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INTRODUCTION AU DROIT II : LES DROITS SUBJECTIFS

Année universitaire 2016-2017


Collège juridique franco-roumain d’études européennes
Cours de M. PAYAN

PARTIE 2. LES DROITS SUBJECTIFS

TITRE 1 : SUJETS DE DROIT ET DROITS EXTRAPATRIMONIAUX


(par C. Quement)

TITRE 2 : LES SOURCES DES DROITS SUBJECTIFS

Chapitre 1. L’acte juridique


Paragraphe 1. Les actes juridiques unilatéraux
Paragraphe 2. Les actes juridiques conventionnels

Chapitre 2. Le fait juridique


Paragraphe 1. Les faits juridiques volontaires
Paragraphe 2. Les faits juridiques involontaires

TITRE 3. LES PRINCIPALES CATEGORIES DE DROITS SUBJECTIFS

Chapitre 1. Les droits personnels : L’exemple du droit à obtenir réparation d’un préjudice
Paragraphe 1. Un dommage
A. Les caractères que doit revêtir un dommage pour être réparable
B. Les différents types de dommages réparables
Paragraphe 2. Un fait générateur
A. Le fait personnel
B. Le fait d’autrui
C. Le fait des choses
Paragraphe 3. Un lien de causalité

Chapitre 2. Les droits réels : l’exemple du droit de propriété


Paragraphe 1. La composition du patrimoine : la distinction des meubles et des immeubles
A. Les immeubles
B. Les meubles
Paragraphe 2. Le contenu et la protection du droit de propriété
A. Le contenu du droit de propriété
1) Principales prérogatives du propriétaire
2) Principaux caractères du droit de propriété
B. La protection du droit de propriété
1. La valeur « supra-législative » du droit de propriété
2. Les limites du droit de propriété

TITRE 4. L’EXERCICE DES DROITS SUBJECTIFS

Chapitre introductif. L’action en justice


Paragraphe 1. La demande en justice
A. Forme et contenu de la demande en justice
B. Recevabilité de l’action en justice
1
Paragraphe 1. La défense en justice
1. Les exceptions de procédure
2. La fin de non recevoir
3. La défense au fond
4. Demande reconventionnelle

Chapitre 1. La preuve
Paragraphe 1. La charge de la preuve
A. Le principe : Actori incumbit probatio
B. L’atténuation du principe : Les présomptions
1. Présomptions légales et présomptions du fait de l’homme
a) Présomptions légales
b) Présomptions judiciaires (ou présomption du fait de l’homme)
2. Présomptions simples, les présomptions mixtes et présomptions irréfragables
a) Les présomptions simples
b) Les présomptions mixtes
c) Les présomptions irréfragables
Paragraphe 2. Les différents modes de preuve
A. La diversité des moyens de preuve
1. Existence de cinq modes de preuve
a) La preuve littérale (ou preuve par écrit)
b) La preuve par témoins
c) L’aveu
d) Le serment
e) La preuve par présomption judiciaire
2. La distinction entre les preuves parfaites et les preuves imparfaites
B. L’admissibilité des moyens de preuve
1. La preuve des actes juridiques en matière civile
2. La preuve des faits juridiques en matière civile

Chapitre 2. L’organisation judiciaire


Paragraphe 1. Les ordres de juridictions
A. Les juridictions de l’ordre judiciaire
1. Les juridictions de première instance
a) En matière civile
b) En matière pénale
2. Les cours d’appel
3. La Cour de cassation
B. Les juridictions de l’ordre administratif
1. Tribunaux administratifs
2. Cours administratives d’appel
3. Conseil d’Etat
C. Le tribunal des conflits
Paragraphe 2. Les professions juridiques et judiciaires
A. Les magistrats
B. Les auxiliaires de justice
1. Les greffiers
2. Les avocats
3. Les huissiers de justice
4. Les notaires

Remarque : Les codes français et la jurisprudence des juridictions françaises sont


disponibles gratuitement sur le site : www.legifrance.gouv.fr

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PARTIE 2. LES DROITS SUBJECTIFS

Les droits subjectifs sont les prérogatives juridiques que le Droit objectif1 reconnait à une
personne ou à un ensemble de personnes (ex. droit de propriété, droit au respect de sa vie
privée, droit à un tribunal impartial…).
Ainsi, les droits subjectifs sont les droits individuels qui découlent du Droit objectif.

TITRE 1 : SUJETS DE DROIT ET DROITS EXTRAPATRIMONIAUX


(par C. Quement)

[…]

Après avoir envisagé (dans la première partie du cours, dispensée par Madame Quement) les
sujets de droit et certains droits subjectifs (en l’occurrence, les droits extrapatrimoniaux),
seront successivement présentées les sources des droits subjectifs (titre 2), les principales
catégories de droits subjectifs (titre 3) ainsi que les modalités d’exercice de ces droits (titre
4).

TITRE 2 : LES SOURCES DES DROITS SUBJECTIFS

La distinction fondée sur la source des droits subjectifs conduit à employer la classification –
très utilisée en Droit – dissociant les actes (Chapitre 1) et les faits juridiques (Chapitre 2).

Remarque : Cette distinction (entre les actes et les faits juridiques) correspond à une
classification traditionnelle, très utilisée. Elle n’est pas seulement théorique. On la retrouvera
dans le passage du cours consacré à la preuve. En effet, les actes juridiques et les faits
juridiques ne se prouvent pas de la même manière.
De même, la réalisation de faits juridiques ou la mauvaise exécution d’actes juridiques
peuvent conduire à l’engagement de la responsabilité civile d’une personne. La distinction est
donc très importante également en droit de la responsabilité (elle conduit à distinguer la
responsabilité extracontractuelle2 et la responsabilité contractuelle).

Chapitre 1. L’acte juridique


Ainsi que l’indique le premier alinéa de l’article 1100-1 du code civil (dans sa rédaction issue
de l’ordonnance 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime
général et de la preuve des obligations, applicable à compter du 1er octobre 2016), « les actes
juridiques sont des manifestations de volonté destinées à produire des effets de droit ». Par
exemple, l’effet de droit qui est généré peut correspondre à la naissance d’une créance ou
encore à l’obligation d’exécuter une prestation (ex. le contrat de travail).

1
Le droit objectif correspond à l’ensemble des règles ayant vocation à régir la vie en Société. Il correspond à la
somme des branches du droit / ensemble des règles de droit (= droit de…la famille, droit de la responsabilité
civile, droit des contrats, droit de la procédure civile…).
2
Ou Responsabilité délictuelle.
3
Le contenu de cette définition n’est pas nouveau. La nouveauté vient du fait que cette
définition a été insérée dans le code civil, sous l’effet de la réforme de 20163.
Le législateur n’a pas seulement inclus une définition, il a également apporté des précisions
sur le régime juridique applicable aux actes juridiques. Ainsi, dans le second alinéa de ce
même article 1100-1 du code civil, il est précisé que les actes juridiques « obéissent, en tant
que de raison, pour leur validité et leurs effets, aux règles qui gouvernent les contrats ».
Le droit des contrats – qui a fait l’objet d’une importante réforme en 2016 – est une discipline
qui est enseignée en deuxième année de droit.

Plus précisément, il existe deux catégories d’actes juridiques : les actes juridiques unilatéraux
(Paragraphe 1) et les actes juridiques conventionnels (Paragraphe 2).

Paragraphe 1. Les actes juridiques unilatéraux

Ils correspondent à une manifestation de volonté d’une personne souhaitant créer des effets de
droits. Par exemple, il peut s’agir d’un testament (acte par lequel une personne dispose de son
patrimoine pour la période qui suivra son décès) ou inversement l’engagement d’un héritier à
respecter les dernières volontés non écrites du défunt. Il peut également s’agir de la
reconnaissance d’un enfant naturel, etc.
Ce type d’actes ne concerne pas seulement les personnes physiques. Les personnes morales
peuvent également les rédiger (ex. une société qui s’engage à respecter des principes
appartenant à la soft law, dans le cadre de la RSE = responsabilité sociétale des entreprises =
de plus en plus d’entreprises souhaitent contribuer aux enjeux du développement durable et,
sans qu’elles y soient juridiquement obligées, intègrent des préoccupations sociales ou
environnementales4, dans leurs activités).
Ces actes juridiques peuvent modifier la situation d’une tierce personne, mais ne peuvent pas
en principe imposer des obligations à ces tiers. Sauf exception, en matière civile, pour qu’un
tiers soit le débiteur d’une obligation, il faut qu’il donne son consentement.
Ex. testament : pour que des charges – qui peuvent résulter de la succession – soient
imposées au légataire (bénéficiaire), il faut que ce dernier accepte la succession.

Paragraphe 2. Les actes juridiques conventionnels

Les actes juridiques conventionnels (on parle aussi d’actes juridiques collectifs ou
« multilatéraux ») manifestent la volonté de plusieurs personnes de créer des effets de droit.
Ces actes sont les plus fréquents en pratique. L’exemple type est le contrat (dont le régime
juridique est défini, dans le code civil, aux articles 1101 et s.).
Aux termes de l’article 1101 du code civil, le contrat « est un accord de volontés entre deux
ou plusieurs personnes destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations ».

Le principe de base est celui de la liberté contractuelle. En ce sens, « chacun est libre de
contracter ou de ne pas contracter, de choisir son cocontractant et de déterminer le contenu et
la forme du contrat dans les limites fixées par la loi » (art. 1102, al. 1 du code civil).

3
La réforme a pour objectif de favoriser la sécurité juridique. Il s’agit de rendre plus lisible et plus accessible
(par exemple, au moyen de l’usage d’un langage plus contemporain) le droit des contrats, le régime des
obligations et de la preuve. De plus, le régime juridique de certaines notions connues des praticiens, mais non
définies dans le code, a fait l’objet de précisions (ex. l’offre ou la promesse unilatérale de contrat). Il a également
été tenu compte de la jurisprudence développée sur la base des dispositions (anciennes) du code civil.
4
Il peut s’agir de préoccupations liées à la santé, au bien-être de la société…
4
Cette liberté n’est cependant pas absolue. Par exemple, cette liberté contractuelle ne « permet
pas de déroger aux règles qui intéressent l’ordre public » (art. 1102, al. 2 du code civil). A ce
propos, il a été jugé que toute renonciation au droit d’agir en justice est contraire à l’ordre
public (Cass. req., 19 janvier 1863) ou encore est contraire à l’ordre public toute dérogation
aux règles de compétences juridictionnelles en matière civile (Cass. req., 4 novembre 1885).
Autre exemple de règles d’ordre public : le corps humain, ses éléments et ses produits (ex.
sperme) ne peuvent pas faire l’objet d’un droit patrimonial. De même, le contrat par lequel
une femme s’engage, même gratuitement, à concevoir et à porter un enfant pour l’abandonner
à sa naissance viole le principe d’ordre public de l’indisponibilité du corps humain et du
principe de l’indisponibilité de l’état des personnes (C. Cass. Ass. Plén., 31 mai 1991, D.
1991, p. 417, rapp. Charter et note Thouvenin).

Les contrats « légalement formés » (c'est-à-dire, les contrats juridiquement valables)


« tiennent lieu de loi à ceux qui les ont formés » (art. 1103 du code civil). Cela signifie qu’en
principe les effets juridiques des contrats (on parle aussi de la force obligatoire des contrats)
se limitent aux contractants. L’idée qui est que tous les contractants sont liés par le contrat,
mais seuls les contractants sont liés par le contrat. Autrement dit, le contrat n’a d’effets
qu’entre les parties contractantes. Il ne peut en principe nuire à des tiers.

Article 1199 du code civil


« Le contrat ne crée d'obligations qu'entre les parties.
Les tiers ne peuvent ni demander l'exécution du contrat ni se voir contraints de l'exécuter, sous réserve des
dispositions de la présente section et de celles du chapitre III du titre IV ».

Chapitre 2. Le fait juridique


Tout comme la notion d’acte juridique, celle de fait juridique est désormais définie dans le
code civil (tel que réformé par l’ordonnance 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du
droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations).
Ainsi, selon le premier alinéa de l’article 1100-2 du code civil5, « les faits juridiques sont des
agissements ou des évènements auxquels la loi attache des effets de droit ». Plus précisément,
on définit habituellement le fait juridique comme un fait quelconque, réalisé
intentionnellement ou non, auquel la loi attache une conséquence juridique (par ex. la création
d’une obligation) qui n’a pas été recherchée par l’auteur de ce fait.

Il existe deux catégories de faits juridiques : les faits volontaires (Paragraphe 1) et les faits
involontaires (Paragraphe 2).

Paragraphe 1. Les faits juridiques volontaires

L’auteur du fait a l’intention d’agir comme il le fait sans toutefois rechercher les
conséquences juridiques que la loi attache à son comportement (telle que l’obligation de
réparer les dommages occasionnés / engagement de la responsabilité extracontractuelle de
l’auteur).

5
« Art. 1100-2.-Les faits juridiques sont des agissements ou des événements auxquels la loi attache des effets de
droit.
Les obligations qui naissent d'un fait juridique sont régies, selon le cas, par le sous-titre relatif à la responsabilité
extracontractuelle ou le sous-titre relatif aux autres sources d'obligations. »
5
Ex. A l’occasion d’une partie de rugby ou de foot improvisée, l’un des joueurs tape dans le
ballon et brise la fenêtre d’une maison voisine. Le fait est volontaire (coup de pied donné
volontairement) et a des conséquences légales non recherchées (obligation de rembourser les
dégâts occasionnés à la fenêtre).

Ex. la réalisation d’agissements s’analysant en une concurrence déloyale. Ces agissements


constituent une faute (au sens de l’article 1240 code civil, fondement des condamnations) qui
résulte d’un usage excessif, par un concurrent, de la liberté de la concurrence, par l’emploi de
tout procédé malhonnête dans la recherche de la clientèle et dans la compétition économique
(illustration : confusion volontaire entre deux marques, notamment au moyen de la publicité,
imitation des produits d’un concurrent, désorganisation de l’entreprise rivale…)

Article 1240 du code civil (ancien article 1382)


Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il
est arrivé à le réparer.

Paragraphe 2. Les faits juridiques involontaires

Ici, le comportement de l’auteur n’est pas la manifestation de sa volonté. Il n’en demeure pas
moins, que ce dernier devra assumer les conséquences juridiques.

Voici quelques illustrations :

-Il peut s’agir d’une action due à la négligence ou à l’imprudence d’une personne. L’auteur
n’a voulu ni réaliser le fait à l’origine du dommage, ni souhaité les conséquences
dommageables de son comportement.
Ex. Un accident de voiture.
Ex. En voulant arroser les fleurs situées sur son balcon, une personne fait tomber le pot de
fleurs dans la rue et blesse un passant. Il s’agit d’un fait « involontaire » qui entraine des
conséquences juridiques (obligation d’indemniser la victime = engagement de la
responsabilité extracontractuelle de l’auteur du fait).

Article 1241 du code civil (ancien article 1383)


Chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa
négligence ou par son imprudence.

-Il peut également s’agir d’un fait naturel : ex. atteindre la majorité (cela fait acquérir la
capacité d’exercer pleinement des droits civils et civiques).

-En outre, il peut s’agir d’un événement particulier comme une tempête, une catastrophe. On
parlera, dans certains cas, de force majeure. Ce type de faits rend par exemple impossible
l’exécution d’un contrat et excuse cette inexécution. Autrement dit, la responsabilité
contractuelle d’une personne ne sera pas engagée en raison de l’inexécution d’un contrat si
cette inexécution est due à un événement de force majeure.
Rq : pour que l’on soit en présence d’un cas de force majeure, on exige généralement que
l’événement soit imprévisible (l’événement ne pouvait pas être anticipé), irrésistible
(l’événement doit avoir été normalement insurmontable pour un homme « raisonnable ») et
extérieur (événement indépendant de la volonté de celui qui est intervenu dans la réalisation
du dommage).

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TITRE 3. LES PRINCIPALES CATEGORIES DE DROITS SUBJECTIFS
Le nombre élevé de droits subjectifs conduit à réaliser des classifications.
Une distinction classique permet d’opposer les droits extrapatrimoniaux et les droits
patrimoniaux. Cette distinction a été évoquée dans la première partie du cours. Il ne s’agit ici
que de faire quelques rappels.

→ On définit traditionnellement les droits extrapatrimoniaux comme des droits qui ne sont
pas évaluables en argent. C'est-à-dire, des droits qui n’ont pas de valeur pécuniaire/financière.
Il peut s’agir, par exemple, de droits civiques et politiques (comme le droit de vote ; le droit
de se présenter à une élection), de droits de la personnalité (ex. le droit à l’image, le droit à la
vie privée, droit à l’intégrité physique) ou encore des droits qui s’exercent dans la sphère
familiale (ex. l’exercice de l’autorité parentale sur un enfant ; le droit à la fidélité ou au
respect du conjoint ; le droit des enfants de faire déclarer en justice leur véritable filiation…).
On considère généralement que ces droits sont en principe intransmissibles (les actions
relatives à ces droits ne peuvent bénéficier qu’à leur titulaire), imprescriptibles (le bénéfice de
ces droits ne se perd pas en raison de l’écoulement du temps) ou encore insaisissables (ces
droits ne sont pas en principe dans le commerce, ils ne peuvent être saisis.
A vrai dire, il existe plusieurs exceptions. Le régime juridique de plusieurs droits
extrapatrimoniaux ne respecte pas toujours les caractères qui viennent d’être évoqués.
De plus, si ces droits extrapatrimoniaux ne sont pas évaluables en argent (et ne représentent
donc pas, en eux-mêmes, une valeur financière), leur violation peut entraîner des
conséquences financières. Par ex. : la violation du droit au respect de la vie privée (droit de
la personnalité / droit de l’Homme) occasionne l’octroi de dommages et intérêts (article 9 du
code civil).

Article 9 du code civil :


Chacun a droit au respect de sa vie privée.
Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que
séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée : ces
mesures peuvent, s'il y a urgence, être ordonnées en référé.

En conséquence, la distinction entre les droits extrapatrimoniaux et les droits patrimoniaux


n’est pas aussi nette qu’il y paraît.

→ Les droits patrimoniaux sont, quant à eux, évaluables en argent. L’exemple type est le
droit de propriété. Par opposition aux droits extrapatrimoniaux, ils sont cessibles (ils peuvent
être donnés, prêtés, vendus), saisissables (on peut les saisir : mesures d’exécution forcée
exercée par un créancier), transmissibles (par ex. ils peuvent entrer dans le patrimoine des
héritiers au moment de la succession) et ils sont prescriptibles (ils peuvent s’acquérir ou se
perdre du fait de l’écoulement du temps).
On considère généralement qu’il existe trois types de droits patrimoniaux. Il y a les droits
personnels, les droits réels et les droits intellectuels.
-Les droits personnels sont des droits de créance. Il s’agit des droits qu’une personne
(appelée créancier) détient contre une autre (appelée débiteur).
-Les droits réels correspondent, quant à eux, à un pouvoir juridique qu’une personne exerce
sur une chose.

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-Enfin, les droits intellectuels confèrent par exemple à leur titulaire un monopole
d’exploitation sur le produit d’une activité intellectuelle. Les concernant, on peut par exemple
citer les droits d’auteur ou encore les brevets d’invention ou les marques, dont l’objet est de
garantir à leur titulaire une exclusivité d’exploitation de la création qui en résulte. Au titre des
droits intellectuels, on peut également évoquer les droits de clientèle / droits sur une clientèle.
La clientèle commerciale constitue l’élément principal d’un fonds de commerce et est vendue
avec lui. Notons, qu’il peut également s’agir des droits sur une « clientèle civile » (des
médecins ou des avocats, par ex.).

Les droits intellectuels n’appellent pas de longs commentaires. Tout au plus, on peut préciser
qu’ils ne sont pas des droits réels (car ils ne portent pas sur une chose) et qu’ils ne sont pas
non plus des droits personnels (car ils ne sont pas à la charge d’un débiteur
identifié/déterminé).
Dans le cadre de ce cours, nous allons surtout insister sur les deux autres types de droits
patrimoniaux. Tout d’abord, les droits personnels ou droits de créance seront étudiés à travers
le droit à obtenir réparation d’un préjudice, lequel sera envisagé aux travers des conditions de
la responsabilité civile délictuelle/extracontractuelle (chapitre 1). Ensuite, concernant les
droits réels, nous allons nous concentrer sur le droit de propriété, qui en constitue la principale
illustration (chapitre 2).

Chapitre 1. Les droits personnels : L’exemple du droit à obtenir


réparation d’un préjudice
Ainsi que cela a été dit, les droits personnels ou droits de créance sont des droits dont une
personne (appelée créancier) est titulaire sur une autre personne (dénommée débiteur). Ces
droits personnels créent un rapport juridique entre le créancier et son débiteur, que l’on
qualifie d’obligation. Il est important de noter que ces droits personnels ne sont pas
opposables à tous. Ils sont relatifs (c'est-à-dire que seul le débiteur est tenu de respecter
l’obligation et seul le créancier peut exiger le respect de cette obligation).
Ainsi, le créancier va pouvoir exiger de son débiteur l’exécution d’une obligation. Il peut
s’agir d’une obligation de donner (ex. obligation de payer une somme d’argent ; transférer la
propriété d’un bien - vendre), d’une obligation de faire quelque chose (ex. prestation du
salarié telle que définie dans un contrat de travail) ou d’une obligation de ne pas faire
quelque chose (ex. s’abstenir de faire concurrence : une clause de non concurrence peut être
incluse dans un contrat de vente de fonds de commerce). On le voit, les droits personnels sont
extrêmement variés (ils sont aussi variés que les relations/rapports qui unissent deux
personnes, sous réserve toutefois du respect de l’ordre public).

Le créancier bénéficie d’un droit de gage général sur le patrimoine de son débiteur. Autrement
dit, si le débiteur ne respecte pas spontanément son obligation, le créancier pourra « se
servir » sur le patrimoine de son débiteur (ex. saisir des biens du débiteur afin de les vendre et
bénéficier de l’argent de cette vente).

Afin de donner un exemple de droit personnel ou de droit de créance, on peut prendre celui du
droit d’une personne (le créancier) d’obtenir la réparation du préjudice subi en raison du
comportement d’une autre personne (le débiteur) ou d’une personne ou d’une chose qu’il a
sous sa garde. Inversement, l’obligation de réparer les dommages causés à autrui est qualifiée
de responsabilité civile.

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Dans le prolongement de la distinction entre les actes et les faits juridiques, on distingue la
responsabilité civile contractuelle et la responsabilité civile extracontractuelle (ou délictuelle).

La responsabilité civile contractuelle est l’obligation de réparer les préjudices (=dommages)


causés à autrui en raison de l’inexécution ou de la mauvaise exécution d’un contrat (ou d’une
obligation issue d’un contrat). La mise en œuvre de cette responsabilité suppose l’existence
d’un contrat liant la victime et l’auteur du dommage. Il faut également que ce contrat soit
valable (absence de vice du consentement). Il faut enfin que le dommage soit subi par un des
contractants et que le dommage/préjudice soit la conséquence de l’inexécution ou de la
mauvaise exécution du contrat.
Si une de ces conditions fait défaut, la responsabilité encourue est délictuelle (car la
responsabilité contractuelle ne pourra pas être engagée).

La responsabilité civile « extracontractuelle » (ou délictuelle) peut être recherchée à la suite


d’un « délit civil » (fait juridique intentionnel ayant causé un dommage) ou d’un « quasi-
délit » (fait juridique non intentionnel ayant entraîné un dommage). Contrairement à ce qui est
le cas pour la responsabilité civile contractuelle, la responsabilité civile délictuelle s’applique
en l’absence de contrat préalable entre la victime et l’auteur du dommage. Du moins, s’il y a
un contrat entre eux, le dommage ne doit pas être lié à l’ (in)exécution de ce contrat.
Pour que la responsabilité civile délictuelle d’une personne soit engagée (et donc pour qu’une
personne soit obligée de réparer les conséquences de son comportement), trois conditions
doivent être réunies :
1) Existence d’un dommage
2) Existence d’un fait générateur
3) Existence d’un lien de causalité entre le dommage et le fait générateur.

A ces trois conditions, s’ajoute l’absence de causes permettant d’exonérer une personne de sa
responsabilité (par ex. en fonction des situations, il peut s’agir des cas de force majeure, du
fait d’un tiers, de la faute de la victime…).

Paragraphe 1. Un dommage

A. Les caractères communs aux dommages réparables

-Légitime : L’intérêt lésé doit être légitime. Le dommage/préjudice évoqué par la victime ne
peut ouvrir droit à réparation que s’il n’entre pas en contrariété avec l’ordre public ou les
bonnes mœurs. Le préjudice doit correspondre à la lésion/violation d’un intérêt protégé par le
droit. Ainsi, la victime ne peut pas demander la réparation si le dommage n’est pas considéré
comme légitime.
Rq : la jurisprudence est plus souple sur ce point lorsqu’il s’agit de dommage corporel.

-Direct : Pour être réparable, le dommage doit être la conséquence directe du fait générateur
(ou du moins, du fait que la victime présente comme le fait générateur de son préjudice) et
non une conséquence lointaine. Ce caractère renvoie à la notion de causalité (voir infra).

-Certain : Pour être réparable, le dommage doit être certain. Cette condition de certitude est
remplie si le dommage est déjà réalisé.

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On peut néanmoins envisager la réparation d’un préjudice futur, à la condition toutefois que
son existence soit certaine.
Ex. la perte d’une chance. On définit la perte d’une chance comme la disparition actuelle et
certaine d’une éventualité favorable. Ex. 1. quand un avocat, à la suite d’une faute
professionnelle, ne forme pas un appel dans les délais. L’issue de la voie de recours (c'est-à-
dire, l’issue de l’appel, s’il avait pu être formé dans les temps) est incertaine, le juge ne va
donc pas ordonner la réparation de la perte d’un droit (préjudice incertain), mais de la perte
d’une chance d’agir en justice (préjudice certain – mais inférieur dans son quantum).
Ex. 2. un étudiant en droit brillant inscrit à l’école Nationale de la Magistrature, souhaitant
devenir juge, est victime d’un dommage corporel qui le laisse invalide : on ne peut pas
indemniser sa perte professionnelle sur la base du salaire d’un magistrat ; mais on peut
éventuellement l’indemniser de la perte d’une chance de devenir juge.

Notons que les juges exigent que la chance ait réellement existé et apprécient la probabilité de
la réalisation de l’événement manqué. Plus la chance est mince, plus le préjudice est éventuel
(et donc pas indemnisable).
Par ailleurs, la réparation ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré la chance perdue si
elle s’était réalisée.

En outre, de façon exceptionnelle, il peut arriver que le dommage soit seulement susceptible
d’apparaître dans le futur. Il faut alors distinguer deux situations :
-le préjudice virtuel ou potentiel est indemnisable (préjudice qui survient après le jour de la
demande de réparation, mais pour lequel toutes les conditions de sa réalisation sont réunies).
ex. s’il y a une incapacité permanente de travail, le tribunal pourra ordonner l’indemnisation
de la perte de salaire certaine que la victime va subir dans le futur.
-Le préjudice hypothétique (ou éventuel) : ce préjudice n’est pas indemnisé car sa survenance
est trop aléatoire (ex. préjudice relatif à la dépréciation d’un immeuble lié à l’installation à
proximité d’une fête foraine).

B. Les différents types de dommages réparables

-Dommage matériel : dommage constitué par une atteinte au patrimoine de la victime ;


atteinte à un intérêt financier (ex. perte d’un salaire)

-Dommage moral : dommage constitué par une atteinte aux sentiments de la victime. Ce type
de dommage est difficilement quantifiable / évaluable :
Ex. atteinte aux droits de la personnalité (vie privée ; présomption d’innocence…).
Ex. préjudice esthétique = souffrance morale éprouvée par la victime du fait de l’atteinte à son
apparence physique (cicatrice, mutilation…). Cela est très lié à l’atteinte à l’intégrité
corporelle de la victime.
On peut également envisager le préjudice lié aux « souffrances endurées » (pretium doloris).
Cela correspond à l’ensemble des souffrances morales et physiques subies par la victime du
fait de l’atteinte à son intégrité corporelle.

-Dommage corporel : atteinte à l’intégrité physique de la victime.


Cela offre la possibilité de demander réparation des préjudices patrimoniaux nés de l’atteinte
corporelle : ex. les frais de santé, de rééducation… qui ont été engagés.

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De plus, cela permet de demander la réparation des préjudices extrapatrimoniaux : ex. la
survenance d’un handicap crée des troubles dans les conditions d’existence de la victime (ex.
perturbation dans sa vie sociale, familiale..).

Paragraphe 2. Un fait générateur

Le fait générateur est le fait ou le comportement qui a généré le dommage. On distingue le fait
personnel (A), le fait d’autrui (B) et le fait des choses (C).

A. Le fait personnel

A ce titre, selon les articles 1240 et 1241 du code civil, chaque personne doit réparer les
dommages causés par son comportement.
Ce comportement de la personne (que l’on appelle « fait personnel ») est assimilé à une faute
(civile).

-Pour qu’un comportement soit considéré comme fautif (et donc pour qu’un fait personnel soit
considéré comme une faute), la victime doit démontrer que l’auteur du fait a eu une attitude
contraire à une norme de conduite (loi, usage, bonne mœurs…).
Pour le dire autrement, la faute correspond à un fait illicite : un comportement contraire à une
règle de droit positif ou au comportement – que l’on qualifiait traditionnellement – de « bon
père de famille ».
Les juges disposent d’un large pouvoir d’appréciation de la norme de conduite qui a été
méconnue.
Un comportement peut être qualifié de « faute » dès le moment où le juge estime qu’un
individu moyen aurait eu une conduite plus avisée / réfléchie. La gravité de la faute est sans
importance (légère, lourde, intentionnelle).

-Le code civil opère une distinction entre les fautes volontaires (ou délictuelles) et les fautes
involontaires (ou quasi-délictuelles).
La faute intentionnelle est visée à l’article 1240 du code civil (anc. art. 1382) : « Tout fait
[intentionnel] quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la
faute duquel il est arrivé, à le réparer ». Le Conseil constitutionnel a reconnu la valeur
constitutionnelle de ce texte (Cons. Const., 9 nov. 1999).
La faute non intentionnelle est visée à l’article 1241 du code civil (anc. art. 1383) : « Chacun
est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa
négligence ou par son imprudence [non intentionnelle] ».

De plus, on peut distinguer les fautes par commission et les fautes par omission :
Une faute par commission résulte d’un acte positif du responsable qui méconnait une règle de
conduite. Il peut s’agir de la violation d’une règle de droit écrit (Ex. violation du code de la
route, du droit de la construction, du droit du travail..). Plus généralement, il s’agit de la
violation de la loi lato sensu.
Rq : il peut également s’agir de la violation des règles d’un sport (définie par les
organisations sportives compétentes). Par ex. un coup porté en violation des règles d’un
combat de boxe. La responsabilité pour faute de l’auteur peut être engagée car il n’a pas
respecté la norme de comportement qui lui était imposée.

11
Une faute par omission ou abstention correspond au comportement qui consiste à de ne pas
faire ce qui doit être fait.
ATTENTION : la faute par abstention ne peut être sanctionnée qu’à la condition qu’il ait
existé une obligation préalable. Ex. les juges sont très sévères quand l’obligation de sécurité
est en cause. On a pu condamner l’omission d’imposer le port du gilet de sauvetage sur un
bateau ou l’omission de fermer à clef un portail donnant accès à une piscine, visible de la rue,
dans laquelle un enfant de 2 ans s’est noyé.
De plus, la faute d’abstention / omission n’implique pas que l’auteur ait eu une intention
malveillante à l’encontre de la victime. Une simple abstention, volontaire ou non, peut être
qualifiée de faute.

Question : Un aliéné ou/et un enfant en bas-âge peuvent-ils commettre ou non une faute ?

Remarque préalable : Pour engager la responsabilité (pour faute) d’une personne, la faute doit lui être
imputable. En principe, cette personne doit avoir conscience que son comportement a constitué une faute.
Cependant, dans un souci d’indemnisation des victimes, la loi et la jurisprudence écartent parfois cette
condition : cas des aliénés (ou déments) et des enfants en bas-âge (infans).

-Aliénés.
Pendant longtemps, les juges ont refusé d’engager la responsabilité civile d’une personne physique atteinte de
troubles mentaux. Même si l’élément objectif de la faute était constitué, les juges écartaient la responsabilité au
motif que l’acte n’était pas imputable à son auteur. Ainsi, les victimes n’obtenaient aucune
réparation/indemnisation (quelle que soit la gravité du dommage subi ou la fortune de l’auteur de la faute).
Cette règle a été modifiée par la loi de 1968 relative aux majeurs protégés. L’absence de discernement n’est
plus une cause d’irresponsabilité civile.
Selon l’article 414-3 du code civil « Celui qui a causé un dommage alors qu’il était sous l’empire d’un trouble
mental, n’en est pas moins obligé à réparation ».
La règle s’applique que l’aliéné soit majeur ou mineur. Cette responsabilité peut être engagée en application des
règles ordinaires de la responsabilité délictuelle (du fait personnel, du fait des choses, du fait d’autrui). Ce n’est
donc pas un cas particulier de responsabilité qui viendrait s’ajouter aux autres (applicables aux personnes
« sensées »).

On le voit, la volonté d’indemniser la victime, l’emporte sur la recherche de l’imputabilité de la faute.


Toutefois, les juges interprètent strictement la règle énoncée dans l’article 414-3 du code civil.

-Enfant en bas-âge.
Initialement, la Cour de cassation (et les juridictions françaises en général) distinguaient, d’une part, les mineurs
doués/dotés de discernement (auxquels il était possible d’imputer une faute – au sens de l’article 1240 du code
civil = ancien article 1382) et, d’autre part, les mineurs dépourvus de discernement. Puis, il y a eu un revirement
de jurisprudence avec l’arrêt de l’assemblée plénière de la Cour de cassation du 9 mai 1984 (connu sous le nom
des parties : arrêt Lemaire).
La Cour de cassation a précisé que les juges du fond n’étaient plus tenus de vérifier si le mineur était capable de
discerner les conséquences de ses actes, pour qualifier son comportement de faute. Dans cet arrêt, on reproche à
un enfant de 13 ans (électrocuté en vissant une ampoule à la suite d’une erreur de montage de l’électricien) de
ne pas avoir fermé le disjoncteur. Cette faute a donné lieu à un partage de responsabilité entre le mineur et
l’électricien.
Ainsi, même très jeune, le mineur peut être déclaré responsable (sur le fondement des articles 1240, 1241 et
1242, al. 1er = anciens articles 1382, 1383 et 1384, al. 1 du code civil).

B. La responsabilité du fait d’autrui

Aux côtés de la responsabilité du fait personnel (que nous venons de voir), il existe également
une responsabilité du fait d’autrui. C'est-à-dire, qu’une personne qui n’a pas
personnellement causé de dommage peut, dans certains cas, être tenue pour responsable d’un

12
dommage causé par une autre personne. En effet, si en principe, chacun est responsable de
son propre fait, il y a des hypothèses dans lesquelles la responsabilité du fait d’une personne
est reportée sur une autre personne. Autrement dit, la victime va pouvoir dans certains cas
demander réparation à une personne qui n’est pas l’auteur du dommage. Par hypothèse, cette
autre personne est a priori plus solvable que l’auteur du dommage.

Le code civil prévoit expressément quatre hypothèses.


-La responsabilité de parents du fait de leurs enfants
-La responsabilité des employeurs du fait de leurs salariés
-La responsabilité des artisans du fait de leurs apprentis
-La responsabilité des instituteurs du fait de leurs élèves

S’agissant, par exemple, de la responsabilité des parents du fait de leurs enfants :


Selon, l’alinéa 4 de l’article 1242 du code civil, « Le père et la mère, en tant qu'ils exercent
l'autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants
mineurs habitant avec eux ».
Le père et la mère, en tant qu'ils exercent l'autorité parentale, sont solidairement responsables
du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux ».
Il est, par ailleurs, précisé dans l’alinéa 7 de cet article que cette responsabilité « a lieu, à
moins que les père et mère […] ne prouvent qu'ils n'ont pu empêcher le fait qui donne lieu à
cette responsabilité ».

Pour aller plus loin :

→ La responsabilité des commettants (employeurs) du fait de leurs préposés (salariés) :


Selon l’alinéa 5 de l’article 1242, « Les maîtres et les commettants [sont responsables] du dommage
causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés ».

→La responsabilité des artisans du fait de leurs apprentis :


Selon l’alinéa 6 de l’article 1242, « […] les artisans [sont responsables] du dommage causé par leurs
[…] apprentis pendant le temps qu'ils sont sous leur surveillance ».
Il est précisé dans l’alinéa 7 que cette responsabilité « a lieu, à moins que […] les artisans ne
prouvent qu'ils n'ont pu empêcher le fait qui donne lieu à cette responsabilité ».

→La responsabilité des instituteurs du fait de leurs élèves :


Selon l’alinéa 6 de l’article 1242, « Les instituteurs [sont responsables] du dommage causé par leurs
élèves […] pendant le temps qu'ils sont sous leur surveillance ».
De plus, il est précisé dans l’alinéa 8 de l’article 1384, qu’« en ce qui concerne les instituteurs, les
fautes, imprudences ou négligences invoquées contre eux comme ayant causé le fait dommageable,
devront être prouvées, conformément au droit commun, par le demandeur, à l'instance ».

Remarque : On le voit, dans deux cas, il s’agit de personnes qui gardent ou surveillent des enfants ou
adolescents (responsabilité des parents / responsabilité des instituteurs). Dans les deux autres cas, il
s’agit de personnes « faisant travailler » d’autres personnes (artisans / commettants).

Ainsi, dès 1804, les rédacteurs du code civil ont prévu 4 régimes spéciaux de responsabilité
du fait d’autrui (dans l’ancien article 1384 : devenu l’actuel article 1242 du code civil).
De plus, en 1991, la Cour de cassation (arrêt prononcé par l’assemblée plénière de la Cour de
cassation, le 29 mars 1991, connu sous le nom des parties : jurisprudence « Blieck ») a ajouté
une cinquième catégorie de responsabilité du fait d’autrui (catégorie qui vient donc s’ajouter
13
aux quatre expressément prévue dans le code civil), que l’on appelle la « responsabilité
générale du fait d’autrui ».
A ce sujet, le premier alinéa de l’article 1242 du code civil dispose que l’« On est responsable
non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait [responsabilité du fait
personnel / responsabilité pour faute], mais encore de celui qui est causé par le fait des
personnes dont on doit répondre [responsabilité du fait d’autrui], ou des choses que l'on a
sous sa garde [responsabilité du fait des choses] ».
Il s’agit ici de permettre d’engager la responsabilité de tout individu (ce fondement ne
concerne pas une catégorie précise de personnes) qui a, de manière générale, accepté de
diriger et de contrôler, à titre permanent, le mode de vie ou l’activité d’autrui.

Pour aller plus loin :

→ Arrêt de principe : Cass. ass. plén. du 29 mars 1991, arrêt « Blieck » : Dans cette affaire, un
handicapé mental, placé dans un centre d’aide par le travail, a provoqué un incendie dans la forêt de
la famille Blieck, au cours d’un travail en milieu libre.
L’assemblée plénière de la Cour de cassation juge que l’association qui a accepté d’organiser et de
contrôler, à titre permanent, le mode de vie de cet handicapé mental devait répondre de celui-ci, au
sens de l’ancien article 1384, al. 1er du code civil (devenu l’actuel article 1242, al. 1er du code civil) et,
en conséquence, réparer les dommages qu’il a causés.

Remarque : Il s’agit d’une présomption de responsabilité (exonération possible en cas de force


majeure ou de faute de la victime) : les personnes qui sont tenues de répondre du fait d’autrui (au
sens de l’ancien article 1384, al. 1re du code civil = devenu l’article 1242), ne peuvent pas s’exonérer
de cette responsabilité de plein droit en prouvant qu’elles n’ont commis aucune faute.

C. La responsabilité du fait des choses

Il existe aussi une responsabilité du fait des choses que l’on a sous garde. Autrement dit si
une chose qu’une personne a sous sa garde a généré un dommage, cette personne doit réparer
le préjudice causé.

Pour aller plus loin :

-En 1896, la Cour de cassation a découvert l’existence du « principe général de responsabilité du fait
des choses que l’on a sous sa garde » (arrêt Teffaine : un ouvrier est tué par l’explosion de la
chaudière d’un remorqueur sans qu’aucune faute ne puisse être reprochée au propriétaire).
La Cour de cassation se fonde sur le premier alinéa de l’article 1384 du code civil : « On est
responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait [responsabilité du fait
personnel / responsabilité pour faute], mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes
dont on doit répondre [responsabilité du fait d’autrui], ou des choses que l'on a sous sa garde
[responsabilité du fait des choses] ».

La responsabilité du fait des choses, garantie sur le fondement de l’ancien article 1384, al. 1er du code
civil (devenu l’actuel article 1242 du code civil), s’analyse en une présomption de responsabilité
(depuis l’affaire Jand’heur, 13 février 1930). Cela signifie qu’il n’est pas nécessaire de prouver la
faute de l’auteur du dommage. Il suffit de prouver que la personne mise en cause est la « gardienne de
la chose ».

En somme, pour que la responsabilité du fait des choses soit engagée, il faut la réunion de conditions
relatives à la chose, au fait de la chose et au gardien de la chose.
14
-Conditions concernant la chose : il peut s’agir de meubles ou d’immeubles inanimés (par
opposition aux animaux) ; chose dangereuse (ex. bouteille de gaz) ou inoffensive ; chose solide ou
liquide (ex. vague que provoque un bateau dans son sillage) ; chose actionnée par la main de
l’homme ou chose inerte (ex. sol glissant).
Sont exclues : les biens incorporels (ex. créances ou logiciel) ; les choses sans maitre (qui n’ont
jamais eu de gardien : neige, pluie) ou qui ont été abandonnées (bouteille sur un trottoir). La raison
tient au fait que personne n’exerce, sur ces choses, un pouvoir de garde.

-Conditions concernant le fait de la chose : La chose doit avoir été l’instrument du dommage. La
chose doit avoir eu un « rôle actif » dans la réalisation du dommage. Autrement dit, la chose doit être
la cause génératrice du dommage.

Dans certains cas, le « rôle actif » de la chose est présumé ; dans d’autres cas, ce « rôle actif » doit
être prouvé par la victime.
Présomption du rôle actif de la chose : si la chose en mouvement ou ayant un dynamisme propre
entre en contact avec la victime (ou le bien détérioré), le rôle actif dans la réalisation du dommage est
présumé. La victime doit seulement prouver l’intervention matérielle de la chose dans le dommage.
La présomption de rôle actif est une présomption simple : la preuve (contraire) du rôle passif de la
chose est possible (ex. le gardien peut s’exonérer en prouvant que la chose a eu un rôle passif ou
normal et que le dommage n’est pas dû au fait de la chose, mais a une autre cause).

Absence de présomption du rôle actif de la chose :


-Si la chose est en mouvement mais qu’elle n’est pas entrée en contact avec la victime (décision de la
Cour de cassation de mai 1956 : un taureau qui cause à une femme un choc nerveux ; le fait qu’un
véhicule par sa seule présence ou son passage provoque un comportement dommageable…).
-Si la chose est entrée en contact avec la victime, mais qu’elle est inerte.
Ici la victime doit prouver l’intervention matérielle et le rôle actif de la chose dans la réalisation du
dommage. Elle doit prouver le caractère/comportement anormal de la chose ou l’existence d’un vice
interne (ex. un escalier glissant ; porte vitrée automatique qui ne s’ouvre pas à l’approche du
client…).

-Les conditions relatives au gardien de la chose :


Le gardien est celui qui est titulaire des pouvoirs d’usage, de contrôle et de direction sur la chose.
Il n’est pas nécessairement le propriétaire. En effet, il peut y avoir un transfert des pouvoirs de garde
en cas de location, prêt, vol…. Il faut, dans ce cas, un transfert de l’usage, du contrôle et de la
direction (rq : quand la chose est volée, la victime peut engager la responsabilité du voleur sur le
fondement de l’article 1242, al. 1 du code civil ainsi que celle du propriétaire sur le fondement de
l’article 1240 de ce même code, si le propriétaire a commis une faute, comme laisser les clés dans sa
voiture, permettant de la voler plus facilement).

Enfin, le code civil contient des dispositions spécifiques concernant la responsabilité du fait
d’un animal ou la responsabilité du fait d’un bâtiment en ruine.

Article 1243 code civil


Le propriétaire d'un animal, ou celui qui s'en sert, pendant qu'il est à son usage, est responsable du
dommage que l'animal a causé, soit que l'animal fût sous sa garde, soit qu'il fût égaré ou échappé.

Article 1244 code civil


Le propriétaire d'un bâtiment est responsable du dommage causé par sa ruine, lorsqu'elle est
arrivée par une suite du défaut d'entretien ou par le vice de sa construction.

15
Paragraphe 3. Un lien de causalité
La notion de « causalité » (ou de lien de causalité) n’est pas définie dans le code civil. Il s’agit
du lien qui doit exister entre un fait générateur (ex. une faute) et un dommage pour permettre
la réparation (du dommage par l’auteur du fait générateur).

Trois principales théories ont été avancées en doctrine :


-Théorie de la cause la plus proche ou théorie de la proximité de la cause : Cette théorie est
écartée, car elle est injuste. Elle consiste à retenir, comme l’élément causal, l’événement qui
s’est chronologiquement produit en dernier.

-Théorie de l’équivalence des conditions : Selon cette théorie, tout fait sans lequel le
dommage ne se serait pas produit est une cause équivalente dans la survenance du dommage
(il s’agit d’une condition nécessaire au dommage). En application de cette théorie, la victime
peut demander la réparation intégrale à chacune des personnes ayant concouru à la réalisation
du dommage. Il n’y a pas de hiérarchie entre les faits qui ont conduit au préjudice. Cette
théorie présente l’avantage de la simplicité. Cependant, elle a également des inconvénients.
En effet, peuvent être déclarés responsables les auteurs de faits très éloignés du dommage.

-Théorie de la causalité adéquate : En application de cette théorie, seules les causes qui ont
directement et réellement participé à la réalisation du dommage, selon le cours normal des
choses, sont retenues.
Cette dernière théorie a l’avantage de limiter le nombre de responsables, mais on les limite de
façon assez arbitraire.
Ex. une banque met fin – fautivement – sans préavis au concours bancaire accordé à un
commerçant en lui notifiant le rejet d’un chèque assorti d’une interdiction bancaire.
Le commerçant se suicide. La Cour de cassation envisage les différentes conditions du décès
(faute de la banque et acte volontaire du commerçant). Cet examen démontre qu’il n’est pas
dans l’ordre normal des choses qu’une telle faute (de la banque) entraîne une telle
conséquence (le suicide du client). En conséquence, la faute de la banque n’est pas – pour la
Cour de cassation – la « cause adéquate » du suicide.

La jurisprudence n’a pas clairement tranché entre ces deux dernières théories (et opte pour
l’une ou l’autre). Cela donne aux juridictions une grande marge d’appréciation. Les juges font
preuve de pragmatisme, afin de tenir compte des intérêts en présence.
On doit tout de même reconnaitre que les juges ont souvent recours à la théorie de la causalité
adéquate. Même si plusieurs arrêts récents de la deuxième chambre civile ont révélé une nette
préférence pour la théorie de l’équivalence des conditions (solution plus favorable aux
victimes).
Ex. civ. 2, 27 janvier 2000 : dans cet arrêt, la Cour de cassation retient, comme cause du
dommage, l’accident de la circulation ayant rendu nécessaire une intervention chirurgicale
au cours de laquelle une personne avait subi une lésion à l’œil.

Pour conclure, notons que, dans tous les cas, la causalité doit être certaine. Le fait
dommageable imputé au responsable doit avoir été nécessaire à la production du dommage.
En cas de doute, la responsabilité est écartée par le juge.

16
Chapitre 2. Les droits réels : l’exemple du droit de propriété
Le droit de propriété constitue l’exemple le plus connu des droits réels (lesquels s’analysent
en un pouvoir juridique qu’une personne exerce sur une chose).

Avant d’évoquer le contenu et la protection du droit de propriété (Paragraphe 2), il convient


de brièvement envisager la composition du patrimoine au moyen de la distinction des biens
meubles et des biens immeubles (Paragraphe 1).

Paragraphe 1. La composition du patrimoine : la distinction des meubles et des


immeubles

Selon l’article 516 du code civil, « tous les biens sont meubles ou immeubles ». L’analyse des
articles suivants révèle que la distinction entre les biens immeubles (A) et les biens meubles
(B) est moins évidente qu’il n’y paraît.
Cette distinction a des conséquences dans plusieurs branches du Droit. Elle est donc
importante. Par exemple, le droit des procédures civiles d’exécution (c'est-à-dire, le droit des
saisies) repose largement sur cette distinction (ex. le régime juridique de la saisie immobilière
est très différent des règles applicables à la saisie de biens meubles comme la saisie d’un
compte bancaire ou d’un véhicule). De même, contrairement à la vente d’un meuble, la vente
d’un immeuble nécessite l’intervention d’un notaire et la rédaction d’un acte authentique. Il y
a aussi des conséquences au niveau du droit des sûretés (ex. les immeubles peuvent être
hypothéqués pour garantir une créance), etc.…

A. Les immeubles

Il existe trois catégories d’immeubles : les immeubles par nature, les immeubles par
destination et les immeubles par leur objet (art. 517 code civil).

►Les immeubles par nature correspondent aux immeubles tels qu’on les conçoit dans le
langage courant. Il s’agit principalement des terrains ou des bâtiments (art. 518 du code civil).

► Les immeubles par destination sont des meubles qui sont juridiquement considérés comme
des immeubles du fait de leur rattachement à un immeuble. On dit qu’ils sont « affectés » à un
immeuble.
Cette affectation peut être matérielle. Le meuble est scellé à/fixé sur l’immeuble (par ex. une
statue scellée au sol ou un tableau fixé au mur) et il ne peut être détaché sans être détérioré ou
sans que cela ne détériore l’immeuble.
Cette affectation peut être intellectuelle. Dans ce cas, il n’y a pas d’attache physique. Il existe
en revanche la volonté de mettre le meuble au service de l’immeuble. Cette affectation a un
but économique (ex. les animaux affectés à l’exploitation d’une ferme ; un ordinateur ou un
véhicule affecté à l’exploitation d’une entreprise).

Par ex.,
Article 524 du code civil (tel que modifié par la loi n°2015-177 du 16 février 2015)
« Les objets que le propriétaire d'un fonds y a placés pour le service et l'exploitation de ce fonds sont immeubles
par destination.
Les animaux que le propriétaire d'un fonds y a placés aux mêmes fins sont soumis au régime des immeubles par
17
destination.
Ainsi, sont immeubles par destination, quand ils ont été placés par le propriétaire pour le service et l'exploitation
du fonds :
Les ustensiles aratoires ;
Les semences données aux fermiers ou métayers ;
Les ruches à miel ;
Les pressoirs, chaudières, alambics, cuves et tonnes ;
Les ustensiles nécessaires à l'exploitation des forges, papeteries et autres usines ;
Les pailles et engrais.
Sont aussi immeubles par destination tous effets mobiliers que le propriétaire a attachés au fonds à perpétuelle
demeure. »

► Les immeubles par leur objet (ou immeubles par l’objet auquel ils s’appliquent)
correspondent à des droits sur des immeubles. L’article 526 du code civil en évoque
plusieurs : l'usufruit des choses immobilières (c'est-à-dire, l’usus et le fructus) ; les servitudes
ou services fonciers ; les actions qui tendent à revendiquer un immeuble.

B. Les meubles

Là encore, il existe trois catégories de meubles : les meubles par nature, les meubles par
l’effet de la loi et les meubles par anticipation.

► Les meubles par nature sont des biens corporels, pouvant être transportés (ou pouvant se
mouvoir par eux-mêmes). Par ex. un tableau (non scellé au mur), un véhicule, un animal (non
affecté à l’exploitation d’une ferme) … Cette catégorie comprend notamment les « meubles
meublants » (c'est-à-dire, les meubles que l’on retrouve dans une maison : tables, chaises, lits,
canapés…).

► Les meubles « par l’effet de la loi » sont des droits qui portent sur des meubles (ex. droit
de créance…).

► Les meubles par anticipation sont des immeubles qui sont juridiquement considérés
comme des meubles. Plus exactement, ce sont des immeubles destinés à être détachés. Ex.
une récolte sur pied. On peut vendre le raisin alors qu’il est encore sur la vigne (il s’agit d’une
vente mobilière) ; idem pour les matériaux d’une carrière.

Paragraphe 2. Le contenu et la protection du droit de propriété

Le droit de propriété est souvent présenté comme un droit « absolu » en raison des larges
prérogatives qu’il confère aux propriétaires (c'est-à-dire, les prérogatives des personnes sur les
biens qui en sont l’objet).

A. Le contenu du droit de propriété

Il confère au propriétaire trois prérogatives principales sur un bien et présente plusieurs


caractères.

1) Principales prérogatives du propriétaire

-Le droit d’user de la chose/du bien (usus). Il peut l’utiliser ou ne pas l’utiliser.
18
-Le droit de percevoir les fruits ou les produits de la chose/du bien (fructus).
Les fruits d’une chose peuvent par exemple être les loyers d’un appartement loué, les intérêts
d’un prêt ou encore les fruits des arbres. Les produits d’un bien correspondent, par exemple,
aux matériaux que l’on va extraire d’une carrière.
La différence entre les fruits et les produits est la suivante : contrairement aux produits d’une
chose, les fruits n’en altèrent pas la substance.

-Le droit de disposer de la chose/ du bien (abusus).


Le propriétaire peut disposer juridiquement d’une chose (ex. la vendre, la donner) ou en
disposer matériellement (ex. la transformer, la détruire).

Rq : contrairement au propriétaire, l’usufruitier n’a que l’usus et le fructus.

2) Principaux caractères du droit de propriété

Tout d’abord, on présente souvent le droit de propriété comme le droit de disposer librement
de son bien. En réalité, ce droit connait d’importantes limites (voir infra). En ce sens, aux
termes de l’article 544 du code civil : « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses
de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par
les règlements ».

Ensuite, on présente généralement le droit de propriété comme un droit exclusif (au sens d’un
droit qui ne se partage pas). En principe, le propriétaire ne partage pas ses prérogatives avec
autrui. Là encore, des exceptions existent. A titre d’exemple, on peut évoquer la copropriété et
la mitoyenneté ou encore le time-sharing.

Enfin, on présente le droit de propriété comme un droit perpétuel, en ce sens où il ne se


perdrait pas par le non-usage. Toutefois, si le droit de propriété ne se perd pas par le non
usage, il peut s’acquérir par le jeu de l’écoulement du temps (ex. prescription acquisitive).

B. La protection du droit de propriété

Si le droit a une valeur supérieure à la loi (valeur « supralégislative »), il connait néanmoins
des limites.

1. La valeur « supra-législative » du droit de propriété

Le droit de propriété a une valeur constitutionnelle et son respect est également protégé, au
niveau international, notamment par la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l’Homme et des libertés fondamentales de 1950 (dite : « convention européenne des droits de
l’homme »).

► Une protection constitutionnelle


L’article 2 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (DDHC = déclaration
incluse dans le préambule de la Constitution française de 1958) est rédigé comme il suit : « Le
but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de
l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression ».

19
De même, on peut signaler la décision du Conseil constitutionnel du 16 janvier 1982 dans
laquelle il insiste sur l’importance du droit de propriété. Le Conseil constitutionnel précise
que les droits énoncés dans la DDHC « ont pleine valeur constitutionnelle » et ajoute que le
« droit de propriété, dont la conservation constitue l’un des buts de la société politique » revêt
un « caractère fondamental ».

► Protection supranationale
Le droit de propriété est protégé par la Convention européenne des droits de l’homme ou, plus
exactement, par l’un des protocoles associés à cette Convention. L’article 1er du protocole n°1
à la Convention européenne des droits de l’homme protège en effet le droit des individus au
respect de leurs biens. La Cour européenne des droits de l’homme a jugé à de très nombreuses
reprises que cet article protège le droit de propriété (à titre d’exemple, elle sanctionne sur ce
fondement la durée excessive de l’exécution d’une décision de justice ordonnant l’expulsion
d’un locataire).

La protection « européenne » du droit de propriété a été réaffirmée par la Cour de cassation


(par ex. Cass. 2e civ., 23 octobre 2003). La Cour de cassation souligne néanmoins que cette
protection européenne est parfaitement compatible avec l’existence de limites faites au droit
de disposer librement de son bien (ex. théorie des troubles anormaux du voisinage).

2. Les limites du droit de propriété

Comme cela est précisé dans l’article 544 du code civil, le droit de propriété s’exerce pourvu
que l’on n’en fasse pas un « usage prohibé par les lois et les règlements ». Ce droit connait
donc différentes limites. Ces limites sont de nature légale (au sens large) ou jurisprudentielle.

►Limites légales : Ces limites « légales » ont pour finalité la protection de l’intérêt général
(par ex. le droit de l’urbanisme) ou la protection d’intérêts privés (ex. les servitudes qui
limitent le droit du propriétaire d’user de son bien : les plus connues sont les servitudes de
passage).

►Limites jurisprudentielles : Au titre des limites d’origine jurisprudentielle, on peut citer la


théorie des troubles anormaux du voisinage (par ex. C. Cass. 3e civ., 4 février 1971). Chacun a
l’obligation de supporter les inconvénients normaux du voisinage. Seuls sont sanctionnés les
inconvénients « anormaux ». Il revient alors aux juges du fond (au sein de l’ordre judiciaire, il
s’agit de l’ensemble des juges, à l’exception de ceux qui siègent à la Cour de cassation) de
préciser ce qui est normal et ce qui ne l’est pas. On parle à ce sujet d’« appréciation
souveraine des juges du fond ». Cela signifie que la Cour de cassation ne peut pas contrôler
cette appréciation. Notons que la mise en œuvre de la théorie des troubles anormaux du
voisinage suppose seulement la preuve d’un dommage. Il n’est pas nécessaire de démontrer la
faute de l’auteur du dommage pour obtenir réparation.

TITRE 4. L’EXERCICE DES DROITS SUBJECTIFS

Nul ne peut se faire justice à soi-même. C’est à l’Etat qu’il incombe/revient de mettre un
terme aux différends qui opposent les justiciables. Lorsque les droits subjectifs ne sont pas
spontanément respectés, la saisine d’une juridiction est donc indispensable pour faire
reconnaitre et imposer le respect de ces droits.
20
Encore faut-il saisir la bonne juridiction (c'est-à-dire, la juridiction compétente) (chapitre 2)
et parvenir à prouver l’existence des droits dont on se dit titulaire (chapitre 1). Au préalable,
il convient de respecter les règles qui régissent l’action en justice (chapitre introductif).

Chapitre introductif. L’action en justice

L’action en justice est définie dans l’article 30 du code de procédure civile (CPC) comme « le
droit pour l’auteur d’une prétention d’être entendu sur le fond de celle-ci afin que le juge la
dise bien ou mal fondée. Pour l’adversaire, l’action est le droit de discuter le bien-fondé de
cette prétention ». Ainsi, l’action en justice peut être envisagée du côté du demandeur (au sens
strict, le demandeur est celui qui introduit l’action en justice ; au sens large, le demandeur est
celui qui effectue une demande) (Paragraphe 1) et du côté du défendeur (Paragraphe 2).

Définitions (tirées de G. Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, Puf, 2007)

►Une demande en justice est l’« acte juridique par lequel une personne formule une prétention qu’elle soumet
au juge ».

►Une prétention est l’« affirmation en justice tendant à réclamer quelque chose, soit de la part du demandeur
(par une demande principale ou additionnelle), soit de la part du défendeur (par une demande
reconventionnelle) et dont l’ensemble (les prétentions respectives) détermine l’objet du litige […] ».
Par extension, il s’agit de l’objet même de la prétention et donc de l’avantage auquel tend la demande (ex.
obtenir X euros de dommages-intérêts ; obtenir la résolution d’une vente ; obtenir la restitution d’un bien…).

Paragraphe 1. La demande en justice

Après avoir évoqué la forme et le contenu de la demande en justice (A), seront présentées les
conditions de la recevabilité d’une action en justice (B).

A. Forme et contenu de la demande en justice

On se réfère ici à la demande initiale (on parle également de demande principale), c'est-à-dire
celle qui a pour effet d’introduire l’instance (demande introductive d’instance) et de
contribuer à définir l’objet du litige.

Cette demande peut en principe revêtir différentes formes. Concrètement, il existe plusieurs
actes introductifs d’instance :
-une requête conjointe : Acte commun par lequel les parties soumettent au juge leurs
prétentions respectives, les points sur lesquels elles sont en désaccord ainsi que leurs moyens
(= arguments) respectifs (art. 57 CPC).
Ex. en matière de divorce (art. 750 CPC).

-une requête unilatérale ou une déclaration au greffe du tribunal compétent : Acte par
lequel le demandeur saisit la juridiction sans que son adversaire en ait été préalablement
informé (art. 58 CPC).
Ex. en matière de saisie conservatoire d’un compte bancaire.

-une assignation. Il s’agit d’un acte d’huissier de justice par lequel le demandeur cite son
adversaire à « comparaître » devant le juge compétent. « Comparaître » signifie organiser sa
défense en se conformant aux règles applicables devant la juridiction compétente : par ex.,

21
lorsque la représentation par avocat est obligatoire, il est précisé à l’adversaire qu’il doit
« constituer avocat ».
Une fois rédigée, l’assignation doit être portée à la connaissance de l’adversaire. On dit que
l’assignation est signifiée au défendeur (la signification des actes est le travail de l’huissier de
justice)6.

Pour aller plus loin :


Pour être valable (c'est-à-dire, « à peine de nullité »), l’assignation doit tout d’abord contenir les
mentions communes à tous les actes d’huissier de justice (date de l’assignation ; nom et coordonnées
du requérant et du destinataire). Elle doit également comprendre les mentions énumérées à l’article 56
du CPC (par ex. l'indication de la juridiction devant laquelle la demande est portée ; l'objet de la
demande ; l'indication des modalités de comparution devant la juridiction et la précision que, faute
pour le défendeur de comparaître, il s'expose à ce qu'un jugement soit rendu contre lui sur les seuls
éléments fournis par son adversaire,…).
L’objectif est que l’adversaire soit correctement informé de la procédure dirigée contre lui, afin qu’il
puisse préparer sa défense en temps utile.

ATTENTION : L’assignation en justice (et sa signification à l’adversaire) n’est qu’une étape. Il


faut également saisir la juridiction compétente.
Avec l’assignation, le demandeur cite son adversaire à comparaître devant la juridiction
compétente. Il s’agit de l’étape n°1 : la signification de l’acte introductif d’instance. Mais il
faut également informer la juridiction de cette procédure à venir. Il s’agit de l’étape n°2 : celle
de la saisine de la juridiction compétente.

B. Recevabilité de l’action en justice

La recevabilité est le caractère reconnu à une demande en justice (ou action en justice)
lorsqu’elle mérite d’être examinée au fond (rq : le « fond du droit » correspond à tout ce qui,
dans un débat, tend à établir le bien ou le mal fondé d’une demande).

Lorsque le juge contrôle la recevabilité d’une demande (ou action en justice), il vérifie si le
demandeur a le droit d’agir en justice. Plus précisément, il vérifie l’intérêt à agir, la qualité
pour agir, la capacité pour agir et le respect des délais de prescription.
-intérêt à agir : c’est le mobile ; ce que l’on attend de l’action ; la raison pour laquelle on
agit. Cet intérêt doit être « légitime »7 (intérêt juridiquement protégé), « né et actuel » (c'est-à-
dire, qu’il ne doit pas être seulement hypothétique) ainsi que « personnel et direct » (c'est-à-
dire que l’action d’un particulier ne doit pas avoir pour but la protection de l’intérêt général).
-qualité pour agir : c’est le titre au nom duquel on agit. En principe, lorsqu’il y a intérêt pour
agir, il y a qualité pour agir. Cependant, des exceptions existent. Le législateur réserve parfois
le droit d’agir en justice à certaines personnes. On parle dans ce cas d’ « actions attitrées »
(ex. l’action en divorce est réservée aux époux).
-Délai pour agir / Prescriptions : mode d’extinction de l’action en justice résultant du non
exercice de celle-ci avant l’expiration du délai fixé par la loi (ex. en matière civile, si l’une
des parties n’est pas satisfaite de la décision rendue par les premiers juges, elle dispose d’un
mois pour interjeter appel, à compter de la signification de la décision de première instance).

6
Pour le dire autrement, la signification est une « notification » effectuée par un huissier de justice.
7
Par ex. : celui qui travaille sans avoir été déclaré ne peut pas agir en justice pour réclamer le paiement du
salaire que son employeur ne lui a pas donné. Il n’a pas d’intérêt juridiquement protégé.
22
-Capacité pour agir : il faut avoir la capacité juridique. Un mineur ou un majeur sous tutelle
devra nécessairement être représenté. Il ne peut pas agir seul.

ATTENTION : On distingue la recevabilité d’une demande (ou action) en justice et son bien
fondé. Une demande en justice est bien fondée lorsque les faits nécessaires à son succès sont
vérifiés et que cette demande repose sur un fondement juridique (moyen de droit) propre à la
justifier. Autrement dit, une demande bien fondée est une demande justifiée en fait et en droit.
A cet égard, la preuve joue un rôle primordial.

Le juge vérifie d’abord si une action est recevable, avant d’en contrôler le bien ou le mal
fondé. La chronologie a donc une grande importance.

Paragraphe 2. La défense en justice

Il existe 3 grandes catégories de moyens de défense (art. 71 et s. CPC) : les exceptions de


procédure (A), la fin de non recevoir (B) et la défense au fond (C). A ces trois catégories, on
peut ajouter la demande reconventionnelle (D).

A. Les exceptions de procédure

L’exception de procédure est constituée par « tout moyen qui tend soit à faire déclarer la
procédure irrégulière ou éteinte, soit à en suspendre le cours » (article 73 du code de
procédure civile).

Pour aller plus loin :


Il existe plusieurs types d’exception de procédure. Par exemple, il peut s’agir d’une exception de
compétence. Autrement dit, la personne contre qui on agit estime que la juridiction saisie n’est pas
compétente pour trancher cette affaire.
Ce moyen de défense permet au défendeur d’agir sur le plan de la procédure (et non au niveau du
fond). Il permet de retarder le prononcé d’un jugement ou d’obliger le demandeur à renouveler le
procès en raison, par exemple, de l’incompétence du juge saisi.
C’est un moyen de défense que l’on doit, en principe, soulever avant tous les autres (c'est-à-dire avant
la fin de non recevoir et la défense au fond), à peine d’irrecevabilité. L’objectif est d’éviter les
manœuvres dilatoires.

B. La fin de non recevoir

Il s’agit du moyen de défense qui a pour but de faire déclarer irrecevable la demande en
justice de l’adversaire (sans examen au fond) pour défaut de droit d’agir en justice.
On retrouve ici les conditions de recevabilité d’une action en justice : intérêt pour agir, qualité
pour agir, délai pour agir, capacité pour agir. Le défendeur va contester l’existence de l’une
ou plusieurs de ces conditions.
L’adversaire n’a pas l’obligation de présenter ce moyen de défense au début de la procédure.

C. La défense au fond

Ici, il s’agit de contester les prétentions de l’adversaire. Le défendeur va contester les


arguments du demandeur en développant son argumentation en fait et/ou en droit.
La preuve revêt ici une grande importance.

23
D. La demande reconventionnelle

Il s’agit de la demande qui est formée par le défendeur. Avec cette demande
reconventionnelle, le défendeur souhaite obtenir un avantage autre que le simple rejet de la
prétention de son adversaire (art. 64 CPC). Lui aussi émet une prétention.

Chapitre 1. La preuve

Dans un sens large, la preuve peut se définir comme l’établissement de la réalité d’un fait 8 ou
de l’existence d’un acte juridique9.
La preuve est au cœur du procès. En effet, lorsqu’un plaideur prétend être titulaire d’un droit,
il doit en principe en apporter la preuve. En d’autres termes, ne pas parvenir à prouver son
droit en justice revient, en pratique, à ne pas avoir de droit (idem est non esse aut non
probari).
Deux questions majeures doivent être résolues. La première consiste à se demander qui doit
prouver quoi ? Autrement dit, il s’agit de savoir à qui incombe la charge de la preuve dans un
procès (Paragraphe 1). La seconde question concerne les modes de preuve et conduit à se
demander comment un plaideur peut apporter la preuve de l’existence de son droit
(Paragraphe 2).

Paragraphe 1. La charge de la preuve

Il convient de déterminer quelle partie au procès va devoir prouver les faits invoqués.

Pour aller plus loin :


De façon schématique une distinction peut être réalisée entre les règles de preuve applicables en
matière pénale et celles définies en matière civile et commerciale. Cette distinction concerne la
répartition des rôles entre le juge et les parties au procès.
En matière pénale, on dit que la procédure est de type « inquisitoire », car elle repose sur l’initiative
du juge. C’est le juge qui a la maîtrise des preuves (ex. le juge d’instruction a pour mission de
rassembler les preuves aussi bien à charge, qu’à décharge du prévenu10).
En matière civile, la procédure est dite de type « accusatoire ». Le juge apparaît alors comme un
arbitre dans le litige qui oppose les parties au procès. Il doit trancher le litige en considération des
preuves qui ont été apportées par chaque partie à l’appui de sa prétention (art. 9 CPC11).
A vrai dire, l’opposition entre les matières pénale et civile n’est pas aussi nette. Depuis plusieurs
années, le procès civil évolue dans un sens « inquisitoire ». Le juge peut ordonner d’office les
mesures d’instruction nécessaires (ex. expertises) ainsi que la production de toutes preuves admises
par la loi (art. 10 CPC)12.

Le principe est que la charge de la preuve pèse sur le demandeur : Actori incumbit probatio
(A). Cependant, des exceptions existent. Lorsque la preuve est difficile à apporter, le

8
Rappel : un fait juridique correspond à tout fait quelconque, réalisé intentionnellement ou non, auquel la loi
attache des conséquences juridiques non recherchées.
9
Rappel : un acte juridique est une manifestation de volonté spécialement destinée à produire des effets de droit.
10
Il s’agit de la personne soupçonnée d’être l’auteur d’une infraction.
11
CPC : Code de procédure civile.
12
Remarque : conformément au premier alinéa de l’article 11 du code de procédure civile, les parties sont
« tenues d'apporter leur concours aux mesures d'instruction sauf au juge à tirer toute conséquence d'une
abstention ou d'un refus ».
24
législateur prévoit parfois un mécanisme juridique facilitant la tâche du demandeur. On parle
alors de « présomptions » (B).

A. Le principe : Actori incumbit probatio

La charge de la preuve incombe au demandeur, étant entendu que dans un procès une même
partie peut à la fois être demanderesse et défenderesse. Autrement dit, il appartient à chaque
partie de prouver ce qu’elle avance.
En ce sens, selon l’actuel article 1353 (ancien 1315) du code civil, « celui qui réclame
l’exécution d’une obligation doit la prouver [alinéa 1]. Réciproquement, celui qui se prétend
libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation [alinéa
2] ».

Attention : cela ne signifie pas que l’autre partie doive demeurer passive. Il ne suffit pas
d’attendre que la partie adverse prouve ce qu’elle invoque, il faut tenter de prouver le
contraire pour gagner le procès.
Exemple : Un vendeur prétend avoir livré la chose vendue et ne pas avoir été payé. Il va devoir
prouver son droit (et, donc, apporter la preuve de l’existence du contrat de vente et de la livraison).
Inversement, l’adversaire (personne qui a reçu la chose livrée) doit prouver qu’il a payé. Plus
généralement, le demandeur qui exige le paiement d’une dette, va devoir prouver l’existence de cette
dette. A l’inverse, le défendeur qui prétend avoir déjà payé, doit prouver qu’il s’est libéré de la dette.

B. L’atténuation du principe : Les présomptions

Il arrive parfois que l’existence d’un fait ou d’un acte juridique soit difficile à prouver. La loi
peut alors dispenser le demandeur d’en apporter directement la preuve. Elle va déduire elle-
même ou autoriser le juge à déduire l’existence du fait difficile à prouver, de l’existence d’un
autre fait plus facile à prouver. En d’autres termes, la loi va considérer qu’un fait est prouvé
parce que d’autres faits rendent ce fait vraisemblable.
Ce raisonnement, qui repose sur la déduction, est qualifié de « présomption ». En ce sens,
l’ancien article 1349 du code civil énonce que « les présomptions sont des conséquences que
la loi ou le magistrat tire d’un fait connu à un fait inconnu » (cet article a malheureusement
été supprimé avec la réforme de 2016, sans être remplacé par une disposition équivalente).

En matière de présomptions, on retient généralement deux classifications. La première, qui


repose sur la nature de la présomption, permet de distinguer les présomptions légales et les
présomptions judiciaires13 (1). La seconde, qui concerne la force de la présomption, conduit à
dissocier les présomptions simples, les présomptions mixtes et les présomptions irréfragables
(2).

1. Présomptions légales et présomptions judiciaires

a) Présomptions légales

Article 1354 code civil


La présomption que la loi attache à certains actes ou à certains faits en les tenant pour certains dispense celui au
profit duquel elle existe d'en rapporter la preuve.
Elle est dite simple, lorsque la loi réserve la preuve contraire, et peut alors être renversée par tout moyen de
preuve ; elle est dite mixte, lorsque la loi limite les moyens par lesquels elle peut être renversée ou l'objet sur

13
Les présomptions judiciaires sont aussi qualifiées de « présomptions du fait de l’homme ».
25
lequel elle peut être renversée ; elle est dite irréfragable lorsqu'elle ne peut être renversée.

Comme tous les types de présomptions, les présomptions légales dispensent de toute preuve
celui au profit duquel elles existent (actuel art. 1354, al. 1er du code civil = ancien 1352, al. 1
code civil). Elles ont néanmoins la particularité d’être établies par le législateur.

Ainsi, conformément à l’article 312 du code civil, « l’enfant conçu ou né pendant le mariage a
pour père le mari »14. Le mari de la mère d’un enfant est donc – en principe15 – présumé être
le père. Ce dernier n’a pas à prouver sa paternité.

De même, la conception d’un enfant est présumée avoir eu lieu entre 300 et 180 jours avant la
naissance (=article 311, al. 1er du code civil).

D’autres exemples existent. L’ancien article 1350 du code civil contenait quelques exemples.
Cet article a été abrogé en 2016 (sans être remplacé par une disposition équivalente). Mais les
exemples cités sont encore pertinents. Aux termes de cet article : « La présomption légale est
celle qui est attachée par une loi spéciale à certains actes ou à certains faits ; tels sont : 1° Les
actes que la loi déclare nuls, comme présumés faits en fraude de ses dispositions, d'après leur
seule qualité ; 2° Les cas dans lesquels la loi déclare la propriété ou la libération résulter de
certaines circonstances déterminées ; 3° L'autorité que la loi attribue à la chose jugée ; 4° La
force que la loi attache à l'aveu de la partie ou à son serment ».

Par ailleurs, la bonne foi dans l’exécution d’un acte est présumée. Si une personne souhaite
invoquer la mauvaise foi de son adversaire, elle devra en apporter la preuve.

b) Présomptions judiciaires (ou présomption du fait de l’homme)

Les présomptions judiciaires ou « présomptions qui ne sont point établies par la loi » sont
visées à l’actuel article 1382 (ancien 1353) du code civil. Selon cet article, ces présomptions
« sont laissées à l'appréciation du juge, qui ne doit les admettre que si elles sont graves,
précises et concordantes, et dans les cas seulement où la loi admet la preuve par tout
moyen »16.
Ainsi, il s’agit de présomptions qui reposent sur des déductions du juge. Le juge va forger son
intime conviction au vu des différents éléments qui concourent à établir la réalité d’un fait. Ce
dernier, à partir d’un fait connu, va déduire le fait inconnu qui est au cœur du litige.
Par exemple, lors d’un procès en responsabilité à la suite de la collision entre deux véhicules,
le juge, en l’absence de témoins, va présumer la responsabilité de tel automobiliste plutôt que
celle d’un autre, et ce, par exemple, en fonction de la position des véhicules après le choc, ou
en fonction des traces de pneus sur la route et des différents points d’impacts.

14
Présomption de paternité : Pater is est quem nuptiae demonstrant.
15
Il y a des cas où cette présomption est écartée. La présomption de paternité « est écartée lorsque l'acte de
naissance de l'enfant ne désigne pas le mari en qualité de père. Elle est encore écartée, en cas de demande en
divorce ou en séparation de corps, lorsque l'enfant est né plus de trois cents jours après la date soit de
l'homologation de la convention réglant l'ensemble des conséquences du divorce ou des mesures provisoires
prises en application de l’article 250-2, soit de l'ordonnance de non-conciliation, et moins de cent quatre-vingts
jours depuis le rejet définitif de la demande ou la réconciliation » (art. 313 du code civil).
16
A comparer avec l’ancien article 1353 du code civil, selon lequel « sont abandonnées aux lumières et à la
prudence du magistrat, qui ne doit admettre que des présomptions graves, précises et concordantes, et dans les
cas seulement où la loi admet les preuves testimoniales, à moins que l'acte ne soit attaqué pour cause de fraude
ou de dol ».
26
2. Présomptions simples, présomptions mixtes et présomptions irréfragables

Il existe des présomptions simples, des présomptions mixtes et des présomptions


irréfragables. La différence porte sur la possibilité – ou non – d’apporter une preuve contraire.

a) Les présomptions simples

Une présomption est « simple » lorsqu’elle peut être combattue par tous les moyens. Pour le
dire autrement, la partie qui ne bénéficie pas de la présomption peut user de tous moyens pour
démontrer que le fait présumé n’est pas vrai.

Exemple : la présomption de paternité, prévue à l’article 312 du code civil, est une
présomption simple. Le mari – ou la femme – peut rapporter toutes preuves contraires pour
démontrer que le père est un tiers (emprisonnement, voyage à l’étranger du mari pendant la
période de la conception, stérilité…).

Remarque : les présomptions judiciaires (c'est-à-dire, celles qui ne sont pas établies par la loi)
sont toujours des présomptions simples. Elles peuvent donc toujours faire l’objet de la preuve
contraire.

b) Les présomptions mixtes

La présomption est dite mixte, « lorsque la loi limite les moyens par lesquels elle peut être
renversée ou l'objet sur lequel elle peut être renversée ».
Autrement dit, la présomption peut être renversée, mais uniquement dans certaines limites et
uniquement par les moyens de preuve permis par la loi.

Ex. en matière de régimes matrimoniaux :


Article 1402 code civil
« Tout bien, meuble ou immeuble, est réputé acquêt de communauté si l'on ne prouve qu'il est propre à l'un des
époux par application d'une disposition de la loi.
Si le bien est de ceux qui ne portent pas en eux-mêmes preuve ou marque de leur origine, la propriété
personnelle de l'époux, si elle est contestée, devra être établie par écrit. A défaut d'inventaire ou autre preuve
préconstituée, le juge pourra prendre en considération tous écrits, notamment titres de famille, registres et
papiers domestiques, ainsi que documents de banque et factures. Il pourra même admettre la preuve par
témoignage ou présomption, s'il constate qu'un époux a été dans l'impossibilité matérielle ou morale de se
procurer un écrit. »

c) Les présomptions irréfragables

La présomption est irréfragable lorsque la loi ne permet pas que la preuve contraire soit
rapportée.
Par exemple, un contrat de travail conclu oralement est réputé être un contrat à durée
indéterminée, sans que l’employeur puisse prouver que les parties étaient d’accord pour
conclure un contrat à durée déterminée.
De même, est irréfragable, la présomption de vérité qui s’attache aux décisions de justice
définitives. Ce qui a été définitivement jugé ne peut plus être remis en cause. Il existe
cependant une atténuation à cette règle, en l’occurrence la possibilité de former un recours en
révision (rétractation d’un jugement du fait de l’erreur commise par un juge notamment en

27
raison d’une fraude – commise par une partie – dans les pièces du dossier et qui n’est révélée
qu’après le prononcé du jugement).

Paragraphe 2. Les différents modes de preuve

Le législateur précise non seulement quels sont les modes/moyens de preuve pouvant être
utilisés par les plaideurs (A), mais également dans quelles conditions les modes/moyens de
preuve sont admis (B).

Remarque relative à la validité des contrats sur la preuve.

Article 1356 du code civil


Modifié par Ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 - art. 4
Les contrats sur la preuve sont valables lorsqu'ils portent sur des droits dont les parties ont la libre disposition.
Néanmoins, ils ne peuvent contredire les présomptions irréfragables établies par la loi, ni modifier la foi
attachée à l'aveu ou au serment. Ils ne peuvent davantage établir au profit de l'une des parties une présomption
irréfragable.

A. La diversité des moyens de preuve

Après avoir brièvement présenté les cinq modes de preuve énumérés dans le code civil (1),
sera évoquée l’importante distinction entre les preuves parfaites et les preuves imparfaites (2).

1. Existence de cinq modes de preuve

Le code civil énumère cinq moyens de preuve : la preuve littérale (preuve par écrit), la preuve
par témoins (=preuve testimoniale ; témoignage), l’aveu, le serment et la preuve par
présomption judiciaire (articles 1363 et s. du code civil). Présenter les présomptions comme
un « mode » ou « procédé » de preuve est critiquable. Il s’agit plutôt d’une dispense de preuve
(cf. supra).

a) La preuve littérale (ou preuve par écrit)

Remarque liminaire : L'écrit sous forme électronique est admis au même titre que l'écrit sur
support papier. Il est toutefois exigé que la personne dont il émane « puisse être dûment
identifiée » et que l’écrit soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir
l'intégrité (art. 1366 du code civil = ancien art. 1316-1 code civil).

L’écrit consiste en « une suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou
symboles dotés d'une signification intelligible, quel que soit leur support » (art. 1365 du code
civil = ancien art. 1316 code civil).

Il existe deux principaux types de documents écrits17 : les actes authentiques et les actes sous
signature privée (également dénommés : actes « sous seing privé »).

17
Une catégorie intermédiaire a été instituée par une loi du 28 mars 2011, à savoir : l’acte sous signature privée
contresigné par avocat. Par sa signature, l’avocat atteste avoir pleinement éclairé la partie qu’il conseille sur les
conséquences juridiques de cet acte. Cet acte est en principe dispensé de toute mention manuscrite. Le régime
juridique qui lui est applicable s’apparente à celui des actes authentiques.
28
► Les actes authentiques sont des actes solennels rédigés par des officiers publics18 tels que
les huissiers de justice, les notaires ou les officiers de l’état civil (art. 1369 du code civil =
ancien 1317 code civil). Il peut également s’agir des décisions de justice.
La validité de ces actes est conditionnée par le respect de formalités particulières (solennités),
prescrites par la loi. Ces formalités peuvent varier selon les actes. Par exemple, il peut s’agir
de l’ajout de certaines mentions obligatoires (les actes notariés doivent comporter l’indication
du nom et du lieu d’établissement du notaire qui instrumente).
Si l’une ou plusieurs de ces formalités font défaut, l’acte ne sera pas considéré comme un acte
authentique, mais comme un acte sous signature privée. En ce sens, selon l’article 1370 du
code civil (ancien art. 1318 code civil) « L'acte qui n'est pas authentique du fait de
l'incompétence ou de l'incapacité de l'officier, ou par un défaut de forme, vaut comme écrit
sous signature privée, s'il a été signé des parties ».

► Les actes sous signature privée (articles 1372 et s. du code civil = ancien 1322 et s. code
civil). Ce sont des documents rédigés par des particuliers (de façon manuscrite ou
dactylographiée). Pour être pris en compte au titre d’une preuve littérale 19, ils doivent être
signés. En revanche, la mention de la date n’est pas une formalité obligatoire.

Notons que les actes sous signature privée qui constatent des engagements unilatéraux (une
seule personne s’engage / ex. un prêt) doivent comporter la mention en chiffres et en lettres du
montant de la somme pour laquelle une des parties s’engage. A défaut, ils seront considérés
comme de simples « commencements de preuve par écrit » et devront, en conséquence, être
corroborés par d’autres éléments de preuve (ex. témoignages).
Article 1376 du code civil (ancien art. 1326) : « L'acte sous signature privée par lequel une seule partie
s'engage envers une autre à lui payer une somme d'argent ou à lui livrer un bien fongible ne fait preuve que s'il
comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-même, de la
somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres. En cas de différence, l'acte sous signature privée vaut
preuve pour la somme écrite en toutes lettres ».

Lorsque plusieurs parties s’engagent, il faut autant d’originaux que de parties ayant des
intérêts opposés. De plus, chaque original doit mentionner le nombre d’originaux qui ont été
rédigés. A défaut, ils seront considérés comme de simples « commencements de preuve par
écrit ».
Article 1375 du code civil (ancien art. 1325):
« L'acte sous signature privée qui constate un contrat synallagmatique ne fait preuve que s'il a été fait en autant
d'originaux qu'il y a de parties ayant un intérêt distinct, à moins que les parties ne soient convenues de remettre
à un tiers l'unique exemplaire dressé.
Chaque original doit mentionner le nombre des originaux qui en ont été faits.
Celui qui a exécuté le contrat, même partiellement, ne peut opposer le défaut de la pluralité d'originaux ou de la

L’article 1374 (nouveau) du code civil énonce : « L'acte sous signature privée contresigné par les avocats de
chacune des parties ou par l'avocat de toutes les parties fait foi de l'écriture et de la signature des parties, tant à
leur égard qu'à celui de leurs héritiers ou ayants cause.
La procédure de faux prévue par le code de procédure civile lui est applicable.
Cet acte est dispensé de toute mention manuscrite exigée par la loi. »
18
Pour que l’on soit en présence d’un acte authentique, l’officier public qui l’a rédigé doit être compétent (au
sens juridique du terme, c'est-à-dire : compétent au regard de la matière de l’acte et au regard du ressort
géographique qui lui a été attribué pour instrumenter valablement).
19
Lorsque les conditions légales ne sont pas remplies, le document écrit n’est pas considéré comme une preuve
littérale, mais comme un simple « commencement de preuve par écrit ». Cela signifie que cet écrit devra être
corroboré par d’autres éléments de preuve (ex. témoignages).
29
mention de leur nombre.
L'exigence d'une pluralité d'originaux est réputée satisfaite pour les contrats sous forme électronique lorsque
l'acte est établi et conservé conformément aux articles 1366 et 1367, et que le procédé permet à chaque partie de
disposer d'un exemplaire sur support durable ou d'y avoir accès. »

► La force probante des actes authentiques et des actes sous signature privée. La force
probante de ces deux types d’actes est différente.
La force probante des actes authentiques est renforcée. En ce sens, les énonciations qui
émanent de l’officier ministériel ou de l’officier public (c'est-à-dire, les constatations faites
personnellement par cette personne) valent jusqu’à inscription de faux (il s’agit d’une
procédure complexe, entrant dans la compétence du TGI et règlementée par un décret du 17
décembre 1973, qui doit faire l’objet d’une communication au ministère public20).
En revanche, les énonciations (incluses dans les actes authentiques) qui résultent des
déclarations des parties valent jusqu’à la preuve contraire.

La force probante des actes sous signature privée est atténuée par rapport à celle des actes
authentiques. Par exemple, sauf exception, la date de l’acte sous seing privé ne fait pas foi à
l’égard des tiers. Ces actes acquièrent une date certaine seulement lorsqu’ils ont été
enregistrés (on retient la date du jour de l’enregistrement), lorsque leur auteur est décédé (on
retient la date du décès) ou lorsque leur substance est constatée dans les actes – authentiques –
dressés par des officiers publics (on retient la date de l’acte authentique)21.
De plus, il convient de noter que « L'acte sous signature privée, reconnu par la partie à
laquelle on l'oppose ou légalement tenu pour reconnu à son égard, fait foi entre ceux qui l'ont
souscrit et à l'égard de leurs héritiers et ayants cause » (art. 1372 du code civil).

En guise de remarque conclusive, il faut souligner que la valeur probante de l’écrit n’est pas
liée au support sur lequel il est porté. En conséquence, « l'écrit électronique a la même force
probante que l'écrit sur support papier », sous réserve toutefois « que puisse être dûment
identifiée la personne dont il émane et qu'il soit établi et conservé dans des conditions de
nature à en garantir l'intégrité » (article 1366 du code civil = ancien art. 1316-3).

b) La preuve par témoins

Il s’agit des témoignages, c'est-à-dire : les déclarations orales ou écrites d’une partie qui relate
ce qu’elle a vu ou entendu.

c) L’aveu

L’aveu correspond à la déclaration par laquelle une partie reconnait comme vrai un fait qui lui
est défavorable (article 1383, al. 1er du code civil : « L'aveu est la déclaration par laquelle
une personne reconnaît pour vrai un fait de nature à produire contre elle des conséquences
juridiques »). L’aveu peut être judiciaire (aveu fait devant un juge / « déclaration que fait en
justice la partie ou son représentant spécialement mandaté » : art. 1383-2 du code civil =
ancien article 1356 code civil) ou extrajudiciaire (aveu effectué en dehors de l’instance en
cours où la preuve doit être apportée).

20
Art. 303 et s. CPC.
21
« L'acte sous signature privée n'acquiert date certaine à l'égard des tiers que du jour où il a été enregistré, du
jour de la mort d'un signataire, ou du jour où sa substance est constatée dans un acte authentique » (art. 1377 du
code civil).
30
L’aveu extrajudiciaire n’est admis que lorsque la preuve par témoignage est admise. L’aveu
judiciaire est quant à lui plus généralement admis. De plus, l’aveu judiciaire est indivisible (il
n’est donc pas possible de n’en garder qu’une partie).

d) Le serment

Le serment est la déclaration d’une partie par laquelle elle affirme, solennellement devant le
juge, la réalité d’un fait qui lui est favorable.

Le serment peut être « déféré d’office » (on parle aussi de serment supplétoire) : serment prêté
par une partie à la demande d’un juge. Le juge demande à une partie de confirmer ou
d’infirmer, sous serment, un fait allégué qui n’est pas suffisamment prouvé.

Article 1386 du code civil


Le juge peut d'office déférer le serment à l'une des parties.
Ce serment ne peut être référé à l'autre partie.
Sa valeur probante est laissée à l'appréciation du juge.

Article 1386-1 du code civil


Le juge ne peut déférer d'office le serment, soit sur la demande, soit sur l'exception qui y est opposée,
que si elle n'est pas pleinement justifiée ou totalement dénuée de preuves.

Le serment peut être décisoire : serment prêté par une partie, à la demande de l’autre partie.
En effet, une partie peut demander à son adversaire de prêter serment lorsqu’elle ne dispose
pas de preuves au soutien de ses prétentions. Elle lui demande d’affirmer sous serment que
ses contestations sont fondées.
-Si la partie adverse prête serment, elle gagne le procès. Cependant, si elle a menti (et que ce
mensonge est établi par la suite), elle s’expose à des poursuites pour faux serment.
-Si la partie adverse refuse de prêter serment, elle perd le procès.
-La partie adverse peut également refuser de prêter serment et « référer le serment au
demandeur ». Cela signifie qu’elle demande au demandeur de prêter serment. Il appartient
alors au demandeur, s’il n’a pas suffisamment de preuves pour étayer sa demande, d’affirmer
sous serment que ses prétentions sont fondées. Il gagne alors son procès (rq : il s’expose aux
peines du faux serment). Il peut aussi ne pas prêter serment et perdre son procès.

Le serment décisoire
Article 1385
Le serment décisoire peut être déféré sur quelque espèce de contestation que ce soit et en tout état de
cause.

Article 1385-1
Il ne peut être déféré que sur un fait personnel à la partie à laquelle on le défère.
Il peut être référé par celle-ci, à moins que le fait qui en est l'objet ne lui soit purement personnel.

Article 1385-2
Celui à qui le serment est déféré et qui le refuse ou ne veut pas le référer, ou celui à qui il a été référé
et qui le refuse, succombe dans sa prétention.

Article 1385-3
La partie qui a déféré ou référé le serment ne peut plus se rétracter lorsque l'autre partie a déclaré
qu'elle est prête à faire ce serment.
31
Lorsque le serment déféré ou référé a été fait, l'autre partie n'est pas admise à en prouver la fausseté.

Article 1385-4
Le serment ne fait preuve qu'au profit de celui qui l'a déféré et de ses héritiers et ayants cause, ou
contre eux.
Le serment déféré par l'un des créanciers solidaires au débiteur ne libère celui-ci que pour la part de
ce créancier.
Le serment déféré au débiteur principal libère également les cautions.
Celui déféré à l'un des débiteurs solidaires profite aux codébiteurs.
Celui déféré à la caution profite au débiteur principal.
Dans ces deux derniers cas, le serment du codébiteur solidaire ou de la caution ne profite aux autres
codébiteurs ou au débiteur principal que lorsqu'il a été déféré sur la dette, et non sur le fait de la
solidarité ou du cautionnement.

e) La preuve par présomption judiciaire


Voir supra.

2. La distinction entre les preuves parfaites et les preuves imparfaites

►Les « preuves parfaites » s’imposent au juge. Le juge n’a aucun pouvoir pour les
interpréter. Il s’agit de la preuve littérale (actes authentiques et actes sous signature privée), de
l’aveu judiciaire (hors matière pénale22) et du serment décisoire.

Exemple :
Article 1383-2 du code civil = aveu judiciaire
« L'aveu judiciaire est la déclaration que fait en justice la partie ou son représentant spécialement
mandaté.
Il fait foi contre celui qui l'a fait.
Il ne peut être divisé contre son auteur.
Il est irrévocable, sauf en cas d'erreur de fait. »

► Les « preuves imparfaites » sont laissées à l’appréciation souveraine des juges (qui
pourront les refuser). Il s’agit des témoignages, de l’aveu extrajudiciaire, du serment déféré
d’office (= serment supplétoire, = serment fait à la demande du juge) ainsi que des
présomptions judiciaires (= présomption du fait de l’homme).
Le juge peut désigner un expert (un homme de l’art) qui sera chargé de dresser/rédiger un
rapport. Tous les rapports ou procès-verbaux ainsi dressés/rédigés sont considérés comme des
preuves imparfaites.

Exemples :
Article 1381 du code civil = témoignage
« La valeur probante des déclarations faites par un tiers dans les conditions du code de procédure
civile est laissée à l'appréciation du juge ».

Article 1383-1 du code civil = aveu extrajudiciaire


« L'aveu extrajudiciaire purement verbal n'est reçu que dans les cas où la loi permet la preuve par tout
moyen.
Sa valeur probante est laissée à l'appréciation du juge. »

22
En droit pénal, l’aveu judiciaire ne lie pas le juge.
32
Article 1386 du code civil = serment déféré d’office (= serment supplétoire)
« Le juge peut d'office déférer le serment à l'une des parties.
Ce serment ne peut être référé à l'autre partie.
Sa valeur probante est laissée à l'appréciation du juge. »

► Remarque. La lettre recommandée avec accusé de réception. En soi, elle ne constitue


pas une preuve parfaite. Il s’agit d’un acte sous signature privée, en ce sens qu’elle est rédigée
sans aucune formalité par une personne privée. Cependant, pour être considérée comme une
preuve parfaite, cette lettre doit remplir différentes conditions (les conditions prévues
notamment dans le code civil, relatives aux actes sous signature privée). A défaut, il s’agit
seulement d’un indice, d’un commencement de preuve par écrit.
Le fait que la lettre soit envoyée en recommandé avec accusé de réception est sans incidence
sur sa valeur en tant que mode de preuve. En revanche, son importance et sa valeur tiennent à
ce qu’elle fait foi de la date qui lui est apposée. Elle constitue donc un élément de preuve
incontestable lorsque l’on veut apporter la preuve de la date de l’exécution d’un acte ou de la
validité d’un acte qui devait être envoyé dans un certain délai.

B. L’admissibilité des moyens de preuve

Remarques liminaires.
► Remarque n°1 : En matière civile, les preuves qui ont été obtenues par des moyens
frauduleux sont écartées par le juge. Autrement dit, la loyauté dans la recherche des preuves
est exigée par la jurisprudence. Cette loyauté conditionne l’admission de la preuve d’un fait
juridique.
A titre d’exemple, l’article 259-1 du code civil précise qu’un « époux ne peut verser aux
débats un élément de preuve qu’il aurait obtenu par violence ou fraude ».
Dans le même ordre d’idées, l’enregistrement de paroles ou d’images réalisé à l’insu d’une
personne n’est pas une preuve loyale. Le juge va donc l’écarter (il s’agit d’ailleurs d’un délit
pénal : article 226-1 code pénal).
Inversement, si la personne contre laquelle la preuve est constituée, a connaissance de
l’enregistrement, l’enregistrement devient licite et recevable. A ce titre, un SMS peut être
utilisé – par son destinataire – comme un moyen de preuve. Il a ainsi été jugé que l’auteur
d’un message écrit téléphoniquement adressé ne peut ignorer qu’il est enregistré par l’appareil
récepteur. Cette connaissance de l’enregistrement rend la preuve licite.

► Remarque n°2 : Lorsque les moyens de preuve sont préalablement déterminés et imposés
par la loi, la preuve est dite « légale ». Dans le cas contraire, la preuve est dite « libre ».

Selon l’article 1358 du code civil (dans sa rédaction issue de l’ordonnance n°2016-131 du 10
février 2016), « Hors les cas où la loi en dispose autrement, la preuve peut être apportée par
tout moyen ». En pratique, on considère qu’en matière pénale et en matière commerciale
(ancien art. 1341, al. 2 code civil ; art. L. 110-3 du code de commerce23), tous les moyens de
preuve peuvent être utilisés et sont soumis à l’appréciation du juge qui s’estimera convaincu
ou non. La preuve est donc libre.

23
Art. L. 110-3 c. com. : « A l'égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver par tous
moyens à moins qu'il n'en soit autrement disposé par la loi ».
33
A titre de comparaison, en matière civile, l’admissibilité des moyens de preuve est étroitement
liée à la distinction entre les actes juridiques et les faits juridiques. En principe, les actes
juridiques se prouvent par écrit. Inversement, pour les faits juridiques, on admet la preuve par
tous moyens (témoignages…).
Par ailleurs, pour être admises, les preuves doivent être soumises en principe à un débat
contradictoire. Cela signifie que chaque preuve avancée par une partie doit non seulement être
présentée au juge, mais également à l’adversaire afin que ce dernier puisse préparer sa
défense.

1. La preuve des actes juridiques en matière civile

En principe, une preuve écrite est exigée, mais il existe des exceptions.

►Le principe est posé à l’article 1359 du code civil (= ancien 1341 du code civil). Aux
termes de cet article :
« L'acte juridique portant sur une somme ou une valeur excédant un montant fixé par décret doit être
prouvé par écrit sous signature privée ou authentique.
Il ne peut être prouvé outre ou contre un écrit établissant un acte juridique, même si la somme ou la
valeur n'excède pas ce montant, que par un autre écrit sous signature privée ou authentique.
Celui dont la créance excède le seuil mentionné au premier alinéa ne peut pas être dispensé de la
preuve par écrit en restreignant sa demande.
Il en est de même de celui dont la demande, même inférieure à ce montant, porte sur le solde ou sur
une partie d'une créance supérieure à ce montant. »
La somme ou la valeur visée à l’article 1359 du code civil est fixée à 1500 €, à compter du 1 er
janvier 2005. Pour ces actes, une preuve écrite est obligatoire (preuve de l’acte ou preuve
contraire).

►Exceptions :
-En présence d’un commencement de preuve par écrit : le demandeur est autorisé à présenter
des preuves imparfaites (témoignages, aveu extrajudiciaire, serment déféré d’office,
présomptions judiciaires) à l’appui de sa prétention. Un commencement de preuve par écrit
est un document écrit qui émane de la personne contre laquelle on invoque ce document et qui
rend vraisemblable le fait allégué (ex. une photocopie d’un acte dont l’original subsiste / ex.
un acte sous signature privée qui ne respecte pas les conditions légales de validité).

-En cas d’impossibilité matérielle (perte, destruction…) ou impossibilité morale (ex.


impossibilité dans des relations familiales ou amicales d’exiger un écrit pour entériner un acte
qui est passé) de se procurer une preuve écrite. Dans ce cas, le demandeur est dispensé de
présenter un écrit (actuel art. 1360 code civil = ancien 1348 al 1 code civil).

Article 1360 du code civil


Les règles prévues à l'article précédent reçoivent exception en cas d'impossibilité matérielle ou morale de se
procurer un écrit, s'il est d'usage de ne pas établir un écrit, ou lorsque l'écrit a été perdu par force majeure.

Article 1361 du code civil


Il peut être suppléé à l'écrit par l'aveu judiciaire, le serment décisoire ou un commencement de preuve par écrit
corroboré par un autre moyen de preuve.

Article 1362 du code civil


Constitue un commencement de preuve par écrit tout écrit qui, émanant de celui qui conteste un acte ou de celui
qu'il représente, rend vraisemblable ce qui est allégué.

34
Peuvent être considérés par le juge comme équivalant à un commencement de preuve par écrit les déclarations
faites par une partie lors de sa comparution personnelle, son refus de répondre ou son absence à la comparution.
La mention d'un écrit authentique ou sous signature privée sur un registre public vaut commencement de preuve
par écrit.

2. La preuve des faits juridiques en matière civile

En principe, les faits juridiques peuvent être prouvés par tous moyens (preuves parfaites ou
imparfaites), à condition de ne pas être déloyaux. Des exceptions existent cependant. A titre
d’exemple, l’état des personnes (nom, filiation…) se prouve par les actes de l’état civil.

Chapitre 2. L’organisation judiciaire

Les juridictions (cours, tribunaux) doivent leur nom à leur fonction principale : elles sont
chargées de dire le droit, du latin « jurisdictio ». Elles sont nombreuses et diversifiées. On les
classe généralement en deux ordres (Paragraphe 1). En plus de ces juridictions, le bon
fonctionnement du service public de la Justice suppose un personnel judiciaire compétent
(Paragraphe 2).

Paragraphe 1. Les ordres de juridictions

Les juridictions françaises sont principalement organisées en deux grands groupes que l’on
dénomme « ordres (de juridictions) » : l’ordre judiciaire (A) et l’ordre administratif (B). Par
ailleurs, une juridiction a été créée pour résoudre les conflits de compétence entre ces deux
ordres de juridictions : il s’agit du tribunal des conflits (C).

Avant de brièvement présenter ces juridictions, deux remarques liminaires s’imposent.

Remarque 1 : Le tribunal des conflits n’est pas la seule juridiction se situant en dehors des
deux ordres de juridictions précités. On peut également signaler d’autres juridictions internes,
telles que le Conseil constitutionnel (qui contrôle la conformité des lois à la Constitution) ou
des juridictions pénales de nature politique (ex. la Cour de justice de la République : elle juge
les crimes et les délits commis par les ministres dans l’exercice de leurs fonctions). De même,
il existe des juridictions internationales telles que la Cour européenne des droits de l’homme
(organe du Conseil de l’Europe ; elle veille au respect de la Convention européenne des droits
de l’homme) et la Cour de justice de l’Union européenne (institution de l’Union européenne ;
elle se prononce, à la demande d’un tribunal national, sur l’interprétation ou la validité des
dispositions du droit de l’Union européenne).

Remarque 2 : La répartition des affaires entre les différentes juridictions est précisée par le
législateur. Les justiciables doivent connaitre ces règles légales afin de saisir la juridiction
compétente pour trancher leur litige.
A cet égard, on distingue la compétence territoriale et la compétence d’attribution (ou
compétence matérielle).
-La compétence territoriale. Il s’agit ici de déterminer la juridiction compétente en termes de
localisation géographique. En principe, la juridiction territorialement compétente est celle du
lieu où demeure le défendeur. Cependant, il existe des exceptions. Par exemple, les litiges qui
concernent un immeuble sont nécessairement portés à la connaissance de la juridiction du lieu
où cet immeuble est situé. De même, en matière de succession, le litige (à savoir, les
35
demandes formées par les héritiers ou par d’éventuels créanciers de la personne décédée) est
porté à la connaissance des juridictions dans le ressort duquel la succession a été ouverte
(c'est-à-dire, les juridictions du lieu du domicile de la personne décédée).
-La compétence d’attribution (ou compétence matérielle). La désignation de la juridiction
compétente va dépendre ici du domaine dans lequel s’inscrit le litige.
Par exemple :
►Les litiges individuels du travail, qui opposent un employeur et un salarié, portant sur
l’exécution ou la rupture d’un contrat de travail, entrent dans la compétence d’attribution des
Conseils de prud’homme.
►Les litiges qui opposent des commerçants (qui agissent dans l’exercice de leur profession)
entrent dans la compétence d’attribution des tribunaux de commerce.
► Le contentieux du divorce entre dans la compétence d’attribution des tribunaux de grande
instance (TGI).

A. Les juridictions de l’ordre judiciaire

Tout comme l’ordre administratif (cf. infra), l’ordre judiciaire est conçu comme une structure
hiérarchisée. Il a à son sommet la Cour de cassation (3) qui en assure l’unité (ou du moins, qui
assure l’unité d’interprétation et le respect du droit). Il est également composé des cours
d’appel (2) ainsi que des juridictions du premier degré (1).

1. Les juridictions de première instance

Les juridictions de l’ordre judiciaire ont deux missions principales : D’une part, statuer sur les
litiges entre particuliers qui relèvent du droit privé et, d’autre part, appliquer les sanctions
pénales aux personnes qui ont commis des infractions (contraventions, délits ou crimes).
En conséquence, certaines statuent en matière civile, d’autres en matière pénale.

a) En matière civile

On distingue les juridictions de droit commun (ex. TGI) et les juridictions d’exception (ex.
Conseil de prud’homme, tribunal de commerce, tribunal paritaire des baux ruraux). Les
juridictions de droit commun ont une compétence de principe. Elles ont vocation à connaitre
de toutes les affaires, à moins que ces affaires n’aient été attribuées par la loi à une autre
juridiction. Inversement, les juridictions d’exception (ou juridictions spécialisées) ne sont
compétentes que dans les cas précisés par une loi.

Les juridictions de droit commun :

► Les Tribunaux de grande instance : compétents pour connaître les litiges civils – qui
opposent des particuliers – dont le montant est supérieur à 10000 €.
Pour certaines affaires, les TGI ont une compétence exclusive. Cela signifie qu’ils sont seuls
compétents pour trancher ces affaires, quel que soit le montant du litige (ex. en matière de
divorce ; de nationalité des personnes, d’adoption, de succession…).
La représentation des parties par un avocat est en principe obligatoire et la règle est celle de la
collégialité (c'est-à-dire que la formation de jugement est normalement composée de trois
personnes).

36
► Les Tribunaux d’instance : compétents pour connaître les litiges civils dont le montant est
compris entre 4000 € et 10000 €.
Dans certaines affaires, ils sont compétents quel que soit le montant du litige (ex. crédits à la
consommation, litiges liés aux baux d’habitation).
La représentation des parties par un avocat n’est pas obligatoire et le juge statue seul (modèle
du juge unique).

► Les juridictions de proximité : Ces juridictions ont été créées par la loi du 9 septembre
2002 et devraient être supprimées à compter du 1er janvier 2017 (loi n°2011-1862 du 13
décembre 2011 telle que modifiée par la loi n°2012-1441 du 24 décembre 2012, puis par la loi
n°2014-1654 du 29 décembre 2014). Elles ont la particularité d’être compétentes en matière
civile et en matière pénale (cf. infra).
En matière civile, elles sont principalement compétentes pour des litiges dont le montant est
inférieur à 4000 €.
Ces juridictions statuent à juge unique. Les juges de proximité ne sont pas des magistrats
professionnels.

Les juridictions d’exception (ou juridictions spécialisées) :


En matière civile, il existe plusieurs juridictions d’exception (ou juridictions spécialisées),
telles que notamment :
►les tribunaux de commerce : compétents pour les litiges entre commerçants concernant
l’exercice de leur commerce, les litiges entre associés d’une société commerciale. Ils sont
également compétents en matière de redressements et de liquidations judiciaires.
►les conseils de prud’homme : compétents pour connaître les litiges individuels entre un
employeur et un salarié relatifs à l’exécution ou la rupture du contrat de travail.
►les tribunaux paritaires des baux ruraux : compétents pour connaître les litiges entre les
propriétaires et les exploitants de terrains ou de bâtiments agricoles.
►les tribunaux des affaires de sécurité sociale : compétents pour connaître les litiges entre les
organismes de sécurité sociale et leurs usagers.

b) En matière pénale

► Les cours d’assises. Elles jugent les crimes (meurtres / viols). Elles peuvent prononcer des
peines de réclusion criminelle à perpétuité ou limitées dans le temps, des amendes…
► Les tribunaux correctionnels. Ils jugent les délits (vols, escroqueries, homicides
involontaires…). Ils peuvent prononcer des peines de prison (jusqu’à 10 ans) ou des peines
alternatives (travaux d’intérêt général) ou encore des amendes jusqu’à 150 000 €.
► Les tribunaux de police. Ils jugent les contraventions de 5e classe (violence entraînant une
incapacité temporaire de travail (ITT) inférieure ou égale à huit jours). Ils sont également
compétents en matière de diffamation.
► Les juridictions de proximité. Elles sont compétentes pour juger les petites infractions :
tapages nocturnes, violences légères (n’entraînant pas d’interruption temporaire de travail)…

2. Les cours d’appel

Dans l’ordre judiciaire, les cours d’appel sont les juridictions de droit commun du second
degré. Lorsqu’un justiciable n’est pas satisfait de la décision rendue en première instance, il a
en principe la faculté d’interjeter appel, c'est-à-dire de soumettre son litige à une juridiction

37
hiérarchiquement supérieure (en l’occurrence, une des 36 cours d’appel) afin qu’il soit de
nouveau jugé.
En matière civile, l’appel n’est possible que si le montant du litige est supérieur à 4000 €. En
deçà, les décisions des juridictions du premier degré sont rendues « en premier et dernier
ressort » (cela signifie qu’elles ne sont pas susceptibles d’appel).
La cour d’appel juge de nouveau l’affaire dans son intégralité (sauf cas d’appel limité). Elle
peut confirmer la solution des premiers juges (arrêt confirmatif) ou adopter une solution
différente, voire contraire (arrêt infirmatif).
Les cours d’appel sont généralement composées de plusieurs chambres (ex. chambre sociale,
chambre de la construction, chambre de la famille, chambre correctionnelle…). Chaque
chambre a un président.
Chaque cour d’appel a à sa tête un premier président et un procureur général.

Rq : en matière criminelle, il existe les cours d’assises d’appel depuis une loi du 15 juin 2000.
Il s’agit de cours d’assises qui rejugent les affaires précédemment soumises à une première
cour d’assises (cf. technique de l’appel circulaire).

3. La Cour de cassation

Il s’agit de la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire. Il n’y en a qu’une en France. Elle se
situe à Paris.
Elle exerce des fonctions consultatives et – surtout – des fonctions juridictionnelles.

-Fonction consultative. La Cour de cassation peut être saisie pour avis quand se pose une
question de droit nouvelle (condition n°1), qui présente une difficulté sérieuse (condition n°2)
et qui est susceptible de concerner de nombreux litiges (condition n°3).
Ce sont les juridictions inférieures de l’ordre judiciaire (civiles ou pénales) qui sollicitent un
avis de la Cour de cassation. L’avis ne s’impose pas à celui qui l’a demandé.

-Fonction juridictionnelle. La Cour de cassation est saisie par un pourvoi qui peut être formé
contre toute décision rendue en dernier ressort (= arrêts d’une cour d’appel) ou décision
rendue en premier et dernier ressort (= arrêts rendus en première instance mais non
susceptibles d’appel).
Attention : La Cour de cassation ne rejuge pas l’affaire dans son intégralité. Il ne s’agit pas
d’un troisième degré de juridiction. Elle vérifie seulement si le droit a bien été appliqué par
les juridictions inférieures.
Si elle estime que la juridiction (dont l’arrêt est attaqué) a correctement appliqué la règle de
droit, elle rejette le pourvoi (elle prononce un arrêt de rejet). Le procès est fini.
Si elle estime que la juridiction inférieure a mal appliqué le droit, elle casse et annule l’arrêt
attaqué (elle prononce un arrêt de cassation). Dans ce cas, elle peut renvoyer l’affaire devant
une juridiction de même degré et de même nature que celle dont la décision a été cassée (en
principe, une juridiction d’une autre ville), afin que l’affaire soit de nouveau jugée (cassation
avec renvoi). Cela n’est cependant pas toujours nécessaire (cassation sans renvoi).
La Cour de cassation comporte plusieurs formations de jugement. Tout d’abord, elle est
composée de six chambres : la chambre sociale (pour les litiges relatifs au droit du travail et
au droit de la sécurité sociale) ; la chambre commerciale (pour les litiges relatifs au droit
commercial/ droit des affaires) ; la chambre criminelle (pour les litiges de nature pénale) et
trois chambres civiles (compétentes pour les litiges relatifs aux droits des personnes, de la
famille, des biens, de la procédure…). Ensuite, il y a des formations de jugement spécifiques :
38
les chambres mixtes (composées de juges appartenant à différentes chambres de la Cour) et
l’assemblée plénière (composée de juges appartenant à toutes les chambres de la Cour).
La Cour de cassation est présidée par un premier président et un avocat général.

B. Les juridictions de l’ordre administratif

Les juridictions de l’ordre administratif sont compétentes pour trancher des litiges qui
opposent les particuliers avec des personnes morales de droit public (ex. une commune, un
département, une région, un hôpital public) ou qui opposent des personnes morales de droit
public (ex. un litige entre une commune et un département).
Il existe des juridictions administratives d’exception (ex. la Cour des comptes dont la mission
est de contrôler la gestion des services publics de l’État et des administrations ; elle recherche,
entre autres, si les comptes publics sont conformes dans les dépenses et les recettes) et des
juridictions administratives de droit commun. Parmi les juridictions administratives de droit
commun, on peut citer les tribunaux administratifs (1), les cours administratives d’appel (2) et
le Conseil d’État (3).

1. Tribunaux administratifs

Les tribunaux administratifs sont des juridictions de première instance. Ils sont les juges de
droit commun du contentieux administratif. Leur domaine de compétence est très étendu.
Ils ont une fonction consultative et une fonction juridictionnelle.
-fonction consultative : ils peuvent être amenés à donner leur avis sur des questions soumises
par les préfets.
-fonction juridictionnelle : Ils sont compétents pour trancher les contestations relatives aux
impôts directs et à leur recouvrement ; ils statuent sur le contentieux des arrêtés préfectoraux
de reconduite des étrangers à la frontière… Plus généralement, ils ont pour mission de juger
l’ensemble des contestations dirigées contre les actes et les décisions de l’Administration, à
l’exception des litiges qui relèvent de la compétence d’autres juridictions administratives (ex.
Conseil d’État statuant comme juge de première instance : voir infra).

2. Cours administratives d’appel (CAA)

Dans l’ordre administratif, il s’agit de juridictions de droit commun du second degré.


Les 8 CAA ont des attributions administratives (par ex. elles donnent leur avis sur les
questions que leur soumettent les préfets de Région) et des fonctions contentieuses. Au titre
de leurs fonctions contentieuses, elles sont chargées de statuer sur les appels qui sont formés
contre les arrêts des tribunaux administratifs et qui ne relèvent pas de la compétence du
Conseil d’Etat.

3. Conseil d’Etat

Le Conseil d’Etat est la plus haute juridiction administrative française. Il est situé à Paris.
Il comprend 6 sections (section de l’intérieur, section des finances, section des travaux
publics, section sociale, section du rapport et des études, section du contentieux). Une seule
de ses sections est chargée du contentieux : en l’occurrence, la section du contentieux
(laquelle est subdivisée en 10 sous-sections qui jugent seules ou en sous-sections réunies
c'est-à-dire à 2 ou 3). Il existe aussi une formation de jugement particulière : l’Assemblée du
contentieux. Cette formation (qui est l’équivalent de l’Assemblée plénière de la Cour de
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cassation) traite des affaires importantes ou posant des questions de principe. Elle est présidée
par le vice-président du Conseil d’Etat.

Le Conseil d’Etat a une double mission : une fonction administrative et une fonction
juridictionnelle.

-Fonction administrative : il donne des avis en matière législative (projets de lois) et en


matière administrative (texte soulevant une difficulté).

-Fonction juridictionnelle : il tranche les litiges en tant que juge de cassation.


ATTENTION : au titre de ses fonctions juridictionnelles, il peut également trancher une
affaire en tant que juge de première instance ou en tant que juge d’appel. Il s’agit là d’une
différence importante avec la Cour de cassation qui, dans l’ordre judiciaire, est seulement juge
de cassation.

►Par exemple, le Conseil d’Etat tranche les litiges en qualité de juge de première instance
(c'est-à-dire que dans ces litiges, les justiciables ne s’adressent pas aux tribunaux
administratifs, mais saisissent directement le Conseil d’État), en ce qui concerne :
-les litiges relatifs à un acte important (décret, arrêté ministériel, circulaire ministérielle).
-les litiges d’ordre individuel des fonctionnaires nommés par décret.
-les recours contre les décisions administratives des organismes collégiaux à compétence
nationale (ex. CNIL).
-les recours en matière d’élections européennes et régionales.
-les oppositions aux décrets autorisant les changements de nom.
-les litiges nés hors du territoire français.
-les recours dirigés contre les actes administratifs unilatéraux dont le champ d’application
s’étend au-delà du ressort d’un tribunal administratif.

►le Conseil d’Etat tranche les litiges en qualité de juge d’appel (c'est-à-dire que ces litiges
n’entrent pas dans la compétence des Cours administratives d’appel), en ce qui concerne
notamment le contentieux relatif aux élections municipales et cantonales.

C. Le tribunal des conflits

L’existence des deux ordres de juridictions peut donner naissance à des conflits de
compétences : Soit les deux ordres s’estiment compétents (on parle dans ce cas de conflits
positifs), soit aucun ne veut juger le litige (on parle dans ce cas de conflits négatifs).
Il existe une juridiction unique pour trancher ce type de conflits : le tribunal des conflits.
Ce tribunal est composé de conseillers d’Etat (magistrats du Conseil d’État) et de conseillers à
la Cour de cassation (magistrats de la Cour de cassation).

Pour aller plus loin :


►Le conflit est dit positif lorsque l’Administration entend soustraire à une juridiction judiciaire la
connaissance d’un litige au motif qu’il entre dans la compétence de l’ordre administratif. Le préfet
adresse alors à la juridiction judiciaire un « déclinatoire de compétence » par lequel il lui demande de
se déclarer incompétent. En cas de refus, le préfet peut prendre un arrêté de conflit qui dessaisit
provisoirement la juridiction judiciaire. Il revient alors au tribunal des conflits de confirmer ou
d’annuler l’arrêté de conflit.
►Le conflit est dit négatif lorsque, saisis de la même question, les juges judiciaires et les juges
administratifs se déclarent incompétents. Il appartient au demandeur, débouté par les deux ordres de
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juridictions, de saisir le tribunal des conflits.

Le plus souvent, les conflits de compétence entre les deux ordres de juridictions ont lieu
lorsque, dans une affaire, la qualité d’une partie pose problème. Par exemple, la qualité
d’établissement public de cette partie est incertaine.

Paragraphe 2. Les professions juridiques et judiciaires

On distingue généralement les magistrats (A) et les auxiliaires de justice (B).

A. Les magistrats

Dans l’ordre judiciaire, on dissocie les magistrats du siège et ceux du parquet. Ils sont en
principe diplômés de l’école nationale de la magistrature (ENM).
Les magistrats du siège tranchent les litiges. Pour que la justice soit rendue de la façon la plus
sereine qui soit, l’indépendance de ces magistrats est garantie par un principe d’inamovibilité.
Ils ne peuvent pas être mutés sans leur consentement, même en cas d’avancement.
Tel n’est pas le cas pour les magistrats du parquet (le ministère public) qui représentent l’Etat.
Ils sont chargés de requérir l’application de la loi dans l’intérêt de la Société (en matière
pénale, comme en matière civile : adoptions, tutelles…). Ils ne sont pas inamovibles.

Dans l’ordre administratif, les juges sont appelés des « conseillers ». Ils sont diplômés de
l’école nationale d’administration (ENA) et sont tous inamovibles.

B. Les auxiliaires de justice

Au titre des auxiliaires de justice, on peut citer : les greffiers, les avocats, les huissiers et les
notaires.

Remarque : Les conditions d’accès et d’exercice de certaines de ces professions ont été réformées
par une loi du 6 août 2015 dite « loi Macron » (cf. Travaux dirigés).

1. Les greffiers

Les magistrats sont « secondés » dans leurs tâches par des greffiers. Ces derniers assistent les
magistrats lors des audiences. Ils doivent en retranscrire le contenu dans les registres
d’audiences. Ils conservent des originaux des jugements (les « minutes »). Ils authentifient des
copies des décisions judiciaires, enregistrent les affaires, préviennent les parties de la date des
audiences, mettent en forme les décisions et les signent avec le président… Leur rôle est
essentiel pour le bon fonctionnement des juridictions.

2. Les avocats
Ils assurent la défense de leur client. A ce titre, ils vont assister les plaideurs (conseiller leur
client, plaider, déposer des conclusions) et ils vont représenter les plaideurs (ils assurent la
mission de représentation et de postulation : mission consistant à accomplir, au nom d’un
plaideur, les actes de procédure). En pratique, celui qui postule est celui qui conclut (parce
que souvent c’est celui qui plaide).

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Un avocat peut assister son client sur l’ensemble du territoire français. En revanche, il ne peut
le représenter que dans le ressort géographique de la Cour d’appel où il a établi sa résidence
professionnelle.
Devant certaines juridictions (par ex. le tribunal de grande instance : TGI), la représentation
par avocat est obligatoire. Pour les personnes ayant de faibles revenus, il existe le mécanisme
de l’aide juridictionnelle.

Remarque : Certains avocats sont qualifiés « d’avocats au Conseil d’Etat ou à la Cour de


cassation ». Ils sont des officiers ministériels (à rapprocher avec les notaires ou les huissiers
de justice). Ils ont le monopole de la représentation et de la plaidoirie devant le Conseil d’Etat
et la Cour de Cassation.

3. Les huissiers de justice

Les huissiers de justice sont des officiers ministériels qui exercent leurs fonctions en qualité
de professionnels libéraux. Ils signifient solennellement les actes de procédure aux personnes
intéressées. Ils sont compétents pour procéder aux saisies (saisies de véhicules, saisie de
comptes bancaires, saisie de meubles meublants…) ainsi qu’aux expulsions des locataires.
Les concernant, la loi « Macron » du 6 août 2015 a prévu une certaine libéralisation de l’accès
à la profession, une extension de leur compétence territoriale ou encore une limite d’âge (70
ans).

4. Les notaires

Les notaires sont des officiers publics qui exercent leurs fonctions dans le cadre d’une
profession libérale. Ils sont notamment compétents pour rédiger tous les actes auxquels les
parties souhaitent donner le caractère d’acte authentique. Ils sont également compétents en
matière de succession.
Les concernant, on peut signaler un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (datant
du 24 mai 2011) dans lequel cette juridiction condamne l’État français parce que la loi
française limitait l’accès à la profession de notaire aux seules personnes ayant la nationalité
française.

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