Lis ma vie

par Martin

éditions kATCHER
 À C.C., ma catharsis primale.

À tous ceux qui ont croisé ma vie.

À la mémoire de mon grand-père Jean.

À Olivier, Laurent, Randolph, Géry,

Osvaldo et Wen ;

À Vanessa, Geoffrey et Aurore ;

à ma Maman et mon Papa.
Je remercie particulièrement un mentor, le
professeur A. Lefebvre, du cours de « Théo-
rie de la Personnalité » à l’Université Libre
de Bruxelles sans le concours duquel ce livre
n’aurait pu être abouti.

Je remercie aussi Martine, ma psychiatre ;

Harry ‘Potter’, mon ex-psychologue, mais
encore Liliane, Éric, Dulcie, Jean-Pol, Mag-
ali, Yvette, Françoise, Daniel, Dominique,
Nadine, Tom, Patrick toujours disponible,
l’autre Patrick un peu moins, Catherine et
bien sûr Katia ;

Mais encore Anne, Isabella, Christian, Guy,

François, Laure et Fabienne sans oublier
Charles, Stéphanie et Aurélie.

Je remercie aussi Brigitte, ma prime correc-

trice

Enfin, je remercie toute l’équipe du Funam-

bule asbl…
« Donne-moi la force de me battre contre ce « L’écriture est un refuge contre le quotidien
qui peut être changé, la sagesse d’accepter »
ce qui ne peut pas l’être et l’intelligence de
savoir faire la différence entre les deux. » –P. Hernadez

–Proverbe chinois.
« Quand tu ne sais pas où tu vas, regarde
d’où tu viens. »
« Avant donc d’écrire, apprenez à penser »
–Koh Lanta à Vanuatu
–N. Boileau

« C’est au degré d’émotion dégagé par une

« La création ne vient jamais d’un bonheur.
Elle résulte d’un manque. Contrepoids d’une
angoisse, elle s’inscrit dans le vide à com-
bler d’un désir dont on attend jouissance
et de l’échec de son aboutissement. Autant
dire qu’elle ne peut naître que d’un ratage,
le manque à jouir. »
œuvre que se jauge son intensité : fût-elle
mal peinte, mal écrite ou mal composée, sa
vibration impose le dialogue à celui qui s’en
pénètre »
–P. Rey
12.02.06

–P. Rey
Ma chère maniaco-dépression,

Voilà bien longtemps que tu me pourris la

vie au point que je rêve d’être amputé de toi
à tout jamais. Oui, tu lis bien : une ablation
pure et simple comme on retire un cancer
car depuis tout ce temps tu fais partie inté-
grante de ma personnalité au point que j’ai
du mal à faire la part des choses. Clara me
disait prolixe et soliloqueur, ma psychiatre
préfère dire logorrhéique au point de ne plus
faire de distinction entre une manière d’être
et un signe pathologique de la manie.

Je voudrais que l’on t’arrache de moi bien

qu’au fond je t’aime. J’ai appris à t’accepter
et ne plus t’avoir, c’est peut-être mener une
morne vie quand je ne suis pas en phase ma-
niaque, mais j’ai tellement peur de tomber
du côté noir et de sombrer dans la mélanco-
lie que je suis prêt à prendre des régulateurs
thymiques pour fonctionner en cruise con-
trol sur un mode pépère.

Je suis prêt à abandonner ce qui parfois me

rend génial, charismatique et en anormale

15
superforme à se demander où sont les limit-
es du corps à ne plus dormir que deux à trois
heures par nuit durant des semaines. Je ne
peux plus succomber au pouvoir de la manie
parce que ce n’est pas une douce maîtresse.
Elle me rend fou, déraisonnable même si
j’y suis plein de créativité, d’imagination et
limite délire extatique. Je ne veux plus me
laisser séduire par tes charmes ravageurs.
J’ai trente-deux ans ; je t’aurai consacré plus
de dix ans de ma vie et un bel amour qui a
sombré plus bas que ma pire dépression.
Mais tu es comme le cancer malin : tu res-
teras tapie dans un coin de mon âme et les
médicaments ne peuvent rien y faire. Pa-
tiemment tu attendras pour ressurgir comme
un petit diablotin. Mais si tumeur je meurs tu
meurs et donc, tu perds. Donc, je te domine
car sans moi, tu n’existerais pas, tu devrais
te chercher d’autres victimes. Dès lors, sois
gentille à l’avenir. Merci à toi, tu m’as rendu
Homme.

Non, je ne cherche plus ce qu’il y a à voir

dans tes abysses ni trop haut nulle part ail-
leurs au-dessus de mes limites. Mon psy m’a
dit que les années se faisant, tu viendrais de
moins en moins me courtiser. Ce n’est pas
plus mal. Maintenant si tu m’aimes, prends
garde à toi car il y a des médicaments qui
font que tu ne m’emporteras plus dans tes
délires. Alors maintenant, s’il te plait, lais-
se-moi tranquille. Fiche-moi la paix. Arrête
de me harceler sans crier gare car je sau-
rai te reconnaître. Je connais des gens qui
m’aideront à lutter contre toi. Tu comprends
? Je ne suis plus une esseulée victime de tes
fantasmes, je ne suis plus ton jouet.

16 17
-Bonjour Martin.

-Qui êtes-vous ?

-Celui que l’on nomme le Docteur. Je con-

nais ta maladie. J’étais impatient de te voir.
Tu as de nombreuses questions et bien que
ta crise maniaque ait altéré ta conscience,
tu demeures irréméDIABLEment humain.
Certaines de mes réponses te sont par con-
séquentes accessibles, mais pas toutes. Par
corollaire, bien que ta première question
puisse paraître la plus pertinente, il se pour-
rait bien que tu ignores qu’elle est aussi la
plus hors de propos.

-De quoi suis-je malade ?

-De trouble bipolaire de l’humeur ; de ma-

niaco-dépression si tu préfères.

-C’est quoi au juste ?

-Tu oscilles entre un état maniaque, donc,

d’extrême excitation avec difficulté au som-
meil à un état apathique, d’humeur triste et
dépressive.

19

-Quelle en est l’origine ?
-Tu veux sans doute parler de l’étiologie de
ta maladie ? L’origine est bio-psycho-soci-
ale. D’innombrables études démontrent des
rôles conjugués de l’hérédité, de la biologie,
de la personnalité, de la structure psychique
et de l’environnement psychosocial. Ainsi
l’on a trouvé plusieurs anomalies sur des
locus de différents chromosomes. D’autre
part, l’on a dépisté un dysfonctionnement bi-
ologique et organique particulièrement dans
les neuromédiateurs tel que la noradrénaline
et la sérotonine dont le déficit ou l’excès
provoquent des troubles thymiques.
-Si je comprends bien, c’est un peu comme
l’huile d’un moteur ? S’il en manque, le mo-
teur crispe et s’il y en a en excès, le joint de
culasse pète ?
-C’est réducteur mais l’analogie est intéres-
sante.
-Ok, je crois avoir saisi pour l’aspect bi-
ologique. Et pour le reste ?
-Parles-tu de l’aspect concernant l’hérédité
20
et le domaine psychosocial ?
-Oui.
-Sois plus précis.
-Concernant l’hérédité…
-Dans une population générale, la prévalence
est de 1% ; dans les familles bipolaires, cette
prévalence serait de 20 à 25%. C’est à dire
que si un des parents est atteint de trouble
bipolaire de l’humeur, il aurait une mal-
chance sur quatre de transmettre ce trouble à
sa progéniture.
-Est-ce que l’on guérit de cette maladie ?
-L’espoir, c’est la quintessence des illusions
humaines, simultanément la source de votre
plus grande force et de votre plus grande
faiblesse.
-Vous n’avez pas répondu à ma question.
-Effectivement. Intéressant, tu as été plus
rapide que les autres. La réponse est non.
-Conneries !
21

-Le déni est la plus prévisible des réponses
humaines. Mais sois sûr d’une chose, nous
avons une multitude d’études longitudina-
les nous permettant d’affirmer sans conteste
que l’on ne guérit pas de cette maladie mais
on peut la stabiliser et en atténuer les symp-
tômes si le sujet fait preuve de compliance
au traitement et respecte l’alliance thérapeu-
tique dans laquelle celui-ci s’inscrit dès lors
qu’il a été diagnostiqué trouble bipolaire de
l’humeur.
-C’est quoi le traitement ?
-Les neuroleptiques et les sels de lithium
restent le traitement de choix de la crise
maniaque. Les dépressions mélancoliques
répondent favorablement aux antidépres-
seurs en trois à quatre semaines. Conjoint-
ement au traitements médicamenteux, à
l’heure actuelle, les thérapies comportemen-
tales ou cognitives montrent une certaine su-
périorité par rapport aux autres psychothéra-
pies dans cette indication. Le second temps
thérapeutique d’une personne souffrant de
trouble bipolaire repose sur le traitement
préventif des rechutes. En cela, outre les
médicaments, la connaissance de sa maladie
22
ainsi qu’une psycho-éducation des proches
sont primordiales pour guetter les premiers
signes (prodromes) d’une phase maniaque
ou d’une phase dépressive et prendre des
mesures en conséquence.
Cet entretien est basé sur la trame –vous
l’aurez sans doute reconnue, de celui entre
l’Architecte et Neo dans Matrix Reloaded.
Quant aux réponses, elles sont reprises de
renseignements lus dans trois sources dis-
tinctes dont les références sont reprises en
bibliographie (Petit Larousse de la Psy-
chologie, Le miroir de Janus et Vivre avec
des hauts et des bas.) Cela ne vous aura pas
échappé, des mots « psychiatriques » sont
en italique. Leur définition est reprise dans
un glossaire à la fin de ce livre. Cela vous
évitera la corvée de devoir sortir votre dic-
tionnaire.
Mais qui est Martin ? Ce n’est que sur le
tard qu’il a découvert avoir des troubles de
l’humeur. Ils ont commencé vers le début de
l’âge adulte. Ils sont devenus préoccupants
vers ses vingt-deux ans. Ce n’est que neuf
ans plus tard, à l’âge de ses trente et un ans
23
qu’il se fera soigner après de longs périples
et un circuit médico-légal qui vous seront
relatés au long de ce livre. Martin accepta
de se faire soigner, d’aller consulter un psy-
chiatre, de prendre des médicaments.
Comme le dit Jean Cottraux dans son livre «
La répétition des scénarios de vie » « Tirer
la morale d’une crise, c’est modifier un an-
cien schéma cognitif dont le fonctionnement
s’est avéré désastreux : autrement dit chang-
er ses systèmes de croyances et de valeurs,
et agir autrement. » Il poursuit plus loin : «
Les traits héréditaires biologiques, ce qu’on
appelle souvent le tempérament, sont les
briques à partir desquelles sont bâtis les édi-
fices qui correspondent aux différents types
de personnalité. Mais l’architecte silencieux
de la personnalité est l’environnement fa-
milial et social. L’inconscient cognitif va
se fonder sur les effets de l’éducation, des
modèles sociaux, mais aussi sur les évène-
ments singuliers et en particulier les trauma-
tismes qui vont y déposer leur empreinte. »
Voici donc l’histoire de Martin (s’en va en
guerre [;0P] –comme Don Quichotte contre
ses moulins intérieurs.)
24
>> À vous d’en faire une anamnèse et de
poursuivre vos investigations tandis que
moi, je vous ferai l’[âne à m’n’aise]. Au dé-
cours de ce livre vous rechercherez ce qu’est
le trouble bipolaire, quels en sont les symp-
tômes, ses causes, les principaux traitements,
le rétablissement ainsi que la prévention des
rechutes.
1.
Martin est né le douzième jour d’un dix-
ième mois; le mois d’octobre mille neuf
cent soixante- treize pour être exact, un ven-
dredi à dix-neuf heures trente environs. Cela
explique sans doute son côté peu matinal.
C’était un beau bébé. Il mesurait cinquante-
deux centimètres pour deux kilos neuf cents
grammes. Il a les yeux bruns. Il avait une
grosse tête. Son avenir était prédestiné.
>> Prédestiné? Je ne crois pas en la prédes-
tination. La vie a ses balises qu’il nous faut
sans doute emprunter. Il y a un ordre des
choses, mais prédestiné? Il est vrai que je
25
ne suis pas contre un certain innéisme pro-
pre à notre nature… l’instinct par exemple.
Cependant, je veux être libre de mes choix
même si je suis né comme vous dans une
matrice.
C’est vrai que petit, on m’appelait Titi, puis,
plus tard, Caliméro –c’est trop injuste. «
Calli-numéro », un sacré beau numéro. Le
plus petit, certes, mais déjà la plus grande
gueule!
Martin a grandi chemin se faisant. Sa faconde
en étonnait plus d’un. Lui vient-elle de sa
mère fort loquace ou de son grand-père pater-
nel toujours prêt à soliloquer? Allez savoir,
sans doute un mixte des deux. L’aspect de
l’inné et de l’acquis reste toujours un des
grands débats de la psychologie.
Petit, comme bien des bambins, il voulait
devenir pompier ou policier. Maintenant,
tous les gosses veulent devenir des « experts
» et participer à la Star’Ac… Comme le dit
Arthur, nous sommes des enfants de la télé.
À dix ans, sur les traces de ses racines, Mar-
tin voulait devenir boulanger-pâtissier.
26
>> J’ai très vite abandonné cette idée. Il faut
se lever trop tôt. Je ne suis pas assez coura-
geux. Dommage. Mais depuis tout petit,
j’ai toujours cru que j’étais voué à quelque
chose de grandiose, sans doute à cause de
mon grand-père paternel qui avait pour moi
de grandes expectatives. Quant à mon père,
il aurait voulu que je devienne ingénieur de
quelque chose pourvu que cela ne fusse pas
d’agronomie... Le philosophe Bertrand Rus-
sell a dit que « le défaut fondamental des
pères est de vouloir que leurs rejetons leur
fassent honneur. »
Comme le dit Ardisson dans son livre « Con-
fessions d’un baby-boomer » j’ai toujours
voulu avoir plusieurs vies. Des vies paral-
lèles comme on parle de mondes parallèles.
Ne pas être enfermé dans une seule et unique
réalité. Oups ! nous nous éloignons de notre
sujet, reprenons le fil de ma jeunesse si vous
le permettez.
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