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cupation pour des pays très industrialisés comme domaines. Par conséquent, c’est sans surprise que
pour des économies à revenu intermédiaire. La l’on constate la généralisation actuelle des com-
situation est inquiétante pour nombre d’États- portements professionnels nomades. D’une cer-
nations, qui s’aperçoivent qu’ils perdent leur taine façon, ils ne font que reprendre et étendre
emprise sur leurs ressortissants qualifiés. Des une tendance inhérente au monde scientifique.
organisations intergouvernementales établissent C’est la raison pour laquelle l’observation de la
une analogie avec les marchés financiers interna- mobilité à l’intérieur du monde scientifique peut
tionaux à l’instabilité notoire, utilisant alors le fournir une profondeur historique, une panoplie
concept de fuite de capital humain (Haque et d’éléments empiriques anthropologiques et de
Kim, 1994). Cette idée de volatilité extrême des données quantitatives ainsi qu’un ensemble de
professionnels hautement qualifiés, qui reçoivent concepts et de théories qui nous aident à com-
des offres alléchantes et peuvent donc partir d’un prendre ce qui est en jeu avec la mobilité des
jour à l’autre, prend de l’ampleur. Les nouvelles acteurs dans la société mondiale du savoir. Les
technologies de l’information et de la communi- sections qui suivent seront donc axées sur les
cation semblent en fait avoir mis sur le marché scientifiques et ingénieurs, mais, à l’occasion,
des outils appropriés pour que l’offre soit immé- elles élargiront leur champ à d’autres catégories
diatement et de façon transparente mise en cor- professionnelles.
respondance avec la demande à l’échelle univer- Ce n’est pas sans bonnes raisons que la
selle. On considère désormais que les coûts de notion de nomadisme a été retenue. Les compor-
transaction qui, entre autres choses, restreignaient tements nomades renvoient à une mobilité spa-
considérablement la fluidité des recrutements et tiale et sociale mais aussi intellectuelle, comme
nominations de professionnels hautement quali- Gilles Deleuze l’a montré dans son œuvre philo-
fiés, sont désormais supprimés par les conditions sophique. L’hypothèse de base est que les
du nouveau marché (Stewart, 1997). Les lieux où nomades ne sont pas des entités isolées. Généra-
l’intensité du savoir est faible pourraient donc lement, ils constituent des sociétés extrêmement
légitimement craindre d’être atteints d’« hémo- complexes, suivent des itinéraires qu’ils appren-
philie » puisque leurs talents, désormais libres nent à connaître, entrent en interaction – parfois
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Les professeurs Zhang Zhou and Frasconi ferment le tour des ondes gravitationnelles, Pise, Italie. Philippe Plailly/
Eurelios.
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dans des êtres humains. Leurs mouvements ne déplacements de ceux qui y ont contribué, que
s’inscrivent pas nécessairement dans la longue ces mouvements aient été entrepris pour mettre
durée. Nombre d’échanges scientifiques sont en commun des acquis, pour se poser en concur-
donc courts, qu’il s’agisse de participer à des rent ou pour coopérer. On s’accorde en général à
réunions internationales ou de prendre un congé reconnaître que cette circulation internationale
sabbatique dans un pays étranger. Cependant, des personnes et compétences a des effets béné-
comme les travaux de sociologie consacrés à la fiques. Il s’avère qu’elle suscite un brassage
science et à la technologie l’ont désormais ample- d’idées et, en fin de compte, une optimisation
ment démontré, on ne peut guère avoir une com- cognitive globale. C’est l’argument avancé par
préhension approfondie des choses sans partage les « internationalistes » dans le débat théorique
culturel, sans formation ou pratique collectives, sur l’exode des compétences dans les années
et par conséquent sans séjours prolongés hors du soixante et soixante-dix ; pour eux, le marché
milieu d’origine. Les flux sont inévitablement international du travail plaçait les ressources
modelés sur les structures de répartition du savoir humaines là où elles étaient le mieux utilisées et
dans le monde. Les lieux à haute intensité de rémunérées. On leur a opposé que de nombreux
connaissances – qui fixent les normes et modèles, autres facteurs intervenaient dans ces mouve-
offrent les installations expérimentales et assu- ments et donnaient au Nord un pouvoir d’attrac-
rent la visibilité en même temps que la formation tion inéquitable. Les avantages de la circulation
et le recrutement des nouveaux venus – détermi- internationale n’ont cependant jamais été mis en
nent les orientations des échanges. C’est la raison doute, et l’on s’accorde à reconnaître que la
pour laquelle l’émigration à long terme, ou ce que science profite du nomadisme des scientifiques.
l’on a souvent appelé « l’exode des compé- En fait, depuis que la science a fait ses pre-
tences », désigne essentiellement, à proprement miers pas dans le bassin méditerranéen, il appa-
parler, le fait que des gens venus dans un pays raît que la circulation des agents humains a
hôte en tant qu’étudiants y restent pour faire une contribué aux progrès scientifiques. Ces agents
carrière intellectuelle et professionnelle. semblent avoir alternativement connu des
On voit la même logique à l’œuvre dans les moments d’échanges et de formation dans des
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On a là deux points de vue sur la mobilité des pays industrialisés. Cette idée correspondait bien
professionnels hautement qualifiés, à savoir la aux conceptions bipolaires caractéristiques du
circulation et la fuite des cerveaux. monde de cette époque de guerre froide et de dia-
Depuis quelques années, c’est la conception lectique Nord-Sud, développement/sous-déve-
circulatoire – considérant des déplacements à loppement. Dans la perspective des théoriciens de
court, moyen ou long terme – qui a clairement le la dépendance, plus le Nord se développerait,
vent en poupe (Cao, 1996 ; Gaillard et Gaillard, plus le Sud deviendrait dépendant et pauvre en
1997 ; Johnson et Regets, 1998 ; Mahroun, 1999 ; raison d’une disparité dans l’accumulation de
Pedersen et Lee, 2000), bien que ses principes ne capital qui était favorable à la concentration plu-
soient pas nouveaux dans les études sur les tôt qu’à la redistribution.
migrations (Chapman et Prothero, 1985). Ces Le capital humain – dont les principes théo-
analyses reposent pour l’essentiel sur les constats riques alors émergents apportaient aux idées
empiriques faits à propos des ressortissants de d’exode des compétences des outils conceptuels
pays d’Asie nouvellement industrialisés qui – apparaissait comme ne différant plus du capital
retournent chez eux après avoir fait des études matériel ou financier. La mobilisation et l’expan-
supérieures, voire exercé professionnellement, à sion considérables de ce capital dans les pays très
l’étranger. Elles montrent l’avantage que le pays industrialisés attiraient certaines parties du capi-
hôte comme le pays d’origine peuvent tirer de cet tal humain en voie d’accumulation dans le Sud,
échange, à supposer que, une fois rentrés au pays, réduisant immédiatement à néant les investisse-
les professionnels hautement qualifiés et les ments que les pays en développement avaient
détenteurs d’un savoir apportent une contribution faits dans l’éducation et la formation. Le noma-
majeure dans les domaines de pointe qui se déve- disme traditionnel des scientifiques et ingénieurs
loppent dans leur pays d’origine. Cependant, il en était ainsi récupéré sous l’action des forces
ressort nettement que ces retours positifs ne macroscopiques qui actionnent les flux de res-
valent que pour les nouveaux pays industrialisés sources humaines. Tel un aimant, le centre attirait
dotés d’un secteur technique et industriel dyna- les talents, éparpillés quoique multiples, de la
mique capable de tirer parti de cet apport, et non périphérie.
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tés et les flux qui s’ensuivent entre les unes et les médiaire (pour reprendre la terminologie de la
autres ne sont pas déterminées par un centre Banque mondiale) comme l’Afrique du Sud.
unique mais par plusieurs centres, qui ont chacun Cette dernière peut à son tour souffrir d’une
leur puissance, leur portée et leur intensité. Cette hémorragie dans le même domaine, pour le profit
théorie prend aussi une certaine distance concep- cette fois non d’un centre universel mais d’un
tuelle avec le déterminisme économique ou avec pays plutôt semi-périphérique dans le système
la prééminence de l’économie qui ont marqué le mondial (dans le cas présent, la Nouvelle-
discours théorique sur la dépendance, et elle Zélande). La France, qui appartient à la triade
accorde beaucoup plus d’importance à l’in- hégémonique (Amérique du Nord, Europe occi-
fluence du savoir sur les orientations des flux. dentale, Japon) en termes de capacités scienti-
Cette conception multicentrique des relations fiques et techniques et qui agit elle-même comme
scientifiques et techniques internationales insiste un puissant aimant pour les étudiants et profes-
sur le fait que les flux sont organisés hiérarchi- sionnels africains, se préoccupe du départ de
quement (Altbach, 1995 ; Choi, 1995). Certains compétences prometteuses en direction d’un
pays sont plus puissants que d’autres en matière autre membre de la triade, l’Amérique du Nord.
de production, de diffusion et d’utilisation du Cette dernière n’est pas non plus sans connaître
savoir. Cette hiérarchie structure la mobilité des des turbulences internes puisque le Canada doit
scientifiques et ingénieurs, même s’il faut procé- compenser par des apports extérieurs les pertes
der à des observations particulières pour la com- qu’il subit au profit de son voisin.
prendre au niveau mondial. L’émigration des compétences n’est donc
Trois exemples tout à fait récents, tirés de plus limitée à un certain type de pays ni l’accueil
différents continents, illustrent bien cette hiérar- de celles-ci à un autre type. Au lieu de cela, on
chie : constate que des pays envoient et reçoivent
« Les immigrés aident à contrebalancer l’exode simultanément des talents. Les médias se font
des cerveaux au Canada » (Nature, 8 juin l’écho de l’instabilité et de l’imprévisibilité d’une
2000, vol. 405, n° 6787), où l’on voit que circulation qui est devenue insaisissable et très
des étrangers, principalement issus du tiers complexe. Devant cette cascade de migrations –
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des Nations unies pour l’Afrique-Organisation qu’à l’intérieur des pays. En même temps, ces
internationale pour les migrations qui s’est tenue inégalités entre pays encouragent encore les pro-
en février 2000 à Addis-Abeba sur le thème cessus de migration des compétences liés à des
« L’exode des compétences et le renforcement différences de salaires de plus en plus marquées
des capacités en Afrique », nombre d’exemples entre le monde développé et le monde en déve-
affligeants ont été cités à propos de ces pays. Par loppement.
conséquent, même s’il n’y a plus de centre unique
d’attraction ni de situation typiquement périphé- Intermédiaires et canaux de la
rique, le nouveau nomadisme des scientifiques et mobilité
ingénieurs n’en reste pas moins nettement carac-
térisé par des relations asymétriques, soumises à La circulation planétaire des professionnels hau-
l’incidence considérable de la puissance et de la tement qualifiés est souvent présentée comme un
richesse. phénomène de mondialisation et comme le résul-
Les compétences sont de plus en plus déter- tat inévitable de l’internationalisation du marché
minantes pour le succès économique. Avoir des du travail. Elle semble donc échapper au contrôle
professionnels qualifiés est essentiel si l’on veut d’entités isolées et aux interventions des États. En
disposer d’un avantage sur ses concurrents, et ce réalité, la situation est très différente. Les États-
non seulement dans les domaines nouveaux de nations sont étroitement associés à ce processus.
l’économie, mais même dans des activités plus Nombre de pays membres de l’OCDE encouragent
traditionnelles comme les industries extractives implicitement ou explicitement depuis plusieurs
et manufacturières. Par exemple, la composante décennies des formules et politiques d’immigra-
intellectuelle de la production de biens est passée tion sélective (OCDE, 1998). Récemment, ce phé-
de 20 % dans les années cinquante à 70 % actuel- nomène est ressorti plus nettement quand les
lement (Stewart, 1997). L’accès à des matières besoins en ressources humaines étrangères haute-
premières ou à des énergies bon marché et une ment qualifiées ont considérablement augmenté.
main-d’œuvre non qualifiée peu coûteuse ont par Les prévisions en matière de tendances du mar-
conséquent de moins en moins d’importance. ché ont suscité une importante demande de com-
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Dans cette affaire, les acteurs publics tra- l’autre. Si certains acteurs manifestent une grande
vaillent souvent la main dans la main avec des autonomie, d’autres sont beaucoup plus tribu-
compagnies privées, agences de recrutement et taires des conditions qu’on leur a offertes et cette
sociétés de chasseurs de têtes, qui ont pour objec- variabilité dépend du type de profession dans
tif de fournir à leurs clients les compétences lequel ils sont engagés. C’est ce que montre un
appropriées. Curieusement, cela se passe souvent examen approfondi des biographies des migrants
dans le secteur de l’informatique, où l’on aurait et des trajectoires ou itinéraires personnels qu’ils
pensé que l’Internet et les autres moyens de com- ont suivis. Les chercheurs appartenant au secteur
munication électroniques auraient débarrassé le de la recherche académique se déplacent à l’inté-
marché de toute intervention humaine et/ou rieur de réseaux très personnels, tissés à l’occa-
sociale et auraient libéré la relation entre l’offre et sion de réunions traditionnelles et d’ordinaire mis
la demande de tout intermédiaire. Les domaines en place au cours du temps, en fonction d’affini-
de connaissance considérés – logiciels et bases de tés intellectuelles et d’intérêts pour des objets
données pour l’essentiel – sont effectivement tout assez spécifiques. La décision de partir se prend
à fait uniformes puisqu’ils ont été conçus selon après une négociation directe entre le migrant
un petit nombre de procédés techniques et sont potentiel et l’entité hôte. La confiance est un élé-
standardisés par les processus mêmes qui ont per- ment essentiel de la relation. À l’inverse, les
mis leur diffusion massive en tant que produits informaticiens tendent beaucoup plus à se faire
nouveaux répondant à une logique de rendements embaucher par une société de recrutement spé-
croissants. On pourrait donc penser que, pour que cialisée qui, entre autres choses, s’occupe des for-
des professionnels dans ce domaine soient échan- malités administratives (visas), assure un revenu
gés et recrutés, il suffirait qu’ils affichent leurs avant même qu’il y ait recrutement effectif à
compétences censément codifiées dans un lieu l’étranger et fournit souvent un logement tempo-
public – par exemple, dans un espace virtuel tel raire à l’arrivée. La relation s’établit alors d’em-
qu’un site Web – où les demandeurs de compé- blée sur une base contractuelle et anonyme.
tences de ce type les repéreraient et les sélection- Entre ces deux situations très distinctes, il
neraient. Or, il n’en est rien. Bien que les existe toutes sortes de conditions intermédiaires,
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particulièrement pertinent dans les pays en déve- pour trouver des emplois. La raison en est plutôt
loppement dont « l’apport » de personnel de ce dans leur situation socioprofessionnelle. Ils se
type est particulièrement élevé. Enfin, l’impact trouvent insérés à l’étranger dans des réseaux
sur les pays en développement est beaucoup plus efficaces et, dans bien des cas, y exercent des res-
lourd que sur les pays très industrialisés pour ponsabilités importantes. Les postes de direction
cette simple raison que ce qui est un afflux relati- qu’ils occupent les lient souvent au pays hôte,
vement modéré pour ces derniers représente une même s’ils n’excluent pas des déplacements de
sortie importante pour les premiers étant donné courte durée. Il semblerait aussi que ces per-
que leurs effectifs respectifs de chercheurs diffè- sonnes se rendent souvent dans leur pays d’ori-
rent considérablement. Évidemment, il convient gine, avec une périodicité moyenne d’une visite
aussi de faire des distinctions entre les pays en tous les deux ou trois ans, en relation avec des
développement. Quelques milliers de program- engagements et des obligations aussi bien profes-
meurs prélevés sur les énormes cohortes de l’Inde sionnels que personnels. Par conséquent, le
ne représenteront sans doute pas une perte aussi nomadisme des scientifiques et ingénieurs consi-
dramatique que le départ de quelques centaines dérés est beaucoup plus proche de la situation de
de médecins zambiens, par exemple. l’amphibio culturalis (Mockus Sivickas, 2000),
L’instabilité de la population hautement qua- capable de se mouvoir et de fonctionner dans
lifiée est, elle aussi, à prendre en considération. deux milieux de vie distincts, que de l’image de
Dans quelle mesure les talents se déplacent-ils l’intellectuel libre de toute attache et en perpé-
réellement d’un lieu à l’autre ? N’ont-ils pas ten- tuelle errance.
dance à se fixer ? Dans le passé, il n’était pas
facile de répondre à ces questions à partir de don- L’essor des réseaux de diasporas
nées quantitatives. On se contentait donc d’études intellectuelles
de cas portant sur des itinéraires individuels, qui
n’étaient pas nécessairement représentatifs de Ce double cadre de vie propre à nombre d’expa-
groupes entiers de nomades. Des études récentes triés très qualifiés, fait de double allégeance et
des diasporas ont permis de dégager des données d’identification au pays d’origine comme au pays
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et à les mettre en rapport, où qu’ils se trouvent, scientifiques et ingénieurs qui en sont originaires
avec leur pays d’origine. La politique du retour – souvent expatriés – un rôle social, une mission
repose sur une conception traditionnelle du capi- et une reconnaissance qui sont plus marqués que
tal humain, l’objectif étant de récupérer les jamais.
connaissances incorporées dans un individu. La L’option diaspora introduit une logique nou-
politique de la diaspora a davantage d’affinités velle et originale dans les relations scientifiques
avec les nouvelles notions de travail en réseau. internationales. Elle prend quelques distances à la
Elle traduit un mode de pensée « connectiviste » fois avec la conception centre-périphérie et avec
qui permet d’exploiter non seulement ces la conception du système mondial. Les situations
connaissances incorporées mais également les de dépendance peuvent en fait être allégées
vastes réseaux socioprofessionnels ainsi que les puisque les forces cognitives des pays ne sont
ressources humaines, matérielles et cognitives plus situées uniquement à l’intérieur de leurs
qui y sont associées. propres frontières. L’accumulation de plus en
L’idée d’assurer la coopération de scienti- plus marquée du capital de savoir dans le Nord
fiques performants et compétents avec leur pays n’est plus nécessairement synonyme d’un élargis-
d’origine n’est pas nouvelle. L’histoire des sement du fossé avec le Sud, étant donné que ce
sciences offre de nombreux exemples de coopé- dernier peut l’exploiter à ses propres fins et de sa
ration de ce type, que ce soit au niveau individuel propre initiative. De façon paradoxale, l’asymé-
de scientifiques de renom ou qu’il s’agisse d’ini- trie entre le fort et le faible est partiellement effa-
tiatives collectives émanant d’associations cée et ce dernier peut s’approprier la force du pre-
locales sur des campus d’Europe ou d’Amérique mier. Les catégories et la répartition
du Nord. Cependant, le phénomène a acquis hiérarchiques dans le monde se trouvent
aujourd’hui une autre nature en prenant une brouillées du fait que les lieux du pouvoir et de la
grande ampleur. Bien qu’ils diffèrent entre eux, croissance sont désormais multiples et dispersés.
les nouveaux réseaux de diasporas sont plus nom- De plus en plus fondées sur le savoir, les capaci-
breux, plus systématiques et plus vastes. Les rai- tés de développement sont plus omniprésentes,
sons de leur apparition au cours de la décennie non qu’elles soient devenues immatérielles mais
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suivre des initiatives collectives. Il faut pour cela tant pas un phénomène nouveau puisqu’elle
une gestion stratégique et une volonté politique, remonte à deux décennies et demie. De plus, les
de sorte que des partenariats soient effectivement traits de cette mobilité ne diffèrent pas sensible-
créés et des ressources soient dégagées en vue ment de celles du nomadisme traditionnel des
d’actions communes. La question se pose ainsi de scientifiques et ingénieurs. En fait, ces derniers
savoir dans quelle mesure cette solution est restent les plus mobiles de toutes les catégories
viable dans de nombreux pays en développement. professionnelles hautement qualifiées. Leurs
Le cas du réseau colombien de scientifiques et déplacements sont très certainement encore fonc-
ingénieurs à l’étranger (Red Caldas) montre bien tion des acteurs sociaux et des conditions. Ils
quels sont les points faibles que l’on peut rencon- occasionnent des installations durables plutôt
trer. Créé en 1990 à une époque où l’effort natio- qu’une poursuite sans fin ou un nomadisme d’al-
nal de R-D se développait de façon spectaculaire, ler et retour. Comme à l’époque où la science vit
il a été démantelé officiellement après une le jour dans le bassin méditerranéen, la mobilité
dizaine d’années d’une existence prometteuse actuelle des scientifiques et ingénieurs est fonc-
mais marquée par des hauts et des bas. Quand le tion des grandes orientations géopolitiques, avec
gouvernement a changé, la crise multidimension- des flux et séquences de concentration et de dis-
nelle actuelle a imposé des priorités plus urgentes persion. La multiplication actuelle des schémas
et le budget a été sévèrement réduit. Par consé- fondés sur la mobilisation et l’utilisation de dia-
quent, bien qu’elle ne demande que des investis- sporas hautement qualifiées peut correspondre à
sements limités et qu’elle tire parti des ressources une nouvelle séquence ou tendance à la disper-
existantes, l’option diaspora peut souffrir de ce sion, après la concentration massive des décen-
dont les pays en développement manquent sou- nies écoulées. C’est ce que signifie par son
vent de façon notoire, à savoir une continuité ins- étymologie même le mot grec diaspora (« disper-
titutionnelle et une stabilité sociopolitique. sion », « dissémination »), à savoir un mouve-
ment au-delà des frontières mais non sans liens
Conclusion sociaux et associations. De ce fait, il est possible
qu’une partie de ces compétences soit « récupé-
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Références