Naccache
Qu‘as-tu fait
de ta jeunesse ?
suivide
Récits de prison
La répression de 1968
C'est donc la repression, une répression générale contre tout
‘ee qui bouge dans Ia jeunesse, d’une ampleur et surtout dune
ferocité que nous n’avions pas imaginées. I yout plusieurs cen-
taines dinterpllations, plus de deux cents arestations, des inter-
rogatoires de personnes qui n’avaient que dos lies de parenté,
«amitié ou seulement de proximité avec les militants orgaisés
Pendant des semaines, les policiersallaient et venaient, entaient
dans les maisons, posant des questions, fouillant,terorisant les
familles. Les jeunes organisés dans les différentes structures
contestatrices, le GEAST, le Baath ou le PC furentsystématique-
‘ment torturés: ce fut pour nous tne brusque confrontation avec
les aspects les plus bestiaux de la police, Ia vue du visage each
du régime et, avec la rencontre des suspocts de droit eommun des
_pobles, la découverte de la hanalisation do cos pratiques barbares,
Ce qui fiappe d’abord, c'est la failité avee laquelle on pent
enlever des étres humains, leur appiquer les pices sévices, les en=
fermer comme des animaux, sans qu'il se produise rien, sans que
le ciel tombe sur nos ttes ou pire encore, Il fandeait pouvoir dire
Je sentiment ’incrédulité qu’on a au début (ea encore na peu,
pour ma part, malgré tout ce que ’ai pu apprendre du nombre de
‘massaeres récents) devant les énormes droits que certains s'arro-
gent parfois de restreindre impungment la liber ou la séeurité
tres humains.
Pour notre part, nous avions alerté Popinion intemationale
avant Ia répression, elle était certainement et réguliérement
informée, et nous, coupés de tout, nous espérions en vain que laoe (QU'AS-TUFAITDE TA JEUNESSE?
‘mobilisation qu'on supposait forte feraitreculer le pouvoir; et
nous avions méme l'impression qu'il se produisait le contaire,
‘que tout ce qui pouvat se dire dans Te monde contre Ia répres-
sion ne faisat qu’agaraver la fureur de nos bourreaux. Bt c'est
cette impuissance qu’on ressent alors, cette incapacité de déci-
der de son sor, sauf peut-ére un peu en essayant de limite les
‘dézits dans les interrogatoires, d’en dire le moins possible, bref
de résister un tant soit peu, ce qui n’était guére evident en face
de policiers qui connaissaient chaque jour plus de détails. Ces
‘méthodes, accompagnant la guerre que le régime ne cessera de
ener jusque dans les années 80 contre les étudiants contesta-
‘aires, et d'une fagon plus générale, les jeunes, ne feront que
s'ageraver au fil des ans, arbtraire plus eynique, tortures plus
‘poussées, Rien d'étonnant d ce que beaucoup danciens détenus
Soient volontiers militants dans la lutte pour les droits de la per-
sonne ou en faveur de I'amélioration du régime pénitentiaire,
est presque un réflexe pour eux,
En méme temps que notre groupe avait done été démantelé
un groupe baathiste, relativement important ; une poignée de
‘gens qui avaient voulu reconstiouer une cellule du. PC interdit
avaient été arrétés, en méme temps que quelques étudiants com-
munistes et un de leurs dirigeants, le militant de longue date
‘Abdelhamid Ben Mustapha, cui était réguligrement interrogé
parla police chaque répressfon Il faut noter que ees étudiants
Giaient tous impliqués directement dans agitation universi-
{aire et travaillaient dans le cadre du comité érudiant pour fa li-
bération de Ben Jennet, était le cas notamment de Salah
Zehidi, Belgacem Chabbi et Sahbi Denguizli; mais que la
grande majorté des communistes, opposés& Ja radicalisation du
‘mouvement, ne seont pas inquiétés, L/attentisme d’alors du PC,
son sefus enter en confrontation avec Bourguiba et Ben Salah,
cconsidérés comme progressistes, s’expliquent par leur volonté
infléchir la politique du pouvoir de V'intérieur, en collaborent
aver Iui dans le cadre de ses « orientations Economiques pro-
ressistes ». La priorté différente assignée par les militants au
1, Jean-Paul Chabery, qi cnt en France eu moment des aresaton, fait
event en Tunisie; te ortr, sera jgé aves nous
LAREPRESSION DE 1968, *
progrés économique ou 4 Ia démocratc entrainera, dans la d&-
cennie 70, aprés la chute de Ben Salah, une scission au PC.
Apis les interrogatores et le passage devant un juge d'ins-
truction gui nous écaute pour la forme, notantplacidemet les
protestations contre la tortare, nous sommes fous ramenés ala
prison de Tunis, certains en isolement, d'autres ensemble, puis,
aumols de juillet, en attendant le procés, nous aurons I'oozasion
de vivre avee tous les détenus non baathises au pavilon D,
nous avons anpelé « Cité Losi», en raison notamment de at
mosphére détendue qui régoait entre nous: nos rapport av
certains détenvs d'autres mouvemeats ont cimenté une amitié et
une esime réciproques, qui ont souvent survéeu a bien des
Aépreuves, des affrontoments d'idées qu'on aurait pu crite dé-
finitf. Entre-temps, nous avons appes qu'une Cour de sireté
de Btat a eré$e comprenant deux députés (done foreément
‘deux destouriens) parmi ses cing membres, et dont le président,
Ali Cheri avait présie le tribunal militaie qu avait condarane
les conjurés de 1972 ; tout cela ne lassit guere de doute sur la
‘olonté de nous ifliger des peines sévEres, Bt on nous fit tous
Aéfler & nouveau chez, le méme juge d'instruction, quia &1é
nommé dans Ia méme fonction & cette nouvelle juridction
‘Avant lo procs est publié wa livee Blane par le PSD : ils ont
eu vraiment peut, pusqu’ls font de nous une sorte atm qui
avait 'objectf de prendre le pouvoi, tis parent de 'atile 72
du code pénal, coh qui prévoit a pene de mort! Puis, le 16 sep-
tombe, le procéseut liu dans la salle des pas perdis du palais
de justice, aménagée pour a circonsiance, bourrée de fics; y
‘en avait ass tout autou, dans les eoulois, es étage au-desss,
en dessous, cette concentration était ftappante, Nos avocats
s"Staent en majorté déeonstiués pour protester contr les pres-
sions exereées sur eux et avaient fat commetre doffce leurs
1. Nous avis pps que Bouguis, qui al en voyage en Bape fn
qui pend ema 6 angi, sat re mpressonne ever ure
‘Evolution Conse ceaias respoaablas tunisia, Tahar Beles ene a
imal qu'il y avait doses eve nous ees mouvement « sbveris»
Face ln ttse dy complotemational dev paser sur ated posvon100 ‘QU'AS-TU FAIT DE TA JEUNESSE ?
stagiaires ou des proches dont is suivaient les travaux, Apres les
deux premiéres séances, on apprit que le procés des baathistes
tat disjoint, on ne les verra plus qu’au printemps prochain ; on
nnows isola de nouveau en prison et on nous incerroga séparément.
‘Nous avions préparé notre défense, rédigé un mémoire que, en
dépit de Ia foulle& la sortie dela prison, plusieurs d’entre nous
parvincent & donner au président de la cour; i les accgpta sans
Teur manifester le moindre intérét. Nos attitudes ne furent pas
les mémes et il se trouva que, sans nous consulte, nous avions
46 complémentaires : certains refusaient de parler pour protes-
fer contre le manquement au principe de proeédure contradic-
toire, Vimpossiblité Passister a Pinterrogatoire des autres ;
autres, dont moi qui, ayant noté Ia présence «observateurs
rangers! (je déposais en francais), repondirent aux questions,
<éveloppérent fa défense démoeratique, parlérent des tortures,
insistérent sur leurs droits constitutionnels et accusérent le pou
Voir d'avoir fabriqué le procés pour empécher les citoyens de
sexprimer, de die leurs sentiments sur la politique décidée d’en
haut sans leur consentement. On nous racontera plus tard que Ia
plupart avaient &t ts diges, y compris certains qui avaient
‘uitté le groupe avant le provés, comme Mohamed Charf,et que
les « dégonflés » avaient été fort peu nombreux.
ILy a des plaidoiries davocats qui sont dos perles, dans te
genre « Monsieur le Président, j'ai lu hier aprés-midi tout Marx,
Lenine et Trotski ; c'est 2éro point, vous navez rien & craindze
des accusés qui se éclament deux ! », mais ily a également des
‘ayocats qui plaident intelligemment, selon le code et arguent des
Aroits démocratiques. Tout cela n’aura aucun effet, les cqndam-
nations tombent, elles seront séveres, de seize a deux ans fermes
‘pour la majorité, A ceux qui ont plus ou moins désavoué fa ligne
du groupe, nous disons : « Ce n’état pas la peine, vous n'avez
‘gue deux ans, mais nous, qui avons beaucoup plus, sortirons avec
vous dans deux ans !»»
1, Notanment un vocat annie alle noRensve, aves perague se
latte et son impassibilt, qu représentit Amnesty Internationale, en
‘a, comprenstparaitement abe, pour avoir longlemps exec en Faypl,
LARAPRESSION DE 1968 tot
En prison
Je ne m’attarderai pas sur ce séjour en prison, d'abord dans
ds cellules individueles a la PCT, puis rassemblés avant le
procés a « Cité Loisirs», puis, une Semaine apres les condam-
nations, soit le délai pour déposer un pourvoi en cassation, Ie
‘transfert 4 Borj Roum! : accueil en fanfare, avee réception bru
tale pour nous mater, descente a la cave, tonte des cheveux,
puis, au bout dune semaine, remontée a la surface premigre
_sréve de la faim le 15 octobre, que beaucoup n'avaient pass
vie, donnant a l’administrtion impression qu'il y avait une
bréche dans nos rangs, puis morcellement en groupes de deux.
‘pour ceux qu'on vonsidérait comme dirigeants (les hut Is plas
Iourdement condamnés), en chambrées d'une dizaine pour les
‘auites, puis le trés long séjour de fin septembre 1968 & mai
1969, sans cigarettes, saus communication avec l'extérieur,
‘sans visits, ni cols, ni lettres, avec les pressions pour nous
faire signer des demandes de grdce au président de In Répu-
blique, aver les diffcles contacts entre nous; les gréves de la
faim que nous ferons @ nouveau ensemble, le regroupement
avec les baathistes, condamnés en fvrier 1969, I"Geroulement
1, Tasted § or Roum: Nouredine Khadet, raha Raza, Aziz
XKrichn, Ahmed Bea Othman, Rachid Helllouna, Tahar Bebasie, Moaned
Mabou emo, les plas loorementcondarnés, ions aries eseble
‘Un scind cone comprensit Lanne Zeolh, Mamoud ben Mame,
‘idha Saou, Mong Mild, Mohamed Char, Khemais Chama, Jean Pal
haber, HafedhSettom, Mohamed Aisa, Tied Fell, Heshm Troi, Me
sme Masso, Mocet Zahid Ahmed Soi, Habib acu, Hsea Dom
‘Bu Mostapha Zin, pour le GEAST ou ses proses; Salah Zghid,
‘Begncer Chai, Sab Denguial, Abdelbamid het Mustapha, pour le Pac
‘onmunise; Malunoud hill un eoffour du quarter Bub Sous 4 Tus, gus
‘vat é eo URSS dans les années 20 et qe out le monde dans Son quate
‘ppl « Mersin cause doses dacoure mans, Mebane Aged 1
Asfour» 4 cane des chansons Gqypicnnes ql adorait chante, Bassam
‘Bis, Jourhi, qui vein! toute avec d'aues, de econstiner use celled
Part communist inte, cone avis des anciens dirgeats,
‘Abewabub Mojdoub et HE Slama, rests 4 iafirmere dela pon de
“Tunis, nous ejoignent at Bog a ois javier 1969, lsu de leu de
smandes insist,102 (QU'AS-TU FATT DE TA JEUNESSE?
de beaucoup d’entre eux! ; le nouveau regroupement partic,
pis la sorte de Ia plupart entre nous le 17 janvier 1970, notre
séjour ensemble, nous sommes huit « rescépés », jusgu'au 20
‘mars, la sorte,
‘Les conditions étaient plut6t dures, aprés notre transfert a Bor}
Roumi, jusgu'en 1970, mais nous nous y somimes faits, Nous
restions & T'affit des moindres rumours, les sens en éveil, es-
sayant de glaner des informations (e, su dbut, des mégots de ci.
‘atettes),atentifs tout, architecture de la prison, la disposition
des chambrées, des locaux administatif, les brits des voitures
celluaires qui vont et viennent, c'est 'heure de la soupe, ou bien
‘ly ades visites (celles-ci ont liew l'autre prison, Nadhour, dis-
‘ante de celle-ci de 500 m et comme Bor} Roumi, ancienne ca.
Seme de Varmée frangaise}, les conversations entre gardens,
entre détenus qui viennent au séchoir, tout prés de « chez nous »,
Ja vie des droits-communs, dont nous epprenons que leurs
conditions ne sont pas meilleures qu’a la prison de Tunis ob
elles étaient loin dre bonnes : surpopulation, mnisére, promis-
cuité, poussigre tenace de I’alfa des scourtins? et des sacs qu’ils
‘ravaillent, discipline étouffante, arbitrate des gardiens ct des ca-
Pporaux (chefs de chambrée, de centrale ou responsables de tra-
‘Yat nommés par administration parmi les tens).
"Nous avons surtout mis profit le temps dont novs disposions
‘Uprofusion pour lire, énormément et dans tous les domaine, étu-
ier, poursuivre nos discussions, souvent non sans peine, di fait
des difiealtés de communications’, tout en approfondissant nos,
choix théorique, rédiger divers textes d’importance varie, dont
certains ont été publiés& Paris sous forme de brochures, aural &
1, Fao de compte, seulement hult~sur une entaine~de ceux gui ent
su Hor tinent bon: Mescoud Chai, Neb Chai, Rached Chabli, Al.
lah Day, Abdali Rous, Ammar Jelou, Moka Abtoou, Mota
Salt Fl,
2-Les coun soa de grins panier en aifa dans lesulson mete ob
‘ves por es presser avec et methades tudiionneles
3. I lat summonses ffs de ate Fatoanement en cham dis-
ines, Mais xs ificlfs cae! un aut pour In onsen des abate
tou ze des les insignias, eat et et uta fb conser. a sn