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Dominique Raynaud 1
Résumé. La contribution se propose de réduire le nombre d’épures perspectives qui peuvent être tirées
d’une même oeuvre picturale lorsque les opérateurs suivent des méthodes empiriques. Les erreurs de
reconstruction sont réductibles par des méthodes rationnelles, qui consistent d’une part à suivre un protocole de
travail rigoureux, d’autre part à procéder à un calcul d’erreur permettant le choix d’un mimimum. À titre
d’illustration, cette méthode est appliquée à une fresque padouane du XIVe siècle de Giusto de’ Menabuoi qui
présente deux points de fuite centraux définis avec une erreur faible (ce qui réfute au passage l’hypothèse selon
laquelle les peintres du XIVe siècle n’auraient pas utilisé de points de fuite).
La question des erreurs de reconstruction des tracés perspectifs, à laquelle est consacrée
cette communication, est peu traitée dans la littérature. Elle mérite pourtant attention car on
ne saurait tirer de conclusions valides sur l’usage des méthodes perspectives qu’en tenant
compte des erreurs de l’opérateur.
Voici le plan que je suivrai : je dirai tout d’abord quelques mots des écarts observables
dans la reconstruction des tracés. Je rappelerai ensuite les principes de la théorie des erreurs,
apliquée au cas de la reconstruction des tracés perspectifs. Je proposerai enfin une
méthodologie de travail, illustrée par la reconstruction d’une fresque padouane de Giusto de’
Menabuoi.
Précisions importantes : a) cet exposé est limité à la recherche du point de fuite2 : on
devrait en extrapoler les résultats au tracé du raccourci ; b) bien qu’il m’ait semblé utile de
traiter en détail le cas des reconstructions indirectes, la méthode proposée doit être appliquée
1
Dominique Raynaud, Université Pierre-Mendès-France (Grenoble) et Laboratoire d’architecturologie et de
recherches épistémologiques sur l’architecture (Paris), dominique.raynaud@upmf-grenoble.fr.
2
Les termes de « fuyantes », « point de fuite », « point de distance », « horizon », etc. seront utilisés ici en tant
qu’ils permettent d’indexer commodément les figures. Il ne faut donc leur prêter aucune fonction sémantique.
On sait, par exemple, que le mot « point de fuite » n’a pris de sens qu’à partir de Jacopo Barozzi da Vignola.
LA THÉORIE DES ERREURS ET SON APPLICATION 2
sans distinction aux reconstructions directes (faites in situ) et aux reconstructions indirectes
(qui utilisent des techniques de reproduction) ; c) certains principes connus, ou aisément
accessibles, sur l’origine des erreurs seront laissés sans discussion. Ainsi, chacun doit savoir
que, toute opération, mécanique ou humaine, étant source d’erreurs, l’opérateur doit réduire le
nombre d’intermédiaires entre l’oeuvre et l’épure réalisée.
sans rigueur (ce qui donne plus d’importance au tracé initial) ; il peut avoir corrigé
volontairement l’épure préparatoire (ce qui donne plus de poids au tracé définitif). En
l’absence de documents — et chacun sait que cette partie du travail est fort mal documentée
— il est difficile de départager ces hypothèses.
2° Dans le cas examiné, la convergence parfaite des diagonales au point Z semble
indiquer une réduction exacte. Toutefois, un examen plus attentif permet de démentir ce
diagnostic. On observe, Planche 1.2, que les deux diagonales de gauche ne passent pas par
tous les angles des carreaux. Dans ces conditions, la régularité de la perspective de
L’Holocauste est une projection de l’opérateur3.
Cette communication n’aura pas d’autre but que de réduire les sources de désaccord
entre tous les opérateurs sur une base rationnelle. Cela me donnera l’occasion de revenir sur
le statut de l’erreur en perspective examiné ailleurs (Raynaud 1998a, 1998b) et d’expliciter la
procédure permettant d’en réduire les effets.
3
Les techniques photogrammétriques, réputées pour leur fidélité, n’exemptent pas davantage l’opérateur de
tenir compte des erreurs de construction. On notera par exemple que certaines reconstructions de la Trinité de
Masaccio, qui utilisent des techniques photogrammétriques et informatiques très sophistiquées, concluent à
l’exactitude de la perspective alors que l’oeuvre laisse apparaître à la fois des erreurs accidentelles de tracé et
des erreurs touchant aux principes perspectifs suivis par Masaccio (pour une synthèse récente, cf. Raynaud,
2003b).
LA THÉORIE DES ERREURS ET SON APPLICATION 4
L’erreur aléatoire (ou accidentelle) est celle qui ne tient pas au programme de mesure
mais à son exécution défectueuse. Les erreurs aléatoires, qui sont généralement imputables à
l’opérateur, se reconnaissent à ce qu’elles se produisent indistinctement dans les deux sens :
elles occasionnent une dispersion des résultats autour d’une valeur moyenne. L’erreur
aléatoire peut être contenue en réitérant la mesure. Dans une série de mesures, et en l’absence
d’erreur systématique, la moyenne arithmétique des différents résultats de la mesure est
appelée valeur la plus probable x . Une estimation de la dispersion autour de la valeur
centrale est donnée par l’écart moyen e ou, le plus souvent, par l’écart type σ. Les fréquences
fi satisfaisant la relation ∑ f i =1, on a :
i
x = ∑ f i xi e = ∑ f i xi − x σ = ∑ f i (x i − x )2
i i i
Un des résultats bien connus de la théorie des erreurs est que, si l’on porte sur un
graphique, en abscisses la valeur des résultats, en ordonnées le nombre de résultats compris
dans un intervalle de valeurs, on obtient une distribution normale de Laplace-Gauss. La
valeur la plus probable x est l’abscisse du sommet de la cloche. L’erreur est généralement
assimilée à Δx = ±2σ , car 95 % des valeurs sont comprises dans l’intervalle ( x − 2σ , x + 2σ )
(Planche 2.1).
L’erreur systématique est celle qui provient d’une cause permanente, liée à la méthode
utilisée ou au réglage défectueux des instruments de mesure. Les erreurs systématiques se
reconnaissent à ce qu’elles se produisent toujours dans le même sens. Au contraire de l’erreur
aléatoire, qui peut être éliminée par répétition, l’erreur systématique subsiste dans les mesures
les plus soigneuses. La seule stratégie pour la réduire consiste à retourner ou à inverser tout
ce qui peut l’être dans le montage expérimental.
On appelle exactitude une combinaison de justesse et de précision. La précision se
définit par rapport à l’erreur aléatoire : elle indique une faible dispersion des mesures autour
de la valeur centrale. La justesse est définie par rapport à l’erreur systématique : elle exprime
le degré auquel les résultats ne sont pas biaisés.
2. Protocole de travail
Beaucoup d’erreurs extrinsèques peuvent être évitées si l’opérateur travaille dans des
conditions rigoureuses qui doivent être ajustées aux techniques de reconstruction utilisées.
LA THÉORIE DES ERREURS ET SON APPLICATION 5
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Les reconstructions informatiques, très en vogue aujourd’hui, effacent certaines erreurs extrinsèques, mais en
font surgir de nouvelles (pixelisation de l’image). Par ailleurs, ce nouveau contexte opératoire ne change rien au
problème des erreurs intrinsèques qui restent entièrement dépendantes du jugement de l’opérateur.
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L’ aberration chromatique se produit en lumière blanche (non-monochromatique) : les radiations bleues, qui
sont plus réfrangibles, convergent davantage que les radiations rouges en provoquant un étalement du point
focal sur l’axe optique. On note alors une dispersion de la lumière sur le bord des objets. Cette aberration est
centres sont des points conjugués). Du point de vue pratique, la condition de stigmatisme rigoureux ne présente
guère d’intérêt. Il suffit que le système optique transforme un point-objet en une tache de diamètre inférieur à la
limite de résolution du récepteur. C’est pourquoi on peut utiliser des dioptres sphériques répondant à la
condition de stigmatisme approché. L’approximation de Gauss est l’ensemble des conditions permettant
d’obtenir une image de bonne qualité : un système est approximativement stigmatique s’il reçoit des rayons
incidents paraxiaux, peu éloignés de, et peu inclinés sur l’axe optique. L’écart à l’optique de Gauss s’écrit
comme une somme de nombres complexes où interviennent r0 (distance de l’objet à l’axe optique) et ρ 0 (angle
manifeste lorsque le faisceau incident est très ouvert. Les rayons marginaux convergent davantage que les
rayons centraux en produisant une caustique au niveau du foyer. En avant du point de convergence des rayons
paraxiaux, l’image d’un point-objet est rendue par un cercle centré (projection de la nappe tangentielle et de la
nappe sagittale de la caustique sur le plan image). L’aberration sphérique est réduite par l’utilisation de doublets
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La coma se manifeste quand l’objet est distant de l’axe optique et les rayons incidents très inclinés sur l’axe.
Elle est la somme de deux facteurs qui sont phénoménologiquement associés parce qu’ils opèrent dans le même
plan image. Un point-objet est rendu par une tache en forme de goutte ou de comète (d’où le nom de cette
aberration).
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L’ astigmatisme apparaît lorsque les rayons incidents sont inclinés sur l’axe et l’objet très éloigné de l’axe
optique. La convergence des rayons n’est alors plus ponctuelle : elle se fait sur deux segments perpendiculaires
(focale sagittale et focale tangentielle) séparés par la distance d’astigmatisme. Selon la position du plan image,
un point-objet sera rendu par une tache elliptique plus ou moins prononcée.
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La courbure de champ intervient dans les mêmes conditions que l’astigmatisme. Elle signifie que l’image
géométrique d’un objet plan est une surface courbe qui ne coïncide avec le plan focal qu’au point d’intersection
de l’axe optique. En ce cas, la partie centrale de l’image est nette, la zone marginale est floue.
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La distorsion affecte l’image gaussienne d’une quantité proportionnelle au cube de la distance de l’objet à
l’axe optique. Elle dépend de la taille apparente de l’objet. Cette aberration peut être mise en évidence en
interposant un diaphragme sur l’axe optique. On observe alors une courbure des droites tangentielles de l’objet :
distorsion négative « en barillet » lorsque le diaphragme est placé en avant de la lentille ; distorsion positive « en
coussinet » quand il est placé en arrière de la lentille. Cette aberration est corrigée par les objectifs rectilinéaires,
fort produit le myosis et par conséquent l’utilisation restrictive des cellules rétiniennes fovéales : l’acuité est
alors favorisée. Parallèlement, le myosis opère une réduction de champ qui élimine l’aberration sphérique.
LA THÉORIE DES ERREURS ET SON APPLICATION 7
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La main est en effet une source de chaleur et d’humidité susceptible de modifier la géométrie de la feuille de
dilatation du tracé dans le sens de roulement et des déformations. L’opérateur veillera au moins à tester la
géométrie du photocopieur en introduisant une page sur laquelle sont tracés une diagonale et un grand carré. Il
vérifiera sur la copie que les côtés du carré sont égaux (vs. dilatation) et que la diagonale est rendue par une
Même si l’opérateur suit un protocole de travail idéal, le tracé est affecté par certaines
erreurs. Ce sont les erreurs intrinsèques que l’opérateur ne peut en aucune manière éviter
— quelle que soit la méthode utilisée — mais qu’il peut s’efforcer de minimiser.
(e′ + φ ) (e′ − φ )
(1) η1 = −l (2) η2 = +l
2 2
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Nous raisonnons notamment dans le cas d’un sujet ne souffrant pas d’astigmatisme, source d’erreur
importante puisque les tracés perspectifs exigent constamment la manipulation de droites d’inclinaison variée.
Dans le cas d’un astigmatisme régulier, la cornée ne présente pas des méridiens de rayon de courbure identique
et la perception n’est nette que pour une direction donnée des droites frontales. Cette direction est mesurée au
cadran de Green, sur lequel l’astigmate ne perçoit nettement que le méridien correspondant à la focale la plus
luminance pour atteindre un pallier vers +1,4 millilamberts ; avec le contraste test-fond ; quand la distance de
présentation du test diminue, car la puissance de l’oeil augmente lors de l’accomodation ; pour les radiations
jaunes et rouges ; pour des lignes verticales plutôt qu’horizontales. L’acuité augmente dans la fovéa ; avec le
myosis, qui limite l’aberration de sphéricité ; avec la vision binoculaire ; elle diminue avec l’âge.
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La mire de Foucault donne de meilleurs scores, car il est plus facile de discriminer plusieurs lignes
simultanément.
LA THÉORIE DES ERREURS ET SON APPLICATION 10
Dans mon cas personnel, dix expériences successives ont donné, pour un intervalle
d = 1,5 mm, une distance moyenne de séparation égale à D = 594 cm. Il s’ensuit que :
α ≈ tanα = d/D ≈ 52′′ d’arc. Pour un tracé dans lequel les yeux sont placés à 30 cm de la
feuille de report, cela équivaut à une séparation de lignes distantes de 0,075 mm, ce qui fixe
la valeur l du liseré21.
3. Calcul de l’erreur aléatoire. L’estimation de l’erreur aléatoire étant délicate, on
procédera de préférence en comparant la valeur théorique et la valeur expérimentale de
l’erreur. On peut utiliser le montage suivant. Supposons que l’opérateur prolonge le segment
AB = 40 mm jusqu’en F, tel que AF = 1000 mm, le point F étant tracé en aveugle. Plusieurs
mesures sont à même de conduire à une estimation de l’erreur commise au niveau du point F
sur la droite D (Planche 2.2).
Déterminons tout d’abord la valeur théorique de l’erreur selon la méthode de l’égal
liseré clair. Le liseré l étant calculée à partir du pouvoir séparateur de l’oeil on peut
l’assimiler à un minimum separabile : l’oeil n’est pas en mesure de distinguer un liseré plus
fin. Mais comme, dans le contrôle du parallélisme, l’oeil passe insensiblement d’un point à
l’autre du segment A B, il est raisonnable d’admettre que l’erreur maximale affecte les
extrema A et B (Planche 3.2).
En ce cas, la valeur théorique de l’erreur de reconstruction dépend seulement de la
taille du liseré l et du rapport de la partie visible de la fuyante AB à la fuyante complète AF.
Les erreurs angulaires a et métrique e sont données par les relations :
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Il s’agit d’une estimation par excès : en vision rapprochée, la puissance de l’oeil augmente légérement à cause
L’image rétinienne s’agrandirait d’un cinquième environ à une distance de présentation de 25 cm.
LA THÉORIE DES ERREURS ET SON APPLICATION 11
Δx = ±2l AF
AB
Lorsque l’opérateur construit une perspective, il ne manipule jamais une seule fuyante
mais plusieurs. Apparaissent alors des erreurs combinées dont il faut également tenir compte.
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Cette valeur s’approche d’une autre estimation de l’erreur (Raynaud, 1998a) dont je rappelle le principe. Dans
l’expérience de détermination du point F, on peut, en utilisant un stylo d’épaisseur normalisée e, tracer vers F
toute fuyante recouvrant en totalité le segment AB. L’erreur est alors ε =±e AF/AB. Cette valeur est plus élevée
que la valeur expérimentale (e = ± 5,0 mm > ∆x = ± 1,9 mm), mais comme celle-ci doit être doublée dans une
épure (2∆x = ± 3,8 mm), on peut indifféremment retenir l’une ou l’autre de ces estimations.
LA THÉORIE DES ERREURS ET SON APPLICATION 12
ε ε′
côtés : ca ≈ bd ≈ ad ≈ cb ≈
cos ( α−π
2 ) cos ( α−π
2 )
ε 2+ε′2 −2εε′ cos(π −α ) ε 2+ε′2 −2εε′ cos( α )
diagonales : ab ≈ cd ≈
cos (α − π2 ) cos (α − π2 )
La longueur des diagonales du quadrilatère d’erreur variant en fonction de l’angle des
fuyantes, l’opérateur doit minimiser cette erreur combinée. Il est aisé de voir que si l’on fait
varier l’angle a, le minimum est atteint pour des fuyantes perpendiculaires (Planche 3.4).
Le problème revient en effet à rechercher les minima de ab et de cd. Lorsque " = π / 2,
le dénominateur est égal à l’unité et le terme en cosinus du numérateur s’annule. Les
diagonales s’égalisent :
ab ≈ cd ≈ ε 2 + ε′2
Δ x = ±2l AF
AB
L’erreur varie en fonction directe du rapport AF/AB (en fonction inverse de AB/AF). En
construisant une épure, l’opérateur doit régulièrement savoir si une nouvelle fuyante passe
dans le polygone d’erreur d’un point de fuite connu. Or, s’il commence la construction par
des fuyantes à petit rapport AB/AF, il faussera l’ensemble de l’épure par ce choix initial. Il
s’ensuit que la détermination du point de fuite F sera d’autant plus précise que les premières
fuyantes choisies offriront un grand rapport. D’où le principe consistant à classer toutes les
fuyantes en fonction du rapport AB/AF et à construire l’épure en suivant ce classement
ordinal.
LA THÉORIE DES ERREURS ET SON APPLICATION 13
4.4. Exemple
J’illustrerai maintenant ces principes en les appliquant à l’étude d’une fresque peinte
vers 1370 sur la paroi nord du Palazzo della Ragione de Padoue par Giusto de’ Menabuoi. Le
Saint sur le trône (110 × 126 cm) étant connu par un cliché ayant un coefficient de réduction
K = 7 (Bozzolato 1992, planche LXII), on peut utiliser un stylo d’épaisseur normalisée e =
0,20 mm représentant un trait de 1,4 mm in situ.
Sur l’épure préparatoire, on représente les arêtes visibles des objets et le prolongement
des fuyantes jusqu’aux points de fuite hypothétiques F et F ′ (Planche 4.1). Le classement des
fuyantes se déduit des rapports AB/AF et de l’erreur ε commise au niveau du point de fuite
(Tableau 1).
On déduit alors de ce classement l’ordre optimal de reconstruction de l’épure (Tableau
2). Ainsi, les fuyantes 1 et 10, qui font un angle de 115°, permettent de déterminer le point de
fuite F ′ avec une erreur combinée de 1,01 mm (diagonale du quadrilatère d’erreur cd). De
même, les fuyantes 2 et 6, qui font un angle de 117°, conduisent à la détermination d’un
second point de fuite F avec une erreur combinée de 0,64 mm. Ces valeurs fixent les erreurs
maximales de tracé de la perspective.
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Fuyante AB / AF ε (mm)
1 0,250 0,30
2 0,223 0,34
3 0,200 0,37
4 0,184 0,41
5 0,144 0,52
6 0,139 0,54
7 0,126 0,59
8 0,124 0,60
9 0,111 0,67
10 0,100 0,75
11 0,067 1,12
12 0,065 1,15
Tableau 1. Classement des fuyantes et erreur aléatoire
23
Expliqués en termes contemporains : les deux points de fuite d’une perspective bifocale résultent du fait que
l’objet présente une arête verticale parallèle au tableau, au lieu de présenter une face parallèle au tableau comme
c’est le cas dans une perspective centrale. La face antérieure du trône étant parallèle au tableau, il est facile de
voir que la fresque de Giusto de’ Menabuoi est une perspective centrale.
24
L’hypothèse selon laquelle il aurait existé des perspectives inspirées par les principes de la vision binoculaire
(Parronchi 1964) reprend donc consistance, mais d’une façon radicalement différente de celle envisagée par
l’historien de l’art florentin. Primo, l’assimilation de la perspective bifocale aux principes de la vision
binoculaire est sans fondement quoiqu’elle ait été régulièrement avancée par Parronchi qui parle ainsi des
« deux points de distance tirés du schéma de la vision binoculaire » (1974, 215). Il n’existe aucun rapport entre
vision binoculaire et perspective bifocale : les conditions de la vision binoculaire produisent la diplopie, c’est-à-
dire l’apparition de deux quasi-images non correspondantes et, par suite, de deux points de fuite centraux ; elles
ne sont pas à même d’expliquer que l’objet présente une arête verticale au tableau, seule situation susceptible de
provoquer l’apparition de deux points de fuite latéraux (y compris lorsque la perspective est vue d’un seul oeil).
Secundo, Parronchi accorde un rôle central à la mobilité horizontale des yeux, qui appuierait la mise en place de
la perspective bifocale, parce que les yeux peuvent regarder dans des directions différentes (?) (1974, 216). Il
n’est nullement besoin de recourir à cet argument pour étayer l’application de la vision binoculaire. La diplopie
apparaît, en absence de mouvement, chaque fois que les deux yeux regardent des objets répartis en profondeur.
Si les yeux fixent un objet du premier plan, ceux de l’arrière plan sont dédoublés (diplopie homonyme) ; si au
contraire ils fixent un objet de l’arrière plan, ceux du premier plan sont dédoublés (diplopie croisée). Les
oeuvres examinées, comme le Saint sur le trône de Giusto de’ Menabuoi, se rattachent au cas de la diplopie
homonyme. Les yeux du spectateur fixant la tête du Saint au premier plan, le cadre architectural apparaît
Références
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P. R. Bevington, Data reduction and error analysis for the physical sciences, New York, 1969.
G. Bozzolato, Il Palazzo della ragione a Padova, Roma, 1992.
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J. Molk, Encyclopédie des sciences mathématiques pures et appliquées, tome 1, vol. 4 : Calcul des probabilités,
théorie des erreurs, Sceaux, 1993 [1904-1916].
A. Parronchi, Studi sulla dolce prospettiva, Milano, 1964.
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On notera que La Sainte assise, fresque peinte au-dessus de la deuxième porte du mur nord du Palazzo
della Ragione, présente la même disposition : les deux points de fuite tombent également en deux points
remarquables. Il ne s’agit donc pas d’une construction fortuite.
LA THÉORIE DES ERREURS ET SON APPLICATION 17
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Leon Battista Alberti (Roma-Mantova-Firenze, 25-29 aprile 1972), Roma, 1974, p. 213-232.
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23.
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J. Surrel, Optique instrumentale, optique de Fourier, Paris, 1996.
LA THÉORIE DES ERREURS ET SON APPLICATION 18
Fig. 4.1. Giusto de’ Menabuoi, Saint sur le Trône (Épure préparatoire)
Fig. 4.2. Giusto de’ Menabuoi, Saint sur le Trône (Épure définitive)