Vous êtes sur la page 1sur 132

ADVEnTURe

iSlAnD
LE MYSTÈRE DU RUBIS MAUDIT

Traduit de l’anglais par Anouk Journo-Durey


À mes parents
1

FRoID
DAns le DoS

V
– ous avez vu le cirque qui s’est installé sur la place ? Le spectacle est
toujours génial ! On y va ! décida Emily Wild.
– Euh… où ? demanda Jack, les yeux fixés à l’horizon.
– Quel cirque ? renchérit Scott, aussi distrait que son frère.
Assise sur un rocher au soleil, son chien Drift dans les bras, Emily se mit à
rire. Jack et Scott Carter finissaient leurs sandwichs tout en admirant
rêveusement l’eau bleue de la petite crique des Pirates.
– Le cirque Romaldi ! Vous n’avez pas remarqué les affiches ? Ils viennent
à Castle Key chaque année à la fin des vacances… Et c’est déjà la fin des
vacances, ajouta-t-elle, attristée. C’est passé trop vite.
– Beaucoup trop vite, admit Scott.
– Vraiment trop, confirma Jack.
Tous deux étaient arrivés sur l’île de Castle Key au début de l’été.
Accueillis chez leur tante Kate, écrivain, ils avaient d’abord redouté de
s’ennuyer à mourir. Castle Key, c’était le bout du monde, un endroit perdu au
milieu de la mer, à des années-lumière des tourbillons de leur vie
londonienne ! Mais, contre toute attente, ils avaient vécu une incroyable
succession d’aventures palpitantes.
Plus précisément, ils n’avaient pas cessé de résoudre d’extraordinaires
mystères : la disparition d’un trésor1, d’une star de cinéma2, d’œuvres
d’art3… Lorsqu’ils l’avaient rencontrée, Emily avait déjà l’habitude de se
transformer en détective. C’était elle qui les avait entraînés ! Et dorénavant,
ils formaient une équipe de choc. Ils auraient bien continué à jouer aux agents
secrets durant toute l’année… Sauf que leur père, parti effectuer des fouilles
archéologiques en Afrique, reviendrait bientôt les chercher et les ramènerait
à Londres.
En attendant la rentrée, ils comptaient profiter au maximum de chaque
journée, du grand air et de la mer.
– Alors, on y va ? demanda Emily.
– Où ? interrogèrent Jack et Scott en même temps.
– Mais au cirque ! Vous n’écoutez pas quand je vous parle ou quoi ? Le
spectacle a pour thème les Mille et Une Nuits, précisa Emily. Ce sera
sûrement mystérieux… et magique !
– Mystérieux ? répéta Scott, peu convaincu.
– Moi, ça m’intéresse s’il y a de gros et grands lions très méchants mais
très domptés, plaisanta Jack.
Emily lui lança une miette de pain à la figure.
– Ils n’ont aucun animal à part un cheval et un petit caniche. C’est cruel
d’exploiter des animaux pour faire des numéros.
– Je sais ! répliqua Jack. Je plaisantais !
Emily hocha la tête.
– Ouf ! On verra des acrobates, une contorsionniste, de super trapézistes –
la fille a à peu près notre âge – et aussi un artiste qui avale des épées, je ne
sais pas comment c’est possible mais il le fait !
– Il avale des épées ? répéta Jack. Waouh, cool !
Et, rejetant la tête en arrière, il mima l’action en avalant une bouchée de
sandwich.
– Quel clown, soupira Scott.
– Jack le pitre, renchérit Emily. Bon, dépêchez-vous de finir de manger !
Elle était déjà prête à partir. Elle déjeunait vite, courait vite, réfléchissait
vite… Et se décidait vite !
– Et si on allait nager ? proposa-t-elle dès qu’ils eurent terminé leur repas.
Aussitôt, Drift leva ses deux oreilles – l’une noire et l’autre blanche avec
des taches brunes. « Nager » était l’un de ses mots favoris.
– Yes ! lança Jack en se levant en même temps qu’Emily.
Scott croisa les mains derrière la nuque comme si cette proposition ne le
tentait pas. Puis, à la dernière minute, il se redressa d’un bond et fonça à
toute vitesse vers la plage :
– Le dernier dans l’eau achète les billets pour le spectacle de ce soir !

Par chance, les trois amis purent s’asseoir au premier rang. Le chapiteau
était bondé, et le spectacle s’annonçait féerique. Emily n’avait pas exagéré !
Un spectacle de lumière au laser en rythme avec une musique orientale
ouvrit la représentation. Puis les spectateurs furent plongés dans le noir, des
étoiles scintillèrent sous le dôme et des tapis volants traversèrent l’espace !
Sur chacun d’entre eux se tenaient des acrobates qui effectuaient des
pirouettes, des roues et des sauts incroyablement impressionnants.
Installée entre Scott et Jack, Drift sur les genoux, Emily ne cessait
d’applaudir. On voyait qu’elle adorait le cirque !
Jack et Scott étaient tout aussi fascinés.
Un grand cheval blanc entra sur scène, monté par un vieil homme vêtu d’un
costume de sultan étincelant et d’un turban. Il arborait une volumineuse
moustache et d’épais sourcils blancs. D’un ton solennel, il présenta le
premier numéro :
– Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, je vous invite à découvrir le
talent exceptionnel de notre magicien des épées, alias l’homme-qui-se-
moque-de-tous-les-dangers !
Et, sous un tonnerre d’applaudissements, l’artiste fit son apparition. D’une
stature imposante, le teint cuivré, il portait un justaucorps blanc, des
bracelets de cuir clouté et un protège-torse métallique. Des lames étaient
tatouées sur son dos. Des lames qui semblaient aussi tranchantes que celles
avec lesquelles il jonglait… Six dagues, fuselées, qu’il lançait haut et
rattrapait… dans sa bouche, puis il se renversait sur un matelas hérissé de
clous…
Emily se tourna vers Jack.
– Tu n’as pas intérêt à essayer de l’imiter !
– Pfff…
Et Jack engloutit une grosse bouchée de barbe-à-papa. Scott se mit à rire.
– Par prudence, je demanderai à tante Kate de cacher tous les couteaux de
la maison ! Mon cher petit frère étant imprévisible…
– Ha, ha ! fit Jack.
Puis ils reportèrent leur attention sur la jeune femme habillée comme une
princesse des Mille et Une Nuits en train d’effectuer la danse du ventre au
milieu de la piste. Puis elle se glissa avec souplesse dans une grande jarre
qui semblait sortie de la caverne d’Ali Baba. Le magicien des épées referma
le couvercle et, accompagné d’un roulement de tambour solennel, entreprit de
transpercer la jarre avec acharnement.
– La pauvre, elle va finir trouée tel du gruyère, dit Jack, à la fois amusé et
perplexe. Comment il réussit un tour pareil ?
– Elle a un faux corps qui enrobe le sien, déclara Scott lorsqu’elle
réapparut, bien sûr intacte.
Tous deux saluèrent le public et on les acclama. Ensuite, l’arène fut
occupée par des acrobates, des jongleurs, et une contorsionniste qui parvint à
se lover dans des boîtes et des sacs minuscules. Puis vint le tour d’un certain
Incognito, un drôle d’individu au visage peint en vert, en justaucorps
imitation lézard et avec une cape noire : il incarnait un génie qui, émanant
d’une lampe d’Aladin géante, lisait dans les pensées des gens. Il posa des
questions à des spectateurs, et à chaque fois, trouva les bonnes réponses.
Trop fort !
– C’est sûrement truqué, chuchota Jack. Il connaît ceux qu’ils interrogent !
– Peut-être pas, rétorqua Scott. La télépathie, et ce genre de choses, ça
existe.
– Mais lui, il est devin !
– Chut ! Regardez ! intervint Emily.
Un petit caniche orné d’un fin manteau rose, la tête sertie d’un diadème,
jouait à l’équilibriste sur une corde…
– Elle s’appelle Mimi, précisa Emily.
– Une… canichette, alors ! plaisanta Jack.
Mimi époustoufla les spectateurs en faisant la roue et d’autres cabrioles,
puis en apportant différents objets à sa maîtresse, une femme vêtue d’une
longue robe violette et chatoyante.
– Je croyais que c’était toi, le chien le plus chouette au monde, dit Scott en
s’adressant à Drift.
– S’il le voulait, je suis sûre qu’il pourrait en faire autant, affirma Emily.
Mais tu crois que c’est utile, pour un chien d’enquête, d’avoir des talents de
funambule ?
En tout cas, Drift contemplait la jolie petite chienne avec un intérêt
évident !
Le clou du spectacle fut, sans conteste, le numéro de trapèze. Une jeune
fille qui ne devait pas être tellement plus âgée qu’Emily s’élança dans le
vide. Elle fut rattrapée par son partenaire – qui n’avait pas plus de seize ou
dix-sept ans –, se lança de nouveau… Auréolé d’un décor de voiles blanches,
le duo racontait l’histoire d’une princesse qui se transformait en oiseau afin
de s’échapper de son palais, mais un garde la poursuivait sans relâche.
– Ils sont super forts ! murmura Scott, les yeux levés vers les deux artistes
qui voltigeaient sous le dôme étoilé.
– Méga forts ! renchérit Jack.
– Magiques ! dit Emily.
Drift poussa un léger jappement, comme pour exprimer son admiration, lui
aussi.
La petite trapéziste venait de prendre son élan, le garçon lui attrapa une
cheville et, tandis qu’elle s’accrochait à une corde, il l’envoya vers un autre
trapèze. Elle s’y agrippa, se laissa tomber de nouveau vers lui, bras
déployés. Mais à ce moment-là – et cela ne dura qu’une fraction de
seconde –, l’adolescent sembla s’écarter…
La jeune artiste plongea dans le vide, se rattrapa in extremis à une autre
balançoire et tomba dans le filet de sécurité. Puis elle bascula par-dessus les
rebords… et tomba lourdement par terre.
Il y eut des cris… suivis d’un silence de mort.

1. Voir Le Mystère de l’or disparu.


2. Voir Le Mystère du fantôme de minuit.
3. Voir Le Mystère du chef-d’œuvre en péril.
2

Le boN RÉFleXe…
aU Bon MoMeNt

En heurtant le sol, le corps de la petite trapéziste fit un bruit sourd, mat…


Effrayant.
Jack se pétrifia. Allongée à quelques mètres de lui, la fillette ressemblait à
une liane brisée, ses longs cheveux noirs épars…
Un attroupement se forma vite autour d’elle. Puis les curieux s’écartèrent,
laissant passer un homme grand – très grand –, vêtu d’un costume pourpre.
Son visage était maquillé.
– Gina ! s’écria-t-il en se laissant tomber à ses côtés. Gina, ma chérie !
Il s’apprêtait à la prendre dans ses bras…
– Non ! s’écria aussitôt Jack. Ne la touchez pas !
Le souvenir des cours de secourisme qu’il avait suivis au collège lui était
revenu à l’esprit d’un coup. Leur moniteur avait répété qu’il ne fallait en
aucun cas bouger quelqu’un qui était tombé sur le dos.
Mais l’artiste en rouge l’ignora. Il se pencha, passa les mains sous les
épaules de la petite trapéziste…
Alors, sans hésiter, Jack bondit vers lui et le bouscula. Un tacle… Hop,
comme au foot !
– Mais ça ne va pas, non ? Je suis Luca Romaldi, le père de Gina !
s’indigna l’homme.
– Et moi, je suis médecin ! annonça une femme d’un certain âge en les
rejoignant à la hâte. Interdiction de déplacer la blessée d’un millimètre !
Elle vérifia le pouls et la respiration de Gina.
– Elle est sans connaissance. Qui peut prévenir les secours ?
– Je m’en occupe ! proposa Scott en brandissant son portable.
– Parfait, merci. C’est votre fille ? demanda le médecin à M. Romaldi.
– Oui…
Luca Romaldi réprima un sanglot et, de nouveau, voulut prendre Gina dans
ses bras.
– Non ! Il ne faut pas la bouger, où cas où elle se serait endommagée la
colonne vertébrale, expliqua le médecin d’un ton autoritaire. Ce jeune garçon
a eu un excellent réflexe ! Et au bon moment. Merci !
Jack sourit, plutôt fier de lui…
Il rejoignit Scott et Emily qui était toute pâle.
– J’espère que ce n’est pas trop grave, murmura-t-elle. Gina Romaldi est
une trapéziste géniale…
– Restons optimistes, dit Scott. On essaiera d’avoir de ses nouvelles
demain ?
Emily acquiesça d’un air grave.
– Oui… J’espère qu’on en aura et qu’elles seront bonnes.

Tante Kate aimait préparer de copieux petits déjeuners : bacon, œufs,


saucisses, pain grillé, marmelade… Depuis le début des vacances, Jack et
Scott se régalaient chaque jour. Et ce matin-là, encore plus, peut-être ! Car
Jack se régalait aussi de raconter son exploit de la veille.
– Oui, oui, c’est sûr, tu as été un vrai héros, répéta Scott.
Jack fronça les sourcils.
– Tu te moques de moi ou quoi ?
– Pas du tout, pourquoi ? Grâce à toi, la trapéziste a pu…
Scott fut interrompu par un coup de sonnette. Quelques instants plus tard,
tante Kate les rejoignit dans la cuisine accompagnée d’un homme brun et très
grand. Il dût incliner la tête pour ne pas se cogner à la poutre en franchissant
le seuil. Jack et Scott ne le reconnurent pas tout de suite. C’était le père de
Gina Romaldi ! En jean et tee-shirt, sans maquillage, il n’avait pas la même
allure.
– Heureux de vous revoir, dit-il en serrant la main à Jack et Scott. Je tenais
à vous remercier pour ce que vous avez fait hier… Toi en particulier, ajouta-
t-il à l’attention de Jack. Tu as eu le bon réflexe au bon moment !
– Merci, répondit Jack, flatté. Comment va Gina ?
– Oui, comment se porte votre fille ? s’inquiéta tante Kate en lui offrant
une tasse de thé.
– Merci. Eh bien, dans son malheur, ma petite Gina a eu de la chance, dit
Luca. Elle a seulement une jambe cassée et quelques contusions sans gravité.
Elle est hospitalisée à Carrickstowe pour deux ou trois jours. Mais l’accident
aurait pu avoir des conséquences bien plus dramatiques sans l’intervention de
votre petit-fils !
– Jack est mon petit-neveu, précisa Kate en souriant. Il a de bons réflexes,
comme son père !
Jack se sentit encore plus fier…
Et Scott éprouva une pointe de jalousie. En même temps, lui aussi s’était
comporté comme un héros pendant l’opération de l’or disparu4 ! C’était
quand même lui qui avait sauvé le jeune Hartley.
– Gina voudrait vous remercier personnellement, ajouta Luca. Je me rends
à l’hôpital ce matin. Si Jack pouvait m’accompagner…
– Et mon frère Scott aussi ! proposa aussitôt Jack. C’est lui qui a appelé
les ambulanciers hier.
– Je sais. Vous êtes tous les deux fantastiques.
– Tous les trois… Avec notre amie Emily ! reprit Jack. Elle était là, elle
aussi…
– Aucun problème, on passe la prendre. Vous êtes prêts ?
Durant le trajet jusqu’à l’hôpital de Carrickstowe, Bella, la petite sœur de
Gina, ne cessa de se retourner pour discuter avec les trois amis installés sur
la banquette arrière de la voiture. Âgée de douze ans comme Jack et Emily,
les yeux noirs et brillants, elle était petite et fine. Ses cheveux bruns,
maintenus par une longue tresse, lui atteignaient presque la taille.
Emily, Jack et Scott ne tardèrent pas à se rendre compte que Bella
possédait un autre talent, en plus de celui de trapéziste : elle était capable de
parler à toute allure sans reprendre sa respiration.
– Vous avez tellement de chance ! Moi, je n’ai pas beaucoup d’amis, parce
qu’on voyage tout le temps. J’ai ma sœur Gina, c’est vrai, elle a deux ans de
plus que moi, et je l’aime beaucoup… Mais l’école me manque ! ajouta
Bella. Je rêverais de pouvoir aller en classe, d’avoir de vrais professeurs…
– Quoi ? s’exclama Jack. Tu as bien dit que l’école te manque ? Alors que
tu te balances sur un trapèze la journée entière ? Que tu vis avec des artistes ?
Clown, jongleurs, un caniche habillé en rose… Pfff ! Tu n’es pas sérieuse,
là ?
Bella éclata de rire.
– Si, pourquoi ?
Puis elle fronça les sourcils.
– Tu crois peut-être que je m’amuse tout le temps, c’est ça ? Mais c’est le
contraire ! Chaque matin, je m’entraîne dur, et il faut que je me lève super tôt.
Chaque soir, j’assure les spectacles. Et chaque après-midi, je fais mes
devoirs. Seule. Et je vous garantis que ma mère surveille mes résultats !
Jack, Emily et Scott échangèrent un bref regard. Ils n’avaient pas imaginé
ça…
– Au collège, on retrouve nos copains, donc c’est cool, admit Scott.
– Oui, si ce n’était pas le cas, on aurait parfois du mal à être motivés !
renchérit Emily.
– Bella a beaucoup de courage, dit Jack, admiratif.
– Bella est fille d’artistes de cirque, intervint Luca. Ce n’est pas une
question de courage mais d’habitude !
– Et parfois, j’aimerais bien changer certaines habitudes, murmura Bella.
Concentré sur sa conduite, son père ne l’entendit pas…

Gina était adossée à des coussins, sa jambe dans le plâtre légèrement


surélevée. Luca Romaldi partit lui chercher à boire, tandis que Bella, Emily,
Scott et Jack s’installaient sur des chaises autour du lit.
– Ce n’était pas grand chose, répéta Jack après que Gina l’eut remercié
pour la troisième fois. Je n’ai rien fait.
– Si, tu as empêché papa de me porter, ce qui aurait pu être grave ! insista
Gina. Mais il t’a écouté.
– Il a surtout écouté le médecin, répondit Jack.
Scott leva les yeux au ciel. Son frère était très doué pour cacher sa fierté !
Emily s’abstint de tout commentaire. Elle savait que Jack avait besoin de
ce petit quart d’heure de gloire ! Puis, dès que ce fut possible, elle interrogea
Gina :
– Tu as une idée de ce qui a provoqué ta chute ?
Elle ignora le regard surpris que lui lançait Scott. En principe, à l’hôpital,
on s’intéressait à la santé, au bien-être, on parlait de la pluie et du beau
temps… Et voilà qu’Emily commençait déjà son enquête sur les causes de
l’accident. Il ne lui manquait plus que son carnet de notes !
Cependant, Gina ne parut pas gênée, au contraire.
– Je me suis posé la question tellement de fois ! Impossible de savoir. Ce
qui est bizarre, c’est que Danny et moi avons réalisé ce numéro très souvent.
Danny n’a jamais raté une prise, et là…
– Qui est Danny ? demanda Jack.
– Notre cousin, que je déteste, confia Bella. C’est le fils de Tony, le frère
aîné de papa. Danny pense qu’il nous commande parce qu’il a seize ans et
qu’il est un garçon !
Elle adressa un sourire malicieux à Scott et Jack.
– Ne vous vexez pas, hein ? C’est juste qu’au fond de moi, une petite voix
me dit qu’il a fait exprès de lâcher Gina.
Sa sœur écarquilla les yeux.
– N’importe quoi ! Danny n’est pas sympa avec nous, mais il serait
incapable de nous vouloir du mal. Et puis, c’est de ma faute si j’ai raté le
filet de sécurité.
– Qu’est-ce que tu veux dire ? demande Scott.
– Eh bien, en tombant, j’ai voulu me raccrocher au trapèze quand même et
du coup, je suis tombée au bord du filet. Et ça, c’est ma faute. On apprend à
faire des chutes, toutes sortes de chutes, précisa-t-elle à l’attention de Jack,
Scott et Emily.
À ce moment-là, Luca revint dans la chambre. Il tendit une bouteille d’eau
pétillante à Gina.
– On va agrandir la superficie du filet, point final, déclara-t-il. Tu n’y es
pour rien, ma chérie.
Hochant la tête, Gina se servit un verre d’eau et but plusieurs gorgées.
– Merci, papa. Mais j’ai eu sacrément peur.
– Nous aussi, dit Luca.
Un silence tendu régna quelques instants. Puis Bella s’adressa à son père :
– Alors, tu as pris ta décision ?
Luca hésita.
– Allez, papa ! insista Bella. Je vais y arriver ! Et Danny ne me fera pas
tomber !
– Tu me promets d’être prudente ? demanda Luca, une lueur d’inquiétude
au fond des yeux.
– Oui, promis. Promis ! répéta Bella avec enthousiasme.
– Bon… D’accord.
Bella se leva d’un bond et effectua une roue aussi gracieuse que rapide
dans le tout petit espace de la pièce. Jack, Scott et Emily l’observèrent avec
admiration. Gina se mit à rire.
– Eh, petite sœur, ne te casse pas la jambe ! On a besoin de toi sous le
chapiteau…
– J’y serai ! Trop bien ! s’exclama Bella.
Les yeux pétillants, elle ajouta à l’attention de Scott, Jack et Emily :
– Je vais remplacer Gina… C’est méga-super-top-topissime !
– Merci pour moi qui suis bloquée à l’hôpital, marmonna Gina.
Mais elle souriait.
– Je ne te souhaite pas bonne chance, Bella, ça ne se fait pas, mais je te
dis…
Et elle acheva sa phrase en levant un pouce victorieux.

4. Voir Le Mystère de l’or disparu.


3

ON FRÔLe enCore
La CaTasTroPHe…

La représentation fut aussi palpitante que celle de la veille. Sauf que peu
de temps avant l’entrée en scène de Bella et Danny pour le numéro de
trapèze, un nouvel accident faillit arriver.
Deux clowns acrobates – l’un était une femme – se chamaillaient tout en
montant et en glissant à tout allure le long de barres métalliques. Ils
grimpaient aussi sur des échelles et se lançaient à la tête des balais, des
paniers et même des tapis. Cette fausse bataille de chiffonniers était censée
se dérouler au fin fond d’un bazar oriental, un souk…
Et tout le monde riait de leurs facéties.
L’homme tenait l’une des barres en équilibre. Sa partenaire se trouvait en
haut… Mais soudain, clac ! Le métal se brisa net ! L’artiste valsa en l’air, fut
rattrapée in extremis par son binôme… Et ils poursuivirent avec plusieurs
roulades énergiques.
Les applaudissements crépitèrent.
Emily, Scott et Jack échangèrent un coup d’œil interloqué.
– C’était différent, hier soir, chuchota Emily.
– Très différent, renchérit Jack.
– Oui… Mais ils se sont bien rattrapés, ajouta Scott.
Ils n’étaient pas dupes : ce qui venait de se dérouler n’était absolument pas
prévu.
Ils reportèrent leur attention sur Bella et Danny qui, à présent, s’élançaient
de leurs trapèzes sous le dôme étoilé. C’était donc la première fois que Bella
effectuait cette performance en public !
Le cœur battant, les trois amis ne la quittèrent pas des yeux tandis qu’elle
se balançait dans le vide, gracieuse et légère comme un oiseau. Danny la fit
virevolter, la maintint par une cheville, un poignet…
Le périmètre du filet de sécurité avait été élargi. Et Bella était reliée à un
fil invisible, mais très solide, qui l’aurait maintenue au cas où… Luca et
Sylvia Romaldi, ainsi qu’Enzo, son grand-père, avaient tout fait pour
minimiser les risques. Heureusement, le numéro se déroula sans problème.
Après le spectacle, Scott, Jack et Emily retrouvèrent Bella à l’entrée du
chapiteau. Elle leur avait proposé ce rendez-vous parce qu’elle souhaitait
mieux les connaître et leur montrer les coulisses. En les attendant, elle avait
enfilé un survêtement au-dessus de son justaucorps. Sa longue tresse
demeurait nouée en un chignon serré au sommet de son crâne, et des paillettes
argentées brillaient sur ses joues.
– Tu as été géniale ! s’exclama Emily.
Et elle embrassa affectueusement sa nouvelle amie.
– Super géniale ! affirmèrent Scott et Jack en chœur. Bravo !
Et ils échangèrent un check avec Bella.
– Merci !
Elle se mit à rire, visiblement embarrassée par tant de compliments.
– J’ai quand même un peu eu la frousse, confia-t-elle. J’ai prévenu Danny
que si jamais il me laissait tomber, je me débrouillerais pour l’écraser au
passage. Direct ! Sans hésiter ! Vlan ! Si vous aviez vu sa tête… On aurait dit
qu’il avait avalé une trompette ! Bon, venez, je vais vous faire visiter…
Bella les emmena partout : autour de la piste, dans les gradins, derrière les
épais rideaux de velours menant aux coulisses, les loges, l’espace de
rangement des accessoires… Puis ils allèrent rendre visite à Moonlight,
l’étalon blanc, et lui donnèrent de l’herbe fraîche.
– Il appartient à mon grand-père Enzo, indiqua Bella. Il est très sévère, très
strict, mais son cheval le mène par le bout du nez !
Ensuite, ils se dirigèrent vers le terrain où les caravanes familiales
stationnaient, près d’un petit bois de marronniers. Certaines étaient petites et
anciennes, d’autres très longues, spacieuses et ultramodernes. La plupart des
membres de la troupe étaient assis dehors, pour se détendre. Le réconfort
après l’effort !
Devant l’une des caravanes, un homme pâle, mince, le visage maigre aux
pommettes saillantes, discutait avec un groupe d’enfants venu poser des
questions.
– C’est Mike Turnbull, alias Incognito, celui qui lit dans les pensées des
autres, expliqua Bella.
Sans son maquillage vert, son justaucorps imitation lézard et sa cape
sombre, il ressemblait davantage à un professeur ou un comptable qu’à un
génie s’échappant de la lampe d’Aladin ! Il avait un œil vert, et l’autre
presque noir, ce qui lui conférait malgré tout une physionomie particulière.
– Alors, qu’est-ce que j’ai en tête, là, tout de suite ? lui demandait un
garçon joufflu aux cheveux hirsutes.
Mike Turnbull secoua la tête d’un air énigmatique.
– On ne joue pas avec les forces de l’esprit…
– Vous dites ça parce que vous n’en savez rien ! Tu vois, c’était bidon,
ajouta son jeune interlocuteur en s’adressant à une fillette qui se tenait à côté
de lui.
– Mais tu as oublié ceci dans ton dos, reprit Mike.
Et après lui avoir entouré les épaules d’un ample mouvement, il brandit
une montre de plongée toute neuve.
– Eh ! Mais c’est la mienne ! s’exclama le garçon en jetant un coup d’œil
stupéfait à son poignet. Il m’a piqué ma montre ! Comment vous avez fait ?
– Et à qui est ceci ? poursuivit Mike en montrant une boucle d’oreille
représentant un dauphin.
– À moi !
Et la petite fille s’en empara aussitôt.
Jack, Scott et Emily restèrent bouche bée.
– J’aimerais bien connaître son truc ! Il en a forcément un, affirma Jack. Et
si je lui posais la question ?
Mais à ce moment-là, Drift se précipita vers Mimi le caniche…
Et naturellement, le trois amis le suivirent.
Mimi se trouvait sur une table, en train d’être brossée par une femme d’un
certain âge en bigoudis et foulard. Sans son costume inspiré des contes des
Mille et Une Nuits, elle ressemblait à Mme Tout-le-monde. Sauf qu’elle avait
les cheveux roses comme le manteau que portait sa chienne pendant le
spectacle.
– Je vous présente madame Zelda, déclara Bella.
Drift sauta sur la table pour renifler Mimi. Ils restèrent truffe contre truffe
quelques instants. Puis, joyeuse, Mimi bondit, prête à jouer.
– Ne bouge pas ! protesta madame Zelda après avoir salué les trois amis.
J’applique un soin spécial sur son pelage, à base d’huiles essentielles, pour
plus de douceur et de brillance. Je la bichonne, ma Mimi-de-ma-vie-chérie-
bibi-d’amour !
« Ma Mimi-de-ma-vie-chéri-bibi-d’amour ? »
Scott, Jack et Emily échangèrent un coup d’œil, regardèrent Bella et
retinrent un éclat de rire.
– Je sais, elle est un peu gâteuse ! chuchota Bella.
C’est alors qu’ils entendirent des bruits sourds en provenance de la
caravane voisine. Cling ! Pang ! Clac !
Et l’habitacle se mit à tanguer dangereusement.
– Qu’est-ce qui se passe ? s’inquiéta Jack.
– Ray et Barbara se chamaillent pour de bon, expliqua Bella.
– Les clowns ? demanda Emily.
– Acrobates comiques, rectifia Bella. Ne les appelle jamais « clowns ».
– Ils sont mariés depuis vingt ans. Les disputes font partie de leur
quotidien, à la scène comme dans leur vie privée, ajouta madame Zelda.
Barbara lance tout par terre !
Par la fenêtre entrouverte, on percevait des éclats de voix :
– Tu aurais au moins pu vérifier notre équipement ! criait Barbara.
– Mais je te dis que je l’ai fait ! C’est toi qui ne sais pas grimper sur la
barre ! Ou alors, tu es devenue trop lourde ! accusa Ray. Un perroquet serait
plus doué que toi !
– Un labrador serait plus doué que toi !
Gênée, Bella regarda Emily, Scott et Jack.
– Bon… Si on allait voir ma mère ?
Et, précédant les trois amis, elle fila vers l’une des caravanes les plus
spacieuses.
À l’intérieur, tout était moderne et bien équipé, avec une télévision à écran
plat et un ordinateur ultra-récent. Une femme en jean et tee-shirt s’activait
dans la cuisine. Une délicieuse odeur de chocolat imprégnait l’air.
Dès qu’elle vit Jack, elle s’avança et le serra dans ses bras.
– Oh, notre petit héros ! Merci pour hier ! Je suis Sylvia, la maman de Gina
et Bella, ajouta-t-elle en souriant. Tu as un eu excellent réflexe ! Bravo !
Merci encore !
– Je vous en prie, répondit Jack, flatté mais un peu embarrassé d’être
félicité une fois de plus.
– Grâce à toi, on a évité le pire, assura Sylvia. Mon mari a paniqué, et
même si nous vivons, chaque jour, avec le risque de nous rompre le cou – je
suis aussi trapéziste, donc je sais de quoi je parle –, quelquefois, on perd les
pédales !
Elle sourit et poursuivit d’un ton chaleureux :
– Je viens de préparer des brownies. Ça vous tente ?
– Oui ! répondirent les trois amis en même temps.
Sylvia se mit à rire.
– Installez-vous. Bella, je te laisse servir ? Je file chez Ray et Barbara
pour leur en apporter, j’aimerais les réconforter…
– Le chocolat, c’est bon pour le moral ! dit joyeusement Jack.
Mais dès que la mère de Bella eut quitté les lieux, il ajouta en baissant la
voix :
– Bella, tu ne trouves pas que deux accidents, coup sur coup, c’est
bizarre ?
– Très bizarre.
Songeuse, Bella disposa des assiettes et des cuillères.
– Pour tout vous dire, on se pose une drôle de question dans ma famille.
On se demande si notre rubis magique n’a pas perdu son pouvoir…
4

L’ŒiL DU FeU

– Votre… quoi ? demandèrent Emily, Scott et Jack en chœur.


– J’ai cru entendre « rubis magique », poursuivit Scott après avoir avalé
une bouchée de gâteau au chocolat. Hmm… C’est délicieux.
– Excellent, renchérit Jack, les yeux brillants. « Rubis magique », tu as
dit ?
Bella rougit légèrement.
– En fait, on un truc de ce genre, dans la famille.
– Un truc de ce genre ? répéta Jack. Vous avez de la chance ! Emily, tu
aurais quelque chose comme… une émeraude enchantée chez toi ?
Emily secoua la tête.
– J’aimerais bien !
– Je n’aurais pas dû vous en parler, murmura Bella en serrant un coussin
contre elle. C’est un secret qu’on n’a pas le droit de raconter aux autres.
Scott esquissa une moue perplexe. Jack soupira. Emily leva les yeux au
ciel, songeuse.
– Dans ce cas, on n’insiste pas, dit Scott à regret.
– Pas d’accord ! protesta Jack. Je veux savoir de quoi il s’agit ! N’écoute
pas mon frère, Bella, et explique-nous, s’il te plaît. Promis, juré, craché, ça
restera entre nous.
– Motus et bouche cousue, assura Emily. Dis-nous ! Allez !
Bella hésita quelques secondes et sourit.
– Après tout, je sais que je peux avoir confiance en vous…
Elle replia ses jambes sur le canapé et, une fois confortablement installée,
elle reprit :
– Cette pierre précieuse s’appelle l’Œil du Feu. Elle a été offerte à mon
arrière-arrière-arrière-arrière-grand-père, Francesco Romaldi, par un
maharajah indien. À cette époque, les trapézistes de la famille Romaldi
étaient célèbres dans le monde entier. Un jour, alors qu’ils étaient en pleine
représentation pour ce fameux maharajah, le palais a été attaqué par des
soldats d’un état voisin. Ça a été un massacre…
– Carrément ? fit Jack. Avec du sang et tout ?
– Jack ! Tu ne peux pas être sérieux, de temps en temps ? protesta Scott.
– Oh, le sang a coulé, confirma Bella. Ils se sont battus à mort, ont coupé
des têtes… Elle réprima un frisson de dégoût.
– En plus, ils ont pillé les trésors du maharajah. Juste avant, le maharajah a
réussi à récupérer, dans un temple ce rubis magnifique, énorme, qui se
trouvait sur la statue de Ganesh…
– Ganesh ? Le dieu hindou avec une tête d’éléphant ? demanda Emily.
– Exactement. Le rubis représentait son troisième œil, celui qui est
mystique, au milieu du front, poursuivit Bella. Le maharajah l’a donné à mon
ancêtre Francesco Romaldi. Il voulait qu’il l’emporte pour le mettre à l’abri.
Il lui a expliqué que c’était un joyau sacré que personne ne pouvait posséder.
Des siècles plus tôt, sa propre famille en avait hérité comme un trésor à
préserver coûte que coûte. Il a transmis l’Œil du Feu à Francesco en lui
demandant d’y veiller précieusement, et de le transmettre à son tour à ses
propres enfants. L’Œil du Feu lui porterait chance tant qu’il ne serait pas de
nouveau réclamé par les dieux…
Bella marqua une pause, et une expression pensive se refléta sur son
visage. On voyait qu’elle connaissait cette histoire émouvante sur le bout des
doigts.
– Et ensuite ? s’impatienta Jack.
Il était tellement intéressé qu’il en oubliait de manger sa part de brownie.
– Francesco a pris le rubis, dit Bella. Sauf qu’au même moment, les
assaillants ont réussi à pénétrer dans le palais. Les gardes ont pu leur barrer
le passage le temps que certains membres de la famille royale s’enfuient…
Malheureusement, le maharajah et sa femme ont été rattrapés et tués.
Elle ébaucha une moue attristée.
– Francesco et sa troupe ont sauté par la fenêtre. Par chance, ils ont pu
s’accrocher à la vigne vierge qui grimpait sur le mur. Mais Francesco a fait
tomber la pierre précieuse… Et sans l’aide de sa plus jeune petite-fille,
Léonora, il ne l’aurait jamais retrouvée. Depuis, l’Œil du Feu est sous notre
protection. Et, en principe, il nous protège.
Un silence impressionné s’établit quelques instants.
– Merveilleux ! commenta Scott. On t’écoutant, on pense aux Mille et Une
Nuits qui ont inspiré votre spectacle ! Ce sont de beaux contes. Ce serait bien
si ça existait pour de bon, pas vrai ?
Belle l’observa avec un tel étonnement que les trois amis en furent surpris.
C’était comme si Scott lui avait demandé si elle croyait à l’existence de
l’électricité.
– Mais ce n’est pas une histoire ! C’est la réalité ! Nous, les Romaldi,
réussissons à produire des numéros uniques, vraiment exceptionnels, et ce
n’est pas par hasard. L’Œil du Feu nous a toujours empêchés de connaître le
pire.
– Jusqu’à maintenant, intervint Emily. Gina a eu un accident, puis Ray et
Barbara ont frôlé la catastrophe. C’est pour ça que tu as dit que le rubis avait
peut-être perdu son pouvoir ?
– Non. Je n’ai pas réfléchi. Il est impossible qu’il n’ait plus de pouvoir,
affirma Bella.
De nouveau, Scott, Jack et Emily restèrent muets un long moment.
– Rien n’est impossible, répliqua Jack. Rien sauf les équations
différentielles !
Mais sa plaisanterie ne fit rire personne.
– Un rubis, c’est précieux, et ça coûte très cher, déclara Scott. Et si on
vous l’avait volé ?
– Comment ? Il est gardé dans un coffret qui se trouve dans la caravane de
grand-père. Francesco Romaldi l’a fait fabriquer spécialement en ébène, et il
est ultrasolide. En plus, il a une serrure drôlement compliquée, avec un
mécanisme de fermeture sophistiqué imaginé par un célèbre horloger. Pour
l’ouvrir, on doit utiliser trois clés différentes en même temps… Et ces clés
appartiennent à trois personnes différentes.
– Qui ? demanda Emily.
– D’abord, mon grand-père Enzo, parce que c’est le chef de famille.
Ensuite, son fils aîné : mon oncle Tony. Mais ils se sont beaucoup disputés il
y a quelques semaines. Résultat, grand-père lui a confisqué la clé et l’a
donnée à mon père. Du coup, il ne respecte plus la tradition.
– Bravo ! s’exclama Jack en regarda Scott d’un air triomphant. Je ne vois
pas pourquoi les honneurs devraient toujours revenir aux plus âgés !
– Et qui a la troisième clé ? insista Emily.
Les yeux de Bella pétillèrent.
– Vous vous souvenez que c’est la plus jeune des petites filles du
maharajah qui a retrouvé le rubis ? C’est pour cette raison qu’il doit être
aussi sous la garde de la plus jeune des filles…
Elle leva son bras et montra un fin bracelet au bout duquel une petite clé
d’argent était accrochée.
– Moi !
– Waouh ! fit Jack.
– Génial, renchérit Scott. Cette pierre précieuse est encore mieux protégée
que les joyaux de la couronne !
– Tu exagères à peine, se moqua Emily, les yeux rivés sur la clé.
Le métal était gravé avec, d’un côté, une fleur ciselée, et de l’autre, une
minuscule dent.
– On respecte énormément l’Œil du Feu, poursuivit Bella avec gravité.
Tous les matins, à 6 h 30 précises, avant de commencer nos entraînements, on
se réunit dans la caravane de grand-père, on ouvre le coffret et on offre nos
prières au rubis magique. Puis on lui demande de bien vouloir nous accorder
sa protection pour la journée. Ensuite, on referme le coffre et on boucle les
trois serrures. Comment quelqu’un pourrait voler notre porte-bonheur ?
Bella secoua la tête, pensive.
– C’est impossible. Et j’espère que vous saurez garder le secret, continua-
t-elle d’un ton anxieux, parce que je n’aurais vraiment pas dû vous en parler.
J’ai toujours des problèmes parce que je fais des confidences et…
– Ne t’inquiète pas, on sera muets comme des tombes ! assura Emily.
– On a déjà oublié… Qu’est-ce que tu nous racontais, déjà ? renchérit
Jack.
– J’espère qu’on pourra se baigner, aujourd’hui ! lança Scott.
Bella ébaucha un sourire soulagé.
– Merci… Je savais que je pouvais vous faire confiance !

Cette nuit-là, Emily se sentit tellement surexcitée qu’elle eut du mal à


trouver le sommeil. Elle imaginait des clés qui tournaient dans des serrures,
le couvercle d’un coffret qui s’ouvrait en grinçant, un somptueux coussin de
velours rouge et sur ce coussin… rien !
Plus Bella insistait sur le fait que le rubis n’avait pas pu être volé, plus
Emily était convaincue qu’au contraire, quelqu’un l’avait dérobé. Elle en
était même tellement sûre qu’elle planifiait déjà les étapes pour retrouver le
voleur. Elle écrivit le titre d’un nouveau chapitre dans son carnet :
« Opération rubis ». Elle souligna les mots à deux reprises et vérifia son
réveil pour la centième fois. Elle l’avait réglé à 4 h 45 le lendemain matin :
la famille Romaldi se rassemblait à l’aube, et Emily avait l’intention de les
espionner à travers la petite fenêtre située à l’arrière de la caravane d’Enzo.
Elle l’avait remarquée lorsqu’elle avait dit au revoir à Bella. Comme elle
avait hâte de voir le coffret de ses propres yeux ! L’opération rubis serait
peut-être la plus palpitante de leurs enquêtes !
5

EnFIn uNe NoUVelle


AveNTure !

Quand ils avaient décidé de se retrouver au cirque le lendemain matin


pour observer la famille Romaldi ouvrant le coffret, Jack avait imaginé
qu’Emily leur donnerait rendez-vous vers 10 h 30 ou 11 heures. Ce ne fut
donc qu’après que Jack et Scott eurent accepté le plan que l’horaire fatidique
fut annoncé…
– Mais tu n’as pas écouté Bella ? demanda Emily en levant les yeux au
ciel. Les Romaldi commencent la journée en adressant une prière de
remerciements au rubis à l’aube ! Ensuite, pendant le reste de la matinée, ils
s’entraînent et répètent leurs numéros.
Du coup, Jack se retrouva en planque derrière la caravane d’Enzo Romaldi
aux aurores… Et pas très heureux, en fait. Mais maintenant qu’il y était…
Emily et Drift se trouvaient déjà sur place, joyeux et alertes, comme s’ils
avaient l’habitude de sauter du lit super tôt pour aller admirer le lever du
soleil chaque matin. Scott, quant à lui, était aussi vif qu’un zombie souffrant
d’une migraine.
Ils jetèrent un coup d’œil prudent à travers la fenêtre. La famille Romaldi
était au grand complet : Bella, assise sur l’accoudoir du canapé, ses parents,
son oncle Tony, le cousin Danny, une jeune femme blonde qui devait être
Anna, la femme de Tony, également connue sous le pseudonyme d’Anna-
lastica, la contorsionniste.
Ray et Barbara, les clowns acrobates, étaient présents, de même que
madame Zelda. Bella avait expliqué que Barbara et Zelda faisaient partie de
la famille Romaldi puisqu’elles étaient des cousines éloignées.
Enzo Romaldi, le grand-père de Bella, se leva. Même s’il était âgé, il
demeurait musclé et imposant. Sous son sourire charmant affleurait la
confiance de quelqu’un ayant l’habitude d’être obéi.
Immédiatement, tout le monde cessa de parler. Enzo se dirigea vers le
rideau de velours qui recouvrait la paroi du fond. Tirant sur une cordelette, il
l’ouvrit. Un vieux bureau, en bois sombre et ciré, apparut. Il comportait des
dizaines de petits compartiments et tiroirs dotés de poignées dorées.
En haut de ce meuble se trouvait un coffret de la taille d’une boîte à
chaussures, avec des sculptures d’éléphants et décoré à la feuille d’or.
Enzo invita Bella et son père à le rejoindre. Puis il prit une petite clé
attachée à une chaînette qu’il portait autour du cou. Luca ouvrit le dos du
boîtier de sa montre et en extirpa une clé identique. Bella fit coulisser le
bracelet qu’elle gardait au poignet. Ensemble, solennellement, ils
déverrouillèrent les serrures dissimulées dans les rainures du coffre.
De leur cachette, Emily, Jack et Scott faillirent bondir pour mieux voir…
Dans un écrin de satin blanc, un joyau, d’un rouge intense, brillait de mille
feux, captant les rayons du soleil.
– Il a la taille d’une balle de cricket ! s’extasia Scott.
– Il doit coûter super cher ! chuchota Jack.
– Et il n’a pas été volé, compléta Emily. Notre théorie tombe à l’eau.
Elle reporta son attention sur Enzo qui, à présent, s’adressait à la pierre
précieuse :
– Bonjour, cher Œil du Feu ! Nous implorons ta protection pour cette
journée, nous t’en remercions infiniment. Bien sûr, nous veillerons sur toi et
nous t’honorerons, oh, Œil du Feu tout-puissant !
Puis le couvercle claqua, le coffret fut rangé… Le rituel était terminé.
– C’est tout ? murmura Emily, déçue. Je m’attendais à…
– J’en ai vraiment assez de cette comédie ! tonitrua alors une voix
masculine.
Elle sursauta… De même que Jack et Scott. Les avait-on vus ?
Non, en réalité, c’était Tony qui venait de prendre la parole, dans la
caravane… Sauf qu’il parlait si fort qu’on avait l’impression qu’il était juste
à côté d’eux.
– Quelle comédie ? demanda le vieil Enzo.
– Cette prière, chaque matin, qu’on destine à une simple pierre qui n’a
visiblement plus aucun pouvoir ! On a eu deux accidents consécutifs !
s’indigna Tony. Le dernier aurait pu être fatal !
– Celui de Gina aussi. Ils auraient pu être bien graves sans la protection de
l’Œil du Feu ! affirma Luca à son frère.
– Luca a raison ! S’il n’y avait pas eu la corde près de la barre métallique,
je ne serais plus de ce monde, admit Barbara.
– Ce n’est pas notre rubis soi-disant magique qui a placé la corde à cet
endroit, mais nous ! insista Tony d’un ton exaspéré. Avez-vous déjà réfléchi à
ce que nous pourrions récupérer comme argent si nous le vendions ?
– Vendre le rubis ! s’exclama madame Zelda, outrée. Voyons, Tony, tu sais
bien qu’il doit rester au sein de notre famille !
– Et qui a décrété cette règle ? rétorqua Tony. Si nous avions davantage de
revenus, nous pourrions investir et acheter un chapiteau plus grand, donc on
aurait plus de spectateurs, donc…
– Ça suffit ! coupa son père. Tony Romaldi, tu devrais avoir honte ! En tout
cas, moi, j’ai honte que mon propre fils prononce de telles paroles.
Enzo haussa les épaules d’un air désenchanté.
– Je sais que tu n’as plus envie de travailler avec nous, et que tu as prévu
de quitter notre cirque après cette saison. Par conséquent, à compter
d’aujourd’hui, je décide que mon nouvel héritier est Luca… De toute façon,
je lui ai déjà donné la clé du coffre !
Un lourd silence suivit ses paroles.
– Comment peux-tu envisager la vente de ce rubis ? Il ne nous appartient
même pas ! Il nous a été confié par un maharajah qui a eu confiance en nous,
il y a longtemps. Il nous a demandé de conserver ce joyau qui appartient au
temple de Ganesh, pas à nous, ajouta le vieil homme.
Tony voulut répondre, se ravisa et quitta la caravane, claquant la porte
derrière lui. Danny suivit son père et referma la porte encore plus
violemment. Anna emboîta le pas à son mari et à son fils mais fit l’effort de
fermer le battant normalement.
Emily prit Drift dans ses bras et se précipita derrière un buisson. Jack et
Scott la rejoignirent aussitôt.
– Conclusion : rien ne va plus chez les Romaldi… Mais nous, on ne va pas
pouvoir les aider. Si on allait nager au lac de Polhallow ? proposa-t-elle.
– Et pique-niquer ! Je meurs de faim, ajouta Jack.
Aussitôt, Drift remua la queue. Avec « nager », « pique-niquer » était l’un
de ses mots préférés.
Mais à ce moment-là, des cris s’élevèrent un peu plus loin.
– Ma Mimi-chérie-bibi ! Où est ma Mimi-chérie-bibi ! Quelqu’un m’a volé
ma Mimi ! Au secours !
Drift leva les oreilles. Emily, Jack et Scott se regardèrent. L’opération
rubis était peut-être momentanément oubliée… Mais l’opération Mimi
s’apprêtait à commencer !
6

OpÉRatioN mImI

Jack, Scott, Emily et Drift se précipitèrent vers l’endroit d’où provenaient


les appels au secours : une caravane, un peu plus loin…
Devant, une femme vêtue d’une ample robe à fleurs courait pratiquement
sur place en agitant les bras de manière désespérée. Madame Zelda !
– Ma Mimi bibi-chérie ! Où es-tu ?
– Votre chienne a disparu ? s’écria Emily.
– Hélas, oui ! Et elle n’a même pas d’écran solaire ! Elle n’a pas bu
avant… C’est affreux, elle va complètement se déshydrater ! gémit
madame Zelda.
À ce moment-là, Bella accourut, suivie par Mike Turnbull – alias
Incognito –, et d’autres membres de la troupe. Personne ne parut étonné de
voir Emily, Scott et Jack, sur place, de si bonne heure.
– Ne t’inquiète pas, on va la retrouver ! assura Bella. Quand l’as-tu vue
pour la dernière fois ?
– Juste avant la réunion de ce matin !
Madame Zelda montra un panier à chien qui avait la forme d’un trône.
– Je l’avais laissée dehors, sur la table devant ma maison. Mais lorsque je
suis revenue, Mimi n’était plus là ! conclut-elle en ravalant ses larmes. C’est
terrible ! Je suis perdue ! Elle est perdue !
– Elle ne peut pas être loin ! affirma Emily. Elle est peut-être partie faire
ses besoins derrière un arbre ?
Madame Zelda esquissa une grimace horrifiée.
– Inimaginable ! Mimi dispose de ses propres toilettes !
Durant les dix minutes suivantes, un véritable branle-bas de combat fut
alors mis en place. La mère de Bella fit le tour des caravanes tandis que Luca
et Enzo entamaient des recherches. Mike Turnbull proposa d’aller jeter un
coup d’œil dans l’écurie de Moonlight, au cas où Mimi y aurait été enfermée
par mégarde.
– Pourquoi il n’utilise pas ses pouvoirs de devin ? plaisanta Scott.
Bella leva les yeux au ciel.
– Si seulement…
– Je vais fouiller les camions où l’on entrepose le matériel, déclara alors
un homme à l’épaisse chevelure noire et à l’accent irlandais.
– Bonne idée, dit Bella.
– Qui est-ce ? demanda Scott.
– Aidan McDonald. Il fait le numéro avec les couteaux et les dagues.
– Ah, oui, le magicien des épées ! dit Jack.
Il fit semblant d’avaler une lame géante.
– Il est trop fort.
– Mimiiiiiiii ! Mimiiiiiiii ! s’écria de nouveau madame Zelda d’une voix
suraiguë. Où es-tu, ma chéri-bibiiiiiiiiiiii ?
Si un vase de cristal s’était trouvé à côté, nul doute qu’il aurait volé en
éclats.
– On va demander à Drift de retrouver votre chienne adorée ! proposa
Emily. Il suffit de lui faire renifler quelque chose qui lui appartient. Un
objet…
– Un vêtement !
Madame Zelda fila à l’intérieur de sa caravane. Elle revint un court instant
plus tard avec une petite valise dont elle extirpa une veste rose pâle ornée
d’un col en fausse fourrure blanche.
– Mimi l’adore. C’est classique mais très stylé.
Ignorant ce commentaire, Emily fit sentir le tissu à Drift.
– Cherche ! Cherche !
Aussitôt, son chien s’élança vers le parking au bout du terrain. Jack, Scott,
Emily, Bella et même madame Zelda le suivirent. Mais, parvenu sur place,
Drift sembla hésiter. Il partit à droite, à gauche, resta sur place, remua la
queue… Et se mit à aboyer de manière plaintive, comme s’il ne savait plus
où il était.
– Il a perdu la piste de Mimi, traduisit Emily.
– Déjà ! Oh, quelle catastrophe ! se lamenta madame Zelda, tout essoufflée.
Je vais finir par croire Tony !
– D’ailleurs, où est la voiture d’oncle Tony ? demanda Bella en désignant
l’espace vide entre une Austin Mini et une vieille fourgonnette.
Emily jeta un coup d’œil triomphant à Scott et Jack. Enfin une piste ? Mimi
avait disparu. Tony Romaldi avait disparu. Il devait y avoir un lien !
Mais non…
– Tony et Danny se sont tous les deux proposés de m’aider quand ils m’ont
entendue appeler au secours, annonça madame Zelda. Tony est gentil, même
si, parfois, il ne dit pas ce qu’il faut ! Il crée des problèmes avec tous ses…
Madame Zelda s’interrompit, se remémorant soudain qu’elle se trouvait en
présence de personnes extérieures à leur famille. Elle adressa un long regard
à Bella avant d’ajouter :
– Avec ses drôles d’idées. Mais très gentiment, il a proposé d’aller
chercher Mimi. Quand il y a une crise, on reste solidaires. Et je commence à
me demander s’il n’a pas raison à propos de vous-savez-quoi. Comment ma
Mimi a-t-elle pu être volée ? Quelqu’un a dû la prendre de force ! Ou elle a
été kidnappée par quelqu’un en voiture ! Oh, mon pauvre bébé, où es-tu ? Où
es-tu ? répéta-t-elle, désespérée, en retournant vers le campement du cirque.
Emily regarda Bella, Scott et Jack d’un air perplexe. Elle n’était pas
convaincue par l’idée du kidnapping. Combien de personnes viendraient à
Castel Key un dimanche matin pour voler un caniche de cirque ? Il y avait
forcément un autre prétexte. Quelqu’un en voulait peut-être à madame Zelda ?
Peut-être existait-il une rivalité de longue date entre les artistes ? Il était
temps de dresser la liste des suspects et d’enquêter pour de bon ! « On n’a
peut-être pas de rubis à retrouver… Mais bon, ce n’est pas grave, on va
partir à la recherche d’un chien perdu ou dérobé ! » songea-t-elle.
– On a besoin d’un plan d’action, déclara-t-elle. On lance l’opération
Mimi !
– Sauf qu’on avait déjà un plan ce matin, rappela Jack tandis qu’ils
retournaient vers le cirque. Nager et pique-niquer. Vous vous souvenez ?
– Pique-niquer ? Oh, trop cool ! Je peux vous accompagner ? demanda
Bella avec enthousiasme. J’adore nager.
– Bien sûr, dit Scott. Mais… et ton entraînement ?
Au même instant, ils entendirent Luca Romaldi appeler Bella. Il sortait du
chapiteau.
– Viens immédiatement ! Tes exercices ! Mais qu’est-ce que tu fabriques ?
demanda-t-il en les rejoignant d’un pas rapide. On a du travail !
Il s’efforça de sourire poliment aux trois amis, mais on le sentait nerveux
et impatient. Bella le supplia du regard.
– Papaaaaa ! fit-elle, joignant les mains. Emily, Scott et Jack viennent de
m’inviter… Ils vont au lac. Je peux aller avec eux ? S’il te plaît ! Je me
rattraperai demain ! Je m’entraînerai encore plus !
Luca l’observa et sourit avec indulgence.
– Tu est sûre ?
– Certaine !
– Ça te fera du bien de t’amuser. Ça n’a pas été facile pour toi depuis
l’accident de Gina.
– Chic ! Merci, papa !
Bella l’enlaça affectueusement.
– Je vais chercher mon maillot et demander à maman le reste du gâteau au
chocolat !
– Entendu. Mais confie-moi ton bracelet, ajouta Luca. Je ne voudrais pas
que tu le perdes dans le sable.
Bella obtempéra aussitôt. Elle ôta le bijou et le donna à son père. Elle était
si impatiente de partir avec ses nouveaux camarades !
– Attendez-moi, hein ? leur lança-t-elle. Je reviens dans deux minutes !
Puis elle fila avec son père.
– Très bien, changement de programme, dit Scott. Mais on a fait une
promesse à madame Zelda.
– Comme si on pouvait l’oublier ? répliqua Emily. Je propose qu’on
échafaude notre plan tout en mangeant.
– Excellent, dit Jack. J’ai vraiment très faim.
– Tu as toujours faim, se moqua Scott.
– Et alors ? Je grandis !
– Moi aussi, mais je ne suis pas un estomac sur pattes !
– Quoi ? s’écria Jack. Tu as dit que je…
– Stop ! Vous n’allez pas commencer ? gronda gentiment Emily. On a du
pain sur la planche ! Bon, c’est une image, Jack, pas du vrai pain…
Jack éclata de rire.
– J’avais compris, capitaine Wild. On va chercher nos vélos en attendant
Bella ? Histoire de gagner du temps…
– Bonne idée, commandant Jack, répondit Emily en riant.
Et tous les trois partirent au pas de course vers le bosquet d’arbres où, très
tôt ce matin-là, ils avaient caché leurs bicyclettes.
7

DRifT
MÈnE L’EnQUÊTe

Le lac de Polhallow ne se trouvait qu’à cinq kilomètres, mais Scott eut


l’impression d’être en train de traverser le désert du Sahara en roller-skates.
Régulièrement, il se frottait les yeux pour être certain que l’eau, qui miroitait
sous le soleil, n’était pas un mirage…
Quelle idée d’avoir prêté son vélo à Bella ! Du coup, elle lui avait passé
l’une des bicyclettes que les clowns du cirque utilisaient. Les deux roues
pouvaient se séparer pour former deux unicycles, et l’attache ne cessait de
coulisser ! En conséquence, Scott eut toutes les peines du monde à rester en
selle.
– Passe-le-moi, si tu veux ! proposa Jack, grand amateur de cross. Je me
débrouillerai sûrement mieux que toi !
– Sans blague ? marmonna Scott.
Mais au même instant, il voltigea et mordit la poussière.
S’efforçant de ne pas rire, Emily et Bella continuèrent à pédaler tandis que
Drift humait l’air avec bonheur. Où que l’on soit, l’île de Castle Key sentait
bon les embruns.
Ils parvinrent bientôt près de la jetée en bois au bout de laquelle l’étendue
d’eau bleue reflétait le ciel. Bella se précipita la première. Elle effectua un
bond gracieux, les jambes parfaitement fléchies et plongea. Emily la suivit.
– Youpiiiii ! s’écria Jack.
Et il plongea en même temps que Drift.
Soulagé d’être enfin arrivé, Scott les rejoignit.
Les quatre amis nagèrent avec délice. Ils s’éclaboussèrent et essayèrent
d’attraper de minuscules poissons. Ensuite, ils s’allongèrent dans l’herbe
tiède pour se sécher au soleil.
– Et si on allait pique-niquer là-bas ? suggéra Emily en désignant une
petite île au milieu du lac. Il y a des arbres, de l’ombre, ce sera cool…
– Super idée… Et comment on y va ? demanda Jack, moqueur.
– En kayak !
– Quels kayaks ? répliqua Jack en scrutant l’horizon. Ils doivent être
invisibles.
– On va en emprunter !
Et Emily montra une cabane un peu plus loin : « Location de bateaux »
pouvait-on lire sur le panneau.
– C’est un ami de mes parents. Il ne nous fera pas payer.
Enthousiasmés par cette idée, tous les quatre se levèrent d’un bond.
Un quart d’heure plus tard, ils pagayaient avec bonne humeur. Une nouvelle
expérience pour Bella, mais elle était tellement musclée grâce à son
entraînement de gymnaste qu’elle fut vite en tête !

L’île des Saules donnait l’impression d’être envahie par la forêt vierge.
Une petite jungle, songea Jack pendant qu’ils avançaient à travers les arbres.
Il adorait ce genre d’ambiance !
Ils s’installèrent dans une clairière pour déjeuner. Le pique-nique fut vite
avalé : sandwichs au fromage, tomates, concombre… Et le gâteau au chocolat
apporté par Bella qui, bien que fondu, n’en demeurait pas moins délicieux.
– Je suis si contente d’être avec vous, répéta Bella. Ça me fait des
vacances !
– On a quand même une mission, rappela Emily en sortant son carnet de
son sac à dos.
Elle écrivit opération Mimi sur une page et souligna deux fois le titre.
– Mission ou pas, moi, j’ai sommeil, avoua Scott en s’étendant sur l’herbe.
On s’est levés tôt, aujourd’hui…
– Très tôt, renchérit Jack en imitant son frère.
Il ferma les yeux. Il n’était pas question d’avouer à Bella ce qu’ils avaient
fait. Peut-être n’apprécierait-elle pas qu’ils aient espionné sa famille !
Emily poussa un soupir et bâilla. Au fond, elle aussi se sentait un peu
fatiguée ! Mais elle s’aperçut alors que Drift filait rapidement vers l’autre
côté de l’île. Il trottinait en remuant la queue, les oreilles en position
« alerte ». Aussitôt, elle se redressa.
– Vous avez vu ? Mon petit doigt me dit que Drift suit une piste ! Oui, c’est
sûr ! s’exclama-t-elle joyeusement lorsque son chien sauta dans l’eau pour
nager en direction de la rive opposée.
– Il a l’air de savoir où il va ! commenta Bella, impressionnée. Qu’est-ce
qu’il y a, là-bas ?
– La lande des Druides. C’est une propriété privée qui appartient à lord
Huddlestone, précisa Emily. Mais il n’y a pas grand-chose à part des
dolmens, des menhirs et une vieille mine désaffectée. Il faut qu’on
rejoigne Drift… En tout cas, moi, j’y vais !
– Je t’accompagne, dit Scott. Drift a forcément repéré quelque chose.
– Mimi, vous croyez ? demanda Bella.
– Peut-être… Ou alors le monstre de la lande qui ressemble à un
croisement entre King Kong et Gollum, et se nourrit de chair humaine.
Aaaargh ! lança Jack ouvrant grand la bouche.
Belle esquissa une grimace dégoûtée.
– Ne fais pas attention à Jack, il est toujours comme ça, s’esclaffa Scott.
Une dizaine de minutes plus tard, les quatre amis atteignirent la rive nord
du lac en kayak. Drift allait et venait en aboyant avec impatience. Puis il
partit en courant, se tourna vers eux, repartit, se retourna… De toute
évidence, oui, il avait une découverte à leur montrer !
8

EnterRÉe VIVaNtE ?

Ils couraient derrière Drift depuis une dizaine de minutes, slalomant entre
de gros blocs de pierre granitique, quand Jack perçut des couinements affolés
qui se mêlaient au chant des criquets.
– Vous avez entendu ?
– On dirait un animal qui pleure, s’inquiéta Bella.
– Oui… Et ça vient de ces énormes dolmens, là-bas ! renchérit Emily.
Vite ! Si ça se trouve, Mimi est coincée dans la chambre funéraire qui se
trouve sous les rochers !
– La chambre funéraire ? répéta Jack.
L’appellation évoquait un film d’horreur ! Il imaginait déjà des fantômes de
l’époque préhistorique s’enroulant autour d’eux tels des lambeaux de
brouillard.
– Je ne reviendrai pas ici la nuit, prévint-il.
– Tu as la trouille ? Toi ? se moqua Scott.
Jack haussa les épaules.
Ils s’approchèrent de vieux rochers accolés les uns aux autres, voûtés,
comme s’ils avaient tenté de protéger quelqu’un autrefois. Des esprits ?
s’interrogea Jack, qui aimait se faire peur.
Les gémissements leur parvenaient plus clairement… d’en bas. Sous la
terre ? D’une crevasse ?
Il y avait une fente d’environ soixante centimètres de large et un mètre de
long sous l’une des énormes roches. Dessous, une grotte. Tout était noir…
Et au milieu de l’obscurité, deux yeux brillants les fixaient.
– Un monstre ! s’écria Jack.
– Mimi ! s’exclama Bella.
Aussitôt, les cris se transformèrent en aboiements, puis en jappements
paniqués. C’était bel et bien la petite chienne de madame Zelda ! Drift ne
cessait de sautiller sur place en lui répondant.
– Comment elle a pu atterrir là-dedans ? demanda Scott, stupéfait.
– Regardez ! lança Bella en désignant une corde nouée autour d’un tronc
d’arbre.
Elle se précipita et constata que l’un des bouts était déchiqueté et encore
humide.
– À mon avis, ça a servi à attacher Mimi. Et elle l’a rongée pour se libérer.
– Puis elle serait tombée entre les rochers ? C’est possible, admit Emily.
Et tu as vu le bol à côté ?
Bella ramassa ce qui ressemblait à une gamelle en plastique. Le rebord
portait l’inscription ACM sur un logo rouge et noir à moitié effacé.
– ACM ? Ça me dit quelque chose, murmura Scott.
– Moi aussi, dit Jack. ACM… Ce ne serait pas un groupe de rock ?
– Non, non…
En bas, Mimi aboyait de plus en plus fort.
– On arrive ! promit Bella.
– Et comment ? s’inquiéta Scott.
– Je descends en rappel, proposa Jack qui pratiquait l’escalade durant
l’année scolaire.
– Sauf que tu ne réussiras jamais à passer travers ce petit espace, objecta
Emily.
Elle désigna la fente entre les rochers.
– Moi, oui.
– Non, moi, j’y vais, répliqua Bella. Je suis la plus petite, et j’ai l’habitude
d’avoir la tête en bas. C’est mon travail de tous les jours !
Et avant qu’Emily ait pu protester, elle avait montré à Scott comment la
maintenir par les chevilles pendant qu’elle se faufilait à l’intérieur avec
agilité.
À plat ventre, Scott agrippait Emily depuis plusieurs minutes non sans
peine – ses bras commençaient à trembler –, quand la jeune fille s’écria :
– C’est bon, je la tiens ! Remonte-moi !
Scott aida leur amie à se hisser. Quelques secondes plus tard, Bella
réapparut en tenant une boule de poils grisâtre tremblante dans les bras.
– Bravo ! s’exclama Emily.
– On est des champions ! renchérit Jack. On a retrouvé Mimi !
La chienne de madame Zelda lécha le bout du nez de Bella. Son pelage,
normalement blanc et brillant, était souillé de taches brunes, grises, et des
toiles d’araignées y était accrochées.
– On devrait peut-être la nettoyer un peu avant de la ramener à sa
maîtresse, suggéra Scott.
Mais au même instant, Drift lança un aboiement joyeux et détala vers le
lac. Mimi tourna la tête, sauta des bras de Bella et galopa derrière lui. Puis
les deux chiens se suivirent dans l’eau.
– Ils sont amoureux, ils sont amoureux ! chantonna Jack.
Tous éclatèrent de rire.
Regagnant leurs kayaks, ils appelèrent Mimi et Drift, et pagayèrent le plus
vite possible pour retourner sur l’île. Bella gardait Mimi sur ses genoux, et
lui parlait tendrement :
– Il faut qu’on sache qui a voulu te faire du mal. C’est méchant !
– On a un indice, rappela Emily. ACM, vous vous souvenez ? Qu’est-ce
que ça peut bien signifier ?
– L’As et le Champion des Méninges ? hasarda Jack. Euh, non, je rigole…
Je sais que c’est autre chose, mais quoi ?
– Oui, quoi ? répéta Scott. En plus, c’est bizarre, mais j’ai l’impression
d’avoir déjà vu ces trois lettres récemment. Comme sur un logo… Mais où ?
9

UNe mYsTÉRIeusE
aPpaRItioN

Lorsqu’ils arrivèrent au cirque, ils trouvèrent madame Zelda assise


devant sa caravane. L’air désespéré, elle triturait distraitement le collier orné
de brillants de Mimi.
Bella se précipita vers elle et la prit par la main.
– Viens, on a une surprise pour toi !
– Quelle surprise ? Je n’aime pas les surprises !
– Viens !
Et Bella l’emmena jusqu’à la bicyclette d’Emily. Mimi était blottie contre
Drift dans le panier installé à l’arrière. Tous deux dormaient profondément.
– Oh… Mais c’est merveilleux ! s’exclama madame Zelda.
Elle prit sa petite chienne dans les bras et la berça avec tendresse.
– Ma chérie-bibi, ma chérie-bibi… Comme j’ai eu peur ! Que tu m’as
manqué !
– On l’a trouvée là où il y a des menhirs, dans la lande des Druides,
expliqua Emily.
– Merci ! Je ne vous remercierai jamais assez ! s’écria madame Zelda en
les enlaçant l’un après l’autre. Lorsque Tony et Danny sont revenus
bredouilles, j’ai vraiment cru que je ne reverrais plus jamais ma chérie-bibi !
Elle posa le bout de son nez contre celui de Mimi.
– Mais j’aurais dû me douter que le rubis la protègerait !
Bouleversée, heureuse, madame Zelda en oubliait de garder le secret à
propos du joyau…
– Soi-disant qu’il aurait perdu son pouvoir… Je suis certaine que non !
L’Œil du Feu vous a guidés pour que vous puissiez sauver ma Mimi
d’amour !
Elle l’embrassa puis fit une grimace en découvrant à quel point son pelage
était sale.
– Hum, maintenant, je pense qu’un bain te fera le plus grand bien ! Un bain
aux huiles essentielles de rose…
À présent, la plupart des artistes de la troupe s’étaient rassemblés autour
d’eux afin de partager la joie de madame Zelda. On félicita les trois amis
ainsi que Bella et Drift. Parmi eux, une seule personne ne semblait pas se
réjouir autant que les autres : l’oncle Tony.
– Vous ne trouvez pas bizarre que ces gamins aient retrouvé Mimi là-bas ?
Dans cet endroit aussi invraisemblable ? Une grotte ! Sous des dolmens !
– Je suis d’accord, renchérit son fils Danny. Et si c’étaient eux qui
l’avaient volée ?
Sylvia, la mère de Bella, éclata de rire.
– Voyons, réfléchis. Ils étaient avec Bella lorsqu’ils ont trouvé Mimi.
– D’ailleurs, ça a été une super aventure, confia Bella, les yeux brillants.
J’ai hâte de tout raconter à Gina.
Mais Tony poursuivait, furieux, s’adressant à Scott, Jack et Emily :
– Vous ne faites pas partie de notre famille ! Et vous n’êtes pas les
bienvenus ! Tu devrais surveiller les fréquentations de ta fille ! ajouta-t-il à
l’attention de Luca. Sinon…
– Quelque chose de grave risquerait d’arriver ! compléta Danny.
Ignorant son neveu, Luca défia Tony du regard.
– Tu n’as aucun conseil à me donner. Et désolé de te contredire, mais moi,
je trouve que les nouveaux amis de Bella sont formidables !
Le lendemain matin, Emily, Scott et Jack furent invités par Bella à assister
aux différents entraînements. Drift fut également convié… Malheureusement,
Mimi n’était pas là ! En effet, madame Zelda avait décidé de l’emmener chez
le vétérinaire. Elle voulait s’assurer que sa mésaventure ne lui avait laissé
aucune séquelle.
Quel spectacle ! songea Jack, les yeux rivés sur tout ce qui se passait sur la
piste. C’était presque encore plus intéressant que la représentation elle-
même. Aidan McDonald, alias le magicien des épées, lançait des couteaux
sur une cible tournante tandis que Marianne, son assistante, et également sa
femme, faisait la danse du ventre devant lui.
De l’autre côté de la piste, Ray et Barbara essayaient un nouveau numéro.
Ray déroulait rapidement un tapis d’où jaillissait Barbara. Elle sautait,
pirouettait et, telle une catapulte, fonçait sur Ray qui basculait à terre. Sauf
que ce dernier tombait lourdement, et ce n’était pas si drôle que ça… Du
moins aux yeux de Barbara.
– Mais pourquoi tu t’écroules comme une grosse patate ? Un effort, Ray, un
effort ! Tu dois être léger pour être comique !
Pendant ce temps, les trapézistes – Bella et Danny –, s’en donnaient à cœur
joie, valsant sous le dôme. Jack les suivait du regard avec admiration et
envie, ignorant presque Mike Turnbull qui améliorait les effets de lumière de
sa prestation : des rayons verts l’éclairaient, une musique effrayante résonnait
pendant qu’il faisait comme s’il était en train de lire dans l’esprit des gens…
Puis Enzo Romaldi entra en scène en menant Moonlight, le bel étalon
blanc, au bout d’une longe. Emily, Jack et Scott remarquèrent aussitôt que le
cheval boitait.
– Qu’est-ce qu’il a ? s’écria Bella.
– Je ne sais pas, répondit son grand-père.
– Aïe ! cria Danny au même instant.
Tous les regards se tournèrent vers lui. Il était en train d’agiter
frénétiquement les bras.
– Qu’est-ce qui t’arrive ? s’exclama Enzo en immobilisant Moonlight.
– Cette stupide bestiole m’a foncé dessus !
Et Danny désigna une mouette qui était en train de s’envoler à toute allure,
filant à travers un trou dans la toile du chapiteau.
Mais, quelques secondes plus tard, autre chose capta l’attention de tout le
monde. Un impressionnant silence régna soudain…
Et une femme en sari rouge vif, le visage voilé, apparut au milieu de piste.
Elle avait surgi de nulle part ! Assise en tailleur, mais voûtée comme une
vieille femme, auréolée de fumée, elle se mit à psalmodier d’une voix
autoritaire :
– Écoutez-moi, écoutez-moi…
– C’est un nouveau numéro ? s’étonna Bella, qui venait de s’approcher de
ses amis.
Jack échangea un coup d’œil perplexe avec Scott et Emily. Non,
visiblement, ce qui se produisait à cet instant surprenait tout le monde. Tony
semblait abasourdi.
– Qui êtes-vous ? demanda-t-il. Comment êtes-vous arrivée ici ?
Alors là, c’était la meilleure ! pensa Jack. Encore plus intéressant qu’un
tour de magie !
D’une voix sépulcrale, la vieille femme reprit la parole :
– Je suis Syamantaka !
À chaque mot qu’elle prononçait, son voile se gonflait autour de sa bouche.
– Je suis Syamantaka, et j’ai été envoyée par le temple de Ganesh afin
d’emporter le rubis… le rubis maudit !
10
La MaLÉDiCtioN
DU ruBis

Jack retint son souffle. À coup sûr, Tony exploserait de colère, lui qui
s’était énervé contre eux, simples enfants venant de retrouver le caniche de la
troupe. Qu’allait-il riposter à cette visiteuse, nullement bienvenue, qui
affirmait être l’émissaire d’un dieu à la tête d’éléphant ?
Mais, étonnamment, Tony resta très calme, comme pétrifié.
Le vieil Enzo tendit les rênes de Moonlight au magicien des épées, et
s’adressa à l’inconnue voilée :
– Madame, vous vous trompez sûrement. Le rubis de notre famille n’est
pas maudit. Il a été donné à notre ancêtre par un maharajah. L’Œil du Feu
nous protège !
Syamantaka secoua la tête et leva les mains à la manière d’un chef
d’orchestre.
– Monsieur Romaldi, l’Œil du Feu n’appartenait pas au maharajah. Lui-
même et sa famille étaient les gardiens du joyau, nommés par le temple de
Ganesh. Tant que la famille du maharajah vivait, le rubis vous maintenait
effectivement sous sa protection. Mais depuis que le dernier membre de sa
famille est décédé, tout a changé… Et l’Œil du Feu a maintenant un effet
totalement inverse, et ce, tant qu’il restera en votre possession !
Le visage sombre, Tony s’avança vers elle.
– Et quand est-elle morte ?
– Vendredi dernier. Elle était très âgée et n’a pas laissé d’héritier.
– Vendredi ? C’est ce jour-là que Gina a eu son accident, rappela Tony.
La même inquiétude se reflétait à présent sur tous les visages.
– Ce n’est pas un hasard ! Rendez le rubis, et vous n’aurez plus de souci,
non, plus de souci de tout, psalmodia l’Indienne enveloppée de voiles en se
levant lentement.
On a avait l’impression qu’elle flottait au-dessus du sol.
– Le rendre ? Et comment ? Faut-il que nous allions en Inde ? demanda
Luca. Nous ne savons pas de quel temple il provient !
– Je suis venue pour cette raison. Ganesh vous est très reconnaissant
d’avoir pris soin du rubis, ajouta la vieille femme. Je suis certaine qu’il ne
voudrait pas vous causer du tort. Je suis celle qui a été désignée pour que le
joyau soit rapporté à sa source, et votre famille sera alors libérée de la
malédiction !
– Et si nous refusons ? répliqua Barbara en s’approchant, les sourcils
froncés.
– Tais-toi ! ordonna Ray.
Il s’efforça de la retenir.
– Ne te mêle pas de ça.
– Et pourquoi ?
Barbara se dégagea avec vivacité.
– Je suis aussi une Romaldi. Du moins, je l’étais… jusqu’à ce que je
t’épouse ! Occupe-toi de tes affaires !
Syamantaka leva de nouveau les bras pour réclamer le silence.
– Si vous ne laissez pas l’Œil du Feu repartir, la malchance et les malheurs
continueront de s’abattre sur votre famille, et tout ce que vous avez bâti
s’écroulera… Ne resteront plus que des ruines !
Elle insista sur le mot « ruines », étirant chaque syllabe qui résonnèrent
sous le chapiteau…

– Hélas, oui, ne resteront plus que des ruines ! répéta Syamantaka.


Emily sentit un frisson glacé courir dans son dos. « Cette femme me
flanque la chair de poule ! » pensa-t-elle en jetant un coup d’œil à Bella.
Debout, au bord de la piste, elle regardait la vieille femme avec effroi, les
yeux écarquillés comme des soucoupes.
– Excusez-nous de vous poser cette question, mais comment pouvons-nous
être certains que vous ne nous mentez pas ? intervint Luca.
Syamantaka extirpa une enveloppe d’une poche dissimulée dans sa longue
robe et elle la tendit à Enzo.
– Cette lettre, qui provient du service indien des affaires culturelles, vous
confirmera mes propos. Je reviendrai demain, à la même heure, pour
connaître votre décision.
Sur ces mots, et dans un bruissement d’étoffe, la mystérieuse Indienne en
sari rouge quitta la piste.
Dès qu’elle fut partie, les Romaldi se rassemblèrent autour d’Enzo pour
examiner le document.
– Je vous avais dit qu’il ne nous protégeait plus ! s’exclama Tony. Vous
voyez, là, c’est écrit noir sur blanc ! Vous me croyez, maintenant ? Il faut
qu’on s’en débarrasse !
Luca s’empara du papier et l’examina à la lumière, comme on le ferait
avec un billet de banque pour s’assurer que ce n’est pas un faux.
– Je suis perplexe.
– Moi aussi, déclara Barbara d’un ton véhément. C’est sûrement une
voleuse ! Elle débarque chez nous, fait son cinéma, nous effraie… Et on
devrait lui obéir ?
– Pourquoi pas ? Et si, au contraire, elle voulait réellement nous aider ?
répliqua Enzo.
Il lissa son épaisse moustache et poursuivit, l’air nostalgique :
– Rappelez-vous ce que je vous ai toujours raconté. Autrefois, on nous a
confié le rubis, on ne nous l’a jamais offert. Notre famille devait veiller sur
cette pierre précieuse qui, en échange, veillerait sur nous. Mais ce n’était pas
pour toujours ! D’autre part, depuis vendredi, tout va de mal en pis : Gina a
eu un accident, Barbara a failli se rompre le cou pendant son numéro, Mimi a
disparu, et ce matin, Moonlight boite !
Il caressa affectueusement l’encolure de l’étalon.
– En tant que chef de famille, il est de mon devoir de réfléchir à un plan
d’action… Mais malheureusement, j’ai l’impression que nous avons à
affronter des forces que nous ne maîtrisons pas.
Emily se tourna vers Jack et Scott.
– Venez ! chuchota-t-elle. Allons-nous-en avant que Tony ne se souvienne
qu’on est là… Il risquerait de nous accuser d’être responsable de la
malédiction du rubis !
En vérité, un nouveau mystère à résoudre venait de surgir, et elle avait hâte
de commencer son enquête…
11
Ça CollE !

Des forces que nous ne maîtrisons pas…


Tandis qu’ils sortaient discrètement du chapiteau, Scott se répéta cette
phrase en boucle. Quelle que soit la force en question, il n’y croyait pas. Pas
plus qu’il ne croyait à cette histoire de rubis maudit. Quand même, on était au
XXIe siècle !

Ils gagnèrent le port et s’assirent sur le muret, au bord de l’eau. Des


voiliers et des bateaux de pêche sillonnaient la mer un peu plus loin. Le
soleil brillait, il faisait bon… Et le parfum de l’aventure planait de nouveau
au-dessus d’eux.
Jack remonta son tee-shirt sur son visage et lança d’un ton macabre, imitant
la vieille femme voilée :
– C’est le temple de Ganesh qui m’envoie… Attention à la malédiction !
Puis, remettant son vêtement en place, il observa Emily et Scott. Une lueur
incrédule se reflétait dans ses yeux bleus.
– Qu’est-ce que vous en pensez ?
Emily était en train de griffonner quelque chose dans son carnet.
– Que c’est bizarre. Et Tony était bizarre, tout à l’heure, quand il
s’adressait à Syamantaka.
Elle observa Scott et Jack. L’impatience et l’excitation se lisaient sur son
visage.
– Vous n’avez rien remarqué ?
– Il était drôlement calme, dit Scott.
– Oui, presque figé, renchérit Jack.
– Ce n’est pas tout. Il a demandé : « Quand est-elle morte ? » Sauf que
Syamantaka n’avait pas encore précisé que le dernier membre de la famille
du maharajah était une femme ! poursuivit Emily.
– Exact. Il avait cinquante pour cents de chance de ne pas se tromper,
souligna Scott.
Emily acquiesça.
– Mais j’ai eu l’impression qu’il n’était pas en train d’essayer de deviner.
Il savait. Personnellement, je crois que Tony Romaldi est beaucoup plus au
courant des choses qu’il n’en a l’air. Peut-être même qu’il connaît cette
Syamantaka ! L’opération rubis n’est donc pas finie ! ajouta-t-elle, tout
heureuse. On reprend l’enquête !
Scott fronça les sourcils.
– Tu ne penses quand même pas que Tony essaierait de revendre
illégalement le rubis ?
– Qui sait ? Si ça se trouve, Syamantaka est son contact en Inde ! Après
tout, ça fait un moment qu’il tente de convaincre sa famille de vendre le
joyau, mais personne ne l’écoute !
– Sauf son super allié Danny, rappela Jack.
– Moi, je parierais qu’ils ont tout manigancé, insista Emily. Il ne nous reste
plus qu’à découvrir comment !
– Et moi, je propose qu’on aille Chez Dotty et qu’on y réfléchisse en
mangeant un bon sandwich au bacon, dit Scott.
– Bien d’accord ! s’exclama Jack.
Il échangea un check avec son frère et se leva d’un bond. Drift en fit
aussitôt autant. « Bacon » était également l’un de ses mots préférés !

Ils s’installèrent à la terrasse de Chez Dotty, sur le front de mer.


– Miam ! s’exclama Jack en versant une belle dose de ketchup sur son
sandwich.
Scott et Emily sourirent. Eux aussi étaient affamés.
– Réfléchir le ventre vide, c’est difficile, confirma Emily.
Et, après avoir avalé une bouchée de jambon-fromage, elle donna du pain à
Drift.
– En tout cas, je suis quasiment certaine que cette lettre du service indien
des affaires culturelles est fausse.
– Dans ce cas, qui est Syamantaka ? demanda Scott. Elle aurait été payée
par Tony pour débarquer et jouer son numéro ?
– C’est possible, dit Emily.
– Sauf que les accidents sont arrivés pour de bon, objecta Jack. Tony
mettrait sa propre famille en danger ?
– C’est possible, répéta Emily. Il est peut-être prêt à tout, et l’histoire de la
malédiction est une mise en scène.
– Non…
Jack secoua la tête et posa son sandwich, ce qui prouvait à quel point il
était perplexe.
– Tony aurait demandé à Danny de faire tomber Gina ? Je vous signale que
Gina est la nièce de Tony et la cousine de Danny ! Même si Danny n’est pas
très futé, j’ai du mal à l’imaginer complice d’un truc aussi moche.
– Peut-être que Tony et Danny n’avaient pas anticipé un accident aussi
sérieux. Vous vous souvenez de ce que Gina a dit ? Si elle ne s’était pas
rattrapée à une balançoire, elle serait tombée dans le filet de sécurité. Et sa
chute aurait été sans gravité.
Jack ne paraissait toujours pas convaincu.
– Et Mimi ? Madame Zelda a expliqué que Tony et Danny ont été les
premiers à partir à sa recherche !
Sous la table, Drift lança un léger aboiement. Il avait entendu « Mimi »…
Il aurait sûrement aimé revoir la petite chienne !
Emily resta silencieuse quelques instants, songeuse.
– C’est vrai. Quelque chose cloche. Et si Anna, la femme de Tony, était
dans le coup ? Elle a très bien pu prendre Mimi pendant que madame Zelda
préparait son thé. Elle l’a mise dans le coffre de sa voiture. Pendant ce
temps, Tony et Danny sont restés dans les parages pour pouvoir réagir dès
que madame Zelda lance l’alerte. Et ensemble, ils ont fait semblant de partir
chercher Mimi…
– Mais la chienne était dans le coffre et, en réalité, ils essayaient de
dénicher un endroit où la cacher pendant un jour ou deux, continua Scott.
Comme ils ne voulaient pas lui faire de mal, juste créer un incident qui
effraierait tout le monde, ils ont laissé de l’eau à Mimi !
– Oui, ça collerait, admit Emily. Dommage qu’on ne puisse rien prouver.
Scott se leva d’un coup, poings dressés dans un geste victorieux. Son
mouvement brusque fit peur à des mouettes qui s’envolèrent aussitôt.
– Mais si, on peut ! Emily, tu as gardé la gamelle qu’on a trouvée à côté
des menhirs ?
– Oui, Bella me l’a donnée, je l’ai rangée dans mon sac à dos…
Emily l’ouvrit aussitôt et tendit l’écuelle à Scott.
– J’ai déjà vérifié s’il restait des empreintes. Mais non, aucune… Mimi les
a toutes léchées ! Je me demande ce que les initiales ACM signifient. J’ai
pensé à Aidan McDonald, mais ça ferait AMD… Et qu’est-ce que le
magicien des épées aurait à voir là-dedans ?
– Peut-être que « Tony » est le diminutif d’Anthony ou Antonio, suggéra
Jack. Ce qui expliquerait le « A ». Mais le « C » et le « M »…
– Vous vous trompez tous les deux, intervint Scott.
Il se mit à rire.
– Je savais que j’avais déjà vu ce logo quelque part… Cet ovale avec des
rayures noires et rouges, et une croix rouge. C’est AC Milan !
– AC Milan ? répétèrent Jack et Emily.
– Le célèbre club de foot italien ! Ils ont gagné énormément de matchs, ce
sont des champions mondiaux et…
– Merci, je sais ce qu’est l’AC Milan, l’interrompit Jack. Mais comment
ça prouverait que Danny et Tony ont kidnappé Mimi ?
– Ça ne le prouve pas, mais on sait qu’ils sont fans de l’AC Milan. En tout
cas, Danny l’est. Ce matin, il portait un sweat aux couleurs de l’AC Milan. Et
cette gamelle doit faire partie d’un lot qu’il a gagné ou acheté !
– Génial ! s’exclama Emily en écrivant aussitôt ses commentaires dans son
carnet. Tony et Danny deviennent les premiers suspects ! Ils ont sûrement joué
un rôle essentiel dans la disparition de Mimi et l’accident de Gina !
Drift aboya de nouveau. Ils continuaient à parler de Mimi… La petite
chienne avait sûrement des ennuis ! Il bondit de dessous la table et fonça vers
l’allée qui longeait la plage sans voir la bicyclette. Hélas, le petit chien ne vit
pas la bicyclette qui arrivait…
12
UNe PReUve
InConteStaBle

Des freins grincèrent, une sonnette fut précipitamment actionnée tandis


que s’élevait un cri de peur et colère mêlées.
– Oh, non ! gémit Jack en reconnaissant la cycliste qui avait failli tomber.
La vieille Irène Loveday, son ennemie jurée depuis le début de l’été… Elle
travaillait comme gardienne et, surtout, colportait toutes les rumeurs
possibles et imaginables.
Elle portait son inévitable gilet de sécurité orange vif, un tablier bleu à
carreaux et une robe à fleurs. Ses baskets roses étaient assorties au casque
ajusté sur ses boucles grises.
– Désolée ! s’exclama Emily.
Elle se précipita pour prendre Drift dans ses bras.
– Oh, Mme Loveday… Ça va ?
La vieille dame se tapota de la tête aux pieds, comme pour vérifier qu’elle
était bien entière.
– Oui, oui, pas de mal, pas de mal… Mais ça aurait pu être grave ! Je ne
sais plus où donner de la tête, moi, entre ces gens du cirque un peu bizarres,
et maintenant ton chien…
– Pourquoi ? Qu’est-ce qui pose problème avec le cirque ? demanda Emily
d’un air innocent.
– Écoute, ma petite, l’autre fois, Chez Dotty, il y avait un homme qui lisait
dans l’esprit des gens ! Un soi-disant devin ! J’ai dit à Dotty que je venais
boire une tasse de thé, mais que je refusais d’être examinée de la sorte par un
individu qui pratique la diminution !
– Vous voulez dire la « divination » ? rectifia Emily.
Mme Loveday ne cessait de confondre les mots.
– Divination ? Hum… Oui, sans doute. Quoi qu’il en soit, j’ai fait demi-
tour et je suis rentrée chez moi ! Ce monsieur ne m’inspirait pas confiance,
conclut Mme Loveday.
Jack réprima un fou rire. Cette vieille dame loufoque passait son temps à
observer tout le monde afin de pouvoir jouer la commère. De qui ne se
méfiait-elle pas ?
D’ailleurs, peut-être avait-elle vu ou entendu quelque chose qui les
aiderait dans leur enquête.
– Vous n’auriez pas rencontré une Indienne en sari rouge, par hasard,
madame Loveday… S’il vous plaît ? ajouta-t-il, conscience de son extrême
maladresse.
Il savait que Mme Loveday ne l’appréciait pas. Elle le considérait comme
l’être le plus impoli de Castle Key, et probablement de tout l’univers !
Mme Loveday le toisa du regard en fronçant les sourcils.
– Une Indienne ? Tu veux dire une Peau Rouge ? On n’est pas au Far West,
jeune homme ! Tu as dû être victime d’une mutation !
– Vous voulez dire une « hallucination », intervint Scott, qui se retenait, lui
aussi, de rire.
– Exactement. Ton frère a des hallucinations. Une Indienne ? Ici ? Jamais
de la vie ! Et je vous garantis que rien ne m’échappe !
« On vous croit sur parole », songea Jack en jetant un coup d’œil à Scott et
Emily. Comment Syamantaka avait-elle réussi à fouler le sol de l’île de
Castle Key sans attirer l’attention de Mme Loveday et de son radar à
rumeurs ? Voilà qui était un mystère total ! Un nouveau mystère…

Le lendemain, les trois amis se retrouvèrent au cottage des Roches, puis ils
se rendirent directement au cirque. Leur plan était simple : ils se placeraient
à différents endroits afin d’observer les allées et venues de chacun, et lorsque
Syamantaka reviendrait, ils ne pourraient pas la rater.
– Hier soir, j’ai cherché « Syamantaka » sur Internet, dit Scott. Devinez
quoi ? C’est le nom d’un célèbre bijou que portait le dieu Soleil dans la
mythologie indienne : un rubis doté de grands pouvoirs !
– Alors si ça se trouve, la femme indienne est vraiment en mission au nom
du temple de Ganesh, répliqua Jack.
– Je crois plutôt que Tony a déniché exactement la même information sur
Internet, rétorqua Emily. Ensuite, il a fait jouer le rôle de Syamantaka à
quelqu’un… Mais à qui ?
Lorsqu’ils parvinrent au chapiteau, tous les membres de la troupe s’étaient
déjà réunis. Normal, ils attendaient l’arrivée de la mystérieuse Syamantaka.
– Si quelqu’un vous demande pourquoi vous êtes là, répondez que vous
êtes revenus chercher une montre que vous avez fait tomber hier, suggéra
Emily. Drift et moi, on va se mettre près de la sortie de secours, au fond.
– D’accord, chef ! fit Jack. Moi, je me place à l’entrée principale.
Scott observa son frère qui s’éloignait en regardant fixement par terre.
Franchement pas discret. Pas naturel non plus !
Il gagna, quant à lui, l’une des entrées latérales donnant accès aux
coulisses. Il se glissa dans le pli de la toile du chapiteau et risqua un œil.
Rassemblés non loin, les Romaldi bavardaient avec nervosité. Enzo, Luca,
Tony et Danny discutaient d’un ton vif. Anna parlait avec Sylvia, la mère de
Bella, en se frottant la tempe. Scott put devina aisément les mots « mal de
tête » lorsqu’elle s’adressa à Sylvia… Puis elle s’éloigna d’un pas las.
Où se rendait-elle ?
Scott ne tarda pas à la voir émerger… Pourvu qu’elle ne le remarque pas !
Passant une main dans son épaisse chevelure blonde, Anna regarda à
droite, à gauche… et fila vers le fond du chapiteau. Scott patienta quelques
secondes avant de la suivre. Mais brusquement, Anna se volatilisa.
Stupéfait, Scott scruta les alentours. Elle ne pouvait quand même pas s’être
envolée comme par magie ! Puis il repéra une espèce de trouée sous le
rebord de la piste. Se serait-elle faufilée là-dessous ? Habile comme elle
l’était – elle était contorsionniste –, c’était possible… Et c’était sûrement la
seule explication.
Sans hésiter, il se jeta à plat ventre afin de se glisser à cet endroit.
Retenant son souffle, il rampa, conscient du sang qui martelait ses tempes.
Quelques secondes plus tard, il déboucha dans une sorte de minuscule alcôve
derrière les coulisses et sous la piste du cirque.
La seule lumière provenait d’une torche. Et là, dans le halo blanchâtre…
Anna Romaldi était en train de s’enrouler dans un sari, à toute allure. On
aurait dit un serpent qui changeait de peau…
Ou plutôt une talentueuse artiste se transformant en une vieille femme
voilée !
Abasourdi, Scott ne la quitta pas des yeux. Anna mit une perruque noire,
des boucles d’oreilles, ajusta une fine étoffe autour de sa tête…
Scott eut juste le temps de prendre une photo avec son portable avant
qu’Anna n’éteigne la lampe électrique. Puis elle ouvrit une trappe au-dessus
de sa tête et jaillit sur la piste, au milieu d’un nuage de fumée.
Quelque chose tomba et roula dans l’herbe. Scott ramassa une canette
rouge : l’étiquette indiquait « fumerolles de spectacle ».
Tout devenait clair comme de l’eau de roche. Anna Romaldi, alias Anna-
lastica la contorsionniste, n’était autre que Syamantaka !
Scott fit demi-tour à la hâte, rampa précipitamment… Mais ne trouva pas
la sortie. Bizarre… Où était l’espace par lequel il était passé ?
Il repartit vers la gauche et, à plat ventre, avança aussi vite que possible
jusqu’à ce qu’il parvienne dans une autre alcôve, bien plus spacieuse…
Alors qu’il aurait dû se retrouver dehors, au soleil.
Devant lui s’élevaient des rangées de costumes, des boîtes de chapeaux et
des parures colorées, des quilles, des tapis, des cerceaux… La gorge sèche,
il reconnut une partie des coulisses que Bella leur avait fait visiter quelques
jours plus tôt.
Il n’aurait jamais dû être là.
Une voix menaçante s’éleva soudain :
– Qu’est-ce que tu fabriques ici, toi ?
Scott se retourna. Danny Romaldi se tenait à l’entrée, un sabre à la main.
13
Il Ne FaUt PaS
JoUer aveC Le feU

Qu’est-ce que je fabrique ?


Scott essaya de trouver une réponse. « J’espionne ta mère » ? Hum, non,
pas terrible. D’autant que le sabre que brandissait Danny semblait
terriblement coupant. Sans doute provenait-il de la panoplie du magicien des
épées !
Mieux valait un « Je me suis perdu, désolé »…
Mais avant que Scott ait pu dire quoi que ce soit, Danny fonça sur lui tel un
ninja.
Scott attrapa le premier objet qui lui tomba sous la main : une lampe
d’Aladin en plastique. Il la lança de toutes ses forces vers Danny tout en lui
bloquant les jambes. Un tacle magnifique qui lui aurait sûrement valu un
carton rouge sur un terrain de foot.
La lame que tenait Danny étincela lorsqu’elle lui effleura le bras.
Scott ferma les yeux, attendant la douleur…
Mais rien ne se produisit. Rouvrant les paupières, il faillit éclater de rire.
C’était un accessoire en plastique ! En revanche, Danny venait réellement de
s’écrouler par terre.
Profitant de son avantage, Scott se précipita en direction de la sortie : il
croyait l’apercevoir entre deux rideaux. Hélas, Danny le rattrapa, l’empoigna
par la taille et le fit tomber dans une sorte de grand panier.
– Coincé ! s’écria Danny, un sourire mauvais aux lèvres.
Puis il attrapa une torche et l’alluma. La flamme jaillit. Danny l’approcha
du panier d’où Scott s’efforçait désespérément de s’extirper…
Pendant ce temps, Emily se demandait pourquoi, alors que Drift et elle-
même étaient plutôt expérimentés en matière d’espionnage, ils n’avaient
toujours pas vu arriver la mystérieuse Indienne. Les oreilles de Drift
n’avaient même pas tressailli. Donc son chien n’avait rien perçu et rien senti
d’anormal.
Quant à Jack et Scott, ils ne lui avaient pas envoyé le moindre signe, ce qui
impliquait qu’eux non plus n’avaient rien vu.
Emily oscillait entre impatience et inquiétude quand brusquement, au
milieu d’un éclat de lumière auréolée de fumée, Syamantaka apparut au
milieu de la piste ! Exactement comme la veille !
– Alors, quelle est votre décision ? demanda la vieille femme avec
autorité, s’adressant à la famille Romaldi attroupée autour d’elle. Avez-vous
accepté de rendre l’Œil du Feu à son temple d’origine, en Inde ? Je vous
rappelle que c’est la seule manière de faire cesser la malédiction qui plane
sur vous…
Enzo Romaldi s’avança vers elle. Le patriarche, si fier et digne, paraissait
avoir vieilli d’un coup : son dos se voûtait, et sa moustache blanche semblait
tomber tristement. Emily devina qu’il avait dû parler avec les siens la nuit
durant, pour tenter de comprendre, trouver une solution et se mettre d’accord.
– Madame Syamantaka, merci d’être là, déclara-t-il, grave et solennel.
Nous avons réfléchi à vos paroles, et nous pensons que vous nous dites la
vérité. Le rubis est bel et bien maudit. Nous n’avions encore jamais connu
une telle malchance. Moonlight boite toujours, Anna, la femme de Tony, ne
cesse de souffrir de terribles maux de tête, et ce matin, le moteur de notre
principal camion de transport a été endommagé… Bref, rien ne va plus. Par
conséquent, nous devons…
Sa voix trembla et il s’interrompit, incapable de poursuivre. Tony prit la
parole à sa place :
– Nous devons vous remettre l’Œil du Feu, afin que vous le portiez là où il
doit se trouver dorénavant, en lieu sûr. De cette manière, le mauvais sort qui
s’acharne sur nous cessera.
Syamantaka leva lentement les mains et des fumerolles rouges s’élevèrent
de ses manches.
– Vous avez fait le bon choix. Que votre décision se concrétise dès à
présent !
Emily serra les dents. Son cœur lui paraissait aussi lourd qu’un bloc de
béton. Ce n’était pas juste ! La famille Romaldi venait de tomber dans un
piège évident. Tony s’apprêtait à récupérer le joyau… Il avait gagné !
La troupe commença à quitter le chapiteau, accompagnant Syamantaka
probablement jusqu’à la caravane d’Enzo où, pour la dernière fois, ils
ouvriraient le précieux coffret…

De l’autre côté du chapiteau, Jack n’en croyait pas ses yeux. Il venait
d’assister à l’apparition de Syamantaka. Quel spectacle ! Mais par où était-
elle arrivée ? Elle devait porter une véritable cape d’invisibilité ! Non, un
sari d’invisibilité ! songea-t-il, énervé et déçu de ne pas avoir pu intervenir.
Et maintenant, tous les Romaldi quittaient les lieux, en compagnie de
l’Indienne. Il ne pouvait plus rien faire pour l’instant.
À contrecœur, Jack se dirigea vers l’endroit où Scott lui avait dit qu’il
serait caché.
Sauf que… pas de Scott.
Perplexe, Jack regarda autour de lui. Scott serait-il déjà parti ? Sans
l’avoir attendu ? Il ne manquait plus que ça !
À ce moment-là, il entendit un cri… Un cri strident, comme celui de
Tarzan, en plus puissant encore.
AAAAAAAAAAAH !
Le hurlement provenait d’une des ailes du chapiteau. Jack s’y précipita,
écarta les rideaux, jeta un coup d’œil… Et resta bouche bée en découvrant la
scène : Danny Romaldi brandissait une torche enflammée au-dessus d’un
panier d’où émergeait le visage apeuré de Scott !
Jack n’hésita pas. Il se rua sur Danny et lui tordit le bras. Au même instant,
Scott sauta hors du panier et, à son tour, empoigna Danny. Il lui arracha la
torche et souffla dessus pour l’éteindre.
– Strike ! s’exclama-t-il, triomphant.
– Double strike ! renchérit Jack.
Puis il fusilla Danny du regard.
– C’était quoi, ton idée ? Faire griller Scott au barbecue ?
– Et vous ? Qu’est-ce que avez à fouiner dans nos affaires ? répliqua
Danny d’un ton agressif.
Jack et Scott échangèrent un coup d’œil.
– Ça va ? demanda Jack.
– J’ai eu un peu chaud, je crois, répondit Scott. Merci, frangin.
– De rien, frangin.
– Lâchez-moi ! ordonna Danny en se débattant.
– Tu rêves ? On va te ficeler comme un rôti, ajouta Scott en ramassant une
écharpe par terre.
– Il ne fallait pas jouer avec le feu, renchérit Jack tandis qu’ils lui
ligotaient les poignets à un poteau. Ta maman ne t’a jamais appris ça ?
– À mon avis, sa maman a d’autres choses à faire… Comme, par exemple,
jouer le rôle de Syamantaka, précisa Scott.
– Vous me le paierez, prévint Danny, rouge de fureur.
– Anna est bel et bien Syamantaka, poursuivit Scott à l’attention de Jack.
Filons d’ici…
Et pendant qu’ils sortaient du chapiteau, il raconta à Jack ce qu’il avait vu.
– Mais la famille Romaldi vient d’accepter de lui donner le rubis !
s’exclama Jack. Vite, il faut qu’on les arrête avant que ce soit trop tard !
14
RIen Ne Va PlUs

Emily risqua un œil pour tenter d’apercevoir ce qui se passait dans la


caravane. Par chance, une fois de plus, les rideaux de la baie vitrée n’étaient
pas totalement tirés.
Syamantaka était assise en tailleur sur le canapé, enveloppée de ses voiles.
Elle chantonnait doucement, les mains jointes comme si elle priait. Les
Romaldi présents regardèrent Enzo apporter le coffret. Les visages étaient
graves. Madame Zelda s’éventait avec un mouchoir tout en tenant Mimi sur
ses genoux. Perchée sur le bord d’une chaise, près de ses parents, Bella
semblait triste.
Il manquait Anna et Danny.
Voyant Enzo inviter Bella et Luca à ouvrir le coffret contenant le rubis,
Emily sentit son cœur se serrer. Luca ouvrit le boîtier de sa montre afin d’en
extirper sa propre clé.
« Bientôt, il sera trop tard pour agir ! », pensa Emily. Pourquoi Scott et
Jack ne la rejoignaient-ils pas ? Puis elle se décida.
– Va chercher les garçons ! chuchota-t-elle à Drift. Va ! Vite !
Le petit chien fila aussitôt vers le chapiteau.
Reportant son attention sur la scène à l’intérieur, Emily chercha comment
ralentir la transaction à l’œuvre. Sans réfléchir davantage, elle ramassa un
bout de bois dans l’herbe et le cogna plusieurs fois contre la paroi. Puis elle
se cacha sous la caravane, à plat ventre derrière une roue.
Peut-être que ça les ferait réagir ? Elle gagnerait quelques secondes…
Peu de temps après, la porte s’ouvrit.
Bingo !

Les pieds d’un homme apparurent. Puis un visage tandis qu’il regardait en
dessous. C’était Tony.
Emily ferma les yeux, bloqua son souffle. Il allait forcément l’apercevoir,
et ce serait la fin…
Un silence irréel régna, puis Tony remonta.
– Il n’y a rien. Ce devait être le vent, annonça-t-il en refermant derrière lui.
Waouh ! Emily en aurait crié de soulagement !
À présent, pressée par Syamantaka, la famille Romaldi allait poursuivre…
Comment les interrompre de nouveau sans se mettre elle-même en danger ?
À ce moment-là, elle entendit un bref aboiement. Drift ! Elle rampa et
émergea de sa cachette. Son petit chien suivi par Scott et Jack, se précipita
vers elle.
– Enfin ! chuchota-t-elle en les rejoignant. Où étiez-vous ?
– Scott a failli être grillé au barbecue par Danny ! annonça Jack, hors
d’haleine. Je lui ai sauvé la vie !
Stupéfaite, Emily contempla Scott. Les cheveux en bataille, des
égratignures sur le bras, il avait effectivement l’air de quelqu’un qui s’était
bagarré.
– Bonne nouvelle. La mauvaise, c’est que les Romaldi sont chez Enzo, et
ils vont donner le rubis à la femme indienne.
– Non, parce que moi, j’ai la preuve qu’elle ment et joue la comédie,
affirma Scott.
Il prit Emily par la main et ils coururent jusqu’à la caravane.
Scott ouvrit la porte à la volée.
– Arrêtez tout !
– Qu’est-ce que vous faites ici ? s’indigna Tony Romaldi. Sortez
immédiatement !
La stupeur se refléta sur le visage du vieil Enzo. Mais il reporta son
attention sur sa clé : la troisième. Celle qui permettrait l’ouverture du coffret
contenant le rubis.
– Il faut que ces jeunes s’en aillent tout de suite ! se lamenta Syamantaka.
Qu’ils paaaartent viiiiiite ! Sinon, l’Œil du Feu risque d’être furieux, et sa
punition sera terriiiiiiiiible !
– Va-t’en ! s’écria Tony en attrapant Scott par l’emmanchure de son tee-
shirt.
– Attention, tonton, c’est un ami ! Ce sont mes amis ! protesta Bella.
– C’est vrai ! intervint Luca en serrant sa fille contre lui. Bella a raison,
ces jeunes nous ont déjà aidés. Donnons-leur une chance de s’expliquer.
Enzo acquiesça.
– Je suis d’accord. Écoutons-les.
Scott s’écarta de Tony – bien obligé de le lâcher –, et s’avança.
– Pardon de faire irruption de manière si impolie… Mais on voudrait vous
dire que le rubis n’est pas maudit. Tony, Danny et Anna ont mis en scène les
accidents. J’en ai la preuve…
Scott s’apprêta à sortir son portable… Sauf qu’il eut beau fouiller ses
poches, il ne le trouva pas.
Emily sentit son cœur se serrer. Sans photo, ils ne possédaient aucun
argument valable.
– Bon, votre petit numéro a assez duré, décida sèchement Tony.
Décampez !
– Non ! répliqua Jack.
Tous les regards se braquèrent vers lui.
– On n’est pas venus pour rien, vous allez voir !
Passant devant Scott, il fonça vers Syamantaka, lui attrapa le voile qui
masquait son visage et tira d’un coup sec. Une perruque noire tomba par
terre, révélant une chevelure blonde.
– Anna ! balbutia Enzo, abasourdi.
– Anna ? murmura Emily, tout aussi stupéfaite.
La femme de Tony enfouit son visage dans le creux de ses mains peintes en
brun.
Un lourd silence régna quelques secondes.
– Papa ! Tu ne me croiras jamais ! s’écria alors Danny en s’engouffrant
dans la caravane. Ces deux frères, tu sais, ils m’ont frappé et attaché et…
Soudain, il remarqua que ses assaillants se trouvaient pile en face de lui…
– Oui, eux !
Il pointa un doigt vers Scott et Jack.
– Vous m’avez attaqué ! Et par derrière, en plus !
Puis, se retournant vers son père :
– Ils sont au courant pour…
– Tais-toi ! s’écrièrent Tony, Enzo et Luca en même temps.
Soudain, tout le monde se mit à parler en même temps… Et Enzo tapa dans
les mains pour ramener le silence.
– Du calme ! Du calme !
Dès que le brouhaha eut cessé, le vieil homme s’adressa à Tony d’une voix
tremblante de colère contenue :
– Eh bien, tu nous as joué un très vilain tour…
Tony haussa les épaules.
– Oui… Oui, j’avoue. On voulait que tout le monde pense que le rubis est
maudit ! ajouta-t-il avec exaspération.
Stupéfait, Luca contempla son frère.
– Tu as fait exprès de laisser tomber Gina ? L’accident, tu l’as voulu ?
– Tu as failli tuer ma sœur ? Espèce de monstre ! s’écria Bella en se jetant
sur Danny.
Elle voulut lui donner un coup de poing, mais Luca l’en empêcha. Il
l’écarta avec gentillesse même si – et cela se voyait –, lui-même bouillait de
rage.
– Elle n’aurait jamais dû basculer par-dessus le filet de sécurité,
marmonna Danny. Ça, c’était de sa faute !
– Et ils ont attaché Mimi près des menhirs, intervint Emily.
Elle sortit l’écuelle « AC Milan » de son sac et la tendit à Danny.
– C’est à toi ou je me trompe ?
– Comment avez-vous osé ? cria madame Zelda, horrifiée. Depuis, ma
pauvre Mimi fait des cauchemars !
En entendant le nom de sa nouvelle amie, Drift trottina jusqu’à elle. Il posa
le bout du museau contre celui du caniche blotti sur les genoux de
madame Zelda. Le message était clair : plus personne ne la mettrait en danger
tant qu’il serait là !
– Et les autres accidents, c’est également toi ? demanda Enzo à Tony avec
indignation et incrédulité. Tu as saboté la barre métallique, mis un clou dans
le sabot de Moonlight, du sucre dans le réservoir à essence du camion…
– Mais pourquoi ? renchérit Sylvia, stupéfaite. C’est absurde !
– Non, Sylvia, j’ai agi pour le bien de la famille. Je vous assure, tout est
parti d’une bonne intention, marmonna Tony. La lettre que je vous ai montrée
est authentique. Elle est arrivée il y a quelques semaines. Le dernier
descendant du maharajah est vraiment décédé, et le service indien des
affaires culturelles veut réellement récupérer le joyau. Ils nous en offriront
quelques milliers de livres…
Sortant le document de sa poche, il lut à voix haute :
– « … en échange de notre gratitude, et pour vous remercier d’avoir pris
soin d’un trésor qui appartient au patrimoine national… »
– Pourquoi tu ne t’es pas contenté de nous en parler ? s’indigna Barbara.
– Parce que je me doutais que vous seriez prêts à accepter la somme qu’ils
nous proposent, sans discuter, alors que cette pierre précieuse vaut plus…
Beaucoup plus !
– C’est vrai ! affirma Danny. Le bijoutier qu’on a consulté à Londres l’a
estimé à des millions !
– Nous n’avions pas l’intention de le vendre, déclara Tony en fusillant
Danny du regard. Nous voulions juste obtenir une estimation.
Un silence perplexe s’établit. Tous se regardaient, méfiants,
interrogateurs… Puis Sylvia prit la parole :
– Mais enfin, pourquoi avoir fait jouer ce rôle ridicule à Anna ?
Tony poussa un long soupir comme s’il s’adressait à une classe incapable
de comprendre les clés d’un problème.
– Comme vous ne vouliez pas croire que le rubis avait perdu son pouvoir
protecteur, on a décidé d’être plus percutants. L’apparition de Syamantaka
n’avait qu’un seul but : vous convaincre que le joyau n’agissait plus de
manière positive et bénéfique, et qu’au contraire, il nous portait la poisse !
Il jeta un coup d’œil à son père et ébaucha un sourire.
– Si vous aviez remis le rubis à Anna-Syamantaka, nous l’aurions gardé
précieusement jusqu’à ce que vous ayez tous accepté la vérité ainsi que de
vendre cette pierre. Cette décision aurait été la meilleure pour nous tous.
– La meilleure pour nous tous ? répéta Luca.
Il secoua tristement la tête.
– Désolé, Tony, on ne te croit pas.
Un murmure d’assentiment général s’éleva.
– Tony, à l’évidence, nous pensons tous qu’Anna, Danny et toi aviez
l’intention de trahir la famille, déclara Enzo. Vous vous apprêtiez à nous
voler le rubis, à le vendre au plus offrant et à disparaître ! D’autant que vous
aviez déjà prévu de nous quitter à la fin de la saison, n’est-ce pas ?
Tony baissa les yeux. Danny et Anna regardèrent le plafond. Aucun d’entre
eux ne démentit l’accusation du patriarche des Romaldi.
– En attendant que nous sachions ce que nous allons faire de vous, reprit
Enzo, je souhaite que nous rendions hommage à l’Œil du Feu, qui ne nous a
jamais laissé tomber. Nous n’avions pas à douter de lui !
Solennellement, il s’approcha du coffret posé sur la table, puis il invita
Luca et Bella à se joindre à lui. Ensemble, ils insérèrent les trois clés dans
les serrures parmi des sculptures d’éléphants dansants.
Emily, Jack et Scott échangèrent un sourire réjoui. Ils avaient résolu
l’opération rubis et empêché l’Œil du Feu de se retrouver entre de
mauvaises mains ! À présent, ils allaient enfin pouvoir admirer le magnifique
joyau…
Enzo ouvrit le couvercle en bois.
Les trois amis se penchèrent, impatients…
Mais l’écrin était vide.
15
L’ÉVIDeNCe…

Tout le monde resta muet.


Abasourdi, Enzo laissa retomber le couvercle. Puis il l’ouvrit de nouveau.
Pas de doute, l’écrin de satin blanc était vide. Furieux, Luca s’en empara et le
secoua, au cas où le rubis aurait glissé en dessous… Mais non.
Scott sentit Emily lui agripper le bras. Jack lâcha une exclamation de
stupeur… Et Tony éclata soudain de rire. Un rire retentissant, pas du tout
moqueur, plutôt comme celui d’un clown pris au piège par ses propres
blagues.
– Ne me regardez pas comme ça ! Je n’y suis pour rien… ON n’y est pour
rien ! ajouta-t-il en désignant Anna, toujours en sari rouge, effondrée sur le
canapé. Je n’aurais pas pris toute cette peine si j’avais pu me servir
directement, vous ne croyez pas ? Et je vous signale que moi, je n’ai plus de
clé puisque papa a donné la mienne à Luca !
– Alors, qui a volé le rubis ? demanda Barbara, formulant la question que
tous se posaient.
– Eh bien, interroge donc Luca ! railla Tony.
Des murmures désapprobateurs s’élevèrent.
– Parce que vous adorez tous le brave Luca, pas vrai ? poursuivit Tony en
faisant mine d’esquisser une révérence devant son frère. Mais qui a la clé,
aujourd’hui, hein ? Luca ! Et qui a accès à la clé de sa chère petite fille ?
Il contempla Bella qui soutint son regard, ses prunelles sombres emplies
de colère.
– Laissez-moi réfléchir, poursuivit Tony. Ah, oui, c’est aussi Luca… Qui
n’a qu’à attendre que papa pique un somme après le dîner pour lui piquer sa
clé. Et hop, monsieur les détient toutes les trois, et le tour est joué !
– Oui, le tour est joué ! répéta Danny en levant trois doigts, au cas où
personne n’aurait compris.
– Comment oses-tu ? accusa Enzo.
– C’est ridicule ! s’exclama Luca. Pourquoi moi, je voudrais voler le rubis
et le vendre ?
Tony haussa les épaules.
– C’est ça, fais le malin…
Sur ces mots, il quitta la caravane en claquant la porte derrière lui. Danny
lui emboîta le pas, mais Scott s’avança et le retint par le bras.
– Une minute, tu n’aurais pas quelque chose à me rendre ?
À contrecœur, Danny lui tendit son téléphone.
Anna se leva et, honteuse, évitant les regards, suivit son mari et son fils.
Jack brandit la perruque et les voiles.
– N’oubliez pas ça !
Évidemment, elle ne lui répondit pas.

– C’est trop beau ! s’écria Bella en admirant le panorama depuis le hublot


de la chambre d’Emily, au huitième étage du phare.
Le lendemain de la découverte de la disparition du rubis, Scott et Jack
s’étaient retrouvés chez Emily, où ils avaient invité Bella. Ils voulaient lui
remonter le moral. Pour le coup, pari gagné ! Bella ne cessait de s’extasier.
– Tu as vraiment de la chance d’habiter un endroit pareil ! Tu vois tout,
absolument tout ! Le cirque tout entier avec le chapiteau, les camions… Et
même notre caravane, ajouta-t-elle en détournant son regard des jumelles
qu’on lui avait prêtées.
Elle poussa un soupir.
– Je parie que papa et maman y sont en ce moment-même, en train de se
disputer de nouveau. Ma mère a répété à mon père qu’il ne doit pas trop
s’inquiéter, mais il est complètement déprimé.
– Je le comprends ! C’est une situation difficile, admit Scott.
– Oh, oui… Le pire, c’est que tout le monde commence à prendre au
sérieux cette rumeur débile que mon oncle Tony a lancée ! Ce matin, tous
racontaient que seul papa peut avoir eu les trois clés.
Bella se laissa tomber sur un pouf, découragée.
– Comme si c’était possible… Oh, j’aurais tant aimé avoir une famille
normale comme vous trois !
– Normale ? répéta Scott, perplexe. La nôtre ne l’est pas tellement, tu sais !
On a perdu notre mère, et notre père, qui est archéologue, est toujours en
voyage pour essayer de découvrir des poteries et des vestiges préhistoriques.
– Et mes parents ont l’air cool, mais ils sont un peu originaux, avoua
Emily. Mon père était un guitariste rock plutôt célèbre à son époque, et ma
mère, qui est d’origine espagnole, est artiste peintre. Ils ont décidé de créer
un gîte dans un ancien phare… Ce qui n’est pas franchement « normal » !
conclut-elle en mimant des guillemets en l’air.
Bella s’efforça de sourire.
– Vous essayez de me consoler. Merci… Mais moi, je ne peux pas
imaginer que mon père, mon propre père, ait pu voler le rubis !
Des larmes brillèrent dans ses yeux, et elle les essuya aussitôt.
– Et si on essayait de le retrouver ? Comme ça, on prouvera qu’il est
innocent !
– C’était bien notre intention, affirma Jack.
– Plutôt deux fois qu’une ! renchérit Emily, qui était assise sur son lit, Drift
blotti contre elle. J’ai déjà écrit « Opération rubis : phase deux » dans mon
carnet. D’abord, on doit dresser la liste de suspects. Ensuite, il faut qu’on
établisse tous les mobiles du vol : qui aurait pu avoir envie de dérober ce
joyau… Et quand ? Comment ?
– On sait déjà que Tony, Danny et Anna avait de bonnes raisons de vouloir
récupérer l’Œil du Feu, argumenta Scott. Mais on ne peut pas les soupçonner.
Comme Tony l’a souligné, ils n’auraient pas imaginé une telle comédie –
avec la fausse Indienne et tous les incidents, qui auraient pu être très
graves –, s’ils avaient simplement pu mettre la main sur le rubis !
Pensive, Emily mordilla le bout de son stylo.
– Oui, mais… Et s’ils bluffaient encore ? Je crois qu’on ne peut pas déjà
les éliminer.
– Sauf qu’ils sont partis, leur apprit Bella. Ils ont plié bagage ce matin !
– Alors ça règle la question. Qui d’autre possédait la clé du coffret à part
ton père, ton grand-père et toi ? interrogea Scott.
Bella secoua la tête.
– Personne. En tout cas, je n’en sais rien.
Scott échangea un coup d’œil avec Jack et Emily.
– Une quatrième personne avait forcément la clé. Ou un double.
– Et c’est quelqu’un de la troupe, dit Jack. Parce que, à part nous, qui
connaît l’existence du rubis ?

Lorsque Bella s’en alla une heure plus tard, le carnet d’Emily contenait une
liste d’une vingtaine de suspects, incluant la plupart des artistes du cirque, les
techniciens et les autres membres du personnel.
– On commencera à les interroger dès demain, promit Emily à Bella en la
raccompagnant au rez-de-chaussée.
Les deux filles se firent la bise.
– Vous êtes vraiment chouettes, dit Bella en souriant. J’ai de la chance de
vous connaître tous les trois. Enfin, tous les quatre ! Je n’oublie pas Drift…
Puis elle se sauva. Emily la suivit du regard tandis que Bella filait en
direction du port, sa longue tresse virevoltant dans son dos.
– Maintenant, on peut parler sérieusement, lança Emily en rejoignant Scott
et Jack un instant plus tard.
Elle aurait aimé ne pas avoir cette pensée persistante à l’esprit… Une
pensée qui l’attristait.
– Pourquoi tu dis ça ? On pouvait aussi parler avant ! répliqua Scott.
– Pas complètement. Je ne voulais pas faire de peine à Bella. Bref, si on
résume les choses, c’est assez clair, poursuivit Emily.
Comme Scott et Jack l’observaient d’un air perplexe, elle ajouta :
– J’ai du mal à ne pas envisager la culpabilité de Luca, le père de Bella.
Tony a raison sur ce point : pour Luca, qui avait déjà la clé du coffret, c’était
facile de récupérer celle de Bella et d’Enzo.
– Sauf que Bella n’enlève jamais le bracelet où elle attache la sienne !
protesta Jack. Sauf…
Il ferma les yeux et crispa les paupières, comme s’il voulait repousser un
souvenir désagréable.
– En fait, si, elle l’a ôté l’autre fois, avant d’aller nager au lac de
Polhallow. Vous vous souvenez ? Luca lui a demandé de lui confier son
bracelet.
Il esquissa une grimace.
– Mais même si Luca ressemble au coupable idéal, pourquoi il aurait fait
une chose pareille ? Dans quel intérêt ?
Emily referma son carnet d’un coup sec.
– Tu as raison, ce ne serait pas logique. Il a l’air plutôt solidaire. Malgré
tout, il reste suspect.
– On ne peut pas demander à Bella de questionner son propre père,
souligna Scott.
Mais Emily avait déjà envisagé ce problème.
– On va s’organiser. Vous deux, vous poserez des questions aux membres
de la troupe, avec Bella. Pendant ce temps-là, Drift et moi, on surveillera
Luca. Avec un peu de chance, on trouvera le moyen de le disculper
totalement !
Et elle leva les deux mains en croisant les doigts.
16
QUe D’iLLUSIoNs !

Le lendemain après-midi, Jack et Scott retrouvèrent Bella à sa caravane.


– Emily nous rejoindra plus tard, annonça Jack lorsqu’elle leur ouvrit la
porte. Elle est chez le dentiste.
Bella avait gardé sa tenue d’entraînement – pantalon de survêtement et tee-
shirt – et noué sa tresse en chignon.
– Elle dû emmener Drift…, déclara Scott au même instant.
Bella écarquilla les yeux d’un air éberlué.
– Emily a emmené Drift chez le dentiste ?
Jack regretta que son frère et lui n’aient pas discuté de l’alibi d’Emily
auparavant !
– Euh… Oui. C’est un dentiste spécial, à Carrickstowe. Il soigne les
humains et les chiens. Cool, pas vrai ?
« Si jamais j’ai de sérieux ennuis un jour, et que j’ai besoin que quelqu’un
me couvre, il ne faudra jamais que je compte sur Jack ! » pensa Scott.
– Bon, allons vite voir Aidan McDonald, proposa-t-il, changeant
rapidement de sujet. Je l’ai aperçu tout à l’heure, il était en train d’affûter ses
sabres sous le chapiteau…

Pendant ce temps, cachée derrière un marronnier, Emily attendit que Jack,


Scott et Bella se soient éloignés sous le chapiteau. Puis, discrètement, elle
s’approcha de la caravane des parents de Bella et jeta un coup d’œil à
travers la fenêtre.
Assis à une table, Luca Romaldi rangeait des papiers d’un air soucieux.
Emily songea que son propre père affichait la même tête quand il s’efforçait
de comprendre des factures ou des relevés de compte. Si M. Romaldi
rencontrait des problèmes d’argent, voilà qui justifiait l’envie de dérober le
rubis !
À ce moment-là, Sylvia Romaldi le rejoignit. Aussitôt, Luca plia l’un des
documents et le glissa précipitamment dans sa poche. Comme s’il voulait le
cacher.
Les soupçons d’Emily s’intensifièrent.
– J’allais sortir, ma chérie, annonça-t-il à Sylvia d’une voix exagérément
enjouée.
Des soucis financiers… que sa propre femme ignorait ? De toute
évidence, Luca venait de dissimuler un courrier à Sylvia ! Il lui cachait
quelque chose.
La situation s’aggravait pour Luca.
– Mais attendons quand même de voir, chuchota Emily à Drift. Peut-être
qu’il veut organiser une surprise à Sylvia, par exemple des vacances…
Mais elle-même n’y croyait pas trop.
Quand, un court instant plus tard, Luca quitta la caravane, Emily et Drift le
suivirent discrètement. Emily n’aimait pas espionner Luca ainsi. Elle avait
l’impression de trahir Bella… Mais c’était pour la bonne cause : disculper le
père de son amie. Sauf que pour l’instant, la réalité ne semblait pas coller à
son souhait.
N’allant pas bien loin, Luca se dirigea vers le parking où stationnaient de
gros camions. Il se glissa derrière l’un d’eux.
Emily attendit quelques secondes puis, suivie par Drift, elle s’approcha sur
la pointe des pieds.
Appuyé au pare-chocs d’un des véhicules, Luca était au téléphone.
– … je comprends, répétait-t-il. Mais s’il vous plaît, accordez-moi juste
un peu plus de temps.
Il jeta un coup d’œil à la lettre qu’il tenait à la main.
– Pour les prochains remboursements, je n’aurai plus de retard. J’ai eu pas
mal de problèmes de famille et… Oui, je vous assure que vous serez
remboursés dès que je le pourrai…
Il jeta un coup d’œil par-dessus son épaule, comme s’il se sentait épié.
Emily se dissimula aussitôt derrière le camion et s’efforça d’écouter le reste
de la conversation. Elle capta quelques paroles : « Rembourser », « Aussi
vite que possible », « Je vous le promets »…
Elle en avait assez entendu. Elle appela Drift et courut retrouver Jack,
Scott et Bella quelques instants plus tard, comme prévu, derrière le
chapiteau.
Bien que le ciel soit bleu et qu’il y ait du soleil, Emily avait l’impression
qu’un nuage noir planait au-dessus de sa tête. Luca Romaldi avait des dettes
secrètes et ne parvenait pas à payer ce qu’il devait. Il était visiblement dans
le pétrin jusqu’au cou. Comment allait-elle l’apprendre à Bella sans lui faire
trop de peine ?
Soudain, elle entendit qu’on l’appelait. Tournant la tête, elle vit justement
Bella qui accourait vers elle, sautillant par-dessus les marguerites, suivie par
Jack et Scott.
– Coucou, Emily ! Tes dents, ça va ? demanda Bella. Et celles de Drift ?
Déconcertée, Emily garda le silence. D’abord, elle se demanda si Bella ne
venait pas de s’adresser en langage codé. Chez les artistes de cirque, certains
mots, comme par exemple « Bonne chance », ne se prononçaient pas ! Mais
pourquoi lui parlait-elle des dents de Drift ? Alors, en un éclair, elle
comprit. Jack et Scott avaient dû fournir comme alibi, une visite chez le
dentiste !
– Oui, pas de carie, tout va bien ! Alors ?
– Alors Aidan McDonald ne sait rien du tout, déclara Scott. On a plutôt
perdu notre temps.
– Bon, interrogeons Mike Turnbull, suggéra Emily. Sauf que si jamais il est
vraiment devin, il lira dans nos esprits et devinera pourquoi on est là !
Bella esquissa une moue amusée.
– Mike est un illusionniste. Il a peut-être un don pour la prestidigitation, il
impressionne les autres, mais je ne sais pas si la divination, c’est un truc ou
si c’est vrai. Ce qui est sûr, ce que là, il est très occupé, ajouta-t-elle en
désignant un groupe d’enfants qui se rassemblaient devant la caravane de
Mike. À mon avis, il va leur montrer des tours de magie.
– Genre « tiens, regarde, il y a une montre dans ton oreille » ? répliqua
Jack. Allons lui parler, oui. Bonne idée. J’ai bien envie de connaître ses
secrets.
– Tu t’imagines qu’il va te les confier comme ça ? s’esclaffa Scott. Mais
essayons toujours…
Les trois amis attendirent que les enfants se soient éloignés, puis ils
rejoignirent Mike Turnbull.
– C’est super impressionnant, ce que vous faites, dit Jack. Où avez-vous
appris tout ça ?
Mike sourit.
– J’ai été magicien des rues pendant des années, mais ce n’est pas facile de
gagner sa vie de cette manière… La prestidigitation marche mieux quand on
est sur scène. Il faut te rapprocher comme ça…
Il tendit la main et ouvrit les doigts. Dans sa paume brillait une fine
chaînette en or.
– C’est la mienne ! s’écria Emily en effleurant son cou. Comment vous
avez fait ?
Mike lança un clin d’œil aux garçons – de son œil vert –, tout en regardant
Emily et Bella avec son œil noir. Puis il ouvrit son autre main, révélant un
petit disque métallique.
Emily se pencha pour l’observer.
– Ça vient du collier de Drift ! C’est sa médaille avec son nom !
Drift, lui, observait attentivement Mimi qui était en train d’être brossée
devant la caravane voisine.
– Drift, j’ai honte de toi ! Tu ne t’es rendu compte de rien !
Mais elle n’avait pas le droit de le juger trop sévèrement, songea-t-elle.
Après tout, elle-même n’avait pas senti Mike lui prendre son collier. Elle qui
se vantait d’être si observatrice ! Elle se mit à rire tout en réfléchissant à
toute allure. Son cerveau tourbillonnait comme la roue d’un hamster
hyperactif. Y aurait-il une toute petite chance que Luca n’ait pas volé le
rubis ? « J’espère que Mike Turnbull ne peut réellement lire dans nos esprits,
pensa-t-elle, sinon, il n’appréciera pas ce que je suis en train d’imaginer… »
17
L’aRaIgNÉe

Une demi-heure plus tard, les quatre amis s’installèrent dans la cabane
située dans un arbre derrière le cottage des Roches. Jack, Scott et Emily
adoraient s’y réfugier pendant leurs missions… Surtout depuis que tante Kate
leur apportait de quoi reprendre des forces : des bonbons, des sandwichs…
Cette fois, elle leur avait préparé du pain grillé, tartiné de beurre doux et de
marmelade. Délicieux !
Bella ne cacha pas son amusement lorsqu’ils hissèrent Drift dans un panier.
Elle s’installa confortablement sur des coussins, à côté de Scott et d’Emily,
tandis que Jack se glissait dans le hamac suspendu entre deux branches.
Emily sortit son carnet. Elle y noterait que Luca Romaldi avait des
problèmes d’argent plus tard, lorsque Bella ne serait plus là. À la place, elle
entoura le nom de Mike Turnbull dans la liste de suspects et ajouta deux
étoiles à côté. Puis elle posa la question qui lui trottait à l’esprit depuis
qu’elle avait vu sa propre chaînette dans la main de Mike.
– Bella, est-ce que Mike aurait pu prendre ton bracelet auquel la clé du
coffret est attachée sans que tu t’en aperçoives ?
– J’y ai pensé, admit Bella. Pendant les spectacles, on se retrouve tous en
coulisses, et parfois, on est très près les uns des autres. Il l’a peut-être
subtilisé juste avant que je la fixe avec du scotch. Mais il n’a pas pu la garder
longtemps : je m’en serais rendu compte.
Scott acquiesça.
– Mais pour ouvrir le coffre, Mike aurait besoin de la clé qu’Enzo a autour
du cou, et également de celle que Lucas garde avec sa montre. Comme Bella,
ils s’apercevraient vite qu’ils ne l’ont plus.
– Il ne lui faudrait les clés que très peu de temps : juste pour fabriquer un
moule, souligna Emily. Ensuite, il ne reste plus qu’à faire des doubles de
chaque clé.
– Tu as raison. On peut créer une empreinte dans du savon. Tu appuies, et
hop, tu as la forme… J’ai vu ça dans un film, ajouta Bella. Dans une histoire
de prisonniers qui s’échappaient.
– Avec une matière souple, on peut créer des doubles soi-même, précisa
Emily. Par exemple, de la cire, de l’argile, du savon… Ensuite, on fait fondre
du métal qu’on verse dans le moule et le tour est joué. On peut même acheter
des kits sur Internet et…
Scott l’observa d’un air amusé.
– Sur quels sites tu es allée surfer, Emily ? Cambriolage-facile.com ?
Emily lui lança un coussin à la figure.
– Je faisais des recherches de matériels destinés aux détectives privés,
c’est tout !
Puis, de nouveau, elle nota quelque chose dans son carnet.
– Bon, il nous faut un plan d’action. Si Mike a volé le rubis, il a dû le
cacher quelque part.
Emily, Scott et Bella s’efforçaient de trouver une solution pour réussir à
fouiller dans la caravane de Mike Turnbull quand Jack poussa un cri perçant.
Ils avaient oublié qu’il s’était endormi dans son hamac ! Sauf qu’il venait de
tomber par terre en se tapant les jambes et en s’agitant dans tous les sens
comme un pantin désarticulé.
– Une araignée ! Une araignée !
Croyant qu’il s’agissait d’un nouveau jeu, Drift se mit à bondir autour de
lui.
– Elle vient de grimper sur ma jambe !
– Elle est grosse ? demanda Bella en se précipitant pour l’aider.
– Énorme !
Jack écarta les mains pour indiquer une créature ayant la taille d’une
tarentule.
– Et je vous jure qu’elle est velue !
Scott esquissa une grimace horrifiée.
– Aïe… C’est sûrement une araignée des arbres de Cornouailles ! Sa
morsure peut être fatale.
– Fatale ? répéta Jack, terrifié. Oh non…
Paniqué, suffoquant presque, il s’efforça de se protéger avec son short…
qu’il s’apprêta à baisser. Emily se pencha aussitôt et attrapa l’araignée noire
posée sur le genou de Jack. Quand même, il n’allait pas danser en caleçon
devant Bella !
Jetant un coup d’œil à l’insecte, Jack comprit que Scott s’était moqué de
lui… Et entreprit de se bagarrer avec lui.
Bella éclata de rire.
– C’est drôle, je ne connais qu’une seule personne qui craint autant les
araignées : Mike Turnbull. La dernière fois qu’il en a vu une, il a failli avoir
une crise cardiaque !
– Sérieusement ? Alors là, c’est génial ! ajouta Emily.
Elle ramassa l’arachnide, qui n’était pas si volumineux que ça, et le plaça
dans une boîte à allumettes qu’elle gardait toujours dans son sac pour y
conserver des indices.
– Cette bébête est notre sésame pour entrer dans la caravane de Mike
Turnbull !
Puis elle leur exposa son idée.

Ils durent attendre le lendemain midi pour mettre leur plan à exécution.
Mike Turnbull était assis devant sa caravane, en train de manger un
sandwich, quand Emily, Jack et Scott s’avancèrent vers lui.
– Bonjour ! On aimerait bien que vous nous montriez comme vous avez fait
le truc du collier, vous savez ? demanda Jack avec politesse.
– Quelle horreur ! s’exclama Emily au même instant.
Elle contempla Mike, plaqua une main sur sa bouche et recula
précipitamment.
– C’est la plus grosse araignée que j’aie jamais vue !
Qu’elle était douée pour jouer la comédie !
Au même instant, Scott se pencha et, de la boîte d’allumettes, laissa sortir
l’araignée qu’ils avaient récupérée sur l’arbre la veille. Elle grimpa aussitôt
le long de la chaise de Mike puis rampa sur la jambe de ce dernier.
– Aaaaaah ! s’écria-t-il.
Il se leva d’un bond et faillit s’étouffer avec son sandwich.
Jack esquissa une moue dégoûtée en regardant la bestiole à huit pattes
courir dans l’herbe. Mais Scott parvint à rattraper, à la remettre dans la boîte
avant de faire semblant de la laisser tomber.
– Oh, non, je l’ai perdue !
– Où ? Où est-elle ? balbutia Mike.
Emily désigna la porte ouverte.
– Elle vient de rentrer chez vous.
Mike resta bouche bée, livide. On avait l’impression qu’il s’apprêtait à
s’évanouir.
– Je… Comment dire…
– Ne vous inquiétez pas, on va vous en débarrasser ! proposa aussitôt
Scott.
– Vraiment ? Merci beaucoup, soupira Mike en s’affalant sur sa chaise.
Jack, Scott et Emily se précipitèrent à l’intérieur. Ils se lancèrent des
phrases du style « Attention, elle a filé sous le tapis ! », « Vite, elle est là-
bas ! » tout en cherchant autre chose…
Un rubis, par exemple.
La caravane était petite, parfaitement rangée, et il ne leur fallut pas
beaucoup de temps pour se rendre à l’évidence : ils ne trouveraient rien.
– Vous l’avez eue ? interrogea Mike, toujours dehors, la voix tremblante.
– Euh… bientôt ! assura Emily.
Elle avait l’intuition qu’ils devaient insister. Mike Turnbull ne lui inspirait
pas confiance… Pas du tout. Et comme par hasard, à l’instant où cette
réflexion jaillissait de son esprit, elle découvrit une petite boîte étrange dans
l’un des tiroirs du bureau. À l’intérieur, des morceaux de métal et de l’argile
à modeler…
– Intéressant, murmura-t-elle.
Elle se hâta de prendre une photo avec son portable. À peine eut-elle rangé
l’objet suspect que Mike apparut sur le seuil de la porte.
– Alors ?
– Alors…
Scott bondit vers un fauteuil.
– On la tient ! lança-t-il en levant ses mains jointes.
Emily lui passa la boîte et il fit semblant de glisser l’araignée à l’intérieur.
– Vous voulez la voir ? demanda innocemment Scott.
Il agita la boîte sous le nez de Mike, commença à l’entrouvrir…
– Non, non, emmenez-la ! cria Mike, les yeux écarquillés d’effroi.
Mais une fois que la créature tant redoutée fut relâchée dans la nature, il
retrouva son calme et leur offrit des glaces pour les récompenser.
Emily se sentait quand même un peu coupable d’avoir joué un tel tour à
Mike Turnbull. Mais ils ne s’étaient pas rendus dans la caravane pour rien…
Jack, Scott et Bella ne purent dissimuler leur enthousiasme lorsque, de retour
dans la cabane en haut de l’arbre, elle leur montra la photo qu’elle avait
prise.
– Cette pâte à modeler est parfaite pour faire un moule, expliqua-t-elle. Et
le métal peut être utilisé pour fabriquer la clé. Il fond probablement à
faible température. C’est sans doute de l’étain ou du plomb.
Jack sourit. Elle en savait, des choses ! C’était impressionnant. Il échangea
un check avec Emily.
– Donc ce bonhomme aux yeux bizarres est notre voleur de rubis !
– Et ça prouve que papa est innocent ! fit Bella avec soulagement. J’ai hâte
de le dire à tout le monde.
– Attends encore un peu, recommanda Scott. On peut avoir des
présomptions mais on n’a aucune certitude. Peut-être que Mike utilise cette
pâte pour créer des figurines, des petits soldats ou ce genre de choses !
– Tu as vu des figurines… ou ce genre de choses dans sa caravane ?
rétorqua Jack.
– Scott a raison. Même si on se pose des questions à propos de Turnbull le
devin, on n’a aucune preuve, dit Emily.
Jack poussa un long soupir. Pourquoi Emily était-elle toujours d’accord
avec Scott ? Même si son frère, au fond, n’avait pas tort…
– Alors qu’est-ce qu’on fait ? On va le voir et on lui dit : « Monsieur
Turnbull, on vous soupçonne. Et si, tout simplement, vous nous indiquiez
l’endroit où vous avez planqué la pierre précieuse ? » ajouta-t-il d’un ton
moqueur. Pas sûr que ce soit possible, ça…
Le visage d’Emily s’illumina.
– Mais si ! Jack, tu es génial ! On va juste se débrouiller pour que Turnbull
nous montre la cachette !
– Se débrouiller… sans utiliser d’araignée ? la défia Jack.
– Sans araignée, promit Emily en riant. Il faudrait juste que Bella et Mike
soient au même endroit. Bella arrive et, toute contente, elle déclare à Mike
que quelqu’un a retrouvé le rubis. Ensuite, nous, on n’a plus qu’à surveiller
Mike… Si notre intuition est juste, il finira par filer à l’endroit où il a
dissimulé l’Œil du Feu, pour vérifier ! Et là, on le prend en flagrant délit.
– Oui, c’est génial ! s’exclama Jack. Enfin… Je suis génial.
– Oui, c’est pas mal, comme plan, admit Scott. Ça marchera peut-être.
– Il faudra bien, renchérit Bella.
– Et toi, tu sauras jouer la comédie ? interrogea Scott. Si jamais il
s’aperçoit que tu racontes n’importe quoi…
– Aucun problème, coupa Bella. Je veux prouver l’innocence de mon
père ! Et je sais à quel moment on ira voir Mike : juste avant le spectacle de
ce soir. Mike et d’autres artistes de la troupe s’installent toujours à l’arrière
du chapiteau pour jouer au poker pendant que les techniciens font des essais
de son et de lumière.
– Waouh ! Impeccable, déclara Jack avec encore plus d’enthousiasme. Tu
débarques et tu annonces la nouvelle… Tadam ! Ensuite, on surveille la
réaction du devin…
18
ŒiL CoNtRe ŒiL

Le plan fonctionna à la perfection ! Du moins au début…


– Quelqu’un sait où est maman ? demanda Bella en s’engouffrant sous le
chapiteau. Il faut que je lui dise quelque chose de génial… L’Œil du Feu est
revenu ! Il est de nouveau dans son coffre ! Incroyable, non ?
Ray, le clown acrobate, Aidan McDonald et Mike Turnbull étaient en train
de jouer au poker sur une table pliante. Levant les yeux de ses cartes, Ray
sourit.
– Excellente nouvelle, Bella ! La dernière fois que j’ai vu ta mère, elle
était dans les coulisses, en train de recoudre un chapeau.
– Merci ! répondit joyeusement Bella.
Et elle fila aussitôt.
À l’extérieur, caché derrière un arbre avec Jack et Emily, Scott ne put
s’empêcher d’admirer son talent de comédienne. Elle avait couru un vrai
risque en mentant ainsi.
– Maintenant, regardons ! chuchota Jack.
Ils observèrent attentivement Mike Turnbull, déjà maquillé pour son
numéro d’Incognito : il était couleur petit pois de la taille jusqu’au front. Il
n’avait pas bougé un cil en entendant Bella. « Il se concentre sur son jeu,
pensa Scott. Ou il fait semblant de ne pas être perturbé, et, dès qu’il le
pourra, il ira vérifier si le rubis est de nouveau à sa place ! »
La suite sembla lui donner raison…
Lentement, Mike posa ses cartes.
– Royal flush, annonça-t-il avec un sourire tranquille.
En grommelant d’un air mécontent, les autres joueurs abattirent leurs
cartes.
– Ça nous apprendra à jouer avec un devin ! s’esclaffa Aidan McDonald.
Lui aussi était déjà prêt à entrer en scène. Habillé d’une côte de mailles
comme un chevalier, il redeviendrait bientôt le magicien des épées.
Mike se leva et s’étira avec nonchalance.
– Les amis, je vais vous laisser un moment, mais comptez sur moi pour la
revanche ! Il faut que j’aille programmer l’enregistrement d’une émission de
télé… À tout à l’heure !
Sur ce, il s’éloigna.
Scott sentit son cœur battre plus vite. Il leva un pouce victorieux à Jack et
Emily.
La mine réjouie, Jack s’apprêta à emboîter le pas à Mike.
– On ne peut pas le suivre tous les trois, objecta Emily à mi-voix. Il nous
remarquerait. Je m’en charge avec Drift.
Elle leur confia son sac à dos, et s’assura qu’elle avait bien son portable
dans la poche de son short.
– Je vous préviens dès que j’ai du nouveau.
Puis, sans leur laisser le temps de répondre, elle se lança discrètement aux
trousses Mike Turnbull.
– Pendant ce temps-là, nous, on reste ici comme des idiots, marmonna
Jack.
– Emily a raison… Ensemble, on serait aussi discrets qu’un troupeau de
rhinocéros ! Surtout avec toi, plaisanta Scott.
– Quoi ? Moi ? fit Jack en levant la voix.
– Chut ! Tu vois ?
Jack pressa les lèvres comme pour dire « d’accord, motus et bouche
cousue ». Scott sourit.
– Ne fais pas la tête ! Viens, on va rejoindre Bella et attendre qu’Emily
nous contacte…
De son côté, Emily vit Mike Turnbull émerger de l’entrée principale du
chapiteau. Curieusement, il ne se dirigea pas vers les caravanes. D’un pas
rapide, il se dirigea vers le parking où se trouvaient les camions, et
s’approcha d’un des plus imposants véhicules : celui qui contenait bon
nombre des volumineux accessoires du cirque. Emily se souvenait que Bella
le leur avait déjà montré. On emportait les différents objets utiles aux
spectacles sur des chariots, jusqu’aux coulisses.
Elle s’avança à pas de loup, Drift sur ses talons. Vite, elle s’accroupit
derrière une énorme roue quand, soudain, Mike se retourna, comme s’il
sentait leur présence. Le cœur battant, Emily pria pour qu’il ne les ait pas
vus…
Mais il se détourna, ouvrit les deux portes arrière et s’introduisit à
l’intérieur du camion.
Ouf !
Emily s’approcha doucement et se risqua à jeter un œil.
L’homme farfouillait énergiquement dans une sorte de grand coffre qui était
utilisé pendant le numéro du magicien des épées. Emily le reconnut aussitôt.
Il contenait toutes sortes de faux bijoux clinquants, brillants et en plastique
coloré. Un endroit idéal pour dissimuler un vrai joyau ! songea-t-elle, levant
la tête pour mieux voir.
Mais à ce moment-là, Mike pivota la tête…
Et Emily croisa son regard abasourdi. Un œil vert, un œil noir, mais un
même éclat de fureur dans les prunelles.
Elle attrapa Drift et s’élança pour s’enfuir…
Trop tard.
Une main se plaqua sur sa bouche pour l’empêcher de crier. Puis Mike la
souleva et la porta comme un paquet au fond du véhicule. Emily eut juste le
temps d’apercevoir Drift qui, d’un bond, se réfugiait derrière un carton.
Mike laissa tomber Emily sur un tas de tapis, referma les portes d’un coup
sec et revint vers elle.
– Alors comme ça, on me suit ?
Il la contempla avec colère.
– Petite maligne… Enfin, tu t’es crue maligne ! Tu veux que je te dise ?
Savoir lire dans l’esprit des autres, c’est avant tout décoder chaque signe :
une moue, un clignement d’œil, un geste… J’ai senti que Bella mentait à
propos du rubis, sauf que je n’en étais pas certain. Vous êtes doués, tes
copains et toi, mais peut mieux faire, comme on dit à l’école…
Emily sentit sa gorge se dessécher. Elle était coincée.
– Mes amis vont me chercher, prévint-elle, espérant qu’il ne percevrait pas
les tremblements de sa voix.
Mike ébaucha un sourire grimaçant.
– Ils ignorent qu’on est ici. Et vous m’avez bien eu avec votre numéro, ce
matin, pas vrai ? Le coup de l’araignée… Chapeau ! Dès qu’il y a une de ces
sales bestioles près de moi, je suis incapable de réfléchir. Vous avez un peu
gagné… et tout perdu. Car maintenant, toi, tu es ma prisonnière !
Et, avisant un rouleau de corde, il s’en empara pour ligoter les poignets
d’Emily.
– Vous… vous aggravez votre cas ! protesta-t-elle malgré sa peur. Parce
qu’on sait que vous avez volé le rubis… Et je vous jure qu’on va venir me
chercher !
– Peut-être, mais en attendant, moi, je serai loin ! ricana-t-il.
Son visage était si vert qu’il ressemblait à un chou mutant.
– J’avais l’intention d’attendre quelques semaines avant de partir, mais
puisque vous avez cassé mon plan, je dois précipiter les choses. Je m’en irai
avec ça…
Il sortit un joyau rouge et étincelant de sa poche. L’Œil du Feu scintilla
dans la pénombre du camion.
– Mais vous serez rattrapés, dit bravement Emily. Et d’abord, pourquoi
faites-vous ça ?
– Tu ne t’en doutes pas ? Cette pierre précieuse vaut des millions. J’en ai
assez de jouer mon numéro chaque soir et de gagner si peu ! Quand j’ai su
que la famille Romaldi avait l’intention de rendre le rubis aux autorités
indiennes, je n’ai plus hésité. Après tout, j’ai le droit d’avoir une retraite
dorée, non ?
Emily sentit la panique la gagner quand Mike noua une corde autour de ses
poignets et serra fort.
– Et comment vous avez réussi à le voler ? interrogea-t-elle, déterminée à
en savoir le plus possible, même si ça devenait dangereux. Oh, je devine :
comme vous êtes très habile, vous avez réussi à dérober les trois clés, et
ensuite, vous avez fabriqué des doubles, c’est ça ?
– Tu es vraiment intelligente, répondit-il en remettant le rubis dans sa
poche. Et oui, tu as tout compris. Bon, maintenant, je t’ai assez vue. Je veux
être tranquille pour pouvoir continuer ce que j’ai à faire !
Et il la bâillonna avec un foulard. Après quoi, il la souleva et la fit glisser
dans une grande jarre qu’il referma avec un couvercle.
Oh, non…
Emily s’appuya contre une paroi d’argile rugueuse. Ça sentait mauvais,
tout était sombre…
Elle entendit Mike Turnbull bouger, ouvrir les portes, les claquer…
Et voilà, il l’abandonnait !
S’agitant autant que possible, Emily s’efforça de faire tomber l’espèce de
tonneau qui l’emprisonnait. Impossible, il était trop lourd. Elle essaya de
libérer ses poignets, mais le nœud était très serré. Elle voulut crier… Le
bâillon étouffa son appel au secours.
En désespoir de cause, elle s’effondra. Des larmes brûlantes coulèrent sur
ses joues. Il faisait chaud et tout était noir autour d’elle. Presque noir.
Quelques rais de lumière filtraient à travers des fentes dans le bois.
Heureusement. Au moins, elle pouvait respirer grâce à ces trous qui…
Soudain, Emily sut où elle se trouvait. Dans la jarre que le magicien des
épées utilisait pendant son numéro… Celle qu’il pourfendait de ses sabres
tranchants !
19
arrÊteZ
Le SpeCtaCLe !

Drift gratta la jarre avec ses pattes. Que fabriquait Emily à l’intérieur ?
S’agissait-il d’un jeu de cache-cache ? Non, Emily ne se serait pas cachée
sans lui. Il aurait dû aboyer contre l’étrange homme vert, ou essayer de le
mordre… Et pourquoi avait-il mis Emily dans ce tonneau ? C’était ridicule !
Mais les humains agissaient souvent de manière incompréhensible. Mais s’il
était sûr d’une chose, c’est qu’Emily avait peur. Il sentait sa peur à travers
les petits trous du tonneau.
De nouveau, avec de légers coups de griffes sur le bois, il lui dit qu’il était
là.
Il ne supportait pas qu’Emily soit effrayée.
Reculant dans un coin, il frissonna, queue basse, oreilles aplaties. Peut-
être était-elle coincée. Une fois, Drift avait déjà été piégé dans un terrier de
lapin. Il s’y trouverait encore si Emily ne l’en avait pas sorti. Maintenant, il
savait qu’Emily avait besoin de son aide.
Un gémissement proche d’un grognement s’échappa du pot géant. Ça
ressemblait au bruit que faisaient Jack et Scott lorsqu’ils se lançaient dans
une bataille de coussins. Oui, c’est ça ! Réfléchis ! Jack et Scott sauraient
quoi faire.
Et lui, il devait coûte que coûte retrouver les garçons.
Drift renifla chaque millimètre des parois du camion, à la recherche d’une
issue. Mais les seules bouffées d’air frais provenaient d’une petite fenêtre
tout en haut. Même un humain ne pourrait l’atteindre. Il grimpa sur un tas de
tapis, essaya… Et n’y parvint pas. Il n’était pas un écureuil ! Ni un chat… Il
détestait l’admettre, mais les chats réussissaient à se faufiler n’importe où,
quelle que soit la hauteur. Le seul chien capable de grimper était Mimi.
Pensant à Mimi, Drift releva les oreilles. Mimi serait sans doute très
douée, elle qui était la reine de l’équilibre, pour se glisser jusqu’à cette
fenêtre… Mais là, pas de Mimi.
Drift appuya le museau contre une longue perche posée contre la paroi,
près des tapis. Elle bascula et il bondit aussitôt en arrière. Il examina alors le
montant métallique qui, en tombant, se retrouvait avec l’extrémité logé dans
le coin de la petite fenêtre. S’il avait été Mimi ou – pensée insupportable ! –
un chat, il aurait réussi à s’y agripper pour atteindre la vitre !
Du bout de la patte, il fit bouger la barre. Elle vibra.
– Mmmmmmm !
Un nouveau gémissement provint du tonneau.
Il ne pouvait pas laisser Emily là-dedans.
Le petit chien plaça une patte autour de la perche, puis une autre… Et
glissa. Il se rappela alors de Mimi qui, lorsqu’elle accomplissait ses
numéros, regardait devant elle, la queue dressée, le dos bien droit. Et s’il
l’imitait ?
Oui, ça fonctionnait mieux ainsi… Surtout lorsqu’il gardait Mimi en tête !
À la septième tentative, Drift parvint en haut de la perche.
Un petit grillage couvrait la fenêtre, que la perche avait faite bouger. Drift
en attrapa un coin du bout des dents et le secoua comme s’il s’agissait d’un
rat. Grrrr ! Il glissa jusqu’en bas du montant… et réussit, en même temps, à
déchirer le grillage qui tomba avec lui. Il n’avait plus qu’à grimper de
nouveau tout en haut et à passer de l’autre côté de la vitre. Il s’exécuta
rapidement, se faufila tant bien que mal par l’ouverture… et gémit de douleur
lorsque deux de ses pattes s’enfoncèrent sur le rebord métallique coupant.
Mais il était prêt à sortir…

Dans le tonneau, Emily avait parfaitement entendu Drift qui grattait,


grattait… Elle avait aussi perçu un bruit métallique, des grognements, des
coups… Que fabriquait son chien ? Si seulement elle avait pu lui dire d’aller
chercher Scott et Jack… Mmmmmmm !
Puis, à un moment, tout devint silencieux. Inquiète, Emily tendit l’oreille.
Drift s’était-il endormi ? Blessé ?
Quelques longs instants plus tard, les portes du camion s’ouvrirent. Dieu
merci ! Voilà Scott et Jack ! songea-t-elle.
Mais les pas qui résonnèrent sur le sol lui donnèrent la chair de poule.
Non, ce n’était pas eux mais un homme lourd. L’un des membres du cirque ?
Sûrement. On souleva la jarre et on la posa sur quelque chose. Emily fut
projetée contre la paroi du tonneau. Ça bougeait… On avait sorti le tonneau ?
Oui ! Elle le devinait à la lumière qui filtrait à l’intérieur.
– Mmmmmm !
Elle s’efforça de crier. Hélas, l’homme chantait joyeusement un air d’Elvis
Presley, et il ne l’entendait pas.
Elle sentait que ça roulait. On avait mis le tonneau sur un charriot, et
l’homme le poussait vite.
Bientôt, ils se retrouvèrent de nouveau à l’intérieur, sur une surface lisse.
Tout s’immobilisa. Des applaudissements s’élevèrent, puis ce fut le
silence.
Où suis-je ?
Une voix masculine s’éleva alors.
– … Et maintenant, le magicien des épées qui se rit de tous les dangers…,
annonça Enzo Romaldi.
Emily se trouvait sur la piste du cirque, et le spectacle avait commencé.
Elle avait vu le numéro deux fois. Elle imagina le magicien des épées en
train d’enflammer ses dagues pour les avaler ensuite. Ensuite, il jonglerait
avec des couteaux et les lancerait vers une cible pendant que Marianne
danserait devant. À présent, il s’amusait de nouveau avec des épées en
coupant des pastèques en deux pour prouver à quel point leur lame était
tranchante.
Ce qui allait suivre, Emily le savait parfaitement.
Terrifiée, elle s’efforça de libérer ses mains, de cogner sa tête contre la
paroi, de crier, de hurler… Dire qu’elle avait tant admiré ce tour exécuté par
le magicien des épées ! Elle aurait tant voulu en découvrir le secret ! Mais
même si ça avait été le cas, là, elle était impuissante, ligotée et paralysée.
Les mots qu’elle redoutait retentirent :
– Maintenant, je vais insérer six dagues tranchantes dans cette jarre vide !
clama le magicien des épées. Regardez bien, elles la transperceront de part
en part !
De nouveau, le public frappa dans les mains avec enthousiasme.
Emily ferma les yeux. C’était la fin. Elle pensa à sa mère, à son père, à
Drift… Et, terrifiée, attendit que la première dague jaillisse vers elle.
20
Coup De tHÉÂTre

– M ais où est-elle ? s’impatienta Jack, qui attendait de l’autre côté du


chapiteau avec Scott et Bella.
Des parfums de barbes-à-papa et de hot-dogs imprégnaient l’air.
– C’est bizarre qu’elle tarde autant, avoua Bella en nouant sa tresse en
chignon.
Elle portait son justaucorps rouge et brillant, prête à entrer en scène d’une
minute à l’autre. Elle réaliserait une version abrégée de son numéro de
trapèze puisque Danny et Tony étaient dorénavant absents.
– Très bizarre, admit Scott. À croire qu’elle s’est volatilisée !
– Comme Mike Turnbull, souligna Jack. Regardez, voilà Drift !
En effet, le petit chien accourait vers eux à toute allure. Ils ne cachèrent
pas leur soulagement. Si Drift était là, Emily ne pouvait pas être bien loin.
L’animal boitait. Du sang maculait ses pattes avant.
– Qu’est-ce qui lui est arrivé ? s’inquiéta Jack tandis que tous trois le
câlinaient. Il a eu un accident ?
Drift était à bout de souffle mais heureux de les voir. Il remuait
joyeusement la queue.
– Où est Emily ? demanda Scott.
Les oreilles de Drift se dressèrent aussitôt, et le chien se dirigea vers le
cirque. Les trois amis le suivirent… Sauf que tout à coup, Drift fit demi-tour
et fonça vers le parking où stationnaient les camions.
– Où il va ? s’étonna Jack tandis qu’ils couraient derrière lui.
– Il a l’air sûr de lui ! lança Bella.
Drift s’immobilisa devant l’un des véhicules puis il le contourna. Une fois
face aux portes arrière, il posa une patte sur le pare-chocs.
– Qu’est-ce qu’il y a, là-dedans ? demanda Scott.
– Nos grands accessoires… Enfin, certains, précisa Bella en composant le
code d’un cadenas.
Elle ouvrit les portes et grimpa à l’intérieur. Scott et Jack découvrirent tout
un bric-à-brac qui leur rappela un mélange de caverne d’Ali Baba et de
vestiaire de gymnase à cause des nombreux tapis, matelas amortissants,
plateformes, échelles et lampes.
– Emily, c’est nous ! Tu es là ? appela Scott.
Sa voix résonna contre les parois métalliques du camion. Jack se fraya un
passage au milieu d’un amas de faux bijoux et regarda à l’intérieur d’une
grande malle.
– Elle n’est pas ici. Drift, qu’est-ce que tu veux ?
Le chien grattait un endroit sur le sol qu’il ne cessait de regardait, la tête
sur le côté, les oreilles frémissantes.
S’agenouillant, Scott examina ce que Drift semblait clairement montrer : la
marque d’un rond, comme un gros anneau, dans la poussière. Un objet avait
dû se trouver là.
– À ton avis, qu’est-ce qu’il y avait, ici ? demanda-t-il à Bella.
Elle jeta un coup d’œil à son tour et hocha la tête.
– Le tonneau… La jarre d’Aidan, ajouta-t-elle en consultant sa montre. Ils
ont dû l’emporter sur la piste. Aidan ne va pas tarder à commencer son
numéro.
– Quoi ? Avec ses épées ? Qu’il utilise pour transpercer le tonneau ?
s’exclama Jack.
Soudain, Scott eut une pensée aussi fulgurante que terrifiante.
– Tu ne crois quand même pas qu’Emilie est à l’intérieur ?
– Impossible ! Sauf si elle veut dire adieu à la vie ! poursuivit Jack d’un
ton moqueur.
– Sauf si quelqu’un l’y a mise de force, objecta Scott. Et si Turnbull l’avait
enfermée dedans ? Après l’avoir attachée ?
Jack s’aperçut que Drift continuait à tourner autour de l’empreinte par
terre. Scott avait peut-être raison.
– Oui, mais même si c’est ce qui s’est passé, ça ira… Parce qu’Aidan
commence par montrer aux spectateurs que le tonneau est vide !
Mais Bella secoua la tête. Elle était livide.
– Non, il ne fait pas ça. Il lance d’abord ses épées pour transpercer le
tonneau. C’est sa manière de prouver qu’il ne contient rien. Donc si Emily est
enfermée dedans…
Elle s’interrompit, incapable de finir sa phrase.
– Il faut qu’on fasse quelque chose.
– Oui, mais quoi ? Dis-nous ! Comment on sort de cette jarre ? Comment
Marianne se débrouille pour ne pas être poignardée quand elle est à
l’intérieur ?
– Le tonneau a un fond ouvrant ! Il est posé au-dessus d’une trappe
spéciale, s’écria Bella. C’est par-là que passe Marianne. Elle débloque
l’ouverture et reste dans un espace en dessous de la piste tant qu’Aidan lance
les épées. Ensuite, elle se remet dans le tonneau.
– Sauf qu’Emily ne le sait pas, répliqua Jack. En plus, elle doit être
ligotée.
– Bon, vous deux, allez retrouver Aidan pour qu’il arrête son show, décida
Scott. Moi, je vais me glisser sous la piste jusqu’à cette trappe, et je
l’ouvrirai au cas où vous n’y seriez pas à temps. Comment on la repère ?
– Dessus, c’est marqué SU3 : sortie d’urgence n° 3, indiqua Bella. Parce
qu’il y a plusieurs trappes…
– Prends ça !
Jack récupéra la lampe torche dans le sac d’Emily et la tendit à Scott. Puis,
avec Bella et Drift qui courait déjà devant eux, il piqua un sprint en direction
du chapiteau.
Jack, Bella et Drift s’engouffrèrent dans l’entrée du chapiteau, foncèrent
vers les gradins remplis de monde, trébuchèrent sur des sacs, écrasèrent des
pieds, provoquant un vent de panique autour d’eux. Jack n’y prêta pas
attention. Il fallait juste qu’ils parviennent jusqu’à la piste et qu’ils fassent
cesser le spectacle.
– Arrêtez tout ! cria Jack. Il y a quelqu’un dans le tonneau !
Le magicien des épées se figea, stupéfait. Deux lames avaient déjà été
plantées dans le bois. À côté de lui, Marianne cessa de danser.
Jack sentit la panique l’envahir. Ils arrivaient trop tard.
Drift se précipita et se mit à gratter frénétiquement la jarre.
– Décampez immédiatement, protesta Aidan, furieux.
– Non, écoute-nous, Emily est là-dedans ! s’écria Bella.
Marianne plaqua une main sur sa bouche et recula, horrifiée. Des
applaudissements s’élevèrent. Apparemment, le public pensait que leur
intervention faisait partie du numéro !
Sourcils froncés, Aidan secoua la tête.
– N’importe quoi…
Néanmoins, il souleva le couvercle et jeta un coup d’œil à l’intérieur.
21
La VÉrItÉ…
EnFIn !

Accroupi sous la piste, Scott éclairait autour de lui avec la torche. Où se


trouvait la trappe SU3 ? Il avait vu la SU1, la SU2… Chaque muscle de son
corps était tendu, endolori, tandis qu’il avançait en rampant.
Il s’affala quelques secondes, le nez dans l’herbe. Si seulement il avait pu
se reposer un peu ! Mais il n’en avait pas le droit. Chaque seconde comptait.
La vie d’Emily était en jeu.
Il s’approcha d’une nouvelle trappe et l’éclaira. Les lettres peintes en
blanc indiquaient SU3. Enfin ! Les nerfs à vif, Scott fit coulisser le battant sur
le côté. Une surface argileuse apparut. Le fond du tonneau…
Mais comment l’ouvrir ?
Sans hésiter, Scott donna un coup de poing. À sa grande surprise, ça
s’ouvrit aussitôt.

À côté d’Aidan – et à quelques centimètres au-dessus de la tête de Scott –,


Jack observait Aidan qui examinait l’intérieur du tonneau. Il ne voyait plus
les lumières, n’entendait plus la musique ni le murmure de la foule. Il sentit à
peine la main de Bella se glisser dans la sienne et la serrer très fort. Toute
son attention se concentrait sur Aidan…
Qui se redressa, souriant et serein.
– Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, tout va bien !
Il fit basculer le tonneau de droite à gauche afin que chacun puisse voir ce
qu’il contenait.
Rien. Absolument rien.
Jack sentit sa gorge se dessécher.
Aussitôt, Marianne se ressaisit – elle avait quand même failli s’évanouir
quelques instants plus tôt – et effectua quelques gracieux mouvements de
danse. Puis elle s’adressa au public :
– Saluez la plus jeune artiste de notre troupe, Bella Romaldi ! Vous la
verrez bientôt réaliser un numéro de trapèze époustouflant !
De nouveaux applaudissements s’élevèrent et, en parfaite professionnelle,
Bella esquissa une révérence et plusieurs roues arrière. On l’acclama.
Jack poussa un soupir de soulagement. Donc Emily n’avait pas été
découpée en mille morceaux. Elle était toujours vivante… mais où ?
Se rendant compte que tout le monde le regardait, il se sentit soudain très
gêné. D’une démarche hésitante, il se dirigea vers l’autre bout de la piste. Si
seulement l’une de ces mystérieuses trappes avait pu s’ouvrir pour
l’engloutir ! Jamais il n’avait éprouvé un tel embarras. Emily n’avait pas été
transpercée mais elle avait bel et bien disparu. Drift semblait aussi perplexe.
Il tournait en rond, cherchant sa jeune maîtresse partout…
– Eh bien, Bella, peut-être que toi, tu as envie d’être dans le tonneau ?
demanda Aidan en souriant, s’efforçant de rebondir au mieux vu la situation.
Bella répondit en levant le pouce. Aidan la porta pour la placer à
l’intérieur et referma le couvercle.
« Je sais comment ça marche… Aucune raison d’avoir peur ! » songea
Bella. Néanmoins, son esprit était en ébullition. Qu’était-il arrivé à Emily ?
Scott avait réussi à atteindre la trappe à temps pour la libérer ? Ou était-elle
ailleurs, et toujours en danger ?
Mais ce n’était plus le moment de réfléchir… Ouvrant le fond de la jarre,
elle se laissa glisser sur l’herbe en dessous et tapa trois fois pour indiquer à
Aidan qu’il pouvait poursuivre son numéro. Puis elle compta les six épées
qui s’enfonçaient dans le bois. Et compta encore… Jusqu’à ce que, tout à
coup, un bruit s’élève derrière elle.
– Scott ? C’est toi ?
– Bella ! répondit Scott. Emily est avec moi. Elle va bien !
Le cœur empli de soulagement, Bella entendit la dernière épée se glisser
hors de la jarre.
– Je vous retrouve sur la piste ! dit-elle, un peu trop fort, avant de grimper
de nouveau dans le tonneau. Oups, désolée, chuchota-t-elle à Aidan et
Marianne tandis qu’elle s’extirpait de la jarre, souriant aux spectateurs.
Puis elle courut rejoindre Jack et Drift pour leur annoncer la bonne
nouvelle.

Peu de temps auparavant, sous la piste, rampant tant bien que mal, Scott
avait déclenché l’ouverture de la trappe… Et Emily avait atterri sur sa tête en
gémissant. Il avait étouffé un cri… et réagi aussitôt malgré tout, lui ôtant son
bâillon et coupant les liens qui lui maintenaient les poignets et les chevilles
avec son couteau de poche. Ensuite, ensemble, ils s’étaient faufilés à plat
ventre jusqu’à l’issue prévue sur le côté de la piste du cirque : ils voyaient un
rai de lumière qui s’y infiltrait depuis l’extérieur.
Engourdie par la longue immobilité qu’elle avait subie, Emily avait eu du
mal à suivre, et elle s’était traînée en ayant l’impression d’être telle une
sirène échouée sur le rivage ! Le parcours lui avait semblait être
interminable.
Parvenant enfin au bout, Scott aida Emily à se faufiler à travers la trouée
dans le bois. Elle se glissa à moitié puis resta coincée… Impossible de faire
passer ses jambes ! Scott commença à perdre espoir. Il n’y arriverait donc
jamais ? Mais à ce moment-là, Emily fut littéralement tirée vers le haut par
quelqu’un…
Scott suivit et découvrit Emily allongée sur l’herbe, inspirant l’air frais à
pleins poumons pendant que Jack et Bella l’enlaçaient affectueusement, et que
Drift lui léchait la figure.
– Trop géant, tout ça ! s’écria Jack. Tu nous as fichu une de ces frousses,
Emily ! On a cru que tu avais été découpée en tranche comme une pastèque !
– Moi aussi, j’ai eu la trouille, dit Emily d’une voix rauque, tant sa bouche
était sèche.
Elle avait les poignets rougis à l’endroit où les cordelettes avaient cisaillé
sa peau, et elle ne pouvait toujours pas bouger les jambes. Mais ce n’était pas
grave. Elle était en vie, et ça, c’était merveilleux ! Elle avait encore du mal à
y croire. La première épée avait réellement traversé la jarre, manquant sa
poitrine de quelques millimètres car elle avait pu se caler sur le côté. Elle
avait vu la pointe de la deuxième lame qui perçait le bois à un autre endroit,
et elle avait su qu’elle ne pourrait pas l’éviter : son cœur était directement
visé. Le métal commençait à la toucher quand le fond du tonneau s’était
ouvert et elle avait basculé sur la tête de Scott. S’il était arrivé ne serait-ce
qu’une seconde plus tard… Emily frissonna. Inutile d’y penser maintenant.
Elle câlina Drift pour cacher les larmes qui coulaient de ses yeux. Des larmes
de joie. Puis elle le souleva pour le regarder. Il lui lécha le bout de nez avec
tellement d’affection qu’elle faillit ne plus pouvoir respirer.
– Je n’ai toujours pas compris comment Drift a pu sortir du camion, dit
Bella.
Emily ne le savait pas non plus. Mais il avait trouvé le moyen de se sauver
et d’aller chercher de l’aide. Il était vraiment le meilleur chien du monde !
De même, Jack, Scott et Bella étaient les meilleurs amis du monde.
– Il faut vite prévenir la police, dit soudain Emily. Mike Turnbull a volé le
rubis, c’est sûr et certain.
– Donc ce n’était pas mon père, dit Bella. Je le savais.
Puis elle sourit avec tristesse, perturbée malgré tout par cette vérité. Emily
la serra affectueusement, pour essayer de la consoler.
– Pourquoi il a fait ça ? demanda Jack.
– Pour l’argent, évidemment ! D’ailleurs, j’ai…
S’interrompant, Emily fouilla dans sa poche.
– Le mieux, c’est d’écouter ses propres paroles.
Le sourire aux lèvres, elle brandit son portable.
– J’ai réussi à lancer l’enregistrement avant qu’il ne m’attache !
Elle appuya sur « play », augmenta le son au maximum et tous entendirent
Mike Turnbull acquiescer aux questions d’Emily. Il était tombé dans le piège
de la jeune détective en herbe.
– Waouh ! Des aveux complets ! L’inspecteur Hassan n’a plus qu’à partir
en vacances, plaisanta Scott. On a fait le travail à sa place.
À ce moment-là, Luca et Sylvia sortirent du chapiteau.
– Bella ! On t’attend ! appela son père.
– Papa, maman, j’ai une nouvelle incroyable à vous apprendre ! annonça
Bella en les rejoignant.
– Plus tard, ma chérie, répondit sa mère. On a un numéro de trapèze à
accomplir, tu te souviens ?
Bella courut vers eux, bras déployés comme des ailes. À croire qu’elle
s’envolait déjà…
22
La RÉCoMpEnSe

Lorsque le cirque Romaldi donna sa dernière représentation à Castle Key


le samedi suivant, Emily, Scott, Jack et Drift furent invités au premier rang.
À la fin du spectacle, comme d’habitude, la troupe salua le public qui
l’acclamait chaleureusement. Sa jambe encore dans le plâtre, Gina rejoignit
sa famille en s’appuyant sur des béquilles. Un sourire réjoui se dessinait sur
ses lèvres. Scott, Jack et Emily ne tardèrent pas à comprendre pourquoi…
– Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, nous avons une annonce spéciale
à faire ! déclara Enzo Romaldi en descendant de son cheval blanc.
Moonlight ne boitait plus du tout depuis qu’on avait enlevé le clou
volontairement enfoncé dans son sabot.
Le vieil homme prit un coffret posé sur une table. Ses décorations dorées
et ses sculptures d’éléphant s’étincelèrent sous les éclairages.
– Ce soir, nous allons officiellement remettre à son propriétaire…
Il ouvrit le petit coffre et une pierre précieuse rouge scintilla au creux du
satin blanc.
– … ce rubis ! compléta-t-il. Nous l’appelons « l’Œil du Feu » !
Un murmure d’étonnement parcourut l’assemblée.
– Ce magnifique joyau nous a protégés pendant deux cents ans, poursuivit-
il après s’être éclairci la voix.
Son émotion était évidente.
– Nous l’avons gardé, et nous avons veillé sur lui autant qu’il a veillé sur
nous ! Mais aujourd’hui, l’Œil du Feu doit retourner en Inde pour réintégrer
le temple de Ganesh.
À ce moment-là, un homme indien, vêtu d’un élégant costume gris sombre,
s’avança vers lui.
Il serra la main à Enzo et prit la parole :
– Au nom du service indien des affaires culturelles, je remercie la famille
Romaldi. Grâce à vous, l’Œil du Feu a été préservé, et peut aujourd’hui
regagner son pays. En reconnaissance de vos services, je vous prie
d’accepter ce chèque de cinquante mille livres5 !
Des applaudissements s’élevèrent, des flashes crépitèrent… Et Enzo remit
le coffret à son visiteur qui, en échange, lui tendit une grande enveloppe
blanche.
Emily sourit à Jack et Scott. La phase n° 2 de l’opération rubis s’était
déroulée à la perfection ! La police avait arrêté Mike Turnbull sur l’autoroute
en direction de Londres. Il conduisait trop vite, ce qui avait facilité les
choses. Accusé d’excès de vitesse, il avait dû sortir de son véhicule, qui
avait ensuite été fouillé. Interrogé, et confronté à l’enregistrement effectué par
Emily, l’homme n’avait pas pu nier les faits.
Luca, quant à lui, avait avoué être endetté, en effet, mais il s’agissait d’un
simple emprunt à la banque, qu’il avait souscrit pour acheter un chapiteau
plus spacieux. Ainsi, ils pourraient accueillir davantage de spectateurs, donc
gagner plus d’argent. Mais il n’avait pas voulu en parler à sa famille afin de
ne pas les inquiéter au sujet de cette dette. Emily avait été soulagée
d’apprendre la vérité… Elle n’avait pas oublié l’étrange conversation
qu’elle avait surprise !
Mais Luca n’avait strictement rien à se reprocher. Dorénavant, grâce à la
récompense offerte par le gouvernement indien, il pourrait rembourser ce
qu’il avait emprunté et acquérir un nouveau chapiteau sans problème.
– Quand nous reviendrons l’année prochaine, vous ne nous reconnaîtrez
pas ! avait assuré Bella à ses amis. On sera grandioses ! Sans rubis mais
grandioses, oui !
Jack, Scott et Emily reportèrent leur attention sur Enzo qui continuait à
s’adresser au public :
– Enfin, nous avons une autre annonce à faire. Parmi nous se trouvent trois
jeunes amis, des personnes au cœur généreux qui nous ont énormément
aidés…
Il s’interrompit. Bella venait de le rejoindre en courant. Elle lui chuchota
quelque chose à l’oreille et Enzo acquiesça, le sourire aux lèvres.
– Pardon, ma petite fille souhaite une rectification : il s’agit de quatre
jeunes amis. Jack, Scott, Emily et Drift, voulez-vous venir, s’il vous plaît ?
– Euh… Nous ? balbutia Emily, stupéfaite.
Scott ne put s’empêcher de rougir lorsque les spots l’éclairèrent. Conscient
qu’on le regardait, il se passa une main dans ses cheveux, s’efforçant de
paraître décontracté.
Jack, quant à lui, se leva tranquillement.
– Merci ! Nous voilà !
Scott et Emily, avec Drift dans ses bras, lui emboitèrent le pas. Enzo leur
serra chaleureusement la main.
– Vous avez été très courageux et très déterminés. Votre chien a été…
Au même instant, sautant à terre, Drift se précipita à côté de Mimi.
– … fantastique, poursuivit Enzo. Et, grâce à vous, nous avons appris que
notre succès dépend de notre travail, de notre talent, et non du pouvoir soi-
disant magique d’une pierre précieuse ! Par conséquent, pour vous remercier
d’avoir eu…
– … le bon réflexe, au bon moment ! déclarèrent Scott, Jack, Emily et
Bella à l’unisson.
Le patriarche des Romaldi se mit à rire.
– Exactement ! Le bon réflexe, au bon moment… et la bonne action ! Nous
vous remercions infiniment, et nous vous nommons membres bienfaiteurs du
cirque Romaldi.
Il leur remit un document à chacun.
– Vous verrez, c’est écrit ! Et vous êtes invités à assister à nos
représentations gratuitement… toute votre vie !
– Et si vous avez envie d’intégrer la troupe, vous êtes les bienvenus,
renchérit Luca. Nous recherchons deux artistes pour le numéro de trapèze, et
peut-être une autre assistante pour notre magicien des épées.
– Drift pourrait aussi faire un numéro avec Mimi ! proposa madame Zelda.
Emily, Jack et Scott échangèrent un coup d’œil.
– Tenté, avoua Jack. Sauf que Bella m’a appris que parfois, elle doit faire
ses devoirs très tôt le matin, avant les entraînements. Je ne suis pas sûr de
réussir ce défi-là…
Bella esquissa une moue moqueuse.
– Et moi, je n’ai pas trop envie d’être la deuxième assistante d’Aidan ! Je
garde un souvenir assez moyen de mon expérience dans le tonneau, ajouta
Emily en riant.
– C’est gentil, mais je préfère admirer vos prouesses, dit Scott. Merci
beaucoup, monsieur Romaldi.
– Je crois qu’on préfère tous vous admirer, insista Emily. L’année
prochaine, on sera là… Au premier rang !
– Promis ? demanda Bella.
Scott, Jack et Emily levèrent la main d’un air solennel, et leur nouvelle
amie sourit…

5. Environ soixante-dix mille euros.


Table des matières
LE MYSTÈRE DU RUBIS MAUDIT

L'île de Castle Key - carte


Froid dans le dos
Le bon réflexe… au bon moment
On frôle encore la catastrophe…
L’œil du feu
Enfin une nouvelle aventure !
Opération Mimi
Drift mène l'enquête
Enterrée vivante ?
Une mystérieuse apparition
La malédiction du rubis
Ça colle !
Une preuve incontestable
Il ne faut pas jouer avec le feu
Rien ne va plus
L’évidence…
Que d'illusions !
L’araignée
Œil contre œil
Arrêtez le spectacle !
Coup de théâtre
La vérité, enfin !
La récompense
Copyright
Dans la même collection
Page de copyright

ADVENTURE ISLAND
LE MYSTÈRE DU RUBIS MAUDIT

Titre original
The Mystery of the Cursed Ruby
© Helen Moss 2011
Carte, © Leo Hartas 2011
Publié pour la première fois en 2011
par Orion Children’s Books
Une division de Orion Publishing Group Ltd
(Orion House, 5 Upper St Martin’s Lane, London WC2H 9EA)

Illustration de couverture : Yann Tisseron


Direction : Guillaume Arnaud
Direction éditoriale : Sarah Malherbe
Édition : Raphaële Glaux, assistée de Morgane Jollivet et d’Anne
Castaing
Direction artistique : Élisabeth Hébert
Réalisation numérique : andaollenn, Gwenael Dage
© Fleurus, Paris, 2015.
Site : www.fleurus-numerique.com
ISBN : 978-2-2151-2682-9
ISBN numérique : 9782215130505
Dépôt légal : septembre 2015
Tous droits réservés pour tous pays.
« Loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la
jeunesse. »
Dans la même collection

Vous aimerez peut-être aussi