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Historique
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LA PHILOSOPHIE DE L'HISTOIRE D'ERNEST RENAN 47
II est, en un sens, plus important de savoir ce que l'esprit humain a pensé sur
un problème que d'avoir un avis sur ce problème, car, lors même que la question
est insoluble, le travail de l'esprit humain pour la résoudre constitue un fait expé-
rimental qui a toujours son intérêt et, en supposant que la philosophie soit con-
damnée à n'être jamais qu'un éternel et vain effort pour définir l'infini, on ne peut
nier au moins qu'il n'y ait dans cet effort, pour les esprits curieux, un spectacle
digne de la plus haute attention.
II est aussi une idée, à laquelle Renan est resté fidèle avec une constance
inébranlable, c'est que la philologie et l'histoire ne pourront être édifiées
que par de sérieux travaux d'érudition6. Très jeune encore, il s'élève contre
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Ces travaux d'érudition ont même une valeur, en quelque sorte, indes-
tructible, tandis que les généralisations les plus brillantes sont destinées à
vieillir3. Rien n'a de prix comme les documents originaux, qui nous per-
mettent de saisir la réalité vivante4.
L'analyse et la synthèse sont également nécessaires. Le spécialiste rendra
le grands services, même si son esprit est un peu borné ; mais il est à désirer
qu'il « ait l'idée de l'ensemble qui donne du prix à ses travaux ». Un excel-
lent érudit, comme Et. Quatremère, qui a accumulé des matériaux du meil-
leur aloi, aurait fait une œuvre encore plus utile, s'il n'avait pas été si dénué
d'esprit philosophique, s'il avait aperçu « le but supérieur de l'érudition5 ».
Mais c'est surtout le généralisateur qui a besoin d'être initié au travail scien-
tifique : la science se trouve presque toujours mal des interprètes qui veulent
parler pour elle sans connaître ses méthodes et ses procédés6 ». C'est pour-
quoi la création de l'Académie des sciences morales et politiques a été plutôt
fâcheuse7 :
... Nous croyons, dit-il, qu'il y a des inconvénients à séparer le travail des
documents originaux du travail littéraire et philosophique. Il est à craindre que,
dans l'avenir, cela ne constitue deux sections du travail historique, l'une se faisant
avec compétence par le paléographe, le diplomatiste, le philologue ; l'autre se fai-
sant par des hommes de talent sans spécialité.
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LA PHILOSOPHIE DE L'HISTOIRE D'ERNEST RENAN 49
1. D'autre part, Renan considère que l'érudition et l'histoire doivent avoir des modes d'ex-
position différents. Voy. V Antéchrist, Introd., p. xliv et suiv. : « J'ai pour principe que l'his-
toire et la dissertation doivent être distinctes l'une de l'autre. L'histoire ne peut être bien
faite qu'après que l'érudition a entassé des bibliothèques entières d'essais critiques et de mé-
moires ; mais, quand l'histoire arrive à se dégager, elle ne doit au lecteur que l'indication de
la source originale sur laquelle chaque assertion s'appuie. »
2. Voy., à cet égard, H. Girard et H. Moncel, Bibliographie des œuvres de Renan. Cf. aussi
Jean Pommier, Renan d'après des documents inédits. Paris, 1923.
3. Le système historique de Renan. Paris, 1905.
4. Pour ce qui suit, voy. Dialogues et fragments philosophiques, p. 257 et suiv. (La métaphy-
sique et son avenir [1860], d'après le livre d'Ét. Vacherot, La métaphysique et la science ou
principes de métaphysique positive, publié en 1858).
REV. HlSTOR. CLXX. 1er FASG. 4
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IV
Pour Renan, il est une chose certaine, c'est que, dans les sciences de l'es-
prit et notamment en histoire, la dialectique, le raisonnement syllogistique
sont fort peu efficaces. C'est ce qu'il exprime déjà très fortement dans sa
thèse sur Averroès et Vaverroïsme* :
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LA PHILOSOPHIE DE L'HISTOIRE D'ERNEST RENAN 51
II m'a lu des parties de ses Jacobins. Presque tout est vrai en ce travail ; ma
c'est le quart de la vérité. Il montre que tout cela a été triste, horrible et honteu
il faudrait montrer en même temps que cela a été grandiose, héroïque, sublime
Ah ! quelle histoire pour qui saurait la faire, qui la commencerait à vingt-cinq a
et serait à la fois critique, artiste et philosophe ! Il faudrait ne rien dissimul
montrer l'absurde et le ridicule à côté de l'admirable, que le tableau fût semblab
à la réalité ; et l'on serait sûr d'avoir fait l'œuvre la plus admirable qui fût jamai
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1. L'instruction supérieure en F
2. Voy. Henri Sée, Science et phil
3. La monarchie constitutionnell
234.
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Avec les Églises, qui ne sont que des synagogues ouvertes aux incirconcis, naît
une idée de l'association populaire qui tranche absolument sur la démocratie des
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LA PHILOSOPHIE DE L'HISTOIRE D'ERNEST RENAN 55
VI
1. Dans les dernières pages du même ouvrage, Renan déclare que ni le judaïsme, n
christianisme ne seront éternels : «L'œuvre juive aura sa fin ; l'œuvre grecque, au contr
c'est-à-dire la science, la civilisation rationnelle, expérimentale, sans charlatanisme,
révélation, fondée sur la raison et sur la liberté, se continuera sans fin. »
2. Questions contemporaines, p. 343-344.
3. Dans Essais de morale et de critique.
4. P. 24 et suiv.
5. On peut se demander si, à cet égard, Renan n'a pas subi l'influence d'Augustin Thierry
pour lequel il professait une grande admiration.
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56 MÉLANGES
VII
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LA PHILOSOPHIE DE L'HISTOIRE D'ERNEST RENAN 57
tion ethnographique n'a été pour rien dans la constitution des nations mo
dernes, où l'on constate un mélange extrême de races et, en admettant que
le fait de la race ait été considérable à l'origine, il a de plus en plus perdu
d'importance. Quant à la langue, « elle invite à se réunir, mais elle n'y forc
pas », et d'ailleurs il n'y a pas de relation entre la race et la langue. La reli-
gion ne peut non plus servir de base à la nationalité, car il n'y a plus de reli-
gion de la cité, comme chez les Grecs. La communauté des intérêts a bien
son poids, mais elle ne suffît pas ; « un Zollverein n'est pas une patrie »
Quant à la géographie, elle est sans doute un facteur important de l'histoire,
mais que signifient « les frontières dites naturelles »? En dernière analyse
« une nation est une âme, un principe spirituel », « une grande solidarité »
L'existence d'une nation « est un plébiscite de tous les jours » ; le vœu des
nations est « le seul critérium légitime ».
Renan considère, d'ailleurs, qu'il est très mauvais pour la civilisation de
se renfermer dans une culture déterminée, tenue pour nationale :
On quitte le grand air qu'on respire dans le vaste champ de l'humanité pour
s'enfermer dans des conventicules de compatriotes. Rien de plus mauvais pour
l'esprit ; rien de plus fâcheux pour la civilisation... Avant la culture française, la
culture allemande, la culture italienne, il y a la culture humaine. Voyez les grands
hommes de la Renaissance : ils n'étaient ni Français, ni Italiens, ni Allemands,
ils étaient des hommes.
Renan pense, en effet, que les nations n'ont rien d'éternel : « elles ont com-
mencé, elles finiront ; la confédération européenne, probablement, les rem-
placera ». Cependant, à l'heure qu'il est, leur existence est bonne ; elle est
une garantie de liberté, car la diversité empêche le despotisme. Puis, « par
leurs facultés diverses, souvent opposées, les nations servent à l'œuvre
commune de la civilisation ; toutes apportent une note à ce grand concert
de l'humanité, qui, en somme, est la plus haute réalité que nous attei-
gnions * ».
De fait, Renan ne se dissimule pas les « faiblesses » des nations : « Je me
dis souvent qu'un individu qui aurait les défauts tenus chez les nations pour
des qualités ; qui se nourrirait de vaine gloire ; qui serait à ce point jaloux,
égoïste, querelleur ; qui ne pourrait rien supporter sans dégainer, serait le
plus insupportable des hommes. » On ne peut mieux dire.
Déjà en 1870 2 Renan, sous le coup de la guerre franco-allemande, avait
marqué les insuffisances du principe des nationalités, qui, loin d'être de
nature à délivrer l'espèce humaine du fléau de la guerre, est capable de
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Renan s'est rendu aussi parfaitement compte du rôle immense joué par la
Révolution française; c'est, déclare-t-il, « la gloire de la France, l'épopée
française par excellence3 ». Par la Révolution, notre pays s'est donné une
mission universelle, car le but qu'il a voulu atteindre par cette Révolution
« est celui que toutes les nations modernes poursuivent : uñe société juste,
honnête, humaine, garantissant les droits et la liberté de tous avec le moin
de sacrifices possible des droits et de la liberté de chacun ». Dans la Pré-
face de La réforme intellectuelle et morale (3e édition, 1872), il nous dit encore :
« Très noble est le libéralisme allemand, se proposant pour objet, moins
l'égalité des classes que la culture et l'élévation de la nature humaine en
général ; mais les droits de l'homme sont bien aussi quelque chose ; or, c'es
notre philosophie du xvine siècle, c'est notre Révolution qui les ont fondés. »
Conception singulièrement plus juste et plus élevée que celle de Taine !
Chose curieuse, et trop peu remarquée, tandis que les malheurs qui ont
fondu sur la patrie, en 1870, ont étriqué la pensée de Taine, ils ont élargi
encore les vues historiques de Renan.
Ce dernier remarque aussi - et c'est un aperçu bien suggestif - que les
nations, comme la France, qui, dans l'histoire, ont, à un moment donné,
joué un rôle universel, le paient par de grandes souffrances : « La vie natio
nale est quelque chose de limité, de médiocre, de borné. Pour faire de l'ex
traordinaire, de l'universel, il faut déchirer ce réseau étroit ; du même coup,
on déchire sa patrie, une patrie étant un ensemble de préjugés et d'idées
arrêtées que l'humanité entière ne saurait accepter4. » Éclipse parfois mo-
mentanée, d'ailleurs, car il peut y avoir d'éclatantes renaissances, comme le
montre l'histoire, envisagée sous son aspect philosophique6.
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LA PHILOSOPHIE DE L'HISTOIRE DORNEST RENAN 59
Signalons, d'autre part, une vue bien originale de Renan : c'est que la
sagesse raisonnable a fondé moins de nouveau, a été un facteur de prog
moins efficace que la passion ardente de l'absolu et les excès qu'elle entraî
Tout le passage est à citer1 :
Quand nous brûlions des hommes pour des subtilités théologiques, nous étion
fort loin assurément de cette indifférence raisonnable pour les choses transce
dantes qui est, aux yeux d'un disciple de Confucius, la condition essentielle d
bonheur ; mais il faut prendre les races dans l'ensemble de leur histoire. La Chi
par suite de son optimisme béat, meurt, non pas de vieillesse, mais d'une enfa
indéfiniment prolongée. Les nations occidentales, qui ont eu la fièvre ardente
l'absolu et du droit, l'inquisition, le tribunal révolutionnaire, la terreur, son
jeunes, maîtresses du monde. Capables de beaucoup aimer et de beaucoup haïr
elles doivent à leurs excès mêmes d'avoir dans le passé quelque chose à détester
dans l'avenir un idéal à poursuivre a.
IX
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Le parti démocratique, dit-il, a des tendances socialistes qui sont à l'inverse des
idées américaines sur la liberté et la propriété. La liberté du travail, la libre concur-
rence, le libre usage de la propriété, la faculté laissée à chacun de s'enrichir selon
ses pouvoirs, sont justement ce dont ne veut pas la démocratie européenne.
Résultera-t-il de ces tendances un troisième type social, où l'État interviendra
dans les contrats, dans les relations industrielles et commerciales, dans les ques-
tions de propriété? On ne peut guère le croire, car aucun système socialiste n'a
réussi jusqu'ici à se présenter sous les apparences de la possibilité4.
Relevons ici une lacune dans les connaissances historiques de Renan ; elle
s'explique, en partie, par le fait que, philologue et spécialiste de l'histoire
des religions, il a laissé hors du champ de sa vision les questions écono-
miques ; elle s'explique aussi par le peu d'intérêt que l'on accordait alors
à l'histoire de ces questions. Le développement du capitalisme semble lui
avoir échappé et le mot même ne se trouve guère dans ses écrits. Il est cu-
rieux encore de constater que, malgré sa curiosité universelle et sa connais-
sance des langues étrangères, les œuvres et l'action d'un Karl Marx semblent
lui être tout à fait inconnues. La question du matérialisme historique ne se
pose pas pour lui.
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LA PHILOSOPHIE DE L'HISTOIRE D'ERNEST RENAN 61
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