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Entretien

avec Peter
Watkins
sur la
Monoforme
htt p: //w ww.zalea. org/ancien/ungi/progr amme/pete rwatk in s/sommdos spw.html

http://www.dailymotion.com/swf/38T5CVYZP0J2d4iqr
"Aujourd'hui, un réalisateur qui refuse de se soumettre à
l'idéologie de la culture de masse, fondée sur le mépris du
public, et ne veut pas adapter un montage frénétique fait
de structures narratives simplistes, de violence, de bruit,
d'actions incessantes, bref, qui refuse la forme unique, ou
ce que j'appelle la "monoforme", ce réalisateur ne peut
tourner dans des conditions décentes. C'est impossible."
(...)
"La culture de masse qui a été imposée, vulgaire, étroite
et brutale, faite de simplisme et de voyeurisme,
regorgeant de stéréotypes sexistes et chauvins, vouée au
culte de l'argent, doit être tenue pour responsable de bon
nombre de désastres." Peter Watkins.
Bonjour, je m'appelle Peter Watkins, et je me trouve avec des amis et
membres de ma famille à Gruto Park qui se situe à deux heures de route au
sud de Vilnius en Lithuanie. C'est d'ailleurs un parc à thème assez spécial,
comme vous avez pu le remarquer dans ces images. Un entrepreneur
lithuanien fouilla les terrains vagues de Vilnius il y a quelques années,
rassemblant toutes les statues de Lénine, Marx etc., qu'il pouvait trouver
pour les amener sur ce terrain marécageux du sud de la Lithuanie et a
construit ce parc à thème consacré à l'ère soviétique. Cette idée n'était pas
du goût de tous les lithuaniens, bien sûr, puisque la Lithuanie était un état
enrôlé de force dans l'Union Soviétique jusqu'en 1991. Pour nombre de
Lithuaniens, il est intolérable de placer les statues de ces meurtriers dans un
cadre aussi enchanteur –oiseaux, arbres lithuaniens– mais je pense –ou
plutôt j'espère– que d'autres voient ça comme un support de réflexion sur
l'incroyable folie de l'homme et de l'histoire de l'humanité et de ses
éternelles répétitions.

Il est possible que, ailleurs en Lithuanie ou quelque part en Europe, dans


quelques années, l'on trouvera un parc à thème consacré à la mondialisation
avec ses reliques pathétiques. Les gens regarderont ces choses avec un œil
tout aussi perplexe. Vous savez tous comment le système soviétique se
maintenait grâce à un système extrêmement efficace de terreur, de
propagande, de complicités, de pouvoir, de peur. Qu'en est-il du système
actuel, qui est certainement aussi stupide que le système soviétique ? Ce
système a coûté la vie à des millions de personnes. De même aujourd'hui la
mondialisation à un coût humain très élevé, par négligeance, exploitation ...
vous savez tous ce qui se passe. Et qu'est ce qui maintient ce système en
place ? Que trouverait-on dans un parc à thème sur la mondialisation ? Pas
des statues de Marx ou Lénine mais certainement des banderoles
publicitaires pour McDonalds, des vitrines remplies de téléphones portables,
et très certainement un poste de télévision, probablement installé sur un très
grand piédestal. Parce que je crois –et j'espère que de plus en plus de gens
en sont convaincus– que le système actuel –on peut l'appeler comme on
veut, le marché néo-libéral, j'ai choisi de l'appeler mondialisation– n'est pas
maintenu en place par le même type de terreur, du moins pas dans nos
confortables sociétés européennes, mais est maintenu au pouvoir par les
mass médias, propageant, encourageant et diffusant sans cesse son soutien
au développement incontrôlé de la société de consommation. Cela est fait de
nombreuses manières, souvent de façon subtile et insidieuse, mais au vu de
notre passivité, de manière très efficace. Et dans un sens, en ce moment
même nous participons à ce processus alors que je vous parle, et je m'en
excuse, mais au moins pouvons-nous utiliser cette occasion pour identifier ce
processus hiérarchique dont je me sers pour vous parler.

Je ne sais pas où vous allez voir ces images, peut-être sur un poste de
télévision –j'espère sincèrement que non– ou dans une salle de cinéma ou
dans une école. Et vous serez assis là, à me regarder. Mais ce n'est pas de la
communication. Nous appelons cela la communication de masse, mais cela
n'a rien à voir avec de la communication. La communication –vous pouvez
vérifier dans le dictionnaire si vous ne me croyez pas– est un processus
dynamique à double sens, on donne et on échange. Au contraire, la
communication de masse est systématiquement conçue à sens unique, du
producteur vers le spectateur. Toujours ! Ce n'est pas de la communication, il
faudrait que l'on trouve un autre terme. Par contre, il s'agit bien de
manipulation. Et d'un rapport hiérarchique que je vous impose. Au moins,
j'essaye d'en parler, ce qui ne change rien au fait que cela reste un rapport
hiérarchique. Excusez cet espèce de préambule ; je crois que ce parc à
thème nous aide à aborder la question de notre histoire. Nous sommes dans
notre histoire aujourd'hui, même si un nombre croissant de gens,
particulièrement les jeunes malheureusement, sont en train de perdre leur
histoire ou ne la découvrent jamais. Nous appartenons tous à l'histoire ; c'est
un processus en mouvement perpétuel.

En 1871, un grand nombre de citoyens parisiens se sont soulevés contre le


régime autoritaire et corrompu qui les exploitait. Une Commune de Paris fut
créée qui dura 2 mois, de mars à mai 1871. Il y eut 5 ou 6 autres
Communes, notamment à Marseille et à Lyon, mais ces dernières furent
écrasées très rapidement. La Commune de Paris survécut deux mois, malgré
des conditions très difficiles, avant d'être brutalement écrasée par l'armée
française. Sous les ordres de ses généraux les plus gradés, l'armée française
massacra environ 30.000 hommes, femmes et enfants dont de nombreuses
personnes qui n'avaient absolument aucun lien avec la Commune, massacrés
dans les rues de Paris. Certains furent contraints à l'exil, d'autres envoyés en
prison, la plupart furent tués sur place. Voilà l'histoire, l'est-ce vraiment ? Les
mass médias français sont très discrets sur la Commune de Paris et on en
entend rarement parler. Il existe bien quelques films, peut-être 20 ou 30
documentaires –ce qui peut paraître beaucoup, mais surtout des moyen
métrages– rarement diffusés ou à une heure très tardive, et rarement
débattus. Le système éducatif français, pour sa plus grande honte –je ne
pense même pas qu'il mérite le nom de système éducatif– a occulté, comme
le disent les Français, ou marginalisé la Commune de Paris depuis plus de
cent ans. L'on ne trouve que quelques lignes dans les manuels d'histoire
français. Donc notre relation à l'histoire est très fragile, un peu comme la
paroi d'une falaise sur laquelle on glisse en tentant de s'y accrocher.

Je crois que toutes ces réflexions et préoccupations m'ont porté vers le sujet
de la Commune de Paris –un sujet fascinant. Une histoire de résistance,
d'engagement, de sacrifice, de foi en une utopie, d'engagement personnel
ultime autour d'idéaux pour lesquels l'on était prêt à donner sa vie– ce qui
n'est pas vraiment le type d'engagement le plus répandu dans notre culture
occidentale, c'est le moins que l'on puisse dire. J'ai donc réalisé ce film avec
l'aide de plein de gens, ou plutôt nous avons fait ce film La Commune. Ce
film est très important pour moi, parce qu'il ne traite pas seulement de ce
formidable sujet qu'est la Commune. Il parle de la crise des mass médias
audiovisuels –la télévision, le cinéma, la radio. Il porte, indirectement, sur la
crise dans l'éducation aux médias où les enseignants sont censés apprendre
à décortiquer la nature des médias et de l'énorme industrie qu'ils
représentent. Le film tente d'aborder ces questions, et par son processus et
sa forme essaye de proposer des alternatives aux processus en œuvre dans
les médias actuels.

Ce film, ces crises, la mondialisation, les médias, nous impliquent tous. Ils
impliquent les professionnels des médias actuels, les responsables des
chaînes et des programmes, les réalisateurs, les producteurs, qui à de rares
exceptions près sont totalement complices de ce processus autoritaire ; qui
ne font que se plier aux demandes des requins du pouvoir télévisuel global,
qui refusent de remettre en cause ce que j'appelle la Monoforme, c'est-à-
dire, la manière de découper les films en minuscules petits bouts : cut cut
cut toutes les 3 à 5 cinq secondes avec un bombardement incessant de sons,
une caméra en perpétuel mouvement. Je pense que vous connaissez tout
cela, mais il est important d'y voir une forme narrative organisée. Ceci n'a
rien à voir avec la complexité et la gamme de possibilités offertes par le
cinéma ou la télévision en tant que support de création ou d'expression
artistique ou comme forme de communication. Cette chose, la monoforme,
est devenue LE format obligé structurant tous les films télé et quasiment
l'ensemble de la production du cinéma commercial. Cut, mouvement,
secousse, Bing, Bang, cut, cut, cut. Et le montage est de plus en plus rapide,
c'est presque comme les clips sur MTV. Cela non plus, n'a rien a voir avec de
la communication. Cela ne permet pas aux spectateurs de participer
vraiment. Vous êtes entraînés à travers cette structure narrative mono-
linéaire par ce formatage frénétique et manipulateur Ð la Monoforme Ð qui
est employée délibérément parce qu'elle ne nous laisse pas le temps de
penser ou d'espace pour une participation démocratique permettant une
remise en cause ou un questionnement. Ceci est un acte délibéré. Comme
me le faisait remarquer aujourd'hui un ami, un poster de Lénine –dont vous
avez peut-être vu le portrait– stipulait que la forme artistique la plus
importante était le cinéma. Mussolini, je crois, avait dit que le cinéma est
l'art le plus puissant. Ai-je besoin de mentionner Goebbels, dont l'emploi de
la radio jouait un rôle très spécifique dans le maintien au pouvoir du 3ème
Reich et qui a dit quelque chose de similaire. Je pense qu'il faisait référence à
la radio, mais il pensait probablement également à la télévision qui était en
cours de développement en Allemagne nazie, et il y avait aussi le cinéma.
Les cinémas projetaient les actualités allemandes sur la guerre : l'invasion de
la Pologne en est un exemple typique. Ils envoyaient les caméramans de la
Wehrmacht avec les soldats en première ligne, qui filmaient l'assaut sur
Danzig par exemple. Puis ils dépêchaient les négatifs aux laboratoires à
Berlin ou ailleurs et les copies étaient acheminées par camion à travers toute
l'Allemagne, et un ou deux jours après les événements, les Allemands
pouvaient voir les actualités. Goebbels connaissait l'efficacité de ce système
pour consolider le pouvoir. Il a prononcé des phrases assez incroyables disant
que ceci représentait le véritable moyen pour frapper le cœur des gens.

C'est ce que nous faisons aujourd'hui avec la Monoforme, en figeant


délibérément et continuellement des millions de personnes devant leur
écran, le petit écran de la télévision ou le grand écran du cinéma, figés dans
cette relation autoritaire ... Et le public marche à fond dans la combine. Rien
qu'aux Etats-Unis –je n'ai pas les données pour l'Europe– et pour reprendre
des chiffres de 1998, le public nord-américain avait dépensé 50 milliards de
dollars au box office. Vous vous rendez compte, 50 milliards de dollars en
une seule année dépensés par le public pour se distraire, se divertir, passer
le temps, du bon temps. Et vous connaissez comme moi l'énorme coût de la
mondialisation pour l'humanité. Pour donner un exemple, je n'ai pas les
chiffres précis sous la main, mais je crois qu'il y a 32 millions de malades du
SIDA dans les pays en développement qui n'ont pas les moyens de s'offrir un
traitement médical à cause des industries pharmaceutiques, etc. Imaginez ce
que l'on pourrait faire avec ne serait-ce qu'une portion de ces 50 milliards de
dollars dépensés pour un flot ininterrompu de merde audiovisuelle ? Les vies
qui pourraient être sauvées ? Existe-t-il un débat sur cette question que ce
soit au sein de ma profession ou dans les écoles avec les enseignants ? Bien
sûr que non. Y a-t-il un débat sur la Monoforme ? Y a-t-il un débat sur le
processus réactionnaire, autoritaire et totalement anti-démocratique qui
caractérise les médias actuels ? Bien sûr que non. Comme je le disais, la
plupart des professionnels des médias craignent trop de sortir du rang, de
peur de perdre leurs budgets. La peur est phénoménale dans le cinéma mais
surtout dans la télévision d'aujourd'hui. Et vous pourriez m'accompagner
dans n'importe quelle salle de classe, en France, en Angleterre, en Lithuanie
ou en Amérique du Nord, peu importe. Vous y trouveriez très rarement des
jeunes qui savent quoi que ce soit sur la Monoforme ou les véritables
possibilités de communication qu'offrent le cinéma ou à la télévision. Vous y
trouveriez plutôt des étudiants qui ont totalement perdu leur histoire. Il ne
savent probablement même plus qui était le président Kennedy, je ne rigole
pas ! Et de plus en plus, les enseignants, qui devraient être au courant de
cette situation puisqu'ils font partie du problème, sont en relation avec des
étudiants qui n'ont aucune idée du contexte historique de la première ou
deuxième guerre mondiale, et qu'un vague souvenir du personnage de
Kennedy.

Un Allemand, excusez-moi je ne suis pas sûr qu'il soit allemand, un


journaliste a écrit un article paru dans un quotidien il y a quelques semaines,
encore une fois je ne sais pas s'il était allemand ou américain mais cela n'a
pas d'importance, il a écrit ceci : "Je suis récemment retourné à Austin au
Texas après avoir enseigné dans des universités à Berlin et à Cologne. J'étais
habitué aux réactions d'indifférence des étudiants américains face aux
histoires d'étrangers attaquant des McDonalds ou dénonçant la domination
du marché international du film par Hollywood. Les étudiants américains
vivent dans le ventre de la bête globale et ils sont donc un peu perdus face
aux dénonciations de l'impact culturel américain sur le monde, mais à ma
grande surprise, j'ai rencontré la même complaisance vis-à-vis de la
mondialisation de la culture américaine parmi les étudiants allemands. Ils
sont à l'aise ou du moins résignés par rapport à l'omniprésence de la culture
globale. Ils ne se soucient pas du fait que leur langue soit corrompue par des
mots anglais ou que leurs goûts soient formatés par les grosses productions
Hollywoodiennes ni que leurs librairies de quartier soient menacées par
amazon.com. Ils n'ont que peu d'ancrage dans leur passé culturel, et
n'envisagent pas non plus d'alternatives au monde globalisé dans lequel ils
vivent. Ce ne sont ni des rebelles ni des conservateurs. Les jeunes ne font
que hausser les épaules." Et plus loin dans l'article le journaliste ou
enseignant poursuit : "la majorité des jeunes allemands et américains" –et il
pourrait évidemment ajouter nombre d'autres pays à cette liste– "ont peu
d'intérêt pour la politique. Et ils ne sont pas préoccupés par ce qu'ils voient
sur leurs écrans, de cinéma, de télévision ou d'ordinateur. Ils constituent
donc la première génération peu susceptible de protester contre la
propagation de la mondialisation que ce soit sur le plan économique ou
culturel." Bien sûr, ceci est une déclaration discutable, car comme tout ce qui
concerne ce monde complexe, le vrai côtoie le faux. Il y a un nombre
important de jeunes, Dieu merci, qui rejoignent les mouvements de
protestation contre la mondialisation et il est très important de souligner cet
point. Toutefois, comme le ying et le yang qui s'équilibrent mutuellement, je
pense que malheureusement ce qu'écrit cet enseignant est en même temps
très juste. Si l'on devait généraliser, une large majorité d'étudiants sont en
train de perdre leur histoire. Et sont poussés, forcés, manipulés ou plutôt
encouragés à jouer un rôle de plus en plus passif dans cette société. Et ceci
devrait tous nous préoccuper au plus haut point.

Avant de terminer dans un instant en revenant sur le film La Commune, je


voudrais juste dire quelques mots sur le rôle des militants et de ceux qui
luttent contre la mondialisation aujourd'hui, ce qui constitue bien
évidemment un développement merveilleux et formidable. Néanmoins, il ne
faut pas sous-estimer le fait que dans ces manifestations il est rarement
question du rôle des mass médias audiovisuels. Sur cette question nous
avons près de 50 ans de retard. Et j'ai personnellement remarqué au cours
de ces 20 dernières années, que de nombreux groupes de militants sont très
réticents à critiquer les mass médias. C'est un phénomène très important,
déroutant et complexe. Les mass médias sont toujours mis de côté, peut-
être à cause de la relation traditionnelle que nous entretenons avec
l'Hollywood qu'on aime ou nos émissions de télévision préférées, c'est
difficile à dire. Aussi parce que nombre de militants, du moins jusqu'à très
récemment, comme certains des mouvements pacifistes, ont utilisé la
télévision pour transmettre leurs discours alternatifs. Ils se sont servis du
système, le même système manipulateur, la Monoforme. Et donc rien n'a
changé. Je crois que la traditionnelle réticence qu'ont de nombreux militants
par rapport à une remise en cause véritable des mass médias audiovisuels
constitue un très sérieux problème ; et mon sentiment personnel est que
tant que ce sujet ne sera pas mis au même niveau d'importance que les
autres objets de lutte, je ne pense sincèrement pas que le mouvement anti-
mondialisation puisse jamais atteindre ses véritables objectifs. Si nous
laissons le cinéma et la télévision dans leur état actuel, nous n'y arriverons
jamais.

J'ai réalisé la Commune pour soulever ces questions, en lien avec les thème
de l'engagement personnel et de la Commune de Paris. Ce que j'espère, c'est
que les gens, vous mêmes, pourrez vous servir de ce film comme d'une
ressource et d'un outil. Certaines personnes, peut-être même un certain
nombre, trouvent sa longueur très bizarre : s'il vous plaît, considérez cette
durée comme une ressource, et non une menace ou une manie personnelle,
voyez le comme une ressource, comme un défi. Cela ne veut pas dire que
tous les films alternatifs doivent durer 5 heures, loin de là. Celui-ci est de
cette durée, et pour de bonnes raisons. Le fait de le regarder, d'avoir la
patience de vivre cette expérience si vous voulez, de traverser tranquillement
et de façon fluide le processus de ce film pourrait être perçu comme une
démarche très positive et originale car cela transforme totalement la relation
traditionnelle entre le public et le spectateur individuel. La Commune
possède une forme narrative très particulière. L'on y trouve la Monoforme
par endroits, et en cela je peux être critiqué. Le film a certainement des
défauts, car il contient également un aspect hiérarchique, mais tout cela est
ouvert à débat. L'on y trouve ces très longs "plans séquence" comme disent
les Français, de longues séquences où je ne savais souvent pas ce qui allait
se passer, les comédiens non plus d'ailleurs. Mais cela permettait de créer un
espace où les gens pouvaient s'exprimer librement et installait un
changement. Il y a là une idée de générosité. La plupart des mass médias
son totalement étrangers à cela puisqu'ils ne veulent pas de réflexion
spontanée ; ils veulent des réponses instantanées et pré-emballées. La
Monoforme c'est ça. La Commune contient également un processus très
important et complexe, à la fois avec les spectateurs à travers ses forme et
contenu, mais aussi avec les gens qui y apparaissent, qu'il conviendrait
mieux d'appeler des participants que des acteurs, qui ont travaillé en
apportant un énorme investissement personnel dans ce film. Et c'est là un
autre exemple de la formidable générosité de ce film –ce que les gens qui y
apparaissent donnent d'eux-mêmes, se sachant exposés, s'exposant eux-
mêmes ainsi publiquement à l'écran. Je crois que si nous somme prêts, si
vous êtes prêts, à travailler avec ce film, il pourrait devenir une ressource et
un outil formidable, non pas simplement pour déconstruire les mass médias
audiovisuels, mais aussi comme une vision alternative parmi d'autres de ce
que la télévision aurait pu devenir si elle n'en avait pas été empêchée par les
requins qui la dirigent depuis 30 ans.

Je vais terminer en disant qu'il existe trois types d'approches pour travailler
avec ce film. Il en existe de très nombreuses en fait, mais de façon
hiérarchique je commencerai avec une chose que je peux vous proposer. J'ai
écrit des pistes de réflexion pour les écoles qui seront bientôt disponibles en
français. Les enseignants ou les groupes travaillant avec le film qui
voudraient voir quelques unes des idées qui pourraient être soulevées lors
d'une discussion peuvent s'en servir. Mais comme je l'ai souligné dans ces
notes, ce document ne servira qu'à " briser la glace " pour démarrer, les
informations et idées les plus importantes viendront du débat lui-même.
Certains des participants du film ont créé un groupe intitulé "Rebond pour la
Commune" Rebond comme rebondir –c'est un peu difficile à traduire en
anglais alors je garde le français– parce qu'ils avaient été motivés et
intéressés par le processus de réalisation du film, qui a démarré bien avant
le tournage et s'est poursuivi par la suite. Les " Rebonders ", comme on les
appelle, ont poursuivi ce processus collectif en créant récemment en France
une association. Ils sont là pour aider, avec des pistes de réflexion ou plus
simplement pour vous aider à démarrer, pas seulement pour montrer le film,
là n'est pas l'objectif ultime. Le but est d'aller beaucoup plus loin que La
Commune, afin d'explorer des nouvelles manières de revitaliser ou de
réinventer le processus civique, débattre de nos désaccords mais surtout
faire émerger une véritable participation citoyenne à notre histoire.

Je ne sais pas si nous aurons finalement la chance d'éviter de devoir se


retrouver assis dans un parc à thème consacré à la mondialisation, j'en
doute un peu, mais espérons au moins que ce parc sera construit
prochainement, d'ici un ou deux ans avec votre aide. Moi, ou plutôt
quelqu'un d'autre que moi sera installé sur un poste de télévision à manger
des chips –de préférence pas des chips en fait– regardant au loin. Mais il faut
vraiment que nous sortions de cet état de passivité dans lequel les médias
nous ont mis. Et malheureusement une grande partie du système éducatif
collabore désormais activement avec les médias en favorisant l'absence de
débat, l'acceptation passive de la sous-culture populaire médiatique. Comme
s'il n'existait rien d'autre. Mais il existe tout un monde d'alternatives, de
processus alternatifs.
Je vais m'arrêter là, je m'excuse pour ce monologue mais j'espère que vous
pourrez le diluer dans vos propres débats. Au revoir donc, et merci beaucoup
pour votre aide et votre travail avec ce film. Peter Watkins, Lithuanie, 2001

Peter Watkins : notice


biographique

http://www.zalea.org/ancien/ungi/programme/peterwatkins/sommdosspw.html

Peter Watkins est né en Angleterre en 1935. Dans les années 1950 il a fait
des études de théâtre à la Royal Academy of Dramatic Art ; ensuite il a
décidé de devenir cinéaste. Travaillant avec des acteurs non-professionnels, il
a fait plusieurs films pacifistes, dont The Diary of an Unknown Soldier
(1959) et The Forgotten Faces (1960) ; ce dernier est une reconstruction,
tournée en Angleterre, de la révolte hongroise de 1956. Certains de ces
premiers films ont remporté des prix nationaux du cinéma amateur, et ont
été télévisés sur la BBC au début des années 1960.

Watkins a été engagé par la BBC en 1963 comme assistant de production ;


dix-huit mois plus tard, il avait réalisé son premier téléfilm professionnel, une
reconstruction de la bataille sanglante livrée en écosse en 1746 entre les
forces du gouvernement et les clans rebelles des Highlands, menés par
"Bonnie Prince Charlie". Par la suite, Culloden (1964) a gagné de nombreux
prix, et a été projeté partout dans le monde. Ce film, tourné lui aussi avec
des acteurs non-professionnels, représentait une nouvelle manière de
montrer des événements historiques, basée sur un mélange stylistique
novateur du documentaire et du dramatique.

Le film suivant de Watkins, The War Game (1965), montre les horreurs
d'une attaque nucléaire contre la Grande-Bretagne. La suppression de ce film
par la BBC a provoqué un scandale important, et une polémique au
Parlement britannique. La BBC a nié avoir cédé à des pressions extérieures
visant à faire supprimer le film, et le gouvernement a nié lui avoir fait
pression. Malgré tous ces démentis, et bien que le film ait remporté l'Oscar
américain du meilleur documentaire en 1966, la BBC a empêché The War
Game de passer à la télévision, dans quelque pays que ce soit, pendant 20
ans. Elle prétendait, entre autres, que le film était une expérience
télévisuelle ratée.

En 1966, Watkins a fait son premier long métrage, Privilege, une allégorie
sur la manière dont les mass-médias, l'industrie de la musique pop et
l'establishment britannique concourent à détourner l'énergie politique des
jeunes. La presse britannique a vertement critiqué ce film, à un moment où
Watkins subissait des pressions de plus en plus fortes de la part des
professionnels britanniques de la communication, à cause de The War Game.
Watkins a quitté la Grande-Bretagne en 1968, d'abord pour s'installer en
Suède avec sa famille. Il y a fait son deuxième long métrage, The
Gladiators ; c'est lui aussi un film pacifiste, tourné cette fois-ci avec des
acteurs de divers pays. Ce film a été attaqué en Suède, et Watkins a repris la
route. La quête d'une base pour son travail durerait 20 ans.

En 1970 il a tourné Punishment Park aux Etats-Unis ; une allégorie


politique, ce film dénonce la politique intérieure répressive du président
Richard Nixon. Encore une fois, la presse s'est déchaînée contre le film, et
celui-ci a été retiré des cinémas quatre jours après sa première à New York.
Depuis lors, malgré des projections internationales un peu partout, ce film
n'est jamais passé aux états-Unis, que ce soit à la télévision ou au cinéma.
« Punishment Park - 1970 VO Anglais - 90 mn 1970. Le conflit au
Vietnam s'aggrave. Nixon a décidé le bombardement du Cambodge. Aux
Etats-Unis et partout dans le monde, la protestation est unanime. Nixon
décrète l'état d'urgence et, c'est le pré-supposé du film, met en application
une loi de 1950, "le McCarran Act", autorisant le gouvernement fédéral à
placer en détention toute personne "susceptible de mettre en péril la sécurité
intérieure". Dans une zone désertique de la Californie, non loin des tentes où
siège le tribunal civil chargé d'instruire le procès du groupe 638, les
membres du groupe 637 se retrouvent dans le Bear Mountain National
Punishment Park et découvrent les règles du "jeu" auquel ils vont devoir
participer pour avoir choisi cette alternative plutôt que d'être incarcérés dans
un pénitencier. Ils s'entendent promettre la liberté s'ils parviennent à
échapper aux forces de police lancées à leur poursuite, et à atteindre dans
les trois jours un drapeau américain planté dans les montagnes, 80 km plus
loin. A la différence de beaucoup de films politiques populaires, "Punishment
Park" ne propose pas de spécimens élégants de héros ou d'héroïnes avec
lesquels le public pourrait confortablement s'identifier. Pire, Watkins se refuse
à trouver une quelconque issue aux tragiques événements décrits dans le
film, susceptible de "remettre un peu d'ordre" avant que l'assistance ne
quitte la salle. La distribution, comme d'habitude, se compose
majoritairement d'acteurs non-professionnels et de quelques jeunes
comédiens. Quant aux membres du tribunal, ils sont tous interprétés par des
citoyens ordinaires de la ville ... "Punishment Park" fut retiré de l'affiche
après seulement 4 jours d'exploitation. De fait, sa sortie suscita un flot de
critiques féroces. Depuis lors, il a très rarement été projeté aux USA, et
jamais à la télévision. » (source : article paru in Nova Bioscoop Cinéma
n°44, avril-mai 2001)

Ensuite, Watkins s'est installé en Norvège, où il a fait un film biographique de


trois heures sur Edvard Munch, peintre expressionniste norvégien. Edvard
Munch (1973) est un des films les plus connus de Watkins, et il est passé à
l'écran dans de nombreux pays. Il a été suivi par The Seventies People
(1974) et Evening Land (1976), deux longs métrages produits au
Danemark. Chacun a un argument social : le premier traite du nombre élevé
de suicides parmi les jeunes danois ; dans le second, il s'agit de grèves, de
terrorisme et des tactiques répressives de la police danoise. La presse
scandinave a attaqué les deux films, et ni l'un ni l'autre n'a été projeté
depuis.

Pendant les premières années qui ont suivi la suppression de The War Game,
Peter Watkins a beaucoup voyagé, en organisant des discussions publiques
sur la manière dont les mass-médias contribuaient à laisser le public dans
l'ignorance sur effets des armes nucléaires et sur l'ampleur de la course aux
armements. Il a donné des conférences sur ce sujet dans beaucoup de lycées
et d'universités en Europe, en Amérique du Nord, en Scandinavie, en
Australie et en Nouvelle-Zélande.

Au cours de ces discussions publiques, les auditeurs se montraient inquiets


du rôle de la télévision, des rapports de celle-ci avec la violence, du fait que
le public participe de moins en moins à la prise de décisions concernant
l'audiovisuel, de la fragmentation des informations télévisées, et ainsi de
suite. Watkins a commencé à organiser des séminaires et des ateliers sur la
critique des médias, dans lesquels les élèves analysaient les informations
télévisées, et participaient à la création de formes plus ouvertes de
communication, ainsi que d'autres manières d'utiliser les mass-médias de
l'audiovisuel pour établir un dialogue avec le public.

En 1978 et 1979, avec des amis en Australie, Watkins a participé à la


création d'une association à Sydney. "The People's Commission" contestait le
rôle centralisé de la presse et de l'audiovisuel, montait des expositions
d'analyses des médias, et a organisé, en collaboration avec d'autres
associations, un grand débat public à la mairie de Sydney.

En 1979, l'Institut Suédois du Cinéma et la télévision suédoise ont passé


commande à Watkins pour un long métrage sur la vie et l'oeuvre de l'auteur
dramatique August Strindberg. Après avoir passé deux ans et demi à faire
des recherches et à écrire, Watkins leur a présenté un scénario, mais le film
a été annulé. En 1983, Watkins a reçu le soutien d'un important mouvement
suédois pour la paix, pour le financement international d'un film pacifiste
international. The Journey (1983-86) a été tourné en douze pays, et
financé entièrement par le public. Ce film, qui dure 14 heures et demie,
critique le rôle des mass-médias dans la course aux armements mondiale.
Toutes les organisations télévisuelles publiques auxquelles le cinéaste s'est
adressé ont refusé de le téléviser.

En 1992, Watkins a enfin tourné son film sur August Strindberg, dans le
cadre d'un cours de production vidéo qu'il donnait au lycée Folk, près de
Stockholm. The Freethinker (4h35, divisée en trois parties) a été refusé
par toutes les principales chaînes de télévision nordiques, et a pratiquement
été boycotté en Suède, y compris par le système éducatif.

La marginalisation des oeuvres de Watkins par les institutions médiatiques


centrales continue encore. Il constate, par exemple, que l'Institut Britannique
du Cinéma ne l'a pas mentionné, pas plus que ses oeuvres, dans son History
of the Cinema, publié en 1985, ni dans son récent History of the European
Cinema, et que la BBC justifie toujours le fait qu'elle ne télévise plus aucune
de ses oeuvres en disant : "Les films de Watkins n'ont pas résisté au
passage du temps." En même temps, beaucoup d'institutions et de systèmes
éducatifs refusent de discuter du besoin d'analyses critiques des médias dans
les programmes d'études de communication. L'enseignement est plutôt
envahi par des formations techniques et professionnelles à la Hollywood, et
par des programmes qui enseignent les "plaisirs esthétiques" de la culture de
masse. Watkins observe que l'opposition à l'analyse critique des médias dans
l'enseignement est aussi forte que l'opposition, dans les mass-médias, à
l'idée de méthodes cinématographiques alternatives.

En 1994, à cause de la marginalisation de plus en plus marquée de ses


travaux de cinéaste et de critique des médias, Watkins s'est retiré du cinéma
et de la télévision, et s'est installé à Vilnius en Lithuanie, avec sa femme
canadienne-lithuanienne Vida Urbonavièius.

En 1999, Watkins a temporairement repris ses activités de cinéaste pour


faire La Commune, film qui traite des événements de la Commune de Paris
de 1871. Ce film a été marginalisé lui aussi par la télévision française, qui a
accusé Watkins d'avoir créé un fiasco. Ainsi, observe-t-il, la forme et les
méthodes de marginalisation pratiquées par les médias n'ont pas changé
depuis l'époque de The War Game. Mais plus généralement, il y a eu des
changements profonds, car les mass-médias de l'audiovisuel (MMA) ont
acquis une position dominante dans la société, ce qui n'aurait pas été
possible, ou accepté, dans les années 1960. Watkins souligne les effets du
rapport direct qui existe entre le rôle des MMA et le développement de la
mondialisation.

En 2000, Watkins a créé un site Web qui explique dans le détail la crise
mentionnée dans cette notice biographique

La vidéo :

http://www.dailymotion.com/swf/38T5CVYZP0J2d4iqr

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