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Tatouage, la nouvelle carte d'identité ?

Peu importe notre âge, notre sexe ou notre couleur de peau, cet ornement exprime notre singularité à
la face du monde.
Isabelle Taubes http://www.psychologies.com

Universel puisque nous le retrouvons dans toutes les cultures, le tatouage a toujours une visée esthétique, décorative.
« Pourquoi ce dragon sur mon épaule ? Parce que je le trouve joli et que je me trouve plus beau grâce à lui », explique
Philippe, 48 ans. Nous sommes tentés d’opposer le tatouage coup de tête, effet de mode des teen-agers, au tatouage
des adultes, supposé fruit d’une réflexion mature. Cette opposition est-elle réellement pertinente ?

Dans l’inconscient collectif occidental, se faire tatouer est toujours un acte transgressif. Cette pratique a
longtemps été dénoncée par l’Église. Et pour cause, la Bible l’interdit, comme elle proscrit toute altération définitive
du corps – mutilation, scarification ou simple percement d’oreille pour le passage d’une boucle. Est-ce la raison pour
laquelle, sous nos cieux, cette écriture corporelle a longtemps été réservée aux marginaux, mauvais garçons et
prisonniers, ou encore aux marins vivant sur les flots au lieu d’habiter, comme nous, des maisons ? Comme le bijou et
le maquillage, le tatouage appelle l’œil, mais il indique bien plus qu’un désir de séduire. Par son caractère indélébile, il
marque notre volonté de prendre le contrôle de notre corps et du regard de l’autre. « Je me suis fait tatouer sur la
cheville le mot “sérénité” dans une calligraphie arabe élégante, car c’est une partie du corps que je peux exposer ou
dissimuler. Je choisis qui verra et qui ne verra pas », confie Violaine, 45 ans.
Ce que le tatouage dit de nous : Tout tatouage a une histoire. Marquer sa peau à l’encre indélébile est un acte fort,
une façon de prendre le contrôle d’un corps qui nous échappe, ou de graver à jamais un souvenir, une joie, une
douleur.
Dans les tribus africaines ou amérindiennes, le tatouage fait office de carte d’identité. Il distingue le « nous », la
tribu, de ceux qui n’en font pas partie, les autres. C’est dire qu’il s’inscrit dans la chair, mais aussi dans les esprits.
Dans la France d’aujourd’hui, se faire tatouer revient à dessiner un « je » qui se distinguera de tous les autres. Alors
même que cette écriture du corps tend à régresser dans son usage ethnique, traditionnel, chez les Occidentaux, elle est
de plus en plus pratiquée. Elle a pris son essor dans les années 1980-1990, qui ont aussi vu fleurir l’individualisme, le
narcissisme, le « moi je ». Le tatouage contemporain traduit un sentiment intime, par exemple l’amour pour un autre
avec des cœurs ou un prénom. Ou bien une valeur qui sert de repère, de ligne de conduite, comme l’aigle pour la
liberté, le dragon pour la force, une phrase de sagesse… C’est « une mise en scène de soi », selon le sociologue David
Le Breton, auteur de Signes d'identité, tatouages, piercings et autres marques corporelles (Métaillé, 2002). Et cela, à
20 ans comme à l’âge mûr.
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www.la-croix.com/Famille/Enfants/Mon-veut-faire-tatouer-comment-reagir
Recueilli par Paula Pinto Gomes, le 07/03/2017 à 18h08
Mis à jour le 07/03/2017 à 18h15

Entretien avec Stéphane Clerget, pédopsychiatre, à l’occasion du salon mondial du tatouage qui vient de se tenir à Paris.

La Croix : Le tatouage n’est plus l’apanage des marins et des mauvais garçons. Aujourd’hui, de plus en plus de
jeunes rêvent de se faire tatouer. Comment comprendre ce désir ?
+
Stéphane Clerget : La mode du tatouage n’est pas nouvelle. Au début du XXe siècle, ce marquage des corps était
assez courant chez les hommes des milieux populaires, notamment ceux qui partaient dans les colonies. Mais il est
vrai qu’aujourd’hui, elle touche tous les milieux.
Au-delà de l’effet de mode, le désir de se faire tatouer peut révéler la volonté de s’approprier son corps, de le marquer,
de le différencier, de le signer quand tous les corps se ressemblent. Ce désir est d’autant plus fort que l’adolescent est
dans un processus d’émancipation vis-à-vis de ses parents.
Marquer son corps, c’est aussi vouloir affirmer son identité à un âge où le sentiment identitaire peut être fluctuant. Si
un enfant a peur en se couchant de ne pas retrouver ses parents le lendemain, un ado, lui, aura peur, inconsciemment
bien sûr, de ne pas se retrouver lui-même. L’adolescence est une période de la vie où les modifications internes et
externes sont si rapides et importantes, que le jeune peut avoir le sentiment de ne pas savoir qui il est et douter de son
identité. Voir son tatouage chaque matin devient alors rassurant : on est toujours le même.
Le tatouage peut être aussi une manière de faire passer un message. L’adolescent est d’ailleurs toujours ravi
d’expliquer la signification du motif ou de l’écrit qu’il a choisi. C’est un peu comme une parole, une devise, qui le
définit à un âge où il a parfois du mal à s’exprimer par le verbe.
Comme répondre à cette demande ?
Stéphane Clerget : Il faut profiter de cette demande pour échanger avec l’adolescent sur ses envies, ses craintes. Les
occasions ne sont pas si fréquentes à un âge où il n’aime pas tellement parler de lui. Il n’est donc pas conseillé de dire
oui ou non tout de suite, mais de chercher à comprendre ses motivations, en manifestant une réelle curiosité :
qu’aimerait-il représenter et à quel endroit du corps voudrait-il le tatouage… Cette discussion lui donnera l’occasion
de réfléchir à ce qu’il souhaite vraiment et dans certains cas permettra de différer l’acte. La réponse doit, elle aussi,
être différée. Il n’y a jamais d’urgence pour un tatouage.
À partir de quel âge peut-on l’envisager ?
Stéphane Clerget : Pas avant 15 ans, considéré comme l’âge de la majorité sexuelle et donc de la liberté corporelle.
Jusque-là, les parents sont responsables du corps de leur enfant au sens de sa santé et de sa moralité. Ensuite, et avant
18 ans, l’accord des parents est de toute façon demandé dans la plupart des établissements. Les parents peuvent donc
s’y opposer. Mais ce refus doit aussi leur donner l’occasion de réfléchir à leurs motivations.
Quels sont les risques ?
Stéphane Clerget : Le risque d’infection est toujours possible, même si les tatoueurs doivent aujourd’hui respecter
des règles d’hygiène en utilisant des aiguilles stérilisées. Il est de toute façon important de vérifier le sérieux de
l’établissement avant de laisser son ado se faire tatouer.
Au-delà du risque physique (infection et même allergie), il existe également un risque psychique. Certains ados,
surtout parmi les majeurs, deviennent addicts aux tatouages et en veulent toujours plus. Ce comportement peut révéler
un trouble de la personnalité, avec une volonté de changer de peau. L’envie de se faire tatouer recouvre parfois un
mal-être, un rejet du corps. Les parents peuvent alors en parler avec l’adolescent en lui proposant de transformer son
apparence grâce au sport ou avec des vêtements.
Peut-on effacer les tatouages ?
Stéphane Clerget : Oui, mais ce n’est pas simple et c’est très douloureux. Ce qui ne suffit généralement pas à
dissuader les jeunes. Pas plus que les photos de tatouages qui ont mal vieilli, d’ailleurs. C’est un âge où ils font des
choses bien plus risquées et dont les conséquences peuvent être immédiates. Pour différer le tatouage définitif, les
parents peuvent toujours leur proposer des tatouages provisoires qui tiennent plusieurs mois.
Recueilli par Paula Pinto Gomes

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