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Bernard JOASSART

L'ACCUEIL RÉSERVÉ AUX ACTA SANCTORUM


À ROME EN 1643
En marge d'un anniversaire•

En 1643 sortaient des presses de Jean Van Meurs à Anvers deux


in-folio totalisant plus de 2500 pages et intitulés:
Acta Sanctorum
quotquot toto orbe coluntur, vela Catholicis Scriptoribus celebrantur,
Quae ex Latinis et Graecis, aliarumque gentium antiquis monumentis
collegit, digessit, Notis illustravit
IOANNES BOLLANDUS
Societatis lesu theologus,
Servata primigenia Scriptorum phrasi.
Operam et studium contulit
ÛODEFRIDUS HENSCHENIUS
eiusdem Societ. theologus.
Prodit nunc duobus Tamis
Januarius,
In quo MCLXX. nominatorum Sanctorum
& aliorum innumerabilium memoria,
vel res gestae illustrantur.
Ceteri menses ex ordine subsequentur.

1643: sans vouloir tomber dans le travers du fétichisme des dates,


et moins encore passer sous silence les travaux du précurseur que fut
Rosweyde, l'on peut considérer ce millésime non seulement comme le
point de départ d'une collection bien connue des historiens, mais aussi
comme la date de naissance de la Société des Bollandistes.

Le rappel d'une date importante dans l'existence d'une institution


peut se faire de différentes manières. L'une d'elles consiste à évoquer
le passé de cette institution. Dans le cas de la Société des Bollandistes,
quiconque désire en prendre connaissance, peut aisément satisfaire sa
curiosité. Les occasions de retracer ce passé - en tout ou en partie -
n'ont pas manqué, et ont donné lieu à diverses publications plus

• Je tiens à remercier vivement le P. Joseph De Cock, Archiviste adjoint de la


Compagnie de Jésus (Rome), et le P. Michel Hermans (Bruxelles) qui m'ont aidé à
préciser nombre de renseignements biographiques relatifs à plusieurs Jésuites.

Analecta Bollandiana, 111 (1993), p. 5-18


6 B.JOASSART

développées que de brefs aperçus d'encyclopédies , et fort heureuse-


ment encore accessibles de nos jours.
Mentionnons tout d'abord les biographies des Bollandistes in-
sérées ordinairement dans le premier volume des Acta Sanctorum
paru après leur décès, et, depuis une époque plus récente, dans le
fascicule des Analecta Bollandiana le plus proche de leur dies
obitust.
Certains membres de l'atelier bollandien entendirent proposer une
synthèse de l'histoire de l'œuvre. Déjà dans la Préface générale aux
Acta, rédigée sous forme de lettre adressée à Thomas Luytens, abbé
bénédictin de Liessies, et qui est en quelque sorte le «Discours de la
méthode» de la collection, Bolland rappela nombre d'éléments histo-
riques qui présidèrent à la naissance de l'œuvrez. En 1845, Joseph
Van Hecke plaça en tête du tome 7 du mois d'Octobre- le premier
volume des Acta édité depuis la restauration de la Société en 1837 -
une rétrospective du bollandisme3. Quelque trois quarts de siècle plus
tard, Hippolyte Delehaye retraça à son tour l'historique de l'œuvre à
l'occasion à la fois du troisième centenaire de la publication des Vitae
Patrum de Rosweyde (1615) et du deuxième centenaire de la mort de
Papebroch (t 1714)4. Répondant à la demande de savants préoccupés
par des problèmes de collaboration intellectuelle, Paul Peeters fit de

1 Si ces
biographies sont de précieuses sources pour 1'histoire du bollandisme, il est
à remarquer que nous n'en disposons pas pour tous les Bollandistes. La coutume, assez
strictement respectée, veut en effet que ne font l'objet d'un éloge écrit par un confrère,
que ceux qui sont décédés étant Bollandistes en charge. Plusieurs hagiographes qui tra-
vaillèrent aux Acta, parfois même pendant de nombreuses années mais sans y avoir été
appliqués jusqu'à leur mort, n'ont pas été présentés. Il faut également tenir compte de ce
que ces biographies sont d'ampleur et de valeur inégales.
2AASS, lan. t. 1, p. IX-LXII, passim.
3 De ratio ne univers a ope ris, in AASS, Oct. t. 7, p. 1-xxxv (signée des seules
initiales J. V. H.).
4 Cette histoire parut
tout d'abord en une série d'articles intitulés Les «Acta Sancto-
rum» des Bollandistes, in Études, 158 (1919), p. 660-668; 159 (1919), p. 190-207,441-
457, 692-714; 160 (1919), p. 163-189,444-458. Ces articles furent réunis en un volume
sous le titre À travers trois siècles. L'œuvre des Bollandistes. 1615-1915 (= Subs. hag.,
13A), Bruxelles, 1920. Une 2e éd. légèrement modifiée (quelques références furent
ajoutées par les éditeurs) et comprenant un guide bibliographique mis à jour, parut sous le
titre L'œuvre des Bollandistes à travers trois siècles, 1615-1915 (= Subs. hag., 13A2),
Bruxelles, 1959. Les renvois seront faits à cette seconde édition, la pl us accessible de
nos jours, citée DELEHAYE, L'œuvre ...
LES ACTA SANCTORUM À ROME EN 1643 7

même en 1941 dans deux communications lues devant l'Académie


royale de Belgique, et qui furent reprises en un volume 5 •
Signalons enfin quelques écrits plus restreints complétant ces
synthèses. Peu d'années avant ses deux leçons, le même Paul Peeters
avait déjà rappelé les cent années d'activité de la Société depuis sa re-
constitution6. Plus près de nous, en 1982, alors que l'atelier boHan-
dien fêtait conjointement les cent années de publication des Analecta
Bollandiana et les soixante ans de bollandisme de Baudouin de
Gaiffier et de François Halkin, les Pères Paul Devos et Florent van
Ommeslaeghe prononcèrent deux allocutions, certes destinées avant
tout à congratuler les deux jubilaires, mais qui, sous une forme plai-
sante, donnaient plus d'un renseignement sur l'évolution de la revue -et
plus généralement sur les travaux de la Société?. Enfin, en 1987, le
Père van Ommeslaeghe faisait écho aux 150 ans de «nouveau»
bollandismes.

Une autre manière de célébrer un anniversaire- bien qu'assez


proche de la précédente - est de dresser un bilan du travail accompli,
ou plus particulièrement, de voir comment ce travail fut reçu au fil du
temps. À propos du bollandisme, il n'est pas déplacé de dire que
malgré les vicissitudes de l'histoire, il fut largement apprécié. Dele-
haye n'écrivait-il pas dès les premières pages de son précis:
L'œuvre bollandienne n'a pas à se plaindre de n'avoir pas été louée selon
son mérite. Nous dirons même que sa réputation est un lourd héritage pour ses
continuateurs. Il est vrai qu'elle trouve parmi ses admirateurs une classe fort
nombreuse de gens qui se laissent volontiers impressionner par le chiffre

5 L'œuvre des Bollandistes. Mémoires de l'Académie royale de Belgique, Classe des


Lettres, 2e série, 39/4, Bruxelles, 1942. Cet ouvrage fut repris sous le même titre, et
accompagné d'une bio-bibliographique des PP. H. Delehaye et P. Peeters, dans la
collection des Subsidia hagiographica, 24a, Bruxelles, 1961.
6
Apr~s un si~cle. L'œuvre des Bollandistes de 1837 d 1937, in AB, 55 (1937), p. I·
XLIV.
7 Respectivement Cent ans d'Analecta et soixante ans de bollandisme. Allocution
de bienvenue, et Een eeuw Analecta en de Acta Sanctorum, in AB, 102 (1984), p. lll·XIl
et XIII-XVI.
8 Un jubilé: 150 ans de nouveau bollandisme, in AB, 105 (1987), p. 1-xn.
À ces écrits, on peut ajouter celui, déjà ancien, de J.-B. PITRA, Études sur la
collection des Actes des Saints par les RR. PP. Jésuites Bollandistes, précédées d'une
dissertation sur les anciennes collections hagiographiques, et suivies d'un recueil de
pièces inédites, Paris, 1850. Ce volume est assez précieux, car Pitra put disposer de
documents qui périrent dans l'incendie de la bibliothèque de l'Université catholique de
Louvain durant la Première guerre mondiale.
8 B.JOASSA RT

imposant et le poids des volumes, et qui ont pour les bollandistes une sorte de
respect superstitieu x: Sacrés ils sont... , on sait le reste.
Le seul suffrage que puisse ambitionne r un érudit, c'est celui de ses pairs
ou de ses maîtres, et de ce côté encore les hagiograph es n'ont pas été mal
partagés.9

Il y aurait lieu précisément de repérer, en suivant le rythme de pa-


rution des Acta, les réactions qui accueillirent les différents volumes.

Au sujet des volumes de Janvier, Delehaye souligne que «La pu-


blication provoqua dans le monde savant un véritable enthousiasme»
et que «De toutes parts arrivaient à Bollandus des lettres de félici-
tations ... »to. Mais qu'en fut-il des autorités romaines de la Com-
pagnie de Jésus? La question semble d'autant plus pertinente que,
menée par des Jésuites, l'entreprise dépendait en dernier ressort du Pré-
posé Général de l'Ordre et que, même autorisé par les Supérieurs, le
travail n'en avait pas moins commencé au milieu de réels handicaps et
dans une certaine ignorance de son ampleur, y compris dans le chef
de Bollandl1. De plus ces volumes paraissaient treize ans après que

9DELEHAYE, L'œuvre ... , p. 8.


IODELEHAYE, L'œuvre ... , p. 26.
11 Rappelons tout
d'abord que Rosweyde lui-même fut dès le début entravé dans ses
recherches: il avait à peine reçu l'autorisation de travailler à la publication des Vies de
saints, que son Provincial, Bernard Olivier, le nommait professeur de controverse au
collège de Saint-Omer; ce «retrait>> dura trois ans. Par la suite, il dut à nouveau s'ab-
senter pendant deux années pour remplacer un confrère au collège d'Anvers. Et si cer-
tains érudits du temps l'encouragèrent tant moralement que financièrement, tel Antoine
de Winghe, abbé de Liessies, d'autres furent plus réticents. Ce fut le cas de Bellarmin
qui se montra plus clairvoyant quant à la durée estimée nécessaire pour mener à bien le
travail (cf. la lettre qu'il adressa à Rosweyde le 7 mars 1608, publiée par J. Van Hecke
dans son De ratione universa ope ris, p. 1, et par CH. DE SMEDT, Les fondateurs du bol-
landisme, in Mélanges Godefroid Kurth, Liège, 1908, p. 297-298; à noter que De Smedt
commet une erreur en affirmant que cette lettre n'avait jamais été publiée, Van Hecke
l'ayant précisément éditée dans son De ratione).
Quant à Bolland, lorsqu'il fut autorisé à examiner la documentation laissée par
Rosweyde et à reprendre son œuvre, on lui confia d'autres ministères: on estimait que
ceux-ci lui laisseraient assez de temps libre pour se consacrer au travail scientifique!
Dans son éloge de Bolland, Papebroch précise que ni le Provincial, Jacques van der
Straeten, ni Bolland lui-même n'avaient pleine conscience de l'ampleur de la tâche (cf.
AASS, Mart. t. 1, § 20, p. 7). On sait la suite: l'appel d'Henschenius pour seconder
Bolland (en 1635), puis de Papebroch (en 1659). (À propos de ces débuts, cf. entre
autres le ch. 1er: L'œuvre. Héribert Rosweyde, le précurseur, et les premières pages du
ch. 2: Les ouvriers. De Bollandus à la suppression, in DELEHAYE, L'œuvre ... ,
respectivement p. 11-21 et 22 ss.).
LES ACTA SANCTORUM À ROME EN 1643 9

Bolland eut pris la relève de Rosweyde: le délai n'était-il pas


exagéré12 ?
La Bibliothèque des Bollandistes possède quelques lettres, dont
l'une du Général de la Compagnie lui-même, Mutius Vitelleschi 13 , qui
font précisément état des réactions de celui-ci lors de la publication
des Acta de Janvier. L'intérêt de ces lettres n'est d'ailleurs pas limité à
la seule appréciation de Vitelleschi. Elles témoignent également des
premières impressions recueillies dans certains milieux romains et de
l'attention que d'aucuns - savants ou personnages influents -
accordaient à l'œuvre.

La première lettre14, datée du 26 décembre 1643, fut adressée à


Bolland par le Père Guillaume Du Loroyls, longtemps attaché à
l'administration centrale de la Compagnie. Elle répondait à l'envoi par
l'hagiographe de huit exemplaires des volumes du mois de Janvier16 à
offrir en hommage à diverses personnalités.

12 À ce sujet, il faut se rappeler qu'en 1635, alors qu'il estimait les volumes de
Janvier prêts pour la publication, Bolland, à qui avait été adjoint Henschenius, demanda à
celui-ci de mettre en chantier les tomes du mois de Février. Henschenius commença par
le dossier de S. Vaast, et quand il le présenta à son aîné, ce dernier dut reconnaître la
valeur éminente de ce travail, supérieure à celle de sa propre production. Adoptant une
attitude de parfaite honnêteté intellectuelle, Bolland remit les dossiers de Janvier sur le
métier, «retardant>> ainsi la publication.
13Mutius Vitelleschi (1563-1645). Romain d'origine, il entra dans la Compagnie
en 1583. Ayant été successivement prédicateur, professeur de philosophie et de théo-
logie, Provincial de Naples et de Rome, puis Assistant* d'Italie, il fut élu Préposé Gé-
néral de la Compagnie le 15 novembre 1615 et la gouverna jusqu'à son décès. [Cf. C.
SoMMERVOGEL, Bibliothèque de la Compagnie de Jésus, Bruxelles-Paris, 6 (1898), col.
848-852, et la notice de L. KocH, Jesuiten-Lexikon. Die Gesellschaft Jesu einst und
jetzt, Paderborn, 1934, col. 1822-1823].
*Dans le langage de la Compagnie de l'époque, le terme d'«Assistant>> désigne un
Jésuite, conseiller du Préposé Général, chargé de faire le lien entre celui-ci et un groupe
de Provinces regroupées dans une entité géographique plus ou moins homogène. Un
Assistant n'est dès lors pas un supérieur ayant autorité sur les personnes ou les choses,
mais il dispose bien sûr d'un pouvoir moral.
14 Bibliothèque des Bollandistes, ms. 64, pièce 35.
15 Guillaume Du Loroy (1599-1657). Né à Bruxelles, il entra dans la Compagnie
en 1617, et «multis annis servivit Romae in secretaria Societatis>>, ainsi que le mentionne
la lettre mortuaire le concernant (cf. A. PoNCELET, Nécrologe des Jésuites de la province
Flandro-Belge, Wetteren,1931, p. 76).
16Ce qui, soulignons-le une fois pour toutes, représente matériellement 16 volumes.
10 B.JOASSART

Reverende17 in Christo Pater, Pax Christi.

Appulit huc integra et sa1va sarcina librorum a Reverentia Vestra missa


in qua reperi octo exemplaria libri sui Ianuarii. Gratulor Reverentiae Vestrae
iterum iterumque et socio Patri Godefrido Henschenio 18 , praeclarum sane opus
est, et immortale. Distributionem a Reverentia Vestra praescriptam conabor
observare quantum memoria teneo, nescio enim quo casu litteras illas Reve-
rentiae Vestrae amisi. Ostendit mihi litteras Reverentiae Vestrae ad se datas
Pater Pietra Santa19, quibus Reverentia Vestra quoque distributionem eandem
praescribit. Unum itaque Suae Sanctitati2°, quod curabo splendide ligari2 1,
offeret Pater Pietra Santa mecum, alterum Cardinali Barberino22 , quod etiam

17Excepté <<S.», toutes les abréviations ont été résolues.


18 Alors que toutes les lettres ici présentées sont adressées au seul Bolland, comme
s'il était l'unique auteur de l'ouvrage, il n'est pas sans intérêt de remarquer que Du Loroy
lui associe le nom d'Henschenius. Certes le nom de celui-ci apparaît sur la page de titre
du mois de Janvier, mais plus comme celui d'un «auxiliaire>> que celui d'un «Co-auteur>>,
alors qu'Henschenius avait activement participé à la réalisation de l'ouvrage.
19 Silvestro Pietra Santa (1590-1647). Né à Rome, il entra dans la Compagnie en
1608. Il fut notamment professeur de philosophie à Fermo, au temps où Pier Luigi Ca-
rafa y était gouverneur, et il accompagna celui-ci en tant que confesseur et théologien
lors de sa nonciature à Cologne (cf. note 30), y combattant le protestantisme par la plume
et par la parole. Rentré en Italie, il fut successivement recteur du collège de Lorette et
directeur de la Congrégation des Nobles à Rome. En 1643, Pietra Santa était biblio-
thécaire de la Maison Professe de Rome. [Cf. SoMMERVOGEL, Bibliothèque ... , 6 (1895),
col. 737-742, et la notice de J. P. ÜRAUSEM, in Dictionnaire de théologie catholique, 12
(1933), col. 1351-1352].
20Urbain VIII (Maffeo Barberini) (1568-1644), élu Pape en 1623, et à qui, après le
Christ, était précisément dédié l'ensemble des Acta (cf. le texte de la dédicace, tout au
début du tome 1er de Janvier [sans pagination], qui commence par ces mots: «Sancto
Sanctorum Iesu Christo Pontifici Aeterno, eiusque inter mortales Vicario Urbano VIII.
Romano Pontifici>>; cette dédicace générale au Pape de l'époque est d'ailleurs précisée
dans la dédicace du tome 2 de Janvier [sans pagination] par ces mots: <<Opus universum
de Sanctis cui dicarem, nisi Sanctissimo Patri Urbano ... ?>>).
21 Cf. note 23.
22 Bien que Du Loroy ne précise pas son prénom, le Cardinal Barberini ici men-
tionné est à coup sûr Francesco Barberini (1597-1679), dit il Seniore, à qui était dédié le
tome 2 de Janvier (cf. la dédicace [sans pagination] en tête du volume, commençant par
ces mots: «Eminentissimo Principi Francisco Barberino S. R. E. Cardinali Vicecan-
cellario>>). Neveu d'Urbain VIII et créé cardinal par son oncle en 1623, ce Francesco
Barberini vit les honneurs s'accumuler sur lui: il fut notamment cardinal-évêque d'Ostie,
et vice-chancelier de l'Église. Grand mécène et bibliophile averti, il fut Cardinal Biblio-
thécaire de l'Église de 1626 à 1633 (avant d'être remplacé dans cette charge par son
oncle Antonio Barberini [1569-1646], dit il Seniore, capucin et frère d'Urbain VIII, créé
cardinal en 1624), et contribua fortement à l'accroissement de la bibliothèque Barberine
qui demeura propriété de la famille des Barberini jusqu'en 1902. [Cf. la notice d'A.
MEROLA. in Dizionario biografico degli ltaliani, 6 (1964), p. 172-176].
LES ACTA SANCTORUM À ROME EN 1643 11

curabo ligari prout ipsius solent23, loco Cardinalis Antonii 24 qui hinc abest et
Bononiam profectus <est>, rebusque bellicis occupatur, decrevimus tertium
offerre Cardinali nostro de Lugo 25 [note marginale: Cui Provincia nostra
Flandrobelgica multum debet, et porro debebit]; quartum Patri Nostro 26 iam
ligatum heri27 obtuli no mine Reverentiae Vestrae [note marginale: quod
bibliothecae nostrae Domus Professae 28 cedet], cui gratissimum opus accidit,
curiosiusque in praesentia mea lustravit et inspexit, aitque se anhelare ad alios

23 À propos des exemplaires offerts à Urbain VIII et à Francesco Barberini, que Du


Loroy se proposait de faire relier de manière particulière, il paraissait intéressant de
savoir si la Bibliothèque Vaticane possède toujours ces volumes. La Bibliothèque Vati-
cane dispose actuellement de quatre exemplaires du 1er volume de Janvier des Acta,
cotés Agiografia 1 Bollandisti 1 [Januarius 1], Barb. U.II.2, Mai XI.A.XI.I (avec la
marque Bibl. S. Pud. Urb.), et Chigi 1.487 (ces deux derniers n'entrant évidemment pas
en ligne de compte). L'examen des deux premiers exemplaires, qui sont certes reliés de
parchemin blanc - mais non de manière spéciale - et qui ne portent aucune marque
particulière, ne permet pas de conclure qu'il s'agit ou non des volumes offerts, au nom de
Bolland, au Pape et à son neveu. - Ces renseignements m'ont été très aimablement
transmis par le Professeur Paolo Vian, de la Bibliothèque Vaticane, à qui j'exprime toute
ma gratitude pour ses patientes recherches.
24L'allusion à la ville de Bologne et aux faits de guerre dans la région, permet de
dire qu'il s'agit d'Antonio Barberini (1607-1671), dit il Giovane (à ne pas confondre avec
son oncle du même prénom, il Seniore, mentionné dans la note 22). Neveu d'Urbain VIII
et frère de Francesco (cf. note 22), il fut créé cardinal en 1627, occupa de nombreuses et
importantes fonctions dans l'administration et la diplomatie pontificales - il fut
notamment légat à Bologne- et devint l'une des personnalités les plus en vue du Saint-
Office. [Cf. la notice d'A. MEROLA, in Dizionario biografico degli /taliani, 6 (1964),
p. 166-170].
25 Juan de Lugo (1583-1660). Né à Madrid et entré dans la Compagnie en 1603, il
enseigna durant dix ans la philosophie et la théologie à Valladolid, puis pendant 20 ans la
théologie au Collège romain (l'actuelle Université grégorienne). Il fut un maître de la
théologie scolastique moderne. Urbain VIII qui l'admirait beaucoup le créa cardinal in
pello, au titre de Saint-Étienne du Mont-Célius, Je 13 juillet 1643, et le déclara telle 14
décembre de la même année, soit 12 jours avant la date de la lettre de Du Loroy. Cette
dignité ne J'empêcha pas de mener une vie des plus simples. Ayant dû renoncer à l'en-
seignement, il continua cependant à publier des ouvrages de théologie. [Cf. SoMMER·
VOGEL, Bibliothèque ... , 5 (1894), col. 176-180, et la notice de P. BERNARD, in Dictionnaire
de théologie catholique, 9 (1926), col. 1071-1072].
26 Soit Vitelleschi. Dans le langage de la Compagnie, l'expression «Notre Père»
désigne en fait S. Ignace de Loyola, fondateur et premier Préposé Général de l'Ordre; par
extension, elle est souvent appliquée à ses successeurs.
27 C'est donc Je jour de Noi\1 que le Général reçut son exemplaire, de même
d'ailleurs que l'Assistant de Germanie (cf. infra).
28Dans le langage de la Compagnie, J'expression «Maison Professe» désigne une
résidence dont les membres sont essentiellement adonnés aux ministères spirituels et qui
- à la différence des <<collèges» et des maisons de formation - ne peut avoir de re-
venus fixes. Le supérieur d'une telle résidence porte le titre de «Préposé>>.
12 B.JOASSART

tomos et menses. Quintum Reverendo Patri Assistenti Germaniae29 nomine


Reverentiae Vestrae heri quoque obtuli. Sextum dedi Patri Pietra Santa pro
Illustrissimo Domino Caraffa 30 , de duobus reliquis sequar distributionem Re-
verentiae Vestrae. Unum nempe domui ubi Pater Beatillus 31 Neapoli
habitavit, de altero dubito an Reverendo Patri Assistenti Italiae 3 2 cupiat
offerri, ita enim habetur in litteris ad Patrem Silvestrum3 3, quas sequar, sed
prius decrevi exspectare litteras Reverentiae Vestrae de hoc ultimo.
Pater Ioannes Casimirus 34 hac hebdomade mendicavit 35 denuo per Urbem,
cumque a quodam pistore forte dignosceretur, oneratus adeo ab eo fuit

29Walter Mundbrodt (ou Mundbrot) (1576-1645). Né dans le canton de Thur-


govie, il entra dans la Compagnie en 1592 ou 1593. Il fut professeur de grammaire et de
philosophie à Ingolstadt, puis de théologie à Dillingen, recteur des maisons d'Ingolstadt et
de Munich, et deux fois Provincial de Germanie Supérieure, de 1624 à 1631 et de 1634 à
1636. Il fut nommé Assistant de Germanie en 1636. [Cf. SoMMERVOGEL, Bibliothèque ... ,
5 (1894), col. 1402-1404].
30 Pier Luigi Carafa (1581-1655).
Napolitain d'origine et docteur en droit de sa
ville natale, il entra dans l'administration pontificale en 1614, et fut entre autres gouver-
neur de Fermo où il connut S. Pietra Santa qui y enseignait la philosophie. Nommé
évêque de Tricarico en 1624, il fut envoyé cette même année comme Nonce apostolique
à Cologne, où il partit avec Pietra Santa (cf. note 19) ayant pour instructions de visiter la
Basse Germanie et d'y faire appliquer les décrets du Concile de Trente. Il favorisa les
Jésuites en leur faisant attribuer les biens de certaines abbayes, de manière à ce qu'ils
puissent doter leurs collèges où se dispensait un enseignement de première importance
pour la réforme catholique. De retour dans son diocèse en 1634, il renonça à celui-ci lors
de sa promotion au cardinalat en 1645, devint légat à Bologne puis préfet de la Congré-
gation du Concile. Décédé en 1655, il fut inhumé dans l'église du Gesù. [Cf. la notice
de M. RAFFAELI CAMMAROTA, in Dizionario biografico deg/i ltaliani, 19 (1976), p. 596-
599].
3! Antonio Beatillo (1570-1642), Jésuite originaire de Bari. Historien et hagio-
graphe, il entra dans la Compagnie en 1588 et fut successivement professeur d'huma-
nités, d'hébreu et d'Écriture Sainte, puis appliqué à la prédication et recteur des collèges
de Trop:ea et de Barletta. [Cf. SoMMERVOGEL, Bibliothèque ... , 1 (1890), col. 1071-1073,
et la notice d'A. PETRUCCI, in Dizionario biografico degli ltaliani, 7 (1965), p. 340-342].
On comprend qu'un exemplaire des Acta ait été envoyé à la maison des Jésuites de
Naples, où était décédé Beatillo, celui-ci ayant fourni aux premiers Bollandistes
plusieurs transcriptions de textes hagiographiques (à ce propos, cf. le détail dans le vol.
cité de SoMMERVOGEL, col. 1073, n° 6). Dans l'introduction au mois de Janvier, Bolland
cite explicitement Beatillo parmi les «Alii adiutores ex omni ordine>> (cf. Act. SS., Jan. t.
[,p. XLII).
32 Carlo
Sangro (1568-1655). Né à Naples, il entra dans la Compagnie en 1583. Il
fut de nombreuses années appliqué au gouvernement de la Compagnie: Provincial de
Venise (1610-1614) et de Milan (1624-1628), deux fois Provincial de Rome (1617-1619 et
1629-1631) et de Naples (1619-1623 et 1633-1637), Assistant d'Italie (1638-1646) et
Vicaire Général de la Compagnie (1645-1646).
33 = Pietra Santa.
34 Jean Casimir Vasa (1609-1668).
Appartenant à la famille des Vasa, il entra
dans la Compagnie en 1643 et la quitta en 1645. Devenu cardinal en 1647, il fut sécu-
larisé en 1648 pour succéder à son frère Sigismond Ill, sous le nom de Jean II Casimir
LES ACTA SANCTORUM ÀROMEEN 1643 13

panibus, ut non esset <par> ferendo, adeoque illos pauperibus coactus fuerit
distribuere. Deinde ad Aulam progressus stipem emendicaturus, a quodam
famulo Cardinalis Barberini, studio, uti opinio est, asperioribus verbis
exceptus et dimissus, deinde revocatus denuo a Cardinali accepit aureum
numisma sive nummum magnitudinis instar volae manus. Cardinalis de Lugo
hactenus domi nostrae manet in quarterio Cardinalis ibique solitas visitationes
admittit. In publicis novi nihil est. His me Sanctis Sacrificiis et precibus
Reverentiae Vestrae commendo. Romae 26. decembris 1643.
Reverentiae Vestrae Servus in Christo.
Guilielmus Du Loroy.

Pre cor Reverentiae Vestrae felicissimum anni auspicium.

Salutem plurimam Reverendo Patri Praeposito 36 <,>Patri ab Hees 37 , Patri


Henschenio etc.

Hodie nova exactio vulgata hic fuit in singulas familias scuta quatuor.

Prodiit Dictionarium Copticum Patris Athanasii KircherP 8 , cupitne Reverentia


Vestra aliquod exemplar sibi coemi.

ou Casimir IV, comme roi de Pologne. Dernier représentant de la famille Vasa sur le
trône polonais, il mourut en 1668, peu après avoir abdiqué.
35La mendication est un des <<expériments>> que les Jésuites sont tenus d'accomplir
au cours de leur noviciat.
36Conrad de Grave (1600-1652). Né à Ath en 1600 et entré dans la Compagnie en
1621. Il fut Préposé de la Maison Professe d'Anvers de 1643 à 1646. [Cf. PoNCELET,
Nécrologe ... , p. 69].
37François van Hees (1588-1656). Né à Maastricht et entré dans la Compagnie en
1607, il fut appliqué à la Maison Professe d'Anvers à partir de 1643 et en devint le Pré-
posé en 1646 jusqu'en 1653. [Cf. SoMMERVOGEL, Bibliothèque ... , 4 (1893), col. 205. [Cf.
PoNCELET, Nécrologe .... p. 75].
3 8 Athanase Kircher (1601 ou 1602-1680). Né à Geisen (près de Fulda), il entra
dans la Compagnie en 1618. Il se révéla un esprit encyclopédique, particulièrement
versé tant en sciences mathématiques qu'en orientalisme- en témoignent les nombreux
ouvrages de sa bibliographie. Il fut en outre un inventeur fécond, mettant au point une
lanterne magique, ancêtre des appareils de projection lumineuse, un pantomètre, un
orgue mathématique, un procédé d'écriture universelle, une machine à écrire, etc. [Cf.
SOMMERYOGEL, Bibliothèque ... , 4 (1893), col. 1046-1077, et la notice de F. KRAFFT, in
Neue Deutsche Biographie, Il (1977), p. 641-645].
Kircher fut l'un des premiers à étudier la langue copte. En 1636, il avait publié un
premier ouvrage, le Prodromus coptus sive k:gyptiacus ... (cf. le vol. cité de SoMMER·
YOGEL, col. 1047, 3), et en 1643, un second livre, intitulé Lingua k:gyptiaca restituta ...
(cf. le vol. cité de SoMMERYOGEL, col. 1049, 7). C'est plus que vraisemblablement à ce
dernier volume que Du Loray fait allusion. Il ne semble pas que les Bollandistes aient
acquis cet ouvrage, ce qui se comprend aisément puisqu'à l'époque l'équipe bollandienne
- composée des seuls Bolland et Henschenius - ne comptait pas d'orientaliste. En tout
cas, le catalogue alphabétique de la bibliothèque des <<anciens>> Bollandistes - l'Index
Auctorum qui sunt in Museo Scriptorum Societatis lesu Antverpiae- en 2 volumes (A-
K/L-Z) (mss 20 et 21 de l'actuelle bibliothèque des Bollandistes), établi peu avant la
14 B.JOASSA RT

Le jugement de Du Loroy est particulièr ement flatteur: «prae-


clarum sane opus est, et immortale ». Remarquo ns également la
qualité des bénéficiaires de son ouvrage. En plus du Pape, il s'agit de
«puissants» appartenant à la Curie romaine, qui - tel Carafa - ont
parfois rendu d'importants services à la Compagnie, ainsi que de hauts
responsables de la Compagnie. Mais on devine également une réelle
délicatesse de la part de Bolland: Beatillo l'a aidé dans ses recherches;
s'il est décédé, sa résidence recevra son exemplaire.
Laissons pour l'instant la réaction du général Vitelleschi, faite
d'une sincère admiration que nous retrouverons dans les documents
suivants.
Détail piquant: Du Loroy avoue avoir égaré la lettre de Bolland
lui indiquant comment répartir les huit exemplaires envoyés à Rome.
Fort heureusem ent, et sans doute guidé par une saine prudence,
Bolland avait également confié ses instructions à un autre confrère de
Rome, le Père Silvestre Pietra Santa déjà rencontré39. Le même jour
que Du Loroy, Pietra Santa transmettait à Bolland les premières im-
pressions romaines ressenties à l'arrivée des premiers volumes des
Acta4o. Même enthousias me général, y compris de la part de Vi-
telleschi, à propos d'une œuvre que le Cardinal Barberini va jusqu'à
comparer aux Annales de Baronius.
Reverende in Christo Pater, Pax Christi.
Opportune huc Romam advectus est Januarius Reverentiae Vestrae ut
possit Pontifici, et Cardinali Barberino offerri ipsis Calendis Ianuariis, aut
saltem statim ineunte mense. Plaudunt omnes operi magno; de quo mihi ali-
quando dixit Cardinalis Barberinus, illud non minus fore utile Orbi Christiano
atque Ecclesiae Dei, ac fuerint Annales Cardinalis Baronii. Heri Admodum
Reverend us Pater N oster Generalis cum hilari plausu mihi et aliis ambo ea vo-
lumina plusquam iustae molis ostendebat: dum ferias natalicias ei faustas
precaremur : et tum occasio mihi iucunda obvenit commemor andi, quae debui
de meo Patre Bollando: feram ipse ad Pontificem et ad Cardinalem Barbe-
rinum; sed cum venia Patris Du Lo Roy, ut testis esse possit legationis meae,
qua fungar pro Reverentia Vestra. Distributio exemplariu m fiet, iuxta vo-

suppression de la Société, ne mentionne pas dans le vol. l, sous le nom de Kircher,


f" 403 r0 , J'ouvrage de 1643, non plus d'ailleurs que celui de 1636.
39 Du Loroy
ne pouvant donner de précisions à propos des circonstances dans les-
quelles il perdit la missive de Bolland, on peut s'interroger sur la justification de ce
double envoi. L'hagiographe avait-il quelque soupçon sur les éventuelles distractions de
son correspondant? Ce n'est pas à exclure. Mais il n'est pas moins probable qu'en ce
temps de guerre (celle de Trente Ans) Bolland ait voulu parer à toute éventualité de perte
de courrier.
4 0Bibliothèque
des Bollandistes, ms. 64, pièce 36.
LES ACTA SANCTORUM À ROME EN 1643 15

luntatem Reverentiae Vestrae collatis litteris eius datis, tum ad Patrem Du lo


Roy, tum ad me, pro ea distributione facienda. Utinam hic liber sit prodromus
adventus Reverentiae Vestrae in Italiam: ita opto, et Reverentiae Vestrae me
offerens sincerissime precor ut memor mei sit in Sanctis Sacrificiis suis.
Romae 26. decembris 1643.
Reverentiae Vestrae Servus in Christo
Silvester Petra Santa.

Pietra Santa terminait sa missive en exprimant le vif désir que


Bolland vînt à Rome. Il reviendra sur ce souhait un mois plus tard-
le 23 janvier 1644 - en rendant compte à Bolland de son entrevue
avec Barberini au cours de laquelle il lui remit le volume des Acta4t.

Reverende in Christo Pater, Pax Christi.


Scribet fusius Reverentiae Vestrae Pater Gulielmus Du Lo Roy, quam
grato animo ac cultu heri Cardinalis Barberinus acceptaverit lanuarium Reve-
rentiae Vestrae et quot elogiis opus inchoatum sit prosecutus. In Aula plurimi
Praesules et Viri primarii laborem tarn gloriosum commendarunt: optant vero
cuncti Reverentiae Vestrae dies Nestoris, et Ulyssis peregrinationes. Certe
Cardinalis Barberinus hoc deintegro velit: et dixi ego me iam scripsisse,
optare me, ut Januarius iam editus et huc transmissus, sit prodromus adventus
Reverentiae Vestrae in Italiam et in hanc Urbem nostram. Utinam, Utinam.
Pater Joannes Rho 4 2 salutat amantissime Reverentiam Vestram et rogat, ut si
istuc perferentur (sic) aliqua exemplaria Vindiciarum4 3 eius contra Abbatem
Constantinum, seu contra vanissimum eius Enneconem44, velit curare ut distra-

41 Bibliothèque des Bollandistes, ms. 64, pièce 37.


4 2Giovanni Rho (1590-1662). D'origine milanaise, il entra dans la Compagnie en
1604. Professeur de rhétorique à Milan, il se distingua plus tard par son éloquence, et
resta prédicateur pendant 37 ans, occupant les plus illustres chaires d'Italie (Milan, Flo-
rence, Rome, Naples et Venise). À la fin de sa vie, il fut nommé Préposé successi-
vement de la Maison Professe de Milan, puis de celle de Rome, et enfin devint Pro-
vincial de Milan et de Naples. [Cf. SoMMERVOGEL, Bibliothèque ... , 6 (1895), col. 1711-
1718 et la notice d'A. GUIDETTI, in Dictionnaire de spiritualité, 13 (1988), col. 521-523].
43 Cf. la note suivante.
44 Costantino Caetani (ou Cajetan, Gaetani) (1560-1650). Né à Syracuse, il
entra au monastère bénédictin de San Nicolo d'Arena en 1586, et fut abbé de San Ba-
rontio (diocèse de Pistoie) et prieur de Santa Maria Latina (Sicile). Fondateur du Colle-
gium Gregorianum domus S. Benedicti in Urbe, établissement reconnu officiellement par
une bulle de Grégoire XV du 18 mai 1621 et destiné à être à la fois un lieu d'accueil pour
les Bénédictins de passage à Rome et un centre de formation solide pour les jeunes
prêtres, Gaetani consacra toute sa vie aux travaux d'érudition, occupant une position pri-
vilégiée à la Bibliothèque Vaticane grâce à son oncle Baronius. n eut une abondante
production littéraire à l'érudition souvent plus vaste que sûre. En 1641 il publia à Venise
son De Religiosa S. lgnatii sive S. Enneconis,fundatoris societatis Je su, per patres Bene-
16 B.JOASSART

hantur per utriusque Provinciae Belgicae Collegia. Idem Pater Joannes Rho
offert vitam S. Lidani Abbatis a se scriptam Italice4s, comprehensam quatuor
solum quaternionibus46 ; ac vitas etiam S. Alexii47 ac S. Bonifacii48 seu acta
eorum manuscritta (sic), eruta ex vetustissimo S. Caeciliae Archivio. Boni
consulat, meique sit memor in Sanctis Sacrificiis suis. Romae 23. Ianuarii
1641.
Reverentiae Vestrae Servus in Christo
Silvester Petra Santa.

Revenons maintenant à l'appréciation du Père Vitelleschi. Selon


les témoignages de Du Leroy et de Pietra Santa, le Général avait,
comme beaucoup, manifesté son admiration pour la publication de
Bolland. Du Lorcy précisait même que le Général qui avait
«feuilleté» l'ouvrage «attendait la suite avec impatience». Ce n'est
toutefois que le 12 mars 164449 - soit près de trois mois après
l'arrivée de l'ouvrage à Rome - , et «à l'occasion» d'une autre cir-
constance - l'envoi par Bolland de ses «lettres de charge» - , que le
Général adressa personnellemen t ses remerciements et ses éloges à
l'hagiographeso . Faut-il voir un manque d'intérêt de la part de Vi-
telleschi dans ce «retard» - tout relatif - et dans le fait d'avoir

dictinos institutione, de que libello exercitiorum ejusdem ab exercitatorio venerabilis


servi Dei Garciae Cisnerii, abbatis Benedictini, magna ex parte desumpto Constantini
abbatis Caietani (2 vol.). À cette œuvre qui soutenait que S. Ignace n'était pas l'auteur
des Exercices mais qu'il en avait repris la majeure partie à Cisneros, Rho répliqua vive-
ment- en laissant croire que Cajetan, âgé, n'était pas l'auteur du livre - dans son Ad
D. Constantinum Caietanum Monachum Cassinatem, et S. Baronti Abbatem V. C. ad-
versus ineptias, et malignitatem libelli pseudo-constantiniani, de Sancti lgnatii institutione
atque Exercitiis (Lyon, 1644). [Cf. la notice de PH. ScHMrrz, in Dictionnaire d'histoire et
de géographie ecclésiastiques, 11 (1939), col. 146-147].
45 Vita diS. Lidano,
abbate benedettino, protettore della città di Sezza, Rome, 1641.
46Note marginale de la main de Bolland: <<S. Lidanus 2 Jul.».
47Note marginale de la main de Bolland: <<S. Alexius 17 Julii».
48Note marginale de la main de Bolland: <<S. Bonifacii>>.
49Bibliothèque des Bollandistes, ms. 66, pièce 11.
50 À propos
des <<lettres de charge>>: chaque supérieur de maison de la Compagnie
est assisté, dans son office, de quatre religieux - appelés <<consulteurs>> - qui doivent
chaque année transmettre individuellement au Général un rapport - les <<lettres de
charge>> - dans lequel ils rendent compte de la bonne ou mauvaise marche de leur
communauté.
Bien que cette circonstance ne soit pas explicitement mentionnée dans la lettre de
Vitelleschi, il est fort possible qu'elle soit à l'origine de la missive du Général. Cela peut
se déduire du fait que le Général remercie Bolland - qui était consulteur de la maison
d'Anvers - pour la lettre qu'il lui a envoyée, et de ce qu'il signale à l'hagiographe avoir
reçu des lettres de deux autres membres de la communauté, eux aussi consulteurs, Jan
de Beer et Micha~l de Gryze (cf. infra).
LES ACTA SANCTORUM À ROME EN 1643 17

«profité» d'une «occasion»? On aurait d'autant plus de peine à le


croire que les lettres précédentes ont montré à suffisance la haute
estime de Vitelleschi, et que dans sa missive du 12 mars, celui-ci use
d'une expressio1;1 imagée particulièrement laudative - «opus plane
dignum cedro» - qui n'est pas sans rappeler le qualificatif «im-
mortale» employé par Du Loroy51.

Reverende in Christo Pater, Pax Christi.


Bene me instruxit de statu Domus Reverentia Vestra. Quae aliunde cu-
randa admonet iam cœpi admovere medicinae, et reliqua Deo dante prosequar.
Gratias ago hac occasione Reverentiae Vestrae summas de lanuario suo non
ita pridem donato mihi Reverentiae Vestrae nomine. Opus plane dignum
cedro, et ad quod maturius pertexendum stimularem ego industriam Reve-
rentiae Vestrae nisi crederem me, quod aiunt, currentem incitare. Laborum
merces erit ipse Deus magna nimissz. Accepi etiam isthinc litteras Patris
loannis de Beer5 3, et Patris Michaëlis Grisii54 • Reveremia Vestra p1urimam
salutem iisdem ex me rependat. Omnium Sanctis Sacrificiis atque precibus
me impense commendo. Romae 12. Martii 1644.
Reverentiae Vestrae Servus in Christo.
Mutius Vitellesciusss.

L'éloge était certes bref, mais il ne pouvait que stimuler Bolland


dans la poursuite de ses travaux.
Dans l'immédiat d'ailleurs, avec la collaboration du fidèle
Henschenius, il s'était attelé à la préparation des volumes du mois de
Février, qui parurent en 1658. Eux aussi furent couverts d'éloges. Le
Pape Alexandre VII, qui avait été en contact épistolaire avec Bolland

SI Ce qui pourrait sembler un manque d'intérêt de la part du Général, est parfaite-


ment compréhensible dans la mesure où, sachant que Bolland devait lui envoyer ses
lettres de charge, Vitelleschi pouvait présager que le savant y ferait allusion à ses recher-
ches; le Général attendait dès lors cette «occasion>> pour lui adresser ses félicitations.
szcf. Gen. 15, 1.
53 Jan de Beer, dit «Ursinus» (1589-1662). Originaire de Gand et entré
dans la
Compagnie en 1605, il fut attaché à la Maison Professe d'Anvers en 1631 comme prédi-
cateur, et ne la quitta plus jusqu'à son décès. [Cf. A. PoNCELET, Nécrologe ... , p. 82].
54 Michaël de Gryze (1596-1651). Né à Anvers, il entra dans la Compagnie en

1614. Il fut un éminent prédicateur. [Cf. SoMMERVOGEL, Bibliothèque ... , 3 (1892), col.
1896].
55 Seule la signature est de la main du Général. Si l'on compare matériellement

cette lettre avec celle de Du Loroy, on remarque que c'est de toute évidence ce dernier
qui écrivit la missive de Vitelleschi. Il est possible que le scribe ait proposé à son Supé-
rieur telle formulation, ce qui n'exclut pas que Vitelleschi lui-même ait composé la
lettre.
18 B.JOASSART

lors de sa nonciature (de 1639-1651) à Cologne, et à qui étaient dé-


diés ces nouveaux ouvrages, le manda à Rome5 6 • Le Pontife relayait
ainsi le désir exprimé par Pietra Santa quelque quinze années aupa-
ravant. Cependant le savant austère et tranquille déclina l'invitation en
raison de sa santé. Henschenius et le tout jeune collaborateur qui
venait de rejoindre la première équipe bollandienne - Daniel Pape-
broch - furent ses «ambassadeurs»57 dans la Ville éternelle dont tant
d'illustres représentants avaient loué son entreprise.

B. JOASSART

Summary. The first two volumes of the Acta Sanctorum appeared 350 years
ago in 1643. After a survey of various accounts of the Bollandists' work, the
article deals with letters which were written by Jesuits living at Rome at the
time and which reflect the initial reactions in Roman circles to the appearance
of the Acta Sanctorum.

56
Cf. la lettre d'invitation d'Alexandre VII reproduite dans l'éloge de Bolland in Act.
SS., Mart. t. 1, p. xv.
57
Les deux savants inauguraient ainsi - ou plutôt perpétuaient ce que Rosweyde
avait déjà lui-même accompli en son temps - l'une des nombreuses traditions de l'ate-
lier bollandien que sont les voyages scientifiques destinés à récolter des matériaux en vue
de la préparation des dossiers des Acta. Le voyage des deux hommes dura plus de deux
ans (de juillet 1660 à décembre 1662), les menant à Rome par l'Allemagne et les
ramenant à Anvers par la France. Cela nous a valu deux des témoignages les plus pré-
cieux de l'histoire bollandienne: le Diarium Itineris Romani tenu par Papebroch (mss 971
et 972 de la Bibliothèque des Bollandistes), ainsi que les lettres adressées par Hensche-
nius à Bolland au cours de leur périple (ms. 7761 de la Bibliothèque royale de Bruxelles)
(au sujet de ce voyage romain, cf. DELEHAYE, L'œuvre ... , p. 50-60).

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