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Revue d'histoire de l'Église de

France

Évêque de Paris et chapitre de Notre-Dame : la juridiction dans


la cathédrale au Moyen Âge
Pierre-Clément Timbal, Josette Metman

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Timbal Pierre-Clément, Metman Josette. Évêque de Paris et chapitre de Notre-Dame : la juridiction dans la cathédrale au
Moyen Âge. In: Revue d'histoire de l'Église de France, tome 50, n°147, 1964. pp. 47-72.

doi : 10.3406/rhef.1964.1729

http://www.persee.fr/doc/rhef_0300-9505_1964_num_50_147_1729

Document généré le 19/10/2015


ÉVÊQUE DE PARIS
ET CHAPITRE DE NOTRE-DAME :
LA JURIDICTION
DANS LA CATHÉDRALE AU MOYEN ÂGE

la A
cohabitation
Notre-Dameentre
de Paris,
l'évêque
comme
et ledans
Chapitre
bien d'autres
soulevait,cathédrales,
au Moyen
âge, de nombreuses difficultés. Le service divin devait les unir
et leurs statuts respectifs établissaient entre eux les liens d'une
souhaitable harmonie : le Chapitre élisait l'évêque et recevait
son serment de fidélité 1 ; l'évêque désignait les chanoines 8
et installait le doyen qu'ils avaient élu. L'émulation dans
l'accomplissement de fonctions qui s'exerçaient en un même lieu allait
cependant se traduire fatalement en concurrence et celle-ci
dégénérer trop souvent en conflit 8.
Dans certains diocèses, le Chapitre était seul maître de la
cathédrale, où l'évêque faisait quelque peu figure d'invité, et un
privilège d'exemption lui assurait une complète indépendance 4,

1. B. Guérard, Cartulaire de Notre-Dame de Paris (1850), t. I, p. 456.


Les nombreux textes publiés par Guérard sont cités d'après son édition ;
la cote des documents aux Archives nationales est donnée lorsqu'ils n'ont
été publiés que partiellement ou omis par lui. Sauf indication contraire,
les pièces d'archives citées proviennent des Archives nationales.
2. Guérard, t. I, p. 33, 39, 456.
3. Déjà, vers 1127, Suger et d'autres avaient dû arbitrer, en vue de la
reformatio pacis et concordiae, un conflit relatif au statut du Chapitre
(Guérard, t. I, p. 338).
4. Le Chapitre exempt de Langres ne reconnaît, depuis le xne siècle,
à l'évêque que le droit d'officier pontificalement au maître-autel et de s'asseoir
sur son trône dans le chœur (M. Le Grand, Le Chapitre cathedral de Langres
de la fin du XIIe siècle au concordat de 1516, 1931, p. 120 sq.). — A Chartres,
l'exemption du Chapitre, qui exerce toute la juridiction sur la cathédrale,
est reconnue par l'évêque en 1328 (L. Amiet, « La juridiction privilégiée
spirituelle du Chapitre cathedral de Chartres », dans la Revue historique
de droit, 1923, p. 210-271). — A Clermont, le Chapitre est également exempt
et son privilège, supprimé en 1362 par Urbain V, ancien officiai de l'évêque,
est rétabli par Eugène IV en 1445 (L. Welter, « Le Chapitre cathedral de
Clermont, sa constitution, ses privilèges », dans la Revue àl'Histoire de l'Église
de France, t. XLÏ, 1955, p. 5-42). — Les relations sont si tendues entre le
48 P.-C. TIMBAL ET J. METMAN

A Paris, la situation était moins nette et la collaboration


nécessaire n'en était que plus méritoire : si elle ne fut pas toujours
obtenue sans heurt ni même sans procédure, elle fut, en fin de
compte, maintenue, sans violences graves, au prix de
transactions qui laissèrent constamment à l' évêque une situation
honorable dans sa cathédrale. Le Chapitre n'en chercha pas moins,
tout au long du Moyen âge, à se faire reconnaître comme le
véritable maître de l'église et la lente progression de son autorité
ne fut sérieusement mise en question que lorsque le siège
episcopal fut occupé par des prélats énergiques, voire autoritaires :
Etienne Tempier, au xme siècle, Guillaume de Chanac et Pierre
d'Orgemont, au xive, essayèrent de marquer un coup d'arrêt,
mais la constance de son effort assura le succès du Chapitre.
La concurrence de l'évêque et du Chapitre à l'intérieur de
la cathédrale visait, à proprement parler, la juridiction ; mais
la juridiction implique la « police » — c'est-à-dire le
commandement et l'administration — et celle-ci est permanente, tandis
que celle-là n'a que de rares occasions de s'exercer au
contentieux. Il n'est donc pas surprenant que les plus graves incidents
soient nés des heurts de la vie quotidienne : le luminaire et la
dépouille des obsèques nous apparaissent comme des causes
dérisoires, sinon mesquines, de conflit, mais on ne peut les
considérer comme telles si on se rappelle qu'en réalité c'est la
juridiction elle-même qu'elles mettent en jeu.
Le luminaire — qui se présente sous des formes diverses :
lampes à huile, « chandelles de suif » ou simplement chandelles,
« chandelles de bougie » ou cierges, « torches » ou faisceaux de
chandelles 5 — est fourni pour l'ordinaire par l'évêque et plus
précisément par le chevecier au nom de l'évêque. Un texte du
xne siècle, remanié au xme, précise l'importance de ce
luminaire 6 : un cierge doit brûler en permanence devant l'autel de la

Chapitre exempt d'Angers et son évêque que celui-ci en vient à refuser de


participer aux frais des cérémonies de la cathédrale (XlA 10, f° 440 v°,
11 mai 1346).
Un aperçu d'ensemble est donné par G. Le Bras, Les institutions
ecclésiastiques de la chrétienté médiévale [Histoire de l'Église de A. Fliche et
V. Martin, t. XII), p. 388.
5. Cf. R. de Lespinasse, Les métiers et corporations de la ville de Paris,
t. I (1886), p. 500, 506 et 562.
6. LL 78, p. 353, signalé par Guérard, t. III, p. 363 ; le Chapitre avait
profité d'une régale exercée par Louis VII pour lui faire prescrire un
accroissement considérable du luminaire : ce nouveau règlement ne nous est connu
que par une copie du xive siècle, manifestement interpolée (la fête de saint
Bernard, canonisé en 1174, y figure, alors que la dernière régale qu'ait pu
exercer Louis VII date de 1160}.
Un texte de 1578 (cité infra, n. 120) précise avec beaucoup de détails le
luminaire ordinaire que l'évêque est toujours coutumièrement tenu de
fournir ; une des copies qui nous en sont parvenues (L 532, n° 1) est accom-
ÉVÊQUE DE PARIS ET CHAPITRE DE NOTRE-DAME 49

Sainte-Trinité et deux devant l'autel de la Vierge ; pendant les


offices, quatre cierges sont allumés autour de l'autel où l'on célèbre
et un dans le chœur, sans compter les chandelles destinées à
éclairer les livres liturgiques ; les grandes solennités et les fêtes
doubles et semi-doubles ' — qui bénéficient souvent de
fondations 8 — comportent un luminaire plus abondant 9, dont de
nombreux cierges placés sur l'autel, autour de lui et sur la « panne »
(penna chori, trabes ou trabecula) sise entre le chœur et l'autel 10.
Une ordonnance d'Eudes, évêque de Tusculum et légat du pape,
précise, en 1245, que l'on ne doit utiliser, pour les offices
célébrés au grand autel, que des cierges d'une livre, faits de cera
légitima et decenti u. L'officiant et ses acolytes, les marguilliers

pagnée d'un autre relevé des charges et des profits de la chévecerie, non
daté, qui en diffère assez sensiblement pour que la comparaison soit
intéressante (n° 1 bis). Des renseignements sur le fonctionnement effectif de la
chévecerie, malheureusement sporadi jues, sont donnés par des extraits,
faits au xvue siècle, des comptes rendus à l'évêque Pierre d'Orgemont entre
1384 et 1407 (LL 270, ff. 308-313).
7. Au xme siècle (cf. LL 78, p. 353), les fêtes doubles sont au nombre
de 28 (plus 6 octaves), les fêtes semi-doubles au nombre de 16 ; elles ne sont
pas fixées de façon immuable : en mai 1263, l'évêque Renaud de Corbeil
accepte, à la suite d'une fondation, d'élever au rang de semi-double la fête de
sainte Marie l'Égyptienne (LL 76, p. 300, signalé par Guérard, t. II, p. 254)
et le règlement de la marguillerie, datable de 1311-1316 environ, parle des
« doubles et demi doubles de nouvel instituez et doresnavant a instituer »
(A. Vidier, « Les marguilliers laïcs de Notre-Dame de Paris (1204-1790) »,
dans les Mèm. de la Soc. de l'hist. de Paris et de l'Ile de France, t. XL, 1913,
p. 336).
8. Cf. Vidier, op. cit., p. 164 sq. Ces fondations étaient administrées par
le Chapitre et nous sommes mal renseignés sur les dépenses qu'elles pouvaient
impliquer pour la chévecerie.
9. Pour les fêtes semi-doubles il doit y avoir dix cierges autour de l'autel
et sept sur la « panne », pour les fêtes doubles treize autour de l'autel et
seize sur la « panne », à la charge de l'évêque.
Chaque église avait, sur ce point, sa propre coutume. A Tours
l'archevêque et les dignitaires du chapitre, qui devaient conjointement, pour
les « O », fournir le luminaire et donner une potatio à tous les chanoines et
clrecs de la cathédrale, décident, en 1233, d'abolir cette mauvaise coutume
et de faire tourner cette prestation à l'accroissement du luminaire, tant
pour les « O » que pour les autres fêtes de l'année (Bibl. nat., nouv. acq.
lat. 1183, p. 200-201).
10. La panne ou poutre de gloire, qui subsiste dans bien des églises rurales,
n'était pas forcément en bois ; à Notre-Dame de Paris, il en existait plusieurs :
entre le chœur et l'autel, dans la chapelle de la Sainte-Croix (Guérard,
t. I, p. 93), plus tard sur le jubé (la « range », cf. infra, p. 62), sans compter
les pannes mobiles (à l'époque de Noël, était installée provisoirement quedam
panna lignea ad ponendum cereos ; cf. Vidier, op. cit., p. 398, d'après L 463,
n° 83, a. 1283) ; la « grande panne », entre le chœur et l'autel, est dite penna
ferrea ou régula ferrea au xme siècle (LL 270, p. 353 ; cf. Du Cange, V**
Penna et Régula) et il est vraisemblable de la reconnaître dans la « traverse
dorée » dont nous parle un texte de 1587 (cf. Th. et D. Godefroy, Le
Cérémonial françois, 1649, t. II, p. 988).
11. Guérard, t. II, p. 404 (1245). La recommandation du légat ne supprima
pas les abus, puisque le Chapitre se plaindra en 1368 de la qualité des cierges,
laits de mala cera et turpi (LL 107, p. 155).
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et autres suppôts assurant le service de la cathédrale ont droit,


d'autre part, à un certain nombre de chandelles, tandis qu'à
quelques grandes fêtes les dignitaires, puis bientôt tous les membres
du Chapitre se voient remettre des cierges dont la coutume a
fixé minutieusement le nombre et le poids en cire la. Le Chapitre
assume, de façon permanente ou occasionnelle, « l'augmentation »
du luminaire 13 et les fidèles, notamment le roi, offrent
fréquemment des cierges par dévotion, en mémoire des défunts ou pour
rehausser l'éclat de certaines cérémonies 14. Comme il est décent
que tous ces cierges soient remplacés lorsque la combustion en
a par trop réduit la longueur, leurs reliefs sont, comme les autres
oblations, l'objet de convoitises diverses 15.
Lors des funérailles, les corps des défunts étaient transportés
dans la cathédrale et placés sur un lit funèbre, dans une
chapelle ardente dont les dimensions étaient parfois considérable,
l'ornement magnifique et le luminaire fastueux 16 ; un appareil
semblable était utilisé lors des « obsèques » célébrées à la mémoire
d'un défunt illustre dont la sépulture avait eu lieu ailleurs. Après
la cérémonie, toute cette décoration et ce luminaire restaient
à l'Église 17 ; c'est à la paroisse, plus précisément à la fabrique,

12. Au xme siècle, le chevecier fournit, le jour de la Chandeleur, un cierge


d'une livre 1/2 au doyen et au chantre, d'une livre à l'archidiacre, les
chancelier, sous-chantre et chapelain se contentant de cierges d'une 1/2 livre
(L 463, n°* 23-26, 1226 ; cf. Guérard, t. I, p. 353).
13. Délibérations du Chapitre de mars 1249 (n. st.), qui y applique une
donation de 100 livres faite par un chanoine (Guérard, t. I, p. 466) et,
celle-ci s'étant sans doute révélée insuffisante, prescrit ensuite que chaque
chanoine devra, une fois pendant sa vie, donner 20 sous pour le luminaire
(L 463, n° 56 ; cf. Guérard, loc. cit., n. 1).
14. Les offrandes du roi sont particulièrement considérables ; cf. R. Faw-
tier, Comptes royaux (1314-1328), t. II (1961), p. 190 ; Victor Gay,
Glossaire archéologique, t. I (1887), p. 378, V° Cierge (1355).
15. L'ordonnance du légat Eudes, citée supra, n. 12, prescrit de remplacer
les cierges dès qu'ils sont réduits à moins d'un pied.
On comprend mieux les convoitises si on se rappelle que les cierges
pouvaient atteindre une longueur de 2 m. ou 2 m. 50 et peser 20,50 ou même
100 kg. (Gay, op. cit., p. 384, V° Cire).
Les cierges remis aux dignitaires du Chapitre le jour de la Chandeleur
étaient à l'origine offerts par eux à la grand-messe, mais, en 1226, l'évêque
Barthélémy leur en abandonne le relief (L 463, n08 23-26) ; deux siècles plu»
tard, le chevecier est cité devant, le Chapitre pour n'avoir pas fourni aux
grands vicaires, comme la coutume s'en est établie, des cierges de même
importance que ceux des chanoines (LL 113, p. 154, 4 février 1429, n. st.).
16. C'était parfois un grand échafaud de bois, richement paré, dont la
hauteur pouvait atteindre le faîte du jubé, qui était dressé dans la nef.
L'importance du luminaire apparaît dans les documents publiés par Douët d'Arcq,
« Des frais d'enterrement dans Paris au xive siècle », dans les Mém. de la Soc.
de l'hist. de Paris..., t. IV (1877) : on y voit (p. 130) qu'en 1379 338 livres de
cire sont prévues pour la sépulture d'un chanoine de Notre-Dame et il y
est révélé, d'autre part, qu'une petite partie de cette cire seulement était
brûlée (1/7 en 1380 ; ibid., p. 136), ce qui fait mieux comprendre les
compétitions au sujet de ce luminaire.
17. Aucune rémunération ne pouvait, en droit, être exigée pour les sépul»
ÉVÊQUE DE PARIS ET CHAPITRE DE NOTRE-DAME 51

que devait normalement revenir ce profit casuel, mais il lui fut


souvent disputé âprement w.
A Paris, le Chapitre de Notre-Dame, défendant ses droits sur
le luminaire, les oblations et les reliefs des obsèques, se heurte
à la fois aux prétentions de l'évêque et à celles des marguilliers ;
si le conflit avec ceux-ci est assez rapidement réglé, la
concurrence avec l'évêque demeure et les mêmes problèmes subsistent,
toujours irritants, mais transposés puisqu'à travers eux la
juridiction à l'intérieur de l'église est directement en cause.

tures ; mais, beaucoup de fidèles se conformant à l'usage de léguer à la


paroisse le reste du luminaire et le mobilier funéraire, le IVe concile de Latran,
en 1215 (canon 66, Mansi, t. XXII, c. 1054 ; Décrétales de Grégoire IX,
Y, 3, 42), tout en confirmant la discipline ancienne, rendit obligatoires lea
c louables coutumes » qui s'étaient ainsi formées (A. Bernard, La sépulture
en droit canonique du Décret de Gratien au concile de Trente, 1933, p. 138 sq. ;
P. Petot, « Le casuel des sépultures à Agde à la fin du xive siècle », dans
Recueil de mémoires et travaux publiés par la Soc. d'hist. du droit et des
institutions des anciens pays de droit écrit, fasc. I, 1948, p. 63-67).
En fait, la coutume était très générale, qu'elle portât sur le luminaire des.
obsèques {B.-A. Pocquet du Haut-Jussé, Les papes et les ducs de Bretagne,
1928, p. 178), sur l'ensemble du lit mortuaire (J. Marion, Cartulaire de
l'église cathédrale de Grenoble, Cart. C, n° CVIII, p. 249) ou seulement sur
les draps (O. Dobiache-Rojdestvensky, La vie paroissiale en France au
XIIIe siècle d'après les actes épiscopaux, 1911, p. 92).
18. A Château-Gontier, au xive siècle, le prieur de Saint-Jean prend un
drap lors de l'enterrement de chaque paroissien dépendant du prieuré et
son sacristain reçoit le luminaire de chaque office funèbre célébré en l'absence
du corps (A. Angot, Les droits de sépulture dans le Maine, l'Anjou et la Tou-
raine au XIVe siècle, 1892, p. 12). — Un arrêt du Parlement du 15 février 1393,
n. st. (XlA 40, f° 310, publié par P. Petot, op. cit.) reconnaît au recteur de
la cathédrale d'Agde la saisine du droit de retenir, à l'occasion de la sépulture
de tous ses paroissiens âgés de plus de quatorze ans, le lit garni de tous ses
accessoires ou de réclamer sa valeur en argent. — Un arrêt du 23 août 1402
(XlA 49, f° 293, rapporté par J. Filleau, Décisions catholiques ou Recueil
général des arrests..., 1668, t. I, p. 86) reconnaît que les curés des paroisses
angevines ont le droit de retenir le drap mortuaire, mais lui substitue, à la
demande du duc d'Anjou et des habitants du pays, une redevance de 18 deniers
tournois, payée annuellement par chaque habitant ; les curés angevins
conservent néanmoins le droit d'exiger le « lit garni » lors des obsèques des
nobles (XlA 61, f° 233, 8 août 1416, cité par Angot, op. cit., p. 16).
Le curé de l'église paroissiale du défunt a le droit de percevoir la portio
canonica, le plus souvent le quart, des biens laissés par le défunt à une autre
église qu'il a choisie pour sa sépulture, mais Grégoire IX (Décrétales, III,
26, 20. — 1227-1234) exempte de ce prélèvement le luminaire et la
décoration funéraire. Avant et après cette décrétale, des accords de partage égal
sont parfois conclus entre églises paroissiales voisines : pour les paroissiens
de Cadenet (Vaucluse) dont la sépulture a lieu aux Vérunes, l'église de Cade-
net reçoit lectorum et omnium oblationum... medietatem (1198 ; Cart, de Savi-
gny, t. II, n° 957, p. 397, cité par Bernard, op. cit., p. 180, n. 4) ; si les fidèles
d'une paroisse dijonnaise dépendant de l'abbaye Saint-Étienne de Dijon
se font inhumer chez les Frères prêcheurs, la moitié des candelae et cerei
reviendra à Saint-Étienne (1239 ; C. Fyot, Hist, de l'église abbatiale et
collégiale Saint-Estienne de Dijon, 1696, p. 127 et 297, cité par Bernard, op. cit.,
p. 184).
Des textes anciens accordaient ce profit casuel à l'évêque (J. Marion,
Cartulaire de l'église cathédrale de Grenoble, l. c.) ; la décrétale de Grégoire IX
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La marguillerie de Notre-Dame, dont le statut a été étudié


par A. Vidier 19, est organisée au début du xme siècle 20. Il y a,
à ce moment, quatre marguilliers clercs et quatre laïcs, mais
bientôt on ne parle plus guère que des marguilliers laïcs, sans
doute à cause des besognes matérielles qui leur sont imparties 21 :
ils assurent la propreté de l'église et, de concert avec le cheve-
cier de l'évêque, sa garde de jour et de nuit, ils sont chargés
d'allumer et d'éteindre les lampes et cierges, ils installent les
tentures et courtines dont l'église est parée pour les cérémonies,
ils font sonner les cloches, ils mettent en place le catafalque et
assistent à l'office lors des obsèques. Aux revenus du temporel
de la marguillerie et aux allocations en argent ou en nature
qu'ils reçoivent de l'évêque et du Chapitre ils ajoutent des
profits casuels : reliefs du luminaire et dépouille des obsèques 22.
Leur statut est complexe, car ils accomplissent sous la
surveillance du Chapitre un service qui est normalement dû par l'évêque ;
désignés par celui-ci à qui ils doivent foi et hommage, ils sont
agréés par le Chapitre et lui prêtent serment de fidélité 23. Les
dispositions les concernant sont logiquement prises
conjointement par l'évêque et le Chapitre, mais celui-ci s'attribue
progressivement un rôle prépondérant : si le règlement initial de 1204
est fait par l'évêque avec le consentement du Chapitre 24, celui-ci
intervient en 1213 entre l'évêque et les marguilliers pour faire
substituer aux reliefs du luminaire des grandes fêtes qui leur
étaient réservés une allocation annuelle de vingt sous, payée
par le chevecier au nom de l'évêque œ ; au milieu du xme siècle,

interdit tout prélèvement de l'évêque sur les biens laissés aux églises exemptes
et sur les dons faits à la fabrique des autres églises pour le luminaire et les
reliefs des obsèques (cf. Bernard, op. cit., p. 189 sq.).
19. « Les marguilliers laïcs de Notre-Dame de Paris (1204-1790) », dans
les Mém. de la Soc. de l'hist. de Paris..., t. XL (1913), p. 117-402, et t. XLI
(1914), p. 131-345.
20. Guérard, t. I, p. 88 (1204), et t. III, p. 407.
21. Guérard, t. III, p. 417 (1328).
22. Ces profits donnent lieu ailleurs à des conflits avec les marguilliers
clercs, que l'on ne rencontre pas à Notre-Dame : le chevecier de l'église Saint-
Merry, commis par le chapitre de Notre-Dame, décide, le 29 septembre 1376,
que les marguilliers clercs n'y ont pas le droit de se saisir du « drap de mort »
ni de prendre 5 sous parisis pour chaque drap, ce ^profit appartenant
exclusivement aux marguilliers lais (L 584, n° 24).
23. Guérard, t. II, p. 414.
24. Voir supra, n. 20.
25. Guérard, t. I, p. 93. Le texte est évidemment interpolé, puisqu'il fait
état de la fête de la Susception de la Croix (en août), qui ne date que de 1241 ;
la chose est d'autant plus remarquable qu'au xive siècle les marguilliers
continuent coutumièrement à garder le « remenant des IX pointes » et du
ÉVÊQUE DE PARIS ET CHAPITRE DE NOTRE-DAME 53

le Chapitre évince l'évêque, il règle seul désormais le service


des marguilliers et spécialement le sort des dépouilles
raires 26
D'incessantes contestations s'élevaient, en effet, entre les
marguilliers et la fabrique à l'occasion du partage de ces dépouilles.
Le Chapitre croit les limiter, vers 1260, en décidant que les
marguilliers ne pourront retenir — pour les seules personae
Ecclesie N. D. — que le « lit garni » sur lequel le corps a été porté
dans l'église 27 ; mais ceux-ci prétendent, pour tous les défunts,
conserver ce qui était à l'entour du corps et ne laisser à la fabrique
que les étoffes d'or et de soie 28. Que la difficulté soit aiguë, on
n'en saurait douter, puisque le Chapitre ne put la trancher par
voie d'autorité : si, des deux Statuts capitulaires datés du 25 juin
1328, l'un est une ordonnance réglant à nouveau le service des
marguilliers 29, l'autre, qui concerne les dépouilles, n'est que
l'enregistrement d'une sentence arbitrale rendue par trois
chanoines 30. Les marguilliers conserveront désormais les draps,
les serges de laine ou de fil, le matelas, l'oreiller et la couverture,
le châlit et la chapelle, à l'exception des parures de celle-ci,
quelle qu'en soit l'étoffe ; le reste de la décoration appartiendra
à la fabrique, qui pourra retenir, en outre, moyennant
indemnité, les marchepieds, l'oreiller et la couverture.
Cette sentence fixe définitivement les droits de la fabrique
et des marguilliers ; le plus souvent, en fait, une composition
intervient avec les héritiers, qui rachètent ces dépouilles 81.
Il n'y aura plus dorénavant que des difficultés mineures 32 :
cierge fournis par le chevecier en ce jour (Bibl. nat., fr. 5253, f° 7 v° ; cf.
Vidier, op. cit., 1914, p. 131).
26. Le statut de 1204 avait cependant précisé que tout nouveau règlement
de la marguillerie serait établi conjointement par l'évêque et le Chapitre
(cf. Vidier, op. cit., 1913, p. 130). A Langres, les marguilliers, nommés par
le Chapitre, ne dépendent que de lui et le maître de la fabrique dirige celle-ci
avec 'eur concours (cf. Le Grand, op. cit., p. 92).
27. LL 78, p. 350 ; Guérard, t. III, p. 360.
28. Cf. le texte (v. 1311-1316) publié par Vidier, op. cit. (1914), p. 133.
29. Guérard, t. III, p. 417.
30. Guérard, t. III, p. 419; le texte complet a été publié par Vidier,
op. cit. (1914), p. 161.
31. Le Chapitre compose après les funérailles de Philippe VI, en 1350,
moyennant 300 écus d'or (J. Viard, « Compte des obsèques de Philippe VI »,
dans Arch, histor., artist, et littèr., t. II, 1890-1891, p. 53) ; après celles de
l'évêque Jean de Meulan, en 1363, pour 80 francs (LL 295, f° 97). En 1386,
un des marguilliers lais donne quittance de 24 francs d'or aux exécuteurs
d'un membre du Chapitre pour le rachat du lit funèbre (Vidier, op. cit.,
1914, p. 174). En 1389, le doyen du Chapitre compose, pour son droit
personnel aux dépouilles funéraires des curés et cheveciers des paroisses sujettes,
avec les exécuteurs testamentaires de Pierre du Bourg, chevecier et chanoine
de Saint-Merry (Guérard, t. III, p. 366).
32. Ainsi en 1397, au sujet des draps de soie, lors des obsèques de Philippe
d'Artois, comte d'Eu, et de celles du comte de Beaufort (LL 108 B, p. 293,
publié par Vidier, op. cit., 1914, p. 255).
54 P.-C. TIMBAL ET J» METMAN

le Chapitre a réussi à sauvegarder les droits de la fabrique sur


l'essentiel des dépouilles funèbres 33. Le problème des profits
■casuels ne disparaît pas pour autant, il oppose désormais l'évêque
au Chapitre.

Dès le milieu du xme siècle, leurs rapports s'aigrissent pour


tout ce qui concerne leur juridiction respective sur le parvis
de Notre-Dame et à l'intérieur même de la cathédrale, les
incidents devenant particulièrement graves sous l'épiscopat d'Etienne
Tempier (1268-1279), qui supporte impatiemment l'autonomie
croissante du Chapitre 34.
Il faut l'intervention de l'abbé de Saint-Denis pour arrêter
en 1272 la procédure d'un appel a gravamine formé par le
Chapitre auprès du Saint-Siège 35 et ménager une transaction au
sujet du parvis. : l'essentiel de la juridiction, tant civile que
criminelle, est reconnu au Chapitre, l'évêque conservant toutefois
la justicia candelarum 86.
A l'intérieur de la cathédrale — où les conflits peuvent être
d'autant mieux évoqués que, malgré les remaniements des xvne
et xvme siècles (suppression du jubé et destruction partielle
de la clôture du chœur), l'église a conservé jusqu'à notre époque

33. Les marguilliers ne prétendent plus guère qu'au drap mortuaire, mais
ils n'y renonceront pas jusqu'à la fin de l'Ancien régime : en 1790, ils
s'adresseront à la Constituante pour être indemnisés en cas de suppression de leur
office et de ses profits, parmi lesquels ils mentionneront le droit au drap
mortuaire (Vidier, op. cit., 1913, p. 173).
34. Etienne Tempier révéla son intention dès son accession au siège
episcopal : le 7 octobre 1268, après qu'il eût prêté le serment d'usage (« Ego,
talis Parisiensis episcopus, juro super hec sacrosancta evangelia me servaturum
jura Ecclesie Parisiensis »), le doyen du Chapitre lui dit : « Domine, capitu-
lum dicit qicod, appellations jurium, libertates et consuetudines approbate
eomprehenduntur » et Etienne Tempier répondit : « Bene volo quod se exten-
dant ad ea que se debent extendere, nec intelligo me teneri donec scivero » (LL 78,
p. 363 et 367, imparfaitement publié par Guérard, t. I, p. 168).
35. Cet appel extrajudiciaire est formé au moyen d'un libelle présenté
au juge a quo et lui demandant de se dessaisir de 1'afTaire au profit du juge
supérieur en délivrant des lettres dimissoires ou « apôtres » (cf. H. Morel,
Le recours au roi dans les pays du sud~ouest de la mouvance aux XIIIe et
XIVe siècles ; l'appel a gravamine et la simple querelle et leurs origines romano-
canoniques, 1955, p. 16 sq.).
Le 11 juillet 1272, le procureur du Chapitre formule son appel entre les
mains de l'ofilcial episcopal (L 463, n° 70) et le réitère le même jour (ibid.,
n° 71) devant les officiaux des trois archidiacres du diocèse (Paris, Brie et
Josas).
36. 10 août 1272, Guérard, t. III, p. 246, n° CCCXXXV : le Chapitre ne
conserve que la connaissance du vol de chandelles commis par un de ses
suppôts ; Û est précisé, d'autre part, que la vente des chandelles, interdite
à l'intérieur de l'église par l'ordonnance du légat de 1245, doit être libre
sur le parvis, ni l'évêque ni le Chapitre n'ayant le droit d'y percevoir des
taxes ou d'y concéder des bancs à des marchands.
ÉVÊQUE DE PARIS ET CHAPITRE DE NOTRE-DAME 55

l'ensemble de son aspect médiéval — l'indivision de l'autorité


va faire place à un partage, tout à l'avantage du Chapitre, auquel
l'évêque et ses représentants auront du mal à se résigner.
Les profits du luminaire sont l'objet de fâcheux incidents.
D'après la coutume, les reliefs des cierges fournis par l'évêque
(sur lesquels la plus grande partie des droits des marguilliers
avait été rachetée en 1213) et des chandelles offertes dans la
cathédrale étaient acquis à la chévecerie, à l'exception du
luminaire offert par les familles des défunts dont on célébrait les
obsèques ou l'anniversaire, qui revenait aux chanoines et aux
desservants 87. Il semble que ce soit l'usage d'illuminer
généreusement la « panne » (en principe, à la charge de l'évêque) en de
telles circonstances qui soit à l'origine des incidents qui se
déroulent dans la cathédrale à la fin du xme siècle : que ce soit
lors des funérailles de l'évêque Renaud de Corbeil, mort en 1268,
ou peu après, lors des obsèques de saint Louis, le Chapitre
protesta contre la reprise des cierges placés à l'entrée du chœur
par les soins de l'évêque ; le chanoine qui avait célébré le service
de saint Louis n'obtint satisfaction qu'après la mort d'Etienne
Tempier, dont les exécuteurs lui restituèrent 100 sous 38.
Ces querelles ne font que concrétiser une rivalité plus grave,
celle qui concerne la juridiction dans l'église, et la délimitation
territoriale des compétences — qui permettra du même coup
de fixer l'attribution des profits casuels — apparaît comme le
seul moyen de concilier les antagonistes également décidés.
Une sentence arbitrale de 1269 oblige l'évêque à remplacer deux
lampadaires d'argent volés dans le chevet, dont, précise-t-elle,
la garde lui appartient 39. En 1270, le chevecier se voit contraint
par le Chapitre de lui remettre deux clercs qui se sont querellés
dans l'église, parce que le Chapitre a toute justice dans l'église,
à l'exception du chevet 40. Une sentence arbitrale de 1273, qui
condamne le chevecier à ressaisir le Chapitre de la tunique de bure
d'un larron arrêté devant la sacristie {vestiarium) et conduit
à la geôle épiscopale, précise ce partage : le Chapitre a
juridiction sur l'église et le chœur, l'évêque ne pouvant y prétendre
que sur le sanctuaire (presbyterium) 4l.
Pour établir sur des bases durables cette « séparation amiable », les
parties acceptent de se soumettre à un nouvel arbitrage, demandé

37. De nombreuses discussions opposaient, au sujet de ce profit, le doyen,


le semainier, les chanoines prêtres et diacres : cf. Guérard, t. II, p. 415
(septembre 1226) ; LL 79, p. 190 (janvier 1296, n. st.) et 193 (août 1306 et
mars 1342, n. st.).
38. LL 79, fo 83 v°.
39. Guérabd, t. I, p. 466.
40. Guérard, t. III, p. 435.
41. Guérard, t. III, p. 378.
56 P.-C. TIMBAL ET J. METMAN

à l'archidiacre Gamier et à trois chanoines, et la sentence, rendue


le 8 février 1283 (n. st.) 42, prétend régler définitivement le
partage de juridiction et les questions connexes des oblations et du
luminaire.
Le Chapitre, à qui est confirmé le contrôle exclusif des marguil-
liers, se voit reconnaître la garde et la juridiction de toute l'église,
à l'exception du chevet (presbyterium ou capicium), qui relève
de celles de l'évêque. Le statut est cependant inversé pendant
le temps de l'Assomption (in vigilia et node Assumpcionis béate
Virginis) : la garde et la juridiction de la cathédrale appartiennent
alors à l'évêque, sauf à l'égard des chanoines et des membres
de leur familia ; le Chapitre ne conservait ses droits que sur le
chœur, mais il était précisé que ses sergents pouvaient traverser
l'église, même en armes, pour se rendre au parvis, au cloître ou
au chœur.
Si l'évêque célèbre une messe de funérailles, les oblations et
autres émoluments doivent revenir au chanoine semainier ou
à celui à qui incombait l'office du jour ; il en sera de même pour
tout présent en or remis à un prêtre officiant à un des deux
autels du sanctuaire **, l'évêque ne pouvant y prétendre que
s'il s'agit de monnaies d'or. Il est rappelé, au sujet du luminaire,
que l'obligation qu'a l'évêque de le fournir ne s'étend pas aux
candélabres, dont la dépense doit rester à la fabrique 44. Le relief
des cierges utilisés lors des obsèques ne lui appartiendra, par
contre, que s'ils ont été placés dans le chevet, les restes de ceux
qui sont placés sur la « panne » revenant au chanoine chargé
du service du jour.
Pour minutieux qu'il fût, ce règlement ne supprima pas toutes
les causes de conflit ^ et une nouvelle crise éclate en 1334, dont
on peut se demander si elle s'explique par le fait nouveau de
la construction du jubé 46, par des circonstances exceptionnelles

42. Cette sentence, rendue communicate bonorum virorum consilio, a été


publiée par Guérard, t. II, p. 483, par H. Lot, « Une querelle de l'évêque
de Paris et du chapitre de Notre-Dame aux xme et xve siècles », dans
Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, 1865, p. 155, et, plus complètement, par Vidier,
op. cit., 1913, p. 388.
43. En arrière du maître-autel ou « grand autel » se trouvait le « petit
autel », dit également autel de la Sainte-Trinité ou « autel des ardents »,
plus élevé que le maître-autel de façon à pouvoir être vu des stalles du chœur ;
cf. F. de Guilhermy, Description archéologique des monuments de Paris
(1856), p. 114.
44. LL 79, p. 150 (1272).
45. Vers 1285, le Chapitre s'indigne que des sergents de l'évêque
poursuivent jusque dans le cloître les clercs qui s'y réfugient (Guérard, t. III,
p. 441) ; en 1329, il remontre à l'évêque qu'il ne peut prétendre à aucune
juridiction sur la maison qu'il habite dans le cloître (LL 105, p. 87).
46. Dans les premières années du xive siècle ; cf. M. Aubert, « Les trois
jubés de Notre-Dame de Paris », dans Revue de l'Art ancien et moderne (1923),
p. 105-118.
p

Illustration non autorisée à la diffusion

Reconstitution
(Bibliothèque
Intérieur du
denationale,
chœur
Notre-Dame
et Cabinet
du jubé
au des
xive
par Estampes.)
Viollet-le-Duc.
siècle,
Porte
rouge

Porte
Porte Saint
du Etienne
Cloître

0 o O O o

o O a o

LE CHŒUR DE NOTRE-DAME AU XlV'SItCLE


1 Grand autel
2 Autel des ardents
ou de la Sainte
Trinité
3 Châsse^ de ShMarcel
4 Degrés
5 Grande panne
6 Stalles
? Image Notre-Dame
ô Panne du Jubé ("ranûe")
9 Jubé
10 Crucifia
M Pupitre
58 P.-C. TIMAL ET J. METMAN

que n'avait pas expressément prévues la sentence de 1283 ou


simplement par la personnalité du nouvel évêque, Guillaume
de Chanac, qui occupe le siège episcopal depuis 1332 47. Non
seulement, en effet, celui-ci entrave la juridiction pénale du
Chapitre à l'intérieur de la cathédrale 48, mais il reprend avec
vigueur la vieille querelle des reliefs d'obsèques, luminaire et
même dépouille funéraire. C'est le service funèbre célébré à
Notre-Dame en l'honneur de Jean XXII, décédé à Avignon
le 4 décembre 1334, qui fut l'occasion de l'incident, Guillaume
faisant emporter de la cathédrale par ses gens 124 torches de
cire, de dix livres chacune, et un drap de soie qui avaient servi
à la cérémonie. Invoquant sa saisine à l'encontre de ce qu'il
considère comme une voie de fait, le Chapitre n'hésite pas cette
fois à s'adresser à l'autorité séculière, sauf à justifier sa démarche
avec autant d'habileté que de prudence : la complainte de novel-
leté qu'il intente contre l' évêque constitue un cas royal, de même
que le bris de sauvegarde qu'il dénonce et qui lui permet d'avoir
à ses côtés le procureur du roi, et cependant les gens du
parlement ne sont saisis qu'en qualité de tractatores 49. L'affaire ne
laisse pas néanmoins d'être fort délicate : le Parlement procède
avec circonspection et le roi lui-même interviendra à plusieurs
reprises pour faciliter un règlement aimable.
La Cour mande d'abord, suivant les dispositions de son « style »,
à un de ses huissiers, Nicolas de Cayeux, de se transporter sur
les lieux et de faire procéder à la restitution des torches et drap
litigieux. Devant le refus de ressaisissement opposé par le bailli
de l'évêque, la Cour entend les parties et rend une ordinatio le

47. Issu d'une grande famille limousine, Guillaume de Chanac est aussi
attentif au maintien de son autorité spirituelle qu'à celui de ses droits
seigneuriaux ; cf. G. Clément-Simon, « Documents sur Guillaume de Chanac,
évêque de Paris et patriarche d'Alexandrie », dans Bull, philol. et hist., 1903,
p. 49-59.
48. Il refuse de remettre au Chapitre deux de ses écuyers qui se sont rendus
coupables de violences dans le chœur de l'église (K 1029, n° 4, 13 décembre
1334).
49. Évêque et Chapitre comparaissent devant la Cour ut coram tractato-
ribu8 à eux députés par le roi (Xu 7, f° 11 v° et f° 22, 14 janvier et 18 février
1335, n. st.). Pour n'avoir laissé que peu de traces, l'intervention de juges
royaux, au titre de « traicteurs esleuz », dans les différends touchant des gens
d'Église semble cependant avoir été assez répandue : les doyen et Chapitre
de Chartres se voient réserver en 1336 le bénéfice de cette antiqua consue-
tudo (Ord., t. IV, p. 178) et, en 1367, le roi reconnaît de nouveau qu'ils ne
sont tenus de plaider en Parlement « fors comme par devant traicteurs de
leur cause » (Ord., t. V, p. 26) ; en 1373, c'est l'archevêque de Tours qui fait
état du même privilège (XlA 23, f° 27 v°, 28 mars 1373, n. st.).
De telles réserves ne doivent cependant pas faire illusion, car cette pratique
constitue, en réalité, un des moyens employés par le pouvoir royal pour
faire accepter la compétence de sa Cour en matière ecclésiastique (étudiée
en dernier lieu par F. Cheyette, « La justice et le pouvoir royal à la fin du
Moyen âge français », dans la Revue historique de droit, 1962, p. 373-394).
EVÊQUE DE PARIS ET CHAPITRE DE NOTRE-DAME 59

prescrivant ; le bailli episcopal persistant dans son opposition,


le roi ordonne vainement à l'évêque d'y procéder, en le
menaçant de saisie du temporel 50. La menace est mise à exécution
et l'évêque a aggravé son cas en se rendant coupable de
désobéissance envers le roi ; mais, avant de juger, le parlement réitère
l'ordre de rétablissement le 14 janvier 1335 (n. st.) 51.
Le 18 février, l'évêque obtient que le Chapitre soit astreint
à lui fournir les noms de ses suppôts à qui les torches ont été
enlevées 52, mais il ne peut empêcher le Parlement de s'occuper,
le même jour, de l'affaire elle-même et il ne réussit qu'à en
retarder l'examen au fond. Le Chapitre, rappelant qu'il est sous la
sauvegarde royale et a toute juridiction spirituelle et temporelle
dans la cathédrale, demande à la Cour de reconnaître sa saisine
du droit de conserver le luminaire, les étoffes et généralement
tout ce qui sert aux obsèques célébrées à Notre-Dame ; mais
l'évêque, comme tous les défendeurs mal assurés de leur bon
droit, essaye de se dérober au débat en soulevant des exceptions.
Il conteste d'abord la compétence du Parlement à l'égard d'une
cause de nature ecclésiastique, mue entre membres de la
hiérarchie et née d'une querelle surgie dans l'église. Il dénonce, d'autre
part, l'irrégularité de son ajournement : l'huissier, Nicolas de
Cayeux, n'était mandaté que par deux ou trois chanoines, sans
l'intervention du doyen qui est caput et major capituli, et il l'a
ajourné à huitaine et non à quinzaine, comme il aurait dû le
faire à l'égard d'un noble, d'un prélat et d'un feudataire du roi.
Le Chapitre repousse ces exceptions et les fait rejeter par le
Parlement 5S. La validité de l'ajournement était aussi
difficilement contestable que la compétence de la Cour en matière de
novelleté et de bris de sauvegarde : deux ou trois chanoines
pouvaient valablement représenter le Chapitre 5* et
l'ajournement à huitaine était, en l'espèce, parfaitement régulier 65. Le
Parlement connaîtra donc de l'affaire, y compris la question
de l'amende que requiert le procureur du roi.

50. L 463, n° 11 (7 janvier 1335, n. st.).


51. X1* 7, f° 11 vo.
52. XlA 7, f° 21 V».
53. XlA 7, f° 22 (18 février 1335, n. st.).
54. L'évêque essaye vainement de faire appliquer au Chapitre demandeur
les règles établies en faveur du Chapitre défendeur, qui ne peut être ajourné
valablement que dans la salle capitulaire et en présence d'un nombre
suffisant de chanoines (Grand Coutumier de France, III, 4, éd. Laboulaye et
Dareste, p. 425-426 ; Boutillier, La Somme rural, I, 3, éd. de 1621, p. 12 ;
XlA 7, f° 165 v° (14 décembre 1336) et 494 (6 juillet 1350) ; cf. F. Aubert,
Hist, du parlement de Paris, de V origine à François Ier, 1894, t. II, p. 31).
55. Si les nobles, en règle générale, n'étaient pas valablement ajournés
quand ils l'avaient été seulement à huitaine, ce délai était suffisant en cas
de complainte de novelleté (Grand Coulumier de France, II, 19, p. 240),
mais il ne pouvait être réduit (XlA 7, f° 74 v°, 29 juillet 1335).
60 P.-C. TIMBAL ET J. METMAN

Dès le 12 avril 1335, le procureur obtient sur ce point la


condamnation de l'évêque 56, à qui il reproche d'avoir refusé de
procéder au rétablissement et d'avoir continué de faire
administrer son temporel par son bailli au mépris de la main du roi ;
la Cour sanctionne ces « désobéissances » d'une amende de 1 000
livres, dont la saisie du temporel facilitera le recouvrement.
Le 8 juillet de la même année, après une information par
commissaires, le Parlement accorde au Chapitre la recréance,
sous caution, des torches et étoffes litigieuses 57 et, le 27, elle
mande à Nicolas de Cayeux de mettre son arrêt à exécution 68.
L'affaire semble devoir se poursuivre jusqu'à la décision au
fond, que l'arrêt interlocutoire rendu sur la recréance laisse
prévoir favorable au Chapitre. Mieux même, au cours de la
procédure, l'évêque a encore aggravé son cas en récidivant à
l'occasion des obsèques de Guillaume de Sainte-Maure, chancelier de
France, décédé le 24 janvier 1335 59 ; le Chapitre réclame
désormais à l'évêque les draps d'or et de soie utilisés pour cette
cérémonie, en même temps que ceux qui ont servi aux obsèques
de Jean XXII.
Les parties se rendent compte cependant, tardivement sans
doute, de ce qu'un arrêt — fût-il théoriquement rendu par des
tractatores plutôt que par des juges — aurait d'irritant pour
l'avenir ; peut-être réalisent-elles aussi ce qu'a de paradoxal
cette intervention du Parlement pour départager l'évêque et
le Chapitre, s'affrontant au sujet de leurs droits respectifs dans
leur cathédrale 60. La voix de la sagesse les pousse à compromettre
et, le 31 août 1335, elles élisent comme arbitre Guy Baudet,
dont l'autorité et l'impartialité ne sont pas contestables :
professeur de droit, officiai de Paris en 1326, siégeant au Parlement
en 1327, il est devenu chancelier de France à la mort de Sainte-
Maure ; il est aussi doyen du Chapitre de Paris et, de ce fait,son
choix peut surprendre, mais, si on peut le croire attentif aux
intérêts capitulaires, il y a tout lieu de penser que ses vues sur
l'évêché-pairie de Langres le conduiront à ne pas sacrifier pour
autant les prérogatives épiscopales 81.

56. X1* 7, f° 38 v°.


57. XlA 7, f° 58.
58. L 464, n° 27.
59. Chanoine de Tours, puis trésorier de l'Église de Laon, il était devenu
chancelier en 1319 et ses funérailles furent célébrées en l'église Saint-Gatien
de Tours (P. Anselme, t. VI, p. 313 ; R. Cazelles, La société politique et
la crise de la royauté sous Philippe de Valois, 1958, p. 99-105).
60. Cette intervention du Parlement sera retenue comme un précédent,
invoqué notamment dans un conflit opposant l'archevêque et le Chapitre
de Reims à l'évêque d'Arras (XlA 1471, f° 290 v°, 6 mars 1380, n. st.).
61. Le 16 février 1336, il sera élu à ce siège, vacant depuis la mort, de
Jean de Chalon le 23 mai 1335.
ÉVÊQUE DE PARIS ET CHAPITRE DE NOTRE-DAME 61

La sentence arbitrale, rendue le 5 novembre 1335 62 et


approuvée par Philippe VI en juin 1337 83, prétend de nouveau, à
l'occasion des difficultés actuelles, régler de façon durable les rapports
de l'évêque et du Chapitre, en précisant la sentence de 1283.
Le sort des oblations est minutieusement fixé 64 et le droit
de la fabrique aux dépouilles funéraires est confirmé : les draps
d'or et de soie, qui avaient été placés dans la cathédrale lors des
obsèques de Jean XXII et de Guillaume de Sainte-Maure, lui
seront restitués par l'évêque et, dans l'avenir, ces dépouilles
seront reçues par deux chanoines, magistri fabricae, désignés
l'un par l'évêque et l'autre par le Chapitre.
Le sort des reliefs du luminaire est l'objet d'une
réglementation plus complexe. Le chevecier, qui reste tenu de fournir
gratuitement de modestes chandelles aux chapelains qui vont
célébrer la messe 65, peut reprendre les reste du luminaire fourni
au nom de l'évêque en dehors des obsèques et, en toutes
circonstances, garder les chandelles offertes dans l'église 66, de même
que les cierges et torches placés en haut dans le sanctuaire, autour
des deux autels (in altum 67, scilicet in parte superiori, in capicio,
a magno pillare juxta pennam usque ad aliud pillare, circum-
circa magnum et parvum altaria 68) et au-dessus des deux portes
latérales du chevet ; il en va de même pour le relief du luminaire
installé, lors des obsèques, autour de la statue de Notre-Dame,
élevée depuis le xive siècle devant le pilier sud-est de la croisée,

62. LL 78, p. 11, publié partiellement par Guérard, t. III, p. 267 ,et
intégralement par J. Viard, Documents parisiens du règne de Philippe VI
de Valois, t. I (1899), p. 296, n° 191.
63. La cause étant pendante au Parlement, des lettres royaux devaient
autoriser l'arbitrage, mais il est surprenant que le roi n'ai donné que le
31 décembre 1335 l'ordre au Parlement d'arrêter la procédure et n'ait con-,
firme la sentence que six mois plus tard (JJ 70, n° 305, publié par Viard,
eod. l.). Ces longs délais laissent présumer l'hésitation de l'une ou l'autre
partie à se soumettre à la sentence et on peut penser qu'il s'agit de l'évêque,
puisque l'approbation royale est de peu postérieure à sa disgrâce passagère
dont les motifs demeurent obscurs (cf. XlA 8846, f° 167, 24 avril 1337 : le
roi, qui avait garni le Parlement de parents et amis de l'évêque de Paris,
« lequel evesque s'est porté envers nous et nos genz autrement que deue-
ment, qui nous vient a grant desplaisir », mande de « mettre hors... des diz
offices touz ceulz dudit lignage, affins ou acointés dudit evesque »).
64. Les lingots d'or ou d'argent, les statuettes de métal précieux et les
tableaux appartiendront à la fabrique ; les ivoires et les étoffes d'or ou
d'argent reviendront à l'évêque ; les « cœurs d'or ou d'argent » seront
partagés.
65. Cette disposition permet de sanctionner, le 22 novembre 1417, un
chanoine de Saint-Denis du Pas qui s'est permis de prendre des chandelles
devant la statue de Notre-Dame (LL 112, p. 177).
66. La sentence renvoie au Pastoral et, plus précisément, à une
ordonnance prise conjointement par l'évêque et le chapitre en 1211 (Guérard,
t. I, p. 92).
67. Correction de Viard ; Guérard avait lu in altare.
68. Cf. supra, n. 43.
62 P.-C. TIMBAL ET J. METMAN

et de celui qui est placé, en dehors des obsèques, sur la panne


ou « range » installée au-dessus de cette statue, sur le jubé, auprès
du pupitre où est chanté l'Évangile. Le Chapitre conserve le
droit de retenir, pour en répartir le profit entre chanoines, prêtres
et vicaires, le relief du luminaire des obsèques, placé sur la « panne »,
dans le chœur et dans toutes les parties de l'église où ce droit
n'est pas réservé à l'évêque, et, dans le chevet même, il prend
le reste des cierges offerts par des parents ou amis des défunts
à l'occasion de leur anniversaire et mis au niveau du sol, à l'entour
des catafalques placés au pied des degrés qui mènent à l'autel 69.
Cette réglementation ne fait que traduire, en l'adaptant sur
un point particulier 70, le partage de juridiction, reconnu en 1283
et simplement précisé en 1335. L'évêque exerce dans l'église
les droits qui relèvent directement de son magistère : il y a son
trône, il peut y conférer les ordres et y tenir les synodes ; mais
sa juridiction y est strictement limitée au chevet (a primo inferiori
graduum 71 per quos ascenditur ad magnum altare, et circum-
circa magnum et parvum altaria, infra tamen clausuram quae
ibi est et non extra), sauf, comme en 1283, pendant le temps de
l'Assomption. La juridiction sur tout le reste de l'église est
reconnue au Chapitre, tant à l'égard des clercs que des laïcs,
sous les deux réserves suivantes : sur la voie qui traverse le
chevet du nord au sud, au-dessous des degrés du grand autel, il y a
prévention entre l'évêque et le chapitre et, s'ils se saisissent en
même temps d'un délit qui y a été commis, ils devront le juger
ensemble ; l'évêque se voit également reconnaître la juridiction
sur les degrés par lesquels on descend à son officialité [curia
episcopi) 72.

69. Guy Baudet ajoute qu'il n'a pas d'information suffisante pour
décider du sort du luminaire placé dans l'église lors de la chevalerie des fils de
rois ou de barons et se réserve de compléter sa sentence sur ce point.
70. Depuis le début du xive siècle, en effet, le jubé coupe les fidèles du
sanctuaire et les cantonne davantage dans la nef, où, à l'entrée du chœur,
la statue de la Vierge retient leurs prières et aussi leurs offrandes. L'évêque
ne peut rester indifférent à une telle évolution et obtient de participer aux
reliefs du luminaire placé devant 1' « Image Notre-Dame », bien que celle-ci
soit située en dehors de sa juridiction traditionnelle.
71. Guérard donne la leçon erronée a primo inferiori gradu.
72. Ce partage territorial sera durable, puisqu'au xvne siècle C. Le Maire,
Paris ancien et nouveau (1685), t. I, p. 147, en atteste le maintien : « Tout
c© qui s'appelle le chœur en l'église de Paris est distingué en trois parties,
dont la première est le grand autel et son circuit depuis les degrez qui servent
à y monter, et cette place est en la jurisdiction de M. l'Archevesque. La seconde
partie est depuis le mesme degré jusques à la chaire archiépiscopale et jusques
à l'autre chaire qui lui est opposée : cet espace comprend ce qui est entre
les deux petites portes pour entrer et aller à l'autel et cette place est en
la jurisdiction commune de M. l'Archevesque et du Chapitre, par
prévention de l'un à l'autre... La troisième partie est depuis la grande porte du
chœur du costé de la nef et sous le crucifix jusques au bout des sièges des
ÉVÊQUE DE PARIS ET CHAPITRE DE NOTRE-DAME 63

Encore faut-il ajouter que l'évêque se défend d'avoir jamais


prétendu, même dans la partie de l'église dont il a la garde,
à aucune juridiction sur le Chapitre, les chanoines et leurs
familiers, dont il reconnaît l'exemption de fait 73, et il s'engage à
respecter la juridiction capitulaire. Soucieux de prévenir toutes
les difficultés, Guy Baudet va jusqu'à donner dans sa sentence
le modèle d'adresse que devra suivre l'évêque lorsqu'il notifiera
au Chapitre la collation d'une prébende.
Il semble bien que la concorde soit durablement rétablie :
les inévitables incidents sont heureusement réglés 74. Le
Chapitre de Paris va cependant, comme d'autres, profiter du séjour
de la papauté à Avignon et de la grave crise qui désole l'Église
au moment du Grand Schisme pour faire préciser en droit son
indépendance à l'égard de l'évêque 75. S'il ne semble pas qu'il

chanoines et des chaires de dignitez qui servent au chancelier et au péni


tencier de l'église de Paris : ce lieu est en la jurisdiction du Chapitre seul
et avoit toujours esté séparé d'une closture qui a été ostée il y a quelques
années ».
73. Il reconnaît que, depuis qu'il fréquente l'église, c'est-à-dire depuis
vingt-six ans ou plus, il a vu et entendu dire que les doyen et Chapitre, les
chanoines et leurs familiers étaient exempts de la juridiction episcopate
et se comportaient comme tels.
74. L'offîcial de Paris révoque, après avoir pris l'avis de l'évêque, un
jugement de condamnation qu'il a prononcé contre un clerc, dont il ignorait,
déclare-t-il, qu'il était de choro ecclesie Parisicnsis et, per consequent, sub-
ditum et justiciabilem venerabilium virorum dominorum decani et capituli
Parisiensium et a nostra juris dicione prorsus exemptum (L 464, n° 38, 10 juin
1343). — Le 14 septembre 1345, l'évêque et le Chapitre s'accordent sur tous
les débats qui les opposent en Cour de Rome, notamment au sujet de leur
compétence à l'égard des clercs (L 508, n° 16). — En procès devant les
Requêtes du Palais sur la juridiction du parvis et du cloître, ils s'accordent
de même en 1358 (L 508, n° 7). — L'offîcial ayant adressé une monition au
chambrier lai du Chapitre pour se faire restituer un clerc détenu dans la
prison capitulaire, les parties s'accordent devant un notaire du diocèse
de Nevers pour remettre le prisonnier à juger à l'évêque de Nevers et la
clause de non-préjudice insérée à l'acte ne contredit, pas leur souci de
conciliation (L 464, n° 64, 15 juillet 1367). — Si le Chapitre a juridiction sur
ses bénéficiera, l'évêque prétend juger tel de ceux-ci qui est en même temps
curé de Saint-Nicolas des Champs ; les parties s'accordent, le 30 mai 1381,
et le73).
n° Chapitre se désiste de la complainte qu'il a engagée au Parlement (L 464,
On peut également retenir une délibération capitulaire du 26 juin 1368
(LL 107, p. 155), qui, constatant que l'église est garnie de cierges de mala
cera et turpi, décide de faire des représentations à l'évêque et, sans doute
pour les faire accepter plus facilement, d'admonester aussi le chambrier du
Chapitre.
75. L'évêque de Paris, Aimery de Maignac, avait également cherché à
se rendre indépendant du métropolitain de Sens ; Grégoire XI avait écrit
à Charles V, le 8 octobre 1377, qu'il ne pouvait accéder à la demande que
le roi lui en avait faite, mais il avait accordé à l'évêque et à ses successeur»
le droit de porter le pallium (Bibl. nat., lat. 17000, f° 124, publié par L. Mirot,
t Une tentative d'érection de l'évêché de Paris en archevêché sous Charles V »,
dans le Bull, de la Soc. d'hist. de Paris et de l'Ile de France, 1898, p. 38-40).
76. L'offîcial de l'évêque condamne, le 27 août 1238, un clerc qui a porté
64 P.-C. TIMBAL ET J. METMAN

ait, au xiiie siècle, contesté la juridiction épiscopale 76, il a acquis,


au cours du xive, une exemption de fait, qu'a reconnue l'évêque 77,
mais qui est restée imprécise à l'égard du métropolitain de Sens 78.
En 1383, alors qu'un procès est pendant au Parlement entre
l'archevêque et le Chapitre 79, le moment semble venu à celui-ci
de poursuivre son avantage : Clément VII, le premier antipape
avignonnais, s'oppose énergiquement à Urbain VI et cherche
des appuis dans l'Église comme auprès des princes. On pourrait
croire qu'en lui accordant — motu proprio 80, afïirme-t-il — une
bulle d'exemption aussi large que possible 81, Clément VII a
voulu conférer un privilège particulier au Chapitre de Paris,
dont il se plaît à rappeler qu'il a été membre 82 ; mais la bulle
ne diffère pas, pour l'essentiel, des autres exemptions contempo-

atteinte à l'immunité de Notre-Dame en en frappant un autre dans le cloître


(Guérard, t. I, p. 283). — En août 1250, le Chapitre fait ajourner le prévôt
de Paris devant l'official pour répondre d'une prise faite dans ta juridiction
capitulaire (L 463, n° 58). — Le 23 avril 1261, l'official reçoit le serment de
deux clercs du diocèse d'Amiens, arrêtés en armes dans la cathédrale et
incarcérés dans la prison capitulaire, d'observer la composition qu'ils ont
faite avec le Chapitre (Guérard, t. II, p. 465). — L'appel a gravamine de 1272
{cf. supra, n. 35) ignore le métropolitain de Sens, mais implique la
reconnaissance de la juridiction épiscopale.
77. L 464, n° 38 (10 juin 1343), cité n. 73. — II est affirmé en 1355 que le
serment prêté à l'évêque par un chanoine doit être tenu pour nul (Guérard,
t. II, p. 500). — Un prêtre machicot de Notre-Dame amende pour avoir imposé
a une persona de choro la juridiction gracieuse de l'official (LL 107, p. 14,
12 juillet 1367). — LL 81, p. 297 (s. d.).
Le serment que prête l'évêque lors de son installation (cf. supra, n. 33)
est devenu le suivant : « Ego N., episcopus Parisiensis, juro ad hec sancta
Dei evangelia me servaturum jura, libertates, immunitates, privilégia, exemp-
tiones et consuetudines Ecclesie Parisiensis et compositiones alias habitas
inter predecessores meos et capitulum Ecclesie Parisiensis predicte » (Guérard,
t. I, p. 456, n. 1).
78. Le métropolitain n'est pas mentionné lors des débats qui opposent
l'évêque et le Chapitre en Cour de Rome en 1345 (cf. supra, n. 74) ; mais,
lors de l'incident de 1367 (relaté ibid.), le Chapitre avait fait appel au pape
de la monition de l'official, tandis que son chambrier lai avait, au même
moment, fait appel au métropolitain.
79. L'indication est donnée par la bulle d'exemption de 1383 ; nous ne
connaissons, de ce procès de juribus archiepiscopi (cf. Gallia Christiana,
t. XII, p. 78), qu'une sentence interlocutoire du 15 juin 1380 (XX'A 1471,
f° 339), publiée, à la date erronée de 1379, par P. Dupuv, Preuves des
libériez de l'Eglise gallicane (1651), t. I, partie 4, p. 88.
80. On relève cependant dans l'obituaire de la cathédrale (Guérard,
t. IV, p. 203) que le capital de deux fondation (608 livres) a été employé
pour payer les frais de l'union de la paroisse de Larchant et « pour obtenir
l'exemption de l'Église de Paris ».
81. L 364, n° 24 (23 avril 1383) ; un résumé est donné par LL 81, p. 279.
La mise en application de la bulle s'est heurté à quelques difficultés :
l'archevêque de Sens, Aymard Robert, en appela immédiatement (Arch. dép.
Yonne, G 34, n° 27), ce qui peut expliquer le retard apporté par l'abbé de
Saint-Germain des Près à obtempérer au mandement d'exécution (L 464,
n° 76, 1405).
82. Il le mentionne dans la bulle.
Illustration non autorisée à la diffusion

Intérieur de Notre-Dame à la fin du xvie siècle.


Dessin de Jacques Cellier.
(Bibliothèque nationale, ms. franc. 9152.)
ÉVÊQUE DE PARIS ET CHAPITRE DE NOTRE-DAME 65

raines88 : écartant expressément les décrétâtes d'Innocent III84


et d'Innoncent IV85 qui avaient prescrit l'interprétation
restrictive de telles concessions, elle englobe l'église, le cloître et les
maisons canoniales, d'une part, le Chapitre, les chanoines et les
autres clercs de la cathédrale, d'autre part. Cette bulle confirme
donc l'exemption coutumière de la juridiction épiscopale 86 et
l' étend à la juridiction métropolitaine 87, en rattachant
directement le Chapitre au pape.
Désormais et jusqu'au xvne siècle, les rapports de l'évêque
et du Chapitre seront plus difficiles et trop souvent, du moins
jusqu'à la fin du Grand Schisme, l'autorité laïque pourra seule
ménager entre eux de pénibles transactions 88, le pouvoir ponti-

83. Bulles accordées par Clément VII en 1383 au Chapitre de Meaux


(Arch. dép. Yonne, G 33, n° 31 ; cf. Gallia Christiana, t. VIII, c. 1637),
en 1387 à celui du Mans (ibid., t. XIV, c. 409 ; A. Bellée, L'ancien Chapitre
cathedral du Mans, 1875, p. 89 ; H. Gilles, « Gilles Bellemère et le tribunal
de la Rote à la fin du xive siècle », dans Mélanges d'Archéologie et d'Histoire
publiés par l'Ec. française de Rome, 1955, p. 312-313) et en 1390 à celui de
Sens (E. Chartraire, Cart, du Chapitre de Sens, 1904, p. 39). L'abbaye de
Montivilliers fait également confirmer son exemption en 1384 (P. Le Cacheux,
L'exemption de Montivilliers, Trav. de la Semaine d'Hist. du Droit normand
tenue à Guernesey en 1927).
84. Lettre à l'évêque de Langres (1206), Potthast, n° 312: Décrétales
de Grégoire IX, V, 33, 16 (Quum capella).
85. Au concile de Lyon (1245), can. 10 (Volentes) ; Sexte, V, 7, 1 ; Hefele-
Leclercq, t. V, p. 1671.
86. Le pape n'a sans doute pas voulu sacrifier un prélat fidèle à sa cause,
comme l'était Aimery de Maignac (N. Valois, La France et le Grand Schisme
d'Occident, t. I, 1896, p. 343), qui qualifiait « hérétique et schismatique »
quiconque ne reconnaissait pas Clément VII (H. Denifle et E. Châtelain,
Chartularium U niversitatis Parisiensis, 1894, t. III, p. 583, n° 1639) ; aussi
bien lui a-t-il conféré le pallium en 1377 (cf. supra, n. 75) et le chapeau
cardinalice en 1383 (L. Mirot, op. cit., p. 15). En octroyant l'exemption au
Chapitre, le pape ne faisait que confirmer une situation de fait et on peut
penser qu'il a cherché à s'attacher les chanoines parisiens sans vouloir
diminuer l'autorité de l'évêque ; si on se rappelle que l'Université ne cessera de
lui résister qu'au début de 1383 (N. Valois, op. cit., p. 139, 338 sq. ;
E. R. Labande, dans l'Histoire de l'Église de A. Fliche et V. Martin, t. XIV,
p. 46), il est permis de se demander si l'attitude du pape ne s'explique pas,
au moins en partie, par le souci de désarmer l'opposition des maîtres
parisiens, dont les liens avec le Chapitre étaient particulièrement étroits (P. Our-
liac, dans Y Hist, de l'Église..., t. XIV, p. 321, n° 1).
87. Qu'il s'agisse de l'innovation la plus considérable, on n'en saurait
douter, puisque le Chapitre se voit tenu par la bulle de constituer dans un
délai de deux ans une rente de 10 livres de petits tournois au profit de
l'archevêque de Sens. Ce tarif de 10 livres, qui se retrouve dans la bulle d'exemption
accordée au Chapitre de Meaux (cf. supra, n. 83), semble directement lié à la
perte des profits de la visite métropolitaine (voir, dans les Mémoires publiés à
l'occasion du vme centenaire de Notre-Dame, l'étude consacrée aux Visites
canoniques) : en 1347, le Chapitre de Chartres avait obtenu de racheter les droits
métropolitains de visite, procuration et juridiction par l'assignation d'une rente
de même montant (Arch. dép. Yonne, G 33, n° 12 ; cf. Amiet, op. cit., p. 261).
L'archevêque ne se méprit pas sur la portée réelle de la bulle, puisqu'il
réagit immédiatement (cf. supra, n. 81).
88. Le Parlement intervient de même dans le partage des offrandes entre
l'évêque et le Chapitre du Puy (XlA 1478, f° 35 v°, 7 septembre 1401).
66 P.-C. TIMBAL ET J. METMAN

fical étant parfois contesté et toujours trop lointain. Les


incidents ne cesseront que lorsque l'évêque, renonçant à lutter, aura
consenti à toutes les prétentions du Chapitre.
L'évêque, Aimery de Maignac, était-il déjà outre-mer lorsque
la bulle d'exemption fut connue à Paris ? Il apparut, en tous
cas, qu'elle remettait en cause- — au moins dans la pensée du
Chapitre — toutes les prérogatives traditionnelles dont il
jouissait dans sa cathédrale, puisque, le 20 octobre, en son absence,
ses vicaires n'obtinrent du Chapitre la faculté de tenir le synode
dans la cathédrale que « pour cette fois et sans préjudice ni pour
l'exemption ni pour l'avenir » 89.
Quelques années plus tard, Pierre d'Orgemont se heurte
violemment au Chapitre. Les chanoines reprochaient à l'évêque,
lorsqu'un appel était relevé de la Cour des archidiacres à la
sienne, de faire ajourner les archidiacres dans le cloître au mépris
de l'exemption. Les deux parties se disputaient, d'autre part,
des offrances en monnaie d'or, faites en diverses circonstances
par les ducs de Berry et de Bretagne lorsqu'ils avaient assisté
à des messes chantées devant la statue de Notre-Dame ; le
Chapitre se fondait sur l'accord de 1283 w, qui n'en attribuait le
profit à l'évêque que lorsque la messe était célébrée à l'un des
deux autels du sanctuaire 91. Une transaction dut être ménagée
entre eux par Arnaud de Corbie, premier président du Parlement,
Nicolas de Rance, conseiller, et Oudard des Moulins, avocat du
roi. Homologué au Parlement le 19 août 1389 92, cet accord
révèle bien l'esprit de défense vigilante qui est celui du Chapitre
à l'égard de ses droits concernant la juridiction et les profits
casuels ; la trêve est de courte durée et, sur l'un et l'autre point,
les conflits ne tardent pas à renaître.
Le 26 mai 1397, une nouvelle transaction intervient entre
Pierre d'Orgemont et le Chapitre, aux termes de laquelle les
parties renoncent à poursuivre la réparation des entreprises

n° 89.
23, L5 avril)
464, n°et 75
pour
; il lesen ordinations
sera de même,
(L 496,
en n°
1384,
24, pour
3 juin).
le synode (L 496,
En janvier 1389, deux bulles de Clément VII précisent que la collation
des ordres, la célébration des synodes etc., non plus que de récents conflits de
juridiction, ne peuvent préjudicier à l'exemption (L 365, n08 38 et 39).
90. Cf. supra, p. 56.
91. Pour le duc de Berry, il s'agissait d'une messe chantée à un autel
portatif installé devant la statue de Notre-Dame : une part du profit casuel
fut reconnue à l'évêque. Dans le cas du duc de Bretagne, il s'agissait de
l'autel de pierre érigé à demeure près de la statue et l'évêque accepta de
se désister de sa demande, tout en maintenant ses doits à l'égard des dons
de la famille royale.
92. LL 76, p. 377 ; un résumé en français est donné dans l'Inventaire
de Sarrazin (LL 81, p. 281) et une analyse est publiée par Guérard, t. III,
p. 283, d'après une expédition délivrée le 26 septembre 1435 au nom du
roi Henri VI.
ÉVÊQUE DE PARIS ET CHAPITRE' DE NOTRE-DAME 67

de juridiction réciproques qu'elles se reprochaient 93. L'évêque


ne résiste bientôt plus aux empiétements du Chapitre et l'annu-»
lation par le concile de Constance de toutes les exemptions
postérieures à la mort de Grégoire XI •* est ignorée à Paris.
En 1425-1426, le Parlement est saisi de plusieurs complaintes
émanant de l'une et l'autre parties. Jean de Nant, accusant le
Chapitre d'avoir aliéné des reliquaires et des joyaux, réclame
les clés du Trésor, dont il s'affirme responsable 95 ; un peu plus
tard, il cherche à faire reconnaître sa saisine de tenir le synode
et conférer les ordres dans la cathédrale 9fl. Le Chapitre fait
condamner l'évêque, par provision, à faire réparer les cloches 97,
en se fondant sur la sentence arbitrale de 1283 98 ; il reprend
ensuite l'affaire au fond ", mais il a entre temps formulé de
nouveaux griefs au sujet de l'entretien des vêtements liturgiques 10°
et des « stations » ou distributions dont l'évêque est tenu envers
lui à cinq fêtes annuelles 101.
Les chanoines, qui opposent constamment leur exemption à
l'évêque, même au sujet de la tenue des synodes dans l'église 102,
n'hésitent pas, en 1430, à saisir le Parlement d'une complainte
visant directement leur privilège qu'ils disent menacé par les
entreprises de l'évêque 103. Celui-ci, Jacques du Châtellier, lance
un cri d'alarme : « ils pourroient bouter hors l'evesque de son
dyocese, puisqu'ils le veulent bouter hors de son église, cujus
est sponsus » 104 ; mais ce n'est là qu'un dernier sursaut et, en 1432,
93. L 464, n° 148. L'évoque reprochait notamment au Chapitre d'avoir
fait incarcérer un de ses serviteurs, sous le prétexte qu'au lendemain des
obsèques que le roi avait fait célébrer pour la reine d'Angleterre il avait
enlevé un des panonceaux aux armes de la reine qui décoraient l'église.
Le Chapitre alléguait, de son côté, que l'ofïicial avait fait des actes de
juridiction à rencontre du serviteur d'un chanoine, habitant avec lui dans le
cloître, et que les gens de l'évêque avaient empêché d'introduire dans l'église
par la « porte de l'évêque » le monument funèbre de Me Pierre Fortet, de
sorte qu'il avait été nécessaire de longer la cathédrale pour y entrer par la
porte du parvis.
Une nouvelle transaction intervient, le 21 octobre 1400, au sujet de la
juridiction du parvis et de l'Hôtel-Dieu (Gallia Christiana, t. VII, p. 141) ;
mais, le 8 juillet 1426, l'évêque, fort de la transaction de 1272 (cf. supra,
n. 36), est obligé de défendre sa saisine du contrôle des chandelles vendues
sur le parvis (XlA 4794, fo 275).
94. 1416-1418 ; cf. Hefele-Leclercq, Hist, des conciles, t. VII, p. 370,
472, 494, 530-531.
95. X1* 4794, f<> 254 bis (10 juin 1426).
96. XlA 4794, f<> 275 (8 juillet 1426).
97. XlA 1480, fo 337 (19 décembre 1425).
98. Cf. supra, n. 42.
99. X1* 4794, fo 287 (23 juillet 1426).
100. XlA 4794, fo 254 bis (10 juin 1426).
101. XlA 4794, fo 268 (1« juillet 1426).
102. XlA 4794, fo 254 bis (10 juin 1426) ; L 496, no 66* (26 février 1429,
n. st.) ; cf. aussi supra, n. 89.
103. XlA 4796, fo 174 (7 février 1430, n. st.).
104. XlA 4796, fo 210 v© (22 mai 1430).
68 P.-C. TIMBAL ET J. METMAN

le même prélat renonce, à la suite d'une nouvelle complainte


du Chapitre, à connaître des méfaits commis en lieu non exempt
par un curé parisien qui est de la familia du Chapitre 105. En 1569,
profitant peut-être de la vacance du siège, le Chapitre étendra
sa police à la voie qui traverse le chœur du nord au sud 106, pour
laquelle l'accord de 1335 avait admis concurrence et
prévention 107.
La concorde n'est pas plus durable sur la question connexe
des dépouilles funèbres et des reliefs du luminaire, le Chapitre
étant aussi attentif à la sauvegarde des droits de la fabrique
sur les premières 108 qu'à celle des siens sur les seconds 109. Il
n'hésite pas, en 1393, à se mêler du service que le chevecier
accomplit pour le luminaire au nom de l'évêque n0. En 1394, alors que
l'évêque est outre-mer, ses gens sont obligés de restituer au
Chapitre le reste du luminaire utilisé lors des obsèques de la
reine d'Angleterre m : il s'agissait de torches placées dans la
nef — auxquelles l'évêque n'avait jamais eu droit — et sur la
range du jubé au-dessus de la statue de Notre-Dame — auxquelles,

105. L 465, n° 26 (5 avril 1432, n. st.) : le Parlement ayant été saisi d'une
complainte par le Chapitre, l'évêque accepte la recréance faite à celui-ci,
abandonnant ainsi la position qu'il avait défendue en 1381 (cf. supra, n. 74).
106. L 467, n° 36 A (11 février 1569) : le Chapitre décide de faire garder
le chœur pendant les offices par trois francs-sergents, dont deux seront placés
à l'entrée du chœur du côté de la nef et le troisième du côté du chevet,
spécialement chargé de surveiller la voie transversale et les deux portes
latérales.
107. Cf. supra, p. 62 et n. 72.
108. Le 30 décembre 1415, le Chapitre dépêche trois chanoines à la «
poursuite » de l'évêque de Clermont, qui a emporté la croix d'argent placée sur
le corps du duc de Guyenne (LL 112, p. 85).
C'est évidemment à la demande du Chapitre que Guillaume Petit, évêque
de Troyes, déclare devant notaires en 1519 qu'il ne prétend, ni à titre de
confesseur du roi ni à titre de prédicateur, à aucun droit sur les parements
de velours placés autour de la chaire lors des obsèques de Louis XII et de
celles de l'empereur Maximilien (L 466, n° 18). La question n'avait pas cessé
d'être actuelle, puisqu'en 1422 et 1461 de graves querelles avaient éclaté
à Saint-Denis pour la possession du poêle qui recouvrait le cercueil de
Charles VI et celui de Charles VII (J. Huizinga, Le déclin du Moyen âge,
1948, p. 57-58).
109. En 1419, le chevecier doit amender pour avoir fait reprendre après
un
f° 335 service
v°). le luminaire dont le relief appartenait au Chapitre (LL 270,
110. Le 1er juin 1360, il cite le chevecier devant lui ex officio au sujet des
torches allumées en l'honneur du nouvel archevêque de Rouen et de son
successeur au siège de Beauvais (LL 106 A, p. 254). Le 26 août 1393, c'est
l'évêque lui-même qui est invité à s'expliquer au sujet de la diminution des
fournitures incombant à la chévecerie lors de certains anniversaires (LL 108 A,
p. 14).
111. Accord confirmé en Parlement : L 464, n° 141 (14 août 1394) ; il
ne semble pas que l'évêque ait mis beaucoup d'empressement à exécuter
cet accord, puisque ce n'était pas encore chose faite au début de 1398 (cf.,
dans L 464, une procuration de l'évêque datée du 3 janvier 1398, n. st.,
qui a été utilisée pour réunir les pièces 45 à 55).
ÉVÊQUE DE PARIS ET CHAPITRE DE NOTRE-DAME 69

d'après la sentence de 1335, il ne pouvait prétendre qu'en dehors


des cérémonies funèbres. De nouveaux incidents se produisent
quelques années plus tard à l'occasion des obsèques de plusieurs
seigneurs de la compagnie de Boucicaut, morts à la bataille de
Nicopoli (1396), et de celles du fils du duc de Berry ; ici encore
c'est un accord en Parlement qui met fin au litige en 1399 et
l'évêque obtient désormais la moitié du luminaire placé sur
la range du jubé 112. En 1407, ce sont les funérailles de
l'archidiacre Garnier Guérout qui donnent lieu à controverse : l'évêque
et le Chapitre se prévalent l'un et l'autre de la sentence de 1335
pour s'attribuer le relief des cierges placés sur des candélabres
autour du tombeau 118 ; nous ne connaissons malheureusement
pas les résultats de l'arbitrage auquel se sont résignées les
parties 114.
La charge du « luminaire ordinaire » devenait cependant très
lourde pour l'évêque, eu égard aux minces profits casuels qu'il
retirait des offrandes complémentaires 115. L'incident de 1423
en témoigne et atteste le souci de rigueur juridique qui présidait
à cette époque aux rapports de l'évêque et du Chapitre. Le jour
de la Toussaint, au moment où l'évêque Jean de Nant, revêtu
des ornements pontificaux, se trouvait dans la sacristie, s'apprê-
tant à pénétrer dans l'église pour y célébrer la messe, le chantre

112. Xlc 77 B (7 avril 1399). L'accord a été également conservé dans


L 464, n° 153, et on en trouve des extraits dans L 419, n° 3, et LL 76, p. 5
(cf. Guérard, t. III, p. 284).
113. Cf. supra, p. 61 ; cette sentence attribuait, en effet, à l'évêque les
cierges placés par son chevecier et au Chapitre ceux qui avaient été offerts
par la famille du défunt.
114. LL 109 C, p. 667 (3 juin 1407), reproduit dans L 517, n° 1, f° 6 v°.
115. Les comptes de la chévecerie, dont nous avons des extraits pour
les années 1384-1407, correspondant sensiblement à l'épiscopat de Pierre
d'Orgemont (LL 270, fï. 308-313), donnent quelques chiffres intéressants :
les revenus des deux autels du chœur et de la panne placée au-dessus de
« l'Image Notre-Dame » se montent, pour février et mars 1384, à 653 livres
de cire, à 326 livres pour mai ; du 1er octobre 1400 au 1er octobre 1401,
à 206 livres seulement. La fonte des reliefs de luminaire effectuée en mai 1384
a produit 2494 livres, en 1390 3092 livres ; cette dernière année, qui a vu se
dérouler les obsèques du duc de Berry — le relief en fut de 572 livres —, a
rapporté en tout 5590 livres de cire. Les dépenses faites pour chacune des
grandes fêtes de l'année — une dizaine — sont, assez uniformément, de 117
à 119 livres chaque fois ; il faut y ajouter maintes fournitures coutumières
de chandelles ou de cierges.
Les profits casuels du Chapitre, libres de toute charge, sont souvent
considérables : après les obsèques du duc d'Orléans, le poids de cire fondue avec
les reliefs du luminaire est de 1313 livres, dont chaque cent est vendu 12 livres
16 sous parisis (LL 112, p. 29, 11 janvier 1415, n. st.) et, après les obsèques
du duc de Guyenne, la fonte a donné 2150 livres de cire (ibid., p. 85,
30 décembre 1415). Il n'est donc pas surprenant que ces profits soient
jalousement défendus par le Chapitre contre les prêtres n'appartenant pas à Notre-
Dame (LL 76, p. 380, 22 mars 1391, n. st.) et que leur répartition continue
à donner lieu à des conflits entre les chanoines et les autres clercs de la
cathédrale (LL 108 B, p. 453 et 483, 4 avril et 25 juin 1399).
70 P.-C. TIMBAL ET J. METMAN >

et plusieurs chanoines lui remontrèrent que la coutume exigeait,


pour une fête aussi solennelle, un luminaire plus abondant que
celui qu'il avait fourni. L'évêque répondit que ses prédécesseurs
faisaient ce qu'ils voulaient et que lui-même ne faisait que ce
qu'il pouvait avec les revenus de la chévecerie ; il accepta
néanmoins, pour éviter tumulte et scandale, de faire aussitôt ajouter
des cierges, mais il tint à réserver l'avenir par une déclaration de
non-préjudice et l'on prit le temps de quérir un notaire pour lui
en donner immédiatement acte dans la sacristie lle.
Le 19 décembre 1425, Jean de Nant est condamné par
provision, sur complainte du Chapitre, à faire replacer les trois bassins
suspendus devant le grand autel et à entretenir dans celui du
milieu un cierge brûlant nuit et jour devant le Saint- Sacrement 117.
Six mois plus tard, l'affaire revient au fond 118 et l'évêque allègue
la désolation de son diocèse, cependant que le Chapitre affirme
que les profits de la chévecerie lui permettent de pourvoir à la
charge du luminaire. L'évêque réplique que le Chapitre lui-même
n'assume pas son obligation d'entretenir vingt-huit lampes dans
l'église et sept cierges autour du grand autel. Les chanoines
contestent le caractère obligatoire de cette prestation : les lampes
devaient être alimentées grâce à des fondations dont les revenus
sont taris et les cierges sont placés par eux en signe de dévotion
et non en vertu d'une coutume imperative ; au reste, l'évêque
lui-même, disent-ils, ne fait pas brûler les deux lampes qu'il
doit entretenir derrière l'autel. Et, une fois de plus, Jean de
Nant affirme que les profits casuels qu'il retire du luminaire
sont bien inférieurs à ceux du Chapitre : « si l'evesque prend la
cire devant l'image Notre Dame, il a grande charge a cause de
ce et si n'y a une grande revenue de cire ; mais, en obsèques des
grands seigneurs, lesdits de Chapitre prennent la cire du chœur,
qui monte plus a une fois que ne monte toute la cire offerte devant
ledit image en quarante ans » 119.
Ce n'est qu'à la fin du xvie siècle qu'une ultime convention,
confirmant sur le fond les dires de l'évêque, met un terme à
cette longue série d'incidents. Le 11 août 1578, le Chapitre prend
pour lui-même la charge de chevecier et il lui incombera désormais
de fournir tout le luminaire de l'église ; en contrepartie, l'évêque
doit non seulement lui abandonner la perception des « oblations,
cires, profits, or monnayé et autres émolumens », mais encore
lui verser une rente annuelle de 400 écus 120. Baillant pour trois

116. Guérard, t. III, p. 195.


117. X1* 1480, f<> 337 ; XlA 4794, f° 169 v» (3 janvier 1426, n. st.).
118. X1A 4794, f<> 254 bis (10 juin 1426).
119. X1* 4794, f° 256 v° (13 juin 1426).
120. L 467, n° 69, et L 532, n° 1 ; Bibl. nat.» Cinq-Cents Colbert, n° 156,
ÉVÊQUE DE PARIS ET CHAPITRE DE NOTRE-DAME 71

ans, l'année suivante, la charge de chevecier à un prêtre habitué


de la cathédrale, le Chapitre lui cède les reliefs du luminaire
qu'avait autrefois l'évêque et s'engage à lui payer annuellement
une somme de 366 écus et 40 sous m. Le profit était mince pour
le Chapitre et l'évêque ne lui paya même pas régulièrement la
rente stipulée 122 ; du moins avait-il la satisfaction d'être
entièrement maître du luminaire et peut-être aussi celle d'avoir
éliminé entre l'évêque et lui, dans la cathédrale, une cause de
conflit qui donnait trop souvent à l'autorité laïque l'occasion
d'intervenir dans les affaires ecclésiastiques 123.
Le statut juridique de la cathédrale, auquel la cession de la
chévecerie a apporté un dernier complément, n'en était pas
moins paradoxal : la primauté d'honneur reconnue à l'évêque,
bientôt archevêque, de Paris s'accordait mal avec une
juridiction pratiquement cantonnée au sanctuaire et le principe d'ordre,
qui s'affirme en tous domaines au xvne siècle, conduit à faire
juger anachronique l'exemption médiévale. Si le concile de Trente
l'avait traitée avec défaveur parce qu'elle énervait l'autorité
épiscopale, les gallicans lui reprochaient surtout de légitimer
l'intervention du pape dans la vie de l'Église de France 124 et
ils ajoutaient que les membres des Chapitres n'avaient plus guère
à redouter la vindicte des évêques depuis que ceux-ci étaient
désignés par le roi en application du Concordat. L'ordonnance
d'Orléans (1560) 125, qui avait prétendu abolir l'exemption, ne
fut pas appliquée à la lettre, mais, en fait, celle-ci fut vidée de
son contenu 12e, l'évêque pouvant exercer son droit de visite et
partant sa juridiction dans tout son diocèse, même à l'égard
des corps ecclésiastiques « qui se prétendaient exempts de sa
juridiction » 127. L'archevêque de Paris vit ainsi restaurer son

t. IV, f° 310. Ce contrat, conclu devant deux notaires du Châtelet, montre


que le partage des reliefs du luminaire obéissait toujours aux règles fixées
aux xive et xve siècles.
121. L 467, n°» 71 A 71 B (12 octobre 1579).
122. L 419, p. 37 (1591).
123. Cf. Guy du Rousseaud de la Combe, Recueil de jurisprudence
canonique et bênèficiale (1748), F0 Curés, n° 4, p. 187.
124. L'évêque d'Angoulême demande que son Chapitre soit réduit sous
sa juridiction en affirmant qu'il est « contraire aux lois du royaume » que l'on
puisse saisir directement le pape (Parlement de Paris, mai 1677, Journal
des audiences, t. III, p. 280).
125. Art. 11, Isambert, t. XIV, p. 67.
126. L. Thomassin, Ancienne et nouvelle discipline de l'Église (éd. de 1725),
t. I, c. 1642 sq. ; Durand de Maillane, Dictionnaire de droit canonique
et de pratique bénéficiale (1761), V° Exemption.
127. Édit d'avril 1695, art. 15, Isambert, t. XX, p. 246.
Si l'évêque d'Angers n'obtient pas, en 1626, la suppression de l'exemption
de son Chapitre (Parlement de Paris, 15 juin 1626, Journal des audiences,
t. I, p. 60), l'archevêque de Sens (Parlement de Paris, 28 juin 1667, Journal,
t. II, p. 561, et 2 septembre 1670, publié par Chartraire, op. cit., n° IX)
72 P.-C. TIMBAL ET J. METMAN

autorité dans la cathédrale et l'on s'attacha, dans un louable


souci de continuité rétrospective, à minimiser la portée des
textes médiévaux 128.

Pierre-Clément Timbal et Josette Metman.

et l'évêque du Mans (Parlement de Paris, 27 juin 1686, cité par Bellée,


op. cit., p. 93) font reconnaître, un demi-siècle plus tard, leur juridiction
sur leurs Chapitres, à l'encontre de bulles de Clément VII ; ces décisions
ont fait jurisprudence.
128. Il est affirmé vers 1635 pour Jean-François de Gondi, le premier
archevêque de Paris, en conflit avec le Chapitre au sujet de la désignation
d'un prédicateur, que, dans la sentence de Guy Baudet en 1335 (cf. supra,
p. 61), « on peut dire que... l'évesque est bien énoncé..., mais il n'est point
diet que le diet seigneur évesque y aye signé et il n'y a au thrésor de
l'archevêché aucune grosse de cest acte, signée ni scellée... ; on ne croit pas que
cette sentence aye esté approuvée par ledict seigneur évesque de Paris »
(L 419, n° 36).
Par une fâcheuse coïncidence, la série des registres capitulaires présente
d'importantes lacunes, correspondant aux périodes où la juridiction de
l'évêque a été tenue en échec dans sa cathédrale.
Illustration non autorisée à la diffusion
Intérieur de Notre-Dame au début du xvme siècl
(ïrjivuro il'Avislino.
(Bibliothèque nationale, Cabinet des Estampes.)

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