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JP 1975 COUR SUPERIEURE CANADA . PROVINCE DE QUEBEC DISTRICT DE MONTREAL No: 500-36-007881-157 DATE: 23 septembre 2016 SOUS LA PRESIDENCE DE L'HONORABLE DANIEL W. PAYETTE, J.C.S. Ronald Audette Appelant ° Directeur des poursuites criminelles et pénales Intimé JUGEMENT' 1. Vapercu [1] Le 8 décembre 2009, M. Ronald Audette recoit un constat d’infraction dans lequel le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) lui reproche d'avoir été le conducteur d'un véhicule routier qui, face a un feu rouge, a poursuivi sa route plutét coctroyé un délai aux parties pour soumettre leurs représentations sur les frais. Lors de audition du pourvoi, le Tribunal a cassé séance tenant le verdict de culpabilité de 'appelant fet 'a acquitté en indiquant que les motifs du jugement seraient déposés ultérieurement. Le Tribunal a 500-36-007881-157 PAGE : 2 que d'immobiliser son véhicule. Cependant, lors de I'infraction, ce n'est pas Audette* qui Conduit le véhicule, mais sa conjointe. [2] __En premiere instance, Audette plaide que ce fait suffit pour qu'il soit acquitté de finfraction telle que libellée. La juge de paix magistrat Johanne White, rejette sa position parce que, dit-elle, le renvoi a l'article 592.1 du Code de la sécurité routiére (C.S.R.) contenu au constat diinfraction, complate la description de celle-ci®. Or, cet article vise le propriétaire du véhicule plutdt que son conducteur. [3] _ Elle ne tient pas compte non plus, de la déclaration signée par la conjointe dAudette, dans laquelle celle-ci confirme qu'elle conduisait bel et bien le véhicule identifié au constat lors de la commission de I'infraction, parce que : * Audette lui-méme ne I'a pas signée; * Sa conjointe 'a signée au mauvais endroit; et * la preuve ne permet pas de savoir si Audette |'a postée dans le délai prévu a la loi. [4] _Enfin, elle rejette l'argument d’Audette voulant qu'il soit contraire a la Charte canadienne des droits et des libertés et a la Charte des droits et libertés de la personne de le déclarer coupable d'une infraction commise par un tiers utilisant son véhicule alors méme que ce tiers admet sa culpabilité a infraction reprochée. [5] Elle le déclare donc coupable de «infraction ». Il en appelle de cette condamnation et soutient que la juge a erré en rejetant ses trois moyens. [6] Le Tribunal conclut qu'il y a lieu d’accueillir 'appel et d'acquitter 'appelant parce que le DPCP est lié par la description de l'infraction quil choisit, qu'il ne peut la modifier par un simple renvoi législatif et que la preuve démontre que l'appelant n’a pas commis infraction qui lui est reprochée. [7] __ Dans les circonstances, il ne s'avére pas pertinent d’examiner les autres motifs d'appel. 2. Le contexte [8] _ Le 29 novembre 2009, un systéme photographique de contréle de la circulation capte image d'un véhicule qui appartient a l'appelant alors que son conducteur ne simmobilise pas face un feu rouge, mais poursuit plutdt sa route. Le 8 décembre suivant, la conjointe de l'appelant regoit copie d'un constat d'infraction émis le 3 décembre a intention de celui-ci. ® Lutilisation des seuls noms de famille dans le présent jugement a pour but dalléger le texte et 'on voudra bien n'y voir aucune discourtoisie & 'égard des personnes concernées. Transcription du 12 mars, p. 112-113. “id. p. 113-116. 500-36-007881-157 PAGE :3 [9] __ Le texte du constat, signé par un procureur aux poursuites criminelles et pénales du DPCP, identifie 'appelant comme défendeur. II se lit comme suit : J'ai des motifs raisonnables de croire que le défendeur a commis linfraction suivante, le ou vers le 2009-11-29 a 17:20 a Montréal, a l'ntersection de la rue Notre-Dame Quest et de la rue University : conducteur d'un véhicule routier faisant face a un feu rouge, a poursuivi sa route avant qu’un signal ui permette d'avancer. Code de la sécurité routiére (LR.Q., c. C-24.2), articles (s) 359, 359.3, 509 et 592.1 L'amende minimale est de 100 $° [10] Le 18 décembre, fappelant remplit une déclaration du conducteur ou sa conjointe confirme avoir été la conductrice du véhicule identifié au constat lors de la commission de l'infraction. Toutefois, elle la signe a l'endroit prévu a cette fin pour le propriétaire du véhicule. L’appelant ne la signe tout implement pas®. Le méme jour il la place, ainsi qu'un coupon-réponse oi il plaide non coupable, dans une boite de courrier interne de son bureau pour qu'elle soit postée au Bureau des infractions et des amendes (BIA). [11] Le 27 janvier 2010, le BIA informe lappelant quill ne considére pas la déclaration du conducteur parce qu'il 'a regu tardivement. [12] Laudience se déroule les 12 et 18 mars 2015. Le DPCP y dépose : le constat d'infraction; le rapport d'infraction générale; la preuve de propriété du véhicule; un accusé de réception du 8 décembre 2009 émanant de Poste Canada; et un formulaire de déclaration du conducteur en blanc’. [13] I déclare ensuite sa preuve close. [14] _ L’appelant témoigne en défense. II explique que c'est sa conjointe qui conduit le véhicule concerné au moment de l'infraction. La poursuite I'admet d'ailleurs de fagon explicite®. [15] Il confirme que c'est lui qui remplit la déclaration qui identifie sa conjointe comme conductrice, mais qu'il a oublié de la signer lui-méme. Transcription du 12 mars 2015, p. 14. 500-36-007881-157 PAGE: 4 [16] Une fois la preuve close de part et dautre, les parties plaident sur les deux premiers moyens de l'appelant soit que la preuve démontre sans ambiguité qu'il n'a pas commis linfraction décrite au constat dinfraction et que de toute fagon, sa conjointe sien étant déclarée coupable, il ne saurait I’6tre lui-méme. [17] La juge rejette ces arguments dans un court jugement rendu séance tenante. Elle entend ensuite les parties sur la question constitutionnelle et rend un jugement écrit sur cette question le 30 octobre 2015%. Elle y rejette ses moyens d'inconstitutionnalité et le déclare « coupable de l'infraction » 3. L'analyse : Ie libellé de l'infraction [18] Le libellé de infraction que la poursuite reproche a l'appelant ne porte pas a interprétation. II lui impute la conduite d'un véhicule routier et la poursuite de sa route alors qu'il faisait face a un feu rouge, avant qu'un signal ne lui permette d'avancer. L’énoneé s'avére clair et sans ambiguité. II vise la personne qui effectue les manceuvres prohibées qui y sont décrites, [19] A cet égard, la juge erre lorsqu'elle écrit que « [l]e 29 novembre 2009, le véhicule du défendeur ne s'est pas immobilisé alors qu'il faisait face a un feu rouge, contrevenant ainsi a l'article 359 C.S.R.'° », puisque I'infraction ne vise pas le véhicule lui-méme, mais son conducteur. Cette erreur est significative, car la juge ne considére pas un des éléments essentiels de infraction décrite a l'article 359 C.S.R. ce qui lamenera ensuite a l'amalgamer a celle décrite a l'article 592.1 C.S.R. [20] Cela dit, l'article 151 du Code de procédure pénale (C.P.P.) précise qu'une infraction peut étre décrite dans les termes mémes de la disposition légisiative qui la crée ou dans des termes analogues. Il poursuit en édictant que la description peut étre complétée par un renvoi a cette disposition, mais ajoute que lorsque le renvoi ne concorde pas avec la description, c'est celle-ci qui détermine la nature de linfraction. Aussi, l'article 150 C.P.P. énonce que le constat d'infraction peut comporter plusieurs infractions, mais ajoute que chacune doit étre décrite dans un chef d'accusation distinct. [21] Quen esti en respece? [22] _ Tant le constat d'infraction que le rapport d'infraction général référent & l'article 359 C.S.R., qui se lisait comme suit, au 29 novembre 2009 369: A moins d'une signalisation contraire, face @ un feu rouge, le conducteur d'un véhicule routier ou d'une bicyclette doit immobiliser son véhicule avant le passage pour piétons ou Ia ligne darrét ou, sill n'y en a pas, avant la ligne latérale de la chaussée quil s'appréte a croiser. Il ne peut poursuivre sa route que lorsqu'un signal lui permettant d'avancer apparait. ° Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Audette, 2015 QCCQ 11412. Id, par. 1 500-36-007881-157 PAGE: 5 [23] _ Le libellé du constat d'infraction reprend les termes essentiels de cet article que le renvoi permet de compléter. [24] Le constat renvoie ensuite a l'article 359.3 C.S.R. sous le titre « Signaux de circulation », et qui référe a l'arrét au feu rouge. Cet article s'inscrit dans le prolongement de l'article 359 qui vise le conducteur du véhicule. [25] De méme, le constat renvoie a article 509C.S.R. qui crée une infraction notamment pour les gestes décrits a l'article 359 C.S.R. et en établit la peine. [26] Par ailleurs, le constat renvoie aussi a article 592.1 C.S.R. Or, cet article vise une autre situation que celle envisagée par larticle 359 C.S.R. Il prévoit que le propriétaire d'un véhicule routier peut étre déclaré coupable de toute infraction au C.S.R., notamment, commise avec son véhicule. Cet article et ceux qui suivent 6tablissent un régime de preuve particulier et des moyens de défense limités pour le propriétaire, particuliérement si ’infraction est constatée par une photographie prise au moyen d'un cinémométre photographique ou d'un systéme photographique de contréle de circulation aux feux rouges. De surcroit, il emporte des conséquences distinctes pour accus€ s'il est trouvé coupable. [27] Ainsi, Varticle 592.1 C.S.R. ne vise pas la méme situation que l'article 359 C.S.R. Alors que pour obtenir une condamnation dans ce dernier cas, la poursuite doit établir que le défendeur Iui-méme conduisait le véhicule et qu'il a poursuivi sa route sans svarréter face a un feu rouge, l'identité du conducteur ne constitue pas un élément constitutit de infraction sous le premier. La poursuite doit plutdt prouver lidentité du propriétaire du véhicule. Le renvoi a cet article ne concorde donc pas a la description de Finfraction, [28] La poursuite allégue quil serait « incohérent » pour elle de siastreindre a identifier le conducteur du véhicule visé alors qu'elle peut se contenter d’en identifier le propriétaire. Sans doute est-ce vrai, mais c’est le choix qu'elle a exercé en 'espéce. [29] Déja dans R. c. Saunders, la Cour supréme écrit qu'il existe un principe fondamental en droit criminel que infraction, précisée dans l'acte d'accusation, doit étre prouvée"". (Notre soulignement). Dans ce cas, la poursuite avait décidé d'accuser différentes personnes de complot pour I'importation d'un stupéfiant, « a savoir de la diacétylmorphine (héroine) ». Or, la preuve démontrait que la drogue en question consistait plutét en de la cocaine. La Cour conclut qu'en choisissant de préciser le type de drogue visé dans l'acte d'accusation, la poursuite était obligée d’en faire la preuve. Permettre au ministére public de faire la preuve d'une autre infraction ayant des caractéristiques différentes reviendrait a miner la raison pour laquelle des détails sont apportés, clest-a-dire permettre a laccusé [...] détre raisonnablement " [1990] 1 R.C.S. 1020. 500-36-007881-157 PAGE:6 | informé de l'infraction qu’on lui impute pour lui donner ainsi la possibilité d'une défense complate et d'un proces équitable. (Référence omise) [30] Plus tard, dans R. c. Daoust, la Cour supréme réitére que la poursuite ale choix | de préciser de facon différente I'accusation qu'elle dépose ou de la décrire de fagon_ | générale, mais elle demeure liée par ce choix’. Elle réaffirme ce principe dans R.c. GR." [31] En lespéce, la poursuite a spécifiquement choisi de poursuivre l'appelant pour avoir été le conducteur du véhicule et pour s’étre Iui-méme livré a des manceuvres prohibées par l'article 359 C.S.R. Elle aurait pu choisir de le poursuivre a titre de propriétaire du véhicule, mais ce n'est pas ainsi qu'elle a décidé de rédiger le constat d'infraction. Elle ne peut modifier la description de l’infraction par un renvoi a un article qui ne vise plus le conducteur, mais plutét le propriétaire du véhicule et qui prévoit des régles de preuve et des moyens de défense différents. Un tel agissement s'avére non seulement contraire a larticle 151 C.P.P., mais aux principes d’équité procédurale eux-mémes. Avec respect, il ne s'agit pas d'une simple question de procédure. [82] Ainsi, la juge commet une erreur de droit en trouvant 'appelant coupable d'une infraction différente de celle décrite au constat d'infraction. Comme il n'a pas commis les gestes qui lui sont reprochés au constat et que ceux-ci ne permettent pas de le trouver coupable d'une infraction a l'article 592.1 C.S.R., l'appel doit étre accueill. 4. Les frais [33] _ L'appelant demande que le DPCP soit condamné aux frais fixés par réglement pour la premiere instance et l'appel, Il se fonde sur deux décisions de la Cour d'appel, soit Terrasses St-Sulpice inc. c. R.'* et Cameron c. Stornoway (Municipalité de)'°. Le DPCP rétorque quill n’a pas a assumer les frais parce que = nonobstant la décision du Tribunal, il « reste d'opinion (...) que le jugement rendu en premiére instance est raisonnable et bien orienté en droit et en fait »; + les faits en l'espace différent de ceux qui prévalaient dans Cameron; = il'a.agi de bonne foi et a adopté un comportement approprié durant instance; + sa décision de déposer des accusations « ne devrait pas étre inhibée par la possibilité d’étre condamné aux frais, sauf dans des cas exceptionnels et en cas d'inconduite; et [2004] 1 R.C.S. 217, par. 19; voir aussi Québec (Sous-ministre du Revenu) ¢. Marois, 2008 Aces 49. ‘3 [2005] 2 R.C.S. 371, par. 4. 1 [1992] R.v.0. 585 (C.A) 2013 QCCA 881 500-36-007881-157 PAGE :7 + il serait injuste de Iul imposer le fardeau d'assumer des frais de transcriptions exigés par les Régles de pratique de la Cour supérieure « lorsquiil est trainé en appel »"®. [34] Le DPCP a tort. [35] _D’abord, le jugement du Tribunal suffit 4 répondre a l'argument que le jugement de premiére instance s'avére bien fondé. [36] Ensuite, dans Cameron, la Cour d'appel étabiit le principe qu’en ce qui a trait aux frais en appel, le poursuivant et 'accusé sont sur un méme pied d’égalité. Elle rejette sans détour la proposition que le poursuivant ne peut se voir condamner aux frais de Vappel qu'en cas de poursuite abusive ou manifestement mal fondée. Elle ajoute que conelure autrement dissuaderait les accusés injustement poursuivis de se prévaloir de leur droit d'appel en leur indiquant qu‘ls ne feront que s'exposer a des frais additionnels sans pouvoir eux-mémes en obtenir sills ont gain de cause'’. » (Notre emphase). Sa conclusion ne s'avére pas dépendante du contexte. [87] Ainsi, les régles habituelles en matigre de frais s‘appliquent que l'appel soit accueilli ou rejeté"®. [38] De plus, la Cour y traite de la crainte du DPCP de se sentir « inhibé » dans sa décision de déposer des accusations par la possibilité d’avoir & acquitter les frais s'il a tort. Elle écrit que l'application des régles usuelles en la matiére incite les autorités investies du pouvoir de poursuite 4 exercer leur discrétion et 4 consentir au besoin plutét que de contester automatiquement tout appel d'une personne accusée". || ‘semble inutile d'ajouter a ce propos. [39] _Enfin, le Tribunal peine a voir I'injustice dont souffrirait le DPCP parce quill doit lorsqu'll échoue en appel, les mémes frais que l'accusé dans le méme cas, d’en appeler du jugement cassé. [40] Ilya donc lieu d'accorder les frais a 'appelant. Lettre du 20 septembre 2016, déposée au dossier. Cameron c. Stornoway (Municipalité de), 2013 QCCA 881, par. 62. Id., par. 59. "id. par. 62. 500-36-007881-157 PAGE: 8 POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL : [41] ACCUEILLE l'appel; [42] _ INFIRME le jugement d'instance; [43] CASSE le verdict de culpabilité; [44] ACQUITTE le défendeur; [45] AVEC FRAIS contre le Directeur des poursuites criminelles et pénales””. DANIEL W, PAY, es Me Charles Daviault Gowling WLG (Canada) S.E.N.C.RLL. ‘Avocat de 'appelant Me Marie-Eve Fréchette-Royer Directeur des poursuites criminelles et pénales Procureure de lintimé Date d'audience: 8 septembre 2016 ® Cameron c. Stomoway (Municipalté de), 2013 QCCA 881,

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