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ÉVEIL ET NAISSANCE.

QUELQUES REMARQUES A PARTIR


D'EMMANUEL LÉVINAS ET MICHEL HENRY

François-David Sebbah

- «Le dévoilement du visage est nudité - non-forme - abandon de


soi, vieillissement, mourir; plus nu que la nudité: pauvreté, peau à rides:
trace de soi-même. » (AE, p. 141)
- «Ce qu'elle dit (La Parole de la Vie), c'est elle-même, c'est la dé-
termination pathétique dont chaque forme de vie est l'auto-révélation. Ce
dont elle le dit, c'est d'elle-même, de cette détermination qu'elle est elle-
même. Elle ne dit pas ce qu'elle dit à partir d'autre chose dont elle le
dU, elle le dit à partir d'elle-même. )} (PM, p. 131)
Sans même s'occuper précisément du contenu de sens de ces
lignes, l'apprenti philosophe, le « débutant », a tout lieu d'être dés-
tabilisé par leur style: les limites et les frontières se brouillent:
sommes-nous encore dans la philosophie ou déjà ailleurs (dans le
théologique et/ ou le poétique peut-être)? La phrase dIE. Lévinas
que nous venons de lire est heurtée, syncopée, métaphorique aussi:
elle semble manquer aux exigences les plus élémentaires de l'en-
chaînement réglé d'un discours apophantique, d'un discours qui
s'est donné la tâche de faire voir ce qui est, de dire le vrai. En un
sens différent, les quelques lignes de Michel Henry citées ici, dé-
rangent tout autant: leur implacable rigueur semble feinte car ex-
cessive: ne s'agit-il pas d'une pure tautologie retournée en tous
sens, d'un discours sans faille car strictement autoréférentiel ? Ces

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ALTER

textes ont quelque chose de traumatisant pour le lecteur philosophe.


Et c'est de ce traumatisme, peut-être, qu'il faut partir.
Est-il éveit réveit ou bien au contraire entrée dans un sommeil,
une griserie de la raison, dans ce que Kant appelle la « Schwarme-
rei» ? Pour continuer de parler en termes kantiens, constitue-t-il un
outrepassement des limites que d'après Kant, la philosophie doit
se fixer? N'est-il pas au contraire la marque de philosophies dont
l'exigence est absolument radicale, dont l'exigence nous laisserait
face à l'impensable, à la limite du champ philosophique, pour nous
avoir permis d'aller jusqu'au bout du pensable? Dans les mots de
Kant, toujours: la lecture dIE. Lévinas et de M. Henry nous mène-
t-elle aux bornes de la philosophie, là où en se différenciant elle se
laisse le mieux déterminer, ou bien au-delà des limites, là où la
philosophie se dissout et meurt? On peut formuler cette alternative,
ce problème, en d'autres termes: est-ce un discours« traumatisant»
au sens négatif où il provoquerait une destruction de }' ego philo-
sophant (écrivant ou lecteur du texte philosophique) ou bien un
discours philosophique, en quelque sorte radicalement « réduit»,
c'est-à-dire reconduit à sa source, à son origine, à sa naissance - et
il nous faudra questionner ces notions - qui nous est donné à lire?
S'il s'agit de «philosopher à la limite », cette limite peut-elle être
la limite en amont, la source d'une philosophie qui s'éveille et qui
naît?
Il s'agira donc ici, en réfléchissant sur quelques textes d'E. Lévi-
nas et de M. Henry, de se demander si la philosophie peut penser
à la limite, sans penser une limite qui soit sa limite: peut-on penser
un Autre qui ne soit pas dialectiquement ramené au Même (Lévi-
nas) ? Peut-on penser la pure immanence de la Vie en deçà de la
structure ek-statique que semblent partager le voir et le dire (Hen-
ry) ? Peut-on, selon l'expression de Hegel (commentée par Jacques
Derrida in MDF p. 2), philosopher à corps perdu, sans que préci-
sément la philosophie y perde la vie, mais en se tenant au contraire
ainsi au « moment» de sa naissance perpétuelle?
Et si ces deux styles philosophiques peuvent être éprouvés par
le lecteur comme de «traumatisants réveils», on peut remarquer
que les pensées lévinassienne et henrienne ne sont des pensées qui
éveillent et s'éveillent que pour autant qu'elles sont des pensées de
l'éveil, de la naissance. E. Lévinas a récemment écrit « La philoso-
phie et l'éveil» (in EN) et « De la conscience à la veille» (in DDQVI)
qui s'attachent à montrer que « la subjectivité du sujet se montre
dans le traumatisme de l'éveil» (cf. EN, p. 102). Dans Autrement
qu'être ou au-delà de l'Essence la thématique de l'éveil ou de la veille
est associée à celle de «la naissance latente du sujet» (cf. p.218)

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et à celle de la Maternité (cf. - entre autre - p. 165). Michel Henry,


pour sa part, ne thématise guère les notions « d'éveil» et de « nais-
sance ». Nous faisons l'hypothèse qu'il y a là non une indifférence
mais comme un «refus» significatif. En effet, l'exigence de saisir
la pure immanence de la Vie, conduit Michel Henry à se méfier de
la temporalisation en tant qu'elle est « l'écoulement même, la pre-
mière déhiscence ek-statique [ ... ] l'ouverture d'un dehors ou quel-
que chose pourra devenir visible [... ] l'éclosion du Monde [... ] un
monde naissant» (dans « Philosophie et subjectivité », in UP, p. 50,
nous soulignons). En un mouvement qui ne peut sembler paradoxal
que de prime abord, la saisie de l'origine implique pour Michel
Henry que l'on fasse retour à un en deçà de la naissance, parce
que la naissance est l'ouverture même de la temporalité, et que la
temporalité est l'écart premier qui rend possible le déploiement
d'un monde comme transcendance: précisément dans la naissance,
un monde me vient et je viens au monde; la subjectivité constitue
un monde qu'elle tient dans un voir et, pire, elle s'appréhende, en
extériorité, comme un ego psycho-physique, une chose parmi les
choses visibles. Bref, la pure immanence est perdue, si naître signifie
venir au monde. Nous aurons à préciser cette analyse. Mais n'est-il
pas d'emblée clair que la notion de « naissance» travaille en creux,
en négatif, le texte henrien ? La philosophie de Michel Henry est-elle
une philosophie de la Vie qui est - une philosophie du refus de
naître?
On voit où se situe l'opposition radicale qui sépare - et unit -
les pensées lévinassienne et henrienne. On pourra parler de la « phi-
losophie de la naissance» d'Emmanuel Lévinas, parce que la nais-
sance signifie l'irruption de la transcendance; je suis dépris du
moment de ma naissance, absolument passif, et c'est dans cette dé-
possession même que je me trouve, que la subjectivité est donnée
à elle-même par ce qui précisément lui échappe (l'Autre en sa trans-
cendance). On pourra parler du «refus de naître» henrien, en ce
que la pure immanence est « l'exclusion de la transcendance », l'ex-
clusion de tout écart de soi à soi, de toute naissance donc. On op-
posera la naissance au refus de naître comme la transcendance à
l'immanence.
Il n'en reste pas moins que pour méditer l'abîme qui sépare
une pensée de la transcendance et de la naissance, d'une pensée
de l'immanence et du refus de naître, il faut d'abord avoir mesuré
l,eur intime proximité, leur connivence, oserait-on-dire.
Et n'est-ce pas dans le caractère excessif de leur pratique de la
méthode phénoménologique qu'il faut cerner cette proximité?

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ALTER
li
Lévinas et Henry revendiquent, pour le premier une « inspira-
tion » phénoménologique, et pour le second, la reprise en charge
explicite de la méthode phénoménologique. Après avoir salué en
>1 Husserl le précurseur, celui qui a ouvert la voie, l'un et l'autre lui
i font au fond le reproche de « n'avoir pas été assez loin ». Si la mé-
thode phénoménologique se tient d'une certaine manière tout en-
tière dans la notion de radicaHté (cf. La Philosophie comme science
rigoureuse), alors il faut être plus radical que Husserl. Il y a comme
une surenchère à l'originaire. Et s'interroger sur l'origine (<< La ques-
tion fondamentale de la phénoménologie [ ... ] peut se formuler
comme la question de l'origine du monde », Pink, in De la Phéno-
i ménologie, p. 11), c'est s'interroger sur le sujet, ou du moins la sub-
1 jectivité, s'il appert - et les textes d'E. Lévinas et de M. Henry vont
dans ce sens - qu'on peut parler de subjectivité sans parler d'une
substance qui se pose en posant le monde dans une représentation,
sans parler de « subjectum ». Manfred Frank signale que les philo-
sophies du sujet sont traditionnellement tournées vers une médita-
tion de l'origine (cf. l'Ultime Raison du sujet, p. 10). (Il faut se méfier
de la polysémie de cette notion d'origine, et il nous faudra la pré-
ciser.) En effet, on a recherché dans le sujet une « raison », un fon-
dement. De ce point de vue, les recherches henrienne et
lévinassienne peuvent apparaître comme un questionnement hyper-
bolique sur l'origine de l'origine, sur le fondement du fondement
(l'emphase est une méthode, explique Lévinas in DDQVI, p.141).
Il faut saisir ce qui «rend» la subjectivité subjectivité, ce qui la
donne à elle-même. En des termes qui ne sont ni lévinassiens ni
henriens, on peut dire qu'il faut s'interroger sur le processus de
subjectivation. On comprend dès lors pourquoi {( éveil» et « nais-
sance» de la subjectivité, sont des enjeux centraux.
Ce questionnement emphatique, aux yeux de Michel Henry et
d'Emmanuel Lévinas, Husserl a manqué à le construire. Sans doute
réflexion et réduction transcendantales permettent-elles l'accès à la
subjectivité transcendantale qu'elles placent au centre de toute phé-
noménologie: la réduction est reconduction vers l'ego transcendan-
tal qui est dès lors ce au-delà de quoi on ne peut remonter,
« Urregion », région originaire (cf. la deuxième section des Ideen 1).
Pour asymptotique qu'il puisse paraître parfois, l'accès à l'ego ne
saurait être mis en doute: l'ego doit être transparent à lui-même,
atteignable dans une vue évidente. C'est là une exigence husser-

i lienne (elle-même inquestionnée ?) : « tout» est en droit visible et


dicible ... Et comme « tout» se donne dans l'immanence (qui n'est
certes pas spatiale, mondaine, mais intentionnelle) de la subjectivité
transcendantale à elle-même ... Les inédits du groupe C. sur le « pré-

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sent-vivant», les paragraphes des Méditations cartésiennes consacrés


à la genèse passive et à l'auto-temporalisation de l'ego, bien d'autres
textes encore, laissent pointer un désarroi husserlien : la transpa-
rence à lui-même de l'ego constituant ne va plus de soi; il se dé-
couvre opaque et mystérieux, et cela «les mots manquent pour le
dire ». C'est alors qu'Husserl approche du questionnement radical,
de la réduction la plus ultime, celle qui donne la subjectivité à elle-
même, dans la temporalisation originaire. Natalie Depraz dans
«Naître à soi-même », dans ce volume, montre bien en quoi pour
Husserl la subjectivité transcendantale est sans origine au sens de
sans commencement (<< Anfang »), puisqu'en tant qu'absolu, elle ne
saurait dépendre d'un « moment» premier dont elle serait déprise;
et que pourtant une naissance non-mondaine de la subjectivité dans
le temps est prise en compte par Husserl. L'ambiguïté radicale dont
reste grevé le discours husserlien est la suivante: si le problème de
la donation du soi à lui-même est bien posé, il ne peut l'être que
comme donation du soi à lui-même par lui-même: si l'ego pur - im-
mortel (dit un inédit de 1936) - doit bien naître, il est inenvisageable
qu'il ne préside pas à sa propre naissance. L'impératif de clôture et
de maîtrise rend irréductible }' ambivalence du rapport du sujet au
temps: la subjectivité veut saisir dans le temps son origine, mais si
elle est subjectivité transcendantale, elle veut se trouver comme ori-
gine du temps. Telle est peut-être la difficulté qui ne peut qu'habiter
l'usage husserlien de la notion d'origine (cf. les analyses de Jean-
Toussaint Desanti in Introduction à la phénoménologie, p. 92-93).
Dès lors, on comprend que malgré les «avancées» husser-
liennes dans les textes consacrés à l'auto-temporalisation, l'exigence
de clôture qui est celle de la subjectivité transcendantale, et l'exi-
gence de transparence qui l'accompagne, rendent imposable dans
sa radicalité, la question que Michel Henry et Emmanuel Lévinas,
chacun à leur façon, vont aborder de front: celle de la naissance
du soi, celle de la donation du soi à lui-même. Il s'agira de faire
en sorte que le concept phénoménologique fondamental de « Selbst-
gegebenl1eit », d'autodonation, ne signifie plus tant que toute dona-
tion est donation de la chose en elle-même, ou que ce qui m'est donné
je me le donne, mais que le seul vrai problème de la phénoménologie
est celui de la donation du soi. Ce problème, Husserl l'a formulé
mais ne s'est pas donné les moyens de l'explorer. Et si « la phéno-
ménologie de cette constitution de soi-même coïncide avec la phé-
noménologie en général» (Husserl in Méditations cartésiennes IV,
p.5), Michel Henry, on a vu pourquoi, peut pourtant écrire avec
quelque force: « que l'auto-révélation de la subjectivité absolue soit
comprise d'entrée de jeu comme une auto-constitution, voilà qui

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J
j rend manifeste l'incapacité qui fut dès le début celle de la phéno-
j
ménologie à fournir une réponse véritable à sa propre question»
(PM, p.9). Dès lors, « [ ... ] une pensée phénoménologique radicale
ne peut pas ne pas s'interroger sur la manière dont le pouvoir trans-
cendantal qui donne toute chose, se donne à lui-même [... ] », dit
Michel Henry (PM, p.32). Et cela, Emmanuel Lévinas aurait sans
doute pu l'écrire. Mais M. Henry continue ainsi: « [ ... ] se donne à
1
f lui-même pour autant qu'aucune instance autre que lui n'entre plus
en jeu. » Ici se creuse l'abîme entre celui qui pense la donation du
soi par l'Autre, et celui qui pense la donation du soi par lui-même.
j Faisons le point. On aura remarqué que notre réflexion s'orga-
nise autour d'un mouvement de va-et-vient, qui paraîtra peut-être
1 non réglé, entre deux niveaux d'analyse: celui de l'éveil et de la
naissance de l'ego philosophant (lecteur et/ou scripteur du texte
philosophique) et celui de l'éveil et de la naissance du soi. Sans
1 doute y a-t-il un parallélisme et plus, un entrelacement, entre ces
deux niveaux: le second n'étant le contenu du premier que pour
autant que le premier se met en abyme dans le second.
Cependant on jugera peut-être souhaitable que nous nous ex-
pliquions sur le choix stratégique qui consiste à avoir adopté une
attitude de surplomb par rapport aux auteurs étudiés. C'est que
nous nous proposons ici de scruter le mouvement opératoire de la
naissance et de l'éveil dans les textes d'E. Lévinas et M. Henry, plus
que le thème de la naissance et de l'éveil du soi (qui n'est abordé
dans ces quelques lignes que de manière latérale - en notes essen-
tiellement -, alors qu'il pourrait être un objet d'étude à part entière).
Notre démarche, en ce qu'elle a de métadiscursif, paraîtra peut-être
non phénoménologique: nous ne partons pas ici de l'expérience de
la naissance du soi, mais du discours sur cette expérience. Cette mé-
diation nous conduit-elle en dehors de la phénoménologie (cf.
note 5) ? Ce soupçon de « non-phénoménologicité » est-il à formuler
à l'endroit de notre analyse, ou bien à l'égard de M. Henry et
d'E. Lévinas eux-mêmes? (Ce soupçon, on peut immédiatement le
formuler à l'égard de Lévinas qui exhibe comme essentiel le lien
du discours - et du discours philosophique - à la naissance du soi;
mais uniquement de manière médiate et critique pour ce qui
concerne M. Henry, qui exige explicitement une expérience de l'im-
manence plus originelle que tout discours représentatif.)
Nous ne donnerons pas dès à présent d'éclaircissement sur ce
problème. Ou plutôt, on l'aura compris, il sera, en un sens, l'objet
même des lignes qui suivent.
En bref, l'enjeu essentiel est le suivant:
- La surenchère à l'originaire est-elle éveil et naissance, traumatisme

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Éveil et naissance

fécond, ou bien perdition hors de la phénoménologie, et peut-être


même hors de la philosophie? Qu'en est-il d'une phénoménologie
à la limite?
- Cette question exige que nous nous tenions « avant» l'opposition
explicite qui sépare et unit transcendance et immanence, E. Lévinas
et M. Henry (ici indiquée plutôt qu'analysée). Concernant le rapport
qu'entretiennent ces deux auteurs, notre hypothèse de travail est la
suivante: les analyses du soi proposées par M. Henry et E. Lévinas,
sont comme l'envers et l'endroit d'une même intuition: ni vraiment
contraires, au sens où les contraires passent l'un dans l'autre; ni
vraiment contradictoires, si deux termes contradictoires ne peuvent
dialoguer. Si les analyses d'E. Lévinas et de M. Henry concernant
le soi ne peuvent se rencontrer, c'est à cause de leur intimité même.
Elles ne peuvent se regarder en face, parce qu'elles sont comme
adossées l'une à l'autre. Le lien fait distance, mais si l'on pouvait
retourner le « soi lévinassien » comme un gant, on trouverait le « soi
henrien », et inversement.

La philosophie en jeu
Nous sommes partis de la « désarticulation» traumatisante que
Michel Henry et Emmanuel Lévinas font subir au logos. Il y a d'au-
tres raisons qui peuvent pousser le lecteur philosophe à se méfier
de ces textes. Michel Haar, par exemple, fait remarquer que l'Autre
lévinassien n'est pas un concept, mais une notion polysémique (in
« L'obsession de l'Autre », CHEL, p. 444). Dès lors, le problème est
posé du partage du sens de ce qui n'est ni fixé, ni déterminé ... D'ail-
leurs la place de la « révélation» est centrale, tant chez Michel Hen-
ry où elle est ce qui se donne « d'un coup et dans son entièreté »,
que chez Emmanuel Lévinas où elle est ce qui se donne en tant
que j'en suis dépris, parce que je suis toujours pris dans un retard
originaire qui me constitue (nous y reviendrons). N'y a-t-il pas une
violence inhérente à toute révélation? Le traumatisme ne serait
alors pas ce qui m'éveille et me fait naître à moi-même, mais une
pure violence, si est violent l'acte auquel je ne collabore pas.
({ L'Archi-révélation » (M. Henry) et « la révélation anarchique»
(E. Lévinas) font-elles des textes en question ici (et ce serait le
comble pour ce qui concerne le texte lévinassien !), des textes fermés
à l'autre? Osons poser la question: l'exigence d'échapper à la dia-
lectique au sens hégélien du terme, n'a-t-elle pas conduit Emmanuel
Lévinas au-delà de la dialectique au sens platonicien du terme, au-
delà du dialogue, de ce qui est commun et partagé, de la philoso-

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ALTER

phie? Peut-on faire l'économie de la dialectique ascendante, pour


atteindre l'au-delà de l'être? Lévinas la fait-il? Son discours est suf-
fisamment ambigu pour que Dominique Janicaud puisse parler
·1 d'« une sorte de constant fait accompli par lequel l' autorité absolue
1
\
de l'autre est affirmée hautement [... ] » (in TTPF, p. 29), alors même
qu'Élisabeth de Fontenay peut écrire: « il aura donc su s'exprimer
autrement aussi bien que laïquement» (in « L'exaspération de l'In-
fini », CHEL, p.213). Différemment, Michel Henry tombe sous le
coup de cette objection du « coup de force », du fait accompli; l'au-
to-révélation de l'absolu n'ayant besoin de se tourner vers personne,
n'ayant pas besoin de se partager dans un langage - et même devant
s'y refuser - pour être ce qu'elle est. Au fond, et nous retrouvons
là la « surenchère à l'originaire (1) » déjà évoquée, on peut reprocher
à ces philosophies leur caractère excessif: vouloir penser un « Ab-
solu absolument absolu» (comment le dire autrement ?), ou bien
le Tout Autre au-delà de l'Etre. La radicalité du geste qui prétend
se tenir au « lieu» de l'originaire ne serait que le déguisement d'un
dogmatisme, d'un excès qui conduirait hors de la philosophie ou,
à tout le moins, hors de la phénoménologie. C'est là l'une des ob-
jections que Dominique Janicaud développe (in TTPF) : l'exigence
phénoménologique consiste à vouloir saisir l'originaire en déga-
geant du même mouvement le logos du phénomène; Emmanuel
Lévinas et Michel Henry seraient portés au-delà du second terme
de l'exigence (au-delà de la solidarité du «logique» et du «visi-
ble »), par un souci excessif de son premier terme: l'originaire. Il
y aurait chez eux comme une réduction, une reconduction excessive
et dès lors non-phénoménologique, qui à trop vouloir saisir la
« naissance», donnerait la mort.
Cela dit, et pour méditer avec profit ces objections, rappelons
d'abord qu'une lecture de Michel Henry ou d'Emmanuel Lévinas
qui se tiendrait immédiatement dans la « célébration» de l'Autre ou
de l'Absolu, serait une lecture « faible ». L'Autre et l'Absolu ne peu-
vent sembler ressortir « d'une antériorité du fait accompli» que pour
autant qu'ils ont été au préalable gagnés au fil d'un texte dont nous
voudrions montrer qu'il est la rigueur même. Bien que cela relève
de la gageure, tentons de mettre au jour ce qui fait 1'« intuition »,
au sens de Bergson, des philosophies lévinassienne et henrienne:
- si le Même est tout entier l'acte de ramener au Même, de maîtriser,
alors il est de part en part contradictoire et voué à l'autodestruction,
s'il n'y a pas - « déjà» - de l'Autre pour le rendre possible. On ne
peut pas ne pas penser l'Autre comme originaire (E. Lévinas) ;
- si l'on s'interroge sur l'essence de la manifestation et dès lors sur
la transcendance en tant qu'elle est « l'acte d'ouvrir un horizon»

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et de recevoir ce qui se manifeste dans cet horizon (cf. EM, p. 243),


alors on est nécessairement porté vers l'immanence. En effet, re-
chercher l'essence, c'est rechercher l'origine au sens du fondement,
et le fondement est ce qui soi-même ne peut être ramené à rien
d'autre que soi-même, ce qui est « selbststandig » (cf. entre autre, EM,
p. 142).
Dès lors, il faut en quelque sorte tester l'aptitude de la trans-
cendance à la « Selbststandigkeit » : or on s'aperçoit que l'acte de re-
cevoir ne peut se recevoir en tant qu'il est acte de recevoir; que le
voir ne peut se voir lui-même « au travail ». Recevoir l'acte même
de la transcendance, supposerait - « déjà» - le déploiement de cet
acte. La transcendance s'échappe à elle-même. « Ce qui se jette de-
hors» ne peut se fonder soi-même. Si bien que la problématique
exige que l'on pense non pas seulement un échec de la transcen-
dance à se saisir elle-même, mais la nécessité de poser à son fon-
dement, comme étant cela seul qui peut être « selbststandig », absolu,
la pure immanence, qui ne peut se définir, du coup, que comme
« l'exclusion de la transcendance» (cf. le « mouvement» de la sec-
tion II de l'EM) (Michel Henry).
On ne peut pas ne pas penser une Altérité originaire, on ne
peut pas ne pas penser la pure immanence comme origine et Ab-
solu; voilà qui ressemble fort à la méthode apagogique en « modus
tollens » employée, par exemple, par Kant si couramment... On le
voit, la révélation, qu'elle soit «Archi-révélation» ou «anarchi-
que », si elle est désignée par le texte comme étant un originaire,
n'est cependant pas ce dans quoi lui-même s'enracine, mais ce à quoi
il aboutit.
On ne peut enlever à Lévinas et Henry le mérite - absolument
philosophique - de ces longues recherches où rien n'est acquis, où
la mise en question est radicale, sans horizon sur lequel elle pren-
drait elle-même appui (ce qui, Heidegger le rappelle in Introduction
à la métaphysique, p. 20, est cette folie pour la foi, la philosophie).
Pour Lévinas, c'est à partir de l'immanence de l'être, en athée
donc, qu'il faut chercher; c'est à partir du discours conceptuel so-
lidaire de l'être qu'il faut travailler, en philosophe. La transcendance
ne s'annonce que dans l'immanence (et pour qui habite l'imma-
nence), en y laissant sa trace, c'est-à-dire en se dérobant. Dans les
mots lévinassiens, «l'énigme» philosophique n'est pas le «mys-
tère » de la foi.
Pour Henry, «l' Archi-révélation» dans l'immanence conduit
vers le silence, constitue une limite du logos. Michel Haar (dans
«Mi~hel Henry entre Phénoménologie et Métaphysique» in Philo-
sophze, nO 15, p. 53) rappelle en substance que l'Absolu dans son im-

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manence ne laisse se produire aucun « écart» où un langage puisse


1
se glisser. Plus, le langage, parce qu'il participe de la représentation,
'1
est la transcendance même: il n'y aura donc d'« Archi-révélation »
1 que dans l'exclusion du langage. « Les mots nous manquent », plus
1
radicalement « [ .... ] ces concepts, empruntés au monde et qui repo-
sent sur lui, nous égarent» (EM, p. 860'). Il Y a donc chez Michel
Henry, un refus du langage qui est exactement identique au refus
de la naissance que nous avons analysé plus haut. La Représentation
n'est-elle pas pensée par lui comme « la venue à l'être d'un être qui
1
a déjà existé ailleurs» (cf. PM, p. 127) ? Venir au langage et venir
,i
li
au monde, c'est tout un, et c'est mourir... Cependant cet achemine-

l ment vers le silence, cette parenté avec les ontologies et les théo-
logies négatives, doivent être bien compris: il ne s'agit pas d'un

l silence qui serait négation de tout langage, mais « seulement» du


langage ek-statique. Car si la problématique est bien construite,
alors l'immanence qui se situe en deçà du langage ek-statique est
l'essence même du langage, logos originel! Ce logos originel, en
toute rigueur de termes, ne parle pas, ne se déploie pas dans un
enchaînement discursif, et ne donne pas à voir. Cependant - terrible
« logique» henrienne ! - ce logos originel (qu'Henry nomme souvent
Verbe ou Parole ... ), qui n'est pas ce que nous appelons langage, mérite,
et peut-être mérite seul, de se nommer ainsi puisqu'il est la vérité ou
l'essence du langage, alors même qu'il est sans signification: « [00'] ce
qui parle en elle (la révélation) n'a pas de signification et ne peut pas
non plus en recevoir» (EM, p. 690). Bret « Le verbe qui vient en ce
monde n'est pas le logos grec, la venue au monde en tant que telle
(souligné par Michel Henry), ce qui vient dans le monde s'y dérobe
bien plutôt, est la vie cachée» (PM, p. 131). M~is, nous le voyons,
le silence d'avant « la venue au monde» n'est pas un silence fait
d'une opacité brute: la limite du logos ek-statique se donne comme
logos originel. Et si ce logos originel, aux yeux du logos ek-statique,
est confus au sens d'une évidence dégradée, il est en fait et essen-
tiellement la transparence même, « l'immédiateté de la surface et
du fond» : il ne permet pas cet écart infime qui rend l'évidence,
comme coïncidence du voir et du vu, possible. Ces refus du langage
et du voir, solidaires, se concentrent en fait dans le refus du premier
écart, dans le refus de la naissance. Venir au monde, c'est mourir.
Et se refuser au monde, à la visibilité, c'est non pas se tourner vers
le non-langage et la mort, mais vers le logos originel et la Vie. Si
bien que la «naissance» comme venue au monde est refusée, mais
que la «naissance» comme source de vie, est redéfinie comme un
se ~< dérober au monde)} : venir au monde (entendre: à la vie), c'est
se dérober au monde (comme ek-stase du temps et du voir). Et du

222
Éveil et naissance

même mouvement, venir au langage, c'est s'y dérober. Il faut, dès


lors, «inverser la méthode» dit souvent Michel Henry (cf. EM,
1

p. 860', PM, p. 128). Il faut reconduire le logos ek-statique vers son


origine, vers le pré-natal, vers cette «naissance» (au sens du don
de la vie) qui précède la catastrophe de la naissance comme
commencement (2). Tout le travail de Michel Henry sur le logos ek-
statique - son œuvre - va donc consister en cet exercice de « re-
conduction» vers la Vie dans son effectivité, qui nécessairement se
dérobe.
Il ne s'agit donc pas de se tenir immédiatement dans la célébra-
tion de l'absoluité de la Vie, ou en dehors du logos; mais d'attein-
dre cette limite qu'est le logos originel, en bout de course: la vraie
naissance vient après tout le travail « d'inversion de la méthode »,
qui se fait dans le logos ek-statique, et nulle part ailleurs, pour l'au-
teur comme pour le lecteur: alors les constructions logiques ne sont
plus des tautologies vides. Il est vrai qu'alors et alors seulement,
on se tient à la limite: tout au bout de la philosophie. Le propos
henrien peut sembler dès lors excessif: il ne marque pas simplement
une limite du logos, il se donne à lire comme un langage non
ek-statique, qui serait langage tout de même, qui serait le langage
par excellence, le logos originel. En effet, après avoir montré que
l'immanence de la Vie comme subjectivité est irréductible au lan-
gage et au voir ek-statiques, qu'il y a une hétérogénéité entre la
méthode phénoménologique husserlienne et son « objet» (qui pré-
cisément ne devrait pas en être un), Michel Henry réinstaure l'ho-
mogénéité entre la vie immanente et ce qui n'est plus sa
manifestation ou la méthode qui la tient en vue, mais sa Révélation,
puisque précisément il n'y a pas d'écart entre l'immanence et sa
Révélation: « La vie est l'Archi-révélation et de cette façon, la voie
qui conduit jusqu'à elle - la Vérité et la Voie indissolublement»
(PM, p. 133). D'une certaine manière, Michel Henry nous propose
une conversion du regard qui nous inviterait à ne plus lire son texte
comme une méthode extérieure - ou à tout le moins non-identique
- à ce dont eUe parle, à ne plus considérer ses mots comme relevant
de la représentation (qui ne pourrait que manquer son «objet »).
Le problème de l'hétérogénéité entre l'immanence de la vie et le
langage, ne vaut que pour qui est « venu au monde », pour qui est
sorti de l'immanence, pour qui est né. Avant l'ek-stase de la nais-
sance, la vie est la voie qui mène jusqu'à elle et « la méthode phé-
noménologique n'est pas l'impossible retour sur soi voué à
n'apercevoir que des ombres, on ne sait quel autisme, inutile et im-
puissant: l'intelligence intérieure de sa démarche est l'intelligence
du Monde» (PM, p. 135). La rigueur et la radicalité henrienne sem-

223
ALTER

blent alors s'abîmer en un excès intenable: qu'est-ce qu'un voir sans


distance? qu'est-ce qu'un langage «vu de l'intérieur », qui ne se
déploierait pas, qui ne naîtrait pas? Bref, qu'est-ce qu'un phéno-
ménologue qui se saisirait comme n'étant pas né ?

Excès ou radicalité ?

Il faut poser la question: 1'« excès» n'est-il pas la contre-partie


nécessaire de ce qu'il y a de plus radical et de plus rigoureux?
Les textes d'Emmanuel Lévinas proposent une difficulté du
même ordre: peut-être fournissent-ils une solution qui permettrait
de court-circuiter l'alternative entre « excès non-philosophique» et
« radicalité et rigueur philosophique » ?
Nous montrions qu'il est possible de lire une déduction en « mo-
dus tollens» de l'Autre, chez E. Lévinas. Déjà, il nous faut nous
dédire: surtout à partir d'Autrement qu'être ou au-delà de l'Essence,
Lévinas revendique de procéder autrement que par déduction (cf.
en particulier les remarques méthodologiques de « Questions et ré-
ponses », in DDQVI, p. 140-141). Il ne s'agit pas de reconduire à un
socle ou a une origine, à l'éternité d'un principe ou d'un a priori.
Il n'y a pas de Dire qui ne s'accompagne d'un « dédire» : dès lors,
le Dire s'oppose au Dit. Le Dit est le discours thématisé, fixé et
stabilisé dans une cohérence; le Dire est la rupture pré-originelle
qui inquiète, toujours déjà, tout Dit, comme la transcendance a tou-
jours déjà rompu l'immanence. (Dès lors, remarquons-le au passage,
le soupçon de dogmatisme ne peut être avancé sans précaution: la
transcendance, loin d'induire un discours du « fait accompli », aux
yeux dIE. Lévinas, est ce qui inquiète toute position dans l'être.)
Sans doute le Dit a-t-il le «dernier mot », sinon l'œuvre même
d'E. Lévinas ne pourrait pas s'écrire. Le discours philosophique est
l'immanence même qui ne peut laisser percer le Dire que sur le
mode de ce qui l'excède: «excession» qui implique que seule la
trace (il s'agit là d'une notion « thématisée» par Lévinas) reste, en
tant qu'elle est ce qui n'a jamais été présent. D'où le recours assumé
et plus, revendiqué, de Lévinas aux ressources du « Dit poétique» :
la métaphore, en tant précisément qu'elle est «voyage», qu'elle
marque l'absence de tout « propre », de toute origine (nous y re-
viendrons); l'emphase en tant que procédure d'excession même
(par exemple, c'est en « excédant» la notion de position du soi que
se donne - sans se déduire - la notion d'ex-position à l'Autre). Ici,
remarquons que le discours philosophique d'Emmanuel Lévinas
s'oppose à celui de Michel Henry, comme l'exigence de «profon-

224
Jmi $iIII!I $SE J&~g 0\ i ' LW 1 41 { . ,.iP. '4f

Éveil et naissance

deur» (cette notion revient souvent sous la plume de Lévinas, pour


qualifier le langage, mais aussi le psychisme), à celle de « transpa-
rence » : le langage, pour Michel Henry, est transparence, en tant
qu'il est l'immédiateté de l'immanence avec elle-même qui ne souf-
fre pas le moindre écart; transparence qui n'est même pas celle
d'une «vitre», si une vitre implique cette infime épaisseur, cette
infime profondeur, où coïncide le voir et le vu. Au contraire, chez
Emmanuel Lévinas, le langage comme Dit, porte la trace de l'ex-
cession du Dire, Dire qui toujours ne peut que se dérober, et dès
lors « creuse », « approfondit» le Dit de sa trace: «je ne crois pas
qu'il y ait une transparence possible en méthode ni que la philo-
sophie soit possible comme transparence [... ] tant pis pour la marche
sous un soleil sans ombre qui serait la philosophie» (DDQVI,
p. 143). Le refus, partagé par Henry et Lévinas, d'un langage de
l'intentionnalité, d'un langage de la lumière et du monde (on trouve
des formulations très proches de ce refus dans les textes d'Henry
et de Lévinas), se fonde dans des protestations contradictoires: l'un
plaide pour la transparence à soi de la pure immanence et l'autre
pour la « profondeur)} - sans fond -, c'est décisif et nous y revien-
drons, que creuse la transcendance.
On y revient toujours - ici par le biais de la question du langa-
ge : Excès d'immanence, ou excès de transcendance, c'est }'intenHo-
nalité husserlienne en tant qu'elle permet de penser la transcen-
dance, qui n'est pas transcendance réelle, dans l'immanence, préci-
sément intentionnelle, qui semble voler en éclats, sous prétexte de
sa radicalisation.
Sous des angles différents, le même problème se pose: excès ou
radicalité? « Au-delà» de la philosophie, ou ce qui fait son « cœur»
même? Continuons de nous laisser guider par les analyses du dis-
cours philosophique que propose Emmanuel Lévinas. Tout d'abord,
il faut accorder aux détracteurs d'E. Lévinas, que les procédures
d'excessions qu'il emploie nous mènent au-delà de la philosophie
comme logos de l'immanence. Mais une fois que l'on a dit cela, on
n'a encore rien dit, car E. Lévinas pense la philosophie tout entière
comme la reconduction vers cet «en deçà/ au-delà» qui n'est pas
un principe, un fondement, un commencement ou un a priori, mais
l' « anarchie» même de ce qui toujours se dérobe (cf. AE, en parti-
culier le chapitre V). Notons au passage, qu'à la philosophie à re-
bours de Michel Henry, qui reconduit vers la pure présence à soi
de l'Archi-révélation de la Vie, comme refus de la venue au monde,
s'oppose la philosophie à rebours d'E. Lévinas qui reconduit vers
l'anarchie, vers ce qui toujours se dérobe et n'est présent que dans
l' ab~ence de la trace ... La philosophie, pour Lévinas, est toute entière

225
ALTER

cette tension entre le Dire et le Dit; un Dit qui tente de se prendre


à rebours en direction d'un Dire qui lui offre, non le socle d'une
pure immanence (cf. Michel Henry), mais le traumatisme d'un sans
fond. La philosophie « est ce mouvement contre-nature ».
Dès lors, Emmanuel Lévinas nous enseigne deux choses:
- premièrement: il apparaît qu'il ne faut pas se laisser enfermer
dans l'opposition grossière entre d'un côté l'être comme immanence
et sa manifestation dans un logos thématisant et thématisé, et de
l'autre la transcendance en son ineffabilité. Ce que nous dit E. Lé-
vinas, c'est que le discours philosophique tient en lui-même son in-
terruption: «en relatant l'interruption du discours ou mon
ravissement au discours, j'en renoue le fil» (AE, p.62) ;
- deuxièmement: Lévinas fait ressortir la condition qui permet de
dire que le discours philosophique tient en lui-même sa propre in-
terruption, sans se payer de mots. Comment ne pas sacrHier le Dire
au Dit, ou le Dit au Dire, la Révélation à la Philosophie ou le
contraire? Comment penser cette ambivalence profonde de la phi-
losophie qui en fait à la fois la trahison (le Dit) et la réduction de
la trahison? (Cf. pour tout cela, la « Réduction», in AE, chapitre II).
Si la transcendance «est» - et les guillemets marquent le dédire
dans le dire - anarchie, « est» ce sur quoi j'accuse un retard origi-
naire, alors le discours philosophique en garde la trace, en ce qu'il
« est» lui-même cet écart premier, cette non-présence qui interdit
toute position dans un « commencement» ; il « est », disons la no-
tion-clef, diachronie: « faut-il rappeler l'alternance et la diachronie
comme temps de la philosophie? » (AE, p. 260). Le discours philo-
sophique ne peut tenir en lui-même sa propre interruption que pour
autant qu'il est la temporalité même, temporalité de l'immémorial
et de l'anarchique, écart que nulle rétention ne pourra récupérer.
Le discours philosophique est troué par la transcendance, comme
la prise rétentionnelle est trouée par l'immémorial. Et sans doute
cette « trouée», cette « profondeur», n'est-elle possible qu'en pre-
nant appui sur le Dit, le logos thématisant et thématisé, de même
que l'immémorial anarchique n'échappe au présent qui se pose -
pensé par Husserl comme étant tout entier le «retenir» de la ré-
tention et le « projeter» de la protention ~ que pour autant que Son
écho ou sa trace ne se laisse appréhender qu'à partir de ce présent
dans lequel nous nous posons (nous y reviendrons). Ce qui signifie
que la limite qui sépare le diachronique du présent, l'anarchie du
Dire du Dit philosophique, n'est pas statique, mais est, précisément,
la temporalité même. Le Dire déjà se perd s'il se fixe dans le Dit,
le Dit doit s'interrompre, laissant signifier le Dire, mais déjà re-
commence. La situation du discours peut paraître inconfortable,

226

h
Éveil et naissance

mais c'est en cette situation extrême que l'on fait de la philosophie:


«Nous devons en rester à la situation extrême (nous soulignons)
d'une pensée diachronique» (AE, p. 20). Le discours philosophique
est la fluence même du temps, du temps comme discontinuité: il
« clignote », pourrait-on dire, articulant des phases de Dit et de Dire,
d'une « articulation» dont le modèle spatial de la frontière ne rend
pas compte, ni les modèles traditionnels de la fondation et de la
déduction, même si « l'un» ne va pas sans «l'autre », le Dit sans
le Dire, le présent sans la diachronie. La diachronie permet préci-
sément l'articulation du Même et de l'Autre, du Dit et du Dire, sans
que l'un soit subordonné à l'autre, sans que l'un ne trouve son fon-
dement ou son principe dans l'autre.
Ne sommes-nous pas fort éloignés des thèmes de 1'« éveil» et
de la «naissance» qui constituent le fil directeur de cette lecture
d'Emmanuel Lévinas et de Michel Henry?
Nous n'en avons jamais été plus proches. Plus, ils nous ont livré
leur secret. En effet, la philosophie, «c'est d'abord réveiller dans
le Dit, le Dire qui s'y absorbe et qui entre ainsi absorbé, dans l'his-
toire qu'impose le· Dit}> (AE, p. 74). Nous comprenons maintenant
le sens d'une telle phrase. Il s'agit de décentrer l'immanence du
discours philosophique hors d'elle-même, de « l'inspirer », et de la
rendre ainsi possible: le réveil est l'irruption de l'Autre au cœur
du Même, de l'immémorial et de l'anarchique dans le Dit, irruption
qui, « l'anime », l'empêche de s'auto-détruire (car, nous l'avons déjà
signalé, si la pure immanence de l'être et de son Dit, est une
«prise », elle meurt lorsqu'il n'y a plus d'altérité qui s'offre et sur-
tout se dérobe). Comme le remarque E. de Fontenay, dans « L'exas-
pération de l'infini» (in CHEL), «ces réveils en cascade doivent
apparaître comme l'exact inverse du progrès de la conscience dans
la philosophie occidentale ». Le réveil} ou l'insomnie dit aussi
Lévinas (à partir d'Autrement qu'être ou au-delà de l'essence), prend
à rebours les veines cartésienne et kantienne, la présence à soi d'un
« je pense» maître de son discours: il faut se dégriser de cette gri-
serie qu'est la sobriété. Mais cet « enthousiasme n'est pas ivresse»
(n'est pas « Schwiirmerei » kantienne) puisque précisément ce « dé-
grisement de 1'être, de l'identité», et du Dit, reste articulé dans le
Dit, bien que sur le mode de la trace et de la fluence du temps (cf.
« De la conscience à la veille », 5 « La veille », p. 56, in DDQVI).
On s'aperçoit qu'on ne peut séparer cette conception de l'éveil
de la conception lévinassienne du temps comme diachronie. En ef-
fet, « le traumatisme de l'éveil », qui anime le Dit philosophique,
nous l'avons vu, ne peut être un au-delà du philosophique dans le
philosophique, une interruption interne, que pour autant que l'arti-

227
ALTER

culation entre le Dire (transcendance traumatique) et le Dit (l'im-


manence) « est» la diachronie même, la discontinuité, le « non-défi-
nitif du définitif ». Bref - et les différents fils de notre analyse se
recoupent - le réveil est un processus emphatique et hyperbolique
sans commencement ni fin, mais toujours recommencé: tout dire
est déjà dédire, et ainsi de suite ... Il faut réveiller l'éveil dans la
vigilance et le processus d'excession ne doit pas se figer: on s'aper-
çoit qu'il est la diachronie même du temps (cf.« De la conscience à
la veille »). Cette temporalité sans commencement premier, mais
perpétuel recommencement, n'est-elle pas la temporalité même de
la naissance? L'éveil philosophique ne se dit-il pas en un discours
1
toujours naissant? Le réveil est « toujours recommençant» (DDQVI,
p.47),
Après en avoir montré l'articulation, approfondissons le sens
de ces notions d'« éveil» et de « naissance », chez E. Lévinas.
E. Lévinas parle du traumatisme de l'éveil philosophique comme
d'un beau «risque à courir}), il rappelle que «penser l'autrement
qu'être, exige peut-être, autant d'audace (nous soulignons) qu'en af-
fiche le scepticisme qui ne redoute pas d'affirmer l'impossibilité de
l'énoncé tant en osant réaliser cette impossibilité par l'énoncé même
de cette impossibilité ». Il n'y a d'éveil, que dans une philosophie
risquée et audacieuse; ou plutôt, l'éveil est risque et audace: il est
l'excès intenable au cœur même du discours philosophique.
Cette audace est-elle témérité, aveuglement qui nous fait sortir
de la philosophie, ou bien le courage même de philosopher? Cette
question, on peut la poser aussi bien à Lévinas et à l'excession de
la transcendance qu'il propose, qu'à Michel Henry et à ce qui peut
sembler un excès d'immanence.
Aristote nous enseigne que le courageux se tient dans le juste
milieu entre lâcheté et témérité, mais enseigne aussi que ce juste
milieu est un extrême. En effet, le courageux n'est ce qu'il est, que
pour autant qu'il tient en lui tout à la fois la peur du lâche et
l'aveuglement du téméraire: précisément, on est téméraire lorsque
l'on affronte le danger sans en avoir mesuré l'importance, c'est-à-
dire sans tenir quelque part en soi, cet excès qu'est la peur. Lire
Lévjnas et Henry, ne nous invite-t-il pas à saluer un courage phi-
losophique qui consiste à savoir tenir en soi l'excès, l'en deçà ou
l'au-delà du philosophique? Et sans doute, si l'on ne se paye pas
de mots, cela implique-t-il qu'on ne puisse pas suivre Lévinas et
Henry jusqu'au bout: certaines «phases », certains «clignote-
ments» du Dit, sont intenables, qui interdisent peut-être qu'on
puisse se dire « henrien » ou « lévinassien » comme, parfois, certains
se disent, par exemple, « hégéliens», pensant trouver ainsi des ca-

228

L
Éveil et naissance

dres de pensée qui permettent de tout penser, de se mettre à l'abri


de toute surprise radicale. Se mettre à l'école d'Henry et Lévinas,
n'est-ce pas au contraire, renoncer à toute sécurité, se livrer à ce
traumatisme toujours recommencé de l'éveil que nous avons analy-
sé? Tel est le bon usage de ces philosophies, inséparable qu'il est,
d'un certain «risque» (celui de s'en tenir à la lecture faible d'une
célébration de l'Autre ou de l'Immanence). La lecture qui ferait de
ces philosophies des dogmatismes du fait accompli et de l'insaisis-
sable invisible, nous semble inexacte. Elle se rend aveugle au « cli-
gnotement » - thématisé par E. Lévinas et non, il est vrai, par M.
Henry, mais cela importe-t-il? - qui fait que l'excès, l'au-delà du
philosophique, «r~nd possible» (les guillemets rappellent qu'il n'y
a pas là un rapport de fondation et de déduction, mais une articu-
lation diachronique) ce qu'il y a de plus radicalement philosophique.
C'est avec raison qu'E. Lévinas compare son discours au scep-
ticisme. Il explique en outre, que son discours tient en lui le « dé-
passement» de ce scepticisme, non à la manière dont le criticisme
~a~tien prétend « dépasser» les phases du dogmatisme et du scep-
tICIsme, en se stabilisant dans le réveil de son sommeil dogmatique,
mais précisément comme la discontinuité diachronique du temps
lui-même. Ce que Lévinas retient comme décisif dans l'histoire de
la philosophie, c'est le caractère irréductiblement renaissant (tel est
le terme qui revient sous sa plume) du scepticisme, malgré ce qu'il
y a en lui d'intenable. Le travail philosophique se fait «dans un
n;ouvement alternant, comme celui qui mène du scepticisme à la
refutation, qui le réduit en cendres, et de ces cendres, à sa renaissance
(nous soulignons) » (AE, p. 256). Le scepticisme « est le revenant»
(AE; p. 262). Qu'est-ce que cela signifie? « Le retour périodique du
scepticisme et de sa réfutation, signifie une temporalité où les in-
stants se refusent au souvenir qui récupère et re-présente» (AE,
p. 26 0). Nous. voici donc reconduits de la question de l'éveil vers
celle ,de la na~~sance comme « renaissance perpétuelle », car n'est-ce
p,as. la la manlere la plus précise de nommer la diachronie du temps
levlUassien ?
.S~ns doute faudrait-il approfondir l'analyse de la nature de l' op-
POSIhon entre une temporalité du « refus de naître» (M. Henry) et
une tempora 1"Ite de la naissance comme «re-commencement»
(E. t,éVinas), mais rendons-nous d'abord attentifs au fait que si elles
s~ deploient en s'opposant l'une à l'autre, ces deux temporalités du
d!SC?llrs philosophique procèdent de larnême audace, de la même
terne . ; (cons t·t·
. tHe 1 uhve, pensons-nous, de leur courage): elles sont
«. St~ns égard pour la mort» (la formule est de Lévinas). La pique
an I-h 'd .
el eggenenne est nettement perceptible. Pourquoi peut-on les

229
ALTER

qualifier ainsi ? n suffit de rappeler que pour Michel Henry, seul


ce gui vient dans la lumière et le monde, seul ce qui accepte la
« sortie de », le premier écart du commencement, est susceptible de
mourir: la pure immanence, non engagée dans le temps, ne
commence pas, et, dès lors, ne finit pas. L'origine, l'Arché, n'est
pas à comprendre comme un commencement, un premier moment
du temps, mais comme ce gue je n'ai jamais quitté. Seule la langue
de la représentation et de la manifestation, qui a trahi l'Archi--
révélation, peut être inquiétée par la mort. Seule la langue qui as-
sume la geste de ce qui est venu au monde, de ce qui n'a pas su
rester caché (c'est-à-dire non manifesté, mais révélé) dans l'origine,
doit rendre compte d'un commencement et d'une fin. La vie, dans
son absoluité, elle, est sans histoire: «A la lumière où il se mani-
feste, l'étant aussi bien se dérobe, il est ce qui naît et ce qui meurt,
de telle manière cependant que ce destin, celui de naître et de mou-
rir, n'est pas le sien, trouve sa raison dans la finitude du lieu où
il paraît, dans la lumière elle-même et dans son déclin» (EM,
p. 861). Le naître comme commencement se confond avec le mourir,
et s'oppose à l'absoluité de la vie.
Chez Lévinas aussi, la question de la mort est frappée de non-
pertinence parce qu'elle ne vaut que pour, et dans, le monde et la
lumière: « C'est dans la lumière qu'on est encombré de soi, plus
vieux» (Tt p.244). La mort, en tant qu'elle est toujours la mort
d'un être sur l'horizon de l'être (sur l'horizon de la neutralité de
1'« il y a »), implique que « l'esse de l'être domine le ne pas être
lui-même» (AE, p. 14). En s'interrogeant sur la mort, on en reste à
l'immanence de l'être, on manque l'excession de la transcendance:
le« ne pas être» ne se comprend qu'au regard de l'être, en un sens,
il est « encore» pris dans l'être. Le « ne pas être », à la limite, n'est
guère différent de 1'« être autrement ». Aussi, « être ou n'être pas _
la question de la transcendance n'est donc pas là » (AE, p. 14). Ce-
pendant, il s'agit bien de rendre compte de la trace de la transcen-
dance dans l'immanence de l'être. Cette trace, nous savons qu'elle
est temps, et qu'elle ne peut être comprise avec pertinence comme
un « mourir» : quel est ce « passer)} qui n'est pas un « mourir» ?
Une nouvelle fois, nous voyons se creuser l'abîme entre la pen-
sée henrienne qui disqualifie toute temporalisation (le naître et le
mourir), conçue comme monde et transcendance, et la pensée lévi-
nassienne qui disqualifie la temporalisation du «mourir », parce
qu'elle appartient encore au monde, à l'être (conçu bien sûr comme
l'immanence), mais qui veut saisir la diachronie comme trace de
transcendance. Le discours philosophique lévinassien va avoir pour
exigence d'« être»,« d'autrement gu'être », si l'on ose dire, ce« pas-

230

...
Éveil et naissance

ser qui n'est pas un mourir ». Comment caractériser cette tempo-


ralisation? Nous savons qu'elle ne peut pas être un «commence-
ment», un instant présent qui se pose, ni de l'ordre du souvenir
qui retient le passé dans la présence à soi et la maîtrise de la
conscience. Nous savons cependant aussi que la temporalité de l'im-
mémorial et de l'anarchique n'aurait, en toute rigueur de termes,
aucune signification, si une conscience dans sa présence, n'en re-
cueillait pas la trace: le traumatisme de l'éveil par la transcendance
est absolument premier, sans qu'aucune présence à soi ne le précède
et le reçoive (Lévinas parle d'« une passivité plus vieille que toute
passivité »), il donne la subjectivité à elle-même, et pourtant l'écho
de ce traumatisme inouï ne peut résonner que dans le Dit constitué
et maîtrisé: tel est le paradoxe qu'il faut tenir en vue. Ce qui im-
plique que l'immémorial, la diachronie, ne sont pas absolument sans
présent, sans position de soi dans une origine, mais qu'ils prennent
en quelque sorte appui sur ce présent qu'ils ont toujours déjà défait.
Aussi le discours lévinassien est-il, non pas un au-delà de la tem-
poralité, mais un re-commencement perpétuel, qui n'a jamais
commencé (qui ne s'est jamais assuré dans la position d'un présent).
Il n'y a pas dans le langage, de « naissance première» de la signifi-
cation (cf. HAH, p. 23), mais dans la « comparaison de l'incompa-
rable serait la naissance latente de la représentation» (AE, p. 247).
La notion de « naissance latente», employée de manière straté-
gique par Lévinas, pour rendre compte de la donation du sens dans
tout Dit et surtout dans le Dit philosophique, mais aussi de la do-
nation du soi à lui-même (3) (cf. AE, p. 218), semble donc décisive.
Il faut parler de «naissance», parce qu'il y a bien quelque chose
comme un instant présent du commencement, et de « latence»,
parce que ce commencement est toujours dessaisi de lui-même, dé-
savoué comme commencement, caché à lui-même. La naissance est
donc «latente» aussi, parce qu'elle est comme un « faux-pas» ; la
position du Dit en lui-même ou du soi en soi, est empêchée, non
pas qu'une téléologie soit empêchée de se déployer, mais parce que
le commencement se défait déjà, est déjà - n'a jamais été que -
re-commencement.. et ainsi de suite. Il faut se tenir dans 1'« inchoa-
tif» (autre notion utilisée de manière significative par E. Lévinas),
dans la fragilité d'un « se faisant» qui n'a pas même la continuité
de la durée bergsonienne, qui est toujours un « se défaire» : sens
qui dans le Dit se défait déjà comme la subjectivité qui le pense se
défait déjà dans le traumatisme de l'éveil et ainsi, loin de mourir,
« autrement qu'est» sa naissance perpétuelle (4). L'anarchique n'est
pas le «sans commencement », mais le re-commencement origi-
naire; la métaphore philosophique n'est pas l'absence du « propre»

231
···1;
1.

ALTER
1
1 1
dans le figuré, mais sa renaissance continuée. La temporalité du
Dit philosophique est un « vieillir à rebours ».

En guise de conclusion

1. Ce qui est commun à E. Lévinas et M. Henry, et que nous


avons tenté de mettre en valeur en prenant pour « objet» les phé-
nomènes-limites de l'éveil et de la naissance, c'est précisément
l'exercice d'une phénoménologie à la limite, qu'il faut assumer lors-
" que l'on conduit la subjectivité à la limite de toute expérience (vers
cette limite en amont qu'est sa naissance). S'agit-il par là de ques-
tionner le plus radicalement possible ce qu'il en est de la phéno-
ménalité même, ou bien de s'abîmer hors toute phénoménologie et
hors même toute philosophie en un discours qui se libère des
contraintes d'un logos comme du souci de l'apparaître?
Alors, s'agit-il, oui ou non, de phénoménologie?
La lecture de M. Henry et d'E. Lévinas renvoie précisément cette
question à sa naïveté: on apprend que la phénoménologie n'est à
entendre, ni comme un corpus - cela va de soi - ni comme un
ensemble de «dogmes» ou même d'opérations obligées, « les ré-
ductions ». La phénoménologie n'est à penser qu'en un incessant
débordement hors d'elle-même. E. Lévinas explique précisément
que ce débordement est la temporalité même, comme diachronie:
le discours philosophique est temps. Il faudrait approfondir l'ana-
lyse de ce lien du discours à la temporalité: il n'est pas inessentiel
que chez E. Lévinas la diachronie soit rapportée au Dit, comme chez
M. Henry, le refus du temps constitue le logos originel. .. Quoi qu'il
en soit, et en laissant ce problème en suspens, nous avons appris
qu'il n'y a de phénoménologie - et de philosophie - que dans l'in-
cessante alternance du dit et du dire, du logos et de sa rupture:
nulle conclusion n'est possible ni souhaitable, qui fixerait, figerait
la recherche. A la veille de sa mort, Husserl a ditàt propos de la
phénoménologie que « tout est à recommencer» : c'est dans l'en-
tente de cette phrase qu'E. Lévinas est exemplairement phénomé-
nologue, lui dont nous avons vu qu'il nous indique qu'il n'y a pas
de commencement - et donc pas de fin - mais que des re-commen-
cements. Ce que nous avons appris, c'est une certaine idée de la
phénoménologie, comme orientée par un telas indéfini: une phéno-
ménologie sans cesse naissante?
Lorsque l'on soupçonne Lévinas et Henry de se situer hors la
phénoménologie, c'est pour dénoncer une métaphysique et 1ou une

232

ll
Éveil et naissance

théologie chez eux. Qu'en est-il de cette « phénoménologie de l'in-


apparent» ?
S'agit-il de désigner un invisible derrière 1'« apparaître» ? E. Lé-
vinas et M. Henry s'offrent-ils la naïveté de la donation d'un invi-
sible? Au contraire, ne faut-il pas savoir lire ces textes comme
décrivant, non pas la donation d'un invisible, mais la non-donati011
au sein même du visible? Là où Husserl désignait - en une certaine
« naïveté phénoménologique» qui est toute grandeur - le .telos de
la phénoménologie, comme une donation évidente ayant le statut
régulateur de l'Idée kantienne, M. Henry et E. Lévinas donnent à
penser la non-donation comme le telos secret et inversé de toute phé-
noménologie (5) .
2. Ces interrogations - et ces réponses - renvoie en fait le lec-
teur à la réception de ces textes dont il est capable. Il y a dogmatisme
de ces œuvres en un sens enfermées en elles-mêmes, qui semble
mettre celui qui lit devant cette alternative: soit se situer à 1'« ex-
térieur» et critiquer ce que nous avons analysé comme un excès
intenable du point de vue de la philosophie, soit se situer à 1'« in-
térieur» et adopter le ton de la louange. On peut court-circuiter
l'alternative: il faut savoir recevoir ce dogmatisme comme l'excès
qui défait tout dogmatisme, (une manière de scepticisme ?).
Pourquoi et comment lire Henry et Lévinas ? Sans doute y a-t-il
chez eux un {( excès» et dès lors, un « dérapage» hors de la' phé-
noménologie, mais y a-t-il une phénoménologie qui ne s'affronte
pas à son « dehors» ? En un sens, ce sont de « mauvais » maîtres.
Mais pour faire un bon maître, ne faut-il pas un mauvais maître?
Un maître qui rende possible que l'on s'absolve de la relation qui
nous unit à lui, dirait E. Lévinas?
L'usage que nous avons fait des textes d'E. Lévinas et de
M. Henry aura peut-être semblé irrespectueux. En effet, nous avons
appliqué au corpus de textes lui-même la leçon de libération - de
« naissance» - qu'il met pour sa part en pratique. (D'où notre souci
de nous tenir dans l'opératoire plus que dans le thématique.)
Pour ce qui concerne l'œuvre d'E. Lévinas, nous l'avons libre-
ment lu en lui empruntant, et en lui appliquanC la notion de dia-
chronie qu'elle « thématise ». C'est dire que nous avons repéré des
moments intenables - cf. la tentation, malgré tout, d'un indémontra-
ble de type religieux -, qui seraient le signe du plus profond som-
meil si le dit de l'auteur s'y figeait, et qui dans leur excès nous
éveillent. Mais l'alternative entre trahison et fidélité au texte n'est-
elle pas court-circuitée? Etre fidèle au philosopher lévinassien, n'est-
ce pas être capable de se « réveiller », de se libérer... de sa philosophie
elle-même?

233
ALTER

Pour ce qui concerne les textes de M. Henry, la trahison - qui


se veut fidélité au courage du philosopher henrien - est radicale:
nous lisons diachroniquement le discours qui refuse toute ek-stase,
l'ek-stase par excellence, le temps.
La vie qui renaît sans cesse en moi, est sans inquiétude. Dès lors,
le texte qui en rend compte se donne à lire comme venant à bout
de toute inquiétude: nous lisons comme étant une non-donation ce
qui pour l'auteur est une donation absolue. Michel Henry réduit,
si l'on peut dire, l'ego transcendantal husserlien à la passivité, non
pas en radicalisant cette faine que déjà Husserl désignait, le Temps,
à la manière d'E. Lévinas; mais en la colmatant absolument. Là se
situe pour nous l'intenable, qui inquiète et éveille.
Excès d'immanence et excès de transcendance se rejoignent donc
en ce que le contenu intenable de ces philosophies - leur stérilité? -
fait leur fécondité même. Brisant le schème opératoire husserlien de
la «transcendance dans l'immanence », n'est-ce pas une phénomé-
nologie maïeutique qui se présente?

NOTES

(1) Saisir l'originaire, telle est en un sens la tâche que se sont donnée E.
Lévinas et M. Henry: dès lors, ils sont conduits vers l'ipséité, le soi. « Sans
doute n'éprouvons-nous le monde que sur le fond en nous de cette première
épreuve de soi qu'est la subjectivité absolue}) (M. Henry, in PS, p. 46) ; « le
savoir se fonde sur l'ipséité, il ne la constitue pas» (E. Lévinas, in EN, p. 39).
Le soi « est» ce qui précède tout monde et tout savoir du monde (dans les
mots henriens) ; le soi « est » ce qui précède tout Hre et tout savoir de l'Etre
(dans les mots lévinassiens). En effet, le soi est non ce qui est donné, mais
ce qui donne, il est cela même qui donne l'Etre et le logos en leur solidarité.
En un sens, E. Lévinas et M. Henry sont compagnons de route dans la re-
cherche d'un originaire gui ne peut être que le soi en son absolue simgula-
rité : l'ipséité .. Un tel soi ne se montre pas: il est en toute rigueur de termes
r
invisible; 1:1ichel Henry insis~e explicitement, mais cette idée est omnipré-
sente aUSSI chez E. Levmas; Il ne faut pas manquer de le remarquer. Le
soi est invisible parce qu'il précède et rend possible la lumière de l'Etre et
du logique; de l'espace aussi. Il n'est ni concept ni chose, parce qu'il donne
et savoir et monde: pris dans nul type de lumière, il ne se laisse ni mesurer
comme l'espace, ni compter; il ne se laisse prendre dans les rets d'aucun
logos. Du même mouvement, laissant la conscience déjà généralisante, et
l'objet (individuel, c'est-à-dire, déjà en un sens général, parce que pris dans

234

n
~ .....
i

Éveil et naissance

les concepts de la conscience), à leur inauthentique tête à tête, il est l'ab-


solument singulier qui les précède. Le singulier vraiment singulier, n'est
pas une unité que l'on puisse compter ou comparer; n'est pas une unité
interchangeable, comme l'on peut échanger la place des objets dans l'es-
pace; parce qu'absolument originaire, il n'est précédé par nul «fond» ou
horizon homogène et uniforme. L'exigence est commune, de penser l'im-
manence à soi de l'existence, dans des concepts d'immanence et de trans-
cendance phénoménologiquement débarrassés de toute connotation
spatiale; en ne cédant pas un pouce de terrain sur l'absoluité de la singu-
larité du soi, dont le nom chez l'un comme chez l'autre, est: «solitude ».
Etre soi, c'est être seul avec soi: telle est l'intuition partagée par E. Lévinas
et M. Henry. Si pour M. Henry, cela va de ... soi, on ne remarquera jamais
assez qu'E. Lévinas ne pense l'altérité d'Autrui que pour autant qu'il pense
le soi en sa solitude d'exister. Les deux notions, décisives en leur connexion,
de « soi» et de « rapport» passent au premier plan, il n'y a de soi, que dans
un ({ rapport à soi ». Pour reprendre une expression de Jean-Luc Marion, la
catégorie de la relation précède la catégorie de la substance, qui, dès lors,
se libère de l'entente traditionneUe de la notion de substance. Cette anté-
riorité du rapport, de la relation, sur le soi, n'est ni chronologique, ni logi-
que: elle est diachronie (E. Lévinas); elle est hors temps (M. Henry).
(2) On trouve un excellent exemple de la pratique de l'inversion de la mé-
thode dans la notion henrienne de naissance transcendantale. Le 16 mai 1992,
dans le cadre de la séance de clôture du colloque de phénoménologie et
d'herméneutique de la rue d'Ulm, Michel Henry a prononcé une conférence
intitulée «La Parole de Dieu)} (PD), où la notion de naissance passe au
premier plan: en un sens, Henry y caractérise la venue à soi du soi, non
certes comme une « venue au monde», mais comme la seule vraie naissance
gu'est la ({ naissance transcendantale ». La logique immanente henrienne est
sans faille. Naître en sa naissance transcendantale, c'est faire l'épreuve de l'au-
ta-affection; en refusant dès lors toute naissance mondaine, toute venue au
monde. La naissance transcendantale, du coup, est immémoriale, mais en
un sens exactement inversé par rapport à celui qu'E. Lévinas donne au
même terme. EUe est immémoriale, non pas parce que le temps serait ab-
solument le temps comme discontinuité irrécupérable, mais au contraire,
parce qu'elle est ce mouvement d'auto-affection sans transcendance aucune,
et donc hors les ek-stases du temps. Comme chez Lévinas, elle n'a pas de
cesse, elle est renaissance. Mais en un sens exactement opposé: elle n'a ja-
mais commencé; la vie est un passé absolu où rien n'est passé. Elle est
hors temps et hors mémoire. D'où ce paradoxe inouï: «l'oubli de la vie
donne accès à la vie et l'oubli de soi au soi. » Je suis né à moi-même, en
m'oubliant. .. Dans l'Essence de la manifestation, Michel Henry écrivait que
seul ce qui vient au monde naît et meurt; il écrit maintenant que seuls
« les fils ont une naissance, et que les choses dans le monde, ne font qu'ap-
paraître et disparaître ». L'analyse phénoménologique henrienne, en « inver-
sant », reconduit vers le sens authentique de la naissance, qui n'est
contradictoire que pour qui est ... venu au monde ...

235
ALTER

(3) A la naissance transcendantale du soi (M. Henry) s'oppose donc la nais-


sance latente du soi (E. Lévinas). Désignons rapidement ce qui fait l'essentiel
de cette opposition: pour ces deux auteurs, le soi naît en son rapport à soi,
en son œuvre d'exister qui est épreuve et passivité se retournant en liberté.
Mais les significations engagées dans ces notions par l'un et par l'autre,
s'opposent terme à terme. Pour M. Henry: Il n'y a de soi que dans l'affection
qui est auto-affection: en toutes les étapes du processus, l'essence ((( essence»
est un autre nom du soi), est là: elle se donne, elle se reçoit; eUe est ce
qui est donné et reçu. Il n'y a d'immanence que dans un rapport à soi; et
si c'est bien de la pure immanence qu'il s'agit, c'est qu'au fond, la relation
est première. Il y a une immanence du lien à lui-même, qui constitue les
deux termes mis en rapport, comme formant une unité (on leur donne le
même nom, parce qu'ils sont un dans leur mise en rapport. Il s'agit du
rapport de soi à soi). Que l'unité de la mise en rapport comme immanence,
« précède» la dualité des termes mis en rapport, voilà qui n'est contradic-
toire que pour qui calcule dans la lumière du monde; pour qui 'n'a pas
compris qu'être seul, vraiment seul, ce n'est pas être seul au monde, comme
une chose est seule lorsqu'on écarte les choses qui sont autour d'elles, mais
qu'être seul, c'est toujours être seul avec soi: et le avec, c'est-à-dire le rapport,
est premier; il constitue la solitude, c'est-à-dire le soi. Comment l'unité in-
terne du soi peut-elle être absolument originaire tout en mettant en jeu la
dualité d'un rapport? L'essence comme soi est mouvement, voilà ce qu'il
faut méditer. Mais, précisément, ce « mouvement est essentiellement possi-
ble comme non-objectif» (EM, p. 327). Le soi n'est pas l'unité morte de la
chose; il n'est pas simple « devenir soi-même» encore empreint des struc-
tures de la transcendance. Pour rendre compte de cette uni té primordiale
et vivante, mais nécessairement invisible (et insaisissable dans un discours
logique de la représentation), une notion: l'œuvre. Pour E. Lévinas, exister,
c'est être « encombré de soi », « enchaîné à soi» (cf. EE, p. 149 sqq.) : l'acti-
vité, la spontanéité du je, est toujours déjà doublée d'une passivité primor-
diale ; je me reçois comme un fardeau, je me souffre. Lévinas se donne les
moyens de penser ce paradoxe: je suis absolument lin, dans la dualité d'un
rapport originaire à moi-même: je me préexiste en un sens, si je me reçois;
et pourtant je ne me préexiste absolument pas si je ne suis rien d'autre que
l'encombrant bagage reçu. Cette structure paradoxale n'est pensable que si
l'on se tient en deçà de l'opposition entre activité et passivité, qu'eUe« court-
circuite» : il s'agit, pour reprendre les mots de Lévinas, d'une passivité plus
vieille que toute passivité. On perçoit l'homologie de structure entre le soi
henrien et le soi lévinassien. Il y a comme un « moment» henrien dans la
pensée lévinassienne du soi. Mais ce moment est « dépassé ») : si l'unité du
soi en son immanence est en un sens première - d'où partir sinon de ma
solitude puisque j'accuse un retard originaire sur la transcendance?- la
dualité de la séparation d'avec la transcendance l'est «plus encore », puis-
qu'elle me donne à moi même. L'articulation paradoxale qui permet de tenir
ensemble ces deux moments, chacun étant plus originaire que l'autre à sa
façon, n'est ni chronologique, ni de déduction, ni « Aufhebung ». Elle « est»
la naissance diachronique.

236
Éveil et naissance

(4) Pour E. Lévinas, donc, le temps n'est ni ce que je retiens, ni perte d'être
(comme le dit généralement la tradition philosophique). Il est ce qui donne
à être en se retirant: il est la fécondité qui abandonne l'instant engendré à
sa naissance, le laissant se poser en sa solitude. Dès lors, l'anarchie du passé
immémorial, n'est pas tant passé, qu'avenir: trouant l'Etre, le temps donne
à être, « ouvre)} à l'Etre. n est un vieiHir à rebours; irréversibilité qui n'est
pas mort mais naissance; « plus que le renouvellement de nos états d'âme,
de nos qualités, le temps est essentiellement une nouvelle naissance» (TA,
p. 88). Dans certains textes, Lévinas évoque la naissance, dans d'autres, la
maternité, dans d'autres encore, ]a paternité: différences d'accent; points
de vue portés sur la même naissance à soi: chacun est père, mère et nou-
veau-né. Il faudrait réfléchir plus avant sur le « déplacement» d'une « ca-
tégorie » à une autre: la maternité insiste sur ce qu'il y a de douleur et de
passivité; sur ce qu'il y a de perte dans l'épreuve de la naissance. Qu'E.
Lévinas explique la diachronie, la naissance, tantôt à partir du point de vue
maternel, tantôt à partir du point de vue du nouveau-né, exprime que je
suis toujours l'autre de !'aulre. Certes, si l'autre est l'autre, je ne puis me
mettre à sa place (précisément, notre relation n'est ni conceptuelle, ni spa-
tiale - on n'échange pas de place -, mais la temporalité même en son irré-
versibilité). Voilà ce que E. Lévinas nomme }' asymétrie: mais il y a une
symétrie dans ]' asymétrie (ce qu'on ne remarque guère). Ce qui est symé-
trique, c'est précisément l'asymétrie: voilà ce dont font l'expérience la mère
et l'enfant. La relation de la mère à l'enfant est exemplaire de toute relation
à l'autre, parce qu'exemplairement temporelle (il faudrait d'ailleurs préciser
le lien du «temporel» au caractère «éthique» qu'E. Lévinas donne à la
relation à autrui ... ). Ces descriptions seraient confrontées avec profit à celles
que M. Henry produit de la même relation (cf. PM, p. 71) : l'enfant et la
mère ne sont pas deux moi, n'ont pas de visage l'un pour l'autre. Que ce
même nœud soit le «soi» de ]a mère, de l'enfant, et d'abord de la vie,
n'est contradictoire que pour qui compte dans la lumière du monde ou de
la représentation, que pour qui est venue au monde ... L'idée de paternité,
quant à elle, exprime chez E. Lévinas, non certes une quelconque activité
mais le temps comme libération et avenir: mon fils est absolument autre,
je ne peux pouvoir sur lui, et pourtant il est le même: « ce n'est donc pas
selon la catégorie de la cause, mais selon la catégorie du père que se fait
la liberté et que s'accomplit le temps» (TA, p. 86). Etre soi, c'est être père,
mère, nouveau-né: la diachronie comme retard originaire est le passage
même du temps. Et si tout présent est déjà défait et pourtant posé par la
trace qui le précède, être soi, c'est naître sans cesse. Rappelons-nous la mé-
taphore de l'œuvre chez E. Lévinas, pour dire la manière dont le soi, en sa
torsion primordiale, sa «récurrence», se fait. Œuvre étrange, œuvre de Pé-
nélope, qui n'est pas mon œuvre comme un poème ou un objet fabriqué;
qui ne se laisse pas décrire par les catégories aristotéliciennes de la matière
et de la forme, dont la temporalité n'est pas celle de la puissance et de
l'acte. Œuvre qui, comme la tapisserie de Pénélope, se défait et du même
mouvement, renaît. «C'est peut-être cela aussi, le sens de la formule mys-
térieuse de Leibniz ilLe moi est inné à lui-même". Le "se" du se maintenir"
1/

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ALTER

ou du "se perdre" ou du "se retrouver", n'est pas un résultat, mais la matrice


même des relations ou des événements qu'expriment ces verbes pronomi-
naux. Et l'évocation de la maternité dans cette métaphore nous suggère le
sens propre du soi-même [... ] Passivité [... ] nouée dans un temps irrécupé-
rable que le présent [... ] n'égale pas, dans un temps de la naissance ou de
la création dont nature et créature gardent une trace, inconvertible en sou-
venir» (AE, p. 165).
(5) Si le telos de la donation évidente est inquiété, alors du même mouve-
ment la transparence du langage exigée par Husserl ne va plus de soi: la
lecture de M. Henry et d'E. Lévinas , nous apprend peut-être à nous départir
d'une certaine naïveté husserlienne concernant le langage. C'est pourquoi,
pour notre compte, nous nous sommes intéressés aux modalités du discours
de ces auteurs: à l'école d'une phénoménologie sans naïveté; à l'école d'une
phénoménologie de l'inquiétude?

PRINCIPALES ABRÉVIATIONS UTILISÉES

Textes d'Emmanuel Lévinas


TA : Le Temps et l'Autre, Fata Morgana, 1979.
EE: De l'existence à l'existant, 1947, Vrin, 1973.
Tl: Totalité et Infini, La Haye, Nijhoff, 1961.
HAH: Humanisme de l'autre homme, Fata Morgana, 1973.
AE : Autrement qu'être ou au-delà de l'essence, La Haye, Nijhoff, 1974.
DDQVI: De Dieu qui vient à l'idée, Vrin, 1982.
HS : Hors Sujet, Fata Morgana, 1987.
EN: Entre Nous, Grasset, 1991.

Textes de Michel Henry

EM: L'Essence de la manifestation, PUF, 1963, 2 e éd. (citée ici), 1990.


PM: Phénoménologie matérielle, PUF, 1990.
PS: Philosophie et subjectivité, in L'Univers philosophique, (UP), PUF,
1990.
PD: La Parole de Dieu, in Phénoménologie et Théologie, Critérion,
1993.

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Éveil et naissance

Autres textes
MDP: Marges de la philosophie, Minuit, de J. Derrida.
TTPF : Le Tournant théologique de la phénoménologie française, Combas,
L'Éc1at, 1991, de D. Janicaud.
CHEL : Cahier de l'Herne, Emmanuel Lévinas, Éd. de l'Herne, 1991.

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