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Les applications des statistiques et

probabilités en géotechnique au LCPC

Jean-Pierre MAGNAN
Directeur technique
Laboratoire central des Ponts et Chaussées

Introduction
Les premières réflexions entreprises au Laboratoire cen-
tral des Ponts et Chaussées ( L C P C ) sur les applications
des statistiques et probabilités dans le domaine de la
géotechnique datent des années 1960. A cette é p o q u e ,
l'accent était mis, comme dans les autres centres de
recherche en m é c a n i q u e des sols, sur l'analyse des rela-
tions entre paramètres, ce que l'on appelle couramment
l'étude des corrélations, avec pour objectif de faciliter
les études géotechniques pour le dimensionnement des
ouvrages. Il reste peu de traces des travaux de cette
époque, dont l'essentiel était le projet, lancé par
H . Karst, de mettre en place des procédures de dimen-
sionnement basées principalement sur la détermination
des paramètres d'identification des sols. U n tel projet
suppose la connaissance de nombreuses corrélations
entre les propriétés physiques et mécaniques des sols.
Des analyses statistiques variées ont été entreprises à
cette époque. Certains résultats peuvent être trouvés
dans les articles d ' A m a r et Jézéquel (1972), A m a r et al.
RESUME (1973), Pilot et al. (1970) et dans le rapport de
Les travaux du Laboratoire central des Ponts recherche L P C de J.-F. Vidalie (1977).
et Chaussées (LCPC) sur les études statisti-
ques et probabilistes en mécanique des sols L a seconde époque des travaux des L P C a c o m m e n c é à
ont c o m m e n c é dans les années 1960 et ont
porté sur l'analyse des relations entre d o n - la fin des années 1970 et a porté plus particulièrement
nées, sur l'étude d e la variabilité d e s sols sur l'analyse de l a variabilité naturelle des sols et sur
naturels et sur le calcul des ouvrages.
ses effets sur le dimensionnement des ouvrages de géo-
Cet article passe en revue les principaux tra- technique. Les études ont comporté, pendant une
vaux réalisés, puis décrit quelques résultats dizaine d ' a n n é e s , des analyses statistiques (y compris
typiques (tassements a u cours d u temps d e
remblais sur sols compressibles, risques d e géostatistiques) des propriétés des sols sur deux sites
rupture sur un tracé d e remblai routier, pro- expérimentaux [site expérimental de Cubzac-les-Ponts
babilités de rupture de fondations superficiel-
les, influence de l'autocorrélation spatiale sur
pour les sols argileux compressibles (Magnan et
les tassements). Les possibilités d'applica- Baghery, 1982 ; Baghery et Magnan, 1983 ; Haghgou,
tion des analyses statistiques et des calculs 1983) ; site expérimental de Sallèdes pour les pentes
de probabilités dans la pratique des études
géotechniques sont enfin discutées. argileuses (Abdul B a k i et al., 1993)] et sur un tracé
d'autoroute sur sols mous (basse vallée de l'Adour,
M O T S C L É S : 42 - Mécanique des sols -
Statistique - Probabilité - Tassement-Remblai -
Magnan et Mahdavi, 1988), ainsi que des études théori-
Sous-sol - Argile - Rupture - Fondation superfi- ques (éléments finis stochastiques, Boulefkhad, 1986 ;
cielle - Coefficient de sécurité - Variabilité -
consolidation, Bouheraoua, 1989 ; tassements,
Sol -/Autocorrélation spatiale.
Boulefkhad, 1986).

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Depuis le début des années 1990, les réflexions 1988 ; Jacob et al, 1988 ; Magnan et Bouheraoua,
sur la possibilité pratique d'appliquer des 1995), d'un livre (Magnan, 1982) et d'un article
méthodes de dimensionnement probabiliste des de l'encyclopédie des Techniques de l'Ingénieur
ouvrages ou m ê m e d'analyse statistique des don- (Magnan, 1993).
nées géotechniques d'un site ou d'un tracé ont Les travaux en cours portent sur l'analyse de
conduit à plus de pessimisme sur l'utilité pra- données expérimentales et sur la répartition de la
tique de ce type de recherche et un retour vers sécurité entre les diverses composantes des cal-
l'analyse des relations entre les propriétés physi- culs de justification des ouvrages.
ques et m é c a n i q u e s des sols, notamment par des Pour ces travaux, de nombreux outils et techni-
techniques d'analyse factorielle, a été effectué, ques d'analyse ont été utilisés :
tout en poursuivant les réflexions sur les i m p l i -
- analyse statistique classique,
cations m é t h o d o l o g i q u e s des études antérieures.
- fonctions de variables aléatoires,
- m é t h o d e de Monte-Carlo,
- méthode de Rosenblueth,
Sujets traités et méthodes d'analyse - calcul en éléments finis stochastiques,
Durant les quinze dernières années, les travaux - géostatistiques et krigeage (Bluepack),
des laboratoires des ponts et chaussées ont porté - théorie des champs aléatoires (autocorrélation),
sur : - logiciel d'analyse de données (Statgraphics),
- une analyse bibliographique générale des tra- - et divers programmes de calcul développés
vaux réalisés dans le monde j u s q u ' à 1980 ( M a - spécifiquement.
gnan et Baghery, 1982b) ;
- la variabilité des propriétés des argiles molles
organiques du site expérimental de Cubzac-les- Quelques résultats typiques
Ponts (Baghery et Magnan, 1983 ; Magnan et
Les conclusions tirées des travaux évoqués
Baghery, 1982 ; Haghgou, 1983) ;
ci-dessus ont été grandement influencées par les
- la stabilité et les tassements au cours du temps
résultats de certaines de ces études, qui ont mis en
des remblais expérimentaux A (remblai à la rup-
évidence les biais de m é t h o d e s de calcul, la diffi-
ture) et B (coefficient de sécurité de 1,5) de
culté de caler les niveaux de risques correspondant
Cubzac-les-Ponts (Baghery et Magnan, 1983 ;
aux dimensionnements traditionnels et les insuffi-
Magnan et Baghery, 1982a) ;
sances des données géotechniques disponibles.
- la variabilité des argiles molles sur le tracé de
l'autoroute A 6 4 dans la basse vallée de l ' A d o u r
(Magnan et Mahdavi, 1988) ; Exemple 1 :
- le risque d'instabilité le long d'un tracé de rem- Tassements au cours du temps
blai sur sol mou (Magnan et Mahdavi, 1988) ; du remblai B de Cubzac-les-Ponts
- la variabilité des propriétés des dépôts de
pentes argileux sur le site expérimental de L ' é t u d e des tassements effectuée par Baghery et
Sallèdes (Abdul B a k i et al, 1993 ; Magnan et Magnan (1983) s'appuie sur la théorie de la
al, 1993) ; consolidation unidimensionnelle pour le calcul
- la stabilité de deux remblais sur pente instable du degré de consolidation, avec un tassement
(remblais A et B du site expérimental de final déduit des courbes de compressibilité œ d o -
Sallèdes) (Abdul B a k i et al, 1993 ; Magnan et métrique. Pour cette étude, le sol de fondation
al, 1994) ; argileux a été divisé en neuf couches d'un mètre
- le calcul en éléments finis des déformations d'épaisseur. L e traitement probabiliste a été
d'un massif de sols à propriétés aléatoires, en effectué par la m é t h o d e de Monte-Carlo. Les
tenant compte de l'autocorrélation des p a r a m è - paramètres considérés comme aléatoires étaient :
tres dans les directions verticale et horizontale — l'indice des vides initial e , 0

(Boulefkhad, 1986) ; — l'indice de gonflement C , s

- l'analyse paramétrique de l'effet de la — l'indice de compression C , c

variabilité de la compressibilité et de la per-


— le poids volumique du sol y,
méabilité des sols sur le déroulement de la
— la pression de préconsolidation rj' ,
consolidation unidimensionnelle et bidimen- p

sionnelle (Bouheraoua, 1989 ; Magnan, — le coefficient de consolidation c . v

1989; Magnan et Bouheraoua, 1996) ;


L a figure 1 regroupe les principaux résultats de
- la variabilité expérimentale des résultats des cette analyse :
essais œ d o m é t r i q u e s (Magnan et Khemissa,
— histogramme des valeurs du degré de consoli-
1993).
dation au bout de 1 100 jours,
Ces travaux de recherche ont été complétés par la — histogramme des valeurs du tassement final,
rédaction de quelques articles de synthèse ou de — histogramme des valeurs calculées du tasse-
réflexion (Magnan, 1986, 1988 ; Favre et al, ment au bout de 1 100 jours.

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Fréquence (%)
Fig. 1 - Degrés d e c o n s o l i d a t i o n à 1 100 jours,
12
tassement final et t a s s e m e n t à 1 100 jours :
résultats d ' u n calcul probabiliste (Baghery et
M a g n a n , 1983).
10

Fréquence (%)
20

Tassement à 1100 jours Tassement final


15

10

16,5 37,4 58,4 108,7


0 10 20 30 40 50 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 110
Degré de consolidation U (%) Tassement (cm)
a. Histogramme des valeurs calculées du degré de b. Histogrammes des valeurs calculées du tassement
consolidation à 1 100 jours. à 1 100 jours et du tassement final.

Le tassement réellement observé au bout de ces Comme pour toute étude probabiliste, une
jours était de 58,4 centimètres, ce qui sort de méthode de calcul déterministe était néces-
l'intervalle des valeurs calculées par l a procé- saire : une version modifiée de la méthode cou-
dure de calcul probabiliste... C e résultat, qui pro- rante d'analyse de stabilité par rupture rotation-
vient des insuffisances de la méthode de calcul nelle (circulaire) a été utilisée, suivant le
déterministe utilisée, rappelle que l'introduction schéma de la figure 2. Ce schéma de calcul se
d'une certaine variabilité sur les données des cal- caractérise par le fait que le cylindre de sol qui
culs ne compense pas les défauts de la méthode glisse a une longueur limitée, avec mobilisation
de calcul sous-jacente : i l peut exister un biais d'une résistance supplémentaire sur les deux
important, qui doit être caractérisé et pris en extrémités planes du cylindre. O n imagine aisé-
compte si l ' o n veut calculer des incertitudes réa- ment que, dans un tel schéma de rupture, un
listes sur les ouvrages ainsi analysés. équilibre se fera entre la forte tendance à la
rupture dans les zones des sols les plus mous
et l'effet favorable de l a résistance mobilisée
Exemple 2 :
sur les extrémités du cylindre. Les zones les
Analyse des risques de rupture
plus défavorables doivent être centrées sur les
le long d'un tracé de remblai routier
parties les moins résistantes des sols de fonda-
L ' é t u d e de Magnan et Mahdavi (1988) sur la dis- tion et avoir une longueur limitée.
tribution des propriétés des argiles molles de la
basse vallée de l ' A d o u r , sur l ' u n des tracés envi-
sagés pour l'autoroute A 6 4 , a débouché sur une
analyse de l'incertitude affectant les coefficients
de sécurité des remblais sur sols mous du projet.
L a préparation des données statistiques a é t é
effectuée par krigeage des valeurs de la cohésion
non drainée du sol, qui avaient été soit détermi-
nées directement au scissomètre, soit déduites
d'autres mesures par corrélations. L ' i d é e était de
voir si l ' o n pouvait retrouver par un calcul pro-
babiliste l'existence de sections de remblai
moins stables que les autres, en définissant leur
longueur L et leur position, repérée par l'abs- Fig. 2 - Schéma de calcul de la stabilité du remblai
(sections instables de longueur limitée, avec des
cisse x du début de la zone instable sur le tracé. extrémités planes).

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Le p r o b l è m e a été analysé par la m é t h o d e de des échelles de variabilité des propriétés des sols
Monte-Carlo, pour tenir compte aussi précisé- si l'on veut faire des estimations réalistes des
ment que possible des informations disponibles incertitudes sur les résultats des calculs et des
sur la variabilité de la résistance des argiles probabilités de rupture. L a nécessité d ' o p é r e r ce
molles en conditions non drainées. Des milliers q u ' i l est convenu d'appeler une « réduction de
de calculs ont été nécessaires pour analyser variance » est clairement illustrée par l'exemple
toutes les combinaisons possibles de la position qui suit, développé par Genevois (1984). Il s'agit
du début et de la longueur des sections instables. d'un calcul de portance de fondation superfi-
Dans chaque cas, on a déterminé l'histogramme cielle, pour lequel on utilise en général une for-
des valeurs du coefficient de sécurité F , ce qui mule de capacité portante de la forme :
permettait de trouver la probabilité que F soit
inférieur à un seuil fixé.
= Y I
+ c N (( } + c N
q x
ma
N
M l q P c (<P>
L a difficulté de l'exercice tient au fait que l ' o n ne
sait pas quelle valeur du seuil de stabilité doit être qui donne la pression q provoquant l'instabilité
m a x

adoptée. E n effet, les valeurs classiquement d'un massif de sol dont la résistance au cisaille-
i m p o s é e s du coefficient de sécurité sont calculées ment obéit au critère de Mohr-Coulomb (paramè-
en rupture « circulaire » (cylindrique), sur un tres c et <p), sous une charge superficielle verticale
cylindre de longueur infinie et c'est sur ce méca- centrée de dimension caractéristique B , avec une
nisme de rupture qu'ont été étalonnées les estima- pression uniforme q appliquée à la surface du sol
tions de stabilité. L a figure 3 présente l'allure des autour de la charge. A i n s i , pour une semelle
résultats que l'on peut obtenir dans une telle ana- rugueuse, la solution approchée de Terzaghi
lyse : elle est d o n n é e sous la forme d'une estima- fournit les valeurs suivantes du coefficient N ((p): y

tion de la probabilité que le coefficient de sécurité


soit inférieur à un certain seuil pour chaque sec- <P degrés 0 5 10 15 20 25 30 35 40 45
tion testée. L a probabilité de rupture maximale
correspond au pic de la surface obtenue. On peut N (<p)
Y
- 0 0,5 1,2 2,5 5 9,7 20 42 130 330
repérer ainsi la ou les zones les plus critiques du
tracé et réagir en conséquence. Toutefois, ce type Les coefficients de la formule précédente ont des
d'analyse est très laborieux et nécessite beaucoup expressions explicites qui permettent de déter-
de données. D'autre part, on ne sait pas quelle miner par des techniques standardisées de calcul
valeur maximale conventionnelle de la probabi- de fonctions aléatoires les espérances m a t h é m a t i -
lité de rupture doit être fixée comme objectif aux ques (valeurs moyennes) et écarts-types de la pres-
justifications de la stabilité du remblai. sion maximale q . L'application directe de ces
m a x

formules permet de transformer la variabilité des


Prob {F < a] Géométrie critique données du calcul en une variabilité du résultat.

Si l'on admet que le massif de sol est une masse


h o m o g è n e d'un matériau purement frottant (co-
hésion c nulle) ayant un angle de frottement
interne (p dont les essais ont d o n n é :
— une valeur moyenne = 35 degrés,
- un écart-type o v - 5,5 degrés,

c'est à dire un coefficient de variation C,p = 15 %,


on trouve, en l'absence de pression latérale q, que
la pression maximale q a, selon la forme de la
m a x

loi de distribution de (p, les caractéristiques statis-


Fig. 3 - Synthèse des résultats des calculs : probabilité tiques suivantes :
que le coefficient de sécurité soit inférieur à un seuil a
pour une section de remblai de longueur L et d'origine x.
loi loi
Forme de la loi de cp
log-normale béta

Exemple 3 : Valeur moyenne de q m a x 21 y B 21 yB


À propos des probabilités de rupture Écart-type de q 31,3 y B 14,9 y B
des dimensionnements courants
m a x

Coefficient de variation de Q „ „ 149,1 % 71,1 %


L'application des calculs des probabilités en
géotechnique a débuté i l y a une vingtaine d'an- O n peut ensuite estimer la probabilité qu'une
nées et l'évolution est encore en cours. E n effet, charge d o n n é e , par exemple égale à un tiers de la
les quelques études publiées sur ce sujet ont charge maximale, comme on l'impose dans les
m o n t r é q u ' i l est indispensable de tenir compte m é t h o d e s de calcul classiques des fondations

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i

superficielles, soit supérieure à la charge maxi- sol est sollicité (une faiblesse locale peut dans
male réelle : certains cas entraîner la rupture, tandis que, dans
d'autres cas, i l faut qu'un volume de sol impor-
tant soit en état de plasticité pour que la rupture
p
Pr = ™ b > q m a x j = j g(x)dx se développe).
L'estimation de la réduction de variance est donc
en désignant par g(x) la densité de probabilité devenue un sujet d'intérêt pour les études statis-
des valeurs de x = q . L a probabilité de rupture
m a x
tiques et probabilistes de mécanique des sols et
dépend donc de la loi de probabilité choisie et des roches.
des valeurs moyennes et écarts-types des para-
mètres. S i l'on admet, dans une approche simpli- Exemple 4 :
fiée, que la distribution de p est normale, on r
Influence de l'autocorrélation spatiale
obtient, dans les deux cas précédents : sur les incertitudes des calculs
— pour une distribution béta de (p : p = 17,4 % , r
L'autocorrélation spatiale des valeurs des para-
— pour une distribution log-normale de (D : mètres de calcul est la traduction statistique de
p = 33 %.
r
l'idée (et de l'observation) que les valeurs d'un
S'agissant de la procédure de dimensionnement paramètre en deux points proches ont plus de
standard des fondations superficielles, ces proba- chances d'être voisines que celles correspondant
bilités sont beaucoup trop élevées pour être réa- à deux points plus éloignés. Cette interdépen-
listes. S i l'on ne veut pas accepter ce qu'ont pro- dance des valeurs d'un m ê m e paramètre est
posé certains chercheurs, d'avoir une valeur représentée par la fonction d'autocorrélation
conventionnelle élevée de la probabilité de rup- dans la théorie des champs aléatoires et par le
ture sans relation avec le risque réel, i l faut cher- variogramme en géostatistique.
cher la cause de cette discordance fondamentale L'autocorrélation est l'un des facteurs impor-
des probabilités de rupture estimées et réelles. L a tants du calcul de la réduction de variance, car
réponse est dans la variabilité spatiale des pro- elle traduit la diversité ou la ressemblance des
priétés des sols et le rapport des échelles des valeurs du paramètre qui peuvent être trouvées
essais et des ouvrages. dans un volume donné de l'espace. Plus l'auto-
Genevois (1984) a montré, en appliquant la corrélation est forte et plus la variabilité de la
méthode de Monte-Carlo à une méthode de valeur moyenne représentative du comportement
calcul en déformations élastoplastiques, que la d'un volume de sol reste grande par rapport à la
prise en compte de l'hétérogénéité du sol per- variabilité observée dans les essais. Par contre, si
mettait de réduire d'un facteur 100 les écarts- l'autocorrélation est faible (les valeurs du para-
mètre ne sont liées que sur une distance limitée),
types des résultats, d ' o ù des probabilités de rup-
l'effet du calcul de moyenne sur le m ê m e
ture beaucoup plus faibles. Il a obtenu, dans le
volume réduit très fortement la variabilité (donc
cas où l'angle de frottement interne suit une dis-
l'incertitude) de la valeur de calcul du paramètre.
tribution normale de m ê m e s moyenne et écart-
type que p r é c é d e m m e n t , avec une loi d'autocor- A u cours de la dernière décennie, les travaux des
rélation avec la profondeur, un coefficient de Laboratoires des Ponts et Chaussées sur ce
variation de N de 0,61 %. L a probabilité de rup-
y thème ont porté notamment sur le calcul des
ture associée, dans l'hypothèse d'une loi de dis- incertitudes sur les tassements des massifs de
tribution normale de N , est e x t r ê m e m e n t faible
y sols, tant dans le cas de l'élasticité linéaire que
puisque que l'on est à plus de cent écarts-types dans celui de la consolidation unidimensionnelle
de la valeur moyenne quand on retient une et bidimensionnelle. Ce dernier sujet est traité
charge égale au tiers de la charge de rupture. dans l'article de Magnan et Bouheraoua (1996)
et nous développerons ici l'exemple des calculs
Dans ce calcul, la diminution de la variabilité du
de déformations des massifs élastiques linéaires.
résultat est due au fait que le volume de sol qui
contrôle la réponse du massif de fondation à la Si l'on charge en surface un massif de matériau
charge appliquée est beaucoup plus grand que le obéissant aux lois de l'élasticité linéaire isotrope,
volume utilisé pour les essais de laboratoire : de ce qui est le modèle de base de beaucoup
ce fait, on y trouve une grande partie de la distri- d'études géotechniques, le comportement du
bution des valeurs des paramètres de calcul et matériau est représenté par le module d ' Y o u n g E
c'est une valeur moyenne beaucoup moins sen- et le coefficient de Poisson v. Les mesures de ce
sible à la variabilité naturelle du sol qui inter- genre de paramètres sont toujours locales, sur un
vient en réalité dans le calcul. Cette réduction de volume de matériau en général beaucoup plus
la variabilité (« réduction de variance ») dépend petit que le volume du massif chargé. L e coeffi-
naturellement de la dimension de la masse de sol cient de Poisson est rarement mesuré dans les
qui répond au chargement et de la façon dont le sols et l'on ne dispose pas de données sur ses

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variations dans l'espace. L e module d ' Y o u n g tats d'un grand nombre de calculs numériques
peut être mieux suivi, au moins en tant dont les données ont été créées par un générateur
q u ' é c h e l l e de l'amplitude des déformations. de nombres (pseudo-) aléatoires en respectant les
lois de distribution des paramètres du calcul ;
Pour un jeu d o n n é de valeurs mesurées du
- soit en effectuant un calcul direct en traitant par
module d ' Y o u n g en différents points d'un massif
une m é t h o d e de type éléments finis des équations
de sol, plusieurs d é m a r c h e s de calcul peuvent
linéarisées donnant à la fois la valeur moyenne et
être adoptées (Tableau I) :
la variance des déplacements en chaque n œ u d du
• les d é m a r c h e s (déterministes) classiques maillage. L e programme P R O B E F , élaboré par
consistent à définir une valeur unique du module Boulefkhad (1986) sur la base d'un programme
d ' Y o u n g , si l ' o n envisage de faire un calcul par de calcul par éléments finis du Laboratoire
abaque ou des valeurs représentatives par zone, Central des Ponts et Chaussées ( L C P C ) , réalise ce
si l ' o n effectue un calcul numérique sans restric- type d'analyse. A v e c les notations classiques des
tions sur le zonage des données. S i l ' o n désire programmes de calcul en éléments finis, ses équa-
savoir quelle est l ' é t e n d u e des comportements tions sont les suivantes :
possibles en cas d'erreur d'appréciation des don-
nées, on fera des calculs avec les valeurs [K] [U] = [F]
extrêmes que l ' o n peut déduire des mesures ;
P 3u. 9u,
• les d é m a r c h e s probabilistes peuvent présenter cov [u , u j
k cov [ E Ej]
i5
3F"
plusieurs niveaux de complexité de l'analyse. L a 1=1 j=l

plus simple consiste à utiliser la m ê m e d é m a r c h e


que dans le calcul déterministe h o m o g è n e , en attri-
buant au module d ' Y o u n g global une l o i de distri- + ^ A; dv 3v:
cov [v Vj].
i;

1=1 j=l
bution dont on estimera l'effet sur les tassements
calculés. Les déformations et les tassements sont Dans ces équations, [K] est la matrice de rigidité
inversement proportionnels au module d ' Y o u n g E globale, [U] le vecteur des déplacements
et la l o i de distribution des tassements calculés est inconnus u des n œ u d s du maillage, [F] le vec-
k

identique à celle de l'inverse du module d ' Y o u n g . teur des charges appliquées, E et v, sont le ;

O n en déduit que les coefficients de variation du module d ' Y o u n g et le coefficient de Poisson de


tassement s et du module d ' Y o u n g E sont approxi- l'élément i du maillage, la notation |^ indique
mativement liés par la relation : que la fonction qui précède doit être calculée
pour les valeurs moyennes de E et v, et p est le
Ce — C 1 / E ~ nombre d ' é l é m e n t s du maillage. Les dérivées de
1 + Ci la formule de calcul de la covariance peuvent
L e calcul est donc très simple, mais les incerti- être déduites des expressions matricielles :
tudes réelles sur les tassements calculés sont pro-
bablement inférieures à celles que l ' o n peut pré-
voir de cette façon [ce jugement est nuancé pour
"au" = [K]" 1
"3K"
3Ei
[U],
[aE L

la raison essentielle que les calculs de tassements


par modules d ' Y o u n g mesurés directement sont rau" = [K]" 1
"3K"
[U].
assez rares dans la pratique de la géotechnique. avj 3vJ
Pour les sols fins, qui sont les seuls que l ' o n
Pour leur part, les covariances des modules
puisse prélever en pratique, les amplitudes des
d ' Y o u n g ou coefficients de Poisson des éléments
tassements n'apparaissent qu'au travers de la
doivent être calculées en tenant compte de l'au-
consolidation du sol, qui est complexe. Pour les
tocorrélation des variations dans l'espace des
autres types de sols, les mesures de modules sont
valeurs locales de ces paramètres.
indirectes en général (pressiomètre, par exemple)
et les formules de calcul sont déjà issues de cor- L'application des deux m é t h o d e s précédentes au
rélations avec des observations de tassements]. problème plan du tassement d'une couche de sol
chargée sur une partie de sa surface supérieure
Une d é m a r c h e plus satisfaisante du point de vue
conduit aux résultats du tableau II (Boulefkhad,
de la physique des p h é n o m è n e s est de considérer
1986).
que les valeurs des modules ont été m e s u r é e s sur
de petits volumes, qu'elles coexistent toutes On observe que l'effet global de la variabilité
simultanément dans le massif de fondation et spatiale des paramètres m é c a n i q u e s du sol est de
que le tassement résulte de l'effet de tout ou réduire sensiblement la dispersion (coefficient de
partie (suivant les dimensions de la zone char- variation) des résultats autour de leur valeur
gée) de la distribution statistique des valeurs moyenne. Cette observation suggère que l ' o n
possibles. Pratiquement, le calcul probabiliste pourrait faire des calculs simples (de type
des tassements peut être effectué : « massif h o m o g è n e ») en réduisant la variabilité
— soit en utilisant la m é t h o d e de Monte-Carlo des paramètres préalablement au calcul pour
pour analyser la distribution statistique des résul- tenir compte du rapport des échelles de la zone

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I

TABLEAU I
S c h é m a s de calcul des d é f o r m a t i o n s d'un massif élastique linéaire isotrope

Données brutes On dispose d'informations sur :


Zone chargée
- les valeurs des modules d'Young en différents
points du massif;
H T II H H
- les charges possibles.
5 • • 8
Mesures du module d'Young

10

Calcul classique Méthode de calcul : Résultat :


(déterministe) Zone chargée
- calcul de la valeur - tassement de chaque
, i i m n
moyenne du module
d'Young; l
point du massif.

- calcul du tassement
par abaques ou calcul
Valeur moyenne ou numérique.
"représentative" de E

Méthode de calcul : Résultat :


Zone chargée
- zonage des valeurs - tassement de chaque
du module d'Young; point du massif.

- calcul du tassement
par méthode numérique.

Calcul Méthode de calcul : Résultat :


d'incertitude Zone chargée
(probabiliste) - valeur unique incertaine - valeur moyenne du
du module d'Young tassement;
(incertitude des mesures);
- écart-type du
Couche homogène - calcul du tassement tassement
par abaques ou calcul (valeur forte)
- valeur moyenne du module d'Young numérique.
- écart-type du module d'Young
(loi de distribution du module d'Young)
- coefficient de Poisson (?)

Méthode de calcul : Résultat :


Zone chargée
- valeurs incertaines -valeur moyenne du
du module d'Young tassement;
par zones;
- écart-type du
- calcul numérique et tassement
méthode de Monte Carlo (valeur plus faible)
ou calcul direct en
éléments finis
"stochastiques".

31
BULLETIN DES LABORATOIRES DES PONTS ET CHAUSSÉES - 202 - MARS-AVRIL 1 9 9 6 - RFF M?? - P P ¡»¡-.1*
chargée et des variations des paramètres dans La gestion des échelles
l'espace. O n revient ainsi à la notion de réduc-
Concernant les échelles différentes des projets,
tion de variance déjà c o m m e n t é e plus haut, qui
des fluctuations des sols et des essais, que l ' o n
peut apporter une solution pratique au p r o b l è m e
doit gérer dans un contexte de contrainte é c o n o -
de l'estimation des incertitudes sur les résultats
mique, un chiffre significatif doit être gardé à
des calculs de géotechnique.
l'esprit quand on s'interroge sur les conditions
des analyses statistiques en géotechnique. C e
TABLEAU II
Coefficients de variation d u tassement
chiffre est celui de la densité de la reconnaissance
d ' u n massif é l a s t i q u e ( B o u l e f k h a d , 1986) des sols sur les sites des projets : une densité de
reconnaissance d'un sondage par surface de
Type de calcul Hypothèses Résultats
(module d'Young) (tassement)
100 m x 100 m est classique pour la plupart des
probabiliste
projets. S i l ' o n admet que ce sondage a un
Calcul homogène Coefficient de variation Coefficient de variation diamètre de 10 cm et a été exploité en continu
avec variabilité C = 0,3 C = 0,275
non réduite
E S sur toute l'épaisseur des sols intéressant le projet
C E = 0,6 C S = 0,44 (ce qui n'est jamais le cas), le volume de sol testé
directement représente une fraction très faible du
Calcul hétérogène : Coefficient de variation Coefficient de variation
variabilité = 0,08
volume total du sol sur le site du projet :
C = 0,3 C
unidimensionnelle
E S

sans autocorrélation C E = 0,6 C = S 0.21


« = ^ = ^ = 2
0,785.10-
Calcul hétérogène : Coefficient de variation Coefficient de variation S 100
variabilité = 0,06
C = 0,3 C A titre de comparaison, un sondage d'opinion
bidimensionnelle
E S

sans autocorrélation C E = 0,6 C S = 0,15 dans un pays comme la France se fixe souvent
Calcul hétérogène : Coefficient de variation Coefficient de variation comme objectif de représentativité d'interroger
variabilité C = 0,3 C = 0,16
de l'ordre de 1000 personnes pour une popula-
bidimensionnelle et
E S

= 0,6 = 0,17
tion interrogeable de l'ordre de 30 millions de
autocorrélation CE
C S

et distance d'autocorré- personnes, soit un taux d ' é c h a n t i l l o n n a g e de :


lation de 10 fois la
largeur B de la bande 1 000 ,
4
a = = 0,33.10"
chargée. 30 000 000
A i n s i , l'échantillonnage standard de la géotech-
A propos de l'applicabilité nique est environ 50 fois plus faible que celui des
des méthodes statistiques sondages d'opinion. Dans ces conditions, le succès
et probabilistes en pratique des prévisions faites par les géotechniciens repose
pour beaucoup sur des bases qui échappent à la
Trois difficultés guettent l'ingénieur qui désire simple analyse statistique et qui dépendent de ce
faire une analyse statistique des données de ses que l ' o n peut appeler la « logique géologique des
projets ou une analyse probabiliste du comporte- sites », ensemble de règles de logique stratigra-
ment de ses ouvrages : phique et chronologique qui permettent d'inter-
• la première difficulté concerne la gestion des poler les informations des sondages ou de détecter
différences d ' é c h e l l e s entre les projets (typique- les anomalies pour approfondir la reconnaissance.
ment, quelques centaines de mètres, voire quel- L ' i n g é n i e u r qui doit procéder à la caractérisation
ques kilomètres), les fluctuations des propriétés statistique d'un site est donc d'abord confronté à
physiques et m é c a n i q u e s des sols ou roches sur la rareté de l'information disponible. Cette infor-
le site (typiquement, quelques dizaines de centi- mation consiste en général en des résultats d'es-
mètres en profondeur et quelques dizaines de sais exécutés sur de petits volumes de sol (sou-
mètres horizontalement) et les essais (éprou- vent les essais sont effectués sur des éprouvettes
vettes de quelques centimètres de hauteur en de sol qui ne sont pas réutilisables, de sorte que
laboratoire, quelques dizaines de centimètres au les essais attachés à un m ê m e point du sondage
plus dans les essais en place, avec une mesure ne sont pas en réalité exécutés sur le m ê m e
discontinue dans les deux cas, sauf pour les échantillon de sol..., mais nous n'insisterons pas
essais au pénétromètre) ; ici sur ce point annexe). Il faut donc déduire
• la seconde concerne la façon dont est défini le d'une série de mesures « ponctuelles » les pro-
risque et dont i l est pris en compte (répartition priétés à prendre en compte dans les calculs. O r
entre les sources d'incertitudes possibles) ainsi les travaux théoriques exécutés depuis une
que la justification des niveaux de risques que dizaine d ' a n n é e s ont tous montré que les incerti-
l ' o n considérera comme « normaux » pour les tudes sur le dimensionnement des ouvrages sont
ouvrages courants ; produites par la variabilité des valeurs moyennes
• la troisième est liée aux causes réelles des des propriétés des sols à l'échelle de ces
catastrophes en géotechnique, dont l'origine ouvrages et non par la variabilité locale de ces
é c h a p p e souvent aux analyses statistiques. propriétés : i l convient donc d'estimer les para-

32 ii i c-riki r-ii-o i A DADATm occ H C C P A M T C cr-T r i w â l I C C C C C _ OnO - MÛE3Q-AV/RII 1 Q Q K . RPF - PP ?<%-?t«î


mètres statistiques des valeurs moyennes des conditions concrètes de l'application d'une telle
paramètres de calcul sur un volume de sol donné, d é m a r c h e de dimensionnement, dans le cas des
ce qui nécessite de disposer d'un minimum d'in- ouvrages de géotechnique, montre que les obsta-
formations sur les lois de variabilité spatiale cles sont très importants.
(fonction d'autocorrélation ou variogramme) de
L a localisation des risques dans le projet d'ou-
ces propriétés au niveau local. E n règle générale,
vrage est une première question complexe à
les données disponibles sur les sondages ne per-
résoudre : i l existe en fait deux types de risques,
mettent pas de définir les lois de variabilité hori-
celui qui provient de l'incertitude sur les charges
zontale des massifs de sols et les analyses dans
la direction verticale ne sont pas toujours meil- et celui qui provient de l'incertitude sur l'ou-
leures, compte tenu de la consistance réelle des vrage l u i - m ê m e (géométrie et matériaux). Ces
essais exécutés dans chaque sondage. Cette diffi- deux types de risques n'interviennent pas de la
culté essentielle peut rarement être surmontée. m ê m e façon dans les calculs, les charges étant
Les études statistiques réalisées j u s q u ' à présent appliquées par l'intermédiaire de conditions aux
ont donc en général « inventé » les fonctions de limites et éventuellement sous forme de forces
variation spatiale des propriétés des sols, en volumiques susceptibles de varier dans le temps,
s'appuyant au mieux sur les résultats de quelques tandis que les incertitudes sur la géométrie et les
recherches antérieures. L a solution de ce pro- matériaux perturbent l a forme m ê m e des équa-
b l è m e ne pourrait venir que d'une augmentation tions et sont des incertitudes « permanentes »,
sensible de la densité des reconnaissances géo- que l ' o n peut réduire par l'observation du
techniques, donc de leur coût... Il n'est malheu- comportement de l'ouvrage ou d'un ouvrage
reusement pas certain qu'une telle augmentation expérimental construit sur le m ê m e site.
soit comprise et acceptée par les donneurs d'or-
L a répartition de l a sécurité dans les méthodes
dres pour les reconnaissances géotechniques, qui
d'analyse traditionnelle, q u ' i l s'agirait de rem-
reçoivent des prestations en général suffisantes
placer par des méthodes d'évaluation de risques,
pour le niveau de coût actuel des études géotech-
diffère en pratique selon que l ' o n s'occupe de
niques.
dimensionnement d'ouvrages par la « résistance
des matériaux » ou de calcul d'ouvrages géo-
Définition et niveaux des risques techniques en « m é c a n i q u e des sols ». Les tra-
vaux d'élaboration des Eurocodes, déjà évoqués
Dans le calcul probabiliste des ouvrages, l'ob-
plus haut, ont en effet rappelé que les ingénieurs
jectif est de prédire un comportement correspon-
en structure pénalisent principalement les
dant à un certain niveau de risque (ou d'incerti-
charges (qui sont augmentées) alors que les
tude). O n se fixera par exemple q u ' i l n ' y ait pas
mécaniciens des sols pénalisent la résistance des
plus de 1 % de risque de déformation excessive
sols (qui est diminuée), mais peu les charges.
de l a structure de l'ouvrage ou du sol de fonda-
Dans une approche unifiée, i l faut distinguer la
tion ou 0,1 % de risque d'instabilité de ce m ê m e
part de la sécurité (et donc du risque) que l ' o n
ouvrage... ou encore que les déformations sous
attachera aux incertitudes sur les charges et la
charges de service soient connues avec une
part de sécurité que l ' o n attachera aux propriétés
incertitude imposée.
des sols... et l ' o n manque de données pour faire
Si la fixation de tolérances sur la prévision des cette répartition. O r i l est important de savoir
déformations sous une charge d o n n é e fait partie quel niveau de risque calculé on accepte comme
des demandes classiquement reçues par le géo- critère de justification d'un ouvrage. C e niveau
technicien, l a définition de niveaux de risques vis- de risque est toujours analysé par référence aux
à-vis des différents modes de rupture des ouvrages accidents connus du passé, mais cette analyse est
est une nouveauté dans le monde de la géotechni- peu fiable : les comptes rendus d'accidents ou
que, traditionnellement habitué à dimensionner incidents ne permettent pas toujours d'identifier
des ouvrages « qui tiennent dans les hypothèses les causes réelles des sinistres, ni d'ailleurs la
adoptées pour le projet ». L'origine de cette reven- gravité des incidents, de sorte que les estimations
dication nouvelle, qui est plus celle des corps inter- des probabilités de ruine associées aux dimen-
médiaires fixant les m é t h o d e s de justification des sionnements traditionnels sont en général inexac-
ouvrages que celle des clients « finals », est liée tes, ce qui fausse les références adoptées pour le
aux perfectionnements des m é t h o d e s de définition dimensionnement « probabiliste ».
des charges temporaires et accidentelles sur les
ouvrages de génie c i v i l . L e formalisme « se-
Les causes réelles
mi-probabiliste » des règles générales des « Euro-
codes structuraux » en cours d'élaboration dans le des accidents de géotechnique
cadre du C E N (Comité Européen de L'examen de nombreux sinistres enregistrés en
Normalisation) trouve en effet sa justification dans géotechnique depuis plusieurs dizaines d'an-
l'appréciation des niveaux de risques associés au nées conduit à l a conclusion que ces accidents
dimensionnement de l'ouvrage. M a i s l'étude des sont dus pour la plupart à des erreurs humaines

33
BULLETIN DES LABORATOIRES DES PONTS ET CHAUSSÉES - 202 - MARS AVRIL 1996 - RÉF. 4022 - PP. 25-35
(« erreurs grossières ») dans la conception des Conclusion
ouvrages ou leur calcul, voire leur réalisation,
et non à des imperfections des niveaux de Tirer des conclusions des travaux réalisés au
sécurité des m é t h o d e s classiques de dimension- cours d'une quinzaine d ' a n n é e s est difficile
nement. Ce type d ' é v é n e m e n t échappe à l'ana- quand ces travaux ont porté sur des aspects très
divers des applications des méthodes statistiques
lyse statistique classique, comme toutes les
et probabilistes en géotechnique : études de sites
causes humaines.
et d'ouvrages, analyses théoriques et paramétri-
L'autre source importante de déboires dans les ques, réflexions méthodologiques... L ' a v e n i r des
projets de g é o t e c h n i q u e est la mauvaise qualité applications de ces m é t h o d e s d'analyse dans la
des d o n n é e s utilisées pour calculer les ouvrages pratique des projets nous paraît assez limité dans
lorsque la reconnaissance géotechnique du site a l'état actuel des connaissances et des crédits
été ratée, pour une raison quelconque, sans que affectés aux études géotechniques. M a i s ces tra-
l'ingénieur responsable du dimensionnement vaux ont permis de prendre conscience de l ' i m -
s'en aperçoive. Il s'agit i c i encore d'une erreur portance de la variabilité des sols dans le calcul
de m é t h o d e de travail, qui est de nature des ouvrages, et de la limitation apportée par les
humaine et donc contrôlable à défaut d ' ê t r e pré- effets de moyennage sur les volumes de sols
visible. contrôlant le comportement de chaque ouvrage.
Cette prise de conscience a permis d'orienter la
O n pourrait objecter i c i que la statistique des rédaction de l'Eurocode 7 (Dimensionnement et
accidents existe et peut donc être utilisée, mais calcul des ouvrages de géotechnique) dans un
sa représentativité est limitée par le fait que la sens plus représentatif de la réalité du comporte-
plupart des ouvrages de géotechnique sont des ment des massifs de sols naturels. Les travaux
ouvrages uniques par leur géométrie, leur actuels des laboratoires des ponts et chaussées
conception et le site où ils sont construits et sont dirigés à la fois vers un approfondissement
que, de ce fait, les statistiques portent sur des des études sur la répartition de la sécurité dans la
é v é n e m e n t s en nombre insuffisant pour établir justification des ouvrages et vers l'analyse des
des corrélations directes entre les accidents et données géotechniques par les méthodes
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ABSTRACT

T h e g e o t e c h n i c a l a p p l i c a t i o n s of s t a t i s t i c s a n d probability s t u d i e s at t h e L C P C

J.-P. MAGNAN
The work ot the Laboratoire central des Ponts et Chaussées on statistical and probability studies relating to soil mecha-
nics began in the 1960s : at that time it covered the analysis ot data correlations, the variability of naturel soils, and
structural design calculation
The authors reviews the principal work carried out, and gives an account of some typical lesulls (settlement of embank
mcnts on compressible soils over a period of time, risks of failuie on a highway embankment alignment, probabilities of
failure of shallow foundations, and the influence of espace autocorrelations on settlement). In conclusion, the possibi-
lités ot practical application of statistical analyses and piobability studies in geotechnical studies are discussed.

BULLETIN DES LABORATOIRES DES PONTS ET CHAUSSÉES - 202 - MARS-AVRIL 1 9 9 6 - RÉF. 4 0 2 2 - PP. 2 5 - 3 5 35

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