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Mina MARTENS ‘André VANRIE Michel de WAHA SAINT MICHEL et sa symbolique Ouvrage publié par la Ville de Bruxelles dans le cadre de son millénaire, occasion de l'exposition "Saint Michel et sa symbolique”” Mlustré de 32 planches en couleur et 64 planches en noir et blanc, hors texte ~ ‘ops ieht hy Mina Martens, André Vanrie, Michel de Waha and | sitions d°.Art Lucien De Meyer, Brussels. oute ceprodtuction d'un extrait quelconque de ce live par elj procédé que ce soit et notamment par photocopie ou lt est stictement interdite sans lautorisation éerite des urs et éditeur Editions @°Art Lai 100072 ~ ISBN 2-8016-0029-6. . De Meyer SAINT MICHEL ET SA SYMBOLIQUE “grande peur en Occident”. Reste aussi "heritage de la masse des croyances superstiticuses. Celui des forces obscures motivées par les menaces contre la santé corporelle, A la base de pélerinages de guérison. Leur impact vient encore d’étre mis en lumiére, lors du XXIXéme congrés de la Fédération historique du Sud-Ouest en 1977, par M. J.-C. Drouin dans les dioeéses de Bordeaux et de Bazas; encore au XIXéme siécle s'y pratiquaient des guérisons miraculcuses accom- plies en passant les malades dans une veyrine ou trou situé der- rigre le choeur de certaines églises Saint-Michel. Cet exemple illustre le foisonnement d’indications de tout ordre, qu’au travers «une bibliographie régionale ou internationale, on retrouverait édlairant les courants d’opinions de populations livrées encore & des explications obscurantistes et sevrées de tout bien-étre social privilégié. A cété des formules exorcisant les maladies accidentelles, il en est d'autres liges au tréfonds de la mémoire des générations, qui s’ancrent sur les phénoménes cosmiques. La féte de la saint Michel — 29 septembre qui s’est en fait internationalisé — séparait deux saisons et marquait Ia fin de Teé. L¥quinose dautonme a détermin€ tes regles de la vie monastique des le Viéme sidcle; il a été 'amorce de constata- tions climatologiques dérivant de cérémonies folkloriques notam: ment lors de la rentrée des cens et des grains, Et ce ne sont li que ’évocation de quelques points particuliers, dont tant d’autres re A long examen. Les auteurs espérent que cet ouvrage, publié & l'occasion d'une exposition sur la sym- bolique de saint Michel, soit le prologue 4 une meilieure curio sité de amateur vis-i-vis des problémes tant textuels qu’icono- sgraphiques du culte michaélien. L’ANGE A LA BALANCE, par André Vanrie U. personage aussi complexe dans sa symbolique que lar change Michel demande étre situé le plus complétement possible hon seulement par rapport a notre religion chrétienne occiden: tale, mais aussi dans sa naissance au Proche-Orient & une époque oi toutes les idées s'y rencontraient, et dans son évolution au sein des grands empires d’Orient et d’Occident. Ce premier chapitre se propose donc de partir de la Bible, de suivre les apocryphes et les pseudépigraphes, de rappeler les croyances des religions plus anciennes, et d’aboutir par l'intermédiaire de la patristique sur les formes actuelles de la symbolique de Michel. Le lecteur verra dans quelle mesure nous limiterons les développements de cette symbolique 4 un aspect “spirituel”, les autres chapitres traitant plus spécialement du monde physique. La Bible (1) (TaNak en hébreu) se compose de trois parties distinctes : ~ la Loi ou Pentateuque (Torah pour les Juifs) (2); — les Prophetes (Nebi’ im) (3), parmi lesquels les visionnaires Ezéchiel et Habacuc, dont nous aurons a reparler; — les Ecrits ou Hagiographes (Kethoubim) (4), avec les Psau- mes, les Proverbes, Job, I’Ecclésiaste, Esther, Danicl, etc. Le texte de cette Bible hébraique fut définitivement fixé au synode de Yebnah (5) entre 90 et 100 de notre ére; I’église chrétienne adopta en plus un certain nombre de passages en grec non admis par les Juifs : les Deutérocanoniques (6). La colonic juive d’Alexandrie est responsable de la traduction en grec, dite SAINT MICHEL ET SA SYMBOLIQUE les 70, qui date d’avant 117. Ce texte fut rectifié et collationné iu cours des He, He et IVe siécles. La version latine, dont les dorigines sont obscures, fut revisée par saint Jérome entre 386 et 190; de Li sort la Vulgate. I n’est pas indifférent de voir que les textes canoniques n’ont pas une origine simple et non discutée, mais qu'ils sont une lente mise au point (7). Les_sculs passages relatifs 4 Michel dans I’Ancien Testamen se trouvent dans Daniel, texte 4 reporter a la captivité de Baby- Ione (8). Les deux derniers chapitres constituent une vision dans Ie genre d’Ezéchiel (9). Voici comment ils commencent (X, 5-6) “Je levai les yeux et regardai : voici un homme vétu de lin, les reins ceints d’une ceinture d’or d’Ouphaz. Son corps était comme de chrysolithe, son visage comme aspect de 'éclair, ses yeux comme des lampes de feu, ses bras et ses jambes comme l’appa- rence de Pairain poli, et le bruit de ses paroles comme le bruit d’une multitude”. Nous verrons plus loin pourquoi cette citation in extenso d'un passage ne décrit pas Michel lui-méme, mais un messager de Dieu, Ce messager dit & Daniel (X, 13) : “Le chef du royaume de Perse s'est élevé contre moi pendant vingt-et-un jours, et voici Micaél, un des premiers chefs, est venu a mon aide ct je l'ai laissé 1a, auprés des rois de Perse”. Il poursuit en disant (X, 20-21) qu’aprés la révélation, il retournera combattre les an- ges des chefs de Perse et de Gréce. “Mais je te révélerai ce qui est inscrit dans le livre de vérité. Personne ne me rend fort contre ment ceux, sinon Micaél, votre chef”. Suit ’histoire du Proche-Orient jusqu’a Antiochus IV Epiphane. Le messager dit alors (XII, 1-2) : [7 “En ce tempsla se lvera Micaél, le grand chef, celui qui se tient auprés des enfants de ton peuple. Ce sera un temps de détresse qui ne s'est pas produit depuis qu'il existe un peuple jusqu’s ce tempsci. Dans ce temps-la, ton peuple échappera, tous ceux qui seront trouvés inscrits dans le livre. Beaucoup de ceux qui dorment dans la terre de la poussiére se réveilleront : ceux-ci pour la vie éternelle, ceuxla pour Vhorreur éternelle” (10) Liallusion aux tentatives d’hellénisation d’Antiochus IV Epi phane et a la révolte des Maccabées au Ile siécle avant notre ére est donc bien claire (11). Mais qu’est-ce que ce grand chef Micaél qui est & la téte des Juifs ? On savait déja que le peuple d’Israél 10 \ f LANGE ALA BALANCE avait Dieu comme protecteur, ou plutét lange de Yahweh, son représentant. Daniel est le premier 4 nous apprendre que cet ange se nomme Micaél. C'est donc un précurseur de ceux que Vangélologie chrétienne considérera comme les anges des nations ou des cités (12); les Péres de I’Eglise et les théologiens scolas ques seront d’accord pour affirmer que chaque nation est gardée par un ange particulier, similitude avec la notion d’ange gardien. Liange gardien n'enléve pas le libre arbitre aux individus, mais il est tout de méme spécialement chargé par Dieu de lui faire rap- Port sur individu en question. Ainsi en va-t.il des anges des na- tions; leur combat se situe au niveau de la discussion. Nous verrons plus loin, en parlant de la religion musulmane, que I'ls lam, de méme que le christianisme, ne considére pas Michel comme opposé a Gabriel (13) ainsi que la pensée juive a pu le faire. Relevons enfin que le dernier passage de Daniel que nous avons cité est déja un premier lien entre Michel et la résurrection des morts. Contentons-nous pour le moment de ce premier ap- port biblique, qu’on peut placer aux environs de 160 avant Jésus-Christ (14). Passons au Nouveau Testament. Michel n’apparait dans aucun d quatre évangiles, tous-éeritssdansla seconde moitié du Ter ) sidcle. Il est cité dans I(Epitre de Jude (9) : “L’archange Michel / quand il discutait avec le diable et lui disputait le corps de Moise n’osa pas proférer de jugement calomnieux, il dit seulement \\ que te tance le Seigneur !”, N’oublions pas que Jude est le frére de Jacques le Mineur qui est le chef des chrétiens de Jérusalem aprés la mort du Christ et reste fort attaché 4 la loi mosaique et redoute la dialectique de saint Paul (15). Jude s‘inspire d’apo- cryphes et particuliérement ici fait allusion 4 l’Assomption de Moise (16), livre que prénait la résistance passive. Il n’empéche qu’on voit dans ce passage, datable de 70 de notre ére, Michel 4 nouveau en rapport avec la mort et opposé au diabl Le texte qui a le plus marqué liconographie michaélienne est cependant I’Apocalypse de Jean, écrite avant son évangile, au milieu des persécutions du demier quart du Ier siécle (17). Crest un écrit d'une pensée intemporelle, bien au-dessus de la division qu’on peut remarquer entre les autres apatres, et destiné n | SAINT MICHEL ET SA SYMBOLIQUE 4 des gens épris d’absolu. Dans le prologue, le messager que voit Jean dans sa vision (I, 13-15) est “une sorte de fils d’homme, revétu jusqu’aux pieds, ceint la hauteur de la poitrine d'une ceinture d'or, sa téte et ses cheveux blancs comme: une laine blanche comme ncige, ses yeux comme une flamme de feu. ses pieds pareils a du bronze-de-Liban comme en fournaise ardente, sa voix comme la voix des grosses eaux”. On est frappé de la ressemblance avec le messager de Daniel. Aprés les lettres aux communautés d’Asie et la vision cosmique, les sceaux de I’his- toire s’ouvrent et les trompettes sonnent; se déroule alors 'his- toire des guerres de Michel contre Satan, de la Femme contre le Diable (18) et des hommes contre les bétes, avant d’arriver 4 la fin des civilisations et 4 V'instauration de l'intemporel. Voici le texte relatif 4 Michel; aprés que la femme e@t enfanté d’un fils male enlevé vers Dieu et qu’elle se fut enfuie au désert, “ca a été une guerre dans le ciel. Michel et ses anges ont fait la guerre au dragon et le dragon et ses anges ont fait la guerre et n’ont pas été les plus forts, et on n’a plus trouvé leur lieu dans le ciel Ia été jeté le grand dragon, l'antique serpent (19) qu’on appelle le diable et le Satan, lui qui égare tout le séjour, il a été jeté sur la terre et ses anges ont été jetés avec lui”. Ge qui se dégage clai- rement de ceci, c'est que Michel est la téte des bons anges et quill expulse du ciel celui qui égare et ses séides, c.d.d. le prin- cipe du mal. L’Apocalypse de Jean est une révélation et une prophétie, et peut done souffrir plusieurs interprétations (20). Sa canonici- té est admise en Occident, alors que des doutes se perpétuent en Orient jusqu’au moyen age (21). En 1546, le concile de Trente reconnait le texte comme canonique, confirmé par Vatican [ en 1870. Les théologiens, du moyen Age a nos jours, y ont vu une explication allégorique des luttes de I’église et de ses persécutions sur terre jusqu’a la fin du monde, en l’appliquant ou ne lappli- quant pas des événements particuliers; ainsi, Ticonius, saint Augustin, Joachim de Flore et Nicolas de Lyre (22). La Réforme sten emparera dans des vues de Pape-Antéchrist. Comme nous le verrons, V'iconographie chrétienne reprendra les termes de V’Apocalypse soit au pied de la lettre (Torcello, manuscrit de 12 LANGE ALA BALANCE V’Apocalypse de Tréves) soit sous la forme plus simple de la chute des anges rebelles (Giordano) (23). ‘Avant de passer a d'autres considérations, nous voudrions encore citer deux passages de saint Paul qui peuvent étre intéres- sants en ce qui conceme Michel. D’abord, son Epitre aux Ephé- siens (VI, 11-12), écrite en prison : “Revétez l'armure de Dieu pour pouvoirtenir debout contre les méthodes du diable; car pour nous la lutte n’est pas contre le sang et la chair, mais contre les principautés, contre les pouvoirs, contre les cosmocrates (24) de ce monde de ténébres, et contre les esprits mauvais qui sont dans les ciewx”. Le terme “cosmocrates” est un apax dans l’oe1 wee de saint Paul et doit se comprendre comme un des esprits qui gouvernent univers, esprit mauvais s’entend. L’autre passage est de sa premiére épitre aux Thessaloniciens (IV, 16) od il dit & propos des morts qu’l ne falit pas étre triste comme ceux qui n’ont pas d’espérance “parce que le Seigneur lui-méme, au signal, 4 la voix de Varchange, au coup de trompette de Dieu, descendra du ciel, et les morts dans le Christ ressusciteront @abord”. Dans le premier passage apparait l'image de l’armure et de la lutte contre les esprits mauvais; dans le second, l’archange West pas nommé, mais est lié & la résurrection des morts. Mettons tout de suite une chose au point. Les éerits canoni- ques du Nouveau Testament ont connu dés le ler siécle de mul- tiples copies pour étre diffusés. On en fera des récueils au He siecle, puis de sérieuses recensions a partir du Ile siécle. Si on tient compte de toutes les traductions en syriaque, arabe, copte, etc., les points discutés ne sont pas nombreux et rarement im- portants (25). Nous avons maintenant le point de départ stir de ce qui concer- ne Michel. I nous faut maintenant voir comment cela a évolué dans le temps, gréce aux apocryphes, aux pseudépigraphes et aux interpétations patristiques. Les livres qui ne sont pas universellement recus par ’Eglise comme inspirés ont en effet le grand intérét d’avoir regu une au- dience plus large, ou plutét plus populaire que certains écrits canoniques et d’avoir déterminé ainsi une symbolique et partant, une iconographie plus simple. Ainsi, la Vita Adae et Evae (26), B SAINT MICHEL ET SA SYMBOLIQUE, qu’on peut placer entre le ler et le IVe siécle et dont plusieurs passages se rapprochent de "Apocalypse de Moise (27), met trés souvent en scéne l'archange Michel, non seulement dans son opposition & la superbe du diable (XIL-XVII), mais aussi en tant que messager de Dieu auprés d’Adam et Eve; il intervient encore dans le jugement qui chasse les Premiers Parents du paradis terrestre, ainsi que lors de leur mort. —~ Parmi les apocalypses juives, le (Livre dEnoch) éthiopien (28), qui est une compilation de sources juives~di Ter siécle avant Jésus-Christ, accrédite lopinion selon laquelle la chute des anges serait la suite de leur union avec les filles des hommes; avec les autres archanges, Michel est chargé d’y mettre bon ordre. Dans Vénumération des fonctions et des noms des sept archanges, Michel y est considéré (XX, 5-6) comme celui qui est placé au- dessus de la meilleure partie de Vhumanité et au-dessus du chaos. Un peu plus loin (XL), Michel est une des quatre présences qui se tiennent aux quatre cétés de Dicu; il est le miséricordieux ct Vindulgent. I est aussi avec Gabriel, Raphaél et Phanuel "ange. de la punition dans la vallée du jugement (LIV, 6). Le Livre Enoch we doit pas ére confondu avec le Livre des secrets dEnock on slavon (29), dont le texte prinssif fut composé en Egypte dans la premiére moitié du ler siécic par un juif hellé- niste et qui contient le récit du voyage d’Enoch a travers les sept cieux; les armées des grands archanges sont au septime cil, et Gabriel et Michel interviennent dans 1a présentation Enoch a Dieu. Michel est qualifié d’archistratége (XXII 6 et XXXIILLO)~ ~— Apocalypse de Baruch (30) est une autre apocalypse juive du ler siécle, dont original hébreu est perdu, mais conservée en grec et syriaque. Ici aussi c'est un voyage 4 travers les cieux. Mi- chel, celui qui commande aux anges, vient ouvrir a Baruch et 4 son guide la porte du cinguiéme ciel, celui des anges; c'est lui, qui présente les mérites des hommes a Dieu. ~ Nous né pouvons citer ici toutes les apocalypses juives ou chré- tiennes. Disons seulement un mot de l’Apocalypse de Moise (31), qui_est_un récit du Ve siécle environ‘reprenant la vie et la mort d’Adam et Eve. L’archange Michel a l'ordre de conduire Adam 4 LANGE A LA BALANCE au Se ciel aprés sa_mort, Quand Eve meurt six jours plus tard, cest Michel qui prend soin de sa sépulture et enscigne 4 Seth la maniére d’ensevelir. Les autres apocalypses (32) en grec, copte, arabe, syriaque ne nous apprendront pas grand-chose de plus sur Varchange Michel. La plupart d’entre elles, jusqu’au Vile siécle, nous rediront la venue de I’Antéchrist et du jugement demier. Un seul détail intéressant, dans I'Apocalypse_de Pay! (peu aprés $95) (33) 02 l'on voit que, lorsque les ames ont, fait pénitence dans I’Achéron, l'archange Michel les introduit dans la ville de Diew of se trouvent les justes. Au travers de ces textes juifs et chrétiens, on voit se dégager de plus en plus nettement le caractére de Michel. D’ange d'Israél, il devient le premier des anges et leur général dans la lutte contre Satan; il représente donc le bien opposé au mal. D’autre part, est lui_qui intervient a la mort et lors du jugement. Enfin, il accomplit diverses missions oi il représente Dieu. Qu’est-ce donc qu'un ange ? L’Ancien comme le Nouveau Testa ment en parlent comme d’entités inférieures & Dieu et supéricures aux hommes. La question est restée longtemps controversée; chez les Juifs déja, les Saduccéens rejetaient leur existence, tandis que les Pharisiens l'admettaient (34). La Genése ne parle pas de leur création; la plupart des Peres grecs et latins optérent pour une exéation antéricure au monde actuel, sans accepter opinion d’Origéne (35) selon laquelle le monde actuel est la déchéance d’un monde antérieur. Le Livre d’Enoch a eu la une certaine influence puisqu’on retrouve encore sa théorie chez Clément d’Alexandrie (36). Finalement, en Occident, V’acception généra- le suit I'avis de saint Augustin (37) et de saint Grégoire le Grand (88) selon laquelle il y a eu création simultanée. L'absolue spiri- tualité de ces étres supérieurs n’est pas nettement affirmée par les Péres; chez les Grecs, 4 partir du IVe siécle, ils sont proclamés comme tels, mais on hésite encore sur leur nature d’esprits saisis- sables par I’esprit. Le Pseudo-Denis l’Aréopagyte (39) et Grégoire Je Grand sont pour une spiritualité absolue. Pour les autres, les anges sont corporels si on les compare Dieu, incorporels si on les compare aux hommes. Saint Augustin résout le probléme de leur connaissance de Dieu et du monde créé; dés linstant de leur 15 SAINT MICHEL ET SA SYMBOLIQUE création, les anges accédent au Verbe, le voient et s'y voient; ils se volent aussi en eux-mémes et voient le créé. Le Pseudo-Denis ajoute a cette connaissance une gradation en fonction de I'élé vation des anges dans la hiérarchie céleste et de leur rapproche- ment avec Dieu. Car finalement, ce qui nous intéresse, c’est la place de Michel parmi ces étres spirituels, qui tantét sont reconnus comme pow: vant commettre une faute — c'est opinion d’Origéne, de saint Basile (40) ou de saint Ambroise (41) —, tantét sont considérés comme infaillibles aprés avoir adhéré 4 Dieu aprés la chute des anges rebelles, comme chez saint Augustin. La question de leur hiérarchie fut traitée par Clément d’Alexandrie (42) la fin du He siécle, dans son ouvrage Peri aggelén (43), et surtout dans le Peri tés ouranias ierarchias (44) du Pseudo-Denis ’Aréopa- gyte i la fin du Ve, début Vie sitcle. Saint Paul (Epitre aux Ephesiens I 21 et Epitre aux Colosséens I 16) permet d’arriver & sept ordres angéliques en y ajoutant les anges ct les archanges. Enoch y ajoute les séraphins — étres ailés de la vision d’lsaie — et les chérubins — porteurs du Tréne dans la vision d’Ezéchiel. y. Saint Augustin et Cyrille de Jérusalem ne voient pas en quoi ces |) eres spivitucls se distinguent. Mais ce dernier, de méme que saint | Jean Chrysostome (44), s’arréte & neuf ordres angéliques. Le Pseudo-Denis va donner une théorie compléte de la hiérarchie; le rang dépend de la science que les anges possédent et de Paction quills exercent, en une chaine qui va de Dieu a ’homme; il décrit neuf choeurs d’anges en trois hi¢rarchies = — Séraphins, Chérubins et Trénes; — Dominations, Vertus et Puissances; Principautés, Archanges et Anges. | Grégoire Je Grand les range dans un autre ordre d’aprés le ministére extérieur qu’ils exercent — Les Anges annoncent les minima; ~ Les Archanges annoncent les vere summas — Les Vertus accomplissent les miracles; —Les Puissances tiennent en respect les esprits pervers; — Les Principautés président aux bons anges; | — Les Dominations dominent les Principautés; EA LA BALANCE — Les TrOnes assistent aux jugements divins; — Les Chérubins contemplent de plus prés la clarté de Dieu; — Les Séraphins, plus proches encore de Dieu, sont un foyer amour. Suivant les théologiens qui en ont traité, ces neuf choeurs d’anges peuvent adopter un ordre différent. L’Aréopagyte a cependant eu, en Orient comme en Occident, une influence dé- terminante. Saint Thomas d’Aquin (45) rend le débat plus philo- sophique en voyant dans les trois hiérarchies celle qui saisit les lois divines, celle qui saisit les causes universelles créées et celle qui saisit les causes particuliéres. Pour lui, comme pour Duns Scot et Suarez (46), les mauvais anges sont ceux qui ont voulu arriver a la béatitude surnaturelle sans l'aide de la grice de Dieu. Tout ceci a pu avoir de influence sur V’iconographie de l'art chrétien et la place que Michel y a occupé. Car il est certain qu’au cours des premiers siécles, un culte des anges s’établit, contre lequel dut sévir au IVe siécle le concile de Laodicée (47). Saint Michel dut y avoir dés labord une place importante, puisque Théo- doret (48) mentionne plusieurs oratoires dédies & lui en Asie Mi- neure. On n’est pas loin de l’époque ott il s’établira solidement en Italié au Gargano (40), et de 1d dans toute I’Europe. Le moyen ge, avec un saint Bernard (50) prénant un rapprochement entre les hommes et les anges qui sont leurs guides — dans la tradition bénédictine d’ailleurs, of saint Michel tient une grande place — va perpétuer cette vénération jusqu’aux temps modernes. Cette gjlace & part de Michel avait en quelque sorte été sanctionnée {/ par le synode romain de 745 et le concile d’Aix-la-Chapelle de \\ 789 od il fut défendu de fabriquer des noms d’anges autres que ichel, Gabriel et Raphaél. De son cété, I’Eglise orthodoxe repre- nait aussi cet hommage aux anges, particuligrement a saint Michel, notamment dans le Guide de la peinture, L’Eloge des archanges Michel et Gabriel de Metrophanos de Smyrne, les oeuvres de Nicétas Acominate, et le Discours sur les neuf choeurs des anges et sur les saints Michel et Gabriel de Macaire Chrysokephalos (51). En Occident, la dévotion aux anges se popularise encore par Vaction des Jésuites, aprés avoir bénéficié du fameux Libre dels Angels du franciscain espagnol Ximenez (52), paru A Barcelone SAINT MICHEL ET SA SYMBOLIQUE en 1392 et traduit en frangais au XVe sidele. La Réforme et la Contre-Réforme ne sont certainement pas étrangéres a diverses représentations de Michel et de la chute des anges rebelles. Divers conciles se préoccuperont encore du culte des anges, parmi les quels celui de Fermo en 1726 qui défendait aux peintres de représenter les anges ailleurs qwau service de Dieu ou de la Vierge, ou bien dans des figures trop lascives ou impudiques. Pourquoi donc un archange, c.A-d. l'un des membres d'une des demiéres hiérarchies célestes, putil ainsi bénéficier au cours des sigcles d’une dévotion particuliére, de lieux de culte si nom breux, et d'une iconographie si riche ? La premiére raison é quill avait un nom qui le distinguait de la masse innombrable des autres anges, tout comme Satan; d’autre part, ill représentait face 4 ce dernier un principe satisfaisant pour ce dualisme que Vhumanité semble souvent rechercher; parla méme, il ouvre la porte A toute une symbolique ot I’élément le plus répandu sera Michel — représentant tous les autres anges restés fidéles 4 Dieu — luttant victorieusement contre le représentant des mauvais an- ges — le dragon. Il en découle évidemment le symbole de la Victoire tout court, celui dubien contre le mal, des bonnes actions contre les mauvaises (par conséquent la fonction de juge a la balance oi il s'oppose au diable qui veut faire pencher pour lui un des plateaux, et aussi Ia fonction d’accompagnateur des mes vers le ciel pour les protéger des démons qui tentent de les attirer en enfer), de la vie éternelle contre la mort éternelle, par- fois de la vie terrestre contre la mort (amulettes, formules d’exor- cisme). Le simple fait d’étre nommé lui donne ainsi droit a repré. senter toutes les hiérarchies célestes et a ét messager_de Dieu par excellence, son vicaire en quelques occa- sions; cela le rapproche singuliérement de Dieu et c’est pour cela qu'on voit ,tant de représentations divines accompagnées des archanges qu’on peut nommer : Michel et Gabriel, ce dernier seul nommé dans les évangiles; quant 4 Raphaél, il n’apparaissait que dans le deutérocanonique Livre de Tobit (53). Tl va de soi qu'une symbolique aussi générale, c.a.d. aussi lige 4 T'angoisse métaphysique ou au besoin de justice de l'homme, devait avoir des répondants plus antiques dans d’autres religions. 18 LANGE ALA BALANCE Ul n'est pas inutile de le rappeler ici briévement, parce que les images sont une expression des idées. Ces croyances antiques mériteraient un plus long développement que celui que nous lui réservons; notre propos n'est cependant pas de faire de l'histoire comparée des religions, mais d’évoquer certains rapprochement symboliques qu’on ne peut ignorer. En Egypte, dés le MMe millénaire on reconnait existence d'un “tribunal du grand dieu” et méme la notion d'un jugement général des péchés ct la rétribution des mérites par la survie, le tout tempéré par la théorie de la vertu profitable sur cette ter- re (54). Le chatiment est d’étre anéanti pour toujours dans la gueule de la grande mangeuse. La déesse Imentet, parfois sup- plantée par Nout et Hathor, accueille le soleil a Ia fin de la jour- née, et par analogie accucille le défunt. L’ncarnation du destin, Chai, accompagne le défunt jusqu’au tribunal d’Ositis oft on pro- céde a la pesée du coeur, c.i.d. de la conscience de l'homme, en mettant comme contrepoids sur l'autre plateau Maat, qui est non seulement la justice et la vérité, mais aussi ordre du monde, tout ce qui fait que la société marche bien. Iconographiquement, cette scéne est souvent représentée sur les sarcophages ou dans les li- wres des morts (55). Sumer (56), puis les Assyro-Babyloniens (57) ont connu sept Puissances maléfiques qui ont pris aspect du vent, et parmi les- quelles Namtar est une sorte de messager de la mort qui conduit les défunts devant la déesse du monde inféricur, Ereskigal (58). Tout le monde va aux enfers en traversant le fleuve infernal dans la barque du passeur et en passant sept murailles et sept portes. Malgré Vexistence d'un texte sumérien parlant des Anounna- ki (59), les sept juges du tribunal infernal, on ne peut conclure avec certitude en existence d’une doctrine d’un jugement post mortem. Nous savons déja quelle a été la position juive aprés Daniel. Au Vie siécle avant Jésus-Christ, bien auparavant, les anges (60) avaient commencé a développer une personnalité propre dans les livres d’Ezéchiel et Zacharie. Plus tt encore, au VIlle siécle, avec Amos et Isaic, s'était insinuée Vidée d’une vie posthume et peut-étre d'une résurrection. Au Ie siécle avant notre ére, 19 SAINT MICHEL ET SA SYMBOLIQUE Pange (en hébreu Maledk, qui peut signifier ambassadeur du prin- ce ou de Dieu, ce qui correspond d’ailleurs 31” “aggelos” grec) de Dieu par excellence devient Mikaél, en méme temps que se précisent les préoccupations de rétribution individuelle face aux destinées nationales. Ce souci de l'avenir national domine encore dans la littérature juive apocryphe avec lespoir d’un grand juge- ‘ment qui assurera au peuple d’lsraél la réalisation des promesses divines. Notons néanmoins que le [Ve livre d’Esdras (61) et 'Apo- calypse de Baruch (61) parlent d'un jugement individuel, “La Gréce “antique (63) connait des étres intermédiaires entre es hommes et les dieux; ce sont les héros fondateurs et protec teurs des cités, mais ils ne sont pas nécessairement guerriers. L'Hadés est le morne séjour des morts, un peu comme le Schéol des Juifs ou l'enfer des Assyro-Babyloniens. Hermés (64) joue le rdle de psychopompe ct convoie les morts. Ona cependant treS~ tot révé en Gréce d'une rémunération posthume des vertus et des fautes; n’est-ce-pas ce qui ressort dune représentation d’Hermés procédant a la pesée d’ames en présence d’Apollon (65) ? Au VIe siécle avant notre ére, avec Pythagore (66), l’ame devient un prin- cipe immortel d'origine astrale dont incarnation est une déché- ance; par des exercices spirituels, "Ame peut échapper au cycle des réincarnations. Cette doctrine eut une grande influence, principalement en Italie du Sud. L’orphisme (67) va venir encore renforcer lidée de jugement futur qui est bien attestée chez Pla ton (68) avec la magistrature souterraine des trois juges : Eaque, Rhadamante et Minos. Tl ne faudrait pas négliger les relations entre les croyances juives et Afrique. L%pisode de Moise conduisant les Hébreux 4 la Terre Promise remonte a l’an 1.300. Depuis lors, des colonies Juives subsistent en Egypte; leur présence dans les oasis du Saha- ra est également attestée fort t6t (69). Ia pu y avoir des rapports avec les anciens royaumes d’Ethiopie, de Méroé et d’Axum. L’Afrique noire, 3 Vinstar de Egypte, connait une sacralité du pouvoir (70); le chef de clan ou le souverain sont un intermédiaire entre les vivants et les morts. C'est le cas chez les Kuba du Congo, les Dogon, les Yoruba, les Ashanti. On peut parler en Afrique noire d’un “monothéisme diffus” avec des intermédiaires entre WANGE ALA BALANCE la divinité supréme et les hommes. De toute facon, la mort n'y est pas considérée comme une fin; il y a bel et bien croyance __n une vie au-dela de la tombe (71). L'tran est un pays particuliérement intéressant pour les pro blemes angélologiques et eschatologiques qui nou: intéressent (77). | Zarathustra, qui vit dans les premiers siécles du premier millé- naire avant notre ére, est le prophéte'd’Ahura Mazda, le seul digne d’adoration, le seul dieu éternel. A l’époque sassanide, il stidentifie avec Ormazd, esprit du bien; esprit du mal, Ahri- man, qui lui fait pendant, sera définitivement vaincu au bout de 12,000 ans. A ce moment, il y aura un renouvellement du mon- de, tous seront ressuscités et il y aura un jugement général. Mais ily a aussi un jugement particulier; & sa mort, le juste parvient 4 franchir le pont Kinvad (73), et d’un premier pas arrive dans les bonnes pensées, du deuxiéme pas dans les bonnes paroles, du troisiéme pas dans les bonnes actions, et du quatriéme pas, il entre dans les lumiéres infinies du paradis oi il est accueilli par les Amahraspands (74). Il s'agit li des six archanges zoroastriens qui forment le nombre 7 avec leur prince et principe, Ormazd. Lun de ces archanges tient compte des bonnes ai péchés des hommes. L’analogie avec les conceptions juive et chrétienne de l'apocalypse et du jugement — jugement demier ou individuel aprés a mort — est frappante. De méme, il y aun paralléle 4 faire 4 ’€poque peblevie entre la doctrine iranienne du jugement qui est prononcé par Mithra, Sraoka et Ra’nu — ce demier pesant les ames sur la balance — et les trois juges infer- aux que nous avons rencontré chez Platon. Soulignons ici le réle de Mithra (75), ancienne divinité de la religion védique oi il forme un couple avec Varupa. Si dans la religion zoroastrienne il n'a plus son importance précédente, il va subir un regain de popularité a la période hellénistique. Au vu de textes tardifs grecs et latins, nous savons que son culte s'est répandu dans l'empite romain, oi son eschatologie fait concur rence i la religion chrétienne. A la fin du monde, un taureau merveilleux apparaitra sur terre; Mithra viendra alors ressusciter es hommes; il séparera les bons et les mauvais. En sacrifice su- préme, le taureau sera immolé (76); les justes recevront alors ns et des: 2 SAINT MICHEL ET $A SYMBOLIQUE Vimmortalité et les méchants seront anéantis par le feu du ciel. On devine bien qu’a I’époque du Christ, le Proche-Orient était un liew privilégié od pouvaient se syncrétiser des croyances déji fort proches lune de l'autre. La religion chrétienne n’établira pas elle-méme immédiatement une notion nette du jugement individuel. Les textes canoniques et les Péres de l’Eglise le Iaissent logiquement supposer, mais ne ’affirment pas. Saint Athanase (77), dans sa Vie de saint Antoine, raconte une vision d’Antoine oi ce demier est emporté vers le ciel, mais intercepté par des démons qui veulent lui faire rendre ses comptes; Saint Cyrille d’Alexandrie évoque cette méme image populaire que nous rencontrerons dans Viconographie. Saint Augustin impose a l’Oc- cident la théorie du jugement immédiat et du jugement den tandis qu’une certaine confusion continue a régner dans l’église orientale jusqu’au XIfe sigcle, ce qui explique les représentations tardives du jugement dernier dans l'art byzantin. Saint Grégoire le Grand reprend la vieille image du pont et fait figurer le démon comme accusateur, exécuteur et contrdleur, ce que nous retrou- verons effectivement sur nombre de sculptures du moyen age. Crest Véga (78) qui avance opinion selon laquelle ’archange Michel procéde au jugement particulier, mais cette théorie trouve peu de partisans parmi les autres théologiens, bien que saint Michel soit considéré comme l’ange psychopompe par excellence. ‘Avec saint Thomas d’Aquin, on considére qu’au jugement demier, c'est le Christ dans son humanité qui est le juge, et dés lors, ses assesseurs doivent étre de méme nature; les anges ne seront donc que des témoins ou des préposés a la séparation. Enfin, le concile de_Lyon de 1274 précise_ce.qui-attend-homme-au_lendemain de'sa mort; le doute-n’est-plus-permis;-il-y-x bier jugement indi- viduel. Nous voudrions évoquer en dernier lieu la place de V’archange ‘hel dans I'Islam (79). Ici comme dans la religion chrétienne, est par les anges que s’accomplissent dans l'univers ordre et la finalité des choses. Ar-Ruh (V'esprit) est le plus haut placé et gouverne les sphéres célestes. Il insuffle son souffle dans les corps par V'intermédiaire d'Izrafil qui a le réle eschatologique dannoncer la fin du monde. Gabriel est dépositaire de la révé LANGE ALA BALANCE lation et gardien du paradis. Michel occupe la quatriéme place, celle de préposé a la subsistance pour le corps, & la Sagesse et 3 la connaissance pour lime. Enfin, "Izra’il est l'ange de la mort qui sépare les dimes du corps. Pour ce qui est du jugement, le Coran ne parle de rétribution qu’aprés la résurrection, saul pour les martyrs qui vont directement au paradis. Les mu’tazilites rationalistes du IXe sidcle ne voient que des images dans les vues ajoutées par les traditionnistes eee eee des anges et des prophétes, f@sée des mes sur une balance) ime assaillie par les démons pendant ecemmienée par l'ange “Wara’il. N'empéche que Vopinion des traditionnistes est plus proche du peuple que celle des mu’tazilites. Dans les diction naires arabes, Michel est qualifié de “min mithI ‘llah” qui corres- pond exactement i Phébreu “Mikha’el", Qui est comme Dieu ? Le Coran le cite une fois, dans la Sourate II 98 : “partout ott est un ennemi de Dieu, ou de ses apdtres, ou de Gabriel ow de Michel, en vérité Dieu est un ennemi des incroyants”. Les commentaires de Tabart (80) & ce sujet visent & montrer que les Juifs ont tort de voir un antagonisme quelconque entre Mi- chel et Gabriel. Michel apparait assez peu dans les Hadith (81); dans la tradition hanbalite (82), il pourrait étre considéré comme un protecteur de "humanité, parce qu'il n’a plus jamais souri depuis la création de lenfer. On le voit encore comme kardien de la mer dans le septiéme ciel (83). Nous croyons qu'il n’était pas inutile de situer le contexte abstrait d’aprés Iequel va évoluer et se répandre l'iconographie concréte de Varchange. On a pu se rendre compte que certaines visions angéliques ou eschatologiques remontent & une haute anti- quité et relevent de croyances diverses. Ces descriptions textuel- les devaient d’ailleurs aboutir 4 des représentations iconographi ques similaires. C’est certainement le cas en Egypte, avec la ba ontal avec deux plateaux lance posée sur le sol et son fléau hot légérement concaves, qu’on trouve sur des papyrus depuis la XVIlle dynastie (84) (papyrus du Louvre; Livre d’Ani au British Museum) jusqu’s I’époque ptolémaique (papyrus du Musée du Caire), ou dans des peintures comme celle de la tombe de Nefer- rompet a Thebes sous la XIXe dynastic (tombe n. 178 a Assas- 23 SAINT MICHEL ET SA SYMBOLIQUE sif Khokha). Il est peu douteux que des juifs des alentours de Vére chrétienne aient pu voir pareilles représentations; Vidée est retenue, car elle existait déja ailleurs, mais limage ne réappa- raitra que dans liconographie chrétienne. Les juifs ne représen- tent pas Dieu et les anges; tout au plus pourrait-on retrouver {Ie nom de Michel sur certaines de leurs amulettes magiques (85). (/Notons en passant l'existence d’amulettes chrétiennes ou gnosti- ques du Ille siécle trouvées & Cyzique et & Carthage, employées pour arréter les saignements de nex et oft apparaissent Jes noms et méme la représentation des archanges; des amulettes arabes conti- nueront encore & reprendre le nom de Michel (86). On en trouve également tardivement en Ethiopie, comme sur celle d?"Absara Dengel oi saint Michel est représenté avec son épée hors du fou- reau (fin XVIle siécle, elle était aussi destinée a protéger des maladies) Comment les anges, archanges et autres hiérarchies célestes sontelles représentées dans Vart chrétien ? En fait, l'ange ailé dérive de la Niké greeque (87). Ne fallait-il pas des ailes pour se déplacer dans l'espace subtil et aérien qui est univers des esprits que Dieu a mis entre nous et lui ? L'lslam suivra exemple avec par exemple les anges ou victoires ailées de la citadelle seldjou- cide de Konya (c. 1220), et les miniatures arabes représentant Parchange Gabriel. Nous avons vu ce que les textes apocryphes et les premiers Péres de I’Bglise disaient des anges. Rappelons que leur culte avait recu l’anathéme du canon 35 du concile de Laodicée en 363, mais que des sanctuaires leur étaient encore dédiés en Orient au Ve siécle, Michel lui-méme a son plus ancien sanctuaire en Phrygie, prés d'Hiérapolis, puis, dés le IVe siécle, prés de Constantinople; dans chacun des cas, il remplace un Dicu- médecin (88). En Occident, les fresques des catacombes ne contiennent aucune représentation d’ange pris isolément, et ils ne sont pas ailés avant le bas-empire. Parmi les higrarchies célestes, seules bénéficieront d’une ico- nographie (89) les Chérubins, les Séraphins, les archanges et les anges. Les autres ne sont connues que de nom ou représentées avec leur nom en un ange vétu 4l’antique ou comme diacre avec le sceptre et le globe. Seuls peut-étre les Trones sont-ils représen- 2 LANGE ALA BALANCE tés selon les visions d’Bzéchiel (1,15) et de Daniel (VIII, 9) com- me des roues enflammées et plus tard, sous l'influence du Pseudo- Denis l’Aréopagite, ailées dans divers manuscrits. A la coupole du baptistére de Saint-Mare & Venise, les Trénes sont simplement des anges avec un sceptre et une couronne. Les plus proches de Dieu, les Chérubins, sont décrits par Ezé- chiel (I, 10) comme ayant une forme humaine, mais ayant quatre faces et chaque face quatre ailes; “Quant la forme de leur face, c’était une face d*homme, puis une face de lion, sur la droite des quatre, puis une face de taureau, sur la gauche des quatre et une face d’aigle pour les quatre”. De 1a découlent vraisemblablement les entités apocalyptiques des quatre vivants, considérées comme les quatre évangélistes par les théologiens. Mais, 4 cdté de la représentation symbolique des évangélistes, qu'on voit apparaitre tét dans Vart, on voit les Chérubins de la vision d'Ezéchiel pour la premiére fois au Ve siécle en Cappadoce 4 Alahan Monastir (Koca Kalesi) (90). C'est ce qu’on appelle le tétramorphe, avec plusieurs paires d’ailes croisées et ornées d’yeux. Des mains dépassent des ailes et, quand il est gardien du paradis, le tétramorphe tient une épée de feu. En général, il re- pose sur des pieds humains, les jambes couvertes par les ailes inférieures; parfois, on voit le bas d’un chiton. Le Chérubin an- thropomorphe est une simplification du tétramorphe. C'est un étre a visage de Gorgone antique, vétu d’un chiton ct de ’hima- tion, nimbé, les mains en priére, avec six ailes, deux croisées au- dessus de la téte, deux plinant, et deux croisées en-dessous; il est complétement ocellé, méme sur le nimbe. L’exemple le plus ancien est a Santa-Maria Antiqua 4 Rome (705-707). L%volution va dans le sens de la diminution du nombre d'ailes et d’une téte plus normale sur un cou. S'l est gardien du paradis, le Chérubin tient une épée en main; s'il est gardien de Dieu, c’est une lance ow un baton, En général, il est représenté environné de flammes et sur une roue ou une paire de roues. Pour les Séraphins, il faut partir de la vision de Dieu par Isaie (VI, 2) : “Des séraphins se tenaient au-dessus de lui. Chacun avait six ailes, deux dont il couvrait sa face, deux dont il couvrait ses pieds et deux pour voler. Chacun clamait vers Pautre et disait : 25 SAINT MICHEL ET SA SYMBOLIQUE Saint, saint, saint est Tahvé des armées (91), sa gloire remplit toute la terre”. La représentation iconographique apparait avec une face humaine a Sainte-Sophie de Constantinople. La diffé- rence avec les Chérubins vient de la position des ailes (face inter- ne, face externe) et du fait qu’elles sont paralléles au lieu d’étre croisées. Mais de toute fagon, une mauvaise compréhension de la liturgie de saint Jean Chrysostome a fait que le mélange Séraphin- Chérubin est devenu général. Comme ce sera le cas pour les ar changes, on les voit porter le trisagion, les instruments de la Passion, etc. Un des aboutissements anthropomorphes est le Séraphin représenté comme un simple ange avec un sceptre dans la coupole de l'autel du baptistére de Saint-Mare a Venise. ‘A Byzance, Michel est appelé “ archén } megas, megas taxiarchés” et “archistratégos”. Le titre de “mégas” l'accom pagne quand il est représenté plus grand que les autres personna- ges qui lentourent. Mais il s'agit 1d d’éléments qui seront déve- loppés dans le chapitre suivant, notamment en ce qui conceme Vhabit impérial ou militaire de archange. La plus ancienne mention de Michel psychagogue connue remonte & 203. Dés avant le concile de Nicée, Mhistoire arabe de la vie de Joseph met Yen scéne Joseph demandant 4 Dieu que Michel vienne faire sortir |/son ame de son corps; ce qui est fait. Lidssomption de Moise (92), | qui date des premieres années avant Jésus-Christ, en parlait déj c'est done une croyance juive appliquée a saint Michel. Quant son réle de psychopompe, il est attesté fort tot dans les apocry- phes; le Me livre des oracles sybillins (93) attribue & Michel, Ga- briel, Raphael et Uriel la charge de conduire toutes les ames devant le tribunal de Dieu; au Vie siécle, d’aprés Grégoire de Tours (94), c'est Michel qui présente 4 Dieu I"ime de la Vierge Marie, De la 4 en faire un prév6t du paradis et celui qui préside au jugement individuel aprés la mort, il n’y a qu’un pas. ‘On sait que c’est le passage de I’Apocalypse de Jean qui fera le grand succés du Michel dragonochtone qui donnera lieu a une foule de thémes connexes, que ce soit celui qui tient la trompette de la résurrection des morts sur la fresque de Faras(95),celui qui enchaine les démons, ou le vainqueur quasi unique de Satan. Les thémes de Vapocalypse étant d'une grande complexité, il 26 LANGE ALA BALANCE est _nécessaire d’y montrer Ia place de Michel en reprenant trés briévement I’énumération du programme apocalyptique (96). Les messages aux sept églises d’Asie sont seulement repris dans des cycles trés détaillés, comme le manuscrit de l'apoca- Iypse de Tréves (97) ow la tapisserie d’Angers. Les sept églises sont suggérées par des arcades, des anges ou des évéques (98). La série des trois théophanies (99) comprend d’abord la vision du fils de l'homme entre sept candélabres avec sept étoiles, et une épée sortant de sa bouche. Cette vision tend & disparaitre das le XIle sidcle au profit de celle du Christ en majesté avec les 4 vivants (100) et les 24 vieillards. Les 4 vivants symbolisent selon saint Grégoire les attributs du Christ : Phomme dans sa naissance, le taureau dans sa mort, le lion dans sa résurrection ct V'aigle dans son ascension; cela fait bientét place a l’évangile sous ses quatre formes. Les 24 vieillards symbolisent les 24 livres de I’Ancien Testament, ou les 12 prophétes et les 12 apatres. On peut voir cette scene des le Ve siécle 4 Saint-Paul-hors-les-Murs & Rome, au Xle siécle 4 Nepi (Castel Sant’Elia), dans 'apocalypse de Bamberg et le Beatus de Gérone, puis & Moissac, Saint-Tro- phime d’Arles, Chartres et Saint-Jacques de Compostelle. La troi- sigme théophanie est la vision de l’agneau avec le Livre des sept, sceaux (101), qui se confond souvent dans l'iconographie avec la vision précédente od le Christ prenait d’ailleurs comme a Autun, Conques ou Beaulieu le type du Christ-Juge. Les cataclysmes se déroulent en trois séries de sept fléaux. La premigre série est Vouverture des sceaux avec ’apparition des quatre cavaliers : Je premier sur un cheval blanc (102), les autres chevauchant la guerre, Ia famine et la peste. Au cinquiéme sceau, apparaissent les martyrs qui recoivent une robe blanche sous Vautel; au moyen age, ils sont identifiés avec les saints Inno: cents (103). Suivent les scénes de la pluie d’étoiles et les anges retenant les quatre vents pendant que les élus sont marqués au front (104). Les sept sonneries de trompettes annoncent alors la seconde série de Méaux, parmi lesquels la femme qui enfante (Vierge-Eglise) (105) et le combat de saint Michel contre le dra gon. Cet épisode est représenté au Xle siécle dans le manuscrit de TApocalypse de Bamberg, la fresque de Saint-Pierreles 21 SAINT MICHEL ET SA SYMBOLIQUE Eglises (106); on le retrouve au Xlle sigcle dans la fresque de Saint-Savin (107), avec Varchange sur un cheval blanc au galop (108), 4 Saint Michel d’Entraigues et a Civate (109); au XIVe siécle, sur la tapisserie d’Angers et dans la Rose de la Sainte- Chapelle de Paris; enfin, chez Diirer et ses suivants. La derniére série des fléaux est 'effusion des sept coupes de la colére divine, avec notamment la chute de la Grande Prostituée (la Rome impériale) (110). Les vingt-et-un fléaux terminés, c'est le triomphe du Christ, avec sa chevauchée a la téte de lEglise, les rois de la terre donnés en pature aux oiseaux de proie, Satan enchainé dans le puits del'abime et Vapparition de la Jérusalem céleste (111). ‘Comme nous l’avons vu dans l’évolution de l'attitude de l’Egli- se vis-i-vis des textes, le theme de apocalypse n’apparait qu’au Ve siécle, comme une glorification du Christ sur le modale des apothéoses impériales. C'est ce qui fera le succés de la scéne du Christ entouré des 4 vivants et des 24 vieillards couronnés dont Papogée se situe au XIXIe siécles. L’art gothique, plus humanis- te et épris d’harmonie substituera le Christ évangélique au Christ apocalyptique (112). Mais les représentations de l'apocalypse reviendront toujours 4 Vhonneur lors des périodes de crise (113). II nous reste 4 examiner Viconographie du jugement demier. Nous avons déja exposé les théories de V'église quant au juge- ment individuel et au jugement dernier. Il y a peut-étre encore lieu de signaler des manuscrits grecs tardifs comme la descente de la Vierge Marie et de saint Paul en enfer (chaque fois, ils sont accueillis par Michel; saint Paul doit en outre traverser un pont étioit) ainsi que les textes occidentaux tardifs de Voragine, Dante et les mystéres (114), qui donnent surtout lieu 4 des représenta- tions effrayantes de l'enfer. Une chose mérite d’étre citée dans Viconographie occidentale comme orientale : le Jugement dernier est le seul théme chrétien qui se déroule en registres superposés. En Orient, plusieurs éléments iconographiques y interviennent : — La Deisis : le Christ entre la Vierge et saint Jean-Baptiste; La signification en est V'intercession. —V'Hétimasie, ca-d. la préparation du tréne du jugement (représenté vide, avec Ia croix et le livre) entre Michel et Ga- LANGE A LA BALANCE briel, avec Adam et Eve agenouillés, ~ La résurrection des morts. —La psychostasie par Michel (& noter qu’en Arménie, il transperce parfois de sa lance un diable et que Satan porte sur ses épaules le Péché incarné). — Le paradis terrestre, représenté par les trois patriarches, Abraham, Isaac ct Jacob, plus le bon larron et sa croix; le para dis est séparé de V'enfer par un torrent de feu. Le plus ancien exemple se trouve 4 San Angelo in Formis, prés de Naples (1075). Au début du XIle siécle, le cycle le plus complet se retrouve a Torcello. Les fresques de San Angelo in Formis sont imitées a la chapelle palatine de Palerme et 4 Mon- reale, puis 4 Sainte-Cécile 4 Rome en 1293. L'iconographie se perpétue dans I’église orthodoxe; on en trouve de beaux exem- ples fin XVIle siécle au Mont Athos (115). L’Occident représente le jugement dernier principalement en sculpture sur des chapiteaux, des chaires a précher, des écoincons darcatures, des tombeaux, mais surtout des tympans. On y repré- sente sur trois registres allant de bas en haut : la résurrection des morts, le pésement des ames et la séparation entre élus et dam- nés, et le tribunal céleste. Le Christ-Juge domine, assis sur le tréne, apocalyptique (avec les 4 vivants et les 24 vieillards) & Moissac et Autun, puis évoluant vers un type évangélique avec les instruments de sa Passion; il a comme assesscurs les apétres, et comme intercesseurs la Vierge et saint Jean-Baptiste (auquel on substitue souvent saint Jean |’évangéliste). A l’appel des anges au buccin, les hommes et les femmes nus sortent de leur tombeau. Saint Michel pése les ames et surveille le diable qui essaye de faire pencher fe plateau de son cété. On sépare les élus et les réprou- vés, symbolisés les uns par des agneaux et des brebis, les autres par des chévres et des boucs (Saint-Apollinaire le Neuf 4 Raven- ne). Les élus sont habillés et vont vers la Jérusalem céleste ou entrent dans le sein d’Abraham (116); les damnés, nus, sont pous- sés dans la gueule de l'enfer. Parfois des thémes de paraboles s’agglutinent a ces scénes : VEglise et la Synagogue, le pauvre Lazare et le mauvais riche, les vierges sages ct les vierges folles, les travailleurs de la vigne. En 29 SAINT MICHEL ET SA SYMBOLIQUE 1540 a la chapelle Sixtine, Michel-Ange bouleverse en un grand dynamisme les registres figés. Tintoret fera une autre expérience en 1589 au Palais des Doges. i Les scénes du jugement dernier ont eu un immense succes en Occident. On les trouve au Xe siécle sur les fresques de Rei- chenau, au Xle dans le manuscrit de l'apocalypse de Bamberg et & San Angelo in Formis. Le Alle siécle les représente dans T'Hortus Deliciarum (117), & la cathédrale de Bale, au baptistére de Parme, i Autun, Beaulieu et Conques; au XIIle siécle, elles envahissent toutes les grandes cathédrales gothiques francaises. A partir du XVe sidcle, la peinture s'y met avec Fra Angelico, Van Eyck, Van der Weyden, Memling, puis Van Orley, Rubens et d'autres. Liconographie de saint Michel a été récemment étudiée dans un des volumes consacrés au millénaire monastique du Mont- Saint-Michel (118). Un des auteurs, F. Avril, établit un paralléle entre Michel et le Christ dans sa passion et cite plusieurs oeuvres ott il pourrait y avoir assimilation par association; cela le conduit 4 dire qu’ la limite, le combat de Michel contre le dragon est un symbole du combat intérieur du Chrétien contre le démon; aprés ce que nous avons vu plus haut, cela nous semble aller de soi. Mme Lamy-Lasalle s’attache au théme de l’archange combattant, essentiellement traité en France romane selon elle; elle fait une différenciation entre le saint Michel a la lance et au bouclier, celui qui tient la lance 4 deux mains, et celui a l’épée, plus tardif. Enfin, M. Fournée s’occupe de l'archange de la mort et du juge- ment quill classe en différentes catégories : — L’annonciateur du jugement. — Le porte-enseigne. — Le pondérateur, — Celui qui préside & la psychostasie. — La “mancipatio animae”. — Saint Michel tenant la balance et intervention d’intercesseurs. — La balance statique comme simple attribut. — Liarchange du dernier combat. Tout ceci est démontrable, mais le souci de classification nous semble poussé un peu loin, et on aurait peut-étre intérét & ne voir 30 LANGE LA BALAN dans la balance, quelle qu’elle soit, un symbole trés simple cor: respondant a V'idée de justice couramment répandue et perma- nente dans une population trés simple aussi. La symbolique de saint Michel, dés les hautes époques, ne se limite done pas 4 Varchange ou au saint terrassant le dragon. Comme nous Iavons deja dit, le seul fait d’étre nommé dans les textes canoniques et d’y apparaitre comme lange d’une nation dabord, puis comme le chef de la milice céleste, vont faire de lui le “best-seller” des anges dans la littérature apocryphe. De méme, ses liens étroits avec Vapocalypse et le jugement demier, et ses rapports, moins canoniques (119), avec le jugement individuel, feront de saint Michel un protecteur, un guide, un juge, un e: cuteur. Or, I’ime populaire a besoin d'images, d’autant plus q s'agit de puissances spirituelles. Ces demniéres, dans toutes les civi lisations, doivent presque nécessairement bénéficier de représen- tations, ne serait-ce que leur nom écrit sur des amulettes. On comprend donc pourquoi dans une civilisation de image comme la nétre (qui hérite déja dans ce domaine dela Gréce), ce symbole des puissances spirituelles du bien qu’est Michel va connaitre un succés considérable face a la représentation du mal. C'est @autant plus sensible que la religion a longtemps appuyé sur la crainte de Penfer (120). On peut done résumer comme suit la symbolique primitive de saint Michel : Liarchange, assistant ou vicaire de Dieu. — Le représentant du bien contre le mal. — Toute la symbolique lige 4 apocalypse et au jugement dernier, qui débouche sur ses liens avec la mort. M. Fournée a bien souligné ces attaches avec la mort, les cimetiéres, etc. La version la plus simplifiée de cette symbolique, qui comprend en elle tous les autres symboles, est aussi la plus répandue icono- graphiquement : saint Michel terrassant le dragon. 31 SAINT MICHEL ET SA SYMBOLIQUE NOTES. (1) Pour tes éditions de la Bible, nous avons utilisé Edouard Dhorme pour Vncien Testament (Paris, 1956 et 1959), et Jean Grosjean pour le Nouveau Testament (Paris, 1971). Pour ce qui concerne les considérations théalogi- ques, nous avons fait de larges emprunts au Dictionnaire de théologie catho lique, méthode peut-étre criticable, mais qui nous permettait rapidité et souplesse tout en restant exhaustif. Nous utiliserons pour ce dernier ouvrage les sigles DTC. (2) La Loi a été longtemps considérée comme l'oeuvre de Moise, mais déja Tbn-Ezra au Xlle sicle et Spinoza au XVIle siécle ont montré quill s'agis sait d'une oeuvre collective. On peut considérer la Loi comme une suite de récits historiques hébreux jusqu'au Sinai oi il y a introduction d'une Lgislation. En gros, le Deutéronome était rédigé en 622-621, et la dernié rédaction de la Torah doit se trouver avec Esdras dans la seconde moitié ddu Ve sigcle ou la premiére moitié du IVe siécle. (3) Les prophétes s'échelonnent du Ville au Ile sitcle avant notre ére. Ezé- chiel fit partie de la premiére déportation & Babylone, en 597, (4) Les Psawmes, Job et Les Proverbes peuvent étre approximativement considérés comme existant d¢ja au milieu du Ve siécle. (5) Yibna ou Yavne se trouve en Israél, non loin de Jaffa (6) Les deutérocanoniques sont le Livre de Tobit, Judith, la Sagesse, I'Ee clésiastique, Baruch, et les Maccabées, avec des fragments de Daniel et d'Esther. Des discussions sur leur canonicité se poursuivirent dans I'Eglise chrétienne entre le IVe siécle et le concile de Trente en 1546 qui les déclare authentiques. DTG, 11, 1571-1605. (7) Ibidem, (8) La premiére partie débute en effet avec la prise de Jérusalem par Nabu- chodonosor; le récit se poursuit jusqu'a la mort d’Antiochus IV Epiphane en 163. 32 ondy ‘4 ppeon secu comprae faffanidens oid - © noe pagers singreumwwo mewmpo concurs sige puslicafpcciotl falgererua war prorun filesoness Beef oma A ggrehieur -praziny: ardency Bingen infacern -pudibundsg- UB reo 97a: vn Saopalint sala as exer we pemaca then per Mbit sregie LANGE ALA BALANCE (2) eft. note 3. Ezéchiel fut déporté par Nabuchodonosor en 597. Il prophé. tisa Ia chute définitive de Jérusalem qui arrive effectivement en 587. Son livre est écrit entre 598 et sa mort. DTC. (10) 11 y a déja ici un tien évident entre Michel, Vange de Dieu, celui de la résurrection et du jugement, (11) On sait qu'une révolte éclata a Jérusalem en 168 et qu'elle fut suivie d'une persécution par Antiochus IV interdisant les pratiques spécifiques du Judaisme. Juda Maccabée fuit la ville en 167 et organise la résistances il défait plusieurs fois les troupes syriennes. La famille des Maccabées finira ar triompher et occupera le pontificat jusqu’a la conquéte de Pompée en 63. (12) D'aprés le Deutéronome (XXXII, 8), lorsque Dieu sépara les fils «’Adamn et divisa les nations, il fixa Ie nombre des peuples d’aprés celui des anges. Avec le passage de Daniel oit nous avons vu le rdle de Michel, on en conclut qu'un ange préside & la destinge des nations. On en trouve discussion dans la Patristique grecque, notamment Clément d'Alexandrie et Grégoire de Nazianze. Le role de Michel était confirmé semble-til dans Les Testa ments des 12 Patriarches écrit entre 109 et 106 oi un ange dit “Je suis Vange qui a intercédé pour la nation d’lsraél pour qu'ils ne soient pas com. plétement soumis car chaque esprit mauvais 'attaquai (13) Al-Tabari, Tafsir (Commentaires sur le Coran, I, 924 sq.) raconte qu'un jour les Juifs demandérent au Prophéte qui lui avait transmis la révelation, Ayant répondu que c'était Gabriel, les Juifs déclarérent que cet ange fait leur ennemi et Vange de la destruction et de la famine, en opposition avec Mi- chel, leur protecteur, ange de fertilité et de salvation. Une autré anecdote met en scéne Omar recevant la méme réponse dans la synagogue de Médine; il dit aux Juifs que si Gabriel ait 4 Ia droite de Diew et Michel & sa gauche, il ne pouvait y avoir inimitié entre eux, et que étre ennemi de Pun ou de autre signifiait étre ennemi de Dieu. Omar alla ensuite voir Mahomet qui lui cita le texte de la sourate II, 98 (voir dans notre texte plus loin). (14) Chr. E. Dhorme, op. cit.,t. Il, p. XC, Sur Vensemble du probléme, on verra aussi le récent article de M. Martens, Llrchange Michel et lhéritage schatologique pré-chrétien, dans Mélanges Armand Abel, Leiden, 1978 p. Liatass, (15) Jacques le Mineur s'en tient 4 la loi mosaique que Jésus n'a pas abro: ‘ec, mais & laquelle il a donné un sens; ses partisans suivent l'évangile de Matthieu, L'helléniste Paul veut rompre avec le passé et parle d'un nouvel {sraél qui serait universel; ses disciples suivent I'évangile de Luc. Pierre essaye de concilier les deux, et ne s'intéresse pas aux principes; ses disciples demandérent & Marc d’écrire la vie de Jésus. Jean enfin est tout A fait i Part et considére la division entre les autres comme superficielle. Cir. J Grosjean, op. cit introduction. 33 (16) Crest une ocuvre composite d’inspiration pharisienne composée au ler iéele de notre ére. On y voit apparaitre en X, 2 Michel (‘Y'ange”) & la téte des forces eélestes. (17) Les persécutions contre les chrétiens hors de Falestine commencérent au lendemain de Vincendie de Rome de 64, sous Néron. Gela continue sous (18) Sur Minterprétation de la Femme de l'apocalypse, la Vierge, Israél et Piglise, voir S. Giet, Liapocalypse et histoire, Paris, 1957,p. 111. Liauteur avance des possibilités de rapprochement entre les faits historiques et le texte johannique. (19) Cristallisation au ler sigele des noms utilisés depuis la Genése pour en existe Ce faisant, avait-on en vue d’imiter le Gargano exe au moins un commencement de preuve au Mont Tombe, oa ‘Aubert en aurait eu la volonté (131). La symbolique copia prend ici tout son sens. Ce n'est pas, remarguons ie corel ois, Pau c’est tout le lieu lui-méme fois, l’autel qui en forme le substrat, c’est ! ; ms i est en quelque sorte sancifé pa la présence de Michel. Une tlle comparaison ne peut s’étendre aux lieux ot vécurent les saints, sauf des exceptions, bien str. b. ¥ atl eu une symbolique fonctionnelle des liewx. michaé- liens ? it périlleux de vouloir systématiser des éléments propres a aga ie] aire fondées a différentes énoques et fasta ara coral ae dégager qui permettent de distinguer plusieurs types paca qui ne s’appliquent qu’apparemment a ceux d'autres foy' gieux. 1. Les lieux de pélerinage. ie ion. Si Les pélerinages méritent une toute particuliére attention, : rae Jérusalem, Rome, Tours sont les premiers centres dintérét di 136 LA CONJONCTION DU SACRE ET DU PROFANE salem, dés la mort du Christ (132), Rome peu aprés celle des apotres Pierre et Paul (183), Tours dés celle de saint Martin (134) deviennent des points de ralliement d'un nombre grandissant de pélerins. Dés le Vie s.,le Gargano en est un quatriéme (135). Des différences notoires caractérisent ces quatre lieux. Deux entre eux, Jérusalem et le Gargano, ne possédent que des liews Vides de dépouille mortelle; deux autres, Rome et Tours, sont aa contraire le lieu de réunion auprés de la sépulture des apdtres ou des restes mortels de Martin, La signification religieuse du site est également génératrice de divergence. A Tours, les croyants s'agglomérent autour du tombeau, Le site urbain tout enticr Prévaut & Rome qu’occupent de nombreuses catacombes et des Simetiéres suburbains oi s’érigent les mausolées des martyrs. A Jérusalem et au Gargano, toute Ia “montagne” est en quelque sorte sanctifiée. Enfin, alors que les pélerins de Jérusalem, Rome Hieux sanctifiés par une apparition de larchange, soit au Mont en Normandie soit dans le val de Suse, soit plus tard au Puy. Ges distinctions correspondent-elles a des objectifs différenes chez les marcheurs ? On se rend a Jérusalem atti parla signifi cation allégorique des reliques de la Passion, sous Vempire des angoisses eschatologiques qu'impose V'idée du Jugement Dernier & dans le but de découvrir, pour te plus idéaliste, un liew par excellence pour terminer sa vie et y placer sa tombe (136). On gagne Rome, moins éloignée que Jérusalem et moins tributaire qu'elle des situations politiques explosives, pour y trouver un eps temel auprés des plus grands martyrs (137) ou pour accomplir un voeu. On va quelques jours a Tours pour bénéfi, cier des miracles prodigicux qui se produisent autour du tombeau de Martin (188) sans aucune idée liée a des visions de fin du monde, On passe au Gargano pour sy livrer une méditation et souvent au cours d'un voyage vers Jérusalem (139). Ges quatre lieux ont en commun d’attirer des grands de I'Oc- cident, de futurs saints, une masse de gens dont le nombre croft ow décroit au rythme des situations politiques dangereuses ou SAINT MICHEL ET SA SYMBOLIQUE satisfaisantes (140). . ° carta ee de sépulture proprement dite, Michel a vu Alerinage od ceux que l'on pourrait s hauts lieux de pélerinage oti ceux que Se a urs de Michel (114),désiraient enter en contact eee lui pat Pintermédiaire d’ ceptionnel, Bien sir, ai par Pintermédiaie d'un site exceptionnel. Bien sé ae er pau Gargano comme a Jerusalem; mais la visite de ce lieu, souvent 3 mi-chemin entre Iendroit oi mourut le Chris ek celui of furent enterrés Pierre et Paul, suscita tant depois individuels qui se trouvent en filigrane dans init ila ca fce 4 la légende du taureau qui décore les mu rere et at da Michel triomphant du dragon fut longtemps prec (142), jusqu'a jour od Ia silhouette du Mont Iuiaméme appa Jjerets de pelerinages, aux temps modernes (143). 2. Les églises funéraires. li lui donne une fonc- le de psychopompe de Michel (144) F oe title a neete chine quitte le corps et oti ce der ner Seen Vobjet de soins particuliers. Est-ce Pare on pions 4 sa mort intervention de 'archange aes Soa paeader 8 Vaffirmer, d’autant que I'Eglise ne prit que ie La Vhabitude de célébrer chrétiennement les fétes Perit paces} que l’office des morts ne se généralisa e an ed au VII ou Ville sigcle (146) et qu'une priére 8 Michel ne fut de 3 Voffertoire de cette messe qu’au Xe sidcle (147). Avs eae période les problémes Sea ane : x iers temps du christianisme, les ° Joucent un rle dan la saveparde ts rests unas es conver tu (148). ‘A ces premiers ea sous cere, suctdrent és uis construits Jes martyria plus ou moins cachés (149), puis construits Ie fons = reais Ay encore placés dans les premiers rae al bains (150), Certaines ‘études pe a paras ‘commémoratifs avaient été pl ians =i saeinins aunquels succédérent des tombeaux de martyrs ouverts puis couverts, notamment A Bonn et a Xanten (1 2) phil eesous les Mérovingiens, les campagnes furent Ie refuge 138 LA CONJONCTION DU SACRE ET DU PROFANE des défunts (152) :établissement de caveaux funéraires le long des Woes publiques (153) ou disséminés du Ve au Ville siéctes (154). Diautres endroits ont éé choisis proches de Peau (155), sur une colline (156), prés d'un tumulus qui en a attiré d'autres (157), avant que les tombes ne prennent réguligrement place dans les cimetiéres autour des églises (158) ou ne se situent a l'intérieur méme des édifices religieux (159). La dispersion des tombes durant plusieurs sigcles ne laisse bas de faire apparaitre les difficultés de l'étude d'une protection plus ou moins généralisée qui aurait pu étre demandée 4 ’archan 8e. Ces difficultés prennent des proportions accrues du fait des obstacles rencontrés pour établir les dates d’érecticn de maintes Eglises (160) et des modifications susceptibles d'intervenir soit dans les tituli initiaux (161), en raison de l'introduction de reli. aues (162) ou de Ia reconstruction du monument ancien (163). Prétendre, en plus, faire une étude approfondie des types archi fecturaux des églises funéraires michaéliennes sur ces bases, est aléatoire. Divers spécialistes en ont présenté certains types, la forme de rotonde de certains martyria byzantins (164) ou celle sur plan carré avec oratoire Saint-Michel en hauteur sur un osstt- aire (165) : i existe des sanctuaires sépulcraux oi l’oratoire était Posé sur une crypte, comme 4 Saint-Riquier et 4 Farfa, sans doute aussi i Reims et-a Saint-Gall (166); des formes rondes Peuvent se présenter comme a Cuxa (167). Certaines populations ui se christianisérent tardivement, ont probablement placé des chapelles michaéliennes prés de leurs cimetiéres (168). Le vivant cependant décidait souvent de l'emplacement de sa tombe; il en fut ainsi peut-étre de saint Aubert lorsqu'il choisit le Mont Tom. be, ol il fut d’silleurs enterré (169). La décision d'un seul person- nage pouvait entrainer d’autres avec elle et étre a lorigine d'un noyau funéraire. Vers 669, l’évéque de Mercie se retirait avec ses compagnons dans une petite église du cimetiére de Lichfield (170); a Dijon, une petite église construite en 896-897 servit également de rassemblement des morts (171); les cimetidres a chapelles funéraires ne furent pas inconnus en France (172); quant au cimetiére de Venise, il est situé dans une ile voisine, Vile Saint. Michel (173). ian SAINT MICHEL ET $A SYMBOLIQUE Llune des plus anciennes églises de Rome, dabord consacrée xx saints Magnus et Michel au Borgo San Spirito ou de Ratt * dite plus tard. Saint Michel des Frisons, citée du temps da pape Léon IV (847-855), eut comme tache d'enseveli les peerins q lécédaient au cours de leur voyage (174). ; . role de Michel dans les cimetiéres (175) ou pris des hypogées _ ir été généralisé. Sans doute, le fut-il da- semble nullement avoir été génér: d vantage aux périodes les plus anciennes, ou dan: an égiés tels que des grottes naturelles, notamment en Itali |. 3. Certaines églises de bourgs et de faubourgs. Saint Michel nous est apparu comme essentiellement a, ui it en songe ou en priéres, qui va a cee ee mrs woes de Pun de ses paernages, ol choi nts auspices le lieu de sa sépulture. Ea es corer ¢ seul I’élan individuel prédispose en sa faveur ? Peut-on, au Se Gécoumri arate symbolique — les fondarons imps Hales, royaes, seigneurales oul monastiques miss part — (1 at les signes annonciateus d’asprations communautaires? La pre sence de populations nouvelles placées, dans certains centres urbains en formation, sous la protection de V'archange, et Xile sidcles, semble le suggérer. ; . omit indications fournies par des aa eat permettent, en effet, non pas d’aquisser une théorie d’ensemble, mais de marquer quelques points d'une problématique suscep ble ouvir des horizons sur des mentalitéswbaines. Tout semble se circonserire autour, plus rarement 3 Vntéricur, de certains bourgs. La Pologne présente plusieurs exemples typi: ques, dans des régions oi le christianisme a fini par sintroduire et stimplanter. On peut mettre 4 Vavantplan matey, Gnieso dominée au Xle siécle par deux saints guersiers «4 Vint Fieur du castrum, V'église Saint-Georges, étabie dés Ta seconde moti du Xe sigele, et a Vextéreur, dans le suburbium, sur un petite éminence peu élevée, léglise Saint-Michel (178). A Poznan, 140 LA CONJONCTION DU SACRE ET DU PROFANE 4 la méme époque, une église michaélienne est établie en dchors de la ville (179). Le cas de Cracovie est plus curieux encore : deux églises Saint-Michel sont connues en 1050, lune sur la colli. ne du Wawel, prés de larésidence royale et prés d'une église Saint- Georges, Vautre sur la colline — peu élevée et peu distante de la premiére ~ de Skalka (180). Danzig, au début du Xle siécle, s‘est fait construire dans son castrum une église de Saint Michel ct des Anges, l'une des plus anciennes (181). Wroclaw aura, elle, tune église dans le quartier d°Olbin au milieu du XIle siécle (182) Les explications font encore défaut pour rendre compte de Pétablissement de ces lieux de culte en ces localités. La proximi- té, tant 4 Gniesno qu’a Cracovie, de deux sanctuaires consacrés a des saints militaires — le Saint Georges brandissant l’épée ct Michel érigeant son arme destructrice — se comprend a une pério- de de lutte pour la suprématie de I’Eglise (183 Au Danemark, la ville de Viborg (184) a érigé vers 1119 une église Saint-Michel, sur plan circulaire, située 4 extérieur de la Porte de la ville. On a voulu y voir la manifestation d'une prété- rence des marchands alors que dans d’autres villes, Nicolas est leur patron (185). Les régions tardivement converties a la foi catholique ne sont pas les seules & présenter des cas semblables. On pourrait rappe- ler en Italie le Borgo de Pise (186), celui du Borgo du Vati- can (187); en France, le cas de Carcassonne oli, dans le faubourg de la cité, s"rige une chapelle Saint-Michel (187); en Autriche, le castrum se voit placé sous le patronage de saint Etienne et le bourg sous celui de Varchange vers 955 (189). Enfin, en Belgique 4 Gand une telle église existe dans le vieux bourg avant le Xe ié cle (190) et en Espagne, a Estella, un nouveau quartier a son éslise michaélienne lorsqu’un fuero (réglement) lui est concédé en 1187 (191). Lextréme éloignement de ces diverses localités interdit de songer 4 une influence quelconque de l'une sur l'autre. Mais le Xle et Ie Xie sidcles semblent devoir provoquer une relance du culte en question dans des contrées seulement en voie d’occupa- tion. Pour expliquer le choix de Michel, a quelle solution recou- tir ? Fautil exciper de considérations strictement religieuses com. 141 SAINT MICHEL ET SA SYMBOLIQUE me en Pologne (192) ? Fautil y voir une marque de caractére laic, comme au Danemark ott les marchands imposeraient leur choix (198) ? Fautil y voir une manifestation d’opposition démocratique par le choix de l'archange, défenseur du bien contre le mal, voulue par une partie de la population des faubourgs luttant contre les priviléges de l’intérieur de la ville, d’autant plus qu'elle était exposée 4 maints dangers puisque les remparts ne la protégeaient pas (194) ? Fautil y voir, comme a Carcassonne, Vorigine une simple chapelle sur les remparts, devenue le lieu de culte de la population établie a ses pieds (195) ? Chacune de ces hypotheses a l'avantage de s’adapter aux faits circonstanciels propres aux régions envisagées. Le lien entre elles tient au choix de Iarchange et aux raisons qui militent en faveur de cette préférence. Les choses paraissent-elles moins complexes, si de telles fonda tions ont lieu sur un territoire moins étendu, présentant des conditions politiques, économiques ou sociales plus proches, ou censées plus voisines les unes des autres ? Litude de certains vici ou bourgs en Belgique a permis de dé- montrer que, sur un territoire restreint, les lieux de culte michaé- liens dépendent, eux aussi, des contingences particuliéres dans lesquelles ils ont été amenés a voir le jour (196). A Anvers, Véglise Saint Pierre et Paul, peut-étre fondée par saint Amand lui-méme, a, aprés la destruction probable du pre- mier édifice, été reconsacrée a saint Michel dés le passage des ‘Normands au IXe siécle (197). ‘A Nivelles (198), ott saint Amand amena la fondation du célé- bre monastére de Sainte-Gertrude, consacré a la Vierge et Pierre, la persistance de la procession annuelle, avec transport de a chasse de Sainte-Gertrude, a la date du 28 septembre, vigile de la saint-Michel, a confirmé quelques indices qui donneraient & penser que Varchange a pu étre recherché par les échevins du lieu en qualité de soutien, dans leurs manoeuvres de résistance aux abus seigneuriaux (199) A Liége, le domaine de la Sauveniére se vit pourvu d’une cha pelle Saint-Michel par un contemporain de lévéque Notger (972-1107), vraisemblablement le prévét Roger (200); l'obten- 142 14 CONJONCTION DU SACRE ET DU PROFANE tion d'une confirmation de franchises Par l'empereur Hensi V, h Si transparente qu'elle soit, Tecouvre pas moins une diversité cune faire objet d'une étude par met de le démontrer. la symboli é Ymbolique invoquée ne de situations, qui doivent cha. ticuliére. Le cas bruxellois per. dans la chapelle Saint-Gér s rel -Géry, atten: at a Ys ante au chateau-fort état li el es de {ht Senne par Charles de France, alors en con th a corn a, Weta, roi de France. Charles await che wien 68 977, du duché de Basse-Lotharingie que Tem ton Tat ‘rede pour attirer dans son camp (204), nT Otto Tu Une premiere certitude est é 1047 (205), sinon Varrivée des testablement conféré le nom di depuis lors, elle ser I » ¢lle sera commune; Saints Michel et Gudule. =m La fondation du sanctuai an i anctuaire michaélien ri a é| éricure qu’ faut essayer de préciser, t® * UME «Pogue sur un plan spécifique, en ce qui : ge (206), il y a lieu a’ quelles hypothéses peuvent étre avancées ca er dae . enter d’appro- SAINT MICHEL ET SA SYMBOLIQUE cher du plus prés possible I situation, fale ques ate i es. jose est claire, Péglise ne disposait, de reliques antérieures, a sous forme de pignora enfermés une pyxide (207). ; see onan ae is segue, ances Viele, a instar de celle du Gargano (108) ne peut tre envisages Jes ler tours de Bruxelles ne furent soumis a oeuvre de cor ee sand nt mg de Vépiscopat de Vindicen, sit ala fin du VHe, sot a raed Vile sigce. L'ativité de cet évéque de Cambrai pose des prob mes chronologiques ingrats, sur lequels les historiens sont Join d’étre d’accord. Vindicien a 5 B direction des cése aux alentours de 667-670 7 a OSS de sa biographie méritent de retenir Vatten tion. Diane part, il conmu Te grand missionnare sint Amand viellisant, puisqu'l est cosignatare avee Bertin, abbé de Sithiu, futur monastére de Saint-Bertin, de son testament, en 674: 675 (211). D’autre part, Vindicien s'est erommalenel Pia cupé de la possession de reliquess il n*hésita pas en effet spe ter avec d'autres Evéques, APévéque Ansoald de Poitiers, le corps de son contemporain saint Léger, évéque d’Antun en 659, mort en 678 (212); cette dispate 1a ren pour surprendre, elle «ins: crt dans la régle de conduite que simposent mains Eves de temps (213), désireux de disposer de comps de martyrs ou de per. sonnages sanctifigs pour la consération de nouvelles égliss ow monastéres. Ses fonctions améneront Vindicin alana réguliéres dans les différentes parties de sa circons ceelésastique (214); une d’elles le conduira alanis) vil quittera pour motif de sant, puis il rejoindra Cambral pour mourir : deux faits biographiques que I’on a’habitude de dérer comme successifs dans le temps (216). a ‘A quel moment se situe ce passage a Bruxelles et quelle vortée religieuse ? sacs ee surgit du fit que les spécinlistes ne sont pas accord non plus sur la date de mort de Vindicien, Pour les uns, 144 LA CONJONCTION DU SACRE ET DU PROFANE clle remonterait 4 695 (217), pour d’autres & 705-706 (218), Pour certains, enfin, elle n’aurait cu liew qu'en 712-713 (219), Si Vindicien meurt en 712-713, il a pu avoir connaissance des événements du Mont Saint-Michel, traditionnellement placés en 708 (220), fut-ce grice aux contacts avec I’évéque Aubert ou avec d'autres évéques, contacts déjé’affirmés lorsqu'l fut ques- Hon de s’emparer du corps de saint Léger (221). Une influence cxercée par le truchement du Mont Tombe aurait avantage de rendre compte d'un intérét plausible de Vindicien pour Michel; cle pourrait de surcroit indiquer une provenance envisageable de brandea michaéliens, susceptibles d’avoir été déposés 4 Bruxel. les. Tout ceci donnerait au voyage de Vindicien en ce lieu, une signification évidente, comme serait aussi évidente son intention 4'y ouvrir un sanctuaire chrétien en une période oi le paganisme, encore triomphant, exigeait une vigilance épiscopale accrue (222), 1a mort de Vindicien, reportée a une date antérieure, soit 706, soit 695, condamne hypothése du foyer d’influence nor- mand, rend plus épineuse l'explication du choix de Michel, mai non absolument celle de la provenance de “beneficia angelorum”, Ceux-ci pouvaient s’obtenir 4 Rome; saint Amand y fit plusieurs voyages pour acheter les reliques nécessaires aux fondations reli. gieuses qu'il avait en vue (225). Sila vie (vita) de Vindicien ne donne aucun détail de ce genre, sa rédaction tardive au XVIe sidcle (224) ne sert d’aucune preuve ni affirmative, ni négative. Il faut, en effet, se souvenir que pendant son épiscopat, plusieurs conciles importants furent réunis : en 680, 125 évéques se ren- dirent 4 Rome et 170 gagnérent Constantinople peu aprés (225). Rien n’indique que Vindicien ne fut pas du voyage. Le concile de Quinisexe en 692 renouvela cette occasion. Latitude aurait ainsi été donnée & l"évéque de Cambrai, ou dans la ville éternelle, ou dans la capitale byzantine, de contempler quelque église Saint Michel et de s'y pourvoir des beneficia convoi Toutes ces constatations ne reposent cependant que sur un faisceau de probabilités, desquelles on ne peut conclure & la réa. lité. Mais comme il faut assurément donner de implantation du culte michaélien 4 Bruxelles, une tentative d’explication avant 1047, il faut réunir le maximum d’éléments susceptibles de jus- 145 SAINT MICHEL ET SA SYMBOLIQUE, tifier une intiative de Vindicien, avant d’y renoncer au bénéfice une période plus récente. Le probléme est ingrat; on ignore tout d'une éventuelle dévo- tion personnelle de Vindicien a I’archange. Sans doute, ses proches ont pu l'y entrainer. Ila pu avoir des échos d'une telle croyance qu'on attribue a Voeuvre de V'Irlandais Colomban, fondateur des célébres monastéres de Luxeuil en France et de Bobbio en Italie (226), dont le disciple Jonas écrira la biogra- —___phie-(227) comme il écrira celle de saint Vaast en 642 (228). D'autres sources de renseignements ont pu lui venir en prove. nance de Nivelles, ott les Irlandais et surtout saint Amand jouérent un réle de premier plan (229). Tant les uns que les autres (230) sont considérés comme des dévéts de saint Michel (231). Mais de la, 4 conclure a l’existence de lieux de culte & leur époque, il y aun pas a franchir. Si l’on en croit M. Rousseau, Andenne, fondée vers 691-692, done du temps de Vindicien, par sainte Begge, aurait déja compté, parmi ses sept basiliques, l'une dédige 4 Michel. Si la chose était prouvée (232), il y aurait la une indica- tion a retenir, étant donné les liens de parenté entre les deux soeurs, Begge d’Andenne et Gertrude de Nivelles, et une action sous-jacente des Irlandais Foillan et Utan (299) propagateurs une dévotion envers les anges et Michel (233). Crest moins de 70 ans aprés que ces hommes passérent et que leurs fondations virent le jour, que le premier lieu de culte, en Bel- gique est mentionné d’une facon non équivoque a Roksem en 745; Te nom de Michel, celui de la Vierge et de Jean Baptiste désignent un petit prieuré cn Flandre Occidentale qu'un prétre, du nom de Félix, venait de fonder (235). Attribuer ce culte 4 Bruxelles a l"évéque de Cambrai, est donc une hypothése valable qu’appuie Ie rdle de telles autorités religieuses dans tous les autres lieux (Gargano, Mont Saint- Michel, Sagra, etc.). Le sanctuaire répondait aux besoins d’une circonscription rurale plus ou moins bien définie (236); il serait antérieur 4 la réforme liturgique entreprise sous Pépin le Bref (751-768), suivie du remplacement du rite gallican par le rite romain (237). Si l'on refuse de voir en Vindicien celui qui instaura le culte 146 io , ‘4 CONJONCTION DU SACRE ET DU PROFANE 4 Bruxelles, il fa it 5 ut que d’a re dans les siécles ait Bitenea Sans contredit, di ér ns » différents Aém grandissante du culte waichadies a ent responsables iffer sur le plan religieux ‘bord, auprés du clenge fant actuellement (241) Tours (242) oi sont cités bués & V'archange (243) place méme 4 Cambr: hui (244), contrairement a d'autres (24 de Gann, de Gellone a pu étre composé di le Cambrai vers 770-780 (246) , ae . r ). Or, ce sacr: im it Sieve a £5 fetes, celle de la Dédicace cae hel (249), a bénddiction dela “Natale” de Michels i ag eon? el; ill se complete (248), parmi lesquels figure un Grégoire de a différentes reprises des miracles attri ')- Quant & ta production doeuvres sur > certains auteurs admettent aujou 5) que le fameux sacra- ins le scriptorium méme SAINT MICHEL ET SA SYMBOLIQUE i Xe siécle pour voir réapparaitre le nom de sae tgues en 968 (239) dane te aplome donne aes es Oton Ila Vabbaye de Niele, Iu confirmant la caer ie nombreux biens, parmi lesquels celui un st Seon ow ‘bicndonds A Bruxelles, remis aes ae nent : ce Regennaldus, premicr een eee eceeveaalley > Nous avons emis hypothese eee m4 (250), d’abord moine a l’abbaye de Saint-Bertin, aoe ene eu dds le 21 mars 954 (251). Rien de sa biow eo gt connu avant sa nomination; on sait que le comte de aie dnc Limmposa a ses confréres et que Regenold le seconda is Si se d’obtention de reliques dont il était avide Ce ). wins des ames de ceux dont il avait la charge eae ee aaa ciems notte attention ~indépendamment a Renee mic fererisncete Saint-Bertin et Ie donate de de Saint Bertin pour Michel; il n‘hésita pas a aap avec © eseslatvesmtetmel vite sisal tude dans le fata Le Vast, au é logné , oft, d le an a ames ‘l he privé de son’ abbatiat (258). ace acquisition ne peut étre mise en doute, puisq’ele ex ge par Foleuin en 962-968 (255), 'un des moines placés cue la direction de Regenold au monastére of il était Es seiqualité doblat en 948 (256), of il s’occupera des pane 961.962 (vraisemblablement aprés le eran — ue cé en 961 (257), avant que de devenir 2 a . décembre 965 (258) jusqu’a sa mort en 990 (: Ie vite Sans doute, Regenold voulut-il PaaS oa je ‘ow aprés sa mort sous la io A mene de l’abbaye de Lobbes. Le moine een om peed de Vérone (932-940), puis évéque de Liége (9! 7 Pee ai de Verone (962.968), mort & Namur en 974, navel pas dans ses écrits, discuté de Ia faute qu’l y avait ou non a la messe de saint Michel (260) ! 148 LA CONJONCTION DU SACRE ET DU PROFANE Liachat de Le Wast s'expliquerait d’autant mieux si Regenold avait vendu ou donné ses biens situés 2 Bruxelles, notamment a Nivelles, avant d’entrer en religion. Est-ce a dire qu'll aurait Joué un r6le significatif a Bruxelles ? Dans I’état actuel de nos connaissances, on ne peut I'affirmer. Tout au plus, peut-on insister sur l'attrait qu'eurent les ab- Payes de Saint-Bertin et de Lobes pour Bruxelles, tout specia, Jement en ce qui concerne sa plus ancienne histoire lige & cellede Sainte Gudule. Lexistence de la sainte devenuc bruxelloise est, en effet, connue par deux “vies”, publiées par les savants Bolan. distes. Ta vie dite “prima” qu’on a considérée comme la plus ancienne, fut écrite a la demande d’un certain Albert par le moine Hu, bert (261). C'est vers Lobbes que I’on s'est tourné pour dceouvriy Son auteur, vers le miliew du XIe siécle (262). Le texte s'arréte fu, Ses aut transfert des reliques dans 'église Saint-Géry, mais + €€ qui a permis de supposer que son jutcur connaissait la translation de 1047 (263), bien qu'il se soit longuement étendu sur celle de 984 environ (264). Or, A ln date de 984, Foleuin ditigeait encore Lobbes (265);il ada dire inf mé d'un événement aussi important dans Vhistoire du duché de Basse-Lotharingie, que I'arrivée de son nouveau détenteur, Charles de France, en 977 (266), des citconstances qui suivisent ct qui placérent Bruxelles au centre d'une grande entité territo. Fale vers 979 environ (267). Si Pauteur de la premiere “ie” de sainte Gudule est bien un moine de Labbes, il est probable que des souvenirs persistaient dans son abbaye sur ce grand passé, ce qui donnerait dans sa bouche une valeur exceptionnelle sass nots par lesquels il signala l'arrivée de Charles de France a Bruxel- les (Bruxellam venit). Quant & Vabbaye de Saint Bertin, c'cer cette abbaye qui posséda le plus ancien manuscrit actuellement connu de la “vie” dite seconde de sainte Gudule, maintenant conservé a la Bibliotheque Albert I, sous la cote Il, 937, resté tout a fait inconnu des Bollandistes; ceux-ci publigrent, da. Prés Surius, la vita secunda quiils estimaient avoir été compo- sée aux XILXIIe siécles (268). Cette vita comportait une longue Rotation des événements de 1047, de la mention du “temple SAINT MICHEL ET SA SYMBOLIQUE érigé en Vvhonneur de larchange saint Michel et de la dépose subséquente du corps de Gudule en cette année 1047” (269). L’ancien manuscrit de Saint-Bertin pourrait donc bien étre contemporain ou de peu postérieur & 1047; ceci justificrait qu’on en entreprenne une nouvelle édition, susceptible de jeter un jour nouveau sur les événements bruxellois qu'elle relate, tant ceux de 1047 que ceux de 979. L’absence ou la quasi-absence de textes avant 1047 ne semble plus en fait devoir impliquer une égale absence d’événements. Sans que I’on puisse étre trop affirmatif, il semble possible que la présence du culte michaélien soit due 4 Vindicien, et que ce culte ait été soutenu ou remis en valeur au milieu du Xe siécle. Ce culte s'y est d’ailleurs maintenu d'une fagon excep- tionnelle en raison de la symbolique qui lui fut propre. Bruxelles est, en effet, la seule grande ville oft la protection tutélaire de Varchange a été hautement appréciée par les res- ponsables du culte et, plus tard, “adoptée” par les autorités civiles. On connait mal les “voies” par lesquelles 1° “image” de saint Michel a été choisie par les notables de sa ville pour se pro- filer sur les sceaux de la cité au XIIle siécle (planche). L'une de ces voies a pu étre indiquée par un choix préalable fait par les ducs de Brabant, qui tinrent & faire figurer l’archange sur leurs monnaies assurément dés Jean I (1268-1294); il frappa de cette silhouette élégante et gracieuse son petit gros d'argent (271). Dés le régne de ce duc, Bruxelles était entrée dans une nouvelle phase de sa politique urbaine, celle d’une démocratisation lente. Cette “libération” ne se concrétise-t-elle pas par “l'accapare- ment” de la silhouette de l'archange, dont la ville va faire le signe propre de son autonomie urbaine (272) ? Cetie"appropriation” prend-elle sa place dans laligne des bourgs et des faubourgs qu’on a vu se placer sous la sauvegarde de Michel, pour conjurer les forces du mal, identifiées, soit avec une puissance seigneuriale despotique, soit avec une oligarchie écra- sante ou encore une simple rivalité socio-religieuse, telles qu'on a pu les suggérer aux XI-XIMTe siecle ? En tout cas, la symbiose mi-eligicuse, mi-civile ou laique est plus tardive a Bruxelles. Elle s'est réalisée dans un climat politi- 150 14 CONJONCTION DU SACRE ET DU PROFANE sidcle, ils n’ont . wi ote cca délibérément I” “archange™ a » Porteur d'un embléme semi-impérial + Ee che et le baton la fleur de ye da rice 3 €n se sécularisant, i] s’c i rmes sy i . obi fonnes symboliques dualistes a Vnjustice, etc., par toute tn complexes. Ge passage di sac par maints facteurs, di Evoqués dans | gui prea le bien opposé au mal, la justice i Série de cheminements longs et au profane a été conditionné uelques- s ft Jes pages qui précis Aes aspects ont été

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