondément influencé le
droit public français.
a) L'interprétation traditionnelle : C'est à elle qu'on doit cette expression, voire cette notion de
"séparation des pouvoirs". En effet, à partir du 19ème siècle, les plus grands juristes français
qu'ils soient partisans de la théorie comme Esmein ou adversaires comme Duguit ou Carré de
Malberg (imités en cela par la doctrine allemande) vont affirmer que Montesquieu a non
seulement voulu diviser le pouvoir mais aussi séparer les organes titulaires chacun d’une
grande fonction étatique. Selon eux, il aurait prôné une séparation absolue ou un isolement
des organes ; théorie qui aurait été appliquée en conséquence par les premières constitutions
françaises révolutionnaires : celles de 1791 et de 1795 (= an III) et américaine.
Trois critères définissent cette conception de la doctrine classique :
1 spécialisation fonctionnelle : chaque organe est spécialisé et ne peut donc participer de la
fonction d'un autre organe ; par exemple, le roi ne pourrait participer de la fonction législative
; il ne peut qu'exécuter les lois.
2 indépendance des organes politiques : les organes politiques ne peuvent agir les uns sur les
autres même à travers de simples moyens d'empêcher.
3 équilibre : il n'y aurait pas de hiérarchie entre les pouvoirs ou les organes ; chacun serait au
même niveau ayant des fonctions équivalentes.
b) Critique :
On va s'apercevoir assez tard que cette conception ne correspond ni aux idées de
Montesquieu, ni aux intentions des constituants français et américains au18ème siècle et ne se
reflète donc pas dans les textes constitutionnels.
- Concernant Montesquieu, C. Eisenmann dans un article paru en 1933 explique que "l'idée de
séparer les autorités étatiques est complètement absente de l'Esprit des Lois : elle n'y est ni
réalisée, ni formulée » (p. 179). En effet, "aucune des trois autorités n'est à la fois attributaire
de l'intégralité d'une fonction, maîtresse de cette fonction et spécialisée dans cette fonction".
En fait, plus modestement ce que Montesquieu aurait voulu, c'est "qu'il ne faut pas que deux
quelconques des trois fonctions soient réunies entre les mêmes mains" (p. 178).
- Concernant les intentions des constituants français : si on prend l'exemple de la première
constitution française de 1791, on peut voir ainsi que le Roi participe de la fonction législative
(en invitant par exemple le Corps législatif à voter telles ou telles lois chapitre III, section 1,
article 1) = pas de spécialisation. Il peut agir sur ce Corps législatif (à travers son droit de
veto) = pas d'indépendance. Et enfin il a une fonction bien moins essentielle que celle de faire
la loi ; il est en situation d'infériorité par rapport au Parlement = pas d'équilibre.
Nota : la conception traditionnelle de la séparation des pouvoirs si elle s’oppose
complètement à l’idée de balance des pouvoirs se rapproche de l’idée de spécialisation des
pouvoirs à une différence près qui est essentielle. En effet, Rousseau n’envisage aucun
équilibre entre les organes mais plutôt une subordination au profit du Parlement exprimant la
volonté du peuple.
e) perfectionnement et limites de la théorie
1 Perfectionnement
La théorie de la séparation des pouvoirs a été adaptée, perfectionnée. Cette évolution a
concerné :
a) la conception des fonctions étatiques
b) les relations entre organes politiques sont encore plus poussées
a) Les fonctions
La hiérarchie et le contenu des fonctions ne sont plus les mêmes depuis le 18ème siècle. La
nouvelle hiérarchie est la suivante : 1- pouvoir exécutif 2 - pouvoir législatif 3 - pouvoir
judiciaire. Quant au contenu :
1 la fonction exécutive est entendue au sens large. Il ne s’agit plus seulement d'exécuter les
lois aujourd'hui. Il s’agit de décider, d’administrer. Cela implique que l’organe chargé
principalement de la fonction exécutive fixera les buts de l’Etat, son orientation générale.
Cette fonction est comprise maintenant une fonction active, un « pouvoir d'action »
2 la fonction législative ne correspond plus seulement légiférer à l’action de légiférer ou de
faire la loi. Elle signifie aussi surveiller, sanctionner le gouvernement. C’est devenu un «
pouvoir de contrôle »
3 la fonction judiciaire ne signifie plus appliquer mécaniquement les lois aux différends des
particuliers. Juger implique aussi interpréter, adapter la loi aux situations et aux époques.
b) Les relations entre les organes
Dans les régimes contemporains de séparation des pouvoirs, les organes politiques ont
multiplié les interactions devenues elles-mêmes plus fortes. On peut donc dire que l’idée de
balance des pouvoirs l’a emporté sur celle de spécialisation.
La principale évolution concerne l’apparition de la faculté de révocation qui est au cœur du
parlementarisme contemporain. Ainsi, gouvernement et Parlement font plus que s'empêcher :
ils se révoquent. Comment ?
* Le gouvernement (son chef) a le droit de dissoudre le Parlement (généralement la 1e
chambre). C’est le cas en Angleterre, en RFA, Italie.
* Le Parlement réciproquement peut censurer le gouvernement ; ce qui oblige ce dernier à
démissionner : ex l'article 49.

2 limitations de la théorie moderne de la séparation des pouvoirs


Si la théorie originelle de la séparation des pouvoirs avec ses deux modalités d’application a
connu un échec relatif (blocages, dérive parlementariste), la théorie remaniée s’est révélée
fiable. Cependant la pratique révèle que cette théorie ne peut empêcher un retour à la
confusion des pouvoirs :
a) par le jeu des élections : les électeurs peuvent toujours donner la victoire à un parti qui
refuse le principe même de la séparation des pouvoirs et cherche à l’abolir. La seule garantie
qui peut fonctionner ici est l’inscription du principe dans la Constitution. Ce qui permettra à
une cour constitutionnelle de s’opposer à toute loi qui remette en cause le principe. Cette
garantie existe en France. En effet, le Conseil constitutionnel veille au respect de l’article 16
de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui fait référence à ce principe
et a valeur constitutionnelle. A plusieurs reprises, Il s'est référé à la S des P mais en
l'invoquant surtout à propos des rapports entre Pouvoir Judiciaire et les autres pouvoirs :
Ex : décision n°87-228DC (26 juin 1987) qui précise que le législateur ne saurait censurer les
décisions prises par les juridictions. Aller contre ces décisions reviendrait à enfreindre le
principe de S des P et à ne pas respecter la chose jugée. [Ce qui n'empêche pas que le
législateur « modifie les règles que le juge a mission d'appliquer » : décision n°80-119DC].
Cette garantie n’est pas absolue car la Constitution peut être révisée...
b) par le jeu partisan : rien n’empêche que le même parti ou coalition à la suite des élections
détienne pouvoir exécutif et pouvoir législatif. Dès lors apparaît une subordination de type
politique au profit de l’un ou l’autre pouvoir selon que les chefs politiques appartiennent à
l’un ou l’autre de ces pouvoirs. Actuellement dans les régimes parlementaires comme le
régime français, c’est le pouvoir exécutif qui se trouve en situation de prééminence. On peut
compter cependant sur la tendance naturelle des partis démocratiques à se diviser ou se
rebeller pour espérer que le pouvoir exécutif rencontre des résistances au sein de sa propre
majorité parlementaire.
§4. La protection des libertés fondamentales

Dernier des principes du droit constitutionnel occidental classique. Mais last non least, c'est
celui qui justifie ou confirme tous les autres.
En effet le droit constitutionnel classique a pour but dernier de promouvoir et garantir des
libertés fondamentales (ou droits fondamentaux). De ce point de vue, les autres principes
étudiés peuvent être compris comme des moyens pour atteindre ou mettre en œuvre ces
libertés. L'État de Droit, la représentation démocratique, la séparation des pouvoirs ne sont
pas des objectifs en soi ; leur réalisation est motivée avant tout pour garantir ces libertés.
1. SIGNIFICATION DE CES LIBERTÉS
Depuis les révolutions française et américaine, les constituants occidentaux ont pris l'habitude
de placer à la tête des Constitutions, dans ce qu'on appelle un Préambule, des Déclarations de
Droits ; Déclarations qui contiennent une liste de droits ou libertés dont le contenu peut être
aussi bien politique, économique que social. On s'aperçoit en étudiant ces déclarations que
leur signification est toujours paradoxale car elles s'inspirent de doctrines ou pensées
politiques d'inspiration différente, voire contradictoire.
On découvre ainsi que ces droits sont aussi bien :
- des droits d'agir au moyen de l'État ou en dehors de l'État (distinction reflètant l'opposition
entre pensée politique traditionnelle et moderne)
- des droits-libertés et droits-créances (distinction reflètant l'opposition entre pensée politique
libérale et socialiste/communiste)
A droits d'agir au moyen de l'État et en dehors de l'État
À droits d'agir au moyen de l'État et en dehors de l'État
D'emblée, dès 1787 aux USA, 1789 en France sont proclamés des droits fondamentaux qui
pour certains vont permettre aux individus d'agir à travers ou au moyen de l'État et pour
d'autres d'agir en dehors de l'État.
a) droits d'agir au moyen de l'État
Il s'agit de ce qu'on appelle les " droits du citoyen " : soit des droits de participer directement
au Gouvernement, ou indirectement en désignant les gouvernants. Ces droits fondent ce qu'on
appelle la liberté politique au sens traditionnel (comme l'entendent les grecs anciens).
Pour les grecs anciens, celui qui est libre est en effet celui qui peut participer à la vie de la cité
(par opposition à l'esclave ou à l'étranger). Les révolutionnaires français, admirateurs de
l'Athènes du Vème siècle av. J.C, ont donc prévu et organisé des droits politiques qui doivent
faire de nous des "citoyens" (participant à la vie de la cité). Ces droits vont nous permettre de
participer à la formation de la volonté des organes gouvernementaux ou institutions politiques
: droit de vote, droit d'éligibilité (= de faire acte de candidature) ou encore le droit d'adhérer à
un parti politique de son choix...
L'article 6 de la DDHC 1789 prévoit ainsi : " tous les citoyens ont le droit de concourir
personnellement ou par leurs représentants à la formation de la loi" . Mais dès 1776, aux
États-Unis, la Déclaration des Droits de l'État de Virginie (12 juin 1776) donnait déjà aux
citoyens le droit de participer au Gouvernement.
c) En dehors de l'État
Il s'agit de ce qu'on appelle les " droits de l'homme " ; soit des droits qui donnent aux
individus ou groupes d'individus la possibilité de réaliser en toute indépendance leur destinée
personnelle au sein de la société civile (sphère ainsi distinguée de l'État et même protégée
contre lui). De tels droits caractérisent une liberté-autonomie au sens moderne (comme on
l'entend à partir du XVIIe siècle) pouvant être exercée hors de l'Etat, voire contre lui ; ce qui
revient à limiter les prérogatives étatiques.
- Ces droits ont essentiellement une origine anglaise et hollandaise. (Cf Pour aller plus loin :
B. Kriegel La politique de la Raison, Payot,1994). Nous devons à Hobbes la formulation du
droit à la sûrete : chaque homme a droit à son corps, à sa vie. En conséquence personne ne
doit être esclave et aucun pouvoir n'a droit de vie et de mort sur personne. À Spinoza, nous
devons la formulation de la liberté de conscience : chaque homme a le droit d'opiner comme il
lui semble ce qui fonde les libertés d'opinion et d'expression. Aucun pouvoir ne peut
contraindre le jugement en conscience. À Locke, nous devons le droit ou la liberté de
propriété : chaque homme a le droit de s'approprier une part des objets de la nature. Ce qui
implique que l'Etat ne peut s'approprier la domination de la Nature à la place des individus. À
tous ces auteurs nous devons l'idée d'égalité abstraite des individus fondée sur une idée propre
aux religions du Livre : l'identité de l'humanité.
- Il revient aux Français d'avoir su faire un synthèse cohérente de ces libertés dans la
Déclaration de 1789 qui proclame notamment le droit à la sûreté (Article 2), la liberté
d'opinion (Article 10), la liberté de communication (et donc d'imprimer) (Article 11), le droit
de propriété considéré comme "inviolable et sacré" (Article17). À l'époque récente (XIXe et
XXe siècle), ces droits ont été étendus par la loi. Ils consacrent la liberté de l'enseignement, de
la presse et de l'information, de réunion, d'association et de se syndiquer.
Parmi toutes ces libertés, l'une des plus essentielles est bien sûr la liberté d'opinion dont la
garantie par le droit constitutionnel occidental conduit à le distinguer fortement d'autres droits
constitutionnels (fasciste, théocratique...). Un des corollaires de cette liberté est la liberté
religieuse. Cette liberté implique la mise en place d'une séparation entre l'Eglise et l'Etat ; une
séparation en France qui ne signifie pas indépendance ou indifférence réciproque. Il s'agit en
fait plutôt d'une séparation tolérante connue sous le nom de régime de laïcité. Ce régime
découle de l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " Nul
ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses... " et de la loi du 9 décembre 1905
portant séparation entre l'Eglise et l'Etat. Le contenu de la laïcité tient en deux points :
- L'Etat ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte. L'Etat ne reconnaît aucune
religion. Il n'y a pas de religion d'Etat. Tous les cultes sont sur le même plan. En conséquence,
l'Etat ne saurait financer aucun culte ; il pourra cependant subventionner certaines activités
d'intérêt général s'exerçant dans un cadre confessionnel (hospices, crèches), rémunérer des
ministres du culte quand ceux-ci rendront des services à des personnes publiques ...
- L'Etat garantit la liberté de conscience : l'Etat s'oblige lui-même à respecter cette liberté et à
en prévenir les violations. Cela implique notamment qu'il garantisse le droit pour chacun
d'avoir la religion de son choix et d'en voir protéger le secret (CE, 9 juillet 1943, Ferrand), le
droit pour tout agent public de ne pas être défavorisé en raison de ses croyances (CE Melle
Weiss, 28 avril 1938).
c) rapports entre droits du citoyen et droits de l'homme
Il faut savoir que dans notre droit constitutionnel classique, Ies droits de l'homme sont
considérés comme plus essentiels que les droits politiques. Pourquoi ? C'est qu'avant d'être
des citoyens titulaires de droits politiques, citoyens français ou autres, nous sommes avant
tous des hommes titulaires de droits pré-politiques, pré-étatiques que nous pouvons
revendiquer au non de notre seule qualité d'être humain. Voilà pourquoi la Déclaration de
Droits de 1789 est intitulée Déclaration des droits de l'homme (en premier) puis du citoyen
(en second).
Si notre qualité d'être humain est plus importante que celle de français, cela implique qu'il y a
primauté de l'individu sur la société, sur l'État. Nous ne sommes pas de simples éléments, ou
parties de telle ou telle communauté politique (cf. l'État français) avec qui nous devrions
toujours être d'accord. Nous sommes avant tout des hommes, des personnes que l'Etat doit
respecter.
B droits-libertés et droits-créances
Les droits fondamentaux garantis aujourd'hui par les Constitutions modernes peuvent être des
droits individuels mais aussi des droits sociaux. Les premiers ont été proclamés au XVIIIème
siècle essentiellement et correspondent à l'idéologie libérale. Ils conduisent à ce que l'État
s'abstienne. Les seconds ont été proclamés vers la fin du XIXème siècle et correspondent
plutôt à l'idéologie socialiste, voire communiste. Ils conduisent à ce que l'État intervienne.
a) Pour les libéraux : les individus doivent avant tout compter sur eux-mêmes. Les libertés
sont donc des possibilités, potentialités que nous possédons déjà et que devons développer par
nous mêmes ; ce sont selon l'expression du doyen Hauriou des « routes ouvertes au devant de
l'indépendance et de l'initiative des individus ». Ce n'est pas l'Etat qui nous rend libre, nous le
sommes déjà virtuellement.
Double conséquence :
- la reconnaissance par l'Etat que tout homme [quelle que soit son origine sociale, culturelle,
ethnique] est libre de naissance et la garantie par l'Etat que cet homme pourra jouir de sa
liberté sans entraves. On en déduit que le droit constitutionnel proclamera des droits
individuels (en tant que droits de s'exprimer, d'agir en toute indépendance) et devra défendre
le principe d'égalité devant et dans la loi. On trouve l'énoncé de ces droits-libertés dans la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
- l'État se voit borné à une mission d'Etat-gendarme : soit la mission d'assurer la sécurité
extérieure, la justice, la police, un minimum de commodités communes... pour rendre possible
l'exercice des droit individuels. Pour le reste, il doit s'abstenir. Cela veut dire que tous les
autres domaines doivent être pris en charge par les individus eux-mêmes. Les droits-libertés
constituent donc des limites à l'Etat qui ne doit pas intervenir dans une sphère qu'on peut
qualifier de « privée ».
(nota : cela n'exclut pas que l'Etat organise par exemple des « secours publics » Constitution
de 1791Titre 1. Il ne s'agit pas de la reconnaissance effective de créances en tant que
véritables droits. L'Etat ici satisfait plutôt à un devoir moral de charité publique, non à une
obligation juridique proprement dite. Idem avec le droit au travail mis en place en 1848 ;
Tocqueville « Il n'y a rien là qui donne au travailleur un droit sur l'Etat ; il n'y a rien là qui
force l'Etat à se mettre à la place de la prévoyance individuelle, à la place de l'économie, de
l'honnêteté individuelle »).
b) Pour les socialistes : les individus ne sauraient compter sur eux-mêmes uniquement. Il faut
que l'État nous aide pour que nous soyons effectivement libres. Si l'État ne le faisait pas, si on
nous laissait se débrouiller avec des droits individuels comme le veulent les libéraux, alors
seulement certains individus seraient libres : ceux qui sont les plus intelligents mais aussi les
plus favorisés par leur naissance, leur milieu familial, social, etc.
En conséquence, les libertés deviendront réelles, réalisables pour tous que si nous pouvons
réclamer à l'État de nous aider, surtout parmi nous les plus défavorisés. Cela implique la mise
en place de garanties collectives qu'on peut analyser comme des "droits-créances" (= droits
de demander à l'État certaines prestations).
Double conséquence :
- l'octroi de droits collectifs sociaux et économiques modulés en fonction des besoins de
chacun : droit à la santé, à des allocations sociales, droit aux congés payés, aux loisirs, à
l'assistance en cas d'invalidité... (Cf. la Constitution soviétique : droit à un emploi). On trouve
l'énoncé de ces droits dans le Préambule de la Constitution de 1946.
- l'État voit ses missions s'élargir : d'où l'expression moderne d'Etat-Providence chargé de
créer une liberté et une égalité de fait. Ce qui passe par le développement des institutions
administratives chargées de services publics (enseignement public, sécurité sociale).
C'est le rôle des Cours constitutionnelles, en France du Conseil constitutionnel français
d'essayer de rendre compatibles, même complémentaires les droits individuels et collectifs.
Une opposition peut demeurer entre ces types de droits surtout si on pousse trop loin leur
logique. Ainsi la préservation acharnée des droits individuels peut conduire à un Etat
minimaliste sans conscience social ; d'autre part un développement excessif des droits sociaux
pourrait créer un État tentaculaire compromettant nos droits individuels.
2. LA GARANTIE DE CES LIBERTÉS
Elle va conduire à l'intervention d'abord du législateur puis du constituant. Le juge se
chargeant de sanctionner le respect des libertés protégées par la loi puis par la Constitution.
Cette garantie interne tend à se renforcer avec le rôle joué par l'Europe.
A. L'intervention du législateur
La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 réservait déjà à la loi, expression
de la volonté du peuple, la réglementation des libertés. Ce principe a été constamment repris
en France notamment en 1946 (par exemple à propos du droit de grève) et en 1958.
Concernant, notre Constitution, l'article 34 dispose que " la loi fixe les règles concernant les
garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés ". Les
conséquences de ce principe sont les suivantes :
- le législateur peut toujours proclamer une liberté qui n'a pas été consacrée par la
Constitution ou son Préambule. Il en a été ainsi dans le passé avec la liberté d'association (loi
de 1901). L'exécutif se trouve alors lié par la loi et ne saurait y déroger par voie de
réglementation.
- le législateur peut se contenter de déterminer le statut d'une liberté déjà consacrée par le
constituant. C'est le cas du droit de grève aujourd'hui.
Il appartient au juge de vérifier si les actes des particuliers ou de l'Etat sont conformes aux
lois qui réglementent des libertés : juge ordinaire dans le premier cas, juge administratif dans
le second cas.
B. L'intervention du constituant
La Constitution peut elle-même consacrer une liberté. Ainsi dans la Constitution de 1791, on
trouve au titre 1er cette règle générale : "Le pouvoir législatif ne pourra faire aucune loi qui
porterait atteinte et mettrait obstacle à l'exercice des droits naturels consignés dans le présent
titre et garantis par la Constitution". Des droits de l'homme sont ainsi constitutionnalisés dès
1791 (la liberté d'aller et venir, la liberté de réunion, de parler et d'écrire…) . Notre
Constitution de 1958 prévoit dans son article 66 que " Nul ne peut être arbitrairement détenu
".
Il appartient au juge constitutionnel, le Conseil constitutionnel français de vérifier si la loi
porte atteinte aux dispositions constitutionnelles qui réglementent des libertés.
Il est évident qu'avec la constitutionnalisation en 1971 du Préambule de 1958 et par extension
du précédent Préambule de 1946 et de la DDHC de 1789, le contrôle du Conseil s'est élargi et
renforcé. Il est devenu le gardien ultime des libertés.
C. L’intervention du juge constitutionnel
Il appartient au juge constitutionnel, en France le Conseil constitutionnel de vérifier si la loi
porte atteinte aux dispositions constitutionnelles qui réglementent des libertés.
Il est évident qu’avec la constitutionnalisation en 1971 du Préambule de 1958 et donc des
textes qui s’y référent (Préambule de 1946 et DDHC de 1789), la garantie juridictionnelle des
libertés s’est renforcée. Le Conseil constitutionnel a ainsi développé et concrétisé un certain
nombre de libertés traditionnelles dont le respect s’impose directement au Parlement. Pour
cela il a agi de deux manières.
il a énoncé des principes à valeur constitutionnelle contenus ou formulés dans la Déclaration
de 1789 : par exemple les principe de liberté et d’égalité dont il diversifie la signification
(égalité devant la justice, devant les charges publiques…).
Il a cherché à déterminer « les PFRLR » mentionnés par le Préambule de 1946 mais non listés
par lui. Il a ainsi énoncé à partir du corpus des lois républicaines antérieures à 1946 des
principes comme la liberté d’association et la liberté de l’enseignement.
Cependant le rôle de protecteur de libertés n’est pas monopolisé par le Conseil constitutionnel
; il tend même à lui échapper car les juridictions ordinaires en effectuant un contrôle de
conventionnalité (contrôle des lois aux traités) protègent peut être encore plus efficacement
les libertés.
C’est le cas lorsque par exemple le Conseil d'Etat se réfère aux normes internationales
d’origine non communautaire comme la Convention européenne des droits de l’Homme
(Conseil d'Etat Ass 21 décembre 1990, Confédération européenne de sauvegarde des droits de
l’homme). Le juge administratif exerce alors un contrôle des lois par rapport aux libertés
fondamentales très proche du contrôle opéré par le Conseil constitutionnel par rapport au
Préambule de 1958. Avec un avantage considérable : il s’agit alors d’un contrôle plus
systématique car effectué a posteriori et ouvert aux citoyens. Dès lors le contrôle de
conventionnalité vient concurrencer le contrôle de constitutionnalité.
Cependant les juridictions européennes jouent elles aussi un rôle croissant.
Nota : L'exception d'inconstitutionnalité : un nouveau droit pour les citoyens

La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve


République prévoit, dans ses articles 29 et 30, la possibilité pour les citoyens de saisir
indirectement le conseil Constitutionnel.
Ces articles précisent que le Conseil constitutionnel peut être saisi d’une question (sur renvoi
du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation) lorsque, à l'occasion d'une instance en cours
devant une juridiction, le citoyen soutient que la loi qui lui est appliquée porte atteinte aux
droits et libertés que la Constitution garantit.
Si la disposition est déclarée inconstitutionnelle, elle est abrogée à compter de la publication
de la décision ou d’une date ultérieure prévue par la décision.
Mise à jour dès la publication de la loi organique qui doit déterminer les conditions
d'application de cette nouvelle disposition.
D. Le rôle des institutions européennes
Les Etats européens ont, après la 2e guerre mondiale, cherché à garantir au niveau européen
dans un cadre original les libertés fondamentales. Ils ont ainsi élaboré et signé le 4 novembre
1950 à Rome une Convention Européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des
libertés fondamentales à laquelle la France a adhéré.
La procédure est la suivante :
1 en cas de violation d’une liberté par un Etat membre, un Etat membre ou un particulier qui
sont victimes de la violation peuvent saisir une Commission des droits de l’homme. Le
particulier doit avoir épuisé les voies de recours dans son propre Etat.
2 la Commission essaye de trouver un règlement amiable.
3 si la Commission n’y arrive pas, le Comité des ministres peut chercher un règlement
politique ; ou bien une juridiction internationale est saisie, la Cour européenne des droits de
l’homme dont les décisions vont s’imposer aux Etats à condition qu’ils aient accepté à
l’avance la compétence de la Cour.
Comme on le voit, la procédure est complexe, aléatoire. Il faut ajouter que seules les libertés
individuelles (et non les droits sociaux et économiques) sont garantis.

Nota : le 14 octobre 2000 à Biarritz, les Etats de l’Union européenne ont adopté le projet
d’une « Charte des droits fondamentaux » que devront accepter les futurs adhérents. Cette
Charte a été intégrée dans la partie 2 du projet de Constitution européenne qui a été présenté
au Conseil européen de Thessalonique en mai 2004.
Section 1. Les formes d'Etat
S 1. Les gouvernements

§ 2. Les régimes politiques

Classiquement, les Etats peuvent être distingués selon l’origine de la souveraineté qui les
fondent et la manière dont le pouvoir d’Etat est exerce. On parlera dans un cas de
gouvernements et dans l’autre cas de régimes (politiques). La recherche d’une classification
des gouvernements est pratiquée depuis l’Antiquité ; Platon et Aristote en avaient déjà établi
une. La typologie des régimes est plus récente. Elle a été développée surtout à l’époque
moderne, soit à partir du 18e siècle. On peut tout à fait combiner ces deux genres de
typologies.

§ 1. Les gouvernements

1. La notion de gouvernement
A définition
Les gouvernements (forma imperii) sont classés selon l’origine de la souveraineté. La
distinction repose sur la réponse à la question : « Qui gouverne et au nom de quoi ? ».
B origine
Ce critère a été utilisé par la pensée politique notamment à partir de Platon et Aristote. Pour
différencier les Etats, ces auteurs ont recherché qui gouvernait au sens large, ou encore qui
était titulaire du pouvoir d’édicter les normes juridiques. Ils ont ainsi décrit des formes de
gouvernement dont certaines sont devenues archaïques. Il en est ainsi de la « timocratie »
(gouvernement de ceux qui recherchent les honneurs).
Un tel critère est avant tout qualitatif (notamment pour Platon). En effet, chaque forme de
gouvernement est associée à certains caractères que l’on retrouve dans les Constitutions de
ces gouvernements et chez les gouvernants eux-mêmes (il s’agit de leurs « âmes »). La prise
en compte de ces caractères permet alors de juger et de hiérarchiser les formes de
gouvernement.
Par exemple, chez Platon (La République, livre VIII), on trouve cette hiérarchie : 1.
l’aristocratie des « rois-philosophes » est associée à la sagesse 2. la timocratie est associée à la
recherche des honneurs 3. l’oligarchie est le gouvernement de ceux qui sont avides de richesse
4. la démocratie est fondée sur la tolérance et l’égalitarisme 5. la tyrannie repose sur les
passions (la peur, le désir bestial)
C évolution
Les théoriciens modernes de l’Etat (Bodin, Hobbes, Montesquieu) restent encore fidèles à ce
critère. Par exemple Hobbes dans le Léviathan explique que « la différence qui existe entre les
Républiques repose sur celle qui se trouve entre leurs souverains... ». D’où sa distinction entre
trois types de Républiques (ou États) :
1 quand le représentant (celui qui détient le pouvoir souverain) est un seul homme, la
République est une Monarchie
2 quand « c’est l’assemblée de tous qui voudront part à la réunion, c’est une démocratie ou
une République populaire »
3 quand « c’est l’assemblée d’une partie seulement de l’ensemble, on l’appelle Aristocratie »
(p. 192).
Mais ils vont tenter de rationaliser la typologie fondée sur ce critère. C’est le cas de
Montesquieu qui veut s’appuyer sur les lois ou les Constitutions pour déterminer ce qu’il
appelle « le principe » ou ce qui fait agir chaque gouvernement. Il ne s’agit plus dit-il de
s’appuyer sur « des choses d’accident comme les vertus ou les vices du prince » tel Aristote.
(p. 306 L’esprit des lois). Ils vont aussi hiérarchiser les gouvernements de manière nouvelle :
ainsi, pour Montesquieu : la République (principe : vertu), la Monarchie (principe : honneur),
le Despotisme (principe : crainte).

2. Les types de gouvernement


On peut distinguer entre deux types de gouvernement qui chacun peut connaître une dérive
autoritaire.
a) les gouvernements de droit divin
Ils sont fondés sur une souveraineté divine. Dieu est le souverain ; mais la souveraineté est
exercée par ceux qui le représentent sur terre. Ce postulat ou cette croyance permet
d’introduire une limitation a priori du pouvoir d’Etat : référence divine, loi divine ou droit
naturel.
En Occident, les gouvernements de droit divin qui ont pris la forme de royauté (un roi est le
dépositaire de l’autorité souveraine au nom de Dieu) ont disparu à partir de l’époque moderne.
Certains avaient dérivé en absolutismes : le Roi prétend avoir été désigné par Dieu et avoir le
monopole de l’exercice de l’autorité souveraine. En Orient, les gouvernements de droit divin
inspirés par l’Islam ont pris la forme de monarchies ou sultanats qui ont eux aussi connu la
même dérive absolutiste. Certains de ces gouvernements ont survécu à l’avènement de la
souveraineté démocratique qui a eu lieu notamment en Turquie et dans le Maghreb (Algérie,
Tunisie...). Par exemple, les monarchies du golfe. L’intégrisme islamique a tenté de
ressusciter l’idée de gouvernement de droit divin mais sur un mode souvent autoritaire. Il a
essayé ainsi de justifier une confusion des pouvoirs au profit d’un guide religieux ou d’un
clergé et la déduction du droit à partir de la seule loi divine. Cet intégrisme est aujourd’hui en
échec : remise en cause du pouvoir des religieux en Iran, effondrement de l’Etat taliban en
Afghanistan.
b) les gouvernements démocratiques.
Ils sont fondés sur l’idée d’une souveraineté démocratique. La souveraineté trouve son origine
dans le peuple ou la Nation. Le peuple ou la Nation exercent directement ou indirectement le
pouvoir d’Etat. Ce postulat ou cette croyance permet de justifier que le pouvoir d’Etat soit
soumis à un contrôle populaire (principe de l’alternance, recours à l’élection ou au
référendum). Deux variantes l’une libérale, l’autre autoritaire ont été expérimentées dans le
monde.
1 la démocratie libérale
Elle peut être soit directe (gouvernement direct dans certains cantons en Suisse), soit semi-
directe (combinaison de représentation et du recours au référendum), soit représentative (sur
le fondement de l’idée de souveraineté nationale). Dans le dernier cas, elle a recours à
l’élection qui a lieu aujourd’hui au suffrage universel.
2 la démocratie dirigée
Un parti ou un homme prétend incarner le peuple et exprimer sa volonté. Dès lors le recours à
l’élection devient facultatif ou est encadré (refus du multipartisme, du suffrage universel,
utilisation du plébiscite). C’était le cas dans les démocraties populaires en Europe de l’Est
soumises au monopole idéologique des partis communistes. On aboutit à des systèmes dits
totalitaires.
§ 2. Les régimes

1. La notion de régime politique


A définition
Les régimes (forma regiminis) concernent le mode fondé sur la Constitution ou les usages
politiques selon lequel l’Etat fait usage de son pouvoir (ou de la souveraineté sens n°2). La
distinction entre Etats repose sur la réponse à la question : « COMMENT est gouverné un Etat
? ».
On peut distinguer régime constitutionnel et régime politique. Le premier se déduit
uniquement de la Constitution ; le second se fonde aussi sur des usages politiques. Par
exemple l’Angleterre a pour régime constitutionnel une monarchie traditionnelle et pour
régime politique une monarchie parlementaire.
B le critère moderne de classification
À partir du 18e, on porte attention aux modalités de distribution du pouvoir d’Etat et moins au
fait de savoir qui est le souverain. La théorie libérale de la séparation des pouvoirs notamment
développée par Montesquieu dans L’esprit des lois (1748) sera la principale technique utilisée
pour distribuer, partager le pouvoir d’Etat. Indépendamment de sa portée pratique (garantir la
liberté politique), elle va donc permettre de classer les régimes en tenant compte de la manière
dont ils appliquent ou refusent cette théorie.
Cette théorie a été appliquée de manière complémentaire selon deux plan : horizontal et
vertical. Les européens ont plutôt développé et perfectionné au départ une séparation des
pouvoirs horizontale qui permet de diviser le pouvoir d’Etat du gouvernement au sens large. Il
appartient aux américains, inventeurs du fédéralisme d’avoir développé très tôt une séparation
des pouvoirs verticale. Les européens ont attendu la fin du XIXème siècle pour admettre une
timide décentralisation et aujourd’hui des formes de régionalisation très poussée.

2. La typologie des régimes politiques

A critère de la séparation des pouvoirs horizontale


On s’attachera ainsi à savoir si le pouvoir d’Etat gouvernemental est partagé ou non, si les
organes exerçant ce pouvoir sont indépendants les uns de autres, etc. La théorie de la
séparation des pouvoirs peut donc devenir un critère permettant de classer les régimes mais
aussi de les hiérarchiser. À partir des idées de Montesquieu, on arrive à une typologie de base
fort simple que les juristes constitutionnalistes ne cesseront de complexifier, d'adapter.
a) Typologie de base à partir de Montesquieu
1) Régimes de confusion des pouvoirs : tout le pouvoir d’Etat est exercé par un seul organe.
Si c'est le roi, il s'agit d'une monarchie absolutiste qui peut dériver en "Gouvernement
despotique" car qui a du pouvoir aura tendance à en abuser. Il en est de même si c’est le
peuple, la république populaire peut elle aussi devenir despotique.
2) Régimes de séparation des pouvoirs : l’exercice du pouvoir politique est partagé entre
différents organes d’Etat. Les auteurs du 18e siècle distinguent entre régimes de séparation
des pouvoirs selon l’identité du titulaire du pouvoir exécutif ; ce qui conduit à retrouver les
termes utilisés pour classer les formes de gouvernement mais en leur donnant un nouveau
sens. Ainsi l’aristocratie qui est le meilleur des régimes pour Rousseau est celui non pas où les
aristocrates sont souverains mais où les aristocrates détiennent le pouvoir exécutif.
On peut remarquer qu’une autre distribution des régimes de séparation des pouvoirs peut être
conçue en tenant compte des divergences entre Montesquieu et Rousseau. Pour le premier,
cette séparation doit être faite avec souplesse (interaction entre les organes) et doit permettre
aux différentes classes (ordres) de la société d’être représentées dans l’Etat ; ce qui aboutira à
un"Gouvernement modéré". Montesquieu parle ainsi de « balance des pouvoirs », technique
qui sera appliquée en France en 1791 et aux Etats-Unis dès 1787. Il s’oppose sur ce point à
Rousseau qui conçoit la séparation des pouvoirs selon un principe de « spécialisation des
organes » (application en 1793, pas d’interaction entre les organes).

b) Typologie contemporaine
Typologie utilisée aujourd'hui. Elle part toujours du critère de la séparation des pouvoirs et
donc ne fait que complexifier la typologie à partir Montesquieu.

1) Les régimes de confusion des pouvoirs


On distingue entre régimes de confusion au profit :
- de l'Exécutif : on parlera de dictature ou encore de régime présidentialiste. Exemple : les
régimes présidentialistes d'Afrique noire dont on ne finit pas d’annoncer la disparition.
- du Législatif : on parlera de régime d'Assemblée ou encore de régime conventionnel.
Exemple : la Terreur en France.
- du Judiciaire : on parlera de Gouvernement des juges. Pas d'exemple connu ; tout au plus
pourra-t-on parler de risque de Gouvernement des juges lorsque certaines cours suprêmes ou
constitutionnelles s'opposent à certaines époques systématiquement aux pouvoirs législatif et
exécutif pour des raisons moins de droit qu’idéologiques. (Cf. aux États-Unis pendant le New
Deal sous le Président Roosevelt dans les années 3O).
2) Les régimes de séparation des pouvoirs
- Les régimes présidentiels :
Ce sont des régimes qui sont restés fidèles à Montesquieu ayant appliqué à la lettre (ou
presque) sa théorie de la balance des pouvoirs : soit les États-Unis de 1787 et la France de
1791 et 1795. Cela se traduit par l'existence :
- d'une collaboration minimale des organes politiques
- de facultés d'empêcher entre ces organes politiques (par exemple le droit de veto au profit du
chef de l'État).
Ces régimes ont eu en Europe, notamment en France une faible durée de vie. La raison
essentielle tenant au fait qu'ils ne permettent pas de résoudre facilement les conflits qui
peuvent surgir entre les organes politiques. Si ces organes ne peuvent en effet se révoquer (et
permettre ainsi que joue l'arbitrage du peuple), Le risque est grand que des blocages
apparaissent, que la Constitution ne soit plus respectée et finalement que le régime disparaisse
dans un coup d'État au profit de l'un des organes. Exemple : le coup d'État de 1851 au profit
de Louis Napoléon Bonaparte qui met fin au régime présidentiel organisé par la Constitution
de 1848.
Par contre, aux États-Unis, le régime présidentiel s'est maintenu grâce notamment au
développement de la collaboration entre le Président et le Congrès. Cependant, le président ne
pouvant toujours pas dissoudre un Congrès qui lui-même ne peut mettre en jeu la
responsabilité politique du Président, les conflits restent nombreux et font que le régime est
souvent en crise. Malgré tout le régime présidentiel à l’américaine reste un modèle qui
continue d’être attractif, notamment en France.

- Les régimes parlementaires :


Ce sont les régimes qui naturellement ont en Europe succédé aux régimes présidentiels. Ils ont
adapté en la radicalisant la théorie de Montesquieu. Ce phénomène s'est produit surtout au
XIXe siècle. Exemple : le régime parlementaire en France né de la pratique à partir de la
Restauration (1815).
Ces régimes se définissent ainsi :
- collaboration très importante entre les organes
- présence de facultés de révoquer détenues par l'Exécutif et le Législatif : droit de dissolution
(généralement aux mains du chef de Gouvernement), droit de renverser le Gouvernement
(généralement aux mains de la première Chambre ; soit en France sous la Vè république,
l'Assemblée Nationale). Les régimes parlementaires ont commencé par être dualistes pour
devenir ensuite monistes. On appelle dualiste un régime parlementaire dans lequel le
Gouvernement est responsable devant le Parlement mais aussi devant le Chef de l'État. On
appelle moniste un régime parlementaire dans lequel le Gouvernement n'est responsable que
devant le Parlement.
Les régimes parlementaires ont commencé par être dualistes du fait que le chef de l'État à
l'origine possédait une forte légitimité et des compétences importantes qui faisaient de lui le
véritable chef du Gouvernement. En conséquence, il pouvait exiger la démission de ministres
en désaccord avec lui. Exemple : le régime parlementaire en France sous la Monarchie de
Juillet de 1830 à 1848 dominé par le roi Louis-Philippe.
Presque tous les régimes de séparation des pouvoirs nouvellement créés au XXe siècle sont
des régimes parlementaires de type moniste. Exemple : les régimes tchèques, polonais,
hongrois nés après l'effondrement du communisme à l'Est. L'exception est le régime russe ; ce
régime russe est un régime parlementaire en tant que la dissolution de la Douma d'État est
prévue (au profit du Président) ainsi que la révocation du Gouvernement par la Douma à la
suite d'un vote de défiance. Mais il se trouve que le Gouvernement est responsable aussi
devant le Président. On peut donc parler de résurgence du régime parlementaire dualiste.

Les régimes parlementaires contemporains monistes ou dualistes peuvent être classés en deux
autres types : majoritaires et non majoritaires
- Si les élections législatives conduisent à la victoire d'une coalition de partis peu nombreux,
unis, disciplinés (obéissant aux consignes de leurs leaders), alors on parle alors de régimes
parlementaires majoritaires. Ces régimes ont l'avantage d'être stables politiquement car le
Parlement n'aura pas la possibilité politique de s'opposer au Gouvernement et de le renverser.
Ces régimes ont un inconvénient. Ils connaissent en pratique une tendance à la confusion des
pouvoirs au profit de l'Exécutif. On parlera de tendance présidentialiste. Exemple :
l’Angleterre, la R.F.A., le Japon, la France de la Vème République.
- Si les élections législatives conduisent à la victoire d'une coalition de partis nombreux, non
unis, indisciplinés (n'obéissant pas aux consignes de leurs leaders), alors on parle de régimes
parlementaires non majoritaires. Ces régimes ont l'inconvénient d'être instables politiquement
car le Parlement a la possibilité de s'opposer au Gouvernement et de le renverser (ce dont ils
ne se prive pas). Dès lors, ils connaissent une tendance à la confusion des pouvoirs au profit
du Parlement. On parle de dérive vers le Régime d'Assemblée. Exemple : l'Italie jusqu'en
1993, Israël, la France de la IVe République.
c) Critique de la classification moderne des régimes
1 critique scientifique
- catégories hétérogènes : on utilise en même temps des élements juridiques comme
l’existence d’un droit de dissolution (ordre de ce qui doit être, textuel) et des élements
politiques comme la présence d’une majorité stable au Parlement (ordre de ce qui est, de
l’effectivité, pratique).
-catégories sans portée cognitive : les critères juridiques utilisés ne permettent pas déterminer
la véritable nature d’un régime. Par exemple, il ne permettent pas de déterminer si un organe
est réellement dominant (il peut être titulaire de droits qui ne se révélent pas être des
pouvoirs) ou enore quelle est la nature réelle d’un régime (confusion ou non des pouvoirs)
2 critique philosophique
La classification contemporaine héritée largement de Montesquieu ne permet pas de rendre
compte de régimes nouveaux de confusion des pouvoirs nés au 20e siècle : les régimes
totalitaires ou de domination totale.
Ces régimes peuvent avoir une apparence constitutionnelle très classique : le régime nazi qui
avait maintenu la Constitution de Weimar organisant un régime parlementaire ; le régime
soviétique qui avait une Constitution organisant un régime de spécialisation des pouvoirs.
Pourtant, en deçà du droit constitutionnel existait une autre organisation plus cachée mais
effective du pouvoir réel au profit d’un leader et de son parti gouvernant par la terreur grâce à
une police secrète.
B le critère de la séparation verticale du pouvoir
On s’attachera ici à déterminer dans quelle mesure le pouvoir central accepte l’autonomie de
pouvoirs locaux. On distinguera principalement les Etats unitaires qui peuvent se décentraliser
des Etats fédéraux. On terminera en décrivant la confédération qui n’est pas une forme d’Etat
mais plutôt la manière habituelle des Etats de coopérer entre eux.
Nota : le critère de la séparation verticale du pouvoir est aussi retenu en droit international
pour classifier les Etats.

a) l'État unitaire
C'est un État dans lequel l’exercice du pouvoir juridique d’État est monopolisé par un seul
centre politique ou Gouvernement central. Corollaire : tous les individus sont soumis au
même Gouvernement qui seul dispose d’un pouvoir normatif propre. Cela n’exclut pas que
l’Etat unitaire admette en son sein l’existence de collectivités territoriales capables de créer
leur propre droit (règlements, lois). Mais dans ce cas, les collectivités devront se soumettre à
un droit commun minimal issu du gouvernement central. Cette forme d'organisation qui
caractérise l'État français actuel et la majorité des États dans le monde est la plus ancienne.
Historiquement, les premiers États occidentaux apparus au XIe, consolidés au XVIIe siècle
étaient unitaires.
On distingue deux types d'États unitaires : centralisés et décentralisés. Cette distinction doit
être relativisée en pratique. En effet, un Etat unitaire ne peut accepter une décentralisation
complète sauf à disparaître, démembré en plusieurs Etats. Donc chaque Etat recherche un
équilibre entre centralisation et décentralisation.
a) les États centralisés : État dans lequel le pouvoir juridique d’État est exercé seulement par
des agents nommés et soumis à l’autorité hiérarchique du Gouvernement central. Ils n’ont
donc aucun pouvoir juridique propre.
Un État centralisé est généralement déconcentré au sens où certains de ses agents bénéficiant
de délégations pourront être délocalisés. Exemple : le Préfet en France. La concentration est
donc un mode théorique d'organisation administrative.
b) les États décentralisés : État dans lequel le pouvoir juridique d’État est en partie confié aux
individus eux-mêmes qui, à travers certaines institutions administratives généralement élues
vont s’administrer avec un contrôle souple du Gouvernement central. Cette « libre
administration » peut conduire lorsqu’elle est très poussée à permettre à ces institutions de
disposer d’un pouvoir normatif (réglementaire, législatif…) autonome (Espagne, Italie) dans
certains domaines. Mais ce pouvoir ne saurait être constituant ; donc permettre aux
institutions décentralisées de définir leur propre statut.
Le principe de « libre administration » se manifeste par le fait que les institutions
décentralisées ont :
la personnalité juridique (ce qui leur permet d'avoir leurs propres agents publics et
ressources).
disposent d'une compétence spécialisée sous le contrôle de l'État : en France on distingue la
tutelle (contrôle administratif exercé par le Préfet sur les personnes et les actes) du contrôle
juridictionnel moins sévère (contrôle sur les actes, exercé par les préfets qui déférent ces actes
devant les juridictions lorsqu'ils estiment qu'ils sont illégaux).
b) L’Etat fédéral
C’est un État dans lequel le gouvernement central confie l’exercice de certaines compétences
à des entités (Républiques, Provinces...) qui vont se diriger elles-mêmes. Principe de « libre
gouvernement ». Corollaire : les individus seront soumis à des normes fédérales communes
(Constitution fédérale, lois fédérales...) et à des normes locales propres aux entités fédérées
(Constitution, lois des entités fédérées). Le gouvernement central conserve en général des
compétences dites « régaliennes » : droit de faire la guerre, droit d'avoir des représentations
diplomatiques à l'étranger, droit de battre monnaie.

Nota : il est souvent difficile de distinguer entre un État fédéral et un État unitaire
décentralisé. Cela parce qu'il n'y a pas de différence essentielle entre décentralisation
gouvernementale et décentralisation administrative, État unitaire et État fédéral. En effet, en
dernière analyse, la compétence des institutions décentralisées et des entités fédérées dépend
dans les deux cas d'un ordre juridique supérieur et peut être modifiée par le pouvoir central. Il
n'y a entre l'un et l'autre système qu'une "différence de degrés".

La coopération interétatique
La coopération internationale entre les Etats se traduit par la mise en place d’organismes
destinés à gérer certains domaines d’action communs. Le statut de ces organismes résulte
d’un traité et le droit produit par ces organismes est distinct du droit interne des Etats. En
conséquences, les souverainetés nationales sont préservées et aucun Etat nouveau n’est créé
au-dessus des Etats. On parle alors de confédérations d’Etats. Cependant, comme dans le cas
de l’Union européenne, la coopération interétatique est si poussée dans certains domaines
(économiques, monétaires) qu’on aboutit à un système mixte en partie fédéral et confédéral.

1. La confédération
2. Le cas de l'Union européenne

1. La confédération
La confédération se présente comme l'association d'États unitaires ou fédérés qui acceptent de
gérer ensemble certaines compétences grâce à des organes communs. Ils forment une alliance
dans un but de coopération dans des domaines plus ou moins fondamentaux (économie,
militaire...). En aucun cas, le ou les organes communs ne constituent un autre État ni du point
de vue interne (pour les individus membres des États confédérés), ni point de vue externe
(pour les autres États sur la scène internationale).
1) origine
Les confédérations modernes sont apparues au 18ème et 19ème siècles ; elles étaient fondées
sur une identité ou solidarité nationale qui ne pouvait s'exprimer par la création d'un seul État
(État unitaire/fédéral). Exemples :
- la confédération des États-Unis de l'Amérique du nord (1778-1787)
- la confédération germanique (1815/1886).
Ces confédérations, en tant que formes transitoires ont disparu assez vite lorsqu'elles ont pu
déboucher sur la création d'un seul État. Ex : 1787 pour les États-Unis et 1871 Pour
l'Allemagne.
Les confédérations modernes (celles du 20e siècle) sont fondées plutôt sur une solidarité
d'intérêts (intérêts économiques, politiques...). Elles sont méconnues car en trop grand
nombre, créées à l'occasion de la conclusion de nombreux traités internationaux. On peut citer
parmi les plus célèbres le Commonwealth, dernier vestige de l'Empire colonial anglais,
l'OTAN, la CEE (à laquelle a succédé l’UE en 1992)), etc. Parmi les plus récentes, la
Sénégambie (1982) qui a disparu depuis, la CEI qui s'est substituée à la fédération de l'URSS
et demain peut être l'alliance entre Bohème Moravie et Slovaquie, le Canada et le Québec...
2) caractéristiques
1. le lien de droit qui unit ces États et précise les compétences des organes communs
confédéraux n'est pas une Constitution mais un traité. Cela manifeste bien que les États ont
conservé leur pouvoir d’État et restent indépendants.
2. les organes communs sont composés de simples délégués des États qui n'ont donc aucun
pouvoir de décision propre ; ils doivent constamment référer à leurs États respectifs. Leur vote
lors de la prise de décision se fait à l'unanimité. Cela permet de ne pas passer outre l'avis d'un
État qui détient en conséquence un droit de veto.
3. les décisions prises par les organes communs ne sont pas applicables directement sur les
territoires des différends États confédérés. Elles doivent faire l'objet d'une autorisation ou
d'une ratification interne sans lesquelles elles n'ont pas de valeur juridique dans l'ordre interne
des États.
4. les différents États peuvent sortir facilement de l'alliance ou de l'association
Nota : le cas de la Suisse. La Suisse est bien une fédération même si le terme de confédération
est utilisé dans sa nouvelle Constitution pour désigner le pouvoir central (ou fédéral).
2. Le cas de l'Union européenne
Sources : G. Isaac, Droit communautaire, Masson et B. Chantebout, Droit constitutionnel,
Colin.

On peut s'interroger sur la nature de l'Union européenne, notamment depuis l’adoption du


traité de Maastricht en 1992. Confédération ou fédération ? La réponse semble si difficile à
donner que certains auteurs ont créé une catégorie sui generis pour l’Union européenne. Par
exemple, P. Pactet utilise la notion d’« organisation supranationale ». On peut considérer que
l’Union européenne est un système de coopération original, très poussé dont le
fonctionnement dans certains domaines est proche de celui d’une fédération. Pour autant,
l’Union européenne n’est pas un devenue un Etat ; elle peut toujours être assimilée à une
confédération.

A. Historique
À l’origine, il a été question de créer une Europe fédérale sur le modèle américain (les «
Etats-Unis d’Europe »). Mais cette voie s’est révélée sans issue. Le projet Briand, présenté le
7 septembre 1929 à l’Assemblée générale de la SDN, n’a pas connu de suite. Il en a été de
même avec le « message aux Européens » qui avait conclu le congrès des mouvements
fédéralistes les 8-10 mai 1948.
Le plan Shuman en tira les conséquences : il préfère une intégration plutôt économique que
politique, de procéder par étapes en créant des solidarités de fait plutôt que d’un seul coup. Le
postulat était qu’en procédant de manière pragmatique, on fabriquerait un engrenage qui
aboutirait finalement à une solution fédérale. On suggéra de commencer par la mise en
commun de ressources comme le charbon et l’acier (des ressources nécessaires pour faire la
guerre ; leur mise en commun entre la France et l’Allemagne devait empêcher toute nouvelle
guerre). L’acceptation de cette proposition par 5 Etats (Allemagne, Belgique, Italie,
Luxembourg, Pays-Bas) fut formalisée par la signature du premier grand traité européen
instituant le 18 avril 1951 la CECA.
On peut dire que cette idée a à la fois réussi et échoué :
- la réussite, c’est évidemment que l’intégration économique s’est effectivement produite et
renforcée jusqu’à la création d’une monnaie européenne unique. Dans ce domaine, on peut
parler d’un fonctionnement quasi fédéral de la Communauté européenne. Les étapes auront
été les suivantes :
• La C.E.E.A. : la Communauté européenne de l’énergie atomique (Euratom) visant à
promouvoir l’utilisation de l’énergie nucléaire à des fins pacifiques et le développement d’une
industrie nucléaire. 25 mars 1957
• La C.E.E. : la Communauté économique européenne qui tente de créer un marché commun,
c’est-à-dire un marché unique étendu aux territoires des 6 états signataires. Cela impliquait
une union douanière (libre circulation interne des marchandises et tarif douanier commun), la
libre circulation des facteurs de production et une protection de la libre concurrence. 25 mars
1957
• Le S.M.E. : le système monétaire européen de 1978.
Les 6 et 7 juillet, le sommet de Brême décide d'instaurer un système monétaire européen
(SME). Il vise à établir en Europe une zone monétaire stable, moins sensible aux grandes
variations de taux de change entre les monnaies européennes. Il se substitue au "serpent"
monétaire, constitué en 1972.
• L’A.U.E. : l’Acte unique européen de 1986. Il relance la construction communautaire en
prévoyant un marché intérieur commun vraiment intégré qui est assorti du principe de
solidarité financière. Passage au vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil pour le
rapprochement des législations. La coopération en matière de politique étrangère fait l’objet
de dispositions conventionnelles et est étendue aux aspects économiques et politiques de la
sécurité.
• Le traité de Maastrich de 1992 qui réforme le traité CEE de 1957. Le traité CEE (maintenant
CE) est complété par des dispositions qui aménagent une Union économique et monétaire ;
économique car est prévue une coordination des politiques économiques des Etats membres et
le respect du principe d’une économie de marché ouverte // monétaire car sont fixés de
manière irrévocable les taux de change entre monnaies européennes pour aboutir à
l’instauration d’une monnaie unique.
• Le traité d’Amsterdam de 1997 tente de faciliter la coopération dans des domaines non
communautarisés : Europe sociale, politique étrangère et sécurité commune. Une
communautarisation des politiques d'asile, d'immigration et de libre circulation est prévue
ainsi que l'intégration de l'acquis de Schengen dans l'Union européenne.
• Le traité de Nice de 2001 (entré en vigueur en 2003). Il prévoit une nouvelle répartition des
sièges au Parlement européen, une nouvelle composition de la Commission et une nouvelle
définition de la majorité qualifiée au Conseil. Les Etats membres les plus peuplés perdent à
partir de 2005, la possibilité de proposer un deuxième commissaire.

- l’échec, c’est le fait que l’intégration économique n’a pas été relayée par une intégration
politique notamment dans les domaines de la diplomatie, de la sécurité intérieure et
extérieure. Dans ces domaines, il n’existe qu’une coopération institutionnalisée de type
confédéral. Le traité de Maastricht a certes crée une entité nouvelle, l’Union européenne
chargée d’harmoniser les politiques dans ces domaines mais cette entité n’a pas de
personnalité juridique et notamment n’a pas de capacité d’engagement international. Cet
échec s’explique par le fait que ne s’est pas constitué comme l’espéraient les fédéralistes, un
Peuple de l’Union, une Nation européenne ou au moins une opinion publique européenne. On
comprend alors pourquoi l’Europe a été incapable d’agir de façon unie notamment lorsque les
conflits au sein de l’ex-Yougoslavie ont conduit à des génocides à répétition ou encore
lorsqu’il s’est agi de prendre position sur l’intervention américaine en Irak. L’idée d’une
souveraineté européenne capable de subsumer les souverainetés nationales reste une utopie.
B. Les structures de l’Union européenne.
Depuis l’entrée en vigueur du Traité de Maastricht le 1er novembre 1993, les organes de la
Communauté européenne exercent une double activité :
- une activité notamment judiciaire, administrative et surtout législative en application des
traités dans le domaine économique mais aussi depuis 1993 dans des domaines comme
l’éducation, la santé publique, la culture, les transports… (il s’agit des matières dites «
communautarisées »). On estime qu’à moyen terme les 4/5èmes du droit national des Etats
membres auront pour base la réglementation européenne. Cette activité tend à être fédérale
sans pour autant donner à l’Union européenne le statut d’un véritable Etat fédéral.
- une activité de coopération dans les domaines de la politique étrangère et de sécurité
commune ou encore de la justice et des affaires intérieures. Cette activité est de type
confédéral.

a. L’exécutif de l’Union européenne


3 éléments :
1. Le Conseil européen : c’est la réunion des chefs d’Etats et de gouvernement à laquelle
participe également le président de la Commission. Il siège au moins deux fois par an. À
l’origine, ce n’est ni une institution, ni un organe communautaire ; non prévu pas les traités
fondateurs, il est né d’une simple initiative politique. Mais son existence a été consacrée par
l’Acte unique de 1986. Le traité de Maastricht prévoit qu’il donne à l’Union « les impulsions
nécessaires à son développement et en définit les orientations politiques générales » sans pour
autant prendre des actes juridiques. Il peut délibérer de sujets relevant de la compétence
communautaire et de la coopération politique. Mais il peut agir aussi comme instance d’appel
pour les dossiers qui lui sont renvoyés par les instances inférieures, spécialement le Conseil
des ministres.
2. Le Conseil : véritable institution communautaire chargée des représenter les intérêts des
Etats membres. Chaque Etat y délègue le ministre compétent avec des instructions formelles
pour traiter du problème qui figure à l’ordre du jour de la réunion. La plupart des décisions
sont prises à la majorité qualifiée dans les matières communautarisées (soit 62 voix sur 87).
Chaque Etat y dispose d’un nombre de voix variable selon son importance. En application du
traité de Nice, les grands Etats disposeront de 29 voix chacun, l’Espagne et la Pologne de 27
voix ; [Concernant ces deux pays, il y a eu blocage sur ce point lors de l’adoption de la
Constitution européenne car ils n’ont pas voulu renoncer à ce nombre de voix]. Le Conseil
détient le « pouvoir législatif » qu’il exerce sous forme de directives et de règlements. Les
règlements s’appliquent directement aux particuliers sur le territoire de l’ensemble de la
communauté. Les directives obligent seulement les Etats membres à prendre chacun les
mesures nécessaires à leur mise en œuvre en ayant le choix de la forme et des moyens. Le
Conseil a aussi le pouvoir « gouvernemental ». Ainsi, en matière de relations extérieures, c’est
lui qui autorise l’ouverture de négociations, donne à la Commission ses mandats de
négociation et conclut les accords. En matière budgétaire, c’est lui qui arrête le projet de
budget.
3. La Commission : elle est censée représenter l’intérêt commun de l’Union européenne. Elle
est composée de 20 membres nommés par les gouvernements des Etats pour 5 ans et
renouvelables une fois. Actuellement, les grands Etats désignent chacun deux commissaires,
et les petits chacun un. Le traité de Nice prévoit qu’à partir de 2005, les grands Etats n’auront
plus qu’un seul commissaire, mais du fait des adhésions, le nombre total sera porté à 27. La
procédure de nomination est la suivante : les Etats désignent après consultation du Parlement
la personnalité appelée à devenir Président de la Commission. En coopération avec celui-ci,
ils désignent ensuite les autres membres. Le collège qui en résulte est soumis à un vote
d’approbation du Parlement européen et est ensuite nommé par les Etats. Chacun des
commissaires est spécialisé dans un domaine mais les décisions sont prises collégialement. La
Commission est responsable devant le Parlement mais non devant les Etats ni devant le
Conseil. D’où une grande indépendance qui est renforcée par le fait que dans
l’accomplissement de leurs tâches, les commissaires ne sollicitent d’instructions d’aucun
gouvernement ou organisme. La Commission a un triple rôle : 1 veiller au respect des traités
par les particuliers, les Etats ou autres institutions. Pour cela elle dispose notamment du
pouvoir de poursuivre les infractions et d’appliquer elle-même des sanctions. Vis-à-vis des
Etats, elle peut saisir la Cour de Justice pour faire constater des « manquements ». 2 mission
générale d’initiative notamment dans l’exercice du pouvoir normatif attribué au Conseil. Les
traités de Rome prévoient que « le Conseil ne décide que sur proposition de la Commission » ;
le traité de Maastricht a ajouté que le Conseil ne peut amender une proposition de la
Commission qu’en votant à l’unanimité (art. 189 A C.E) et donne aussi un droit d’initiative
indirect au Parlement (art. 138 B, al. 2 C.E). Les propositions de la Commission sont
l’expression d’une politique arrêtée par elle dans l’intérêt de l’ensemble de la Communauté. 3
mission d’exécution des traités et des actes du Conseil.
b. Le Parlement européen
Le Parlement crée en 1957 était composé de représentants des Parlements nationaux. Depuis
1979, il est élu au SU direct par les peuples des Etats membres. L’Acte unique de 1986 lui a
conféré le titre de « Parlement européen ». Pour autant, ce Parlement souffre encore d’un
grave « déficit démocratique » et de la faiblesse de ses attributions. Mal élu, peu connu des
opinions publiques, il ne détient pas la réalité du pouvoir législatif.
1. composition : 626 sièges. La répartition des sièges par Etat tient compte du principe
d’égalité comme du souci d’assurer une représentation significative aux plus petits pays. Les
groupes parlementaires sont constitués en fonction d’affinités idéologiques et non de
l’appartenance nationale des députés. Les élections dans chaque Etat sont marquées par un
fort abstentionnisme et la prédominance de thèmes non européens. Les Etats membres n’ont
pu se mettre d’accord sur une procédure électorale uniforme ; ils ont adopté un mode de
scrutin en conformité avec leurs traditions électorales sauf la France qui a choisi le scrutin
proportionnel dans un cadre national [La loi du 11 avril 2003 a cependant régionalisé
l’élection].
2. statut des députés : ils sont élus pour 5 ans et ont un mandat représentatif. Ils bénéficient de
l’irresponsabilité (pas de poursuites pour les opinions et les votes émis dans l’exercice de
leurs fonctions) et de l’inviolabilité (soit des immunités reconnues aux membres du Parlement
de leurs pays).
3. attributions :
- contrôle politique : possibilité notamment de poser des questions, de disposer d’un droit de
pétition et d’enquête ; enfin le Parlement peut contraindre la Commission à démissionner par
le vote d’une motion de censure.
- pouvoir budgétaire
- rôle législatif : • le Parlement est consulté obligatoirement : le Conseil ne peut décider sans
que le Parlement ait au préalable donné un avis sur la proposition de la Commission. • le
Parlement peut utiliser un veto suspensif voté à la majorité absolue de ses membres qui oblige
en pratique le Conseil et la Commission à prendre ses amendements en considération (pouvoir
de « codécision »).
c. La Cour de Justice
La Cour de Justice de la Communauté est composée de 15 juges, assistés de 8 avocats
généraux ; tous sont nommés pour 6 ans d’un commun accord par les gouvernements (Art.
167 CE). Ils sont renouvelables par moitié toutes les trois années. Ils sont totalement
indépendants des Etats. Les juges élisent eux-mêmes en leur sein leur Président
La mission de la Cour est d’assurer le respect des traités.
Elle est juge de la conformité aux traités des actes du Conseil et de la Commission. Dans cette
fonction, elle peut être saisie par les Etats, les différentes institutions de la Communauté et par
les particuliers ayant un intérêt à agir. La Cour pourra ainsi juger de recours en annulation.
Elle a aussi une activité interprétative ; elle peut être saisie par les Etats membres pour
interpréter la législation communautaire. La procédure est la suivante ; une juridiction
nationale ayant à appliquer le droit communautaire à un litige porté devant elle interroge la
Cour en cas de doute. On dit que la Cour agit par la voie préjudicielle (l’intervention de la
Cour ne constitue qu’un incident du litige qu’elle ne tranche pas).
Enfin, la Cour peut également imposer aux Etats membres le respect des obligations qui leur
incombent en vertu des traités. Elle est alors saisie par la Commission ou par un Etat membre
après avis de la Commission.
C. Le fonctionnement de l’Union Européenne
Les organes de la Communauté sont appelés à jouer un double rôle :
- dans les matières « communautarisées » (essentiellement économiques), ces organes ont
vocation à réaliser les buts fixés par les traités (Cf. art. 2 et 3 du traité CE) comme «
l’établissement d’un marché commun », la mise en place d’une « politique commerciale
commune », ... et à contrôler le respect des obligations souscrites par les Etats. Pour cela ces
organes disposent de compétences dont l’ampleur et la nature sont sans commune mesure
avec celles dont disposent les organisations internationales classiques. On peut parler ici d’un
fonctionnement « fédéraliste ».
- dans les matières non « communautarisées » (notamment la sécurité intérieure et extérieure),
les organes de la Communauté tentent de coordonner les politiques des Etats membres. Cette
coopération est surtout mise en œuvre par le Conseil statuant en principe à l’unanimité. On
parlera ici d’un fonctionnement « confédéral ».
a. Le fonctionnement fédéral
La Communauté se devait d’abord de réaliser un marché commun pour la circulation des
biens, des services, des travailleurs et des capitaux. Comprenant ce rôle de manière large, elle
a tenté d’harmoniser les réglementations des Etats membres dans des matières qui n’avaient
que des conséquences indirectes sur les échanges : protection des consommateurs, de
l’environnement, recherche, aide aux pays en voie de développement… L’article 3 (du traité
CE) réformé par la traité de Maastricht consacre ce rôle élargi et prévoit que la Communauté
est compétente dans des domaines qui ne sont plus seulement économiques comme
l’éducation, la santé, la culture, la politique sociale…
Les compétences sont mises en œuvres par le Conseil sur proposition de la Commission. Mais
en réalité, la Commission est l’organe moteur. D’une part, le Conseil ne peut statuer que sur
ses propositions. D’autre part, il ne peut en pratique que les approuver ou les rejeter car il ne
peut les amender qu’à l’unanimité. À l’opposé, la Commission peut modifier à tout moment
ses propositions au cours de leur discussion par le Conseil ; ce qui lui permet de dégager un
compromis entre les Etats sans renoncer à sa position. Le Parlement peut dans de nombreux
domaines (éducation, santé, culture…) bloquer l’adoption d’un texte à la majorité absolue de
ses membres. Le Conseil et la Commission prennent alors les amendements du Parlement en
considération (pouvoir de « codécision »).
Pour autant, l’aspect fédéral de ce fonctionnement doit être relativisé pour plusieurs raisons :
- L’existence du principe de subsidiarité : la Communauté ne peut intervenir qu’à la condition
que son action permette d’obtenir de meilleurs résultats que l’action individuelle des Etats
membres.
- Les traités n’accordent pas aux institutions le pouvoir d’appliquer la contrainte aux
particuliers ; ils font seulement obligation aux Etats membres d’exécuter par la force les actes
des institutions (art. 192 C.E.)
- Si les Communautés ne jouissent que d’une compétence d’attribution (comme dans le cas
des Etats fédéraux), les traités n’énumèrent pas des matières comme le veut la technique
fédérale ; ils désignent des objectifs à atteindre, des actions à mener, des fonctions à remplir.
- Si le droit communautaire en raison de sa spécificité est d’ « applicabilité directe » (Van
Gend et Loos C.J.C.E. 1963) contrairement à ce qui se passe dans le cadre d’un traité
international classique, il reste un droit externe ; sa primauté par rapport au droit interne est
donc soumise à la médiation de la Constitution des Etats membres. C’est le cas en France
puisque l’article 55 ne prévoit que la seule primauté de la loi sur les traités ; et cette primauté
n’est appliquée par le Conseil d’État et la Cour de Cassation non pas directement mais
précisément en raison de l’habilitation de l’article 55. b. Le fonctionnement confédéral
Le domaine de la coopération institutionnalisée couvre outre la politique étrangère et la
défense (le deuxième pilier de l’Union), la justice et la police (le troisième pilier). Cette
coopération est mise en œuvre par le Conseil. Elle a été développée par le Traité de
Maastricht.
- La politique étrangère et de sécurité commune (la PESDC) tout en restant une affaire
nationale doit faire l’objet d’une concertation au sein du Conseil sur la base des orientations
générales fixées par le Conseil européen. Votant à l’unanimité, le Conseil peut définir une
position commune qui impose aux Etats d’y conformer leur politique nationale et de prendre
chacun les mesures arrêtées ensuite par le Conseil à la majorité qualifiée. Lorsqu’une affaire
déterminée met en cause des « intérêts communs importants », le Conseil peut aller jusqu’à
décider une action commune. Cette action commune engage les Etats membres qui doivent
informer le Conseil des mesures qu’ils décident pour l’exécuter de façon à permettre une
concertation.
Le traité de Maastricht inclut à cette coopération l’ensemble des questions relatives à la
sécurité de l’Union, « y compris la définition à terme d’une politique de défense commune qui
pourrait conduire le moment venu à une défense commune » ; ce qui lève un tabou né de
l’échec de la CED. La création par le traité d’Amsterdam d’un Haut représentant pour la
PESDC a été un premier pas dans cette direction ainsi que la formation d’une « force de
réaction rapide » décidée au Conseil européen d’Helsinki de 1999. Enfin, le traité de
Maastricht considère l’UEO, seule véritable alliance ouest européenne comme le bras armé de
l’Union qui doit élaborer et mettre en œuvre les décisions de l’Union ayant des implications
dans le domaine de la défense.
Il reste que la division spectaculaire de l’Europe sur le soutien vis-à-vis de l’intervention
américaine en Irak (2002-2003) a démontré une fois de plus que la mise en place d’une
politique étrangère commune restait une utopie.
- La mise en place d’une coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures
(police) est la conséquence de la totale liberté de circulation des personnes dans la
Communauté. Elle témoigne aussi du refus de la majorité des Etats membres d’accepter la
communautarisation d’une matière aussi sensible. Sont concernés la politique d’asile, les
règles régissant le franchissement des frontières extérieures, la politique d’immigration, la
coopération douanière et policière… On opère selon les mêmes règles que pour la politique
étrangère : recherche de positions communes et mise en œuvre d’actions communes.
Cependant la Commission dispose d’un droit d’initiative concurremment à chacun des Etats et
peut participer aux négociations. La création d’un mandat d’arrêt européen qui a exigé une
révision de la Constitution en mars 2003 (article 88-2 alinéa 3) montre les difficultés de mise
en place de cette coopération.

D. La tentative d'instaurer une « Constitution » européenne et le nouveau "traité modificatif".

L'échec de la tentative d'instaurer une "constitution" européenne a débouché récemment sur la


mise en place d'un mini traité dont voici le contenu :

Voici les principaux points du traité modificatif qui devrait entrer en vigueur mi-2009.

Alors que la Constitution remplaçait tous les traités précédents, par souci de clarté, le nouveau
traité « modificatif » amendera les traités de Rome (1957) et le traité de l'Union européenne
(1992), comme l'avaient fait les traités d'Amsterdam (1996) et de Nice (2000).

- Système de vote : Les règles de vote actuelles, définies par le traité de Nice continueront à
s'appliquer jusqu'en 2014. La règle de la double majorité prévue par la Constitution entrera en
vigueur le 1er novembre 2014 : une décision sera adoptée si elle obtient le soutien de 55 %
des États membres représentant 65 % de la population de l'Union. Du 1er novembre 2014 au
31 mars 2017, un État membre pourra toujours demander l'application du système de Nice.
Jusqu'en 2017, le système de « Ioanina » s'applique. Il permet à un groupe d'État risquant
d'être mis en minorité de prolonger la discussion. Ce système est renforcé à partir de 2017. Le
champ d'application de la majorité qualifiée est étendu à une quarantaine de domaines,
principalement la coopération judiciaire pénale et policière. La Grande-Bretagne et l'Irlande
bénéficient d'un opting in dans les affaires de justice et de police : elles peuvent participer aux
politiques communes lorsqu'elles le souhaitent. L'unanimité demeure la règle pour la politique
étrangère, la fiscalité, la politique sociale, les ressources de l'UE ou la révision des traités.

- Terminologie, symboles Les symboles (drapeau, hymne, devise) ne figurent plus dans les
traités, même si ces derniers continueront à exister. Les expressions « loi » et « loi-cadre
européenne » sont abandonnées au profit de règlements, directives, décisions.

- Présidence Un président stable du Conseil européen sera élu par ses pairs pour deux ans et
demi, au lieu de l'actuelle rotation semestrielle par pays.

- Commission européenne La Commission européenne comptera, à partir de 2014, un nombre


de commissaires égal à deux tiers du nombre d'États membres. Les pays seront représentés sur
la base d'une « rotation égalitaire ».

- Diplomatie de l'UE Le titre de « ministre » des Affaires étrangères est supprimé. Il est
remplacé par celui de « haut-représentant pour la Politique étrangère et la Sécurité ». En 2009,
il sera aussi vice-président de la Commission. Il disposera d'un service diplomatique propre
(service pour l'action extérieure).

- Charte des droits La charte des droits fondamentaux ne sera plus reprise in extenso. Un
article y fera référence. Son caractère juridiquement contraignant est maintenu. Londres
bénéficie d'une dérogation à son application. La Pologne a obtenu la garantie que la charte «
ne porte atteinte en aucune manière au droit des États de légiférer dans le domaine de la
moralité publique, du droit de la famille, de la protection de la dignité humaine, de l'intégrité
humaine physique et morale ».

- Coopérations renforcées Elles sont facilitées et étendues aux domaines judiciaires et


policiers. La création d'un parquet européen devient possible.

- Contrôles des Parlements nationaux Les Parlements nationaux pourront demander à la


Commission européenne de réexaminer une proposition s'ils jugent qu'elle empiète trop sur
les compétences nationales. Si la Commission ne les suit pas, ils pourront demander aux États
membres de la bloquer.

- Énergie : La solidarité doit s'appliquer, si de graves difficultés d'approvisionnement


surviennent, notamment pour les produits énergétiques. Les traités garantiront la solidarité
énergétique entre États membres.

- Changement climatique : L'Union doit promouvoir au plan international des mesures


destinées à lutter contre les changements climatiques. Elle dispose d'une nouvelle base
juridique pour agir au niveau européen.
- Concurrence : La concurrence libre et non faussée disparaît des « objectifs de l'UE » tels que
définis par la Constitution. Un protocole a été ajouté précisant que le marché intérieur
nécessitait « un système où la concurrence n'est pas faussée ».

- Services publics : Un protocole souligne leur « rôle essentiel » et « la grande marge de


manoeuvre » des États membres dans « la fourniture, la mise en service et l'organisation » des
services publics.
ETOUR sur la défunte Constitution européenne :
Le Conseil européen réuni à Laeken en décembre 2001 avait chargé une « Convention sur
l’avenir de l’Europe » de proposer en juin 2003 une refonte des structures de l’Union, sous la
forme d’un « traité constitutionnel » qui doit, après approbation des gouvernements et des
Parlements nationaux, être soumis à référendum dans les Etats membres. La déclaration de
Laeken avait posé un certain nombre de questions : comment renforcer la capacité
d'impulsion de l'Union et donner à la fois un leadership et un visage à l'Europe ? Selon quelles
règles répartir les compétences entre l'Union et les Etats membres ? Comment simplifier et
rendre compréhensible l'Europe auprès des citoyens ? Par quels moyens rapprocher l'Europe
des peuples et améliorer son fonctionnement démocratique ? Un projet de Constitution a été
présenté au Conseil européen de Thessalonique en juin 2003 ; il devait être ensuite examiné
par une Conférence intergouvernementale. La Conférence intergouvernementale s'est ouverte
à Rome le 4 octobre 2003 dans un climat d'incertitude, parfois de défiance, marqué par
l'opposition de deux pays, l'Espagne et la Pologne, au compromis institutionnel que proposait
la Convention. L'échec du Conseil européen du 13 décembre 2003 allait plonger l'Union dans
le doute. Finalement le 18 juin 2004, un accord a été trouvé entre les chefs d’Etat et de
gouvernements.
La victoire du non lors des réferendums en France et aux Pays-Bas a compromis l'avenir de la
Constitution européeenne.
Voir : Le projet de Constitution européenne et le rapport d’information de l’Assemblée
nationale
a) Les apports de la « Constitution » européenne
1. Architecture institutionnelle
- Une présidence stable du Conseil européen (article I-21)
Suppression de la présidence semestrielle du Conseil européen et remplacement par un
Président stable élu pour un mandat de deux ans et demi renouvelable une fois. Le Président
du Conseil européen sera un président à temps plein, en raison de l'interdiction d'un cumul
avec un mandat national.
- La désignation du Président de la Commission (article I-26).
Alors que le traité actuel prévoit qu'il est désigné par le Conseil européen puis soumis à
l'approbation du Parlement européen, la Constitution énonce désormais que la proposition du
Conseil européen, statuant à la majorité qualifiée, doit tenir compte des élections au Parlement
européen. Le candidat proposé par le Conseil européen - après qu'il ait été procédé aux
consultations appropriées, c'est-à-dire avec le Parlement européen - doit être élu par le
Parlement européen à la majorité des membres qui le composent. Si tel n'est pas le cas, le
Conseil européen, statuant à la majorité qualifiée, propose dans le délai d'un mois un nouveau
candidat qui devra être élu par le Parlement européen selon la même procédure.
- Le ministre européen des affaires étrangères (article I-27)
La Constitution créée un ministre des affaires étrangères de l'Union à « double casquette »,
réunissant les fonctions de Haut représentant et de Commissaire chargé des relations
extérieures qu'il devra exercer selon les procédures propres à chaque domaine.
Le ministre des affaires étrangères de l'Union est nommé et révoqué par le Conseil européen
statuant à la majorité qualifiée, avec l'accord du Président de la Commission. Il est soumis,
avec le reste du collège des commissaires, à un vote d'approbation par le Parlement européen,
qui peut le démettre des fonctions exercées au sein de la Commission en adoptant une motion
de censure contre ce même collège. Il doit également démissionner si le Président de la
Commission le propose, et si le Conseil européen, d'un commun accord avec le Président de
la Commission, le décide.
Le ministre des affaires étrangères préside le Conseil des affaires étrangères de l'Union. Il a
pour missions de conduire la politique étrangère et de sécurité commune, de contribuer à son
élaboration et de l'exécuter en tant que mandataire du Conseil ; il agit de même en ce qui
concerne la politique de sécurité et de défense.
La Constitution invite le ministre des affaires étrangères à rechercher les consensus. En effet,
si un membre du Conseil déclare que, pour des raisons de politique nationale vitales et qu'il
expose, il a l'intention de s'opposer à l'adoption d'une décision européenne devant être adoptée
à la majorité qualifiée, il n'est pas procédé au vote. Le ministre des Affaires étrangères de
l'Union doit alors rechercher, en étroite consultation avec l'Etat membre concerné, une
solution acceptable pour celui-ci.
2. La personnalité juridique de l’Union (article I-6)
Si la Communauté européenne bénéficie actuellement de la personnalité juridique (article 281
TCE), les dispositions des traités restent ambiguës quant à la personnalité juridique de
l'Union. La Constitution reconnaît donc explicitement cette personnalité juridique. Il s'agit
cependant d'une confirmation plus que d'un véritable changement, l'Union européenne s'étant
déjà vu reconnaître le pouvoir de conclure des accords internationaux avec des pays tiers (tels
ceux conclus entre l'Union et les Etats-Unis, le 25 juin 2003, en matière d'extradition et
d'entraide judiciaire).
Ainsi, la simplification des traités peut se faire à travers la fusion dans un texte unique et une
personnalité morale unique - l'Union - que réalise la Constitution. En conséquence, les trois «
piliers » sont supprimés, et il ne demeure plus que l'Union avec des procédures de décision
différenciées selon les domaines d'action.

3. La répartition des compétences


La clarification de la répartition des compétences était un point central du mandat de la
Convention, et figurait parmi les quatre questions posées par la Déclaration sur l'avenir de
l'Union, annexée au traité de Nice. La Déclaration de Laeken, adoptée en décembre 2001,
dégageait également un certain nombre de pistes de réflexion vers une clarification du
système actuel.
• La classification des compétences (article I-11)
La Conférence intergouvernementale n'est pas revenue sur la classification des compétences
envisagée dans le projet élaboré par la Convention, et la Constitution reprend le principe selon
lequel « toute compétence non attribuée à l'Union dans la Constitution appartient aux Etats
membres ». Dans le respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité, la
Constitution présente désormais une liste des compétences organisées selon trois catégories :
- les compétences exclusives (article I-12) ;
- les compétences partagées (article I-13) ;
- les actions d'appui, de coordination ou de complément (article I-16).
A côté des compétences de l'Union relevant de ces trois catégories, la Constitution traite à
part, et sans changement sur le fond (en termes de compétences), par rapport aux traités
actuels, les compétences de coordination de l'Union en matière économique (en ajoutant
toutefois explicitement les politiques de l'emploi), et les compétences de l'Union dans le
domaine de la politique étrangère et de la défense.
Par ailleurs, la Constitution officialise la « méthode ouverte de coordination », en particulier
dans le domaine social, de la recherche, de la santé publique et de l'industrie.
• La clause de flexibilité (article I-17)
La Constitution maintient la clause de flexibilité qui, sous sa forme actuelle (article 308 TCE)
autorise une action de la Communauté alors même que le traité n'a pas prévu les pouvoirs
d'action requis, dès lors que cette action « apparaît nécessaire pour réaliser, dans le
fonctionnement du marché commun, l'un des objets de la Communauté ».
La Constitution propose une formulation plus large, qui ne fait plus référence au
fonctionnement du marché intérieur et ne s'applique plus seulement aux questions relevant du
« pilier » communautaire.
Les nouvelles dispositions de l'article I-17 de la Constitution s'appliquent ainsi à l'ensemble
des objectifs et des politiques de l'Union. En revanche, la Constitution rend plus contraignante
la procédure de recours à cette flexibilité en la soumettant à l'information préalable des
Parlements nationaux et à l'approbation (et non plus l'avis) du Parlement européen.
• L'instauration d'un mécanisme de contrôle du respect du principe de subsidiarité.
Afin de contrôler que l'Union n'intervienne pas dans des domaines où elle n'est pas
compétente, un protocole annexé à la Constitution prévoit un mécanisme de contrôle du
respect du principe de subsidiarité, confié aux Parlements nationaux. Il s'agit d'un contrôle
politique ex ante qui peut se doubler d'un contrôle juridictionnel ex post.
La Commission européenne sera désormais dans l'obligation de motiver systématiquement ses
propositions législatives au regard des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Chaque
Parlement national (et chaque chambre dans le cas des Parlements bicaméraux) pourra, dans
le délai de six semaines à compter de la réception de la proposition législative, émettre un avis
motivé contenant les raisons pour lesquelles la proposition en cause serait considérée comme
non conforme au principe de subsidiarité.
Un second contrôle, de nature juridictionnelle, est également possible, après l'entrée en
vigueur d'un acte européen. Les Parlements nationaux, par l'intermédiaire de leurs
gouvernements respectifs et le Comité des Régions - pour les actes pour lesquels la
Constitution prévoit sa consultation - auront la possibilité de saisir la Cour de justice de
l'Union européenne.

4. Une meilleure prise en compte du rôle des Parlements nationaux

5. La réduction du nombre d'instruments juridiques.


La Constitution ramène de quinze à six le nombre des instruments juridiques et instaure une
hiérarchie des normes en distinguant entre les actes législatifs, d'une part, et les actes
d'exécution, d'autre part.
- Les actes législatifs (article I-33) sont au nombre de deux : la loi européenne et la loi-cadre
européenne. Ils contiennent les éléments essentiels et opèrent les choix politiques
fondamentaux de l'Union.
- Les actes d'exécution (article I-36) sont le règlement et la décision. Ils sont utilisés pour la
mise en œuvre des actes législatifs et relèvent en règle générale de la compétence de la
Commission, et à titre exceptionnel, de celle du Conseil.
La Constitution prévoit également des instruments juridiques spécifiques dans certains
domaines tels que la PESC. La Constitution mentionne deux instruments juridiquement non
contraignants que sont la recommandation et l'avis.
Une nouvelle catégorie d'instruments est créée avec les « règlements européens délégués »
(article I-35) qui peuvent compléter ou modifier certains éléments non essentiels de la loi ou
de la loi-cadre européenne. Cette délégation législative s'accompagne toutefois d'un droit
d'évocation (« call back ») permettant au législateur de contrôler la mise en œuvre, par la
Commission, de ce pouvoir législatif délégué.
6. La confirmation d'un droit d'initiative populaire (article I-46 § 4)
La Constitution, conformément à ce qu'avait proposé la Convention, prévoit la possibilité
pour au moins au million de ressortissants d'un nombre significatif d'Etats membres, d'inviter
la Commission, dans le cadre de ses attributions, à soumettre une proposition d'acte juridique
sur un sujet particulier, sans pour autant qu'elle soit dans l'obligation juridique de le faire. La
Conférence intergouvernementale est venue préciser que la loi européenne qui définira la
procédure requise pour la présentation d'une telle initiative citoyenne, devra prévoir le nombre
minimum d'Etats membres dont les ressortissants qui la présentent devront provenir. Il s'agit
d'éviter que de telles initiatives soient détournées au profit de groupes d'intérêt nationaux
émanant d'Etats fortement peuplés et pour lesquels la réunion d'un million de signature
pourrait intervenir essentiellement dans le cadre national.
7. Le nouveau compromis institutionnel
Au sein de la Conférence intergouvernementale, les débats institutionnels se sont focalisés sur
deux questions majeures : la composition de la Commission européenne et la définition de la
règle de la majorité qualifiée.

• La composition de la Commission (article I-25)


Les négociations sur la composition de la Commission ont fait partie du « paquet final » de la
négociation au sein de la Conférence intergouvernementale. Alors que le projet initial de la
Convention prévoyait le passage à un collège resserré dès 2009 (quinze Commissaires
européens - y compris le Président et le ministre européen des Affaires étrangères - et des
commissaires sans droit de vote pour les Etats non représentés), une majorité de pays
membres souhaitait le maintien du principe d'un commissaire par Etat membre. Cette
exigence était notamment formulée par les nouveaux pays membres qui ont rejoint l'Union le
1er mai 2004. En effet, même si la Commission ne représente pas les Etats membres, chaque
pays entend être présent au sein du collège des commissaires afin de permettre la prise en
compte de positions nationales. Or dans une Europe qui sera bientôt composée d'une trentaine
d'Etats membres, une extension systématique de la taille du collège rendra la Commission
rapidement ingouvernable, au détriment de l'intérêt général européen ; la légitimité de la
Commission se trouverait également altérée.
L'accord finalement obtenu prévoit que la Commission comprendra un Commissaire par Etat
membre jusqu'en 2014 (ce qui correspond aux deux prochaines législatures du Parlement
européen). C'est davantage que ce que prévoit le traité de Nice puisque le protocole sur
l'élargissement de l'Union européenne énonce que « lorsque l'Union compte 27 Etats membres
(...) le nombre des membres de la Commission est inférieur au nombre d'Etats membres ». En
revanche, la Constitution européenne prévoit dès à présent qu'à partir de 2014, la composition
de la Commission correspondra aux deux tiers du nombre des Etats membres. Ainsi, dans une
Union à 27, la Commission sera composée de 18 membres ; cela signifie qu'un pays sera
représenté dans deux collèges sur trois, sur la base d'une rotation égalitaire. La Constitution
garantit donc le principe d'un collège resserré en contrepartie d'une entrée en vigueur des
nouvelles règles en 2014 et non en 2009, ce qui permet de clore définitivement cette
négociation.
Le nombre de membres de la Commission pourra toutefois être modifié sans qu'il soit
nécessaire de procéder à une révision de la Constitution, puisqu'il suffira d'une décision du
Conseil européen, statuant à l'unanimité.
• La définition de la majorité qualifiée (article I-24) au sein du Conseil des ministres et du
Conseil européen
Au cœur du clivage qui a opposé les « petits » aux « grands » pays, la définition de la majorité
qualifiée a bien failli faire échouer la négociation sur la Constitution européenne. L'Espagne
et la Pologne avaient déjà fait part, au sein de la Convention, de leur hostilité au principe
même de cette double majorité, qui leur est moins favorable que les dispositions sur la
pondération des voix prévues par le traité de Nice. Mais l'évolution de la position espagnole
consécutive au changement de gouvernement a finalement ouvert la voie à un compromis sur
cette question. La solution retenue par la Conférence intergouvernementale préserve
l'essentiel, à savoir cette double majorité qui combine une double légitimité sur laquelle
repose l'Union européenne en tant que « fédération d'Etats nations » : d'une part, la légitimité
des Etats, d'autre part, celle des peuples.

- Le relèvement des seuils


La proposition initiale de la Convention avait le mérite de la simplicité puisqu'une décision
était réputée adoptée dès lors qu'elle réunissait une majorité de 50 % des Etats représentant 60
% de la population.
L'objectif était ainsi de favoriser les coalitions gagnantes bien davantage que les minorités de
blocage. En effet, de 2 % avec le mécanisme de pondération des voix du traité de Nice, le
nombre de coalitions gagnantes atteignait près de 22 % avec le système proposé par la
Convention (dans l'hypothèse d'une Union à 27 membres). Or l'Espagne et la Pologne
principalement, mais aussi certains pays moins peuplés, ont estimé que la double majorité
donnait un poids trop important aux Etats les plus peuplés.
Dès lors que l'ensemble des délégations ont admis le principe même de la double majorité, les
négociations ont porté sur la modification des seuils proposés par la Convention. L'Espagne et
la Pologne demandaient le relèvement du seuil démographique tandis que les « petits » pays
entendaient veiller à ce que l'écart entre les deux seuils soit au moins maintenu afin de ne pas
réduire leur poids relatif. En conséquence, les chefs d'Etat et de gouvernement se sont
accordés sur une augmentation identique des deux seuils : de 50 % à 55 % pour le seuil du
nombre d'Etats membres, et de 60 % à 65 % pour le seuil démographique.
L'article I-24 ajoute une condition au seuil de 55 % en exigeant la réunion d'au moins quinze
Etats membres. On peut s'interroger sur la pertinence de cette disposition dans la mesure où le
mécanisme de double majorité n'est prévu pour entrer en vigueur qu'en 2009, date à laquelle
l'Union européenne comptera probablement 27 Etats membres avec l'adhésion de la Bulgarie
et de la Roumanie. Or à partir de 26 Etats membres, le seuil de 55 % correspondra
arithmétiquement à un minimum de quinze Etats membres. Cette condition supplémentaire
sera donc vraisemblablement caduque avant même son entrée en vigueur.
Il faut également préciser que les abstentions ne sont pas prises en compte pour atteindre une
majorité, qui se calcule sur la base du nombre des Etats membres et non des votes positifs.

- La définition d'une minorité de blocage


La Constitution prévoit qu'une minorité de blocage doit inclure au moins quatre membres du
Conseil, faute de quoi la majorité qualifiée est considérée comme atteinte. Cette disposition a
été ajoutée à la demande des « petits » pays afin d'éviter que trois Etats membres parmi les
plus peuplés, représentant plus de 35 % de la population, puissent empêcher une décision. Il
s'agit là d'une traduction juridique de la prise en compte de l'égalité des Etats, de sorte que le
critère démographique n'ait pas pour effet de neutraliser le critère des Etats.
Par dérogation à ce qui précède, la majorité qualifiée est fixée à 72 % des Etats (au lieu de 55
%) représentant toujours 65 % de la population dans tous les cas où la proposition n'émane
pas de la Commission ou du ministre des Affaires étrangères. Il s'agit notamment des
initiatives des Etats membres dans le domaine de la Justice et des Affaires intérieures, des
initiatives du Conseil en matière de PESC, des actes pris dans le cadre de la politique
économique et monétaire sur recommandation de la Commission ou de la BCE, des
propositions qui émanent du Parlement européen, de la suspension ou du retrait d'un Etat
membre, ou encore de diverses nominations.
- L'introduction d'un mécanisme de « Ioannina »
Est annexée à la Constitution un projet de décision qui sera adopté le jour de l'entrée en
vigueur de la Constitution. Ce texte instaure un système calqué sur le « compromis de
Ioannina » relatif à la mise en œuvre de l'article I-24 en prévoyant que si des membres du
Conseil représentant au moins 3ž4 de la population de l'Union ou au moins 3ž4 du nombre
des Etats membres nécessaires pour constituer une minorité de blocage, indiquent leur
opposition à l'adoption d'un acte par le Conseil à la majorité qualifiée, le Conseil doit débattre
de cette question afin de parvenir à une solution dans un délai raisonnable. Alors seulement, il
pourra être procédé au vote. Ce système s'appliquera à compter du 1er novembre 2009, et au
moins jusqu'en 2014. A partir de cette date seulement, le Conseil pourrait adopter une
décision l'abrogeant.

• Le Conseil de l'Union (articles I-22 et I-23)


La suppression du Conseil législatif (article I-23)
Dans un souci de simplification et de transparence, la Convention proposait de confier la
fonction législative à une formation unique du Conseil. Un consensus s'est pourtant
rapidement dégagé au sein de la Conférence intergouvernementale en faveur de la suppression
d'un tel Conseil législatif unique, et du maintien des différentes formations sectorielles.
En revanche, la Constitution prévoit que chaque session du Conseil est divisée en deux
parties, consacrées respectivement aux délibérations sur les actes législatifs de l'Union et aux
activités non législatives. Dès lors qu'il délibère et vote sur un projet d'acte législatif, le
Conseil siège en public. En vertu du Protocole sur le rôle des Parlements nationaux, ceux-ci
sont directement destinataires des ordres du jour et des procès verbaux de ces réunions.
La Constitution mentionne directement deux formations du Conseil :
- le Conseil des affaires générales, qui « assure la cohérence des travaux des différentes
formations du Conseil. Il prépare les réunions du Conseil européen et en assure le suivi en
liaison avec le Président du Conseil européen et la Commission » ;
- le Conseil des affaires étrangères, présidé par le ministre européen des affaires étrangères,
qui « élabore l'action extérieure de l'Union selon les lignes stratégiques fixées par le Conseil
européen et assure la cohérence de l'action de l'Union ».• Le régime juridique des
coopérations renforcées (articles I-43 et III-322 et suivants)
8.La politique de sécurité et de défense commune
Avec le Protocole sur la coopération structurée permanente, la Conférence
intergouvernementale est allée au-delà des ambitions initiales formulées par la Convention,
tout en ouvrant à l'ensemble des pays de l'Union la participation à tous les aspects de la
politique de sécurité et de défense commune.
B) Les limites de la « Constitution » européenne
- Malgré le terme de « Constitution » européenne qui peut faire penser qu’il s’agit là d’une
Constitution fédérale constitutive d’un ordre juridique parfaitement intégré à celui des Etats
membre, la Constitution européenne est bien un traité international ; elle a été voulue et écrite
par les Etats membres souverains. Il faut parler d’« un projet de traité établissant une
Constitution pour l’Europe ».
Sans doute, le traité a bien une fonction constitutionnelle au sens matériel puisqu’il organise
le statut d’institutions qui ont une allure étatique. Mais au sens formel la Constitution
européenne n’a pas le statut d’une norme suprême pour les Etats membres. La supériorité du
droit communautaire n’est pas directe ; elle nécessite le relais des Constitutions des Etats
membres et de leurs juridictions.
- L’Union ne change pas de nature ; ce n’est pas un Etat fédéral :
• Ainsi, il n’existe pas de véritable gouvernement économique et social pour l'Union. Ou
encore on a seulement un embryon d'une véritable politique de défense intégrée.
• Les relations entre les organes restent inégalitaires et inachevées, non conformes à l’idée de
séparation des pouvoirs : ainsi, le Parlement européen ne détient pas le pouvoir législatif ; son
pouvoir de censurer la Commission n'a pas pour contrepartie la possibilité d'une dissolution
du Parlement européen, d'un renvoi devant les électeurs en cas de blocage.
• La répartition des compétences reste floue.
Le droit constitutionnel fasciste

Le droit constitutionnel fasciste qui a permis la justification et l'organisation de régimes


politiques autoritaires a été appliqué essentiellement dans les années 30 et 40 en Europe,
(notamment à la suite de l'arrivée au pouvoir en 1922 de Mussolini -en Italie- et en 1933
d'Hitler -en Allemagne-). Dans ces deux pays, des réformes institutionnelles (ou parfois une
interprétation autoritaire du droit existant) ont permis l'instauration d'un droit constitutionnel
en rupture complète avec le droit constitutionnel classique. Ce droit constitutionnel fasciste a
eu une grande influence sur certains régimes d'Europe orientale (Hongrie, Bulgarie,
Roumanie...) avant la seconde guerre mondiale et d'Amérique Latine (Argentine, Brésil...)
après la seconde guerre mondiale. En Europe occidentale, cette influence se fera sentir sous le
régime de Vichy en France pendant la seconde guerre mondiale, et après sous les dictatures de
Franco en Espagne, de Salazar au Portugal et de Papadhopoulos en Grèce. L'étude de ce droit
se justifie aujourd'hui en raison des tentations de certains partis, régimes de renouer avec cette
conception. (Exemple, le MSI en Italie)
Les principes qui fondent ce droit sont les suivants :
- État idéologique
- Gouvernement dictatorial (d'un seul)
- Confusion des pouvoirs au profit du chef de l'Exécutif
- Rejet de la conception libérale et socialiste des libertés fondamentales.
Nous prendrons comme exemples surtout l'Italie sous Mussolini et la France sous Pétain.
Section 1 : État idéologique
C'est un État qui soumet tous les individus, toutes les autorités même les plus hautes à une
idéologie unique. Cette idéologie prime sur le droit ou se substitue à lui.
Les États fascistes (tout comme les États marxistes-léninistes) en tant qu'Etats idéologiques ne
tolèrent l'adhésion qu'à une seule idéologie de type autoritaire. Ce monopole idéologique se
déduit avant tout de l'idée de souveraineté de l'État promue par les Etats fascistes : une
souveraineté incarnée par un guide, un chef qui se veut l'idéologue de l'Etat.

§1. La souveraineté de l'Etat :


Mussolini dans la Grande Encyclopédie italienne déclare que l'essence du fascisme est d'être
une doctrine de vie intégrale dans laquelle « l'État constitue un absolu auquel l'homme
naturellement croit ». En conséquence, ce n'est pas la Nation ou le Peuple qui importe. La
Nation ou le Peuple ne sont pas le phénomène premier ou encore souverains. C'est au
contraire l'État qui à travers, son Chef donne au Peuple, une volonté et donc une existence
effective (et non l'inverse).
Par exemple, l'article 1 de la Charte du travail fasciste déclare que la Nation, unité morale,
politique et économique "se réalise dans l'État". Elle n'existe pas en dehors et sans l'État. Cette
souveraineté de l'État implique que le Chef de l'État en raison de ses qualités propres et son
parti (parti d'État, Staatspartei) a le monopole du pouvoir mais aussi de l'opinion. Il existe une
opinion unique, transcendante exprimée par le Chef et le parti qui le représente.

§2. Les conséquences :


A La diversité des opinions ou des tendances est refusée car elle se fonde sur une équivalence
ou une égalité des opinions qui n'existe pas et parce qu'elle risque d'engendrer la crise de
l'État, son affaiblissement mortel.
L'explication commune aux penseurs fascistes est la suivante :
- Dans les sociétés démocratiques, on met sur le même plan au nom d'un principe libéral
toutes les opinions en leur permettant d'entrer en compétition librement ; or toutes les
opinions ne se valent pas. Une hiérarchie entre elles doit donc être instaurée ; l'opinion
suprême, seule valable sera exprimée par le parti d'Etat. Difficulté : quelle garantie existe-t-il
pour que le Parti Etat dégage l'opinion juste, à supposer qu'elle existe ?
- Dans les sociétés démocratiques, on permet à tous les partis ou tendances d'arriver au
pouvoir. Or ces partis ou tendances n'expriment pas une conception déterminée de l'État,
favorable à ses intérêts mais plutôt des exigences nées d'intérêts particuliers. Ainsi lorsqu'un
parti l'emporte et s'empare de l'État, ce dernier se trouve livré à un pouvoir qui lui est étranger
et finit par être menacé. Lorsqu'un parti ne peut dominer les autres et doit s'allier à eux au sein
de coalitions, chaque ministre est le porte-parole non du bien de l'État mais du bien de son
parti. Il y a donc risque de division et d'anarchie à terme. Difficulté : comment un parti peut-il
prétendre seul incarner l'intérêt de l'Etat à la différence des autres ?
B Les opinions opposées à l'opinion unique fasciste ne peuvent plus s'exprimer et ne peuvent
avoir de publicité ou de représentation partisane. Elles sont considérées comme criminelles
car meurtrières pour l'État. Par contre l'opinion unique représentée par le parti unique devient
officielle ; le parti unique est un parti officiel, organe même de l'État participant à son
administration et à son Gouvernement.

C Le principe de majorité qui veut qu'en démocratie, le parti majoritaire à la suite d'une
élection libre soit appelé à gouverner est supprimé. Le parti fasciste en Italie lors des élections
de 1924 est devenu le parti majoritaire mais ce n'est qu'une justification subsidiaire de son
pouvoir.
(Cf. la déclaration de son secrétaire général : "Quand bien même 12 millions de oui se
transformeraient en 24 millions de non, Mussolini demeurait au Palazzo Venezia et la
révolution des chemises noires poursuivrait sa route... Si 24 millions de non étaient déposés
dans les urnes, cela voudrait dire que la masse des électeurs a été saisie d'une folie collective,
que toute l'Italie n'est plus qu'un asile d'aliénés. Raison de plus pour que les sages demeurent à
leur poste...").

On aboutit donc à un État idéologique dans lequel l'idéologie prime sur le droit ou se substitue
à lui. L'État fasciste n'a même pas besoin de Constitution ou de Déclaration des droits
fondamentaux. L'idéologie telle qu'elle s'exprime dans la bouche du chef de l'État et appliquée
par tous est censée garantir, préserver mieux que le droit, l'intérêt de l'État et de ses membres.
Il peut existerà la rigueur un droit constitutionnel fasciste qui ne ferait que traduire, rendre
efficace la pensée du chef de l'État (qui a le pouvoir constituant).
Cela explique que l'Italie fasciste comme l'Allemagne nazie n'a pas eu de véritable
Constitution, seulement quelques lois à portée constitutionnelle - 3 ans après l'arrivée au
pouvoir de Mussolini ; le régime de Vichy non plus n'a pas édicté et fait ratifier une
Constitution comme le prévoyait pourtant la loi du 10 juillet1940.
Section 2 : gouvernement dictatorial (ou d'un seul).
Définition : gouvernement exercé directement et entièrement par le souverain identifié à un
chef qui commande en raison de ses qualités ou vertus propres. La nation ou le peuple n'ont
pas vocation à gouverner même de façon indirecte à travers des représentants. A la rigueur, ils
s'exprimeront pour affirmer leur confiance envers le dictateur (principe du plébiscite).

§1 le rejet du gouvernement direct ou indirect par le peuple ou la Nation :


Le peuple n'a pas vocation à gouverner même à travers des intermédiaires car il n'est pas
souverain ; au sens où il n'a pas le droit de commander.
Lui donner ce droit directement serait de toute façon impraticable en raisons de difficultés de
réalisation concrètes. Accepter que des intermédiaires agissent en son nom et sous son
contrôle reviendrait à accepter le principe d'élection ou encore l'égalité des votes. Or, comme
nous l'avons vu, dans la pensée fasciste, la communauté nationale n'est pas composée
d'atomes, d'individus identiques ; elle est composée d'individus et de collectivités dont les
intérêts varient, divergent et dont les compétences sont inégales. On ne peut donc espérer en
additionnant toutes ces volontés dégager les principes qui doivent diriger la vie de l'État. Le
droit de commander doit donc appartenir à une élite d'où émanera le Chef parce que cette élite
en raison de son instruction, de son désintéressement sera capable de comprendre l'intérêt
véritable de tous et donc de l'État.

§2 le rejet du gouvernement représentatif :


Le peuple ou la Nation n'étant pas souverains, ils n'ont pas vocation à être représentés. La
seule représentation qui existera sera celle de l'État. Or c'est naturellement au Chef de l'État
qu'il advient de représenter, d'incarner l'État. Juste derrière le chef de l'État, l'organe le plus
représentatif sera le pouvoir exécutif. Pourquoi ?
Mussolini dans un de ses discours répond de la manière suivante : "parce que le pouvoir
exécutif est le pouvoir le plus présent et opérant dans la vie nationale ; c'est lui qui à chaque
instant se trouve placé devant le problème qu'il doit résoudre, qui décrète les actes les plus
importants qui puissent se manifester dans la vie d'un peuple, qui déclare la guerre, qui
conclut la paix". Le privilège donné au Parlement considéré comme l’organe le plus légitime
dans les régimes de représentation démocratique n'a donc plus lieu d'être.
Conséquences au plan juridique :
- Refus du suffrage universel : certaines catégories de la population n'ont pas le droit de vote
ou sont considérées comme inéligibles car on considère qu'elles n'ont pas un loyalisme
suffisant envers l'État. Elles peuvent être exclues de la fonction publique. Le cas le plus
dérogatoire au droit constitutionnel classique (et le plus dérogatoire à la morale républicaine)
est le cas des personnes dites de "race juive". Ainsi, le Gouvernement de Vichy en 1940 a
élaboré un statut des Juifs qui se voyaient interdire l'accès à certaines professions dont les
fonctions publiques. Le régime fasciste en avait fait de même dès 1938. En 1942, Mussolini
est allé jusqu’à proclamer que les juifs italiens devaient être considérés comme des étrangers
et des ennemis.
- Refus d'une représentation parlementaire : les chambres élues au suffrage universel sont
supprimées ou ne sont plus jamais réunies. A la représentation parlementaire classique, on
substitue une représentation corporative. La première représentation est considérée comme
« quantitative », saisissant un homme isolé de sa famille, de sa région, de son métier ; la
seconde serait « qualitative » puisqu'elle s'attache à la représentation concrète des représentés.
Ainsi, les familles, les professions, les entreprises, les collectivités locales seront prises en
compte. Cependant, cette représentation n'est pas libre. Ainsi en Italie les associations,
syndicats censées regrouper les travailleurs les intègrent souvent de force et sont dominés par
le parti fasciste. La loi électorale de 1928 prévoit que les corporations fascistes pourront
seules présenter des listes de candidats parmi lesquels le Grand Conseil fasciste (organisme
suprême du parti fasciste) en choisit un certain nombre qui seront désignés comme députés.
Section 3 : confusion des pouvoirs au profit du chef de l'Etat ou de gouvernement
Le principe de séparation des pouvoirs est refusé : la règle selon laquelle on remettait à des
organes distincts l'exercice de fonctions étatiques elles-mêmes distinctes est rejetée. Il s'ensuit
que des fonctions que l'on avait coutume de distinguer sont remplies par un même organe. En
conséquence, on ne peut plus différencier les organes par le genre de fonction qui leur est
confié. Ainsi, le Chef de l'État ou du gouvernement n'est plus un élément du pouvoir exécutif
ou du pouvoir législatif ; il devient l'organe suprême participant de toutes les fonctions de
l'État.
Cas du régime de Vichy influencé par l’idéologie fasciste :
- Le Chef de l'État est l'organe essentiel ; son titulaire s'est investi lui-même de sa fonction et
a prévu qui lui succédera. Il détient la plénitude du pouvoir gouvernemental (même si en
Avril 1942, il en déléguera l'exercice au chef du Gouvernement). Il exerce le pouvoir législatif
après avoir seulement entendu le Conseil des ministres (qui d'ailleurs a été nommé par lui et
est responsable devant lui). Il dispose de la force armée et nomme aux emplois civils et
militaires. Son titulaire, le Maréchal possède personnellement le pouvoir constituant.
- Le Parlement se voit substituer un Conseil National institué en 1941 dont les membres sont
nommés par le Chef de l'État. Il n'a qu'un rôle consultatif examinant l'opportunité des mesures
sur lesquelles il est consulté. Une représentation corporative annoncée n'a jamais vu le jour.
- Le Chef de l'État a des pouvoirs de justice. Ainsi, les hauts fonctionnaires peuvent être
condamnés par le chef de l'État à des amendes, réparations civiles et internés.

Section 4 : le rejet de la conception libérale et socialiste des libertés fondamentales :


§1 les droits individuels :
La conception libérale des droits individuels est rejetée car elle serait abstraite, irréaliste :
- L'homme auquel fait référence la DDHC de 1789 n'existe pas. C'est une abstraction. Seuls
existent des individus déterminés par leur milieu familial, social, leur origine culturelle,
raciale... En conséquence, les droits fondamentaux dans la conception fasciste seront octroyés
à des individus situés et concrets en fonction de différents critères (nationalité, race...). On
préférera parler des « droits des Français » par exemple.
- L'homme auquel fait référence la DDHC est considéré comme un atome interchangeable,
identique à tous les autres ; ce qui explique qu’on les traite de la même manière. Or, selon la
pensée fasciste, les hommes sont différents donc inégaux. Le droit ne saurait les rendre égaux.
En conséquence, les droits seront donnés en fonction de l’aptitude ou des mérites supposés de
certains groupes humains. Des critères pseudo scientifiques (notamment celui de race) sont
invoqués pour discriminer entre les êtres humains et refuser à certains des droits
fondamentaux.
La conception libérale des droits individuels est refusée au motif qu'elle serait subjectiviste :
- Les droits de l'homme de 1789 sont censés appartenir aux individus, porteurs de droits
indépendamment de l’existence ou de l'action de l'Etat. Cette conception est refusée dans les
Etats fascistes au motif que les hommes n'auraient des droits que par l'Etat, au travers de lui.
Etat et juridicité s'identifient. Il n'y a que du droit « objectif ».
En conséquence, les hommes n'ont aucun droit en tant qu'hommes et ne sauraient vouloir
exercer des droits par eux-mêmes.
- Les droits de 1789 sont censés être exercés par les individus seuls et dans leurs intérêt
propre. Or ce qui importe avant tout dans un Etat fasciste, c'est l'intérêt collectif, celui de
l'Etat.
En conséquence, les droits fondamentaux dans l'Etat fasciste seront finalisés. Ils ne pourront
être exercés que dans l’intérêt de l'Etat.

Nota : la conception des libertés selon Vichy


Selon Vichy comme pour la doctrine fasciste, il 'est pas question d'accepter la conception
libérale des droits fondamentaux car cette conception est trop abstraite : elle envisagerait
l'individu comme un être isolé, existant par lui-même, revendiquant des droits principalement
en sa qualité d'homme. Au contraire selon Vichy, l'individu n'existe que par la famille, la
société, la patrie dont il reçoit les moyens de vivre et de se développer. C'est un être socialisé
et concret. En conséquence, il n'aura de droits qu'à la mesure du service qu'il peut rendre aux
communautés dont il dépend. Cela exclut q'on donne à chacun un droit à la liberté ; cela
implique que la loi doit tenir compte de l'inégale capacité, de la diversité des hommes. La loi
doit être non pas égalitaire mais hiérarchique.
Conséquences en droit positif :
- Les droits sont donnés non pas aux hommes en général mais aux Français ; cela à condition
qu'ils aient une attitude positive vis-à-vis de la communauté. Dans le cas contraire, ils peuvent
être déchus de leur nationalité.
Exemple : loi du 16 juillet 1940 qui permet de revenir sur l'acquisition de la nationalité
française par un étranger. Loi du 10 septembre 1940 qui s'applique aux « Français d'origine»
qui peuvent perdre leur nationalité en trahissant les devoirs qui leur incombent en tant que
membres de la communauté nationale. En échange, les Français bénéficieront de droits
auxquels les étrangers ne peuvent prétendre : jouissance des droits politiques, l'exercice de
certaines professions leur est exclusivement réservé (médecine, pharmacie ...).
- Les droits sont donnés en fonction d'un critère ethnique ou racial à partit du présupposé
(préjugé ?) que certaines races ou ethnies sont inassimilables (Cf. le statut des juifs de
1940/41).

§2 les droits sociaux et économiques :


Les Etats fascistes au début de leur existence ont repris des thèmes et des modes
d'organisation inspirés de l'idéologie marxiste. Ils ont donc prétendu garantir et approfondir
les droits sociaux et économiques proclamés notamment en URSS. Une double limitation
intervient cependant dans leur application :
- Ces droits sont donnés là encore en fonction de certains critères ou finalités propres à l'Etat
fasciste (protection de la race, de la famille...)
- Ces droits ne sont effectifs que si leurs destinataires provoquent l'intervention du Parti Etat
ou de son chef.
Chapitre 3 : le droit constitutionnel théocratique
Le droit constitutionnel théocratique dont la source se veut exclusivement religieuse est lui
aussi fondé sur des principes qui s'opposent à ceux du droit constitutionnel classique
occidental (XVIIIe siècle). Nous prendrons pour exemple celui qui est issu de l'Islam parce
qu'il est le plus vivace, connaît une application dans certains Etats. Ainsi, on a assité à la
tentative de fondation d'États dits islamistes dans de nombreux pays (cf. l'Afghanistan des
Talibans, l'Iran, le Pakistan, le Soudan). Cependant, il existe des mouvements intégristes issus
d'autres religions (le catholicisme en Irlande, le judaïsme en Israël avec les partis religieux)
qui revendiquent aussi la création d'un État théocratique.
Concernant l'Islam, il faut préciser que, schématiquement deux conceptions du droit
constitutionnel répandues dans les pays musulmans s'affrontent aujourd'hui :
- l'une " modérée " appliquée dans la majorité des pays musulmans notamment au Maghreb
(Maroc, Tunisie...) et au Machrek (Égypte). Selon les partisans de cette conception, il
existerait une compatibilité entre l'Islam et le droit constitutionnel occidental classique. Il est
tout à fait possible d'importer des institutions et techniques juridiques occidentales à condition
de séparer Religion et Politique. Cela sans heurter la Religion musulmane. En effet, le Coran
ne parlerait pas d'Etat, d'Etat islamique, etc. ; il serait une affaire de cœur, de conscience avant
tout. La séparation Religion-Politique n'excluerait pas cependant que le législateur s'inspire de
la religion musulmane et donc que le Coran devienne une source de droit parmi d'autres.
- l'autre " radicale " appliquée avec des nuances importantes dans une minorité de pays
musulmans comme l'Iran, le Soudan, le Pakistan et revendiquée par une partie de l'opposition
religieuse en Algérie, Égypte, Turquie (Cf. le parti de la prospérité de Neematin Erbakan
dissout par la Cour Constitutionnelle turque en 1998), etc. Selon les partisans de cette
conception, le droit constitutionnel occidental est en partie incompatible avec l'Islam qui
fournirait un modèle de gouvernement original, des normes juridiques propres pouvant
conduire à la création d'États théocratiques dits " islamistes ". Cette conception se réfère à un
islamisme fondamentaliste ou intégriste né dans les années 30, propagé par des organisations
comme les " Frères musulmans " en Égypte (cf. Hassan al-Banna) et " les Dévoués de l'Islam
" en Iran ; deux mouvements qui ont été sévèrement réprimés, l'un par Nasser en 1954 et
l'autre par le Chah d'Iran en 1956. Ce qui est sans doute une des causes de la radicalisation (et
notamment du recours à la violence) de certains courants islamistes.
À partir de l'exemple de l'Iran, des États du Golfe, nous allons étudier les principes suivants
déduits de la seconde conception :
1 État théocratique
2 Représentation non démocratique
3 Confusion des pouvoirs au profit d'un guide religieux
4 Rejet de la notion occidentale de libertés publiques.
Il est évident que ces principes sont appliqués avec plus ou moins de rigueur selon les Etats
(Cf. Le statut de la femme n'est pas le même en Iran et en Arabie Saoudite). À chaque fois,
nous essaierons de fournir les contre arguments des partisans de la conception modérée.
Section 1 État théocratique
§1 Définition
C'est un État dans lequel existe un gouvernement de Dieu ou de son Eglise. Toutes les
personnes, même publiques ou étatiques sont soumises à une seule religion comme religion
d'État. Cette religion légitime le pouvoir politique (voire le choix de son titulaire) et est
considérée comme la source unique de tout le droit.
§2 l'application dans les Etats islamistes
Les États islamiques avec plus ou moins de rigueur se veulent des Etats théocratiques. Ce qui
se traduit par l'existence d'une souveraineté de droit divin et d'un droit dont la source
exclusive serait religieuse.
A) la souveraineté est de droit divin
Tout le pouvoir vient de Dieu. En théorie, il n'y a pas d'autre autorité qu'Allah qui ne saurait la
déléguer.
B) le droit aussi vient de Dieu
a) Il doit trouver sa source :
- dans le Coran ou révélation divine faite au prophète Mahomet (le Coran constitué de versets
regroupés en chapitres ou sourates révélés au prophète à Médine et à La Mecque)
- à défaut dans la Sunna, ou "coutume ancestrale" - c'est-à-dire les récits des faits et gestes du
Prophète recueillis par ses Compagnons et interprétés par les ulémas (docteurs considérés
comme "les héritiers du prophète" produisant une interprétation juste du Coran). On appelle
hadîth, les récits relatifs au comportement de Mahomet (ou parfois de ses compagnons)
transmis par les témoins directs et indirects. Ils sont extrêmement nombreux, s'élevant à
plusieurs centaines de mille et plus ou moins fiables. Ensemble le Coran et la Sunna
constituent l'essence de la Charî'ah ou Loi révélée.
b) C'est une source exclusive
Insistons sur ce point : le droit (Mu'âmalât) selon les islamistes serait littéralement ou
intégralement contenu dans le livre de Dieu (c'est pourquoi on parle d'intégrisme). On doit y
trouver directement toutes les normes nécessaires de droit civil, pénal, constitutionnel ;
normes qui suffisent à organiser la vie d'un Etat islamiste et celle des individus.
Exemple : le cas de l'Arabie Saoudite.
- la charî'a est appliquée directement sans l'intermédiaire d'une codification, d'une mise en
forme ou adaptation par la loi ordinaire ou la Constitution.
- la Constitution saoudienne n'a pas le statut d'une Constitution à l'occidentale : elle n'a pas
d'autonomie par rapport au droit divin. D'ailleurs son article 1 prévoit que le Coran et la
Sunna sont la " Constitution [substantielle] " de l'Arabie Saoudite.
De la même façon, les Talibans demandent la stricte application de la charî'a dans le
traitement notamment des affaires de l'Etat même sur un plan international. Selon eux, la
charî'a semble pouvoir tout résoudre.
§3 : le refus des Etats musulmans modérés
Les États musulmans modérés refusent l'idée de théocratie. D'où une triple absence :
A Absence de souveraineté de droit divin
La souveraineté dans ces Etats est démocratique : elle appartient à la Nation (Maroc article
1er) ou au peuple.
B Absence de Religion d'Etat
Il est vrai que l'Islam est souvent reconnu comme religion d'État (Algérie, art.2, Maroc, art.6,
Tunisie, art.1.), Mais cette disposition signifie seulement que l'Islam peut inspirer (et cela
parfois de manière symbolique) le droit dans certaines de ses branches. Pour justification, les
partisans de la conception modérée font remarquer que la notion de Religion d'Etat ou de
théocratie est absente de la charî'a ou de la tradition musulmane.
Dès lors, rien n'oblige l'État à l'appliquer un droit exclusivement islamique.
C Absence d'un droit exclusivement islamique
Aucun de ces pays n'applique un droit strictement islamique. D'abord, parce que des domaines
entiers sont gérés par le droit occidental (notamment la sphère publique), ensuite parce que le
droit islamique, lorsqu'il est appliqué a été interprété, adapté (Cf. le législateur tunisien) ou
modifié (cf. le législateur turc qui a interdit la polygamie). Les partisans de la conception
modérée justifient cette position par les arguments suivants :
a) l'impossibilité d'utiliser directement la chari'a
Si on veut appliquer à la lettre la loi religieuse, on est obligé de faire comme si son sens était
évident ou ne devait pas faire l'objet de raisonnements, de constructions doctrinales. On
oublie ou on refoule le moment de l'interprétation. Tout cela parce qu'on a affaire à un texte
d'origine divine. Cette fiction a plusieurs conséquences :
- En voulant appliquer littéralement la charî'a, on aboutit en fait à privilégier sans le dire
certaines interprétations doctrinales, parfois anciennes ou dépassées qui ne tiennent pas
compte de l'esprit du Coran ou de l'évolution des sociétés musulmanes.
- En voulant appliquer à la lettre la charî'a sans dire quelle position on a choisie, non
seulement on privilégie une interprétation, mais on renforce aussi le rôle des prédicateurs et
des militants. Ces derniers considérés comme des spécialistes de l'application de la loi,
deviennent des guides, des autorités auto-habilitées à faire avancer la société vers le
gouvernement de Dieu qui est en fait leur gouvernement. Par exemple, en Iran en 1979, les
experts du droit musulman prétendront rédiger seuls une Constitution iranienne qui leur
donnera des pouvoirs exorbitants.
b) les lacunes de la charî'a
La loi divine ne pourrait fournir des normes juridiques que dans le domaine du droit privé ;
elle serait presque muette dans le domaine du droit public. Ainsi, le Coran et les Hadith ne
fixent des règles précises que pour ce qui concerne le mariage, le divorce, la protection de
l'enfance etc., soit le statut personnel. Il faut ajouter quelques règles fondamentales comme
l'interdiction de l'usure (ribä) ou l'obligation de l'aumône légale (zakät). Voilà pourquoi un
droit public (notamment constitutionnel) spécifiquement ou intégralement musulman serait
une utopie.
Si on veut absolument tirer des normes de droit public de la charî'a, on est amené à faire des
extrapolations et l'on travestit le sens des mots du Coran. (Cf. l'exemple des principes
d'exégèse du Coran des Mojâhedines du peuple en Iran (organisation révolutionnaire
islamiste), la " communauté des croyants " devient une " société dynamique en mouvement
dialectique vers la perfection ", le monothéisme devient " égalitarisme ", la jehäd une guerre
de libération, le combattant sacré (mojâhed) un guérillero) .
Nota : la loi religieuse devient idéologie au sens où l'on essaye de tirer d'elle des normes
morales mais aussi politiques et juridiques, valables dans les domaines de la vie privée et
publique, capables de tout régir. Les recueils contemporains de fatwâ (consultations
juridiques) illustrent cela à la perfection. On y traite à la demande des fidèles les questions
suivantes : est-il licite de vendre des appareils de radio et de télévision, quid du Coca-Cola et
du Pepsi-Cola ? etc. Le sermon devient un média idéologique : le prédicateur ne prononce pas
seulement des discours édifiants, mais donne aussi des ordres, prend des décisions, émet un
avis sur des affaires politiques et en général sur des affaires intéressant la communauté.
On aboutit à une politisation très forte de la religion.
Section 2 : représentation non démocratique
§1 le rejet de la représentation démocratique occidentale par les Etats islamistes
A) La justification
Un État ou République islamique rejette le principe de représentation démocratique parce que
ce principe présuppose que la loi est le produit de la volonté des représentants du peuple ou de
la Nation. Or, la loi ou les règlements ne peuvent être selon la conception radicale que
l'explicitation du droit coranique. C'est Dieu qui est législateur et non les hommes. Le pouvoir
législatif proprement dit a été exercé une fois pour toutes par le prophète, ou plutôt par Dieu
parlant par la bouche de son Envoyé. Cela n'a donc pas de sens d'élire ou de désigner des
députés pour légiférer au sein d'un Parlement.
B) Les exceptions
Il faut noter qu'en pratique les États islamiques ont été amenés à faire certains compromis. Il
en est ainsi du Koweït qui a permis la désignation d'une Chambre législative élue par un corps
électoral très étroit (15 % des personnes vivant au Koweït ; les femmes n'ayant pas le droit de
vote). Les dernières élections législatives ont eu lieu en octobre 1996. Il en est aussi de l'Iran
qui a mis en place une Chambre des députés qui peut théoriquement légiférer librement au
nom de la Nation iranienne. Mais les députés doivent prêter un serment religieux (principe 67)
et les lois votées doivent être conformes aux " commandements de l'Islam " ; ce qui est vérifié
par un Conseil de surveillance (principe 91) composé de docteurs du dogmes religieux et de
juristes islamistes. D'autre part, l'Iran admet le principe du référendum ; un référendum du 30
mars 1979 a d'ailleurs permis l'instauration de la République Islamique (98 % de votants ayant
dit oui) et élit tous les 4 ans un Président de la République aux pouvoirs réduits.
§2 la critique des modérés
Les partisans de la conception modérée estiment qu'une représentation démocratique est
possible sans trahir le Coran. Ce qui explique l'existence de parlements élus capable de
légiférer librement dans les Etats musulmans (cf. la Chambre des Représentants au Maroc,
titre III de la Constitution de 1992). Cela a une double conséquence :
A le droit positif peut être totalement de source laïque
C'est le cas en Turquie ou en Albanie. Le Coran n'est invoqué que pour ce qui concerne la
sphère de la vie privée et ses prescriptions n'ont alors qu'une valeur morale.
B le droit positif peut être en partie inspiré du Coran
Pour le droit positif inspiré de la Charî'a, la solution souvent adoptée consiste à distinguer
entre les principes de base immuables du Coran et les dispositions qui peuvent être appliquées
différemment selon les pays et les époques. Cela suppose que soient autorisées
l'interprétation, l'adaptation du droit musulman traditionnel ; que soit promu l'Ijtihad (effort
intellectuel d'interprétation). C'est le cas par exemple en Tunisie.
La proportion de droit inspiré de l'islam va varier selon les pays et fait l'objet de débats. Par
exemple au Maroc où l'on discute sur le maintien ou non du Code personnel inspiré par le
droit musulman traditionnel qui autorise la répudiation et la polygamie (en fort déclin). En
Egypte, le nouvel article 2 de la Constitution adopté en 1980 renforce le poids du droit
musulman. Il prévoit que les principes de la loi islamique constituent "la source principale" (et
non plus une source) de la législation.
Section 3 : confusion des pouvoirs au profit d'un guide religieux
L'État islamique là encore veut appliquer de façon stricte le Coran, source révélée ou encore
la Sunna, source inspirée pour construire un régime politique. Mais ces textes ne font
référence qu'à un simple schéma théorique ou idéal de société musulmane. Une transposition
dans la pratique suppose des adaptations importantes ou le retour comme le proposent certains
courants intégristes (Les Talibans) à un système de confusion des pouvoirs (cf. le Califat) qui
s'était répandu dans les pays musulmans jusqu'à sa suppression en 1928 par la Turquie.
Les partisans de la conception modérée expliquent qu'on ne saurait sans trahir le Coran lui-
même ériger un idéal de société musulmane en un régime politique effectif ou encore moins
restaurer un Califat qui n'est pas prévu par la loi divine.
A l'Etat islamiste comme régime de confusion des pouvoirs
La confusion des pouvoirs dans les Etats islamistes est généralement justifiée par la référence
à une forme idéale de société musulmane qu'on trouve dans la loi révélée. Sa mise en pratique
a conduit à des transpositions autocratiques.
a) La référence à une forme idéale de société musulmane
On peut déduire de la charî'a une forme de communauté. On peut même aller jusqu'à définir
trois pouvoirs dont les titulaires seraient les suivants :
- le pouvoir ou magistère législatif appartient au Coran seul.
- le pouvoir judiciaire appartient à tout croyant qui, par la lecture assidue et fervente du Coran
acquiert avec la mémoire des définitions et l'intelligence des sanctions qu'il édicte le droit de
les appliquer
- le pouvoir exécutif à la fois civil et canonique n'appartient qu'à Dieu seul.
b) La mise en pratique
1) dans l'histoire :
Ce schéma idéal a été mis en pratique lors des débuts de l'ère islamique (l'Hégire). Il a justifié
l'organisation d'un type de régime politique appelé Califat : dans ce régime, il y a primauté du
Calife [ou Imam selon les chiites pour qui le chef doit être issu de la famille du prophète] en
tant que représentant de Dieu, chef unique, exerçant le pouvoir exécutif. Cet intermédiaire va
bénéficier d'une autorité absolue. Car obéir au Calife et à ceux qu'il désigne, c'est obéir au
prophète dont il est le remplaçant, et obéir au prophète, c'est obéir à Dieu. Cependant, on
pourra lui désobéir toutes les fois qu'il commande une chose qui va contre la Loi coranique.
Le Califat laissera la place au fil des siècles à des " sultanats ", c'est-à-dire le plus souvent à
des monarchies héréditaires. C'est le Sultan fastueux de Bagdad, de Cordoue ou Istanbul,
l'Imam fatimide du Caire etc... Bref le résultat a presque toujours été une autocratie pas
toujours éclairée un peu comme en Europe lorsque la religion catholique a servi à justifier la
monarchie absolue. Notons que ces autocraties devaient souvent faire face à des émeutes,
séditions qui se fomentaient très rapidement car persistait une liberté extrême d'appréciation
des actes gouvernementaux en fonction de la loi divine.
2) aujourd'hui :
Dans les États islamiques contemporains, on constate qu'au nom de ce schéma idéal, sont
créés des régimes où un Guide spirituel prend en charge directement le pouvoir
gouvernemental (comme dans les États du Golfe) ou le surveille étroitement (comme en Iran
où le Guide, au début l'imam Khomeyni, contrôle l'exercice des pouvoirs exécutif, mais aussi
législatif et judiciaire).
Exemple : en Arabie Saoudite, l'essentiel du pouvoir exécutif appartient à un monarque
héréditaire qui gouverne seul au nom du " Saint Coran et de la Tradition du vénérable
prophète ", en tant que " serviteur des deux lieux saints de l'islam " Médine et La Mecque. Il
n'y a pas de Parlement mais seulement depuis 1993 un conseil consultatif de 60 membres
nommés par le Roi. En Iran, il est prévu que les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire
soient " placés sous le contrôle de l'autorité de l'Imamat " (57e principe). Cet Imamat est à la
charge d'un docteur du dogme ou à sa place un Conseil de direction ayant les fonctions de
guide (107e principe) ; ce docteur est censé avoir " compétence scientifique pour se prononcer
sur les problèmes de religion " et " perspicacité politique (...) capacité de gestion " (109e
principe). Il nomme la plus haute autorité judiciaire, il détient le commandement suprême des
forces armées, le pouvoir de révoquer le Président de la République. Il faut ajouter qu'a été
institué aussi un Conseil de surveillance qui contrôle la conformité de toutes les lois votées
par la Chambre des députés avec les commandements de l'islam (principe 96).
(Nota : les Talibans en Afghanistan prônent le retour au Califat du début de l'ère islamique).
B le refus de la confusion des pouvoirs par les Etats musulmans modérés.
Les Etats musulmans modérés estiment que s'il existe dans la chari'a une communauté
politique, c'est un idéal, presque une utopie qui ne peut déboucher sur l'instauration de
pratiques politiques concrètes. C'est peut être seulement une communauté spirituelle. En tout
cas, cette communauté a peu à voir avec le califat, autocratie de fait, imposée par les armes
qui ne peut être justifié par les principes fondateurs de l'Islam ou la pratique du Prophète.
L'auteur le plus souvent évoqué par les modérés est le théologien égyptien Ali Abderraziq
(1888-1966) dont l'ouvrage L'islam et les fondements du pouvoir (1925) a provoqué de
nombreuses polémiques à l'époque. Selon lui, le califat a été un pouvoir de fait, une violence
faite à la communauté musulmane sauf au tout début du Califat. En réalité, la religion
musulmane ne justifie ni le Califat, ni un quelconque Etat islamiste qui n'a jamais existé pas
même aux premiers temps de l'Umma. Le prophète est un guide spirituel et non un roi de ce
monde. Aucun principe religieux n'interdit donc aux musulmans d'édifier un Etat sur la base
de principes politiques modernes, comme la séparation des pouvoirs.

Section 4 le rejet de la notion occidentale de libertés fondamentales.


C'est le point le plus délicat. Ici les deux conceptions se contredisent, se heurtent le plus
nettement. La conception radicale tend à démontrer que le régime des libertés en terre d'Islam
doit être fondé sur une lecture stricte, littérale de la Charî'a qui conduit à refuser la vision
occidentale des droits de l'homme comme des absolus. La conception modérée refuse cette
lecture et affirme soit qu'on peut réinterpréter de façon libérale le droit musulman traditionnel,
soit qu'est légitime une séparation définitive entre religion et droit qui permettrait une
véritable émancipation des individus, notamment des femmes.
A la conception radicale
Si comme certains courants fondamentalistes, on réduit la loi divine et le droit musulman qui
en été tiré à sa lettre, aux rituels visibles, alors les droits fondamentaux ne sont pas des
absolus comme en Occident ; ils dépendent de la révélation et seront protégés par l'Etat
islamiste en fonction de l'implication de chacun vis-à-vis de l'Islam. Voilà pourquoi, lorsque
des droits fondamentaux (individuels ou sociaux) sont proclamés dans les États islamistes
(comme l'Iran), ils sont toujours encadrés, finalisés (c'est le cas des libertés d'opinion,
d'association, de réunion, de travailler) et donc niés selon la conception classique et
occidentale du droit constitutionnel. La Déclaration islamique des droits de l'Homme rendue
publique en 1981 fait de même.
L'égalité entre les individus est conditionnée. Elle dépend :
- du fait que ces individus s'efforcent ou non de parvenir à l'adhésion à la vérité révélée et à
l'observation de la loi. Cela aboutit concrètement à donner des droits différents aux individus
en fonction de leur degré d'engagement dans la défense de l'islam. On distinguera entre gens
du livre et athées ou polythéistes. Les premiers, juifs ou chrétiens, voir les Mages (mazdéens)
sont admis à vivre dans une société musulmane ; ils bénéficient du statut de dhimmi-s
(protégés) qui leur assure liberté de croyance et de culte, capacité commerciale mais ils sont
tenus de verser un impôt, sont frappés de certaines incapacités vis-à-vis des musulmans
(interdiction d'épouser une musulmane, d'hériter d'un musulman, dépréciation de leur
témoignage en justice....). Les seconds n'ont le choix en théorie qu'entre la conversion ou la
mort, leurs femmes et enfants étant réduits en esclavage. De même pour les renégats de
l'islam.
- du fait que ces individus ont vocation ou non à accomplir les droits de Dieu. Cela aboutit à
différencier nettement le statut de l'homme et de la femme. L'homme musulman honorable,
sain d'esprit etc. a vocation à être désigné comme Imam (celui qui dirige la prière collective),
son témoignage est reçu en justice avec une force entière. Le paradis est organisé en sa faveur.
La femme n'a pas ce statut et donc des droits limités dans leur exercice. (Cf. Les discussions
dans le passé sur son entrée au paradis).

B la conception modérée
Deux solutions :
a)la réinterprétation de la charî'a et du droit musulman
Les partisans de cette solution expliquent que le Coran peut et doit être interprété si on veut
être fidèle à son esprit. D'ailleurs le droit musulman qu'on peut en tirer a toujours su évoluer
selon différentes méthodes. Ainsi au moins deux méthodes sont utilisables aujourd'hui :
- le Talfik : on interprète le droit musulman en essayant de remonter à son origine pour en
comprendre les défauts actuels et pour l'adapter. C'est la méthode adoptée par le législateur
tunisien.
- L'herméneutique : on recherche par de là la lettre l'esprit du Coran. Et l'on cherche à placer
chaque question dans le dessein divin global. C'est que l'esprit est éternel, la lettre
circonstancielle. Le droit musulman peut alors évoluer, être abrogé. (idem pour le judaïsme, le
catholicisme).
Si on n'utilise pas de telles méthodes, alors on est condamné à une application littérale par
exemple de la loi du talion ou d'un statut pour la femme discriminant. C'est le recours aux
châtiments corporels comme la flagellation publique, l'amputation de la main, du pied, de
l'œil... Concernant la femme, le refus de lui donner des droits politiques. Procéder ainsi
revient à nier :
- d'une part la tradition musulmane à laquelle on prétend se référer. Par exemple, selon
certains auteurs le châtiment de la main coupée n'a été appliqué que 6 fois durant les 6
premiers siècles de l'Hégire. En Iran, l'établissement de la loi du talion serait en contradiction
avec l'histoire de ce pays
- d'autre part, des siècles de science juridique classique musulmane (le fiqh) qui a permis
d'adapter, de systématiser et finalement au 20ème siècle de moderniser le droit islamique.
Exemple d'interprétation moderne : la polygamie. Si le Coran autorise les hommes à prendre 4
épouses, il impose une parfaite égalité de traitement entre elles, ce qui est impossible dans les
sociétés actuelles. On peut donc conclure à l'interdiction de la polygamie.
2) la séparation totale entre droit et religion
Seule cette solution selon certains juristes musulmans permettrait de faire accéder le monde
musulman à une conception réellement universelle et égalitaire des droits de l'homme comme
en Occident. Cette solution a eu un début d'application dans les années 50 (cf. la Déclaration
universelle des droits de l'homme adoptée par l'ONU a été approuvée en 1948 par tous les
pays musulmans, avec la seule abstention de l'Arabie Saoudite) mais depuis elle est en déclin.
Certains Etats musulmans modérés ont ainsi adopté (l'Algérie) ou maintenu (le Maroc) des
codes civils ou de statut personnel inspirés par une Charî'a interprétée strictement. Ainsi au
Maroc, si la polygamie se fait très rare (200 demandes en 1999), la répudiation augmente
(environ 10 % par an selon certaines sources).
Le modèle « postmoderne »
On peut parler d’un modèle de pensée postmoderne apparu d’abord aux Etats-Unis (cf.
Richard Rorty), inspiré en partie par un ensemble de philosophes français (la "French theory")
pendant les années 1960 et 70. Parmi ces auteurs, citons Michel Foucault, Jean-François
Lyotard et Jacques Derrida. Le contexte politique qui a favorisé la diffusion de la pensée
postmoderne est notamment celui des mouvements sociaux et estudiantins de 1968 (dont mai
68 en France).
Le postmodernisme a eu des effets idéologiques dans le domaine des arts (notamment en
architecture) mais aussi dans le domaine politique. Dans ce dernier domaine, se développe
aujourd’hui ce qu’on peut désigner comme une « doctrine politique postmoderne ».
Nous étudierons la forme « vulgaire » ou pédagogique de cette doctrine telle qu’elle est par
exemple illustrée dans les ouvrages de Georgio Agamben, Michael Hardt et Antonio Negri.
Préalable :
Les auteurs postmodernes expriment un doute sur le projet universel d’émancipation de
l’homme élaboré par les Modernes, sur la possibilité même de le renouveler. Nous n’aurions
pas de « signes » que les Idées de liberté et d’égalité tendent à se réaliser dans l’histoire ;
qu’un progrès politique, moral est en cours. Auschwitz signifie peut-être la mort de ce projet
(Cf. J-F. Lyotard, Le différend, Minuit, 1986). Dès lors, on doit remettre en cause les
principes juridiques issus des Lumières (état de droit, représentation politique, séparation des
pouvoirs, protections des droits de l’homme) censés favoriser cette émancipation. Peut-être
sont-ils devenus obsolètes et ne conservent-ils au fond qu’une utilité de type idéologique dans
les discours de légitimation des États ? Comme l’explique G. Agamben in « Le commun :
comment en faire usage ? », 1992, « Les termes de « souveraineté, de droit, de nation, de
peuple, de démocratie et de volonté générale recouvrent désormais une réalité qui n’a plus
rien à voir avec celle que désignaient ces concepts et celui qui continue de s’en servir de
manière acritique ne sait littéralement pas de quoi il parle ».
Cependant certains auteurs postmodernes comme M. Hardt et A. Negri estiment que l’idéal
démocratique ouvre encore des possibilités réelles d’action ; cela à condition de réinterpréter
les principes juridiques issus des Lumières. Cette réinterprétation devrait se faire dans un sens
différentialiste (plutôt qu’universaliste) au profit de la souveraineté du peuple (plutôt que la
souveraineté nationale qui justifie la représentation politique) et en favorisant la résistance à
l’Etat souverain. Les analyses de M. Hardt et A. Negri vont s’appuyer en partie sur des
concepts néo-marxistes et décisionnistes (C. Schmitt). Ce qui confirme qu’elles ne rompent
pas complètement avec le projet d’émancipation des Modernes.
Nous procéderons en développant et en critiquant les nouveaux principes du droit
postmoderne formulés dans les ouvrages de M. Hardt et de A. Negri (notamment, Multitude,
10-18, 2006 - 1ère édition en français La Découverte, 2004) :

Section 1 : vers un Etat de non droit


Section 2 : vers une démocratie directe
Section 3 : vers un système de pouvoirs « en réseau »
Section 4 : vers des libertés « réelles »
Section 1 : vers un Etat de non droit
Les auteurs post-modernes souhaitent et prévoient une situation future où l’Etat et le droit
auront disparu. G. Agamben explique que la forme étatique doit « laisser le champ libre à une
vie humaine et à une politique non étatiques et non juridiques, qui restent entièrement à
penser ». in « Le commun : comment en faire usage ? » 1992.
Cette situation serait en cours de réalisation selon M. Hardt et A. Negri; cela en partie en
raison des évolutions liées aux nouvelles formes de travail et de technologies. « Les nouvelles
formes de travail, explique M. Hardt et A. Negri, offrent des possibilités inédites
d’autogestion économique dans la mesure où les mécanismes de coopération nécessaires à la
production sont contenus dans le travail lui-même » (Cf. Multitude, 10/18, 2006, p. 382). Or
ce potentiel s’applique aussi à « l’autogestion politique et sociale ».
Cette autogestion, en supprimant la relation gouvernants/gouvernés, rendrait inutile le droit
issu de la souveraineté étatique sans aboutir pour autant à une anarchie.
Il n’est pas difficile ici de constater que cette utopie retrouve un des dogmes de la pensée
marxiste selon laquelle dans la société future communiste sera possible une jouissance
illimitée et égale des biens économiques : d’où le fait que police et droit coercitif ne seront
plus nécessaires.

Section 2 : vers une démocratie directe


En théorie, les auteurs post-modernes tels que M. Hardt et A. Negri ne sont pas favorables à
une forme de souveraineté populaire (qui se traduit par la mise en place de techniques de
démocratie directe ou semi-directe). C’est que, selon eux, la conception de la souveraineté
populaire supposerait le maintien d’une autorité étatique souveraine séparée des individus
concrets (hétéronomie). Elle permet de plus la légitimation de l’Etat et de son usage de la
violence.
Enfin, la conception de la souveraineté populaire a recours à une idée de peuple qui suppose
UNITÉ et IDENTITÉ au risque de nier les différences sociales, culturelles, etc.
C’est pourquoi, M. Hardt et A. Negri préfèrent une démocratie sans Etat et substituent à l’idée
de peuple celle de « multitude » (concept emprunté à Spinoza et de façon plus lointaine et
analogique à Duns Scot). Mais en pratique, ils retrouvent bien la notion de démocratie directe
à la fois en se situant dans une filiation néo-marxiste (1) et en proposant des pratiques
alternatives à la représentation (2).
1 Pour Hardt et Negri, il s’agit de reprendre « la longue marche vers la démocratie ». Or cette
marche est passée par certaines étapes qui, toutes tendent vers la démocratie directe ou
autogestionnaire.
- Rousseau qui propose une démocratie directe. Mais certains éléments de représentation
persisteraient : l’Exécutif est de préférence aristocratique et la notion de Volonté générale
introduirait une relation « unitaire, transcendante, représentative ».
- La Commune en France qui organise une représentation « mandatée ». Marx aurait montré
notamment dans son texte La Guerre civile en France que la Commune a permis une «
réduction de la séparation entre les représentants et représentés qui apparaît comme une
abolition de l’Etat ». (SU, révocabilité des élus, salaire identique élus et ouvriers).
2 La nouvelle démocratie telle qu’elle est esquissée est bien « directe » puisqu’elle fait appel à
une « opinion publique globale », à une « multitude » qui peut s’organiser sur « un plan
d’immanence » sans obéir à un quelconque pouvoir et sans contrôle centralisé. C’est bien une
modalité autogestionnaire de la démocratie qui est proposée, réhabilitée grâce aux nouvelles
formes de travail (immatériel et en réseau) et de technologie.
Section 3 : vers un système de pouvoirs « en réseau »
Pour les auteurs post-modernes, l’Etat-Nation souverain organisé selon le classique système
de séparation des pouvoirs est en déclin. Son dépassement vers une Fédération des Etats
mondiales (Kant) dans le cadre d’une histoire cosmopolite et universelle orientée vers la paix
n’est pas en cours.
Apparaît au contraire une Souveraineté supranationale (notion d’Empire) qui ne fait que
perpétuer un état de guerre insoluble et traduit la perte d’influence de l’Etat nation. Cette
souveraineté se développerait à l’aide d’un droit d’exception et de police [G. Agamben, Etat
d’exception, Seuil, 2003] et se fonderait sur un pseudo moral universel. Un pseudo moral
invoqué notamment par les tribunaux internationaux qui entérineraient implicitement des
hiérarchies politiques (par exemple en sanctionnant les crimes contre l’humanité commis par
certains Etats seulement).
L’alternative postmoderne consiste à refuser tout retour à l’Etat souverain (quitte à lui
résister) ou encore toute tentative d’accaparer le pouvoir d’Etat. Car cela reviendrait à
conserver un « modèle de pouvoir transcendant » plus ou moins centralisé, faussement divisé.
Il s’agit au contraire de promouvoir des modes d’organisation nouveaux en réseau où «
l’autorité réside dans les relations coopératives » (p 40). De ce point de vue, la politique doit
imiter le social-économique dont la transformation en cours dans le capitalisme contemporain
contient « un énorme potentiel de transformation sociale positive » (p. 89). Ainsi les nouvelles
formes de travail immatériel ne sont possibles qu’à travers des réseaux fondés sur la
communication, les relations affectives qui peuvent être orientées vers une coopération
politique.
On aboutira alors au développement d’un « mécanisme immanent » (p. 109) permettant le
passage à une « démocratie absolue » (p. 116). [Hardt et Negri utilisent la métaphore de la «
chair politique qui se gouverne elle-même » par opposition à celle du « corps politique » qui
justifierait l’hétéronomie] (p. 127).
Critique : le modèle post-moderne finit par retrouver l’idée métaphysique d’un sujet social
absolu capable en toute transparence de s’auto-gouverner. Ce sujet apparaît à la fin de
l’Histoire selon une loi de nécessité socio-économique.
Les aspects marxistes de ce schéma sont évidents. Au plan de la théorie politique, on retrouve
la position de Marx dans la Guerre civile en France qui appelait non pas à une prise du
pouvoir étatique (Commune de 1870) mais à une destruction de l’Etat. Au plan de la théorie
de l’histoire, on retrouve l’idée d’un déterminisme socio-économique qui dicte les
transformations du droit et de la politique. Cela induit certains risques autoritaires qui
apparaissent notamment lorsque Hardt et Negri tentent de répondre au problème du dissensus,
de l’exclusion. Quel remède peut-on trouver si certains se situent hors des réseaux, ne veulent
pas entrer dans un système coopératif ? Hardt et Negri répondent en exonérant a priori leur
modèle grâce à une perspective purement déterministe : ces « éléments » ne « peuvent se
situer nécessairement en dehors » (sic). « Personne n’est nécessairement exclu » (p. 263).
Ce nécessitarisme est par ailleurs contrebalancé par le recours à un décisionnisme de type
schmittien. La « communication au cours des processus sociaux et collaboratifs de production
» débouche le plus souvent sur « une décision » ; ainsi « la décision d’établir des droits » qui
est par elle-même normative puisqu’elle peut conduire à interdire certaines pratiques… (p.
243). Section 4 : vers des libertés « réelles ».
La conception des libertés développée par Hardt et Negri là encore retrouve une référence
marxiste implicite avec certaines virtualités autoritaires.
- Insistance sur les libertés collectives concrétisées par des droits sociaux et économiques.
L’abstraction et l’universalisme des droits de l’homme d’inspiration libérale sont rejetés
comme porteurs d’impérialisme. Le recours à un contrôle de ressources vitales par le «
commun » (et non pas l’Etat) est proposé. Mais aucun critère objectif n’est indiqué.
- Justification du droit de résistance tout azimut, voire même de l’usage de la force et de la
lutte armée contre l’Etat. Il n’y a plus d’obligation d’obéir au pouvoir (étatique) (p. 386).
- Les médias sont organisés afin de produire « la vérité » grâce à une garantie du pluralisme
d’expression (p. 351).

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