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MOHCIN ECHERGAOUI

Hirak du Rif : Vers une nouvelle vie?

La marginalisation économique de la région, provoquée par la politique du roi Hassan II qui


ne portait pas les Rifains dans son cœur est toujours profondément ressentie par la
population. Malgré les tentatives de Mohammed VI de se réconcilier avec le Rif , le hirak
comme résultan de la dégradation des conditions socio-économiques dans la zone où « 40 %
des jeunes sont au chomage , La demande de démocratie, des droits humains et des libertés
est devenue plus aiguë.Sur les traces d’Abd-El-Krim, le Rif marocain était en ébullition. Une
révolte sociale, politique et identitaire, qui rencontre un écho dans le reste du pays et
illustre les impasses du pouvoir. Celui-ci est d’autant plus exaspéré que le hirak
(mouvement) invoque le nom d’Abd El-Krim (1882-1963), célèbre résistant à la colonisation.

Tout a commencé le 28 octobre 2016 lorsque la police marocaine intercepte à la sortie de la


ville d’Al Hoceima un camion rempli de 500 kilos d’espadon venant d’être pêché. Le pêcheur,
Mouhcine Fikri, ne disposant pas de toutes les autorisations nécessaires, sa marchandise est
confisquée et placée dans un camion à benne broyeuse. En voulant empêcher la destruction
de sa précieuse cargaison, le pêcheur se retrouve dans la broyeuse au moment où elle se
met en marche. Les circonstances exactes de ce drame mortel restent à déterminer lors d’un
procès. Des images du corps du défunt circulent rapidement sur les réseaux sociaux,
accompagnées de la rumeur évoquant la colère des policiers quand la victime a refusé de
payer un pot-de-vin. Il n’en faut pas plus pour que la population descende manifester dans la
rue. Elles revendiquent plus de justice sociale et dénoncent la corruption et la répression.
Pour que le portrait du Rif soit complet il faut aussi parler de La culture et la vente du
cannabis ont toujours été le secteur économique numéro un de la ville et de sa région.

MouhcineFikri, comme les autres pêcheurs d’Al Hoceima, n’avait plus de titre professionnel.
Mais ni la police, ni la douane, ni les services des pêches ou vétérinaires ne les empêchaient
d’avoir une activité normale de pêcheur . Ils pouvaient commercer sans avoir à payer de
droits et subir de contrôles sanitaires. Et cela arrangeait bien tout le monde. Autant les
pêcheurs qui pouvaient essayer de gagner leur vie que l’État qui évitait ainsi que cette partie
de la population ne sombre encore plus dans la pauvreté. Toutefois, à l’approche de la
COP22, la grande conférence climatique de l’ONU, qui se tenait en novembre dernier à
Marrakech, l’État s’était mis en tête de faire, momentanément, respecter les règles. Pour
une question d’image. Voilà pourquoi Mouhcine Fikri s’est fait contrôler. Les premières
contestations ont lieu en septembre 2016, où plusieurs Rifains se rassemblent pour
manifester contre l'état des routes, notamment à Beni Hadifa où Nasser Zefzafi se met en
avant pour la première fois pour dénoncer les mauvaises infrastructures du Rif. Cependant,
l’événement majeur et déclencheur du mouvement est la mort, le 28 octobre 2016 à Al
Hoceïma, du poissonnier Mohcine fikri.

Le 6 février 2017, des milliers de jeunes manifestants se rassemblent à Al Hoceïma en


mémoire de la mort du nationaliste rifain Abdelkrim al-Khattabi. Au cours de violents
affrontements, une trentaine de policiers des forces anti-émeutes sont blessés selon la
version officielle le nombre de victimes du côté manifestant n'est pas révélé.

Au début, les autorités ignorent le mouvement, estimant sans doute qu’il s’éteindrait de lui-
même. Mais, devant sa persistance et son extension, elles sont obligées de réagir, . Tandis
que dans les drapeaux présents, on retrouve le drapeau de la République du Rif mais pas
celui du Maroc. Apres une forte mobilisation l’Etat se sent menacé ou bien les intérêts des
acteurs. Le pouvoir a cherché à diviser et isoler la mobilisation pensant que le temps jouerait
en sa faveur. En réalité, La contestation a dévoilé une crise de la façade démocratique, de
ses relais institutionnels, des dispositifs hégémoniques des dominants .Les partis du système
largement discrédités, n’ont aucune assise sociale autre que clientéliste. Associés à la
gestion d’un système répressif, corrompu, leurs discours ne sont que la mise en forme des
injonctions du ministère de l’intérieur. La crise politique n’a pas commencé ces derniers
mois, mais la mobilisation l’a fait apparaitre ouvertement.

La monarchie a épuisé ses médiations à force de domestiquer le champ social et politique en


ne lui laissant aucune autonomie. Ce n’est pas un hasard que le mouvement actuel refuse
de négocier avec les responsables gouvernementaux, les élus, les officines politiques et
s’adresse directement à la monarchie. Ce qui est mis au-devant de la scène, c’est le
dévoilement de la façade : le monarque est le pouvoir réel. Une nouvelle séquence, en
termes d’horizon politique, commence à être posée et qui aura un effet majeur sur les
perspectives d’ensemble, quelle que soit l’issue de cette lutte. Lorsque les demandes
sociales et démocratiques sont adressées directement à la monarchie qui n’a même plus de
fusibles à présenter, elle devient la cible potentielle dans ce niveau on parle de l’émergence
d’un grand problème donc il faut obligatoirement que l’Etat entre dans la phase des
décisions et des choix en vue de régler ce problème.

Le pouvoir public a décidé de ne pas accepter de dialoguer avec les représentants du


mouvement populaire. Il est organiquement hostile à un dialogue qui traduit un rapport de
force issu des mobilisations, la solution est de légitimer l’utilisation de la force. Considéré
comme le principal dirigeant contestataire, Nasser Zefzafi est poursuivi par les autorités sous
l'accusation d'avoir interrompu le prêche d'un imam, le vendredi 26 mai. Au cours du week-
end, une vingtaine d'arrestations sont effectuées contre les manifestants accusés par l’état
marocain d'avoir blessé les forces de sécurité, dégradé la voie publique et atteint à la
souveraineté marocaine sur la région du Rif , alimentant en retour les protestations contre la
répression6. Nasser Zefzafi est arrêté le lundi 29mai.
le lundi 12 juin une délégation gouvernementale est conduite lpar le ministre de l’Intérieur,
Abdelouafi Laftit, qui s'est rendu à Al Hoceïma pour examiner l’état d’avancement des
chantiers de réformes lancés dans le cadre du programme «Al Hoceïma, Manarat Al
Moutawassit».

C'est la deuxième délégation gouvernementale la plus importante en l'espace de moins d'un


mois, qui se rend sur les mêmes lieux du hirak pour s'enquérir de la mise en œuvre des
engagements visant à accélérer le rythme de réalisation des différents projets de
développement de la province prévus jusqu'en 2019.

Mais deux autres initiatives ont retenu l'attention: la fin de la visite effectuée à Al Hoceïma
par «la Moubadara d'Al Hoceïma», une initiative menée par une dizaine de membres de la
société civile, académiciens et intellectuels, qui se sont déplacés dans la région, entre le
lundi et le jeudi de la semaine dernière, pour enquêter sur le hirak, et encourager un
dialogue entre celui-ci et les autorités locales.

Toutes les parties ont été contactées durant cette visite, autorités locales, élus, familles des
prisonniers, prisonniers, et des jeunes du Mouvement de protestation toujours en activité…
«L'objectif étant de rétablir la confiance, engager le dialogue, car il y a un véritable
malentendu entre la population et les autorités qu'il faut dissipe, Une autre initiative pour
apaiser la situation provient cette fois-ci du président de la région Tanger-Tétouan-Al
Hoceïma, Ilyas El Omari. Pointé du doigt par nombre de députés, dont ceux du PJD, comme
ayant failli à son rôle dans la gestion de cette crise, le patron du PAM sort de sa réserve et
annonce la tenue le 16 juin d'un «symposium national» sur les protestations d'Al Hoceïma. Y
sont invités syndicalistes, députés, membres du gouvernement, Conseil national des droits
de l’Homme, Conseil économique, social et environnemental, familles des prisonniers,
universitaires, et la Coordination européenne de solidarité avec le mouvement rifain.

L'objectif du président de la région est clair: la récupération de la gestion de la contestation


populaire à Al Hoceïma par l'engagement d'un débat scientifique et serein sur les causes de
cette crise et l'esquisse «de solutions efficaces et urgentes pour le bien-être des populations
qui souffrent dans ces régions» annonce-t-on auprès du conseil de la région. Mais la sortie
médiatique offensive d'Ilyas El Omari à l'égard des partis sur la chaîne de télévision Al Aoula
(dans l'émission «Daïf Al Aoula») du 13 juin, soit deux jours avant la tenue de ce symposium,
hypothèque la présence à ce rendez-vous de quelques ministres.

Le pouvoir cherche à créer des espaces de médiation visant à faire croire que le dialogue est
possible. On a vu fleurir les initiatives, les prises de positions, les pétitions appelant « au
dialogue »pour abaisser les tensions et trouver des solutions communes dans l’intérêt de la
stabilité et du pays . Reste que l’objectif visé n’est pas la réponse aux revendications des
masses mais de gagner du temps, de diviser le mouvement et de remettre en selle des pare
chocs protégeant le pouvoir central et diluant ses responsabilités. Il s‘agit de refuser les
officines politiques, les pseudos dialogues avec les marionnettes du pouvoir, les médiations
et relais du système. Les demandes sociales et démocratiques doivent être orientées vers le
pouvoir réel et les véritables centres de décisions.

Tout est possible mais rien n’est certain. Le pouvoir s’appuie sur ces différences pour éviter
que l’incendie se propage, le roi Mohammed VI dans ses derniers discours, avait vertement
critiqué les membres du gouvernement. Soucieux de ne pas voir se reproduire d’autres
mouvements de protestations similaires à celui en cours dans le Rif, déjà cet été, plusieurs
ministres avaient été privés de vacances par le roi et sommés de se rendre en urgence dans
les zones concernées par les plans de développement. Ce qui est impressionnant dans ce
mouvement, le Hirak, c’est sa capacité à mobiliser pratiquement l’ensemble de la population
non seulement dans la ville d’Al Hoceima, mais dans toute la région. C’est aussi son souci de
s’auto-organiser, loin des récupérations possibles de tous les corps constitués,
administration, partis, syndicats, associations.

Ce n’est sans doute pas un hasard si, après des mois de tergiversations, le pouvoir qui avait
reconnu les défaillances de la gestion de la région, limogé quelques ministres et hauts
fonctionnaires coupables d’inaction, de corruption ou de prévarication.

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