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Eric Vatin

48 HEURES

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EDITIONS DU FUTUR ©
ISBN : 978-2-36148-001-1

Illustration Claude Vatin

« Toute reproduction intégrale ou partielle fait de quelque procédé que ce soit sans le consentement de
l’auteur est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par la loi. »

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Je dédie ce livre à la Conscience.

Eric Vatin

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48 Heures

IMPORTANT
Mode d’emploi pour ce roman d’un nouveau type :

Vous ne trouverez pas de narrateur, car ce manuscrit est ce que


j’appelle :
Style Direct, action à prendre au présent, à vivre en direct.
Trois niveaux de lecture :
Introduit par :
⎯ Les dialogues de type habituel.
Puis les :
Retraits de marge, ce sont les pensées de certains personnages.
Et le plus important :
« La conscience, l’objet de ce texte ; celle-ci naît et progresse avec le
héro, c’est aussi l’héroïne du roman. »
Fort de cela, ce roman ne possède pas de chapitres, car l’histoire ne
s’arrête qu’à la fin.
Un conseil important : Ne perdez pas le fil car il n’y a que les
personnages qui vous guident à travers ce récit.

Bonne lecture et ne vous arrêtez qu’à la fin.

E.V.

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"Pour Dieu 1000 ans sont comme un jour…"
Et si 48 heures étaient comme une vie ?

48 HEURES :

Lettre à tous
Je m’appelle Jacques Brillant, rescapé d’une aventure incroyable,
je vis à Annecy, avec ma femme et mes deux enfants. Mon histoire, bien
qu’extraordinaire, n’a jamais été dévoilée au grand jour, mais ma vie a
pris une autre dimension le jour de mon retour chez moi, un onze
septembre deux mille un…

Je m’appelle Aqualuce, je vis à Annecy avec mon époux et mes


deux enfants. Ma vie a commencé un onze août mille neuf cent quatre
vingt dix neuf, le jour où j’ai rencontré Jacques. Par la suite, ma
conscience est devenue esprit, le jour où j’ai découvert ce monde, c’était
le onze septembre deux mille un.

Je m’appelle Noèse, ce nom signifie pensée. Je vis à Annecy avec ma


fille Axelle et mes amis Aqualuce et Jacques. Sans eux, je serais restée
au fin fond de l’inconscience, dans un monde dominé par la pensée
corrompue et le plaisir. Je suis toujours auprès de ceux dont la
conscience s’éveille, comme une sage-femme je les aide à se libérer,
depuis le Onze Septembre Deux Mille Un.

Pour nous trois, le Onze Septembre Deux Mille Un est le premier


jour de la grande révolution de l’Esprit. Ce que nous avons vécu, nous
l’avons fait pour vous ; vous n’aurez pas à le refaire, mais juste à vous
laisser guider.

Jacques, Noèse, Aqualuce.

Lettre pour ceux qui la liront


Journal : La médecine libre, 14 avril 2003
Je me pose des questions sur les méthodes employées actuellement pour
soigner. Médecin, je me mets à douter chaque jour un peu plus de mon
efficacité à soulager mes patients. Oh bien sûr, j’emploie comme je l’ai

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appris toutes les possibilités de la médecine moderne, hélas, j’en ressens
de plus en plus ses limites. L’industrie pharmaceutique progresse, les
molécules sont de plus en plus précises et efficaces d’un point de vue
cellulaire, mais quand on y regarde de plus près, que soignent-elles en
vérité ?
Pas grand chose, je reçois quotidiennement des patients supplémentaires
dans mon cabinet et je les revois régulièrement par la suite. Je serais
véritablement médecin, mes patients sortiraient guéris et je verrais ma
clientèle se réduire. Hélas il n’en est rien.
Pour quelle raison ?
La réponse en est très claire : les maladies progressent plus vite que la
science et nous serons toujours perdant dans cette course. La raison en
est simple, pour créer un médicament nous avons besoin de la maladie,
donc nous sommes en retard au premier instant, d’autant plus que les
virus évoluent plus vite que nous. Surtout, l’humanité est elle-même
touchée par une maladie générale qui semble incurable, ce mal, je le
nommerai ainsi :
"L’individualisme chronique", le pire de tous les maux.
Pour ma part, J’aspire à un monde juste, où tous les hommes
collaboreront pour une même cause et je lance cet appel :
Qui pourrait m’aider à trouver le remède universel capable de soigner
toutes les maladies et rendre le monde meilleur ?

Steve O’Connor, médecin à Vinas

Écoute ma prière
Journal intime, le 3 juillet 2003
Je m’appelle Clara, je vis avec mon époux Steve O’Connor, je
l’aime. Mais j’étouffe, je ne peux m’exprimer, mon univers s’est arrêté
subitement. J’ai au fond de moi tant de force, mais un voile obscur
couvre ma pensée. Je suis comme un oiseau à qui l’on a coupé les ailes.
Je voudrais voir la lumière, mais c’est la nuit qui me guide.
Qui pourra m’aider à retrouver ma voix et ma conscience perdues depuis
le onze septembre deux mille un ?
À celui ou celle qui pourra m’entendre, j’adresse cette prière.
Oh ! s’il y a une vie, un monde derrière mon esprit, qu’il se manifeste,
car mon cœur y aspire depuis que je suis. Si la Lumière touche des âmes
conscientes sur cette Terre, qu’elle les guide vers moi afin qu’elles me
montrent la porte qui ouvrira vers la liberté et l’Amour auquel mon
Cœur aspire.

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Hélas, je sens la mort roder autour de mon être ; dois-je me battre contre
elle ou la laisser me toucher.
Oh ! Vie, si tu existes, où es-tu ?

Clara O’Connor

Ce jour là, Conscience…


Mesdames, Messieurs, comment pouvons nous imaginer
spectacle plus abominable que celui-ci ? Ce matin, 9 heures 05, heure de
New York, un premier avions percute une des deux tours du World
Trade Center, dix huit minutes plus tard, c’est la deuxième tour qui est
frappée par un autre avion de ligne. Regardez ces flammes, voyez cette
fumée envahir le ciel de l’immense cité. Quelle désolation, quelle
horreur. Comment est-ce possible ? qui peut bien frapper le cœur de ce
grand pays, pour quelle raison ?

⎯ À quoi penses-tu Jacques en regardant cette photo ?


⎯ Oh ! à rien, je me disais que je ferais bien un tour à New York.
⎯ Tu ne me dis que la moitié de la vérité, mon chéri.
⎯ Tu as raison, je pensais à ce jour où je t’ai amenée jusque chez
moi, ce jour, où dans le monde, plus rien n’a été comme avant.
⎯ Oui, Jacques, notre arrivée, notre nouvelle vie, départ d’une
nouvelle conscience pour l’humanité !
⎯ Nouvelle conscience ! Aqualuce, je ne comprends pas, connais-tu
le véritable but de notre existence dans ce monde qu’est qui nous fait
bouger à chaque seconde de notre vie. Pourquoi, pourquoi tout ça, le
sais-tu ?
⎯ Jacques, le Monde, l’Univers a sa raison d’être, mais très peu
d’hommes la connaissent. Certains se sont figurés des dieux, un Dieu
pour expliquer toute la création. Je ne fais pas parti de ceux-là, mais il y
a un mystère à découvrir qui nous dépasse tous. Je ne connais pas la
source de notre vie, n’y le but qu’elle nous pousse à atteindre, mais je
sais que l’explication est tout à fait rationnelle. Il n’y a pas d’être
spirituel responsable de notre état d’être. Le but sera long pour nous à
atteindre, mais je suis certaine que nous connaîtrons un jour la vérité. La
seule chose que je sache, c’est que notre état d’homme ignorant a tué
une partie de notre conscience, notre esprit est loin d’être complet. Il
nous faut sur cette planète trouver la véritable relation entre l’univers et
les hommes. Nous ne sommes pas à notre place ici, car nous sommes les

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enfants des étoiles, mon cœur me le dit à chaque seconde de ma vie. Sur
nos planètes, nous sommes sur des lieux de transites. Notre cœur connaît
la vérité, il nous est demandé de la retrouver. Tu as commencé à changer
ta conscience et tu dois continuer, aussi, tous les hommes doivent le
faire, c’est une nécessité pour tous. Ce que nous avons déjà vécu, est
encore à vivre pour les autres. Mais ce n’est pas pour autant que notre
but sera atteint. En tous cas, je te le redis, la conscience n’est pas de
nature supérieure, juste une vérité cachée. Il n’y a pas Dieu ni de dieux
pour ça. Aidons les hommes à se réveiller, ce sera déjà un pas vers la
vérité.
⎯ S’il n’y a pas de dieux, qu’est-ce qu’il y a ?
⎯ La Vie simplement, c’est déjà un grand mystère. Jacques, toi-
même, dans ton état tu peux déjà aider d’autres hommes.
⎯ Mais je suis un ignorant.
⎯ À chaque jour suffit sa peine, bonne nuit, mon amour.
⎯ Je t’aime, bonne nuit.

Ce matin
Nous sommes attablés tous les deux, je me demande ce que pense
Aqualuce en ce moment, elle a l’air songeuse. Ah ! Aqualuce, femme
empreinte d’Amour et de Lumière ; tu n’as jamais froid aux yeux et par
ta force tu fais sauter toutes les barrières ; mais tu as besoin de moi pour
t’exprimer, car sur Terre tu resteras toujours une étrangère, de par ta
nature.

Ce matin du 4 juillet 2003, c’est le petit déjeuner, alors que nous


écoutons ensemble Martin Winckler à la radio, il faut que je lui parle,
c’est le moment.

⎯ Jacques, mon amour, cela va bientôt faire deux ans que nous
sommes ici avec Noèse, nous menons une vie bien confortable, un peu
comme ce chroniqueur que j’entends sur France Inter depuis plusieurs
mois, et qui se conforte dans une routine trop tranquille, d’ailleurs il
devrait se méfier, le ciel peut lui tomber sur la tête à tous moments. Nous
avons un but, et nous devons mettre tout en œuvre pour l’atteindre. Pour
ma part, je recherche avec Noèse les enfants du onze septembre qui nous
ont accompagnés ainsi que tous les hommes qui ont été touchés
profondément ce jour là, nous sillonnons la planète pour encore peu de
résultats, comme si la Terre ne souhaitait pas participer à cette grande

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révolution qui gronde en elle. De plus je sens la solitude peser sur
Noèse. J’ai eu subitement une idée au réveil :
Parmi tous les ouvrages scientifiques que je lis, je suis tombée sur
l’article d’un médecin qui m’a fort intéressée. Cet homme est différent et
semble avoir des qualités d’âme un peu trop rare. Je me suis renseignée à
son sujet,
Il est très humaniste, mais en même temps il se questionne sur
l’efficacité de telles pratiques. Je pense qu’il pourrait nous aider si nous
en faisions un ami. Je te sens aussi un peu solitaire, comme Noèse, sorti
de notre petit cercle. Je pense qu’il saurait t’aider à réaliser tes projets.
⎯ Mais de quels projets parles-tu ?
⎯ Ecrire un livre par exemple !

Où veux-t-elle en venir, quel rapport entre moi et ce médecin, de


plus, je n’ai pas l’âme d’un écrivain ?

⎯ Pourquoi, Aqualuce, me dis-tu cela, où as-tu été chercher cette


idée que je souhaite écrire un roman ? Tu sais très bien que je suis
dyslexique et que je ne fais pas moins de deux fautes d’orthographe par
ligne, quand à mon vocabulaire, et à ma culture, ils sont du genre
minimal. Où veux-tu en venir ?

Tu n’aimes pas qu’on te bouscule, mon pépère, mais tu vas


bouger, je le sens.

⎯ Jacques, j’en conviens, tu n’es pas écrivain, mais tu as peut-être


un don caché. Je ressens en toi, et Noèse est d’accord avec moi, que tu
devrais rencontrer cet homme et lui parler, vois si nous pouvons en faire
un allié. Questionne-le, vois s’il répond. Mon intuition me dit que lui-
même ne sait pas quelles sont ses possibilités. Vas le voir, Jacques, n’aie
pas peur, et propose lui l’incroyable. Peut-être que ce médecin pourra
t’aider à découvrir en toi des dons cachés que tu ignores encore, qui
sait ?

Voilà maintenant une de ses nouvelles idées, non contente de


vouloir bouger la Terre entière, aujourd’hui, c’est moi qui suis dans son
collimateur.

⎯ T’es folle, tu me vois débarquer chez lui et lui dire : bonjour, je


suis Jacques Brillant, je suis allé faire un petit tour dans la Voie Lactée,

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j’ai même visité une planète aux alentours d’Andromède ; suivez-moi,
nous allons changer le monde ! Je vais me faire jeter, ce gars va me
prendre pour un fou ! Pour peu qu’il me fasse interner, t’auras tout
gagné.

Jacques tu t’endors, mais c’est à toi de jouer.

⎯ Douterais-tu de nous ? D’abord, tu ne débarqueras pas chez lui de


cette façon, et tu dois trouver les mots justes pour lui parler.
⎯ Tu ne me laisseras donc jamais tranquille, Aqualuce, notre voyage
aux limites de nous-mêmes n’était donc qu’une partie de ma vie, quand
en verrai-je le bout ?

Je n’ai pas épousé un mollasson.

⎯ Ça commence juste, Jacques, si tu voulais une vie douce et


mielleuse, tu devais choisir une autre femme !

Elle est gonflée.

⎯ Mais tu ne m’as pas laissé le choix, et ton père non plus, tu le sais
très bien.

On va voir ce qu’on va voir !

⎯ Si tu regrettes quoi que ce soit, dis-le, je pars immédiatement.

Je me sens rougir. Je peux parfois penser décider de mon propre


gré, mais depuis longtemps je sais que jamais je ne fus réellement maître
de mon destin. De plus, cette femme apparue il y a quatre ans dans ma
vie, j’en suis éperdument amoureux. Elle est trop forte, je me suis encore
fait piéger.

⎯ Tu me testes à chaque instant de ma vie. Je t’aime, et tu m’en


demandes encore plus, comme si je ne t’aimais jamais suffisamment.

Ah ! les hommes sont tous aussi faibles. Tu est prêt à tout pour
moi, mais es-tu prêt à tout pour le Tout ?

⎯ Tu m’aimes, mais tu es un homme, et ta nature a tôt fait de

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reprendre le dessus, tu te relâches, et un jour tu oublies ce pour quoi tu
es fait.

Tu ne peux douter de moi ainsi.

⎯ Avec toi, en aucun cas. Nous vivons ensemble et je ne peux te


décevoir.

Mon grand coquin, c’est plus fort que moi, mais je dois te tester
pour que tu aies à cœur de te dépasser.

⎯ Je sais tout cela, Jacques, mais je te bouscule juste pour que tu


ailles chaque jour plus loin encore que tu ne peux ordinairement ; ma
nature est ainsi faite. C’est pourquoi j’aimerais que, malgré tout, tu
rendes une visite au docteur O’Connor. Ce médecin donne des
consultations dans son cabinet qui est dans une bourgade s’appelant
Vinas.

Et comme toujours, tu as toujours le dernier mot. Ce n’est pas


drôle de vivre avec la perfection.

⎯ J’ne connais pas !

Tu n’auras pas d’excuse.

⎯ Aucune importance, je te montrerai sur une carte. Prends ta


voiture, pars demain, tu en as pour plusieurs heures.

Ce n’est pas grave, de toutes façon là-bas je ne serais pas seul.

⎯ Tu viens avec moi ma chérie !

Mon chéri, je crois que tu vas faire tes premiers pas, seul dans
cette aventure !

⎯ Je n’ai pas le temps, et en plus ce n’est pas mon affaire, c’est la


tienne.
C’est pas vrai… Je n’vais pas partir seul alors que je ne sais rien
de tes intentions.

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⎯ Il reçoit sans rendez-vous demain.

Et pourquoi j’irais voir ce docteur, je me sens bien.

⎯ Mais je ne suis pas malade !


⎯ On est tous plus ou moins malade. Ne te pose surtout pas de
question, vas-y, c’est tout !

C’est tout ? Oh ! Avec Aqualuce c’est toujours comme ça. Dans


quoi je m’embarque ? Bof, parfois, il faut être un peu fou pour faire des
découvertes.

***

24 premières heures

J’ai eu toute la nuit pour réfléchir à ce que je vais faire devant ce


médecin mais j’ai encore la tête vide et maintenant, c’est le matin, il faut
que j’y aille. En voiture pour Vinas, un village en France, au bout du
monde et de l’imaginaire, tellement inconnu qu’aucune carte ne semble
l’indiquer.

J’ai presque une conduite automatique, j’ai l’impression que mes


yeux regardent la route et les indications sont transmises à mes membres
directement. Au moins ça laisse de la place pour réfléchir à ce que je
vais bien pouvoir inventer devant ce docteur. Pourquoi Aqualuce m’y a
envoyé, quel rapport avec la mission qu’elle s’est assignée depuis deux
ans ? Peut-être qu’elle m’envoie chez lui parce qu’il est de la famille de
sa chanteuse préférée ; voilà certainement la raison, elle n’a pu résister à
l’idée de m’envoyer voir le frère de Sinead O’Connor. Je dois admettre
que j’aime aussi cette chanteuse, elle a une voie sublime et surtout,
comme dit Aqualuce, ses textes sont d’une profondeur et d’une vérité
sans égale. Aqualuce me dit, mais je crois que c’est pour me faire
marcher, que c’est une extraterrestre. Je veux bien le croire, avec sa
coupe de cheveux, elle me fait penser à la femme dans Star Trek ; ce qui
me fait rire, c’est qu’Aqualuce lui ressemblait avant. C’est certainement
pour ça qu’elle lui trouve des points communs.
Enfin, bientôt huit heures de route, ça aide à penser dans tous les sens.
Mais je crois que je vois le bout. Tien, oui, Vinas, deux kilomètres.

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J’arrive à Vinas, mais ce n’est pas facile de trouver un cabinet
médical, surtout lorsqu’on n’est pas du coin. Arrêtons-nous devant cet
homme âgé, demandons lui le chemin.
⎯ Connaissez-vous le cabinet du docteur O’Connor ?

Il me dévisage, il jette un œil sur ma plaque minéralogique.


« Pourquoi vient-il voir le docteur, celui-là ? Il n’est pas d’ici ! » Doit-il
penser.

⎯ Le cabinet médical, c’est un peu plus haut, la bâtisse avec le


pigeonnier au dessus.

Voilà enfin ce cabinet, il est seize heures trente bientôt, garons la


voiture. Le cabinet est au bord de la rue. Allez, ouvre la porte, la
secrétaire est derrière.

⎯ Bonjour, c’est la première fois que vous venez !

Elle est affirmative celle-là, comment peut-elle déjà le savoir ?

⎯ Oui, on m’a recommandé le docteur O’Connor.

⎯ Vous n’êtes pas du coin ?


⎯ Je viens d’Annecy.

Mais ils se retournent tous vers moi, comme si j’étais un


extraterrestre. La salle d’attente est pleine, au moins dix personnes
devant moi. Je devrai attendre. Ce n’est pas grave, de toute façon, je n’ai
que ça à faire. Je ne suis pas malade, et je ne sais même pas ce que je
vais pouvoir lui raconter à ce docteur.

Steve
Il est plus de dix-neuf heures, la dernière personne devant moi vient de
pénétrer dans le cabinet du médecin, j’ai toujours la tête vide et mon tour
ne devrait pas tarder si le patient qui me précède n’est pas à l’agonie. Je
suis le dernier. Ça fait un quart d’heure que je patiente, la porte s’ouvre,
le malade ressort, le visage plus lumineux qu’à son arrivée, c’est
rassurant. L’ombre du médecin referme la porte, il ne vient pas me
chercher. Prépare-t-il ses instruments de torture ? Ma femme lui a-t-elle
téléphoné pour demander de me préparer une mixture magique, un filtre

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de vérité ? L’imagination va loin, lorsque l’on est dans un cabinet
médical à attendre son tour. La porte s’ouvre, la salle d’attente est vide,
il y a bientôt une demi-heure que la secrétaire est partie ; le docteur
O’Connor sort, et se dirige vers moi, c’est un homme qui doit mesurer
moins d’un mètre quatre vingt, les cheveux châtain très court il a une
paire de lunette en écaille si large que son visage paraît ridiculement
étroit. Il me dévisage.

Tiens ! c’est le type qui vient d’Annecy, je me demande ce qu’il


peut bien faire ici à Vinas, il s’est perdu ou quoi ? À première vue, il n’a
pas l’air trop malade. Enfin, voyons un peu.

⎯ Vous avez fait beaucoup de route pour venir me voir aujourd’hui,


entrez, je vais tâcher de prendre un peu de temps avec vous.

Suivons-le, je rentre dans son cabinet. Son bureau est fait de deux
blocs d’aggloméré blanc sur lequel repose une planche en bouleau ; il
doit se meubler chez IKEA, tout paraît simple autour de lui. Il me
regarde dans les yeux maintenant.

⎯ Que vous arrive t-il pour que vous fassiez autant de route afin de
venir en consultation à Vinas ?

Je ne sais quoi lui dire, j’ai l’air complètement idiot, pas la


moindre égratignure, ni douleur, je suis en forme, malgré huit heures de
route. Je ne sais pas pourquoi, il faut que je lui parle d’Aqualuce, c’est
plus fort que moi.

⎯ C’est ma femme qui m’envoie. Il faut dire qu’elle est


exceptionnelle, unique, vous n’en rencontrerez jamais d’autre comme
elle. elle est, elle est…, parfaite. Si je suis aujourd’hui devant vous, c’est
pour vous parler d’elle. Moi, face à elle, je suis un simple d’esprit.

Il semble bien surpris par le motif de ma visite, et semble gêné


par cette phrase qui sort de ma bouche ; moi-même je me demande
encore pourquoi je viens de lui dire ces mots. Un silence interminable,
plus long que l’éternité se pose sur nous deux, ma tête commence à
tourner, je vais me sentir mal « oh Aqualuce, dans quoi m’as-tu
embarqué ? ». Mais ses lèvres semblent se desserrer.

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Encore un fou, restons calme.

⎯ Comment s’appelle votre femme ?


⎯ Aqualuce, euh… je veux dire Luce !

Il est plutôt speed, calmons le, il pourrait s’emporter.

⎯ Détendez-vous. Alors, son prénom c’est Luce ou Aqualuce ?


⎯ Luce pour l’état civile, Aqualuce pour moi.

C’est mieux déjà, Aqualuce doit être le surnom de sa femme.

⎯ Et vous êtes venu me voir pour laquelle d’entre elles ?


⎯ Aqualuce est ma femme, c’est la mère de mes enfants, et c’est
aussi ma raison d’être.

Bon, ça risque de durer, ouvrons un dossier, restons


professionnel. En voilà encore un qui a des problèmes avec sa femme, il
préfère venir me voir, plutôt que de consulter un avocat.

⎯ Je vais ouvrir une fiche pour vous, quel est votre nom ?

Bon, ça semble bien parti, s’il me fait un dossier.

⎯ Je m’appelle Jacques Brillant, j’habite à Annecy, j’ai trente quatre


ans.

Il dresse mon état civil sur sa fiche, il me regarde encore une fois
dans les yeux en silence.

Clara m’attend, ce type va me mettre en retard, j’ai pas envie de


faire d’heures sup., il faut que je m’en débarrasse.

⎯ Je ne suis pas psychothérapeute, je crains de vous décevoir, je


pense que votre visite s’arrête ici, mais rassurez-vous je ne vous ferai
rien payer.

Je suis déconfit, près de sept cents kilomètres pour ça ! Aqualuce


ne se trompe jamais, pourquoi j’en suis arrivé là ? Dois-je douter d’elle,

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me remettre en question, la remettre en question, tout remettre en
question ? O’Connor, regarde moi dans les yeux, ce que je vais te dire,
ça va décoiffer !

⎯ Si vous aviez vécu l’incroyable, si vous aviez traversé l’univers


entier, si vous aviez connu la création tout entière, plongé dans l’abîme
de l’enfer et côtoyé la source de la lumière, garderiez-vous cela pour
vous ou le partageriez-vous avec toute l’humanité ?

C’est pas vrai, qu’est-ce qu’il me sort là, t’as pas compris que je
voulais arrêter. Eh puis ! à parole déconcertante, réponse déconcertante.

⎯ Si je n’avais, ne serais-ce qu’une poussière de vérité, je la


donnerais aux hommes pour qu’ils puissent s’en oindre comme un
baume de jouvence.

Et tac ! t’as vu je peux en faire autant… mais ! pourquoi je lui


réponds en rentrant dans son jeu ? t’es bête, tu lui ouvres la voie.

O’Connor, tu baisses les yeux maintenant, je t’ai surpris, n’est-ce


pas ?

⎯ Qu’avez-vous à me dire monsieur Brillant ?

Répondons du tac au tac.

⎯ Pour ma femme j’ai vécu l’incroyable, traversé l’univers, connu


la création, plongé dans l’abîme de l’enfer et côtoyé la source de la
lumière, et j’ai trouvé ma femme. Et j’ai compris qu’elle était la source
de ma vie depuis ma naissance, et aujourd’hui, c’est elle qui m’envoie
vers vous.

C’en est trop cette fois, c’est un psychopathe, un mythomane,


que me chante t-il ? il faut que je le remette à sa place, tant pis s’il me
saute dessus.

⎯ Je suis médecin monsieur Brillant, lorsque l’on pénètre dans mon


cabinet, c’est que l’on est malade, dépressif, enrhumé, cancéreux,
cardiaque, asthmatique, séropositif, j’en passe et des meilleurs…
J’ai fait neuf ans d’étude avant d’être médecin, je suis un scientifique, à

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la faculté, on m’a appris à connaître le corps humain, interne j’ai appris
à soigner les malades. Je suis généraliste, je ne suis pas psychiatre.
Monsieur Brillant, vous n’avez rien à faire ici.

La partie n’est pas gagnée, il faut que je lui raconte une histoire
qui va le déconcerter, je dois frapper fort.

⎯ Ma femme m’envoie chez vous pour vous donner une poussière


de vérité, afin de vous soigner. Écoutez-moi, je vais vous raconter une
histoire, mon histoire. Vous êtes un scientifique, et je vais tâcher de
rester très concret. Je ne sais pas comment je vais m’y prendre, car je
n’ai pas trop d’idées, c’est ma femme qui influe sur moi directement par
la force de ses pensées. Sans elle, je suis un peu perdu. Mais je suis
capable de vous dire comment je la vois. Notre amour a commencé
certainement dès notre naissance, mais nous n’en étions pas conscients,
voici comment :
Avant toutes naissances, il y a toujours l’Amour. Ma femme Aqualuce
est née de l’Amour de deux êtres plus parfaits que les parfaits, plus purs
que les purs, d’eux elle est née parfaite, un vingt cinq décembre mille
neuf cent soixante huit à Paris dans le onzième arrondissement. Dans la
même maternité, dans le bloc d’à coté, au même instant, je voyais le
jours, je suis né d’un père comptable, et d’une mère standardiste à
l’époque. Nos deux vies, jusqu’à il y a quatre ans, ne s’étaient jamais
croisées, du moins je le pensais.

Ça y est, sortez les violons, voici l’histoire ordinaire d’un fou qui
prend ses rêves pour des réalités. Stop.

⎯ Monsieur Brillant, je veux bien écouter encore quelques minutes


votre histoire, mais nous ne pourrons pas y passer la soirée, car moi
aussi ma femme m’attend.

J’avais dit à Aqualuce qu’il me prendrait pour un fou, et c’est


gagné. Mais tentons le tout pour le tout, au point où j’en suis, de toutes
façons la camisole est pour bientôt.

⎯ Je suis désolé docteur, il ne m’est pas aisé d’être devant vous, sans
trop savoir quoi dire, et je cherche le moyen de vous convaincre de
m’écouter. Mais peut-être préféreriez-vous que je vous dise "Bonjour
docteur O’Connor, je m’appelle Jacques Brillant, j’ai rencontré ma

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femme dans un vaisseau spatial, j’ai été demi-maître de l’univers, j’ai
traversé la voie Lactée de long en large, et je suis allé sur une planète
d’Andromède, à plus de deux million d’années lumière". Peut-être vais-
je vous intéresser maintenant.

Je l’ai bousculé, maintenant. Le médecin qui par sympathie


m’accordait un peu de temps me dévisage d’un air étrange. Il est hagard,
je me demande s’il ne va pas appeler les pompiers ou la police pour me
rapatrier vers l’hôpital psychiatrique le plus proche. Du reste, il regarde
déjà son téléphone d’un air étrange.

T’as dépassé les bornes, cette fois, ton histoire intergalactique je


crois que tu vas la continuer dans un vaisseau spatial avec des lumières
bleues qui va te conduire tout droit vers l’asile psychiatrique. Cette fois,
j’appelle police secours, c’est eux qui s’occupent des fous sur la voie
public. Voyons, la police, c’est le 17 ou le 18, zut, je’n’sais jamais.

Son téléphone se met à sonner maintenant, c’est peut-être ma


chance ?

⎯ Allo, oui, bien sûr c’est moi…

Son visage se transforme.

⎯ Tout à fait, il est devant moi…

Curieux, il parle de moi, mais qui donc peux appeler ?

⎯ Mais…

Il n’a pas le dernier mot, il semble recevoir des ordres.

⎯ Comme vous voudrez…

Et voici qu’il se plie maintenant.

⎯ Mais…

Il est devenu livide d’un seul coup, je crois qu’il se passe quelque
chose d’inattendue.

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⎯ Tout le temps qu’il faudra, bien sûr… Mais… C’est très
surprenant, je ne m’attendais pas à cela…D’accord, je vais le rassurer,
au revoir madame.

Il raccroche son combiné. Il en fait une tête, qu’est-ce qui a pu se


passer, qui était au bout de la ligne ?
⎯ C’était votre femme, elle m’a demandé de prendre tout le temps
qu’il faudra ensemble, elle m’a dit que toute votre histoire est
parfaitement vraie, que votre rencontre s’est faite dans un espace bien
différent du nôtre, et que si vous êtes aujourd’hui chez moi, c’est pour
me projeter dans un univers semblable au votre, je lui ai dit que
j’acceptais son invitation inattendue. Je ne sais pas pourquoi vous me
rendez visite aujourd’hui, mais je dois vous écouter. Elle m’a aussi
demandé de vous rassurer sur le fait que je ne vous prends plus pour un
fou dangereux, vous ne risquez rien avec moi. Mais bon sang, qui êtes-
vous ?

Aqualuce, je savais que je pouvais compter sur toi, tu es une


magicienne, comment ai-je pu douter de toi ? Au seuil de la catastrophe,
tu es toujours présente et tu t’occupes des miracles.

⎯ Je vivais une vie tranquille comme vous, jusqu’à ce matin du onze


août mille neuf cent quatre vingt dix neuf, ce que j’ignorais, c’est que
c’était le dernier jour de ma vie, de ma vie simple et ordinaire, un peu
comme pour vous aujourd’hui. Mais de ce jour, avec du recul, j’en fais
le premier d’une naissance ; celle d’une âme transformée par l’Amour
d’une femme presque immatérielle. C’est l’instant de la rencontre avec
un feu qui m’avait accompagné depuis ma naissance, la flamme d’un
amour que j’imaginais impossible, ou alors logé au fin fond de la
galaxie. Je ne pensais pas qu’il soit si prêt et qu’il se révèle dans des
circonstances plus que chaotiques. Pourtant, il était là bien présent, en
chair et en os devant moi, riche d’un nom merveilleux, Aqualuce, Aqua
pour eau, Luce pour lumière, ces deux mots réunissent toute une force.
Alors, de ce jour, je me suis retrouvé pourvu d’une deuxième vie au font
de mon cœur. Peut-être suis-je venu vous voir pour vous parler de cela.
Je vis avec et aujourd’hui c’est comme une nouvelle conscience.

Il y a un instant, j’étais près à le faire interner, et maintenant, je


dois l’écouter. Cette voix au téléphone était, était comme… Comme

23
magique, voilà le mot. Mais il faut que j’avertisse Clara, ça risque de
durer un peu plus longtemps.

⎯ Hum ! je crois que cette consultation risque de déborder, excusez-


moi, mais je dois avertir mon épouse que je vais rester plus tard au
cabinet, je lui envoie un Email, car elle est muette hélas et le téléphone
ne nous est guère utile.

De son PC, il frappe un message, il doit être fort désappointé, car


pour signifier son retard, il s’y prend en plusieurs fois, corrige et semble
écrire un roman.

⎯ C’est bon.

Silence encore, il me regarde, mais il a perdu le faux air sévère


qu’il voulait se donner au début.

Aqualuce, c’est le prénom de sa femme, étrange. Comment a-t-


elle fait pour faire sonner le téléphone au moment où je m’apprêtais à
appeler la police ? Et à sa femme je fais confiance, comme si c’était la
mienne. Ah ! les femmes ont un fluide tel que nous, les hommes, nous
n’y résistons pas.

⎯ Votre femme a une voix enchanteresse, si elle est aussi belle que
la mélodie qui sort de sa bouche, vous êtes un homme comblé, et je
comprends ce qu’elle peut représenter pour vous. Comment, moi aussi
pourrais-je lui résister ?
⎯ Il est impossible de lui résister. Avez-vous lu un de ces romans,
comme Harry Potter ?
⎯ Oui, comme tout le monde, pourquoi ?
⎯ Eh bien ! ma femme n’est pas une sorcière, mais mieux que ce
héros imaginaire de roman, sans baguette magique, sa magie s’exerce
autour d’elle, et Voldemor lui-même ne pourrait lui nuire. Pourtant, sa
magie n’est pas surnaturelle, c’est l’espace temps qui se distord autour
d’elle pour ne pas outrepasser les lois de la nature, qui peut mieux faire ?

Distorsion de l’espace temps, il y va fort quand même.

⎯ Comme je vous l’ai déjà fait remarquer, monsieur Brillant, je suis


médecin, donc, scientifique, il vous faudra beaucoup d’arguments pour

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me convaincre de vos dires, mais j’ai très envie de vous écouter, car
j’aime les histoires drôles et je rêve aussi.

Tu as beau dire, mon cher médecin, mais Aqualuce est vraiment


exceptionnelle, tu en as eu la preuve dans l’instant. Aqualuce, ton coup
de téléphone est un coup de maître.

⎯ Des histoires drôles, je ne sais pas si j’en serais capables, mais du


rêve, vous allez être servi, vous en aurez pour votre argent, et cela en
telle quantité, que vous n’aurez plus jamais envie de rêver de votre vie,
car si je vous convaincs, vous comprendrez que le rêve, c’est vous et ce
monde, c’est notre vie diurne plus que notre vie nocturne. Je vais ouvrir
l’espace temps devant vous. Je me présente devant certain comme un
simple d’esprit, en comparaison avec l’intelligence de ma femme, et
aussi par rapport aux érudits de ce monde ; pourtant, le simple d’esprit
n’est pas un idiot, comme on pourrait l’envisager. Pensez à E=MC²,
c’est simple en esprit de dire "l’énergie est égale au produit de la masse
et de la vitesse de la lumière au carré" le simple d’esprit est celui qui
prend les lois universelles de la nature et les applique en toute simplicité,
comme des expressions naturelles données pour un but. L’univers doit
être simple d’esprit, il ne s’est pas embêté à créer des lois universelles
complexes, le théorème de Pythagore en est un exemple, la loi
d’Archimède aussi. Je comprends maintenant pourquoi ma femme m’a
envoyé vers vous. Elle veut que je puisse exprimer le message qu’elle
possède en elle, qui est que la vraie Vie est autour de nous et qu’elle
nous attend depuis l’aube de la première seconde du temps.
Commencez-vous à saisir maintenant pourquoi je viens vous voir ?

Mais si je l’écoute, cet homme est un révolutionnaire, il est venu


pour tout casser autour de moi.

⎯ Êtes-vous venu ici, à Vinas, pour une simple consultation avec un


médecin de campagne ou alors pour me déstabiliser et me rendre
malade;; à l’inverse de moi qui aime à soigner les hommes, les femmes.

Tu doutes encore ?

⎯ Non, au contraire, je viens pour que vous me soigniez, car je suis


comme tous les hommes, un grand malade, comme vous aussi. Notre
entretien n’a qu’un seul but ; nous aider à dépasser nos concepts et nos

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limites.

Pourquoi pas ! mais ce n’est pas ici qu’il faut parler avec cet
homme. Il débarque cet après-midi, un moment je veux le mettre dehors,
mais maintenant j’ai l’étrange impression de le connaître depuis bien
plus longtemps. Je vais informer Clara et peut-être l’amener à la maison.

⎯ Je pense que nous devrions sortir d’ici pour parler librement. Du


reste, pour moi, vous n’êtes pas malade, je ne peux rien pour vous en
tant que médecin classique. Vous débarquez sans rendez-vous dans mon
cabinet, c’est pour moi le week-end, demain je ne travaille pas ;
curieusement, bizarre, vous ne m’êtes pas étranger. J’ai une idée,
excusez-moi, je vais consulter ma femme.

Il se repenche sur son ordinateur, mais il s’arrête net avant


d’avoir eu le temps de se lancer dans des phrases interminables.

⎯ C’est de la transmission de pensée, Clara me propose que je vous


invite à dîner. C’est incroyable, jamais elle ne s’est permise ce genre
d’attitude avec un patient. Monsieur Brillant, vous êtes un heureux
chanceux.

Clara, il a dit Clara ! C’est trop curieux pour que ce soit une
coïncidence. Aqualuce devait déjà le savoir… Non, ne t’emballe pas trop
vite, Clara est morte depuis quatre ans, Aqualuce l’a pleuré, elle m’a dit
comment elle l’a vue morte dans ses rêves, et j’étais présent lorsque
c’est arrivé.

⎯ Quelque chose vous dérange, monsieur Brillant, vous ne souhaitez


peut-être pas dîner chez nous ?

Il a vu les traits de mon visage changer, je ne me contrôle pas.

⎯ Oh si, bien au contraire, mais c’est le prénom de votre épouse qui


m’a troublé. J’ai perdu il y a quatre ans une amie très chère qui avait le
même nom.
⎯ Coïncidence, mais je comprends votre émotion, mais ma femme
est bien vivante. Quittons le cabinet, je vais le fermer. Vous êtes en
voiture je pense.
⎯ Tout à fait, je suis garé dans la rue.

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⎯ La mienne est là devant, vous me suivrez, je passerai devant vous.
⎯ D’accord.

Je monte dans ma voiture, il passe, je le suis. La route n’est pas


bien longue, juste le temps de croiser une Audi A3 noir comme celle de
Noèse. Après quelques virages, à la sortie Vinas, nous passons un large
portail rouillé et entrons sur un chemin en pente, traversant de hautes
herbes. Devant moi, voici une maison peut-être déjà bicentenaire, en
pierre de la région, plutôt ocre, le toi est en tuiles de bois, du jamais vu
pour moi. Mais les volets sont peints d’un bleu océan qui casse cet
aspect vétuste. Je m’arrête derrière sa voiture, et descends.

⎯ C’est là que nous habitons.

Sacré maison, mais il y a du boulot.

⎯ Votre maison n’est pas récente, vous devez avoir beaucoup de


travail pour la restaurer ?
⎯ Je ne vous le fais pas dire, cela fait à peine plus d’un ans que nous
sommes installé ici. Clara ne parle pas, mais elle est très courageuse, et
je n’ai jamais vu une femme travailler avec autant d’énergie, c’est
presque surnaturelle sa façon d’agir sur la matière qui l’environne, du
mortier au poutres en bois, en passant par l’acier qu’elle transforme avec
autant d’aisance, j’ai l’impression que c’est une magicienne. Mon
épouse est une artiste et en même temps une technicienne hors pair.
Quand vous allez la voir dans un instant, elle risque de vous surprendre.
Suivez moi, je vais vous la présenter ; d’ailleurs, je suis étonné qu’elle
ne soit pas venue à notre rencontre, ce n’est pas dans ses habitudes
lorsque nous avons des invités.

Je me demande bien où est Clara. Il y a un quart d’heure, elle


invite un inconnu à dîner et maintenant, elle disparaît. J’espère qu’elle
ne va pas me laisser tout seul ce soir avec ce gars là.

Il reste perplexe quelques secondes, maintenant il m’invite à


pénétrer dans sa maison. À l’intérieur, ça sent la peinture fraîche, et
contrairement à l’aspect vétuste de l’extérieur, l’habitat est d’une clarté
surprenante, les murs sont remarquablement recouverts de lambris de
bouleaux vernis, les teintes et les formes des meubles sont harmonieuses.
Ce qui me frappe le plus, c’est la sobriété et le perfectionnisme de cette

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demeure, ce n’est pas l’œuvre d’un humain ordinaire et j’ai hâte de voir
cette Clara.

⎯ Votre femme n’est pas ici ?

Diable ! Clara, c’est pas le moment de m’abandonner devant ce


type que je ne connais pas.

⎯ J’en suis tout autant étonné que vous ! Clara, je suis là, avec
monsieur Brillant. Clara, Clara, nous sommes là, ne te cache pas.

Dans un coin du séjour j’aperçois un ordinateur, écran à cristaux


liquide, une page et ouverte, mais ce n’est pas à moi de la lire :

⎯ Peut-être votre femme vous a t-elle laissé un message sur votre


PC ?

J’aurais dû y penser !

⎯ Vous avez raison !


"Mon chéri, j’ai pensé que ce serait mieux que tu restes en tête à tête
avec ton visiteur, pour cela, je vous ai préparé un repas à ma façon. Ne
m’attends pas et ne me cherche pas, je ne tiens pas à rester avec vous, de
plus je souffrirais trop de ne pas pouvoir parler avec vous deux, tu
comprends. Je t’aime et rassure-toi je ne suis pas loin. Ah, j’oubliais,
invite donc Monsieur Jacques à dormir chez nous s’il n’a pas réservé
d’hôtel dans le coin, car à cette saison, c’est plein de touristes. Je
t’embrasse. Clara, ton cœur."
⎯ Clara est parfois surprenante, elle a des idées incroyables, j’ai de
temps en temps l’impression d’avoir une extraterrestre comme épouse.

Tiens, t’es pas tout seul, à penser ça, tu vois, nous ne sommes pas
si différents.

⎯ Rassurez-vous, vous n’êtes pas le seul, cela nous fait déjà un point
commun !

Je vais commencer à le trouver sympathique ce gars-là. Installons


nous, Clara m’a tendu un beau piège, je n’ai plus d’excuse pour ne pas
l’écouter.

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⎯ Monsieur Jacques, euh, excusez-moi, monsieur Brillant, vous
aviez raison tout à l’heure dans mon cabinet. Je vais écouter votre
histoire pour la soirée, et les motifs de mon refus sont tombés, car ma
femme ne m’attend plus. Voulez-vous passer la nuit chez nous comme le
suggère Clara ?
⎯ Son invitation me touche, je vous remercie, mais je n’ai pas pensé
à cette éventualité. De plus, j’arrive chez vous, comme un parfait
inconnu, un client comme tous, et deux heures après, me voilà déjà à
sortir mon pyjama devant vous, je suis un peu dépassé par les
événements.
⎯ Lorsque Clara invite quelqu’un, elle ne se trompe jamais, ce sont
toujours des amis.

Sa Clara commence à me plaire, elle a des idées sympathiques.

⎯ Si Clara est comme cela, je me plie immédiatement à son


invitation.

Steve, ce Jacques Brillant n’a pas l’air méchant, décontracte-toi,


fait un effort, c’est peut-être un ami.

⎯ Si vous êtes un ami, puis-je vous appeler Jacques ?

Tu te décontractes, ça va mieux.

⎯ Je ne connais pas votre prénom ?

Vas-y, c’est ton ami maintenant.

⎯ Je m’appelle Steve.
⎯ OK, Steve, continuons comme ça. Steve O’Connor, c’est
d’origine irlandaise, comme la Chanteuse Sinead O’Connor ?
⎯ Peut-être, mais moi je suis d’origine américaine, je viens de
Seattle, ma mère était française, mon père américain. Je suis revenu en
France avec ma tante lorsque mes parents sont morts ; mon père était
pilote d’essais chez Boeing, mais un jour on les a retrouvés morts dans
un accident de voiture ; c’est ce que ma tante m’a raconté, mais je ne
sais pas vraiment. Je ne sais pas s’il y a un rapport, mais je hais les

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avions, seul Clara a réussi à me réconcilier un peu, il faut dire qu’elle a
passé son brevet de pilote d’avions privés avec succès, elle est très douée
pour ce sport. Elle m’a un jour révélé qu’elle aurait aimé être pilote de
ligne, mais quand on est totalement muet, c’est impossible.

Ce n’est pas le frère de la chanteuse, dommage pour toi


Aqualuce.

⎯ Steve, avez-vous une idée sur le but de ma visite réellement ?

Pourquoi es-tu ici ? Si je le savais, peut-être t’aurais-je déjà


renvoyé d’où tu viens.

⎯ Non, Jacques !

La veille de mon départ, Aqualuce m’a montré le petit article qui


l’avait particulièrement troublé. Sur le coup je n’ai pas fais très attention,
mais maintenant que je m’en souviens…

⎯ C’est la lettre qui a tout déclanché !


⎯ Quelle lettre ?
⎯ "La Lettre pour ceux qui la liront".

Ce n’est pas moi qui en ai eu l’idée, c’est Clara. Oh ! Clara, ce


type n’est pas venu pour moi, mais pour toi. Que j’aimerais te voir
revenir.

Clara :
Tiens on frappe ? C’est encore trop tôt pour que ce soit Steve et
son invité, je ne les attends pas avant au moins un quart d’heure.
Ouvrons la porte.
Mais qui est cette femme ? Elle est jeune et plutôt jolie, elle est drôle
avec ses cheveux entièrement tressés façon afro. Je ne la connais pas,
est-elle perdue pour être ici ?

Je sais que tu ne me connais pas, mais moi je te connais, je


m’appelle Noèse, je lis dans tes pensées. Ce n’est pas moi qui suis
perdue ici, mais toi et tu ne le sais pas encore.
⎯ C’est vous Clara O’Connor ?

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Mais qu’est-ce qu’elle me veut cette fille, comment pourrais-je
lui répondre ?

Ton visage se déforme, tu ne m’attendais pas. Ne panique pas, il


faut te calmer, tu peux me comprendre, donne-moi ta main.

J’ai envie de lui donner la main, c’est ridicule. Je peux rien lui
dire, muette, je suis comme une sotte !

Non, Clara, tu n’es pas sotte, parle-moi dans ta tête, je te


comprends.
Je ne sais pas pourquoi, j’ai envie de lui parler, j’ai même
l’impression de déjà le faire, mais elle ne m’entend pas.

⎯ Je suis Noèse, c’est une amie qui m’envoie vers toi, je sais que tu
es muette, mais je te comprends malgré tout, j’entends au delà de la voix
tes parole.

M’entends-tu en pensée ? J’ai l’impression de comprendre ce


que tu dis. Si tu lis mes pensées, que veux-tu de moi, pourquoi es-tu ici ?

⎯ Je veux que tu me racontes ta vie, j’ai besoin de savoir qui tu es ?


Mon mari revient dans quelques instants avec un invité, je ne
peux le laisser.
⎯ Au contraire, partons vite avant qu’il n’arrive, je sais que tu n’as
pas peur de moi, je sais que tu ne connais pas son invité, je sais que tu as
déjà préparé le repas. Mais ce que je sais avant tout, c’est que tu souffres
malgré tout de ne pouvoir donner l’amour dont tu disposes, tu cherches à
chaque moment à combler un vide plus profond que le néant. Tu ressens
en toi la force, le savoir et le pouvoir, mais tu ne sais d’où cela provient.
Tu as en toi toutes les possibilités du monde mais rien n’en sort et tu
souffres de ne pouvoir t’exprimer. Tu es muette, et ce silence t’étouffe
encore plus. Je sais que tu attends quelque chose. Je suis la chose, car tu
m’as appelée.

Je suis nue devant toi, comment connais-tu mon jardin secret ?


Me connaîtrais-tu déjà plus que Steve ? pourtant je vis avec lui depuis
quatre ans, toi, cela fait trois minutes que tu es apparue dans ma vie.

⎯ Ma démarche est assez curieuse et sans me connaître je te

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demande de me suivre, avant que ton mari arrive. Clara, c’est important.

Tu débarques, tu es une étrangère et tout de suite il faut te suivre.


Ce n’est pas conventionnel.

⎯ Est-il conventionnel de parler avec la pensée ?


Tu marques un point, mais…
⎯ Mais quoi ?

Mais, Je ne sais pas, pourquoi, mais j’ai envie d’aventure ce soir,


allez, bon, tu as sûrement raison. Je ne sais pas où va me conduire cette
fantaisie, mais je vais te suivre, de plus tu es la seule personne avec qui
je puisse parler en dehors de Katia et Bénédicte. Laisse-moi lui écrire un
message sur l’ordinateur.

⎯ OK, après je t’emmène.

Clara est très à son aise avec ce micro, je la vois écrire comme
moi je parle.

Voilà, avec ce petit mot, tu devrais t’en sortir et ne pas paniquer,


t’es un grand garçon, Steve. C’est bon, Noèse, nous pouvons partir.

⎯ Suis-moi, viens dans ma voiture.

Où allons-nous, Noèse ?

⎯ Où tu voudras, où tu voudras, j’ai de toutes façons retenu une


chambre d’hôtel à Bordeaux… ferme les yeux et pense. Je démarre et
commence à rouler, quand ton imagination aura fait son choix, ouvre les
yeux. Fais le pour que ça marche.

Tu me prends pour une folle, nous sommes sur Terre, dans un


monde plus dur que le granit, le rêve n’est valable que dans son lit, la
nuit.

⎯ Clara, laisse toi aller un instant, IMAGINE, IMAGINE.

Tu crois que…

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⎯ C’est facile d’imaginer lorsque qu’une inconnue frappe à la porte
et se met à lire dans les pensées, puis deux minutes après vous demande
de quitter le foyer et de partir à l’aventure… N’est-ce pas ce que tu
voulais dire Clara ?

Ta pensée est plus rapide que mon cerveau, comment fais-tu ?

⎯ Sais-tu ce que veut dire Noèse ?

Non, pas vraiment.

⎯ C’est la pensée, c’est mon nom. Imagines-tu ce que je peux


percevoir dans ce monde.

Souffrance, désespoir, pensées livides, envies, jalousie, haine, la


liste est longue.

⎯ En grande partie hélas. Je ne perçois que trop rarement les pensées


d’amour, et les pensées imaginatives ne sont pas légions. Il me vient
surtout beaucoup de pensées pleines d’angoisse, les idées sont souvent
limitées à la dimension d’un écran d’ordinateur ou de télévision, plus
encore des pensées figées sur les désirs de consommation, les
catalogues, les magasins ont remplacé les rêves d’enfants. La pensée
humaine est brouillée par toutes les idées émises par la chape
d’inimagination déversée par une société sans rêve et sans amour.
Maintenant, peux-tu imaginer, Clara ?

L’accident

⎯ Jacques, pour cette lettre, l’idée ne vient pas de moi, mais de


Clara ; je n’ai été que la plume qui a rédigé ce petit pavé dans cette
revue.

Steve, quand tu m’as reçue dans ton cabinet, tu n’étais pas


l’homme de la lettre, tu étais un autre. Il n’y a que lorsque Clara est près
de toi que tu retrouves ta conscience. Il va nous falloir ensemble
retrouver Clara, cette discussion ne fait que commencer. Maintenant,
parle nous de Clara, parle nous de ta vie. Ta femme t’influence, ma
femme aussi plus encore, à la différence que j’en ai pris conscience,
alors que toi, tu ne l’entends pas, tu es encore inconscient. Tu vas devoir

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apprendre à connaître Clara, tout comme j’ai appris à le faire avec
Aqualuce. C’est mon guide, c’est ma pensée, et mon devoir à qui je ne
peux résister.

⎯ Comme vous, ma femme Aqualuce m’influence et me guide dans


toutes mes actions. Vous allez devoir réapprendre à connaître votre
femme, Steve, tout comme j’ai découvert ma femme. Elles sont les clefs
de nos esprits. Aqualuce est formidable, elle est la force, ma conscience,
je ne pourrais jamais vous la faire découvrir comme je la connais, mais
vous pourriez découvrir Clara comme je l’ai fait avec Aqualuce.
⎯ Vous m’intriguez, Jacques, j’aimerais que vous m’en disiez plus
au sujet de votre femme.

Tu me prenais pour un fou au départ, et là tu en redemandes !

⎯ Je souris Steve, car rappelez-vous comment a commencé notre


entretien tout à l’heure dans votre cabinet !

Lirais-tu dans mes pensées ?

⎯ Hem ! vous me disiez :

Grande est la force de pensée d’Aqualuce, elle nous replace


toujours dans la direction souhaitée. Et nous exécutons ses rêves à la
virgule près.

⎯ Si je suis aujourd’hui devant vous, c’est pour vous parler de tout


cela. Moi, face à Aqualuce, je suis un simple d’esprit.

On n’échappe pas à son destin.

⎯ Vous avez raison, et tout à l’heure, je ne voulais pas vous écouter,


je me disais « en voilà encore un qui a des problèmes avec sa femme, il
préfère venir me voir, plutôt que de consulter un avocat ». mais votre
épouse m’a téléphoné et elle m’a troublé, lorsque j’ai entendu sa voix,
j’ai été comme transpercé, ça m’a laissé une drôle d’impression.

Qui entre en contact avec Aqualuce est totalement mis à nu. La


toucher nous transforme, nous sommes marqués à vie.

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⎯ La première fois que je l’ai vue, j’ai été aussi radiographié par
elle, Steve, et j’en suis tombé amoureux instantanément.

Son contact est comme un électrochoc, sa voix est comme le


refrain d’un autre monde.

⎯ Je vous comprends.

Il commence à saisir ce que je ressens de ma femme, la sienne


l’a-t-elle déjà touché de cette sorte ?

⎯ Et vous, lorsque vous avez rencontré Clara, avez-vous eu aussi


cette impression ?

On est médecin, on semble fort devant ses patients et voilà qu’un


type sorti de nulle part fait ressortir en vous le passé ; enfin pour ce qui
est de mon passé, où est-il ?

⎯ Mon pauvre Jacques, je n’ai pas eu la chance d’éprouver de


première fois avec Clara. Vous ne connaissez pas notre histoire, elle
risque de vous rendre triste. Car quand j’ai connu Clara, je vivais avec
elle depuis plus de 2 ans.

Comment peut-on vivre avec quelqu’un sans en avoir


conscience ?

⎯ Je pense que j’ai loupé un épisode, je ne comprends pas ?

Comme lui, mettons tout sur la table.

⎯ Vous dites juste, nous avons loupé un épisode, je m’explique.


Clara et moi sommes amnésique, c’est curieux que nous ayons été
frappés ensemble par ce mal étrange, mais les médecins nous ont affirmé
que les lois de la probabilité sont ainsi faites.

Tu vois, ta vie n’est pas comme tu sembles le montrer, comme un


long fleuve tranquille.

⎯ Que vous est-il arrivé ?

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Vas-y mon vieux, t’as plus le choix, raconte ton histoire toi aussi.

⎯ D’après les médecins et notre entourage, nous avons vécu une vie
normale jusqu'à notre accident, une nuit fatale du onze septembre deux
mille un. Moi et Clara n’en avons aucun souvenir, mais vous, et bien
d’autres se rappelleront longtemps de ce jour là.

La journée universelle, la charnière des temps.

⎯ Oh ! oui, Steve, bien plus que vous ne le pensez.

Onze septembre deux mille un, le crash d’un monde, celui de


mon univers.

⎯ J’aimerais que Clara soit parmi nous pour que nous puissions
évoquer ensemble notre renaissance en quelque sorte, car notre vie a
pour nous commencé quelques jours plus tard. Il y a des choses que nous
ne nous expliquerons jamais, mais à notre amnésie, nous nous y somme
fait. De notre vie précédente, il ne semble rester que quelques phobies ou
dons. Oh ! mais j’y pense, Clara nous a préparé un repas, je vous invite à
prendre place à table. Je vais aller dans la cuisine chercher le dîner.

La femme de Steve est un fin cordon bleu, car elle nous a préparé
un excellent repas. Bien que je ne mange plus de viande depuis les
quatre ans que je connais Aqualuce, je ne peux résister car Clara a
préparé, en entrée, des saint-marcellin sur un lit de girolles sublimes,
puis des feuilletés au saumon et à l’aneth accompagnés de riz, trop
exquis. Pour le dessert, une tarte aux fraises de son jardin. Mais, à cette
heure, toujours pas de Clara en vue. Je m’en étonne.

⎯ Votre épouse n’est toujours pas revenue ?

Tiens, c’est vrai, j’y pense déjà moins. Je commence à me faire à


ce Jacques.

⎯ Je ne m’en inquiète pas pour le moment, comme c’est sa volonté,


il n’y a aucune raison que je me fasse du souci. Cela ne m’empêche pas
de vous dire ce qui nous est arrivé ce fameux Onze septembre :

D’après le rapport de la gendarmerie, il était environs vingt trois heures,

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lorsque nous roulions à vive allure sur l’autoroute qui devait nous mener
vers Genève où je devais suivre un colloque ; lorsque notre voiture en a
heurté la glissière de sécurité, elle a fait quelques tonneaux avant de
s’immobiliser. Clara et moi avons été éjectés du véhicule, malgré notre
ceinture de sécurité. Après l’impact, les secours sont arrivés, et nos deux
corps ont été retrouvés à plus de vingt mètres de l’accident. Nous avons
été considérés tous deux comme morts pendant plus de trois heures, et
aucun soin ne nous a été prodigué durant ce temps. Lorsque les pompiers
ont déposé nos deux corps à l’hôpital, le médecin de garde nous a
examinés juste par acquis de conscience, avant de nous transférer à la
morgue. Quelle surprise lorsque qu’il constata que nos deux cœurs
battaient encore. Ce fut le branle-bas de combat dans le service des
urgences. Il y avait deux morts qui venaient de ressusciter. Nous avons
eu le droit à tous les examens ; en conclusion, nous avions chacun une
fracture du crâne sans compter les divers plaies. Mais ce qui a frappé les
médecins, c’est la similitude de nos séquelles, les courbes vitales de
Clara et moi se suivaient, comme si nous étions tous deux en osmose.
Durant notre séjour à l’hôpital, on nous a surnommés les jumeaux. Nous
sommes restés dans le coma plus de deux semaines, avec toutes les
complications que cela peut occasionner pour le cerveau. Puis Clara
s’est éveillé un beau matin, amnésique. Trois jours plus tard, c’était à
mon tour. Les médecins pensaient que nous ne serions plus que des
légumes à la sortie de notre sommeil ; il n’en fut rien. Car peu après, je
recouvrais la parole, hélas pour Clara, ce ne fut pas le cas et de cette
période, elle est restée muette. On a parlé de nous comme des miraculés.
Dans un quotidien régional, on nous a baptisés "les Miraculés de l’A
104". Au début, nous avions à l’hôpital la visite régulière de nos amis
qui venaient nous parler de nous, vous comprenez, car pleins de bonnes
intentions, ils pensaient que cela nous aiderait à retrouver la mémoire.
Mais il n’y eut aucun résultat. Et peu à peu, les amis disparurent. Il me
restait encore ma tante, qui venait me voir de temps en temps, mais pour
elle qui habitait Bourg en Bresse, Paris n’était pas la porte d’à coté ; un
jour, elle n’est pas revenue, un peu plus tard, j’ai reçu un courrier du
notaire qui me faisait part du décès de ma tante, c’était en janvier deux
mille deux. Elle me léguait son appartement à Paris dans le 16ème, celui
de Bourg en Bresse ainsi que cette maison, avec un pécule confortable.
Durant le temps de notre hospitalisation, Clara et moi avons fait
connaissance pour la deuxième fois, on nous avait raconté notre histoire,
notre mariage, notre passé ; mais tout cela restait inconnu à nos yeux. Du
reste, je crois que nous sommes un cas sans précédent. « Fort » de ce

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trou de mémoire, nous nous sommes plus pour la deuxième fois de notre
vie. Chaque jour était semblable à ce que vivent de jeunes couples, et
notre chambre d’hôpital était devenu un peu trop exposé à la vue du
personnel et le manque d’intimité nous pesa beaucoup. Heureusement,
chaque jour notre potentiel intellectuel faisait d’énormes progrès. Avant
notre accident, j’étais chirurgien spécialiste en neurologie, et j’exerçais
au CHU d’Amiens, j’avais une bonne réputation. Cela m’a été une aide
inestimable car si j’ai bien perdu la mémoire de mon passé, pour ce qui
est de mes connaissances générales, il n’en n’est rien. Tout les testes je
les ai passés avec succès et les médecins avec qui je conversais d’égal à
égal, ont vite compris que je n’avais rien à leur envier. Fort de tout cela,
avec quelques appuis de mes anciens collègues, il fut décidé que je
pouvais sortir de l’hôpital qui nous abritait depuis près de six mois. Pour
Clara, c’était un autre problème, car hélas pour elle, l’accident lui a fait
perdre la parole, et d’après les spécialistes, il n’est pas inattendu de
rester muet après un traumatisme pareil. Quoi qu’il en soit, Clara n’a que
la parole en moins, car pour le reste, elle démontre une intelligence
remarquable ; on a fait son QI après l’accident et ce qui est incroyable
c’est qu’il paraît nettement supérieur à ce qu’il était avant ; d’après ce
qu’on m’a dit, elle pourrait avoir l’étoffe d’une surdouée. Alors grâce à
tous nos efforts, en février de l’année dernière, nous sortions, libres
comme de jeunes adultes, avec la vie devant nous. Ce jour là, nous
prenions le train pour Amiens afin d’y retrouver notre appartement
abandonné six mois plus tôt. Lorsque nous franchîmes la porte de notre
logement, nous avons eu tous deux un mouvement de recul, car hormis
le fait qu’un appartement inhabité réserve des surprises, notre sentiment
était que jamais nous n’avions vécu ici, la décoration n’était pas à notre
goût, la façon même de disposer les meubles, et les cigarettes dans les
cendriers indiquait que nous n’appréciions guère le genre de vie des ex-
locataires. Nous avions la conviction certaine que ce n’était pas notre
maison. Pourtant, nous y avons retrouvé nos photos, nos documents, et
nos habits, mais même cela nous semblait ne pas correspondre à nos
désirs.
Alors, nous avons passé la nuit, sans trop dormir, et nos deux corps
enlacés ne firent aucun effort pour se retrouver dans les profondeurs de
notre intimité. Au matin, nous prîmes la décision de rentrer à Paris dans
l’appartement que ma tante occupait occasionnellement. Sur Paris, la vie
n’est pas comme en province, les voitures se bousculent et le rythme est
accéléré ; la pollution n’arrange rien, mais le domicile que ma tante
m’avait laissé, avait l’avantage d’être bien placé, non loin de la maison

38
de Radio France et de la Seine, de la fenêtre nous y voyions la Tour
Eiffel ; surtout le plus important, celui-ci ne contenait aucun souvenir de
notre ancienne vie. Alors nous y sommes restés trois mois afin de régler
tous les problèmes de succession, et pour moi le temps de trouver un
nouveau travail. Il était évident que je ne pourrais plus être chirurgien,
avec un tel accident, il m’était impossible de continuer à exercer comme
autrefois. J’ai fais des pieds et des mains auprès du conseil de l’ordre des
médecins afin de trouver une solution. Il me fut accordé de pouvoir
exercer comme généraliste, si un poste vacant était à pourvoir. J’étais
désemparé, mais à ce moment, Clara comprenant ma difficulté m’a
suggéré de prendre quelque peu de recul, et m’a proposé de passer
quelques jours dans la maison que ma tante et ma mère avaient partagée
durant leur jeunesse et qui était non loin de Bordeaux. Vinas, était le
village où elle se situait. Je ne voulais pas entendre parler de cette
maison, je ne voulais pas retourner en province et je ne sais pourquoi
Clara insista autant ; j’ai accepté, et nous sommes partis. Je ne
conduisais plus à cette époque, et nous avons pris le train avec un
minimum de bagages, car je voulais retourner à Paris au plus vite.
Le taxi nous déposa devant de la vieille maison, j’étais de mauvaise
humeur, et j’aurais bien fait demi-tour lorsque j’ai poussé le vieux
portail tout rouillé, mais dès que la maison est apparue à Clara, j’ai
compris que c’était là qu’elle voulait vivre dorénavant. Depuis ce jour,
nous sommes ici, cela fait plus d’un an maintenant, et je crois que Clara
a trouvé son équilibre dans cette maison. Mais le plus extraordinaire,
n’est pas que Clara a eu le coup de foudre pour cette vieille demeure,
c’est que j’y ai trouvé immédiatement mon travail ; voilà comment :
Nous posons nos bagages, dans l’entrée poussiéreuse, et décidons de
faire un tour dans la bourgade. Descendant la rue de la mairie, je
m’arrête devant une maison sur laquelle se trouvait une plaque :
"Docteur Veillard Médecine Générale" mais le cabinet semble fermé. Je
regarde derrière une fenêtre et j’aperçois une salle d’attente laissée à
l’abandon. Je regarde Clara, et lui dit :
⎯ Allons à la mairie pour en savoir plus au sujet du docteur Veillard.
Quelques instants plus tard, je me présente à l’hôtel de ville ainsi :
⎯ Je suis le docteur O’Connor, et j’aimerais avoir des
renseignements au sujet du cabinet du docteur Veillard.
Je ne sais pourquoi, l’employé de mairie me regarde avec les yeux
brillants. Et me dit :
⎯ Patientez un instant, je crois que monsieur le maire est dans son
bureau, je vais voir s’il peut vous recevoir.

39
En effet, l’employé ressort immédiatement du bureau, accompagné d’un
homme qui se dirige droit vers moi :
⎯ Bonjours monsieur, vous désirez des renseignements sur le
cabinet médical ?
⎯ Tout à fait, ma femme et moi avons hérité d’une maison un peu
plus haut sur la route de Chapzal et je cherche à m’installer comme
médecin.
⎯ Suivez moi avec votre dame dans mon bureau.
Nous le suivons, prenons place. Là il nous explique que le docteur
Veillard était le médecin de la commune, mais que très vieux, l’année
dernière, il a dû prendre sa retraite, laissant à l’abandon le cabinet où il
exerçait. Il a bien tenté de trouver un remplaçant, mais les jeunes
médecins qui se sont présentés n’ont pas souhaité s’installer ici parce
que notre bourg est trop petit à leur yeux et la clientèle risque de stagner,
alors pour l’évolution de leur carrière, cela ne les intéresse pas.
Le maire a passé des annonces dans des revues spécialisées, mais aucun
résultat.
⎯ Vous cherchez toujours un médecin ?
⎯ Monsieur, si vous êtes médecin et que le cabinet vous intéresse, il
est pour vous dès demain.
Je me retourne vers Clara, je la regarde. Elle a tout entendu et son regard
en retour exprime sa pensée. Alors, devant le maire, je lui dis :
⎯ Je serai votre nouveau médecin.
Le cabinet s’est ouvert quinze jours plus tard, comme si les barrières
devant nous n’existaient plus.

⎯ Voilà, Jacques, comment en une journée notre vie a de nouveau


basculé. Depuis, je suis le docteur de Vinas. Et étrangement,
aujourd’hui, vous arrivez ici comme un messager. Mais pourquoi, votre
femme, Aqualuce, s’est-elle intéressée à moi, plutôt qu’à un autre
docteur ?

Soyons clair avec lui, autant lui dire ce que m’a transmis
Aqualuce.

⎯ Ce qui l’a stimulée, c’est votre sensibilité et l’article que vous


avez écrit dans une revue spécialisée. Elle pense que vous avez des
idées, que nous pourrions nous entendre sur bon nombre de points de
vue.

40
S’il dit vrai, sa femme est un esprit redoutable.

⎯ Votre femme n’a pas froid aux yeux, elle vous a envoyé au casse
pipe, sans douter de vous un instant.

Qui peut imaginer pire que la perfection ?

⎯ J’ai l’habitude, elle ne me laisse aucun répit, je vous le dis,


Aqualuce est tellement sure d’elle, que moi, à coté, je suis un simple
d’esprit.

Sa compagne semble être la pire des choses qu’un homme


ordinaire puisse craindre ; merveille ou terreur ?

⎯ Votre femme commence à m’intriguer, j’aimerais que vous me


racontiez comment elle est et ce qui vous fait croire qu’elle est si
parfaite ?

Ça accroche entre nous deux, alors mon petit Jacques ne te plante


pas, ne lui en mets pas plein la tête au premier coup. Aqualuce c’est le
pire mais c’est aussi le meilleur. Montre lui qu’elle est ton atout.

⎯ Aqualuce, je l’ai rencontrée totalement au hasard, au détour d’un


chemin, elle était là, devant moi. De ce jour, ma vie s’est arrêtée pour
elle.
Tout ce que j’ai pu vivre depuis, c’est pour elle. Aqualuce agit en amont
de ma conscience et depuis que je la connais, elle ne me permet pas un
écart dans ma vie. Vous pourriez dire que c’est un dictateur, mais non,
elle est le contraire, c’est une libératrice car elle n’agit pas en imposant
ses idées, mais elle me met devant la réalité crue de mes actions, de mes
pensées ; chaque fois que je pense, elle contre pense, elle joue le contre
poids de ma vie.
Avant de la rencontrer, je vivais bien dans mon petit monde, j’étais
pratiquement comme tous les hommes, je gagnais ma vie, j’avais un peu
d’argent et profitais des avantages de la société de consommation.
J’aurais pu continuer longtemps comme ça, sans me soucier de ce qu’il y
a des vies dans la vie, des mondes dans le monde, des Terres dans la
Terre, des univers dans l’univers. Ce qui n’est pas à notre portée, est à
notre portée, ce qui est dans l’infini, est dans le fini et ce qui est
inimaginable, est imaginable. Nos lois ne sont pas la Loi.

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Pour Aqualuce, j’ai traversé l’infini, j’ai vu des vies dans la vie, des
mondes dans le monde, des univers dans l’univers ; j’ai accédé à
l’inaccessible, j’ai trouvé l’infini au plus profond de la matière et j’ai
connu l’incroyable. Enfin, j’ai découvert la Loi de la Vie.
Voilà mon chemin, pour une femme.

Entre nous un grand silence s’installe…Steve a baissé les yeux,


ces mots le traversent, il s’en imprègne.

Qu’as-tu vécu de si puissant, Jacques, pour avoir le courage de


dire ces mots. Il y a trois heures tu pénétrais dans mon cabinet, illustre
inconnu. Je te prenais pour un fou. Maintenant ta folie est encore plus
intense qu’au début, à la différence que j’y crois maintenant. Tu me
bouscules comme aucun, hormis Clara. Mais qu’ai-je à craindre de toi
ou à espérer ?

Il redresse sa tête, ses yeux brillent, ses lèvres se plissent.

⎯ Ai-je attendu toute ma vie si courte, pour qu’un jour, un homme


pas comme les autres, passe la porte de mon cabinet pour me dire tout
cela ?
Ai-je toujours craint ou espéré sa venue ?
Ai-je lutté contre lui, ou l’ai-je cherché toute ma vie ?
Jacques, vous êtes mon ami, je crois que vous l’avez toujours été, car ces
mots sortis de votre bouche vibrent dans tout mon corps.
Qu’étais-je avant le onze septembre du troisième millénaire ?
Vous frappez à ma porte, je vous ouvre, vous me parlez, je vous écoute.
Jacques, quel message êtes-vous venu m’apporter ?

Les portes s’ouvrent, les ponts passent les rivières, le soleil sèche
les blés, le vent fait tourner les ailes des moulins, la mer balaye le sable
sec, le sang s’écoule dans les veines et la mort s’installe dans l’âme des
vieillards. Mais la lumière éclaire la vie depuis l’éternité.

⎯ Je ne suis pas un homme exceptionnel, Steve, je suis ordinaire, je


ne suis qu’un témoin de la vie. Sachez que sur Terre, je suis devenu un
étranger sur cette planète le jour ou j’ai rencontré ma femme. Car elle
même n’est qu’à moitié terrestre. Mon histoire est bien curieuse,
pourtant, elle est bien réelle, mais devant vous, mon esprit reste confus,
j’ai du mal à exprimer ce que je voudrais vous dire. Ah ! si seulement

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Aqualuce était là, elle saurait à chaque instant trouver les mots. Mon
problème, Steve, c’est que je ne suis pas un bon orateur, et pour ce qui
est de m’exprimer, ce n’est pas mon fort.
J’ai pourtant au fond de mon être tant à raconter que j’aimerais pouvoir
l’écrire. Aqualuce m’a dit que vous écriviez quelques articles dans des
revues, est-ce pour cela qu’elle m’a envoyé vers vous ? afin qu’un jour
je puisse raconter l’aventure que j’ai vécue il y a peu de temps et qui
reste encore présente en moi. Peut-être votre contact m’aidera t-il ?

La vie m’a pris mais elle m’a donné. Ma mémoire est mon
boulet, mais j’en ferais une bouée. Ma femme est comme une ombre
mais j’en ferais ma lumière.

⎯ Jacques, vous et moi sommes peut-être plus proches qu’il n’y


paraît, j’aimerais que Clara soit présente, car à l’égal d’Aqualuce, elle
est ma conscience. J’aimerais que vous puissiez rester jusqu’à son retour
et profiter de ces quelques heures ensemble, si vous le voulez bien ?
⎯ Je pense que nous devrions nous appliquer tous les deux à
exprimer le plus fidèlement possible ce qui motive notre vie, je n’ai nul
secret à conserver en mon âme, parler de nos épouses, parler est un
moyen de se connaître vous et moi, de se connaître en soi-même. Je suis
prêt à vous parler de ma vie, vous me dite que Clara aurai été bienvenue
entre nous, alors parlez-moi d’elle, de vous.
⎯ Qu’ai-je à dire d’une vie qui a commencé il y a moins de deux
ans, d’une mémoire aussi jeune ; qu’ai-je à dire d’une vie sans passé ?

Ma vie a peut-être pris ses racines il y a trente cinq ans, mais ma


conscience a juste l’âge d’un nouveau-né.

⎯ Mais Steve, vous n’êtes pas moins avantagé que moi, parce que ce
qui m’importe aujourd’hui ce n’est pas trente années d’errance dans une
vie instinctive, mais cette Amour qui m’a touché il y a peu, dans un sens,
je suis comme vous.
⎯ Vous avez certainement raison, Jacques, mais pour moi qui ai tout
oublié, j’ai besoin de votre passé, afin qu’aussi je puisse éprouver la
sensation d’un vécu, même si ce n’est pas le mien.

Comment ai-je pu lui glisser l’idée de parler de moi de telle sorte.


Je croyais lui faire part de mes sensations depuis que je suis avec
Aqualuce. Mais c’est raté. Maintenant, il veut connaître ma vie d’avant,

43
la vie inutile d’un homme bien trop ordinaire. Si tu en veux une couche,
mon vieux, tu vas être servi, prend des vitamines, tu risques de
t’endormir.

⎯ Ma vie d’avant ma rencontre avec ma femme n’a pas trop


d’intérêt, Steve.

Tu mens Jacques, je crois qu’au contraire tu as plus à dire que tu


ne le penses. Tu as cette chance d’avoir un passé. Quel qu’il soit, je le
désire. Tu étais bien à l’aise pour parler d’Aqualuce tout à l’heure, tu
faisais le fier, mais maintenant, je veux connaître ton visage, encore plus
que celui de ta femme.

⎯ Je veux entendre la simple vie du simple d’esprit, afin que moi


aussi je puisse me faire un passé.

Ai-je un jour décidé ce que je désirais. Qui a toujours décidé de


mes désirs ? Suis-je le pion que l’on pousse au gré du jeu ?

⎯ Passé, présent, avenir, voilà, Steve, les trois temps de la vie. Passé
perdu pour vous. Passé présent pour moi, quelle différence ? Mon passé
j’aurais voulu le perdre, car il n’est pas glorieux, mais vous, vous
cherchez un passé laissé dans le caniveau de l’A 104. Comme j’aimerais
être à votre place !
⎯ Jacques, ne dites pas cela vous devez respecter votre passé, il est
votre richesse. De lui, vous pouvez apprendre l’avenir. Le passé est la
clef de mon futur. J’ai perdu mon passé, j’ai perdu la clef qui m’ouvre
les portes de l’avenir. Vous êtes un bienheureux, vous avez la clef.

Pourquoi me parles-tu de ma clef ? Sais-tu qu’un jour j’en ai reçu


une qui m’a fait courir plus loin que la lumière du soleil n’a jamais
rayonné.

Il me sort une chaînette qu’il a autour du cou ; un curieux objet


qu’il tient au bout.

⎯ Steve, vous parlez de clef ! regardez cet objet, il est curieux ! Ceci
est une clef, la clef qu’un jour un vieil homme m’a remise. J’ai mis
beaucoup de temps à comprendre quel usage je devais en faire. Un jour
j’ai compris. Aujourd’hui, vous en avez plus besoin que moi. Alors, à

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votre tour, je vous la donne afin que vous puissiez un jour ouvrir les
portes qui se présenteront dans l’avenir.

Il me la tend, et me la passe autour du cou et je me laisse faire.


Ce type est fou, je devrais l’envoyer balader.

⎯ Elle est vôtre maintenant. Attention, cette clef a des pouvoirs !

Des pouv… Mais que m’arrive-t-il ? je sens un fluide me traverser


depuis la chaîne, il s’échauffe dans mon cœur, passe par le cou et monte
à la tête. Il irradie maintenant le reste de mon corps. Cette clef, c’est
comme, comme une force. Cette force, je la sens maintenant monter en
mon être, quelle est cette magie ?

⎯ Que m’avez vous fait Jac…

J’entends cette force intérieure : « Écoute-moi »

***

Je n’ai pas ouvert les yeux depuis que nous sommes parties de la
maison, mais je n’ai vu qu’une seule chose dans ma tête, pourtant ce
n’est pas un lieu très gai, c’est…
⎯ Ouvre les yeux, nous y sommes.
Oh !
⎯ Je me suis garée sur le bas côté, c’est bien là que tu as eu ton
accident ?
Comment as-tu fait, nous sommes à près de six cent kilomètres
de la maison, et nous roulons depuis un quart d’heure ?
⎯ Lâches tes limites, Clara, tu es à la frontière du monde. Ne te
laisse pas envahir par les larmes, tu sais simplement que c’est ici sur
cette autoroute que ta vie a commencée.
Tu veux dire qu’elle a fini.
⎯ Certainement pas ! je te dis que tu as fait tes premiers pas sur le
bitume qui est devant toi.
Mais Noèse, j’ai eu un très grave accident, ici. J’ai perdu la
mémoire, et la parole.
⎯ Maintenant écoute-moi, bien. Si je suis venue te voir, c’est parce
que je sais que tu es échouée ici, et qu’aujourd’hui tu dois redécouvrir
ton origine bien avant le Onze septembre deux mille un. Mon amie

45
Aqualuce m’envoie vers toi pour t’aider.
Tant pis Noèse si tu lis dans toutes mes pensées, mais celles-ci ne
sont pas pour toi ni pour un dialogue. Pourquoi me suis-je laissée
prendre au jeu de cette jeune femme ? Elle frappe à ma porte, elle me
parle comme si je n’étais pas muette, je lui réponds. Alors j’abandonne
mon mari, je suis maintenant à l’autre bout de la France de façon
mystérieuse ; pratiquement devant le lieu de ma terrible mort. Je ne veux
plus rester ici, je veux rentrer à la maison.
⎯ Si tu le souhaites, Clara. Ferme les yeux.
Tu lis toujours dans ma tête, en dehors des mots qui
s’enchevêtrent dedans, peux-tu voir ce que je vois ?
⎯ Je vois déjà ta maison avec ses volets bleus. Tu respires déjà
l’odeur des pins qui bordent l’allée. Alors, détends-toi, ouvre les yeux.
Chez moi ! Comment as-tu fait pour me ramener instantanément
? Regarde ma maison, tout à l’heure je n’ai pas pris le temps de te la
montrer, tu m’as précipitée et nous sommes parties. Maintenant, nous
allons prendre le temps. Sortons de ta voiture, viens, je vais te présenter
Steve, il doit être rentré maintenant.
⎯ Clara, ne te précipite pas, ils ne sont peut-être pas arrivés. Tu
risques d’être déçue.

Je cours, la maison est vide ? Vite, dans la cuisine ; oh ! non, le


repas que j’ai préparé est à sa place, encore chaud, tout comme je
l’ai laissé en sortant. Oh l’ordinateur ! le message pour Steve est
encore inscrit. Pourquoi n’es-tu pas déjà arrivé ? Steve, si j’avais
ma voix, je crierais pour t’appeler. Steve, j’ai presque failli partir
avec une inconnue, ne me laisse pas seule. Oh ! j’ai mal à la tête,
je ne suis pas très bien, j’ai la nausée. Viens à mon aide.

⎯ Je t’avais prévenue, Clara, tu ne dois pas être étonnée de ne pas le


retrouver. S’il ne venait pas ce soir ?
C’est impossible, Steve ne me laisse jamais seule le soir, il sait
trop bien que j’ai peur la nuit.
⎯ Clara, tu sanglotes, assieds-toi près de moi, raconte-moi ta vie.
Je n’ai rien à te dire, mon corps à vingt-huit ans, mais ma
conscience n’a que vingt mois. C’est si peu que je n’ai rien à te raconter.
⎯ Clara, raconte-moi ta vie de vingt mois.
Pourquoi te réciterais-je ma vie, alors que tu connais déjà tout de
mes pensées ?
⎯ Pourquoi à l’école les professeurs demandent à leurs élèves de

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leur réciter leur leçon alors qu’eux-mêmes la connaissent ?
Tu plaisantes, je ne suis pas à l’école.
⎯ Peut-être es-tu mon élève aujourd’hui ?
Pour être élève, il faut avoir quelque chose à apprendre.
⎯ Tu as à apprendre de ton passé afin de préparer ton avenir.
Mais pourquoi veux-tu absolument que je connaisse mon passé ?
⎯ Parce que, Aqualuce et moi, recherchons tous les enfants du onze
septembre du troisième millénaire.
Que me chantes-tu ? cette journée n’aurait jamais dû exister, ni
pour moi, ni pour aucun être humain.
⎯ Je sais ce que vaut cette journée, mais je suis quasiment seule à en
connaître la véritable valeur et elle n’est pas ce que les humains en ont
vu ou ressenti, c’est bien autre chose. Alors, Clara, même si cela
commence par l’obscur, raconte-moi ta vie de vingt mois.
Tu sembles tant insister, et je ne sais pas pourquoi je veux bien
me confier à toi, alors :

Cette nuit-là, je suis morte pendant presque trois heures, mon corps a été
projeté du véhicule avec une telle violence, que ma ceinture de sécurité
s’est retrouvée arrachée. Je suis passée à travers le pare-brise en y
laissant une empreinte nette de vingt centimètres de diamètre, mes
épaules en font au bas mot quarante. J’ai volé sur plus de vingt-deux
mètres avant de me fracasser le crâne sur la barrière de sécurité et de
m’arracher la moitié du cuir chevelu. On m’a ramassée comme de la
vulgaire viande avariée, mise dans un body bag avec un morceau
d’oreille qui traînait là, par terre. Mon mari été manipulé dans les mêmes
conditions.
Nous étions morts. Durant ces heures, je suppose que mon cerveau a eu
le temps de se liquéfier, j’ai dû perdre une bonne partie de mes neurones.
J’ai perdu la mémoire, j’ai perdu la voix. J’ai perdu ma vie.
On m’a d’abord autopsiée, puis on m’a occultée, on m’a ranimée, on
m’a radiographiée, on m’a rasée, on m’a intubée, on m’a opérée, on m’a
recousue, on m’a perfusée et enfin on m’a laissé vivre. Alors, je me suis
réveillée, sans mémoire, sans passé, sans voix. Je n’étais pas seule, il y
avait un homme avec moi. Alors, on m’a dit que je l’aimais et que je
vivais avec lui, mais je n’en savais rien. On m’a dit que j’avais des amis,
mais je ne les connaissais pas. On m’a dit que j’avais une maison, mais
je ne l’avais jamais vue. On dit que j’étais devenue muette, mais je
n’avais jamais entendu ma voix. On m’a dit que j’avais été professeur de
mathématique, mais je n’avais jamais vu aucun élève. On m’a dit que je

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n’avais plus de parents, mais je n’ai jamais connu mes parents. Enfin on
m’a dit que j’avais eu un terrible accident, mais je n’ai jamais eu
d’accident.
Alors, j’ai appris…
J’ai d’abords appris à aimer. N’est-ce pas curieux d’apprendre à aimer
celui que vous aimiez, et que vous avez oublié, comme si vous ne l’aviez
jamais aimé. Cet homme qui partageait ma chambre à l’hôpital, était sur
l’état civil mon époux. Lui aussi en était au même point que moi, mais
comme il parlait aisément avec le personnel hospitalier et ceux qui des
fois nous rendaient visite, il fit vite beaucoup de progrès. Il a vite
compris qu’entre nous il y avait une relation particulière. C’est lui qui a
su faire les premiers pas. S’il m’avait fait la cour des années plus tôt, il a
dû la refaire avec encore plus d’intention. Je me suis laissée séduire pas
mon mari, et j’en suis devenue éperdument amoureuse. Je ne sais pas si
j’avais été comme ça avant, mais même si ma tête a perdu la mémoire, le
cœur l’a conservée. Steve a joué l’intermédiaire pour moi, si je suis
aujourd’hui présente, c’est grâce à lui, il est l’intermédiaire qui me
retient sur Terre et il me laisse espérer. Hélas, tous deux nous sommes
égarés, car nous n’avons pas le souvenir de notre véritable passé. Lui et
moi vivons au présent, et nous faisons peu de projets. Viens avec moi,
Noèse, je vais te montrer ce que j’ai fait dans cette maison depuis que
nous l’habitons.
⎯ Vous habitez dans cette maison depuis combien de temps ?
Cela fait plus d’un an que nous y sommes. Au début, lorsque
nous sommes arrivés, c’était une maison qui n’avait pas été habitée
depuis vingt ans. La tante de Steve l’avait héritée de ses parents et n’y
avait jamais mis les pieds depuis qu’elle était revenue de Seattle avec
lui. D’après ce que disent les voisins, elle s’était contentée de la mettre
en location.
⎯ Pourtant, elle me donne l’impression d’être comme neuve de
l’intérieur.
Noèse, pourquoi me poses-tu cette question, alors que tu peux
lire dans mes pensées ?
⎯ Clara, je peux entendre tes pensées, comme je le fais maintenant,
ou bien scruter ta pensée, cela est très différent.
Que veux-tu dire ?
⎯ Les pensées font un bruit d’enfer autour de nous, et il n’est pas
difficile de les entendre.
Alors lire dans les pensées n’est pas la véritable expression ?
⎯ Je les entends comme de véritables paroles.

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Tu es envahie par les pensées de chacun, dans ta tête, cela doit
être un véritable brouhaha ?
⎯ Je n’écoute pas toutes les pensées que j’entends, un peu comme
toi lorsque tu es dans la rue, pour que je les entendes, je dois me situer à
moins de trois mètres de la personne ; seules les pensées collectives ont
un rayonnement beaucoup plus important et parfois peuvent dépasser la
stratosphère. Mais lire dans les pensées est en fait autre chose, que
j’appelle scruter la pensée. C’est une chose que je fais rarement,
uniquement lorsque c’est nécessaire, comme quand je t’ai rencontrée
tout à l’heure. Scruter est un peu comme une violation de l’espace le
plus intime de l’être humain, c’est véritablement une mise à nu ; du
reste, tu me l’as fait remarquer. Je n’aime pas cette méthode, mais si elle
peut rendre service, alors…
Alors, tu m’as pénétrée, tu es allée dans le tiroir de mon cerveau
contenant l’étiquette, pensées intimes, et tu t’es servie. C’est du propre,
en quelque sorte tu m’as violée ?
⎯ Ne me dis pas cela, d’abord je ne t’ai pas tant scrutée, parce que
tes pensées intimes sont toujours présentes à chaque instant devant toi et
elles ne sont jamais rangées dans leur tiroir. De plus, tu ne sais pas
quelle a été ma souffrance le jour où j’ai pu lire les pensées humaines de
chacun.
Excuse moi Noèse, je ne pouvais savoir, tu as raison.
⎯ Ce n’est rien. Je vais te rassurer, ce n’est pas parce que je lis tes
pensées que je suis maître du jeu. Je ne peux déceler ton avenir et encore
moins l’influencer de façon obscure.
À quoi rime notre rencontre, qu’attends-tu de moi, dans quel
but ??
⎯ Clara, je suis avec toi parce que j’ai Ecouté ta prière !
Tu as entendu ma prière ? mais comment cela ? je l’ai écrite dans
mon journal intime il y a deux jours. Noèse, tu as été fouillé dans mon
cerveau, tu as gratté mon intimité. Ce journal est dans ma cachette et nul
ne le connaît.
⎯ Je suis désolée, Clara, mais ta prière était si intense à l’instant où
tu l’as écrite que mon esprit est resté troublé fort longtemps dans la
soirée, et je suis allée voir mon amie Aqualuce et elle a juste convaincu
Jacques d’aller voir ton époux. Si je ne me trompe pas, à un moment de
ta vie, tu t’es endormie d’un sommeil profond dont on ne sort pas sans y
être invité. J’attends de toi que tu réveilles tes souvenirs afin d’éveiller ta
conscience.
Pour quelle raison ?

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⎯ Si ta conscience s’éveille, le monde change, comme si le passé
n’avait jamais existé.
Mais je pense, je n’arrête pas de penser, c’est ma conscience, je
l’ai déjà.
⎯ Là, tu fais l’erreur de tous les humains faisant la plus grande
confusion entre pensée et conscience mais en réalité, tu le sais bien et ta
prière était juste. Pour ma part, Clara, je ne pense plus. Je me laisse
guider par ma conscience seule. Tout en moi émane de la conscience. Je
suis la servante du souffle de vie qui habite mon corps. Chez moi, la
pensée est morte depuis que j’ai onze ans, remplacée par la conscience.
Je n’ai jamais entendu parler de la conscience de telle sorte.
Comment la conscience te parle-t-elle ?
⎯ La conscience ne parle pas, elle ne dit mot tout comme toi tu ne
parles pas avec Steve, la conscience est muette et comme tu agis avec
ton époux elle le fait en toi.
Alors, comment la perçois-tu ?
⎯ Je ne vais pas te le dire, mais je vais te le faire découvrir tout au
long de ton voyage.
Quel voyage ?
⎯ Celui que tu as commencé tout à l’heure et qui va t’emmener au
bout de tes rêves.

L’invitation au voyage
⎯ Qu’était cette sensation étrange qui est montée en moi, Jacques ?

Tu as ressenti la force étrange de la clef ; si tu savais qu’elle est


très ancienne et que bon nombre d’humains l’a portée avant nous.
Nombreux encore seront ceux qui la porteront après. Toi qui es
cartésien, tu perçois pour la première fois une forme de vie différente.
Tu as beaucoup à comprendre avant de rendre utile cet objet, mais…

⎯ Ce n’est pas grand-chose, Steve, ce n’est que la peur de l’étrange,


la sensation du subconscient qui se manifeste.

Il ment, il dit n’importe quoi ce type, j’ai bien senti pourtant


quelque chose d’anormal en moi.

⎯ Vous êtes médecin, Steve, vous ne croyez que ce que vous


touchez, n’est-ce pas ce que vous dites habituellement ? Ne me dites pas
que vous doutez maintenant, mais votre article est le premier maillon de

50
votre questionnement, alors parlez-moi de lui.

Il m’énerve celui-là, je n’ai pas envie d’en parler, je croyais avoir


oublié cet article qui ne m’avait pas valu beaucoup d’admiration de la
part de mes confrères. J’ai eu plutôt des courriers hostiles et moqueurs.

⎯ Je vous le répète, ce n’est pas moi qui en ai eu l’idée, mais Clara.


Il y a quelques semaines. Ce jour-là, j’avais promis à cette revue de leur
écrire un article sur la médecine de campagne et ses difficultés. Lorsque
j’ai pris ma plume, j’étais sec, pas la moindre idée. Pas la moindre
pensée dans mon esprit ; j’étais en panne, j’étais vide. Au bout de trois
heures, Clara a eu pitié de moi, et comme elle le fait si rarement, elle est
venue s’asseoir auprès de moi dans mon cabinet et a pris mon bloc.
Alors en quelques minutes, elle a rédigé ces quelques lignes et me les a
fait lire ; je l’ai regardée et lui ai dit qu’elle était ma conscience et que
sans elle j’étais perdu. Alors sans plus attendre, elle a mis la feuille sur le
fax et l’a envoyée au journal qui attendait l’article. C’était un dimanche
et mon article étant attendu, ce qui s’est passé ensuite, est en dehors de
toutes logiques car, à l’autre bout du télécopieur, un technicien a pris la
feuille sans la contrôler, ni la faire lire. Il a saisi le texte et l’a lancé sur
les rotatives directement. Le texte a été publié sans que quiconque s’en
aperçoive et le journal est arrivé directement chez les abonnés. Ce n’est
qu’après la réaction des lecteurs mécontents que la rédaction m’a appelé.
Le rédacteur en chef, qui est un ami, m’a demandé si j’allais bien et m’a
invité à prendre de grandes vacances et ne plus le déranger pour des
idées stupides. J’en ai été bouleversé, car sous l’emprise de la fatigue je
n’avais pas réagi à la lettre de Clara, sans imaginer qu’elle l’enverrait et
encore moins qu’elle serait publiée. Clara a voulu me consoler, mais le
mal était fait.
⎯ Vous vous trompez, Steve, cette lettre est arrivée à destination,
Aqualuce l’a lue, moi aussi et je suis ici aujourd’hui. Vous avez lancé un
appel et nous avons répondu.

Cette lettre est utopique, tout ce qui est écrit est critique et rêve
pour l’humanité. Rien n’est à prendre au sérieux.

⎯ Alors, Jacques, vous êtes venu m’apporter le remède universel et


un monde meilleur ? Vous vous moquez de moi, tout cela n’est que
foutaise et je vais vous renvoyer d’où vous venez.

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Tu montes en pression et tu n’apprécies pas que je te parle de
cette lettre, les réactions des lecteurs t’ont choqué, pourtant, il est
important que tu m’en parles et surtout tu dois comprendre que si tu l’as
accepté de ta femme c’est que ta véritable nature le désirait ce jour-là.

⎯ Si cette lettre est partie comme ça de chez vous, il ne faut pas en


vouloir à votre femme, elle n’y est pour rien. Elle n’a fait que transcrire
le fond de votre véritable nature, je pense qu’elle a mis au grand jour ce
que vous terrez au fond de vous. Vous avez soigneusement mis devant
votre personnalité un masque bien solidement attaché, vous voulez servir
le maître de vos pensées qui est pour vous devenu un poids plus qu’un
allié. Votre véritable conscience se détache de votre nature et cherche
aujourd’hui à s’exprimer ; vous ne pouvez continuer à agir comme
avant. Je suis ici pour vous montrer tout cela. Le Remède Universel et le
monde meilleur seraient à votre portée si vous écoutiez autre chose que
cette société et regardiez moins votre nombril ; nous avons tous un
monde meilleur en nous ainsi qu’un remède universel, ce depuis notre
naissance. Maintenant, si vous ne voulez pas continuer plus avant, je
n’attendrai pas que vous me chassiez, je pars tout de suite. Je pense que
votre femme serait triste de vous voir renier sa lettre, car elle l’a écrite
avec son âme et son cœur. Peut-être croyez-vous posséder votre femme
et que, comme elle est handicapée, elle vous est acquise à vie ? Vous
vous trompez. Ce n’est pas parce que vous l’aimez que cela suffit, il en
faut plus. Vous devez l’honorer et vous faire petit devant elle ;
considérez-la comme votre raison. Maintenant, devant cette lettre,
écoutez votre for intérieur…
Eh puis, après tout, pourquoi continuerais-je à vous parler ? Je rentre
chez moi, je n’ai plus rien à faire ici.

Ses yeux sont brillants, les larmes ne sont pas loin. Tu


commences à comprendre que tu n’es pas seul ; tu as Clara, tu as les
autres et tu as ta conscience et tu vas devoir apprendre à vivre avec.

Je ne vais pas pleurer devant ce type, pour qui va-t-il me


prendre?? Je l’ai écouté et je ne peux le contredire. Jacques, tu as
touché ma sensibilité, tu fais vibrer cette force que je ressens.

⎯ Vous avez raison Jacques, excusez-moi je suis désolé d’avoir


voulu vous renvoyer. Si vous voulez bien, restez avec moi. J’enfouis
toujours mes rêves et mes sentiments au fond de moi, car ils contredisent

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la vie que je veux mener. Je souhaite un monde différent mais toujours
en contradiction avec mes actes ; je voudrais posséder tout dans ce
monde et en même temps tout donner.
⎯ Tout posséder et tout donner, c’est bien là le problème, vous ne
pouvez rester ainsi "le cul entre deux chaises" il faut faire un choix, vous
l’avez dit dans votre lettre : « L’humanité est elle-même touchée par une
maladie générale qui semble incurable, ce mal, je le nommerai ainsi
"l’individualisme chronique" le pire de tous les maux ». Steve, faites-
moi confiance, je ne suis pas venu pour prendre, mais pour donner.

Je ne veux pas tous donner, je ne veux pas tous perdre, je veux


encore profiter, je veux vivre.

⎯ Mais je suis un homme comme tout le monde, je n’ai pas


l’intention de m’enfermer dans un monastère, j’ai une femme.

Tu n’as rien compris, tu crois que je te demande d’abandonner


ton corps la Terre et tout ce que tu aimes. Je ne te dis pas d’abandonner
la matière, mas bien au contraire de vivre avec elle en pleine harmonie,
s’approcher de sa conscience n’est pas abandonner sa nature, mais c’est
s’y associer en consonance, tu es humain, non spirituel.

⎯ Je ne vous demande pas des sacrifices impossibles, mais


simplement de laisser en vous la porte ouverte à une force qui s’appelle
la conscience ; notre nature humaine ne peut changer ainsi, mais notre
conscience elle, peut apparaître. Croyez-vous que Clara reviendra si
nous échouons dans notre démarche ?

Que me chante-t-il ? Pourquoi ne reviendrais-tu pas ? Oh ! tu me


manques et j’ai l’impression que c’est à ta recherche que nous partons
maintenant avec Jacques. C’est toi ma raison de vivre.

⎯ Pourquoi Clara est-elle partie ? Elle va revenir, je ne comprends


pas pourquoi vous dites cela ?
⎯ Steve, peut-être que l’ancienne Clara a fait son temps, alors elle
est partie en chercher une nouvelle. Elle est certainement en mission à
l’autre bout de votre vie ordinaire et je pense qu’elle ne reviendra que si
nous réussissons, si elle réussie.

Partie où ma Clara, dans qu’elle aventure, pour quoi, pour qui,

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avec qui, changée pourquoi, pour qui ?

⎯ Mais quel et le but à atteindre, comment pouvez-vous prétendre


que je ne la reverrais pas ? Encore une fois, vous montez la pression
d’un cran, c’est trop.

Il a raison, mes métaphores sont trop vives, il faut que je le


rassure, même si dans un sens, ceci est bien réel.

⎯ Ne vous tracassez pas, Clara reviendra, mais ce que je veux dire,


c’est que lorsque l’on change, le monde change et il ne vous apparaît
plus comme avant, à la fin de notre rencontre tout peut être changé !
⎯ J’aime autant ça.

Steve, maintenant partons pour un voyage au bout de la


conscience, partons pour découvrir ce qu’il y a derrière ton passé obscur
dont tu ne te souviens pas.

⎯ Derrière votre vie oubliée, il y a un remède et un monde meilleur


qui ne demande qu’à être découvert. Je vous invite à un voyage qui peut
vous conduire à la liberté.

***

Je vois de grandes étendues vertes, des pelouses à n’en plus finir,


et aussi des bâtiments aux toits plats n’ayant qu’un niveau, s’intégrant
parfaitement avec la nature. Je vois des enfants qui jouent, je vois un
soleil plus lumineux encore que celui que je connais, c’est un autre
monde.
⎯ Détends-toi, j’ai du mal à cerner ce lieu, n’ouvre pas les yeux pour
le moment.
Je me laisse aller, j’ai l’impression de ne rien contrôler, je vois
maintenant des étoiles, des astres, des soleils.
⎯ Reviens sur Terre, Clara.
C’est cela, revenons sur Terre, je vois devant moi des dizaines
d’avions, ce sont des gros-porteurs, les plus gros qu’ils soient. Il y en a
qui décollent, d’autres restent alignés au sol, il y a d’énormes hangars,
c’est la ville natale de Steve, il m’a promis de m’y emmener un jour.
⎯ Ouvre les yeux Clara, je crois que tu es arrivée.
Mais qu’est-ce qu’on fait dans l’aéroport de Seat Tac, t’es

54
frappée, qu’est-ce tu me fais ? Je ferme les yeux quelques secondes dans
mon salon, pour m’imaginer un rêve, et me voilà projetée à douze mille
kilomètres de la, avec autour de moi une foule de voyageurs qui passent
et repassent. Pourquoi ?
⎯ C’est ton désir le plus cher, Clara, depuis que tu es avec moi tu as
le don de te déplacer où tu le souhaites, nous allons voyager autant qu’il
te plaira. Maintenant, explique-moi pourquoi nous sommes ici ? car c’est
toi qui nous y as emmené. Viens, asseyons-nous à une table de ce pub et
raconte moi.
Voilà que je prends place dans un restaurant, dans l’état du
Washington, dans un aéroport, alors qu’il y a quelques minutes, j’étais
encore devant les gamelles de ma cuisine. Qu’est ce qui se passe dans
ma tête, je ne comprends plus rien ?

Hello, ladies, what can I get for you?


Il parle anglais, comment va-t-on s’en sortir ?
⎯ I’ll have the Cobb salad and my friend will have the Caesar. What
kind of beer do you have on tap?
⎯ We have pyramid Snow Cap Ale and also the India Pale Ale.
⎯ Ok, we’ll try one of each. And then we’d like the New York
Connection sandwich.
⎯ Certainly, ladies. I’ll get your beer right away and the salads will
follow. Would you like the sandwich at the same time or after salads?
⎯ At the same time is fine. Thanks.
⎯ Thank you, ladies. I’ll be right back.
Noèse serait Américaine, son langage ne serait pas différent, elle
semble parler l’américain à la perfection.
⎯ Puis-je intervenir sur ta pensée Clara ?
Comme il te plaira, Noèse.
⎯ Je ne lui ai pas parlé anglais, c’est en pensée que je lui ai demandé
notre repas.
Mais je t’ai entendue avec mes oreilles, je ne suis pas folle.
⎯ C’est une pensée télépathique, celles-ci n’ont ni langage ni mots,
ce ne sont que des idées, des images qui sortent de ma conscience. C’est
ci puissant que les oreilles ont l’impression d’entendre. C’est la force de
la conscience qui en donne la possibilité.
Conscience, tu aimes ce mot !
⎯ C’est le maître mot de ton grand voyage, l’objet de notre
rencontre.

55
J’ai l’impression de ne pas avoir de conscience depuis que je me
sens exister.
⎯ C’est inexact, Clara, tout chez toi est conscience, mais tu l’as
oublié, c’est pourquoi tu dois me dire pour quelle raison nous sommes
ici à Seattle.
Le serveur nous apporte nos bières, cela me laisse quelques
instants pour en trouver la raison.
C’est ici à Seattle que Steve a vu le jour et je me disais que
j’aimerais visiter les lieux de sa naissance.
⎯ C’est possible Clara, nous pouvons même retrouver la maternité
où il est né. Aimerais-tu voir comment il est né ?
Oh ! oui, bien sûr, je pourrais même imaginer sa naissance son
premier cri, son premier sourire, sa première tété. Noèse, m’est-il
possible comme toi de comprendre et de parler la langue des gens de ce
pays, est-ce que je peux parler Américain ?
⎯ Les limites du langage vont de paire avec les barrières que tu as
dans ton cœur. Hôtes-les et tu découvriras que tu comprends et parles
toutes les langues. Maintenant, prépare-toi, fini ton repas et ferme les
yeux, dès que tu seras prête, nous partons.
Ok, je termine ma bière. Je ne bois jamais une goutte d’alcool et
cela me monte à la tête maintenant, j’ai les yeux qui vacillent, j’aime
bien.
⎯ Tu es un peu saoul, ne te laisse pas surprendre par l’alcool, car
dans quelques instants, tu devras avoir toute ta tête.
J’ai… j’ai fini mon verre et maintenant je… je ferme les yeux…
⎯ Ce n’est pas le moment de rêver, Clara, viens vite, nous sommes
attendues.
⎯ Mais nous n’avons pas bougé de place, nous sommes toujours à
l’aéroport. Tu ne me transportes pas avec tes pouvoirs ?
⎯ Quels pouvoirs ? Viens vite, nous allons rater le bus.
Je m’apprête à passer une soirée tranquille avec Steve et voilà
maintenant que je dois prendre un bus, mais pourquoi ?
⎯ Allez, viens, lève-toi, nous sommes en retard, on nous attend. Oh !
je sais que tu aimes bien traîner dans cet aéroport, mais on ne peut plus
rester.
Elle est givrée cette fille, qu’est-ce qu’il lui prend ? maintenant
elle me fait courir dans l’aéroport. L’aéroport ? Mais, mais il est
complètement changé, les voyageurs ont tous un autre look, mais qu’est-
ce qui se passe ? Ce n’est pas vrai, même les avions sur la piste sont
différents.

56
⎯ Mais, Noèse, c’est quoi tout ça ?
Mais je parle !
⎯ Pourquoi tu m’appelles Noèse ?
⎯ C’est pas ton nom ?
⎯ Raconte pas d’histoire, Sandy, tu sais bien que je me suis toujours
appelée Demy.
Sandy, Demy, c’est quoi ce truc-là ?
⎯ Mais où va-t-on ?
⎯ Arrête de faire l’amnésique, t’es pas drôle. On doit prendre notre
service à la maternité avant vingt-deux heures et tu fais l’idiote. On peut
se faire virer si on est en retard, allez, déconne pas, reviens sur Terre.

Je ne suis plus moi, je suis Sandy, je travaille à la maternité et je


vais me faire virer si j’arrive en retard. C’est plus fort que tout.

⎯ Demy, quel jour on est ?


⎯ Depuis ce matin, ça n’a pas changé, nous sommes toujours le quatre
avril mille neuf cent soixante-huit et il est neuf heures dix.

Mais c’est le jour de l’anniversaire de Steve ! J’y suis, Noèse m’a


transportée au jour de sa naissance.

⎯ Combien de temps nous faut-il pour rejoindre la maternité, Demy ?


⎯ Si tu ne te dépêches pas, nous allons rater le bus et nous n’arriverons
pas avant une heure et demie.

Neuf heures dix, plus une heure et demie, cela fait vingt-deux
heures quarante minimum à la clinique. Steve est né à vingt-deux heures
vingt cinq. Ce n’est pas possible, il faut y arriver bien avant.

⎯ Demy, on prend le taxi, c’est urgent, j’ai le sentiment qu’il va y


avoir des urgences ce soir.
⎯ Je te vois rarement comme ça, Sandy, mais je suis d’accord ; tiens,
ça tombe bien, j’en vois un qui semble libre, cours vite, avant qu’il
prenne la file et que nous devions faire la queue… Hep taxi !

Demy semble être une fille très réactive, pratiquement capable


d’arrêter un avion en plein vol. j’aime ce genre de personne. Et nous
voilà déjà en route pour la maternité.

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⎯ Demy, je suis désolée pour tout à l’heure, mais j’étais à dix mille
lieux d’ici lorsque tu m’as interrompue.
⎯ Je sais, j’ai l’habitude avec toi. Mais je te pardonne, d’ailleurs,
regarde, ton idée de prendre un taxi était bonne, nous arrivons à la
clinique, nous sommes même en avance.

Maintenant je suis Demy dans les couloirs, jusqu’à notre


vestiaire.

⎯ Sandy, tu as de la chance d’avoir eu cette promotion, j’aimerais


bien aussi pouvoir faire accoucher toutes ces femmes qui arrivent chaque
jour dans notre service.

Je suis sage-femme ! Comment vais-je m’y prendre s’il y a une


urgence ce soir ?

⎯ C’est un coup de chance, voilà tout. Mais je pense que cela


t’arrivera plus tôt que tu ne le penses.

Nous montons rejoindre la salle de veille, pour remplacer nos


collègues.

⎯ Vous êtes en avance, vous deux, vous tombez bien, car il y a eu un


appel il y a un quart d’heure, un mari paniqué nous a appelées car sa
femme a perdu les eaux et elle a de grosses contractions. Vous allez vous
amuser ! Bon courage à vous.
⎯ Merci, trop aimable à toi Sandra, tu as l’air si réjoui que je te
plains d’avoir choisi ce métier. Moi à ta place, j’aurais appris la
boucherie, t’aurais été plus dans ton élément.
⎯ Pauvre tarte.
⎯ Au fait, t’en as raté combien aujourd’hui ?

Eh ! voilà comment Demy cloue le bec à ceux qu’elle n’apprécie


pas. Mais j’entends que l’on sonne à la porte des urgences. Demy se lève
et va ouvrir.

⎯ Bonsoir, monsieur, c’est vous qui avez appelé il y a quelques


minutes ?

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⎯ Tout à fait, ma femme est assise dans le couloir, et elle ne peut pas
bouger, les contractions lui font trop mal. Elle a perdu les eaux et
l’enfant ne devait pas arriver avant quinze jours.
⎯ Détendez-vous, ce n’est pas grave. Nous allons examiner votre
épouse, nous allons la transporter en salle de travail. Restez ici dans le
couloir, nous vous donnerons des nouvelles dès que possible… Sandy,
prends le fauteuil roulant, nous passons dans en salle avec madame.

Je m’approche de la femme. Je la reconnais, elle est exactement


comme sur les photos, c’est bien la mère de Steve. Je vais le lui
demander.

⎯ Bonsoir, madame, comment vous appelez-vous ?


⎯ Marie O’Connor. Qu’est-ce que vous allez faire ?
⎯ Détendez-vous madame, tout va bien se passer, si vous êtes ici,
c’est pour un heureux événement. Alors, faite nous confiance.

J’ai le sentiment d’avoir déjà accouché quelques femmes, mes


mains l’on fait, j’en suis certaine, je connais la procédure dans la
maternité, je connais mes collègues, je suis sure de moi.

⎯ Madame O’Connor, je vous emmène dans la salle de travail, je


vais procéder à quelques examens, je pense que, pour vous, le travail est
largement commencé.
⎯ J’ai mal dans le ventre, j’ai mal dans le dos.
⎯ Détendez-vous, si vous pouvez vous lever maintenant, montez ces
quelques marches afin de vous allonger.

Je la déshabille, je lui mets une chemise bleue avec l’Ecusson de


Virginia Mason Hospital, maintenant, elle est dans le standard de la
maison, plus de signe distinctif et monsieur le mari reste bien à l’écart
dans le couloir, il est seulement autorisé à faire les quatre cents pas. Ici,
c’est une affaire de femmes.
Je place les jambes de madame O’Connor dans les étriers, et je sonde le
col. Oh !

⎯ Votre bébé arrive, je sens sa tête. Il n’est plus loin,


⎯ C’est vrai ?
⎯ Oui ! C’est votre premier enfant ?

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⎯ Je ne suis pas tranquille, je n’ai jamais accouché.
⎯ Rassurez-vous, ça va très bien se passer.

Quand même, je ne vois pas dans la salle un monitoring,


comment fait-on pour écouter le cœur du bébé ? Ah ! j’y suis, je vais
prendre le stéthoscope qui est posé sur le bord de la tablette… le cœur de
l’enfant ralenti, ce n’est pas un bon présage, peut-être a-t-il un cordon. Je
vais faire attention.

⎯ Sentez-vous une contraction monter ?


⎯ J’en ai une qui se termine maintenant.
⎯ OK, on va attendre le prochain pour pousser. D’accord ?
⎯ Qu’est-ce que je dois faire ?
⎯ Je vais vous guider, quand la contraction montera, poussez comme
pour vous libérer, je vous dirai quand il faudra arrêter car je dois
basculer la tête. Si vous poussiez encore, vous risqueriez de vous
déchirer, OK ?

Si on m’avait dit qu’un jour je mettrais au monde mon mari,


j’aurais vivement rigolé… Au fait ! cette femme ne sait pas si c’est une
fille ou un garçon. Et si c’était une fille ?

⎯ Je sens la contraction.
⎯ Poussez, poussez, je vois sa tête et ses cheveux.
⎯ Ça fait mal, punaise !
⎯ Allez-y, encore, encore. Le voilà.

La tête passe, je vais le basculer.

⎯ Stop, ne poussez plus !

Je prends la tête, je dégage le périnée.

⎯ C’est bon, si vous avez une nouvelle contraction, poussez, c’est la


dernière.

Oh ! le cordon comme je le présentais, deux tours !... Ma main


est experte, je passe les doigts, deux fois de suite, il est dégagé. T’es
libre mon bébé, vas-y. Et te voilà, tu glisses entre les jambes de ta mère,

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tu es très beau. Oh ! comme j’aimerais être à la place de ta mère, comme
j’aimerais avoir un enfant comme celui-là. Steve, je t’aime, je t’aime
depuis ta naissance, tu es le prolongement de mon corps, et surtout, tu es
la voix perdue de ma conscience. Tu pleures, tu t’exprimes et en même
temps, j’entends mes premiers cris. Je te vois naître et c’est moi qui
ouvre les yeux pour la première fois. J’ai attendu ta naissance toute ma
vie. J’ai attendu et ton premier regard sur Terre est pour moi. Les larmes
m’en coulent car, aujourd’hui, je sais que nos vies vont changer.

⎯ C’est un joli garçon madame O’Connor, comment allez-vous


l’appeler ?
⎯ Mon mari m’a dit que si nous avions un garçon il aimerait
Charles, en mémoire de Lindbergh. Mais j’aime pas.
⎯ Pourquoi pas Steve, c’est plus moderne !
⎯ C’est pas mal !

Je coupe le cordon et lui pose Steve sur le ventre, il suce déjà son
pouce.

⎯ Oh ! mon bébé, je crois que tu as faim.

⎯ Tu ne supportes pas la bière, Clara, je t’avais prévenue !


Hein ! quoi ?
⎯ Tu t’es pratiquement endormie sur ton assiette de salade.
Mais j’étais partie, je n’étais pas moi, j’ai…
⎯ Je sais, c’est comme une seconde naissance, tu vois Steve ouvrir
les yeux pour la première fois, il est pour toi un nouveau-né et tu te sens
vivre aussi, de nouveau. Il y a des moments comme cela, où la
conscience se remet à vibrer. Fais maintenant en sorte que ce nouveau
feu ne s’éteigne plus.
Et Steve, lui aussi, il ressent cela ?
⎯ S'il s’éveille, tu t’éveilles ; si tu lui parles, il t’entend. S’il te
comprend, il te suivra. Tu as posé la première pierre de l’édifice. Le feu
de la vie est éveillé en ton être. Tu peux remercier la Pyramid Snow Cap
de t’avoir fait tourner la tête dans un sens bien différent.
Et de faire battre mon cœur maintenant… Noèse !
⎯ Oui Clara !
Je veux continuer ce voyage, même s’il doit me conduire encore
plus loin et quel que soit le temps qu’il durera. Oh ! Steve, aujourd’hui je

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t’ai fait naître, ma pensée était si forte qu’un instant je t’ai tenu dans mes
mains et lorsque tu as ouvert les yeux, j’étais devant toi. Si tu pouvais
ressentir ma joie, j’ai vibré, tu aurais presque pu entendre ma voix.

La vie s’installe
C’est un voyage dans tous les recoins de ta raison que nous
entamons, Steve, tu es né il y a trente-cinq ans, tu as un passé, c’est cela
qu’il te faut redécouvrir, le véritable retour aux sources est la clef de ta
vie, il te faut retrouver l’être du passé qui habitait à l’origine les rives de
ta conscience perdue.

J’ai le sentiment de découvrir en moi une voix que je n’avais


jusqu’à présent jamais ressenti, quelque chose est née en mon esprit,
c’est comme les cris d’un nouveau-né. Force étrange, tu surgis, mais j’ai
l’impression de te connaître depuis si longtemps.

⎯ Jacques, depuis tout à l’heure, j’ai senti naître au fond de moi


comme une vie supplémentaire, je ne peux encore la définir, mais
quelque chose de nouveau vit au fond de moi. Qu’est-ce que c’est ?

Il est touché par la ressouvenance de son passé, c’est comme une


lumière qui s’allume en lui.

⎯ Vous tenez en main une clef de votre passé oublié, les chocs du
début de notre entretien font que l’être qui, à l’origine, habitait les rives
de votre conscience perdue se réveille et crée en vous un sentiment
inattendu.

Aqualuce, comment as-tu su que Steve était prêt à entendre une


autre voix en lui ?

⎯ Avec cette force nouvelle, je sens que tout est possible et au fond
de moi, je crois que je pourrais, mardi prochain, lorsque j’ouvrirai mon
cabinet, soigner les patients bien différemment. Vous m’avez ouvert les
yeux, Jacques, je vous en remercie. Croyez-moi, c’est la conclusion de
notre discussion !

Mais il a vraiment hâte de me voir partir, il s’imagine déjà arrivé,


alors qu’il n’a même pas appris à parler, le brin de lumière qu’il a en lui
suce encore son pouce et n’a pas encore ouvert les yeux, il voudrait

62
maintenant l’expédier autour de lui pour soigner l’humanité !

⎯ Vous allez trop vite, Steve, ce n’est pas parce que vous percevez
au fond de vous une étincelle que vous allez éclairer l’univers. Vous
avez tout à apprendre, vous ne connaissez rien de ce qui vous entoure,
vous êtes encore sourd et vous ne faites encore qu’une toute petite place
au rayon qui vous touche. Avant tout, vous devez apprendre à
désapprendre et lorsque vous serez redevenu un enfant devant cette vie
qui s’offre à vous, vous lâcherez les rênes de votre existence. Ce ne sera
plus vous qui déciderez mais vous serez guidé infailliblement.

Mais cette force se manifeste en moi, j’en suis sûr.

⎯ A quoi peut me servir ce que je ressens, si je ne peux l’employer


maintenant ?
⎯ Soyez à l’écoute dès maintenant, cette nouvelle vie vous guidera,
au-delà de votre intérêt personnel, faite lui une place à chaque minute
plus grande, ne vous contentez pas de l’entendre, mais œuvrez pour elle.
Si vous ne le faisiez pas, cette force, lumière ou raison, quel que soit son
nom, disparaîtrait rapidement. Vous n’êtes qu’au début de votre
parcours.

Je suis médecin, je l’ai toujours été. Je ressens en moi que ce


métier est une vocation, pourquoi ne pourrais-je pas dès maintenant
apporter à ma médecine ce baume que je perçois ?

⎯ Je ne peux garder en moi ce que je découvre, n’est-il pas dit « On


n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau mais sur le
lampadaire et, elle brille pour tous dans la maison » ?

Tu dis juste Steve, mais tu dois avant tout voir ce qui se


manifeste en toi
⎯ Vous devez d’abord apprendre à connaître celui qui veut vous
guider, sachez que des guides au fond de vous il y en a plusieurs et que
vous devez être vigilant.
⎯ Comment ça ?

Il faut tout t’expliquer, tu ne connais rien, tu ne t’es laissé guider


jusqu’à aujourd’hui que par tes désirs, ton instinct, c’est cela qu’il va
falloir aussi connaître et abandonner si tu veux avancer et il te faut

63
comprendre l’amour.

⎯ Que représente l’amour pour toi, Steve ?

Veux-tu que je te réponde, Jacques ?

⎯ Pour moi l’amour c’est le plaisir et le sexe, pour moi, l’amour


c’est la beauté de la femme, son orgasme et mon plaisir. Voilà ma
réponse, je n’ai pas envie d’entendre autre chose…

Oh ! non, cette force qui me sort des entrailles et maintenant me brûle à


partir du cœur. Jusque dans ma tête la douleur de cette pensée m’étreint.
« N’as-tu pas honte de dire cela ? tu sais bien au fond de toi ce que veux
dire l’amour, tu sais bien pourquoi tu vis avec Clara, elle représente
pour toi autre chose que le plaisir, de plus, tu n’es pas une bête de sexe
et ta femme n’est pas portée dessus, tu dois ouvrir les yeux.»

Tu te contredis, tu ne penses pas ce que tu dis. Je sens que tu ne


sais pas exprimer ce que tu ressens au fond de toi. Je vais t’aider à
comprendre ce qui te touche malgré toi.

⎯ Etes-vous vraiment certain de ce que vous avancez, Steve ?

Je ne peux vraiment cacher ce que j’ai au fond de moi, Jacques,


aide-moi à me libérer de mes chaînes.

⎯ Non, mais cette conscience quotidienne est très forte en moi, elle
est mon instinct, j’ai toujours vécu avec.
⎯ C’est cette bataille entre le quotidien et le nouveau qui est devant
vous Steve. Avant ma venue, vous ne viviez que d’une certaine
conscience, mais en voilà une autre, totalement différente et
malheureusement il n’y a pas de place pour deux !
⎯ C’est la lutte du bien contre le mal !
⎯ Si vous vous basez sur la culture religieuse de l’humanité, oui.
Mais si vous examinez en profondeur, non, car ce qui fait obstacle en
nous n’est pas le mal, mais l’ignorance. Un être qui ne connaît pas la
vérité et qui s’est établi depuis des millénaires dans sa certitude ne peut
accepter autre chose ; alors, c’est le conflit.
⎯ Quelle est la solution, Jacques ?

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Difficile à exprimer pour moi car je m’exprime par métaphores.
Difficile à comprendre pour toi, car il y a trois heures à peine, tu étais
plus dur que l’acier dans tes sentiments. Mais enfin…

⎯ Vous n’avez pas d’enfant, Steve ?


⎯ Non, vous l’avez constaté, où voulez-vous en venir ?
⎯ Une vie inattendue est née en vous, maintenant considérez-la
comme votre enfant. Cet enfant, vous allez devoir le nourrir et l’élever
pour qu’il grandisse et devienne suffisamment fort pour prendre plus
tard la relève. Vous aviez d’autres centres d’intérêt précédemment et
maintenant vous allez devoir entrer en conflit avec eux car vous ne
pouvez continuer à les servir. Ce sera pour vous votre lutte du "bien
contre le mal". Voilà maintenant votre mission. Vous n’en êtes qu’au
début, c’est pourquoi vous ne pouvez envoyer ce nouveau-né au travail,
il n’est pas prêt. C’est à vous de l’y préparer.

Me voilà pourvu d’un enfant et je dois lui donner le biberon.


N’importe quoi, t’es pas bien dans ton esprit Jacques. Comme si je
n’avais que ça à faire. Cet enfant n’est que pure imagination, lorsque j’ai
eu ce sentiment, tu m’avais convaincu avec tes histoires. L’homme est
constitué d’un cerveau, de neurones, d’influx électriques circulant dans
sa tête. La conscience et la pensée sont de même nature. Le subconscient
n’est qu’une sous-couche d’influx électriques stimulée par la mémoire.
Tout ça c’est scientifique. Rien d’autre à dire, je n’ai pas d’enfant. Un
point c’est to… « J’ai faim, j’ai soif, j’ai besoin que tu me nourrisses, si
tu ne le fais pas je vais mourir » Oh ! non, maintenant cette force comme
une parole au fond de moi, mais pourquoi la vie n’est-elle pas plus
simple ?

***

Devant mon verre de bière, j’ai encore les yeux qui pétillent de
cette naissance toute fraîche, c’est comme le plus beau jour de ma vie,
voir naître une âme est ce qu’il y a de plus beau, que j’aimerais qu’elle
soit mon enfant.
⎯ Clara, tu as vraiment raison, une naissance est toujours un instant
merveilleux et je crois que cet enfant pourrait être le tien.
J’ai toujours rêvé d’avoir un enfant, mais Steve n’est pas
d’accord, il pense que nous ne sommes pas prêts, que la maison n’est pas
terminée et que cela me donnera trop de travail. Je vais te faire une

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confidence Noèse. Je ne prends plus la pilule depuis le jour où il a publié
son petit article qui l’a tant mis mal à l’aise et je ne lui ai rien dit. Si je
suis enceinte, je crois qu’il le prendra très bien car Steve a besoin d’être
propulsé vers l’avant. Si je ne prends pas de risques, nous allons nous
scléroser et notre vie sera gâchée.
⎯ C’est très bien, Clara, tu as raison de prendre ce risque, pour ma
part, j’ai une fille qui a bientôt deux ans. Elle est arrivée dans des
conditions particulières, mais je n’ai aucun regret, tout au contraire.

Comment es-tu tombée enceinte, Noèse ?

⎯ J’ai été violée par l’homme qui m’aimait. Ne dis rien si ça te choc,
car, ensuite, cet homme s’est sacrifié pour moi et l’enfant. Il a donné tout
son sang pour nous sauver.

Je ne te gênerai plus avec mes questions.

⎯ Ne t’en fais pas, tu n’as rien fait de mal. Ce qui importe


aujourd’hui, c’est toi. Nous avons tout notre temps dans ce pub, veux-tu
une autre bière ?
Pourquoi pas !...
Mes lèvres effleurent à peine la mousse que je sens mes yeux
plonger dans un trou noir intergalactique…

Je sens une chaleur un peu gluante se poser sur mon ventre, ce


n’est pas la bière qui fait ça ? j’ouvre les yeux.

⎯ Oh ! mon bébé, je crois que tu as faim.

Mais ce sont les mots que disait la mère de Steve lorsque j’ai
posé son enfant sur elle. Maintenant, voilà qu’ils sortent de ma bouche.
J’ai les yeux grands ouverts et je te sens si près de moi, Steve, je suis
comme ta mère, je suis ta mère. Viens téter, viens te blottir dans mon
sein, tu as faim, ça fait neuf mois que tu attends cet instant. J’ai enfin
cette sensation de vie qui m’emplit. Je vais prendre soin de toi. Le Steve
que je viens d’enfanter sera le Steve qui me délivrera, je promets de te
donner tout ce dont tu auras besoin pour grandir. Je serai ta conscience et
tu me ramèneras à la vie.

⎯ Ça va, madame, alors, vous êtes toute à votre petit Steve ?

66
⎯ Oh ! oui, qu’il est mignon, sa peau est fine et lisse, il a déjà de
bonnes joues.
⎯ Voulez-vous que nous fassions venir votre mari maintenant ?
⎯ Si c’est possible, d’accord, mais ne lui dites pas que c’est un
garçon, je veux lui faire la surprise.

Je suis Marie O’Connor, je le sens dans les fibres de mon corps,


j’ai l’image de mon mari dans ma tête. Je sais que tu vas apparaître
devant moi avec tes cheveux châtain et long, ta barbe toujours mal rasée,
ton blouson de cuir sur lequel tu as fait coudre tes insignes et décorations
lorsque tu étais dans la NAVY. Tu as toujours ton 501 tout râpé et ta
vielle paire de Ray ban qui a dû faire bien des guerres, je sais que tu ne
vas pas accepter comme ça le prénom de notre fils, je sais que tu es têtu,
mais tu as un cœur, alors…

⎯ Marie, comment vas-tu, et le bébé, c’est une fille ou un garçon ?

Tel que je t’imaginais, c’est bien toi.

⎯ Regarde, c’est ton portrait tout craché, il ouvre déjà les yeux,
approche-toi.
⎯ Oh ! mon petit Charles, comme tu es mignon.
⎯ Eh non, pas Charles, Steve.
⎯ Mais Marie on avait dit que…
⎯ Pas ici dans la maternité, pas devant le bébé, je préfère Steve, il
s’appelle Steve.

Je sens que tu avales ta salive, tu te retiens, mais c’est comme ça.

⎯ Ce n’est pas important, si ça te fait plaisir, je suis tout avec toi. De


toute façon, ça ne m’empêchera pas d’en faire un astronaute.

L’idée est séduisante, pour moi qui aime l’aviation sous toutes
ses coutures.

⎯ Gary, il faudra qu’il soit d’accord lorsqu’il aura l’âge.


⎯ Mais avec moi il le voudra, c’est sûr !
⎯ Je suis fatiguée, Gary, l’infirmière va me conduire dans ma
chambre, peux-tu te pousser un peu. S’il te plaît, reviens demain, j’ai

67
envie de me retrouver seul avec Steve, je vais lui donner le sein, il est
certainement fatigué, lui aussi, il a fait un si grand voyage.

Dans la chambre, tout est calme, je suis seule, avec mon enfant, il
suce le bout de mes seins et je sens qu’il prend dès cet instant toute la
force d’on il aura besoin pour grandir. Je sais que, plus que mon lait,
c’est de mon cœur que lui vient toute la nourriture. C’est du plus profond
de mon âme que lui est donné la force de vivre dès à présent. Je suis à
ton écoute et même sans dire un mot, tu le sais. Tu me réponds par les
petits coups que tu me donnes avec tes pieds. Mais tu es un être fragile,
si nous ne prenions pas garde, tu pourrais t’éteindre. Oh ! comme l’âme
d’un nouveau-né peut être fragile, comme j’ai hâte de te voir grandir. Je
te remets dans ton petit lit, tu t’es endormi sur moi et j’ai aussi sommeil.

⎯ Tu es fatiguée, Clara, tu veux que nous allions nous coucher ?


Un ! quoi ? qui me parle ?
⎯ C’est moi, Noèse, tu t’es encore assoupie dans le fond du siège de
la voiture. Nous allons à l’hôtel pour y passer le week-end, il est tard.
Mais Noèse, j’étais avec l’enfant, j’étais sa mère, je veux y
retourner.
Je me suis endormie, mais quel plaisir d’être auprès de son enfant, je
veux me réveiller auprès de lui.
⎯ D’accord, Clara, ne te laisse pas prendre trop loin au jeu, reste
consciente de ce que tu es, cet enfant n’est pas le tien, du moins, pas
encore. Tu es là pour apprendre, en attendant, suis-moi.

Je suis Noèse, elle me donne l’impression de connaître le coin


comme sa poche. Devant l’hôtel, nous n’avons ni bagages, ni chemise de
nuit ni une brosse à dents…

⎯ Tu vois Clara, la chambre est très confortable, il y a deux grands


lits. Mais viens avec moi dans le hall d’accueil, j’y ai repéré une
boutique qui vend des sous-vêtements et des pyjamas…

Je suis dans mon lit et j’ai véritablement sommeil.

Les rêves
Tu pénètres dans mon cabinet, je sens venir de toi le danger. Je
veux te chasser, mais je suis comme paralysé. Tu entres dans ma maison,
c’est pour t’installer. Tu chasses ma femme, tu dis qu’elle ne reviendra

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pas, alors je me mets à sa recherche. Mais tu es toujours là, tu ne bouges
plus, tu es chez toi et je suis devenu l’étranger. Alors tu me dis que je
suis le père d’un enfant dont je ne connais même pas la mère. Alors je ne
veux plus t’entendre, je ne veux plus te croire. J’ouvre les yeux et devant
moi, l’enfant me tend les bras, il est bien réel, j’en suis son père, je le
sais. Mais pourquoi ?

⎯ Jacques, je ne peux plus nier l’existence de cet être qui fait surface
dans ma vie, contre ma volonté, il est là. Je vais devoir lui faire une
place. C’est comme si en moi une partie de mes souvenirs refaisait
surface, c’est l’instant de ma naissance, cet autre est l’image primaire de
l’être oublié au fond de moi. Par quelle magie cela est-il possible ?

Steve, comme tu es parti, tu pourrais parcourir en quelques


heures ce que j’ai fait en deux ans.

⎯ Ce qui vous touche, Steve, est le fruit du travail de ceux qui ont
accompli ce chemin avant vous.
⎯ Le travail à accomplir pour moi est inattendu et je ne sais pas par
quel bout le prendre.
⎯ Vous n’avez qu’une chose à faire, Steve. Écoutez l’enfant de votre
passé qui vous réclame, écoutez-le plus que tout.
⎯ Tout cela m’a fatigué, je pensais veiller, mais je crois que si vous
n’y voyez pas d’inconvénients, je vais vous présenter votre chambre.

Je suis avec Steve à l’étage, il me montre ma chambre, j’ouvre


ma valise et je m’installe dans un lit bien confortable.

Jacques est dans sa chambre, j’éteins ma lumière. Je crois que je


vais trouver le sommeil rapidement.

Je n’arrive pas à trouver le sommeil, dans cette chambre aussi


vaste qu’inconnue pour moi. Je ne vais pas passer la nuit à me tourner et
à me retourner.

J’aurais dû continuer cette conversation dans le salon avec


Jacques, ça m’aurait évité de prévoir une nuit blanche.

Tant pis, je vais frapper à la porte de Steve, pour un prétexte


idiot, comme « avez-vous du dentifrice ? », on verra bien s’il dort déjà.

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C’est Jacques qui frappe à ma porte ?

⎯ Oui, Jacques !
⎯ Avez-vous un peu de dentifrice ?
⎯ Bien sûr, dans ma salle de bain, derrière ma chambre. Vous ne
dormez pas encore ?
⎯ Je dois vous avouer que j’ai du mal à trouver le sommeil.
⎯ Moi aussi et je me disais justement que j’aurais peut-être dû
continuer notre grande conversation. Poussez la porte, vous trouverez le
dentifrice sur le lavabo, derrière mon lit.

J’ai le dentifrice, je passe devant son lit.

⎯ Eh ! Jacques, à quoi vous rêvez la nuit ?


⎯ Pourquoi cette question, Steve ?
⎯ J’ai parfois des rêves étranges que j’aimerais vous raconter.
Asseyez-vous sur le bord du lit, si vous voulez.

Je m’assieds, qu’a-t-il à me dire ?

⎯ Jacques, il y a des rêves qui me reviennent parfois la nuit, ils sont


bien curieux, sont-ils en rapport avec ma perte de mémoire ?
⎯ Je ne sais pas, Steve, donnez-m’en un exemple.
⎯ C’est difficile de décrire les images que l’on rêve, mais je vais
essayer de vous faire vivre au mieux celui qui me touche le plus.
J’ai rêvé, j’ai rêvé…

De quoi as-tu rêvé ?

⎯ Je parcourais l’univers dans une grande nef. Ce vaisseau était


aussi grand qu’une ville, qu’une planète. Le ciel était ouvert devant nous
et en parcourant le ciel, je pouvais voir l’univers entier. Vous ne pouvez
imaginer cette impression d’immensité, jamais reproduite dans un film
de science-fiction, jamais lue dans aucun roman. Le ciel que je voyais
était d’une couleur étrange, et les astres illuminaient partout notre
vaisseau. Au commencement, je me croyais en sécurité mais bientôt,
tout changeait. Une tension étrange m’envahissait et une sensation de
malaise augmentait à chaque moment. Les astres se mettaient à bouger

70
dans le ciel, et la grande stabilité cosmique disparaissait rapidement.
L’angoisse montait progressivement, et alors j’assistais à l’effondrement
des étoiles qui semblaient absorbées par un autre astre encore plus gros
et qui bientôt prenait une dimension telle que la moitié du ciel en était
couverte. Cet astre je ne peux le nommer planète ni étoile, il représentait
toute l’angoisse de l’humanité et il signifiait pour moi la fin du monde ;
non pas la fin d’un vaisseau ou d’une planète mais la fin du Monde, de
l’univers et de l’infini. Alors à cet instant tout s’arrêtait et je me
réveillais.
Jacques, j’ai le sentiment de ne pas avoir toujours vécu sur Terre, j’ai
parfois l’impression d’être égaré ici, sur cette planète.
⎯ Steve, moi j’ai un rêve qui me revenait souvent lorsque j’étais
plus jeune. Maintenant, je m’en souviens clairement. D’autant plus qu’il
est presque devenu réalité.
⎯ Quel est-il, Jacques ?
⎯ Je vivais dans ma ville, et je parcourais les rues. L’atmosphère
était lourde, et le ciel était dégagé. Je levais les yeux au ciel et je sentais
qu’il se passait quelque chose d’étrange au-dessus de moi. Et, là,
j’apercevais très haut dans les nuées un vaisseau spatial qui commençait
à tourner autour de la ville. Puis un deuxième et d’autres encore
arrivaient.
Je savais qu’ils venaient pour moi, ils venaient me chercher.
⎯ Qui donc venait vous chercher ?
⎯ Les hommes du ciel, les extra-terrestres. Alors, je n’avais d’autres
moyens que de courir pour me dissimuler. Je rentrais chez moi et
j’ouvrais les portes du placard pour m’y cacher. A cet instant je me
réveillais.
⎯ Un autre rêve plus sympathique me vient en tête. Il est
extrêmement court, Jacques. Je rêve que je vole. Non pas avec un avion,
mais il me suffit de me lancer vers le haut et de battre des bras comme
un oiseau. Et voilà, je m’envole.
J’en ai un aussi court que le vôtre, Steve.
Je suis très haut dans le ciel et d’un coup, je bascule et je tombe de toute
ma hauteur, sans pouvoir me retenir. La chute dure suffisamment
longtemps pour que j’aie le temps de me contracter de toutes mes forces.
Je vois le sol se rapprocher à vive allure alors je ferme les yeux et je m’y
écrase. Le contact est extrêmement douloureux à chaque fois que cela
m’arrive, mais je m’en sors toujours indemne. Cela me fait toujours très
mal au ventre.
⎯ J’ai un rêve très étrange qui me vient parfois, c’est celui de la

71
grotte.
⎯ Qu’est-ce que c’est, Steve ?
⎯ Je suis au pied d’un manoir et je pénètre à l’intérieur par des
portes dérobées. Je passe par des labyrinthes qui s’enfoncent sous la
terre, de plus en plus profondément. Derrière moi les portes se referment
et je rentre dans des profondeurs étranges. La luminosité est très
restreinte. Je n’en vois jamais le bout, pourtant je n’arrête pas de
m’enfoncer dans le sol. Je me réveille frustré. Je n’atteins jamais mon
but.
⎯ Steve, le pire des rêves que je fasse parfois est celui du combat
avec les forces du mal.
⎯ Le combat avec les forces du mal ?
⎯ Un peu comme vous, je me retrouve dans des cavernes très vastes
et je suis poursuivi par une terrible puissance, qui est le mal à l’état pur.
Il veut me prendre avec lui, il veut que je chute avec lui pour s’emparer
de l’humanité. Alors à un moment, coincé, je me retrouve face à lui et je
dois l’affronter. Devant lui, je le sens m’entourer, il souhaite me
pénétrer. Instantanément, j’implore la force et je la sens me pénétrer. La
lumière me gagne et, à ce moment, je me transforme en boule d’énergie
pure et je me détends vers le mal. Alors, je le détruis. Je sais dès lors que
la lumière est pour moi le salut.
⎯ Tous ces rêves, Jacques que veulent-ils nous dire ?
⎯ Je crois qu’ils ont un rapport avec notre conscience ou notre
manque de conscience.
⎯ Jacques, tout à l’heure, j’ai ressenti comme une force intérieure,
qui me suggérait une forme de conscience. Mais depuis, plus rien. J’ai le
sentiment d’être vide. Je n’arrive plus à penser pratiquement. Est-ce que
ma conscience m’abandonne ?
⎯ Vous ne devez pas vous inquiéter, cela reviendra. Mais je pense
que la conscience ne se manifeste pas comme on le désire, mais comme
elle le doit. Nous devons être à l’écoute de nous-même, tout comme
vous devez être à l’écoute de Clara.
⎯ Je ne me suis jamais écouté, Jacques.
⎯ Alors, apprenez à écouter.

Cette force en moi, qui monte de mon cœur, et qui m’enserre


comme un étau ?

« Ta véritable nature n’est pas celle du quotidien. »

72
⎯ Je la perçois.
⎯ Si tu laisses parler ton cœur, chaque jour, tu l’entendras de plus
en plus fort.
⎯ Je sens que le sommeil va arriver si je le laisse faire.
⎯ Moi aussi, Steve, nous devrions nous coucher maintenant.
⎯ Bonne nuit, Jacques.
⎯ A demain, Steve.

***

Mon esprit s’envole, je vois mon corps resté dans le lit, il y a moi
et cette jeune femme, Noèse. Tiens, elle semble bien dormir, comme
moi, qui dors d’un sommeil de plomb…

⎯ Embarquement dans le vol sans escale pour Andromède, départ


dans dix minutes, empruntez la passerelle éternelle vers le Boeing 747,
décollage immédiat. Distance pour ce voyage, un deux million deux cent
mille années-lumière.
⎯ Steve, qu’est-ce que tu fais là, je croyais que tu détestais les
avions ?
⎯ Oui, mais je recherche ma conscience, alors je vais voir si elle ne
serait pas perdue dans cette galaxie, de plus, j’ai un patient qui m’attend
là-bas, Jacques, et je lui ai promis d’aller sur Andromède.
⎯ Reste avec moi, Steve, écoute-moi.
⎯ Mais je ne t’entends pas. Qu’est-ce que tu dis ?
⎯ Steve, c’est moi, Clara.
⎯ Je ne t’entends pas, je ne t’entends pas…
⎯ Laissez-moi entrer, je veux aussi aller sur Andromède.
⎯ Trop tard, madame, le vol est complet, prochain départ dans un
million d’années, les urnes funéraires seront acceptées si elles sont
solvables.
⎯ Non, je ne veux pas rester seule, je ne peux pas rester seule…

Ne t’en vas pas, ne t’en vas pas, Steve, tu es ma vie, je


t’aime…Tous ces sanglots qui s’écoulent de mon corps. Oh ! Steve,
pourquoi tu ne m’entends pas ?

Cette femme est bien désemparée, je sens qu’elle a besoin d’aide

73
Tiens, qui est cette fille qui s’approche de moi ?

⎯ Bonjour m’dame, j’peux faire quelque chose pour vous ?


⎯ Mon époux est parti vers Andromède, je ne peux le rejoindre
avant un million d’années. Il m’abandonne toujours car il ne m’entend
jamais. Chaque jour, il part très loin alors que je veux lui dire toute ma
souffrance, chaque jour il va à l’autre bout de l’univers sans moi, chaque
jour il me déchire alors que je le désire.
⎯ Clara, tu dois changer, maintenant, ne le désire plus, mais force-le
à te désirer, c’est lui qui doit aspirer à toi.
⎯ Comment faire pour y arriver ?
⎯ Pour qu’il t’entende, tu dois maintenant l’Aimer et en même
temps, le châtier.
⎯ Mais pourquoi cela ?
⎯ Qui Aime bien châtie bien.
⎯ Je ne peux l’aimer et châtier, de plus il ne m’entend pas.
⎯ Tu dois apprendre que l’amour est parfois châtiment, qu’il n’est
pas toujours plaisir. Il ne peut t’entendre car tu dors, tu dors depuis la
nuit des temps.
⎯ Qui es-tu pour me dire cela ?
⎯ Je m’appelle Raison.
⎯ Et moi, qui suis-je ? Qui suis-je ?

⎯ Marie ! réveille-toi, réveille-toi.


⎯ Comment, qu’est-ce qui se passe ?
⎯ Réveille-toi, j’ai l’impression que Steve fait un mauvais rêve, il
pleure depuis un quart d’heure dans son lit.
⎯ Mais qu’est-ce qui s’passe, t’es qui toi ?
⎯ Marie, excuse-moi de t’avoir réveillée en plein rêve, mais notre
enfant…

Je suis redevenue la mère de Steve !

⎯ Tu pouvais te lever au lieu de me secouer.

Tous pareils, les hommes, ils sont capables de faire des enfants,
mais lorsqu’il faut leur changer les couches ou donner le biberon, ils ne
sont plus là. C’est toujours nous, les femmes, qui devons-nous en

74
occuper. Nous n’avons jamais de repos avec nos enfants.

⎯ Mais je ne sais pas comment…


⎯ Oh ! ça va. En l’an deux mille, les hommes changeront les
couches et ils donneront le biberon et nous, les mamans, nous pourrons
dormir.

Steve pleure, c’est vrai, je me demande pourquoi ? il est trois


heures du matin et il devrait dormir avec tout le lait qu’il a pris avant que
je le couche… Pourquoi je pense cela alors que je me suis couchée dans
la chambre d’hôtel avec Noèse ? Encore une fois, mon corps se sent
Marie O’Connor et je sais que j’ai donné le sein et le biberon hier soir.
C’est inscrit dans mon sang, dans mes neurones.

⎯ Tu es debout dans ton petit lit, tout à l’heure tu étais nouveau-né,


maintenant tu es un tout petit garçon de presque un an. Tes cheveux
blonds ont déjà foncé, tu te tiens aux barreaux de ton lit, tu secoues les
bras, tu bouges les jambes dans ton pyjama bleu et tu pleures.
⎯ Viens dans mes bras, mon grand garçon, tu as du chagrin. Maman
va te consoler.

Oh ! je sens que tu as fait un mauvais rêve, tu es chaud, et tu


trembles encore.

⎯ Rassure-toi, maman est avec toi, fais dodo, je vais rester avec toi,
je vais te chanter une chanson.

Hush little baby, don’t say a word,


Papa’s gonna buy you a mockingbird.
If that mockingbird don’t sing,
Papa’s gonna buy you a diamond ring;
If that diamond ring turns brass,
Papa’s gonna buy you a looking glass.
If that looking glass gets broke,
Papa’s gonna buy you a billy goat.
If that billy goat don’t pull,
Papa’ gonna buy you a cart and bull.
If that cart and bull turn over,
Papa’s gonna buy you a dog named Rover.

75
⎯ Demain si tu es bien, je t’emmènerai au parc.

Oh ! Steve, pour toi mon amour, mon mari, te rappelles-tu que tu


as été enfant, as-tu le souvenir de tes rêves d’enfant ? Ton amnésie a tout
balayé, mais ma mémoire s’emplit maintenant pour toi. Les jeunes
enfants ont leurs angoisses, en as-tu le souvenir ? Ce n’est pas toujours
drôle d’être un enfant, la nature vous entraîne malgré vous plus vite vers
le bas, dans cette matière...

⎯ Mon enfant, tu t’endors dans mes bras maintenant, tu fermes les


yeux, ton souffle s’apaise, tu te détends, tu es bien, prends ma force, je te
la donne sans limites. Je suis heureuse. Je te remets au lit et t’embrasse.
⎯ Demain tu auras oublié totalement ce mauvais rêve, mais tu te
seras empli de ma force.

Au lit, la nuit n’est pas finie…

⎯ Café ou thé, Clara ?


Hein ! quoi ?
⎯ Je passe la commande pour le petit-déjeuner, tu sais, il est déjà
neuf heures et demie.
Je prends du café.
⎯ Hello, bedroom Tree O two. Could you bring us two coffees and
two orange juices, some scrambled eggs and muffins? Do you also have
some jam and peanuts butter? Thank you and have a nice day.
Cette fois, Noèse, tu ne faisais pas de télépathie, tu parlais
vraiment.
⎯ Je parlais vraiment, tout comme toi ce matin lorsque tu rêvais !
Je ne peux pas, je suis muette.
⎯ Je ne fais que dire ce que j’ai entendu : « Rassure-toi, maman est
avec toi, fais dodo, je vais rester avec toi, je vais te chanter une
chanson »
J’étais Marie, la mère de Steve, je parlais à mon enfant. Mais
comment est-ce possible ?
⎯ Je m’éveille à une nouvelle vie, une autre conscience !
Crois-tu qu’un jour je pourrais vraiment recouvrer la parole ?
⎯ Pour ceux qui se donnent à la vie, tout est possible.
Je ne rentrerais pas à la maison avant d’avoir tout découvert, je
veux continuer à vivre avec cet enfant, je veux pouvoir lui transmettre

76
toute la connaissance que j’ai au fond de moi et qui me brûle de ne
pouvoir la communiquer. Emmène-moi plus loin, Noèse.
⎯ Dès que nous aurons déjeuné, tu le rejoindras autant que tu le
souhaites.

Réveil difficile
J’ai mal à la tête, j’ai fait un mauvais rêve. Je ne sais pas si c’est
à cause de nos histoires justes avant de nous coucher, mais ma nuit a été
trop agitée. Et la place à côté de moi est froide, Clara n’est pas revenue.
Que dois-je en penser, s’il lui était arrivée malheur ? Clara, j’aimerais te
voir, te sentir. J’ai l’impression que cet étranger, installé ici, t’a chassée.
Je vais lui demander ce matin de partir, si tu n’es pas loin tu le verras
décamper et tu reviendras. Je me suis laissé tenter par ses mots bizarres
et la voix envoûtante de sa femme. Mais ce matin j’ai repris toute ma
tête, je ne suis plus fatigué et je ne vais plus me laisser manipuler.
Comme s’il fallait croire qu’une conscience différente peut s’installer,
comme ça, en nous, comme si je devais perdre le contrôle de ma
personne. C’est quoi ce mystique ? il doit être dirigé par une secte. Je
l’imagine très bien missionné par le gourou de la secte du temple de la
croix verte pour aller pêcher des âmes perdues dans la campagne. J’ai
été choisi parce que je n’ai pas de religion, je suis athée, du terrain
vierge est plus facile à défricher que du terrain déjà ensemencé. Voilà ce
que s’est dit Jacques. En frappant à mon cabinet hier. Je vais me lever
pour lui demander de par…

« Fais ça, je ne reviendrai plus jamais, chasse-le, mon absence te


brûlera encore plus. Comment veux-tu faire tes premiers pas sur cette
nouvelle terre inconnue si tu ne te laisses pas guider par d’autre, une
fois dans ta vie ? »

Cette force étrange qui se manifeste en moi est encore un de ces


trucs de Jacques Brillant. Non, cette fois je ne vais pas fléchir, je dois
résister, j’ai envie de faire ce qui me plaît. Pourquoi devrais-je écouter
une conscience qui n’est qu’une manipulation psychologique ? je suis
médecin, j’ai fait neuf ans d’études, je connais parfaitement le
fonctionnement du cerveau humain, je sais soigner les dépressions
nerveuses, je vois parfois des cas de folie. Les sciences humaines c’est
mon domaine, je fais partie de ceux qui savent et ce n’est pas pour rien
que durant nos études, nous avons des cours de psychiatrie. Non, non,
non, cette fois, je le fous dehors, juste le temps d’enfiler mon pantalon et

77
de sauter dans sa chambre. Ah ! mais je suis le maître chez moi. Ce n’est
que le début du week-end, dès que Clara sera rentrée, je l’emmène
passer les deux jours à Paris pour qu’elle fasse les magasins. Je vais la
gâter et j’oublierai vite cet incident avec ce type… Voilà, je suis prêt,
allons-y.

Tiens, j’entends frapper à la porte, ce doit être Steve, j’espère


qu’il a passé une bonne nuit, en tout cas, j’ai rudement bien dormi, son
lit était moelleux.

⎯ Etes-vous réveillé, Jacques ?

Il a une drôle de voix, j’ai l’impression que sa nuit n’a pas été
semblable à la mienne. Qu’est-ce qu’il va m’annoncer ?

⎯ Oui, bien sûr !


⎯ Je peux entrer un instant.
⎯ Si vous voulez.

La porte s’ouvre et tu apparais. Oh ! t’en fais une salle tête, que


t’est-t-il arrivé cette nuit ? t’as fait le marathon de New York,
l’ascension de l’Everest avant de terminer par le naufrage du Titanic ? A
ton air, ça n’va pas.

⎯ Il faut que je vous parle immédiatement, Jacques, ensuite je vous


laisserai prendre une tasse de café avant que vous ne preniez la route.

Toi, tu es monté en pression, je ne sais pas pourquoi, mais ta


nature quotidienne a repris le dessus.

⎯ Je vous écoute, Steve, qu’avez-vous à me dire ?


⎯ Je vous demande de quitter mon domicile immédiatement, j’ai eu
tort de vous écouter hier soir, vous avez profité de ma fatigue et à la fin
de mes consultations, vous vous êtes introduit dans ma vie privée. Vous
m’avez manipulé, comme on le fait avec des êtres faibles. Vous avez cru
que ça marcherait lors de notre conversation et profité de l’absence de
Clara pour que je gobe votre baratin. Mais ce matin, j’ai toute ma tête,
alors, vos histoires bizarres, je vous demande de les ranger dans vos
affaires personnelles. Je ne fais pas partie de votre secte et vous ne
m’aurez pas. Maintenant, je pense que Clara a eu peur de vous, c’est

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pour cela qu’elle se cache quelque part, je ne sais où. Mais je suis sûr,
lorsque vous partirez, qu’elle reviendra tout de suite. C’est ma femme, je
l’aime et je n’ai pas besoin de vous pour la découvrir. Alors, monsieur,
partez, je vous en supplie.

Plus je te regarde, plus je te sens pommé, plus je te dévisage, plus


tu me parais cracher un monstrueux mensonge. Tu n’es pas fier, car ton
égocentrisme a fait des ravages ce matin. Je n’ai pas l’intention de me
battre avec toi, je ne résisterai pas à tes injonctions, si tu veux, je pars sur
le champ, je n’ai rien à dire, sauf…

⎯ Avez-vous pensé à Clara, pourquoi, m’a-t-elle invité ?

Mêle-toi de ce qui te regarde, va rejoindre ta femme et tes gosses,


fous moi la paix.

⎯ Clara n’est pas toujours bien dans sa tête depuis qu’elle a eu cet
accident, elle prend des décisions sans même m’en parler, mais ce ne
sont pas nécessairement les bonnes, comme cet article par exemple.
Hier, encore une fois elle a eu tort.

Oh ! non, cette force qui sort de mon cœur et qui monte à la


gorge. Tu me brûles comme un feu de mort, t’es quoi toi ? voilà que tu
es dans ma tête et tu m’fais mal.

« Tu es content de toi, tu m’as plus qu’oubliée, tu m’as profondément


blessée. J’ai contre toi que tu m’as rejetée, tu as encore besoin de vivre
l’âpreté du monde, tu vas le vivre aussi vite que tu craches ton venin. »

J’entends le téléphone sonner, Steve se précipite, comme s’il me


fuyait par crainte de représailles…

C’est peut-être Clara qui m’appelle ?

⎯ Allo !... Oui, c’est moi…

C’est la gendarmerie du canton. Ça y est, il est arrivé malheur à


Clara. Oh ! mon dieu…

⎯ Oui, je suis disponible si c’est urgent… D’accord, j’arrive tout de

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suite, redonnez-moi le lieu de l’accident s’il vous plaît… D’accord, au
revoir.

Il ne manquait plus que ça, un accident dans le bas de Vinas, les


pompiers ne peuvent être là avant une demi-heure, ils sont sur une autre
urgence. Deux femmes dans une voiture, si Clara était parmi les
blessées… Je ne sais plus où j’en suis. Bon je te donne un sursis Jacques.

⎯ J’ai une urgence, Jacques, attendez mon retour, j’ai besoin de vous
si Clara devait arriver, je ne veux pas qu’elle trouve la maison vide.
⎯ Comme il vous plaira, Steve.
⎯ A toute à l’heure !

« Tu t’énerves et la vie te rattrape plus vite encore. Tu me renvoies et tu


as besoin de moi. La vie donne aux hommes ce qui est nécessaire, pas ce
qu’ils désirent. Je désire ma liberté et je t’emmènerai vers ma destinée.
Apprends à marcher avec moi, afin de me suivre dans tous mes
chemins ».

***

Je vais me doucher avant de déjeuner Noèse.


⎯ Si tu veux, Clara, une bonne douche ça réveil. Je t’attends pour le
café.
Si tu veux !
Maintenant que je suis dans la salle de bain, j’ai l’impression
qu’elle est ridiculement simple par rapport au luxe général de l’hôtel.
Tiens, ils n’ont pas fait le ménage, depuis leurs anciens occupants. Ils
ont laissé les serviettes sales, ceux d’avant nous ont dû partir
précipitamment, ils ont oublié leurs affaires de toilette. Voilà, pour
monsieur, son blaireau et son rasoir mécanique, pas très moderne, ce
devait être une personne âgée aimant garder les traditions. Pour madame,
c’est ma même chose, mais elle aimait le Chanel n°5, ça ne se démodera
jamais ce parfum… c’est agréable de se doucher, mais même les
robinets et la cabine sont du genre kitch. Je m’habille… me voilà prête
pour aller déjeuner.
⎯ Tu tombes bien, Marie, je te cherchais pour te dire que j’emmène
Steve ce matin avec moi pour lui montrer comment devenir pilote
comme papa, je veux que Steve s’y habitue dès maintenant. Il faut le
former depuis le berceau.

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Je comprends que la salle de bain de l’hôtel n’était pas du dernier
cri, je suis chez moi, chez les parents de Steve. Me voilà dans le bain
immédiatement, Gary me tombe dessus alors que nous n’avons pas
encore déjeuné et maintenant il sent pousser des ailes à Steve.

⎯ Non, Gary, pas ce matin, je lui ai promis cette nuit de l’emmener


au parc pour jouer avec les autres enfants.
⎯ Mais j’en ai envie !
⎯ Soit raisonnable, mon amour, il est bien trop jeune pour te suivre
et toute une journée avec toi sera trop longue pour lui, comment vas-tu
faire pour sa sieste et pour lui donner à manger ? Tu es à ton travail, ce
n’est pas possible et c’est tout une organisation dont tu n’as absolument
pas l’habitude. Rappelle-toi cette nuit lorsque Steve s’est réveillé en
pleurant, tu n’as su que me secouer dans le lit, sans moi qu’aurais-tu
fait ?
⎯ Je n’étais pas très bien lorsque Steve s’est mis à pleurer, c’est pour
ça que je t’ai demandé d’y aller. Maintenant je vais bien et arrête de me
prendre pour un incapable. Je sais ce que c’est qu’un enfant, c’est moi
qui l’ai fait avec toi, merde ! J’te vois faire quand tu lui donnes le
biberon, j’ai pas de poitrine, mais j’peux m’débrouiller. T’as eu le
dernier mot à la maternité pour son prénom idiot, mais maintenant c’est
à moi de lui faire son éducation, c’est moi qui vais lui préparer sa vie
pour lorsqu’il sera grand. Prépare-moi les couches et son repas, je vais
partir.

Je vis avec cet homme depuis combien de temps ? Est-il toujours


aussi stupide lorsqu’il se réveille ? Il ne s’imagine pas combien il est
difficile de s’occuper d’un enfant qui a tout juste un an et qui ne marche
pas encore. Il veut se l’accaparer alors qu’il est encore dans le berceau,
pour être sûr qu’il le suivra plus tard. Mais ce type est un monstre, je vis
avec lui sans rien dire. Je comprends que Steve ait des impulsions
similaires parfois. Mon enfant, je serai maintenant un rempart contre cet
homme, je te protégerai contre lui.

⎯ Mon chéri, je ne vais pas m’énerver avec toi car notre fils dort
encore et cela tu n’y as même pas pensé lorsque tu t’es décidé à le
prendre. En partant, l’aurais-tu secoué comme moi cette nuit pour le
mettre dans ta voiture par la suite ?
⎯ Mais…

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⎯ Tais-toi ! je ne te croyais pas comme ça jusqu’à ce matin, je te
pensais un peu bourru mais pas stupide et tu t’es dévoilé en te moquant
du prénom de notre fils, je ne te fais plus confiance. Si tu m’avais
demandé précédemment de le prendre avec toi au travail, de façon plus
humble, je t’aurais certainement aidé, mais comme ça, jamais. Il faudra
me marcher dessus pour le prendre. Alors, si tu en es capable, fait le
immédiatement. Permets-moi de te dire qu’en tant que pilote d’essais
chez Boeing, tu t’es craché ce matin. Fais gaffe, un jour il n’y aura pas
de parachute, ce sera pour de bon ; et hop ! plus de son, plus d’image.
⎯ Tu ne m’as jamais parlé comme ça, jusqu’à présent, tu m’as
toujours laissé faire ce que je voulais. J’aurais dû me douter que quelque
chose avait changé en toi le jour de la naissance de Steve. Il aurait dû
s’appeler Charles.

Tu pâlis, ce n’est plus la même femme que tu as devant toi, il va


falloir t’y habituer. Je suis le passé de ton enfant et j’en suis son futur.

⎯ Prends ton café, mange tes muffins, tes œufs, bois ton jus
d’orange et vas travailler, je m’occuperai de Steve ; aujourd’hui je lui ai
promis de l’emmené au parc avec les autres enfants, il adore ça. Laisse-
moi avec lui, mais si tu veux vraiment t’en occuper, viens avec nous.

Tu t’adoucis et ton regard devient tendre, t’aurais-je touché ? Tu


te détournes de moi. Oh ! tu décroches le téléphone.

⎯ Allo, c’est Gary. Ouai !... Bof !... Pas terrible, c’est pour ça que
j’t’appelle, j’ai pas la grande forme, je ne viendrai pas aujourd’hui, fais
pour moi la vérif du proto, on verra demain pour les tests au sol…
Merci, by.

Je ne t’en demandais pas tant, mais je suis heureuse, non pour moi, mais
pour Steve.

⎯ je…
⎯ J’ai compris, Gary, c’est Steve qui va être content d’avoir son
dady avec lui.

J’entends Steve qui commence à gazouiller.

⎯ Vas le chercher, tu le feras déjeuner avec nous.

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J’ai beau m’appeler Clara en temps normal, dans cette maison, je
suis Marie avec toutes ses pensées et ses souvenirs, pourtant, j’ai le
même âge et le même visage mais ma conscience se manifeste
clairement dans la vie de Marie qui m’écoute et parle pour moi. Je peux
lire en moi le parcours de Gary qui s’est toujours senti le maître des
lieux depuis que nous vivons ensemble et je découvre que cela fait dix
ans que nous avons célébré notre union. J’ai eu mon enfant tardivement,
même beaucoup trop tard ; non pas que nous ne pussions pas en avoir,
mais jusqu’alors, c’est Gary qui ne voulait pas. C’est bizarre toute cette
pensée qui circule dans ma tête et qui me donne vraiment l’impression
d’être Marie, j’ai l’impression d’écouter ses pensées circuler dans mon
crâne, elle, c’est moi. Je me suis tue dix ans, jusqu’à la naissance de
Steve, ce jour-là, la sage-femme dont j’ai oublié le nom m’a suggéré
d’appeler mon enfant Steve et depuis qu’il est avec nous, je n’ai fais que
suivre Gary dans ses idées, et je me suis laissée endormir par lui. Il
s’arrange toujours pour me faire plaisir comme s’il me remerciait de lui
être soumise. Gentiment, il me fait avaler ses désirs, les suggérant
comme miens, profite de mon corps à sa convenance et me moule à son
image. Et je n’ai jamais rien dit, je suis un fantôme, je ne suis pas Moi.
Je connais maintenant la vraie vie de Marie O’Connor, une femme
pleine d’amour et d’espoir mais étouffée par un époux inconscient. Je
comprends que je suis la nouvelle chance de Steve. Je ne sais pas s’il y
aura des conséquences lorsque je déciderai de rentrer à la maison, mais
c’est mon vœu le plus cher. Son père durant ses sept premières années
devait être pour lui l’idéal à atteindre. Sept ans, jusqu’à l’accident. Je ne
veux pas retourner chez moi tant que tu n’auras pas atteint l’âge de
raison, tant pis si ça dure encore six ans.

N’es pas peur, Clara, Steve ne verra pas le temps passer, cela
mettra le temps qu’il faut, n’es crainte, il t’attendra.

C’est toi qui parles, Noèse ? pas de réponse. C’est peut-être ma


voix intérieure qui me répond ?... Tiens voilà Gary avec Steve. Qu’il a
l’air bête, je vois bien qu’il n’a jamais eu l’occasion de réellement le
prendre dans ses bras. Enfin, heureusement que nous sommes-là, nous
les femmes, le sein de l’humanité.

Premiers pas
Deux femmes accidentées dans une voiture, pas de nouvelles de

83
Clara, je suis certain qu’elle est parmi elles. Jamais je n’aurais dû
accepter d’emmener ce type à la maison. Mais c’est trop tard
maintenant. Me voilà en plus forcé à me transformer en pompier… Et,
merde, ma voiture ne démarre pas, j’ai l’impression qu’il n’y a plus de
batterie. Curieux pour un mois de juillet. Comment j’vais faire, en plus y
a urgence. J’en peux plus. Rien ne va comme je veux. Merde, merde et
merde. Si j’y vais à pied, ou le temps d’attendre un taxi, elles seront
toutes mortes. Oh ! bon sang… J’y suis, je vais demander à Jacques qu’il
me prête sa voiture. Je pense que pour sauver des vies il voudra bien.
Punaise, j’vais avoir l’air con lorsqu’il va me voir.

Tiens, te revoilà ! t’es encore moins bien que lorsque tu es parti.


Mon pauvre, si tu voyais ta tête, t’aurais pris les Twins-Towers sur la
tête, tu n’serais pas mieux.

⎯ Jacques, on m’attend pour un grave accident et ma voiture ne


démarre plus.
⎯ Steve, prenez ma voiture si des vies sont en péril, n’hésitez pas.
tenez, prenez mes clefs et les papiers du véhicule, dépêchez-vous.

Il est plus vif que ma pensée, il ne se pose pas de questions, il


sait donner. Je l’ai envoyé balader tout à l’heure et il me rend service.

⎯ Merci, Jacques, merci.


⎯ Filez, il y a des vies à sauver.

Steve, tu navigues entre deux vies, tu te donnes pour les autres,


mais pour toi, tu ne veux rien donner. La raison en toi commence à
bouger, mais ce n’est pas suffisant, il va falloir que tu apprennes à
marcher avec elle, il n’y a que le premier pas qui coûte. Ce matin en te
levant, tu l’as blessé, maintenant tu dois réparer les dégâts.

Voilà l’accident. Oh c’est pas vrai, la voiture a fait des tonneaux


et elle est sur le toit.

⎯ Docteur O’Connor, venez vite, il y a une des femmes qui perd


beaucoup de sang, l’autre ne semble pas trop gravement touchée, mais la
brune a eu une jambe broyée par la voiture lorsqu’elle s’est retournée
après avoir est été éjectée. Venez vite, je lui ai mis une couverture de
survie en vous attendant.

84
Mon dieu, une brune ! Ce ne peut être que Clara.

⎯ Elle est consciente ?


⎯ Oui, mais elle souffre terriblement. C’est là.

Oh ! la vache, une Mercedes coupée décapotable, et


évidemment, elle n’avait pas sa ceinture. En tout cas, c’est pas Clara.
Mais déconne pas, c’est pas le moment de te réjouir. Sort ton garrot vite
fait.

⎯ Vous m’entendez madame, vous pouvez ouvrir les yeux ?

Elle cligne des yeux, c’est bon signe. Mais punaise, elle a perdu
un max de sang, c’est pas bon. Et sa cuisse droite est pratiquement
sectionnée par ce qui reste du pare-brise, c’est trop con. Mais la fémorale
n’est pas entièrement sectionnée. Au point où en est sa jambe, je peux
lui faire un garrot très serré, elle est foutue, au moins je stopperai
totalement l’hémorragie. Vas-y, compresse bien. Voilà, c’est bon.

⎯ Vous ne saignez plus, madame, vous n’êtes pas en danger. Je vous


fais une piqûre de morphine, pour la douleur, ça peut vous faire dormir.
D’accord ?

Tu clignes encore des yeux. OK, j’y vais.

⎯ Capitaine, je n’ai pas de sérum, je ne peux pas la perfuser, dans


combien de temps arrivent les pompiers. Elle est pour l’instant hors de
danger, mais il ne faut pas traîner pour la dégager de plus il faut prévoir
l’amputation de la cuisse gauche. Avertissez-les par radio au plus tôt.
⎯ Ils sont ici dans moins de dix minutes.
⎯ C’est très bien. La femme n’est plus très consciente, je lui ai
administré de la morphine. Je vais voir l’autre accidentée, où est-elle ?
⎯ Dans notre camionnette, mon collègue la rassure.
⎯ OK, j’y vais.

Tiens ! tu ne me dis rien en me voyant, tu sais donc que je suis


médecin, c’est pour ça que tu me montres ton bras qui ne possède qu’une
petite plaie. Bon sang, ton équipière n’a pas eu ta chance.

85
⎯ Vous veniez d’où ?
⎯ De nulle part !
⎯ Vous alliez où ?
⎯ Nulle part !
⎯ Alors, vous êtes arrivées.

Mais pourquoi je lui demande ça ? qu’est-ce que ça peut me


faire, maintenant elle pleure.

⎯ On fuyait le temps, on cherchait un but, une nouvelle destinée, un


autre monde, une autre vie, une autre conscience.

Oh ! non, tu me poursuis, pourquoi jusque dans les recoins de ma


campagne, sur les routes, tu es là, jusqu’à en faire des victimes autour de
moi. Cette femme cul-de-jatte, cette fille déboussolée, pourquoi ?...
Heureusement, voici les secours, je n’ai plus rien à faire ici, juste le
temps de leur donner mon avis sur le diagnostic. Je rentre, j’irais bien
me recoucher. Il faut que je retrouve Jacques, il faut que je le rattrape…

⎯ Au revoir, capitaine, bon courage.

J’étais tranquille, chez moi, j’avais mon cabinet, mes malades


habituels, un rhume, un cancer, un cœur à bout de souffle, quelques
décès par-ci par-là un enfant qui s’ouvre le front, la routine quoi. Toutes
ces maladies qui font de nous des humains, qui nous permettent de nous
sentir exister afin que l’on puisse se plaindre et maudire Dieu et
l’humanité. J’étais tranquille.
J’ai pas demandé à avoir autre chose que ma vie ordinaire, j’ai pas
demandé qu’on vienne me chercher pour me donner une conscience de
plus. J’ai pas demandé à avoir un destin, ni autre chose que moi-même,
je demande juste à avoir un passé. Alors, pourquoi tu m’as rendu visite,
pourquoi ma femme a voulu que tu restes et pourquoi tu t’installes
maintenant ? je te mets dehors et sans que tu t’agrippes, je te retiens. Je
sais que ta force reste auprès de moi, même lorsque je ne te désire pas.
Tu me brûles dans mes entrailles maintenant et tu te manifestes plus
encore lorsque je suis contre toi, alors que si je suis avec toi tu te fais
discrète. Mais qui es-tu ? jusqu’où vas-tu m’emmener ? tu sais très bien
que je ne t’ai pas désiré. J’ai vu aujourd’hui cette femme perdre sa jambe
et toi tu ne demandes qu’à marcher au fond de moi. Pourquoi ?

86
***

⎯ Steve, mon bébé, il fait beau aujourd’hui, papa et maman


t’emmenons au parc pour jouer avec tes amis. Je suis heureuse que ton
père nous accompagne, il a fait un grand sacrifice car il n’a pas
l’habitude de s’absenter de son travail. Faisons-lui plaisir et montrons
tous les deux de quoi nous sommes capables. Viens dans les bras de
maman, mon grand garçon.

Tu deviens lourd, tu as bientôt un an. Je vais te couvrir, au mois


de mars il fait encore froid.

⎯ Tu me rejoins avec Steve, chérie ; je sors la Mustang.


⎯ OK, Gary, juste le temps de préparer le sac et le goûter.

Mon petit, nous allons dans le parc que tous les enfants adorent.
Papa nous attend, il est devant la maison. Hop ! te voilà assis sur la
banquette arrière. Y a pas de ceinture dans ces voitures, c’est vrai que
nous ne sommes qu’en mille neuf cent soixante-neuf, il n’y a pas de
règles, de toute façon, ça ne nous a pas empêché, toi et moi, de passer à
travers le pare-brise de la nôtre, bien des années plus tard.

⎯ Où va-t-on, Marie ?
⎯ Là où j’ai l’habitude, Madison Park, tu sais bien.
⎯ j’ne sais pas où c’est !

Ça ne m’étonne pas, tu n’t’es jamais occupé de ton fils, tu penses


qu’à tes avions et boire tes bières avec tes copains. Quand tu lèves les
yeux sur nous, c’est pour nous mouler selon ton désir. T’es qu’un gros
macho. Pilotage familial, recalé, t’es zéro.

⎯ Mais, mon amour, c’est pas loin, il te suffit de remonter Madison


Street, c’est au bout !

Évidemment t’es vexé et tu rumines sur ton siège…

⎯ On est arrivé, ma chérie.

Et bien sûr, tu penses plus à ta chérie qu’à ton fils, auquel tu ne

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parles même pas. Et bien non, ça veut tout dire, tu ne le prends que pour
ce qui t’intéresse.

⎯ Mon petit Steve, nous sommes arrivés au parc, regarde, nous


allons bien nous amuser.
⎯ Je prends ton sac, Marie.
⎯ Si tu veux, comme il n’y a pas beaucoup d’enfants pour le
moment, nous allons directement au toboggan, tu vas voir, Steve adore
ça.
Gary regarde Steve glisser avec joie sur la lame en inox du jeu, notre fils
est heureux, il nous fait de larges sourires… Ah, maintenant son père le
prend et le pose en haut du toboggan. Il est plutôt mal à l’aise, mais ça
va. Oh ! non, il le laisse tomber au bout et voilà Steve qui a la tête dans
le sable. Il pleure et continue à marcher à quatre pattes, il a plein de
sable sur lui.
⎯ T’aurais pu le retenir, au lieu de le regarder bêtement tomber au
bout de la glissade, regarde-le, maintenant, il est tout sale.
⎯ Oh ! ça va, s’il était venu avec moi au travail, ça ne serait pas
arrivé, l’installant au fond d’un siège et il aurait volé dans mon avion et
il ne se serait pas sali. Mais toi t’as toujours des bonnes idées, hein !
regarde-le traîner par terre, il rampe comme un lombric, c’est tout ce que
tu lui as appris. Moi, je vais lui apprendre à piloter les avions, j’en ferais
un champion plus tard. Pas un ver de terre comme tous ces idiots qui
rampent sur le sol et que je vois du haut de mon ciel.

Rien de bon en lui, comment ai-je pu me marier avec ce type ?


Marie, j’aimerais savoir pourquoi tu l’as choisi. Mon pauvre Steve, n’as-
tu jamais su ce qu’était ton père, si tu pouvais t’en souvenir, tu
comprendrais ce qui fait tes faiblesses. Mais aujourd’hui, je ne le
laisserais pas faire.

⎯ Steve n’a rien à faire de tes avions, ce qui l’intéresse maintenant,


c’est d’apprendre à marcher, oui, parfaitement, comme ces idiots qui
rampent sur le sol. Du reste, il n’a pas besoin de toi pour apprendre, tu
peux retourner dans ton hangar avec tes trucs, laisse-moi avec lui ici,
nous serons plus tranquilles. Va rejoindre tes machines volantes, ce soir
Steve te montrera ce qu’un ver peut faire. Salut.
⎯ Mais…
⎯ Viens Steve, laissons ton père avec ses jouets et reprenons les
nôtres.

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Tu me regardes d’un air bête et je m’éloigne de toi. Tu ne
bouges pas. Mais qu’as-tu fait subir à ta femme avant moi ? A-t-elle été
ce que je suis, est-ce que je vis ce qu’elle a été ? Steve et moi allons te
montrer ce de quoi nous sommes capables.

⎯ Steve, mon grand garçon, regarde les enfants autour de nous, ils
marchent et courent, je suis sure que tu as envie de faire comme eux.

J’enlève ton manteau car il ne fait plus froid. Tu es content et tu


te tiens debout, mais tu n’oses pas te lancer. Tu t’agrippes à mes
jambes, tu as un peu peur.

⎯ Regarde la petite fille, elle n’est pas plus âgée que toi, elle marche
devant sa maman, je sais que tu peux en faire autant, n’aie pas peur, tu
vas y arriver.

Je ne me rappelais pas qu’un jour j’ai, moi aussi, appris à


marcher, ça a l’air si naturel.

⎯ Steve, tu sais marcher, tu as toujours su, c’est inscrit dans tes


cellules. Donne-moi la main, maman va t’aider.

Tu me souris, mais tu restes accroché à ma jupe. Je fais un pas,


tu en fais deux en me tenant. J’en fais deux, t’en fais quatre.

⎯ C’est bien mon grand, continue, tu vas y arriver.

Je te prends dans mes bras, pour te rassurer, je sens ton cœur


battre, tu es un peu excité. Je vais te mettre devant moi, debout et je vais
tenir tes mains. Voilà, c’est comme ça. Je tends les bras.

⎯ Allez, viens voir maman !

Tu fais tes trois pas, alors que je te tiens juste par le bout des
doigts.
⎯ C’est très bien. On va faire mieux maintenant.

Je te mets debout, mais je ne te tiens plus… Oh ! tu pleures et te voilà


par terre.

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⎯ Viens faire un câlin à maman. Mon pauvre garçon, ce n’est pas
grave. Tiens, je te fais un bisou et l’on recommence.

Tu es debout, tu me regardes, j’ai l’impression qu’il y a quelque


chose qui change, là pendant que tes yeux me fixent. Tu dois
t’imprégner de mon savoir, il y a une conscience qui s’éveille en toi, je
sens que tu es en train de comprendre ta relation entre la terre et le ciel et
que la lumière attire ton esprit vers le haut tandis que la terre attire tes
pieds vers le bas.. La terre et le ciel s’installent durant ces secondes dans
ton âme, tu le sais, je ne sais pas comment, mais tu le sais.

⎯ Je ne te tiens plus, Steve, avance vers maman, maintenant.

Comment est-ce possible, tu fais un pas, deux, trois, quatre. Tu


t’arrêtes, tu me regardes encore. Tu souris, je me recule et tu me rejoins.
Tu es content. Je ne te tiens toujours pas et tu souris. Je fais cinq pas en
arrière. Ton visage s’allonge, tu es sérieux. Mais d’un coup, tu fais
toutes les enjambées nécessaires pour rattraper ma jupe.

⎯ Tu marches, Steve, tu marches.

Je me précipite vers toi et te prends dans mes bras. Je t’aime


Steve, je t’aime. Tu sais marcher et tu vas découvrir chaque jour que ton
espace s’agrandit.

⎯ Tu viens, Steve, on recommence !

Oh ! je vois que tu y prends déjà goût, tu sembles adorer


marcher. Nous allons nous promener à ta mesure dans le parc.

⎯ Regarde, mon chou, le soleil brille, il te félicite de ses rayons


chaleureux, sais-tu que c’est le premier jour du printemps ? la nature
t’accompagne pour tes premiers pas.
Il se fait tard, nous allons rentrer à la maison. Je vais prendre un taxi.
Tiens, en voilà justement un, je vais l’arrêter.
⎯ Taxi !
⎯ Yeah! What would I do for you, miss?
⎯ Could you bring us back to 10 Washington Street, please?

90
⎯ OK, miss. Get in!

J’installe Steve. Nous voilà partis… Nous sommes vite revenues,


car j’aperçois maintenant la rue.

⎯ Here we are. It’s six dollars.


⎯ This is you money. Bye!

Il est quatre heures, Steve est fatigué.

⎯ Maman va te mettre au lit, tu vas faire une petite sieste.

Tu as fait de gros efforts aujourd’hui, tu as bien mérité cette


sieste. Je vais pouvoir me reposer aussi.

⎯ Fais un petit dodo, mon grand garçon.

Me voici sur le canapé, je sens que je vais aussi m’endormir, il


faut dire que cette dispute entre Gary et moi m’a épuisée. Je me
demande si je n’ai pas exagéré avec lui, peut-être n’est-il pas si mauvais
que ça. En fait, je vis avec lui depuis deux jours, sauf Marie pour qui
cela fait onze ans ; mais je suis aussi Marie et je sais pourquoi je me suis
mise avec lui, et pourquoi je le supporte depuis si longtemps.
Maintenant, je me souviens, cela me revient, je revois le jour de notre
rencontre et ce qui m’a poussée vers toi Gary. Le film se déroule dans
ma mémoire, comme si ça venait de se passer.
J’avais vingt et un ans, je vivais encore chez mes parents à Paris, j’étais
fille unique, mon père tenait une fabrique de câbles électriques qu’il
avait montée à la sortie de la guerre. Comme la reconstruction du pays
faisait partie du nouvel élan national, les entreprises consommaient
beaucoup de matériaux et l’électrification du pays était devenue une
priorité nationale. Le carnet de commande de la fabrique familiale est
resté gonflé jusqu’à ce que mes parents vendent leur entreprise. Mais
moi, en mille neuf cent cinquante-sept, j’étais déjà blasée, trop gâtée.
J’avais tout, vraiment tout. Le câble électrique, ça rapportait très très
gros et j’en avais la grosse tête moi aussi. Par-dessus tout, je souhaitais
de l’aventure, les héros de cinéma me faisaient rêver. Mon père adorait
l’aviation et il y avait cette année-là le salon du Bourget, il ne l’aurait
manqué pour rien au monde et avait décidé de nous traîner, ma sœur et
moi, au salon de l’aéronautique, je me rappelle que je lui faisais la tête

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comme jamais. Mais le père, c’était le Père et il valait mieux pas le
contrarier. J’ai dû le suivre partout, jusqu’au stand Boeing. C’est là que
je l’ai vu, il m’a plu au premier coup d’œil, avec son uniforme de pilote
et ses insignes de la marque. C’est là qu’il m’a vue, je lui ai tapé dans
l’œil au premier coup, avec ma jupe à fleur mauve, mon chemisier blanc
et mes cheveux tirés terminés par un chignon. Il était beau, j’étais très
belle, alors il s’est approché de moi, je me suis approché de lui et il m’a
dit en anglais :
«Your eyes are deeper than the azure of the sky I see through my
cockpit. Would you like to go on tour in my plane? »
Ma mère et mon père ont vu la scène et entendu comme moi sa
proposition, j’étais rouge, je ne savais plus où me mettre. Mais
l’américain ne s’est pas dégonflé et je crois que c’est pour ça que je l’ai
suivi par la suite, voyant mon embarras devant mes parents il a rajouté :
« Vous êtes invités aussi, rejoignez-moi à la passerelle du Boeing 707 à
deux heures quinze cet après-midi, je vous prendrai pour la
démonstration ». Mon père n’en fut que trop enchanté et il ne dit mot sur
ce qu’il m’avait dit et ma mère non plus. Nous l’avons retrouvé à l’heure
dite et il nous a faits monter dans l’avion. Mes parents sont restés assis
près des hublots derrière la cabine, moi il m’a fait venir à côté de lui
après avoir poussé son copilote en arrière. Il m’a fait poser ma main sur
le manche, avec la sienne et nous avons fait un magnifique passage au-
dessus de la piste le long des tribunes. Alors j’ai senti un fluide
m’envahir, à partir de ce moment je suis devenue sa propriété, je me suis
donnée tout entière, jusqu'à aujourd’hui.
Gary, je t’ai aimé parce que tu m’as donnée l’aventure, le rêve,
l’évasion, tout comme tu l’aimes encore aujourd’hui. Mais maintenant,
j’ai mûri et je veux maintenant avoir les pieds sur terre. C’est pour cela
que je ne peux plus te suivre comme avant. C’est vrai, pour moi, notre
enfant est devenu plus important que toi maintenant ; mais je ne te ferme
pas la porte, au contraire, j’aimerais tant que tu changes comme je le
désire pour moi, nous pourrions respirer ensemble le même air et vivre
véritablement heureux.

Je suis Marie, suis-je Clara ? je me mélange, je ne sais plus où est


la limite entre nous deux. Je ne me suis pas endormie, je n’ai pas rejoins
Noèse, je suis depuis ce matin dans la peau de Marie et j’ai le sentiment
que je ne vais plus te quitter avant longtemps. Tiens, j’entends la voiture
qui se gare dans la cour, ce doit être Gary. Fait un effort Clara, Gary
n’est pas complètement responsable de nos tensions.

92
⎯ Gary, je suis contente de te retrouver. Il faut que je te dise.
Lorsque tu nous as quittés au parc, je suis restée avec Steve et tu sais, il
marche maintenant. Il sait marcher et il a hâte de te le montrer.

T’es pas remis de notre dispute, c’est pas grave, cette nouvelle va
te faire oublier.

⎯ Tu me montres, j’ai envie de voir ça !


⎯ Je vais voir s’il dort encore.

T’es réveillé mon poussin.

⎯ Vas le chercher, il va te montrer.

Et, c’est Steve qui prend la main de son père et qui le guide
encore de façon incertaine, mais il l’entraîne avec lui. Gary tu es encore
le maître dans ta maison, mais tu n’auras plus longtemps le dernier mot.
Steve marche aujourd’hui. Il s’éveille pour de bon et c’est pour toi la fin
de ton univers, la fin de ta domination sur le petit monde que tu avais
créé lorsque tu m’as rencontrée et pris possession de moi. Steve est venu
pour me libérer.

Et pour nous libérer, Marie. Oh ! Steve, mon amour, vois ce que


j’ai vu et ressenti aujourd’hui.

Au commencement, il y a la parole.
J’ai le sentiment que tu n’es pas loin, Clara, mais où es-tu cachée
depuis hier ? j’arrive maintenant à la maison, mais je ne te vois pas
dehors pour m’accueillir, par contre Jacques est dans le jardin et il
m’aperçoit et me rejoint.

⎯ Je n’ai pas vu Clara, en vous attendant, je faisais le tour du jardin,


vous avez un grand terrain, avec de beaux arbres et le côté sauvage
donne une impression de liberté, je comprends que votre femme soit
tombée amoureuse du coin.

Tu me parles du jardin, des arbres, de Clara. Mais tu ne


t’imagines pas ce que j’avais devant les yeux il y a un quart d’heure, tu
ne l’as pas vu, cette femme avec sa jambe tranchée. T’es cool toi. N’as-

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tu donc pas conscience que c’est parfois lourd d’être médecin, que t’es
obligé de supporter toute la misère du monde sans broncher.

« Tiens, ces mot ? Conscience, supporter, sans broncher ! N’as-tu pas


l’impression que c’est moi qui étais à ta place lorsque tu t’es réveillé ?
Tu m’as envoyée balader et pourtant, me revoici, inflexible, toujours
près de toi au tréfonds de ton être, là où tu voudrais que je reste bien
cachée et enchaînée afin que tu puisses jouir de ton monde comme tu le
désires. Alors, j’ai une bonne nouvelle, figure-toi que je sais marcher
depuis aujourd’hui et tu vas avoir de plus en plus de mal à me contenir,
je ne ferai pas ce que tu ordonnes mais ce qui est nécessaire pour que tu
lâches un jour toutes tes illusions. Je t’avertis, ce n’est que le début.
Maintenant, rejoins Jacques et sois humble avec lui, il vient de te rendre
un grand service. »

Mais, c’est quoi ce truc, c’est pas ma pensée, qui es-tu ?

Son intervention inattendue n’a pas dû être facile, j’ai peut-être


eu tort de ne pas lui demander comment s’était passée son urgence dès
que je l’ai vu.

⎯ Vous avez l’air épuisé, Steve, comment s’est passé votre


déplacement ?
⎯ Je ne sais plus très bien où j’en suis, rentrons à la maison, je vous
offre un café, suivez-moi, je vais vous raconter, il y a des choses qui me
dépassent, venez Jacques. Et puis, pour ce que j’ai dit ce matin, je vous
présente mes excuses, je me suis peut-être emballé.

Comment lui dire, sans qu’il rit de moi, que j’ai été touché par
une sorte d’éclair de conscience, alors que je n’y crois pas. Au lieu de
prendre un café, j’aurais dû prendre un whisky.

⎯ Lorsque je suis arrivé sur le lieu de l’accident, j’ai d’abord cru que
c’était à Clara qu’il était arrivé malheur. Mais non, deux femmes sorties
de nulle part, sans passé, sans futur. L’une n’était que légèrement
blessée, l’autre, par contre, n’aura peut-être plus jamais l’occasion de
marcher de sa vie ; cuisse sectionnée au deux tiers. Si vous ne m’aviez
pas prêté votre voiture, elle serait morte à cette heure. Heureusement,
j’ai pu arrêter l’hémorragie à temps. Cette femme vous doit la vie.
Vous rendez-vous compte que si vous n’étiez pas venu hier soir, si vous

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n’étiez pas resté cette nuit, j’aurais un mort sur la conscience depuis une
heure.
Alors, je commence à douter. Imaginez-vous quel cataclysme cela peut
provoquer dans ma tête. J’étale devant moi ce qui s’est passé depuis un
peu plus de douze heures et comprenez que ce concours d’événements
me dépasse.
Vous faites six cents kilomètres pour une consultation, je vous reçois,
vous prends pour un fou, votre femme me parle, la mienne vous invite.
Tous les éléments étaient là pour que vous soyez encore présent pour
que je puisse aller sauver une vie. Dois-je appeler ça le destin ?
Pourtant, Jacques, j’ai horreur de ce mot.
Mais le plus étrange, c’est que depuis que j’ai vu ces femmes blessées,
j’ai l’impression qu’une partie de ma mémoire se fait jour. J’ai le flash,
dans l’instant où je vous parle, de sentir ma mère m’aidant à faire mes
premiers pas. Ce ne sont pas des images, mais des impressions, quelque
chose a bougé, dans ma tête. Un vague sentiment de liberté que je ne
maîtrise pas.
Je ne sais pas si vous me comprenez, Jacques.

On ne fait jamais d’omelette sans casser les œufs. Lorsque je suis


arrivé dans ton cabinet, je savais que ce ne serait pas facile pour moi
d’entamer la conversation, je savais que tu ne pouvais accepter d’office
que je ne te parle pas de maladie. Crois-moi, ça n’est pas plus facile pour
moi que pour toi. La différence est que je fais une confiance absolue à
celle qui me guide.

⎯ Steve, qu’est-ce qui vous fait dire que quelque chose s’est installé
en vous, quel est ce vague sentiment ?

Une vibration nouvelle. Comment la décrire ?

⎯ Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit, j’ai d’abord senti en moi surgir
comme un appel intérieur, quelque chose qui ouvre les yeux, est-ce mon
subconscient, l’autre partie immergée de ma personnalité, je n’en sais
rien. Mais depuis peu, cette chose s’exprime sans parole et quand cette
force me touche, elle me brûle. Si je pense de façon très personnelle, la
douleur s’installe en moi et je suis obligé de faire mon auto-jugement,
cela va très vite, c’est instantané, j’ai l’impression de faire de la chimie à
chaque seconde de mes pensées. Si je me trompe dans mes mélanges,
c’est immédiatement l’explosion.

95
Lorsqu’on s’éveille de sa vie ordinaire, nos pensées sont
bousculées. Ce n’est que le début, mon pauvre. Hélas, la souffrance est
encore devant toi, mais, c’est tout de même merveilleux d’entendre ça.

⎯ Mais que s’est-il vraiment passé depuis hier soir, Steve ? vous
n’étiez pas très positif ce matin et depuis que vous êtes revenu, vous
semblez si changé. Je comprends votre prise de conscience matinale et
j’espère qu’elle ne soit pas éphémère, vous êtes emballé à cette heure-ci
et au moment du déjeuner, vous allez me renvoyer encore.

C’est pas facile d’accepter qu’un autre entre dans votre vie privée
comme ça, alors qu’on attend rien, mais rien. Je ne peux pas t’accepter si
facilement, t’es venu pour tout casser. Comment peut-on accepter la
casse chez soi ? Mais, je l’ai vue et j’ai senti en même temps qu’elle me
brûlait.

⎯ Comme je vous le disais, j’ai ressenti en moi cette force poindre,


mais depuis que j’ai vu cette femme mutilée ce matin, j’ai l’impression
de retrouver ma mère lorsque j’étais enfant. Comme si, au fond de moi,
une porte s’ouvrait, et qu’un bout de mémoire me transperçait. J’ai le
souvenir certain qu’elle m’a appris à marcher, mon enfance semble
ressortir par petits morceaux. Parallèlement, au fond de moi, cette
nouvelle pensée s’est mise en marche et elle trotte en moi comme un
aiguillon. Je ne comprends pas trop ce que cela signifie, mais avouez que
c’est bien curieux.
⎯ Au début de notre rencontre, vous me parliez de votre passé
oublié et maintenant, voici qu’il bouge à nouveau. Steve, notre passé,
même oublié, ne s’efface pas, il reste notre acquis. C’est une mémoire
qui dépasse nos cellules. Celui-ci reste collé à votre conscience
profonde, car tous nos atomes ont leur image dans l’univers ; alors ce
que votre corps a perdu, l’univers l’a gardé. Maintenant, si votre
conscience se réveille, c’est que l’univers résonne en vous et vous rend
ce qui était perdu. Si vous ne rejetez pas la transformation qui s’opère en
vous, vous ferez d’autres découvertes encore plus formidables.

Univers, atomes, il est fou, quel rapport avec ma mémoire, je


veux bien qu’en nous il y ait une conscience plus profonde comme Freud
a voulu le démontrer, mais moi qui suis scientifique, je sais que tout
s’explique. Je sens, Jacques, que si je ne t’arrête pas, tu vas dans un

96
instant faire une grande envolée spirituelle, je hais les hommes qui
taxent de spirituel ce qu’ils ne peuvent expliquer ; je hais les hommes
lorsqu’ils mettent à la sauce divine ce qu’ils ne voient pas. Je hais Dieu
pour ce monde qu’il n’a jamais créé, oui, Dieu, si tu as créé ce monde, tu
peux retourner te coucher, car même un enfant aurait fait mieux. Monde
imparfait, hommes imparfaits, Dieu et dieux imparfaits.
Si, conscience, tu t’éveilles en moi, de quel lieu viens-tu, de quel bord
es-tu, qui t’as mise en moi, quel est ton but ? réponds-moi. Tu soupires,
mais je ne te comprends pas, tu me parcours mais je ne te vois pas. Oh !
conscience, qui es-tu ?

« Ta mère, ton père, ton frère, ta sœur, ta confidente, ton amie, ton
ennemie, ton juge, ton bourreau, ton sauveur, ton âme, je suis tout cela,
je suis le tout, je suis unique, mais je suis encore morte, fais-moi revivre,
c’est mon unique prière. »

⎯ Que peut-il y avoir de formidable en moi, Jacques ? je suis un


homme imparfait, j’ai tous les défauts du monde, j’ai des vices, des
fantasmes inassouvis, je peux être bon, autant que mauvais. Je pense
qu’il y a erreur sur la personne, je ne suis pas l’homme attendu, je n’ai
que faire de vos histoire de conscience, je suis un homme, pas un être
spirituel, vous vous trompez de cible, c’est pas moi qui serai capable de
soulever l’univers, je ne suis pas Atlas. La tâche que me demande cette
force est au-dessus des miennes, ce n’est vraiment pas pour moi.
Je veux continuer à être ce que je suis, je ne veux pas être parfait.
Jacques, y a-t-il un moyen de cohabiter avec ce nouvel élément, sans que
ma vie devienne invivable ?

Tu es pris entre le marteau et l’enclume, tu dis "je ressens la


force", tu t’en émeus et au même instant tu la rejettes. Et tu me
demandes comment tu dois faire. Tu poses la question à laquelle
l’humanité ne peut répondre depuis le premier jour de sa création ;
"Peut-on vivre avec la lumière, sans en recevoir ses rayons ?" Ainsi ce
verset qui veut tout dire : "La lumière brille dans les ténèbres et les
ténèbres ne l’ont pas trouvée ". Il n’y a qu’une réponse.

⎯ Steve, pour répondre à votre dernière question, je vais vous dire


simplement ceci :
Pour cohabiter avec ce nouvel élément qui surgit de vous, la solution,
c’est, coopérer. Si vous laissez cette nouvelle vie s’installer en vous,

97
participez pour elle à sa croissance ; cette force vous aidera à surmonter
toutes vos difficultés et plus encore. Mais si vous la rejetiez, votre vie
deviendra souffrance. Non pas que le malheur tombera sur vous pour
avoir refusé de l’accueillir, mais votre conscience propre sera trop
éveillée et vos illusions seront dévoilées en permanence. Vous étiez
inconscient, vous pouviez vivre dans l’illusion. Conscient, cette vie
devient pour vous bien réelle, c’est-à dire un enfer car vous voyez la
vraie nature du monde, un monde de mort au bout de chaque atome. Ça
fait mal.

Demain tu rentreras chez toi, ma femme sera revenue, j’oublierai


ce week-end en quelques jours et tout rentrera dans l’ordre.

⎯ Vous n’êtes que de passage, Jacques, aujourd’hui je vis un


moment pas trop agréable, mais le temps remet toujours tout en ordre.
⎯ Vous qui êtes médecin, vous côtoyez des femmes enceintes, vous
les voyez se préparer au fil des mois jusqu’à l’arrivée de l’enfant. Sauf
avortement, ou accident, leur enfant naît au bout de neuf mois pour la
plupart. Voyez-vous une mère abandonner son rejeton après la
naissance, non bien sûr ! Mais si cela se fait, toute sa vie ne sera que
souffrance. Dans votre cas, cette enfant est né en vous, allez-vous
l’abandonner ?

Tu as raison, ce n’est pas dans ma nature, mais…

⎯ Vous me parlez d’enfant humain, mais la conscience n’a de


fondement que dans la psyché. Elle n’est pas une entité réelle, elle n’est
pas matérielle.

⎯ Steve, le monde, n’est pas ce que vous en voyez au bout de vos


yeux, le monde dans lequel vous vivez n’a jamais dévoilé sa vraie face.
C’est par habitude que l’on croit que nous sommes réels, c’est l’illusion
que notre âme mortelle nous donne depuis notre naissance, l’illusion de
vivre. C’est en ce sens que nous devons nous éveiller, rien d’autre. Nous
sommes tous des endormis sur Terre. Si vous coopérez, vous
comprendrez vite que ce rêve est autour de nous, car cette conscience
nouvelle a le pouvoir de distordre la matière autour d’elle comme elle le
souhaite, c’est ce que je vous disais de ma femme au début de notre
rencontre. Vous verrez si vous coopérez, cette nouvelle réalité fera
devant vous des choses formidables, le monde autour de vous se

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transformera pour vous laisser passer, sans qu’aucun homme ne le
remarque et sans que la nature ait véritablement bougé ; c’est ça qui est
extraordinaire.

J’ai vu Matrix, ils disent un peu la même chose dans ce film,


mais c’était du cinéma. Tu t’en es inspiré, Jacques ?

⎯ On n’est pas au cinéma, Jacques, revenez sur Terre. Cette histoire


n’est pas pour moi, je suis homme imparfait, ce n’est pas à ma mesure,
je me sens incapable de me transformer.
⎯ Mais vous ai-je demandé de devenir parfait ? non, bien sûr.
Croyez-vous que je sois parfait ? non, bien entendu ; je vais vous dire ce
qu’il y a au fond de moi :
Parfait, je ne le suis pas, libéré de cette nature, je ne le suis pas. Mais, ce
n’est pas parce qu’on est prisonnier que l’on ne peut pas œuvrer pour la
liberté, bien au contraire. Notre conscience ouvre sans férir toutes les
portes, alors, de là où nous sommes, nous pouvons lui consacrer toute
notre attention ; alors, elle nous parle et nous encourage, du trou où nous
sommes tous entassés. Elle nous lance une corde afin que nous puissions
nous y hisser. Le travail unique que nous demande notre conscience est
de lui offrir notre pensée pour qu’elle puisse enfin s’épanouir et vaincre
en nous celui qui nous retient prisonnier. C’est tout.

Mais je suis libre penseur !

⎯ Je ne veux pas perdre ma liberté de penser.


⎯ Vous ne l’avez jamais eue. En vous, le vieux maître, votre
subconscient est le penseur, pas vous, car vous en êtes l’esclave.
⎯ Vous dites que je suis prisonnier ?
⎯ Totalement, tant que vous n’aurez pas choisi de servir le juste
maître.

Que raconte-t-il ? De toute ma vie j’ai écouté ma pensée, elle


m’a toujours donné tout ce que je désirais. Au cours des mois, qui ont
précédé l’accident, je l’ai suivie et tous mes vœux se sont réalisés. Il n’y
a que ma femme qui a pu me faire parfois dévier, mais j’ai souvent le
dernier mot.

« Facile ! lorsque ton être le plus cher a les cordes vocales paralysées et

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que les mots ne peuvent sortir de sa bouche ; facile pour toi d’avoir
toujours raison. »

⎯ Mais je n’entends qu’une voix dans ma tête, c’est celle de ma


pensée, quelle autre voix devrais-je entendre ?
⎯ Écoutez la voix de votre conscience, il n’y a qu’elle qui puisse
vous guider.

La voix de ma conscience ne s’exprime que par geste, elle est


aussi muette que ma femme.

⎯ Je suis bien incapable d’entendre la parole de cette conscience,


mais depuis que vous êtes ici, je ressens en moi un fluide, une force qui
me brise lorsque mes pensées sont galvaudées.
⎯ Alors, dès maintenant, soyez plus à l’écoute, tendez bien l’oreille.

***

Tu te souviens, Steve, lorsque je t’ai vu la première fois, c’était


dans la chambre de l’hôpital. J’avais ouvert les yeux et j’étais sortie du
coma la veille, les infirmières étaient heureuses de me voir ainsi et elles
te disaient que ta femme était réveillée et que tout redeviendrait comme
avant. Je ne pouvais pas trop bouger, mes membres étaient encore trop
engourdis, mais j’entendais ce qu’elles disaient et je comprenais tout.
Mais il n’y avait que mes yeux qui bougeaient, rien d’autre. Je ne
pouvais agir, mais je voulais te dire que je te trouvais beau, que je te
désirais et je voulais m’unir à toi dans mon âme. Ne faire plus qu’un
avec toi. Pour une victime d'accident, amnésique, c’est très étrange
comme première pensée de lucidité. Bien étrange, je l’avoue, mais mon
cœur t’avait retrouvé, malgré la mort de ma mémoire. Ça, je ne te l’ai
jamais dit. J’avais retrouvé la vie après un sommeil trop profond, trop
long. Mais ce fut aussi dans l’instant ma plus grande souffrance. Tu t’es
rapproché de moi, tu m’as regardée. Je voulais te dire combien je
t’aimais déjà ; ma vie était pour toi et la mort ne me toucherait plus
désormais. Tant de chose à te dire. J’ai ouvert la bouche, j’ai tendu la
langue, j’ai expiré, mais rien n’est sorti, je me suis concentrée, bougé les
lèvres et aucun son n’est sorti de moi, pas un mot, juste un profond cri
de souffrance. Alors tu m’as regardée d’un air curieux, fais la grimace et
tu t’es retourné, comme si je n’avais jamais existé. Tu as allumé la
télévision et tu t’es laissé pénétrer par ses images envoûtantes.

100
A cet instant, je me suis sue muette et j’ai compris que pour me faire
entendre, je devrais un jour pénétrer au fond de toi.
Oh ! Steve, maintenant, écoute-moi, j’ai à te dire, j’ai à t’apprendre, j’ai
à t’aimer. Ma voix, tu vas l’entendre de l’intérieur, comme une nouvelle
vie qui s’installe en toi, comme un enfant qui parle après avoir fait ses
premiers pas.
Écoute-moi, je suis Clara, ton épouse, ta bien-aimée.

Quelle heure est-il ? Oh, bientôt cinq heures du matin, c’est bien
tôt ! Pourquoi cette pensée me traverse-t-elle l’esprit ? Clara, tu as quitté
la maison depuis bientôt un an, enlevée par Noèse, la nouvelle pensée du
monde. Tu vis avec mon fils et tu ne le quittes plus. Moi, Marie, je t’ai
laissé la place, car ta conscience est comme une nouvelle vie, un
nouveau départ pour moi. Je te laisse agir car mieux que moi tu peux
enseigner à celui que tu aimes. Prends ma place, pour toujours.

Mais, Marie, c’est ton fils, c’est toi qui l’as porté, c’est toi qui
l’as mis au monde. Je n’en ai pas le droit je ne peux te déposséder de ton
bien le plus cher. C’est toi qui as choisi Gary, c’est ton foyer ici, c’est ta
vie.

Clara, par ta venue dans mon esprit, tu as allumé une lumière


d’espérance et je suis heureuse que tu aies changé ma vie. J’ai accompli
ma tâche sur Terre, je crois que j’ai attendu toute ma vie ta venue et cela
me rend immensément heureuse de te voir et de t’entendre ainsi. Je sais
que tu vas prendre soin de Steve, tu es la seule à pouvoir le protéger de
son père. Je t’ai aidée à connaître Gary et ton nouvel environnement
durant cette année, tu es prête maintenant.

Marie, je t’aime, tu es mon amie.

Ame naturelle, je suis ; ma vie a commencé, elle doit finir. Dans


un corps, il n’y a de place que pour un seul maître. Tu es comme une
lumière, tu as la force et le courage. Prends la relève, tu es celle que j’ai
toujours attendue. Embrasse mon fils de ma part, je lui souhaite tout le
bonheur du monde grâce à toi.

Mais où vas-tu Marie ?

Ma conscience rejoint dans l’instant l’âme du monde, le centre de

101
la Terre, le centre du cœur des hommes. Nous nous retrouverons plus
tard. Je t’embrasse Clara…

Je sens que tu te retires de mon être, ma mémoire semble se


vider, mon esprit s’incarne plus fort encore dans ton corps. Marie, où es-
tu ?... Tu ne me réponds plus, Marie, je ne te connais plus… Qui était
cette conscience qui partageait mon corps il y a encore quelques
secondes. Quel est mon nom ?

⎯ Ça va, Marie, t’arrêtes pas de bouger dans le lit, qu’est-ce qui


t’arrive ?

C’est ça, je suis Marie, je suis la femme de Gary, la mère de


Steve. Je suis mariée à toi depuis douze ans. Mais, aujourd’hui, je suis
plus encore, je suis la conscience de Steve, celle qui le guidera jusqu’à
ce qu’il soit vraiment éveillé. Je serai sa voix dans ce monde trop hostile
aux hommes de coeurs.

⎯ Oh ! rien je rêvais que j’étais une autre femme, je m’appelais


Clara et j’étais l’épouse de Steve.
⎯ C’est donc tout ce dont tu rêves la nuit, t’as rien d’autre de plus
intéressant que ces bêtises ?
⎯ Je ne veux plus jamais que tu m’appelles Marie, je trouve ce
prénom dépassé, ça me fait penser à la sainte vierge que l’on voit dans
les églises et que tu affectionnes comme celle que tu as placé sur
l’armoire de notre chambre depuis que nous sommes mariés. Je ne veux
plus voir cette statue devant moi, toute à l’heure lorsque tu seras debout,
fait la disparaître, mets-la aux ordures.
⎯ T’es complètement cinglée, tu t’es mal réveillée, tu ferais mieux
de te rendormir avant que je m’énerve.

Mon vieux, je crois que mon réveil ne fait que commencer.

⎯ Mon chéri, je vais très bien dans ma tête, je ne suis pas cinglée et
je n’ai plus sommeil. Je te demande de ne pas t’énerver, car tu risques de
réveiller Steve qui dort bien. Mais sache que ça me trotte dans la tête
depuis un moment et j’ai décidé de faire toutes les démarches
nécessaires pour changer de prénom, que cela te plaise ou non. Pour ta
statue favorite, je te laisse le choix ; tu la fais disparaître de la maison ou
s’est moi et Steve qui partons. Est-ce clair ?

102
⎯ Mais, bon sang, qu’est-ce qui te prend, de vouloir tout changer ?
Tu te fiches de moi. C’est pas vrai, les femmes ont des idées, vraiment.
C’est la mode des Hippies qui t’inspire la révolution culturelle ? Clara ?
pourquoi ce prénom ?

Tiens ! tu lâches déjà prise pour mon prénom. C’est trop beau.

⎯ Je trouve sincèrement que Marie est un prénom banal qui a fait


son temps. Mes parents me l’ont donné parce qu’ils vouaient une
adoration à la vierge. Je suis athée, je ne crois plus en leur religion.
Clara, je l’ai entendu autour de moi, dans un supermarché, peut-être ? et
il m’a plu.
⎯ Bon, fait ce que tu veux après tout, mais maintenant, laisse-moi
dormir, il est encore tôt. Et demain, c’est le week-end.

C’est ça, t’as raison, mieux vaut dormir, tu pourras rester


quelques heures de plus dans un rêve où rien ne bouge autour de toi.

⎯ Bonne nuit, Gary.


⎯ Bonne nuit ma chérie.

Tiens, le soleil est déjà bien haut dans le ciel, il n’est pas tôt.
J’entends Steve qui gazouille dans sa chambre, il doit être réveillé depuis
longtemps. J’ai l’impression qu’il parle, comme s’il disait… mais oui ! il
le dit bien, j’entends bien !

⎯ Mamma…Mamma.

Il dit maman ! il m’appelle. Oh ! comme il est adorable. Je sens


qu’il va y en avoir un qui va se plaindre. Pauvre Gary, je l’ai bousculé
cette nuit et, maintenant, le premier mot de Steve, c’est maman. Curieux,
en général, les enfants disent papa en premier, c’est plus simple. Il faut
que j’aille le voir, il m’appelle !

⎯ Mamma, mamma, mamma.


⎯ Oh ! viens, mon petit, dans les bras de maman. Tu es adorable.
Nous allons voir papa, je suis certaine qu’il va être content de t’entendre
parler et dire ton premier mot.
⎯ Eh ! Gary, réveille-toi, Steve a quelque chose à te dire.

103
⎯ Un, quoi, qu’est-ce que tu dis ? Il est quelle heure ?
⎯ Huit heures et demie.
⎯ C’est trop tôt, laisse-moi dormir encore, on verra plus tard.

Mais bon sang ! il est complètement égoïste ce type, il ne pense


qu’à lui. J’en ai par-dessus la tête. Je te pose sur le bout du lit, mon
chéri, je vais m’occuper de ton père.

⎯ Gary ! tu te réveilles, et plus vite que ça. Tu sors de tes rêves, ton
fils à quelque chose à te dire. Bon sang, je vais te mettre par terre si tu ne
bouges pas.

Je crie et il fait comme si de rien n’était. Je vais le faire glisser


sur le sol. Voilà, j’attrape ses pieds.

⎯ Oh ! arrête, Marie, t’es pas bien.


⎯ Si ! je suis bien et lève-toi, notre fils a quelque chose à te dire.
⎯ Me dire ?
⎯ Oui, si tu t’étais réveillé tout à l’heure, tu l’aurais entendu.
⎯ Entendu quoi ?

Toujours à côté de la plaque ! jamais là quand il faut.

⎯ Mamma, maman.
⎯ Tiens, écoute-le ! il nous parle.
⎯ Ah, ouais, il dit maman. T’as encore gagné. T’as dû lui apprendre
ça, jour et nuit pour être sûr qu’il ne dise pas papa en premier, en général
c’est ce que disent les enfants.

Encore frustré, je le savais d’avance.

⎯ Mais c’est tout ce que tu as à dire ? tu pourrais féliciter ton enfant,


il fait de gros efforts pour parler. Il est content de nous le montrer.
Encourage-le !
⎯ C’est très bien, mon fiston, c’est très bien. Dis Papa. Papa, papa,
papa.
⎯ Mama, mama, mamma.

Tu me regardes d’un air idiot, tu l’es ! n’est-ce pas, devant ton

104
fils.

⎯ Tu dois être content de l’entendre maintenant. Je sens qu’il va vite


savoir parler, il va nous raconter des histoires bientôt.
⎯ Ouais, et je vais lui apprendre tous les mots nécessaires, pour qu’il
puisse apprendre à piloter rapidement.
⎯ Mais il faudrait que tu lui demandes d’abord son avis.
⎯ Steve sera d’accord j’en suis sûr.
⎯ Chute ! écoute-le.

Tu nous souris et tu nous regardes avec tes grands yeux marrons.

⎯ Mamma, mamma.
⎯ Tu vois, Gary, il est content.
⎯ Oh ! ça va, qu’est-ce que tu veux que je te dise.

Mais c’est quoi ce mec ? Il pourrait quand même être heureux


d’entendre son enfant, c’est aussi lui qui l’a fait.

⎯ J’aimerais que tu sois positif, quand un enfant commence à parler,


ses parents doivent l’encourager et l’aider à progresser. C’est mon rôle,
mais aussi le tien. Tu ne te rappelles pas le jour de ses premiers pas ?
⎯ Trop bien, tu m’as envoyé balader.
⎯ A qui la faute ?
⎯ Ça veut dire quoi ?

En plus il n’a pas de mémoire.

⎯ Ça veut dire que tu ne penses qu’à toi et que…

Tais-toi, Clara, ne dit rien devant Steve.

⎯ Sortons de la chambre un instant, laissons Steve.

Dans le séjour, la porte de la chambre est fermée.

⎯ Et je me demande si tu désirais réellement un enfant. Moi, je le


voulais, mais toi ? peut-être n’as-tu pensé qu’à me faire plaisir et surtout
te faire plaisir au lit.

105
⎯ J’en peux plus, vous, les femmes et vos nouvelles idées de
libération de la condition féminine, vous vous montez toutes la tête.
Nous, les hommes, nous sommes toujours restés égaux à nous-même,
nous ne courons pas après une liberté du sexe masculin, nous sommes
bien dans nos têtes, c’est vous les femmes qui compliquez toujours tout.
C’est normal qu’un couple ait des enfants, c’est normal que ce soit la
mère qui s’en occupe. Moi, j’ramène l’argent à la maison, je n’peux pas
être partout. Alors c’est ton rôle de faire l’éducation de l’enfant. Il y a
dix ans, t’étais contente de me retrouver au lit, t’étais la première sur
moi. Qu’est-ce que vous bouffez, vous, les femmes pour changer ainsi ?
moi j’ai toujours été le même, je t’aime comme au premier jour de notre
rencontre à Paris.

Ta nature d’homme est faite de matière et de plaisir, ton corps


suit ses instincts, tu es prisonnier comme tous les hommes de ton
pouvoir de création et tes hormones te le rappellent à chaque instant. Je
ne veux pas que Steve subisse le même sort que toi, je veux l’aider à se
libérer de ton emprise et de l’instinct humain si présent chez tous les
hommes.

⎯ J’ai contre toi que tu es possédé par la nature masculine


ancestrale. Tu t’es fait une place bien confortable sur terre et maintenant
que tu as trouvé une épouse fidèle tu ne veux plus faire d’effort. Tu es
prêt à tout pour garder ce que tu as. Ne vois-tu pas que les autres vivent
autour de toi ? Ton principal danger, aujourd’hui, c’est ton fils parce
qu’il occupe une grande partie dans ma vie. Tu lui en veux. C’est ce que
je te reproche, Gary.
⎯ Qu’est-ce qu’il faut que je fasse, Marie, pour que ça marche avec
toi ?

T’as donc rien compris. C’est pas avec moi que ça doit marcher,
mais avec Steve.

⎯ Mais Gary, tu dois être à l’écoute de ton fils, autant qu’avec moi.
Cet enfant est le tien autant qu’à moi. Il est venu sur terre pour te faire
descendre du sommet de ta montagne. Pour que tu te découvres un autre
homme. En chaque homme sommeille un être meilleur, un homme
parfait. Chaque naissance peut amener aux parents une possibilité de se
libérer de ses principes, du mal qui nous ronge tous : l’égocentrisme. Si
tous les parents pouvaient prendre conscience que nos enfants sont nos

106
libérateurs, ce serait merveilleux.
⎯ J’en ai marre de tes grandes paroles, j’en ai marre de devoir
toujours céder. Avec toi c’est toujours moi qui ai tor. Je me demande
pourquoi, tout a changé à ce point, depuis que nous avons cet enfant. Si
c’est l’instinct maternel, alors c’est trop. Je suis quand même capable
d’amour, je t’aime.

Peut-être prendras-tu conscience un jour de ton réel statut de


prisonnier de cette nature humaine ? Alors tu décideras de dire adieu au
fait que l’homme désire toujours, haït et aime, convoite, jalouse, vole,
détruit, et tue. Tu découvriras peut-être que l’homme est fait uniquement
pour aimer et donner. Je crois en l’amour, mais il y a un amour plus
puissant que celui qui coule dans tes veines depuis que tu existes. C’est
de cet amour dont j’ai besoin, c’est le même dont il faut nourrir notre
enfant.

⎯ Dans notre lit, je suis capable d’aimer, mais dans mon cœur, cet
amour, je le recherche encore. Gary, Steve n’est pas responsable de nos
problèmes, mais depuis qu’il est avec nous, mon esprit s’est ouvert à une
conscience plus vaste. Je ne transfère pas notre amour vers lui, mais je
suis en recherche de ma véritable nature. Voilà, c’est tout.
⎯ Est-ce que je peux changer pour nous aimer vraiment encore ?
⎯ C’est mon vœu le plus cher. Mais, aujourd’hui, nous devons nous
rappeler que Steve a parlé pour la première fois. Même s’il ne dit que
maman, c’est merveilleux. Je suis sure qu’il va vite parler pleinement et
qu’il sera heureux de te dire papa, papa.
⎯ Comment je dois t’appeler ?
⎯ Continue à m’appeler Marie, je reconnais, j’ai été excessive cette
nuit. Oh ! J’entends Steve qui s’impatiente, allons le chercher.
⎯ Mamma, mamma, mamma.
⎯ Mon petit, regarde papa te faire des sourires. Fais-lui coucou.
⎯ Mamma, mmapa.
⎯ Tu l’entends, il fait déjà des progrès.
⎯ C’est vrai. Bon je vais me doucher, Marie.
⎯ T’as raison !

Me faudra-t-il toute une vie faire rempart contre toi pour protéger
notre fils ? Je suis partagée entre ma vie d’avant avec Steve mon époux
véritable et maintenant Gary, le père et Steve le fils. J’ai pris l’habitude

107
d’être dans cette peau et j’avoue qu’elle me va très bien. Toute ma
conscience reste identique à ce que j’étais avant de faire ce plongeon
dans le passé et malgré le temps, je ne souffre pas. J’ai choisi
consciemment de faire ce voyage, j’en assume les conséquences. Je ne
sais pas quelle magie en a été le ciment, mais je veux continuer.

Steve. Oh ! mon amour, je ne sais pas où tu es maintenant, ce que tu es


devenu depuis plus d’un an que j’ai disparu, mais écoute dès à présent.
Je te parle comme l’enfant qui découvre sa voix. Je veux que mes
paroles te touchent et te guident dans ta vie, même si tu ne me vois pas.
Cette enfant avec qui je vis aujourd’hui est ma voix perdue dans notre
vie, entends-la maintenant. Du fond de la conscience, entends !
Je t’aime.

Le baptême
Être à l’écoute de soi-même, qu’est-ce que ça veut dire ? Que
dois-je entendre, comprendre. Tout ce que je peux dire, c’est que même
présente, Clara, je ne t’entendais pas. Muette tu n’as jamais pu me dire
vraiment ce que tu pensais, ressentais. J’aurais dû être plus à ton écoute
quand tu étais là. Peut-être ne serais-tu pas partie hier soir ? Oh ! Clara,
ma bien-aimée, où es-tu, que fais-tu à cette heure ? Es-tu en danger ? Je
m’inquiète pour toi. Clara, je t’aime.

« Steve, j’ai soif de vivre, j’ai soif d’aimer, ne me laisse plus languir
dans la fosse où je vis avec tes fantômes, viens me chercher, plonge dans
la caverne de tes pensées et trouve-moi à travers elles. »

Mais qui parle en moi ? tu ne fais pas partie de mes pensées, tu


n’es pas la conscience habituelle qui me dicte ma conduite. Je ne t’ai
jamais entendue avant. Qui es-tu ?

⎯ Ça va Steve ? vous êtes un peu fatigué peut-être, votre


intervention matinale n’était pas très facile.
⎯ Ne vous inquiétez pas, j’ai eu subitement un petit coup de pompe,
mais ça va aller mieux, je vais me reprendre un café. En voulez-vous
aussi ?

On parle, comme ça et d’un coup tu décroches. Je me demande si


ce que nous disions ne t’aurait pas un peu ébranlé.

108
⎯ OK, un peu de café, ça ne fera pas de mal. En rapport avec cette
voix intérieure, n’avez-vous jamais éprouvé durant les mois passés une
nostalgie, un désir hors du commun inassouvi ? cette voix dont je vous
parlais, a toujours existé au fond de nous, mais endormie, elle ne bouge
pas, ne faisant pas de bruit. Mais, tout de même, quand elle est en nous,
dès les premières heures de notre vie, son souffle se fait sentir et l’on sait
qu’un jour elle nous appellera.

Comment sait-il qu’en moi cette nostalgie s’est manifestée dès


les premières heures qui ont suivi mon réveil à l’hôpital.

⎯ Je me souviens nettement, que lorsque j’ai appris que j’étais


marié, mon cœur s’est réjoui, j’étais amnésique, mais j’étais heureux.
Puis une infirmière m’a dit que mon épouse était dans le lit d’à côté. Je
me suis retourné, j’ai vu cette femme aux cheveux bruns, encore intubée,
perfusée, avec des bandages sur une partie du crâne qui était à moitié
rasé. J’ai dit, non c’est pas elle, je refuse d’avoir un légume comme
épouse, ce n’est pas ma femme. Dans mes premiers moments de
conscience, j’ai refusé de reconnaître Clara comme ma femme. Les
médecins étaient un peu inquiets de ma réaction, mais ils s’y attendaient,
car, amnésique, un rien peut provoquer un grand choc. Ce choc je l’ai
reçu en pleine face. Et pour un peu, il fut vite envisagé de nous séparer
pour éviter à chacun un trouble émotionnel important. Par chance, Clara
s’est éveillée le lendemain. C’est grâce à une infirmière, un peu plus
convaincue que les autres soignants, que nous sommes restés dans la
même chambre. Elle s’appelait Sophia, je m’en souviendrais toujours,
car elle m’a parlé longuement, prenant sur son temps de repos pour être
avec moi. Clara était juste réveillée, et j’étais allé vers elle dans un esprit
de curiosité. Je la revois me regarder. Mais d’elle, rien n’est sorti de sa
bouche. Je me suis retourné pour allumer la télévision. C’est là que
Sophia est venue vers moi, elle avait vu toute la scène. Attristée par mon
attitude, elle a coupé la télé et elle s’est assise sur le bord de mon lit. Elle
a commencé à me dire que Clara avait beaucoup souffert lors de
l’accident et que, même si elle me paraissait défigurée aujourd’hui, je ne
devais pas m’en inquiéter car ses séquelles impressionnantes n’étaient
pas définitives : elle devait prochainement être présentée au chirurgien
plasticien qui avait prévu de lui redonner un visage pratiquement aussi
parfait qu’avant l’accident. Apprenant cela, j’ai été rassuré. Mais le plus
important, c’est ce qu’elle m’a dit par la suite, de cette façon :
Elle est comme endormie aujourd’hui, mais elle a les yeux ouverts, j’ai

109
vu, elle vous a reconnu, je l’ai senti. Son âme s’est ouverte pour vous.
Elle aurait voulu vous parler, mais elle est restée muette. Clara a besoin
de vous, vous ne devez pas l’ignorer. Pensez au bonheur qui est devant
vous, à la joie qu’elle vous apportera lorsqu’elle sera rétablie. Elle est
couverte de bandage, aujourd’hui, mais demain, elle rayonnera la beauté
et l’amour. Regardez-la profondément et vous verrez qu’elle est
véritablement déjà votre moitié. Espérez son rétablissement, soyez
attentif à ses moindres gestes, car comme elle est diminuée actuellement,
elle ne peut encore pleinement s’exprimer. Le moindre geste est plein de
signification. Pensez à ce qu’elle fût, pensez à ce qu’elle sera plus tard si
vous l’aidez dès maintenant. Cette femme est votre avenir, si vous
l’abandonnez, c’est vous qui serez perdu.
Après m’avoir dit tout cela je me suis levé et je suis allé voir Clara sur
son lit. Elle s’était rendormie. Je l’ai regardée un long moment, la
dévisageant en détail. Je me suis aperçue que ce visage trouvé laid
précédemment avait changé. Derrière ses bandages, je voyais sa figure
dont les lignes esquissaient une beauté évidente. Ses cheveux très courts,
conséquences de l’accident montraient un visage déjà très toniques. Ses
paupières mêmes fermées laissaient apparaître des yeux qui devaient
rayonner une vivacité et une profondeur sans pareil. Son corps très bien
proportionné et la juste taille laissent envisager une femme d’une beauté
presque excessive. C’était déjà ma femme et je la voyais pour la
première fois. J’en étais amoureux, c’était une certitude. Elle était
mienne et l’avait toujours été. A cet instant j’ai éprouvé la nostalgie d’un
passé oublié, d’une vie détruite par la bêtise humaine. Alors, je me suis
mis à espérer de toute ma conscience de pouvoir retrouver un jour tout
ce qui était perdu dans nos âmes. Je souffre jour et nuit de ne plus
connaître ma véritable vie. Rien dans ce monde ne peut me satisfaire, je
crois toucher un but, je pense avoir droit au bonheur et, déjà ce moment
ne paraît illusion. A cet instant, je retombe au fond de mon esprit, alors
tout est à recommencer. Pour Clara, j’aspire au retour de nos
consciences perdues. Ce que je ne m’explique pas, Jacques, c’est que,
depuis votre arrivée hier soir, j’ai le sentiment qu’une tempête souffle
dans ma tête, ce passé perdu me semble refaire surface d’une façon
inattendue, je n’ai pas de souvenirs précis, mais c’est le souffle de la
mémoire qui s’imprime en moi. Je ne sais pas comment vous
l’expliquer.

Enfin, Steve, tu commences à entendre une autre voix en toi, tu


t’es laissé pénétrer par ta sensibilité, ton affection se libère du fond de

110
ton cœur, tu commences à prendre conscience que Clara est pour toi une
clef. Même si elle a disparu, elle apparaît comme l’âme pour laquelle tu
seras prêt à tout. Jusqu’à mon arrivée, elle était pour toi la compagne, la
femme sans voix, mais intelligente. Tu ne voyais pas en elle la
possibilité d’évoluer dans ta conscience. Or, elle est ce but.
Heureusement que cette infirmière a su te convaincre de regarder au-delà
du physique, elle t’a montré que l’âme était plus importante que le corps.
Sorti de l’hôpital, tu es retombé dans le train train quotidien et tu as vite
oublié les bonnes paroles de Sophia. Mais maintenant que tu découvres
une autre forme de pensée, tu te souviens de ton engagement. Peut-être
suis-je là pour t’aider à découvrir toute la conscience oubliée de ton
amour véritable entre toi et Clara ?

⎯ Je pense comprendre en partie ce que vous ressentez en votre


mémoire. C’est véritablement l’essence de votre passé qui s’exprime en
vous. Non pas par des images ou des souvenirs, mais véritablement par
le fondement du but de votre existence. Clara est un but, non une simple
compagne. Elle est pour vous le pilier de votre vie. Sans elle, votre vie
n’a aucun sens, n’est-ce pas ?

Tu dis trop vrai, Jacques, c’est ce dont je prends conscience, mais


j’ai toujours voulu être indépendant d’autrui. C’est pour cela que,
jusque-là, j’ai toujours considéré Clara comme ma femme pour le plaisir
et l’amitié uniquement.

⎯ Je le découvre juste maintenant, mais, hélas, trop tard, car la voici


disparu depuis hier et je suis inquiet, elle qui, depuis que nous sommes
ensemble, ne s’est jamais éloigné de moi. Lorsque nous sommes arrivés
à la maison et que je ne l’ai pas vu, je croyais qu’elle s’était cachée, c’est
pour cela que je ne m’en faisais pas, mais maintenant, ça commence à
être long. Sauf qu’une parole nouvelle s’est installée en moi, une voix
que j’ai entendue nettement, alors ça m’a rassuré. Étrange, non ?

Tu découvres que tu n’as, en fait, jamais été proche de Clara et


cela en la voyant différemment. Oui, tu en es éloigné, mais tu t’en
rapproches comme jamais.

⎯ Je suis sûr que Clara est plus proche de vous qu’il n’y paraît.

Cause toujours, j’ai dormi seul cette nuit, tu ne t’en es pas rendu

111
compte, toi !

⎯ Que me chantez-vous là ? est-elle dans la cuisine, dans la salle de


bain ou dans la chambre ? Non, nulle part, elle n’est pas là, malgré vos
belles paroles.
⎯ Mais, Steve, depuis un petit moment, c’est vous qui dites de belles
paroles, je vous ai écouté et cela m’a réjoui de vous entendre parler de
Clara comme une nature différente de la première. Vous m’avez parlé
d’une voix surgissant en vous comme une nouvelle conscience. Cela m’a
fait penser à un baptême en votre être. Enfin, c’est la première fois que
votre cœur est touché consciemment pas la découverte d’une nouvelle
nature. Ce baptême, c’est Clara qui vous l’a donné, c’est sa voix qui
s’est exprimée. Vous devriez en être pleinement heureux, cela veut dire
qu’elle ne vous a pas abandonné.

Maintenant, voici le baptême, quelles balivernes ! je ne crois pas


en Dieu, le baptême est pour les croyants. Baptisé, ça veut dire qu’une
force s’est posée sur vous, que vous êtes touché par l’esprit et qu’à partir
de cet instant, vous êtes protégé par un film invisible qui s’appelle
croyance. Je refuse ce mot, je refuse cette pseudo-force divine qui est
sensée nous protéger. Moi, je crois que ce qui nous protège dans la vie,
c’est la vigilance et les assurances multirisques. Au delà, c’est de la
foutaise.

⎯ Je suis athée, les baptêmes de toutes sortes j’en ai rien à faire. Ça


m’agace de vous entendre dire ce genre de truc. Vous m’énervez, je ne
veux pas entendre parler de ces choses-là.
⎯ Si mes trucs vous énervent, je pars tout de suite. Je ne vais pas
passer mon week-end à me faire engueuler à chaque fois que je dérange
votre petit monde. C’est trop. Si je vous ai dit ça, c’est pour vous
montrer que vous êtes touché par quelque chose d’inattendu et puissant.
Rien à voir avec un culte quelconque ; qui vous parle de religion !

Je suis intelligent, j’ai fait des études, je me laisse encore prendre


par son côté mystique. Non, non et non. J’ai rien ressenti et rien entendu
en moi.

⎯ Vous avez raison, prenez la porte, elle est derrière vous, ça me


fera des vacances. Du reste je vais vous baptiser au nom de la conscience
de la porte de sortie. Bon vent, à jamais.

112
Tu passes d’un extrême à l’autre, je me doutais bien que ta bonne
volonté n’allait pas durer longtemps. Chassez le naturel, il revient au
galop. Tu ne veux plus de moi, d’accord.

⎯ Vous avez encore les clefs de ma voiture, pouvez-vous me les


rendre ? j’espère que, pour les prochaines urgences, votre voiture soit en
état, ce serait dommage de mourir à cause d’une phrase incomprise et
d’un caractériel trop nombriliste ! Au revoir, monsieur O’Connor.

Il passe la porte, il ne me regarde même pas… Il s’installe dans


sa voiture, elle démarre… Il passe le portail… Ma gorge se serre, une
force étrange monte du cœur et pénètre ma tête et me lance dans le
crâne. Oh ! non, qu’ai-je dit, qu’ai-je fait ? Et maintenant te voilà.

« Tu l’as chassé, t’es pas fier, tu sais plus où te mettre. Tu l’as cherché.
Tu viens encore de perdre une possibilité de faire un pas dans le bon
sens. Tu vas encore devoir galérer un peu plus. Tout ce que tu fais
contre moi, tu dois le reconstruire encore plus fort, plus haut. Chaque
fois que tu feras un pas contre moi, ce sera dix de plus à entreprendre,
mais je sens que tu aimes ça. Je ne suis pas là pour te plaire, mais pour
que tu me plaise. Ta vie tranquille c’est fini, avec ou sans Jacques, une
graine est semée en toi. Je dois te dire, en vérité, que c’est moi qui t’ai
baptisé, c’est moi qui t’ai touché. J’ai déversé ma force dans ton âme
pour que tu en fasses un phare pour celle qui est égarée. Je verse ma
parole pour que tu réagisses et que tu prépares ma demeure. Maintenant
que Jacques est parti, comment vas-tu faire pour continuer à préparer le
retour de Clara ? Tu es baptisé par le feu de ta conscience, tu ne peux
faire machine arrière. Tu le sais. Je suis patiente, mais ne tire pas trop
sur la corde car elle forme le collet qui pourrait t’étrangler. J’ai
découvert aujourd’hui ma parole en toi. Je ne suis plus muette, fais tout
ce qui est en ton pouvoir pour ne perde plus jamais ma voix. Tu dois
admettre, maintenant, que j’existe. »

Oh ! ma tête, j’ai mal au cœur. Cette conscience qui me


sermonne, je le sais, elle dit vrai, je ne peux m’opposer. Oh ! Clara que
dois-je faire ? il est parti, je ne connais pas son adresse, ni son téléphone.
C’est fichu. Je ne suis qu’un idiot, un minable. Ah ! c’est pas vrai, je
dois retrouver Jacques, il faut que…

113
« Vas le chercher ! »

Ma voiture est en panne.

« Tente le coup. »

Je cours à la voiture et je m’y installe… Elle démarre, par quel


miracle ? Vite il faut filer, il est parti il y a cinq minutes. Il est devant
moi et sa voiture est puissante. Il est au moins à l’entrée de Vinas, j’ai
une chance, car il va ralentir. Je vais couper par le chemin de terre, j’irai
plus vite que lui en descendant le long de la vigne et en passant derrière
le village. A cette heure-là, il n’y a personne dans le champ, je fonce…
Merde, des gosses qui jouent… Voilà, un coup de klaxon, et hop ! ils
dégagent. La voie est libre…

Cinq minutes que je suis parti. Ah ! je rattrape la route, le village est


passé, mais je n’le vois pas devant moi. Il faut que j’accélère. S’il entre
dans Canas, il va encore ralentir. Là, j’ai une chance encore, car la route
principale est plus longue. Moi, je coupe par la route du calvaire. Je
fonce, s’il y avait un radar, j’aurais un douze point en moins, c’est sûr. Je
vois le calvaire, là-bas. Oh ! c’est lui, il est déjà là, je vais le rater. Pas
une seconde à perdre… je vole presque… Oooh ! le calvaire, merde, je
dérape…

C’est quoi ce type qui se prend pour Fangio ? punaise, il ne


contrôle pas. Et voilà il s’est payé le calvaire. Oh ! quel con. Maintenant
que sa bagnole s’est plantée de côté sur le bloc de pierre, c’est la croix
qui tombe sur le capot. Ce mec s’est crucifié tout seul, bravo ! faut
l’faire ! le jésus des temps présents ! En tout cas, sa voiture, il peut faire
une croix dessus. C’est trop drôle ! Bon, Jacques, redeviens sérieux, ce
gars est peut-être blessé, il faut lui porter secours et peut-être aller
chercher un médecin…
Sortons de la voiture pour voir un peu…

La croix plantée dans le capot, presque sur le crâne, il manquait


plus que ça, pour un baptême, c’est un baptême.

***

Un jour, j’ai vu Steve s’énerver dans son lit parce que je ne

114
venais pas assez vite le chercher. J’ai compris combien étaient forts les
gènes de son père et que j’aurais du fil à retordre avec eux deux. Si je
veux que Steve ne ressemble pas à Gary, je dois me lever de bonne
heure pour me préparer à les affronter tous les deux. Oh ! bien sûr, Steve
est encore bien petit, du haut de ses deux ans et demi. J’espère que toute
l’attention que je lui porte et ma présence incessante l’aidera à
neutraliser la force de ses défauts paternels. Oh ! je ne peux en vouloir à
Gary d’être ce qu’il est, car je sais que sa personnalité, son caractère il
les tient de sa famille comme une malédiction familiale qui s’est jusqu’à
présent transmis de génération en génération. Je l’ai découvert et je ferai
le barrage, mon enfant sera le dernier à la subir et c’est lui qui effacera le
mauvais sort. Si je me dis tout ça c’est à cause de toi Gary, lorsque tu
t’es mis au lit, tu m’as dit que tu avais quelque chose d’important à me
dire demain matin. Je t’ai demandé ce que c’était et tu t’es fâché comme
à ton habitude. Je n’ai pas envie de dormir dans ton lit, je préfère
regarder les étoiles sur la terrasse. J’entends du bruit ?
⎯ Qu’est-ce que tu fais ici, Marie, il est deux heures du matin, tu vas
attraper froid, rentre.
⎯ J’ai pas envie de me coucher.
⎯ Pourquoi ? il est tard, il fait froid cette nuit, tu vas être malade si
tu restes dehors.
⎯ Je préfère être malade, seule plutôt qu’avec un mec qui fait des
scènes et des mystères à sa femme. Tu m’agaces avec tes airs solennels.
Le pire, c’est quand t’as fini d’être comme ça, dans la minute, tu deviens
l’extrême, et je dois me transformer en poupée gonflable pour tes
besoins.
⎯ Reviens au lit, je te promets de ne pas être comme tu dis et, je
veux bien te dire tout de suite ce qui me préoccupe.
Peut-être devient-il plus raisonnable, il a l’air sincère. Je vais le
suivre, il faut lui laisser sa chance.
⎯ Si tu me promets de me laisser dormir ensuite, j’accepte. Mais si
tu t’énerves je ferais chambre à part définitivement. J’en ai marre de ton
fichu caractère.
⎯ OK, je vais faire un effort.
Il est tout mielleux, je me demande bien ce qu’il va me sortir de
si important ? mais je le connais, lorsqu’il veut obtenir quelque chose, il
devient gentil, il attend l’instant propice pour me faire part de son désir.
Gary est vraiment comme tous les hommes. Heureusement que nous, les
femmes, nous connaissons leurs manies et leurs ruses depuis que nous
existons.

115
⎯ Alors, maintenant que je suis sagement allongée dans notre lit à
côté de toi comme tu le souhaites, j’attends que tu me dévoiles ton grand
mystère. J’écoute.
⎯ Tu pourrais me parler autrement, j’ai déjà l’impression d’être
fautif, tu m’agaces.
⎯ Je peux repartir tout de suite si tu commences comme ça, toi aussi.
⎯ Bon, bien ! Voilà. Steve a déjà deux ans et demi et je me dis qu’il
n’est pas baptisé. Moi, j’ai suivi un enseignement religieux lorsque
j’étais petit, j’en ai fait ce que je voulais, mais tout de même, mes
parents m’ont donné ce sacrement et je pense que c’était important. Je ne
vais pas à l’église, mais il m’est resté quelque chose, tu comprends. Je
crois qu’il faut le faire pour Steve, c’est pour son bien, on ne peut pas le
laisser sans Dieu. Il faut qu’il reçoive le baptême, on ne doit pas le
laisser sans religion, même si, toi, tu ne crois pas. Qu’est-ce que t-en
penses ?

C’était donc ça le grand mystère, tu veux mettre notre fils sous le


couvert de la religion, tu as envie qu’il te ressemble un peu plus et qu’il
connaisse la crainte d’un dieu et d’une morale catholique. Ainsi rendons
notre enfant esclave d’une religion. Donnons-lui les images d’un paradis
dessiné pas Michel-Ange. Que de belles images à coller dans un cahier
de catéchisme. Il n’en est pas question, je ne veux pas que nous
choisissions pour lui ce que sera sa vie métaphysique. Je veux laisser le
libre arbitre à notre fils, qu’il décide lui-même. Gary, aurais-tu donc tous
les défauts ?

⎯ Ce que j’en pense ! Mais, mon chéri, je pense, je pense…


⎯ Tu penses à quoi ?
⎯ Je pense à sa liberté de penser, je pense à sa liberté d’imaginer un
autre monde comme il le voudrait. Je pense que Steve doit choisir lui-
même s’il veut un dieu ou son dieu. C’est un enfant, mais je ne tolérerai
pas que nous décidions à sa place quel chemin, il doit suivre. Gary, je ne
veux pas baptiser Steve. S’il le souhaite, qu’il le fasse consciemment et
qu’il le comprenne et qu’il le vive.
⎯ Mais, Marie, il est trop petit pour choisir lui-même. C’est pour ça
que c’est à nous de le faire.

Un enfant a une conscience, s’il ne désire pas quelque chose, il le


fait savoir d’une façon ou d’une autre.

116
⎯ Demain, lorsqu’il sera réveillé, demande lui !
⎯ Tu dis n’importe quoi, il ne va pas comprendre ce que je vais lui
dire, comment veux-tu qu’il me réponde ?
⎯ Tu as raison, alors fous-lui la paix.
⎯ C’est facile pour toi de dire ça, à chaque fois que j’ai une idée, tu
la mets au pilori, j’en ai marre. Notre fils sera un laissé pour compte s’il
lui arrive malheur. A quoi veux-tu que se raccroche son âme s’il meurt.

Et maintenant, il met le poids de la vie de Steve dans la balance.


Mais ça devient de pire en pire. Bon sang, ton baptême a fait des dégâts,
qu’est-ce qu’on a pu te mettre en tête lorsque tu étais un petit enfant ?

⎯ S’il y avait un dieu, il n’aurait pas besoin des hommes pour


protéger ses enfants. Ce n’est pas trois formules magiques et un bénitier
qui sauvent une âme d’enfant. C’est le contraire, on installe une prison
autour de lui, regarde les dégâts qu’ils ont fait en toi.
⎯ Quels dégâts ?
⎯ Accro à la religion, sans même connaître rien de ses tenants et
aboutissant.
⎯ J’ai le droit de croire en Dieu !
⎯ Comment pourrais-tu croire une chose que tu ne connais pas. Les
dieux, ne sont pas faits pour les morts, mais pour les vivants. C’est pour
ça que ta religion se plante.
⎯ Tu blasphèmes, c’est pas croyable d’être contre Dieu à ce point.

Je ne pensais pas que parler de religion au bout de douze ans de


mariage, nous poserait un jour des problèmes. Mais je suis là pour
protéger Steve du poids de la tradition.

⎯ Du blasphème, je vais t’en faire entendre de tonnes, tu n’as pas


fini. Ton dieu, tu peux le mettre à la poubelle, je n’en ai pas besoin et
notre fils non plus. Je souhaite qu’il comprenne plus tard ce qui l’anime
dans la vie, sans croire que Dieu l’a fait à son image. Nous ne sommes
pas des divinités, nous devons le savoir. Cette planète est la nôtre et les
divinités ont leur monde. Steve devra découvrir ce qu’il a en lui, il devra
découvrir son propre dieu s’il en a un aussi.
⎯ C’est toujours les mouvements hippies qui t’influencent. Faites
l’amour, pas la guerre, "Peace and love". Je ne vais pas me laisser faire,
demain, c’est dimanche, j’emmène Steve à l’église, que ça te plaise ou

117
non. C’est comme ça, un point c’est tout, t’as rien à dire.

J’ai rien à dire, c’est comme ça ! mais ne t’avise pas de prendre


mon corps et d’en jouir de surcroît pour m’imposer toute ta puissance, ça
finirait mal pour toi. Maintenant que tu as décidé, je ne vais pas te
contredire, j’accompagnerais Steve avec toi à l’église. Mais, c’est
comme ça, je vais finir ma nuit où je l’ai commencée, salut.

⎯ Mais tu vas où ?
⎯ Prier, c’est comme ça, t’as rien à dire !

Allongée contre le lit de Steve avec une couverture, je dormirai


mieux qu’avec ce type, même si le sol est un peu dur. Il est préférable de
dormir, plutôt que de penser à cette nouvelle lubie. Demain, sera un
nouveau jour.

⎯ Réveille-toi, Marie, c’est l’heure.


⎯ Un ! quoi ?
⎯ On va à l’église, il est huit heures et demie, le temps de nous
préparer, y faut y aller. Regarde, Steve est réveillé.

Je ne lui décrocherai pas un mot, il a été ignoble cette nuit. Oh !


mon pauvre Steve, viens dans les bras de maman, je t’emmène dans la
salle de bain pour faire ta toilette…

Voilà, tu vas être beau comme un ange, tu vas rendre jaloux le


curé.

⎯ Je te sers ton café, Marie ?... Pourquoi tu ne me parles pas ?... Y


en a marre, de toute façon, on va à la messe.

Cause toujours, moi je me tais, c’est bon pour la méditation.

⎯ Si t’es prête, on y va… Bon Dieu, tu pourrais dire quelque chose,


au lieu de me laisser faire les questions et les réponses… je mets mon
manteau, tu me suis avec Steve ?

Ça n’a l’air de rien, mais ne pas parler, n’est pas si simple,


j’aurais envie de l’envoyer balader et lui dire le fond de ma pensée. Je
me retiens, il en serait trop heureux. Je le suis, c’est tout…

118
⎯ T’es bien sage, Steve, tu fais comme ta mère, tu ne parles pas ce
matin. Regarde, nous sommes arrivés, devant nous, c’est l’église. Tu
vois à l’intérieur, il y a une croix, des belles décorations, un autel, pour
dire la messe, des chandeliers et des bougies et quantité de choses très
intéressantes. Je crois que ça va te plaire… Tu vois, Marie, il me fait un
grand sourire, il est content de venir ici.

Nous entrons dans l’église, tu tiens fièrement Steve par la main et


tu vas te placer au deuxième rang, juste devant autel, en bout de rangée.
Je m’assois sur le siège juste derrière Steve… le prêtre se tient prêt à
faire son sermon. Curieux, je trouve Steve bien nerveux, il donne des
petits coups de pied sur la chaise devant. La femme assise commence à
remuer la tête. Et voilà le rituel commence. Oh ! non Steve, tu viens de
donner un coup de pied plus fort et la dame se retourne. Gary à l’air
gêné, mais il ne dit rien. Toi, bien au contraire, tu fais un grand sourire.
Eh ! maintenant tu te lèves sur ta chaise. Le curé te regarde. La dame se
retourne encore et lance un regard plus dur sur ton père.

⎯ Sois sage, Steve.


⎯ PAPA, PAPA.
⎯ Chut, mais tais-toi, tais-toi !

Je rigole en mon for intérieur de voir ton père essayer de te faire


tenir tranquille sans trop faire de bruit. Oh ! non, maintenant tu te mets
debout sur ta chaise et tu me regardes.

⎯ Maman ! igolo le monsieur.

Et tu pointes du doigt le prêtre dans son habit d’apparat. Je crois


qu’il a repéré Gary et il le fusille des yeux. Ça fait mauvais genre pour
un homme d’église.

⎯ Reste tranquille Steve, papa n’est pas content.


⎯ Papa, maman, monsieur, pas content, pas content.

Tout le monde se retourne cette fois, il ne me regarde pas, mais


Gary est maintenant repéré.

⎯ Mes chers enfants, lorsque Jésus pénétra dans le temple avec ses

119
disciples…

Et voilà, Steve sort du rang et se promène dans l’allée. Il s’arrête


devant un homme âgé qui a laissé une paire de béquilles sur le côté de sa
chaise… et, ça y est, il les fait tomber et le bruit résonne dans toute
l’église. T’es obligé d’y aller, Gary. Il faut ramasser les cannes de
l’handicapé.
⎯ Allez, viens, Steve, on s’en va, il faut partir.

Bon, j’ai plus qu’à me lever aussi, il faut savoir être bon joueur et
quitter la partie lorsqu’elle est perdue pour nous, ou plutôt pour toi,
Gary. Nous quittons l’église devant les regards de toute l’assemblée.
Gary tu ne sais plus où te mettre, mais je jubile. Je crois que si je ne sors
pas immédiatement, je vais m’écrouler de rire devant tous. Enfin,
dehors.

⎯ Alors, Gary, mon amour, as-tu choisi la date du baptême ? doit-on


inviter tes parents ? les dragées et les faire-part dois-je m’en occuper ?
⎯ Oh ! ça va. Je vois que tu as recouvré la parole. Je ne mettrai plus
jamais les pieds dans une église. Je ne sais pas ce que tu as fait manger à
ton fils, mais t’as gagné.
⎯ Je n’y suis pour rien, c’est Steve qui a fait son choix, comme je te
le disais.
⎯ Papa, papa, maman, pas belle église.
⎯ Tu vois, c’est comme ça !
⎯ Bon, ça va, on rentre…

Steve, mon amour, depuis que je te connais, tu n’as jamais porté


dans ton cœur tout ce qui avait rapport de près ou de loin au culte. Le
prêtre de Vinas est venu te voir une fois, pour te demander de participer
à la fête du patronage, mais il est vite reparti un peu dépité, tandis que
toi tu rigolais. As-tu été baptisé ou cette journée a-t-elle réellement
existé, je ne sais pas, tout comme je ne sais plus où est ma vraie vie. Je
pense que, néanmoins, le baptême tu l’as obtenu le jour où j’ai quitté la
maison. Je ne sais plus exactement quand je t’ai quitté, je crois qu’il y a
plus de deux ans et demi. Je m’imagine que ce fut un choc terrible de me
voir disparaître aussi rapidement. J’espère que, malgré mon absence, tu
ne m’oublies pas et que tu retrouves ton passé tel que je le vis
aujourd’hui. Je souhaiterais te dire combien je t’aime comme épouse et
que malgré ton absence, il m’est impossible d’oublier ce que nous avons

120
vécu car tu es avec moi différemment. Aujourd’hui, malgré tout, j’irai
jusqu’au bout avec l’enfant car il est le futur que je prépare. Pourvu que
tu puisses entendre ma voix te souffler dans l’oreille que je suis ton
cœur, ta lumière. Je te sonde par le passé et lorsque je reviendrai, je te
donnerai le livre de ta vie. Ce que j’aime dans cette nouvelle vie, c’est
que je te parle et tu peux entendre ma voix te guider, t’apprendre et
t’aimer. Gary ton père est un lourdaud, il voulait te transmettre ses
conviction aujourd’hui, mais le baptême qu’il espérait s’est transformé,
d’un simple baptême d’eau, en baptême de feu, car aujourd’hui, malgré
tes deux ans et demi, tu nous a montré que ta voie était déjà tracée au-
delà des sentiers habituels. As-tu pris conscience qu’une force te guide
depuis ta naissance. Accepte en toi ce qui ne vient pas de toi, tout
comme mon amour t’enveloppe alors que tu ne le vois pas.

Prise de Conscience
⎯ Salut, ça va ?

Tout va bien pour moi ! j’ai couru après un mec que j’ai foutu à
la porte, j’ai cassé ma bagnole, j’ai été crucifié et maintenant te voilà,
tout juste si tu ne me souhaites pas la bienvenue.

⎯ M’ouais !

J’aurais presque envie de rire de voir dans quelle situation, tu t’es


mis.

⎯ Ça vous arrive souvent de vous payer des calvaires dans le coin ?


Seriez-vous un peu réfractaire à la religion pour l’avoir mis en morceaux
comme ça ?

J’ai réussi à te rattraper, mais tu me coûtes cher.

⎯ Oui ! à chaque fois que je cours après des illuminés pour les
rattraper. Et j’avais envie de le dégommer depuis longtemps, ça me
démangeait ! vous savez, les croyances et moi, on n’est pas copains. Je
crois que c’est de naissance.

Toi, t’as passé un mauvais quart d’heure après m’avoir laissé


partir. Pour foncer comme tu l’as fait, je ne serais pas étonné qu’il ne te
reste que les moignons au bout des mains tellement t’as dû te ronger les

121
ongles.

⎯ Vous vous êtes emballé tout à l’heure, vous devriez maintenant


savoir qu’on a toujours tort de s’emporter, ça a toujours des
conséquences fâcheuses. Bon, il ne faut pas rester là, si vous n’êtes pas
trop sonné, venez m’aider à mettre sur le côté la croix en fer, elle n’est
pas très légère. Et si votre voiture redémarre, rentrons chez vous.

Toujours raison ce mec. En tout cas, j’ai même pas besoin de lui
demander de revenir, il le fait tout seul.

⎯ D’accord, rentrons à la maison, il n’est même pas midi et, déjà, la


journée est vraiment mal engagée depuis que je me suis réveillé, je ferais
mieux d’aller me recoucher.

Le pauvre, il met toute sa volonté pour lutter contre la vérité


évidente qui illumine sa conscience. Je dois l’aider du mieux possible, ce
n’est pas gagné, mais je dois le convaincre d’accepter complètement le
changement qui s’établit au fond de lui, sinon ce sera pour lui beaucoup
de souffrance.

⎯ J’ai de la chance, Jacques, ma voiture démarre. Mais côté


carrosserie, elle est au plus mal.
⎯ Steve, il faut arrêter de lutter, vous devez admettre l’évidence.
Ensemble, en quelques heures, nous avons ouvert une porte d’où s’est
échappé un nouvel élément dans votre conscience. Peut-être est-ce parce
que Clara est parti ou qu’elle s’est transformée ces dernières heures et
qu’elle vous échappe pour la première fois. Son absence crée un vide
que vous tentez de combler. A sa manière, la conscience se met à la
place de l’absente. Ce n’est pas négatif, au contraire. Avant de retrouver
Clara, vous devez la recréer en vous.

Je sens que je vais devoir subir les sermons de Jacques toute la


journée, c’est bien parti.

⎯ Bon ! on y va avant que le moteur ne rende l’âme, tout comme


moi.

Pas évident de devoir laisser s’installer un autre joueur en soi


dans cette partie d’échecs où la conscience et la mémoire en sont le but.

122
Tu joues en force, mais à la fin, échec et mat, le roi est décapité par le
fou, la partie est finie. Dans cette partie, tu es le roi, moi, je suis le fou
venu sauver la reine.

⎯ D’accord, je vous suis, mais doucement, il n’y a personne à


rattraper.

« Rattraper, tu as réussi, bravo Steve, et tant pis pour la voiture, elle n’a
guère de valeur contrairement à ce que tu as fait. Je ne suis pas pour toi
brimade, mais nécessité. Et lorsque tu fais un pas pour moi, j’en fais
deux avec toi. Ressens ma chaleur, elle te nourrit si tu es proche de moi.
Laisse toi guider, je ne te ferai jamais tomber. Maintenant, ouvre ta
porte à l’étranger et accepte le. »

Durant ces heures, j’ai vécu ta naissance, je t’ai senti marcher en


moi, puis je t’ai entendu. Le baptême vient juste de me consumer. Alors,
je t’ai écoutée et tu m’as consolé. Oh ! étrangère, viens partager le
couvert, j’ai une place libre aujourd’hui.

Tu es bien calme sur la route du retour, cet accident n’est pas


venu pour rien, je le sens. Nous voilà revenus chez toi. Moins d’une
heure, sortis, mais un grand pas franchi ! Ouvre les yeux maintenant.

⎯ La voiture ne m’a pas lâché cette fois. J’ai eu de la chance, ça


aurait pu être plus grave. Mais j’ai mauvaise conscience d’être rentré
sans avoir déclaré l’accident à la commune.
⎯ C’est dimanche, la mairie est fermée.
⎯ Vous avez raison, j’irai mardi et je payerai les réparations.

Clara, tu n’es toujours pas rentrée. Comme tu me manques,


j’hésite entre angoisse et bonheur pour toi de te savoir ailleurs. Mais
quel ailleurs ? que fais-tu à cet instant ?

⎯ Ma maison est toujours vide, Jacques. Même pleine d’invités, sans


Clara, elle le serait encore. Il me manque l’essentiel pour être heureux.

Lorsque j’étais séparé d’Aqualuce, j’étais dans son état. Nous


sommes restés séparés près de deux ans. Il m’a fallu la reconstruire en
moi, avant de la retrouver. Ce n’est qu’au jour où mon esprit s’est ouvert
à une autre vision du monde que j’ai pu la rejoindre. Peut-être devrais-je

123
aider Steve dans ce sens, je pense que bien je pourrais lui éviter bien des
souffrances si mon expérience est mise à profit pour lui et pour d’autres.

⎯ C’est le week-end, je peux rester avec vous si vous le souhaitez en


attendant Clara, au pire, je partirais avant que vous ne repreniez vos
consultations.
⎯ Jacques, il y a un moment pour l’orage et un autre pour le beau
temps. Tout ce que j’ai fait depuis votre arrivée n’est que réaction
instinctive d’un homme qui ne veut pas changer. Je regrette mes sautes
d’humeur et je vous demande de rester jusqu’à son retour. Il est vrai que
mon inquiétude est très grande, je me soucie de l’absence de ma femme
depuis hier soir, je ne trouve pas ça très normal. Le trouble profond que
je ressens est-il en rapport avec sa disparition, il y a un mystère qui me
dépasse.

Cette découverte en toi te bouscule ! Je ne suis pas dans la peau


de Clara, mais à sa place, je serais déjà parti depuis longtemps pour que
tu ouvres les yeux sur les autres et toi-même. Je pense qu’elle a profité
de l’occasion pour partir et te laisser seul devant ta réalité.

⎯ D’accord, Steve, je reste. Mais, s’il vous plaît, retenez-vous, ne


me renvoyez plus toutes les cinq minutes. Maintenant, admettons que
nous restions ensemble pour quelques heures ou plusieurs jours,
qu’allons-nous faire ensemble, de quoi peut-on parler ?
De la pluie et du beau temps, d’Internet, d’informatique, de médecine ou
des maladies de vos patients ?
Je me demande si tous ces sujets ont un intérêt pour nous ?
La réalité est que, depuis hier, votre vie semble moins stable qu’elle ne
paraissait. Clara n’est plus ici et sa disparition a fait apparaître en vous
une ouverture, une pensée extrahumaine. Parlez-moi un peu de vous, que
ressentez-vous à cet instant ?
Pourquoi sommes nous ici ensemble, qu’elle est le but commun qui nous
rapproche ?
Toutes ces questions, Steve, tâchons d’y répondre si vous le souhaitez.

Vider son sac, c’est ça ! étaler tout ce qu’on a sur la table et sous
la table. Sans oublier de vider ses poches afin d’être plus léger.

⎯ Ma tête est pleine, mon cœur est débordant de souffrance et


d’amour. J’ai tout un univers en moi qui n’a jamais pris l’air. Si je le fais

124
sortir, j’ai peur qu’il s’évapore.

Enfin tu touches l’essentiel, tu perçois le but. Perdre tes concepts,


perdre tes repères, tes illusions et tes attaches faire sortir ton monde
intérieur pour s’apercevoir qu’il n’a jusqu’à présent, jamais existé. C’est
le plus difficile à réaliser, pourtant le plus important. Pour que ta
conscience retrouve sa place, elle devra trouver un terrain défriché,
labouré et irrigué. A ce moment, ton âme retrouvera sa dimension
perdue et pourra enfin s’ouvrir à un autre univers ; celui de la véritable
raison humaine, débarrassé de tous ses fantômes et de ses repères
innombrables. Une vie parfaite en soi, que rien au monde ne peut
annihiler pour ceux qui l’ont découverte. Cet état, nommé LIBERTE.

⎯ C’est exactement ça, Steve, vous avez mis le doigt sur le but à
atteindre, pour nous. La liberté ne peut être atteinte que par l’abandon de
tous nos rêves et de ses concepts. Votre ciel intérieur doit s’évaporer,
vos étoiles ce dissiper afin que ne reste plus qu’en vous une seule étoile,
la vérité de votre esprit, l’étoile du matin, l’étoile du berger. Lorsque
vous ne serez plus que cette enveloppe vide, vous suivrez votre guide
jour et nuit et devant vous, le monde changera partout où vous irez,
comme les Rois Mages le firent à leur époque pour trouver l’Enfant Roi.
⎯ Ça veut dire quoi, Jacques ?
⎯ Votre conscience qui s’est animée depuis hier travaille à se faire
une place. Si elle s’est éveillée, c’est qu’en vous quelque chose le désire.
En votre for intérieur, ce désir a toujours existé. Devez-vous rejeter
immédiatement cette force nouvelle qui s’est installée en vous, ou
voulez-vous collaborer avec elle ? C’est la question. Dite-moi, Steve, ce
que vous avez décidé ?

Jamais, je n’ai été confronté à une telle question. Comment, hier


midi, lorsque je déjeunais avec Clara, aurais-je pu me douter que le
lendemain un homme aurait pris sa place pour mettre devant moi la
photo d’un cadavre se croyant encore vivant ? Si je vais au fond de moi
et que je regarde bien, qu’y a-t-il de vivant ? Après un retour sur moi et
avec certitude la réponse est RIEN, car tout dans l’homme n’est que
mort, la lutte dans la société, sa combativité, ses amours, ses désirs, tout
n’est que mort, même moi, médecin, je tue plus que je ne soigne car mes
patients finissent tous au fond d’un trou un jour. Je n’ai jamais guéri un
malade, car je ne connais pas le remède. RIEN, sauf ? Sauf qu’au fond
de moi, une voix parle, cette voix n’est pas de nature humaine, elle est

125
comme la vérité et la justice. Elle est le renouveau de mon esprit. Si j’ai
un choix à faire c’est pour elle que je veux vivre. Je la reconnais, elle est
ma conscience, la vérité de mon profond intérieur. Je connais au fond de
moi la direction que je dois suivre, cela depuis la première heure, bien
avant que tu viennes. Je l’avais jusqu’à présent rejetée car elle ne me
parlait pas vraiment. Ta présence l’a révélée.
⎯ Jacques, je n’ai pas le choix, je dois suivre la voix intérieure qui
me parle, car elle vit en moi. Elle me trouble, elle est comme un
aiguillon lorsque je suis contre elle. Je crois voir Clara, quand cette force
se manifeste et c’est aussi comme si je l’entendais. Mais, Jacques, que
dois-je faire avec ?

Tu reconnais son existence, un grand pas est franchi, mais tu


n’en es qu’au début du parcours, car tu devras de plus en plus vivre avec
à chaque parole prononcée, jusqu’à ne former plus qu’un, elle et toi.

⎯ L’écouter, simplement l’écouter.

Écouter ! mais c’est simple, je peux le faire sans aucun problème.


C’est comme si j’allumais mon poste de radio et voilà le fond sonore qui
accompagne ma vie, c’est pas compliqué. J’ai plus besoin de toi,
Jacques, salut !

« Tu recommences, t’as pas encore compris qu’écouter n’est pas comme


entendre. Je ne suis pas là pour la mélodie, mais pour que tu fasses ce
que je te demande. Je n’ai pas pour vocation d’être une artiste de
variétés. Je suis un chef d’orchestre, tu devras suivre ma baguette. »

⎯ Mais, l’écoutant, je devrai lui être dévoué, que restera-t-il de


moi ?? je ne serai plus qu’un exécutant sans saveur, sans personnalité, je
ne serai pas toujours d’accord avec cette voix intérieure et je souffrirai
parfois car la partition qu’elle jouera ne sera pas continuellement à mon
goût.

Toujours ce doute en toi ! Comme tu dois souffrir de cette lutte


incessante.

⎯ Cette voix, vous le savez, est le reflet de votre for intérieur ;


comment ne pas être d’accord avec ce qui est pour nous notre intérêt
vital. Les animaux suivent leur instinct pour se nourrir, s’abriter et aussi

126
pour se reproduire. Ils suivent l’intérêt de leur nature. Votre voix
intérieure est comme ces animaux, elle poursuit son but, elle sait où elle
doit vous conduire, vous, non. Arrêtez de vous poser encore des
questions qui vous font plus souffrir qu’elles n’apportent de réponses.
Soyez attentif.

Ce que j’entends en moi peut se tromper et m’égarer. Je peux


croire entendre la voix de la conscience, alors que c’en est une autre,
moins bien intentionnée.

⎯ Comment être sûr que notre conscience nous guide dans la bonne
direction ? ça peut être autre chose. J’ai étudié la psychiatrie, parfois des
hommes suivent leur instinct intérieur, qui se révèle être une grande
folie. Certains vont jusqu’à tuer, pris par la démence, ceux-là se laissent
guider par leur voix intérieure. Nous pouvons suivre notre voie sans
qu’elle soit de nature véritablement libre et saine. Il y a de multiples
voies au fond de l’homme et, suivant notre nature, nous trouvons celle
qui correspond à ce que nous attendons. La voix que j’entends depuis
aujourd’hui n’est peut-être que celle d’une nostalgie. Tout comme vous,
qui êtes éperdument amoureux de votre femme, recevez les voix et les
pensées que vous projetez dans votre conscience. La question est,
comment déterminer la véritable voix intérieure qui soit le fondement de
notre vocation humaine ? Comment savoir si elle est pure et si ce n’est
pas encore un piège tendu par le subconscient ?

Oh ! Steve, cette question est très pertinente, tu soulèves un


problème qui est un véritable traquenard pour tous les humains, car
chacun crée son univers et sa conscience intime. Comment déterminer la
Conscience véritable, d’une conscience ordinaire. Je vais tenter de te
l’expliquer pour que toi-même tu ne tombes pas dans le piège, tout
comme moi, dans ma vie, j’ai été confronté à ce problème.

⎯ Steve, j’aime lorsque vous plongez dans la matière même des


problèmes, vous avez déjà une conscience très affûtée, c’est un avantage
pour vous, car vous n’aurez pas à en vivre l’expérience, puisque la
réponse, vous la possédez déjà.
⎯ Comment ça ?
⎯ Pour cela, il faut plonger dans l’univers de vos pensées, l’intimité
de votre conscience, pour vous replacer dans l’espace. Il nous faut
trouver le pont entre notre monde et le domaine de la liberté et de la

127
vérité. Trouver Clara à travers les imposteurs. Trouver la lumière à
travers l’imitation. Réfléchissez un instant, faite une plongée en vous-
même.

***

Steve, c’est demain ton anniversaire, tu vas avoir trois ans,


comme tu as grandi depuis le jour où je t’ai vu naître. J’ai vécu avec toi,
enfant, plus que lorsque tu étais un homme mûr. Je te connais plus que
lorsque j’étais ta femme. J’ai le souvenir total de ta naissance, j’ai été la
sage-femme, maintenant la mère, j’en suis intimement certaine, mon
corps entier à garder intact le souvenir de ton passage dans mon utérus et
j’ai été aussi les mains qui t’ont libéré de mon corps. Comme je suis
heureuse de pouvoir te voir grandir depuis ce jour. Je ne regrette pas
d’avoir franchi ce passage mystérieux qui fait que je suis ta mère. Je vis
avec ton père, cet homme avec qui je me bats en permanence pour que tu
puisses grandir librement. Si je n’étais pas là, il t’aurait déjà refait
plusieurs fois à son image et tu serais bientôt son reflet, comme dit le
proverbe "Tel père, tel fils". Je ne veux pas que tu lui ressembles, tout
comme je ne veux pas t’imposer mes idées, mais juste t’aider à vivre par
toi-même pour que, lorsque tu seras adulte, tu trouves ton véritable
équilibre sur la terre et que tu sois libre de toutes les contraintes du
monde. Ce soir, comme tu dors, je te prépare un gâteau, un beau gâteau
d’anniversaire comme tu les aimes, avec des machmalows et du
chocolat. Ton père rentre tard, il avait un test sur un appareil à la base
Edouard. J’ai un peu de temps devant moi et je suis tranquille. Non ! pas
vraiment, je crois entendre la porte s’ouvrir. Gary est donc déjà de
retour, c’est curieux.

⎯ Bonsoir, Marie.

Oh ! à ton air, tu n’as pas eu une bonne journée. Tu ne sembles


pas du tout dans ton assiette.

⎯ Ça ne s’est pas bien passé ton déplacement en Californie ?


⎯ Fiche-moi la paix, c’est pas ton problème.

Quand il me parle comme ça, c’est que rien n’a été dans son
sens. Il a dû subir un échec personnel, plus que professionnel.

128
⎯ C’est l’anniversaire de Steve demain, j’espère que tu ne l’as pas
oublié ?
⎯ J’m’en fous.

On peut avoir passé une mauvaise journée, s’être fait engueuler


par ses patrons, avoir perdu son portefeuille avec ses cartes de crédit,
mais se foutre de l’anniversaire de son fils, çà non ! je ne peux pas
accepter cela même d’un père abruti, il y a des limites. Depuis toutes ces
années passées avec lui, je me demande ce qu’il peut y avoir d’humain
en cet homme, comment ai-je pu tomber amoureuse de lui ?

⎯ Je me fous de tes problèmes et je me fous de tes avions, je me


fous de ta vie je me fous de ton amour. Mais je ne me fous pas de ce que
tu oublies notre fils et que tu le jettes comme un mégot de cigarette. Tu
peux repartir d’où tu viens, je n’ai plus besoin de toi, tu n’es plus le père
de l’enfant qui dort dans la chambre à côté. Il y a une grande valise au-
dessus de l’armoire de notre chambre. Je te la laisse.
⎯ Mais !
⎯ Mais ! t’as rien à dire de plus, t’en as déjà trop dit.
⎯ Bon sang, écoute-moi au lieu de m’envoyer balader. J’ai mes
raisons, si je ne suis pas à prendre avec des pincettes.
⎯ Ça va, t’as toujours une bonne raison de ne pas considérer ton fils.
Toutes tes mauvaises pensées sont justifiables, t’as toujours une excuse.
J’en peux plus, fiche le camp.
⎯ T’es tombée sur la tête pour me dire ça ? tu ne sais pas comment
ma journée a pu être éprouvante. Pour toi c’est facile de voir ça de ta
fenêtre, tu restes tranquille à la maison, tu ne travailles pas, t’as toujours
de l’argent et tout ton temps pour faire des gâteaux pour l’anniversaire
de ton fils. Moi, je bosse du matin au soir avec des cons et des
problèmes plus difficiles que des recettes culinaires.
⎯ T’es qu’un salaud, un macho, j’en ai plus qu’assez, tire-toi.
⎯ Ça suffit, calme-toi, prends celle-là !...
J’vole, j’tape, j’tombe. Oh !
J’ai la tête qui fait mal, j’ai la joue et le crâne qui brûle. Je suis par terre,
c’est la cuisinière qui était sur le passage. Il y a du sang sur le coin du
fourneau, il y a du sang qui coule sur mon front. Et toi, Gary, tu me
regardes l’air hagard, tu m’as frappée de toute ton énergie, tu ne voyais
plus ta femme, mais toutes tes pensées, toutes tes tensions, tous tes
fantômes concentrés sur moi. Je suis blessée, mais ce n’est pas comme

129
ça que tu me feras plier. Je vais te tenir tête encore plus, notre vie de
couple ne fait que commencer. Si je voulais te chasser, il y a un instant,
ce n’est plus le cas, car je reste avec toi pour te dresser. Il n’est pas
question que notre fils ait un père irresponsable. Tu seras un bon père ou
rien, ce sera ton destin avec moi. Je vais te vider de tes mauvaises
pensées, je vais t’apprendre à vivre avec les autres, à donner, à aimer. Je
serai ta croix, ton calvaire. J’en fais le serment. Déjà, tu regrettes ton
acte, je sens tes bras me prendre et me porter, je vois tes larmes couler.
Tu m’enserres, pour me consoler. J’ai la tête qui tourne, je me sens
légère, je crois que je m’envole, je ne vois plus rien, rien, rien…

⎯ Réveillez-vous, madame, ouvrez les yeux.


Qui me parle, que m’arrive-t-il ? C’est qui ce bonhomme ?
⎯ Vous allez bien, madame ? vous n’avez pas trop mal à la tête
j’espère, car j’ai dû vous faire neuf points de sutures sur le crâne. Restez
allongée reposez-vous jusqu’à demain. Je vais vous donner un somnifère
pour que la douleur ne vous empêche pas de dormir cette nuit.

T’en fais pas, toubib, j’ai l’habitude d’avoir le crâne rasé et


recousu de tous les côtés, c’est une manie chez moi, j’ai déjà connu ça
dans mon autre vie.

⎯ Que fait Gary, docteur ?


⎯ Il est dans la cuisine, il répare les dégâts et je crois qu’il prépare
un gâteau pour votre fils, il m’a dit que c’est son anniversaire demain.
Comment est arrivé ce mauvais coup ?

Trop honteux pour l’avouer, Gary, je te reconnais. Si je veux, je


dis la vérité et les ennuis commenceront pour toi.

⎯ Lorsque j’ai entendu la minuterie du four sonner, je me suis


précipitée pour l’éteindre et j’ai glissé, suis tombée, puis je ne me
souviens pas.
⎯ Je vois, la marque sur votre joue, c’est le robot pour la crème.
⎯ C’est ça, docteur, c’est le robot.
⎯ Alors un conseil, ce type d’instrument est dangereux lorsque
qu’on le manipule sans ménagement, soyez prudente la prochaine fois
que vous déraperez. Car parfois les séquelles sont plus importantes
encore. Ce soir vous y avez laissé des cheveux car j’ai dû dégager la
plaie ; une autre fois ce sera peut-être plus grave.

130
Tu n’es pas un idiot, tu as parfaitement compris notre cinéma,
mais tu restes discret.

⎯ Être une femme au foyer n’est pas sans risque, docteur, car on
manipule une quantité d’instruments parfois dangereux dont les époux
n’ont pas conscience, hélas. Mon mari pense que c’est facile d’être ici à
longueur de journée. Je le mets au défis de me remplacer un jour
complet.
⎯ Silence, il revient vers nous.
⎯ Elle va bien, docteur ?
⎯ Demandez-lui vous-même, elle est bien éveillée maintenant. Du
reste, je vous laisse, votre femme est un peu sonnée, je crois qu’elle
souhaite rejoindre son lit.

Tu paies le docteur et tu le raccompagnes à la porte. Maintenant,


te voilà devant moi.

⎯ Marie, j’ai rangé la cuisine et j’ai terminé le gâteau pour Steve. Il


n’est pas aussi bien réussi que les tiens, mais j’ai fait de mon mieux.
Pardonne-moi Marie, j’ai été un imbécile. Je suis allé trop loin,
pardonne-moi.

Ne lui laissons pas l’occasion de se pardonner lui-même.

⎯ Je te pardonnerai lorsque tu aimeras véritablement notre enfant et


que je n’aurai plus cette blessure au fond de mon âme, plus forte que
celle du sommet de mon crâne. Si je voulais, je pourrais aller porter
plainte à la police, mais je n’en ferai rien, je ne veux pas que notre
enfant souffre d’avoir un mauvais père ou de nous voir séparés. Allons
nous coucher, tu me raconteras ta journée.
⎯ Comment ai-je pu m’emporter ? Tu prépares la fête de notre fils et
moi j’arrive et je fous tout par terre, toi avec. Je ne sais pas pourquoi,
mais depuis que Steve est avec nous, tout a changé entre nous.
PourquoiI? avant lui, tout ce que je voulais, je l’avais, tous mes désirs, tu
les assouvissais tu étais avec moi la partenaire parfaite. Depuis trois ans,
tout change, pourquoi ?

Tiens ! tu t’aperçois du bouleversement ! il en est temps, notre


enfant est arrivé il y a juste trois ans, comme le messager du

131
changement. Il est né comme je me suis éveillé. Toi, tu étais là, bien
installé dans ta vie, tu l’aurais bien continué comme ça encore longtemps
croyant rester impassible, depuis que tu es né dans l’éternité paisible de
ta domination et de tes désirs. Je suis venue te déraciner de tes principes
et en même temps sauver mon enfant de ton emprise et de celle du
monde. J’agirais sur Steve en tant que mère et comme guide pour sa vie
future. Alors que toi tu es venu pour qu’il serve ta lignée et qu’il
devienne l’esclave de ta famille, un être que l’on domine par le désir et
les illusions. Gary, tu seras le dernier des générations d’O’Connor à
porter cette malédiction. Comme je ne suis pas de ceux qui imposent les
règles à suivre, je laisserai Steve libre de ses choix et il saura lui-même
quelle direction prendre le moment venu. Il saura reconnaître le faux du
vrai, il saura de qui, de toi ou de moi, il devra entendre la raison.

⎯ Mais, Gary, une naissance est toujours signe de changement, un


enfant sur terre ne naît jamais pour un plaisir éphémère, c’est pour tous
une charge à porter pour la vie. De ce fait, pour le couple c’est un
bouleversement dans ses habitudes et sa mentalité. Pour ma part, à la
minute où Steve est né, j’ai senti toute ma conscience changer, comme si
une nouvelle femme s’était installée en moi. Tu comprends, je ne suis
plus la même. Il faut que tu te fasses une raison. J’ai pris conscience,
lorsque j’ai vu Steve sortir d’entre mes jambes, que je n’étais plus une
jeune femme mais une mère. Le problème, pour vous les hommes, est
que jamais vous n’enfanterez.
⎯ Pourquoi changer une vie qui nous convient ? Un enfant n’est pas
nécessairement là pour changer ses parents s’ils ont déjà trouvé
l’équilibre. Moi, je n’ai jamais désiré le changement, pourquoi devrais-je
changer ?

Hélas ! tu te complais dans ta posture depuis si longtemps qu’elle


te paraît naturelle. Pour toi, changer correspond à renoncer à tous tes
avantages naturels, en quelque sorte l’abandon de ton royaume intime.
Pour ça, tu n’es jamais prêt et lorsque tu vois devant toi un flambeau de
lumière qui s’allume dans ta vie, tu te précipites pour l’éteindre ; si
jamais cette flamme persiste, alors tu entres en conflit avec elle pour la
souffler. Tu es malin car plutôt que de venir vers moi violement, sauf
pour ce soir, tu essaies de me séduire afin de m’entraîner dans tes
pensées ; tu es le roi de l’illusion. Mais cette gifle, ce soir, t’a fait sortir
de ta tanière, elle a été douloureuse pour moi, mais pleine
d’enseignement, car je sais à qui j’ai à faire et maintenant, je me tiens

132
sur mes gardes.

⎯ Parce que j’en ai le désir, et tu devras aussi un jour le trouver au


plus profond de ton être, mais tu ne le sais pas encore. Si je me suis
mariée avec toi, c’est pour une vie exceptionnelle qui dépasse les limites
de la famille, pour un changement, autant pour moi que pour toi. Tu
crois que notre vie a toujours été équilibrée ! tu te trompes radicalement,
car j’en ai pour preuve notre instabilité chronique par nos divergences.
Le désir d’enfants que j’ai n’est que le reflet d’une vie qui se cherche ;
oh ! bien sûr, toi tu ne le désirais pas vraiment cette enfant et n’avais pas
envie de changer. Mais le fait que tu exiges la performance avec tes
avions, est la preuve que tu n’es pas vraiment satisfait de toi. Tu devras
changer parce que tout ce que tu crois être n’est pas. Ta vie t’entraîne
vers une mort certaine à plus ou moins long terme.
⎯ Tu dis n’importe quoi, si j’ai fait un enfant avec toi, c’est parce
que je le désirais, j’ai toujours rêvé d’avoir un fils pour lui apprendre à
piloter des avions, lui montrer tous ce que je sais faire et connais. C’est
toi qui mets des barrières à tout ce que je peux lui apporter. Tu ne te
rends pas compte comme j’aime cet enfant, la preuve, le jour où j’ai
voulu le baptiser, c’est toi qu’as refusé. Autrefois, lorsque nous étions
deux, tu m’aimais, j’aurais jamais dû te faire ce gosse, on était mieux
avant.

Mais dans la même phrase, tu te contredis, tu ne sais pas où tu


vas ! un coup à droite, un coup à gauche, le tout étant de t’en sortir à la
fin, quels qu’en soient les moyens. Sais-tu qui te gouverne au fond de
toi, à quelle pensée tu te relies à chaque fois que tu es mauvais ou bon.
As-tu conscience de la tourmente dans laquelle tu vis à chaque seconde ?

⎯ T’es capable de dire noir et blanc dans la même minute. Ce que tu


désirais de cette enfant, c’est uniquement de voir ta pensée se perpétuer
et non offrir une possibilité de bonheur à une autre âme. Faire un enfant,
c’est pour toi renforcer ton pouvoir et ta domination et comme Steve je
le protège de toi, tu deviens mauvais, tu t’énerves et frappes à la fin.
Regarde mon crâne, tu peux être fière de toi, c’est ça ton amour et tu le
confirmes par un "j’m’en fous". Soit ! tu étais mon amant avant d’avoir
Steve, mais maintenant, tu es un père et c’est bien différent. Ce que
j’attends du père ne peut être accompli par l’amant. Le jour où tu seras
un véritable père, je serais ta maîtresse.
⎯ Je ne te laisserais pas monter notre enfant contre moi, je ferais tout

133
ce que je peux pour qu’il m’aime, qu’il m’écoute et m’admire. Essaie de
lui montrer exclusivement ta pensée, je serais là pour lui montré la
mienne plus encore que toi. Je veux faire de mon fils un homme à mon
image. Tous les pères font comme moi, je ne suis pas un cas unique,
alors pourquoi voudrais-tu changer ce qui a toujours été ?
⎯ Demain, c’est l’anniversaire de Steve, il aura trois ans, il est
encore petit. Je veux qu’il en tire une grande joie, il commence à prendre
conscience de lui-même. Je souhaite qu’il te démontre que son univers
n’est pas le tien. As-tu prévu pour lui un cadeau ?
⎯ J’ai pas eu le temps ces jours-ci ! mais j’irais à la première heure.
⎯ Crois-tu que je t’ai attendu pour ça ? tout est déjà là. Ce sera la
fête, il y aura trois enfants avec lui pour jouer, les cadeaux avec en plus
le gâteau que tu as préparé. J’attends de voir comment le père va s’en
sortir !
⎯ Tu me déclares la guerre avec ton air de tout savoir. Je ne vais pas
m’en sortir avec notre fils, je vais littéralement le séduire. Tu ne me
connais pas encore, je suis capable de plaire plus encore que tu ne le
crois.

Je sais trop bien de quoi tu es capable. J’ai été placé devant toi
depuis trois ans, justement pour ça et Steve ne se laissera pas tromper, il
saura reconnaître le vrai du faux. Ce sera pour lui une qualité.

⎯ Je ne suis pas ici pour faire la guerre, je suis faite pour l’amour et
le bonheur de chacun, plaire et séduire n’est pas mon but. A vouloir trop
en faire, tu risques de te faire piéger. Je crois que le somnifère que le
docteur m’a donné commence à faire effet. Je vais devoir m’arrêter là, je
sens en moi le sommeil monter. Que cette nuit te porte conseil.

Ma peau recousue me tire un peu mais mes yeux ce ferment. Ce


mari, cet homme abject est totalement mon opposé, comme si mon
image inverse avait été prise pour modèle pour le créer. Mon esprit
s’allège et ma pensée s’enfonce dans la matière des rêves. Steve, comme
je pense à toi…

***

⎯ Je ferme juste les yeux et une pensée me traverse, comme un


échantillon de vie passée. Je ne sais pas si je l’invente ; ou est-ce ma
mémoire primitive qui resurgit ? Jacques, j’ai le souvenir précis d’un

134
événement qui s’est passé lorsque j’étais très jeune.
⎯ On vous l’a raconté dernièrement ou est-ce un éclair de mémoire
qui vous traverse ?

C’est mon imagination qui s’emballe, je n’ai aucun souvenir de


ma vie passée, tout ça n’est qu’une déformation de la mémoire par
l’imagination, c’est sûr.

« Tu ne vas donc pas lâcher tes concepts scientifiques qui


t’emprisonnent à chaque moment qu’une possibilité nouvelle s’offre à
toi. Maintenant, fais taire ton intellect et laisse ton cœur parler. Dis à
Jacques ce qui te vient à l’esprit »

⎯ Ce que j’ai à vous dire, est comme un geyser ; cette pensée dégage
en moi une chaleur sous pression. Je me rappelle très nettement, comme
si c’était hier, l’anniversaire de mes trois ans, ce doit être les premiers
véritables souvenirs de ma mémoire :
J’étais dans mon lit la veille lorsque j’ai entendu mes parents se disputer.
Il y avait des bruits et des cris, puis plus rien. Je me suis endormi et le
lendemain, lorsque je me suis réveillé, je suis allé voir ma mère dans sa
chambre, il était encore très tôt, je me suis précipité sur son lit, mon père
dormait encore. Maman était réveillée et lisait. Lorsqu’elle m’a vu
arriver, elle m’a fait un grand sourire, mais j’ai tout de suite remarqué
qu’elle n’avait que la moitié de sa frange qui recouvrait son front, l’autre
partie avait disparu sous un pansement qui lui montait au milieu du
crâne. Je lui demandais si elle avait bobo. Elle m’a dit qu’elle s’était
cognée en faisant mon gâteau hier soir. Je lui ai sauté dessus pour lui
faire un câlin.
Bon sang, Jacques, ce souvenir me semble tout frais, comme si c’était
hier.
⎯ De bouger la conscience, ça remue le passé. Vous rappelez-vous
la suite ?
⎯ Parfaitement. La matinée a passé comme pour un enfant, en
jouant. Mon père est parti juste après le petit déjeuner, pour faire une
course. Après le repas, papa n’était pas encore revenu, mais les petits
voisins que ma mère avait invités m’ont rejoint. Il y avait Jack, Gary et
Janette ; nous avions le même âge et habitions dans la même rue.
Chacun avait apporté un cadeau qu’ils déposèrent sur la cheminée ; ma
mère me glissa dans l’oreille que je les ouvrirais après avoir soufflé les
bougies de mon gâteau…

135
***

Les petits voisins sont là pour l’anniversaire de Steve, mais Gary


n’est pas encore rentré. Il est certainement en train de faire le tour de la
ville pour trouver le cadeau idéal pour notre fils. Je souhaite qu’il trouve
quelque chose de bien pouvant faire plaisir à Steve, tout ce que je
demande c’est qu’il prenne un jour conscience de son véritable rôle de
papa, un homme à l’écoute, prêt à se sacrifier pour son enfant, non pas le
contraire comme, hélas, il le fait si bien. Mais il pense plus à sacrifier
Steve à son intérêt, si je n’étais pas là, que resterait-il de notre enfant ?
Steve aime bien les autres enfants, je le vois maintenant jouer avec Jack
aux cubes. Janette est déguisée en fée et fait de la balançoire avec Gary.
Ils n’ont que trois ans, mais ils semblent avoir en eux une lumière que
nous les adultes, avons éteinte depuis longtemps. Je suis allée visiter
l’école maternelle où ils iront à la rentrée de septembre. J’ai vu les
enfants jouer et chanter ensemble. Je trouve ça merveilleux. A leur âge,
il y a encore une pureté que j’aimerais avoir gardée. Leurs pensées ne
sont pas chargées de méchancetés, de jalousies, de désirs, de rancunes ni
de tensions. Ils ont l’innocence de l’amour tel que nous devrions l’avoir
à nos âges. Être enfant est une grâce, grandir dans ce monde est une
malédiction. Que devient notre enfance, d’année en année ?
Grandir, c’est mourir à la Vie, à la joie et aux rêves, en tout cas sur cette
planète et dans notre civilisation. Qu’est-ce qui fait qu’un enfant en se
développant perd son pourvoir d’amour et brise sa liaison avec la
lumière qui semble le pénétrer lorsqu’il est nourrisson ? Moi, j’ai vu
Steve lorsqu’il est né, j’ai vu son regard. De ses yeux, j’ai été
transpercée par une lumière si profonde, c’était le cosmos qui
s’exprimait, ils m’ont montré un autre monde, une dimension nouvelle.
Cette lumière invisible au plus profond de ses pupilles a touché mon
cœur, j’en témoigne. Un enfant, nouveau-né, est un don de la vie, ce
qu’il y a de plus haut dans l’œuvre de la création sur Terre. J’ai compris
ce jour-là qu’une naissance signifiait le changement total pour une mère
et pour un père, nous devrions garder et faire briller cette lumière qui
sort de nos enfant que nous mettons au monde lorsqu’elle nous touche.
Nous sommes responsables de l’avenir de nos enfants, car peu d’entre
nous gardent cette liaison, cette lumière en eux ; de retour de la
maternité, nous avons tout oublié. Pour ma part, je l’ai gardée intacte
afin que mon enfant puisse, en grandissant prendre ce nouveau cosmos
comme guide.

136
Notre monde se perd par ce qu’il envisage pour nos enfants. Les parents
se trompent de but lorsqu’ils élèvent leurs rejetons. Si tous pouvaient
considérer le premier regard de l’enfant comme but à atteindre pour eux,
toute la nature terrestre serait changée. Je prie pour ne pas être la seule à
en avoir conscience et que le monde change par ces enfants qui seront
capables de déverser la lumière et l’amour, non plus comme enfant mais
comme adulte. Que leur lumière d’enfant reste leur lumière d’adulte. J’ai
entendu parler de cette nouvelle génération qui vient sur Terre, on les
nomme "Enfants Indigos".
De mon enfant, je ne ferai pas une marionnette bien obéissante, mais un
être libre de toute contrainte, ayant remplacé la pensée humaine par la
conscience. En grandissant, les enfants semblent être pris par des
démons qui se dégagent de leur subconscient et de leur passé. Ces
maîtres qui les dominent sont comme des pères aux volontés desquels ils
se plient, comme l’enfant devant ses parents, comme Gary tente de
l’obtenir de Steve. Je suis venu sur terre pour exprimer l’Amour et la
Liberté, je n’accepterai jamais qu’on entrave cette liberté. Je ne sais pas
d’où je viens, mais je sais où je vais. Gary, je vis avec toi, tu n’es pas ma
joie, mais je sais que notre destin est commun, c’est pour ça que je reste
avec toi.
⎯ Maman, papa est pas là ?
⎯ Il va revenir avec son cadeau, il est parti t’en acheter un. Si tu
veux, nous pouvons goûter, c’est l’heure.
⎯ Je veux bien, y a du gâteau ?
⎯ Tu vas souffler les bougies que j’ai mises sur ton gâteau, tes amis
t’ont apporté des cadeaux, et maman a aussi un cadeau pour toi.
⎯ Bizou maman, je t’aime, j’aime bien que tu restes avec moi
maman.
⎯ Je t’aime, mon grand garçon. Les enfants, venez à table, Steve va
souffler ses bougies.
Et comme par hasard, Gary revient, j’entends sa voiture…
⎯ C’est moi, papa, bonjours les enfants ! tu me fais un bizou Steve,
papa a un très très beau cadeau pour toi.
⎯ Un beau cadeau ? papa.
⎯ Ouais ! ouais !
⎯ Qu’est-ce que tu rapportes à Steve ?
⎯ Oh ! fous-moi la paix, ce n’est pas pour te plaire, c’est pour lui. Si
t’es pas contente, va voir ailleurs dans ta cuisine.

137
Tu me frappes, tu t’excuses et le lendemain tu recommences.
C’est ça ta vie. Tu n’apprécies pas que je prennes soin de notre enfant,
comment veux-tu que j’aime un homme comme toi ? Tu ne veux pas que
je reste car ton jouet sera peut-être sans effet avec moi. Comme tu
voudras, tu me chasses, je te laisse seul avec les enfants.

⎯ Oh ! mais, mon chéri, je vais immédiatement dans ma cuisine


pour faire la vaisselle et te préparer ton dîner. Amuse-toi avec les enfants
et essaies aussi de les amuser.
⎯ C’est ton cadeau le petit paquet posé sur la cheminée ?
⎯ Oui, pourquoi ?
⎯ Reprends-le, il n’amusera personne lorsque j’aurai déballé le
mien.

Comment pourrais-je avoir de la haine pour un homme tombé


plus bas que terre. Pourquoi devrais-je me battre contre ce qui n’est
même pas ennemi mais stupidité affligeante. Nous ne marchons pas sur
le même chemin, nous ne respirons pas le même air, son monde n’est
pas le mien, juste le temps et l’espace nous confondent.
Voilà qu’il quitte les enfants, déjà. Il sort. Maintenant, il revient avec un
paquet énorme qui ne doit son équilibre qu’à la robustesse de Gary.
⎯ Regarde, Steve, papa t’a rapporté un cadeau énorme. Asseyez-
vous les enfants, je vais allumer les bougies.

Il fait ça bien, il s’applique. Les enfants sont tout attentifs à ce


qu’il fait. Il semble les intéresser.

⎯ Qui veut du Coca ?

Ils sont tous amateurs, c’est facile de les séduire de cette façon.

⎯ Maintenant, Steve, souffle tes bougies, vas-y !

Allez, mon grand, montre à ton père que tu as du souffle du haut


de tes trois ans. Oui ! bravo, ce n’est pas facile d’éteindre ces trois
flammes d’un coup.

⎯ On chante maintenant !
Happy birthday to you, happy birthday to you.
Happy birthday to you, happy birthday to you.

138
Happy birthday dear Steve, happy birthday to you.

Tu chantes un peu faux, mais ça va quand même. Les enfants te


suivent tant bien que mal, c’est normal à leur âge.

⎯ Et maintenant, il faut ouvrir les cadeaux.


⎯ Maman, elle est pas là ?
⎯ Ne t’occupe pas, ouvre tes cadeaux, vite !

Comment ose-t-il parler à son fils, j’ai l’impression qu’il


engueule un de ses adjoints. Et maintenant il faut suivre ses ordres.
Oublie ta mère, regarde ce que je suis capable d’apporter.

Jack lui tend son cadeau. Tiens, c’est une bonne idée un ballon de toutes
les couleurs. Maintenant tu ouvres celui de Janette. Oh ! quelle belle
boîte de peinture. Tu es un peu timide, Gary, allez, donne-lui aussi le
tien. Voilà, c’est bien, mais ne rougit pas, en plus ta petite voiture toute
rouge est superbe avec le clown qui la conduit.
⎯ Déballe le gros paquet que j’ai posé sur la petite table, tu vas être
très content.
⎯ Mais maman ?
⎯ Ouvre j’te dis, tu vas voir.

Oublie ta mère, regarde, je suis mieux qu’elle, moi, je t’apporte


tout ce qu’il y a de plus beau sur terre. C’est bien ce que tu dois penser,
mon chéri.
C’est pas vrai, il lui offre une télévision. Pauvre Steve, à trois ans, quel
cadeau. Moi-même je n’ai jamais voulu en avoir une ici. Il achète ça
sans même me demander mon avis. Je ne peux pas accepter ce genre de
cadeau. Mais voyons comment il va s’y prendre avant que j’intervienne.

⎯ Attends Steve, papa va brancher le poste, et l’antenne. Les


enfants, asseyez-vous sur le canapé, je vais vous montrer.

L’image commence à apparaître. C’est une télévision noir et


blanc. Les enfants semblent déjà fixer l’image comme s’ils étaient sous
hypnose. J’ai le sentiment que la télé est un œil magique capable de
boire la pensée de chacun et de réduire en esclavage ceux qui la
regardent tout le temps. C’est un aspirateur d’imagination, une machine
à laver les cerveaux. Maintenant, notre enfant est pris par cette image

139
scintillante. C’est un dessin animé qui passe, et je vois ces quatre enfants
silencieux et attentifs. Ils n’ont même pas mangé une miette de leur
gâteau. Mon enfant, où vont passer ta pensée et ta conscience si tu ne
réagis pas. Steve, mon fils, ne laisse pas ton père savourer sa victoire, ne
le laisse pas te berner avec sa machine à pensée et à rêver.

⎯ T’es content, mon grand garçon, papa t’a gâté, regarde, il y a


d’autres images que les dessins animés, regarde, papa change de chaîne.

Maintenant, changement de programme, voilà un film de guerre.


J’aurais tout vu. Je ne peux plus laisser faire, il faut arrêter ça tout de
suite.

⎯ Gary, sois raisonnable, arrête ça tout de suite. Regarde les enfants


ne jouent plus, ils n’ont même pas mangé leur part de gâteau.
⎯ T’es jalouse parce que la télé, ça les intéresse, toi, pour obtenir un
résultat sur eux tu dois passer tout ton temps et encore, tu n’arrives pas à
les tenir. Tu dois admettre qu’avec moi ça marche, regarde-les, ils ne
bougent plus, tu peux faire ce que tu veux, te reposer, aller jardiner, faire
mille choses, pendant ce temps, ils resteront sages. Avec la télévision,
plus besoin de ces jouets à la gomme et un jour même, nos enfants
passeront leur journée complète devant la télé, pour s’informer, pour lire
et écrire et communiquer aussi. De leur bureau, ils allumeront leur télé
pour dire bonjour à leur femme et toute la vie de l’humanité passera par
la télé. Chacun aura sa télé dans sa poche et l’on sera relié au monde
entier par l’image et le son. Chez Boeing, nous travaillons sur un
programme spatial ou le véhicule sera complètement bourré de télés qui
transmettront toutes les informations de vol aux pilotes. J’ai déjà vu le
prototype, c’est fabuleux. Un jour, l’homme ira dans l’espace comme il
prend l’avion aujourd’hui, grâce à la télé. Cette télé, c’est une
révolution, l’avenir !

Si je suis jalouse, ce n’est pas de ta boîte à images, mais de la


profonde inconscience qui te dirige en ce moment, elle prend plus de
place que ma présence et tu sembles tant l’aimer que je me sens trompée
à chaque expiration de ton souffle.

⎯ Comment peux-tu être fier de vider la volonté et l’imagination de


nos enfants par un bombardement d’images aussi médiocre que tes
pensées ? Tu ne peux comparer le travail que j’accomplis pour eux avec

140
les émissions passives de cet instrument. Lorsque je prends mon temps
avec Steve ou un autre enfant, je lui donne mon amour, ta télé est vide
d’amour, de pensées ou de sentiments. Un enfant qui remue ou qui crie
n’est pas une plaie, mais il s’exprime et vit. S’il se tait, au contraire il
faut s’en inquiéter car ce n’est pas normal. Un enfant est comme un feu
qui commence à brûler, il ne faut pas l’étouffer, sinon il meurt avant
d’avoir atteint sa maturité. L’avenir n’est pas l’avènement du son et de
l’image avec ta télé, bien que nous y courions tout droit avec ses faux
rêves et ses illusions collectives dont elle bombarde d’images et de
bruits insoutenables les hommes, pour les réduire au silence complet. La
télé, les films, donnent aux hommes l’impression d’être arrivés à la
connaissance, au pouvoir et l’invincibilité. Cette télé nous donne des
informations truquées que nous croyons parce que nous adorons ce jouet
magique qu’est le tube cathodique. Mon cher époux, si l’homme dans
l’avenir se laisse berner par toutes ces machines et circuits imprimés
qu’il fabrique lui-même, il aura créé son nouveau maître et sa nouvelle
prison sans en voir le piège. Rien ne remplace le vécu, voir des acteurs
jouer une pièce ou exécuter un film ne remplace pas l’expérience. Le
contact avec les autres n’est réel que s’il y a un échange verbal direct.
Avec toute ta technologie, nos enfants vont se croire les maîtres du
monde alors qu’ils ne seront que des esclaves aux chaînes dorées ;
regardant leurs chaînes briller au soleil, ils se croiront arrivés et ils
idolâtreront leurs maîtres comme leurs sauveurs. Voilà pour ta télé.
Demande aux enfants ce qu’ils préfèrent, de la télé ou de leurs parents,
la réponse ne se fera pas attendre.
⎯ Mais t’en as pas marre de toujours me critiquer, ça t’a pas suffi de
recevoir une gifle hier, t’en redemandes ? tu refuses toutes mes idées
comme si j’étais devenu un monstre. Je vais finir avec toi ce que j’ai
commencé la nuit dernière.

La violence est-elle ta seule défense ?

⎯ Devant les enfants, ne te gênes pas, ils auront du spectacle mieux


qu’à la télé. Vas-y si ça te fait plaisir, frappe encore et achève-moi. La
télé en couleur, tout le monde ne l’a pas et, ici, elle est en relief en plus !
⎯ Ferme-la sinon ça va tomber, fais attention, t’es lim…
Oh ! qu’est-ce qui se passe ? C’est quoi c’bruit dans mon dos ?

Tu te retournes précipitamment, bon sang, trop tard. Une chance


que personne ne soit blessé. Les enfants n’aiment vraiment pas que nous

141
nous fâchions, je t’ai vu faire, tu es monté sur la télé, elle a glissé et elle
est tombée.

⎯ Tu n’as rien, Steve, tu ne t’es pas fait mal, j’espère ?


⎯ Cassée la télé, cassée, maman.
⎯ Espèce d’abruti, t’as vu, t’as fait tomber la télé toute neuve.
⎯ Gary, tu te calmes et tu ne parles pas comme ça à ton fils. Il n’y
est pour rien, c’est toi qui as tout provoqué, c’est de ta faute. Tu n’avais
pas à mettre une télévision dans cette maison, de plus sur le bord de la
table, c’était couru d’avance. Alors, assume.
⎯ Y a pus le cadeau à papa, pus le cadeau.
⎯ Ne sois pas triste, mon chéri, j’ai un cadeau pour toi et tes amis, il
est plus beau encore, viens avec moi, nous allons le chercher.

Les enfants prennent ce qu’on leur donne et si ça ne marche plus,


ils se reportent sur autre chose sans regret.

⎯ Voici mon cadeau, ouvre le si tu veux.


⎯ Oh ! le beau livre, maman. Raconte, raconte.
⎯ Venez autour de moi, les enfants, je vais vous raconter l’histoire,
regardez comme les images sont belles et les couleurs très brillantes.
⎯ Oui, maman, c’est très beau, raconte.

Gary ramasse la télé, le tube semble fêlé. Heureusement que ce


n’est pas moi qui l’ai fait tomber, je serais comme le tube, pas très belle
à voir. Pourquoi donc ai-je encore pitié de lui ?

⎯ Écoutez bien les enfants…

***
⎯ Je me rappelle maintenant du titre du livre, "Soleil, Roi du ciel".
C’était un livre aux images magnifiques, de l’histoire aussi je me
souviens maintenant.
⎯ Vous pouvez me la raconter ? Steve.
⎯ Oh ! bien sûr, elle est aussi fraîche dans mon esprit, comme si ma
mère venait de me la raconter, du reste, j’entends encore sa voix, cette
histoire commençait comme tous les contes.

***

142
⎯ Il était une fois un monde merveilleux et parfait, habité par des
millions et des millions d’êtres d’une beauté et d’une bonté infinies. Le
roi, qui s’appelait Titanium, et sa femme, que tous appelaient la mère
Lumière, veillaient sur leurs sujets avec un amour infini.
La mère Lumière attendait un heureux événement, son bébé devait naître
pour la prochaine fête du ciel. Tous les habitants du pays attendaient
cette naissance avec impatience et joie car elle marquerait l’aube d’un
renouveau dans ce pays infini et sublime où tous travaillaient dans
l’allégresse. Cette communauté n’avait qu’un but : le bonheur de chacun.
Dans le pays du ciel, le roi, n’était pas un maître comme en Angleterre
ou dans les monarchies des siècles passés, mais il était le serviteur de
chacun, il était le souverain parce qu’il s’occupait de tous les habitants, il
donnait tous ce qu’il possédait à chaque instant. Si un des êtres perdait
un bras par accident, il donnait le sien pour le soulager. Si un autre était
très malade, il donnait aussi un de ses organes pour le guérir. Mais le roi
était magique, car aussitôt le don réalisé, son membre repoussait
instantanément. Il n’était jamais malade, il était éternel et il donnait de
son éternité aux autres habitants. Ce bon roi était un guérisseur, et tous
se faisaient une fête de voir un fils lui arriver, qui à son tour pourrait
aussi soulager tous ceux qui en auraient besoin et alléger son père du
travail titanesque qu’il devait fournir à chaque instant de sa vie. Quant à
Lumière, elle avait le pouvoir de donner la force à tous, par sa manne
elle nourrissait toutes les âmes du pays et nul ne manquait de
subsistance. Le jour de la fête arriva et, Lumière mit au monde un fils du
nom de Soleil. Le peuple chantait Lumière et son fils. Les chefs de
chaque province vinrent faire don au nouveau-né des qualités
spécifiques de leur région. Il y en avait neuf, mais huit se présentèrent
devant l’enfant. Le premier, Mercure, était un petit être mais robuste et
très chaud, il montrait à tous toujours la même face. Le second, Venus
était une femme d’une grande beauté et son amour touchait tous ceux qui
s’approchaient d’elle. Le représentant de la troisième planète n’était pas
arrivé, mais cela n’étonna personne. Mars, la quatrième région, était
figuré par un guerrier en armure d’apparat, les habitants qui
l’environnaient étaient experts dans la lutte contre la tristesse et la
mauvaise humeur. Le gouverneur de Jupiter était le plus gros de tous,
son poids était dix fois celui d’un habitant normal ; malgré tout, il se
déplaçait sans problème autour des autres et, par sa force il aurait pu
porter le ciel à lui tous seul. Le chef de Saturne avait une multitude
d’anneaux autour de sa tête qui tournoyaient sans cesse, il vint déposer

143
aux pieds de l’enfant les clefs du temps qu’il possédait car elles ne lui
étaient d’aucune utilité dans le monde de l’éternité ; mais celui qui la
détenait était maître du destin, seul un fils de roi pouvait en être digne.
Uranus vint donner sa force magique à l’enfant et Neptune armé d’un
trident balança sa queue-de-poisson sur le Soleil comme pour le
désaltérer de l’eau de ses océans. Enfin, le chef de Pluton, territoire le
plus reculé du monde, donna au Soleil le pouvoir de regarder derrière le
voile de la vie. Représentant le pouvoir de la mort dans le monde de
l’éternité, il était de ce fait le détenteur du secret de la vie, car la mort
n’est que le synonyme de renaissance dans le monde du ciel. Alors que
tous se réjouissaient de cette grande fête, voici qu’arriva celui que plus
personne n’attendait. Le roi le voyant lui dit ainsi :
« Gouverneur Moi, chef de la Terre, quelle bonne surprise de te voir
parmi nous, qu’apportes-tu comme présent à mon fils ? »
Moi, c’était bien connu, pour le fait qu’il refusait de collaborer avec les
autres régions ; il pensait plus à lui qu’à son prochain. Il donnait
beaucoup de plaisir à son peuple, mais lui faisait oublier que son rôle
était de vivre avec le reste du monde. Titanium était tolérant et le laissait
faire tant qu’il ne perturbait pas la vie des autres. Hélas, ce jour-là, toutes
les limites furent franchies d’un coup.
Moi s’approcha de l’enfant et il fit un dont qui fût impossible de refuser.
Il dit :
« Oh ! Soleil, fils du ciel, à mon tour je te fais don de ma personne
entière, que Moi je sois en toi désormais et que toi et moi ne fassions
plus qu’un. »
Alors Moi disparut instantanément et l’enfant eut des convulsions, il
pleura. Sa mère le prit dans ses bras, mais lumière n’arriva pas à le
calmer. Titanium voyant la situation, prit à son tour son fils dans ses bras
et comprit que le mauvais sort s’était emparé de son enfant. Alors il dit à
sa femme :
« Lumière, partons immédiatement accompagner notre fils dans un lieu
que je lui prépare afin qu’il puisse extraire Moi de son être et qu’il
guérisse ; ce sera sa première œuvre de Guérisseur. Alors tous les
habitants du ciel suivirent, car ils ne faisaient qu’un avec le roi et
l’enfant. Arrivé dans la nouvelle demeure, Titanium plaça Soleil au
centre, dans un cocon de lumière éblouissante, alors il se mit à briller de
mille éclats et autour de lui, tous les habitants du ciel se placèrent en
cercle et commencèrent à danser, à commencer par Mercure puis Vénus,
Mars, Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune, Pluton le dernier. Lumière dit
alors à Titanium :

144
⎯ N’aurais-tu pas oublié de créer un lieu où pourrait séjourner notre
peuple, afin qu’il puisse regarder chaque jour notre fils et l’aider à guérir
de son mal.
⎯ Ah ! femme, tu as raison, je vais placer la Terre entre Mars et
vénus, de là tout notre peuple pourra jouir du Soleil et, sur cette planète,
ils s’appelleront Hommes. Nous serons avec eux mais, dans le ciel,
lorsque que la nuit, ils lèveront les yeux, ils pourront nous contempler à
travers les étoiles qui brilleront. Je crée l’univers pour notre enfant et
nous y resterons jusqu’à ce qu’il soit guéri de son mal.
Ce mal était tel, que tous les habitants de la terre, qui avaient été dans le
royaume du ciel comme des princes, durent prendre avec eux la
souffrance du Soleil. De la Terre, bientôt chacun se mit à dire Moi je
suis, Moi je veux et chacun ne pensa plus à l’autre, et la planète se mit à
tourner sur elle-même, passant de l’obscurité à la lumière chaque jour.
La malédiction de Moi était vraiment très forte et, depuis, les habitants
du ciel ont oublié leur royaume ; mais Lumière mit en chacun un
fragment du monde oublié et, aujourd’hui, tous les hommes peuvent le
retrouver pour guérir le Soleil en le replaçant au centre de leur cœur.
Chaque enfant du monde le peut et chaque homme doit le faire, alors la
malédiction de Moi sera vaincue et l’enfant roi retrouvera ses parents et
tous les habitants du ciel retourneront dans leur ancienne demeure.
⎯ C’est fini l’histoire, maman ?
⎯ Mon chéri, c’est toi qui devras écrire la suite lorsque tu seras
grand, mais je dois te dire que cette histoire se termine très bien, car,
vous, les enfants vous êtes comme les enfants du ciel.
Oh ! mon enfant, Steve, mon époux, entends cette prière comme
le désir le plus profond de mon cœur :

***

« Entends-tu la lumière qui coule dans tes veines, vois-tu le sang qui
illumine ma souffrance dans ce monde sans Ame et qui brûle ton cœur
dans le souvenir d’un monde perdu. Te rappelles-tu de ce que j’étais
avant de tomber de mon ciel lorsque j’étais lumière ? Tu ne peux vivre
dans l’ignorance de ma souffrance. Enfant du ciel j’étais, fille, fils du
ciel je retournerai. Je suis la force d’hier, je suis la lumière de demain.
Écoute-moi, suis-moi.»

Dans l’instant où il me semble me rappeler beaucoup de détails


de ma jeune enfance, cette force me donne son influx comme une parole

145
de vérité. Je ne suis pas hostile à cette manifestation au fond de ma
conscience, mais elle demeure encore pour moi nouvelle et je la
comprends à peine, pourtant, j’ai ressenti comme une prière émanant de
mon coeur.

⎯ Cette histoire que je vous ai racontée Jacques, est plus proche que
les souvenirs de mes derniers instants. Mes souvenirs oubliés son
comme des fleurs qui éclosent devant moi et dont je peux encore sentir
le parfum. Qu’est-ce que ça veut dire ?

Il est vraiment touché par cette vérité lumineuse, Aqualuce ne


s’était pas trompée, elle avait parfaitement raison de m’envoyer vers lui.
Cet homme ne demande qu’à s’éveiller.

⎯ Steve, cette histoire que vous sortez du fond de votre conscience


cachée est merveilleuse, je ne sais pas par quel miracle cela s’est produit,
mais vous me l’avez racontée avec une telle précision que je suis sûr
qu’une brèche s’est créée en vous et que ce n’est que le début. Avant que
vous me racontiez ce superbe conte, vous me posiez une question, et je
pense que vous m’avez donné la solution.
⎯ Je vous demande pardon, quelle question ai-je posée ?

Comme toujours, la conscience ordinaire efface rapidement ce


qui peut la gêner, ta question était trop forte pour ne pas mettre en route
la machine à oublier. Je vais te rafraîchir la mémoire.

⎯ Vous vous demandiez comment reconnaître la vraie conscience de


la fausse. Vous rappelez-vous ?
⎯ J’ai dit ça ? ça m’étonne.

Pour toi la lutte n’est pas finie ! ça va être dure, mais c’est le but
en partie.

⎯ Le conte de votre mère donnait la vision très poétique de l’histoire


de l’humanité. Elle montrait bien la source du mal dont souffre
l’humanité, l’égocentrisme chronique. Le pire, c’est ce que vous aviez
noté sur la lettre parue dans le journal.

Il m’énerve, je ne peux pas rester calme plus d’un quart d’heure


avec lui.

146
« C’est la vérité, tu l’as écrite de ta main, même si c’est moi qui t’ai
inspiré. Ce jour-là, c’est moi, ta conscience, qui ai tenu ta main. Tu ne
peux pas me rejeter aussi facilement que ton invité. Tu as tort de
t’énerver, tu brûles encore de l’ancienne vie, ça suffit. »

Tu es en prise avec ton être ordinaire et ta conscience. Je le lis


sur ton visage. Tu bous, et tu dois accepter la vérité. Cruel dilemme, tu
ressens la bataille entre les deux maîtres, vois-tu que le conte n’était pas
si anodin qu’il y paraissait, il te fait réfléchir sérieusement.

⎯ La vérité tranche par sa lame affûtée, alors que mes rêves me


bercent dans l’illusion. Deux forces en moi s’opposent. L’une me montre
que je peux briller dans ce monde et me congratule. L’autre me met au
bas de la montagne que j’ai à gravir chaque jour que je m’éveille. Dès
que je monte la pente de la vie, regardant en bas, je tombe plus bas
encore que d’où je suis parti, comme si la direction que je prenais était
systématiquement la mauvaise. Que dois-je faire ?

Enfin tu réagis à l’impulsion de ta conscience, tu commences à


comprendre.

⎯ Rien, Steve, rien.


⎯ Comment ça, rien ?
⎯ Il faut arrêter de penser, il faut arrêter de vouloir et de contrôler.
Lorsque la conscience s’éveille en nous, je parle de la véritable raison,
de la force qui ne sort pas de notre subconscient, vous devez rester
silencieux. Et lorsqu’un jour, vous arrêterez de vous battre contre vous-
même et que silencieux, vous entendrez le flux de Vérité circuler, alors,
l’âme de votre bien-aimée prendra la direction de votre vie. Elle
s’installera à la place de votre psyché ordinaire vous guidant depuis
votre naissance.
⎯ Je ressens déjà cette force en moi, j’y suis arrivé depuis peu, c’est
fini, j’en vois le bout !

Si c’était si simple, toute l’humanité aurait tôt fait de guérir,


hélas, ce n’est que le début.

⎯ Mon cher Steve, c’est très bien que vous puissiez constater en
vous un changement aussi formidable et j’en suis heureux car en moins

147
de vingt-quatre heures, vous avez fait plus que l’humanité en un siècle.
Mais, ce n’est que le début d’un parcours qui doit vous emmener
beaucoup plus loin si vous arrivez à laisser parler en vous cette nouvelle
Vie, vous ne devrez plus lutter, et dès maintenant ne plus vouloir tout
diriger comme à votre habitude.

Qu’est-ce qu’il veut encore dire ? Je fais des efforts et voilà que
maintenant, ce n’est que le début. Où va-t-on, c’est quoi cet illuminé ?

⎯ Vous êtes bien gentil, Jacques, mais tout ça ne me ramène pas


Clara, je vois qu’il est bientôt midi et elle n’est pas revenue. Si ça
continu, je vais appeler la police pour avertir de sa disparition. Vos
phrases philosophiques paraissent merveilleuses on s’y laisse prendre
trop facilement et j’en oublie l’essentiel.
⎯ Moi, je suis sûr que si Clara n’est pas encore rentrée, c’est qu’elle
pense que, par son absence, vous serez obligé de sortir de vous-même et
qu’ensemble, nous pourrons ouvrir des brèches dans votre passé.
Regardez ce que vous avez découvert en peu de temps, ces deux
dernières années ne vous en ont pas donné autant, alors comment
oseriez-vous dire que vous en oubliez l’essentiel ? Clara et vous êtes à la
recherche de votre passé et elle pense certainement que tout est bon pour
le retrouver.

Tu m’échauffes, si j’en avais le courage, j’appellerais la police en


l’accusant de harcèlement.

⎯ Jacques, ne voulez-vous pas aller en ville pour acheter du pain ?


j’ai le repas à faire.

La façon la plus aimable de me dire j’en ai ras-le-bol de tes


histoires, vas voir ailleurs si j’y suis. Enfin !

⎯ Si ça peut vous rendre service, j’y vais de ce pas.

Enfin, seul !...

Enfin seul !
Seule un instant, libre de penser, sans contrainte, sans personne
autour de moi, comme une naufragée sur une île déserte, le monde s’est
arrêté autour de moi et je peux l’observer et le disséquer.

148
N’ai-je jamais rêvé de me retrouver seul un jour sur une île déserte, loin
de tous ? je ne sais pas pourquoi cette pensée me traverse l’esprit ainsi,
mais elle est bien présente en moi. Gary se passerait bien de moi les
jours où je me fâche avec lui et Dieu sait combien nos disputes sont de
plus en plus nombreuses. Je fais mouche sur tout ce qu’il fait ici. Je sais
que je ne lui rends pas la vie facile contrairement à mes homonymes
ménagères dans leur foyer. Mais j’ai un but et je m’y tiens. Mon mari ne
fera pas de moi et de notre fils ses poupées chéries faites à son image.
C’est ce qui le désole, il aimerait tant que nous soyons la femme et
l’enfant idéals. Il m’en veut de ne pas être comme toutes les épouses
qu’il voit autour de lui. Je suis l’opposé de son idéal, surtout depuis le
jour où il m’a frappée si fort qu’il m’a ouvert le crâne. Le médecin
m’avait rasé le haut du front et le surlendemain je suis allée directement
me faire couper tout court le reste de mes cheveux, afin qu’il voit mieux
encore les dégâts qu’il avait faits. Il a hurlé en me voyant revenir, car
pour lui, la femme idéale a les cheveux longs jusqu’en bas du dos. Je lui
ai dit que c'était la conséquence de sa violence et lui seul était
responsable du résultat. Depuis, j’ai la boule à zéro, ça lui fait les pieds !
Finalement, Gary, seul sur une île déserte, cela pourrait tout arranger. Je
m’imagine sa tête, le pilote de jet abandonné sur un atoll au milieu du
pacifique, sans avions, sans télévision, ni téléphone. Juste un miroir
devant lui, un miroir géant pour qu’il puisse se regarder et s’engueuler
avec lui-même.
Pauvre Gary ! tu parais un homme bien ordinaire, mais tu as de multiples
visages, et j’ai une vision étrange de toi. Voici en résumé comment tu
m’apparais bien souvent :
Ton visage ressemble à l’humanité entière. Mais derrière tes traits
d’homme ce cache un monstre d’une taille plus grande que nature car
lorsque tu parais avec tes un mètre quatre-vingt devant ton fils ou tes
amis, je te perçois comme un géant deux fois plus grand ; est-ce une
illusion ou ma perception intérieure ? Vraiment je te vois monstrueux et
je l’ai découvert au jour de la naissance de Steve, avant je ne te
connaissais pas ainsi. Tu as changé, où est le jeune homme que j’ai, un
jour, rencontré au Bourget ? et qui promettait à la vie un avenir brillant.
Où sont passés ton amour, ta bienveillance et ta sincérité ? Devant moi,
aujourd’hui, je n’ai plus qu’une bête aux multiples facettes, qui change
au gré des jours, suivant son humeur. Tes caractéristiques sont ceux d’un
monstre surnaturel prêt à tout pour nous emmener, Steve et moi, vers ton
but. Tu ne vis que pour ta passion et tu voudrais que nos fussions
exactement comme toi.

149
Si quelqu’un lisait dans mes pensées, il se demanderait pourquoi je
m’imagine ainsi mon époux ! lorsque j’y pense, qui a-t-il en toi de juste
et de bon qui fassent que je reste ? Oh Gary, qui es-tu et pourquoi suis-je
ta femme ? je ne l’ai pas encore découvert, mais ce que je connais de toi
est à faire fuir. Ai-je bien du courage ou est-ce mon destin ?
Énumérant tes défauts, la liste est longue, tu as tous ceux du monde.
Tu es égoïste, tu aimes ce qui te donne du plaisir et notre fils n’en n’est
pas un pour toi.
Tu vis uniquement pour ta passion de l’aviation. De moi, tu ne désires
que les parties de mon corps qui t’intéressent.
Tu ne te soucies par de ce que nous pensons. Mes idées et celles de
Steve ne te pénètrent pas. Tu cherches à nous séduire avec tes artifices à
tous les moments, afin d’obtenir de nous ce que tu désires.
Tout ce que tu fais avec nous est calculé dans ton intérêt.
Tu es pervers, tu jouis de notre souffrance lorsqu’elle confirme ta
domination.
Tu es le roi de l’illusion avec ton fils, comme avec moi.
Tu aimes à faire croire à Steve et à moi que nous sommes le centre du
monde.
Tu es prêt à nous donner tous ce que nous désirons du moment que cela
te conforte.
Tu nous dis que dans tes avions, nous sommes les maîtres du monde et
que, plus tard, tu nous en donneras les commandes.
Tu aimerais nous faire croire que nous sommes immortels dans tes
engins et que nous sommes forts comme l’univers.
Tu nous dis qu’avec toi, plus tard, nous guiderons le monde entier.
Tu dis à Steve et à moi que tu connais tout et que tu nous donneras toute
ta science et que lorsque nous serons prêts, nous connaîtrons tout à notre
tour. Tu penses avoir toujours raison sur tous les sujets, les autres ont
tort. Tu ne lâches jamais tes convictions.
Tu es emprisonné dans ton caractère et tu nous emprisonnes aussi.
Tu aimes ce monde et tu nous y retiens aussi avec toi. Tu parles souvent
à notre place.
Tu te crois créateur, inventeur, mais en réalité, tu ne fais qu’imiter ce
que tu vois, rien ne vient de ta conscience, car elle est vide. Alors tu te
mets en colère et tu ne te domines plus.
Tu crois obtenir le plaisir, mais la souffrance est à chaque fois derrière.
Tu veux faire le bien, mais le mal est présent au même instant.
Tu te crois libre, mais tu es prisonnier et tu veux nous retenir aussi dans
ta geôle.

150
Tu voudrais nous rendre jaloux, coléreux et parfois tristes.
Tu cherches à chaque instant à créer en moi les désirs de la chair et tous
les plaisirs terrestres.
Tu voudrais que je t’estime et que je sois sure de toi comme de moi.
Lorsque j’ai une idée, tu la prends et la transforme à ta manière pour
avoir raison et arriver à tes fins.
Le pire est que tu aimes à faire naître en nous des fantômes et des
obsessions pour que nous nourrissions tes propres pensées ; tu ne me
touches pas, mais autour de la tête de Steve, tu fais tourner du matin au
soir une pléiade d’avions qui pourrait lui donner le tournis et le rendre
fou. Au début de notre union, je croyais en toi et j’avais l’impression que
toutes tes idées venaient du ciel tout comme tes avions.
Tout ce que je croyais vrai n’étaient que mensonge.
Je t’ai entendu parfois parler avec notre enfant pour lui suggérer tes
idées.
En te comparant à un dieu du ciel, tu aimerais que notre fils et moi te
suivions de la même manière et pourtant tu aimes que nous soyons
ignorants et que nous en souffrions.
Tu as voulu m’emmener au sommet du monde dans ton aéronef, mais
lorsque j’ai atterri, je suis tombée bien bas.
As-tu besoin de nous pour vivre ainsi, tu crains de nous voir disparaître
et en même temps, tu désires notre asservissement. Crains-tu de nous
faire chuter encore plus ?
Tu as voulu me montrer les étoiles et me les offrir, mais tu n’avais qu’un
but, m’ensemencer de ton fluide, pour ton pur plaisir, et me faire jouir
jusqu’à l’orgasme afin de me dominer totalement. Mais tout n’était
qu’illusion, et dans ta démence, tu m’as fécondée, alors, Steve est arrivé,
c’est la seule chose de véritablement bien que tu aies faite et, cela tu ne
t’y attendais pas. C’est pour cela que je reste avec toi et c’est en même
temps pour notre enfant.
Moi, Marie, à l’aube de la naissance de notre enfant, j’ai prié la lumière
de l’aider à trouver son véritable destin et de découvrir sa véritable
nature.
Moi, Clara, je suis arrivée au jour de la naissance de Steve pour qu’il
redécouvre ce qu’il fut avant de devenir.
Gary, dans ton état actuel, je refuse d’être ta partenaire et je me battrai
contre toi pour que tu ne puisses atteindre à ton but. Je vis avec toi, mais
tu n’es pas mon maître et nous n’aurons jamais plus de repos jusqu’à ce
que je sois certaine que notre enfant soit libre de toi, libre de vivre.
Aujourd’hui, j’ai fait ton procès, demain je parlerai de moi.

151
Steve, dans ton autre vie, penses-tu à moi ?

***

Enfin, seul, il est parti sans que je le chasse, sans avoir à craindre
son jugement, si j’avais pu m’isoler sur une île déserte ce week-end, je
l’aurais fais. Libre de penser à ma guise, libre de mes mouvements, libre
de mes gestes. Quand j’y pense, c’est de sa faute si Clara est partie. S’il
n’était pas venu, elle n’aurait jamais eu l’idée de nous laisser seuls et je
serais plus tranquille à cette heure. Ce type est une plaie, avec ses
interrogations, et ses convictions. Il se réfère à une conscience, une âme
qui le guide. Moi, je n’en ai pas besoin, car j’ai un cerveau, je réfléchis,
et ma conscience me suffit pour agir et vivre. Depuis que ce type est là,
je n’arrête pas de me bagarrer, il passe son temps à me contredire et à
semer le doute en moi. Pas le moindre détail ne lui échappe sur ce que je
fais devant lui, il m’agace. Lorsque je l’écoutais, j’avais l’impression de
m’être trompé de direction toute ma vie, comme si je me devais de
perdre toute confiance en moi, c’est terrible ! J’ai le sentiment qu’il est
venu casser mes désirs et mes passions. De toute façon, les idées de ce
type et de sa femme, je n’en n’ai rien à faire, je préfère ma vie à la
sienne, elle me donne du plaisir. Il parle de Clara comme un être bien
différent de celle que je connais, il se trompe, elle est l’image de la
femme idéale, non pas celle qu’il m’oppose. A l’entendre, j’avais
l’impression d’être un monstre tentaculaire qui ne laisse pas parler sa
conscience ! Idiot, n’est-ce pas ce que je fais actuellement ? Lorsque
j’agis, je réfléchis par avance, tout est préparé, je ne laisse pas place au
hasard, à partir de l’instant où ça peut me rapporter. Sans conscience, je
doute que cela puisse marcher. Ce Jacques me disait que je ne devais
plus vouloir contrôler tout ce qui m’environne afin d’être à l’écoute de
ma conscience, quelle idiotie ! on ne peut pas m’ôter la jouissance de
dominer et de contrôler un sujet. Pourquoi devrais-je abandonner ces
plaisirs qui me rapportent, le calcul est vite fait ! Qui pourrait me
démontrer que mes plaisirs ne sont qu’illusions ? qui aurait intérêt à le
faire ? je pense que l’humanité gagnerait à m’écouter, je ressens en moi
une force intérieure capable de la guider, comme si elle venait du centre
de mon cœur ; je crois que cette énergie pourrait de me donner le monde
entier si je suivais tous ses désirs et j’ai aussi le sentiment qu’elle puisse
de me donner la force de soulever l’univers, au font de moi il y a un être
immortel. Peut-être suis-je, au-delà de ma conscience, un guide pour
l’humanité, j’ai l’impression d’en avoir la capacité. Amnésique peut-

152
être, mais j’ai la certitude que la connaissance est à ma portée, à
condition de ne pas me laisser prendre au jeu d’un type comme Jacques
et de ses idées révolutionnaire qui peuvent me traverser l’esprit. Je pense
que je n’ai pas besoin de qui que ce soit pour faire le bien sur Terre. Je
suis un homme libre de mes pensées et cette conscience dont me parlait
Jacques, je préfère la laisser au fond de moi, pour qu’elle ne
m’empoisonne pas la vie. Ah ! vraiment, j’aime cette vie avec ses
plaisirs. Quand tu es près de moi Clara, je te désire dans ton âme et dans
ta chair, ton corps fait vibrer mes cellules et je m’oublie à l’infini lorsque
je te pénètre tandis que, toi, tu te fonds en moi, nous ne sommes plus
qu’une même conscience. Mes pensées sont tes pensées et je suis alors
capable de les réaliser afin de te donner encore plus de plaisir, même si
certaines finissent par devenir des obsessions et fantasmes. Du reste ces
pensées obsédantes, je les connais bien car elles tournent en moi comme
une horloge bien huilée ; elles pénètrent mon corps, mon cœur, pour à la
fin prendre toute ma vitalité. Mais, malgré tout, quelle jouissance me
donnent-elles ! je ne peux les abandonner, elles sont devenues ma vie,
que serais-je sans elles ? Clara, je t’aime pour ton corps, ta chaleur
depuis le premier jour de notre rencontre, je n’ai jamais espéré autre
chose de toi. Qu’avons-nous à attendre de plus l’un de l’autre, ici bas,
c’est notre destin ! mais quelle souffrance d’ignorer notre origine, alors
que nous sommes des dieux sur Terre, nous, les hommes. J’espère un
jour toucher le toit du monde, pour accéder à la connaissance afin de ne
plus jamais tomber. Si je ne pensais pas ainsi, je crains que tout mon
univers s’écroule un jour autour de moi ; je ne veux pas perdre mon
acquis, que deviendrais-je ? Mais, pourquoi suis-je ici ou suis-je un dieu
en même temps qu’un serviteur ? qui m’a fait venir sur Terre ?
Découvrirais-je le pourquoi et le comment de tout cela ? Suis-je venu
pour jouir ou pour souffrir ? A quoi sert ma vie ? En dehors de ma mère
qui m’a porté, qui était le père qui m’a fécondé ? Oh ! Clara, pourquoi
n’es-tu pas avec moi ? Depuis ta disparition je n’arrête pas de me
questionner. Ce Jacques est un trouble-fête, il n’aurait jamais dû venir
ici, je n’aurais jamais dû lui ouvrir ma porte et encore moins écrire cet
article dans ce maudit journal. Qu’est ce qui m’a pris ce jour-là ? et
maintenant qu’il est là, je ne peux le renvoyer cher lui, parce que je suis
humain, parce que, parce que ? Parce qu’il m’interpelle et me trouble. Je
suis piégé. Oh ! mon dieu, qu’est-ce qu’il y a véritablement au fond de
moi, conscience nouvelle je te nie, mais qui es-tu ?

***

153
J’ai suffisamment parlé de toi, Gary, je m’arrête de penser à ton sujet, je
ressens en moi autre chose, je suis ton opposée, en tant que femme, je
suis la négation de ta vie, faite pour te plaire, faite pour te détruire et
reconstruire sur tes cendres. Comme dans une pile, tu es le plus, j’en suis
le moins. Si je reste ici, avec toi, c’est pour notre enfant, pour l’aider à
grandir et trouver sa véritable conscience, non celle que toi et tous les
hommes ordinaires pensent posséder. Steve, si tu entendais mes pensées,
peut-être pourrais-tu comprendre pourquoi je fais tout cela, je n’ai pas
l’intention d’abandonner et encore moins t’abandonner, même si j’ai à
suivre une autre voie durant toute ta vie, où que tu sois, je suis avec toi.
Que toutes mes pensées te touchent au moment où elles me pénètrent.

***

« Tu pourrais te croire seul sur une île déserte, mais même si cela était,
je te poursuivrais. Tu me nies, mais je suis néanmoins présente en toi, où
que tu sois. Tu te demandes qui je peux être, alors observe en toi,
regarde dans ton cœur, et trouve la réponse. »

Comment ça, que se passe-t-il encore en moi ? je sens une force


au plus profond de mon être, c’est comme si elle me parlait, elle
m’invite à faire un voyage en moi, au centre de mon cœur…
Flamme tu brûles en moi, ta force est immense, mais tu n’es pas de ma
nature, tu ne m’appartiens pas, je ne t’avais jamais remarquée, je n’ai
pas de mot pour te décrire.

« Silence, je suis le silence de l’âme, le silence du monde et de l’univers


et pourtant, j’ai à dire à ton cœur que je suis son baume, l’antidote de ta
conscience malade, la négation de ta pensée. Tout ce que tu pensais tout
à l’heure n’est que le reflet d’une conscience obombrée par le désir
égoïste de ta personne et je suis ici pour que tu te réveilles de cette
sombre léthargie qui te guide depuis trop longtemps.»

***

Oh ! Steve, mon enfant, mon mari, ces pensées sont pour toi
avant tout. Je t’ai mis au monde et je me suis mariée avec toi depuis que
nous existons. Je suis avec toi pour te protéger d’un monde ordinaire qui
t’agresse chaque jour, mais tu dois comme tout enfant avec sa mère,

154
m’écouter à chaque instant pour ne pas t’égarer. Comme un époux tu
dois me désirer à chaque seconde de ta vie. Je suis l’image de ton âme et
tu ne dois pas me perdre de vue.
Oh ! bien sûr, souvent lorsque je me manifeste, je réagis comme l’orage
pour te montrer tes erreurs et changer tes habitudes, je ne laisse passer
aucun détail, car tu dois un jour te rendre parfait. Je ne veux pas de toi
que tu te transformes en un pantin idéal dont il suffit de tirer les ficelles
pour que tu avances, je t’arracherai aux désirs pervers de ton
subconscient. Je te ferai découvrir le véritable visage du monde. Tout ce
que l’humanité a à te donner est le fruit d’un calcul précis pour que tu te
perdes dans l’oubli de la conscience et que l’intérêt de nos dirigeants soit
préservé. Ton maître intérieur est le roi de la falsification et de la farce.
Bien que cette tâche ne soit pas une partie de plaisir, je t’aime à en
mourir. Je te ferai découvrir que les passions du monde ne sont que
leurres, ton corps et mon âme ne sont pas des objets de désir susceptibles
d’être manipulés. Je suis avec toi pour te libérer de toute cette gangue
pervers qui jouit de nous voir souffrir dans notre ignorance. Toute
l’humanité se laisse bercer dans l’illusion des seigneurs du monde. Tu
n’en es pas libre car ton père naturel est encore le dominateur de notre
foyer, mais je veille. Je ne te livrerai jamais au pouvoir de l’humanité car
tu es une pierre dans l’édifice de la vie, même si l’univers a besoin de
toi, tu n’en es pas le centre. Si tu devais servir les maîtres de la Terre, ils
te donneraient tout ce que tu désires, mais si tu me suis jour et nuit,
j’éteindrai toute ta souffrance, je suis ta mère protectrice, ton amour et ta
femme. Ne te laisse pas subjuguer par le pouvoir de tes pensées, ne les
laissent pas commander ta conscience car tu n’en es pas maître, même
s’il te laisse l’impression d’être parfois immortel ; tu dois savoir que tes
pensées sont aussi mortelles que ton corps. L’immortalité n’appartient
pas aux hommes et pour gagner la vie il faut savoir la perdre, je suis
avec toi et en restant avec moi, tu comprendras un jour ce que j’ai à te
dire. Mère, je suis là pour te guider et si tu m’écoutes, tu seras un bon
élève. Sans moi, tu ne peux rien, mais si tu persévères dans ma lumière,
tu pourras devenir un exemple pour les autres. Les savants de ce monde
nous donnent l’impression de tout connaître, s’il t’arrivait de vouloir les
suivre, tu deviendrais comme eux, mais que connaîtrais-tu vraiment de la
vie, hormis des équations ? Même avec toute la science du monde, tu
resterais ignorant. Seul la flamme de vie que nous possédons tous, peut
nous instruire ; alors, écoute-la, suis-la. Le monde ne détient pas la
vérité, même s’il le prétend ; des hommes sont morts par milliers pour
avoir voulu dire une autre vérité que celle dictée par les lois et écrite

155
dans les livres. La vérité, trouve-la au plus profond de ta conscience, et
donne-la à l’humanité souffrante, de cette façon tu seras plus efficace
que ceux qui la colportent à tous vents dans les amphithéâtres. La vérité
ne se laisse pas prendre, ne se laisse pas mettre en bouteilles, elle ne se
dit pas de bouche à oreille, elle ne s’écrit pas, mais elle rayonne de par
ceux qui la possèdent. Le monde est prisonnier de son ignorance, c’est
pour cela qu’il ne veut pas de nous, de peur ne plus pouvoir nous
contrôler. Mais n’aie crainte, ouvre-toi à la connaissance de toi-même, tu
découvriras que l’univers est en toi, si par ta persévérance tu gardes le
cap, le monde de l’oubli ne pourra ni te retenir, ni te faire tomber,
appuie-toi toujours sur moi, je suis ton armure. L’amour de la matérialité
est notre prison. Il y a à aimer un autre espace, une autre humanité, qui
elle sans limites, nous laisse libre de toutes illusions et souffrances. Nous
pouvons y accéder, il suffit d’ouvrir les yeux et de regarder dans une
autre direction. Mon regard est porté vers une lumière, regarde avec moi.
Les hommes croient être des dieux parce qu’ils pensent. Ce qu’ils
ignorent, c’est que la pensée n’est que le reflet d’une idée déjà connue
dans leur subconscient. Nous ne créons rien, nous ne faisons que
reproduire. Je ne suis pas là pour inventer un nouveau monde, mais pour
faire revivre ce qui est oublié depuis trop longtemps. Le bien et le mal
s’intercroisent à chaque seconde, nul ne peut être certain de faire le bien.
La seule méthode pour agir est de rester neutre, en laissant faire la
conscience, cette force qui émane du plus profond de toi. Le véritable
Bien, n’est pas humain, l’homme en est par nature incapable. La liberté
n’est pas dans ton monde, mais si tu me fais confiance, tu verras que la
seule vision réelle de ce monde t’en donne le premier rayon. La prise de
conscience est la première porte de la liberté. Ne te laisse pas emporter
par la jalousie, la colère ou la tristesse, elles sont aussi les armes
quotidiennes de notre subconscient ; lorsque cela monte en toi, laisse les
glisser sur toi, ne prends pas part, ma chaleur suffit à te réchauffer et te
réconforter. Je ne suis pas ici pour le plaisir de ton corps ni pour tous tes
désirs dans la matière, mais pour te montrer que rien sur Terre ne
remplacera ta véritable aspiration à la Vie perdue depuis ta première
naissance. Combien de fois, tes désirs purs ont-ils été détournés pas ta
pensée afin de te rendre encore plus prisonnier ? Quand tu désires la
vérité et que tu souhaites y participer, pense immédiatement à moi, afin
de ne pas perdre ce que tu as gagné. Mais avant tout, ce qui peut te
paralyser et même te faire faire marche arrière, ce sont toutes tes pensées
récurrentes que tu alimentes chaque jour, jusqu’à en faire des fantasmes.
C’est le pire, parce qu’elles te donnent du plaisir et il t’est pratiquement

156
impossible de t’en défaire. Steve, mon amour, je t’ai toujours vu avec ce
genre de pensées, surtout lorsque tu ne dormais pas à cause de tes
malades dont les maux te semblaient incurables. Avec moi, tu t’obstinais
à vouloir me couper les cheveux plus courts qu’un garçon. Tous ces
maux pervers tu les as créés en alimentant par ta pensée le subconscient
maléfique avec la force que tu donnes à tes désirs. Je suis avec toi pour
te guérir des tout cela, aie confiance en moi et lorsque tes fantasmes
frappent à la porte de ton âme, ouvre la fenêtre derrière laquelle je me
cache toujours, tu sais que tu m’y trouveras. Lorsque les hommes
naissent, le monde s’offre à eux, combien de temps combien de vies leur
faut-il pour voir la tromperie, combien de temps pour entendre une autre
voix à intérieur d’eux même pour qu’ils s’éveillent à la vérité ?
Lorsque tous les enfants regardent le ciel, qui est derrière eux pour leur
suggérer qu’ils sont des dieux ?
Alors que moi je ne leur dis seulement : ce qui est en haut, ils l’ont en
eux, ils sont leur propre ciel. Pourquoi aller chercher ailleurs que dans
leurs racines. La souffrance de l’inaccessible est au-delà du cœur,
pourquoi toujours naviguer plus loin que ses limites ? A vouloir
atteindre les sommets, on tombe encore plus bas que de là où l’on est
parti. La plus haute conscience humaine n’est que folie comparée à la
sagesse de l’humilité. Steve, si tu sais rester modeste, la liberté absolue
sera pour toi, ne tente pas de paraître, mais d’être, simplement. Les
souverains du Cosmos qui étendent leurs tentacules au-delà des galaxies
nous écrasent, mais sans nous, nulle conscience, nulle vie ! malgré notre
taille, et notre infime vie, nous avons un pouvoir considérable, celui
d’enrayer la Machine infernale à fabriquer les moutons humains à la
chaîne. Lorsque sur Terre, nous procréons et que nous en jouissons, c’est
la Machine qui s’exprime au quotidien et lorsque dans ces moments, les
hommes et les femmes voient les étoiles, ce sont les portes de leurs
prisons qui se referment sur eux ; mais, miraculeusement, au même
instant, à chaque naissance, une possibilité s’ouvre pour un enfant. Celle
d’entendre une voix, la voix silencieuse de la véritable conscience,
enfouie dans tous les cœurs.
Si aujourd’hui je suis ici près de toi, Steve, mon enfant, c’est le miracle.
Lorsque j’étais avec toi, adulte, j’étais muette et amnésique, mais j’ai fait
une prière et l’on est venu me chercher, on m’a placée au cœur de ta vie.
Je parle maintenant, j’ai un passé aujourd’hui, personne ne pourra me
l’effacer, jamais. Steve, je suis certaine maintenant que tout ce qui m’est
arrivée depuis ces dernières années n’est pas le fruit du hasard, j’irai
jusqu’au bout, même si je dois y laisser ma vie, je ne sais pas si je

157
reviendrai un jour dans mon passé qui est le futur de mon enfant, mais ce
que je fais me fera découvrir la vérité et tu en seras le gagnant.
J’aimerais pouvoir dire à mon fils, Steve, ai confiance, écoute ton âme,
ta conscience, elle te guide.

***

⎯ J’ai été un peu long, il y avait la queue chez le boulanger.


⎯ Hein ! pardon ?
⎯ Je suis allé chercher le pain, mais même dans un petit bourg, c’est
comme en ville, il y a du monde.

Bon sang, je ne pensais plus à lui, j’ai une étrange pensée,


comme si quantité d’idées se déversaient ensemble dans ma conscience,
ça fait drôle.

⎯ Excusez-moi, Jacques, vous m’avez surpris, j’étais ailleurs.

Être seul, ça aide à méditer, il semble plus calme qu’à mon


départ, mais il a quelque chose d’étrange, ou de changé en lui.
⎯ Vous semblez soucieux, c’est moi qui vous trouble ?
⎯ Pas du tout, Jacques, mais à l’instant où vous êtes parti, j’ai eu
l’impression de me retrouver seul, sur une île déserte, face à moi-même.
Quantité d’idées me sont passés par la tête, même plus que des idées,
c’est étrange.

Je dois rester sur mes gardes, il change vite d’attitude d’une


heure à l’autre.

⎯ J’ai réfléchi durant ma petite incursion dans Vinas et je me suis dit


que si je vous trouble par mes discours je peux vous laisser seul pour le
reste du week-end.

Je sais au fond de moi que j’ai besoin de lui, il a commencé à


ouvrir une brèche dans mon âme, il faut qu’on aille au bout.

⎯ Oh ! non, pas du tout, restez avec moi jusqu’au retour de Clara, si


votre femme ne vous attend pas, restez au moins jusqu’à demain.
Excusez-moi si ne suis pas toujours trop sympathique avec vous, mais
c’est mon caractère de chien qui en est responsable, je ne suis pas

158
forcément facile à vivre, je ne sais pas d’où je tiens cela, est-ce de ma
mère, de mon père ? ma mémoire a oublié son passé, mais pas ses
instincts.

J’ai vraiment envie de te faire confiance, je ne sais ce qui t’est


arrivé en mon absence, mais tu as dû ressentir quelque chose
d’inhabituelle.

⎯ Je vous l’ai déjà dit, ma femme ne m’attend pas, elle sait que je
suis ici, vous avez pu vous en apercevoir hier. Je reste, mais promettez-
moi de ne plus m’envoyer sur les roses à chaque fois que je vous dis
quelque chose, s’est fatigant.

Comment tenir une promesse lorsque ses instincts sont plus fort
que la volonté. Je ne peux m’y résoudre.

« As-tu déjà oublié que je suis en toi le glaive qui juge tes pensées,
l’effort est pour toi de ne pas m’oublier à chaque parole que tu
prononces, si tu me suis, qu’as-tu à craindre ? »

⎯ Vous me demandez une chose difficile, mais je ferai tout les


efforts qu’il faudra. Aidez-moi à surmonter mes défauts.
⎯ Cette aide est en vous, Steve. Vous connaissez mieux que moi vos
faiblesses et pouvez aller au devant d’elles mieux que quiconque.

Il a raison, je devrais peut-être commencer ce combat, et ne plus


me laisser dominer par toutes ces pensées.

⎯ Je suis au pied d’une montagne qui est bien au-delà de mes


capacités, le combat est inégal, je suis seul. Qui, en un week-end, peut
devenir parfais, il faudrait des vies entières.

Je dois le rassurer.

⎯ Où est le Steve O’Connor que j’ai rencontré hier à dix-neuf heures


dans son cabinet, existe-t-il encore ? vous reconnaissez-vous ?

Il a raison, suis-je encore le même ?

⎯ A chaque instant vous me piégez, vous avez fait tomber un mur,

159
mais pas encore la forteresse.
⎯ La forteresse est-elle encore inébranlable ?
⎯ C’est le mur de refend qui est tombé.
⎯ Alors, ce n’est plus qu’une carcasse qu’il nous reste à faire
tomber !
⎯ Le rempart de mes pensées est le plus dur. En attendant qu’il
tombe un jour, je vais nous préparer à manger.

Le rempart des pensées (ou plutôt : Thanksgiving)


Steve a bien une double nature, il le sait bien. A peine
commence-t-il a ouvrir les yeux qu’il tourne vite le dos pour s’échapper
de ce qui le bouscule. Après le pain, le repas est bien venu pour lui.
Pourtant, il a vraiment conscience qu’une brèche s’est ouverte en lui. Sa
femme lorsqu’elle était présente avec lui, devait souffrir de ne pas
pouvoir réellement communiquer et maintenant qu’il ne la voit plus, il
désire l’écouter. C’est toujours lorsque qu’on est séparé des êtres chers
qu’on s’aperçoit qu’ils nous sont indispensables. J’ai été comme lui à un
moment de ma vie avec Aqualuce, c’est après notre séparation que j’en
ai pris conscience ; à ce moment, j’ai ouvert le chemin de l’expérience
qui m’a fait parcourir une route infernale. J’aimerais que Steve et tous
les hommes ne suivent pas ma voie et qu’ils s’ouvrent à l’appel de leur
conscience directement afin que ce que j’ai vécu ne soit pas à refaire
pour eux. Mais il a raison, les pensées humaines forment un véritable
rempart à la pénétration de l’Amour dans notre être, tel que représente
Aqualuce pour moi, ou Clara pour Steve. Mon ami Starker, maintenant
disparu, agissait de même avec sa compagne qui s’est sacrifiée afin qu’il
s’éveille à sa vision profonde de la vie. Il faut que j’intervienne, pour
que Steve se dévoile et qu’il dise enfin ce qui le retient de pouvoir
librement laisser parler son cœur. Il m’a promis de rester calme, et de ne
plus s’énerver, mais c’est moi qui vais venir le chercher, il faut qu’il
explose et qu’il vide son sac. Tant pis pour le repas, je le rejoins dans la
cuisine.

⎯ Ça va, Steve, vous avez besoin d’un coup de main ?


⎯ Non, merci, j’ai pris dans le congélateur un plat préparé que Clara
avait mis de côté pour les imprévus, il me suffit de le réchauffer au four.

Bon, il va falloir entamer la conversation dans le bon sens, il n’a


pas l’air de vouloir parler. Allez, je me lance !

160
⎯ Steve, lorsque je suis revenu du boulanger, vous ne m’avez pas dit
ce qui vous travaillait, vous sembliez sortir d’un autre monde, vous avez
eu un problème, des nouvelles de Clara ?

Même dans la cuisine, il vient me chercher. Ne serai-je plus


jamais tranquille. Plus de répit et quand ce n’est pas lui, ça ce passe en
moi maintenant.

⎯ Jacques, lorsque vous êtes arrivé hier, vous avez commencé à


vouloir me bousculer et vous y êtes arrivé. Mais ce que je ne
m’imaginais pas, c’est que par la suite vous ne seriez plus le seul à me
harceler. Depuis ce matin, une autre voix se fait entendre en moi, qui me
tient un discours comme le vôtre. Lorsque vous êtes parti, je bouillais au
fond de moi et j’ai eu des idées qui allaient plutôt dans mon sens, j’y
voyais les intérêts de ma vie habituelle. Je me suis pratiquement
convaincu que j’étais bien dans ma peau, j’y étais presque parvenu, mais
d’un seul coup, une idée étrange est montée en moi, venant du fond de
mon être, je ne sais pas trop, mais plus qu’un discours, c’était comme si
j’avait Clara devant moi qui me faisait la morale, comme si elle avait
une voix. J’avais l’impression de l’entendre, elle était à côté de moi, le
plus étrange est que, j’aurais entendu ma mère me faire la morale, ça
aurait été la même chose.

Maintenant, tu ne peux plus m’accuser de vouloir faire de la


propagande pour une secte, tu sais que tu es touché par l’inhabituel.
Même si je pars, tu n’auras rien réglé.

⎯ Autrement dit, je ne suis pas le responsable de votre état, il était


sous-jacent et un jour ou l’autre vous seriez arrivé à la même situation.
Clara devait savoir qu’un jour vous deviez arriver à une situation comme
celle d’aujourd’hui. Que comptez-vous faire ?

J’ai mal à la tête, ce type a parfaitement raison, toujours raison.


En moi, le questionnement a toujours été présent, je l’ai toujours nié et
jusqu’à hier, j’ai pu esquiver jusqu’à ce jour ma réalité, mais je crois
qu’elle me suis depuis ma naissance. Ma conscience est comme Clara,
l’être disparu dont je dois me mettre à la recherche.

⎯ D’abord, prendre de l’aspirine, ensuite manger puis aller à la

161
recherche de Clara avec vous.

C’est un début, mais pourquoi pas !

***

⎯ Steve, écoute maman, tu es un petit garçon de quatre ans et tu as


tout à apprendre, alors ne sois pas capricieux, mange ce que j’ai préparé.
⎯ Tu ne crois pas que tu devrais le laisser tranquille, s’il n’aime pas
ta salade, il ne faut pas le forcer.
⎯ Ma salade je l’ai faite avec tout mon cœur et elle est bonne, s’il
commence maintenant à ne plus vouloir manger ce que je prépare,
qu’est-ce que ce sera lorsqu’il sera grand ?
⎯ Ta nourriture est trop bien faite, il lui faut autre chose.
⎯ Comment ça ? tu veux dire que je vous prépare des plats trop
bons, trop beaux. Demain, c’est Thanksgiving et nous recevons toute la
famille, je crois que je vais en faire le minimum, ce sera parfait à ton
goût. Je vais aller dans ce nouveau restaurant qui s’est installé
dernièrement. Comment appelles-tu ça déjà ?
⎯ Mac Donald, mais tu ne vas pas nous faire ça ?
⎯ Et pourquoi pas ! ce sera très original, tes parents vont apprécier !
⎯ Ça va pas, il y a la tradition, on n’y coupe pas, Thanksgiving, c’est
sacré.

Si tu ne m’aides pas pour que Steve mange sa salade je te


promets que toi et tes parents vont s’en souvenir.

⎯ Pour faire Thanksgiving, il faut l’avoir préparé du fond du coeur,


il faut avoir l’âme charitable et être prêt à se sacrifier pour les autres,
donner aux autres, et ne pas penser qu’à son nombril comme tu le fais à
chaque instant. Si tu veux faire la fête demain alors aide-moi à faire
manger Steve, au lieu de rire et de te moquer de ma nourriture. Allez,
prends ma place, moi je vais faire comme toi bien souvent, je vais me
divertir, à l’occasion, fais le repas pour demain, comme tu as l’air de me
critiquer, ce sera mieux. Moi, je vais terminer mon dîner chez Mac
Donald. N’oublie pas de coucher Steve, je ne rentrerai pas tout de suite.
⎯ Mais Marie !
⎯ Ah ! oui, n’oublie pas de faire la vaisselle.

162
Me voilà dans la voiture, je me demande comment il va s’en
sortir ? J’ai peut-être tort de laisser notre fils avec son père, car je sais
qu’il tente de lui montrer la facilité de la vie ordinaire et les bienfaits
d’un monde sans âme. Steve n’a que quatre ans, mais, s’il est comme
moi, il va comprendre, il ne se laissera pas duper, j’en suis sure…
Tiens, voilà donc ce fameux fast-food, Madison Street, ce n’est vraiment
pas loin. Je comprends que ça doit plaire aux enfants, avec ce gros clown
à l’entrée du restaurant. Finalement, je devrais peut-être emmener tout le
monde ici, demain. Entrons donc pour voir…

⎯ Good evening madam, what shall I give you?


⎯ I’ll have a Big Mac with a large French fries and a Coke.
⎯ It’s two dollars and thirty cents.
⎯ Thank you very much, have a nice day.
⎯ By-by madam.

C’est curieux, mais ça se laisse manger. Je comprends que ça


plaise ces hamburgers mais je n’en ferais pas une folie. C’est la solution
de facilité, tout le monde s’y laissera prendre au vingt et unième siècle.
Vingt et unième siècle ! qu’est-ce que je dis là, j’y étais il y a quatre ans
encore. Je me suis tellement habitué et Marie est si parfaitement devenue
ma nature, que ma vie d’hier n’est plus que le tableau d’une mémoire
d’avenir, j’ai vécu plus longtemps avec Steve enfant et Gary qu’avec
Steve mon mari, pourtant, j’ai l’impression de ne l’avoir jamais quitté !
étrange sensation. Ce qui n’importe aujourd’hui, c’est d’élever mon
enfant, et de l’aider à devenir un être conscient au delà d’un monde
ordinaire, trop agréable pour celui qui ne cherche plus loin que sa vision.
Des Big mac, des télévisions, demain, l’informatique et l’Internet, tout
ça pour oublier notre véritable nature d’homme, d’être sensible et
conscient, voilà ce qu’il faut voir. Non ! je ne laisserai jamais ce monde
stérile avoir prise sur notre enfant, il faut que je retourne à la maison, je
sens que Steve a besoin de moi…

Toutes les lumières sont allumées à la maison, rentrons vite…

⎯ Vous êtes encore debout, Gary, pourquoi Steve n’est-il pas encore
couché ?
⎯ On vient juste de terminer le repas, j’ai fait livrer une pizza, tu
sais, il faut quand même un peu de temps pour l’apporter. Mais je te jure
que Steve a apprécié, il n’a rien laissé dans son assiette, regarde-le,

163
maintenant, il est assis devant ma télé, il est très sage.

Ça ne lui a pas suffi, la dernière fois, que les enfants lui aient
cassé sa télévision.

⎯ Je ne peux pas te faire confiance, tu devais le coucher après le


repas, encore moins le mettre devant ton écran. Tu m’avais promis de ne
pas laisser Steve regarder ton engin de malheur et que tu ne regarderais
tes émissions que lorsqu’il serait couché. La pizza passe encore, mais la
télé, non. Je ne peux pas te faire confiance, jamais. Il suffit que je tourne
le dos cinq minutes pour que plus rien n’aille… Allez, viens mon garçon
maman t’emmène au dodo.
⎯ Maman, je veux encore la télé de papa.
⎯ Il n’en est pas question, tu viens te mettre en pyjama et au lit.

Ça me gêne de te faire pleurer, mais je n’ai pas le choix, si ton


père avait été raisonnable, ça n’arriverait pas.

⎯ Fais un câlin à maman, mon grand et, la prochaine fois, il faudra


obéir, tu seras moins triste…

Le voilà déjà endormi, je vais rejoindre Gary, il regarde sa télé,


je vais lui dire deux mots…

⎯ Gary, je ne regrette pas d’être allé chez Mac Donald, j’ai goûté
leur spécialité et, je me suis dit en même tant que, demain, je serais
heureuse d’inviter tes parents ici, ce sera original, qu’en penses-tu ?
⎯ Mais t’es pas bien, tu m’vois leur dire que nous les invitons au
fast-food, je vais me faire tuer !
⎯ Justement, n’essaies-tu pas de tuer notre enfant lorsque tu te
comportes comme tu l’as fait ce soir ? j’essaie de faire de lui un enfant
avec un esprit ouvert et imaginatif, toi tu te contentes de lui donner le
consommable quotidien de tous les mortels. Lorsque tu as apporté la
télévision, le jour de son anniversaire, tu as vu le résultat. Tu as voulu
garder ton poste à image et comme je ne suis pas un monstre, nous
sommes tombés d’accords, la condition était que tu ne le fasses
fonctionner que lorsque Steve est couché, tu connais mon avis sur le
sujet. Ce soir, lorsque je rentre, qu’est-ce que je vois ! tranquillement
Steve à moitié endormi sur le canapé, regardant la télé. Ce n’est qu’un
enfant de quatre ans, son imagination est à construire et ce n’est pas en

164
lui montrant vingt minutes de publicité toutes les heures qu’il deviendra
un être sain et équilibré.
⎯ Mais les autres enfants, ils…
⎯ Les autres enfants font ce que leurs parents ont décidé pour eux,
cela ne veut pas dire qu’ils ont raison, mais c’est la masse et elle se
laisse influencer par la norme et je sais aussi que tu aimerais bien que je
suive la règle, tout comme tu le souhaiterais avec Steve, mais ce que je
sais, c’est que la norme, c’est la mort de l’âme, la mort de l’esprit. Je
suis différente et Steve sera différent. Toi, Gary, qu’est-ce que tu fais
pour notre fils, penses-tu à son avenir et à son bien-être lorsqu’il sera
adulte ?
⎯ T’as vu, je lui ai fait plaisir avec la pizza, il a tout mangé.

Mon pauvre, si tu penses que la nourriture de l’estomac c’est ce


qui construit un enfant, si toute l’humanité pense comme toi, on est mal
parti sur Terre.

⎯ Mais, Gary, nous sommes des hommes, pas des bêtes. Pour ces
dernières leur but est la sauvegarde de l’espèce et leur survie, la
nourriture est un but pour eux, mais un enfant ne s’élève pas comme un
chien, ou comme un animal de cirque que l’on dresse avec des morceaux
de viande. Tu n’as pas de psychologie, tu vois que ton propre intérêt et
celui que tu avais ce soir, était d’avoir la paix avec ton fils, qu’il ait
mangé un repas pour te faire bien voir de ta femme et enfin, que je
prépare le repas de Thanksgiving pour demain. Mon pauvre, tu as tout
faux ! et je ne suis pas d’humeur à faire la cuisine ce soir, tu vas devoir
la faire seul.
⎯ Depuis que Steve est avec nous, rien ne va plus dans cette foutue
famille, j’ai l’impression que tu as changée le jour où il est né. Vous
avez débarqué dans ma vie comme des extra-terrestres en mission pour
détruire tout mes repères et mes concepts. Qu’ai-je fait de si terrible pour
que tu sois toujours sur mon dos ? Ne crois pas que tu vas me changer
comme ça, j’ai toujours été comme ça depuis que j’existe, je ne connais
rien d’autre que mon univers, l’aéronautique, c’est ma passion, en
dehors de ça, que veux-tu que je fasse ? Pour moi, ce monde ordinaire
que je connais depuis si longtemps me convient parfaitement, pourquoi
me parles-tu d’un monde différent ? Quand je t’entends parler comme
ça, tu m’énerves, j’ai parfois envie de…
⎯ Me frapper, merci, tu l’as déjà fait.

165
Vas-y, enfin tu parles, j’aimerais tant que tu vides ton sac, pour
voir ce qu’il y a au fond de toi.

⎯ Ce n’est pas ce que je voulais dire, juste que tu te taises. J’ai un


but, comme toi tu en as un pour Steve. J’aimerais un jour pouvoir vous
emmener encore plus loin que vont les avions actuellement pour vous
faire découvrir le monde. Je travaille chez Boeing sur des projets
formidables et révolutionnaires qui, peut-être, dans vingt ou trente ans
bouleverseront les transports aériens. J’aimerais que vous soyez les
premiers avec moi. Si vous me faites confiance je pourrais vous faire
voyager de façon extraordinaire. Mais pour cela vous devez me faire
confiance.

Quel rêveur, toujours plus loin et plus haut, pourquoi ?

⎯ Pourquoi attendre d’avoir l’avion parfait pour nous faire voyager,


avec les moyens actuels tu le peux déjà, alors qu’attends-tu ?
⎯ Je te hais parce que tu casses mes rêves à chaque instant, mais bon
sang, aime-moi comme avant !

Tu recherches l’amour, c’est un commencement, mais es-tu prêt


pour l’Amour ?

⎯ Es-tu prêt à abandonner tes avions, es-tu prêt à consacrer ta vie à


ton fils et te sacrifier pour lui ?
⎯ Je ne peux pas, j’aime mon métier, mes rêves et mes désirs.

Un pas est déjà fait, je peux lui pardonner son attitude de ce soir,
mais il en faudra des soirs comme maintenant pour qu’un jour il
change.

⎯ Approche-toi de moi, donne-moi tes lèvres.

Je t’embrasse, je te donne mon influx, ma pensée, mais…

⎯ Je ne t’aime pas aujourd’hui, mais je te laisse l’espoir qu’un jour


le miracle puisse arriver. Tu as entr’ouvert un œil ce soir, je ferai le
repas pour demain, car je ne veux pas que tu en veuilles à Steve. Mais
laisse-moi élever Steve comme je l’entends.

166
***

⎯ Ça m’a l’air appétissant ce que vous nous avez préparé, qu’est-ce


c’est ?
⎯ C’est de la dinde façon Clara, elle y met des baies.
⎯ Curieux, ça me fait penser à la dinde de Thanksgiving que les
Américains préparent.

Que vient-il de dire, ce mot, resurgit du fond de ma mémoire


perdue, j’en ai la tête qui tourne.

⎯ Ça va, Steve, j’ai dit quelque chose qui vous gêne ? vous êtes
pâle.
⎯ Vous n’y êtes pour rien, mais vous avez dit Thanksgiving et ce
mot je ne l’ai jamais entendu en France, jamais depuis notre accident.
Mais j’ai en même temps l’image d’une journée, quand j’étais enfant.
J’ai l’impression de revoir ma mère, préparer la dinde à Seattle, j’ai
l’impression de revivre ce qui aurait pu être une journée de fête. Quand
je pense que la dinde aux baies est la spécialité de Clara, c’est curieux
qu’elle ait affectionné ce plat, comme si elle avait toujours su le faire. Je
me demande pourquoi cette similitude, mais peut-être n’est-ce qu’une
impression. Ce qui est sûr, c’est que Clara et moi avons gardé nos
qualités d’avant l’accident, pour ma part, la médecine, elle, la cuisine. Je
peux vous certifier qu’elle n’a jamais ouvert un livre de recette depuis
que nous sommes sortis de l’hôpital, pourtant, je me régale.

La ressouvenance du passé se manifeste encore, comme si nous


étions sur la bonne voie. Le rayon de Monadis qui un jour a pénétré la
Terre est vraiment puissant.

⎯ Vous m’interpellez, Steve, avez-vous des souvenirs précis sur


cette journée ?

Quelle est cette magie qui fait que depuis qu’il est ici, plus rien
n’est comme avant. Une mémoire semble s’installer dans mon esprit,
qu’y a-t-il en moi ?

« J’ouvre les yeux depuis hier, tu commences à m’écouter depuis que je


parle avec la force de la vie et mon âme s’emplit de l’expérience du
passé perdu dans le tréfonds de nos esprits, j’y vois les lumières perdues

167
autour de nos vies. Je connais ton histoire, je l’ai faite avec toi. »

Et cette force qui me touche comme une vérité que l’oreille de


mon esprit semble comprendre en cet instant, je dois l’accepter comme
guide et lui obéir.

⎯ Chez nous, Thanksgiving, ça commençait toujours dans la cuisine,


je revois encore ma mère qui…

⎯ Steve, si tu veux aider maman, apporte-moi les pommes de terre


qui sont dans le panier devant toi…

⎯ Je me revois encore l’aider malgré mon jeune âge, j’étais très


content de participer avec elle à la confection du repas. Je crois que
depuis ce jour, je n’ai jamais plus refusé de manger ce qu’elle me
préparait, peut-être ai-je pris conscience que faire la cuisine n’était
jamais facile et qu’elle y mettait tout son amour. Je la regardais préparer
la purée…

⎯ Merci mon chéri, tu peux m’en apporter encore, nous sommes


nombreux, mais je ne vais pas te demander de les éplucher, regarde-moi
faire, comme ça, lorsque tu te marieras, tu pourras montrer à ta femme
que tu sais aussi faire le repas, lorsque tu seras grand, les femmes
aimeront les hommes comme ça !...

⎯ J’aimais bien regarder ma mère, elle m’a appris beaucoup de


choses comme ça qui, à cette époque, semblait dérisoire pour le genre
masculin, je crois que mon père qui m’observait m’en voulait d’être trop
proche de ma mère et de faire comme elle. Je pense qu’à cette époque il
a voulu m’entraîner avec lui pour me séparer d’elle et j’ai conscience
maintenant que je ne suis pas libéré de l’emprise paternelle qu’il
souhaitait m’imposer. La mémoire n’est pas là, mais le sang a tout
enregistré…

⎯ Tant pis si, ton père te voit m’aider, il devrait prendre exemple sur
toi car au moins tu n’es pas avare pour rendre service. Tu vois, Steve,
maman prépare la fête de Thanksgiving pour les invités, nous serons
nombreux ce midi, il y aura papy Tom, mamy Emma, Tati Demi avec
son mari John, tonton Richard et enfin, tata Michèle, ma sœur qui vient
de Paris passer quelques jours à la maison. Je suis sure que tu vas bien

168
t’amuser avec eux, ils sont très gentils…

⎯ Ce jour-là, la famille était invitée. Ce devait être une superbe fête.


Alors il fallait réussir le repas. Après la purée, c’est la dinde que ma
mère devait faire cuire. Je l’ai aidé à préparer les baies pour faire la
sauce…

⎯ Steve, maintenant, prend le sachet gris qui est posé sur la table et
vide le dans le plat qui est à côté. Je vais faire la sauce aux cranberries
pendant que la tarte à la citrouille cuit au four. J’ai encore du travail, car
je dois faire la tarte aux pommes, les sweet potatoes. Goûte la sauce et
dis-moi si tu l’aimes…

⎯ Sa sauce était délicieuse, mais tout s’est gâté lorsque mon père est
entré dans la cuisine…

***

⎯ Mais qu’est-ce que fait Steve dans tes jambes, il va te retarder, les
invités arrivent dans une heure et vous rigolez !

Mais je rêve : monsieur prend son temps dans le salon, lit son
journal et lorsqu’il ouvre la porte de la cuisine, c’est pour nous
engueuler !

⎯ Mon chéri, Steve contrairement à toi m’aide à préparer le repas et


il trouve ça très bien d’être avec sa maman. Il apprend à faire la cuisine
et il aime ça.
⎯ Ce garçon a autre chose à faire que rester dans tes jambes dans la
cuisine, ce que tu lui montres c’est un métier de femme et je pense qu’il
perdrait moins son temps en apprenant comment vole un avion ou la
façon de conduire une voiture. Tes trucs de filles, c’est pas pour lui, il
n’a rien à faire dans cette cuisine.
Viens avec moi Steve, ta mère est pressée, laisse-la tranquille, les invités
vont arriver.
⎯ Mais de quoi te mêles-tu ? il ne me gêne en rien, je te le redis, il
est heureux de m’aider. C’est un enfant et tu lui parles comme à un
adolescent. A quoi a donc servi notre discussion d’hier soir ? tu semblais
prendre conscience et tu replonges. Gary, tu vas finir le repas tout seul,
je vais partir avec Steve si tu ne t’excuses pas devant lui.

169
⎯ Recommence pas ton cinéma, nous étions d’accord pour que ça ce
passe bien aujourd’hui.
⎯ Sous certaines conditions et je dois te rappeler ce que représente
Thanksgiving. C’est une fête où tous se réunissent pour penser aux
autres à ceux qui sont malheureux, c’est un jour où l’on pense à faire une
bonne action, donner aux pauvres, faire acte de charité. C’est un jour
national de bonté. Et toi ! que fais-tu à part te mettre les pieds sous la
table ? où est ta bonne action ? à voir ton visage, tu as l’air pitoyable. Et
moi qui hier étais prête à te pardonner et qui me faisais une joie de
recevoir ta famille et ma sœur. Tu m’as trompée encore une fois et
maintenant tu t’en prends à Steve parce qu’il est différent de toi,
m’écoute et me prend pour modèle. Qu’as-tu à me dire pour te
rattraper ?
⎯ Mais, bon sang, j’étais sincère hier. Et pour ce qui est de
Thanksgiving, c’est avant tout une fête de famille, l’occasion de se
retrouver tous réunis. Moi, je ne sais pas faire la cuisine, en quoi veux-tu
que je t’aide ?

Toujours mielleux lorsqu’il le faut, avec les mots qu’il faut pour
avoir raison, je te connais, Gary. Ça ne marchera pas aujourd’hui.

⎯ Mon chéri, tu as parfaitement raison, à la question que tu viens te


me poser si gentiment, tu peux prendre mon tablier, venir à ma place, car
Steve et moi avons une course à faire, tu es gentil de terminer ce que j’ai
commencé. Viens avec maman, mon garçon, on va chez Mac Donald !
⎯ Mais tu peux pas me laisser seul avec la cuisine et les invités qui
vont arriver bientôt, je ne vais pas m’en sortir.

Sans complexe, tu m’as laissée seule pour tout faire.

⎯ Mais, tu n’as pas à t’en sortir, tu es déjà dedans, jusqu’au cou,


alors, assume !
⎯ Tu vas faire rater cette fête, c’est impossible.

C’est fort probable et je le fais sans remords.

⎯ Je ne peux aimer un homme qui en veut à son fils d’aimer sa mère


ainsi qu’à sa mère d’aimer son enfant. Tu es impardonnable, je vais voir
chez Mac Do, je crois que les jeunes disent comme ça, si la cuisine est
meilleure qu’à la maison. Je prends un grand sac de vêtements pour les

170
donner aux pauvres, avec la dinde et quelques fruits.
⎯ Mais t’es pas bien, ça ne se fait pas. je veux que tu restes ici, je
t’interdis de sortir.

Il attrape Steve pas la main et il le met à l’écart de moi, il le tient


maintenant derrière son dos, le cachant derrière sa grande silhouette ; il a
mis main basse sur notre enfant. Je ne peux accepter qu’il le prenne en
otage.

⎯ Maman, papa me fait peur !


⎯ Lâche Steve, il n’a pas à être mêlé à nos affaires, il y est pour rien,
tu l’entends, tu lui fais peur.
⎯ Tu fais la cuisine ?

Otage, nous le sommes vraiment. On aura tout vu. Mon enfant


est plus précieux que tout, je sacrifierais ma vie pour lui. Tu as gagné la
bataille, mais c’est une guerre et elle sera longue, très longue.

⎯ Bien sûr mon amour, comme tu voudras, mais avec Steve, laisse-
moi maintenant travailler, va lire ton journal et prends-toi un whisky, ça
va te détendre.

Tu relâches Steve, tu te retournes et ne dis mot.

⎯ Viens mon grand garçon, on va continuer. Pour apprendre à faire


le repas, il faut bien écouter maman. Regarde-moi faire, l’exemple est
toujours le meilleur apprentissage. N’écoute pas ton père lorsqu’il dit
que la cuisine est un travail de femme, il n’a pas de culture, c’est bien un
Américain, il ne connaît pas la cuisine française comme on la fait dans
mon pays. Les plus grands cuisiniers sont des hommes, comme
Raymond Oliver, Paul Bocuse qui ont un talent formidable ; ils seraient
pliés de rire à me voir faire cette dinde aux cranberries. Bien, mettons la
dinde au four.
⎯ J’aime bien "ton mangé" maman, je t’aime maman.
⎯ Je ne suis pas très bonne cuisinière, mais je m’occuperai toujours
bien de toi, maman t’aime aussi et même très fort.
⎯ Je te promets, je serais très obéissant ; promis maman.
⎯ Viens, je te fais un bisou.
J’entends qu’on sonne à la porte, ce n’est pas vrai, ils sont en

171
avance.
⎯ Vite, Steve, nos invités arrivent, on va les accueillir.

C’est ma sœur, elle est arrivée avant tout le monde, ça ne


m’étonne pas d’elle. Je vais l’aider à porter ses bagages pour la faire
rentrer dans la maison.

⎯ Donne-moi ta valise, Michèle, t’as l’air bien chargée, entre, il ne


fait pas chaud dehors.
⎯ Bonjours, Marie, je suis un peu en avance, tu comprends, j’ai pris
un avion plus tôt que prévu, tu sais que je n’aime pas être en retard.
⎯ Mais au contraire, ça me fait très plaisir que tu sois déjà là.
⎯ Oh ! comme Steve a grandi depuis que je l’ai vu il y a deux ans,
ça pousse vite les enfants. Et toi, t’as plutôt changé je ne t’ai pas tout de
suite reconnue avec tes cheveux courts, mais ça te va très bien.
⎯ Oh ! tu sais la mode aujourd’hui, les hommes ont les cheveux
longs, les femmes se les font couper.
⎯ T’as raison, vive l’émancipation de la femme !
⎯ Tais-toi, si Gary t’entend, il va se mettre en furie, il va croire que
c’est une conspiration.
⎯ Suis-moi, je vais te montrer ta chambre, raconte-moi comment
vont nos parents…

Oh ! non, ça fait plus d’une heure qu’on parle, j’ai oublié la


dinde et les pommes de terre sur le gaz.

⎯ Ça sent le brûlé, vite à la cuisine…

J’étouffe dans cette pièce, c’est plein de fumée. Je crois qu’il me


manquait un Paul Bocuse dans la cuisine. Parce que j’ai tout fait brûler,
la dinde est noire et les pommes de terre ne sont plus que des morceaux
de charbon. Bon, prenons notre courage à deux mains et allons voir
Gary.

⎯ Tu viens avec moi, Michèle mon cher époux est justement dehors
pour accueillir ses parents.

Je crois que cette nouvelle sera pour toi la meilleure de la


journée, tu vas l’apprécier !

172
⎯ Gary, Gary, as-tu dit à tes parents que nous allons manger à
l’extérieur ?
⎯ Hein ! Quoi ?
⎯ Et bien, oui, comme prévu, on va tous chez Mac Donald pour faire
plaisir à Steve. Tu sais bien, on lui a promis hier !
⎯ Pardon ?

Je vais lui souffler dans l’oreille pour que ses parents n’entendent
pas.

⎯ J’ai oublié la dinde et les pommes de terre sur le feu, tout est brûlé, il ne reste
que du charbon, alors on a pas le choix, c’est comme ça. Joue le jeu sinon on va tous
être ridicules.
⎯ Ah ! oui, j’oubliais, on voulait vous faire une surprise ! prenons
l’apéritif ici, après vous nous suivrez, nous vous invitons dans un
nouveau restaurant, vous allez voir c’est très bien pour les enfants et on
mange très bien.

Fais pas la tête, de toute façon, ce serait plus dur d’avaler la


dinde que d’avaler un Big Mac. C’est moi qui ai gagné cette bataille, de
toute façon, tu n’avais pas le choix, dès le début, il fallait m’écouter,
Steve aurait mangé son repas, tu n’en serais jamais arrivé là !
Steve, mon enfant, écoute ton cœur comme tu écoutes ta mère et obéis
lui, pour que, lorsque tu seras grand, tu ne te perdes pas à travers ce
monde trop ordinaire et lorsque je te retrouverai adulte comme je t’ai
laissé, tu sauras reconnaître la vérité et entendras véritablement ma voix
perdu comme ce qui résonne certainement aujourd’hui dans ton cœur.

Noël 1ère partie


⎯ Voyez-vous, Jacques, c’est la première fois de ma vie que j’allais
dans un fast food. J’ai cette vision de toute la famille dans le restaurant,
je crois qu’ils sont tous ressortis enchantés.
⎯ Ce sont des flashs qui arrivent à votre mémoire, comment faites-
vous pour me raconter aussi précisément tous ces détails ?

Quelle magie, pourquoi ai-je attendu sa visite pour pouvoir faire


de tels progrès dans le souvenir de mon passé ?

⎯ Des portes s’ouvrent dans ma tête,mais le plus important, c’est

173
que j’ai l’impression que ma mère essayait de me dire quelque chose
durant ce moment-là.
⎯ Ah oui, vous vous en rappelez ?

Mais comment me souvenir de mots précis, vieux d’au moins


trente ans ? Que peut-il rester dans une mémoire déjà ébranlée par
l’amnésie ?

« Écoute-moi comme tu écoutais ta mère et lui obéissais, pour que


maintenant tu ne te perdes plus à travers ce monde trop ordinaire.
Lorsque je resterai en permanence avec toi, tu sauras reconnaître à tout
moment la vérité et tu ne seras plus jamais trompé par le brouhaha
incessant de tes pensées. »

⎯ Une force étrange me fait dire sans réfléchir des mots comme
écouter, obéir ? Mais je crois que c’est l’amour de ma mère dont il est
question, j’ai du mal à saisir ce qui se passe entre cette ressouvenance
instantanée et cette chose étrange qui surgit de mon cœur.

Écouter et obéir sont les clefs qui ouvrent les portes à la


conscience, moi-même depuis que je suis avec Aqualuce, je dois me fier
à ce qu’elle me dit, sa raison est toujours la plus juste, je l’écoute et je lui
obéis. Steve, tu es sur la bonne voie. Je ne sais pas, mais j’ai le sentiment
que tu viens de franchir une étape importante qui peut t’aider à aller plus
loin dans la recherche que nous avons commencée ensemble ce week-
end. Cependant, es-tu prêt à retrouver Clara dès maintenant ?

⎯ A quoi vous font penser ces mots, que représentent-ils pour vous ?

Des mots, des pensées, bien des choses se bousculent dans ma


tête, et Clara disparue pour compléter le tout. Ecouter, obéir, j’ai
l’impression de revenir à l’école primaire. Je suis un adulte responsable,
pourquoi devrais-je recommencer comme un enfant à éduquer ? j’ai pas
besoin de tout ça, moi. J’ai une femme, mes parents sont morts. A qui
obéir si ce n’est à mes convictions.

« On obéit toujours à un maître, mais on ne l’aime pas forcément. A son


épouse, on se plie par amour et dévouement. On entend le maître par
obligation, mais on est à l’écoute de son épouse par désir. Tout ce que tu
fais pour le maître, c’est pour lui. Tout ce que tu fais pour moi, tu le fais

174
pour toi. Si tu quittes ton maître, tu es libre, si tu m’abandonnes, tu es
perdu. Désire-moi, je te donnerai l’Amour. »

⎯ J’ai un désir d’amour pour l’être cher qui n’est pas ici aujourd’hui.
Écouter et obéir à ma bien-aimée est l’image que ces mots me laissent.
J’aime Clara, je serais si malheureux de la perdre que je serais prêt à tout
pour elle. Jacques, je ne tiens plus, j’aimerais aller à sa recherche juste
après le repas, voudriez-vous m’accompagner ?

Tu tournes autour du pot, mais tu ne t’en approches pas


beaucoup, tu dois aller au fond du problème. Et maintenant, tu veux
partir à la recherche de Clara pour combler un vide que tu ne saisis pas.
En fin de compte, tu as raison, ne l’ai-je pas fait pour Aqualuce lorsque
je l’ai rencontré.

⎯ Je suis avec vous et si vous partez, je vous suis, comptez sur moi,
mais ne vous attendez pas à un résultat immédiat.

Je veux bien que Clara ait eu envie de nous laisser seuls pour
quelques heures, mais elle ne savait pas que Jacques resterait pour le
week-end, ce n’est pas normal qu’elle ne soit pas de retour, il a dû lui
arriver quelque chose. Ces trucs de l’esprit sont moins importants que la
vie de Clara.

« Mais que recherches-tu au fond de toi, Clara, l’âme sœur ? ne serait-


elle pas un seul être ? Qui trouver en premier ? L’âme ou l’Etre ? Qui
des deux peut t’aider à trouver l’autre ? Qui de l’âme ou de l’Etre
désires-tu ? la désires-tu, me désires-tu ? »

Plus jamais tranquille ! mes choix ne sont plus guidés d’instinct


par mes pensées, autre chose me fait agir.

⎯ Nous partirons après le café, mais j’ai, hélas, le sentiment que ça


ne servira pas à grand-chose, je ne sais plus vraiment dans quelle
direction, je dois mener ma recherche, je suis troublé par sa disparition et
aussi par ces changements dans mes convictions et mes sentiments.

Ce n’est jamais facile de se trouver sur la frontière de deux


peuples qui se font la guerre depuis si longtemps, nos convictions ne
sont pas nos sentiments, c’est ça le trouble. Il faut savoir un jour ce que

175
l’on désire et ne pas l’oublier, mais ce qui est certain, c’est qu’il faut agir
pour comprendre.

⎯ Steve si vous souhaitez aller à la recherche de Clara, il faut le


faire, je comprends votre inquiétude à son sujet, moi-même je pense que
je réagirais comme vous et même peut-être avec encore plus d’angoisse.
C’est entendu, je vous emmène après le repas, vous pouvez compter sur
moi. Une petite chose, Steve ! la dinde de Clara était délicieuse, depuis
très longtemps, je n’en avais pas mangé, je comprends que vous vouliez
la retrouver, elle fait des plats exquis.

Je n’ai qu’un seul désir, la retrouver, elle est mon âme perdue,
ma conscience et ma mémoire.

⎯ Vous comprenez pourquoi je tiens à elle ! vous prenez un dessert,


Jacques ?

Ne le faisons pas attendre, cette situation n’est pas très agréable


pour lui.

⎯ Je vous aide à débarrasser, prenons le café et partons.

***

Ces Santa-Claus dans quelques jours et Gary m’a proposé de


passer la fête dans un chalet au Canada qu’il a loué pour la semaine, il a
insisté pour tout organiser, même les repas seront fournis. Il dit que c’est
pour que nous prenions du bon temps et que des vacances, ce n’est pas
pour travailler. Il veut me faire plaisir pour que moi aussi je me repose.
Mais le fait est qu’il a peur qu’une fois de plus je fasse brûler la dinde et
les pommes de terre, il craint que, comme pour Thanksgiving, je ne sois
pas à la hauteur. De plus, si nous avions passé Noël à la maison, les
parents seraient encore venus et il pense qu’il a tout à craindre. Je ne
crois pas qu’il ait envie de retourner chez Mac Donald pour le réveillon.
A moins qu’une autre idée lui passe par la tête ? Cependant, Steve est
très heureux de partir pour Noël et, je comprends, car les enfants aiment
le changement et puis, lorsqu’il y a des cadeaux, c’est toujours bien.
Noël, c’est magique, je veux que pour lui cette fête soit vraiment un
moment important. Je ne voudrais pas qu’il me voit et m’entende me
fâcher avec Gary. Justement, il me fait signe, la voiture doit être chargée,

176
j’espère que je n’ai rien oublié.
⎯ Marie, c’est prêt, j’ai tout mis dans le coffre, on peut partir.
⎯ OK, je mets Steve sur le siège et on y va !

Santa-Claus, Noël, c’est parti…

***

⎯ Maintenant que nous sommes en voiture, Steve, où va t-on ?

Ne laissons pas apparaître que je n’y ai pas réfléchi, je dis des


choses que mes pensées me suggèrent, mais ça manque de suite, je dois
reconnaître que mes pensées ne sont pas toujours bonnes conseillères.
Comme Clara a dû passer la nuit à l’extérieur, et qu’elle est à pied, je
devrais aller voir dans les hôtels des environs, elle a toutes les chances
d’y être.

⎯ Bien évidemment, nous allons déjà sur Vinas pour voir si elle ne
serait pas dans une des chambres d’hôtes que propose un viticulteur.

Ça me paraît évident, mais un peu trop simple.

⎯ Clara n’a-t-elle pas de voiture, ne serait-elle pas allée plus loin,


vers Bordeaux ?

J’espère pas, de toute façon, elle aurait dû faire du stop !

⎯ Elle n’a pas de voiture, elle ne doit pas être loin.


⎯ A-t-elle des amies, à qui nous pourrions rendre visite, elle est
peut-être chez l’une d’elles ?

Je n’y avais pas pensé ! mais Clara n’a que deux amies qui soient
proches. J’aurais dû les appeler dès hier soir, je n’en serais pas là
aujourd’hui, c’est évident.

⎯ Vous avez raison, passons d’abord cher Katia, si elle n’y est pas,
nous irons voir Bénédicte.
⎯ Vous m’indiquez la route ?
⎯ C’est la première maison avant d’entrer dans Vinas, vous ne

177
pouvez pas la louper.

Je me demande bien où nous mène cette petite enquête.


J’aimerais bien sûr qu’il retrouve Clara, mais j’avoue que sa disparition
est un peu étrange. Je me demande si Aqualuce n’y serait pas pour
quelque chose ? d’ailleurs c’est bien étrange de m’avoir envoyé chez
eux, je n’ai aucune idée du but, et pourtant me voici pris dans une
histoire peu ordinaire, auprès d’un homme qui semble devoir vivre ce
qui un jour a été mon parcours. Alors que j’ai mis deux ans dans des
conditions extrêmes pour l’accomplir, lui, semble devoir le réaliser en
quelques heures !
Je peux certifier que je ne suis que témoin de ce qui le touche
aujourd’hui, pas celui qui dirige. Ce qui se passe en Steve est comme
une intervention plus subtile qui émanerait d’un être en soif de liberté.
Auprès de lui, je ne suis qu’un messager porteur d’une force que je ne
possède pas, c’est ça qui est extraordinaire. J’ai le sentiment que
d’instinct cette force est capable d’agir lorsqu’il le faut, guidé par ma
lumière, ma femme. Si d’autres hommes sont comme moi, Aqualuce
pourrait bientôt monter une armée entière pour toucher tous les hommes
comme Steve ; si c’est juste, le rayon qui a frappé la Terre le onze
septembre deux mille un, présente une force extraordinaire. Que suis-je
face à tout cela, aujourd’hui ?
Je suis un homme, touché par l’Amour d’une étoile bien étrange, j’ai été
projeté dans un univers si différent de mon monde ordinaire qu’il y a
quelques années, lorsque je suis revenu dans le monde courant, j’ai eu le
sentiment de renaître sur terre et de faire mes premiers pas en compagnie
de ma femme, alors que j’avais déjà trente-deux ans. Guidé par
Aqualuce, j’ai pris conscience que je ne pouvais plus être comme tous
ceux qui m’entouraient, j’avais en moi un point plus lumineux que mille
soleils dans le cœur. A cette naissance, une lumière s’était installée dans
mon être. Cette flamme incandescente a un nom, "Graine d’Etoile",
d’ailleurs plus tard j’en ferai un roman pour faire comprendre à tous les
hommes de la Terre ce qui m’est arrivé un jour, car le résultat, je le
souhaite à tous, sans exception. Cette graine, ou cette lumière, ce qu’elle
a fait en moi est formidable, car elle a modifié toute ma vision du monde
et je me suis libéré de toutes ses attaches. Je suis devenu un Electron
Libre pour avoir su me détacher de tout le système ordinaire des pensées
qui me trompaient à chaque seconde de ma vie. J’ai découvert auprès de
moi un astre parfait qui me touche et me nourrit de sa force. Je ne suis
pas Lumière, je ne suis pas un surhomme, non, rien de tout ça, mais j’ai

178
un jour accepté de suivre ma lumière, qui pour moi est devenu mon
épouse. Elle est justice, vérité, force, amour et courage, mais surtout
Amour. C’est pour ça que, ressentant ses qualités, j’ai compris que tout
ce que je connaissais en dehors d’elle n’était que mensonge. Elle me
guide jour et nuit, je suis son serviteur de la même façon. A partir de cet
instant, plus rien de ce qui faisait les remparts de ma vie ne s’est dressé
devant moi, l’ayant choisi comme maîtresse, elle me protège. Bien sûr,
cette guerre des deux mondes en moi n’est pas finie, mais je sais déjà qui
en sera le vainqueur. Néanmoins, bien qu’ignorant, de par mon guide, je
peux déjà collaborer et par mon intermédiaire toucher les hommes qui
pleurent la vérité. Steve fait partie de ceux-là et pour lui, aujourd’hui,
bien que nous soyons le six juillet, en plein été, c’est déjà Noël ! pour
moi aussi, c’est tous les jours Noël, car ma femme, ma force, m’inonde
de sa bienveillance, et de son réconfort. Noël, c’est mon jour comme
celui d’Aqualuce, nous sommes nés tous les deux le vingt cinq décembre
mille neuf cent soixante huit. Ce qui me rend vainqueur, c’est que je
désire profondément, à chaque seconde, mon épouse et toutes mes
pensées sont pour elle.

***

Si ça pouvait être Noël dans la vie de chaque homme comme


dans la vie de tous les jours, Gary ne serait pas ce qu’il est, il n’y aurait
plus de guerres ni de crimes, l’humanité serait libérée de ses chaînes et le
mal ne serait plus. Mais nous sommes tous encore prisonniers et je dois
me battre avec mon mari bien souvent pour préserver l’espace de liberté
autour de mon enfant et moi. Je devrais désirer mon époux mais je le
hais plus que quiconque pour le mal qu’il génère à chaque pensée.
Pourtant, il me désire non pour mon esprit, mais pour mon corps.
Lorsque je vivais avec Steve dans le troisième millénaire, je ne rêvais
que d’une chose, c’est qu’il me désire pour mon âme, mais, comme tous
les hommes, c’est mon corps qui l’attirait le plus ; pourtant, je crois qu’il
avait un autre désir au fond de son cœur, mais jamais il n’a su l’exprimer
durant notre vie de couple. C’est fort dommage, j’aimerais tant qu’il
change et qu’il laisse aller son cœur vers son désir profond, je pense au
nombre de fois où il a dû s’égarer, l’oubliant trop souvent. Mais Noël est
là et mon enfant apprendra aujourd’hui à désirer autre chose que de
simples cadeaux ; Steve a à découvrir dans ces jours exceptionnels que
l’Amour est le premier cadeau qu’il reçoit. Gary a rempli le coffre de la
voiture de cadeaux pour nous tous, plus que de façon excessive, alors

179
que je ne souhaitais que des jeux d’éveil pour Steve. Gary gagne l’argent
du ménage et estime que je n’ai rien à dire sur ses dépenses. Je trouve un
peu triste que cette fête de Noël soit devenue simplement commerciale,
l’essentiel est oublié et ce n’est pas les églises qui feront retentir l’hymne
à la liberté de l’esprit et de la conscience dans ces jours-là, car elles en
sont encore à glorifier des bœufs et des ânes dans une étable. Le seul
enfant qui soit né dans ses conditions il y a deux mille ans, a-t-il
vraiment entendu parler de la Lumière de l’esprit et de royaume des
cieux ? Le seul enfant qui soit né dans la lumière de la vie et qui se soit
sacrifié pour l’humanité, c’est l’étoile que je porte dans mon cœur, et
que chacun a aussi dans le sien ; et cette étoile, c’est Noël. Je souhaite
que Steve trouve cette flamme en lui et qu’il ne l’oublie pas lorsque je ne
serai plus là. Cette étoile, pour la voir, il faut la désirer, et l’écouter, elle
nous permet de ne jamais s’égarer, elle devient, au fil du temps notre
protectrice. C’est vraiment ça, Noël, c’est mon désir le plus cher pour
mon enfant et pour tous ceux de la Terre.
Steve dort depuis une bonne partie du voyage et je crois que nous
arrivons bientôt.
⎯ Ce n’est plus très loin, Gary ?
⎯ Dans une demi-heure tout au plus. C’est bien enneigé,
heureusement que les chasses-neiges on fait leur boulot.

Je me demande ce que Gary a acheté pour Steve, il a un sac


rempli que je n’ai pas pris le temps de regarder. Nous étions bien
d’accord au début que j’achèterai moi-même les jouets que Steve avait
commandé sur mes conseils ; il m’a demandé une panoplie de cow-boy,
une guitare et le Tip-It, ce jeu d’adresse qui fait rigoler tout les enfants.
Au dernier moment, Gary a décidé d’aller au magasin à ma place.
Maintenant, j’ai l’impression qu’il en a rajouté.

⎯ Comme Steve dort, peux-tu me dire si tu as tous les jouets qu’il a


commandés et ce que tu as acheté en plus, que je ne sois pas trop
surprise.
⎯ Ca va lui plaire, j’en suis certain, j’ai pris ce qu’il y avait de
mieux dans le magasin, j’en ai eu pour une fortune !

Son assurance commence déjà à m’inquiéter, qu’a-t-il encore


fait, il n’a pas envie d’en parler.

⎯ Ne me dis pas que tu as recommencé comme pour son

180
anniversaire, rappelle-toi de la télévision. As-tu acheté les jouets qu’il a
mis sur sa liste ?
⎯ Justement, hier, lorsque je suis entré dans le magasin, j’ai eu un
trou de mémoire.

Voyez-vous ça ! il ne me l’avait pas encore fait celle-là !

⎯ Je suppose que tu l’as retrouvée dans ton portefeuille ?


⎯ T’as toujours ton mauvais humour, tu n’as jamais de mot doux
pour moi, à croire que je ne fais que le mal lorsque j’ouvre la bouche ou
que j’achète quoi que ce soit.

Tu fais des progrès, bientôt tu vas lire dans mes pensées !

⎯ Tu me connais, je te connais, ça fait quatre ans que tu te


comportes de la même manière avec Steve, alors, je suis capable de
prévoir d’avance ce que tu feras. Maintenant, aie le courage de me dire
ce que tu as acheté pour Noël à notre enfant. Je me trompe peut-être,
mais j’ai le sentiment que tu t’es fait plaisir avant Steve.

Tiens, tu rougis, pourtant, c’est pas les grandes chaleurs, et toute


la route est gelée.

⎯ J’en ai marre de toi, t’es là pour juger tout ce que je fais. Tu


prends plaisir à me voir faire des erreurs avec notre fils. A chaque
pensée, à chaque action que je fasse, tu me contredis et tu t’interposes
pour que Steve ne m’écoute pas. Comment veux-tu que, moi qui suis son
père, je lui fasse son éducation si tu es toujours à me désavouer ?
Heureusement que quand tu te reposes parfois, j’arrive à lui parler
librement et l’entraîner dans mes jeux. Lorsque je le prends avec moi, je
suis libre de lui montrer tous ce dont j’ai envie, il ne bronche pas, au
contraire, il en redemande. Ça, tu ne le vois pas. Il aime bien que je
l’emmène dans les magasins pour faire des courses, je peux lui acheter
tout ce qu’il réclame.

Mais comment peut-on être aussi stupide que ça ! ce n’est pas


comme ça qu’on fait l’éducation d’un enfant. Tu achètes ta tranquillité
de cette façon, j’appelle ça du chantage d’esprit.

⎯ Tu n’as que des dollars à la place de la langue, c’est toujours de

181
cette manière que tu agis avec nous. Ne t’étonne pas que je sois toujours
contre toi, ce n’est que lorsque tu changeras, que je changerai de
discours. En attendant, il est évident que je m’interpose et, en général,
Steve de son regard m’implore et dans ce cas je ne peux rester inactive.
⎯ Mais, ma chérie, tu dis n’importe quoi, je vous aime et je souffre
de ce que tu ne m’aimes pas en retour. Je te désire, à chaque seconde de
ma vie, ton corps me fait vibrer.

Ton désir est pour ton plaisir, tu ne vois que cela en moi.

⎯ Mon chéri, de ce désir, je ne le souhaite plus depuis longtemps, tu


te trompes de direction à mon sujet, mon corps, même s’il est gracieux
n’est pas ce que j’ai à donner, tu ne vois que ton propre intérêt et celui
que tu as entre les jambes. Mais je ne suis pas de la chair à éjaculer, je
suis une femme, la mère de notre enfant, et mon esprit est le cœur de ma
vie. Je n’aime pas l’homme qui s’arrête juste devant ses sens, t’es-tu
demandé pourquoi tu te laisses guider uniquement par cela ?
⎯ C’est plus fort que moi, c’est mon instinct d’homme, mon corps
réclame son plaisir, j’ai soif de distribuer ma semence. Donner la vie,
créer, engendrer est le véritable pouvoir que je possède.

Je ne peux pas lui en vouloir pour ça, mais le véritable reproche


que je peux lui faire, c’est d’être devenu l’esclave de son ridicule
pourvoir créateur maintenant concentré dans son slip.

⎯ Je crois, Gary, que tout ton problème vient effectivement de ton


instinct, c’est tout l’héritage familiale de tes pensées qui fait ce que tu es.
J’espère que Steve ne sera pas comme toi lorsqu’il sera grand.
⎯ Lorsque je t’écoute, j’ai l’impression que tu as l’intention de
changer l’humanité entière.
⎯ Je te le dis sans réfléchir, c’est vrai !
⎯ Alors, si tu dis vrai, il te faudra plus que deux bras, deux jambes et
une tête, car l’humanité, c’est moi et les autres et nous t’aurons piétinée
avant que tu n’aies eu le temps de nous voir arriver sur toi.
⎯ Mais moi, j’ai un cœur ! que beaucoup ont depuis bien longtemps
perdu. Pour me désirer, il faut vouloir mon cœur, sinon, change de
partenaire !
⎯ Oh ! ça va, s’il y a une chose que tu dois savoir, c’est que je suis
fidèle et qu’il n’est pas dans mes intentions de te quitter, alors que tu ne

182
me fais jamais de cadeau, sauf peut-être à mon anniversaire et à Noël.

Quelle que soit ma révolte, il dit vrai, jamais il n’a regardé


d’autre femme que moi, c’est bien la seule qualité que je lui octroie.
Mais…

⎯ Comme tu me parles de cadeaux de Noël, aurais-tu le courage de


me dire ce que tu as acheté à Steve pour Noël ?
⎯ Je ne peux jamais rien te cacher, tu es toujours la plus forte,
malgré tes cents livres et tes cinq pieds cinq pouces. Donc, comme je te
le disais, je suis entré dans le magasin avec un trou de mémoire, tu
penses que j’étais bien embarrassé, car je ne voulais pas décevoir notre
enfant. Alors, j’ai traîné dans les rayons pour me rappeler. Mais rien ne
me revenait en tête. Alors, j’ai décidé de trouver d’autres jouets. J’ai
d’abord acheté un tank qui crache des flammes, mais sans danger je tiens
à te le préciser. Puis j’ai eu l’idée d’une maquette de la fusée Saturne
cinq, tu sais celle qui emmène les astronautes sur la lune. Enfin, je suis
tombé sur un robot électronique qui se déplace tout seul grâce à
plusieurs moteurs électriques, c’est génial, mais mon portefeuille l’a
senti passer.

Tout pour lui, il n’a même pas pensé qu’il a un garçon de quatre
ans et demi.

⎯ Et où sont les beaux jouets qu’il a commandés ?


⎯ Tu vas rire ! je suis sorti du magasin et dès la porte franchie, je me
suis souvenu de ce que tu m’avais demandé.
⎯ Et alors ?
⎯ Je suis retourné dans le magasin et j’ai acheté le Tip-Hit, la
panoplie de Cow-boy et la guitare. Tu vois, je n’ai rien oublié et j’en ai
en plus !
⎯ Bon pour cette fois, tu es pardonné et je n’ai pas envie de passer
avec Steve et toi de mauvaises fêtes de Noël. Ok, tu l’as échappé belle !
⎯ Et si je n’avais pas acheté les jouets qu’il a choisis, qu’aurais-tu
fait ?
⎯ Je rentrais à la maison, tu aurais passé seul tes vacances ici.
⎯ Tu vois, on arrive juste. J’ai eu de la chance, t’aurais pu me
demander de faire demi-tour.

183
Je dois avouer que Gary n’a pas été que mauvais ces jours-ci.
Mais je reste néanmoins sur mes gardes. Enfin, l’important est que Steve
passe un bon Noël avec nous. Coupés de notre vie quotidienne, nous
aurons peut-être l’occasion de pouvoir nous parler et nous comprendre
un peu plus, Noël est fait pour ça, pour découvrir en nous une autre
dimension ; pour moi, l’occasion de me retrouver sous un nouveau jour,
regarder les autres sous un éclairage différent et peut-être le moment de
voir Gary différemment. Pour mon petit Steve, découvrir avec mon aide
le véritable Noël et de croire encore plus à la magie de ces jours pour
que, lorsqu’il sera grand, comprendre plus encore la magie de Noël
comme je la vis depuis que j’ai été arraché à notre vie ordinaire, du jour
où une jeune femme du nom de Noèse a frappé à ma porte. Bien que cela
fasse quatre ans et demi, c’est comme si c’était hier. Je n’ai rien oublié
de mon premier passé et j’y suis attachée. J’espère que le Steve du
troisième millénaire pense à moi plus qu’il ne l’a jamais fait, pourvu
qu’il ne m’ait pas oubliée. Depuis si longtemps que je suis partie,
j’espère qu’il n’a pas rompu avec mes amies, Katia et Bénédicte à qui je
me confiais souvent et qui me comprenaient malgré mon mutisme. Elles
pourraient l’aider à entendre la vérité que j’ai au fond de mon cœur, il
pourrait découvrir qu’il l’a en lui aussi.
Tiens voilà mon grand bébé qui se réveille, il est temps de revenir à ce
que je suis. Le froid et la neige autour de nous me donnent l’idée
d’inventer un conte que je raconterais à Steve et Gary le jour de Noël.

***

⎯ Eh ! Jacques, à quoi pensez-vous, vous avez loupé la maison de


Katia, faites demi-tour.

J’étais trop pris dans mes pensées, je devrais être vigilant, elles
n’arrivent pas toujours au bon moment.

⎯ Vous faites bien de me rappeler à l’ordre, j’y vais tout de suite.

Je le croyais infaillible et presque trop parfait, c’est un détail,


mais ça me rassure de le voir comme ça !

⎯ Vous pensiez à quoi pour oublier de vous arrêter ?

Tiens ! tu t’intéresses à mes pensées maintenant ?

184
⎯ Je pensais à la fête de Noël, curieux, car nous ne sommes qu’au
début de l'été !

Noël, n’importe quoi ! On recherche Clara et lui est dans ses


rêves.

⎯ C’est pas de saison, c’est pas l’époque des cadeaux et encore


moins de la neige. D’ailleurs, avec Clara, nous n’avons jamais fêté Noël,
car des souvenirs de notre enfance, nous n’avons rien gardé et cette fête,
elle n’a aucune signification pour nous, Clara pourrait vous le certifier.

Noël, c’est pourtant ce que tu vis depuis hier et je doute pour toi
que tu puisses encore longtemps en ignorer la signification.

⎯ Mais, Steve, Noël c’est la renaissance de votre conscience, l’âme


que vous avez un jour perdue. Je pense que vous êtes sur ce chemin
depuis que nous sommes ensemble. C’est Noël pour vous aujourd’hui,
que vous le vouliez ou non.

Tu m’énerves de parler toujours de conscience, j’en ai marre


d’entendre ça toutes les dix minutes depuis hier. Je ne suis pas à l’église
et je n’y mettrai jamais les pieds. Alors, tes paroles et tes prières mets les
au grenier, j’en ai ras-le-bol. Noël, c’est le bœuf, l’âne, les moutons et
toute la basse-cour dans l’étable autour du couffin, du petit Jésus qui se
dit : Tiens voilà mes disciples, en montrant du doigt les cochons se
vautrant dans la mangeoire. A Noël, il y a des cadeaux et la disparition
de Clara, c’est pas un cadeau.

« Je ne suis ni un cochon ou un bœuf, encore moins un bébé qui braille


dans ses langes, pourtant je suis un nouveau-né, dans l’étable misérable
de ta vie et je suis pure malgré l’odeur nauséabonde de tes pensées. Je
t’accepte tel que tu es pourtant. Ce que Jacques dit, toutes les dix
minutes, tu l’entends de moi toutes les dix minutes, il est l’étincelle qui a
allumé la flamme, alors que, moi, je suis l’étoile qui rayonne en toi.
C’est Noël aujourd’hui et tu dois fêter cet événement car tu ne pourras
plus m’oublier. Tu vas me désirer encore plus malgré tes réticences car
si je disparaissais, tu sais déjà que tu ne trouverais plus jamais la paix.
Tu désires Clara ! alors, désire-moi. »

185
⎯ Je ne me suis jamais posé la question sur cette fête de Noël avant
cet instant. Maintenant, à cause de vous, ça fait le tour de ma conscience.
Mais où est Clara, pourquoi ne nous rejoint-elle pas ? Si c’est une fête,
elle devrait y participer.

Ça turbine dans ta tête et tu entends intérieurement une autre


voix prendre de plus en plus d’importance.

⎯ Si Clara n’est pas avec nous, je pense qu’elle souhaite que nous
prenions le temps de discuter et que vous puissiez raisonner sans elle, ou
tout au moins, sans l’avoir physiquement près de vous. Je suis sûr que
Clara ne vous a pas abandonné, mais elle souhaite que vous la
découvriez différente de ce qu’elle vous a toujours paru.
Nous arrivons devant la maison de son amie, j’arrête le moteur, allons la
voir.

Que n’ai-je pas compris de Clara ? elle qui, amnésique, semblait


neuve et avoir tout à réapprendre. Son esprit était comme le mien et nous
nous sommes fabriqués ensemble. Bon ! sonnons à la porte de Katia…

⎯ J’espère qu’elle est là, pourvu que Clara soit avec elle.

Que vas-tu découvrir derrière cette porte ? une femme, ou deux,


une illusion ou une vérité ?

⎯ Impossible de savoir ce que l’on découvrira de l’autre côté d’une


porte ou d’un voile. Avec des amis, j’ai franchi bien des portes et, à
chaque fois, l’un d’entre nous y a découvert sa propre image, sans le
masque du mensonge. Arrêtez de penser à chaque fois que vous
franchissez une porte, votre pensée imagine ce que vous désirez, non ce
que vous obtiendriez.

La porte s’ouvre, sans laisser apparaître le visage de Clara. Que


vais-je pouvoir dire à Katia ?

⎯ Steve, quelle bonne surprise, je ne t’attendais pas. Clara n’est pas


avec toi ?

Cette phrase finit de m’achever, j’aurais préféré ne pas frapper à


cette porte dans ces conditions. Je peux repartir immédiatement, je n’ai

186
plus rien à faire ici. Cette amie, je la fréquente, mais c’est parce que
Clara l’apprécie et qu’elles arrivent à se comprendre. Jusqu’à présent, je
la voyais par habitude, sans l’écouter. Je ne pouvais pas faire beaucoup
plus car elle lit sur les lèvres de Clara, encore un langage que je ne
comprends pas, hélas, comme celui qui me touche depuis hier.

⎯ Je suis sans Clara, mais avec un ami qui vient me rendre visite
depuis Annecy.
⎯ Bonjours, tout comme Steve, vous êtes le bienvenu, entrez.
⎯ Bonjours, je vous remercie de votre accueil.
⎯ Qu’est-ce qui t’amène, Steve ?

Comment lui expliquer la disparition de Clara, si je lui dis que je


n’ai pas alerté la police, elle va paniquer encore plus. Si je lui dis que je
viens voir si elle est chez elle, elle croira que nous nous sommes
disputés.

Il ne sait pas comment s’y prendre pour lui demander si elle a vu


Clara. Je dois lui donner un coup de main.

⎯ Excusez-moi, si je prends la parole, mais Steve est un peu inquiet


car depuis que je suis arrivé hier soir, Clara a préféré nous laisser seuls
pour que nous puissions parler entre amis en toute tranquillité, elle
devait penser que nous pouvions avoir des confidences à nous faire, car
nous ne nous sommes pas vus depuis très longtemps. Vous la
comprendrez certainement, car les femmes aiment se confier leur jardin
intérieur mutuellement.
⎯ En tout cas, je puis vous assurer qu’elle n’est pas venue me voir
depuis hier. Cela ne me semble pas étrange, mais curieux. Venez, entrez
et donnez-moi des détails, car ça a peut-être un rapport avec ce qu’elle
m’a justement confié cette semaine.

Tiens ! je ne savais pas que Clara avait vu Katia ces jours-ci.

⎯ C’est vrai, on ne te dérange pas.


⎯ Entre, Steve, je vous offre un café !
⎯ J’en ai déjà pris un avec Jacques, mai c’est pas de refus.
⎯ Installe-toi dans le salon, conduis Jacques, j’arrive avec la
cafetière.

187
Cette femme est très belle, elle est de taille très moyenne, ses
cheveux châtains mi-long, avec une frange lui donne un air d’enfant, sa
poitrine par contre ne l’est pas, elle dépasse agréablement de son
débardeur et semble être un piège à homme. Juste maquillé avec un
rouge très sombre, elle pourrait rester discrète si elle n’avait pas une jupe
si courte que je n’ai presque pas de mal à distinguer ses fesses. Elle est
plus âgée que moi mais, même si j’avais dix ans de moins, elle me
plairait autant. Elle me fait un drôle d’effet. Elle ne semble pas avoir
d’enfants et je ne vois aucun indice indiquant qu’elle soit mariée.
Pourtant je sens que c’est une femme qui aime les hommes, quelque
chose me le dit et son fluide m’attire déjà.

⎯ Raconte-moi un peu, Steve, comment elle est partie hier soir.


⎯ Je n’ai rien à raconter, elle a invité Jacques à venir à la maison et
lorsque nous sommes arrivés, elle était partie me laissant juste un
message sur l’écran de l’ordinateur.
⎯ J’ai vu Clara avant-hier, elle m’a paru soucieuse et je ne l’ai pas
trouvée trop en forme. Vous ne vous en êtes pas aperçu, Steve, ces jours-
ci ?

Moi qui suis médecin, j’ai l’habitude de le voir lorsque mes


patients ne se portent pas bien.

⎯ Je n’ai rien vu, elle s’est plainte juste de maux de têtes cette
semaine, je lui ai donné du paracétamol, elle avait l’air d’aller mieux.
⎯ Clara est restée un bon moment vendredi après-midi. Elle en a
profité pour me dire ce qu’elle ressentait depuis quelque temps à ton
sujet. Je ne devrais pas te le dire mais peut-être est-ce mieux ainsi…

***

Comme je pense à Katia, je me souviens maintenant de ce que je


lui ai dit la veille de mon départ. Quelque temps avant, j’avais écrit cette
prière qui m’avait troublée et qui résonnait en moi. C’est une grande
amie et si je me suis confié, c’est parce qu’elle est libre dans sa vie,
libérée des sentiments humains et aussi libéré des lois de la morale.
C’est une femme qui ne s’attache à aucun homme et qui en accueille
régulièrement un, différent, dans son lit. De ce fait, ça me laissait libre
de parler de ma vie de couple et de notre sexualité.

188
Ce jour-là, Steve ne s’est pas rendu compte qu’il m’avait fait mal par sa
vision de l’amour et du désir. J’en avais plus qu’assez et devant elle, j’ai
vidé mon sac. Je lui ai dit comme ça, car elle lisait sur mes lèvres :
« Katia, ça fait un an et demi que je vis avec Steve ici depuis notre
accident, j’adore cette maison, j’aime ce coin et je fais le maximum pour
que nous puissions avoir une vie normale depuis que nous sommes sortis
de l’hôpital, mais rien n’y fait. Steve est bien plus à l’aise que moi dans
cette vie, alors que moi je n’arrive pas à m’intégrer dans ce
cheminement quotidien. J’ai l’impression que cette vie n’est pas faite
pour moi. Je te le dis d’emblée, Steve fait tout pour moi, il me désire,
mais je n’ai vraiment plus envie de baiser avec lui, ni avec un autre
homme. Je me laisse faire pour lui faire plaisir et il en a besoin, c’est un
homme. Je sais qu’il le sent, mais il n’arrive pas à distinguer ce qui se
passe en moi. Je ne sais pas comment lui faire comprendre, je ne peux
même pas ouvrir la bouche, il n’y a que toi et Bénédicte qui puissiez me
comprendre. Je ne lui jette pas la pierre car je pense qu’il n’est pas prêt à
entendre certaines vérités comme celle-là car dans sa tête il n’est pas
mûr. Le jour où nous avons repris connaissance après notre accident,
nous avions tout à réapprendre de la vie. Steve fait énormément d’efforts
mais pas tous dans le sens que j’espérerais. Il voit notre union basée sur
les sentiments et les sens, pour lui, le contact physique est le plus
important, alors que pour moi, j’ai véritablement soif d’une autre vie ; je
ne sais pas encore à quoi elle ressemble, mais en moi, il y a autre chose
qui ne passe plus par l’amour, encore moins l’amour dans le lit. Je ne
suis pas libre, je le sens, il y a en moi beaucoup d’ombre, je ne sais pas
véritablement qui je suis, tu comprends, j’imagine.
J’ai aujourd’hui vingt-huit ans et un trou de vingt-six ans dans ma vie, le
pire c’est que lorsque on fait une enquête sur mon passé, on s’aperçoit
qu’une bonne partie de ma vie était déjà faite de grands espaces vides
avant cet accident. Tout ce que je connais de moi, c’est depuis que je me
suis mariée avec Steve, toutes traces de mon passé semblent inexistantes.
Pourtant, je ressens en moi une force énorme et si je manquais de calme,
je ne saurais la maîtriser. J’ai un potentiel que je n’ai pas encore
exploité, je n’ai pas l’esprit vide, j’en ai la certitude, j’ai eu une véritable
vie et j’ai soif de retrouver ma conscience, mais où est-elle ?
Ce que je sais avec certitude, c’est qu’elle n’est pas au fond de ma
culotte ! et lorsque Steve est sur moi, qu’il essaie de me faire oublier ma
souffrance, c’est le mal du vide qui me pénètre plus que lui. Je ne
connais pas l’orgasme du sexe, mais j’aime profondément Steve. Je
l’aime, je le désire, mais je ne sais pas comment ?

189
Oh ! Katia, j’aimerais être un peu comme toi, tu sembles si bien t’en
sortir avec les hommes. Comment fais-tu, donne moi la recette ! »
Elle ne fut pas surprise de ce que je lui dis et me répondit ainsi :
« Tu ne m’étonnes pas Clara, je t’observe avec Steve et je savais déjà ce
que tu me dis maintenant. Je suis heureuse que tu m’en parles car tu ne
peux garder ça au fond de toi. Ce que je vais te dire est très simple. Tu
vois de moi une façade, je ne suis pas attacher aux hommes comme tu le
sais, mais j’ai d’eux un profond respect, même si j’en ai un chaque
semaine différent entre mes jambes. C’est parce que comme toi, je n’ai
pas trouvé ce que je cherche sur Terre que je suis ainsi. Je cherche une
vérité, mais je vais au bout de mon expérience. J’ai été jusqu’à
aujourd’hui préservée du Sida, mais un jour, un homme arrivera à me le
transmettre, j’assume. Je ne m’amuse pas des gadgets de la vie courante,
je pense que la vérité est plus dans la nature que dans la technologie. En
vivant à ma façon, j’espère par l’orgasme traverser un voile et ne jamais
revenir, pour laisser ce monde-là dans sa déchirure quotidienne. Je n’ai
pas encore trouvé ce que je cherche, mais je recherche comme toi un
espace de vérité et de liberté. Ne sois jamais comme moi, continue à être
ce que tu es, mais espère la délivrance de ton esprit chaque jour, chaque
heure, chaque seconde. Tu trouveras avant moi ! j’en suis sure. »

***

⎯ Sur ce, je lui conseillai d’aller voir Bénédicte.

Pourquoi n’ai-je pas ouvert les yeux plus tôt, c’est évident,
j’aurais dû m’en douter. Que pouvons-nous être égoïstes, nous les
hommes, les femmes sont bien plus fortes et subtiles que nous qui ne
voyons l’amour qu’au premier degré. Nous sommes dirigés par notre
instinct qui nous obscurcit la conscience. J’aime Clara, maintenant
qu’elle n’est plus là, bien plus que pour le plaisir. Pour voir ça, il aura
fallu en être séparé. Je suis un pauvre homme, trop instinctif.

⎯ Katia, il faut du courage pour dire cela, je vous remercie de


m’avoir fait découvrir cet aspect de Clara, c’était nécessaire, je suis
heureux de l’avoir entendu, maintenant, je ne peux plus me voiler la
face. J’aime Clara encore plus et je comprends ce qu’elle pouvait aussi
ressentir lorsqu’elle est venue vous voir avant-hier. Je comprends
maintenant pourquoi elle est partie, j’espère seulement qu’elle reviendra
rapidement, j’aimerais tant lui dire que je change aujourd’hui.

190
« Tu connais maintenant la pensée profonde qui m’anime et tes
principes commencent à s’effriter. Fait un effort supplémentaire pour
comprendre ce que tu as à faire de ta vie et comment tu dois comprendre
l’Amour maintenant. Commence à écouter les profondeurs de ton esprit
plutôt que ceux de tes sens, tu découvriras la liberté. Trouve ton
véritable désir. »

Steve vient d’ouvrir une porte et il découvre devant lui une


vérité. Elle ne sort pas de ma bouche, mais sa conscience l’a plongé dans
une réalité qui fait mal. Mais quel miracle de pouvoir l’entendre comme
si Clara avait retrouvé une voix. Enfin, il prend conscience.

⎯ Tu devrais aller voir tout de suite Bénédicte, elle pourra peut-être


t’en dire plus.
⎯ Nous en avions l’intention, c’est Jacques qui en a eu l’idée. Je suis
désolé d’être un peu rapide, mais je demeure inquiet.
⎯ Je te comprends, Steve. Donne-moi des nouvelles dès que
possible. Au revoir Jacques, salut Steve.

J’espère que Bénédicte est chez elle, mais je me demande ce que


Clara a pu lui raconter. Maintenant que toute notre vie intime est étalée
sur la place publique, j’aimerais être tenu informé des derniers ragots me
concernant. Encore un peu et tous mes patients vont bientôt se mettre à
me plaindre et vouloir me remonter le moral, ce serait un comble ! avec
du recul, quand je pense à ce que Clara lui a dit, elle y va fort. Je passe
pour un obsédé.

« Ce qui est dit est la vérité, tu ne peux la nier. Tu faisais ces dernières
minutes un pas en avant, maintenant tu en fais deux en arrière. Tes
pensées sont comme d’habitude mauvaises conseillères. Commence à
voir à travers les mots, la force qui est derrière. Je suis la force de la
vie, celle qui fait agir, celle qui pousse les hommes à faire parler leur
cœur, tout comme Clara a parlé avec son cœur à Katia. »

Je ne peux même plus être libre de mes pensées, sans en avoir le


résultat dans l’instant. Si je suis ma conscience, ça va, si j’ai une pensée
qui ne correspond pas à ce qu’elle attend de moi, je suis brûlé par sa
réaction.

191
« Écoute-moi chaque instant et ce feu te sera réconfort. »

⎯ Bénédicte n’est pas trop loin d’ici ?

Jacques me remet dans les rails et me fait atterrir, c’est mieux


ainsi, mais je me demande s’il sait ce qu’il se passe dans ma tête à
chaque instant depuis qu’il est avec moi ?

⎯ C’est à un quart d’heure de route, vous savez, après le calvaire


que j’ai mis par terre.
⎯ Alors, guidez-moi s’il vous plaît.
⎯ Tournez à droite en sortant du jardin.

Il n’est plus temps de se voiler la face, que vais-je encore


découvrir chez Bénédicte, quelle fatale vérité Clara a-t-elle semée…

⎯ Nous y sommes, Jacques, c’est la ferme que vous voyez au bout


du chemin sur votre droite.

C’est une ferme, mais elle n’est pas très grande, je ne vois même
pas d’animaux dans la cour ni même un tracteur. Juste des pots adossés
sur les murs.

⎯ Qu’élève-t-elle dans sa ferme, je ne vois nulle part de traces


d’activité agricole ?

Des fermes comme ça, tu n’en verras pas tous les jours, son
élevage est d’un type particulier.

⎯ Bénédicte n’élève pas d’animaux classiques, elle fait de l’élevage


de bactéries expérimental, elle travaille pour des laboratoires
pharmaceutiques à l’élaboration de nouvelles souches afin de créer des
molécules qui feront les médicaments de demain. J’approuve ce qu’elle
fait et je la soutiens. Elle est chercheuse, elle s’est mise à son compte,
avant, elle travaillait au CNRS. Mais, pour elle, la recherche consiste à
avoir la liberté de créer et d’expérimenter. Dans les services officiels,
elle était trop bridée, Bénédicte recherche plus la liberté que les
microbes. C’est pour ça qu’elle s’entend bien avec Clara. De plus, elle
sait lire sur les lèvres tout comme Katia, mais entre elles deux, c’est le
jour et la nuit. Katia est instinctive, Bénédicte est réfléchie.

192
Toutes ces femmes me plaisent, elles sont différentes, mais je
trouve qu’elles ont un point commun. Leur but est quasiment le même,
mais elles cherchent par des bouts différents. J’ai l’impression que Clara
se trouve au milieu et qu’elle cherche sa voie entre ces deux femmes. Je
m’avance peut-être pour Bénédicte car je ne l’ai pas encore vue. Je serais
bien curieux de l’entendre.
⎯ C’est elle que je vois laver des bocaux à côté du puits ?

Elle est complètement l’opposée de Katia.

⎯ Tu n’arrêtes jamais de travailler, même le dimanche, pourtant,


c’est le jour du seigneur !
⎯ Ça va, Steve, t’as qu’à faire mon boulot, tu verras, c’est amusant,
y a qu’à se croiser les doigts de pieds, le travail ce fait tout seul.

T’es hyper diplômée, mais tu as un franc parler de Ménilmontant


qui sonne à mes oreilles comme des casseroles.

⎯ T’as raison, laisse m’en un peu pour le dessert.


⎯ Qu’est-ce qui t’amène, Steve ?

Tout comme avec Katia, il faut que je lui dise la vérité.

⎯ Est-ce que Clara est venue te voir avant-hier ?


⎯ C’est pour une enquête, ta visite ?

Steve, tu ne sais vraiment pas t’y prendre pour amener à la


conversation. Si Clara est venue se confier c’est parce qu’elle n’avait pas
envie de t’en parler. Si tu veux en savoir plus, tu dois la séduire. Je vais
encore te donner un coup de main.

⎯ Bonjours, je m’appelle Jacques, je suis un ami de Steve et si nous


venons vous voir, c’est parce que nous sommes très inquiets car Clara a
disparu depuis hier soir. Nous la cherchons, son absence est devenue
trop longue. Steve ne tient plus. Vous a-t-elle dit quelque chose qui
pourrait nous aider ?
⎯ Ok, Steve, je comprends, entrez prendre un café, je n’ai rien à
cacher et Clara non plus je pense. J’adore ta femme et toi aussi, vous

193
êtes de trop bons amis pour que je fasse des cachotteries. Asseyez-vous,
je reviens.
⎯ Merci, Bénédicte, j’espère que je ne te dérange pas ?
⎯ T’es bête, tu sais que j’ne passe jamais assez de temps avec vous.
Écoute plutôt c’qui s’est passé, j’pense que ça pourra t’aider à mieux la
comprendre.
Clara est arrivée tout essoufflée d’avoir pédalé avec son vélo, elle
n’avait pas voulu perdre de temps pour me voir. Je lui demandai ce qui
lui arrivait de s’être pressée ainsi. Elle me dit qu’elle venait de vider ses
pensées chez Katia, mais qu’elle s’était rendue malade en même temps
car elle ne voyait plus ce qu’elle pouvait espérer de la vie avec les
sentiments qu’elle portait en elle maintenant. Sur le coup, je ne
comprenais pas où elle voulait en venir, mais après qu’elle m’ait fait part
de ce qu’elle avait dit à notre amie, je compris immédiatement pourquoi
elle était dans cet état. Alors, j’ai pris sur moi d’la rassurer. En lui disant
que toutes les femmes sont comme elle après quelques années de vie en
couple et que nous devions nous autres les femmes, rester vigilantes
concernant nos impressions, car c’est le piège dans lequel nous tombons
pratiquement toutes lorsque nous sommes mariées. Mais bien vite, elle
m’a dit de façon inattendue que ce qu’elle ressentait n’était pas une
lassitude de toi, Steve, mais un désir plus profond qu’elle ne maîtrisait
pas. Alors, je l’ai laissée parler et voici en substance ce qu’elle m’a dit et
je crois qu’après cela nous pouvons tous nous questionner :
« Bénédicte, tout ce que j’ai dit à Katia n’est que la souche de ce qu’il y
a en moi et en ta présence, je sens que ma conscience fleurit dans
l’instant. J’ai un désir, une flamme en moi qui me porte à entendre un
autre discours que celui de notre simple vie. Je désire la Vie, la lumière
et la force que je sens porter en moi. J’ai dans mon cœur une flamme qui
m’inonde de ses rayons comme une source d’eau à laquelle je peux
m’abreuver si je le désire, j’ai soif d’elle à chaque seconde que je respire
et c’est un désir permanent. Mais il manque en moi quelque chose et
cette chose que j’entrevois est comme le trou que j’ai à la place de mon
passé. Je dois retrouver la vie qui m’appartenait auparavant et cela crée
une grande souffrance dans mon âme. Je désire véritablement la
retrouver, j’ai le sentiment que je n’ai pas fini de vivre mon passé et il
me manque aujourd’hui. Tu pourrais penser que ce sont des séquelles de
mon accident et que je n’ai rien à chercher ailleurs, mais j’ai la certitude
que je ne me trompe pas. J’ai un journal intime, depuis que je suis ici, à
Vinas, et ce matin lorsque Steve est parti, j’ai eu envie d’écrire, écrire
une prière. Alors, je l’ai fait et j’ai mis toute la force de ma pensée, toute

194
mon âme et mon cœur pour qu’elle soit entendue par une âme capable de
me comprendre et de m’aider. Ça peut te paraître de la folie, mais j’y
crois et je suis certaine que l’on m’a entendue. Je n’ai plus qu’un désir
en moi, libérer mon esprit de cette chape de plomb qui m’étouffe à
chaque seconde. J’aime Steve, de tout mon cœur, mais s’il pouvait me
comprendre, je ne serais que plus rassurée, déjà je me sentirais plus libre
de penser au désir de mon âme qu’au désir de son corps. Je crois que ce
n’est pas incompatible d’avoir un désir d’amour profond de liberté dans
son esprit et en même temps le désir d’aimer son conjoint pour la liberté
qu’il vous offre par sa complète compréhension. Je désire Steve pour son
âme et sa liberté autant que l’humanité perdue dans son illusion, et
j’aimerais que tous me suivent dans mon désir. Je suis amnésique et je
pense que tous les hommes le sont aussi, ils ont oublié la vérité. Si tu
pouvais ressentir le feu qui émane de mon cœur, tu comprendrais que
c’est une vérité qui coule malgré moi dans mes veines. Je suis
débordante de force, mais que dois-je en faire ? je n’ai que le désir. Si je
pouvais déjà le communiquer, j’aurais le cœur rempli de joie. Alors, je
cherche qui en moi pourra ouvrir la porte, la porte de ma conscience afin
de m’entraîner vers ma liberté et ma vérité. Qui est Clara ? Qui suis-je,
moi qui porte le nom d’une lumière ? Qui peut éclairer mon cœur perdu
dans ce monde. Le désir qui me porte et j’espère retrouver le prince de
mon âme pour qu’il me libère des chaînes de mes pensées. Je ne peux
plus vivre comme je l’ai fait jusqu’à présent, j’ai soif d’un changement,
en tout cas dans mon âme et ma conscience. Je ne veux plus être une
femme de moins de deux ans, je veux un passé pour pouvoir bâtir mon
avenir. Je suis désolée de venir te dire ça, Bénédicte, tu n’en as que faire
de mes histoires.
⎯ Mais Clara, ne verse pas de larmes, ce que tu dis, est merveilleux
et si tous les hommes, les femmes pouvaient en dire autant, le monde
n’en serait que meilleur. Tu me touches par tes paroles qui ont un sens,
bien plus que je ne peux en entendre chaque jour. Ton cœur ébranle le
mien et ton désir me transperce comme une lame. Continue à penser et à
être comme ta vie te le commande, j’aimerais tant être comme toi, au
moins, je ne m’escrimerais pas à me torturer l’esprit avec mes bactéries,
je les laisserais seules avec leurs moisissures et leurs microbes pour
trouver ce que nous avons en nous, mais je n’en ai pas la force comme
toi. Tu représentes pour moi et malgré ton mutisme la parole de la vie tel
que nous devrions l’entendre en nous. Je t’adore, Clara, et je t’envie.
⎯ Mais ce n’est pas facile de vivre avec cette signature en soi, je la
ressens, mais je ne sais pas où elle me mène.

195
⎯ Que vas-tu faire, maintenant, est-ce que ça va aller ?
⎯ Je vais rentrer à la maison, j’ai le repas à préparer. Je suis contente
d’avoir dit tout ça, je me sens mieux et je sais que j’ai tout à espérer de
la vie.
⎯ Veux-tu que je te ramène chez toi, je peux mettre ton vélo dans le
4x4.
⎯ Je te remercie, Bénédicte, mais je vais rentrer seule, le temps est
agréable et mes jambes et mes bras prendront un peu le soleil. »
Elle a enfourché son vélo et elle est partie. Depuis je ne l’ai pas revue.

Clara, tant de désirs cachés en toi ! A l’extrême, je suis arrivé


maintenant et ton désir est mon désir, aujourd’hui. Je me croyais
différent et je suis comme toi. Tu disparais et ton âme m’apparaît. Je
veux comme toi trouver cette vérité et cette liberté que nous désirons
ensemble maintenant. Mon amour, je t’en prie, reviens.

« Je ne t’ai jamais quitté, je suis toujours près de toi si tu me désir sans


jamais m’oublier. »

⎯ Si j’avais pu comprendre Clara plus tôt, peut-être serait-elle avec


nous aujourd’hui.
⎯ Je pense que tu n’étais pas prêt, maintenant il te faut comprendre
encore plus le désir qui la pousse. Rentre chez toi et patiente.
⎯ Peut-être as-tu raison. Je vais essayer de me retrouver pour
comprendre ce que je n’avais pas perçu avant aujourd’hui. Je te remercie
Bénédicte. Lorsque Clara rentrera, je te ferai signe.

Tout un plan s’élabore devant Steve, il ne lui reste qu’à le


comprendre. Ce n’est jamais facile d’entendre nos vérités et de constater
que l’on s’est trompé, et lorsque la route fait un grand virage, il faut
s’accrocher. Accroche-toi, Steve !
Ce qui m’apparaît maintenant, c’est qu’Aqualuce et Noèse semblaient
déjà savoir ce que Clara clame devant ses amis. Cette prière, Noèse
serait-elle capable de l’avoir perçue ? Si c’est le cas, le plan se referme
sur Steve et Clara en est peut-être le centre. J’aimerais aussi avoir près
de moi mon épouse, mais sa parole, je la connais déjà.

⎯ Que fait-on Steve ?


⎯ Je suis désappointé, rentrons à la maison.

196
Tu baisses les bras trop vite, tu m’étonnes. Je te pensais plus
combatif.

⎯ Vous ne vouliez pas aller la chercher dans les hôtels environnants


?

Clara, tu t’es laissée prendre par ton rêve et tu es partie, la venue


de Jacques n’était que le prétexte et tu en as profité pour disparaître.
Mais où crois-tu retrouver ta mémoire et ta liberté. Je sens pour toi trop
de passions et de désirs pour abandonner mes habitudes. Je ne peux pas
me rendre parfait à tes yeux et je sens la colère de mon corps et la
révolte de ton âme monter en moi, ce combat, qui pourra le mener ?

« Apaise tes passions et écoute ton cœur si tu ne veux pas que l’orage
éclate en toi. Désire-moi à chaque moment pour être toujours du côté du
vainqueur et trouve ton désir en toi pour te rendre parfait à mes yeux. »

⎯ D’avoir entendu les paroles de Clara, je comprends qu’elle m’ait


quitté pour un voyage au bout d’elle-même. Je suis certain qu’elle avait
tout préparé depuis longtemps. Elle m’a abandonné, pensant que je
l’aime comme un homme ordinaire. Elle a dû partir pour trouver une
vérité sans que je la tenaille par ma présence. À quoi bon aller à sa
recherche dans le quartier ? Elle a filé et pris un taxi. Salut tout le
monde, au revoir, à jamais !
⎯ Vous n’y êtes pas, Steve, je ne suis pas d’accord avec vous. Je
vois que vous vous énervez alors qu’au contraire vous devriez
comprendre ses paroles dans le calme. Les mots qu’elle a employés
étaient pour vous, elle les a dits par amour, non contre vous, et vous le
savez. Mais votre nature ordinaire a saisi qu’elle était en danger. Ne
vous laissez pas reprendre par votre instinct, laissez votre conscience
agir, car pour l’instant, vous l’étouffez, au point qu’elle ne peut même
pas, lorsque vos pensées sont nocives, vous soutenir.
⎯ Ça va, ramenez-moi à la maison…

Noël 2ème partie


Le chalet que Gary a loué est bien équipé, il s’est fait plaisir, tout
y est, du téléphone au lave-vaisselle et même, plaisir suprême, la
télévision en couleur. Mais il n’a pas choisi le temps, car, dehors, il fait
froid et il neige, de ce fait, nous sommes pratiquement contraints de

197
rester à l’intérieur. Heureusement que j’ai pris de quoi occuper Steve car
les journées sont longues. J’aurais préféré rester à Seattle, car là-bas
c’est la ville et même s’il neige on peut encore sortir. Je suis heureuse
d’avoir pris quelques livres avec moi. Mais bon ! il faut que je m’occupe
de mon garçon sinon, il va s’ennuyer, c’est Noël demain et Santa Claus
n’est pas encore passé.

⎯ Steve, tu veux que maman joue avec toi ?


⎯ Marie, c’est peut-être plus l’heure de jouer car le traiteur va
apporter le repas de réveillon que j’ai commandé pour nous deux. Peut-
être serait-il mieux de le faire manger maintenant comme je l’avais
prévu afin que nous ayons une soirée rien que pour nous deux.

Gary tu as tout organisé depuis que nous sommes partis et tu


désires que je suive ton plan vraiment à la lettre. Je ne sais pas où tu
veux en venir, mais tu me parais trop parfait, cela cache autre chose.

⎯ Tu as prévu pour nous deux un repas surprise, c’est très bien. Tu


t’occupes de tout, c’est parfait, mais as-tu pensé à notre enfant, que lui
as-tu prévu pour dîner ce soir ? car c’est aussi pour lui la fête.
⎯ Euh !
⎯ Je te remercie pour Steve, je n’en attendais pas moins de toi, aussi,
je ne t’ai pas attendu et heureusement pour lui, j’ai un petit repas de fête
à l’occasion de cette soirée de Noël. Alors, attends ton traiteur et laisse-
moi jouer et manger avec lui, pour qu’il soit heureux d’attendre Noël
cette nuit.
⎯ Tu ne vas quand même pas manger avec lui, alors que j’ai tout
commandé pour nous !

Tu ne vas quand même pas gâcher le réveillon de ton enfant,


alors que cette fête est avant tout pour lui. Je t’ai laissé tout organiser
pour voir ce que tu as dans ta tête, mais je n’abandonnerais pas notre
enfant juste pour ton plaisir intime.

⎯ J’ai plaisir à partager mes repas avec Steve et ce soir encore plus.
Maintenant, va surveiller le traiteur, laisse-nous…

Steve est fatigué, il dort déjà, alors que je viens juste de le


coucher. Je crois qu’il n’en a plus pour longtemps à attendre le père

198
Noël. Je vais rejoindre Gary pour voir ce qu’il m’a préparé.

⎯ Regarde, chérie, tout est prêt, je pense que je n’ai rien oublié.

En effet, Gary s’est surpassé, il m’a sorti le grand-jeu et


maintenant que Steve est couché, nous nous retrouvons face à face.

⎯ Oh ! tu as fait des folies, c’est vraiment un Noël de rêve, c’est trop


beau !
⎯ Oh ! non, pour toi, rien n’est assez joli. J’ai fait venir du
champagne, ça m’a coûté une fortune, je t’en sers une coupe ?

Avec toi, rien n’est gratuit, tu veux quelque chose de moi et tu


essayes de m’acheter.

⎯ Champagne de France ! ma foi, pourquoi pas !


⎯ Allé, on trinque !

La dernière foi que j’ai bu un peu d’alcool, c’était dans l’aéroport


avec Noèse et cette bière m’avait plus que tourné la tête. Tant pi ! Que
va-t-il m’arriver cette fois ? à peine je trempe mes lèvres que je sens
l’alcool monter à ma tête. Ah ! vraiment ; il m’en faut très peu.

⎯ Mon chéri, j’ai la tête qui tourne.


⎯ Je t’aime, Marie, tu es mon amour.

Une gorgée de plus et voilà déjà que tu m’embrasses, tes yeux


sont brillants. L’alcool me décontracte, tu le sais et je sens que tu n’as
plus de patience car ta main court déjà sous mon corsage. Maintenant, je
comprends ton jeu depuis que tu nous as faits venir ici. Ta main descend
plus bas et touche mon sexe. Le champagne a engourdi mon corps,
mais…

⎯ Gary, enlève ta main tout de suite.


⎯ Pardon ?

Mes sens se laissent dériver, mais ma conscience est toujours


présente et ne peut pas se laisser berner.

199
⎯ Recule-toi et ne me touche plus. J’ai voulu croire que tu changeais
mais tu nous trompes depuis que nous sommes partis.
⎯ Mais tu dis n’importe quoi, je t’aime, je veux juste te faire plaisir,
je n’ai pas d’autres intentions.
⎯ Dis-moi alors ce que tu cherches depuis que tu m’as servi du
champagne ?
⎯ Je veux juste passer un bon moment avec toi.
⎯ Oui, un bon moment, c’est ça ! ton plaisir. Tu as combiné notre
séjour pour tirer ton coup ! tu sais que je ne te désire plus depuis que tu
m’as frappée. Je vis avec toi dans l’espoir de te voir changer un jour car
je suis de nature à être patiente et à pardonner tout à ceux qui font les
efforts nécessaires pour changer. Mais je n’ai rien vu de toi bouger et tu
restes toujours le même.
⎯ Mais je te désire au plus profond de moi.
⎯ Ce que tu désires de moi c’est ce que tu es allé chercher dans ma
culotte ces dernières minutes et je n’attends plus ça de toi. Tu me
répugnes quand tu me désires. Tes pensées sont trop sensibles à ton
instinct et tu te laisses guider par ça tout le temps. Je ne peux plus
l’accepter. J’accepterais que tu me désires pour ma conscience lorsque tu
seras prêt à abandonner tout ce qui fait l’artifice de tes pensées. Je me
suis mariée avec toi pour que tu me fasses découvrir un monde que je ne
connais pas, non pour continuer à vivre ce que tout le monde sur cette
terre connaît et fait trop bien. Ce qu’il y a au fond de notre lit n’est pas
ce que je recherche, je désire m’envoler ailleurs. Je t’ai choisi parce que
tu étais pilote d’essais, non pas pour que tu me fasses faire des tours de
manèges. D’un homme j’ai l’espoir qu’il m’emmène vers un autre ciel,
sans nuage, et qu’il soit comme moi ouvert à l’amour de la vie qui nous
réchauffe chaque jour. Mais toi, Gary, tu as perdu tes beaux rêves de
jeunesses et tu t’es laissé prendre par les habitudes de la malédiction
humaine. Je désire ton désir pour notre âme, notre Vie autrement.
Trouve-les un jour et je serais pour toi la femme que tu espères. Je ne
suis pas fermée à toi, mais à ce que tu es devenu. Aime l’humanité et
notre enfant, aime-moi pour ce que je suis. Mon sexe est fermé parce
que tu l’es à ce que tu as conçu. Ouvre-toi à notre enfant, donne ta vie
pour le faire grandir, non pour l’emprisonner à chaque instant. Quand tu
feras ça, je t’aimerais. Steve n’est pas la cause de notre conflit, mais il
est la possibilité pour nous de nous réunir. Tu sais que nos relations sont
plus que tendues depuis que Steve est né, je ne te supporte plus depuis
cette période. Mais si je reste avec toi, c’est parce que je crois que rien
n’est perdu entre nous. J’ai idée de ce que pourrait être notre union, je

200
veux que notre fils soit un jour fier d’avoir eu des parents comme nous.
Je ne désarme pas et je ne ferais jamais comme d’autres qui auraient
divorcé depuis longtemps. Je suis une mère, construite par la nature pour
enfanter, élever son enfant, le protéger, le nourrir et lui apprendre la vie.
Dans ce but, je suis différente de toi qui es construit pour autre chose.
Toi tu es fait pour féconder, bien sûr, comme tu l’as fait à l’époque pour
Steve. Je reconnais qu’à ce moment j’ai pris plaisir avec toi, le but était
pour nous une possibilité d’évolution et de construction. Mais dès qu’il
est arrivé, je t’ai vu changer, tu l’as pris tout de suite pour ton concurrent
et, depuis, tu continues. Tout ce que je fais pour lui, tu veux le détruire
de peur que je l’aime plus que toi ; dans ce sens, tu as raison car en
t’opposant à nous j’ai reporté mon amour sur Steve, mais c’est mon
amour maternel. Je ne te désire pas, pourtant l’envie d’avoir un autre
enfant avec toi me réjouirait. Alors, en ce soir de Noël, j’espère que tu
prennes conscience que si tu ne veux pas finir ta vie seule, abandonné de
tous et de moi, écoute ceux qui t’entourent et qui ne te veulent pas de
mal. Steve et moi sommes ta famille, c’est par Steve que tu comprendras
le but que nous avons nous deux à réaliser sur Terre, car en grandissant
notre enfant va nous apporter sa propre connaissance et tu pourras
apprendre par lui. Noël est aussi une fête pour nous retrouver dans notre
for intérieur et comprendre que la naissance d’un enfant est aussi
importante que celle d’un Jésus à Bethléem ou d’une prise de conscience
dans notre cœur.
⎯ Mais, Marie, c’est normal pour un homme d’avoir des relations
avec son épouse. Je suis d’accord que j’ai un peu prémédité cette soirée
avec toi et je pensais que tu aurais la gentillesse de te laisser faire
comme je l’espérais. Dans tout ce que tu dis, tu as raison, tu vois
parfaitement mes intentions, mais tu pourrais avoir un peu de
compassion. Je n’ai pas aujourd’hui autre chose que le désir du plaisir
des sens. Je le reconnais, mais je ne suis pas mauvais au fond de moi et
même, je souffre plus que je ne prends de plaisir. Mais mon âme est
ainsi : tout ce que je fais je le rapporte à ma personne et je vois sans y
réfléchir mon intérêt dans mes actes. Toute ma vie est bâtie sur moi et je
ne tolère pas qu’un autre vienne me voler mes avantages, c’est dans ma
nature et je n’y peux rien. Pourquoi suis-je ainsi fait ? je ne sais pas, il y
a en moi des zones d’ombre que je ne connais certainement pas, mais
elles doivent remonter à ma jeunesse. Ce que je n’aime pas, c’est que tu
sois la bienfaitrice permanente de cet enfant. Tu fais barrière lorsque je
suis près de lui et je n’ai aucune influence. J’aimerais le faire à mon
image et tu es là. Tu le protèges, mais je vois que tu ne le moules pas à ta

201
façon mais que tu lui proposes sa propre image. Il se prend pour modèle
et se libère des images que nous avons en nous de par nos attaches
ancestrales. Je suis jaloux de lui, car je ne suis pas délivré de ce que lui-
même aura libéré lorsqu’il sera adulte. Du sexe, je ne suis pas détaché,
alors que les femmes le sont plus spontanément que nous, les hommes.
Steve, s’il te suit, sera peut-être comme toi plus tard. Éventuellement, un
jour, changerais-je, mais aujourd’hui, tu devras encore me supporter tel
que je suis.
⎯ Je me fâche ! lorsque tu ne comprends pas ce que je désire et, ce
soir encore, mes paroles ont fait des éclats. Mais je dois reconnaître que
nous ne nous libérerons pas ce soir des attaches d’une vie. Je ne me
laisserai pas faire pour autant dans le lit ce soir. Mais pour que ce soit
plus facile pour toi de continuer à vivre avec moi, je te laisse espérer
qu’un jour nous nous unirons de la façon dont tu as toujours rêvé.
Change et entends une autre voix en toi. Ce soir, tu as préparé un repas
pour nous, alors, finissons le champagne et passons à table.
⎯ Tu t’en sorte encore, et je suis obligé baisser les bras pour
t’écouter. Je suis infâme et toi tu es d’une patience. Je t’admire.
⎯ Si tu comprends mes paroles, alors change dès ce soir, laisse tes
désirs dans ton slip.
⎯ Je suis bien obligé d’accepter, tu es toujours la plus forte. Mais ta
promesse me donne la force d’être raisonnable, tu as un cœur d’Or.
⎯ Ce repas de réveillon me met en appétit, je crois qu’il sera
meilleur que celui de Thanksgiving.

***

⎯ Clara a un journal intime, elle ne m’en a jamais parlé, pourtant


entre nous il n’y a jamais eu aucun secret. Je suis étonné qu’elle ait fait
ça, je veux en avoir le cœur net, je dois le trouver.

Mais ce n’est pas illogique que Clara ait un jardin secret, c’est
tout à fait normal. Steve se croit-il encore le centre du monde ?

⎯ Mais Steve, de quel droit fouilleriez-vous dans ses affaires ? c’est


sa vie, vous ne pouvez pas regarder dans son cahier, je ne vous aiderai
pas à chercher, vous avez ma désapprobation.

Je suis son mari, j’ai le droit si je le veux, c’est pas ce type qui va
m’en empêcher !

202
⎯ Je suis chez moi, Jacques, alors, mêlez-vous de vos affaires, c’est
ma vie et celle de ma femme. Elle est peut-être en danger et je dois
savoir. Allez vous faire voir ailleurs.

Il monte dans le bureau de Clara et maintenant, il commence à


tout retourner. Moi qui croyais qu’il avait mis de l’eau dans son vin
après l’entretien avec ses amis, je me suis trompé. Et voilà, il est en train
de mettre les papiers par terre, Steve est complètement énervé. Après le
bureau, c’est au tour du placard. Avec tout le linge à l’intérieur…
Ce n’est pas vrai, tout tombe, il est devenu complètement fou.

⎯ Où a-t-elle mis ce foutu cahier ? j’en ai plus qu’assez.


⎯ Steve, calmez-vous, vous n’arriverez à rien comme ça.
⎯ Foutez-moi la paix, c’est ma femme qui a disparu, pas la vôtre, je
me dois de prendre tous les moyens pour la retrouver.

Y en a marre de le voir promettre et de revenir toujours au point


de départ. Moi aussi, je vais me fâcher.

⎯ Maintenant, Steve, vous allez m’écouter, il n’est plus supportable


de vous voir vous exciter. Je ne sais si c’est parce que Clara a fait part de
son désir d’amour pur que cela vous rend nerveux au point de tout casser
chez vous, mais il est temps que vous compreniez réellement ce que
vous demande votre femme. Vous voyant, ça ne m’étonne pas qu’elle
n’ait pas envie de rester avec vous. Si vous pensiez encore au désir du
lit, il n’en est plus temps à cette heure-ci. Comprenez-le. J’ai eu
l’occasion dans ma vie d’être confronté aux plaisirs jusqu’à en oublier
ma conscience et je peux vous dire que j’en suis revenu. J’ai perdu des
amis à cause de ce genre d’excès et j’ai aussi faillit y passer. Depuis que
nous sommes ensemble, combien de fois vous ai-je vu passer d’un
extrême à l’autre, c’est assez. Et regardez maintenant ce que vous faites
avec les affaires de votre femme, vous avez tout retourné. Que pensera-t-
elle de vous lorsqu’elle reviendra ? Vous ne vous comportez pas en être
responsable, je n’aimerais pas faire partie de vos patients, commencez à
vous soigner avant d’occulter les autres, votre conscience n’est pas belle
à voir. Vous vous énervez pour un petit cahier qui ne vous appartient
même pas, alors qu’au contraire, ce que vous avez entendu avant était
très riche d’enseignement. A la place du cahier, vous devez rechercher la
signification profonde du message que Clara dévoilait à ses amies. Mais

203
non, vous vous battez avec vos anciens principes et je dois constater
qu’en vous rien n’a changé. Je vous le répète, Clara attend de vous un
véritable changement de conscience. Mais pourquoi tout ça, alors que se
placent de nouveaux éléments vous permettant de comprendre et
d’évoluer ? Faites un effort, ne vous laissez pas dominer par vos
pensées.

C’est le silence d’un coup, tu as arrêté net tes gestes insensés,


maintenant, tu t’assois.

« Steve, je suis ta vérité, ton renouveau, je t’habite depuis le premier


jour de ta naissance, je t’ai vu ouvrir les yeux et prendre ta première
bouffée d’air, mais j’étais muette et depuis ces dernières heures, j’ai
recouvré la parole. Comme tu peux me comprendre, je suis là pour
t’aider à recouvrer ta liberté d’esprit et t’apporter bien plus encore si tu
m’écoutes et me suis. Mais là, tu as dépassé les bornes et je me fâche de
te voir faire ainsi. Comment oses-tu laisser la colère te dominer de cette
sorte alors que tous essaient de t’aider. Tu te fais prendre par le désir de
la satisfaction alors que je te demande de désirer ma lumière. Arrête
immédiatement tes gestes destructeurs car tu ne trouveras jamais de
vérité dans la violence. Observe tes pensées qui te rendent violent ; elles
ne sont pas tes amies car elles font mal, tu le sais. Tu découvres que la
sexualité n’est pas mon désir et tu deviens au contraire désireux et
esclave d’elle. Je veux de toi que tu comprennes ce qu’il y a en toi et que
tu deviennes pour moi un combattant pour ta liberté. Tu dois
aujourd’hui découvrir que ton désir naturel n’est que la parodie de
l’amour profond de l’âme que je te propose. Tu dois aller vers cette
véritable compréhension et je vais t’aider à poser la question qui
t’empêche d’avancer et qui te freinera tant que tu n’y auras pas
répondu. »

Jacques se fâche, ma conscience aussi. Que reste-t-il de ma


liberté d’action et d’esprit ? Qu’est-ce que ma sexualité vient faire avec
la liberté de l’âme, car c’est elle qui me bouscule lorsque je pense à ma
conscience.

⎯ Vous avez raison, Jacques, je perds la raison, je me suis laissé


dominer sans m’en rendre compte par des pensées très fortes que je ne
contrôle pas. La question qui me vient à l’esprit est bien étrange et je ne
sais pas si vous pourrez y répondre.

204
⎯ Peut-être pourrais-je vous aider, je vous écoute.
⎯ Jacques, Clara dans ce qu’elle disait à nos amies a mis en parallèle
deux formes de désires, c’est ce qui m’a bouleversé. Tous les Hommes
de la Terre sont, en fait poussés par leur pulsion sexuelle pour réaliser
leur rêves, quels qu’ils soient. La sexualité est le phare du monde et c’est
indéniable, même si elle a de multiples aspects. La force créatrice du
sexe de l’homme et de la femme confondue a-t-elle un rapport avec le
but de liberté que je ressens aujourd’hui en moi ? lorsque je commence a
entrevoir ce que veux ma conscience, pourquoi mon désir sexuelle est t-
il sollicité avec autant de force ?
Tu es fort bousculé par ta conscience, j’en suis certain. Tu tombes dans
l’excès et tu fais resurgir des questions encore plus fortes.
⎯ Je ne pourrais vous répondre dans l’instant Steve. Je vais vous
aider à ranger le bureau, l’idée me viendra peut-être.
Toujours à prendre du recul Jacques, moi qui aime avoir des
réponses dans l’instant. Mais c’est peut-être un défaut chez moi…

Il a mis un sacré bazar, on a du boulot, ça fait dix minutes que


j’essaie de remettre un peu d’ordre dans ses tiroirs. Tient, celui-ci est
bloqué, je vais tirer un peu pour le dégager. Oh !

⎯ Regardez Steve, ce cahier vient tomber du fond du tiroir, peut-être


est-ce ça que vous recherchiez tout à l’heure ?

Comment se fait-il que ça tombe sur lui, alors que j’ai tout mis
parterre ?
⎯ Montrez-moi ça, je vais le feuilleter tout de suite.

Steve l’ouvre et je vois sur la première page inscrit :

"Trou de mémoire"
Journal d’un passé sans souvenirs

Il tourne la page, voilà ses premières lignes :

25 Décembre 2002. Mon premier Noël


C’est Noël aujourd’hui, et je n’ai pas eu droit à un cadeau dans mon
soulier. Steve est persuadé que pour lui et moi, cette fête n’a aucune
signification, tellement convaincu qu’il ne m’a pas laissée m’exprimer

205
et dire mon avis. Je pense à tous les enfants dans les pays occidentaux
qui découvrent maintenant leurs cadeaux et je les envie. Moi, je suis
aussi une enfant car je n’ai qu’un an. Et j’avais aussi le droit de fêter
noël. Comme mon époux ne fait rien, je vais faire ma fête de Noël à ma
façon. Et puis, j’ai l’idée de ce que cette fête m’inspire, ce sera ma fête
intime. Je vais écrire une histoire de Noël à ma façon, Steve peut penser
ce qu’il veut, moi j’ai le droit d’avoir ma propre vision de cette fête.
D’ailleurs, l’étoile de Bethléem brille dans ma tête comme les
guirlandes des sapins et cette lumière m’inspire. C’est la première fois
aujourd’hui que j’ouvre ce cahier, c’est mon cadeau de Noël intime et je
me lance.

***

C’est super Noël pour les enfants car tous leurs petits rêves peuvent se
réaliser.
Qu’il est adorable, mon petit, ses yeux sont pleins de lumière à l’idée de
voir la magie du Père Noël devant lui. Mais pour moi, Noël, c’est la
magie de l’âme et je l’entrevois comme un désir de vérité et de lumière
dans mon corps entier, et si Steve a eu un jour la chance d’entendre
Bénédicte et Katia lui parler de mes pensées profondes, j’espère qu’il
aura compris qui j’étais et à quel point mon désir était pour moi une fête
permanente comme ce Noël d’aujourd’hui.
⎯ Steve, maintenant que tu as déballé tous tes cadeaux, j’ai une
surprise pour toi. Tu as maintenant dans les mains les jouets que tu avais
commandés, mais j’ai une histoire à te raconter en plus. Assieds-toi sur
les genoux de papa, et écoutez :

Je me souviens parfaitement du conte de Noël que j’avais écris,


un jour, dans le cahier intime que j’avais dans mon autre vie.

« Il y a très longtemps, alors que les hommes vivaient encore dans des
huttes et ne connaissaient pas encore le secret du feu, par une nuit
d’hiver glacée, le ciel fut embrasé par une gerbe blanche et lumineuse.
C’était une boule énorme qui descendait à une vitesse vertigineuse vers
la terre. Tous les hommes l’observèrent dans la direction du nord.
Quelques instants plus tard, ce fut l’impact, la terre entière en fut
ébranlée. L’objet céleste avait percuté la planète au pôle nord,

206
s’enfonçant dans ses profondeurs, changeant à jamais sa physionomie.
Cette comète créa au pôle une épaisseur incroyable de glace en
éparpillant des milliards de cristaux sur toute la terre et c’est depuis ce
jour qu’il y a un champ magnétique au pôle nord.

A l’intérieur de l’objet céleste qui était loin d’être sans vie, il y avait un
coeur lumineux et magnétique qui donnait vie à tous les êtres qui le
peuplaient; c’était la planète NOËL qui venait de pénétrer le coeur de la
terre. Cette planète extraordinaire sur beaucoup d’aspects contenait en
elle beaucoup de secrets : tous ses atomes étaient vivants, immortels et
participaient à la vie de la planète, en bonne entente.

C’est par une erreur de pilotage que Noël se retrouva projeté dans le
système solaire et ce fut la catastrophe. Car, comme je l’ai dit, des
milliards de cristaux se répandirent sur toute la Terre. Chacun contenait
un être de la planète Noël, et fut donc éjecté dans l’atmosphère terrestre.
Effraye par ce monde inconnu et flottant dans cet espace hostile, chaque
noëlien se réfugia dans un corps humain et s’installa en sécurité dans le
cœur de chaque homme car cet endroit rappelait leur planète par sa
chaleur. Mais ces petits êtres se trouvèrent bien malheureux d’être
séparés de leur merveilleux séjour d’origine. Heureusement, leur planète
n’était pas disloquée : Noël était encore occupée par d’innombrables
habitants plongés au cœur de la planète. Tous pensaient à leurs frères et
soeurs éparpillés sur la Terre.

Alors ils se mirent au travail. Que firent-ils ?


Eh bien, hier comme aujourd’hui, au coeur du pôle nord, tous les
Noêliens recherchent leur famille à travers le monde, et guidés par le
plus ancien : le Père Noël. C’est ainsi qu’ils travaillent sans relâche tout
au long de l’année, faisant les plus beaux jouets, les plus belles
chansons, les meilleures friandises, les plus merveilleux vêtements, les
plus scintillantes guirlandes que le Père Noël distribue la nuit du 24 au
25 décembre à tous les enfants et hommes de la terre qui croient en lui.
Ces merveilleux cadeaux rayonnant l’amour de leurs frères et soeurs
encore sur la planète Noël, afin de rappeler au coeur des hommes d’où
ils viennent et qu’ils doivent revenir dans leur ancienne patrie. Je dis
bien qu’il faut y croire, car, hélas lorsqu’un homme cesse d’y croire, eh
bien le cristal magique s’en va à la recherche d’un autre coeur.

Mais revenons à la distribution des cadeaux. Au moment où les enfants

207
découvrent leurs cadeaux, émerveillés, ils entendent au fond d’eux une
voix qui leur dit : « C’est merveilleux, Noël, ça pourrait être comme cela
tout le temps si tu crois très, très fort au Père Noël, et si tu veux bien me
ramener à ma maison, au Pôle Nord.»

C’est ainsi tous les ans à la même date depuis la nuit des temps. Sans
relâche les elfes, les lutins, les fées, les magiciens, les sirènes, les anges
et le Père Noël accomplissent leur distribution de cadeaux de la fête de
Noël. Vous les verriez travailler ! Ils dessinent, coupent, collent,
assemblent des millions et des millions de poupées, voitures, jeux et
autres merveilles ; dormant peu, mangeant juste ce qu’il faut afin que
pas un humain ne soit oublié.

Quel miracle lorsqu’un de ces cadeaux fait écho dans le coeur d’un petit
enfant ! Car, à ce moment-là, celui-ci ne vieillira plus jamais, croyant
tellement fort, de tout son coeur, de toute sa tête, de toutes ses forces au
Père Noël, l’appelant de tout son amour, qu’un jour, la magie
s’accomplit. Il voit venir à lui, sur son traîneau magique tiré par ses
rennes, le Père Noël qui le prend avec lui et l’emmène jusqu’à sa maison
merveilleuse. Là, tous les habitants l’accueillent et l’applaudissent, car
c’est le retour si attendu d’un cristal perdu depuis si longtemps.

C’est la fête, celle de la lumière, où une renaissance commence pour un


petit cristal égaré depuis tant de temps; il peut ainsi redevenir un des
nombreux enfants du Père Noël. Pour l’homme qui l’a ramené à sa
maison, c’est aussi le premier jour d’une année sans fin. Découvrant à
jamais plus qu’un véritable ami, il fait partie lui aussi des habitants de
Noël, accueilli comme un frère ou une soeur, vivant Noël tous les jours,
pour toujours.

Retournant chez lui aussi, il devient à son tour un Père Noël, distribuant
des cadeaux aux hommes.

Chers enfants, à l’occasion de cette nouvelle fête de Noël, appelez le


Père Noël de toutes vos forces, de tout votre coeur, afin de fêter la
véritable fête de Noël, la Fête de la Lumière. »

⎯ Bof ! c’est une histoire pour les enfants, moi, tu sais…


⎯ Gary, tais-toi et regarde ton fils, il a les yeux brillants et il y croit,
c’est ça, la magie des mots ; du reste, j’y crois aussi au Père Noël.

208
⎯ Tu ferais mieux de lui raconter des trucs réels pas tes bêtises, ça
va le rendre malheureux plus tard.
⎯ C’est Noël, ne détruis rien aujourd’hui et moi je n’ai pas
l’intention de me fâcher avec toi. Tes pensées et tes paroles sont de
mauvaises influences, garde-les pour toi. Steve désire comme moi vivre
libre et avoir de l’espérance pour un monde meilleur où les rêves
d’enfants sont tous réalités. C’est son désir le plus cher, lui et moi avons
le même rêve.

Et toi, mon époux, de l’autre vie ; entends comme moi la magie


de Noël dans ton cœur, si un jour je peux revenir avec toi, je souhaite te
retrouver vivant dans l’ardeur de cette Flamme, pourvu que ma longue
absence ne t’ait pas fait oublier, mais au contraire, espérer.

***

⎯ Clara ne m’a jamais dit ce qu’elle ressentait pour cette fête, j’ai
été idiot de croire qu’elle avait le même avis que moi. Je pense que je
n’ai pas été à son écoute. Maintenant, elle paraît plus près de vous que
moi. J’étais totalement fermé à sa vision de la conscience, comment ai-je
pu vivre comme ça ? Ce cahier est une petite merveille. Regardez,
Jacques, il s’arrête à la date du trois juillet, avant-hier, et pas un jour ne
semble manquer.
⎯ En tout cas, son histoire confirme bien ce que je vous disais au
moment du repas, Noël en été n’a rien d’étonnant.

Si Noël est le symbole d’un renouveau de la conscience, je crois


que j’ai loupé un épisode important, il va falloir que je rattrape mon
retard. Comment ai-je pu être aussi stupide de penser que Clara m’avait
abandonné. Lorsque je lis ses quelques lignes, je comprends qu’elle a
toujours cherché à éveiller mon attention sur une vie différente de celle
que je me suis laissé aller à suivre au cours de ces derniers mois. Elle
était en permanence attentive à l’éveil possible de ma conscience, mais,
hélas, je ne faisais aucun effort. Je dois maintenant être attentif à ce
qu’elle aurait voulu me dire si elle avait eu la parole. Ma mémoire doit
faire des efforts pour se rappeler les signes qu’elle me faisait. Je ne peux
plus laisser passer ma chance, je n’en aurai peut-être plus l’occasion si je
loupe ce train-là. Avec du recul, c’est une aubaine, Jacques, que tu
m’aies remué, sans toi, peut-être n’aurais-je pas ouvert les yeux comme
en cet instant. Ah ! Jacques, tu es mon ami, maintenant, je le sais.

209
Au pied d’une montagne
⎯ Regarde, Jacques, dans le cahier, je tombe sur la question que je
posais il y a quelques instants, comme si Clara savait par avance ce qui
m’interroge, je me demande comment elle résout le problème.

Du changement dans ton verbe ! tu fais un pas, tu prends


confiance en moi.

⎯ Qu’à t-elle écrit sur ces pages ?


⎯ Regarde !

***

⎯ Marie, ça fait plus de trois mois que Noël est passé, n’ai-je pas fait
d’efforts depuis, ne crois-tu pas que nous pourrions avoir quelques
rapports de temps en temps ?
⎯ Mais, Gary, en quoi penses-tu avoir changé ?
⎯ Je t’ai laissée tranquille depuis les fêtes sans te forcer à quoi que
ce soit.
⎯ Peut-être, mais tu y as pensé tous les soirs, donc tu ne t’es pas
libéré de tes instincts animaux, alors en quoi penses-tu avoir fait des
progrès ?
⎯ Mais, bon sang ! comment penses-tu que je puisse me libérer de
ma sexualité qui a toujours fait ma nature et celle de tous les hommes de
la Terre ? Il n’y a pas de solutions, je suis prisonnier de ma nature
profonde depuis que je suis né. J’ai un sexe comme toi, pour procréer. Je
dois en faire usage pour la continuité de l’espèce humaine, c’est inscrit
dans mes gènes, tout comme toi. L’homme est une machine faite pour se
reproduire et il est séparé en deux sexes, féminin et masculin. Le mâle
est celui qui donne sa semence pour féconder la femelle qui portera
l’enfant jusqu’à la naissance. C’est de la science naturelle. Nous sommes
de la nature et nous sommes des animaux, c’est notre devoir de
conserver le genre humain. Quoi de plus naturel que de faire l’amour
ensemble.
⎯ Si je suis ton explication, je dois comprendre que lors de nos
rapports, je dois nécessairement tomber enceinte !
Combien de fois avons-nous fait l’amour depuis notre mariage et
combien d’enfants avons-nous ?

210
⎯ J’en sais rien, t’as des questions !
⎯ Je peux en gros te répondre. Nous avons forniqué des centaines de
fois depuis les dix-sept ans que nous sommes ensemble, mais je ne vois
qu’un enfant autour de nous. Alors, où est ton principe de perpétuation
de l’espèce humaine ? Pourquoi ne fais-tu pas l’amour que lorsque je
suis féconde ? Tiens ! ce soir, je le suis justement et je ne prends pas la
pilule, profite de cette occasion pour conserver l’espèce humaine ! je me
laisse faire, c’est d’accord !
⎯ Ça va pas, j’ai pas envie d’avoir un autre enfant, j’ai suffisamment
de mal avec un seul.
⎯ Et voilà le problème, tu fais l’amour pour ton plaisir uniquement,
tu viens d’en donner la preuve, c’est là le grand problème de l’humanité.
Les hommes, les femmes cherchent le plaisir durant leur vie, par tous les
moyens qui leur sont proposés sur cette planète. La recherche du plaisir
est notre malédiction, c’est le nœud du problème et nous mettons le
doigt sur La Malédiction de l’humanité. L’amour pour donner la vie ou
pour son plaisir. Décris-moi Gary ce que tu ressens à cet énoncé !
⎯ Moi, qui suis un homme, j’ai toujours été sensible au charme
féminin et toi, Marie tu m’as séduit par ta beauté lorsque je t’ai vue la
première fois au salon du Bourget. Ton visage et ton corps m’ont paru
être une perfection, et je t’ai vue comme la femme idéale, celle qui
faisait les rêves de ma vie. Tu étais pour moi comme la marche que je
pouvais gravir vers la vie que j’espérais, la vie idéale où tout plaisir
devenait à ma portée. J’avoue que les premiers temps, j’avais
l’impression d’avoir atteint mon but, car du plaisir, avec toi, j’en ai pris.
Mais il est vrai que je n’avais pas l’idée de concevoir un enfant et, toute
ma force vitale je la donnais pour le plaisir, pour mon plaisir personnel,
j’en découvrais la jouissance et l’extase. Je dois t’avouer que lorsque je
pense à toi, cela crée une vibration en mon être et mon désir se déploie.
Je suis dominé par l’amour et l’union avec toi, j’ai l’impression que si
j’y parvenais, j’atteindrais enfin ma libération. Je t’en prie, Marie, unis-
toi à moi, ton corps et le mien ne pourraient ne faire plus qu’un.

Je suis mariée avec toi, mon corps t’a aimé, mais aujourd’hui,
j’aime notre enfant plus que toi. Depuis sa naissance, je me suis rendu
compte que lui seul était le trait d’union entre nous deux. Seul notre
enfant est capable de nous réunir et ce n’est pas ton sexe qui pourra faire
la liaison entre nous deux.

⎯ Tu me parles d’union parfaite entre nous, mais ce que je vois de

211
toi, ce n’est que l’attirance physique de nos deux corps. J’accepte qu’au
début de notre union nous ayons été attirés l’un à l’autre par nos corps et
nos sentiments de jeunes mariés, quoi de plus naturel pour se former à la
vie. Mais, aujourd’hui, j’ai mûri, j’étais jeune femme, maintenant, je suis
femme et j’aspire à autre chose qu’avoir du plaisir physique. Mon
orgasme n’est plus dans la jouissance de mes fibres vaginales, mais dans
le désir de concevoir une vie pour mon enfant et pour nous, plus parfaite
que tous nos instincts matériels sans des lendemains qui disparaîtront
avec notre corps. J’aspire vraiment à donner à Steve les armes qui lui
permettront de ne pas simplement espérer le désir d’une femme. J’ai
conscience que ce n’est pas tâche facile pour moi, mais comme je te vois
prisonnier de tes instincts, je veux qu’il soit libre de tes chaînes. Il y a
autre chose à comprendre dans notre vie, de l’amour humain il faut tirer
l’expérience de notre échec journalier devant cette force qui nous attire
chacun l’un vers l’autre. Qu’est-ce que l’amour ? pourquoi nous
laissons-nous abuser par l’attirance humaine et sexuelle ? si le sexe est si
important pour l’humanité, que représente-t-il dans la réalité profonde de
notre âme. Il y a un rapport entre ton désir et mon désir, mais nous n’en
connaissons pas encore le fil conducteur.
⎯ Marie, je ne comprends pas, que veux-tu me dire, sexe, âme se
mélangeant, ton langage est très étrange, où veux-tu en venir ? Pour moi,
la terre que je connais depuis ma naissance me montre que si je ne
cherche pas le plaisir, rien de réjouissant ne viendra me toucher, ce
monde est si pénible qu’il y a obligation à rendre sa vie meilleure par
tous les moyens qui nous sont offerts. L’argent est un moyen, le plaisir
du corps en est un autre, pourquoi devrais-je m’en priver, que me
resterait-il, s’ils disparaissaient à jamais ?

Un jour, dans mon autre vie, j’ai écrit d’instinct une idée sur ce
sujet très délicat que peu d’êtres osent aborder, sur mon cahier intime, je
l’ai baptisé…

***

⎯ Je lis en titre "Sexe, Esprit, force créatrice", voici un sujet bien


complexe, Steve, penses-tu qu’il nous soit permis de lire son cahier
intime, n’est-ce pas son jardin secret ?

« Ce qui est écrit y est pour toi si tu es prêt à l’entendre, tu peux le lire
sur ces pages, ou mieux, dans ton cœur si tu es à mon écoute, ouvre les

212
yeux en ton for intérieur et entends ces paroles qui te sont destinées. »

⎯ Je préfère que tu le lises seul, sans moi, je vais fermer les yeux, tu
es neutre, Jacques, c’est préférable, moi je vais immédiatement y mettre
mes sentiments et je ne vais pas comprendre ce qu’elle veut dire.

Steve, la raison te toucherait-elle ? tu ne souhaites plus te laisser


dominer par ta fougue qui prenait vite le dessus sur ta conscience. Tu
t’apaises, je vais lire les pages que Clara a saupoudrés de sa plume
comme des arabesques d’une grande légèreté. Ses premiers mots me font
déjà vibrer.

⎯ Comme tu veux, Steve, laisse parler ton cœur.

Je ferme les yeux et je ressens en moi la force de la conscience


qui se manifeste…

Ses premiers mots me font déjà vibrer…

« Amour oh ! Amour…

Sexe, Esprit, force créatrice

Amour oh ! Amour. Ce que j’ai à dire, Steve, pourrait te surprendre car


lorsque que je me suis réveillée après le onze septembre deux mille un,
j’ai découvert l’Amour. Non, pas toi, mais autre chose. Cela ne doit pas
t’attrister car je vis avec toi et t’apprécies comme tout époux avec qui on
aime vivre. Mais ce que j’aime n’est ni de chair ni de sang et je l’ai
découvert peu après avoir pris conscience de notre sinistre accident.
Ouvrant les yeux sur notre nouvelle vie, j’ai entendu et vu la force de
mon intérieur qui m’animait et me donnait à espérer une réalité au-
delà de moi-même.
J’ai découvert l’Amour, celle de la parcelle intime et lumineuse qui,
après notre accident, avait fait surface devant mon esprit. Cette chose
est plus que vivante, c’est la vie elle-même, la parcelle d’éternité qui se
trouve en mon être. J’ai découvert que cette vie est ma véritable
conscience profonde, plus que la raison, et je me suis mise à l’écouter.
Depuis, j’ai découvert qu’elle est comme une mère pour mon être, elle

213
me réchauffe et déverse sur moi son amour. Cette conscience est tout
Amour et bien qu’étant ta femme, je me suis mise à l’aimer plus que
tout autre, c’est incroyable, mais je suis devenue amoureuse de cette
vie en moi sans aucun doute.
Hélas, ayant découvert l’Amour j’ai en même temps compris ce qui
anime l’Homme depuis qu’il est sur cette planète. Lorsque je vois les
enfants juste sortis de l’adolescence, je comprends qu’ils se trompent
déjà lorsqu’ils se mettent à penser à l’amour et, par la suite, les
hommes et les femmes les plus sincères qui se convoitent les uns les
autres se trompent radicalement dès qu’ils pensent s’aimer.
Aimer n’est pas avoir une attirance d’un être à l’autre, non ! pas du
tout !
Regarde autour de toi, combien de couples sont vraiment parfaitement
heureux et en osmoses ?
Pas un seul, non, pas un seul, il y a toujours quelque chose qui cloche,
l’un des deux fera inévitablement des concessions ; nous deux, nous
n’y n’échappons pas.
Le troisième millénaire est là, les jeunes couples ont de plus en plus de
mal à vivre ensemble, la réponse je l’ai donnée, L’HOMME ET LA
FEMME N’ONT JAMAIS ETE FAIT POUR S’AIMER ! C’EST LA
VERITE !
La vérité est la suivante :
En nous tous, cette force de conscience est bien réelle et c’est elle qui
commence par nous aimer véritablement et nous devons apprendre à
aimer en retour, rien d’autre.
J’aime cette force de tout mon être et c’est à elle que je me donne,
jamais amour ne sera plus parfait que celui-là, je peux le certifier.
Mais en moi, le mal domine aussi ma nature ordinaire ;
heureusement, j’ai décidé de ne suivre que celle que j’aime, mais
néanmoins, je suis pleine d’amour pour cette nature maligne. J’ai
compris que ma conscience est comme ma mère, l’autre comme un père
perdu.
J’ai le devoir de vivre sous le couvert de ma nouvelle conscience et par
ma fidélité, ramener l’être perdue à la raison. Avec elle je recherche
celui qui nous a quittés.
Comme toi depuis ma jeunesse, je n’ai plus mes parents et par cette
découverte, j’en trouve d’autres. Cette mère et ce père, je les aime tous les

214
deux. Ah ! Steve, si tu pouvais comprendre, je serais encore plus
heureuse. Retrouve aussi de cette façon ton père et ta mère. Mais,
rassure-toi, je te le répète, je t’aime comme une femme et je demeure ta
confidente, tu restes mon partenaire. Steve, pardonne-moi si je ne te
désire pas, je sais que tu m’aimes avec les sentiments louables de
l’humanité et que tu désires mon corps, mais je sais aussi que nous
sommes tous malades à cause de nos sentiments, alors, je te reçois sur
moi pour t’apaiser. Mais je sais que, pour guérir, tu devras découvrir
comme moi l’Amour. Seul l’Amour peut effacer notre souffrance
humaine, notre mal de vivre ensemble ; notre sexualité actuelle est le
résultat de notre ignorance. Si j’arrive un jour à faire que père et mère
se réconcilient, je serais guérie à vie et toi aussi.
Lorsque les hommes et les femmes découvrent l’amour sur Terre, ils
ouvrent grande la porte de leur tombe, mais s’ils pouvaient faire
apparaître l’Amour de leur for intérieur, ils découvriraient en eux la
Vie.
Steve, découvre ta lumière et aime-la plus que moi.
En mon être, je suis partie pour un grand voyage et lorsque tu me
vois, je ne suis pas là, quand tu ne me vois pas, je suis près de toi.
Je suis muette, mais mon cœur parle :
Oh ! Amour tu m’es guérison.
Oh ! Amour tu es la Vie.
Je cache ce cahier où je déverse mon âme et, en même temps, je prie pour
qu’au juste moment tu le découvres. Pardonne-moi encore, mais j’ai
trouvé l’Amour et grâce à cela, je découvrirai un jour qui je suis,
comme tu te révéleras un jour aussi.

En ma tête, cette force commence à me dicter ses mots, comme si


la lettre de Clara m’apparaissait intérieurement et que je pouvais la lire
dans ma tête.
« Steve, qui peut lire en moi le livre de ma vie, comprend que mon
parcours sur Terre est le chemin de l’Amour véritable que tous les
hommes désirent trouver devant eux. Hélas, qui l’a compris à ce jour ?
Trop peu pour que mon cœur s’en réjouisse. L’Amour est devenu amour
depuis bien longtemps et toute l’humanité s’y est laissée prendre. Les
deux sexes s’opposent et se cherchent à longueur de vie. Sans connaître
vraiment le but de leur souffrance quotidienne. La vérité est que
l’homme et la femme sont des images de l’Amour, mais ils ne sont pas

215
l’amour. Ame, je suis derrière chaque être, mais on ne me reconnaît pas,
plus encore on me fuit alors que je suis l’Amour immuable. Ma force est
malgré tout si forte que chacun l’entend comme un désir d’amour à
réaliser. La confusion est totale dans chaque homme et le résultat n’est
pas brillant, elle s’est installée dans toute l’humanité depuis un âge très
reculé. La grande malédiction est que l’homme a depuis bien longtemps
confondu son Ame avec son Sexe. Il y a bien un lien de parenté lointain
entre les deux et il est très important de connaître ce grand mystère afin
de pouvoir me comprendre plus encore.
Voici le parallèle entre Moi et le Sexe :
Je suis l’Amour du Cœur ; non pas le cœur des hommes et des femmes
avec leurs sentiments, mais l’Amour, la force majestueuse de la
conscience de l’homme. Je suis Amour pour celui qui me désire du plus
profond de son être.
Malheureusement, je suis, depuis l’aube des jours en recherche de mon
double masculin, qui est force de création et dont je ne pourrais me
passer pour être complète et parfaite. Mon double s’est plongé dans la
nuit de l’oubli à travers les méandres de la nature humaine, égaré, je le
traque afin de le ramener vers moi. Mais il est encore inconscient de sa
vraie grandeur, il se trouve en vous tous et vous en êtes sa vitrine, il se
cache derrière vous. Je l’aime à me laisser mourir pour lui, et je n’aurai
de repos que lorsqu’il me rejoindra. Je suis Amour et je désire lui
donner toute ma vie, jusqu’à mon sang. Mais cet Amour n’est pas
l’amour des hommes, ce n’est pas le Sexe, il n’a rien de commun, car il
est sans aucune mesure différent et l’orgasme qu’il pourrait me procurer
est la plénitude des forces de la vie qui se manifeste dans mon être.
L’homme recherche son âme sœur à travers son partenaire.
L’âme recherche son double à travers l’âme de la personnalité
L’homme recherche son plaisir avec son partenaire
J’aspire à l’amour par la fusion de nos âmes alors que les humains
aspirent à l’amour par la fusion de leurs sexes et de leur l’orgasme ; ils
donnent dans le meilleur des cas la vie au nourrisson alors que moi je
me donnerais à l’orgasme pour donner vie à la perfection. Mon orgasme
naît de la pénétration totale de la lumière dans mon corps s’unissant à
l’être perdu que je cherche depuis si longtemps afin de donner naissance
à la Vie.
Voici ce qu’est l’Amour parfait pour moi :
Je suis né pour aimer
Par Amour, je suis enfoui en toi depuis ton origine
Pour l’Amour je me suis sacrifié pour te réveiller

216
Par Amour j’accepte tes erreurs et tes fautes
Avec Amour je te cherche dans toutes les parties de l’univers
En Amour je te pardonne
Mon but est de m’unir à toi pour l’Amour
Avec Amour mon désir est de créer l’être parfait par notre union
L’Amour c’est la Lumière qui me porte, c’est la lumière qui me pénètre
lorsque nous sommes réunis.
Par mon sexe, la fore créatrice de la Lumière, m’emplit de sa joie et de
sa chaleur, elle me pénètre et me féconde par l’esprit de la création,
alors je suis en mesure de donner la vie autour de moi et à mon tour
ensemencer l’humanité de la force de la lumière d’Amour. Cela est le
summum de mon être, de mon orgasme. C’est cela la véritable sexualité
et aucun humain ne peut comprendre et sentir cette force à ma façon.
C’est pourquoi l’homme est prisonnier, bien qu’il sente en lui que
quelque chose d’extraordinaire le pousse à aller vers un autre destin ;
mais comme il est fait de chair et de sang, il fait son union à sa façon
avec son corps, quoi de plus naturel lorsque l’on ne connaît rien
d’autre. Mon rôle est d’apprendre aux hommes à déplacer leur amour
de leur sexe, vers celui de leur âme. Il est certain que hommes et femmes
sur terre ont le même but, et que la pénétration de la Lumière les
touchera tôt ou tard.
En conclusion, tu dois savoir que :
La pénétration de la lumière dans le corps le cœur et la tête est la
véritable sexualité de l’Homme, le plus bel acte qui soit dans l’univers. »

⎯ Vois-tu Steve, en lisant ces lignes, je comprends que Clara soit


partie avant-hier, ne t’étonnes plus de sa disparition.

Tu pleures maintenant, car tu penses perdre un amour, mais


rassure-toi, comme elle le dit si bien, tu dois aujourd’hui découvrir
l’Amour. Je ne t’abandonnerai pas avant que cette nouvelle conscience
soit vraiment manifeste en toi.

⎯ Mon cœur a parlé comme Clara et je suis maintenant certain,


Jacques, que ta venue n’aurait rien changé, cela devait arriver, Clara
n’attendait qu’une occasion pour disparaître afin de me laisser face à
moi-même. Jacques, je commence à comprendre que de toute notre vie,
il n’est question que d’Amour au sens le plus noble. Le message de
Clara est très clair, je suis certain qu’elle a saisi quelque chose de
formidable mais elle n’avait jamais trouvé comment l’exprimer, du

217
moins, je n’étais pas encore prêt à l’entendre jusqu’à aujourd’hui.

C’est formidable que Steve puisse comprendre cette leçon aussi


rapidement. Bien des hommes ont passé leur vie entière à ne pouvoir
soulever que le coin de cette découverte formidable. Découvrir l’Amour
en vingt-quatre heures, est comme un véritable miracle. La force
d’Amour qui se déverse sur Terre depuis mon retour avec Aqualuce est
très puissante.
Me voilà bien impuissant devant cet amour.

« Steve, L’homme n’est fait que pour Aimer, c’est sa véritable vocation,
l’Amour est l’arme la plus puissante de l’univers, ceux qui le possèdent
sont de grands guerriers. Suis-moi dès à présent et l’Amour ne te
quittera plus jamais. Ensemble, nous soulèverons non plus des
montagnes, mais l’univers entiers. »

⎯ Jacques, vingt-quatre heures que tu es avec moi bientôt, autant


que Clara a disparu, en moi un changement formidable s’est réalisé, tout
comme c’est peut-être arrivé à Clara, l’Amour je commence à le
comprendre maintenant et je sais ce que tu voulais de moi à ton arrivée.
⎯ Je n’ai pas fais grand-chose, je t’ai juste accompagné dans ton
questionnement Steve. Maintenant, rappelle-toi de cette lettre éditée
dans le journal et que Clara t’a suggérée !
⎯ Bien sûr, ces mots en vérité se sont gravés en mon être :
" Pour ma part, J’aspire à un monde juste et je lance cet appel :
Qui pourrait m’aider à trouver le remède universel capable de soigner
toutes les maladies et rendre le monde meilleur ?"
Tu avais raison, Jacques, le remède que nous cherchons tous est bien
présent devant moi, c’est l’Amour. Mais, une question m’apparaît :
Comment employer l’amour pour guérir l’humanité ?

Steve, tu fais un pas de géant, je souhaite que tu ne retombes pas


dans l’oubli aussi vite que tu progresses. Tu dois consolider ta
découverte. Tout ça est une autre étape que tu devras franchir.

⎯ Un véritable médecin est un homme qui peut apporter aux autres


le remède de la guérison de la conscience, seuls ceux qui possèdent
l’Amour peuvent le transmettre. Tu es sur la bonne voie Steve, mais
ceux qui sont touchés par l’amour ne le possèdent pas encore, l’Amour
doit se conquérir et comme vis-à-vis d’une femme il te faut encore faire

218
des efforts, mais, tu es sur la bonne route, continue, garde en toi cette
lumière qui t’est apparue ces dernières heures.

Encore faire des efforts, ça ne finira donc jamais ? Chaque fois


que je fais une découverte, je retourne au départ, mais à quoi bon
avancer, si c’est pour reculer à la fin ? Cela ne me ramène pas Clara.

« Douter n’est pas Aimer, Jacques a raison, tu devras encore faire des
efforts, et si tu ne les acceptes pas, ils seront encore plus nombreux.
Pour recouvrer la liberté, les étapes sont nécessaires, le monde ne s’est
pas fait en un jour. Si tu ne l’acceptes pas, je ne pourrais pas t’aider.
Écoute de mon être, ma parole, je suis le gardien, le juge mais surtout ce
que tu attends depuis ta naissance, accepte-moi et je serai ton réconfort,
alors, l’effort disparaîtra. Maintenant que l’Amour est à portée de ta
main, attrape-le ! »

Je n’ai d’autre choix que de te suivre maintenant, je dis adieu à


tout ce que j’ai cru être.

« En m’acceptant, tu fais mourir l’image de celui qui t’a guidé


jusqu’à ce jour. »

⎯ Si je comprends bien, Jacques, je ne suis qu’au pied de la


montagne ?
⎯ C’est juste, Steve, mais combien d’efforts pour arriver devant
cette montagne ? Et maintenant, elle est à toi, prépare tes pics et tes
crampons, elle est à toi !
⎯ Et que restera-t-il de moi lorsque j’arriverai en haut ?
⎯ RIEN.
⎯ Mais alors à quoi bon ?
⎯ Le vide remplit l’Univers, Steve, sois plein de ce vide et tu seras
comparable à l’idée du parfait.
⎯ Jacques, t’écoutant, je me retrouve comme une âme vide à la
limite de la folie. Clara n’est pas rentrée depuis hier et la journée
maintenant bien avancée. Je n’ai pas faim, le soleil n’est pas encore
couché et je pense que je vais y aller avant lui. Excuse-moi, je vais te
laisser la maison, si tu le souhaites, va te servir dans la cuisine. Mais si
jamais Clara revenait ce soir, n’hésite pas à me réveiller.
⎯ Je comprends ta fatigue Steve, retrouvons-nous demain, cette nuit
te sera bénéfique je suis sûr, je veille sur la maison avant de me coucher,

219
moi aussi.
⎯ Je t’en remercie, bonsoir, Jacques. Oh ! juste une chose, Jacques.
⎯ Oui ?
⎯ Tu es mon ami et je pense que tu l’as toujours été.
⎯ Merci. Je le sais depuis le premier instant de notre rencontre.
Bonne nuit, Steve.

Oh ! mon Ame, ma conscience, ma nouvelle pensée, je t’accepte,


prends la place de l’ancienne nature en mon être, elle n’est plus
maîtresse, je t’aime de toute la profondeur de mon être.

« Donne-moi ta main, échangeons nos cœurs, je suis ta nouvelle Âme.


Laisse-moi prendre, cette nuit, le relais de ta vie. Je vais au combat,
maintenant que tu m’as libérée, demain, pour toi, un jour nouveau,
une nouvelle vie, un être nouveau devant toi et un nouveau destin.
Ferme les yeux, c’est à moi que revient de planter le glaive dans le
cœur du Dragon qu’est la nature humaine. »

Cette chaleur en mon être est le grand réconfort de mon âme, je


me sens un enfant, c’est comme si ma mère venait de me coucher et me
border dans mon lit, si elle n’était pas morte, je jurerais qu’elle est près
de moi, sa parole silencieuse me berce déjà, mes paupières m’en
tombent, tombent…

Au pied de la montagne !
Voilà Steve couché et je me retrouve seul dans cette grande
maison. Je me demande si cette visite a véritablement son utilité. N’ai-je
pas, par mon arrivée provoquer cette disparition. Aqualuce pourquoi
m’as-tu envoyé auprès de cette homme qui semble avoir un cœur et une
âme plus sensibles que moi, n’a-t-il pas compris bien plus vite que moi
tout le chemin à parcourir par sa conscience pour arriver à la découverte
de sa véritable raison. Cela me dépasse et depuis hier matin, qu’est-ce
que je viens faire dans cette histoire ?
Jusqu’alors, je me suis laissé guider par Aqualuce ; maintenant, me voici
seul, livré à ma seule conscience, mon seul instinct. Pour moi, l’histoire
de cet homme est comme une épreuve passive. Sont-ce les forces du
troisième millénaire qui agissent ainsi ?
Il a fallu presque six mille ans aux hommes pour commencer à voir
l’autre bout de l’univers et maintenant, il faudrait juste 48 heures pour en
construire un autre ? Comment est-ce possible ?

220
⎯ C’est largement possible, Jacques !
⎯ Comment, qui parle ? Oh ! c’est toi Aqualuce, je ne t’attendais
pas !
⎯ Mais tu m’as posé une question, alors je suis venue.
⎯ Tes actes sont toujours plus rapides que mes pensées car je ne t’ai
pas encore posé de question.
⎯ Mon chéri, tu sais que tes pensées sont mes actes, notre union est
la parole d’Amour, tu sais tout cela et tu sais aussi que j’ai besoin de toi
pour vivre et m’exprimer sur Terre. Je ne peux exister sans toi et toi sans
moi ; alors maintenant, tu peux me dire la question qui te trotte dans la
tête, j’y répondrai.
⎯ Je t’entends, et depuis que je suis avec Steve, il me vient cette
question : pourquoi suis-je aussi Imparfait que tu es Parfaite et pourquoi
n’es-tu pas venue à ma place pour aider Steve mieux que moi ?
⎯ Assieds-toi auprès de moi, je vais répondre à tout cela.
Qui mieux que toi aurait pu parler comme tu l’as fait à Steve ?
Certainement pas moi, car pour agir avec les hommes il faut être un
homme et être né avec eux. Tu es né sur Terre et tu as toujours vécu
avec les hommes, alors tu es le plus expérimenté. C’est pour cela que je
t’ai envoyé voir Steve. Et maintenant, ta première question découle de la
deuxième.
Etre imparfait n’est pas imparfait. Etre parfait n’est pas parfait !
⎯ Qu’est-ce que tu me racontes, je ne saisis pas cette phrase ?
⎯ Peux-tu imaginer que malgré tous tes défauts apparents tu es un
être parfait car, dans ton action, tu te rends à coup sûr vers ton but. Tes
défauts sont voulus, car grâce à eux tu peux t’approcher des hommes et
te faire comprendre. Avoir les défauts de ses semblables est un atout
dans ce monde car le message que tu portes en toi ils peuvent le saisir et
dans ton cas, tu es un pont pour la lumière que tu détiens en ton être. As-
tu déjà imaginé un être parfait arrivant de sa planète et ayant un langage
si évolué qu’il se mette à parler dans sa langue, qui le comprendrait ?
Tu es parfait pour les humains et je t’invite à ne plus te soucier de tes
défauts car je les aime autant que toi et, en fait, ce ne sont pas vraiment
des défauts. Mais moi, j’ai plus de défauts que toi, car être parfaite telle
que mon père et ma mère m’ont créée est une lourde charge, je souffre
plus que toi de ne pas pouvoir m’intégrer comme toi à l’humanité.
Comprends-tu, ma perfection est ce qui m’empêche de me fondre avec
les hommes. C’est pour cela que nous sommes ensemble, nous nous
complétons.

221
⎯ Tu as raison, Aqualuce. Mais nous sommes chez Steve que je ne
connais que depuis hier et, malgré mon imperfection parfaite, je me
soucie de la disparition de Clara, la femme de Steve.
⎯ C’est à la demande de Clara que nous sommes ici et je tiens à te
rassurer, elle n’est pas perdue, elle est avec Noèse.
⎯ Il faut l’avertir immédiatement, pour le rassurer.
⎯ Non ! laisse-le, je pense qu’il dort, surtout, ne le réveille pas, je
sens qu’il rêve déjà. Laisse-le gravir la montagne qu’il a sous ses pieds.
⎯ Sous ses pieds ?
⎯ Oui, comme tous les hommes, il pense que le chemin est devant
lui, alors qu’il est derrière lui. Le devenir de l’humanité est déjà
construit, mais il n’est pas encore visible.
Jacques, nous sommes sur Terre pour soulever un voile, nous n’avons
rien à construire, d'autres l’ont déjà fait avant nous. Le troisième
millénaire est le millénium du dévoilement. Viens, allons nous promener
et admirer les étoiles ce soir, le ciel est pur et dégagé. Je vais te faire
visiter les astres pendant que Steve rêve de Clara et que Clara rêve de
Steve. Laissons les montagnes se rencontrer sans nous cette nuit.

AMOUR, 24 dernières Heures

Steve se couche
⎯ Gary, fais-moi un enfant.
⎯ Qu’est-ce que tu dis ?
⎯ Je veux un enfant, c’est le moment, j’aimerais que Steve ait une
sœur ou un frère.
⎯ Mais t’es pas bien ! j’ai pas envie d’ça.

J’aurais dû me taire et le laisser monter sur moi, il l’aurait fait


sans se poser de question et il aurait bien été obligé d’accepter ma
grossesse. Je suis trop honnête.

Je la vois venir, se faire mettre enceinte pour ensuite avoir un


gosse de plus à aimer. Et hop ! je me retrouverais moins que le dernier à
qui l’on pense, et avec encore un peu plus d’amour à partager pour un
autre. Ah ! non, je ne me laisserai pas prendre à ce manège-là.

⎯ Ça fait bientôt quatre ans, que mon vagin n’a pas servi, profites-

222
en, laisse-toi aller à tes instincts !

Tu fais bouillir mon sang et tu m’attises. C’est trop facile. Le


plaisir, oui, mais enfanter ça, non.

⎯ T’es qu’une salope, tu m’fais bander mais tu veux m’piéger !

J’ai fais sortir le monstre de son sommeil, le Gary, mielleux, et


doux n’est plus là. Je sens qu’il ne se domine plus. Il n’aura pas fallu
grand-chose, juste mettre le doigt sur son point faible.

⎯ Mais Gary, ce n’est pas contre toi ce que je te propose, mais c’est
afin de franchir une étape importante pour notre vie.

Étape ! tu parles, ce qui est important, c’est ton gosse, pas moi.

⎯ Ce soir, j’te saute dessus, comme tu le souhaites, mais demain je


t’emmène en Suisse pour avorter.

Le voilà qui m’écarte les membres comme une poupée. Je ne


peux pas comme ça, il le fait comme un viol, j’éclate ! Tiens, prends ça
entre les jambes, tu m’en diras des nouvelles.

⎯ Oh ! t’es malade, punaise.

Je crois que je suis allée un peu trop loin, je sens que je vais avoir
le retou…

⎯ Attrape ce coup de poing dans le ventre, que ça puisse te stériliser


et ce coup sur ta poitrine que tu puisses sentir la douleur, sale put.

J’ai mal, je ne sais même plus où est mon corps, je l’ai


pratiquement quitté, mais je ne broncherai pas, je ne crierais pas, je serai
toujours plus forte que toi. Je te laisse seul, je saute du lit.

⎯ Maintenant que je suis debout devant toi alors que tu m’as encore
battue, je pourrais dire que tu n’es qu’un minable, mais je pense
sincèrement que tu es véritablement pitoyable, je suis triste pour toi.
Demain, c’est l’anniversaire de notre fils, pense-y, réfléchis cette nuit,
car elle va te porter conseil, c’est une habitude pour toi de me frapper à

223
la veille d’un anniversaire. Sache juste que ce soir, c’était le dernier où
nous nous sommes couchés ensemble. A l’avenir, je veux un autre
homme auprès de moi. Toi ! je ne te désire plus, je ne te considère plus.
Mais je veux que Steve ait pour son anniversaire une fête digne de ses
sept ans et si tu ne fais pas ce qu’il faut, tu ne nous reverras plus jamais.

J’ai entendu papa et maman crier dans leur chambre, j’entends


maman qui pleure et qui parle. Qu’est-ce qui se passe, j’allais
m’endormir. Tiens, maman entre dans ma chambre.

⎯ Tu fais pas dodo maman ?


⎯ Non, je viens voir si tu dores.
⎯ Mais tu as des larmes qui coulent.

Que dois-je lui dire, il m’a entendue me disputer avec Gary


comme toujours. Il est jeune, mais je dois le préparer à une fort probable
séparation. Oui, je pense qu’il est préférable qu’il aille en France
quelque temps avec Michèle, loin de nos disputes, il n’aura pas à
s’inquiéter et il rentrera lorsque j’aurai réglé nos problèmes
définitivement avec Gary. Et si je divorce, je rentrerai en France et le
rejoindrai.

A quoi penses-tu maman, j’ai le sentiment que tu ne veux pas me


dire ce que tu as sur ton cœur. J’ai sept ans demain et même, je suis dans
ma tête aussi grand que toi. J’ai l’impression d’avoir la conscience d’un
adulte, c’est comme si j’avais déjà vécu une vie entière, cette peau
d’enfant n’est plus la mienne.

⎯ Papa et moi sommes fatigués en ce moment et je pense qu’il serait


bien que tu ailles quelque temps chez tata Michèle, cela te permettra de
mieux apprendre le Français et lorsque tu reviendras, tu auras quantité de
choses à nous raconter.
⎯ Mais je ne veux pas partir, je t’aime et je veux rester avec toi.

Je dois le rassurer, mais il est vraiment indispensable que je règle


nos problèmes sans qu’il y soit mêlé ; s’il restait avec nous il serait en
danger et à ce stade, je suis la seule capable de résoudre le problème de
fond qu’il y a avec Gary. Si Steve a été le liant qui à permis que nous
restions ensemble durant toutes ces années, il est indispensable qu’il
parte loin de nous, même si je l’adore, car cette bataille n’est pas pour

224
lui.

⎯ Steve, mon chéri, papa et moi n’allons pas nous quitter


aujourd’hui, mais ton père n’a pas su prendre sa place dans le foyer
depuis que tu es enfant. Ça ne peut plus durer et je me donne comme
mission qu’après ton anniversaire, cela ne soit plus jamais comme avant.
Tu n’es pas bête et tu nous entends nous fâcher chaque jour et je suis
sûre que tu aimerais nous voir plus souriants ensembles. Alors, c’est
pour cela que je t’envoie en France chez tata. Mais, sois rassuré, tout
finira bien et tu nous rejoindras très vite, dès que nous aurons fait le
nécessaire. Ne pleure surtout pas, mais pense plutôt à ton anniversaire
que nous fêterons demain.

Que répondre à ces paroles, elles résonnent de vérité en mon


être ; des larmes, je n’en ai pas car maman agit comme une conscience
dans mon âme. Et je lui serai fidèle toute ma vie. Comme je l’entends
maintenant, j’ai le sentiment que mon passé apparaît devant moi, tout
comme mon avenir. J’ai sept ans, mais maman agit comme la femme
que j’ai aimée.

⎯ Ne t’en fais pas maman, je suis plus fort que tu ne le crois. Je


préfère te quitter quelques jours plutôt que de te sentir malheureuse toute
ta vie. Tu sais, quand j’étais grand, j’étais marié.
⎯ Cesse de dire des bêtises. Cette nuit, je vais dormir dans ta
chambre, tu ne seras pas seul, de toute façon, tu n’es jamais seul même
lorsque je ne suis pas près de toi. Vois-tu, je m’allonge sous la
couverture, près de ton lit, si tu as besoin de moi, appelle-moi, je serais
toujours là pour te défendre. Bonne nuit, mon petit.
⎯ Bonne nuit, maman.

Steve est vraiment un garçon exceptionnel, j’ai l’impression qu’il


mûrit plus vite que nous, j’ai l’impression de retrouver le Steve que j’ai
quitté il y a sept ans déjà, son âme est comme le mari que j’ai eu lorsque
je m’appelais Clara. Mais aujourd’hui, Clara s’est fondue sous les traits
de Marie et Clara n’est plus qu’un souvenir à mes yeux.

Nuit Blanche pour Idées Noirs


Tu l’as cherché, tu l’as eu. J’ai pas l’ombre d’un regret de t’avoir
frappée. J’me suis pas marié avec une mère pondeuse, tu t’es trompée de
mari avec moi. Mais, bon sang, tu m’as pas raté, j’en ai pratiquement

225
mal à la gorge ; heureusement il m’en faut bien plus pour me mettre à
terre, de toute façon, ça m’empêchera pas de dormir.
Mais qu’est qui lui a pris d’avoir une telle idée ? déjà, un enfant c’est
trop pour moi et elle le sait bien. Une vie de plaisir n’est pas compatible
avec une vie de famille. Vivre n’est pas un cadeau, alors, pourquoi se
compliquer la vie avec un gosse en plus. J’ai pas été assez fin lorsque
j’ai connu Marie, j’aurais dû l’amener à faire exactement je que je
désirais et être plus attentif, choisir une femme moins intelligente et plus
serviable. Une beauté à l’esprit vide, que j’aurais pu façonner à ma
guise. L’intelligence féminine est le pire des fléaux, on ne le voit que
trop au vingtième siècle. Les mouvements féministes se multiplient
chaque jour et nous, les hommes, si ça continu comme ça, au vingt-et-
unième siècle, on changera les couches de nos enfants et pour peu on
leur donnera le sein ou le biberon. Ce sera le monde à l’envers et nous
serons les serviteurs de nos femmes, car ce sont elles qui amèneront la
paye à la maison. Moi, je ne me laisserai jamais marcher sur les pieds
par elles, je suis un homme, et je suis fait pour dominer mon entourage.
Alors, ce n’est pas un enfant qui va y changer quelque chose.
Bon, j’arrête de penser, je vais dormir.

Pauvre Gary, tu dois te morfondre dans notre lit et tu dois


regretter les gestes que tu as eus. Même si je te pardonne dans mon
cœur, je ne peux accepter que ton instinct animal prenne si vite le dessus
sur ta conscience. Je te souhaite une nuit blanche afin que tu prennes
conscience de la souffrance que tu nous infliges. Au fond de mon cœur,
j’ai soif d’amour, et de vie. Peux-tu le comprendre ? Qu’y a-t-il de bon
en toi, où est l’amour s’il y a une parcelle de ce trésor en toi ? Je
sacrifierais ma vie entière pour la découvrir et je veux bien mourir pour
te guérir.

La vie de ma mère et de mon père a-t-elle été violence continue


depuis que je suis né ?
J’ai l’impression de les découvrir aujourd’hui. Hier, j’idéalisais leur vie
comme je l’ai toujours imaginé, un homme et une femme qui s’aiment et
qui donnent chacun leur amour à leur enfant. J’ai surtout vu mon père
comme un idéal et un exemple à suivre. Maman m’aime et elle le
démontre de façon évidente mais, malgré tout, mon père m’influence par
la force de sa pensée, son désir de domination est pour moi très
séduisant. Tous les avantages matériels qu’il me propose m’attirent et,
au fond de moi, j’ai toujours voulu lui ressembler. Etre un pilote d’essai

226
qui conduit des bolides dans l’air, c’est séduisant, l’homme-fusée prêt à
toucher les étoiles, voilà un idéal sublime pour moi. Mon père semble le
meilleur, dans ses avions, il ressemble à un Superman.
Et ce soir, j’ai l’impression de m’éveiller comme un nouveau-né qui
ouvre les yeux pour la première fois dans une monde inconnu, pas
nécessairement accueillant. Je découvre une mère pleine d’amour et un
père plein de haine levant la main sur sa femme. Je ne peux plus croire
en cet homme, il m’appartient de faire un choix, et d’écouter ma mère,
seule conscience capable de s’interposer devant cet homme abject.
Où est l’enfant que je devrais être ?
Ma conscience est celle de l’homme mûr que je pense être, celui qui a
vécu, celle de l’homme qui, aujourd’hui, est au pied d’une montagne.
C’est curieux, j’ai l’impression d’avoir vécu cette situation, mais quand,
où ?
Qu’ai-je à faire, quel est mon rôle ?

⎯ J’ai peur maman, j’ai peur de papa, j’ai peur de la vie.

Steve ne dort pas, il n’est plus un bébé, il comprend parfaitement


ce qui se passe en nous. Mais il ne doit pas prendre part au conflit que
j’ai entamé avec Gary. Il faut qu’il dorme, c’est indispensable.

⎯ Fait un gros dodo, tu n’as aucune raison d’avoir peur, avec moi tu
ne crains rien et papa ne te veut aucun mal, il t’aime, mais il ne sait pas
le montrer. Dors, demain c’est ton anniversaire.

Je vais lui chanter une chanson qui me vient en tête, que j’ai
apprise dans mon autre vie. Je pense qu’elle n’existe pas encore dans ce
monde-là.

⎯ Écoute, Steve, je vais te chanter une chanson pour t’endormir.

All babies are born saying god’s name


All born singing god’s name
All babies are frown from the universe
From there they’re lifted by the hands of Angels
God gives them the stars to use as ladders
She hears their calls
She is mother and father
All babies are born out of great pain

227
Over and over
All born into great pain
All babies are crying
For no-one remembers god’s name.

⎯ Je la connais, c’est la dame qui a le même nom que nous. Bonne


nuit, maman, je suis fatigu…

Comment peut-il connaître Sinead O’Connor, elle a le même âge


que lui, elle ne chante pas encore. J’assénais tellement mon Steve avec
les CD de cette chanteuse que mes pensées auront déteints sur les
siennes ? qui sait ! enfin, il dort, c’est l’essentiel. Moi aussi je devrais
dormir, mais je ne sais pas si j’y arriverais, je pense que Gary n’a aussi,
pas trouvé le sommeil.

Je me tourne et me retourne dans mon lit et mes pensées me


rattrapent, elles me font plus mal que le coup que Marie m’a donné, c’est
pour dire ! Marie, je te hais, avec toi, le plaisir devient un cauchemar,
quel intérêt à vivre dans ces conditions. Tout ce que j’aime, tu le casses
systématiquement ; je pense et tu contre-penses. Tu es castratrice, tu es
l’obstacle de tout ce que je désire. Malgré tout, nous vivons ensemble ;
mais quelle force nous retient l’un à l’autre ?
De plus, avec notre enfant, je n’ai pas l’influence que j’aurais pu avoir
sur lui afin de le mouler à mon image. Depuis que Steve est né, tu t’es
interposée entre lui et moi et quand je fais le compte, je comprends que
tu as toujours été l’empêcheuse de réaliser mes désires. J’en viens à
conclure que tu es la véritable barrière entre mes sentiments et Steve et
j’en déduis froidement que…
Que tu dois mourir afin que je puisse vivre sans aucun obstacle. Je
deviens peut-être un peu fou, mais j’ai pour toi un désir effrayant de
mort.
Marie, je ne peux plus vivre avec toi, il faut que tu disparaisses afin que
Steve reste avec moi, qu’il devienne ce que je suis.
Oh ! mon Dieu, quelle est cette pensée, pourquoi m’envahit-elle au point
de la mettre en pratique ?
Calme-toi, Gary, calme-toi et dors…

Je crois quand même que Gary et moi avons passé la limite de


non-retour. Comment pourrons-nous vivre ensemble après nous être
comportés comme des bêtes ce soir ? De l’Amour, j’en suis remplie plus

228
qu’il n’en faut, mais pourquoi, pour qui ?
Cet être, je ne le désire plus du tout, il se comporte trop souvent comme
un prédateur sans âme.
Est-ce un miracle ou un châtiment que Steve soit pour nous deux
l’interface de nos vies depuis sa naissance. Peut-être que oui finalement,
car sans lui, je crois que je serais resté sous l’influence de Gary, j’aurais
continué à dormir comme une femme soumise.
Mais non, rappelle-toi, avant d’être Marie, tu étais Clara, Marie t’a
laissée prendre les rênes de sa vie, afin que tu puisses t’interposer face à
Gary. Steve est arrivé en même temps que moi et cela n’était pas le
hasard ; je ne suis pas Marie, je suis Clara.
Je suis Clara et je veux rentrer chez moi et je veux libérer Steve
définitivement de l’emprise de son père. Je veux me réveiller de ce rêve,
je ne veux plus de cette vie. Demain à vingt-deux heures vingt-cinq, cela
fera exactement sept ans que je me suis mise dans cette peau qui me va
trop bien et cet âge-la, sera pour moi aussi l’âge de raison, la raison de
rentrer chez moi, dans ma vraie maison, s’il y en a encore une pour
moi ? Le moment de mourir aux yeux de ce mari sans conscience.

Je ne dors toujours pas et ma pensée tournoie comme un démon


autour de moi. Tuer Marie, je dois la tuer afin qu’elle n’ait jamais existé,
pour libérer mon esprit de sa force et de son pouvoir.
Mais comment la tuer ? j’ai bien un revolver, mais ça fait du bruit et je
ne supporterai pas de la voir défigurée, ensanglanté. Non, pas de cette
façon. Je peux l’étrangler, j’ai assez de force dans les poignets. Non, je
ne peux pas ; de voir son joli visage boursouflé et sa langue bleuie
ressortir de sa bouche, c’est trop pour moi. Je vais l’endormir avec de
l’éther et lui trancher les veines dans la baignoire afin qu’elle se vide de
son fluide de vie, doucement, sans la faire souffrir. C’est une mort
douce, cela me convient. Ensuite, je ferai disparaître son corps dans la
mer après l’avoir lesté et je dirai que nous nous sommes disputés et
qu’elle est partie en furie. Je bénéficierai du doute et je pourrai reprendre
une vie normale peu de temps après. Voici donc, maintenant, mettons ce
plan à l’exécution.
Je vais chercher mon rasoir et l’éther dans la salle de bain…
Voilà, ce bon morceau de coton suffira à lui recouvrir le visage afin
qu’elle respire profondément l’anesthésique. Elle est dans la chambre de
Steve, pourvu qu’ils dorment profondément. De toute façon, je ne
reculerai pas.
T’es pas bien dans ta tête, qu’est-ce que tu va faire !

229
Non, j’irai jusqu’au bout et maintenant que je suis devant la porte, ce
n’est plus le moment de reculer.

Gary ne dort pas, je l’entends dans le couloir. Que fait-il ?

Elle doit dormir profondément, je ne l’entends pas, je pousse la


porte.

Il entre dans la chambre, qu’est-ce qu’il veut, c’est pas vrai !

⎯ Qu’est-ce que tu fais avec cette bouteille et ce coton dans ta


main ?

Elle ne dort pas, fonce !

Il est complètement déjanté, pas l’temps de penser. Prends ce


coup-là dans le ventre et ça aussi !

Elle m’assomme avec une boule du lit de Steve, j’ai la tête qui
résonne.

Et prends encore ce dernier coup de boule, tu te sentiras mieux.

Je vois des étoiles, que c’est beau…

⎯ Te voilà inconscient, mais bon sang, pourquoi je lui ai fait ça, j’ai
été complètement folle de lui sauter dessus.

Je vais le sortir de la chambre, Steve ne peut pas participer à un


tel spectacle…
Voilà, sur le canapé il sera mieux, ainsi je vais pouvoir le soigner. J’ai
vu qu’il avait du coton dans la main, je vais le chercher…
Du coton, le flacon d’éther, mais que voulait-il faire avec ? et ce rasoir
qui traîne par terre. Mais alors ? Je pense que la nuit va être longue,
Gary me doit des explications…
Il a deux grosses bosses sur la tête, mais la plaie et très superficielle. J’ai
l’impression qu’il reprend connaissance.

⎯ J’ai mal à la tête, qu’est-ce qui m’arrive ?


⎯ C’est plutôt à moi de te demander ce qui m’arrive et pourquoi j’ai

230
trouvé tout ce matériel sur toi lorsque tu as pénétré dans la chambre de
Steve ? du reste, je te rends ton matériel, il est à ta disposition.

Elle ne bluffe pas, je reconnais mon rasoir et l’éther. Au point où


j’en suis, je n’ai plus rien à cacher.
⎯ J’ai l’intention de te tuer.

Maintenant, c’est dit, je crois qu’il ne plaisante pas, je le lis dans


ses yeux.

⎯ OK, tue-moi, si tu veux, je me laisserai faire si tu as une bonne


raison de me faire mourir, j’attends tes arguments, ensuite, s’ils sont
justes, passe à l’acte.

Cette femme n’est pas Marie, elle a un cran terrible, son regard
n’est pas celui de ma femme. Ai-je déjà fait mourir mon épouse ce soir
par mon attitude ? Je joue ma vie et elle aussi, la partie d’échecs est
engagée, j’ai joué le premier et en déplacent mon fou trop loin j’ai perdu
la première manche.

⎯ C’est un jeu que tu me proposes d’accord, l’enjeu en sera la vie de


l’un ou de l’autre !
⎯ Ça marche, on commence maintenant. Tu as commencé le
premier, je t’ai donné ma réplique, maintenant, c’est à mon tour de
lancer l’attaque.

Elle est maligne, il faut la jouer fine, car elle ne me fera pas de
cadeaux.

⎯ Tu gagnes un point si tu peux répondre à ma question :


Si je meurs, pourras-tu regarder Steve dans les yeux et comment feras-tu
pour l’élever ?

Tu crois que je vais laisser mes sentiments s’exprimer et avoir


maintenant une larme de remords. Faux !

⎯ J’ai tout prévu. Lorsque je t’aurais tuée, on ne retrouvera jamais


ton corps car je l’aurai fait disparaître dans l’océan. Tu auras servi de
repas aux phoques et autres animaux marins. Bien sûr, je serai triste de
t’avoir perdue, mais nos amis me réconforteront. J’aurai l’espoir de te

231
voir réapparaître un jour ou l’autre car j’aurai raconté à la police que tu
es partie après une dispute et que, sur un coup de tête tu as décidé de me
laisser seul pour élever notre enfant. Je dirai à Steve la même chose et
que chaque soir où nous étions ensemble, tu cherchais le moyen de me
trouver tous les défauts du monde. Pour faire plus vrai, j’aurai pris soin
d’avertir la police de ta disparition juste deux heures après ta mort, ainsi
ça semblera plus réaliste et l’on évitera de me suspecter. Il est évident
qu’il n’y aura aucune trace de lutte car, pour te tuer, j’ai l’intention de
faire ça très proprement, sans même que ce soit douloureux ; je ne
supporterais pas que tu souffres, c’est pour cela que j’ai pris l’éther, tu
comprends. Et puis, tu as ce soir sans le vouloir, appuyer mes arguments,
car tu m’as frappé deux fois sur la tête et le médecin le constatera sans
problème. Tu as été agressive et tu es partie précipitamment ; tout ça
plaide en ma faveur. Alors, devant Steve, pourquoi aurais-je des
remords ? Mes yeux pourront continuer à le fixer sans crainte.
Pour l’élever, je paierai une tutrice qui suivra exactement mes directives.
J’établirai un plan d’éducation me convenant et conduisant Steve au
métier que je lui aurai choisi. Il sera pilote d’avion comme moi et avant
cela il aura fait l’école aéronavale, l’armée lui apprendra à obéir et
lorsqu’il sortira avec ses galons, il me prendra comme modèle, je serai
son maître. Petit à petit il deviendra ma parfaite image comme cela, à ma
mort, je serai à sa place et ainsi ma vie continuera au-delà de celle-là ; je
pourrai assurer ma continuité d’enfants en enfants. Ainsi, j’assurerai
pour longtemps la continuité de ma pensée grâce à mon enfant. N’est-ce
pas merveilleux ? Je pense que j’ai marqué le point, que peux-tu
répondre à mes arguments ? sans réponse de ta part, je vais pouvoir
passer à l’acte.

Pour ton deuxième coup, tu t’es bien débrouillé, mais je ne vais


pas te laisser prendre la main. Ouvre tes oreilles, voici ce que j’ai à te
répondre :

⎯ Après tant d’années de mariage, voici donc ta véritable


personnalité dévoilée. C’est bien mieux ainsi, je connais l’être que j’ai
devant moi et s’il y avait encore quelques doutes, maintenant, ils ne
subsistent plus. Tu es un tueur, tueur d’âme en voulant mouler notre fils
à ton image et ne lui laisser que le choix d’être toi-même, c'est-à-dire
rien ou alors un autre tueur, c'est-à-dire une créature sans conscience et
sans humanité. Si tel est le but que tu t’es fixé, je pense que tu n’es pas
prêt de me faire mourir. J’ai une grande confidence à te faire, un aveu et

232
peut-être l’as-tu constaté au fond de toi !
Marie est morte à l’instant où Steve est né, j’ai pris sa place lorsque
notre enfant a ouvert les yeux. C’est Marie qui m’a demandé cela car
elle savait qu’avec moi, Steve serait mieux protégé de tes agressions. Je
suis devenue son ange gardien en même temps que sa mère. Steve
grandissait et s’ouvrait à ce monde pour lequel il est fait. Grâce à lui,
toutes ces années il a été l’interface entre nous deux et nous l’avons
utilisé pour pouvoir continuer à vivre ensemble, cela jusqu’à ce soir, le
dernier jour où notre vie commune était encore possible. Ce soir, où l’un
et l’autre nous nous retrouvons véritablement face à face pour étaler nos
vérités, dévoiler notre véritable but dans cette médiocre vie terrestre
dans laquelle nous sommes enchaînés. Notre enfant est le fruit d’une
alliance passé qui aurait pu nous réunir au moment de sa venue, mais,
hélas, lorsque tu l’as vu la première fois, tu as commencé à voir ton
intérêt s’évaporer. C’est pourquoi je suis là à la place de Marie. Mon
monde n’est pas le tien, car d’où je viens, je connais un Steve qui
cherche à se libérer de son passé et qui imagine un père comme un
héros, pas un médiocre ni un assassin. Je suis née sans passé pour créer
un avenir à mon fils. Mais aujourd’hui, tout s’arrête car toi comme moi
nous nous dévoilons. J’ai le sentiment d’être devant un champ de bataille
dont nous ne percevons pas encore le but. C’est une guerre qui s’ouvre
pour nous deux et de cette lutte, j’entrevois, j’en suis certaine, que nous
allons découvrir la véritable raison. Pourquoi serions-nous restés si
longtemps ensemble pour que je te quitte ou que tu me tranches les
veines dans une baignoire ? Battons-nous jusqu’à notre mort, mais pour
une juste cause, découvrons pour quelle raison nous sommes ensemble.
Marie, en se mariant, aimait sincèrement son partenaire, elle avait une
grande idée de la vie, mais n’avait pas la force de vivre avec un homme
ne désirant que son plaisir ; alors elle a fait un enfant pour qu’il soit pour
vous deux la possibilité de découvrir la vie et l’aimer. Gary, si tu veux
me tuer, démontre-moi que la vie n’est qu’un canular et qu’aimer la vie
est une hérésie. J’ai en moi, comme Marie, l’Amour des hommes et de la
vie, cela me donne la force d’être ce que je suis et plus encore. Alors
maintenant, j’écoute tous les arguments dont tu disposes pour me tuer.
Tiens, prends le rasoir que je te tends, vas-y, tranche mes veines et qu’on
n’en parle plus.

⎯ C’est trop facile, de te tuer avec ton accord, ça cache quelque


chose et puis, la mise à mort, c’est à la fin, comme dans l’arène. Alors, si
tu n’es pas marie, qui vais-je faire mourir ?

233
Avant tout, comme tu souhaites que nous nous démasquions tous deux,
je vais te parler de moi car il me paraît qu’après toutes ces années
passées ensemble, tu n’en sais que peu sur moi. Mieux connaître ton
bourreau te permettra certainement d’accepter ta mort sans problème. Il
peut arriver qu’un condamné, dans les dernières minutes de sa vie,
tombe amoureux de son exécuteur. Ce serait un comble que tu m’aimes
véritablement au moment de ta mort.
Je sens en moi l’influx d’une race supérieure et je pense, depuis ma
naissance, être de ceux qui peuvent conquérir le monde et le dominer.
Depuis que je suis adolescent, j’entends en moi résonner cette formule
« Tu es seul maître, personne ne peux t’être supérieur. Tu es le dieu du
monde, son sauveur, sans toi, l’humanité n’est rien, ils t’attendent tous. »
Hélas, depuis cette époque, personne ne m’a entendu et je reste seul à le
savoir. Alors avec le temps, j’ai construit autour de moi un rempart, une
muraille infranchissable afin de me protéger des agressions extérieures,
des hommes qui du haut de leur tour sont incapables d’écouter ce que
j’ai à leur dire. Personne n’entend personne sur terre, et chaque homme
reste dans son coin. Alors, depuis que j’ai quinze ans, j’ai fait comme les
autres, je me suis protégé afin de pouvoir survivre. Ma tour est dans un
roc dont les fondations sont prisent profondément dans le sol de cette
vie. Tu penses bien que personne ne pourra la faire tomber, même avec
une bombe à Hydrogène. Dans ma conscience, je suis certain d’avoir
raison sur tous les points et je crois que mon plaisir et ma longévité sont
les buts qui me sont donnés d’exécuter. Ma raison d’être, tu l’as compris
maintenant, je suis sur Terre pour exprimer ma pensée et l’imposer aux
autres, je veux que tous fassent comme moi car je suis un modèle pour
l’humanité. Je suis un des meilleurs pilotes d’avion, voir le meilleur au
monde, pourquoi devrais-je encore devoir apprendre des autres ou même
de toi ? J’ai une connaissance parfaite de ce qui m’entoure et j’ai appris
énormément du monde à force de voyager. Tout mon savoir, je le tiens
de mes aïeux et de ma culture depuis que j’existe. J’ai pouvoir sur mon
entourage et mon enfant mais ceux qui me résistent, ils doivent mourir
car dans ma vie, je ne connais aucun maître.
S’il devait y avoir un dieu sur cette planète, ce serait moi ! et si je suis
Dieu, je décide de qui meurt ou vit. Vois-tu ce rasoir tenu entre mes
doigts et bien par lui, je suis Dieu car je décide de la vie et de la mort.

Le misérable, il s’imagine détenir le destin de chacun juste en


tranchant la jugulaire d’une pauvre femme, quel imbécile. Son assurance
est le reflet de son ignorance.

234
⎯ Si tu ne te prenais pas au sérieux, j’aurais envie de rire aux éclats.
Mais dans ton état, je dois m’attrister de te voir comme ça et le pire et
ton ignorance alors que tu te vantes de tout connaître. Hélas, mon
pauvre, tu ne connais que ceux qui te ressemblent et vivent dans les
mêmes eaux que toi. Tu es le roi, voire même le dieu dans ton bocal,
mais le monde n’est pas ce vase clos dans lequel tu vis et heureusement.
Ta connaissance se limite à ta dimension de l’horizontal et du vertical,
mais as-tu pensé un moment que le monde n’est pas fait que de choses
visibles, c’est justement ton problème, car jusqu’à présent, tu n’as pas vu
que derrière chacun se dissimule une âme profonde qui ne vit que de
vérité et d’amour. Tu peux être le meilleur pilote d’avion du monde, tu
restes néanmoins ignorant du souffle de vie qui pousse l’humanité et toi-
même à aller toujours plus loin et plus haut. C’est justement par cet oubli
que tu te noies chaque jour dans ton illusion. Et par manque d’amour, tu
corriges ce vide par l’affirmation de ta personnalité, tu es ton roi et ton
dieu et tu crées ton amour pour toi-même : tu renvoies vers toi ce que tu
devrais donner aux autres. Cela s’appelle égocentrisme, tu as la maladie
de tous les humains car ils te ressemblent tous. Tu te crois seul, mais
vous êtes six milliards dans ce cas. C’est pour cela que tu te retrouves
derrière des remparts infranchissables et tu constates toi-même que
chacun reste dans sa tour sans écouter ce que l’autre a à dire. Ce qui me
fait mal au cœur, c’est que tu es intelligent et si tu étais conscient, tu
serais capable de comprendre ton état et cela te rendrait triste au point de
vouloir mourir. Au lieu de cela tu veux tuer ceux qui te contredisent car
ils mettent en danger ta raison d’être dans ton monde, mais regarde, ça
ne vaut rien car c’est sans fondement et j’espère que tu comprendras un
jour quelle force te manipule et que tu te rebelles contre elle. Et ce que tu
pensais en souriant au début, est, à ta grande surprise, vrai : j’aime mon
bourreau. Mais pour comprendre ce que je veux dire, tu devras savoir ce
qu’est l’amour. Voilà ma réponse à l’individu que tu viens de me
décrire. Comme tu te demandes qui, à la place de Marie, va mourir, je
vais te le dire.
Mon véritable non est Clara, j’ai pris la place de Marie au moment de la
naissance de Steve. J’ai atterri dans sa peau juste au premier cri de ton
fils et depuis, je ne suis restée. Marie heureuse de me trouver, m’a
laissée sa place, me donnant tout d’elle. Pour moi, il ne restait plus qu’à
vivre sa vie. Alors, me trouvant dans une nouvelle peau, j’ai compris que
j’étais là pour protéger l’enfant. Il m’est apparu progressivement que ma
présence n’avait pas d’autre but de te changer à tout prix. C’est pour cela

235
que je ne t’ai fait aucune concession. Je te connais à travers Steve, car il
est ton fils, ton image. Mais, Steve a pris conscience de ta véritable
personnalité et a décidé de ne plus jamais te ressembler. Je sais tout cela
car je le connais plus encore que tu ne peux l’imaginer. Je vivais avec lui
bien avant de te connaître car lorsque je n’étais pas encore Marie, nous
étions ensemble dans le futur de sa vie. Je connais ses goûts, ses désirs,
je sais qu’il ne sera jamais pilote d’avion et qu’il n’ira jamais à
l’académie militaire car nous n’allons pas le voir grandir. C’est ma sœur
Michèle qui s’en occupera car nous serons morts avant ses huit ans.
J’aime Steve car c’est mon enfant et en même temps, c’est l’homme que
j’aime, car il est l’image de mon idéal. Sois comme lui, alors je
commencerais à t’aimer. Moi, Clara, comment pourrais-je t’aimer alors
que je ne suis pas encore née ! c’est pour cette raison que je n’ai jamais
craint tes coups et que je te tiendrai tête jusqu’à ton dernier souffle. Tu
ne me tueras plus avec ton rasoir ridicule parce que nous devrons, cette
nuit, changer ensemble notre destin. Que sera notre mort, je ne sais pas,
mais elle ne dépend que de nous et de toi en particulier. Demain est
notre dernier jour avec notre enfant et j’espère que nous serons
exemplaires à ses yeux. C’est pour cela que la bataille, cette nuit, entre
nous sera rude. Je ne souhaite pas être vainqueur de cet affrontement que
tu m’imposes mais que tu en sois le grand gagnant par ton réveil et ta
prise de conscience. L’important pour nous deux n’est plus combien il
nous reste de temps avant de mourir, mais qu’allons-nous donner à notre
enfant avant de disparaître. Pour ma part, je n’ai pas peur de mourir, ma
seule crainte est de ne pas achever ma mission. Alors, tu me fais rire
lorsque tu brandis ta lame, te comparant à Dieu. Il n’est de dieu que celui
qui accomplit la mission pour laquelle il est véritablement destiné, celui
qui décide du destin n’est pas « je » mais « Lui ».
Sais-tu qui tu es ?

Où est-elle allée chercher cette histoire, est-elle devenue folle,


elle m’agace à vouloir me décortiquer comme ça, pour qui me prend-
elleI? moi je sais qui je suis, je sais où je vais, je sais comment arriver à
mon but et je sais mieux que n’importe qui que personne n’a intérêt à me
déranger dans ma vie si bien réglée depuis que j’existe.

⎯ Comment dois-je t’appeler, Marie ou Clara ?


⎯ Fais ce que tu veux, je réponds aux deux noms, mais il n’y a
qu’une femme qui t’a aimé et tu connais son prénom, maintenant, sache
laquelle est véritablement tienne !

236
⎯ J’ai devant moi une femme qui ne n’aime pas car elle ne me désire
pas, tu es Clara, tu as tué Marie, tu dois mourir pour ce crime.
⎯ Tu te cherches vite des alibis pour te donner bonne conscience !
⎯ Oh ! ça va, moi je sais qui je suis, je n’ai pas de dédoublement de
personnalité comme toi. Moi, Gary O’Connor, fils de John O’Connor
pilote de l’US Navy, petit fils de Georges O’Connor, pilote de la Royale
Air Force et mon fils sera pilote de l’US Navy. Je suis fidèle à ma
famille et mon enfant suivra mes traces et non les histoires que tu viens
de me chanter. La femme de mon grand-père et celle de mon père les ont
suivis sans broncher sans jamais s’opposer à eux. Elles ont toujours été
silencieuses et ma mère le reste encore aujourd’hui. Ce ne sera pas une
petite Française qui changera le cours des choses dans ma famille. J’ai
été éduqué pour faire le métier que j’aime et il en sera de même pour
mon enfant. Mes parents sont mon modèle, et leur idéal est le mien
aussi. Je sais que mon grand-père et mon père ont frappé leur femme
pour qu’elles suivent la voie tracée pour suivre leur carrière et je sais
qu’ensuite ils n’ont plus jamais eu de problème.
⎯ C’est pourquoi elles sont restées silencieuses, ton grand-père et
ton père ont tué leur femme dans leur âme pour n’avoir que des corps
soumis à leur disposition. Ils ont créé pire que des prostituées, des
zombies.
⎯ Tais-toi, si je ne peux éteindre ton âme, ton corps le sera.
⎯ Mon âme ne peut être éteinte car elle ne fait pas partie de ton
monde, je suis Clara et je ne suis pas encore née !

⎯ Tu me fais tourner la tête avec tes salades. Écoute-moi bien. Moi,


Gary, j’ai la tête sur les épaules, je suis diplômé des meilleures écoles
militaires et je suis sûr de Moi. Ma connaissance, mon savoir sur les
hommes et ce monde sont immenses. Mes certitudes sur mon existence
et ma famille, personne ne pourra me les extraire, ou il faudra l’aide
d’un extraterrestre, c'est-à-dire, l’impossible. Maintenant, je vais te
donner les meilleures raisons que j’ai de te tuer :
Tu es devenue pour la suite de ma vie un obstacle parce que tu n’en fais
qu’à ta tête et que tu protèges trop mon fils.
Tu es devenue un obstacle à ma carrière professionnelle car je suis
obligé de tenir compte de ton avis pour projeter mon avenir.
Tu ne veux pas que notre enfant suive ma voie.
Tu veux me changer.
Tu veux que je laisse tomber ma famille.
Et le comble tu voudrais que je te fasse un autre enfant !

237
Là ! tu as dépassé les bornes et ce soir j’ai véritablement pris conscience
que tu dois disparaître afin que je puisse redémarrer une autre vie.
Et où as-tu été chercher que c’était le dernier jour avec notre fils ?

Tout concorde, avec ce que j’ai appris de la tante de Steve


lorsqu’elle venait nous voir à l’hôpital. Nous sommes arrivés à la limite
de notre vie en même temps qu’à notre fin. Mais pourquoi en suis-je
arrivée là depuis que cette jeune femme a un jour frappé à ma porte et
m’a fait passer dans cette vie ? Pourquoi moi ? qu’ai-je à voir avec la vie
de Marie, je suis l’épouse de leur fils. Pourrais-je connaître le secret
véritable de ma vie, moi, la femme sans passé, alors qu’il me reste si peu
de temps, deux jours tout au plus. Retournerais-je dans ma vie en l’an
2003 ?
Et Gary, cet homme, ce mari, mon mari d’aujourd’hui, que je connais
mieux maintenant que l’époux que j’avais lorsque j’étais Clara.

⎯ Gary, il est nul besoin de croire au surnaturel pour savoir que nous
ne pouvons plus vivre ensemble depuis ce soir car, en pénétrant dans la
chambre de notre enfant avec la ferme intension de me tuer, qui parierait
un cents sur notre avenir ?
Tu es peut-être un futur criminel et moi un cadavre en sursis ; où est
notre lendemain ?
Tu viens de me montrer comment ta personnalité est modelée par ton
passé et ta famille, alors à moi maintenant de t’exposer la mienne.
Je suis fille de nulle part sur terre et ma vie n’est pas dans ton monde car
je suis une enfant de l’avenir, une enfant du verseau, une fille des étoiles.
Marie est mon pied sur Terre et Clara mon âme dans le futur.
Je vis avec toi parce que j’aime ton fils, j’aurais voulu t’aimer avec lui
mais tu n’as fait que chercher ton intérêt et tenter de m’étouffer autant
que tu le pouvais. Il est certain que si Steve n’avait pas été là, je ne serais
jamais venue dans ta vie. Il est le catalyseur de notre vie commune. Le
pauvre enfant a dû te supporter dès le premier instant de sa vie, rappelle
toi lorsque tu voulais l’appeler Charles. Alors, aujourd’hui, il est
indispensable de ne plus le mêler à notre vie, nos difficultés mutuelles ne
le concernent pas. Il a été le ciment de notre union tant qu’il a pu mais
c’est fini. Affrontons-nous pour une fin heureuse ou tragique. J’ai de
toute façon décidé, car tu ne peux m’en empêcher, qu’au soir de son
anniversaire Michèle le prendra quelques semaines à Paris. Du reste,
comme je serai morte demain, il vaut mieux que ça ce termine ainsi. En
réponse à tes raisons de m’exécuter, voici mes raisons de me sacrifier :

238
Je donnerais ma vie pour mon fils et je serais l’obstacle à tes désirs.
Si je ne suis plus, tu ne sauras prendre aucune décision certaine
concernant l'avenir car comme tous les hommes, tu t’appuies sur
l’intuition féminine pour faire face à tes responsabilités.
Je veux que notre enfant suive sa propre voie et ne soit influencé ni par
toi, ni par moi. Je souhaite léguer à notre fils un monde meilleur que
celui que nous avons trouvé et que nos épreuves ne soient pas les
siennes. Je veux pour lui la liberté dans son âme et son corps.
Je suis avec toi pour t’apprendre la vie et l’amour. Je ne serais jamais
resté plus d’un jour après la naissance de notre enfant si je n’avais
jamais gardé une lueur d’espoir de te voir changer. Et ce soir, malgré
toute ta noirceur, j’espère encore que cela arrivera. Mais il faut faire très
vite, car il ne nous reste que quelques heures.
Je connais ta famille depuis que nous sommes ensemble et, lorsque je
t’entends, tu me confirmes que leur influence est en grande partie la
conséquence de ton égocentrisme.
Dans ton état, tu me donnes le dégoût, mais je sais néanmoins qu’au
fond de toi il y a une très grande âme qui souffre de ne pas se connaître.
Engendrer un enfant est pour toi comme faire rejaillir la vérité de ton
existence. En réalité, tu es fait pour donner non pour prendre.
M’ensemencer est un don à la vie, un oubli de soi-même, un acte pur un
don d’amour. Lorsqu’on accepte de faire l’acte dans un tel sacrifice,
c’est une prise de conscience et ce soir, tu as pris conscience, mais la
famille est plus forte et t’impose de faire n’importe quoi pour que tu ne
la trahisses pas. Tu ne t’es pas émancipé, il faut que tu coupes le cordon
ombilical, sinon, tu es mort, nous sommes morts. J’ai espoir que tu
gagnes la bataille avant l’aube, afin que nous puissions redémarrer une
autre vie, ailleurs, je ne sais pas encore…

⎯ Ce qui est certain, Clara ou Marie, je sais plus qui… C’est que j’ai
des convictions inébranlables, des certitudes.
⎯ Ah oui ! lesquelles ?
⎯ Eh ! bien, si je suis pilote d’essais chez Boeing, c’est que je suis
un des meilleurs, voir le meilleur des pilotes d’avions du monde. La
preuve, ils m’ont offert une fortune pour quitter l’armée et venir
m’installer ici.
De plus, je sais que si je continue dans mon métier, un jour je piloterai
un vaisseau spatial qui partira sur Mars, ou plus loin encore. D’ailleurs,
après-demain, je vais sortir pour la première fois un prototype ultrasecret
qui devrait dépasser la stratosphère avant de redescendre sur terre.

239
Même l’armée n’est pas au courant, c’est un appareil que nous avons
mis au point avec mes collègues, un proto que nous avons autofinancé.
Même le manager de Boeing ne le sait pas.
⎯ Moi, je le sais, car tu as laissé dans tes poches une photo et
quelques notes manuscrites. C’est pour ça que je reste avec toi, car ce
rêve est la preuve que tu veux changer ta vie d’une manière ou d’une
autre. Tu es plus rêveur qu’il n’y paraît, tu as en toi un désir d’évasion
que tu étouffes trop souvent. J’ai épousé le rêveur que tu as mis au fond
du placard depuis longtemps, pas une brute sans âme. Je suis sûre que le
rêveur est en toi encore vivant.
⎯ J’ai la certitude de, de…
⎯ De quoi ? de rien, tu perds cette manche, tu était trop sûr de toi en
commençant sur ce terrain. Je suis sûre que tu doutes de toi et que tu
cherches le but de ton existence pour trouver tes véritables racines dans
ce monde. Ton projet de vaisseau stratosphérique en est un très bel
exemple. J’aime cet homme-là, car c’est celui que j’ai rencontré un jour
au salon du Bourget et que je recherche et désire.
Par contre, ce que j’ai comme certitude, c’est que tu es mon époux et que
tu devrais comme il se doit me protéger ; le criminel est un intrus qu’il
faut chasser. Tu es le père de mon enfant et tu te dois de l’élever comme
un être humain, un homme en devenir, pas comme une poupée ou une
marionnette. Ce qui est certain c’est que l’enfant Gary est mort par le
désir de son père de modeler et de castrer sa conscience depuis qu’il est
sorti du ventre de ta mère. Les parents n’imaginent pas le mal qu’ils font
à leur progéniture lorsqu’ils établissent des préjugés et des plans de
carrières suivant leurs idées personnelles. Je n’ai jamais élevé Steve de
cette manière mais au contraire je lui ai montré toutes les possibilités
qu’offre ce monde. Des préjugés je n'en ai pas, au contraire, devant moi
les hommes sont tous égaux et c’est l’amour que j’ai pour tous qui ouvre
mon esprit sur ce monde. J’ai la certitude que tu es véritablement bon,
mais que cette vérité brûle dans ton âme comme une douleur que tu ne
peux porter, car la vérité fait toujours mal lorsqu’elle crée un
changement complet. Je suis certaine que tu souffres de ne pas être un
homme libre. Je sais que, devant ton fils, tu es jaloux de le voir aller vers
la liberté plus vite que toi, c’est pour cela que tu désires l’étouffer. Et
enfin je suis sûr que, devant moi, tu ne supportes pas de me voir
véritablement libérée de tous désirs, craintes, peurs, et de tous ce qui
crée tes fantasmes. Je suis, au fond de mon âme, sans attache à ce monde
et pourtant je l’aime à en mourir car j’aime les Hommes. Et c’est pour
toutes ces certitudes que tu dois me faire mourir, alors, je veux mourir

240
pour qu’elles se réalisent.
Je suis prête, égorge-moi, maintenant, j’en ai la force.

⎯ Mais je ne veux pas t’égorger bien que j’en aurais le courage si je


voulais.
⎯ Pour trancher une gorge il ne faut pas beaucoup de force, juste un
geste sûr et net, mais je doute de ta force car tu n’es que gesticulations
en tous sens comme un pantin.
⎯ Je suis un homme, pas une femme, ma force physique ne fait
aucun doute. Et ma force de penser est du même ordre. Je vais chercher
mon énergie dans le fond de mon passé, toutes les cellules de mon corps
s’unissent pour me donner leur pouvoir. Mes parents et mes grands-
parents se sont unis pour que j’existe, mon corps est le résultat de leur
union. Je garde en moi la force créatrice qu’ils ont donnée pour me
concevoir. Ma force, je l’obtiens de ces certitudes. Je suis un être
supérieur, pas un animal, et ma nature trouve son origine dans les fibres
du cosmos. Lorsque je suis dans un de mes avions, je suis le tout
puissant, je sens la force du soleil qui me touche, toi qui restes sur terre à
longueur de journées, tu ne connais pas ces sensations, tu te soucies plus
de tes petits plats que de toucher la haute atmosphère. Je suis assez fort
pour rester de glace devant tes supplications de me voir changer. Je suis
assez fort pour continuer dans la direction que je me suis fixée et ne pas
en dévier. Je n’ai pas peur, car je suis tellement fort que je ne crains
personne. Si je voulais, je ferais plier le monde sous ma force, comme je
l’aurais de trancher tes veines au moment choisi. Et même…
⎯ Tu te tais, vas jusqu’au bout ! même quoi ?
⎯ Si je veux, je peux tuer avec toi ton enfant.
⎯ C’est le tien aussi, c’est la preuve que tu as peur de lui, que tu n’as
pas plus de force qu’une larve qui se roule dans la sciure. Et encore une
fois, tu te trompes et tu ne sais même pas ce qu’est la Force pour un
homme véritable. Toute ta vie tu t’es trompé et tu n’as envisagé que la
force superficielle de cette planète, la force est comme les icebergs, leur
partie extérieure n’est que la plus faible, les neufs dixièmes sont cachés.
Si tu étais véritablement un être empli de force, voici ce que tu aurais dû
me dire :
La force, je la tiens d’au-delà de mes muscles et ceux-là ne sont rien
comparés à ce qui se meut au plus profond de mon être. Mon aspect
physique n’est que le résultat de l’énergie qui me donne la vie, sans cette
force je ne suis rien. Si je suis avec toi, c’est parce que la lumière solaire
a inondé la Terre de sa force et je dois rendre hommage au soleil de me

241
transformer en homme, sans lui je ne suis rien. C’est un don de l’univers
que nous ayons la chance d’avoir conscience d’être ses représentants sur
cette si petite planète. Cette Force qui m’entoure et me forme doit avoir
conscience d’elle-même pour effectuer le miracle de la vie. Que serais-je
sans la force du cosmos ? rien, alors il serait bien présomptueux que je
me considère comme un être fort. Lorsque je constate ce que la force de
l’univers fait autour de moi, je m’aperçois que cette force structure
toutes les lois de la nature et que son but est unique ; maintenir
l’équilibre entre toutes les composantes du cosmos. La Force, c’est la loi
de la gravitation, la lumière, les galaxies, les étoiles et les planètes. La
force n’a qu’un but ; rassembler ce qui est séparé. Partout, lorsque je
veux m’éloigner de mon prochain, la force est là qui me brûle si je vais
contre elle. La force n’a pour vocation que d’unir ; si ce n’est pas le cas,
c’est parce que j’emploie celle-ci dans mon intérêt. Toute l’énergie du
monde n’a qu’un but : retourner à son origine, au centre de l’univers, de
là où elle s’est échappée. De la Force nous ne faisons qu’un, en fait,
nous ne sommes qu’énergie, la conscience n’est que la matérialisation
des forces de l’univers. Alors, je dois rester humble devant tous ceux qui
comme moi cherchent la vérité dans l’univers. Je suis uniquement parce
que la force l’a voulu. Alors, pourquoi devrais-je avoir l’idée de tuer
mon partenaire alors que lui et moi sommes du même père et de la même
mère ? Nous sommes aussi tous frères et sœurs sur la Terre, alors
pourquoi aller les uns contre les autres ?
La force donne la vie ; la retirer, c’est se condamner à mourir, sans
lumière. Alors, lorsque la lumière n’est plus avec nous, que nous reste-t-
il ?
Les ténèbres de la mort, la froideur d’un monde ayant perdu son âme.
Une âme sans la lumière n’est qu’un fantôme errant sur la Terre, un
zombi, c’est pourquoi il faut toujours rester dans la lumière de crainte de
ne plus voir le jour et d’être pris par les tourments d’un monde sans âme,
sans espoirs et sans avenir. La force, lorsqu’elle nous touche, nous
délivre de nos peines, nous libère du temps et de l’espace.
Pour te dire, Gary, le secret de cette force, réside au fond de notre cœur,
elle n’a ses racines dans aucun endroit du monde, car de notre cœur, elle
se place avec sa sœur qui est l’amour, juste l’amour. L’amour est notre
force, c’est pour cela qu’aucune véritable force ne peut te conduire à me
trancher la gorge ou les veines. Ce que tu ressens n’est que l’influence
de tes idées qui t’emprisonnent depuis que tu es né. Ce que tu considères
comme forces, ne sont que pensées, qui émanent de ton passé et de tes
ancêtres, toujours eux encore eux, hélas. Pour être fort, il ne faut plus

242
être fort dans ce monde. Abandonne tes pouvoirs, abandonne toute la
force que tu considères aujourd’hui, alors, la lumière viendra te prendre
avec elle car tu ne seras plus contre elle mais avec elle.
Pour ma part, la force, je ne la possède pas, mais je la laisse me prendre
pour la servir. Elle n’est pas mon pouvoir, car je suis sa servante. C’est
pour ça que je n’ai pas peur de mourir pour elle. Et toi qui t’imaginais
fort, tu es plus faible qu’un nouveau-né, car lui a encore cette liaison
avec le cosmos et celui-ci l’inonde de ses pouvoirs tant qu’il n’a pas été
pris par la force d’attraction du monde et de la société.
⎯ Que me chantes-tu de cette force étrange, moi je sais qu’ici je ne
suis pas sans force car j’ai les pouvoirs que je désire, je ne me laisse pas
manipuler.
⎯ Ah ! oui, tu as des pouvoirs, raconte-moi donc ?
⎯ D’abord, tu ne vaux pas grand-chose à cette heure-ci !
Vois-tu, je tiens entre mes doigts ce rasoir et j’ai donc le pouvoir de te
saigner à l’instant où je le désire.
Ensuite, je suis seul à travailler et si je voulais tu n’aurais pas un cents
pour te vêtir ou te divertir, tu es sous ma complète domination même si
nous sommes dans un monde libre.
Au travail, j’ai sous ma responsabilité une équipe d’hommes qui tremble
lorsque je ne suis pas satisfait.
Je suis le seul maître aux commandes de l’avion que je pilote et je le
tiens en mon pouvoir à chaque seconde, es-tu capable d’en faire autant ?
Toute la technologie, je la domine, elle est en mon pouvoir.
Regarde, les hommes ont le pouvoir sur la matière et je suis comme eux.
Au vingtième siècle, nous avons commencé à dominer les airs avec nos
aéroplanes, à maîtriser l’énergie atomique avec laquelle nous faisons des
bombes d’une puissance titanesque et des centrales nucléaires qui nous
donnent le pouvoir absolu de l’énergie. Nous avons le pouvoir sur la
nature en détournant des rivières et des fleuves. A la place des forêts,
nous pouvons construire des villes. Nous avons le pouvoir d’aller sur la
Lune et bientôt nous irons sur Mars. Certains ont le pouvoir sur d’autres,
j’ai le pouvoir sur mon fils. Nous pouvons faire la guerre ; des nations
ont le pouvoir sur d’autres nations. Je peux être mauvais comme je peux
être bon. Tout ce que je veux, je le peux. Le pouvoir est la résultante de
ma volonté et je dirais plus qu’un philosophe français qui a dit "Je pense
donc je suis" Moi, je dis JE SUIS DONC JE PEUX, c’est ma devise,
celle de mon pouvoir. Quels autres pouvoirs peux-tu opposer aux
miens ?
Tu n’es qu’une femme et tu sais que j’appartiendrai toujours à la race

243
dominante sur Terre. Nous, les hommes faisons la guerre et avons
toujours dominé les animaux et les femmes. Quels pouvoirs possèdes-
tu ? C’est moi qui mets le germe dans ton corps si tu désires un enfant.
Alors, montre-moi tes pouvoirs ?
⎯ Pauvre imbécile. Comme ta force, tes pouvoirs ne sont que
fantoches, c’est incroyable d’entendre des choses aussi bêtes que ça !
⎯ Ferme-la, ou t’es morte.
⎯ Vas-y, sers-toi de tes pouvoirs ! tu peux le faire, fais-le ! tiens, je
te donne mes poignés, tranche-les, j’ai pas peur.
⎯ Conne !
⎯ De quels pouvoirs disposes-tu ?
En fait, tu n’as que le pouvoir de t’illusionner et de te croire un homme
au libre arbitre. Tous les pouvoirs que tu m’as décris ne sont que les
caractéristiques de l’ignorance humaine dans sa globalité, regarde donc
comment elles se démontent en quelques paroles :
Toujours ton rasoir, que serais-tu sans lui ! si tu le peux, pourquoi ne le
fais-tu pas ?
Et tu penses vraiment que sans ton argent, je ne suis rien ?
Tu oublies deux choses. D’abord je ne suis pas sans argent car mes
parents m’ont laissé un pécule personnel auquel je n’ai pas encore
touché et même si je n’avais pas cet argent, je suis capable de travailler
et de subvenir à mes besoins.
Les hommes qui travaillent avec toi ont choisi leur métier et tu oublies
que, depuis plus d’un siècle, l’esclavage est aboli dans notre pays, tu
peux diriger des hommes, mais ils ne sont pas en ton pouvoir.
Et lorsque tu me parles des pouvoirs de l’homme sur son milieu, tu me
parles d’une catastrophe mondiale sur l’environnement, la nature. Tes
centrales nucléaires sont des anomalies humaines, la déforestation est
une catastrophe planétaire, les guerres, des monstruosités humaines et tu
devrais avoir honte de me sortir des choses pareilles avec tes réflexions
machos. Le pire c’est pour Steve, car depuis qu’il est né, tu te plains de
n’avoir aucune influence sur lui, c’est pourquoi ta rancœur est terrible
aujourd’hui et tu veux me faire disparaître.
Par contre, moi, je vais te parler de pouvoir, ouvre bien tes oreilles et
surtout ton esprit.
Le pouvoir, s’il existe, n’est pas l’imposition d’une autorité sur un objet
ou un être. Je le ressens comme un don pour transformer le mensonge en
vérité. Le premier pouvoir qui circule en mon être est la faculté de
modifier le parcours de mes pensées. J’ai pris conscience que tout ce qui
pénètre mon cerveau ne sont que des influences du monde et que je n’ai

244
pas de véritable pouvoir sur mes idées. Comprendre que nous ne
sommes pas libres de nos pensées est le premier pouvoir que j’ai pu
obtenir et je ne l’ai pas cherché, mon esprit s’y est ouvert.
Le deuxième pouvoir, c’est celui de changer le cours ordinaire de ma
conscience. C’est voir une autre pensée prendre place dans mon esprit et
me guider dans une vision totalement différente des éléments qui
forment ma vie. Comprends : À première vue tu es un type abject et tu es
devant moi comme un assassin, mais je te vois autrement ; tu es un
homme en détresse auquel je dois porter secours. J’ai le pouvoir de
discerner la vérité derrière les pensées.
Le troisième pouvoir est celui de ne pas agir avec ses pouvoirs ordinaires
mais de le laisser le pouvoir agir en soi. Le pouvoir est une force, qui
inonde celui qui se laisse guider par l’amour et qui n’est rien d’autre que
l’Amour.
Voilà, l’Amour, c’est le pouvoir.
⎯ Tu pleures ?
⎯ Non, non. C’est tout ce que j’avais à dire…
⎯ Mais qu’elle est l’origine de ta nature pour dire cela ?
⎯ Je dis ce que je vis, je fais ce que le pouvoir me dicte. L’origine de
ma nature n’est pas dans cette vie, je te l’ai déjà dit. Ma véritable vie est
dans le futur, tu ne peux y aller car tu es déjà mort, tu fais partie du
passé, tu n’es plus qu’un souvenir. Je viens du futur de ton fils, je suis
son avenir, sa mère, sa compagne. Toi tu es resté dans le passé de tes
ancêtres et même si à cette heure tu respires encore, ta vie est terminée,
tu n’as plus de raisons d’être. Mon origine, c’est l’amour, c’est la vie, je
rêve au bonheur de l’humanité, c’est mon but, ma raison d’être.
Et toi, quelle est ton origine ?
⎯ Je suis Gary O’Connor, fils de pilote de la Navy. Je suis né à
Philadelphie. Que veux-tu de plus ?
⎯ Qu’y a-t-il au plus profond de tes cellules et de ta conscience ?
Ne ressens-tu pas la souffrance dans la profondeur de ton âme ?
N’es-tu vraiment que fils de militaire ?
⎯ Je ne sais pas, tu commences à m’énerver, je vais te tuer tout de
suite, tu m’agaces.
⎯ Je t’énerve car tu n’acceptes pas une vérité qui te touche et tu ne
veux pas savoir que tu as en toi un être sensible, voulant s’exprimer pour
libérer son cœur et donner de l’amour autour de lui. Tu as été endormi
par les vieux principes familiaux qui sont de montrer sa force et sa fierté
devant les autres.

245
⎯ Mais bon sang, je ressens en moi qu’il y a quelque chose de fort et
de lointain qui me fait dire que je suis quelqu’un. Je ne suis pas mortel,
mais ma conscience à une vie plus profonde que celle qui paraît à
l’extérieur. Si je n’étais pas sur Terre, je serais un dieu, je serais Dieu.
⎯ Enfin, tu libères un peu de ta conscience, tu ne restes plus vissé
sur tes convictions butées de pilote. Mais, hélas, tu te crois trop sorti de
la couche d’un dieu. Si tu étais Dieu, tu ne devrais même plus paraître
devant mes yeux, car je brûlerais sous ton regard. Mais, mon pauvre,
pour découvrir la vérité, tu devras d’abord disparaître et te fondre dans
l’oubli de ce monde, si tu reviens à ta véritable conscience, la Terre
disparaîtra sous tes pieds. Néanmoins, je suis heureuse que tu aies pu
prendre conscience de cela maintenant, c’est déjà un début de liberté.
⎯ Ma liberté, c’est pas ça, ma liberté c’est de faire ce que je veux, de
n’avoir personne pour me donner des ordres, que tu sois pour moi un
plaisir, pas un être de friction. La liberté, c’est de choisir la vie que je
désire et c’est faire l’amour quand je veux, boire sans limites, manger
comme j’ai envie, acheter ce que je veux. Pour être libre, il ne faut plus
de lois, plus de police, plus de principes, aucune morale, aucune limite.
⎯ Je connais un endroit qui pourrait te convenir sur Terre !
l’Amazonie ou l’île de Pâque, mais à l’unique condition, c’est que tu
sois seul, sans femme, juste toi.
⎯ Tu te crois drôle ! et pour toi, c’est quoi la liberté ?
⎯ Hum ! c’est pas facile de te répondre, mais j’en ai une petite
idée…
La liberté, ça pourrait être ne plus être sous la domination de mes
pensées qui se déchargent dans ma tête. Je pense que ma liberté je la
cherche plus que tout aujourd’hui et il me vient à l’esprit que c’est mon
âme qui cherche sa liberté ; je sens en mon être une conscience qui
cherche sa place au-delà de moi, et ma liberté c’est de la lui rendre. Je ne
pourrai jamais être libre sans la libérer car je suis prisonnière des
entraves qui tiennent ma conscience profonde sous le poids de la vie
humaine. Mais je sais qu’en prenant conscience des murs qui
l’emprisonnent, je me libère déjà et elle aussi. Maintenant que je te parle
de liberté, Gary, je la ressens qui me touche malgré mes entraves. C’est
ça, c’est la force de l’Amour qui me donne la liberté et je la sens qui
m’ouvre la porte vers un monde sans limites mais débordant de joie.
Mon âme, lorsque je l’écoute et que je lui laisse la place, elle est libre et
elle m’entraîne dans sa force. C’est comme si j’étais dans un pays
différent alors que je suis devant toi qui me menaces en tenant un rasoir
dans les mains. Et, malgré tout, tu es loin, je suis dans le pays de la Vie

246
et de la Liberté et je suis libre. La liberté, c’est d’être en harmonie avec
sa conscience profonde. Et pour revenir au début, lorsque je me
questionne, je sais que les pensées sont les ennemies de la liberté, plus tu
penses, moins tu es libre. Mais si tu laisses la conscience agir à leur
place, tu n’es plus sous le joug de la pensée terrestre qui circule dans
l’atmosphère. Je laisse respirer mon être profond et il me donne l’air
dont j’ai besoin, l’air de la liberté, l’oxygène de l’Amour. Bien
qu’obéissant à cette âme, je suis libre car elle m’offre l’espace qui
convient à ma conscience ; ma véritable place dans la vie est ma liberté.
Alors, contrairement à toi, je n’aspire pas au même but, je sais que libre
ne veux pas dire être roi ou être indépendant, mais libre veux dire libérer
ce qui est en moi, la vie, l’Amour. Le mot liberté n’existe que parce que
l’homme a inventé les prisons et surtout sa prison, tout comme le mal ne
va pas sans le bien. Et si en ce moment le mal te domine plus que tout,
c’est que le bien se cache en toi !

Il est fou ! ce cinglé m’attrape la tête, il me plaque contre le sol,


j’peux plus respirer…

⎯ A aaa, ouooo…
⎯ Le bien maintenant, c’est que tu meures tout de suite, je t’ai assez
entendue, si tu continues à parler, je vais être de ton avis et c’est moi qui
vais me trancher les veines.

Il me tient bien, je ne peux plus bouger et je sens la lame presser


la chair de mon cou, si je bouge, je suis morte. Tant pis, s’il m’exécute,
je quitterai son monde, il y en a peut-être un encore qui m’attend
ailleurs. De toute façon, ma liberté ne passe pas par ses actes, je suis plus
forte, sa lame n’a aucun effet sur moi, je ne suis pas encore née, je ne
fais pas partie de son monde, même si je suis dans le sien.

⎯ As-tu une idée du temps qu’il te faudra pour perdre conscience


lorsque je t’aurai tranché la gorge ?

C’en est fait pour lui, il me laisse l’occasion de parler !

⎯ Assurément, tu perdras conscience avant moi !

Évidement, cet idiot n’a jamais lu Jean de la Fontaine, tellement


surpris par ma réponse si spontanée, qu’il m’a lâchée comme un fromage

247
et s’est reculé. J’me retourne vite.

⎯ C’est trop tard, Gary, si tu voulais me tuer, c’était maintenant et


avant l’aube, ta conscience est maintenant perdue. Oh ! rassure-toi, tu ne
mourras pas cette nuit mais ta conscience actuelle ne sera plus que du
passé lorsque Steve se lèvera !
⎯ J’en suis encore capable, tu m’as juste surpris.
⎯ Non, tu n’es plus capable, car il y a en toi la lutte du bien et du
mal ; moi, je ne suis qu’un prétexte. L’ennemi que tu as devant toi, c’est
toi. Depuis que nous sommes ensemble, le mal t’a monté un bateau plus
grand que le Titanic et ce bateau coule, car il y a une brèche géante dans
la coque. Je suis l’Iceberg qui t’a transpercé, c’est pourquoi tu es ridicule
avec ton rasoir. Tu ne peux couper de l’eau avec, même si elle est gelée,
elle se ressoude immédiatement.
⎯ Le mal, le bien, c’est quoi encore, tu m’énerves avec tes trucs.
Moi, j’ai toujours fait ce qu’il y avait de mieux pour que tout marche
pour toi et Steve, tu ne manques de rien, ça c’est le bien. Notre fils, je le
gâte, il n’est pas malheureux, c’est encore le bien.
⎯ Rappelle-toi seulement ce que tu as fait de bien dans ta vie, dit-le-
moi vite, je vais répondre à ta place.
⎯ Euh ! je t’ai donné de l’argent l’autre jour pour que tu t’achètes
une robe qui me plaisait.
⎯ Stop, vas pas plus loin, encore une fois, tu ne vois que ce qui
t’arrange. Cette robe je l’ai achetée pour te faire plaisir. Où est le bien ?
Je vais te dire, ce que tu as fait de bien dans ta vie avec moi, la seule
chose si je puis dire, c’est Steve, notre fils et encore, je t’ai poussé. Et ce
soir, pourquoi en es-tu arrivé là ? c’est encore parce que je désirais un
autre enfant. Te rends-tu compte que, parce que je suis prête à donner
une autre vie, tu veux en prendre une ; les actes faits dans ta vie étaient
calculés dans ton intérêt, où est le bien ?
Nulle part, parce que tu n’as agi que pour toi.
⎯ Tu insinues que j’ai toujours fait le mal durant toute ma vie ?
⎯ Peut-être ne l’as-tu pas toujours fait, surtout lorsque tu étais jeune,
mais maintenant, le mal te suit partout où tu passes. Le Mal, sur terre,
c’est agir sans tenir compte des autres, c’est penser uniquement à soi,
c’est oublier que l’on a une conscience profonde qui n’aspire qu’au bien
absolu. C’est se croire maître de sa vie, se prendre pour un dieu. Faire le
mal, ne veux pas dire faire mal. Faire le mal, c’est agir sans conscience,
sans connaissance du résultat. Faire le mal c’est faire le bien selon l’idée

248
qu’on en a. Tu as toujours agi comme toute l’humanité ignorante du bien
et du mal. Regarde autour de toi, les autres ne font pas mieux, c’est pour
ça que tu n’es pas pire qu’un autre homme.
Les religieux offrent leurs prières par humanisme, ils font le bien pour
les pauvres alors que les riches en ont encore plus besoin. L’homme
généreux fait aussi des choix pour l’argent qu’il distribue, là encore il
fait le mal, même s’il fait quelques instants un heureux, c’est pour se
satisfaire de sa bonté. Or l’homme qui jouit de sa bonté ne fait que le
mal autour de lui. Dans ton monde, sais-tu ce qui sépare le bien du mal ?
Non, bien sûr car tu vis des deux ensembles ; cet équilibre t’est
indispensable. Regarde la relativité de cet ensemble, tu fais ton bien en
me tuant, je fais le mal lorsque je respire à côté de toi. Ton bien, ton mal
sont devenus pour toi une notion relative. Que peux-tu me répondre ?
⎯ Le mal c’est la souffrance qu’on inflige aux autres, le bien c’est la
joie que l’on distribue autour de soi.
⎯ Tu fais de grand progrès, je vais te dire ce que sont, en mon être,
le bien et le mal.
Le mal, c’est la souffrance de l’âme, qui se meurt de ne pas être écoutée.
Ce mal c’est ma conscience d’homme, de femme qui le crée. Je passe
mon temps à écouter mes désirs, je fais le mal, je me fais plaisir, je
m’écoute, je fais le mal. Tout ce qui n’est pas pour l’âme est le mal. Et je
puis te dire qu’à force de vivre avec toi, j’ai découvert que j’ai une âme,
une conscience différente que je ne connaissais pas. Et le bien, c’est que
je vive avec toi car ta présence m’a été indispensable pour trouver ma
vraie conscience. Tu es le bien si tu veux, Gary, malgré toi. Tu es le bien
car tu es l’envers de mon être. Mais le bien c’est surtout que j’écoute ma
conscience et me laisse guider par elle. Si tu pensais moins à tes avions,
tu aurais pu être touché comme moi. Mais, enfant, tu n’as écouté que
l’enseignement de tes parents. Le miracle du bien, c’est que Steve soit
parmi nous car cet enfant est venu avec ses qualités d’âme afin de nous
changer. C’est pour cela que tu veux l’étouffer depuis qu’il est venu au
monde. Heureusement, le bien c’est notre présence avec toi. Quoi que tu
dises, que tu fasses tu mourras changé. Cette bataille que nous avons
ouverte, je te l’ai déjà dit, tu en seras le vainqueur car celui qui gagne,
c’est celui qui est changé. C’est lorsque le bien et le mal auront disparu
que le Bien nous touchera. Cette bataille du bien contre le mal est sans
issue pour toi car j’ai semé le doute dans tes actes et tes pensées.
Douterais-tu aussi de tes certitudes, tu prévois de me tuer, est-ce ton
bien ? Es-tu certain que ce que tu as prévu de faire va être pour ton bien.
Si tu ne te poses plus la question, termine ce que tu as commencé ces

249
derniers instants, tranche-moi la gorge, je te l’offre, je signe même une
décharge pour te tranquilliser, vas-y
⎯ T’es dingue ! tu m’enlèves le plaisir de te faire disparaître. Un
crime, si la victime est consentante, n’en n’est plus un. Tu ne me laisses
pas le plaisir d’être criminel ; tu tues mes instincts pervers. Pourquoi ?
⎯ Parce que le bien et le mal se battent en toi et que tu comprends
que tu n’es qu’un pantin dans leurs mains.
⎯ C’est faux, je domine mon être comme je le veux, je peux même
te dominé aussi. Le bien et le mal ne sont que tes trucs de bonnes
femmes. Je suis un dominateur, pas un dominé.
⎯ Que domines-tu ? mon chéri !
⎯ Je domine la vie, je domine mon destin ainsi que celui des autres.
⎯ Eh ! comment t’y prends-tu ?
⎯ Par mes pouvoirs et mon intelligence. Je suis doué pour piloter
mes avions, eux ne me dominent pas, et même s’ils deviennent
incontrôlables, je m’éjecte et je les laisse s’écraser dans le désert.
⎯ Comment ? Ce que tu ne domines pas tu le détruis, c’est comme
pour moi, tu ne me domines pas alors tu me lâches et tu m’abats ! J’ai
compris ta méthode, elle est la même pour les hommes que pour le
matériel. Tout ce qui ne te convient pas doit être anéanti.
Combien de victimes humaines as-tu mises à bas ?
⎯ Tu es la première
⎯ Non, il y en a une avant moi !
⎯ Comment ça ?
⎯ Ta raison, tu l’as détruite depuis si longtemps que tu l’as oubliée.
Et c’est pour cela que je suis mariée avec toi. Pour que tu la retrouves.
Je ne suis pas avec toi pour te dominer mais pour t’aider ; je suis
patiente, je suis forte. Si je suis avec toi, c’est parce que Steve m’a
appelée à sa naissance, j’ai beaucoup de compassion et de mansuétude
pour toi. Je te laisse faire tes expériences pour que tu comprennes que tu
te trompes de chemin depuis que tu es adulte.
En fait de domination, c’est toi qui es dominé par tes illusions. Tu l’as
toujours été parce que le monde est comme ça. Regarde autour de toi,
combien d’hommes libres ?
Pratiquement aucun parce que ce qui domine l’humanité, c’est d’abord
le sexe, je n’y reviendrai plus, on en a déjà assez longuement discuté.
Puis la soif du pouvoir, pour ceux qui le désirent et le cherchent, tu en
fais partie. Tes instincts de conservation, tes peurs, même le froid et le
chaud la terre, le soleil, tout cela, tu ne les contrôles pas. Comprends-tu,

250
la domination n’est pas de ton ressort.
⎯ Mais, bon sang, que veux-tu me démontrer ? Je suis unique, je
n’ai de compte à rendre à personne. Je pense que j’ai en moi la vérité
plus que bien d’autres. Lorsque je regarde ma vie, j’ai le sentiment que
je suis le meilleur en tout. Moi, j’ai fait des choses que beaucoup n’ont
jamais imaginées, cela me donne le droit de me regarder en face et me
dire que je suis le meilleur. J’ai une force en moi qui me permet de sentir
que je suis presque divin, les autres ne peuvent en dire autant. Je suis
unique de ce fait, qui peut me contredire ? j’ai le sentiment d’avoir
toujours vécu, et les hommes que j’ai rencontrés durant mon existence
n’ont fait que passer. Moi, je suis immuable. J’ai enterré depuis que je
suis né, tous les élans de consciences qui voulaient me faire changer de
voie. J’ai autour de moi plein de cadavres d’hommes qui auraient pu être
moi. Mais aucun n’a réussi à me changer. J’aurais pu continuer comme
ça encore longtemps, mais tu es arrivée. Et tu détruis chaque jour un peu
de moi. C’est pour ça que je veux te tuer.
⎯ Ce que tu ramènes à toi, je le donne au contraire.
⎯ Comment ça ?
⎯ L’égocentrisme tu y excelles, tu en fais ta tasse de thé, tout ce que
tu me dis, tu le réalises dans ton intérêt et tu ne t’en aperçois même plus.
Vraiment tout ! j’insiste car c’est encore pour ça que tu désires me faire
disparaître. Si je reprends tes paroles, tes actes, tout est pour toi. Et
Marie, pendant ce temps, doit supporter tous tes désirs, toutes tes lubies
et le fils doit suivre le père, sans dire un mot.
Père qui reçoit sans jamais vouloir donner,
Père qui donne pour recevoir plus encore,
Père qui reçoit ce qu’il a donné,
Père qui donne ce qu’il ne veut pas,
Enfin, aujourd’hui,
Père qui reçoit ce qu’il ne veut pas.
Je ne ferai plus de discours sur ton égocentrisme, regarde en toi, tu
comprends déjà trop. Mais sais-tu ce qu’est l’inverse ?
Tiens ! tes lèvres cette fois ne bougent pas ! alors, écoute :
Vivre pour son enfant pour commencer,
Vivre pour les autres pour continuer,
Vivre pour l’humanité pour s’oublier,
Vivre pour son âme pour se changer,
Et enfin,
Vivre pour l’Amour afin de se fondre dans l’Amour.
Voici, Gary, ton destin, depuis si longtemps refusé, que tu dois accepter.

251
⎯ Si je suis égocentrique, c’est que les hommes m’y ont obligé, tous
autour de moi sont comme moi. Si je n’étais pas comme eux, je ne
pourrais me maintenir dans cette vie, je serais détruis par les autres ou
esclave des autres. Être égocentrique est pour moi une protection. Tu ne
l’es pas, je le sais et voilà où tu en es, prête à te faire égorger. Veux-tu
que je me fasse égorger par les autres ? Si je n’avais pas été
égocentrique, tu n’aurais jamais eu tout ce que nous possédons. Nous
serions pauvres et je ne pourrais nourrir notre enfant. Est-ce cela que tu
aurais souhaité ?
⎯ J’ai toujours souhaité le bonheur de notre famille mais sans passer
par ce que tu prétends bon. Je vais te dire en quoi pourrait être notre vie
sans l’égocentrisme :
Tu aimerais. Tu aimerais l’humanité, aimerais les hommes, aimerais ton
enfant. Enfin tu aimerais ton âme, la conscience qui recèle le véritable
Amour qui nous réchauffe dans notre vie.
Si tu étais empli d’Amour, les hommes autour de toi ne pourraient
t’atteindre et te faire souffrir. Car lorsqu’on aime, on ne craint pas la vie,
car on n’échappe à la souffrance humaine. Si tu ne vis plus pour toi, les
forces de la terre ne te trouvent plus devant elles. C’est pour ça qu’il
serait stupide de croire que tu serais détruit ou esclave. L’Amour n’est
jamais esclave.
⎯ Comment, toi, ma femme peux-tu dire des trucs bizarres comme
ça ? j’ai l’impression d’avoir une illuminée à côté de moi !
Tu t’es fait embrigader dans une secte ou quoi ?
⎯ Mais ne vois-tu pas que la secte, c’est toi, l’être qui veut entraîner
toute sa famille par son désir personnel de réalisation. Si je n’avais pas
entendu une autre voix au fond de mon être, tu m’aurais étouffée avec
Steve, mais non, cet Amour était cette fois plus fort. J’ai compris tout
cela grâce à cette conscience que j’ai découverte au fond de mon être.
Ne t’en déplaise, je suis autonome, car c’est ma lumière qui m’a
enseignée.
⎯ Tu t’es envolée, es-tu devenue un être spirituel ?
⎯ Non, pas spirituelle, consciente. La conscience de ma véritable
nature, c’est ma liberté.
Et ce n’est que lorsque tu deviens libre que les obstacles de la Terre se
retirent.
Pour cette bataille, es-tu en mesure de riposter ? Ton rasoir est-il prêt à
agir ?
⎯ Ma chérie, cette lame est bien trop fragile pour avoir le pouvoir de
te tuer, d’ailleurs, je n’ai jamais eu l’intention de te faire du mal, juste te

252
faire peur. Je t’aime trop avec Steve !
⎯ Donc ce n’était qu’une mise en scène tout cela ?
⎯ Oui, assurément, tu me connais, tu sais que je suis impulsif mais
de là à te tuer, il y a un rempart que je suis incapable de franchir, tu le
sais. Je t’ai écoutée et je suis d’accord avec toi, je pense trop à moi, je
devrais plus m’intéresser à Steve, écouter tes conseils, prendre du bon
temps avec vous deux. Hélas, mon métier trop pesant ne me laisse pas de
place pour les loisirs et ma famille, le stress, les problèmes que je
rencontre à l’usine sont importants et j’espère que tu le comprendras.
Dès demain, je veillerai à ce que tu ne subisses plus toute cette tension,
je te le promets.

Bizarre, il se rapproche de moi et ses yeux sont devenus plus


doux. Maintenant, je vois sa main qui commence à glisser sur mes
cuisses.

⎯ Excuse-moi, je ne suis qu’un misérable, tu devrais demander le


divorce pour ce que je t’ai fait subir ce soir. Je mériterais d’aller en enfer
pour cela, je t’ai donné la plus grande peur de ta vie. Je n’imaginais pas
que j’irais si loin dans ma mauvaise blague, ça aurait pu être dangereux,
j’aurais pu produire un accident en jouant ainsi avec cette lame à rasoir.
Encore une fois, pardonne-moi chérie, de t’avoir menacée comme cela.
Demain, je t’écouterai et je veux que tu m’enseignes ta sagesse.
Apprends-moi à être un bon père, un bon époux. Je ne veux plus être ce
que j’ai été à tes yeux. Marie, regarde-moi dans les yeux, ma douce, s’il
te plaît, regarde moi.

Je vois dans tes yeux un désir, je vois dans tes pensées une idée
et je sens ta main qui remonte vers mes seins.

⎯ Marie, s’il te plaît, dis-moi un mot.


⎯ Qu’attends-tu de moi ?
⎯ Marie, je t’aime, aimons-nous comme avant, je t’en prie.
⎯ Que désires-tu ?
⎯ Marie, faisons la paix, viens, je fais l’enfant que tu désires, je suis
d’accord !

Mais tu gardes bien serrée entre tes doigts la lame, tu n’es pas
sincère.

253
⎯ Je ne te désire pas dans ces conditions, faisons la paix et allons
nous coucher, la nuit est bien avancée.
⎯ Marie, tu ne te coucheras pas sans avoir fait l’amour avec moi.

Le ton change, tu n’es plus si doux, tu dévoiles ton jeu.

⎯ Allez, soyons bons amis, bonne nuit, je suis très fatigué.


⎯ Tu crois que tu vas t’en tirer comme ça, allonge-toi par terre, je
vais t’le faire.
⎯ Que veux-tu me faire ? un enfant ! ou me couper le cou ?
⎯ Salope, t’es déjà morte de toute façon !
⎯ Oui, je suis déjà morte car je ne suis pas encore née. Mais en toi,
le mensonge est plus vivant que tout. Pour obtenir de moi ton plaisir, tu
es capable du bien, mêlé au pire. Pour avoir mon corps, tu es prêt à te
transformer en lavette. Tu n’es qu’un menteur et tu te révèles encore
plus égocentrique que tu ne le prétendais !
Mensonge, mensonge, toutes tes paroles sont mensonges, ta pensée et ta
conscience ne sont que mensonges. Tu baignes dans l’erreur à chaque
inspiration, tout ce que tu fais n’est que tromperie. Et tu voudrais que je
me laisse faire. C’est bien me sous-estimer de croire pouvoir me tromper
avec un sourire ou avec des yeux doux.
Je n’attends de toi que la vérité, uniquement ! pour le reste, tu
repasseras. Et comme tu as les yeux grands ouverts et les oreilles bien
accrochées, je vais te dire ta vérité, celle que j’aurais préférée entendre
de ta bouche, au moins, tu aurais été honnête et cela pouvait plaider en ta
faveur. Tu aurais dit :
Marie, je ne t’aime pas, mais j’ai envie de toi, je veux aussi te tuer car,
ton mental est opposé au mien. Je veux te tuer car je n’ai pas envie de
cet enfant. Je garde bien serré entre mes doigts la lame avec laquelle je
vais te trancher la gorge après avoir abusé de toi. Mes pensées me
poussent à agir contre toi car tu es dangereuse pour moi, je ne veux pas
te suivre comme exemple car cela détruirait ma vie, je n’aime pas notre
fils car il t’aime trop. Je ne ferai jamais la paix avec toi car tu es devenue
mon ennemie en n’exécutant pas mes désirs. Ton but étant de changer
mon état d’être, tu n’es pas mon allier mais mon destructeur. Je te
détruirai avant que tu ne le fasses. Ma vie est en danger à cause de toi,
c’est pourquoi tu dois mourir.
N’est-ce pas cela que tu aurais dû dire ?
⎯ Tu dis si bien la vérité que je vais finir par te trouver quelques
qualités. Je n’ai plus rien à rajouter à ce sujet, tu l’as dit mieux que moi.

254
C’est pourquoi je ne vais pas te faire souffrir. Et si tu permets, je vais
maintenant passer à l’acte car, comme tu le disais, il se fait tard
maintenant. Comme tu sembles calme, je pense que tu t’es fait une
raison, alors, évite de résister, car je pourrais être violent.
⎯ Alors, mon chéri, sois violent, car je n’ai pas l’intention de me
laisser faire. Exprime ta haine, ta folie, fais sortir de toi tout ce qui te fait
bouillir car je ne me laisserais pas faire.

Tu souffles comme un taureau prêt à foncer sur son matador ; tu


as la haine, tu veux me tuer. Et ce coup de poing sur cette table aurait pu
te casser les doigts.

⎯ Je vais devoir me battre contre toi. Si tu luttes, je vais te détruire,


je vais te mettre en bouillie avec mes poings uniquement ; n’en fais rien
car tu vas souffrir. Je sens en moi la colère monter dans ma tête. Laisse-
toi faire comme les bêtes que l’on envoie à l’abattoir.
⎯ Je suis comme un agneau lorsqu’on me guide dans la pâture, mais
je suis un loup quand on veut m’abattre. La douceur est ma force, mais
celle-ci se transforme en glaive contre ceux qui ne la comprennent pas.
Et tu ne me comprends pas, car tu continues à penser que je suis ton
ennemie alors que je suis venue pour te sauver.
⎯ Sauver ! mais c’est toi qu’il faut sauver car tu seras morte avant
l’aube. Je n’ai pas lancé de SOS, je ne suis pas en péril. Tu t’es trompé
de naufrager. Si tu ne te tais pas, je vais te frapper jusqu’à te tuer,
regarde…

Et tu casses net cette chaise !

⎯ Je vois juste une chaise brisée, que veux-tu prouver ? que tes
mains sont fortes et qu’encore une fois, comme tes avions, tu détruis ce
que tu veux ! mais, tu es proprement minable, cette chaise est sans
défense, c’est à ça que tu t’attaques ! Mais tu ne me feras pas mal car je
suis plus forte que toi et je ne suis pas sans défense. Casse le mobilier de
la maison si tu veux, tu ne m’atteindras pas.

Le taureau est blessé, il s’est fatigué en courant dans tous les sens
dans son arène et c’est l’instant où la bête commence à avoir le tournis
que le toréador sort son sabre pour l’abattre. C’est le moment pour moi !

⎯ Tu es morte !

255
⎯ Sauf que !
⎯ Hein !
⎯ Je sens la douceur de ma mort qui m’enveloppe déjà dans ses bras.
Cette mort que j’attends depuis que je suis avec toi, enfin elle vient vers
moi. Ne la sens-tu pas aussi ? la mort te touche comme elle le fait sur
moi. Sais-tu pourquoi ?
⎯ Qu’est-ce que tu racontes ?
⎯ Juste que ton destin et le mien sont indissociables, car notre vie
n’est qu’une vie unique. Je vis parce que tu es ici. Je vis car nous
sommes vêtus d’un destin commun. Si je suis l’inverse de ce que tu es,
c’est que nous sommes les compléments l’un de l’autre. Me tuer te fera
mourir car ta vie est la grâce d’un retour dans le passé. Je connais la date
de ta mort, c’est le cinq avril mille neuf cent soixante-quinze, vois-tu,
c’est demain. Alors, cesse d’être violent, regarde devant toi, fais de tes
dernières heures un moment privilégié et plutôt que d’agiter ta violence,
trouve la douceur en toi, exerce les forces contraires à ton instinct. La
douceur est le meilleur soin que l’on peut donner à la violence.
Qu’avais-tu à rajouter à cette violence ? la haine ?
⎯ C’est ça, je te hais !
⎯ Et moi, je t’aime !
⎯ Tu es le démon de mon âme.
⎯ Tu es la lumière endormie de mon esprit.
⎯ Je ne supporte plus ta présence, car lorsque tu te trouves devant
moi, c’est pour me dire que je ne suis qu’un raté de la vie.
⎯ J’adore me trouver avec toi car je sais, à cet instant, que ma vie
trouve toutes les raisons de son existence.
⎯ Tu es la pire chose qui puisse exister, car lorsque je suis avec
n’importe quel homme, ou femme, autre que toi, je me sens bien. Ton
contact m’est une souffrance intolérable, tu ne penses qu’à te battre
contre moi.
⎯ Tu es la meilleure chose qui soit dans ma vie car, grâce à toi, j’ai
trouvé mon histoire. Avant de te rencontrer, ma vie n’était que vide, je
n’avais pas de passé. Je m’en suis fait un et de plus je comprends
aujourd’hui mon rôle dans ta vie, ainsi que dans celle de Steve. Je ne me
bats pas contre toi, je t’appelle à un autre destin. Non celui d’une
existence basée sur ton ego, mais vers un destin voué à l’humanité.
⎯ J’ai de la haine contre toi, car tu me soustrais l’enfant que nous
avons eu, tu ne veux pas que je fasse son éducation, seules tes idées sont
les meilleures, tu me fais passer devant lui pour un crétin, un moins que

256
rien ; pour cela, je te hais. Tu prônes la douceur, mais tu attises ma haine
encore plus fort. Je hais ton humanité et ton destin, je veux être libre,
libre de toutes les contraintes du monde, libre de penser et d’agir, libre
de choisir mon destin, libre de tous et de tout.
⎯ Mais, mon amour, ne t’ai-je jamais proposé une telle liberté ?
Mon but, depuis que nous sommes ensemble, c’est de te rendre libre de
toutes les emprises de la Terre. Et toi, tu as toujours refusé cette
proposition. Mon action a toujours été l’amour, mes paroles n’ont
toujours été qu’amour. Mais toi, tu n’as jamais voulu en entendre parler.
Le seul mot amour pour toi a toujours été lié au sexe, alors que mon
amour est bien autre chose. Ta haine, fais pâle figure face à mon amour,
je l’éteindrai parce qu’elle n’est qu’une pulsion instinctive, alors que
l’Amour est un souffle qui vient d’une dimension totalement différente.
Je t’aime car tu as éveillé en moi le souffle de la Vie, je t’aime car ta
haine est la marque de l’amour qui est enfouie en toi.
⎯ Mais tes paroles font mal et tes pensées me saignent.
⎯ Je dis la vérité, je pense par ma Conscience.
⎯ Je hais ta vérité, je déteste ta conscience.
⎯ Si tu hais ma vérité, c’est qu’elle est juste et tu ne supportes pas de
te voir dans l’erreur. La vérité chez les humains, c’est ce qu’ils redoutent
le plus. Des milliers d’hommes meurent pour l’avoir dite, même
partiellement. Accepte ce que tu es, comprends qui tu es pour le
moment, afin d’imaginer le véritable Bien en toi, l’autre homme endormi
en toi. Oui, car il y a l’homme véritable et juste en toi comme dans
chacun. C’est à cet homme que je m’adresse, pas à la triste figure de
l’homme qui veut me trancher la gorge. Je n’ai rien contre toi, mais
j’ignore celui qui hait et qui veut la mort sanglante de l’autre ; oui, je
l’ignore car il n’existe pas, c’est un rêve. Tu es un rêve Gary, lorsque tu
es le criminel, tu es un rêve quand tu es l’égoïste. Mais demain, que
seras-tu si tu ne te réveilles pas ?
Et si tu ne rêves plus, écoute la vérité, c’est elle qui va te faire mourir à
l’ignorance. J’en suis déjà morte il y a sept ans. Regarde-moi, suis-je
pour autant un cadavre ?
Cette vérité étincelante va te prendre pour mourir afin que nous
puissions respirer ensemble l’air de notre réalité. C’est l’heure pour
nous, même si tu restes armé de ce rasoir.
En ce qui concerne ma conscience profonde, celle que tu n’aimes pas, eh
bien, ce sera aussi la tienne lorsque tu seras mort à cette vie stupide qui
te gouverne depuis que tu es jeune. Comment peux-tu haire celle qui
t’aime le plus au monde ?

257
La Guérison
⎯ J’ai été dressé à haïr tous ceux qui ne sont pas comme moi, car ils
représentent le danger de perdre tout mon passé accumulé par ma
famille. Je te l’ai déjà dit, nous tenons nos habitudes de père en fils.
Déjà, le mal que tu as fait à la famille est que notre enfant ne suivra pas
notre route, c’est certain.
⎯ Et penses-tu que j’ai eu tort d’avoir agi ainsi ?
⎯ Marie, qui es-tu ? Marie, tout d’un coup il me semble que je ne
suis plus moi-même, je me sais étranger à moi-même. Une douleur
sourde monte des profondeurs… Je pense, non, il y a en moi quelque
chose qui pense que tu pourrais avoir raison. Cette nuit, je voulais te
tuer, j’ai même dis que je tuerai notre enfant, comment en suis-je arrivé
là ? Ne serais-je qu’un pantin de chair et de sang, plein de pensées
égoïstes, comme tu l’as dit ? Il m’aura fallu toute cette vie pour
comprendre. Que faire maintenant ?
⎯ Aimer, laisse-toi posséder par l’Amour, c’est de là que viendra ton
salut.
La douleur est la première conséquence de ton réveil. Agir comme un
mort ne fait aucun mal, mais s’éveiller de la mort est plus fort que
mourir ; je comprends bien ta souffrance. Vide ta souffrance, afin de
sentir l’éveil de ta véritable nature au tréfonds de ton être.
⎯ Mais comment ?
⎯ Donne-moi ce que tu as entre les doigts.
⎯ Le rasoir ?
⎯ Oui !
⎯ Tiens.

Tu craques enfin, j’ai ta lame entre les doigts, inversons les rôles,
car tu dois maintenant prendre ma place afin de te vider de ton âme
moribonde.

⎯ J’ai une idée qui me vient en tête !


⎯ Quoi donc ?
⎯ J’ai envie de me trancher les veines, mourir et te quitter pour
l’éternité !
⎯ Mais pourquoi ferais-tu cela ?
⎯ Pour te faire souffrir ! pour que tu comprennes à qu’elle point je te
suis indispensable. Pour que tu souffres d’avoir été égoïste, de ne pas

258
avoir aimé ton enfant, pour que tu regrettes ton passé et toutes tes
actions. Je veux que tu vives dans le remords et le regret. Je veux que tu
souffres. Il y a encore un quart d’heure, tu voulais me tuer ; enfin tu
changes, mais maintenant, c’est moi qui ai envie de mourir et je vais le
faire immédiatement, à moins que…
⎯ NON, pas ça ! Je sais que j’ai été fou durant cette soirée de
vouloir te tuer, tu as plus que résisté, tu as vraiment mené un combat
d’Amour contre moi. J’ouvre les yeux et je vois en toi la lumière qui me
manquait jusqu’à aujourd’hui. Par quel miracle as-tu fait cela, je n’en
sais rien. Mais je souffre d’un vide, que j’ai créé en mon être depuis que
je suis né. Je prends conscience de l’espoir, des rêves qui ont traversés
ma vie, hélas, ils sont comme des cadavres qui flottent autour de moi et
je m’en veux de la souffrance que j’ai pu leur infliger durant toute ma
vie et j’ai mal pour eux. Ma vie n’a été qu’illusion car j’ai voulu oublier
l’amour qui m’a fait naître dans mon esprit. La douleur en moi est
profonde, Marie. Mais je rends grâce à Steve et toi d’être venus me
réveiller de mon sommeil égoïste et je comprends votre souffrance.
Écoute-moi, reste avec moi, je ne saurais me passer de toi. Si tu
disparaissais, je disparaîtrais aussi. Ne mets pas cette idée folle à
exécution…
⎯ Tu souffres ?
⎯ Plus que de la souffrance, je ne supporte plus la douleur qui court
dans mes entrailles, ma haine s’est transformée en souffrance car ouvrir
les yeux me fait voir la réalité où durant toutes ces années où j’ai fermé
mon esprit à la vérité. Je ne peux vivre plus longtemps ainsi, je sens en
moi autre chose…
⎯ Peut-être cette fois je ne me couperai pas les veines, mais si tu ne
fais pas d’efforts encore plus conséquents, je mettrais mon plan à
exécution. Qu’elle est cette chose que tu ressens ?
⎯ Je le sais et l’ai toujours su ! Mon cœur m’appelle. Il est le centre
de ma vie, je refusais de l’entendre depuis si longtemps qu’il était
comme mort avant que tu ne le refasses battre. J’avais en moi un cœur
éternellement mort que je tuais à chaque seconde de ma vie, pensant que
j’étais le roi de mon univers. Tu l’as éveillé, tu as été la corde vibrante
de l’appel. Marie, tu t’es comportée comme une flamme qui brille dans
la tempête, comme un phare pour mon cœur et que je perçois à l’instant.
Si je comprends bien, Marie, l’appel vient de toi et un nouveau désir
vient de mon cœur ?
⎯ Je suis la flamme du réveil, mais tu dois par toi-même trouver le
désir d’ouvrir les yeux pour voir qui te manipule depuis si longtemps. Je

259
suis heureuse que tu ouvres les yeux aujourd’hui, j’en ai rêvé depuis si
longtemps. Je suis présente avec toi depuis le jour où notre enfant est né,
car il est venu avec les qualités d’un enfant pur, capable de changer sa
mère comme son père. Tu as en toi le désir du renouveau, alors pour
cette épreuve dont tu es le vainqueur je rangerais quelques instants la
lame avec laquelle je désirais me trancher les veines. Mais ce n’est pas
encore fini, tu as encore d’autres épreuves à passer.
⎯ C’est pas fini ? j’ai encore d’autres étapes à franchir avant que je
puisse vivre avec toi tranquille ?
⎯ Tu n’es pas encore prêt, pour encore te poser des questions
pareilles. Tu es encore seul en toi, la plénitude de la vie n’est pas encore
ton partage.
Pour qu’un jour tu puisses vivre dans la joie, le bonheur sans crainte du
lendemain, tu dois d’abord avoir traversé la solitude, puis pour la
comprendre, tu dois enfin contempler la plénitude. Fais maintenant un
retour sur toi et saisit. J’ai le désir d’utiliser cette lame entre mes doigts ;
à quoi bon vivre si tu n’es pas capable de comprendre ce que je dis et
que tu fasses marche arrière lorsque tu parles.
⎯ Que dis-tu, je ne te comprends plus, tu t’es défendue tout le temps
où j’ai voulu te tuer, maintenant, je prends conscience de mon erreur et
tu veux disparaître. Je ne peux plus vivre ainsi, je suis seul face à toi
pour te convaincre de rester en vie.
⎯ N’ai-je pas été seul moi aussi devant toi lorsque tu voulais me
tuer ?
⎯ Tu as raison, mais tu es forte, moi je ne le suis pas.
⎯ Comment ça, ai-je épousé un faible, une lavette, un homme
incapable de se défendre seul ?
Tu es seul, seul devant toi-même et tu es le seul à pouvoir vaincre le
monstre qui circule dans tes veines depuis que tu es ! je ne suis pas en toi
pour cela, mais je suis à côté de toi pour l’exemple.
⎯ Marie, je suis seul depuis que je suis. Je suis responsable de mes
fautes depuis que je vis. Parce que je n’ai jamais voulu faire entrer en
moi un autre, les autres. Je me suis comporté comme un ténia qui
s’agrippe à sa proie dans le ventre de sa victime. J’ai mangé la nourriture
de celui dans lequel j’étais, toute ma vie, comme j’aurais désiré manger
la nourriture de mon fils et de ma femme. Seul aussi je l’ai toujours été
car, encore une fois, je me suis convaincu d’être le maître dans le monde
dans lequel je vivais. Comme un adolescent, je me voyais seul sur Terre
sachant la vérité, sentant que toute la vitalité me pénétrait en me donnant
l’idée que cette force arrivant en moi était unique et que j’étais l’héritier

260
de droit divin. J’ai le sentiment de n’avoir jamais quitté l’adolescence
depuis que je vis. Je comprends maintenant j’ai été seul toute ma vie,
jusqu’à ce que tu interviennes.
Et maintenant, ce vide installé en moi, cette solitude véritablement si
pesante depuis quelques instants, je comprends que je ne suis plus seul.
⎯ Pourquoi ?
⎯ Parce que tu es là, devant moi et ta présence est comme une force
d’amour qui se déverse sur mon être. Comment être seul lorsqu’on
ressent une telle chose ? ta force est plénitude en mon être. Je me vide et
en même temps je m’emplis de toi. Marie, tu es véritablement Amour
pur, tu es force et joie, tu es vie et bonheur lorsqu’on t’écoute et que l’on
te suit. Tu es ma plénitude, mon espoir. Autrefois le vide, la solitude,
maintenant je me désaltère de ta conscience. Tu es la maîtresse de mon
âme. Que ferais-je sans toi si tu disparaissais ?
⎯ Gary, ta conscience s’éveille, tu entends en toi le langage de
l’Amour qui t’appelle, j’en suis heureuse. Tu fais d’énormes progrès en
très peu de temps. J’ai attendu toute une vie pour que tu te réveilles
ainsi. Mon cœur est débordant de joie. Car en combien d’occasions
aurais-je pu m’écarter de toi, avec notre enfant, parce que tu nous
étouffais et désirais nous construire suivant ton modèle afin de mieux
nous diriger. Jamais je n’ai failli, jamais je ne t’ai abandonné. Pourtant,
devant nous, l’incertitude du lendemain était toujours présente. Je ne
prendrai pas le rasoir pour mettre mon projet à exécution maintenant, si
tu me dis ce que tu imagines de l’avenir, comment sera demain, quelles
certitudes pour toi, pour nous ?
⎯ De la vie que j’ai menée jusqu’à présent, je n’ai vu que tristesse et
désolation. Comment avoir la certitude de notre avenir dans un monde
aussi instable que celui où l’on a vécu jusqu’à présent ? hier, je croyais
encore que mon avenir était tracé sans faille suivant le plan que j’avais
établi. Le lendemain pour moi était certain, je ne me posais pas de
question car je croyais aux valeurs que mes parents m’avaient
inculquées. Hélas, dans cette matière où les atomes, les virus et les
bactéries sont les maîtres, comment peut-on se fier à ses certitudes ?
avec toi, j’ai compris que rien de ce monde n’est stable. Même si je me
suis senti maître dans ce monde, je ne domine rien, les guerres sont là,
les fléaux aussi, avec les tremblements de terre, les inondations, les
épidémies. Regarde, le cancer fait ses ravages sur toute la population,
eux n’ont pas choisi. Quelle certitude pour notre avenir sur cette planète
? alors que même une météorite pourrait frapper la Terre comme ça c’est
certainement déjà produit au temps des dinosaures. Même si le système

261
solaire est vieux de cinq milliards d’années, il n’est pas certain que la
terre soit éternelle. Tout ce qui vit dans l’univers est mortel. Ce qui est
mortel est instable. Tout ce qui est instable n’est pas éternel. Mon monde
s’est effondré cette nuit. Je me croyais éternel, je ne le suis pas.
⎯ Alors, que te reste-t-il et sur quoi construire le reste de ta vie ?
⎯ Marie, qu’est-ce qui pourrait être éternel en nous ?
⎯ Qu’est-ce qui semble éternel en toi ?
⎯ Mon corps n’est pas éternel, mes pensées ne le sont pas non plus.
⎯ Alors, où est l’éternité ? réponds-moi, mes veines ne sont pas
éternelles !
⎯ Je t’en pris, ne fais rien. Mais je ne sais rien, je suis vide. Je ne
peux te répondre car je ne suis qu’un corps mortel. Une pensée mortelle,
une âme mortelle. Je ne suis pas Dieu, je ne sais rien, je ne suis rien. Que
devrais-je avoir d’immortel, en dehors de mes anciennes convictions ?
⎯ Que te reste-t-il lorsque tu retires de toi l’imparfait ?
Réponds, je sens mon fluide vital qui se dépêche vers la brèche que je
vais lui ouvrir.
⎯ Non, Marie, je t’en prie. Je sens en moi le soupçon d’une nouvelle
vie qui s’éveille. Je sens aussi l’appel de mon âme qui me pousse à faire
de la place pour un être totalement nouveau. J’ai en le sentiment que la
paix, et l’amour de cette conscience me touchent déjà.
⎯ C’est pas suffisant, va plus loin !

Je te pousse à bout, tu as des larmes qui perlent sous tes yeux,


c’est bon signe, avant l’aube, tu seras transformé. J’irai jusqu’au bout,
c’est la fin pour nous deux dans ce monde et je comprends maintenant
pourquoi je suis ici avec toi, depuis sept ans bientôt.

⎯ Marie, dans le monde de notre conscience ordinaire, tant


d’incertitude, tant de souffrance, tant de tristesse. C’est cela auquel j’ai
toujours cru jusqu’à ce soir. J’ai perdu mes premiers repères, mais avec
toi, j’en trouve d’autre devant moi. Par ton amour encore, je ressens
l’attouchement d’un monde sans frontière, sans distance et sans espace
qui m’effleure comme une autre dimension derrière mon vieux monde.
J’ai la certitude de participer à une autre vie, même si je suis encore dans
cette matière mortelle. La conscience qui me touche me donne un peu de
l’odeur du monde dans lequel elle s’exprime, celle-ci est d’un autre
espace. J’ai la certitude que cet espace est mieux qu’un rêve, c’est le
monde tel que j’aurais toujours dû le ressentir. Ce monde est comme une

262
plénitude, comme la parfaite vie laquelle mon âme aspire depuis ma
naissance. Cette sensation que je ressens, cette joie intérieure sont
comme une vérité sans limite. L’éternité n’est plus un mythe religieux,
c’est une réalité dans le monde. La Réalité, alors que toutes mes illusions
n’étaient que des rêves d’une Terre faite d’imperfections. Le monde de
l’incertitude disparaît derrière la réalité de l’éternité ; c’est le MONDE.
Je n’ai plus rien à te dire à ce sujet, si tu n’es pas satisfaite, tranche-toi
les veines car j’ai vidé ma conscience.
⎯ Rassure-toi, je ne me trancherai pas les veines pour la réponse que
tu viens de pleurer, tes larmes sont la preuve de ta sincérité. Je suis
touché par tes paroles, elles sont justes, je n’ai rien à rajouter. Tu es
encore vainqueur de l’épreuve. Gary, j’ai toujours su qu’un jour tu
t’éveillerais de ta mort ancestrale.
Je ne te demande qu’une chose pour le moment, afin de me garder en
vie. Dis-moi ce que tu désires au plus profond de ton cœur, qu’elle est
l’œuvre que tu souhaites offrir aux hommes en échange de ton admission
dans le Monde, dans le Cœur de l’éternité ?
⎯ Je ne comprends pas ta question, je ne sais pas répondre.
⎯ Gary, simplement, que désires-tu faire de ta vie, à quoi va te servir
ce dont nous parlons, quel désir va-t-il naître, quel don voudras-tu faire à
tous ?
⎯ Je suis un ignorant, je ne sais pas.
⎯ Mais, Gary, que désires-tu ? me baiser, voler, me tuer, manger,
boire ?
Quel désir vient en toi devant ces découvertes si récentes ?
⎯ Je ne sais pas, mais mon cœur le sait et il me dit :
La porte que Marie a ouverte en toi, ne la referme jamais. Le fluide
d’Amour qui se déverse en toi, ne l’interromps pas, la lumière du monde
nouveau qui te regarde et qui t’éclaire ne l’éteins en aucun cas.
J’ai envie d’aller jusqu’au bout de ce nouveau challenge. Ma conscience,
je veux l’accompagner jusqu’à sa véritable liberté. Cette nouvelle pensée
est comme prisonnière en moi et je ne le supporte plus. Je pense qu’elle
a toujours été présente en moi comme tu l’es avec moi. Je l’ai toujours
étouffé comme je l’ai fait avec tous. Mais présente, elle a toujours été.
Alors, le désir que j’ai, est de la préserver, comme je veux te garder.
⎯ Mais, Gary, tu ne peux garder cette flamme pour toi car elle est
libre, comme tu ne peux me garder car je ne suis pas née. Mon avenir
n’est pas ici.
⎯ Je désire la lumière pour mon âme, je désire la vérité pour mon
être, je désire la liberté pour ma conscience. Voilà tout ce que mon âme

263
désire. Je veux redevenir une âme libre. Je veux redevenir moi-même, un
être entier et parfait.
⎯ D’accord, tu es sur le bon chemin, mais qu’as-tu à donner ?
⎯ J’ai à donner mon cœur, mon âme, mon corps. Je suis vide. Je n’ai
plus rien en mon être. J’ai le désir de donner ma vie pour l’univers. J’ai
trop attendu, trop refusé. Je veux me rattraper.
⎯ Gary, je ne te demande rien de plus, tu fais les choses comme il
faut, ce que je regrette, c’est que tu ne l’aies pas fait plus tôt, tu aurais pu
nous éviter bien des souffrances. Mais tout va s’arranger, j’en suis sûre.
⎯ N’ai-je pas terminé ? je dois encore me vider de mes sentiments,
que reste-t-il encore en moi ?
⎯ Tu es encore l’ancienne enveloppe, tu es encore l’ancienne
conscience, tu es encore l’ancienne âme.
⎯ Mais comment devenir un homme nouveau, si je suis toujours à
travailler avec mon ancienne nature ?
⎯ Abandonne ton passé et rejoins en ton être l’avenir de ta nouvelle
vie.
⎯ Comment faire, avec quels outils ?
⎯ Ferme les yeux un instant et laisse-toi guider par le cœur qui
résonne en ton être. Pour ma part, je ne dépose pas l’objet tranchant que
je tiens entre les doigts, il peut encore servir…
⎯ Surtout pas, je vais te répondre, attends un instant…

Enfin, tu baisses tes paupières. Laisse maintenant parler ton


cœur, ton âme, ta conscience. Je sais que tu es bientôt prêt à abandonner
définitivement l’être que tu étais depuis que tes parents t’ont mis au
monde. Et je sais aussi que mes heures sont maintenant comptées. Nous
arrivons tous deux au terme de notre vie. J’ai, pour ma part, fait pour
Steve mon travail et je pense qu’adulte, il trouvera en lui sa véritable
destinée, il n’aura plus besoin de moi. Demain je vais disparaître avec
Gary et je ne sais pas ce qu’il restera de Marie, ou Clara, dans ce
monde ? J’ai aimé Steve lorsque j’étais sa femme, j’aime Steve depuis
qu’il est enfant. Aujourd’hui, j’aime Gary. Steve est mon fils, il ne peut
plus être mon époux, seule pour Clara, il le fut ; mais où est Clara et où
est la logique de cette histoire ?
Qui suis-je vraiment ?
Tu ouvres les yeux, Gary…

⎯ Marie, en mon être, les portes de l’avenir s’ouvrent, au même

264
moment j’oublie mon esprit d’homme. Ma tête se vide progressivement
de son passé et je vois de loin l’homme que j’ai été.
J’ai été Gary, le meilleur pilote d’avion des Etats-Unis, mais il n’est plus
là. C’est un autre qui prend sa place. J’ai été l’homme qui a toujours
raison devant les autres, lui aussi oublié. Je ne suis plus l’égoïste qui
pense à son intérêt, j’ai une âme prête à donner de l’amour. Derrière moi
encore, il y a celui qui domine les autres par sa ruse et sa fourberie, je
n’en vois que l’ombre qui disparaît devant la lumière qui sort de mon
cœur. La mort de l’homme est réalité, il n’a plus de force en mon être.
Marie, tu as vaincu le mal. Le vieil homme voulait encore te tuer il y a
deux heures, maintenant, il te supplie de rester vivante.
Et je sens l’avenir qui me touche. Non un avenir d’homme sur la Terre,
mais un avenir sur un monde qui est en mon cœur et qui est plus
spacieux que l’univers. Je suis déjà en lui. Je perds pied sur cette planète.
L’avenir est hors du monde pour l’être que je suis. Je ne puis rester ici,
je sens que je dois partir. Le monde n’est plus pour moi, car ma
conscience n’est plus celle de la Terre, mais celle du monde perdu que
depuis si longtemps je refusais jusqu’à aujourd’hui.
Marie, si je m’en vais, viendras-tu avec moi ?
⎯ Je me suis battue contre toi toutes ces années et maintenant,
comme toi, mon âme se dissout dans l’espace du monde comme si je ne
pouvais rester sur cette planète. Gary, dois-je me tuer immédiatement
ou, au contraire, me laisser fondre dans cette nouvelle force qui me
pousse à me dissoudre hors de cet espace ?
⎯ Je ne sais pas, Marie, j’ai simplement à cet instant conscience de
la grande faute que j’ai commise depuis longtemps. Je suis certain
maintenant que pour réparer la faute, je dois la regarder en face. Je
ressens dans mon corps les transformations fulgurantes qui s’y passent.
Mes cellules changent, j’ai l’impression de devenir transparent, mais
dans cette vision de verre, je vois plus clairement les atomes de ma
perdition.
⎯ Mon corps aussi se transforme, mon âme devient plus légère, et
mes yeux voient plus profondément que le plus puissant des microscopes
et plus loin que le plus grand des télescopes, signe que nos âmes sont
parfaitement liées. Je comprends ton changement, il dépasse notre
conscience.
⎯ Je vois en moi le manque total d’amour pour l’humanité. J’ai pris
en dérision le monde par orgueil. J’ai laissé derrière moi bien des
consciences mourir pour mon intérêt. J’ai abandonné la jeune conscience
de mon enfance. Et surtout, j’ai voulu garder toute la force de ma pauvre

265
âme pour moi, moi seul. J’ai pris pour intérêt le seul instinct
d’autoconservation que mes actes pouvaient rendre. Je n’ai pensé qu’à
moi, oubliant que l’humanité était aussi comme mon corps, comme moi-
même. Et Steve est arrivé, un enfant entre nous deux, toi, tu t’es changé
et plus rien n’a été comme avant. Petit à petit, vous avez effrité ma vie,
rogné le socle de mon existence. Nous voici maintenant au terme de
notre chemin. Ai-je le droit d’avoir un avenir encore, compte tenu de la
faute dans laquelle je me suis plongé depuis le début de ma vie ?
⎯ Gary, il y a le pardon !
⎯ Comment, le pardon, qui peut pardonner à ceux qui ont haï le
monde ?
⎯ Moi, Gary, simplement. Je te pardonne car je sais que tu es un
homme qui s’est égaré par ignorance. Je sais que ton cœur a gardé
intacte la flamme de l’Amour que les forces de ta naissance t’avaient
donnée lorsque tu as ouvert les yeux la première fois. Je sais que le
pardon est le plus grand acte d’Amour pour les hommes qui ont souffert
dans leur ego. Le pardon qui est donné par une âme pure est capable de
soigner les plaies les plus profondes de la vie. Le pardon est un baume
merveilleux, le guérisseur des hommes. Si le pardon n’existait pas,
l’humanité serait perdue à tout jamais. Peu d’hommes connaissent le
pardon, pourtant il est présent à chaque seconde de leur vie. Comprends-
tu ce que je veux dire.
⎯ Oh ! Marie, que ta parole est chaude, que ta pensée est pure, je
vois à travers toi et aucune noirceur n’ombrage ton corps. Ton pardon
est un réconfort. Pourtant, je reconnais que du mal, je t’en ai fait, des
affronts et des coups, je ne t’ai pas épargnée. Comment arrives-tu encore
à me pardonner aujourd’hui ?
⎯ Dès l’instant où je t’ai rencontré, j’ai su que je devrais te subir,
patienter, car j’ai compris que derrière l’homme grossier se cachait une
âme affamée de vérité et de liberté. Peut-on haïr un homme endormi ?
Sûrement pas, surtout lorsqu’on sait que tous les Hommes de la Terre
sont endormis. Il est impossible de ne pas aimer une humanité qui rêve
depuis qu’elle est dans son enveloppe de chair. Si un jour toute la terre
connaît le pardon et sait le rendre, alors nous serons tous libérés de nos
chaînes et nous serons tous guéris.
⎯ Marie, même sans le pardon, tu m’as guéri de moi-même.
⎯ Dis-moi, Gary, d’où provient le pardon.

Tu fermes encore les yeux, ta guérison s’accomplit. L’Amour te


travaille plus encore. Ce n’est que quelques heures qu’il aura fallu pour

266
te soigner, avec sept ans de préparation. C’est pour mon âme une grande
joie, une victoire sur l’obscurité de ta vie.

⎯ Le pardon, Marie, c’est l’Amour, car à l’écoute de tes mots, j’ai


compris qu’ils venaient du cœur. L’Amour, c’est porter ceux qui sont
malades de leur âme. Porter est un fard d’eau. C’est endurer les
inconscients qui rouent de coups leur sauveur. Pardonner, c’est aimer
ceux qui nous frappent. Dans le Nouveau Testament, Jésus ne dit-il pas :
« Si on me frappe sur la joue droite, je tends la joue gauche. » Celui qui
pardonne reçoit la souffrance des autres. Quelle plus belle tâche que de
pardonner.
Marie, hélas, je dois constater qu’à être pardonné, de telle sorte, je ne
peux mériter de vivre plus longtemps. Ma vie m’apparaît bien pesante.
⎯ Ta vie, Gary, est pratiquement finie ; arrivé à ce stade, tu n’as plus
rien à espérer. Moi-même, je suis au bout, regarde, dans quelques
instants, je ne serai plus qu’un souvenir lorsque je me serai tranché les
veines.
⎯ Non, Marie, c’est moi qui dois mourir, pas toi. Je veux disparaître,
laisser toute ma conscience s’évaporer dans l’éther de l’univers, qu’il ne
subsiste rien de moi.
⎯ Gary, je vais dans un instant poser la lame qui nous a tenus
éveillés toute la nuit. Car je pense que pour finir de vivre, il n’est nul
besoin de mourir. Notre mort signifie simplement l’abandon total de la
nature humaine. Pour en arriver à ce stade, il nous faut juste donner nos
vies, donner notre passé total et nos pensées. Ce désir de mort qui est sur
nous cette nuit n’est pas pour une mort ordinaire. Ce que tu voulais ce
soir, ce n’était pas véritablement ma mort, car si tu l’avais réellement
désirée, je serais déjà vide de mon sang. Tu ne l’as pas fait parce que
c’est une autre mort que tu désirais, c’est la mort de tout ce qui faisait ta
vie jusqu’à présent, la mort de ta vie et ta femme en fait partie. Ce désir
de vie que j’ai eu ce soir, l’enfant que nous pourrions avoir est en fait
l’ultime sacrifice de notre existence.
⎯ Comment ça ?
⎯ Gary, regarde ce qu’a eu comme conséquences pour nous, le
simple désir d’avoir un enfant, alors que nous ne l’avons même pas
réalisé. Tu savais qu’un enfant de plus pouvait être pour toi une atteinte
encore plus grande à nos relations, la goutte d’eau a été versée dans le
vase de ta vie, il a débordé, c’était inévitable. Cela a eu pour résultat la
mort de toutes les bases de ton existence. Plus de retour possible, ta
disparition était maintenant programmée. Hélas, tu ne voyais que la

267
disparition du corps. Tu n’étais pas prêt à te voir mourir, tu ne voyais pas
autre mort que le corps et tu as tout de suite imaginé que c’était à moi de
disparaître. Dans la vie d’un homme sans conscience, c’est réalisable,
avec toutes les conséquences que cela implique. Mais lorsque malgré
soi, on a une Conscience, ce n’est plus si simple. J’ai toujours été prête à
me sacrifier, ce soir encore. J’acceptais ma mort, sachant que ta vie
serait brisée pour un temps infini, mais j’ai compris que si tu ne me tuais
pas immédiatement, c’est que ta conscience pleurait en ton âme. J’ai
donc parlé à ton âme, pas à l’homme.
Et, l’Homme c’est éveillé. Par nos sacrifices.

Tu es enfin prête pour retrouver ta véritable vocation. Tu pleures,


ton vieux cœur est brisé, son sang s’écoule dans le fleuve d’un monde
qui meurt chaque jour et où l’humanité sombre dans l’amour de la
matière. Laisse-le mourir et maintenant, regarde s’élever en toi un cœur
nouveau, celui d’un nouvel être juste renée. Qui sort du puits de l’oubli
de ton esprit.

⎯ L’esprit en mon être se réveille d’une mort si longue que j’ai


l’impression d’être juste un enfant. Et maintenant, tu me parles de
mourir, qu’est mon avenir, si je dois mourir deux fois dans la même
journée ?
⎯ Donner ta vie.
⎯ Comment ?
⎯ Ton cœur tout neuf n’est pas ta possession, il appartient au foyer
qui t’accueille aujourd’hui, moi, ton fils. Tu es l’homme de la famille,
plus le pilote d’avion, plus celui qui agit pour lui. Tu es l’homme qui
soutient ses proches, sa compagne, car notre famille est un élément
vivant du grand puzzle de l’humanité.
⎯ Donner ma vie, c’est ne plus m’identifier à mes désirs, mes
envies, mes goûts. C’est servir la conscience que j’ai dans mon cœur,
honorer la vie sur Terre, redonner à l’univers sa vraie dimension autour
de nous, car il est l’esprit de toute vie sur la Terre et partout dans l’infini.
J’ai malgré tout au fond de mon être le désir de partir vers les limites de
la Terre, j’étouffe ici, je ne suis pas à ma place. Je suis prêt à donner ma
vie si l’univers m’emporte avec lui.
⎯ Ton cœur a compris son destin, ta place sera là où il souhaitera
t’emmener. Je te suivrai, je suis ton épouse, tu es pour moi indispensable
à mon cœur, notre chemin est pratiquement accompli, éveillons à la vie
notre vraie nature. Je suis ton âme sœur, j’ai tellement souffert durant

268
ces sept ans d’absence que c’est pour moi une fête de te retrouver
maintenant comme si tu ne m’avais jamais quittée.
⎯ Je t’aime, Marie, viens dans mes bras, j’ai été si longtemps parti
que mon âme a vieilli et surtout mûri. Mais tu m’as véritablement
manqué. Ta vie est un miracle et Steve notre enfant aura été le lien entre
nous durant les années d’obscurité que j’ai traversé en te traitant comme
une ennemie. Je ferai l’enfant que tu souhaites, tu es la parole de ma vie.
Je me tairai pour ne laisser que ta voix me guider.
⎯ Gary, nos cœurs vont se réunir et nous serons l’homme et la
femme comme avant Adam et Eve : la pomme nous l’avions croquée,
maintenant, la laissant pourrir dans le sol, elle donne une pousse. De
cette pousse, apparaissent des rameaux. C’est l’arbre de Vie auquel nous
avons donné naissance. Ce que la Bible ne disait pas, c’est que la
pomme était le fruit de la puissance de l’univers et que son but n’était
pas d’être mangée, mais d’être plantée. C’est ce que nous avons fait cette
nuit. Nous avons redonné à ce fruit son véritable destin. L’homme s’est
perdu depuis qu’il a goûté au fruit défendu parce qu’il l’a fait pour son
usage, non pour sa vocation. Et toute l’humanité le fait chaque jour. La
chute d’Adam et Eve n’a pas duré un instant, il se renouvelle à chaque
nanoseconde.
⎯ L’humanité est perdue !
⎯ Pas du tout, nous nous sommes éveillés et elle le peut aussi.
⎯ Mais comment ?
⎯ Il faut écouter son cœur profond. Éveiller sa vraie nature par
l’écoute de plus en plus régulière de notre vraie conscience. Comme la
Pomme, il ne faut plus la contempler pour soi, mais la voir pour ce
qu’elle est. Nous avons tous pris notre conscience pour un acquis de
notre personnalité, croyant qu’elle pouvait être à notre service. Nous
pensions que l’appel à l’évolution que nous ressentions en nous était le
fait de notre personnalité qui voulait se faire une place dans la société.
L’appel à aller au-delà de nos limites pour faire des exploits de tout type,
sportifs, intellectuels, financier, sexuels, spirituels et physiques. Chaque
fois que nous nous emballons pour faire quelque chose d’exceptionnel,
c’est la Pomme que nous mangeons.
⎯ Mais montre-moi ce qu’est en réalité ce fruit qui s’offre à nous
dès que nous sommes enfants conscients de notre existence ?
⎯ Ce fruit défendu est notre vraie nature, c’est l’essence de la vie.
Qui permettrait qu’un homme mange un enfant en gestation dans le
ventre de sa mère ?
Personne, bien sûr.

269
⎯ Mais cette pomme, cet arbre en puissance, que vient-il faire pour
nous, pourquoi nous est-il présenté ?
⎯ Le grand mystère de la vie est que nous sommes nés avant que
notre corps ne soit terminé, notre âme était vivante avant que notre
conscience ne soit définitive.
Dire que nous l’avons mangé signifie que nous l’avons fait mourir en
nous. En réalité, elle continue de vivre depuis Adam, le premier homme,
sous la forme d’une voix qui ne cesse de nous appeler. Elle nous appelle
à faire de notre vie une chose surhumaine :
Lui redonner son éclat, sa lumière.
Et nous, humains, confondons cet appel avec notre intérêt personnel. La
lumière de ta conscience te dit "Soit autre chose, va plus loin dans ta vie,
je suis exceptionnelle" et toi tu penses : je suis quelqu’un, les autres sont
des minables. Mais tout ça c’est faux. Ta nature, notre nature, c’est la
lumière de notre conscience qui parle en nous. Cette nature est le
fondement intérieur, jusqu’au-delà de l’univers. Notre nature est faite
pour collaborer, c’est pourquoi, nous sommes deux. Moi, je suis une
face de ta vie, toi tu en es l’autre, nous devons fonctionner comme les
pôles d’une pile électrique, négatif et positif. Jusqu’à hier, nous ne
fonctionnions pas comme ça, nous croquions la Pomme, mais
maintenant que nous avons compris, unissons nous, comme deux
amoureux, des époux éternels.
⎯ Mais, Marie, nous sommes dans une nature mortelle, comment
s’aimer autrement ? les amoureux croquent aussi la Pomme, comment
faire ?
⎯ Tu vas me tuer dans un instant et tu vas comprendre tout ce
pourquoi je me suis battue durant notre vie.
⎯ Mais non, tu es folle, je n’ai plus l’intention de t’égorger !
⎯ Mon destin s’accomplit pour toi et l’humanité, ma vie doit
s’arrêter pour que l’enfant naisse. J’ai donné mes vies pour que cet
instant puisse arriver un jour, et je suis à ce jour. Du reste, regarde à la
fenêtre, l’aurore n’est plus loin. Dépêchons-nous d’accomplir notre
mission avant que la lumière ne pointe, avant que Steve ne se réveille.
Tu devras préparer avec lui son anniversaire, tu dois lui préparer une
fête, sa fête, il a sept ans aujourd’hui, c’est pour lui l’âge de raison.
⎯ Mais je n’ai pas d’autres intentions que de t’aimer, Marie.
⎯ Je t’aime, Gary, je te désir à cette instant, j’ai trop souffert d’être
séparé de toi. Retournons dans notre chambre…

Dans la chaleur de nos draps, prends-moi dans tes bras, je suis le

270
prolongement de ton corps, et de ton sexe. Je suis une graine qu’il faut
féconder. Je suis l’utérus de ton avenir. Prends-moi pour épouse,
féconde mon corps pour donner l’enfant futur qui remplacera notre vie
passée. Caresse ma poitrine qui donnera le lait au nourrisson de l’avenir.
Ressens mon sexe vibrer entre tes doigts, il t’appelle à l’acte, transperce-
moi de ton pic afin de percer jusqu’à mon cœur pour qu’il se répande
dans ton âme afin que nous ne fassions plus qu’un. J’ai soif de ta
semence, car tu es créateur. Vide en moi toutes tes pensées, ta force, ta
conscience car elles ont toujours été sur Terre les chaînes et les barreaux
de ta prison. Je suis pour toi le réceptacle de toutes tes créations, la
liaison entre ma lumière, ta vie et l’enfer qui te dirige. Prends de moi ma
lumière afin qu’elle vide ton enfer, ta prison, de tous ces monstres. Je
t’aime, t’aime. Ma lumière est l’arme contre ceux qui t’ont toujours
dirigé durant toute la période où tu as dormi. Je me donne par amour,
prends mon corps, tout de suite. Je me suis mise à nu afin que tu me
désires plus que toutes tes pensées. Baise-moi jusqu’à me faire mourir,
tes pensées ne sont pas encore pures, ton passé n’est pas encore mort.
Enfin, tu te décides en te plaçant sur moi. Tu m’écartes les jambes, tu me
caresses le sexe. Ta langue descend le long de mon ventre. Maintenant,
je la sens sur mon sexe et je commence à jouir. Mais je n’ai pas
d’orgasme, c’est ta pensée que je ressens. Tu n’es pas satisfait car je ne
réponds pas au tien. Tu voudrais que je te lèche mais je repousse ta
verge. Je comprends que tu cherches encore ton plaisir et tu tentes de
m’entraîner à te le donner. L’homme est comme ça, il donne afin de
prendre, c’est sa nature. Féminine, je suis faite pour donner, c’est la
grande différence entre nos deux natures. Maintenant, que je frémis à tes
caresses, tu te décides à te placer. Je suis à cet instant transpercé par ta
pensée, tu bats la mesure et les notes de musique sortent de mon corps
en cadence.

De toute ma vie, je t’aime, au point que je me vide en ton corps.


Maintenant, c’est fait. L’enfant de notre nouvelle vie est en toi. Et à ce
moment, je sens mon corps s’alourdir, je suis fatigué, je n’ai pas fermé
l’œil de la nuit. J’ai écoulé en toi mon esprit, il ne me reste presque plus
rien de mon esprit, mes yeux sont lourds. Très lourds.

Je souffle de toute mon âme et j’ai pris de toi toute ta semence.


Je suis irradié par une lumière de vie, pourtant, j’ai en même temps
dévoilé devant toi le maître fondateur de tes pensées qui n’a de choix
que de sortir de toi et te montrer sa vraie nature. Je jouis du plaisir de

271
l’enfantement, en même temps, je sers les dents, c’est l’instant de vérité,
ma mort n’est plus qu’une question de minutes, au mon Dieu, retiens la
nuit, car je vais vers mon sacrifice, pourtant je vais vers ta lumière.
Retiens la nuit, la Lumière est là.

⎯ Tu m’as fécondée, je suis comblée.

La trahison
« Comment, tu as cédé, tu lui as fait l’enfant qu’elle désirait. Gary,
as-tu oublié l’homme que tu es ? le Grand pilote, l’homme exceptionnel
qui fait voler les avions les plus rapides du monde. Tu ne peux pas
laisser faire. Tue-la, sinon, tu mourras à sa place. Dès que l’enfant
sera né, elle va t’oublier comme avant et plus encore car, avec deux
enfants, tu ne seras bon qu’à ramener la paie à la maison. Plus de
tranquillité pour toi, chaque nuit, tu devras te réveiller et bientôt
donner le biberon. Voilà ce que tu as gagné. Tu aurais dû m’écouter
tout de suite et ne pas laisser parler ton satané cœur. Ce que tu viens
de faire n’est pas du tout dans ton intérêt ni dans le mien non plus.
Allez, rattrape ce rasoir qui traîne au chevet du lit. »

Mais, t’es pas bien, je ne veux plus t’entendre. Tu profites que


Marie s’endorme pour que je la trahisse. Je ne t’écouterais plus. Je veux
ma vie avec elle, plus avec toi.

« Ça suffit, je t’ai pris jeune et tu m’as toujours obéi, ce n’est pas


maintenant que tu vas arrêter de m’écouter. Tu sais bien que j’ai
toujours été la conscience qui t’a permis de réussir dans la vie en
passant par-dessus les autres, te faisant gagner tes galons à l’armée
grâce à mes ruses. Hélas, tu ne m’as pas écouté lorsque tu as rencontré
cette Française, encore une fois tu as laissé parler ton cœur alors qu’il
ne connaît rien en affaire. Si tu m’avais écouté, je t’aurais trouvé une
petite Américaine, aimant les hamburgers et le Coca-Cola, une fille
mignonne mais pas trop intelligente, afin que je puisse la diriger.
Fous en l’air ton cœur et écoute-moi, c’est pour ton avantage. »

Mais j’aime Marie, elle s’est sacrifiée pour moi. Si je la tue, je


serais un assassin. Je ne pourrai plus vivre et je la rejoindrais
immédiatement.

272
« Tu n’en feras rien, tu vas la tuer et faire disparaître le corps dans le
coffre de ta voiture, la nuit prochaine, tu la jetteras à la mer comme je
l’avais prévu au départ. Regarde-la, elle est le mal incarné, elle veut te
détruire, elle veut que tu souffres toute ta vie, elle n’a rien à faire de
toi, ce qu’elle voulait c’était juste un enfant. Elle compte sur ton
argent pour élever sa marmaille, elle ne t’aime pas c’était juste ton
sperme qu’elle voulait. Tue-la. Tue-la. »

Non, elle est endormie, je ne peux pas, je la trahirais, je préfère


qu’elle me voie faire, au moins, je serais franc avec elle.

« Mais non, fais le avant qu’elle ne se réveille, comme ça elle ne


souffrira pas et ainsi tu auras moins mauvaise conscience. »

Je ne peux pas la tuer, elle est trop belle et encore plus lorsqu’elle
dort.

« La beauté n’est que passagère, si elle vieillissait, elle se flétrirait et tu


aurais devant toi une femme sans éclat. Mieux vaut mourir jeune et
belle que vieille et laide. Fais-le, tu lui rendras service. Fais-le car,
sinon, c’est toi qui vas vieillir à sa place. L’enfant qui viendra va
t’user avant l’age. Tu seras seul car elle ne vivra qu’avec ses enfants.
Fais-le pour que ta conscience d’homme puisse vivre encore longtemps.
Je te ferai souffrir si tu ne le fais pas. Elle a réclamé la mort ce soir, elle
ne veut plus vivre avec toi car elle aime un autre homme, j’en ai la
preuve. »

Non ! c’est moi qu’elle aime.

« Erreur ! la preuve ! elle n’a pas fait l’amour avec toi depuis Quatre
ans parce qu’elle a un amant. »

Je ne peux pas te croire.

« Comment une si jeune femme pourrait se passer du plaisir de la


chair avec toi, autrement qu’en s’y adonnant avec un autre. Elle t’a

273
trompé, elle a même entraîné Steve dans son histoire, elle te l’a dit,
c’est une preuve supplémentaire. Mais tue-la bon sang, elle va se
réveiller. Elle t’a fait cocu, Cocu ! »

Non, non, comment est-ce possible ? C’est une salope, elle va


crever si elle m’a trompé.

« Égorge-la sur le champ, elle le mérite. C’est ça, prend la lame, son
cou est bien apparent, ferme les yeux, vas-y franchement de gauche à
droite, appuie fort sur les carotides. C’est bien, la lame est si aiguisée
qu’elle bouge à peine, elle ne sent rien, son corps se vide de son sang,
ne t’inquiète pas pour ces Spasmes, ils vont cesser dans moins d’une
minute, son cerveau n’étant plus irrigué, elle perd déjà son Esprit,
dans deux minutes, elle sera Morte. Ouvre les yeux, contemple sa mort
s’installer en elle définitivement, je serai maintenant toujours avec
toi. Tu m’écouteras toute ta vie, je t’offrirai le Monde pour toi Seul. »

J’ouvre les yeux. Mon dieu, qu’ai-je fait ? je baigne dans le sang
de Marie, je l’ai tuée, j’ai une fois de plus, une fois de trop écouté cette
conscience effroyable qui a toujours guidé mes actes abominables. Marie
s’est battu contre elle toute son existence et je comprends seulement
maintenant que mon Moi était mon maître dans mes actes personnels. Je
ne suis pas humain, je suis une bête sauvage et bien pire encore. Dans
mon état, je ne suis plus digne de vivre un instant de plus, je vais
mélanger le sang de Marie avec le mien car j’ouvre de suite mes
veines…

« Non, ne fais pas ça ! »

Voilà qui est fait, Marie je te rejoins, mon sang coule sur ton corps
encore chaud et je vais maintenant me refroidir avec toi, mais tant que je
serai encore en vie, mes pensées ne seront que pour toi, je n’admettrai
pas un instant de plus ce maître de pensées qui m’a poussé malgré moi à
t’égorger.

« Je ne suis pas encore mort, je n’ai pas dit mon dernier mot et je ne te
laisserais pas en paix pour ton dernier souffle. J’AI À DIRE… »

274
TAIS-TOI, tu ne diras plus jamais rien, même pour les quelques
minutes de la fin de ma vie. Je t’ai trop écouté, tu m’as trompé par tes
mensonges à chaque minute depuis ma naissance. Tu as sauté sur moi
lorsque j’étais enfant et tu ne m’as plus jamais lâché. J’ai cru être le
maître de ma vie, mais c’était toi qui me donnais cette illusion. Tu es ma
conscience égoïste qui agit pour son unique intérêt. Je ne désire plus
t’écouter ni même t’entendre.
J’ai en moi le regret de ne pas avoir entendu plus jeune la véritable
conscience de mon âme, celle qui est juste, bonne, aimante. J’ai été
trompé dès mon premier souffle par mes parents qui m’ont fait écouter ta
voix parce qu’ils vivaient aussi par elle. Ta voix est celle de l’homme
sans amour, empli de haine, de désir et de soif de pouvoir. Je t’enterre
avant ma mort, car tu ne trouveras plus en mon être un passage pour te
mouvoir et parler. J’ai parfaitement compris l’intérêt de ta vie et en
même temps toute son absurdité.
Ma vieille conscience, tu n’es pas la pomme d’Adam et d’Eve dont
Marie me parlait, mais tu es le vers parasite qui pourrit le fruit. Dans la
pomme que nous avons croquée, la Bible ne disait pas qu’à l’intérieur, il
y avait un parasite, un vers maléfique. Nous l’avons avalé à la première
bouchée et comme un virus, il nous a tous contaminé. Le fruit était bon,
mais le vers était un poison. Te connaissant, maintenant, je te recrache à
jamais. Tu es resté caché trop longtemps derrière moi, mais quand on t’a
vu, on ne peut jamais plus t’oublier et t’écouter. C’est fini, tu expulses
ton dernier souffle. Tu paies ainsi la triste mort de Marie, ma mort est
pour toi ton calvaire, ton premier et dernier supplice.
Comme je quitte aussi la vie, j’entends déjà clairement les paroles de
Vie que marie me soufflait à l’oreille lorsqu’elle était avec moi. Sa
conscience ne s’est pas éteinte, elle vit en mon être, j’écoute sa voix me
parler intérieurement. Sa parole est plus claire, l’âme de Marie est dans
mon cœur. Et ce cœur, je vais le laisser parler pour les minutes qu’il me
reste à vivre.
Marie, mon amour, l’image de ma vraie conscience, je t’aime plus
encore et je vais te rejoindre dans un instant pour l’éternité. J’ai le très
grand regret de ne pas avoir pu te connaître plus tôt, car je me serais
peut-être perdu moins longtemps dans cette vie humaine si égoïste. J’ai
le grand regret de comprendre trop tard que tu t’es battue et sacrifiée
pour moi. Marie, toute ta vie, tu n’as pensé qu’avec Amour, chaque
matin où je me levais, tu étais déjà présente, tu m’accompagnais jusqu’à
ce que je te tourne le dos, bien trop esclave de mes préoccupations
personnelles. Tu savais que j’allais t’oublier jusqu’à ce que je rentre le

275
soir et, pendant toute la journée, je m’enfonçais dans mes sombres
pensées et pour toi, tout ton travail était à recommencer, c’est pour ça
que chaque jour nous nous disputions. Lorsque je te frappais, tu étais
impassible, je pense que c’est moi qui étais le plus blessé, non pas que je
ne te faisais pas souffrir, mais ta force était telle que mon âme se pliait
devant toi. Je t’ai haïe pour ta force, je savais que tu ne romprais jamais.
Et, cette nuit, tu n’as pas rompu malgré ta mort apparente. Même morte,
tu es encore plus puissante, la preuve, j’ai tué ma vieille conscience
après ta mort ; je te rejoins parce que ma vie est indissociable de la
tienne. Quant à Steve, notre enfant, sans lui, rien n’aurait été possible, il
a été le lien entre toi et moi. Comme fils, il a été l’exemple de l’être que
j’aurais dû être, j’ai tenté de l’attirer à moi, il m’entendait mais il
préférait t’écouter. Tu lui as montré une autre voie que celle que mes
parents m’avaient enseignée. Je regrette aussi de ne pas m’en être
occupé comme un père digne de ce nom. Mon fils, si ta mère n’avait pas
été avec toi, tu aurais sombré dans ma démence, je prie pour que ton
avenir soit bien différent du mien, j’espère que tu auras une femme
comme ta mère. De tout mon cœur, si je pouvais te le dire, n’écoute
jamais la conscience du désir et de l’envie qui nous pénètre trop
facilement. Ta mère était l’exemple à suivre et je ne l’ai pas fait, même
aux derniers instants de cette nuit, j’ai cru la comprendre et j’ai tout de
même sombré au matin. Voilà le résultat, lorsque tu te réveilleras, tu
découvriras l’horreur, tes parents baignant dans leur sang. Pourvu que tu
aies la chance d’oublier ce triste matin de ton septième anniversaire. Si
mes pensées pouvaient arriver jusqu’à toi, je te dirais "Steve, oublie vite
ce sang, maudis ton père, oublie le, mais pense très fort à ta mère, elle
t’a aimé, elle t’a protégé et je suis certain qu’au-delà de sa mort, elle sera
encore avec toi pour te guider et t’aimer. Steve, ton père n’a jamais
existé, il n’est qu’un rêve."
Je suis un rêve, maintenant que mon sang s’est répandu sur le corps,
l’âme de Marie, je sombre dans l’oubli et la mort.
Oh ! mon Dieu, si tu avais pu m’accorder 48 Heures de plus, j’aurais
reconstruit ma vie manquée avec Marie…

48 Heures de plus !
⎯ Papa, maman, j’ai faim, je veux mes cadeaux. Papa, maman. Papa,
maman.

Quoi, j’entends Steve ! mais je ne suis pas encore mort, que


m’arrive-t-il ? le Soleil traverse déjà les vitres, il est tard, j’ai dormi, je

276
n’ai pas succombé à la blessure mortelle que je me suis infligée ! Mais
Marie doit être froide depuis longtemps, car je l’ai vu morte. Je suis sous
mes couvertures, bien au chaud et, et…
Je sens la chaleur d’un corps qui touche le mien. J’ose, j’ouvre les yeux !
Oh, par quel miracle, est-ce possible ? Marie dort profondément, le
sourire aux lèvres. Elle est plus belle que jamais, son visage est si
détendu qu’elle semble parfaitement heureuse dans son sommeil. Ai-je
rêvé depuis que je me suis couché fâché hier soir ?
Aurais-je eu le droit à une sursit, ces heures sont-elles une grâce ?
Cette lame de rasoir est encore à la place où j’ai cru la prendre ce matin.
Alors…
J’ai dû m’endormir juste après avoir joui avec Marie, mon sexe est
encore enflé.
Serait-ce le Pardon dont me parlait Marie ?
Alors, c’est le plus beau jour de ma vie.
Je suis si heureux que je prie pour que notre bonheur dure à jamais. J’ai
tué cette nuit une conscience, et une nouvelle est née ce matin en mon
être, un nouvel enfant ! Louée soit Marie, elle a agi en moi comme une
lumière d’étoile, elle a réveillé ma vie, mon âme. Plus jamais je ne
trahirai ma femme, plus jamais je ne m’endormirai à l’ombre de
l’individualisme qui court de plus en plus sur cette planète. Je ferai tout
pour ma famille, mon enfant, ma femme. La conscience de Marie
remplace désormais la mienne, elle est présente pour toujours au fond de
mon cœur. Une nouvelle chance m’est donnée, j’en serai digne. Je suis
un Homme et j’honorerai ma vocation. L’Homme est fait uniquement
pour Aimer, l’Amour c’est ma vie…

⎯ Papa, tu viens.
⎯ Vas t’occuper de ton fils, je reste au lit.

Les rôles sont inversés maintenant, Marie a la flemme, Gary peut


me remplacer, il en est capable aujourd’hui !

⎯ J’arrive Steve ! j’arrive.

Tiens, c’est curieux, je ne me rappelais plus que mon père était si


grand que ça, dans les vielles photos que tata Michèle m’a montrées
lorsque j’étais grand, il me semblait plus petit. Devant moi, c’est un
sacré bonhomme.

277
⎯ Papa, dis ! tu as mes cadeaux, tu sais, aujourd’hui, j’ai grandi !
⎯ Ah ! oui, t’as quel âge ?
⎯ Sept ans, je suis grand, maman m’a dit qu’à cet âge-là, j’aurais
l’âge de raison.
⎯ C’est quoi pour toi l’âge de raison ?
⎯ C’est un âge qui fait que quand je veux quelque chose, je l’ai tout
de suite.
⎯ Maman ne t’a jamais dit ça, je crois que c’est autre chose l’âge de
raison. Je pense que c’est une véritable responsabilité, un âge où l'on
commence à penser comme un grand. A sept ans, comme tu le disais, on
a des désirs, mais on commence à avoir des devoirs.
⎯ J’en ai à l’école, des devoirs !
⎯ D’accord, mais ce n’est pas de ces devoirs-là dont il s’agit.
⎯ Ah ! c’est quoi ?
⎯ Maman ne t’a jamais expliqué ?
⎯ Si, elle dit qu’à sept ans, je serais déjà un petit homme et qu’à
mon âge j’aurais déjà des responsabilités à prendre, comme…
⎯ Comme quoi, Steve ?
⎯ Comme me tenir bien avec les autres, être poli, rendre service aux
plus petits comme aux plus grands lorsqu’ils me le demandent. Maman
dit toujours qu’être grand c’est penser aux autres plus qu’à soi. Elle me
dit qu’à partir du moment où l’on se sait grand, il faut s’oublier et
écouter les gens car ils ont des choses à nous dire et que c’est important
de les comprendre, même si ce qu’ils disent est bête. Elle dit que les
paroles des gens lui donnent l’image de leur souffrance et qu’elle arrive
à les comprendre. Elle dit que lorsqu’on comprend vraiment les gens, on
peut les soigner parce que leur maladie, c’est qu’ils ont oublié ce qu’ils
sont en réalité. Maman dit qu’il faut leur dire la vérité, leur dire que leur
cœur est leur guérisseur et qu’ils doivent l’écouter toujours. Maman dit
que lorsqu’on sait ça, on devient des docteurs pour tout le monde.
Maman dit que, souvent, les gens se rendent malade tout seul parce
qu’ils n’ont rien compris de leur vie et du but de leur existence. Maman
dit que s’ils savaient ce qu’ils font sur Terre, ils ne seraient pas malades.
Maman dit que les docteurs devraient soigner les gens avec autre chose
que des pilules parce qu’elles guérissent les microbes plus que les gens.
Maman dit que les docteurs n’ont jamais appris à guérir mais à cacher
les maladies. Maman dit que les docteurs s’ils étaient vraiment des
guérisseurs, ils fermeraient vite leurs magasins parce que les gens ne
seraient plus malades. Moi, quand je serais grand, je serai docteur, je

278
soignerai les gens dans leur tête. Maman dit que pour guérir les gens, il
faut tuer en eux le mauvais, le méchant. Maman dit que tous les gens
sont malades et que, quand on peut en guérir un, celui qui est guéri en
guérit au moins dix aussi. Maman m’a dit que pour guérir les gens, il
fallait être déjà guéri et que, souvent, les gens ne veulent pas être guéris
parce qu’ils ne savent pas qu’ils sont malade. Souvent, ils sont méchants,
mais quand ils sont méchants, il faut savoir qu’ils sont gentils, que ce
n’est pas eux qui sont méchants. Pour tuer les méchants, il faut leur
donner plein d’amour, parce qu’ils sont tous sensibles à l’amour. Maman
dit que le méchant n’aime pas l’amour et qu’il meurt. Maman dit que
c’est en étant très très gentil avec les gens qu’on les guérit. Maman me
dit des fois que tu es un peu comme les gens et pour te guérir elle t’aime
beaucoup. Elle dit que tu fais semblant d’être méchant, mais que tu ne
l’es pas. Elle dit que même quand t’es pas gentil avec moi, je dois être
plein de gentillesse. Moi, je crois que t’es pas méchant et, je t’aime bien,
mon papa.
⎯ Je vois que maman t’a appris beaucoup de choses intéressantes et
tout ce que tu dis est juste. Je suis heureux que, plus tard tu veuilles
devenir médecin ; tu sais, c’est un très beau métier quand on en est
passionné. Je suis certain que tu seras un bon docteur, mais je sais que
maman est déjà un docteur qui guérit les âmes, je serais content que tu
fasses comme elle. Mais, aujourd’hui, c’est ton anniversaire et nous
allons tous préparer ta fête. Maman est encore au lit car elle s’est
couchée très tard. Moi, je te propose de t’emmener en ville pour choisir
tes cadeaux. Viens déjeuner avec moi, puis lorsque nous serons habillés,
nous partirons en ville tous les deux.
⎯ Maman dort encore ?
⎯ Juste un peu, elle est encore très fatiguée, elle en fait tellement.
⎯ Je veux lui faire un bisou.
⎯ Vas-y, mais laisse la dormir encore un peu. Aujourd’hui nous
resterons ensemble.

Je te regarde maman et je te trouve belle. Tu me fais penser à


Clara, celle que j’aime, tu es exactement comme elle. Non pas
physiquement, mais ton âme est la même.

⎯ Maman, je viens te faire un bisou, mais papa m’a dit que tu es


encore fatiguée. Il va m’emmener pour m’acheter mon cadeau
d’anniversaire.
⎯ Bon anniversaire, mon chéri, viens que je te serre dans mes bras.

279
Je vais me lever et préparer ta fête, tata Michèle vient ce soir. On va faire
une super-fête, je vais te faire un gâteau sur lequel il y aura Sept bougies.
Je vais décorer la maison, mettre des ballons partout. Il y aura de la
musique, je vais même disposer des fleurs. Papa et toi pendant ce temps
irez en ville pour trouver des bonbons et des jouets qui te feront plaisir.
Prends du bon temps avec papa car il a rarement eu l’occasion de rester
une journée entière avec toi. Mais aujourd’hui c’est exceptionnel car il a
envie de te faire plaisir et il t’aime beaucoup. Mais prends soin de lui et
veille à ce qu’il ne fasse pas de bêtises. Que veux-tu que nous
t’offrions ?
⎯ J’ai envie de faire de la musique, j’aimerais apprendre à faire de la
flûte, je veux une flûte. Mais je veux surtout une rose.
⎯ Une rose, pourquoi ?
⎯ Pour pouvoir te l’offrir, parce que tu es une Rose. Maman, dit !
⎯ Oui ?
⎯ Tu sais, tu ressembles à Clara. C’est mon amoureuse dans mes
rêves.

Non, mais qui est cet enfant qui m’appelle et me rappelle que j’ai
été sa femme. Si ma vie n’était qu’un rêve, il rejoint le sien aujourd’hui.

Alors, ai-je rêvé ?

Réveil
⎯ Clara, réveille-toi, on t’attend.
⎯ Mais qui m’appelle ? j’ai du mal à ouvrir les yeux, j’ai encore les
paupières lourdes.
⎯ C’est moi, Noèse.
⎯ Mais non, je suis Marie, je vis avec Gary, mon mari. Dis-moi où
je peux le retrouver, où suis-je.
⎯ Mais rappelle-toi, je suis venue te chercher, il y a deux jours. Je
suis Noèse, tu me connais à peine et tu as voulu partir, tu as voulu rêver,
alors je t’ai emmené dans le rêve que tu désirais.
⎯ Mais non, c’est faux, je vis à Seattle avec mon mari et mon enfant,
c’est son anniversaire aujourd’hui, il a sept ans, j’étais avec lui il y a un
instant.
J’ai mal à la tête, j’ai mal,
Je tombe dans un trou, j’ai peur.
J’ai peur du vide.

280
Je ne vois plus rien, je suis morte.

Me voilà dans le vide, tout est blanc autour de moi, mes pieds
reposent nulle part, autour de moi, c’est nulle part. Je suis seul, seul dans
le vide, le vide.

⎯ Clara, Clara, ouvre les yeux, regarde-moi.


⎯ Qui m’appelle encore ?
⎯ C’est moi, Marie !
⎯ Marie ! c’est moi ?

J’ouvre les yeux et je me vois, du moins je vois la femme que je


suis avec Gary.

⎯ Clara, rassure-toi, je suis toi, tu es moi, je vais t’expliquer.


Clara et Marie ne sont qu’une seule personne et il est l’heure que nous
nous réunissions.
⎯ Je commence à comprendre.
⎯ Tu dois connaître la vérité de ce jour fatal, le quatre avril mille
neuf cent soixante-quinze :
J’ai été la femme de Gary jusqu’au dernier instant, mais notre mort a été
un drame. Nous sommes morts dans notre sang mélangé. C’est au matin
de l’anniversaire de Steve que c’est arrivé. Gary m’a égorgée avec ce
fameux rasoir qu’il tenait entre ses doigts dans cette nuit particulière que
tu as cru vivre. Il voulait faire l’amour avec moi et je l’ai renvoyé. Il l’a
très mal pris et il s’est imaginé que je le trompais. De rage il s’est
précipité dans la salle de bain, il a attrapé ce qui lui passait sous la main
et il m’a égorgée. Ensuite, il m’a violée pendant mon agonie. Mais juste
après, il a eu un remord terrible, il a pris conscience, mais trop tard, qu’il
s’était laissé manipuler par un subconscient trop puissant et trop malin. Il
a compris qu’il avait totalement raté sa vie. Il ne prit que quelques
minutes pour voir et comprendre la lourde faute dont il était la victime et
le coupable en même temps. Sa prise de conscience éveilla en lui sa
vraie nature, mais il était trop tard, j’étais déjà morte et il ne pouvait
revenir en arrière. Alors, Gary s’est tranché les veines des deux poignets.
La lourde charge de notre fils était maintenant inscrite, Steve devrait
prendre sur lui le passé de son père, réveiller l’âme qui dormait dans son
cœur car les gènes de sa famille circulaient dans son sang. Trop lourde
tâche pour un enfant, hélas, le destin de Steve était tracé dès cet instant.
Mais, il y a des miracles car la vie est en même temps une grande chance

281
pour chacun.
Il y avait le remord et, moi, dans mon âme, bien que sans vie, j’ai
compris Gary, je l’aimais et mon cœur était plein de pardon, cette force
d’Amour dont tu parles si bien. Alors, la chance, pour Steve, c’est que
ma sœur Michèle soit arrivée de bonne heure à la maison. Elle sonna à la
porte, mais personne ne se manifesta. Elle entra, sentit immédiatement la
forte odeur de sang et nous trouva morts sur notre lit. Sans plus attendre,
elle prit Steve dans ses bras et l’emmena immédiatement chez nos
voisins. Le lendemain, ils prenaient l’avion pour Paris. Steve n’a jamais
su ce qui s’était réellement passé. Pour lui, nous sommes morts dans un
accident de voiture.
Mais la véritable grâce, c’est qu’au lendemain de ma mort, mon âme
s’est incarnée dans le corps d’un bébé qui naissait, une petite fille qui se
nommait Clara. Mais toi, Clara, tu n’as jamais été autre chose que Marie,
mais lorsque l’on naît, on oublie tout son passé, nous sommes une
nouvelles personnalité, dans un nouveau corps. Tu es venue pour aider
Steve à faire renaître en lui l’âme nouvelle que son père n’avait que trop
tardivement rencontrée et, me libérer aussi. Tu as pris ma place pour
terminer le travail que j’avais commencé. Lorsque je te parle comme si
tu étais une autre personne, c’est, en fait, ta mémoire véritable qui refait
surface, je ne suis juste que ta mémoire qui s’exprime.
L’accident que tu as eu le onze septembre deux mille un n’est pas un
hasard, c’était un jour comme il n’y en a que très rarement sur Terre.
Cette nuit-là, la Lumière de l’Amour a frappé la planète en son cœur et
m’a ranimée. C’est à partir de cet instant, grâce à cet événement terrible
et formidable à la fois qui t’a touché de plein fouet, que je me suis
éveillée en toi.
Tu recherchais une mémoire après l’accident, mais en fait, c’est la
mienne qui est ressortie. Clara durant sa jeunesse ne s’est jamais sentie
heureuse dans ce monde et elle a volontairement cherché à laisser le
moins de traces possible dans cette nature. Elle n’a jamais eu d’attaches
avec les autres, sauf avec Steve pour lequel elle avait une attirance
particulière ; et pour cause. Marie restait terrée dans le fond de son
subconscient parce que les circonstances n’étaient pas encore favorable.
Mais, la nuit de l’accident, la Terre a été bousculée par une grande
lumière qui a balayé la planète entière et, cette lumière nous a touchés.
Clara, ne sois pas effrayée, je ne t’ai pas volé ta vie, je ne suis que ta
mémoire perdue. Je viens te retrouver et enfin te rendre tous tes
souvenirs. Grâce à ton courage et à ta force, tu as pu changer Gary et
enfin lui rendre vie. Gary était notre mari et, à première vue, on aurait pu

282
croire que c’était un homme quelconque, un de ceux qui peuplent le
monde juste pour leur intérêt. On aurait pu passer à côté de lui et faire
autre chose. Mais il n’est rien de tout cela, Gary a toujours eu en lui une
grande âme et je pense que tu l’as vu plus encore que moi. Tu as su le
changer alors que, dans ma vie, je n’en ai pas eu la force. Clara, tu as
pour toi d’être un enfant indigo, chose que je ne suis pas ; c’est par cela
que tu as plus de capacités que moi. Si j’avais eu ta force à l’origine, ce
drame n’aurait jamais eu lieu.
Clara, permets que j’appelle Noèse pour qu’elle vienne nous unir.
⎯ Je comprends tout cela, Marie, je l’ai toujours su en mon être, j’ai
compris qu’il y avait un mystère entre nos deux vies, ainsi, tu viens
confirmer ma pensée. Noèse, je la connais depuis deux jours ou sept ans,
mais j’ai le sentiment qu’elle a toujours été présente en mon être. Noèse
est comme la conscience qui nous touche un jour par sa vérité et son
amour. Noèse sait lire toutes les pensées, elle nous donne le choix de la
servir ou de s’abandonner à l’ancienne conscience.
Bien sûr, je veux qu’elle nous unisse, qu’elle assemble l’ancien et le
nouveau, que la vie s’installe de façon durable pour nous.
⎯ Clara, Marie, vous m’avez appelée, alors je suis entre vous et en
vous. Clara, tu m’as appelée et j’ai frappé chez toi. Tu as poussé ta porte
et ton cœur s’est ouvert. Maintenant que nous sommes tous trois réunis,
que voulez-vous ?

D’une voix, nous te demandons à deux :

⎯ Noèse, Unis nous.

J’entends votre parole, alors donnez-moi la main.


Je les prends ensemble et d’un coup…

J’ai encore les paupières lourdes, j’ai du mal à me réveiller,


surtout lorsque l’on rêve. Quel jour sommes-nous, j’ai vraiment trop
dormi. C’est étrange, j’ai l’impression que mon lit n’est pas comme
d’habitude.

⎯ Tu te réveilles, Clara, as-tu bien dormi ?


⎯ Mais qui me parle comme ça, où suis-je ?
⎯ Ouvre les yeux, c’est moi, Noèse.
⎯ Ah ! oui, Noèse, tu es venue me chercher hier, je te connais à
peine, mais tu sais lire mes pensées et tu es la seule avec qui je puisse

283
parler en dehors de mes deux amis qui savent lire sur mes lèvres. J’ai
complètement oublié ce que j’ai fait avec toi hier soir après que nous
sommes montées dans ta voiture. Je perds la mémoire !
⎯ Non, Clara, pas tant que ça.
⎯ Pourquoi dis-tu ça ?
⎯ Recherche bien en toi, pense à qui tu es, cherche bien dans ta
mémoire.
⎯ Mais tu sais que j’ai perdu la mémoire dans un accident il y a
deux ans.
⎯ Tu dois réapprendre à chercher dans ta mémoire tes souvenirs, tu
n’y es plus habituée.
⎯ Mais que dois-je chercher, aide-moi !
⎯ Rappelle-toi de Marie !

J’ai la tête qui tourne, mon cœur cogne, j’ai le vertige. Marie,
Marie. C’est moi, Marie ! c’est moi !

⎯ Noèse, je suis Marie, je me rappelle maintenant, je me rappelle les


moindres détails de ma vie depuis que je suis née et je me revois juste
avant ma naissance descendre dans le corps de l’enfant qui allait naître.
Mon âme tournait autour de ses parents pendant le travail à la maternité.
Et sa mère cherchait encore un prénom au cas où ce serait une fille. J’ai
soufflé dans son oreille "Clara" parce que j’ai toujours eu une attirance
pour les noms de lumière. A ce moment, ma mère eut une dernière
contraction et je suis arrivée. Lorsqu’elle m’a vue, elle a dit tout de
suite : "Clara, ma fille, je te regarde et je vois tes yeux de lumière. Clara,
tu es mon bébé. Je me rappelle ma naissance mais je me souviens surtout
que mon âme a été la mère de Steve et j’en ai en moi le souvenir. Clara,
avant l’accident, n’a jamais eu de souvenir, car elle vivait l’instant
présent, comme une musique, n’en retenant que la mélodie, sans se
rappeler des paroles. Je suis auprès de Steve comme sa conscience
depuis que je l’ai rencontré, car il m’a toujours écouté et, sans moi, il ne
peut prendre de décisions justes. Je suis sa lumière, Clara me va si bien.
Je n’ai pas le véritable souvenir de Marie, mais je sais que j’en ai son
âme. Elle a dû être une femme formidable à son époque et si je n'en ai
pas le souvenir, je sais que je suis arrivée sur Terre pour continuer le
travail qu’elle avait commencé lorsqu’elle vivait. Ma vie sur cette
planète a commencé véritablement lorsque j’ai rencontré Steve. C’était à
la sortie du lycée, il était surveillant tout en faisant ses études de
médecine, moi j’étais en terminale, je passais mon Bac de math. Ce

284
n’était pas très bien vu par les élèves et les profs, mais on c’est mis
ensemble alors que je n’avais encore que dix-sept ans. Depuis nous ne
nous sommes jamais quittés, sauf hier soir.
⎯ Non, Clara, pas hier soir, avant-hier ; tu as dormi deux jours
complets. Ton esprit est allé réparer un passé inachevé.
⎯ Comment ça ?
⎯ N’as-tu pas rêvé ?
⎯ Des rêves, au matin, il ne m’en reste que peu de souvenir, je me
rappelle juste que…
⎯ Quoi donc, Clara ?
⎯ C’est très étrange, mais c’est une certitude. J’aime un homme,
mais ce n’est pas Steve. J’aime Steve pour l’être qu’il est mais pas
comme un mari, mais plutôt un homme à protéger, comme un enfant.
⎯ Mais alors, qui aimes-tu ?
⎯ J’aime Gary.
⎯ C’est le mari de Marie.
⎯ J’aimerais tant le retrouver.
⎯ Clara, j’aimerais que ton espoir se réalise mais je crois qu’il est
mort depuis longtemps.
⎯ Non, il n’est pas mort, il m’attend.
⎯ Peut-être, mais, je pense qu’il faut maintenant rejoindre Steve, ton
absence a été trop longue, il doit être très inquiet. Je sais que j’en suis
responsable et je tenterai de me faire pardonner.
⎯ Ne t’en fais pas, il te pardonnera. Je suis son conseil, sa raison.
Tout ce qui traverse sa conscience, il le puise en mon être. Je lui dirai
que c’est moi qui ai décidé de partir. De toute façon, il doit maintenant
penser de lui-même, avoir sa propre conscience. J’aimerais qu’il puisse
se passer de moi, je n’ai plus goût à cette vie.
⎯ Mais tu es encore jeune, Clara, tu as encore toute la vie devant toi.
⎯ Non, noèse, c’est toi qui as la vie devant toi.
⎯ Je ne sais pas ce que tu veux dire, car je ne lis plus dans tes
pensées depuis que tu es éveillée, car tu es une grande Ame et j’ai
maintenant plus à apprendre de toi que tout ce que je pourrais
t’enseigner.
⎯ Comment ça ! tu ne lis plus mes pensées, alors comment fais-tu
pour me comprendre, moi qui suis muette ?
⎯ Mais, Clara, tu n’es plus muette depuis que tu t’es réveillée. Tu as
retrouvé la voix que tu avais perdue lors de l’accident. Ta parole, tout le
monde peut l’entendre. Même Steve.

285
⎯ Par quel miracle ?
⎯ Ta voix s’est tue le jour où ta conscience s’est trouvée devant la
vérité de ton passé. Pour la retrouver, tu n’avais d’autre choix que de
retrouver ta véritable nature. C’est accompli, tu n’es plus muette. Tu as,
durant ces heures, réveillé ta conscience, elle est devenue la flamme de
tes pensées. Tu ne penses plus, tu reçois en toi la flamme de la Vie qui
nous donne la raison alors tu peux connaître la Parole. C’est comme ce
qui devrait être pour les enfants à l’âge de Sept ans.
⎯ Je me souviens, de l’anniversaire de Steve, le jour de ses sept ans,
j’ai fait avec lui, Gary et Michèle une fête formidable. Tu as raison,
Noèse, maintenant, je me souviens, je me souviens du jour de la
naissance de Steve, jusqu’à ses sept ans. Je m’en souviens comme une
mère.
⎯ Allez, viens, Clara, je te ramène chez toi.
⎯ Là où tu m’emmènes, ce n’est plus chez moi.
⎯ Mais il y a Steve ?
⎯ Il n’a plus besoin de moi, ce qu’il lui faut, c’est une femme, plus
une mère…
⎯ Je ne veux pas lire les idées que tu as dans la tête, je ne sais pas à
quoi tu penses. Tu es sa femme. Préparons-nous, mon amie Aqualuce
nous attend, elle chez toi avec Jacques. Tu ne la connais pas, mais je
pense que tu vas l’aimer. Prenons nos affaires, ils sont impatients de te
connaître.

Réveil 2
Quel rêve étrange, si c’est un rêve ? J’étais encore il y quelques
secondes avec ma mère, mon père et ma tante Michèle et l'on faisait la
fête pour mes sept ans. Je me le rappelle parfaitement, non comme un
rêve mais comme un souvenir. Il faut que je raconte cela à Jacques.
Tiens, je l’entends frapper à ma porte.

⎯ Steve, t’es réveillé ? vite, réponds-moi, elle est revenue, elle est
dans la cour.

Quoi, Clara est là ! enfin, c’est fini, je peux vivre.

⎯ Je suis réveillé, j’enfile mon pantalon, j’arrive, je veux la voir.


⎯ Pas de panique, elle n’est pas seule, ma femme l’accompagne
avec Noèse, notre amie.

286
Mais pourquoi n’est-elle pas seule ? qu’importe, l’essentiel, c’est
qu’elle soit revenue. Oh ! Clara, ma conscience, ma raison d’être,
maintenant, avec moi. Mon cœur vit enfin.

« Je suis revenue, mais je suis plus en toi qu’en dehors de toi. Clara a
disparu pour me faire naître en ton être, je suis née de son Amour pour
toi, mais je ne suis pas Clara, je suis ta véritable conscience. »

Que veux-tu dire ?

« Il faut se détacher de l’être afin de le libérer, détache-toi de Clara


pour qu’elle puisse recouvrer sa liberté totale. »

Me détacher de Clara, elle qui m’a manqué durant ces heures


alors que je l’aime. C’est ma femme.

« Ta femme n’est pas ta conscience, mais elle en a été l’image le temps


que tu la retrouves. Son esprit ne t’a jamais quitté durant les heures où
tu ne la voyais pas. Elle ne te manquait pas car elle agissait pour toi.
Rends-lui ton amour en la laissant aller où elle souhaite et pardonne-la
de ne pas avoir paru devant toi ces dernières heures, elle s’est donnée
plus qu’une vie pour toi. »

Je ferai à partir de ce jour ce que tu voudras. Tu es ma


conscience, je sais que tu m’aimes comme Clara.

« Il n’y a pas de différence entre elle et moi »

⎯ Tu te dépêches, Steve, elles arrivent. A quoi penses-tu ?


⎯ J’arrive !
⎯ Salut, Steve, viens vite. C’est Noèse qui l’a ramenée, je ne sais
pas ce qu’elles ont fait ensemble.
⎯ C’est sans importance, le principal c’est qu’il ne lui soit rien
arrivé. Par contre, j’ai fait cette nuit un rêve bien étrange, je te le
raconterai plus tard.
⎯ En attendant, elles sont à la porte.

Je descends les marches de l’escalier, je suis heureux de la


retrouver, pourtant, pas impatient. Enfin, j’entends la porte d’entrée qui

287
grince et qui s’ouvre. Je ne rêve plus et pourtant, mon esprit flotte
comme un fantôme. Peut-être est-ce la fatigue de ces deux jours qui me
tombe dessus. Aucune importance, maintenant, je la vois passer le seuil.

⎯ Clara, mon amour, j’ai été inquiet de te voir disparaître tout le


week-end, j’ai parfois été comme un fou, j’ai cru que tu m’avais quitté
définitivement, ou qu’il t’était arrivé malheur. Néanmoins, en ton
absence, avec mon ami Jacques, mon esprit s’est ouvert et je ne suis plus
le même homme. Pardonne-moi de ne pas t’avoir écoutée plus souvent,
de n’avoir vu de ton être qu’un corps, non une âme. Clara, je t’aime et je
te libère de ma passion parce que je t’aime. Je suis heureux de te
retrouver.
⎯ Steve, je n’ai rien à te pardonner, c’est moi qui suis partie ces
deux jours, tu m’as toujours respectée, tu m’as toujours aimée pour ce
que je suis, c’est à moi de me faire pardonner.
⎯ Mais ! tu as recouvré la parole, c’est un miracle, j’entends ta voix
pour la première fois comme si tu étais une autre femme.
⎯ Steve, je suis une autre femme. Car mon amie Noèse m’a aidée à
retrouver la mémoire et ma parole perdue.
⎯ Ton absence, Clara, m’a fait prendre conscience de mon être
véritable et j’en ai aussi trouvé une mémoire, mais, je dois avant tout
remercier Jacques qui m’a énormément aidé.
⎯ Quarante-huit heures pour retrouver une conscience oubliée, c’est
peu, pourtant voilà ce qui nous arrive ! Remercie Noèse et aussi
Aqualuce, c’est grâce à elles et ce qu’elles ont un jour vécu avec
Jacques, que c’est aujourd’hui possible. Ce sont nos amis, ils nous ont
trouvés et en même temps nous les avons appelés. Je vais te les
présenter.
⎯ Et moi, je te présente Jacques qui est derrière moi. Nous nous
sommes rencontrés au cabinet, il venait pour une consultation.
Finalement, c’est moi qui l’ai consulté. Je l’ai un peu maltraité mais il a
été patient et j’ai enfin compris combien je tenais à lui, c’est pour moi un
grand ami.
⎯ Bonjour, Clara, permettez que je vous embrasse !
⎯ J’y tiens… Steve, je te présente d’abord Noèse, qui est venue
sonner à notre porte samedi soir alors que tu devais arriver avec Jacques.

Noèse, je te découvre à l’instant, je ne sais pourquoi, mais j’ai le


sentiment de te connaître déjà. Tu as des yeux qui me transpercent et ils

288
touchent mon cœur comme l’amour, je ne sais pas pour quelle raison,
mais je t’aime profondément, à en oublier Clara.
Qui es-tu ? pensée étrange, raison supérieure ? Ton esprit me transperce
comme un œil de diamant lisant dans mes pensées.
Mon cœur s’embrase à ta vue, je t’aime comme ma…
Non, je dois vite ôter cette pensée de mon esprit, je suis marié, pourquoi
cette pensée ?

« Tu ne peux aller contre ta nature, tu reviendras vers moi avant peux,


c’est ton destin. »

Mais qui parle dans ma tête ?

J’ai l’impression que Steve tombe amoureux de Noèse, ses yeux


le trahissent. Je n’entraverai pas ta démarche, même si je suis encore ta
femme.

⎯ Noèse, lorsqu’on vous regarde, il est bien difficile de vous


résister, vos yeux sont envoûtants.

Je suis un homme, mais malgré tout, il ne m’est pas difficile de


comprendre qu’il est en train de tomber amoureux. Je me demande où il
va ?

⎯ Tu comprends la raison pour laquelle j’ai décidé de suivre Noèse,


de plus, je voulais te laisser seul avec ton nouvel ami. Elle m’a proposé
un voyage incroyable et j’ai été tenté, alors je suis partie. Quant à
Aqualuce, la femme de Jacques, nous l’avons rejointe ce matin. Elle m’a
parlé de toi, elle lisait tes articles dans le journal médical. Elle a toujours
pensé que tu avais une vision bien différente de tes confrères. Et, surtout,
dans mon journal intime, j’ai écrit une prière il y a quelques jours, c’est
elle qui l’a entendue dans son esprit lorsque je l’ai inscrite et pensée si
fort.
⎯ Bonjours, Steve !

Ses lèvres effleurent mes joues, je me sens à la fois transpercé et


caressé par un feu doux et puissant qui m’apaise. Cette femme rayonne
l’amour et la Force, je comprends mieux la raison pour laquelle je n’ai
pu résister au téléphone.

289
⎯ Je suis flatté par votre gentillesse, d’autant plus que vous êtes
aussi belle que votre voix que j’ai eu l’occasion d’entendre au téléphone.
⎯ Tu sais, Noèse, Steve et moi avons cherché Clara tout le week-
end, Steve était très inquiet, tu aurais pu nous téléphoner pour nous
donner de vos nouvelles.
⎯ Jacques, ce n’est pas Noèse qui est responsable, c’est moi, car
lorsque j’ai quitté la maison, je n’ai pas eu le désir de me manifester. J’ai
pensé qu’il était bien pour toi de faire un break entre nous car nous
étions arrivés tous les deux à nos limites. Mon absence n’a été pour
Steve que de 48 heures alors que pour moi, elle a duré sept ans ; c’est
une vie, j’ai fait un rêve de sept ans.
⎯ Mais quel était ce rêve, Clara ? pour ma part, j’en ai fait un cette
nuit qui m’a ouvert l’esprit sur ma jeunesse et mon père.
⎯ De quoi as-tu rêvé, Steve ?
⎯ J’ai rêvé de mon septième anniversaire, j’ai retrouvé cette nuit un
souvenir qui était devenu un fantôme dans mon esprit.
⎯ J’ai aussi fait ce rêve, mais j’étais ta mère.
⎯ Alors si notre rêve était le même, te souviens-tu de ce matin là où
avec papa, je suis parti acheter mon cadeau ?
⎯ Bien sûr, j’étais si fatigué d’avoir passé une nuit blanche que je
suis restée au lit. Tu es venu me voir, je t’ai pris dans mes bras…
⎯ Et tu m’as embrassé en me disant que tu allais te lever pour
préparer la fête d’anniversaire et que tata Michèle serait avec nous.
Lorsque nous sommes partis en ville avec papa, c’était encore tôt, elle
est arrivée juste à cette instant.
⎯ Lorsque vous êtes partis, je me suis levée et, avec Michèle, nous
avons décoré la maison, l’après-midi, lorsque tu es revenu avec ton père,
tu as été surpris.
⎯ Pendant que tu préparais la fête, avec papa, nous avons un peu
tourné dans les magasins. Je me demandais s’il allait comme d’habitude
m’acheter la Terre entière, je le surveillais, mais j’avais tort, il semblait
avoir changé. Je ne l’avais jamais vu ainsi et j’en étais presque déçu.
Nous passions devant les vitrines, mais elles semblaient ne pas l’attirer,
il était comme mal à l’aise. Alors lorsqu’il m’a demandé ce que je
souhaitais pour mon anniversaire, j’ai compris qu’il avait changé en une
nuit. Je ne sais pas pourquoi vous n’aviez pas dormi, mais il s’était passé
un miracle.
Je lui ai demandé une flûte parce que je voulais apprendre la musique. Il
a trouvé mon idée très bonne et nous nous sommes dirigés vers le

290
magasin d’instruments qu’il connaissait de réputation. J’ai choisi une
flûte en bois, elle était très simple, mais j’aimais sa couleur verte, alors il
l’a achetée sans vouloir y rajouter autre chose.
J’étais heureux, j’avais un papa qui m’aimait et qui me comprenait.
Enfin, mon père était mon PAPA.
⎯ Lorsque vous êtes arrivés, j’ai pris plaisir à vous regarder, Gary te
tenait par la main et son regard était plein de lumière, toi tu souriais
comme jamais je ne t’avais vu avec lui.
⎯ Mais, Clara, comment peux-tu connaître ce qui semble être mon
rêve ou mon souvenir, alors que c’est impossible ; seule ma mère
pourrait avoir ces souvenirs.

J’ai d’un coup mes maux de tête qui reprennent comme il y a


deux ou trois jours. Je sens mon cœur qui cogne très fort à l’intérieur de
mon cerveau, ma vue se trouble, j’ai des bourdonnements dans les
oreilles. Mes jambes ne me portent plus, mon corps vacille comme s’il
était en pleine mer. La Terre s’effondre sous mes pieds.

⎯ Jacques, rattrape Clara, elle tombe !

Mais que se passe-t-il, je n’avais pas prévu ça ?

⎯ Comment as-tu fait, Aqualuce, pour la voir tomber alors qu’elle


n’avait pas encore bougé ?
⎯ Je ne peux pas t’expliquer, mais vite, allonge la doucement, elle
est en train de perdre connaissance.

Il faut que j’intervienne, je suis son mari, je suis médecin. En
plus, je sais ce qu’il lui arrive, les médecins m’avaient prévenu du
danger à l’hôpital.

⎯ Poussez-vous vite, elle fait une embolie cérébrale, c’est très


sérieux, appelez les pompiers.
⎯ Steve, ce n’est pas la peine, je n'en ai que pour quelques minutes,
c’est trop tard. Laisse les pompiers, laisse-moi vivre avec toi mes
dernières secondes.
⎯ Mais non, tu ne peux pas mourir comme ça, après tout ce que nous
avons vécu.
⎯ Steve, calme-toi quelques instants, écoute-moi, rapproche ton

291
oreille, car je n’ai plus beaucoup de force, je fais un gros effort pour ne
pas sombrer dès maintenant, veux te dire quelque chose avant de mourir.
J’ai dans ces heures passées, réalisé le but qui m’était donné, je peux
mourir en paix. J’ai découvert mon vrai passé, j’ai retrouvé ma mémoire.
Tu as trouvé une conscience, comme moi, mais avant tout, j’ai changé le
destin de ton père, il a trouvé en lui la vérité et l’Amour.
⎯ Mais pourquoi parles-tu de mon père ?
⎯ Parce que Clara n’a en fait jamais existé. Je suis ta mère, revenue
dans le corps de ta femme. Je suis venue terminer une vie. Notre
accident a fait ressurgir notre vérité, il a été notre sauvetage. Durant les
heures où j’ai été absente, tu m’as aidé parce que tu as aussi compris ce
qu’il y a en ton être. Tu as sauvé ta femme, ta mère et surtout ton père.
⎯ Si Jacques n’était pas venu, tu serais encore pleine de vie, c’est de
leur faute, ce qu’il t’arrive. Ils ont tout combiné avec leurs trucs bizarres
et résultat…

« Si tu m’écoutes, ne pense plus jamais ainsi, laisse-toi aller par ta


conscience et suis-moi. Clara s’éteint, mais elle laisse place à une autre
dimension, la vie reste en elle. »

⎯ Le résultat, Steve, c’est que j’ai retrouvé la parole, je suis


heureuse dans mon cœur, mais j’ai d’importants maux de tête depuis
plusieurs jours, c’est pour cela que je les ai appelés dans ma prière. C’est
une chance d’avoir été entendue. Je devais de toute façon mourir
aujourd’hui. Écoute-moi, approche ton oreille près de ma bouche, je n’ai
plus de force.
Je sens que tu ne vas pas demeurer seul très longtemps, tu vas me
remplacer et m’oublier totalement avant peu.
⎯ Jamais, je ne t’oublierai jamais.
⎯ Noèse…
⎯ Non, Clara, reste avec moi, j’ai besoin de toi. Tu dois vivre. Clara,
je t’aime, ne meurs pas, ne pars pas, que deviendrai-je sans toi, ma
chérie.

Noèse, tu entends ma pensée, je viens d’expirer mon dernier


souffle, mais la vie est encore en moi quelques minutes. Veux-tu bien
m’écouter.

Tiens, Noèse se rapproche du corps sans vie de Clara, Steve est


effondré sur elle. Que peut-elle bien faire ?

292
Clara, je suis avec toi, je t’écoute.

J’ai remarqué qu’entre toi et Steve, il y a comme un appel, je sais


que tu es seule et lui aussi maintenant. Si tu souhaites vivre avec lui, j’en
serais heureuse, je pense que vous formeriez un joli couple. Ne serait-ce
pas ta pensée ?

Tu sais lire dans mes pensées maintenant, toi aussi ?

Quittant mon corps, j’en ai la faculté ! Et, Noèse, je sais que tu


peux vider mon esprit et prendre tous mes souvenirs. Alors, pour Steve,
prends Juste Clara dans ta mémoire et fais qu’il m’oublie à jamais. Je
sais que tu l’aimes, il te mérite, veux-tu me remplacer ?

Nos cœurs se sont accrochés tout à l’heure, c’est inexplicable en


moi, mais je l’aime et je dois te dire que Clara est mon premier prénom
sur cette planète.

Alors, il n’y a plus à hésiter, prends mon esprit ainsi que mon
fluide, je vous en fais don, unissez-vous pour moi si tu le souhaites ; je
sais qu’il est déjà amoureux de toi, sois sa Clara.

Ma mère tuait les hommes en vidant leur esprit, en faisant ainsi,


je vais te tuer aussi.

N’aie crainte, il n’y a que Clara qui disparaisse en toi, Marie part
vers un autre destin.

Je me demande pourquoi Noèse pose ses doigts sur le front de


Clara ?

⎯ Jacques, laisse Noèse tranquille, occupe-toi de Steve, éloigne-le


du corps de Clara, emmène-le dehors, c’est important.
⎯ Comme tu voudras, Aqualuce.
⎯ Allez, Steve, laisse Clara un instant, viens avec moi prendre l’air,
Noèse peut s’occuper d’elle un instant.
⎯ Mais elle est morte, je ne peux pas la laisser comme ça.
⎯ Au contraire, laisse-la, viens te décontracter un instant. Dehors, il
fait doux, le soleil est déjà haut, viens te réchauffer dehors.

293
⎯ D’accord, j’ai besoin de faire le vide en moi.

Je suis avec toi, Clara, je m’approche de ton esprit.

Vois-tu mes souvenirs, cernes-tu Clara dans ma tête ?

Je vois toute ta vie depuis le 11 septembre 2001. je vais la


prendre ainsi que toute ta vitalité afin de la transmettre à Steve. Lorsque
je vais la retirer, tu n’auras jamais existé.

C’est tout ce que je souhaite, fais-le maintenant, j’ai trop souffert


dans ce corps.

Faire mourir un esprit, je ne l’ai jamais fait.

Non, tu ne vas pas faire mourir un esprit, juste un passé. Adieu !

C’est fait, en un éclair. Enlever un esprit à une âme, c’est comme


éteindre une lampe, sauf que cette lumière vient de pénétrer ma vie.
J’ai en moi un passé supplémentaire.

Cette maison dans laquelle je suis, c’est la mienne. J’y passe mes week-
ends pour la remettre en état. Steve, je l’ai rencontré il y a deux ans, le
11 septembre 2001, je revenais du Caire, avec Jacques et Aqualuce,
notre aventure semblait finir à l’aéroport de Roissy avec les parents de
Jacques qui étaient venus nous chercher. C’était la fin, sauf que pendant
notre retour, sur l’autoroute A 104 qui nous conduisait à la maison de
Jacques, j’ai vu une voiture retournée dans le fossé. Je ne sais pas
pourquoi, mais j’ai senti qu’il y avait à l’intérieur un homme qui
souffrait, c’est vrai, j’entends les pensées de chacun sur Terre. Enfin,
nous nous sommes arrêtés, je me suis précipitée sur le véhicule et, là, je
l’ai vu. Il avait le visage en sang, mais j’ai su immédiatement qu’il avait
l’esprit et le cœur semblable à celui du père de ma fille, l’homme qui
s’était perdu dans un espace trop vaste et qui, par amour, s’était sacrifié
pour que je puisse vivre. Mais lui, il était mourant et moi, cette fois je
devais le sauver. Lorsque les pompiers sont arrivés sur le lieu de
l’accident, ils n’avaient pas de sang pour lui faire une perfusion, il était
perdu. Alors, comme je savais que j’étais donneuse universelle, je me
suis proposée pour donner le mien. Ça a marché, je l’ai sauvé, depuis
mon sang et mes pensées coulent dans son corps, nous ne faisons plus

294
qu’un dans nos actes. Je pense, il réalise. Il crée, je vivifie ses œuvres.
Steve, c’est mon compagnon, je l’aime, notre vie a commencé pour nous
deux le 11 septembre 2001. Mes souvenirs sur cette planète commencent
ce jour-là, avant, ici, je n’existais pas. Cet accident de voiture a changé
mon destin et le sien aussi.
Une vie, ça peut finir au bord d’une route, mais aussi commencer !

Nouvelle Conscience
⎯ J’ai la tête qui tourne, Jacques, j’ai eu comme un trou noir dans
mon esprit, j’ai failli tomber.

La mort de Clara est un grand choc pour lui, je dois l’aider.

⎯ Ne restons pas là, rentrons, je vais te préparer de l’aspirine.


⎯ Non, je te remercie, Jacques, mais Noèse saura le faire, elle
s’occupe bien de moi, depuis mon accident elle est toujours restée très
attentive.

Que me raconte-t-il ? il est tombé sur la tête, il connaît Noèse


depuis moins d’une heure !

⎯ Allez, viens, tu n’as pas déjeuné, c’est aussi pour ça que tu as eu


un vertige.
⎯ C’est fort probable. Prenons un café, ça nous fera du bien, je crois
que Noèse en a fait, tu sais que c’est une spécialiste et, de plus, nous
avons des choses à vous dire.

Le décès de Clara l’a rendu un peu bizarre, il est même détendu,


je vois un sourire sur son visage, ses yeux sont rayonnants. Bon,
rentrons, il faut malheureusement s’occuper du corps de Clara qui est
étalé sur le sol dans le séjour. Ça ne va pas être un moment de joie. Mais
que veut-t-il dire par, nous avons des choses à vous dire ?

⎯ Ça t’a fait du bien, mon chéri, de prendre l’air avec Jacques.


Venez, j’ai mis la table du petit-déjeuner dans la cuisine, Aqualuce ne
vous a pas attendus.
⎯ Noèse, t’es un amour, je ne regrette pas de t’avoir comme épouse.
⎯ Si je ne t’avais pas trouvé au bord d’une route, avec qui serais-tu
aujourd’hui ?

295
⎯ J’aurais épousé ma mère, si elle n’étais pas morte si jeune.
⎯ Je ne suis pas ta mère, ah ! ça, jamais. Tu n’es plus un enfant.
⎯ C’était une blague.

Mais, bon sang, Noèse est tombée sur la tête. Mais ! où est le
corps de Clara ? je ne comprends plus rien.

⎯ Eh ! Jacques, arrête de tourner en rond dans le salon, viens


prendre ton café avant qu’il refroidisse.
⎯ Viens, Jacques, nous avons une nouvelle à t’annoncer avec
Aqualuce.

Me voilà assis devant ma tasse fumante et odorante. Mais quoi ?

« Jacques, tais-toi, écoute Noèse et Steve »

⎯ Vous savez, Jacques, Aqualuce, que Steve et moi aimerions avoir


un enfant depuis que nous sommes ensemble. Ça fait un an que nous
sommes mariés. Nous vous avons invités à passer ce week-end dans la
maison de Steve et avons laissé les enfants à Annecy pour vous annoncer
la nouvelle.
⎯ Je sais, Noèse, tu es enceinte du deuxième !
⎯ Presque, Aqualuce, sauf que…
⎯ Noèse attend des jumeaux, c’est confirmé, nous avons fait l’éco
avant-hier.
⎯ C’est génial, il y aura bientôt cinq enfants autour de nous.
⎯ Je suis heureux de vous le dire ici car c’est dans cette maison que
ma mère est née et j’aurais tant voulu qu’elle connaisse ses petits-
enfants. J’ai aimé ma mère trop peu de temps, mais j’ai le souvenir
d’elle comme d’une femme extraordinaire, à votre mesure. Vous l’auriez
connue, vous l’auriez aimée.
⎯ C’est drôle que tu me parles de ta mère maintenant, jamais tu
n’avais ouvert la bouche à son sujet jusqu’à présent. Je me disais qu’il y
avait une raison qui t’en empêchait. Alors, si tu en as le souvenir,
raconte-nous ?
⎯ Tu as raison, Noèse, si je ne t’en ai jamais parlé, c’est parce
qu’elle s’est effacée de ma mémoire quelque temps après mon accident.
Mais j’ai retrouvé une photo d’elle avec mon père hier et cette photo a
fait rejaillir un souvenir du passé. Regardez :

296
Je n’ai pas vu cette photo durant les deux jours que j’ai passés
avec Steve. Il y en avait bien une dans un cadre similaire, mais c’était la
photo de son père seul, face à un avion. Maintenant, voici sa mère et son
père devant le même avion ressemblant à une fusée, voir même un engin
spatial. Ils s’embrassent tendrement, comme de jeunes amoureux. Cette
photo est belle, non pas pour le baiser ou l’avion, mais leur regard
montre qu’ils sont parfaitement complices. Cette photo nous dévisage
presque insolemment comme pour féliciter Steve d’attendre avec Noèse
leurs enfants.

⎯ C’était à quel moment cette photo ?


⎯ Un ami pilote de mon père l’a prise dix minutes avant leur mort,
c’est inscrit au dos.
⎯ Ils ne sont pas morts dans un accident de voiture ?
⎯ Non, Jacques, cet avion n’est jamais redescendu, il est peut-être
encore en orbite autour de la Terre. Mon père, qui était pilote d’essai
chez Boeing, avait avec ses collaborateurs fabriqué un prototype pour
aller à la limite de l’espace. Le jour du premier essai, ma mère a voulu
monter avec mon père. L’avion-fusée est parti, il n’est jamais revenu.
Les radars ont suivi son évolution et il s’est perdu à jamais. C’est ma
tante qui m’a raconté cela car je n'en ai aucun souvenir.
⎯ Tu as eu des super parents, Steve, ta mère devait être une femme
formidable, je ressens qu’elle a laissé sur toi son empreinte par les
qualités d’âme que tu as. Moi, je n’ai jamais connu ma mère, elle est
morte en accouchant.
⎯ Tu comprends comme moi, Aqualuce, ce que c’est que de perdre
ses parents très jeune.
⎯ Nous sommes réunis ici pour un événement heureux, pas pour
nous remémorer nos morts.
⎯ Tu as raison Aqualuce.
⎯ Et toi, Jacques, qu’en penses-tu ?
⎯ Oh ! c’est formidable, Noèse, je ne m’y attendais pas, lorsque
Aqualuce m’a proposé de venir ici, à Vinas, je me suis demandé pour
quelle raison, j’étais à mille lieues d’imaginer cela.
⎯ Tu exagères, Jacques, tu sais bien que Noèse et Steve aiment
autant que nous les enfants.
⎯ Excusez-moi, mais tout ça me donne mal à la tête. Je vais prendre
l’air.

297
⎯ Je t’accompagne, Jacques, laissons Noèse et Steve profiter de leur
nouvelle situation.

***

⎯ Aqualuce, explique-moi ce qui se passe ; Clara meurt devant nos


yeux, il n’y a pas une demi-heure, je sors dix minutes et lorsque je rentre
avec Steve dans sa maison, hop ! plus rien ?
Et voilà, il est marié avec Noèse qui se retrouve enceinte d’un type
qu’elle ne connaît même pas et qui ne l’a jamais touchée. Mais où s’est
envolée l’histoire que j’ai vécue avec ce type, ce week-end ? je vais
perdre la tête.
⎯ Jacques, je te rassure, tu ne vas pas perdre la tête. L’histoire que tu
as vécue avec Steve, c’est du passé, maintenant, tu vis dans le présent et
tu te rappelles du mariage de Noèse avec Steve l’année dernière, tu m’as
assez ennuyée parce que tu avais peur que j’accouche le jour de leur
mariage. J’étais à terme et tu voulais qu’elle décale tout d’un mois. Tu te
souviens ?
⎯ Oui ! je voulais qu’il passe devant le maire en juillet parce que tu
devais accoucher le sept juin. Je trouvais que ce n’était pas raisonnable.
Et toi tu pensais que je paniquais pour rien. Je me suis fait une raison, ils
se sont mariés et tu as accouché avec dix jours de retard, ce qui m’a
encore plus inquiété.
⎯ Ah ! tu vois que tu connais Steve depuis quelque temps déjà !
⎯ Mais, Aqualuce, j’ai deux mémoires qui se croisent dans mon
esprit.
La première, tu m’as envoyé ici avant-hier pour rencontrer un type que
je ne connais pas. Tu ne m’as rien dit de ma mission et j’ai vu, durant
ces deux jours, un gars se battre contre lui-même, rechercher une femme
en même temps qu’une conscience perdue. Pendant ce temps, qu’ai-je
fait, quel a été mon rôle ?
Et ce matin, je vois revenir Clara, sa femme. Je crois que tout s’arrange,
non ! elle meurt devant mes yeux.
Et maintenant, j’ai en moi une autre mémoire :
J’ai un ami, Steve ; ce gars doit la vie à Noèse qui l’a trouvé le soir de
notre retour dans ce monde. Avec Noèse ils forment un couple superbe
qui collabore parfaitement. Tous ça s’emmêle dans ma tête, comprends-
moi, donne-moi une explication ?
⎯ Je comprends ta souffrance Jacques, l’affaire n’est pas simple.
Je t’ai bien envoyé chez Steve O’Connor le quatre juillet et si toi tu ne

298
savais pas pourquoi, moi je le savais.
Clara, sa femme, était dans une grande souffrance, elle avait un jour
perdu la mémoire et en même temps la voix. Fort consciente de sa nature
intérieure, elle en avait perdu ses véritables traces et en même temps elle
avait le sentiment d’un travail inachevé dans sa vie. Mais de quelle vie
s’agissait-il ? elle a lancé, avec toute la force de son âme et par amour,
une grande prière et je l’ai entendue avec Noèse. Clara se savait perdue
car elle sentait que l’embolie la guettait. Pour nous, il ne fallait plus
perdre de temps. Je t’ai envoyé vers Steve pour cela. Clara était la mère
de Steve dans sa vie précédente, elle était revenue sur Terre pour tenter
de réparer l’échec de sa vie passée avec son mari. Steve portait sur lui le
poids du passé raté de son père et Clara devait l’effacer pour lui, afin
qu’il ait un avenir sur cette Terre.
⎯ Noèse est intervenue auprès de Clara lorsque tu es arrivé chez
Steve. Chacun a tenu son rôle. Noèse, comme l’élément révélateur de la
conscience et la mémoire perdue de Clara et de Steve, toi comme
élément de liaison entre Steve et nous-mêmes qui portons la
responsabilité du véritable éclat de la Lumière humaine que nous devons
donner à la Terre entière. Sans toi, je ne suis pas grand-chose sur cette
planète, tu le sais bien.
Ton rôle, jacques, est très important, car comme tout être humain né sur
cette Planète, tu fais pour noèse et moi la liaison avec les hommes. Il n’y
a qu’un homme qui puisse parler aux hommes. Nous vivons ensemble et
tu possèdes ma force, donc, de toi à Steve, tu formes le lien pour que je
puisse agir. C’est pour cela que tu devais être avec lui ce week-end. Je
l’ai aidé à trouver en lui sa véritable conscience, ce qui a permis à Clara
de pouvoir, dans le grand rêve qu’elle a fait, d’agir sur son mari.
⎯ Mais le père de Steve est mort depuis plus de 30 ans !
⎯ Dans la matière, oui. Mais dans l’Ether, non, car son esprit errait
encore sur Terre et sache que là où il se trouvait, ni le temps ni les
distances n’existent.
⎯ Clara a rejoint son mari dans l’invisible ?
⎯ Oui, c’est un peu comme ça !
⎯ Et quel a été le rôle de Steve ?
⎯ Son père, même mort, l’influençait encore beaucoup, car il n’avait
pas coupé le lien avec son fils. Alors, dans le rêve, Clara a rejoint Gary
pendant que Steve se débattait pour se couper des forces négatives de
son père. J’ai agi comme une conscience de substitution en lui parlant. Je
n’étais pas sa conscience car il ne l’avait pas encore trouvée, mais je l’ai
aidé à se défaire de ses liens. Alors, en lui est apparue sa vraie

299
conscience. A la mort de Clara, tous ses liens familiaux se sont brisés et
il a en même temps libéré ses parents ; Noèse est arrivée comme une
nouvelle pensée, sa vraie conscience. C’est pour cela qu’ils sont
ensemble maintenant.
⎯ Mais Clara a vraiment existé, je l’ai vue ce matin.
⎯ Oui et non !
⎯ Comment ?
⎯ Et bien, voilà. Comme Clara a réussi avec Steve à réparer le passé,
celui-ci n’a plus lieu d’être. C’est pourquoi Clara nous a demandés de
disparaître à jamais de la mémoire de Steve, Noèse a pris sa place
entièrement. Marie et Gary sont morts en leur temps, unis par l’Amour et
Steve est libre depuis. Clara n’a jamais existé.
⎯ Mais, Aqualuce, cette histoire a créé immanquablement une
transformation de l’espace-temps et il y a bien une Clara quelque part, tu
as joué à l’apprentie sorcière !
⎯ Pas du tout, Jacques, car dans ta mémoire, il n’y a qu’un passé qui
soit juste.
⎯ Ah ! oui, lequel ?
⎯ Celui de la justice et de la vérité, le passé qui nous amène tous
vers notre véritable conscience, vers la Vie ! Et, certainement, il y a une
Clara, ailleurs, mais elle vie un autre destin.
⎯ Certainement, mais j’ai encore le souvenir, la mémoire.
⎯ Jacques, regarde dans mes yeux. Que vois-tu ?

Je prends une inspiration profonde, ton regard apaise mon esprit,


j’aime lorsque tu portes mon âme humaine, car je ne fais plus qu’un avec
toi. A cet instant, j’atteins le repos total.

⎯ La paix, le repos. Mon esprit se vide dans cet instant.


⎯ Ça va mieux, mon chéri ?
⎯ J’ai toujours été bien avec toi. Bon, maintenant, si nous allions
rejoindre Noèse et Steve. Je suis tellement heureux pour eux. Si nous
avons à nous quatre pleins d’enfants, nous pourrons bientôt monter une
école ! J’adore Noèse, mais j’apprécie beaucoup Steve car, en plus
d’aimer les enfants, il est parfaitement équilibré et il partage nos idées
comme si tu les lui avais soufflées. J’aurais bien voulu connaître ses
parents, ce devait être des êtres exceptionnels. Enfin, je ne regrette pas
d’avoir passé ce week-end ensemble, ça nous change de notre Savoie.
Seulement, j’ai hâte de retrouver nos enfants.

300
Tu as oublié un passé sans intérêt et moi aussi, je vais en faire
autant, c’est fou ce qu’on peut faire en 48 Heures...

⎯ C’est pénard un Week-end comme ça !


⎯ Et si au lieu d’un Week-end tranquille, nous changions le Monde
en 48 Heures ?

Les mots de la Fin


Enfin libre de mon corps et de mon passé, je vais rejoindre mon
époux pour l’éternité.

⎯ Gary, éteins ta lumière, j’ai eu la journée la plus chargée de ma


vie, mais je suis heureuse, Steve a eu le plus beau des anniversaires. Je
n’ai plus de force, je suis vidée. En as-tu un peu à me donner ?
⎯ Oh ! ma chérie, je suis prêt à te donner ma vie pour que tu sois
toujours emplie d’Amour, de force et de beauté. Viens te serrer contre
moi, que ma conscience et la tienne se confondent.

Dans ses bras, je suis une lumière capable de rayonner l’Amour


et la joie sur toute la Terre, je me noie dans son esprit.

Tout contre moi, je la sens si fragile que je me dois de lui vouer


toute mon attention. Je suis l’exécutant de ses désirs et de ses pensées.
Pour elle, je transformerais ce monde si elle le désire.

⎯ Je suis heureuse que Steve ait apprécié cette soirée, il était si


heureux avec sa flûte, j’espère qu’il saura en jouer un jour devant ses
enfants.
⎯ Pourquoi dis-tu ça, Marie ?
⎯ Parce que je sais qu’il aura un jour au moins deux enfants et que
sa femme sera fière de l’entendre jouer.
⎯ Notre fils sera ce qu’il veut être lorsqu’il sera grand, médecin ou
musicien, ce qu’il veut, j’en serai heureux.
⎯ Laissons-le vivre sa vie, il a l’âge de raison après tout !
⎯ Tu as raison. Je ne me mettrai plus jamais devant lui, le rôle d’un
père est de montrer à son enfant le chemin de la liberté.
⎯ Tu as gagné aujourd’hui tes galons de Père, je suis fière de toi. Et
demain tu me montreras tes galons de pilote d’avion ; est-ce que tu veux

301
bien m’emmener avec toi pour le premier vol de ton prototype
mystérieux ?
⎯ Je n’ose y croire, Marie, vraiment tu veux venir avec moi pour le
premier Vol ?
⎯ J’en meurs d’envie !
⎯ Alors, madame la copilote, accrochez votre ceinture et bonne nuit.

***

J’ai embrassé Steve alors qu’il dormait encore, il avait un sourire


plus large encore que lorsqu’il est éveillé. Je l’ai caressé. Oh, Grand
Dieu, combien j’aurais voulu rester avec lui plus longtemps, mais ça
m’est impossible, il faut le laisser libre de vivre son avenir avec la
femme de sa vie. Moi, j’ai la chance de finir ma vie ici pour l’homme
que j’aime.
Ma vie sur Terre a été et ne sera de tout temps que sacrifice. Pourquoi
me dira-t-on !
Au-delà de Marie, la femme de Gary, je suis bien plus encore, je suis la
femme de chacun sur terre. Ma mission : faire reprendre vie à tous ceux
qui se sont endormis et qui m’ont oubliée. Je suis Conscience, pour
chacun, Amour pour ceux qui me désirent, Feux pour ceux qui me
haïssent.
Pour Gary, je suis sa femme, sa conscience, son alter ego. Mais cette
planète n’est pas mon monde, je suis trop différente pour être le fruit de
cette terre. J’ai, de naissance, le mal du pays, la souffrance de ce monde
trop imparfait pour être vraiment réel. Je n’ai jamais trouvé le plaisir ici,
mais les joies des Hommes m’ont donné le courage de vivre jusqu’à ce
jour. Je ne suis pas de ce monde, c’est pour cela que ma vie n’est que
sacrifice ici-bas, car, par nature, j’ai toujours vécu dans un autre
domaine, celui de la VERITE, le Monde REEL.
Je quitte mon fils, mais je le sais dans de bonnes mains car j’ai croisé
Noèse, sa véritable pensée, son avenir et je lui ai demandé de prendre
soin de Steve. Ce que je ne dis pas, aux autres, c’est mon vrai nom. En
fait, je ne m’appelle pas Marie, mais CLARA, la reine de la lumière,
l’étoile qui brille dans le cœur de chacun.

⎯ A quoi penses-tu Marie, tu as l’air rêveuse ?


⎯ Oh ! je pense à tout ce que je laisse derrière moi ; mon fils, cette
terre, ma maison, ma famille.
⎯ Mais ce n’est pas la fin du monde aujourd’hui, je te fais faire un

302
petit tour avec mon nouvel engin et l'on rentre. Tiens, regarde, nos amis
sont déjà prêts, ils ont sorti l’avion.
⎯ Mais ce n’est pas un avion Gary !
⎯ C’est un avion-fusée, les moteurs sont une innovation de ma
conception. Il n’a jamais volé, ses moteurs n’ont jamais été testés.
⎯ Et tu penses qu’on ne risque rien dedans ?
⎯ Je n’ai jamais dit ça, j’ai juste voulu te faire comprendre que pour
moi, c’est sans importance de connaître mon avenir sur cette planète.
⎯ Je n’ai pas peur de monter dans ta fusée, j’ai comme toi, nul
besoin de connaître l’avenir.
⎯ Allez, descendons de la voiture, nous sommes arrivés à
destination, c’est la fin de notre voyage.
⎯ C’est la fin pour nous tous, présente-moi à tes équipiers.
⎯ Hi friends! I present you Marie, you will be my co-pilot.
Everything’s ready?
⎯ No, Gary, we didn’t take the picture. So, get in front of the plane
with Marie. You’re sitting for the posterity! Your son will be proud of
you when he’ll introduce you to his wife and his friends!
⎯ Well, OK. Come Marie.
⎯ I’m sure that Steve will hang it above the fireplace. So, let’s go!
⎯ Don’t move, and… click!
⎯ You can make heat the turbine, Gary your spaceship is waiting for
you.
⎯ Come Marie, we’re embarking.
⎯ I follow you!

La porte à peine franchie, mes pieds foulent un autre monde !

Où sommes-nous, Marie ? je ne comprends plus rien ! il y a


trente secondes nous étions avec nos amis, et maintenant autour de nous,
plus de son, plus d’image. Comprends-tu ? il n’y a que toi que je puisse
voir.

Gary, n’as-tu pas remarqué que nous communiquions par la


pensée !

C’est vrai, mais c’est tellement naturel pour moi dans cet endroit.

Mais sais-tu où nous sommes ?

303
Oui, Clara, comme je connais ton nom, je sais où nous sommes.

Comment, Gary, tu sais ce qu’il se passe, explique-moi ?

Clara, depuis le premier jour où nous nous sommes rencontrés au


salon Aéronautique du Bourget, en France, j’ai compris que nous avions
une mission à accomplir ensemble. Cette mission était inscrite en mon
être depuis ma naissance. J’en étais véritablement conscient, malgré la
nature de ma famille, totalement aux antipodes de ma vie.
Si j’avais pu aller droit au but, je l’aurais fait, mais ça m’était interdit,
car je devais tout d’abord me vider de tout le passé familial, me purger
de ma vie terrestre et trouver l’Amour au-delà de mon intérêt personnel.
Lorsque tu m’as embrassé pour la première fois, tu m’as transmis ton
fluide, celui du changement. Ton baiser a été un feu puissant, je ne sais
pas si tu t’en es rendue compte ? nos destins s’étaient liés.
Ton baiser m’a rendu amnésique, me faisant oublier instantanément ma
mission. Pourquoi ? L’explication est très simple, je devais refaire pour
mes ancêtres le chemin total de retour et repartir du bas, de l’état le plus
brut de l’humanité. C’est dès ce baiser que je suis devenu une brute,
c’était là, ma mission. Montrer aux hommes qu’un brut peut se
transformer, se relier au Bien, et découvrir, à travers la matière, que la
nature humaine est si difforme qu’elle ne peut pas être réelle.
Durant ma vie, j’ai été la brute tandis que toi, tu rayonnais la lumière
dans ma conscience obscurcie, tu m’as montré le chemin que je ne
voyais plus.
J’ai souffert, ma vie durant, de n’être qu’un pauvre type. Tu me traînais
vers ta lumière tandis que je te frappais et te haïssais. Mais tu as tenu
bon, même jusqu’à la limite de notre vie. Jusqu’à ce que je découvre la
vérité.
Je suis fils de la lumière, je ne peux résister car elle vient aujourd’hui
reprendre le fruit de son œuvre.
Il faut me pardonner, Clara, de toute la souffrance que j’ai pu t’infliger.
Tu es une enfant de la lumière, j’étais perdu, tu m’as repêché à l’aide de
Steve. J’en suis reconnaissant à vous deux.
Le plus grand mystère est, qu’en secret, j’ai créé cet engin, pour que le
moment venu, nous puissions retourner dans le monde qui nous attend et
qui nous a toujours appelés, malgré notre oubli. Cette machine n’en n’est
pas une, mais c’est pour nous une porte vers notre véritable monde ; mon
cœur l’avait découvert et je n’en savais rien !

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Clara, donne-moi la main, je vais te faire pénétrer dans l’espace qui est
notre monde, situé à travers la Terre, il traverse l’espace et continu au-
delà. J’ai découvert, en fabriquant le vaisseau, qu’il pouvait nous
emmener bien au-delà de nos limites.
N’hésite plus, Clara, donne-moi la main, je suis ton guide pour ce
nouveau monde.

Il y a peu, j’étais ta lumière, ton guide, mais dans cet instant tu


me dépasses et prends les rênes !

Je reprends la place que je n’aurais jamais dû quitter, avec ma


famille. Cette escapade est le remède pour soigner le monde entier, nous
avons été modèles pour les autres.

Gary, mon époux, mon guide, je te donne ma main, fais-moi faire


mes premiers pas dans ton monde.

Non, Clara, notre Monde, LE MONDE.

Toi et moi sur Terre sommes deux, séparés par nos corps. Mais
sens et vois, joins tes lèvres aux miennes.

Je t’embrasse et mon corps se transforme. Mes mains s’unissent aux


tiennes et les chairs se lient. Mon bassin se fond dans le tien, mes
organes se mélangent avec ceux de ton corps, maintenant, ils ne sont
plus qu’un. A présent, je suis féminine et masculine. Ma poitrine respire
ton air et mon cou se lie au tien.

Mon cœur bas entre tes poumons.

Il ne reste qu’une chose qui nous sépare.

Clara, je ne suis qu’un avec toi et ma tête se fond dans ton esprit
et j’expire mon dernier souffle d’homme.

J’aime la Vie. Aime la Vie.

Je suis Lumière, je suis fils et fille de la Vie, mon corps est


l’univers. J’ai été prisonnier d’un corps d’Homme, mais c’est néanmoins
par lui que je me libère. Paix aux hommes qui me libèrent car je leur

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rends aussi la liberté ; et tout comme mon être, ils seront des feux de Vie
dans leur monde.

"Lumière de votre Âme, je rayonne à chaque instant de votre vie, je suis


la pensée nouvelle de la Vie, d’un monde que vous avez oublié.
Retrouvez-moi au fond de votre cœur, car je suis le commencement, la
vie et la fin de toute chose ; entendez-moi, je ne vous laisserez jamais en
paix !"

***

⎯ Il me vient une idée bizarre, Aqualuce, penses-tu vraiment que


l’on puisse changer une vie comme ça aujourd’hui, en 48 HEURES ?
⎯ Certainement, 48 HEURES suffisent pour donner aux hommes du
troisième Millénaire une Nouvelle conscience…
Drôle de question, allez, Jacques, bois ton café, il va refroidir.

***

⎯ J’entends frapper à la porte, Steve, tu peux aller voir ?


⎯ T’as l’ouïe fine Noèse, je n’avais pas entendu.
⎯ Je t’accompagne Steve.
⎯ Comme tu veux, Jacques.

Cette grosse porte en chêne me fait toujours penser à celle d’un


château de conte de fées.

Mais qui est cette femme avec ses cheveux bruns et courts, ne
l’aurais-je pas déjà vue ailleurs, elle semble avoir dans les vingt-huit
ans ?

⎯ Bonjours, qu’est-ce qu’on peut faire pour vous ?

Elle me regarde avec des yeux qui implorent de l’aide, pourtant


son regard exprime une connaissance et une conscience qui
n’appartiennent à aucun être ordinaire. Qui peut-elle bien être, que
vient-elle faire ici ?

⎯ Je ne sais pas pourquoi mes pas m’ont guidé jusque chez vous,
mais je devais venir, je cherche mon chemin, perdue dans cette

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campagne et dans cette vie, je ne sais plus où aller ou plutôt, c’est ici que
je vais.
⎯ Mais qui êtes-vous ?
⎯ Mon nom ne vous dira rien, je veux juste connaître la direction
pour continuer à vivre.
⎯ Mais où habitez-vous ?
⎯ Nulle part, car je n’ai pas de passé et ma route s’arrête là.

C’est pas vrai, Steve ne va pas s’en sortir, je dois appeler


Aqualuce.

⎯ Ma chérie, tu peux venir en aide à cette personne ?

Comment est-ce possible, elle, devant moi ?


Nos mondes se croisent et l’incroyable devient réalité. Par quel miracle ?

Tu verses tes rares larmes devant moi alors que jamais tu ne le


fais. Ton cœur résonne avec le mien, car ils ne sont qu’un. Tu es
l’élément Actif de la Vie, alors que je suis celui qui Comprend. Que
d’espaces traversés par nous deux pour nous réunir, enfin, et cette fois
agir pour construire.
Construire un homme, une âme, un Monde, un Univers, cela a toujours
été notre tâche depuis que nous sommes nées

⎯ Bonjour, que puis-je pour toi ?


⎯ Je suis rassurée, enfin je te retrouve, je te cherche depuis le 11
septembre 2001. tu te souviens de moi ?
⎯ Clara ?
⎯ Oui, Aqualuce, cette femme sans passé sur Terre, tu sais, Clara, ce
prénom qui rime avec Lumière, conscience, celle qui se sacrifie pour
tous, jusqu’à en être muette et passe derrière l’humanité sans se faire
remarquer alors qu’elle est le futur de la Vie.
L’Etoile du Matin, celle qui se lève et ne se couche jamais. Clara,
Ta sœur…

Eric Vatin
Le 21 octobre 2004

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Cet ouvrage a été imprimé par
COPIE-MEDIA
33693 MERIGANC
En decembre 2009
Pour le compte des EDTIONS DU FUTUR ©

N° d’édition : EF2009/02

Dépôt légal : Décembre 2009

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