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AVESTIQUE YASTA-1

PAR

É. PIRART*

RESUME
L'article discute les interprétations proposées par A. Panaino d'av. yasta- et
apporte, à partir de l'analyse de textes védiques et avestiques, une contribution
nouvelle à la définition technique d'un Yast.
Mots-clés: avestique, védique, philologie, yasta-, Yast.

ABSTRACT
The article is a discussion of A. Panaino's interpretations of av. yasta- and,
through the analysis of vedic and avestic texts, contributes to a new technical
definition of a Yast.
Key words: Avestan, Vedic, philology, yasta-, Yast.

§ 1. A. PANAINO, dans un article récent2, a tenté de débrouillé un pas-


sage avestique controversé qui atteste, selon lui, l'adjectif verbal yasta-
de √yaz «sacrifier»:

Yt 15.56
yezi m∏m xyast¢m xk¢r¢nauuahi az¢m te xvacÇ framrauuani mazdadata…
«Si tu faisais (de) moi (un qui a été) honoré, je prononcerai[s] pour toi les
mots créés par Mazda…».
* Professeur. Langues et littératures orientales. Université de Liège. Place du 20-
Août, 32, bâtiment A8. B-4000 Liège.
1
Abréviations textuelles: F = Farhang i Oim, FrW = Fragments Westergaard, G =
Gah, H = Fragment du Hadoxt Nask, RS = ¤gvedasamhita de Sakalya, SBK = Satapa-
thabrahma∞a des Ka∞viya, V = Videvdad, Vr = Visprad, Vyt = Vistasp Yast, Y = Yasna,
Yt = Yast.
2
«Philologica avestica IV. Av. yastay- / yesti-; yasta-; phl. yast. Quelques rélexions
sur les titres des hymnes de l'Avesta», Studia Iranica 23, 1994, 163-185.

Journal Asiatique 285.2 (1997): 363-379.


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Deux raisons m'empêchent d'accepter ces analyses:


– l'adjectif verbal en -ta- de √yaz est ista- et non yasta-;
– les corrections sont nombreuses.

§ 2. L'idée que l'avestique récent possède un adjectif verbal en -ta- et


un substantif en -ti- dérivés de √yaz tous deux avec degré plein de la
racine contrairement au védique qui montre le degré zéro attendu (iÒ†á-;
iÒ†i- / iÒ†i-) figure chez Chr. BARTHOLOMAE3 (1280). En réalité, comme le
dit aussi BARTHOLOMAE, la possibilité du degré zéro est également attes-
tée. Certes, cette possibilité est admise moins que je le voudrais, mais
elle l'est bel et bien:

ista- est analysé comme l'adj. verbal de √yaz pour isto Y 56.1 (1275
sq.), istÇ Y 56.2 (1276)4, istasca Yt 13.152 (1276), mais cette analyse est
écartée pour ist≠m Y 40.4 (28) et istauuan†- Yt 7.5 (337) qui s'explique-
raient respectivement par √1is et √is.

yasta- est analysé comme l'adj. verbal de √yaz pour yasto Yt 8.43 et
V 19.40 (1276), yastÇ FrW 1.2 (1276), yastÇ Yt 10.32 (1277),
a+auua.fraiiasta- Y 71.6 (246), dar¢go.yasta-5 H 2.14 = Vyt 60 (absol.
o¢m 695), hufraiiasta- Vr 1.3,3,4, 2.6, Y 21.5, 61.1 (1278, 1830),

huiiasta- Yt 5.9 (1835), huiiastatara- Yt 5.9 (1835). On peut y joindre6


les «absolutifs» hufraiiast¢m Vr 16.0 (1831) et o∏m Vr 14.1 (1831).

isti-, abondamment attesté, n'est jamais analysé comme l'adj. verbal


de √yaz et appartiendrait à √is (376 sq.; ainisti- 126; ist≠e 377 sq.;
qba.isti- 797).

3
Altiranischen Wörterbuch, K. J. Trübner, Strassburg, 1904 [zusammen mit den
Nacharbeiten und Vorarbeiten, W. de Gruyter, Berlin — New York, 1979].
4
Passages étudiés par É. PIRART, Münchener Studien zur Sprachwissenschaft 52,
1991, 127-135.
5
J. DUCHESNE-GUILLEMIN, Études de morphologie iranienne I. Les composés de
l'Avesta, Bibliothèque de la Faculté de Philosophie et Lettres de l'Université de Liège,
1936 [abréviation utilisée: CA], 122.
6
Depuis la vérification entreprise par É. BENVENISTE, Mémoires de la Société de Lin-
guistique de Paris 23, 1935, 396.

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yesti- est analysé comme le dérivé en -ti- de √yaz pour yasto Yt 15.56
(1280), as.fraiiesti- Yt 10.77 (264), as.yesti- Y 68.9 (265), duziiesti- Yt
10.108 (759), fraiiesti- Vr 3.7, 13.3, Y 19.21 (1018), hufraiiesti- Yt
10.77 (1830), hufraiiastaiiaeca Vr 9.37 (1830), huiiesti- Y 68.9,14, Yt
10.108 (1836). On y joindra yesti du syntagme aiiese yesti Y 2.1, etc.8
(1298).

Ces analyses remontent aux traductions pehlevies, mais isti- y est le


plus souvent purement et simplement transcrit. BARTHOLOMAE ne suit
pas l'interprétation xvastag que la tradition pehlevie donne de ista- (1278
n. 8), mais se conforme à celle qui est donnée de isti- (377 n.).
Cette interprétation traditionnelle pourrait rencontrer celle du véd.
iÒ†i- qu'il est parfois possible de comprendre de la même façon, mais
l'analyse par la racine IS, impossible, n'est pas ici proposée: c'est vers
1I∑ «désirer» que l'on se tourne et l'éventuel sens approximatif de

«richesse» serait à expliquer alors à partir de celui de «recherche, désir,


objet de désir».

§ 3. M. MAYRHOFER9, sous YAJ, enregistre l'adyudatta iÒ†i- «Opfer»


(EWA II 393), mais l'udatta iÒ†i-, avec le sens de «Suche», est rangé
sous 1I∑ (EWA I 270) et, avec le sens de «Entsendung, Antrieb», sous
2I∑ (EWA I 271), se fiant ainsi à la position de l'accent. Par contre,

l'avestique isti- «Können, Vermögen», qui ne correspondrait jamais éty-


mologiquement à iÒ†i-, est toujours rangé sous IS (EWA I 207), sauf pour
son attestation du Y 53.1 qui, avec le sens de «Streben», est rangée sous
1I∑ (EWA I 271). Cette disparité presque complète entre le védique et

l'avestique paraît navrante, mais les parallélismes que J. KELLENS et moi


avons tracés entre des syntagmes védiques et vieil-avestiques10 condui-
sent à modifier l'interprétation. En conséquence, nous avons abandonné

7
Depuis la vérification entreprise par É. BENVENISTE, Les infinitifs avestiques, A.
Maisonneuve, Paris, 1935, 52.
8
Depuis la vérification entreprise par É. BENVENISTE, Les infinitifs avestiques, A.
Maisonneuve, Paris, 1935, 31.
9
Etymologisches Wörterbuch des Altindischen, Carl Winter-Universitätsverlag, Hei-
delberg, I. Band, 1986-1992; II. Band, 1992-1997 [abréviation utilisée: EWA].
10
Les textes vieil-avestiques, L. Reichert, Wiesbaden [abréviation utilisée: TVA], Vol.
III, 1991, ad Y 46.16, 48.8, 51.18.

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l'étymologie de isti- par √is et lui avons préféré celle par √yaz. Je crois
que nous avons eu raison, mais cela ne veut pas dire que tous les iÒ†i-
védiques doivent suivre le même chemin: il est clair que certaines occur-
rences relèvent de 1I∑11. Je pense donc qu'il conviendrait de réexaminer
toutes les occurrences védiques de iÒ†i- et de iÒ†i-, mais le résultat de
pareille recherche ne devrait pas avoir d'influence sur le problème qui
nous occupe dans la mesure où l'existence de isti- dérivé de √yaz est
d'ores et déjà garantie par certains parallélismes.

§ 4. L'avestique posséderait ainsi des doublets ista- / yasta- et isti- /


yesti-. Le syntagme aiiese yesti devrait nous en apprendre plus sur yesti-,
mais les explications qui ont été données jusqu'ici de la forme aiiese ne
sont guère lumineuses.
PANAINO rappelle que BARTHOLOMAE inventait une racine en posant
a+√yas «langen nach, verlangen», ce que KELLENS a corrigé en a+√yam.
Tout dernièrement, KELLENS s'est déjà penché12 brièvement sur l'ar-
ticle de PANAINO. Il s'étonne comme moi du degré plein de yesti-, mais,
comme plusieurs composés le confirment, il se résout à l'accepter et
rend le syntagme aiiese yesti par «je prends avec moi, donc j'introduis,
de manière sacrificielle».
Pour ma part, je suis impressionné par l'allitération que forme le syn-
tagme et me laisse guider par elle dans l'hypothèse que le syntagme
constitue une figure étymologique et que yesti y est donc l'instrumental
interne de aiiese. Si c'est ce qu'il faut penser, la seule racine possible qui
puisse convenir à l'explication de yesti comme à celle de la forme ver-
bale est la racine mal connue yas (= véd. YAS), dont le sens reste mal
établi et qui n'est autrement documentée que par le participe dénomina-
tif vieil-avestique yaso.xii≠n (Y 51.4; cf. véd. yasasyú-13) et par le com-
posé réc. yaso.b¢r¢ta- «in würdiger Weise dargebracht» (MAYRHOFER,
EWA II 405).

11
É. PIRART, Les Nasatya. Volume I: Les noms des Asvin. Traduction commentée des
strophes consacrées aux Asvin dans le premier ma∞∂ala de la ¤gvedasamhita, Biblio-
thèque de la Faculté de Philosophie et Lettres de l'Université de Liège, 1995, 126, 282,
335 sqq.
12
Journal Asiatique 284, 1996, 37-108, p. 40 sq.
13
H. HUMBACH, Münchener Studien zur Sprachwissenschaft 9, 1956, 71 sqq.

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§ 5. Or, ce composé est épithète de zaoqra- au Yt 1.9, ce qui ne peut


que rappeler le Y 2.1:

Yt 1.9
yazaesa m∏m zaraqustra paiti +asne paiti xsafne yaso.b¢r¢tabiio zaoqra-
biio ... jasani te auua±haeca rafna±haeca az¢m yo ahuro mazdÇ…
«Il convient que tu m'offres le sacrifice, ô Zarat-ushtra, de jour comme de
nuit, au moyen de libations apportées en grande pompe. (C'est à cette
condition que) je viendrai à ton secours et à ton aide, moi Ahura Mazdâ»14;

Y 2.1
… im∏m zaoqr∏m aiiese yesti…
«je donne à cette libation toute sa pompe sacrificielle».

§ 6. Il va de soi que le sens exact qu'il faut donner au verbe a+√yas


reste hors d'atteinte et que la traduction que j'en offre ci-dessus est pure-
ment conjecturale. Elle l'est d'autant plus que le thème de présent est
lui-même mal déterminable: aiiese peut tout aussi bien représenter la
1ère sg. moy. d'un bhvadi (*+îasa-) que la 1ère sg. act. d'un divadi
(*+îas-îa-). La même remarque concerne les traductions que j'avance ci-
dessous pour yesti- et ses composés.
Cependant, le parallélisme qui peut être tracé entre yaso.b¢r¢ta- zao-
qra- et zaoqr∏m aiiese yesti élimine la possibilité d'interpréter yesti- par
la racine √yaz. Le même sort est à réserver aux composés dans la mesure
où les contextes contiennent les mêmes ingrédients. Il y est en effet
question de libations (zaoqra-) qui sont qualifiées par des adjectifs qui
renvoient aux deux termes du composé yaso.b¢r¢ta-:

Y 68.9
… ... aca no jamiiÇ auua±´he as.yestica huiiestica hufrab¢r¢tica zaoqra-
n∏m ...
14
Cf. F 4, G 3.7. ||| asni est à corriger en +asne. ||| Les deux locatifs +asne et xsafne
sont du même type morphologique. Ce type ne convenant que pour les genres animés —
on attendait le correspondant du loc. véd. áhan —, il faut admettre qu'il y a eu alignement
générique du nt. azan- sur le fém. xsapan-. Semblable phénomène peut être constaté au
Yt 5.26 où v∏qba-, mot nt., devient fém. à cause de fsaoni-:… uiie fsaonisca v∏qbaca…
«deux choses: prairie et bétail».

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«Puisses-tu venir à notre aide! Les libations qui vont être offertes n'ont-
elles pas été préparées en grande pompe, avec toute la pompe requise et
apportées très correctement?»;

Yt 10.77
aca qba zbaiiai auua±´he ... aca no jamiia† auua±´he as.fraiiastica zaoq-
ran∏m hufraiiastica xas.frab¢r¢tica zaoqran∏m xhufrab¢r¢tica… ...
«En disant «je t'appelle à l'aide», puissé-je faire en sorte qu'il vienne à
notre aide: les libations n'ont-elles pas fait l'objet d'une grande pompe, de
toute la pompe requise, d'une grande procession, de la procession requise
pour leur transport?»15;

Yt 10.108
ko m∏m yazaite ko druza† ko huiiesti ko duziiesti…
«Qui est prêt à m'offrir le sacrifice et qui à me tromper? Qui (à m'offrir
des libations) exemplaires? Qui (à me tromper) au moyen de (libations)
sans éclats?»16.

§ 7. Le Vr 9.3, même si la nature de toutes les différentes opérations


mentionnées n'est pas sûrement déterminée17, nous assure que fra+√yas
est une action rituelle préparatoire:
auuistaiiaeca aibi.vistaiiaeca aibis.hutaiiaeca upastaiiaeca upa±hars-
taiiaeca hufraiiastaiiaeca xhufrab¢r¢taiiaeca yoi h¢n†i haoma sura sp¢n†a
a+aiia uzdata a+aiia uzdahiiamna…
«en vue de la dédicace et de l'attribution, du pressurage, de l'amenée, du
filtrage, de la présentation exemplaire et de l'implication par des textes
récités des Hauma opulents et bénéfiques qui sont, eux qui ont été dressés
et seront dressés par souci d'harmonie».
15
L'épenthèse dans as.frab¢r¢itica et dans hufrab¢r¢itica, en raison de oca, n'est pas
requise: je corrige donc en xas.frab¢r¢tica … xhufrab¢r¢tica sur base du Y 68.9. ||| Le dis-
cours direct vaut un complément à l'instrumental à mettre sur le même pied que
xas.frab¢r¢tica zaoqran∏m xhufrab¢r¢tica: la divinité doit venir en raison de l'appel et de

la préparation exemplaire des libations qui vont lui être offertes.


16
Les instrumentaux huiiesti et duziiesti qui sont les compléments respectifs des
verbes yazaite et druza† ont été isolés stylistiquement au moyen de la répétition des inter-
rogatifs. Le recours au substantif en -ti-, qui suppose le sous-entendu du gén. zaoqran∏m,
équivaut à l'emploi d'un groupe instrumental zaoqrabiio huiiastabiio. La phrase,
dépouillée de ces fioritures, eût été **ko m∏m yazaite zaoqrabiio huiiastabiio ko m∏m
druza† zaoqrabiio duziiastabiio.
17
On voudra donc bien excuser la traduction.

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AVESTIQUE YASTA- 369

Il est possible que la racine √yas fasse allusion au coupage qui a pour
but de donner un aspect plus éclatant au liquide dont la libation va être
effectuée. C'est ce qui pourrait découler du Y 68.14:
… huiiesti tauua +ahurani afrinami ...
«Je fais la propitiation, ô (déesse rivière) femme d'Ahura, au moyen du
bon éclat que tu accordes (aux libations)»18.

§ 8. Quelques passages sont pourtant d'un autre type et font penser que
l'action de fra+√yas dénote une façon de produire le texte sacré:

Y 19.21
… ... ahunahe vairiiehe… frasraoqr¢mca framar¢qr¢mca fragaqr¢mca
fraiiastimca ... …
«la prononciation, la récitation, le chant et la Frayashti de l'Ahuna
Variya»;

Vr 3.7
… ... … staotan∏m yesniian∏m frasraoqr¢mca framar¢qr¢mca
fragaqr¢mca fraiiastimca ... …
«la prononciation, la récitation, le chant et la Frayashti des Stauta Yas-
niya»;

Vr 13.3
… ... tisran∏m hauruua.paoiriian∏m… frasraoqr¢mca framar¢qr¢mca fra-
gaqr¢mca fraiiastimca ... …
«la prononciation, la récitation, le chant et la Frayashti des trois…».

§ 9. Il est donc assez clair qu'il y a une yashti de certains textes comme
il en est une des autres ingrédients de la cérémonie sacrificielle dont les
libations sont l'exemple fréquent. Comme on va le voir, l'emploi de
l'adjectif verbal yasta- correspond parfaitement à cette situation, mais il
se dit aussi de quelques Yazata.
Dès lors, yasta-19 et ses composés ont toute chance de dériver de la
même racine √yas.
18
ahurane, en tant que vocatif de ahurani-, est à corriger en +ahurani.
19
L'occurrence du FrW 1.2 est probablement à écarter, yastÇ y étant apparemment la
corruption de yÇsca: mruidi vaco zaraqustra ahmak¢m yasnaica vahmaica ya† am¢+an∏m

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§ 10. C'est bien sûr le cas du Yt 10.32 où c'est l'épithète de zaoqrÇ:


… paiti no zaoqrÇ visa±vha paiti his yastÇ visa±vha …
«Accepte nos libations, accepte-les puisqu'elles ont de l'éclat!»20.

On peut ranger ici le Yt 5.9 dans la mesure où +yasta- y est dit du


sacrifice lui-même par hypallage:
… t∏m yazai huiiasta yasna… zaoqrabiio ... ana buiiÇ zauuano.sasta ana
buiiÇ huiiastatara…
«Je lui offre un sacrifice dont les ingrédients sont exemplaires au moyen de
libations en disant: Puisses-tu être (…) en raison du (/ au moyen du) pré-
sent (sacrifice) qui est indiqué pour l'invocation et qui comporte mieux
qu'un autre des (libations) exemplaires!».

huiiasta s'accordant forcément avec yasna, il faut sans doute accorder


huiiastatara avec ana {scil. yasna} plutôt qu'en faire, avec BARTHOLO-
MAE (1835), l'attribut du sujet de buiiÇ21. Dès lors, zauuano.sasta est
probablement lui aussi, contre BARTHOLOMAE (1169), un instr. masc. sg.
à accorder avec ana {scil. yasna} au lieu d'un nominatif fém. sg. attri-
but du sujet. Bien sûr le sens que BARTHOLOMAE donne à cet adjectif doit
être revu: ce ne sera plus un t®tiyatatpuruÒa «durch den Ruf belehrt,
angewiesen»22, mais un caturthitatpuruÒa «indiqué pour l'appel».
Comme dans la première phrase huiiasta yasna n'est pas le seul instru-
mental, mais que l'autre zaoqrabiio constitue un aspect du premier —
«au moyen du sacrifice huyashta, c'est-à-dire essentiellement au moyen
de libations» — et que le mot zaoqra- a été rencontré jusqu'ici plusieurs

sp¢n†an∏m yaqa te a±h¢n yastÇ apo yastÇ uruuarÇ yastÇ a+aon∏m frauua+aiio yastÇ mai-
niiauuaca yazata yaeca gaeiqiia fraqbarsta va±´hazdÇ a+auuano ... «Prononce les mots
pour le sacrifice et la mélodie que nous les Amrta Spanta nous offrons afin que t'appar-
tiennent les rivières, les plantes, les Fravrti des Rtavan, les Yazata Mânyava et les Yazata
Gaithiya qu'(Ahura Mazdâ) a déterminés sous forme de donneurs de richesses et qui
sont Rtavan!». Je corrige yastÇ apo yastÇ uruuarÇ yastÇ a+aon∏m frauua+aiio yastÇ
mainiiauuaca yazata yaeca gaeiqiia fraqbarsta en xxyÇsca apo yÇsca uruuarÇ yÇsca
a+aon∏m frauua+is mainiiauuaca yazata yaeca gaeiqiia mazdo.fraqbarsta.
20
La traduction qu'en donne PANAINO ne me semble guère acceptable: … paiti his
yastÇ visa±vha… «à ces (offrandes qui ont été) sacrifiées, viens!».
21
Sur l'emploi votif de l'opt. aor. de bu, KELLENS, Le verbe avestique, L. Reichert,
Wiesbaden, 1984 [abréviation utilisée: VA], 391, 392 n. 3. En védique, bhuy0Ì votif est
flanqué de la particule hi (RS 1.164.40, 6.47.26).
22
DUCHESNE-GUILLEMIN, CA 124: «instruit par l'appel».

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AVESTIQUE YASTA- 371

fois comme centre de yasta- ou comme complément de yesti-, l'hypal-


lage est assez attendue. En son absence et en celle du complément
interne yasna de yazai, le texte serait **t∏m yazai… huiiastabiio ... abiio
buiiÇ zauuano.sastabiio abiio buiiÇ huiiastatarabiio. Le verbe buiiÇ
sous-entend quelque chose comme ce que l'on trouve ailleurs, par
exemple humizda- comme au Y 55.2 yÇ no h¢n†i gaqÇ har¢qrauuaitisca
paqrauuaitisca mainiius.xvar¢qÇsca yÇ no h¢n†i †urune uuaem†
xvar¢q¢mca vastr¢mca ... tÇ no h¢n†i gaqÇ har¢qrauuaitisca paqrauuai-
tisca mainiius.xvar¢qÇsca ... tÇ no h¢n†i †urune uuaem† xvar¢q¢mca
vastr¢mca ... tÇ no buii∏n humizdÇ as.mizdÇ a+o.mizdÇ paro.asnai a±vhe
pasca astasca baoda±hasca viuruuistim ... «Les Gâthâ qui sont et sont
pour nous sources de conservation, sont pour nous sources de protection
et sont pour nous une nourriture spirituelle, elles qui sont et constituent
pour mon âme et celle (de la vache) la nourriture et le fourrage, elles
sont et sont pour nous sources de conservation, sont pour nous sources
de protection et sont pour nous une nourriture spirituelle, elles sont et
constituent pour mon âme et celle (de la vache) la nourriture et le four-
rage. Puissent-elles nous apporter une bonne, grande et harmonieuse
réjouissance au-delà de ce monde matériel, lorsque l'os et la sensibilité
se seront séparés l'un de l'autre!»23.

23
BARTHOLOMAE admet un couple «Nahrung und Kleidung» (1868) pour ce passage
et plusieurs autres (1385). Il s'agit bien évidemment de la nourriture et du vêtement au V
3.19 (… aetÇ xvar¢qÇ xvaratu aetÇ vastrÇ va±hatu…) et dans tous les passages où il est
question d'un homme, mais, me semble-t-il, si la vache est présente (Y 10.20 et ici), il
vaut mieux considérer que vastra- est une variante graphique de vastra- «fourrage»
comme le suggère le V 5.20… xvar¢q¢mca naire a+aone vastr¢mca gauue hudDZ´he ... …
Au V 17.3, je pense aussi que vastra- est le fourrage: la vermine ne dévore pas les vête-
ments dans les garde-robes, mais le foin dans les fenils comme le grain dans les gre-
niers:… xrafstra… yaom yauuo.huua nizga±h¢n†i vastra vastrahuua .... Ici, la vache
pourrait être présente si l'on prête attention à la combinaison bizarre du singulier urune
avec le pluriel no. Je fais l'hypothèse que no est un duel (*nau) et que urune uuaem est
la réinterprétation du datif duel de uruuan-: *ruºa+bhîa > xuruuaeuue > xuruue.uuae(m)
> urune uuaem «pour nos deux âmes, la mienne et celle de la vache». ||| Je fais de
paro.asnai a±vhe un datif de temps «pour quand ce sera…». ||| paro.asna- est, pour moi,
l'adjectif tiré de l'avyayibhava de paro «au-delà de» et de astan- «os»: «pour quand ce
sera l'existence située au-delà de l'os». La morphologie de paro.asna- est exactement
parallèle à celle de véd. *paro'kÒ∞a-, doublet de paro'kÒa-, indirectement attesté par
parokÒ∞ay0 (SBK 4.5.4.11) «de façon que ce soit au-delà des yeux».

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372 É. PIRART

Si l'emploi de huiiasta- et de huiiastatara- au Yt 5.9 est assez clair et


facilement analysable, il n'en va pas de même pour celui de dar¢-
go.yasta- au H 2.14 (= Vyt 60) où le verbe yaz est également présent:
… aa† m∏m naro paska† yaz¢n†e <yim> ahur¢m mazd∏m dar¢go.yast¢mca
<dar¢go.>h∏m.parst¢mca ooo
«Les seigneurs m'offrent depuis lors, à moi Ahura Mazdâ, un sacrifice
(comportant des libations) qui ont fait l'objet d'une longue yashti et d'un
long entretien»24.

L'accord de <dar¢go.>h∏m.parst¢mca avec m∏m, impossible puisque


h∏m+√fras régit l'instrumental de la personne avec laquelle l'entretien a
lieu (cf. Y 47.3, 53.3; RS 4.18.2)25, ne peut que provenir d'une hypal-
lage. L'accusatif devant représenter ce dont il est traité dans l'entretien
(cf. V 19.3), je fais l'hypothèse que ce sont les modalités du sacrifice
et que, sans l'hypallage, les adjectifs dar¢go.yasta- et <dar¢go.>-
h∏m.parsta- se seraient accordés avec l'instrumental interne du verbe
yaz¢∞te ou avec un instrumental plus consistant tel que zaoqrabiio. Ceci
est confirmé par les passages des Yast dans lesquels la divinité explique
à Zarat-ushtra comment doivent être offertes les libations en son hon-
neur (e. g. Yt 5.90-95). Comme on a vu que yasta- pouvait qualifier
zaoqra-, je pense que le sens du passage est celui-ci: **aa† m∏m naro
paska† yaz¢∞te yim ahur¢m mazd∏m zaoqrabiio dar¢go.yastabiio
dar¢go.h∏m.parstabiio.

§ 11. Tout comme des noms de textes déterminaient un dérivé de


hufraiiesti-, dans quelques passages, hufraiiasta- qualifie des textes: les
staota- yesniia- (2 x au Vr 1.3); la ye±´he.hata- (Vr 1.4, 2.6, Y 21.5,
61.1); le yasna- hapta±haiti- (Vr 16.0); la gaqa- ahunauuaiti- (Vr 14.1).
Voyons un exemple:

Y 61.1
… ye±´he.hat∏mca hufraiiast∏m fraesiiamahi †an†ar¢ca z∏m antar¢ca
asman¢m†…

24
La restitution de yim s'impose d'après H 1.3. ||| <dar¢go.>h∏m.parst¢mca avec BAR-
THOLOMAE (1809).
25
Voir J. KELLENS & É. PIRART, TVA II, 1990, 6.

Journal Asiatique 285.2 (1997): 363-379.


AVESTIQUE YASTA- 373

«et nous envoyons entre ciel et terre la Ye±´he.hata qui est hufraiiasta»26.

Pas plus que les occurrences de hufraiiesti- + gén. d'un nom de texte,
celles de hufraiiasta- dit de textes ne sont guère utiles dans la détermi-
nation du sens exact de la racine √yas.

§ 12. Sans doute la liste des passages qui documentent l'accord de


l'adjectif verbal +yasta- avec des désignations de textes peut-elle être
augmentée de l'occurrence du composé a+auua.fraiiasta-:

Y 71.6
vispaca dama mazdadata a+aonis yazamaide ya a+auua.data a+auua.fraq-
barsta a+auua.†kaesa a+auua.fraiiasta a+aoni a+auuabiio yahmiiaca
a+auuabiio ... …
«Nous offrons le sacrifice à tous les textes harmonieux que Mazdâ a com-
posés, textes composés pour les Rtavan, qui leur sont destinés, qui consti-
tuent la doctrine des Rtavan et qui sont fraiiasta par les Rtavan, des textes
harmonieux pour les Rtavan et pour les Rtavnî»27.

§ 13. Par contre, lorsque c'est un Yazata qui reçoit yasta- comme épi-
thète, les choses sont bien différentes. Deux passages rangent yasta-
dans une liste d'adjectifs verbaux en -ta- se rapportant au nom de la divi-
nité:

26
Le syntagme an†ar¢ca z∏m antar¢ca asman¢m, avec la double bizarrerie que consti-
tuent, d'une part, la coordination par oca de la préposition au lieu de celle de ses régimes
et, d'autre part, la répétition de cette préposition, se retrouvant au H 1.16, ne peut être
corrigé en an†ar¢ z∏m asman¢mca d'après le Y 68.15, Yt 8.8, 10.95, 13.13,43,44. La
solution proposée par BARTHOLOMAE (133) qui invente un adjectif an†ar¢ca- employé ici
à l'instr. adverbial est désespérée: sa seule valeur est de signaler le problème. ||| Jeu de
mots hufraiiast∏m fraesiiamahi.
27
Plusieurs incorrections et corruptions grevent ce passage dont j'ai renoncé à rétablir
directement l'allure, mais elle devait être, me semble-t-il, grosso modo celle-ci: vispaca
xdam∏n mazdadata a+aonis yazamaide ya a+auua.data a+auua.fraqbarsta a+auua.†kaesa

a+auua.fraiiasta +a+aonis a+auuabiio xyabiiasca xa+aonibiio ... … ||| La forme a+aonis,


qu'elle soit celle d'un instr. nt. pl. du type v.-av. nam≠nis ou celle d'un acc. fém. pl., est
utilisée comme acc. nt. pl. ||| a+auua.data- et a+auua.fraqbarsta- sont probablement des
caturthitatpuruÒa comme le suggère le datif a+auuabiio, mais a+auua.fraiiasta- doit être
un t®tiyatatpuruÒa si l'on tient compte des attestations de hufraiiesti- qui montrent que
l'auteur de l'action de fra+√yas n'est pas la divinité.

Journal Asiatique 285.2 (1997): 363-379.


374 É. PIRART

V 19.40
yasto xsnuto friqo paiti.zan†o sraoso a+iio…
«(Nous avons) yasta, satisfait, propitié et gagné à notre cause le pieux
Srausha»28;

Yt 8.43
tistrim star¢m… yazamaide yo vispais xnaenizaite simÇ… yezi aem bauuaiti
yasto xsnuto friqo paiti.zan†o ... …
«Nous sacrifions à l'astre Tishtriya, lui qui lave toutes les souillures pour
autant que, par ce sacrifice, nous l'ayons yasta, satisfait, propitié et gagné
à notre cause»29.

§ 14. La syntaxe du Yt 15.56, sur laquelle PANAINO s'est penché, ne


peut être débrouillée sans recourir à un parallèle qui n'a pas été vu jus-
qu'ici:
yezi m∏m yasto xk¢r¢nauuahi30 az¢m te vaca framrauuani mazdadata
xvar¢na±huuan†a baesaziia yaqa qb∏m noi† tauruuaiia† a±ro mainiius
pouru.mahrko noi† xyatus31 noi† yatumÇ noi† daeuuo naeda ma+iio ...

Le parallèle syntaxique qui permet de justifier le nominatif yasto est


au Yt 10.120 (= 121):
… yo k¢r¢nauua† yim yazaite miqr¢m… xsnuto a†bisto hiia† ...
«(l'adorateur) qui, quand il offre le sacrifice à Mithra, fait (en sorte) qu'il
soit satisfait et non contrarié», littéralement: «… qui le traite (en pensant)
«Puisse-t-il être satisfait et non contrarié!»».
28
Pourquoi l'adj. verbal de √fri n'est-il pas frita-? Cette forme est rarement attestée
par les mss. et l'on trouve parfois la redondance friia- friqa- (e. g. Y 57.34, Yt 15.36). |||
Sur a+iia- «pieux», PIRART, Journal Asiatique 283, 1995, 60 sq.
29
vispais… simÇ: acc. nt. pl. avec finales diversement accommodées: la diascévase de
l'Avesta récent a souvent recours aux finales d'acc. fém. et d'instr. nt. comme marque de
l'acc. nt. ||| naenizaiti est à corriger en xnaenizaite: intensif du type véd. vevijyáte.
30
Ou, si l'on accepte une thématisation secondaire, xk¢r¢nauuahi. C'est une correc-
tion évidente de k¢r¢nauuani dont la finale résulte d'une anticipation sur celle de fram-
rauuani.
31
yato est bien évidemment à corriger en xyatus. L'opposition Daiva :: Martiya sug-
gère que Yâtu est un être surnaturel vis-à-vis ou en fonction duquel le Yâtumant prend
attitude. Ce que yatu- (= véd. y0tu-) est à yatuman†- (= véd. yatumánt-), daeuua- (cf. véd.
devá-) l'est à daeuuauuan†- (cf. véd. devávant-). Ce dernier est le synonyme de
daeuuaiia(n†)- (cf. véd. devayú- / + yánt-) et de daeuuaiiaz- (cf. véd. devayáj-) «qui rend
un culte aux Daiva».

Journal Asiatique 285.2 (1997): 363-379.


AVESTIQUE YASTA- 375

Il est ainsi assez clair que yasto, constituant une sorte de discours
direct tronqué, est à mettre entre guillemets:
«Si tu parviens à faire en sorte que je sois yasta, (satisfait [ou non
contrarié], propitié et gagné à ta cause), moi (Vrthragna), je prononcerai
pour toi les deux32 paroles composées par Mazdâ, qui apportent la féli-
cité et la guérison, afin que ne puissent plus te tenir tête ni Ahra Manyu
qui est capable de nombreuses destructions, ni le Yâtu, ni le Yâtumant,
ni le Daiva, ni le Martiya», littéralement: «Si tu me traites (en pensant
«Puisse-t-il être) yashta!», moi, je prononcerai…».

§ 15. La variété des termes qui reçoivent la qualification de yasta-, la


libation offerte à la divinité, le texte récité au cours de la cérémonie
sacrificielle et la divinité ainsi honorée, correspond assez à celle de ceux
qui dans la ¤gvedasamhita sont yásas-. Si ce sont le plus souvent les
dieux (e. g. RS 5.32.11) et la richesse (e. g. RS 1.1.3) qui sont qualifiés
de yasás-, on trouve aussi qu'un ingrédient de l'offrande est yasás- à la
strophe RS 9.81.1 || prá somasya pávamanasyormáya V indrasya yanti
ja†háram supésasaÌ | dadhn0 yád im únnita yasása gávam V dan0ya
s4ram udámandiÒuÌ sut0Ì || «Les vagues du soma Pavamana s'avancent
dans le ventre d'Indra, les bien ajourées, / lorsque, puisés avec le lait-
sûri, honneur des vaches, (les soma) ont-d'enthousiasme-excité au don le
héros (Indra)» (trad. L. RENOU33). C'est la cérémonie à la strophe RS
7.42.5 || imám no agne adhvarám juÒasva V marútsv indre yasásam
k®dhi naÌ | «Agrée, ô Agni, ce cursus-rituel nôtre, fais en sorte qu'il se
distingue pour nous en présence des Marut, d'Indra» (trad. RENOU, EVP
V, 1959, 45). Ce sont les adorateurs et en particulier le chantre à la
strophe RS 1.31.8 || tvám no agne sanáye dhánanam V yasásam karúm
k®∞uhi stávanaÌ | «Toi, ô Agni, afin qu'il gagne les enjeux, mets à
l'honneur notre barde, (une fois que tu auras été) loué (par lui toi-
même)!» (trad. RENOU, EVP XII, 1964, 5). Remarquons que le feu, à la

32
La correction proposée par KELLENS (Les noms-racines de l'Avesta, L. Reichert,
Wiesbaden, 1974, 271) est inutile si on fait de vaca l'acc. duel de vac- comme le suggère
la leçon vaca du ms. Pt1, quoique ce soit la copie de F1 sans l'aide du Khorde Avesta. La
graphie des adjectifs qui suivent est dès lors impeccable, elle aussi.
33
Études védiques et pa∞inéennes, Institut de Civilisation Indienne, Paris, [abréviation
utilisée EVP] Tome IX, 1961, 28.

Journal Asiatique 285.2 (1997): 363-379.


376 É. PIRART

strophe RS 7.42.5, rend la cérémonie yasás aux yeux de la divinité et, à


la strophe RS 1.31.8, rend yasás le chantre une fois que celui-ci a entre-
pris la louange. Il semble donc bien être question de mettre en œuvre un
rituel dont les ingrédients oblatoires et verbaux doivent être yasás- si
l'on veut que la cérémonie réussisse tout comme, dans l'Avesta, ces
ingrédients doivent être yasta-. Dans les strophes védiques, le bénéfi-
ciaire divin de la performance rituelle est lui aussi yasás- comme, dans
l'Avesta, il est yasta-. On peut ainsi conclure que, tant en védique qu'en
avestique, l'adjectif est le même qu'il s'agisse de l'offrande et des
paroles sacrées ou de la divinité. Si cette constatation est précieuse et
rassurante, elle ne nous éclaire pourtant pas sur le sens précis de la
racine véd. YAS = av. √yas.

§ 16. Le composé dar¢go.yasta- que l'on avait rencontré au H 2.14


devrait dès lors être comparable avec le véd. dirgháyasas-, hapax de la
strophe RS 5.61.9, mais le contexte ne nous renseigne guère: | vi rohita
purumi¬h0ya yematur V vipraya dirgháyasase || «Les deux (chevaux)
rouges ont tendu (leurs jarrets) en direction de Purumi∂ha, l'orateur-
inspiré à la longue distinction» (trad. RENOU, EVP X, 1962, 38). Tout au
plus peut-on dire que le vipra- (le prêtre?) est dirgháyasas- parce qu'il
va offrir une centaine de vaches (RS 5.61.10).

§ 17. Même si nombre de détails ne peuvent être précisés, le parallé-


lisme des emplois du véd. yasás- et de ceux de l'av. yasta- invite à pen-
ser que ce dernier, même lorsqu'il qualifie la divinité (Srausha, Tish-
triya, Vrthragna), dérive aussi de √yas plutôt que de √yaz. La rection de
√yas, inconnue, devait donc le permettre. La difficulté d'accéder au sens
est sans doute liée à cette rection peu banale qui permet à l'agent (l'ado-
rateur), à l'objet (la divinité) et à l'instrument (les libations et les paroles
sacrées) de se tenir syntaxiquement sur un pied d'égalité. Ce type de rec-
tion est pourtant connu précisément pour √yaz (= véd. YAJ) qui peut
régir à l'acc. aussi bien le nom de la divinité à laquelle le sacrifice est
offert que ceux de l'offrande qui lui est faite ou des paroles dont la sono-
rité donne à l'offrande son statut sacré. Il est donc vraisemblable que le
sens de √yas soit assez proche de celui de √yaz, ce qui expliquerait cer-
taines correspondances formulaires tardives entre fraiiasta- et fra+√yaz

Journal Asiatique 285.2 (1997): 363-379.


AVESTIQUE YASTA- 377

que, par exemple, illustre bien la comparaison du Y 55.6 staota yes-


niia… frayaz¢mna… et du V 18.43… ye±´he.hat∏m fraiiazaite ... avec le
Vr 1.3… staotan∏m yesniian∏m… hufraiiastan∏m… et le Y 61.1…
ye±´he.hat∏mca hufraiiast∏m…. Il y a donc eu un phénomène de supplé-
tisme entre √yas et √yaz qui s'est développé à la faveur de la ressem-
blance phonétique des deux racines. Dès lors, je suggère que √yas signi-
fie quelque chose comme «donner (au texte qui va être utilisé, aux
libations qui vont être versées, aux autres ingrédients qui vont tenir un
rôle dans la cérémonie, à l'adorateur qui va entrer dans le sacré et à la
divinité visée) un statut particulier (qui n'est pas le leur en dehors du
continuum espace-temps du rite)».

§ 18. Ceci ne ruine pourtant pas l'analyse que PANAINO propose des
données moyen-iraniennes: il a tout à fait raison de souligner l'inter-
changeabilité des mots moyen-perses yast et yasn dans les titres donnés
aux textes34 qui devaient appartenir au livre de l'Avesta sassanide connu
sous le nom de Bagan Yast Nask et je partage son avis quand il distingue
yast de yasn comme étant en quelque sorte le contenant et le contenu: le
yast est le texte hymnique et le yasn l'acte rituel dont ce texte est l'ex-
pression ou la composante verbale. Pareille interchangeabilité impose de
voir dans le mot yast, que ce soit ou non via le supplétisme avec √yas, le
descendant d'un dérivé de la racine √yaz qui, phonétiquement, ainsi que
PANAINO le démontre, ne peut être que *yasta-. La contradiction entre le
recours à √yas pour l'explication de yasta- et à √yaz dans celle de
*yasta- > yast n'est ainsi guère gênante. Certes, *yasta- au sens de
«texte sacrificiel» n'est pas attesté dans l'Avesta, mais il faut tenir
compte de l'existence d'une autre paire de termes interchangeables que
yast et yasn, les étymons avestiques de laquelle sont attestés: stot <
staota- «texte de la louange de la divinité» et stom < staoma-35
«séquence rituelle consistant à louer la divinité», dans les titres de Hom
Stot et de Hom Stom que la tradition donne à l'ensemble des sections 9-
11 du Yasna36. Le fait que stot soit à stom ce que yast est à yasn garan-

34
Par exemple le Yt 10 appelé Mihr Yast et Mihr Yasn.
35
Attesté par le Yt 13.157 et aussi, mais indirectement, par a+a.staomiia- «relatif à la
louange de Rta» (Y 33.9) et staomaiiu- «qui convient pour la louange» (Y 10.18).
36
À distinguer soigneusement du Hom Yast qui est le Yt 20.

Journal Asiatique 285.2 (1997): 363-379.


378 É. PIRART

tit l'analyse sémantique que PANAINO donne de ces derniers mots, mais,
pour ce qui est de la morphologie, si *yasta- est formé comme staota-, il
n'est plus nécessaire de se demander comment on est passé du sens
adjectif «vénéré» du dérivé en -ta- au sens substantif «vénération»:
*yasta- est d'emblée un substantif dont le type morphologique est indi-
qué par la comparaison avec staota-. Tout comme kar¢ta- est l'instru-
ment servant à couper, *yasta- est celui servant à honorer la divinité.

§ 19. PANAINO s'interroge avec raison sur la syntaxe des titres des
Yast: «Sros Yast» est-il un composé si les zoroastriens d'Iran l'appel-
lent «Yast-e Sros»? D'autre part, s'il faut au contraire admettre deux
mots, a-t-on affaire au «Srausha vénéré» ou à la «vénération de Srau-
sha»? PANAINO montre que, malgré la graphie habituelle en deux mots,
le composé est préférable et que le second terme fait plus exactement
référence au texte qu'à la vénération: «texte servant à la vénération de
Srausha».

§ 20. Mais qu'est-ce au juste qu'un Yast? PANAINO fait judicieusement


allusion à l'expression avestique aoxto.namana yasna37, mais il n'en tire
pas tout le profit que je crois pouvoir en tirer à l'instant de définir tech-
niquement ce qu'est un Yast et comment il doit ou devrait être: un texte
ouvert par une phrase en yazamaide. L'objet de ce verbe est le nom de
la divinité que prolonge une série d'adjectifs épithètes parfois assez
longue, souvent relayée par une ou plusieurs subordonnées relatives épi-
thètes elles aussi. Toutes ces épithètes, qu'il s'agisse d'adjectifs, de sub-
stantifs ou de subordonnées relatives, constituent le naman- du Yazata,
«le fait de le nommer, ses noms» qui sont mentionnés dans le cadre de
la cérémonie que le verbe yazamaide qui est au cas de coïncidence38
suppose. Il est donc clair qu'un grand nombre des textes qui passent
pour des Yast n'en sont pas, mais que, suite à une décomposition du cor-
pus, il a fallu les accepter comme Yast, les canoniser comme tels. Faute

37
Quoiqu'en ignorant la discussion que j'ai consacrée à ce composé lors du congrès
de Bamberg (in B. F. Fragner et alii [edd.], Proceedings of the Second European Confe-
rence of Iranian Studies, Is.M.E.O., Roma, 1995, 556).
38
Sur le «cas de coïncidence», voir J. KELLENS, VA 219 sq., 221 nn. 1 et 2; in KEL-
LENS & PIRART, TVA II 68 sqq.

Journal Asiatique 285.2 (1997): 363-379.


AVESTIQUE YASTA- 379

de Yast qui honore Mazdâ ou suite à la perte de celui qui avait dû exis-
ter39, il a été recouru à un texte relatant une conversation que Mazdâ et
Zarat-ushtra ont eue sur le pouvoir des noms du grand dieu: l'Ohrmazd
Yast.

§ 21. Ceci dit, la discussion devrait sans doute être étendue à d'autres
séries de titres de textes avestiques, mais je laisse cela pour une autre
occasion: à côté du Hom Stot et des Yast, je pense par exemple à ces
textes qui, parfois depuis l'Avesta lui-même, portent un nom formé sur
la racine √1da «instaurer»: le Videvdad ou data- vidaeuua- qui est le
cinquième dadig de l'Avesta sassanide, le Cihrdad qui en est le sixième
et le Damdad qui est le premier hadamansarig. Comment faut-il exacte-
ment analyser ces titres?

39
Voir P. O. SKJÆRVØ, Die Sprache 36, 1994, 234.

Journal Asiatique 285.2 (1997): 363-379.

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