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Dans la seule période de 2001 et 2002, le BNDES a prêté 2,4 milliards de R$ à des entreprises de cette
industrie. La recette au premier trimestre a été de 763 millions de R$, en hausse de près de 157 % en
comparaison de la facturation de 296,4 millions de R$ à la même période de l’année antérieure. Le volume
de celluslose produit a atteint 497.000 tonnes, en augmentation de 56% (LOPES, 2001, p.69
2
2
NDT : Il s´agit de terres qui avaient été accaparées par de gros propriétaires ou des entreprises puis ont
été de nouveau occupées par des pêcheurs et des agriculteurs.
3
Selon les données fournies par l’agent de santé, Diogo possède 92 résidences et 512 habitants fixes, hors
fluctuations, qui n’entrent pas dans la comptabilité du système de santé (données collectées en 2012)
4
Santo Antônio est un petit hameau d’habitants en bord de mer qui comptait, au moment de la recherche
(2012) 43 maisons et 203 habitants, selon les données recueillies directement auprès de l’agent de santé
local.
5
Selon des données reueillies en 2007 par Muricy et Perazzo (2009), cette communauté comptait 101
domiciles et 304 habitants
6
Lima (2009) a comptabilisé 95 familles et 237 habitants résidant dans cette communauté. S’agissant d’une
communauté qui a accueilli une bonne part de la main d’oeuvre migrante de la construction civile, seules
92 personnes sont natives et 145 viennent d’autres localités du Littoral Nord, de diverses communes et
états : Porto do Sauipe, Sátiro Dias, Lauro de Freitas, Salvador, Itabuna, chef-lieu de Mata de Sao Joao,
Alagoas et Sergipe.
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Selon Andrade (2008), Vila Sauipe, localisée face au Resort Costa do Sauipe, sur le côté gauche de la
BA99, possédait en 2008 40 maisons et 204 habitants fixes.
8 NDT: ce sont les communautés descendantes de quilombo, mot d’origine bantoue qui désigne le refuge
effectif entre tous les chercheurs engagés dans le projet qui a servi de base à l´accord entre
la Coordenação de Aperfeiçoamento de Pessoal de Nível Superior (CAPES) et le Comité
Français d´Evaluation de la Coopération Universitaire et Scientifique avec le Brésil
(COFECUB) (Brésil/France), intitulé “Interactions bioculturelles et développement rural
durable dans une région de la Forêt Atlantique : savoir et pratiques naturelles, mobilités
et dynamiques territoriales”, nous reprenons la proposition formulée par Bourdieu (1976)
d´une plasticité épistémologique et méthodologique, sans perdre de vue la diversité des
champs scientifiques compris au sein de la ligne de recherche organisée en réseau. Dans
cet objectif, il nous a fallu découper l´espace de la recherche et réaliser un ample relevé
de documents historiques, tels que, les actes d’achat et de vente de terrains, les titres de
partage de succession, transmission de terres, relevés topographiques de propriétés
rurales, titres de terrains paroissiaux, reconnaissance de terres collectives, données et
documents historiques sur des terres dévolues10, inventaires, actes notariaux, pétitions,
registre des impôts territoriaux, contrats de location, et autres données pertinentes auprès
d´administrations gouvernementales de l´Etat de Bahia et chez les notaires municipaux
des villes appartenant à l´APA/Littoral Nord. Pour la recherche empirique dans les
communes d´Itanagra, Entre Rios et Mata de São João, soit des aires indubitablement
affectées par les massifs de reforestation d´eucalyptus11 et par les grands projets
10 NDT : Terres publiques de l´État ou aires appartenant à la Marine. Lorsque se produit une rupture de la
chaîne de succession, les terres privées reviennent à l´Etat.
11
). Au sujet de cet événement historique récent dans la région du Littoral Nord (le processus d´implantation
s’est produit de 1970 à 1975, et on estime aujourd’hui selon des données non confirmées, que l’aire du
massif occupe une surface d’environ 42.000 ha de terre dans les communes d’Itanagra, Mata de São João,
Esplanada, Entre Rios et adjacences) nous avons trouvé dans les documents prospectés l’information
suivante documentée dans un rapport de l’état : “Il n’y a ni aménagement ni zonage du territoire; il n’y a
pas de coordination des interventions publiques relatives aux plantations d’eucalyptus dans la région; pas
de politiques agricoles, de politiques foncières; pas de contrôle de légalité de la vente des terres, pas
d’études/normes spécifiques établissant pour les plantations des “indices” recommandables d’occupation
par commune. Il n’y a pas de représentation cartographique proposant une vision d’ensemble des conflits
anciens et actuels, ni du statut ni du traitement donnés à ces derniers dans les sphères administratives de
divers organes actifs dans la région ou judiciaires.” (GOUVERNEMENT DE L’ETAT DE BAHIA;
INSTITUT DE L’ENVIRONNEMENT, 2015). Cependant, pour souligner à quel point les Gouvenements
Fédéraux et d’Etats méconnaissent la superficie de plantation des massifs d’eucalyptus, un article récent
de Lima, Soares et Sousa (2013) indique qu’ “[...]il y a au Brésil 2,9 millions d’hectares de forêts plantées
principalement d’Eucalyptus grandis, qui occupent 55% de la surface totale, suivis de 17% d’Eucalyptus
saligna, 9% d’Eucalyptus urophylla, 2% d’E.viminalis, 11% d’hybrides d’E.grandis et d’E.urophylla et
6% d’autres espèces (CAMPOS et al., 2011). L´Etat de Minas Gerais est le plus grand producteur de cette
culture, pour 29% du total cultivé, suivi par São Paulo (22%) et Bahia (14%) (ABRAF, 2009). Toutefois,
le succès de la formation de forêts de haute production dépend, en grande partie, de la qualité des plants
produits qui devront survivre et résister à des conditions défavorables sur le terrain après la
transplantation, produisant des arbres à la croissance volumétrique économiquement souhaitable
(GOMES et al., 1991). La production de plants de qualité, leur survie et leur établissement sur le terrain
4
touristiques mis en oeuvre depuis les année 1970, nous avons réalisé un ample travail de
recherche documentaire dans les bureaux notariaux municipaux, et consulté différents
contrats portant sur les questions de vente, d´usage et d´enregistrement des terres, afin de
repérer la rupture de la chaîne de sucession des territoires en question. La carte suivante
montre le périmètre de recherche découpé et géoréférencé :
sont des facteurs primordiaux pour l’obtention du succès de la plantation d’espèces forestières à grande
échelle (SHIAVO et al., 2009)”.
5
Littoral Nord, qui s´étend sur une bande littorale de 10 km de de large sur 142 km, au
long de la côte littorale nord jusqu´à la frontière de l´état de Sergipe, totalisant une
superficie de 142.000 ha.12 Sur cette carte, on remarque tout de suíte une large tache
orangée qui correspond à la faille de l´image vectorielle, là où les satellites ne lisent pas
les images ou bien ne les rendent pas publiquement disponibles par le biais d´outils
gratuits comme Google Earth, par exemple. C´est justement ce même périmètre où, alors
que nous nous rendions sur le terrain pour collecter des données destinées au
géoréférencement, nous nous sommes trouvés face à d´innombrables propriétés privées
plantées d´eucalyptus, clôturées de fil de fer barbelé et munies d´affiches informant :
“propriété privée– Entrée interdite ».
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L’Unité de Conservation de Protection Environnementale Littoral Nord (APA/LN) a été autorisée par le
Conseil d’Etat de l’Environnement (CEPRAM) ( résolution n° 544 du 12/03/1992), comme instrument
d´atténuation des impacts de la construction de la route BA 099, surnommée “route cicatrice” par les
communautés locales pour avoir coupé les territoires de plusieurs communautés reliées par des relations
économiques, sociales et de parenté.
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Comme le montre Haesbaert dans son dialogue avec Lefebvre : “[...] bien que Lefebvre se réfère toujours
à l’espace et non au territoire, il est facile de voir qu’il ne s’agit pas d’un espace au sens générique, et
encore moins d’un espace naturel. Il s’agit bien d’un espace-processus, un espace socialement construit,
un peu comme dans la distinction entre espace et territoire effectuée par des auteurs comme Raffestin
(1993[1980]. D’une certaine manière, nous pouvons affirmer que l’espace sur lequel travaille Lefebvre
est ‘un espace fait territoire’ à travers des processus qu’il appelle d’appropriation (qui commence par
l’appropriation de la nature elle-même) et de domination (plus caractéristique de la société moderne
capitaliste)”. (HAESBAERT, 2013, p.46).
14 Ce concept renvoie à la conception de Litlle (2002, p.254) qui définit le territoire et “[...] la territorialité
comme effort collectif d’un groupe social pour occuper, utiliser, contrôler et s’identifier à une parcelle
spécifique de son environnement biophysique, la convertissant ainsi en son ‘territoire’ ou homeland (cf.
Sack, 1986, p.19). Casimir (1992) montre comment la territorialité est une force latente en un groupe
quelconque, dont la manifestation explicite dépend de contingences historiques. Le fait qu’un territoire
surgisse directiement des conduites de territorialité d’un groupe social implique que tout territoire est un
produit historique de processus sociaux et politiques. Pour analyser le territoire d’un groupe quelconque, il
faut donc un abordage historique qui traite du contexte spécifique au sein duquel il a surgi et des contextes
au sein desquels il a été défendu et/ou réaffirmé”.
8
accord CAPES/COFECUB, en vigueur jusqu´en janvier 2014, accord établi par le projet
cité plus haut.
L'étude de l'imaginaire objectivé au sein de la mémoire collective des
communautés considérées nous a permis de structurer trois champs d'intérêts qui ont
dimensionné le dévoilement de la mémoire collective de ces groupes. Le premier s'est
concentré sur la description des histoires des communautés, établies dans l'imaginaire en
tant qu'élément central auquel se référent la structuration des relations de parenté et les
conditions d'appartenance territoriale. Le second champ d´intérêt, dérivé de ces histoires
originaires, appréhende la compréhension du rôle des familles et des groupes domestiques
par rapport aux positions de prestige et de pouvoir. Et le troisième champ focalise notre
analyse sur le processus de travail de la famille paysanne en tant qu´éthique et
reproduction du territoire/patrimoine et du savoir technique qui comprend le maintien du
monde matériel d'existence et du savoir/faire (pêche, extractivisme, artisanat, agriculture
familiale, parmi d'autres activités qui produisent l'autonomie du travail). D’un point de
vue pratique, afin d'organiser les enquêtes de terrain des différents chercheurs venant de
champs de connaissance distincts, mais reliés par le projet global de l´étude qui a
donné lieu à l'accord et à la recherche en réseau, nous avons établi les objectifs suivants
pour le recueil des données :
1. Chacune des communautés comprise dans le projet (Diogo, Santo Antônio, Areal,
Curralinho, Nova Itapecerica, Vila Sauipe) a constitué et/ou constitue l'objet de
recherche d'étudiants de master et de doctorat liés au projet au titre des échanges
de stages doctoraux et d'orientation de cotutelle.
2. En ce qui concerne la délimitation de l’espace spécifique de la recherche, nous
avons élaboré une carte géoréférencée du territoire objet de l'étude ainsi que les
cartes territoriales des communautés visées par nos recherches.
3. Nous avons contacté des informateurs privilégiés dans les communautés visitées
en vue du recueil de la mémoire locale avec comme thème de base les
modifications territoriales postérieures à 1970 (implantation du massif de pins et
d'eucalyptus, de la construction civile et du tourisme), la construction de la Route
BA 099 (Route Littoral Nord) et l'implantation de l´APA Littoral Nord à partir de
1992, par le Décret d´Etat n.º 1.046/92 du 17 mars1992.
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4. En dernier lieu, nous avons visité les chefs-lieux d`Itanagra, Entre Rios et Mata
de São João afin d'y identifier les études notariales et les paroisses où réaliser
l’inventaire des documents historiques et des registres d´achat et vente de terres,
et autres données pertinentes, destinés à la construction d'une banque de données
multi-thématique sur le Littoral Nord de Bahia.15
5. Parallèlement à ces activités, nous avons enregistré des images (photos et films)
afin d'identifier les points géographiques de limites territoriales, les exploitations
familiales, les aires de cueillette de la piaçava et du cipó (plantes utilisées pour
l'artisanat local), et des aires réinvesties par les populations réinstallées.
Plus largement, cette recherche a cherché à combler un part des lacunes relatives
aux transformations subies par la région du Littoral Nord de Bahia suite à l'implantation
de l'Aire de Protection Environnementale (APA), les efforts se concentrant sur certains
aspects sociaux, économiques et culturels, fondamentaux si on se propose d’envisager la
question centrale de cette étude : dans quelle mesure les investissements et les politiques
publiques ont-ils réellement contribué au développement durable local, en particulier en
ce qui concerne les conditions de vie des populations locales ?
Nous nous sommes donc concentrés sur l´une des dimensions fondamentales
caractérisant le processus de développement d'une territorialité déterminée et qui
constitue l'un des objectifs exprimés aussi bien dans la politique de promotion du tourisme
qu'au sein des directives des Aires de Protection Environnementales mises en oeuvre au
niveau Fédéral et de l´état [Bahia] : à savoir les études sur le Zonage Economique et
Ecologique (ZEE) d'aires délimitées et contrôlées par l'Etat. Il s'agit, grâce à l'étude de ce
cas paradigmatique, d'apporter des éléments théoriques et méthodologiques qui pourront,
espérons-le, fournir les bases d’une évaluation critique ultérieure portant sur l'orientation
15
Este banco de dados está sendo concretizado por meio de um projeto à parte, intitulado “Processos de
territorialização, transformações fundiárias e territorialidade em comunidades tradicionais de Mata
Atlântica: análise sobre as alterações de saberes e práticas sociais e ambientais no litoral norte baiano”, e
consta com o apoio de três bolsistas PIBIC e três mestrandos vinculados do Núcleo de Estudos Ambientais
e Rurais (Nuclear/UFBA) (www.nuclearufba.org), núcleo certificado pelo Conselho Nacional de
Desenvolvimento Científico e Tecnológico (CNPq) desde 1999.
Cette banque de données se concrétise dans un projet à part intitulé “Processus de territorialisation,
transformations foncières et territorialité dans des communautés traditionnelles de la Forêt Atlantique :
analyse des altérations des savoirs et pratiques sociales et environnementales sur le littoral nord de Bahia”.
L´étude reçoit l’appui de trois boursiers PIBIC et trois étudians en master reliés au Groupe d’études
environnementales et rurales (Nuclear/UFBA) (www.nuclearufba.org), laboratoire certifié par le
Conseil National de Développement Scientifique et Technologique (CNPq) depuis 1999.
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16
Les données ont été recueillies dans différentes administrations de l'État – Instituto de Meio Ambiente
e Ressources Hydriques (INEMA), Compagnie de Développement et Action Régionale (CAR),
Secrétariat de Planification et Technologie (SEPLANTEC), Compagnie de Développement Urbain de
l'Etat de Bahia (CONDER), Surintendance d'Etudes Economiques et Sociales de Bahia (SEI),
Coordination de Développement Agraire (CDA) et Institut National de Colonisation et Réforme Agraire
(INCRA) - qui ont produit des rapports et des études destinés au Programme Régional pour le
Développement du Tourisme (PRODETUR) du Littoral Nord et aux Plans d´Aménagement (Planos de
Manejo) de l'Aire de Protection Environnementale
12
luttes foncières dont témoignent la littérature sur ce thème et les données notariales que
nous avons recueillies - la construction de la BA 099, localement surnommée “route
cicatrice”, a représenté un tournant majeur pour la région non seulement de par la
dimension des travaux et des innombrables impacts engendrés, y compris la scission des
territoires traditionnels (d'où le surnom attribué par les habitants), mais aussi de par la
transformation administrative qui a été proposée afin d'atténuer les effets sociaux et
économiques de la construction de la route.
Selon Gonçalves et Machado (1997, p. 36), l'un des premiers auteurs ayant étudié
les impacts sur les structures foncières du Littoral Nord de Bahia :
17
Analysée par Brito dans ce recueil.
13
Dans le cas sur lequel nous nous sommes penchés, la RPPN dénommée “Dunes
de Santo Antônio”, de 370,72 ha, appartenant à Paulo Roberto Álvares de Souza a été
légalement délimitée et géoréférencée exactement sur les territoires des communautés de
Areal, de Diogo et de Santo Antônio.18 Avant la construction de la BA 099, ces trois
communautés formaient un territoire continu de familles unies par des liens de parenté et
qui d’ailleurs partagent jusqu'à ce jour un cimetière dans la communauté de Areal,
localisée comme l'indique la carte 1 (ci-dessus) sur le côté gauche de la route. En d'autres
termes, les trois communautés sont aujourd'hui prisonnières dans une Aire de Réserve
Privée, sans que la majorité de leurs habitants en aient conscience. Ceci bien qu´une
grande partie de habitants possèdent des titres de propriété (posse) de leurs résidences,
jardins et champs, enregistrés chez les notaires des communes d´Itanagra et de Mata de
São João, dont certains datent d'ailleurs des décennies 1940 et 1950.
Comme l´affirme Holston (2009, p. 1):
[...] le système juridique brésilien n’a pas pour but de résoudre les conflits liés
à la terre de façon juste, ni de trancher sur leur bien-fondé légal par des
procédés judiciaires. Je souligne la norme et l'intention par lesquelles la loi de
la terre est au Brésil si confuse, indécise et dysfonctionnelle dans ses termes
mêmes. On peut supposer que ces caractéristiques ne sont pas seulement dues
à l'incompétence et à la corruption mais aussi à la force d'un ensemble
d´intentions sous-jacentes à sa construction et son application, des intentions
qui divergent de la poursuite de la résolution des conflits. J´argumente donc
que la loi brésilienne produit régulièrement, dans les conflits liés à la terre, des
procédés et une confusion insolubles ; cette irrésolution juridico-
bureaucratique donne parfois lieu à des solutions extrajudiciaires, et ces
décisions politiques finissent inévitablement par légaliser une certaine
usurpation. En somme, la loi de la terre au Brésil génère du conflit et non des
solutions parce qu'elle établit les termes au gré desquels l´accaparement des
terres est légalisée de manière consistante. C´est en ce sens un instrument de
désordre calculé, au moyen duquel des pratiques illégales produisent la loi, et
des solutions extralégales sont introduites clandestinement dans le processus
judiciaire. Dans ce contexte plein de paradoxes, la loi est un instrument de
manipulation, complication, stratagème et violence, par lequel toutes les
parties impliquées - dominatrices ou subalternes, le public et le privé - font
valoir leurs intérêts. La loi définit donc une arène de conflits où les distinctions
entre légal et illégal sont temporaires et leur relation instable.
18
La carte est disponible sur le site suivant de l´ICMBIO et l´accès on-line permet de visualiser la
superposition : <http://sistemas.icmbio.gov.br/simrppn/requerimento/impressao/117/mapa/>.
14
fil ténu de réseaux de parenté qui sert de soutien face aux nouveaux processus
d'usurpation des territoires et des biens naturels d'usage commun.
Les entretiens directifs et le recueil de la mémoire orale par le biais de
témoignages d’ínformateurs privilégiés des communautés des alentours de la route BA
099 nous ont permis de percevoir que bien que la rationalité capitaliste commande les
relations sociales, elle n'est pas hégémonique. Nous avons observé que les pratiques
d'achats de terres en prévision d'une légalisation ultérieure, c'est-à-dire l'ancienne forme
d'accaparement de terres est encore une réalité dans la région, même s'il s'agit d'une aire
de protection environnementale. Cet accaparement des terres ne vise cependant pas à
expulser complètement toutes les communautés, leur maintien étant d'une importance
fondamentale pour les industries du tourisme et de la construction civile qui trouvent
encore des espaces d'expansion sur le Littoral Nord. Ceci étant, la tradition s'exprime
dialectiquement, non seulement dans la mémoire des plus vieux mais aussi au sein des
contre-discours et des savoirs/faires perpétués dans le travail de tressage, réalisé par des
mains qui résistent aux nouveaux dessins enseignés par les techniciens du Sebrae19, et
dans la pêche artisanale pratiquée par les jeunes de la communauté d´Areal, qui non
seulement traversent la route en portant leurs jangadas [NDT : embarcations
traditionnelles mais persistent à pratiquer la pêche côtière traditionnelle.20 Il est évident
que de telles résistances subissent des atteintes quotidiennes et que ces actions font l'effet
de simulacres d'une tradition aux yeux des touristes insouciants qui s'aventurent hors des
resorts pour faire leur promenade matinale.
19
Service Brésilien d'Appui aux Micro et Petites Entreprises [Serviço Brasileiro de Apoio às Micro e Pequenas
Empresas] (https://www.sebrae.com.br/sites/PortalSebrae).
20
Sur ce thème, voir Maldonado (1994).
15
Figura 5: Touristes ´réalisant une promenade écologique dans la communauté de Santo Antônio
16
21
C'est le Ministère Public qui a imposé que la région Littoral Nord jusqu'à la limite avec l'état de Sergipe
soit considérée comme aire de préservation environnementale, altérant le tracé de la BA 099 et mettant
de plus en oeuvre cette politique de préservation environnementale. (Voir des documents de l'Étude
d'Impact Environnemental [Estudo de Impacto Ambiental](Eia)/Rapport d'Impact Environnemental
[Relatório de Impacto Ambiental] (Rima) exigence à la libération des travaux, de 1990)
22
Espèce endémique du Littoral Nord brésilien (AMARAL, 2015)
17
aux jardins productifs des groupes domestiques, avec leurs fabriques de farine de manioc
et les restes d´usines à canne à sucre, se retrouvent fragmentés en propriétés de différentes
tailles, régies par les lois du marché immobilier, incorporant des éléments absents de la
réalité antérieure qui composent dorénavant les paysages locaux. La limitation de l'accès
aux ressources naturelles détermine également des modifications radicales affectant la
relation avec la nature et les stratégies de maintien des groupes familiaux
traditionnellement adoptées par les différentes catégories sociales. Les formes de
production antérieures ne sont cependant pas complètement abandonnées. On les voit
remodelées de manière à garantir que le nouveau modèle semi-urbanisé des enclaves
touristiques “all inclusive” (produit offert par les resorts) puisse présenter aux touristes
un milieu qui comprend non seulement “une nature intacte” mais aussi une région
entourée de “communautés traditionnelles” de pêcheurs et d'agriculteurs. De sorte que,
dialectiquement, s’instaure une dépendance des processus de modernisation à l’égard de
la tradition, même si celle-ci est réinventée et entretenue de façon standardisée, dans les
aires hôtelières et à l´extérieur.
Dans ces conditions, les populations dont la dynamique socioculturelle était
marquée par le clientélisme et le patrimonialisme des rapports avec les anciennes élites
locales par le biais du système de “morada” (logement),23 mais qui jouissaient d'une
certaine autonomie quant à l'utilisation du territoire et des ressources naturelles, se sont
vues insérées dans des contextes socioculturels plus larges où ils doivent apprendre à
manier de nouvelles logiques et rationalités. Dans un premier temps, ce processus les a
obligé à incorporer les normes qui régissent le marché immobilier car, jusqu'alors, la terre
n'était perçue que dans l'optique d'une logique paysanne de la “posse” de la terre, régie
par les relations familiales et d´échange, non pas comme une marchandise. Plus tard, la
population s'est vue contrainte à vivre en fonction des règles et des normes spécifiques
des législations environnementales, notamment celles qui orientent la gestion des Unités
de Conservation et plus particulièrement celles qui régissent les APA. Certaines de ces
normes contrarient ou empêchent le maintien de coutumes traditionnelles, comme celles
23
“Il s´agissait d´obligations dont la garantie reposait sur une convention et dont la légitimité se basait dans
la croyance en une tradition, pour reprendre les propositions de Weber. Mais du point de vue du
travailleur, seules ses propres obligations étaient perçues comme telles. Quant à celles du patron, il se les
représentait comme des dons, des signes de bonté, et il se sentait endetté. Le patron, pour sa part, se
concevait comme donateur : le logement, la terre à, les cadeaux au long de l'année n´étaient que la preuve
de sa générosité. Être généreux était une valeur et le prestige des patrons se mesurait aux signes extérieurs
de sa magnanimité .”. (SIGAUD, 2004)
18
24
Le Projet Tamar naît en 1980, il a comme objectif de préserver et de créer un programme de biomonitoring
des espèces en extinction. Il réunit actuellement sur plus de neuf centres de recherches entre le Littoral
Sud, Sud-Est et Nord-Est brésilien et est lié administrativement à l'Institut Chico Mendes de Conservation
Environnementale (ICM-BIO).
25
JE TE METS LE TABLEAU EN CAPTURE D’ECRAN TU PEUX LE DEPLACER EN
CLIQUANT DESSUS
TABLEAU 1
19
Densité démographique des populations (rurale et totale) dans les communes (municipios) du Littoral
Nord de Bahia (1940-1970 (en habitants par km2
l'évaluation ont adressé 144 questionnaires aux habitants locaux (26% de Areal, 22% de
Curralinho, 21% de Diogo, 11% de Açu da Torre, 8% de Santo Antônio, 7% de Praia do
Forte, 3% de Barro Branco et 1% de Imbasssaí), et 120 aux touristes présents dans la
région pendant l´enquête. Précisons que la méthodologie de recueil des données laisse
nettement à désirer, même pour un diagnostic rapide, car l'échantillon des personnes
identifiées comme touristes n'a pas tenu compte des spécificités d'origine, du type
d'installation dans la région ni du revenu, du sexe et de l’âge. C'est-à-dire que le “touriste”
a été appréhendé comme un élément homogène, de même que les habitants locaux,
identifiés exclusivement à partir de leur lieu de résidence. En dépit de ces problèmes
méthodologiques, nous exposons les données de cette étude, qui ont été examinés et
exploités en tant que métadonnées.
En premier lieu, ce que ce diagnostic donne à voir c'est que la crise économique
du secteur hôtelier est une source d'inquiétude pour l'Etat mais qu’il ne se soucie pas, en
revanche, de la situation des communautés et des habitants. Et c'est justement cette
inversion de l'intérêt face aux questions sociales locales qui fait de ce document et des
données qu´il présente un élément important de réflexion sur les conséquences des
politiques publiques de développement mises en oeuvre dans la région depuis 1970.
Le rapport en question vise à construire une passerelle entre les communautés
traditionnelles locales et la chaîne productive du tourisme, mais la réalité mise à jour et
rapportée, beaucoup plus complexe, finit par se dévoiler dans le rapport qui expose les
indicateurs suivants concernant les principaux aspects négatifs résultant du tourisme dans
la région du Littoral Nord de Bahia, comme en témoigne le graphique 1, ci-dessous : .
Source: Diagnostic de la Chaîne Productive du Tourisme sur la Côte des Cocotiers, Mata de São João –
BA, 2009
Graphique 2 – Occupation des habitants des villages de Diogo et Santo Antônio, commune
de Mata de São João
22
Source: Diagnostic de la Chaîne Productive du Tourisme sur la Côte des Cocotiers, Mata de São João –
BA, 2009
Ces chiffres sont sans aucun doute alarmants mais ils ne surprennent pas.
L'exclusion de la population locale du marché du travail créé par l'industrie hôtelière est
énorme : seuls 19% sont insérés dans cette chaîne productive. Comme le constate le
rapport, “on perçoit une fragilité de l'insertion de la communauté dans la chaîne
touristique, puisque les habitants perçoivent la fragilité du tourisme [all incluse], et
signalent que plus de la moitié d'entre eux ne participent pas à cette chaîne”. (LIMA,
2009, p. 36)
Ces données convergent avec nos observations de terrain. Jusqu'à la fin de notre
recueil de données, en décembre 2014, nous avons rencontré une proportion considérable
de la population locale (des deux sexes) sans-emploi en raison de multiples facteurs :
mécanisation de la cueillette de l'eucalyptus, caractère saisonnier du travail de la
construction civile, et oscillations du tourisme local.26 Parmi les effets les plus immédiats
de ce processus d'exclusion économique en termes d'accentuation des problèmes locaux
du Littoral Nord, on peut citer : la redéfinition de l'utilisation et de l'accès à la terre,
l'intensification de la concentration foncière, la reconfiguration du paysage, les
changements affectant les relations de travail et de vie de portions significatives de la
population rurale, et l'importance de l'artisanat en paille de piaçava comme économie de
subsistance pérenne des ménages. Ainsi, les données recueillies et la littérature traitant de
26
Il existe des aires”d´invasion” sur toute la côte du Littoral Nord, composées de groupes de migrants attirés
par le projets économiques successifs. Parmi les aires considérées comme invasion, les plus connues sont
: Barro Branco, Nova Itapecirica II, Curralinho de Cima, entre autres. À ce sujet, consulter Gomes (2014).
23
27
Réalisée le 2 février 2012.
28
Selon Couto (2003. p. 41), “La Côte de Sauipe occupe un périmètre de 1 million 720.000 m 2, dont
141.000 m2 construits, sur le Littoral Nord de Bahia, à 76 km de l'Aéroport International de Salvador, un
trajet parcouru en environ une heure. Les travaux de construction du Complexe de Sauipe ont commencé
le 19 décembre 1996, avec près de 2000 travailleurs. La majorité de ceux-ci venaient d'autres localités, le
recours à la main d'oeuvre locale s'est limitée aux activités de moindre qualification, telles que :
débroussaillage, aide-maçon, etc. Pendant les presque quatre ans de leur durée, les travaux ont employé
près de cinq mille travailleurs qui ont été installés dans des baraquements de chantier, dans la cité ouvrière
et dans des auberges et maisons des alentours en location. D'après des données fournies par la Sauípe
S.A., ces travaux ont créé près de deux mille emplois réguliers et trois-cents saisonniers. Cependant,
l'enquête a permis de constater que la main d'oeuvre locale a été très peu sollicitée, et seulement dans les
fonctions les plus basses du fait du manque de qualification associé à la faiblesse du taux de scolarisation”.
29
Dénommé plan social d'atténuation des impacts. Pour plus d'informations,voir Andrade (2008).
24
propriétés qui étaient impliquées dans une chaîne de succession complexe et qui
perpétuaient les relations de propriété entre grands latifundios et paysans rattachés
(agregados) ont été morcelées pour qu'y soit implantée l'infrastructure touristique ; les
entreprises du secteur immobilier ont réalisé les premiers lotissements sur la base de titres
fonciers qui avaient été légalisés au prix de procédés complexes d´accaparement et
d'expulsion de leurs anciens occupants, comme le montrent les documents recueillis dans
les archives de biens immobiliers des communes d`Itanagra et de Mata de São João,30 et
les entretiens réalisés.
30
Ce matériel intègre le fond de recherche du laboratoire de recherche Núcleo de Estudos Ambientais e
Rurais (www.nuclearufba.org),auquel cette étude est associée.
31
On remarque qu'au sein de l'ensemble des documents et de la littérature consultés, portant sur
l'implantation des massifs d'eucalyptus et de pins sur le Littoral Nord de Bahia, aucune des sources ne
présentent les mêmes données concernant la quantité de terres destinées aux entreprises de sylviculture.
Ceci est d'ailleurs intimement lié à un fait déjà évoqué plus haut- page 3 -, lorsque nous avons présenté la
carte géoréférencée de la région sur laquelle portait notre étude. Bien que nous ayions géoréférencé tout
le périmètre du massif d'eucalyptus des communes d´Itanagra, Entre Rios et Mata de São João, nous
n´avons pas eu accès aux photos de satellite qui couvrent la région. Et comme le titre légal de cette aire
au nom des actuels propriétaires remonte à la décennie de 1970, aucune de ces entreprises ne présentent
le système actuel de contrôle territorial dénommé CAR, créé par la Loi n.º 12.651/12, en 2012, ni n'en
a l'obligation. .
25
leurs confections artisanales, à élever des animaux en liberté, et à avoir une petite
production locale, extraite des moulins manuels à farine de manioc et à sucre, ont vu leur
espace territorial restreint. La reproduction sociale et économique des groupes et de leurs
unités domestiques, fondées sur une étroite relation avec les écosystèmes, les
microbiomes locaux et les systèmes d'échanges communaux et de vente des excédents sur
les marchés des localités voisines s’est alors vue sérieusement compromise.
La mise en oeuvre des travaux de la BA 099, chantier le plus important de la
région, reliant la capitale de Bahia, Salvador, aux limites de l'Etat de Sergipe, a infligé
une scission territoriale, justifiant ainsi le surnom qui lui a été attribué par les habitants :
la route a créé une cicatrice dans les territoires communaux et dans le biome et les
microbiomes locaux, provoquant des effets paradoxalement négatifs et positifs. En
sillonnant la côte vers le Nord, elle a divisé la région en deux parties : les terres situées
sur la marge droite de la route, tournées vers la côte et sa beauté cinématographique,
connaissent un intense processus de valorisation monétaire qui en fait des marchandises
rares, ce qui provoque l'expulsion d'une grande partie des populations qui n'avaient que
l´utilisation (posse) de la terre. Sur le côté gauche de la route, les terres tournées vers le
continent et vers l´agreste [NDT : zone de végétation transitoire entre la forêt atlantique
et le “sertao”] deviennent des espaces de réception des habitants déplacés et de la main
d'oeuvre migrante, subissant constamment une utilisation désordonnée du sol, ce qui a
fini par intensifier les conflits fonciers et environnementaux à différentes échelles.32 La
route a cependant engendré quelques bénéfices, puisqu'elle a permis une communication
directe entre toute cette région et la capitale, facilitant ainsi l'accès aux biens et aux
services.
Du point de vue des communautés traditionnelles, toutefois, il y a plus de
préjudices que de bénéfices. Les niches touristiques implantées dans la région, sur le
modèle présent dans d'autres pays, où les établissements et les touristes n'ont aucun
contact avec la population locale impliquent non seulemnt l'implantation de poches
urbaines au milieu de zones rurales et à l'intérieur de microbiomes extrêmement sensibles
aux impacts qui en résultent, comme par exemple l'élimination des déchets et des égouts
32
Não apenas entre o grande proprietários e o pequeno lavrador/pescador, mas entre os nativos e a mão de
obra migrante, que ao fim do boom de construções civis da região, invadiram as áreas soltas das
comunidades tradicionais.
26
sanitaires ; elles ont aussi créé des aires d'exception, avec des plages privées, des réserves
extractivistes, parmi d'autres régimes d'exclusion d’accès aux biens communs.
En somme, comme l'ont révélé notre recherche et la vaste bibliographie traitant
de ce thème, la question foncière témoigne au Brésil d'une réalité particulière ;
l'utilisation et la propriété de la terre sont deux réalités distinctes pour la majorité des
paysans brésiliens qui n'ont comme statut que la posse de la terre où ils travaillent et non
pas sa propriété. Dans le cas des communautés du Littoral Nord de Bahia, nos recherches
documentaires auprès des notaires des communes de Mata de São João et d´Itanagra ont
montré que les paysans des communautés traditionnelles ne possèdent pas de titre de
propriété. Nous avons pu constater que les transformations de la structure foncière sont
une des conséquences les plus immédiates et de plus fort effet, en termes de
reconfiguration spatiale et de paysage, provenant du processus de touristisation et de
l'adoption de la législation environnementale, imposés l´un comme l´autre par la création
de l´APA/LN (1992), aux populations des communautés traditionnelles étudiées.
L'arrivée du tourisme a inévitablement entraîné une valorisation des terrains et
constructions, associée à une augmentation de la demande de terres et des investissements
réalisés dans le domaine de l´infrastructure. Et l'implantation de l´APA/LN a accentué
encore davantage le processus d'exclusion des communautés du territoire d'usage
commun, car les différentes réglementations qui régissent l´usage d´une aire de
conservation permanente interdisent aux populations d'utiliser les aires dont elles aavaient
la disposition (posse). Autrement dit, au lieu de consolider un développement durable,
les politiques publiques environnementales ont engendré une forte concentration foncière
et par conséquent un processus complexe d'exclusion sociale et économique de la
population paysanne locale.
Referências
BRASIL. Portaria nº 65, de 4 de maio de 2001, Diário Oficial [da] União, Poder
Execultivo, Brasília, DF, –4 maio2001. Seção 1, p. 392. Disponível em: <
http://sistemas.icmbio.gov.br/site_media/portarias/2010/10/14/BA_RPPN_Dunas_de_S
anto_Ant%C3%B4nio.pdf> Acesso em: 2015.