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De Walter
a nos jours f • #
(Essais de traduetologie)
HONORÉ CHAMPION
PARIS
P r e m iè r e p a r t ie
e n t r e h e r m é n e u t iq u e
ET POÉTIQUE
P r é l im in a ir e s
11 Cicéron, Du meilleur genre d ’orateurs, Paris, Les Belles Lettres, 1921, traduction
Henri Bomccque, p. 11.
12 En fait le problème est plus complexe et les deux positions s’interpénétrant dans
la pratique (voir Vulgate, traduction latine de la Bible, par saint Jérôme). De même,
chez Cicéron, son statut d’auteur prime sur le public.
Entre h e r m é n e u t iq u e e t p o é t iq u e 17
17 Si Alexis Nouss et Laurent Lamy lui ont préféré le terme d'abandon, c’est qu’en
17
^ / quelque
qucl< sorte, Aufgabe désigne un devoir inaccomplissable (le traducteur « part
^ perdant»). -fS ' :) (D t Z .( p s s X ' ■J : :
18 Ce qui rejoint paradoxalement les termes des droits d’auteur : les idées sont à tout
le monde, seule la forme appartient à l’auteur, voir Jacques Derrida « Des tours de
Babel », in Différence in Translation, op. cit.
19 « ... un texte qui ne peut être traduit n’a aucun sens... », Léon Robel, « Translati
ves », in Change, Transformer-traduire, n. 14, Paris, Seghers / Laffont, 1973, p. 8.
20 La traduction surgit de l’original. Il est important de noter que pour Benjamin,
la vie naturelle est la vie qui a trait à l ’histoire, non pas à quelque organicisme ni non
plus à quelque idée de l’âme.
20 E n t r e h e r m é n e u t iq u e e t p o é t iq u e
” ~ 777
(y 21 Paul de Man, Autour de La Tâche du traducteur, op. cit., p. 26.
22 Comme le voulaient Cicéron, à l ’époque classique, et plus tard en France, Du
Bellay (1552), à la Renaissance. C p -> 1 ;
‘ -M ‘o'SO "¿1-^ ' ‘ ,
Entre h e r m é n e u t iq u e e t p o é t iq u e 21
de proférer les m ots qui, sinon se trouveraient, par une frappe unique,
elle-m êm e m atériellem ent la vérité28.
sans la théoriser, ce qui a donné dignité à cette forme, mais ils sont à
l’origine d’un préjugé qui consiste à penser que les traducteurs
importants seraient des écrivains et les écrivains peu importants, de
médiocres traducteurs. Des traducteurs comme Luther, Voss, Schlegel
sont plus importants comme traducteurs que comme écrivains.
D’autres, comme Hölderlin, George, ne sont pas à considérer seule
ment comme des écrivains, mais comme de grands traducteurs, qui ont
su s’acquitter de leur tâche : « Racheter dans sa propre langue cette
pure langue quand elle est exilée dans la langue étrangère, la délivrer
p a r la recréation quand elle est captive dans l’œuvre, telle est la tâche
du traducteur. »
De quelle façon y parvenir ? En faisan t sauter les cadres vermoulus
de sa langue à l’instar de Luther, Voss, Hölderlin, George, qui ont
élargi les frontières de l’allemand. Ainsi, « la traduction touche
l ’original de façon fugitive, et seulement en un point infiniment petit
du sens, pour poursuivre sa marche, selon la loi de la fidélité dans la
liberté du mouvement langagier ». Benjamin évoque l’exemple de
Hölderlin, traducteur qui a appliqué le principe de littéralité non à la
proposition, mais surtout au mot isolé. Sa traduction a pu paraître
incompréhensible et risible au XIXe siècle. À ce propos les éclaircisse
ments de De Man méritent qu’on s’y arrête. Pour cet auteur, en effet,
pour comprendre Benjamin, il faut bien comprendre le sens de Wort
et de Satz . Satz, employé par Heidegger (D er Satz vom Grund , le
principe de raison), est à entendre comme la proposition, le sens en
somme, tandis que Wort, est associé chez Benjamin à Aussage, la
manière dont on « énonce la proposition ». Selon De Man, « Wort ne
signifie pas uniquement l’agent de la proposition en tant qu’unité
lexicale mais aussi comme syntaxe et comme grammaire »30. Il ne
s’agit donc pas seulement du mot isolé mais des éléments de la
syntaxe. En fait, poursuit De Man, la question ainsi posée est celle de
la « compatibilité entre grammaire (mot et syntaxe) et sens (Satz) » qui
semble acquise pour tous :
Pour Antoine Berman, en effet, il s’agit bel et bien d’un domaine (et
non plus d ’une pratique : l’acte de traduire, ou d ’un moyen : moyen
d ’accès au texte étranger « dont la finalité consiste à nous dispenser de
la lecture de l’original »)37, certes contradictoire, mais d ’un vaste
domaine. Cette considération permet de concilier les points de vue, les
paratextes ou les analyses qui ont été menés jusqu’alors de façon
« impensée » et incohérente.
Ainsi, la réflexion sur la traduction répond à une « nécessité
interne »38 qui doit la conduire à son autonomie en tant que champ
d ’études (nécessité que l’on retrouve aussi dans les Descriptive
Translation studies). Cette réflexion, à laquelle il donnera plus tard le
nom de « traductologie », doit s’appuyer en premier lieu sur l’histoire
de la traduction et des grandes traductions et s’articuler avec l’histoire
de la littérature. Il s’agit, aussi bien, d ’étudier les résistances culturelles
qui ont partagé les traducteurs entre les pôles fidélité / trahison,
traduction tournée vers la source ou vers la langue d ’accueil, et de les
dépasser en considérant que la traduction en tant qu ’« un certain
rapport à l’Autre » permet la fécondation « du Propre par la médiation
de l’Étranger »39, ce qui rejoint les propos de Pannwitz cités par
W alter Benjamin dans sa « Tâche du traducteur » ou ceux de
Schleiermacher ou de Herder.
En fait, cette fidélité est contradictoire car, si d ’un côté, elle est
centrée sur une éthique qui prône l’ouverture à l’Autre, donc apparem
ment l’abandon provisoire de sa langue maternelle, en réalité, elle est
aussi une fidélité à la langue maternelle dont il s’agit d ’élargir les
frontières et par conséquent de l ’enrichir par cet apport de l’étranger.
Le cas allemand
tl o n ,
la première impliquant souvent qu’on explicite ce qui n ’est pas
dit dans l’original, la seconde recouvrant Y homogénéisation53.
Quant aux autres tendances, on dirait plutôt qu’elles dérivent des
premières.
L’allongement correspond à l’explicitation (donc à la clarification) ;
les appauvrissements qualitatif et quantitatif, ainsi que les destructions
du système original et l’effacement de polylogisme sont la consé
quence de l’homogénéisation.
Les trois premières tendances, la rationalisation, la clarification,
l’homogénéisation sont, comme on pourrait s’en douter, liées.
Dans le premier cas, le traducteur apporte des modifications au texte
scion l’idée qu’il a de l’ordre du discours. Ces modifications touchent
la structure des phrases (nouvel arrangement) et sont constituées, par
exemple, de l ’élimination des redites, de l’adjonction des propositions
relatives et des participes, ou, au contraire, de l’introduction de verbes
dans les phrases qui en sont dépourvues. La modification la plus
courante est, sans conteste, la modification de la ponctuation et ce sans
égards pour les intentions de l’auteur.
Le corollaire de ces tendances est l’abstraction, qui veut que les
substantifs remplacent les verbes, ce qui se remarque aussi bien dans
la traduction de la prose que dans celle de la poésie.
Dans le deuxième cas, les modifications sont apportées dans le sens
de la clarté du discours. Ainsi la « définition » des articles du texte
original. Cette clarification n ’est pas à confondre avec l’explicitation,
ou la mise au jour dont parlent Goethe ou Hölderlin puisqu’elle
explicite « ce qui ne veut pas être (clair) dans l’original ».
La conséquence est que la traduction devient plus longue que
l'original. L 'allongement n ’ajoute rien au texte du point de vue de
l’information sémantique. Berman cite la traduction française d e Moby
l)ick de Gueme, comme un exemple typique d ’allongement gratuit,
voire néfaste : « Moby Dick, allongé, de majestueux et océanique,
devient boursouflé et inutilement titanesque. » Cela nous rappelle
l'exemple cité par Chateaubriand lui-même, traduisant tel quel le vers
v’ ^tienne Dolet prône ainsi l’évitement des néologismes, latinismes dans le but
d'iulopter la bonne langue française d’usage commun, douée d’un beau style, souple,
ilégant... et surtout uniforme. Voir Edmond Cary, « Étienne Dolet, 1509-1546 »,
liabel, vol. 1, n. 1, sept. 1955, pp. 17-20.
36 E ntre h e r m é n e u t iq u e e t p o é t iq u e
',fl Henri Meschonnic, « On appelle cela traduire Celan », in Pour la Poétique II,
l'iuls, Gallimard, 1973, pp. 369-407.
38 Entre h e r m é n e u t iq u e e t p o é t iq u e
v Antoine Berman, Pour une critique des traductions : John Donne, Paris,
Oûllimard, 1995, p. 13.
40 E n t r e h e r m é n e u t iq u e e t p o é t iq u e
59 Apud Antoine Berman, Pour une critique des traductions : John Donne, op. cit.,
pp. 19-20. Pour les Romains, les trois œuvres de Virgile, Les Bucoliques, Les
Géorgiques, et VÉnéide étaient considérées comme des traductions de Théocrite,
Hésiode et Homère (apud Aulu-Gelle). De même, les valeurs romaines, la fides, la
constantia, la severitas, la gravitas, Yauctoritas pouvaient être considérées comme les
vertus du traducteur (reprises par Luther pour sa traduction de la Bible). Voir
Frederick M. Rener, dans Interpretatio : Language and Translation from Cicero to
42 E ntre h e r m é n e u t iq u e e t p o é t iq u e
Tytle.
60 « Critique des traductions / John Donne », Po&sie, n. 59, Paris, Berlin, 1992, p. 9.
61 Nous pensons toutefois qu’elles s ’intégrent dans l ’œuvre du traducteur-écrivain.
E n t r e h e r m é n e u t iq u e e t p o é t iq u e 43
Face à ces deux courants, Antoine Berman veut avoir une position
herméneutique, proche de celles de Paul Ricœur et de Hans Robert
Jauss en se fondant sur L ’Être et le Temps de Heidegger. Il va de soi
qu’il s’inspire également de Steiner et de Benjamin.
Son objectif est d’effectuer une analyse comparative de la traduction
et de l’original. La traduction doit être considérée d’abord comme un
texte mais toujours en rapport avec l’original, objet d’une analyse
textuelle préalable qui permet d’en repérer les zones problématiques
ainsi que ses caractéristiques stylistiques, prosodiques, ses mots-clés.
Il propose quatre principes, « destinés à rendre la critique de traduc
tions lisible » : la « clarté de l’exposition », la « réflexivité », la
« digressivité » et la « commentativité », qui correspondent au concept
benjaminien de critique de la traduction sans exclure les formes
élaborées par Meschonnic et l’école de Tel-Aviv, à partir des diverses
disciplines qui s’intéressent au texte comme texte littéraire. Cette
analyse s’adapte à toutes sortes de textes, il s’agit plus d ’un trajet
analytique possible que d’un modèle critique.
Un aspect tout aussi important de sa recherche est celui qui porte sur
le traducteur, ou mieux, le sujet traduisant. S’interroger sur son
identité, sa position traductive, sur le compromis entre la manière dont
le traducteur perçoit en tant que sujet pris par la pulsion du traduire
(Schlegel, Übersetzungstrich), son projet de traduction et son horizon
traductif, voilà les points qu’il s’agit de développer, ainsi que la
« tâche » de la traduction - la manière dont le traducteur a « intemali-
sé » le discours ambiant sur le traduire (les normes). Pour les deux
premiers points, la critique doit être large, s’intéresser aux œuvres de
l’auteur, aux productions du traducteur, au type de traduction proposée.
Going to bed, sans les traductions. La série (terme non utilisé par
Berman) à laquelle appartient ce poème (poésie métaphysique) inclut
Pindare, les troubadours, Blake, Hölderlin, Hopkins et d’autres selon
ses propres critères.
La conclusion est que ces traducteurs français veulent faire de ce
poème métaphysique un poème érotique français. Soucieux de la forme
et du maintien d’un certain archaïsme, les traducteurs négligent l’aspect
marquant du poème, sa colloquialité, neutralisant les réseaux d’images
et de termes. L ’ensemble des traductions est malencontreux.
La traduction d’Auguste Morel, en revanche, atteint un archaïsme
heureux, sans effort, sans aspect laborieux et dont le modèle semble
être Ronsard68.
La traduction de Paz, par ailleurs, que celui-ci appelle « adaptation
libre », semble répondre aux propos de Pasternak :
Ou bien traduire n’a aucun sens, ou bien le lien avec l’original doit
être plus étroit qu’il n’est d’usage. La correspondance des textes est un
lien trop faible pour légitimer la traduction. D e telles versions ne tiennent
pas leurs promesses, leur pâle paraphrase ne donne aucune idée de
l’essentiel de l’objet qu’elles s ’attachent à exprimer, c ’est-à-dire de sa
force. Pour qu’une traduction atteigne son but, une dépendance plus
réelle doit la lier à l’original. Le rapport entre l’original et la traduction
doit être celui qui unit la base à son dérivé, com m e pour une plante et sa
bouture (...). Si la traduction est concevable, c ’est dans la nature
où, idéalement, elle doit être aussi une œuvre d’art, et atteindre, à
partir d’un texte commun, le niveau de l ’original grâce à sa propre
unicité69.
68 Antoine Berman, Pour une critique des traductions : John Donne, op. cit., p. 186.
69 Cité par Antoine Berman, Pour une critique des traductions : John Donne,
op. cit., p. 28.
E n t r e h e r m é n e u t iq u e e t p o é t iq u e 47
II. Nous aimerions ici évoquer le cas de deux autres traducteurs qui
ont marqué de façon décisive une nouvelle façon de traduire en France
et ce selon les principes énoncés dans « La Tâche du traducteur ». Il
s’agit de Stéphane Mallarmé (1864) et de Pierre Klossowski (1969)
dont les traductions annoncent une nouvelle poétique du traduire, qui
caractérisera la Modernité.
Il est surprenant que Mallarmé avec sa traduction du « Raven »
d’Edgar Poe n ’ait pas suscité davantage de commentaires, étant donnée
son influence indiscutable sur la formulation de Benjamin lui-même.
Son cas est un peu particulier, comme on va le voir. Certes, son
admiration pour Baudelaire et pour Edgar Poe est à l’origine de sa
retraduction du « Corbeau », comme il le dit dans sa lettre à Cazalis
du 24 juillet 1863 {« A ya n t appris l ’anglais sim plement pou r mieux
lire Poe (...) »)88. Mais s’il est vrai que l’on peut suivre les pas de
ceux qu’on admire, il n’est pas moins vrai que l’on ne retraduit pas
sans raison. Selon Antoine Berman : « la retraduction a lieu pou r
l ’original et contre ses traductions existantes. »89 On pourra penser
que si l’auteur d’un « Coup de dés » a traduit le poème anglais si peu
de temps après la traduction de Baudelaire, c’est parce qu’il voulait
s’essayer à quelque chose de nouveau, ou mieux, qu’il était sur le seuil
d’une découverte.
Poe, aux antipodes d ’Octavio Paz, qui propose, dans le cadre d’une
transposition créatrice, un poème équivalent à l’original mallarméen,
différemment aussi de Chateaubriand, qui veut rester littéral, proche du
texte original de Milton, Klossowski s’attache, comme pour illustrer les
propos benjaminiens, à la transmission de la « commotion » provoquée
par le latin. Certes, l’intention de raviver le vers virgilien est présente
dans son projet et il est conscient de la difficulté de sa tâche : « Nous
avons voulu, écrit-il, nous astreindre à la texture de l’original, (...)
amener le lecteur, au travers de notre échafaudage malaisé, à marcher
pas à pas avec le poème. » En fait, la préface de Klossowski,
traducteur de Rilke, Nietzsche, Kafka, Hölderlin, Heidegger, Wittgens
tein et Suétone, présente clairement ses intentions :
Les mots de Virgile miment les gestes et les états d’âme des
personnages ; de même les accessoires propres à l’action.
Ce sont les mots qui prennent une attitude, non pas le corps ; qui se
tissent, non pas les vêtements ; qui scintillent, non pas les armures ; qui
grondent, non pas l’orage ; qui menacent, non pas Junon ; qui rient, non
pas Cythérée ; qui saignent, non pas les plaies. Ils constituent le fond qui
fait la seule raison de l’action humaine : la résonance, en deçà ou au-delà
de l ’intelligibilité grammaticale, au gré de sa cadence95.
98 Virgile, Énéide, Livres I-VI, Paris, Société d’Édition « Les Belles Lettres », 1925,
p. 16.
99 L ’Énéide, Marseille, André Dimanche Éditeur, 1989, p. 123.
E n t r e h e r m é n e u t iq u e e t p o é t iq u e 59
Ainsi, s’il est vrai que l’on retrouve le même nombre de vers qu’en
latin (21), ceux-ci se présentent avec des longueurs variables, non
rimés, sans que l’on puisse parler de prose. L’unité vers est maintenue
en tant que telle et le vocabulaire choisi est souvent métaphorique.
Au vers 643, A t trépida et coeptis immanibus effera Dido, « frémis
sante » est maintenu chez les deux traducteurs, mais la similitude
s’arrête là. Bellesort traduit de façon très proche du latin, « farouche
de sa terrible résolution », introduisant cependant un mot du lexique
rationnel, contemporain de nous, « résolution », tandis que Klossowski
propose « en ces sauvages apprêts, Didon déchaînée », ce qui confère
à la fois un aspect d’emblée classique (« apprêts ») et fort inattendu au
vers (« déchaînée » à la place de « farouche »). Cette image d’égare
ment est reprise par l’adjectif « fou » (« le sang dans l’œil fou ») qui
traduit aussi bien le sanguine voluens aciem virgilien. Au même vers
644, une allitération dans un groupe inversé rappelle « l’aspect
disloqué » du latin : les « frissonnantes joues » avec remplacement de
« marbrées » par « flétries », qui reprennent le son /f/ de « fou »,
lequel fait écho à « jo u e s ». On pourra argumenter que le sens
s’éloigne du sens latin, « flétries » marquant plutôt la texture de la
peau que sa couleur. En réalité, si l’on suit le dictionnaire Gaffiot,
cette épithète est plus proche du maculis gênas (= des joues avec des
taches) que de « marbrées » employée par Bellesort, car elle signifie
60 E n t r e h e r m é n e u t iq u e e t p o é t iq u e
101 Nous nous appuyons sur notre précédente lecture du fragment traduit, in Inès
Oseki-Dépré, Théories et pratiques de la traduction littéraire, op. cit., pp. 180-181.
62 E n t r e h e r m é n e u t iq u e e t p o é t iq u e
102 « Les Mots qui saignent », L ’Express, 29 août 1969, pp. 21-22.
Un t r e h e r m é n e u t iq u e e t p o é t i q u e 63
iii livik“ translinguistique, elle doit être considérée au même titre que
IVrrilure d’un texte et ne peut pas être théorisée par la linguistique de
l'énoncé ou par une poétique formelle.
Il insiste à la fois sur l’aspect poétique et sur l’aspect social de la
Iinduction ; l’écriture relevant des deux registres, il s’agit de fonder
une théorie translinguistique de l’énonciation. Par ailleurs, il s’agit de
considérer la traduction, sur le plan particulier comme sur le plan
y^néral, non pas comme un produit secondaire mais comme un produit
d ’une valeur égale au texte original.
La conséquence de cette proposition concerne, nous le voyons, la
question de la transparence ou non de la traduction, plus dans ses
Intentions que dans ses résultats. Autrement dit, il ne s’agit pas tant de
nuvoir si la traduction de Chateaubriand est ou non d’égale valeur à
l’original, mais de contester ce parti-pris de « modestie ». Le traduc-
leur selon Meschonnic doit assumer son rôle de créateur, comme l’a
lait Octavio Paz, et ne pas se cacher derrière l’original.
lit ce, parce qu’il est impossible de produire une traduction
Irunsparente dans la mesure où il y aura toujours une autre création,
nssumable comme telle, qui viendra s’y superposer. Ce qu’Henri
Meschonnic entend par transparence, toutefois, se rapproche plus de la
définition qu’en donne Mounin pour qui, est transparente toute
traduction qui ne donne pas l’impression d’être une traduction. Henri
Meschonnic préférera utiliser le terme de décentrem ent : « Le
décentrem ent est un rapport textuel entre deux textes dans deux
langues-cultures jusque dans la structure linguistique d e la langue,
cette structure linguistique étant valeur dans le systèm e du texte. » 106
Sans quoi, dit Meschonnic, le texte traduit est l’objet d ’annexion, pris
dans une illusion du naturel.
Par ailleurs, Meschonnic attire l’attention, à juste titre, sur l’aveu
glement (ou la surdité) des traducteurs qui commettent au moins deux
erreurs essentielles. Ou bien, ils traduisent selon une idéologie de la
langue (le génie de la langue), suivant la tradition des « belles
infidèles » et de tous les préceptes du bien traduire depuis Étienne
Dolet (éviter les répétitions, adopter un style homogène, des phrases
bien délimitées, un ton unique, respecter la rhétorique) - point
lu « poésie » par un qui parle texte mais pas la langue). C’est, d ’après
le critique, la cristallisation du dualisme.
I lemi Meschonnic propose enfin un critère général permettant le
d(Yi*i il renient de la traduction dans le sens d’une homologie entre
l'écriture et cette pratique. Ce critère implique la construction d’une
i igueur non-composite caractérisée par sa propre concordance et par la
relation du marqué pour le marqué, du non marqué pour le non-
nuirqué, de la figure pour la figure et de la non figure pour la non-
ligure. Ce qui revient à dire, en d’autres termes, que si la traduction est
une création au même titre que le texte original, elle doit garder les
infimes rapports entre ce qui est marqué dans l’original et ce qui est
marqué dans la langue d’arrivée. Depuis ses premiers ouvrages, en
pratiquant la critique des traductions110, Henri Meschonnic ne cesse
tic répéter les principes d’une bonne traduction : la concordance, le
rapport, ce qui le rapproche par certains côtés de l’essai benjaminien.
Il s’en écarte cependant dans la conclusion. Pour Walter Benjamin, le
iftle de la traduction est essentiel dans la mesure où elle inscrit
l’original dans l’histoire et où le rôle du traducteur « transparent » est
d’œuvrer pour la complémentarité des langues. Pour Meschonnic, la
bonne traduction qui est œuvre d’un sujet historique doit continuer
l’original, et ne pas s’effacer. « Plus le traducteur s ’inscrit comme
:sujet dans la traduction, plus, paradoxalem ent, traduire peu t continuer
le texte »m . Sur l’échelle benjaminienne, tout grand texte demande
A être retraduit.
Ainsi, ce qui est visé par Meschonnic c’est la « grande » traduction,
qui ne s’obtient pas facilement - cela fait de sa critique plutôt un
constat qu’une « méthode ». Si peu la réussissent, il existe néanmoins
des conditions qui sont le respect du rythme, de l’oralité, de l’aspect
discursif du texte original, de la prise en compte du sujet de la parole
poétique en plus d’une intuition.
110 À savoir : Pour la poétique II, op. cit. ; Pour la poétique V, Paris, Gallimard,
1978 ; et Les Cinq rouleaux, op. cit.
111 Henri Meschonnic, Poétique du traduire, op. cit., p. 27.
¥
70 E n t r e h e r m é n e u t i q u e et p o é ti q u e
THE CANZONE
116 Guido Cavalcanti, Rima a cura di Guido Cattaneo, Turin, Einaudi, 1967, p. 47.
74 Entre h e r m é n e u t iq u e e t p o é t iq u e
117 Ezra Pound, Translations, Londres, Faber & Faber, 1984 (précédentes éditions
1953, 1970), pp. 133-134.
118 « 7 have in my translations tried to bring over the qualities o f G uido’s rhythm,
not line fo r line, but to embody in the whole o f my English some trace o f that pow er
which implies the man », Ezra Pound, op. cit., p. 24.
119 Pour Pound, la poésie est « dichten=condensare », en hommage à son ami Basil
Bunting.
IÍNTKH HERMÉNEUTIQUE ET POÉTIQUE 75
In heurt/ Can heur his p a rt o f w it/ into the light o f it, qui rappellent
des vers de Shakespeare. Du vers 8 au vers 11, on peut citer, comme
exemples d’archaïsmes, know ’t aright (v. 8), L o ve’s course, takes rest
(i\ la place de to rest ) qui est suivi de la forme verbale archaïque
muketh (v. 9). Au début du vers 10, Nay est archaïque, ainsi qu’au vers
I I, placation, suivi de la forme très elliptique why he is in verb. De
infime To show him visible to m en ’s sight appartient-il au registre
Nyntaxique archaïque. Les formes restantes appartiennent, moins pour
le vocabulaire, que pour la syntaxe, au style colloquial, très simple et
liés compréhensible (pas de tournure « élégante » au sens classique
français), ce qui correspond à l’aspect « didactique » du projet de
I Inroldo de Campos120.
Or si la traduction d’Ezra Pound maintient les assonances et le
rythme, combine vocabulaire ancien et moderne, elle ne maintient pas
moins une certaine aura de l’original (« le détail lumineux »).
( 'omment ne pas songer ici à la traduction de Hölderlin ? Là où le
poète souabe ravive les mots de Sophocle par le retour à l’étymologie,
round puise dans la tradition : Hölderlin rapproche l’allemand et le
j'.rec, Pound de son côté rapproche Cavalcanti de nous. La traduction
dt* Haroldo de Campos121, poète contemporain brésilien, maintient
comme Pound un langage à la fois archaïsant et moderne en plus de
la rime et de la cadence qui, comme on l’a signalé, sont pour le poète
américain122 les vecteurs de l’émotion.
120 Nous reprenons quelques éléments d’analyse à notre précédente étude, Théories
t‘l pratiques de la traduction, op. cit., pp. 123-124.
121 Augusto et Haroldo de Campos, Traduzir e Trovar, Edições Papyrus, 1968, São
Puulo, p. 51.
1 On peut remarquer que dans certaines littératures, si la rime n’est plus utilisée
par les poètes, elle est maintenue pour la traduction du vers rimé. C’est le cas en
général des littératures ibériques (lusophones et hispanophones).
76 E n t r e h e r m é n e u t iq u e e t p o é t iq u e
/ Insl minent pour le poète lui-même mais le moyen le plus adéquat pour
lu formation d’une culture nationale. Si on se réfère à ce que le poète
appelle son « paideuma », qui serait à la base d’une poésie innovante
(la poésie concrète), on pourra constater que le nombre d’auteurs
traduits est impressionnant et que les traductions ont été à la base d’un
renouveau de la poésie nationale.
À l’instar d ’Ezra Pound, ses traductions couvrent de larges pans de
l'histoire littéraire, allant de James Joyce (Finnegans Wakè) à
Maïakovski, des troubadours aux poètes russes, de Dante (Le Paradis)
A Mallarmé, du théâtre No à Octavio Paz et Ezra Pound (Cantares), de
la Bible ( l ’Ecclésiaste, B ere’shith) à Y Iliade173.
DU POÉTIQUE
À L’INTERCULTUREL
1. D e l ’h e r m é n e u t i q u e à l ’é t h i q u e d e l a t r a d u c t i o n
Comme nous l’avons dit dans les pages qui précèdent, la traductolo
gie s’est perpétuée selon deux voies hypertextuelles sur lesquelles se
sont fondés la plupart des linguistes qui se sont intéressés à la
traduction littéraire ou non littéraire (Humboldt, Mounin, Eco, Gidéon
Toury...) ces derniers définissant pour le traducteur une alternative
simple : le traducteur est ou bien « sourcier » (littéral), à l’instar de
saint Jérôme envers les textes sacrés, ou bien « cibliste » (libre,
littéraire), selon la terminologie de Jean-René Ladmiral (1986). En
d’autres termes, la traductologie s’est toujours intéressée à la façon
dont les traducteurs se placent devant l’alternative qui leur est proposée
137 En réalité, Chateaubriand n’a jamais traduit « mot à mot » comme il le prétend,
mais a pris cette stratégie pour justifier ses partis-pris de traduction.
84 D U POÉTIQUE À L ’INTRRCULTURHL
138 Anthony Pym, Pour une éthique du traducteur, Arras, Artois Presses Université,
1997, p. 9.
139 Affirmation tout aussi gratuite qu’injustifiée.
D U POÉTIQUE À L ’INTERC U LTU REL 85
On voit tout de suite que ce qui oppose les deux traductologues est
le lieu d’où ils parlent, Antoine Berman se situant au niveau théorique
et philosophique, Anthony Pym se situant au niveau pragmatique et
prenant la défense des traducteurs là où Berman dénonce les « tendan
ces déformantes de la traduction ethnocentrique ». Il est vrai que,
comme nous l’avons montré140 dans un précédent ouvrage, ces ten
dances ne relèvent pas d’une « mauvaise volonté » (ou d’un aveugle
ment) de la part des traducteurs mais d’une longue histoire, qui est
celle de la formation de la langue et de la culture françaises structurées
par des lois et des règles qui sont à l’origine des « procédés » utilisés
par la plupart des traducteurs français.
Le but d’Anthony Pym n’est donc pas de poser des questions sur la
manière de traduire, mais de se demander s ’il fa u t traduire, question
qu’il ramène au plan professionnel et donc, en fin de comptes, à la
question de la rémunération. La traduction se paie, le traducteur n’est
donc pas toujours libre. Pym cite les traducteurs qui se sont fait tuer
pour avoir traduit des auteurs non autorisés. Nous pouvons rappeler
que le premier traducteur qui a « payé » de sa vie fut Etienne Dolet,
brûlé par l’inquisition au XVIe siècle, celui-là même qui, le premier,
a prescrit quelques règles du traduire qui ont eu une longue vie. Mais
si parfois la traduction se paie de la vie du traducteur, rappelle
Anthony Pym, la plupart du temps, elle est gratifiée d’un complet
anonymat.
En fait, la visée d’Anthony Pym consiste à mettre l’accent sur
l’activité interculturelle et financière de la traduction, qui permet au
traducteur d ’éluder la question du contenu. C’est le traducteur qui est
au centre de ses préoccupations, celui qui a un « corps »14\ On met
l’accent ici sur le fait que le traducteur ne se situe pas à l’intérieur
d’une seule culture mais à la frontière des cultures, qu’Anthony Pym
appelle « intersections ». Cela lui permet de poursuivre sa polémique
avec Berman. Si traduire c’est « recevoir l’Autre en tant qu’Autre »,
dit-il en citant Berman et, la littéralité ne fait que renforcer l’altérité,
140 Voir Inès Oseki-Dépré, Théories et pratiques de la traduction littéraire, op. cit.,
en particulier les chapitres sur les « théories prescriptives ».
141 « That's why, when I talk about "translators" plural, I refer to people withflesh-
and-blood-bodies. If you prick them, they bleed. », Method in Translation History,
Manchester, St. Jerome Publishing, 1998, p. 161.
86 DU POÉTIQUE À l.' INTBRCULTU RI !l
142 V oir A ntoine B erm an, Les Tours de Babel, op. cit., p. 307.
1)11 POÉTIQUE À L ’INTERCULTUREL 87
88 D U POÉTIQUE À L’INTERCULTUREL.
147 A nthony Pym , P our une éthique du traducteur, op. cit., p. 51.
1)11 POÉTIQUE À L’ INTERCULTUREL 89
148 Anthony Pym, Pour une éthique du traducteur, op. cit., p. 73.
149 Voir plus loin le chapitre sur Subjectivité et sujet de la traduction.
150 Anthony Pym, Pour une éthique du traducteur, op. cit., p. 75.
90 D U POÉTIQUE À L’iNTERCULTUKBl
151 En fait, l’orientation opposée a toujours été plus forte depuis les Anciens
(Cicéron, Horace).
152 Anthony Pym, Pour une éthique du traducteur, op. cit., p. 89.
D U POÉTIQUE À L’INTERCULTUREL 91
153 Théorie qui privilégie la finalité globale du texte (de son skops), exposée par
Katharina Reiss et Hans Vermeer dans La Critique des traductions, ses possibilités et
ses limites, Artois, Artois Presses Université, 2002.
92 D U POÉTIQUE À L ’iNTIÎRCULTUKIiL
154 Anthony Pym, Pour une éthique du traducteur, op. cit., p. 106.
155 Daniel Gouadec, Le Traducteur, la traduction et l ’entreprise, Paris, Afnor, 1989,
cité par A. Pym, Pour une éthique du traducteur, op. cit., p. 119.
156 Anthony Pym, Pour une éthique du traducteur, op. cit., p. 122.
DU POÉTIQUE À L’INTERCIJLTUREL 93
137 Andrew Chesterman cité par Anthony Pym, Pour une éthique du traducteur,
op. cit., p. 123.
158 Anthony Pym, Pour une éthique du traducteur, op. cit., p. 137.
94 D U POÉTIQUE À L ’IN TERC U LTU REL
D érives
161 « Lingue dominate / Lingue dominanti », lieu non précisé, Franci e Nergaard,
eds, 1999, cité par Umberto Eco, Dire quasi la stessa cosa, op. cit., p. 15 ; voir aussi
Cristina Demaria, Genere e differenza sessuale. Aspetti semiotici della teorie
femminista , Milano, Bompiani, 2003.
162 Voir Jean Delisle, Les Traducteurs dans ¡’Histoire, Les Presses de l’Université
d’Ottawa, 1995.
163 « Dans les coulisses de la traduction », Montréal, Meta 28 (4), décembre 1983,
p. 334.
96 DU POÉTIQUE À L ’iNTERC'ULTimBI,
166 Homel, David et Sherry Simon, Mapping Literature : The Art and Politics of
Translation, UK, Véhiculé Press, 1988, p. 50.
167 Barbara Godard est la traductrice de Le Désert mauve, entre autres, de Nicole
Brossard (Montréal, L’Hexagone, 1987).
168 Gender in Translation : Cultural Identity and the Politics of Transmission, UK,
Routledge, 1997.
169 « Dans laquelle on ne privilégie pas qu’un seul sens d’un terme ou d’un jeu de
mots, mais on cherche à rendre l’effet de sens complexe en explicitant les divers
parcours sémantiques contenus dans ces derniers : coupable devient culpable et
cuttable, voler devient to fly et to steal, dépenser devient to spend et to unthink... »,
Umberto Eco, Dire quasi la stessa cosa, op. cit., p. 116 (c’est nous qui traduisons).
98 DU POÉTIQUE À L’ INTERCULTUREL
170 Voir Louise von Flotow, « Rewriting Existing Translation », Translation and
Gender, coll. Translation Theories Explaining, St Jerome publishing, Manchester, UK,
University of Ottawa Press, 1997, p. 52.
171 Joann Haugerud, An Inclusive Language Lectionary, Philadelphia, Westminster,
National Council of the Churches of Christ in the U.S.A., 1983-1985.
172 Louise von Flotow, Translation and Gender, op. ch., p. 53.
1)11 POÉTIQUE À L’iNTfiKCULTUKEL 99
Com paraisons
173 Le propos d’Eugene Nida est commenté par Louise von Flotow, Translation and
Gender, op. cit., p. 55.
174 II va de soi que nous ne pouvons souscrire à de telles positions qui nous
paraissent mues par de mauvaises raisons. Il n’incombe pas aux traducteurs et aux
traductrices - fut-ce par le goût du jeu - de régler de tels problèmes de façon
subjective et personnelle.
100 DU POÉTIQUE À L’INTERCULTUREL
177 Louise von Flotow, Translation and Gender, op. cit., p. 82 et sq.
178 Voir Rosemary Arrojo, « Fidelity and the Gendered Translation », 1994, TTR7
(2) : pp. 147-164.
179 Steiner, Florio.
180 Rosemary Arrojo, « Fidelity and the Gendered Translation », op. cit., p. 158.
102 D U POÉTIQUE À L ’ IN TERCULTUREL
133 Jean D elisle, Les Traducteurs dans l ’Histoire, op. cit., p. 280.
2. D e l 'é t h i q u e a u s o c i o - p o l i t i q u e
1MVoir Inès Oseki-Dépré, Théories et pratiques de la traduction, op. cit., pp. 62-70.
106 D U POÉTIQUE À L ’INTERCULTUREL
Parmi les apports de cette école, nous pouvons en signaler trois qui
nous paraissent intéressants dans la mesure où ils offrent des pistes de
recherches et d ’expérimentation nouvelles. Le premier apport consiste
ù prendre en compte la sélection des œuvres sources retenue par la
littérature d’arrivée (quel type de texte, à quelle époque, dans quelles
conditions), qui sera développé par l’étude des interférences. Le
second, qui découle du premier, consiste à analyser la façon dont la
littérature source est traduite (les normes, les comportements, les
stratégies) par rapport au système d’accueil. C’est dans ce cadre qu’il
faut étudier le répertoire (les codes, les canons), de cette littérature qui,
en général, est « périphérique » par rapport à la littérature nationale.
Le troisième apport de cette théorie est son attention portée à l’inter-
culturalité sur laquelle nous viendrons plus loin.
Cette littérature - périphérique - lors de son introduction dans la
littérature nationale, pourra occuper une position « centrale », c ’est-à-
dire, être au centre du système, ou une position « secondaire ». Dans
le premier cas, traduction et production littéraire ne sont pas distincte
ment séparées et c ’est souvent le cas des traductions effectuées par des
écrivains de pointe (leading ) ou d ’avant-garde. En Europe, les
changements ont été assez limités, contrairement à l’Amérique Latine
(voir, par exemple, l’énorme influence de Mallarmé sur les poètes
« modernistes » et post-modernistes à travers la traduction). Lorsque
la LT (littérature traduite) occupe une position périphérique, ce
problème ne se pose pas : le traducteur s’efforcera de concentrer ses
efforts pour trouver les meilleurs modèles secondaires déjà prêts pour
traduire le texte étranger. Le résultat est souvent une inadéquation entre
la traduction et l’original ou un plus grand écart encore entre l ’équiva
lence obtenue et l’adéquation postulée.
1,2 « Before turning to discuss the implications o f the translator's commitment to the
operational norms for his translation, I would like to introduce one additional concept
which, for the time being, I shall call, fo r lack o f a better label, the ‘initial norm’. This
most important notion is a useful means to denote the translator’s basic choice
between two polar alternatives deriving from the two major constituents of the
« value » in literary translation mentioned earlier : he either subjects himself to the
original text, with its textual relations and the norms expressed by it and contained
in it, or to the linguistic and literary norms active in TL and in the target literary
polysystem, or a certain section o f it. », Gideon Toury, In search of a theory of
translation, op. cit., pp. 87-88.
193 Cité par Antoine Berman, L ’Epreuve de l ’étranger, op. cit., p. 9.
110 Du POÉTIQUE À L ’ INTERCULTUREL
194 Antoine Berman, Pour une critique des traductions : John Donne, op. cit., p. 53.
DU POÉTIQUE A I.’ INTIÎRCULTUREL 111
polysystème soit centrale. Par exemple, le système français est intervenu dans le
système russe au niveau de la littérature, de la culture et du langage (opposition
système fort / faible), durant le XIXe siècle. L’hébreu a utilisé le répertoire russe
(après l’installation des Juifs en Palestine), qui est peu à peu passé du centre à la
périphérie, se maintenant dans certaines formes (poésie politique, poésie populaire et
enfantine, poèmes pour enfants).
157 En gros, on ne peut séparer les textes qui exercent une influence des textes qui
sont traduits sans exercer d’influence (interférences de A sur B). Comment autrement
expliquer le fait que certaines fonctions existantes dans le système B n’apparaissent
pas dans la traduction ; faut-il les considérer comme des options du traducteur ? Ne
pas tenir compte de l’ensemble du processus de transfert amène à rattacher les théories
de la traduction à d’autres disciplines (poétique contrastive, sémiotique, etc.).
I9! Voir, par exemple, Laurence Malingret, Stratégies de traduction : Les Lettres
hispaniques en langue française, Artois Presses Université, 2002.
Du B oftrigiT E À l ’in t e r c u l t u r e l 113
Ce n ’est bien sûr pas la première fois que l’on se pose le problème
de la traductibilité entre les langues ni celle de l’existence des
« universaux du langage ». Nous avons cité Steiner, repris par Mounin,
et, plus près de nous, Claude Hagège (après Noam Chomsky) a noté
qu’« il est universellement possible de traduire »... « Il faut bien que
les langues aient de sérieuses homologies pour pouvoir ainsi être
converties les unes dans les autres, (...) la traduction est la seule
garantie que nous ayons d’une structure sémantique au moins en partie
commune à toutes les langues »207.
Par là-même, Claude Hagège ouvre la possibilité de considérer que
ces « ressemblances », cette unité partielle tiennent à ce qu’il appelle
le milieu socioculturel, en d’autres termes que l’on peut traduire d’une
langue vers l’autre parce qu’au bout du compte les gens qui les
utilisent parlent du même monde, de pratiques comparables, ont les
mêmes besoins physiologiques, qu’ils soient colonisateurs ou colonisés.
Mark Baker, pour sa part, voit dans cette traductibilité la preuve que
les langues du monde ont beaucoup plus de choses en commun qu’il
n’y paraît. Pour lui, ce sont les concepts de principes et param ètres qui
permettent de rendre compte à la fois des différences entre les langues
et de leurs ressemblances. L ’idée est que toutes les langues sont des
combinaisons d’un nombre fini de principes de base auxquels
l’application de certains paramètres donnerait les différentes langues :
« It seems there are deep underlying principles that determine what
properties can and cannot occur together in natural languages. »208
206 Mark Baker, The Atoms of Language, New York, Basic Books, 2001, p. 11.
207 Claude Hagège, La Structure des langues, Paris, PUF, 1982, p. 10.
208 Mark Baker, The Atoms of Language, op. cit., p. 35.
OU POÉTIQUE À L’ INTERCULTUREL 117
Cette situation dans laquelle plus une langue est centrale dans le
systèm e gravitationnel et moins l ’on traduit vers elle va avoir des
retombées sur la diversité de l’information scientifique. Imaginons un
The very terms o f the « translation o f empire », in fact, mean that the
centre moves over the centuries from Athens to Rome to Paris to London
to New York, and the periphery at any given historical moment is
whatever outlying regions radiate out from the current centre. But the
translatio imperii is above all an attempt to transcend that historical
motion by thinking o f all successive centres as “the centre" — by treating
empire as a stable and universal phenomenon even in all its historical
change215.
from the Tempest to Tarzan, New York, Oxford University Press, 1997.
216 Calvet / Oseki-Dépré, op. cit., p. 37.
217 Thomas Schott, « The world scientific community : globality and globalisation »,
in Minerva, 29, 1991, pp. 440-462.
218 Johan Heilbron, Towards a Sociology o f Translation, op. cit., p. 4.
122 DU POÉTIQUE À L’INTERCULTURIU.
États, dont il est trop tôt pour affirmer qu’ils constituent des nations.
Mais si l’on peut admettre que ces États doivent être une partie
constituante de l’analyse des situations postcoloniales, cela ne signifie
en rien que les flux de traduction et l’inégalité dont ils témoignent
soient liés à l’existence d ’États.
- Les auteurs ne définissent pas vraiment ce qu’ils entendent par
« groupes linguistiques », syntagme que l’on peut prendre en deux
sens différents, soit comme groupes de langues (les langues romanes,
germaniques, sémitiques, etc.) soit comme X-phonies au sens où les a
définies Calvet219.
Langue et Culture
215 « Si nous considérons que les langues en jeu (arabe, espagnol, français,
portugais) sont en quelque sorte solidaires dans le versant linguistique de la
mondialisation (...), alors une politique linguistique commune à deux ou plus de deux
Xphonies doit prendre en compte non seulement les langues définissant ces Xphonies
(langues supercentrales) mais aussi celles qui gravitent autour d’elles (langues
centrales ou périphériques). » Louis-Jean Calvet, Le Marché aux langues, Paris, Pion,
2000, pp. 195-202.
220 Voir La République mondiale des Lettres, op. cit.
221 Pascale Casanova, La République mondiale des Lettres, op. cit., p. 27.
DU POÉTIQUE À L’ INTERCULTUREL 123
222 Paul Valéry, Regards sur le monde actuel, Œuvres, Paris, Gallimard, Bibliothè
que de la Pléiade, tome II, 1960, p. 1090,
223 « The Emergent World Language system », International Political Science
Review, op. cit.
124 DU POÉTIQUE À L’INTEKCULTURKI.
224 Pascale Casanova, La République mondiale des Lettres, op. cit., p. 33.
225 Voir Oseki-Dépré, Théories et pratiques de la traduction littéraire, op. cit., p. 24
et sq.
226 Pascale Casanova, La République mondiale des Lettres, op. cit.
Du POÉTIQUE A L’ CNTfiRCULTURKL 125
Défense)221, on peut dire avec Roger Zuber que la prose française est
née de la traduction pendant la période classique228 où de nombreux
auteurs grecs et latins ont été traduits selon des préceptes qui servaient
il mouler la langue française en même temps que la traduction : « Un
traducteur littéraire a deux fonctions : l’une de création, l’autre de
vulgarisation. Sa tâche de truchement l’oblige à tenir compte de deux
facteurs : son auteur et son public. Le public d’un traducteur attend de
lui qu’il lui facilite l’accès des grandes œuvres. »229 La grande
valeur, qui saura satisfaire à la tyrannie du lecteur est la « clarté », qui
suppose un effort d ’éclaircissement de la part du traducteur ; en fait,
l’expression « la plus claire » sera l’expression « la plus belle », ce
sera l’expression d’un D ’Ablancourt, par exemple.
Le français s’est ainsi progressivement constitué en tant que langue
mais en tant que langue réglée par des usages et c ’est tout l’ensemble
qui constitue la langue française, la langue de la francophonie.
230 Dans Pour une critique des traductions : John Donne, Antoine Berman cite son
intervention aux Assises de la traduction faite en Arles (1988) : « L’union, dans une
traduction réussie, de l’autonomie et de l’hétéronomie, ne peut résulter que de ce
qu’on pourrait appeler un projet de traduction... », p. 76. Chez Pascale Casanova, cette
opposition est largement développée dans La République mondiale des Lettres, op. cit.,
chapitre 3, « L’espace littéraire mondial », pp. 119-177.
231 Pascale Casanova, La République mondiale des Lettres, op. cit., p. 150.
232 Pascale Casanova, La République mondiale des Lettres, op. cit., pp. 155-156.
233 Pascale Casanova, La République mondiale des Lettres, op. cit., pp. 124-125.
234 Pascale Casanova, La République mondiale des Lettres, op. cit., p. 124.
DU POÉTIQUE À L’iNTEKCULTUREL 127
principes qui ordonnent l’espace littéraire mondial »235 et qui fait que
le littéraire aspire à « l’universel ».
Dans ce sens, il faut considérer que non seulement les écrivains se
situent à l’intérieur de leur propre champ mais, selon la place occupée
par ce dernier vis-à-vis de l’espace mondial, ils visent à le conquérir,
et la traduction, nous l’avons compris, va y jouer un rôle primordial.
Cela provoque un effet de retour du champ mondial qui se renforce
grâce à « la constitution de pôles autonomes dans chaque espace
national » :
235 Pascale Casanova, La République mondiale des Lettres, op. cit., p. 125.
236 Pascale Casanova, La République mondiale des Lettres, op. cit., p. 156.
237 Poète brésilien fondateur du mouvement moderniste du même nom en 1922,
auteur d’Anthropophagie, Mémoires Sentimentales de Joâo Miramar et autres, traduits
en français par Jacques Thieriot, Paris, Flammarion, 1978.
128 D U POÉTIQUE À L ’INTERCULTUREL
Dans les raisons invoquées par ces écrivains se trouvent les raisons
politiques, morales (la liberté parisienne opposée à la répression
religieuse ou morale des pays d’origine) ou esthétique (les valeurs, les
courants). Ces écrivains se sont fait mondialement connaître à Paris.
Parmi de nombreux témoignages, pour confirmer la centralité de Paris,
Pascale Casanova cite Beckett pour qui : « La peinture (...) d’Abraham
et Gerardus van Velde est peu connue à Paris, c ’est-à-dire peu
connue. » (Le monde et le Pantalon ). Ceci est valable non seulement
pour la littérature, mais pour l’art en général (peinture, musique,
cinéma).
universelle entre les joueurs, une des formes spécifiques de la lutte dans
l’espace littéraire international...239
239 Pascale Casanova, La République mondiale des Lettres, op. cit., pp. 188-189.
240 Au Brésil, 60% de la production littéraire est constitué de traduction ; en Grèce,
40% ; en France et en Allemagne, 11% ; dans les pays anglophones, 3%.
241 Pascale Casanova, La République mondiale des Lettres, op. cit., p. 190.
242 Pascale Casanova, La République mondiale des Lettres, op. cit., p. 191.
130 D U POÉTIQUE À L’iNTURCULTURLsl,
Ici entre en jeu une nouvelle considération. Les études menées sur
les traductions des œuvres hispaniques, par exemple, montrent
clairement - selon les mêmes critères - que si la traduction est un
moyen de reconnaissance littéraire pour la littérature périphérique (à
traduire), elle se fait dans la plupart des cas selon les critères et
modèles secondaires™5. L’analyse de Laurence Malingret, effectuée
au moyen de l’application d’une grille descriptive sur une soixantaine
de titres en provenance de la littérature espagnole et hispano-améri-
243 Voir Pierre Bourdieu, Ce que parler veut dire, Paris, Fayard, 1982.
244 F. Nietzsche, Le Gai Savoir, Paris, Gallimard, 1967, p. 99.
243 Laurence Malingret, Stratégies de la traduction hispanique en France, op. cit.,
en particulier les chapitres 4 et 5, pp. 63-146.
1)11 POÉTIQUE À L’INTERCULTUREL 131
246 Voir Inès Oseki-Dépré, Théories et pratiques de la traduction, op. cit., pp. 24-25.
247 Laurence Malingret caractérise les diverses stratégies analysées dans son ouvrage
selon la terminologie bermanienne (ennoblissement, homogénéisation, etc.) sans
toutefois citer ses sources, in Stratégies de la traduction hispanique en France,
op. cit., ibidem.
l in POÛTiQUB À L ’ iN 'iiiK c:n i;n )K U L 133
ÉCLAIRAGES
1. I n t r o d u c t i o n
pendant des siècles et selon les canons de leurs époques ont contribué
à maintenir vivante en français.
La question de la retraduction du grand texte sera abordée ensuite,
par une deuxième lecture, à partir d ’une comparaison en synchronie de
diverses traductions du Qohélet. En effet, plus une œuvre est de haute
qualité, plus elle reste, « même dans le plus fugitif contact avec son
sens, susceptible encore d’être traduite »25°. La méthode que nous
avons utilisée qui consiste en l’examen du texte (la traduction) et des
paratextes permet à la fois de définir l’horizon à partir duquel les
traducteurs ont traduit et l’adéquation entre leur projet et réalisation du
projet. Il ne s’agit en aucun cas ici de juger de l’efficace ou de la
valeur des résultats, mais plutôt de rendre hommage à des traducteurs
dans l’accomplissement de leur tâche.
Notre troisième proposition, aporétique, vise à dépasser la question
de l’effacement du traducteur. Walter Benjamin a traduit Baudelaire et
Baudelaire a traduit Edgar Allan Poe. Une importante question se
dégage ici et mérite d’être examinée et concerne la subjectivité du
traducteur. Que le texte traduit ne puisse pas être retraduit à son tour
(« Des traductions, en revanche, se révèlent intraduisibles, non parce
que le sens pèserait sur elles d’un trop grand poids, mais parce qu’il
les affecte de façon beaucoup trop fugitive >>251) est discutable. Mais
nous pensons, comme Antoine Berman et Henri Meschonnic, que la
grande traduction relève de l’écriture et que la subjectivité du
traducteur y trouve son compte.
Nous proposons donc des analyses qui, sans prétendre dépasser la
dépendance irréductible du traducteur à son époque ou au seul
contexte, montreront la compatibilité (ou incompatibilité) entre
l’original (sa visée, son intentio) et la visée de la traduction, parfois à
son insu.
Notre quatrième contribution, enfin, offre une réflexion sur la
relation entre le traducteur et sa « folie ». Ce faisant, nous ne nous
écartons pas de notre programme en rendant hommage à celui que
Walter Benjamin considérait comme le plus grand traducteur de tous
les temps : Hölderlin.
Pour le propos qui est le nôtre, Homère aurait tout aussi bien fait
I ulïaire. Aux côtés de Virgile, en effet, ces deux auteurs ont connu,
lout au long des siècles, différents visages français selon qu’ils
s’adressaient à la cour de François Ier ou à celle du Roi Soleil. De
même, Homère et Virgile ont été souvent présentés non seulement au
moyen de la traduction, mais aussi au moyen de l’imitation, de la
parodie ou de la citation. En ce qui concerne Homère en particulier, il
u été et reste la référence des plus grands auteurs de l’épopée moderne
(Joyce, Pound, Haroldo de Campos), même si Virgile par ailleurs a
inspiré la très belle M ort de Virgile de Hermann Broch. Dante, dans
sa Divine Com édie, les cite tous les deux, condamnant l’aède grec aux
linfers mais promettant au pieux Énée l’accès au Paradis.
Le contraste et la complémentarité de ces deux grands fondateurs de
la littérature occidentale ont été l’objet de nombreuses discussions,
notamment chez les auteurs classiques français. À cette époque, on
préférait Virgile à Homère pour l’exemple de conduite qu’il offre dans
son aventure et à côté duquel Homère paraissait « trop humain ».
L’intérêt que nous portons à Virgile provient d’une part du grand
nombre de traducteurs qu’il a connus dans le monde et, dans le cas qui
nous intéresse, en France (plus d ’une centaine de traductions), mais
aussi de ce que l’auteur latin se prête, encore à notre époque, à
davantage de controverses enrichissantes pour la question de la
traduction littéraire, voire pour la littérature tout court. L ’aspect
poétique de son entreprise suscite encore en cette deuxième moitié du
siècle des débats passionnés bien qu’Homère soit plus « specta-
culare »252.
252 Voir l’Exposition à Paris, Petit Palais : l ’Europe au temps d ’Ulysse (octobre
1999).
140 ÉCLA IR AGES
Pound se fonde sans doute sur le sens aigu du devoir chez le pius
Aeneus, qui reflète la personnalité de son auteur et dont Sainte-Beuve
ne cesse de dire qu’il était timide, qu’il fuyait la foule et si l’on en
croit les grammairiens, « rougissait pour un rien »254.
Il n ’en demeure pas moins que Virgile, en acceptant d’écrire
l’épopée de Rome pour Auguste, a su élever la littérature latine à son
point culminant. Sainte-Beuve va jusqu’à dire qu’« à dater de Virgile,
les Romains ont droit de croire qu’ils sont en effet dispensés d’Homè-
re ; ils ont leur prince des poètes à eux »25S. Après les Bucoliques
(.37 av. J.-C.), les Georgiques (28 av. J.-C.), où il manifeste déjà ses
préoccupations en faveur de la paix et son admiration pour la nature,
1 linéide, son poème national en 12 chants (plus de 10 000 vers en
hexamètres dactyliques), a été publié vraisemblablement dix ans après
n u mort, survenue autour de 19 av. J.-C.
La légende
258 Daniel Madelénat, cité par Anne Vidau, École des Lettres, n. 4 (Énéide , Virgile).
259 René Martin, « Énée et Didon dans la culture européenne », Europt, op. cit.,
p. 75.
É c la ir a g e s 143
Mais ce pendant, Didon fiere & terrible La reine reste seule. Alors de son in
jure
Pour le remords de son conseil horrible, L’affreux ressouvenir aigrissant sa
blessure
Tournant des yeux la prunelle sanglante Dans l’accès violent de son dernier
transport
Deçà, delà ; & sa jôe tremblante Tout entière livrée à ses projets de
mort,
Entre-tachée, avec’ pasle couleur, Roulant en traits de feu ses prunelles
sanglantes,
Signe mortel de son prochain malheur : Le visage livide et les lèvres tremblan
tes,
Aux lieux secrez entre par violence, Les traits défigurés, et le front sans
couleur,
Et en fureur sur la pyle s'eslance : Où déjà de la mort s’imprime la pâ
leur,
Ou le Troien glayve elle a desgainé, Vers le fond du palais Didon désespé
rée
Qui ne feut pas à telle fin donné. Précipite en fureur sa démarche égarée,
Monte au bûcher, saisit le glaive du
Puis avoir veu les Troiens vestemens, héros,
Ce glaive à qui son coeur demande le
Et de son lict les congnuz omemens, repos,
Ce fer à la beauté donné par le coura
ge,
Hélas ! et dont l’amour ne prévit point
l’usage.
Ce lit, ces vêtements si connus à ses
yeux,
Toute esploree & lente sur sa couche, Suspendent un moment ses transports
Ses derniers moz fist sortir de sa bou furieux.
che : Sur ces restes chéris, ce portrait et ces
Douce despouille, alors qu’il feut per armes,
mis Pensive, elle s’arrête et répand quel
Par les Destins & par les Dieux amys, ques larmes.
Reçoy ceste ame, & de tant de soucy Se penche sur le lit, et parmi des san
Deslie moy. J’ay vescu jusq’ icy, glots
Et de mes ans le cours ay révolu laisse, d’un ton mourant, tomber ces
Tel que Fortune ordonner l'a voulu. derniers mots :
Ores de moy la grand’ idole errante « Gages jadis si chers dans un temps
Sera bien tost sou’ la terre courrante plus propice,
Une cité j ’ay fondé de ma main : « À votre cendre au moins que ma
J’ay veu mes murs : j’ay dessu’ mon cendre s’unisse !
germain Recevez donc mon âme, et calmez mes
Vangé le sang & la mort doloreuse tourmens.
De mon mary. Heureuse, ô trop heu J’ai vécu, j ’ai rempli mes glorieux
reuse ! momens ;
Si des Troiens les navires fuytives Et mon ombre aux enfers ne descend
N ’eussent jamais abordé sur noz ri pas sans gloire.
ves. » Ces murs bâtis par moi garderont ma
Ainsi parla : & sur la couche aymée mémoire.
Ayant les yeux & la bouche imprimée : Sur un frère cruel j ’ai vengé mon é
« Mouron’- nous donq’ d’une mort si poux.
cruelle Heureuse, heureuse, hélas ! si, jeté loin
Sans nous vanger ? mais mouron’ (ce de nous,
dist elle). L’infidèle jamais n’eût touché ce riva
Ainsi, ainsi il me plaist de mourir, ge ! »
Et promptement sou’ les ombres courir. À ces mots, sur sa couche imprimant
Ce fier Troien bien loing dedans la mer son visage :
Voye le feu, qui me va consommer : « Quoi ! mourir sans vengeance ! Oui,
Et porte encor’ avec’toute sa trouppe. mourons : pour mon coeur
De nostre mort le plaisir & la coul- La mort même, à ce prix, la mort a sa
douceur.
Que ces feux sur les eaux éclairent le
parjure.
Frappons. Fuis, malheureux, sous cet
affreux augure ! »2â3
264 Dans sa Préface, qui date de 1552, au sujet de Didon, François Du Bellay dit
ceci : « Je diray seulement qu’œuvre ne se trouve en quelque langue que ce soit, ou
les passions amoureuses soyent plus vivement depeinctes, qu’en la personne de
Didon », op. cit., (sans pagination).
265 Selon la définition d’Hermogène, discours descriptif détaillé qui peut avoir
comme objet des personnes, des lieux, des objets et qui sert à donner une « illusion
de vie » (enargeia ) au texte. L ’ekphrasis permet au poète d’introduire la mise en
abyme dans son texte par laquelle il indique le fonctionnement de celui-ci, cf. Perrine
Galand-Hallyn, in École des Lettres, n. 4, sur Virgile, YÉnéide, p. 6.
266 D’après Aristote : le discours direct, in Poétique, Les Belles Lettres, 1965.
l'iCl.AIKACiES 147
268 Dumarsais note que Yeuphémisme qui « déguise les idées désagréables, odieuses
ou tristes », partage avec Yallusion la même fonction « d’adoucissement », dont la
finalité est d’envelopper les idées basses ou peu honnêtes, par bienséance, Des Tropes
ou des différents sens, op. cit., p. 158.
150 É C L A IR A G E S
« ... Douces dépouilles, tant que les destins, tant que le dieu le
souffraient, acceptez cette âme et m’absolvez de ces chagrins.
J’ai vécu, et la course que mesura la fortune je l’ai accomplie,
Et pour lors, grande, de moi-même sous la terre s’en ira l’image. »
(Pierre Klossowski)269
Pour Walter Benjamin, tous les grands textes sont appelés à être
retraduits, parce que le vrai traducteur, à ne pas viser la communica
tion (« le contenu inessentiel d’un message essentiel ») et à chercher
à atteindre la visée du visé de l’original, ne touchera pas au noyau
{Kern) forcément intraduisible du texte original, noyau qui souligne à
la fois l’incomplétude et la complémentarité des langues. C’est de cette
intraduisibilité que naît la nécessité de la retraduction. Par ailleurs, la
langue de l’original subit des transformations dues à l’évolution des
langues et de la sienne propre, elle n’est pas figée, et ce qui du temps
d’un auteur a pu être une tendance de sa langue d’écrivain peut plus
tard disparaître.
Antoine Berman, tout en suivant les grandes idées de la « Tâche du
traducteur » définie par le philosophe allemand, s’intéresse particulière
ment à la question de la « retraduction ». Comme Benjamin, il affirme
que « la retraduction (est) l’espace de la traduction, de son accomplis
sement ». Plus tard, il associera à la retraduction une intention
polémique : retraduire, c’est forcément traduire « contre »271.
Nous pourrions ajouter à ces deux prémices une troisième, qui ne
tiendrait compte ni du devoir permanent de retraduction, ni de l’aspect
critique de celle-ci. Ce serait simplement la raison du défi qu’offre le
grand texte (ou du texte particulièrement élaboré) au grand traducteur,
qui n’est jamais traduit « une fois pour toutes ».
Comme Rome, la Bible (ou les Bibles) n ’a pas été bâtie en un jour.
En effet, résultat d’un choix de textes, elle commence à être écrite
progressivement à partir du XIe siècle avant J.-C., à un moment où
l’écriture est pratiquée depuis longtemps. La fixation de certains de ses
textes par écrit n’empêche pas la production parallèle de textes en
provenance de la tradition orale. Les matériaux qui la constituent sont
divers, d’origines variées, selon les différentes tribus qui constituent le
peuple hébreu, disséminé sur divers territoires ; ils peuvent être des
récits de groupes, de campements, les souvenirs de grands hommes, les
descriptions de sanctuaires. Destinés à donner des règles de conduite
au moyen de lois et de rites, des leçons morales et religieuses qui
prennent en compte des événements de l’histoire ou la vie d’un héros,
ils finissent par offrir la conception israélite de Dieu, du monde et de
l’homme.
Il paraît naturel, dans ce cas, que le corpus de textes qui constituent
la Bible soit également hétérogène. Nous trouvons des formes fixes et
des formes variables et, parmi les genres, des poèmes, des descriptions,
des dialogues, des pièces liturgiques - les scribes respectant leur
apparition récurrente273 dès l’époque des Juges (XIP-XP siècles avant
J.-C.). Leur style diffère également, comme l’atteste la différence entre
des morceaux d’apparence archaïque (Nombres, XXI) et d’autres bien
plus élaborés. Moïse semble être à l’origine des premiers textes (code
274 Voir André Paul, « Bible », Encyclopaedia Universalis, 1997 ; André Paul, Paul
Beauchamp, Xavier Léon-Dufour, « Testament (ancien et nouveau) », Encyclopaedia
Universalis, 1997 ; Jean Pierre Chandoz, « Les livres de la Bible », Encyclopaedia
Universalis, 1997 ; André Paul, « De Bible à Bible, pour une histoire biblique », in
Le Fait biblique, Paris, éd. du Cerf, 1979, pp. 151-177 ; N. H. Snaith, « Bible »,
Encyclopaedia judaica, Jérusalem, vol. IV, 1972, pp. 816-841 ; Vocabulaire de
théologie biblique, dir. Xavier Léon-Dufour, Paris, Éditions du Cerf, 1970.
154 É CLA IR A G ES
De ce qui vient d’être dit sur la Bible, il semble que nous pouvons
dégager quelques points à propos des textes qui la constituent :
- une pluralité épocale (le texte biblique se constitue pendant
plusieurs siècles) ;
- une pluralité générique (le texte biblique se constitue essentielle
ment autour de trois grands genres, en interaction intertextuelle, certes,
mais « stylistiquement » distincts) ;
- chaque époque a connu divers apports qui ont été remaniés,
supprimés, modifiés au long des siècles ;
- une part des apports aux textes bibliques vient de la tradition
orale ;
- ces apports viennent de cultures différentes, qui font des textes
bibliques des textes métissés ;
- les remaniements nécessaires au maintien d’une loi religieuse
changent selon l’évolution de l’histoire (dispersion, regroupement,
exil) ;
- un même texte, signé, peut être le produit d’une collaboration
entre divers scribes ;
- un texte, génériquement définissable en apparence, peut déboucher
sur un texte génériquement différent.
Il s’ensuit que le texte biblique ou les textes bibliques sont porteurs
d’une haute teneur dialogique dont il faut tenir compte lors de sa (leur)
traduction. Œuvre collective, sa prise en compte par un traducteur
unique pose le problème de l’adaptation de ce dernier à la multiplicité
d’écritures de l’original (comme c’est le cas de la traduction Choura-
qui) et suppose une connaissance linguistique et culturelle (religieuse)
encyclopédique (en synchronie et en diachronie). On pourra nous
objecter que toute grande œuvre étant dialogique (chez Joyce, chez
Proust, etc.), la traduction de la Bible n ’est qu’amplification de la
tâche.
É c l a i r Acs iis 155
QOHÉLET
275 Henri Meschonnic, Les Cinq rouleaux , op. cit. ; André Chouraqui, La Bible
hébraïque et le Nouveau Testament, Paris, Desclée de Brouwer, 1974-1977 ; Haroldo
de Campos, Qohélet, O-Que-Sabe, São Paulo, Editora Perspectiva, 1990 ; Jacques
Roubaud, Qohélet, in Bible, Paris, Bayard, 2001.
276 Voir James G. Williams, « Proverbs and Ecclesiastes », in The Literary Guide
to the Bible, edited by Robert Alger and Frank Kermode, Cambridge, Harvard
University Press, 1987, p. 277.
156 É c l a ir a g e s
277 Traduction Jacques Roubaud (avec Marie Borel et Jean L ’Hour), que nous
choisissons comme référence sauf cas contraire et que nous désignons comme
traduction JR pour simplifier, La Bible , op. cit., 12,1, p. 1668. On peut comparer cette
traduction au passage traduit en portugais par Haroldo de Campos :
Fim da fala § tudo fo i ouvido §§§ (Fin de la parole § tout a été entendu)
Teme a Elohim § e observa seus mandamentos §§ (Crains Elohim § et
observe ses commandements)
Pois isto é § o todo do homem (Car ceci est § le tout de l ’homme)
279 James G. Williams, « Proverbs and Ecclesiales », The literary Guide to the
Bible, loc. cit.
280 On sait que le texte biblique présente deux formes d’accent qui permettent de
distinguer poésie et prose.
281 Qohélet, op. cit., p. 1658.
282 Qohélet, op. cit., 3,1, p. 1640.
283 Jean Bottero propose « Vanité des vanités ». Nous excluons sa traduction de
notre corpus dans la mesure où elle relève plutôt de la glose et ne se présente pas
comme « œuvre », Naissance de Dieu, op. cit., pp. 249-247.
158 É C LA IK AUI'S
284 Question reprise par Albert Camus dans Le Mythe de Sisyphe, 1942.
285 Voir l’article « Ecclésiaste », Encyclopaedia Universalis, op. cit.
ÎiCLAIKAGES 159
286 De même que les textes traduits respectivement par Henri Meschonnic et Haroldo
de Campos.
160 ÉCLAIKACIHS
Un écrit de droiture287
que la fin de tout est la mort. En fait, il y a ellipse (après tant d’efforts pour en arriver
là, on meurt et celui qui est mort est enfin délivré du sort qui attend celui qui vient
de naître), La Bible, Bayard, Qohélet, op. cit., p. 1650.
290 Qohélet, op. cit., p. 1641.
162 É C L A IR A G E S
Nous n ’allons pas comparer ici les traductions selon leur justesse ou
selon leurs contresens, voire leur adéquation forme-sens. Il s’agit
simplement de considérer la façon dont chacun entend avoir traduit le
Qohélet, (ou la Bible selon le cas291). Les traducteurs revendiquent-
ils une position traductive ? Souhaitent-ils s’indure dans la lignée des
traducteurs littéraux ou littéralistes ? Proposent-ils, au contraire, de
considérer les Écrits de Sagesse comme des textes plutôt poétiques, in
novants ?292
La position des traducteurs de l’éditeur Bayard est très claire sur
cette question. Après avoir rappelé la diversité de la composition des
livres de la Bible, son aspect polyphonique et multiple, la durée de son
élaboration, le préfacier évoque l’importance structurelle de la
traduction comme fixation de ses textes (« survie », dans les termes
benjaminiens), avec les apports magistraux des Septante (Bible
grecque, à partir du IIIe siècle), de la Vulgate de saint Jérôme au Ve
siècle, de la première version française d’Olivétan en 1535, de Luther
(1534), ou de la King James (1611), ou d’autres. L’objectif de la
nouvelle traduction est d’articuler les écrits bibliques (qui sont la
source de la littérature occidentale) avec la littérature française
contemporaine. C ’est dans ce sens, et donc, compte tenu de leur
l ’horizon d ’attente que, pendant six années, 47 traducteurs différents
(groupés par 2 ou 3, avec un écrivain et un ou deux interprètes-
exégètes) ont œuvré et nous pouvons rapprocher cette position de celle
d’un Ezra Pound qui veut concilier tradition et nouveauté.
Haroldo de Campos, pour sa version brésilienne, dit bien que ses
traductions « n’ont, d ’aucune façon, l’ambition démesurée de restituer
une supposée “authenticité” de la langue originale que ce soit du point
de vue philologique ou herméneutique. Elles n’aspirent à racheter au
cune “vérité” textuelle. Elles ne se nourrissent d’aucune illusion
“puriste” »293. Sa version sera, donc, à intégrer dans les multiples
294 Voir Les Cinq rouleaux, op. cit. ; Pour la poétique II, op. cit., Poésie sans
réponse, op. cit. ; Poétique du traduire, op. cit.
295 Léon Robel, « Translatives », in Change, Transformer-traduire, op. cit.
164 É c l a ir a g e s
298 D’autres signes sont non pas « intraduits », mais « intraduisibles ». C’est le cas
de la voyelle « w » qui n’est pas un phonème à proprement parler, dans le sens où au
signifiant loi correspondrait un signifié. Il s’agit d’un signifiant spécial qui commute
avec zéro, mais qui signifie, « d’en haut » (du ciel) lorsqu’il est placé à gauche de la
consonne et « d’en bas » (de la terre), lorsqu’il est placé à droite, utilisé pour définir
la généalogie. Il désigne les Apôtres et leur origine (TWLDWT, TWLDT, TLDWT
ou TLDT ne signifient pas la même origine ; le prophète Ismaël n’a aucun de ces
signes dans son nom...) ; ce signe n’apparaît pas dans notre corpus.
299 Umberto Eco, Lector in fabula, Paris, Grasset, 1985.
166 É C LA IR A G ES
dans lequel nous trouvons le maintien du nom propre (écrit / non lu),
des phrases elliptiques, des inversions, un usage « litanique » de la
répétition.
Chez Henri Meschonnic, une position littéraliste se dégage : son
ambition est de saisir non le mot mais le « mouvement du mot dans
l’écriture ». Nous avons évoqué précédemment quelques-uns de ses
principes traductifs : le rapport entre traduire et écrire, le rapport entre
traduire et la théorie de la traduction, le décentrement du traducteur,
l’homologie entre l’original et la traduction, l’inséparabilité de la forme
et du sens, le rapport de concordance entre les deux textes (le marqué
pour le marqué, le non-marqué pour le non-marqué, la figure pour la
I.
I. Paroles du Sage fils de David roi
dans Jérusalem
2
Buée de buées a dit le Sage buée de
buées tout est buée
3
Quel profit pour l’homme
Dans tout son effort
l’effort qu’il fera sous le soleil
4
Passe une époque et vient une époque
et la terre à jamais demeure
5
Et le soleil s’est levé et le soleil s’est couché
Et vers son lieu il
aspire là il se lève
6
Il va vers le sud et tourne vers
le nord
Tourne tourne va le vent
Et sur ses détours retourne le vent
Etc.302
302 Henri M eschonnic, Les Cinq rouleaux, op. cit., p. 135 et sq.
168 É C LA IR A G ES
I
1. Palavras § de Qohélet filho de Davi §§
rei § em Jerusalém
2. Névoa de nadas § O-que-Sabe §§
névoa de nadas § tudo névoa-nada
3. Que proveito § para o homem §§§
De todo o seu afã §§
Fadiga de afazeres § sob o sol
4. Geração-que-vai § e geração-que-vem
e a terra § durando para sempre
5. E o sol desponta § e o sol se põe §§§
E ao mesmo ponto §§
aspira § de onde ele reponta
6. Vai § rumo ao sul §§
e volve § rumo ao norte §§
La traduction brésilienne est plus dense que celle des trois autres
traducteurs, les mots sous l’accent sont « pleins », différemment de la
traduction d’Henri Meschonnic (où nous trouvons souvent l’article, le
pronom ou la préposition avant le « souffle >>305). Les assonances,
parallélismes, paronomases sont bien mis en évidence (cf. 5 : desponta,
põe, ponto , onde, reponta , avec les « rimes sémantiques » desponta / -
reponta, traduits par HM « s’est levé » deux fois). De même, au 6,
tout le jeu en NI, qui allitère avec « névoas-nada » (hével-havalim ) et
le jeu de : vai/volve/volve/revolve/vai/voltas/revôlto/volta, qui provoque
un effet quasi-mimétique avec le souffle du vent. Poésie concrète, la
traduction d’Haroldo de Campos allie l’aura biblique et la poésie ultra-
contemporaine brésilienne.
Il nous reste quelques remarques à faire sur le même extrait dans la
traduction de Jacques Roubaud qui est à la fois fluide et poétiquement
condensée.
Contrairement à Henri Meschonnic et à Haroldo de Campos, Jacques
Roubaud ne fait pas de paratexte à sa traduction, lequel est œuvre de
l’éditeur de la Bible Bayard, Frédéric Boyer. Il fait partie des quarante-
sept traducteurs de cette nouvelle Bible qui entend diversifier les voix
autant que peut se faire dans un rapport d ’isomorphisme avec
l’original, chose qui ne s’est jamais pratiquée en France.
304 Paroles de Qohélet fils de David/ roi à Jérusalem// Nébuleuses de néants dit
Celui-qui-Sait/ nébuleuse de néants tout nébuleuse-néant// Quel profit pour l’homme/
De tout son labeur/ fatigue d’affaires sous le soleil// Génération qui va et génération
qui vient/ et la terre durant pour toujours// Et le soleil se lève et le soleil se couche/
Et au même point/ aspire d’où il se relève// Va vers le sud// et revient vers le nord/
Revient retourne le vent va/ et ayant à faire revenu le vent revient (traduction littérale
faite par nos soins), Qohélet, O-Que-Sabe, traduction Haroldo de Campos, op. cit.,
p. 45.
305 À propos de « Légendaire chaque jour », poème d’Henri Meschonnic, Gérard
Dessons dit : « Le blanc des fins de vers accentue les inaccentuées qu'une, je,comme,
en une véritable gestuelle de la parole. » (Dictionnaire de poésie de Baudelaire à nos
jours, Paris, PUF, 2001, p. 489). C’est ce même procédé que l ’on trouve dans les
traductions du poète qui l’emploie aussi bien pour Esther, texte narratif, que Jacques
Roubaud traduit en prose.
É ( LAIKAGHS 171
306 Nouvelle de Jorge Luis Borges, Fictions, Paris, Folio, Gallimard, 1983, p. 41.
307 Henri Meschonnic porte un jugement assez critique sur cette traduction (Poétique
du Traduire, op. cit., pp. 203-204) dont Umberto Eco estime qu’elle a tout de même
« survécu » (Colloque « Roma Poesia », avril 2004).
308 Jacques Roubaud, « Parler pour les idiots : Sébastien Chasteillon et le problème
de la traduction », conférence inaugurale, Assises Internationales de la traduction en
Arles, Novembre 1999. Actes des Assises de la traduction en Arles, Arles, Actes Sud,
2000, p. 19 et sq.
309 Ezra Pound, ABC de la lecture, op. cit., p. 30 (« Dichten = condensare »).
310 Jacques Roubaud, « Parler pour les idiots : Sébastien Chasteillon et le problème
de la traduction », op. cit., ibidem.
172 ÉCLAIUAGIÎS
5 Le soleil se lève
le soleil se couche
courant vers sa demeure
et se levant lui là
Haroldo de Campos :
André Chouraqui :
Henri Meschonnic :
Jacques Roubaud :
Il est malaisé quand on suit les lignes tracées par un autre, de ne pas
s ’en écarter en quelque endroit ; il est difficile que ce qui a été bien dit
dans une autre langue garde le mêm e éclat dans une traduction. (...) Si
je traduis mot à mot, cela rend un son absurde ; si, par nécessité, je
modifie si peu que ce soit la construction ou le style, j ’aurai l’air de
déserter le devoir de traducteur316.
Il est important de noter qu’aussi bien chez Cicéron que chez saint
Jérôme, la question du choix s’est présentée et a été formulée très
clairement. De nos jours, la question est devenue relativement tacite en
ce qui concerne la position « classique » maintenue majoritairement en
France et seuls les traducteurs littéralistes justifient leurs positions. Elle
est, toutefois, au centre des interrogations des linguistes, sémiologues
et traductologues.
Pour Umberto Eco, auteur entre autres de La Recherche de la langue
parfaite 3I7, la question fondamentale est de savoir si, en traduisant,
il faut amener le lecteur à comprendre l’univers culturel de l’auteur, ou
bien s’il faut transformer le texte original en l’adaptant à l’univers
culturel du lecteur - comme si l’auteur était prêt à récrire son propre
livre dans la langue de l’autre, comme s’il l’avait écrit selon le génie
de la langue de destination et non de la langue d’origine. Si Eco
justifie la traduction target oriented, c ’est bien parce que le problème
est toujours d’actualité.
On peut mieux comprendre la persistance de cette dualité si on
considère l’impact et les effets de la « Tâche du traducteur » de Walter
Benjamin et particulièrement de sa définition du traducteur transpa
rent. Cet impact se mesure à la quantité importante d’hypertextes que
ce texte de 1923 a connus et que nous avons déjà évoqués. Walter
Benjamin définit la traduction comme un devoir d’altérité : le
316 Cité par Michel Ballard, De Cicéron à Benjamin, PUL, 1991, p. 61.
317 Umberto Eco, La Recherche de la langue parfaite dans la culture européenne,
Seuil, Coll. Faire l’Europe, 1994.
É( :l a i k a g r s 179
3,8 Georges Mounin, Les Belles infidèles , op. cit., p. 110. Selon Georges Mounin,
pour franciser le texte (le premier cas), il faudra quelquefois traduire l’originalité de
l’œuvre indépendamment de l’époque ou de la culture de l’origine. Dans le second
cas, au contraire, il faudra rendre l’originalité de l’œuvre en étant fidèle à l’époque et
à la culture d’origine.
319 Gidéon Toury, « The nature and role of Norms in translation », in Literature and
Translation, Leuven, Acco, ed. by James S. Holmes, 1978, p. 83.
18 0 É c la ir a g e s
La subjectivité du traducteur
II. Ceci étant, l’idée que nous aimerions avancer ici est la suivante :
nous pourrions trouver une ligne de partage qui ne serait dominée ni
par le « moi » de la subjectivité321, ni par le « moi épistémique »
(pour reprendre la formulation d’Annie Brisset). Pour le premier,
Lacan322 a pu montrer après Descartes que le je qui existe, parce
qu’il pense, n ’est pas celui qui pense parce qu’il est, pour le second,
il s’agit du moi social.
En fait, l’un ne va pas sans l’autre puisque « le moi ne peut être
séparé de l’altérité et, du même coup, se trouve pris dans la définition
même du social et de l’historique »323. Il ne s’agit pas d’évoquer ici
l’existence d’un « troisième » moi, non plus, mais plutôt du sujet , d’un
je rimbaldien, à l’œuvre dans l’écriture de la traduction.
Ce qui nous importe, c’est de montrer la différence entre le moi
(imaginaire, le moi-je) et le « je » de la traduction. Et même si la
formulation d’Annie Brisset paraît indiscutable - selon laquelle il n’y
aurait pas de « sujet plein », un « sujet dont la conscience serait
pleinement présente à l’acte traductif » -, il va de soi que pour
Le cas Baudelaire
« idéal »...), et les vecteurs par lesquels passent ces visions. Walter
Benjamin décèle l’influence du poète américain sur Baudelaire y
compris dans les motifs de ses poèmes (« Le vin de l’assassin », « A
une passante » etc.)
Un autre facteur, toutefois, les rapproche : l’attention portée à la
matérialité du texte littéraire, voire à la technicité de l’expression,
ainsi, l’usage de la citation, de l’intertextualité, du cliché ironique325,
de même que le jeu fiction / réalité.
La découverte de Poe par Baudelaire a obligé celui-ci à se défendre,
à tel point ses théories sur l’esthétique et la poésie lui rappelaient les
théories du poète américain. On peut rappeler les mots de Baudelaire :
325 Nous avons déjà évoqué longuement ces aspects de la question dans Théories et
pratiques, op. cit., chapitre V, p. 185 et sq.
326 Charles Baudelaire, Correspondances, O.C. CP1, I, p. 676. Cette attitude n’est
pas sans rappeler celle d’Antonin Artaud, traducteur de Lewis Carroll : « C’est comme
s’il s’agissait de l’une de mes œuvres suivie d’un commentaire », Lettres écrites de
Rodez, Paris, Gallimard, juin 1944, X, p. 243.
18 4 É c l a i r A( ¡iis
des réponses artistiques à son travail et des échos à ses propres fantas
mes327.
Il n’en reste pas moins que cette sortie de soi que constitue
l’identification à l’Autre en passant par une autre langue va permettre
à Baudelaire de faire émerger une forme qui correspond non pas à sa
« soif » de transcendance, mais est adaptée « aux mouvements lyriques
de l’âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la
conscience » (Préface au Spleen de Paris, publié en 1862), née de « la
fréquentation des villes énormes et du croisement de leurs innombra
bles rapports ». C’est notre hypothèse que l’analyse de sa traduction
permet d’étayer.
327 Voir Les Règles de l'Art, Paris, Seuil, 1992, en particulier le chapitre intitule
« La conquête de l’autonomie », p. 75 et sq., dans lequel Pierre Bourdieu analyse dans
le détail la façon dont Baudelaire avec d’autres « exclus » parviennent à faire du
champ littéraire un champ autonome
É CLA IR AGES 185
Commentaire de la traduction
329 Nous avons consulté la grille utilisée par Hendrik Van Gorp dans son étude sur
« La traduction littéraire parmi les autres métatextes », in Literature and Translation,
op. cit., p. 101.
É c l a ir a g e s 189
330 Edgar Poe, Poèmes, Paris, Poésie / Gallimard, 1982, pp. 161-164.
331 Anton Popovic, Dictionary fo r the Analysis o f Literary Translation , Edmonton,
University of Alberta, 1976, p. 113.
332 « Mme de Staël en a donné le modèle dans son ouvrage, qui a conservé sa portée
jusqu’à nos jours, De l ’Allemagne (1810). » Efim Etkind, Un Art en crise, op. cit.,
pp. 18-19.
333 Titre emprunté à Poe lui-même, traduit en français par « Méthode de composi
tion », voir Edgar Allan Poe, Paris, Bouquins, p. 1004 et sq.
334 Charles Baudelaire, « La genèse d’un poème », in Poèmes, d’Edgar Poe, op. cit.,
p. 160.
190 ÉCLA lRACiliS
335 Considéré tantôt comme la pièce la plus achevée de son recueil tantôt comme
« trop mécanique en ses effets répétitifs, et trop théâtrale de ton et d'atmosphère »,
Jean-Louis Curtis, préface aux Poèmes, op. cit., p. 12.
336 Roman Jakobson, Essais de Linguistique Générale, op. cit., pp. 238-242.
337 Car il s’agit bien ici d’un poème « narratif ». Voir la distinction chez Jacques
Roubaud entre « une nouvelle en vers » et « le poème sans narration » (Conférence
tenue à Aix-en-Provence, janvier 1998).
ÉCLAIRAGES 191
338 Les deux chercheurs canadiens proposent dans un but pédagogique sept règles
de traduction, Vinay et Darbelnet, Stylistique comparée du français et de l ’anglais,
Paris, Didier, 1977, p. 55.
192 ÉCLAIRATII-S
339 Susanne Bernard, Le Poème en prose de Baudelaire jusqu 'à nos jours, Librairie
Nizet, Paris, 1959, p. 103 et sq.
340 Gilles Deleuze, Différence et répétition, Paris, PUF, 1968 (voir introduction).
É c l a ir a g e s 193
Il faut bien admettre que c ’est à travers ce travail sur la forme que sc
projettent dans l ’œuvre ces structures que l’écrivain (Baudelaire), comme
tout agent social, porte en lui à l’état pratique sans en détenir véritable
ment la maîtrise, et que s’accomplit l ’anamnèse de tout ce qui reste
enfoui d’ordinaire, à l’état implicite ou inconscient, sous les automatismes
du langage qui tourne à vide342.
345 La citation exacte est : « Mais outre qu’il peut s’être trompé lui-même de milles
manières, il se place ou plutôt doit se tenir en tout cas dans une position de non-savoir
quant à la spéculation possible du mendiant, c’est-à-dire aux effets de ce qu’il a
donné, et donc quant à la question de savoir ce qu’il a en vérité donné et donc s’il a
en vérité donné », Jacques Derrida, Donner le Temps, Paris, Galillée, 1998, p. 215.
346 Ainsi, dans Les Psychoses, livre III, Paris, Seuil, 1981, p. 91 : « La poésie est
création d’un sujet assumant un nouvel ordre de relation symbolique au monde. »
347 Henry Dumery, Catherine Clément, « Le Moi », Encyclopaedia Universalis,
1997.
196 É c l a ir a g e s
c ’est sans doute parce qu’il a vécu, avec la lucidité des com m en
cements, toutes les contradictions, éprouvées com m e autant de double
binds, qui sont inhérentes au champ littéraire en voie de constitution, que
personne n’a vu mieux que Baudelaire le lien entre les transformations
de l ’économ ie et de la société et les transformations de la vie artistique
et littéraire350.
353 English Poetry, 111, From Tennyson to Whitman, Massachusetts, The Harvard
Classics, 1909-1914, p. 756 et sq.
200 E c l a ir a c ih s
D eep into that darkness peering, long I stood there wondering, fearing25
Doubting, dream ing dream s no m ortal ever dared to dream before ;
But the silence w as unbroken, and the stillness gave no token,
A nd the only w ord there spoken was the whispered word, « Lenore ? »
This I whispered, an d an echo m u rm ured back the word, « Lenore ! »
M erely this and nothing more. 30
Back into the cham ber turning, all my soul within me burning,
Soon again I heard a tapping som ew hat louder than before.
« Surely, » said I, " surely that is something a t my w indow lattice ;
Let m e see, then, what thereat is, and this m ystery explore -
L et my h eart be still a m om ent and this m ystery explore ; 35
« ’Tis the w ind and nothing m ore ! »
Open here I flung the shutter, when, with many a flir t and flutter,
In there stepped a stately Raven o f the saintly days o f yore ;
N ot the last obeissance m ade he ; not a minute stop p ed o r stayed he ;
But, with mine o f lord or lady, perch ed above m y cham ber door 40
P erched upon a bust o f P allas ju st above my cham ber door -
Perched, and sat, and nothing more.
354 Jacques Lacan, Les Psychoses, livre III (Séminaire), op. cit., p. 261 (Daniel Paul
Schreber, Mémoires d'un névropathe, Paris, Seuil, coll. Points, 1975, p. 175).
355 Jacques Lacan, Les Psychoses, op. cit.
356 Le « cas » Schreber a été l’objet privilégié de l’analyse de Freud et de Lacan sur
la paranoïa. Voir Daniel Paul Schreber, Mémoires d'un névropathe, op. cit.
357 Jacques Lacan, « Le signifiant, comme tel, ne signifie rien », in Les Psychoses,
op. cit., p. 217.
20 4 ÉCLA IRAOHS
361 Daniel Paul Schreber, Mémoires d'un névropathe, op. cit., p. 181.
362 Jacques Lacan, Les Psychoses, op. cit., p. 247.
363 Jacques Lacan « Métaphore et Métonymie », in Les Psychoses, op. cit., p. 243.
206 ÉCLATftAOflS
Ce que Lacan ne dit pas, c’est que si le fou n’est pas poète - ou
traducteur -, cela ne s’applique pas à tous les « fous » ni à tous les
poètes. Le psychotique dont il est question dans les Psychoses est le
psychotique dit paranoïaque. Sans vouloir réveiller les vieilles querelles
autour de l’opposition « politique » parano / schizo, qui a naguère
opposé le monde philosophique-analytique (Lacan versus Deleuze-
Guattari), on peut noter que la défaillance métaphorique (poétique et
traductrice) ne semble pas affecter de la même manière les psychoti
ques dits « schizophrènes ». Nous voudrions évoquer ici deux
exemples et si l’on hésitait à considérer le cas Wolfson comme
exemplaire, - ce serait notre premier exemple - il serait difficile de ne
pas admettre que Hölderlin n ’a pas été un poète, qui plus est un
traducteur de génie.
Chez Wolfson, incontestablement délirant, qui se nomme « l’étudiant
en langues étrangères », « l’aliéné », « le jeune psychotique », et est,
364 « Cela signifie que si vous lui (au paranoïaque) demandez de traduire, de donner
un synonyme, de répéter la même phrase, celle-là même qu’il vient de dire, il en est
incapable. » Jacques Lacan, Les Psychoses, op. cit., pp. 254-256.
É C LA IR A G ES 20 7
Mais avec une ébauche d’un sourire (parce qu’au fond, il n’avait pas
encore cessé de se penser si sensé), l’étudiant schizophrène se demandait,
immédiatement après (son invention) si n’importe qui était jamais aussi
fantasque ou plutôt fou. Mais, mêm e à sa manière folle, sinon imbécil-
lique, qu’il était agréable d’étudier les langues369.
l’état, ni à quel point l’avait touché la mort de son père alors qu’il
n’était âgé que de deux ans.
Traduit plusieurs fois en français, le fameux « Pain et Vin » est
donné ici dans la traduction d’Antoine Raybaud (inédite).
370 Hymnes, Elégies et autres poèmes, Paris, Gamier-Flammarion, 1983 (trad. Armel
Gueme).
210 É C LA IR A G ES
« Und es ist,
W er’s an sich hat, nicht bei sich »
« L’avoir en soi
Ce n’est plus être à soi »381.
380 « Nun aber sind zu Indiem,/ Die Männer gegangen,/ Dort an der luftigen Spitz’/
An Traubegergen, wo herab Augen,/ Die Dordogne kommt/ Und zusammen mit der
präch t’ gen/ Garonne m eerbreit/ Ausgehet der Strom. Es nemi a b er/ Und gibt
Gedächtnis die See,/ Und d i L ieb’ auch heftet fleissig d ie / Was bmeobet aber, stiften
die Dichter ».
381 Antigone, de Sophocle, Paris, Christian Bourgois, coll. Détroits, 1978, p. 98 (acte
III, scène 2), traduction allemande de Hölderlin.
214 É C LA IR A G ES
La pensée traductive est donc dans son faire. C’est cet art qui nous
intéresse et si nous avons présenté quelques courants traductologiques
qui peuvent peu ou prou retenir l’attention des chercheurs que nous
sommes, nous avons essayé de pallier à ce « défaut » inhérent à la
É c l a ir a g e s 217
Collectifs :
- A ctes des A ssises de la traduction littéraire, Arles, A ctes Sud, depuis 1984.
- Cadernos de Tradução, NU T, Universidade Federal de Santa Catarina,
Brésil, 1999-2002.
- Change, n. 14, « Transformer / traduire », Paris, Seghers / Laffont, février
1973.
- Change, n. 19, « La traduction en jeu », Paris, Seghers / Laffont, juin 1974.
- D ictionnaire de poésie de Baudelaire à nos jours, dir. M ichel Jarrety, Paris,
PUF, 2001.
- Littoral, n. 13, « Traduction de Freud / transcription de Lacan », Éditions
Erès, juin 1984.
- Letras, 34, n. 3, Rio de Janeiro, mars, 34 Literatura S/C Ltda., 1989.
- Letras, 34, n. 4, Rio de Janeiro, 34 Literatura S/C Ltda., juin 1989.
- Littératures classiqu es, n. 13, « La traduction au XVIIe siècle », Paris,
Klinksieck, octobre 1990.
- M éta, Vol. 27, n. 1, P sychanalyse et traduction. Presses de l ’Université de
Montréal, 1982.
- Palim psestes, n. 1 à 10, Paris, Presses de la Sorbonne N ouvelle (1987-1996).
- Revue d ’esthétique, n. 12, Théories sur la traduction, Éditions Privât, 1987.
- Translation an d the M anipulation o f D iscourse, Selected Papers o f the
CETRA Research Seminary in Translation Studies, Belgique, Ed. Janses
Leuven, 1995.
Ouvrages :
Articles
GOETHE, J.W. (von), 25, 32, 35, 47, JACOBI F.H., 88.
62, 79, 122, 175, 210, 221, 226. JAKOBSON R., 21, 50, 106, 108,
GOMEZ DE LA SERNA R., 132. 115, 190, 193, 203, 206, 216, 223,
GÓNGORA L., 80. 228.
GOUADEC D., 92. JAUSS H. R., 43-44, 78, 137, 223.
GRANGER G.-G., 26, 196, 204, 223. JEAN DE LA CROIX (saint), 203-
GUATTARI F., 206. 204.
GUERNE A., 35„ 209. JÉRÔME (saint), 15-16, 40, 70, 83,
GUIMARÃES ROSA J„ 229. 162, 177-178, 223.
GUYOTAT P., 108. JILL LEVINE S., 98.
JOUVE P.-J., 56, 211.
H JOYCE J., 77 -78, 132, 139, 154,
168, 173, 220.
HAGÈGE C., 116.
HARVEY K., 96. K
HAUGERUD J., 98.
HEGEL G.W.F., 88. KAFKA F„ 56, 70.
HEIDEGGER M., 24, 43, 56, 66, 72. KANT E., 17, 39.
HEILBRON J„ 118-119, 121, 177, KIERKEGAARD S., 192.
228. KlS D., 127.
HEMINGWAY E., 110. KLOSSOWSKI P., 37, 49, 54-63, 83,
HERDER J.G., 30, 32, 126. 144, 150, 181, 211, 216.
HÖLDERLIN F.,11, 15, 24, 26, 32, KORSAK M.P., 98.
35, 38, 46, 51-53, 55-56, 58, 63, KUNDERA M., 129, 223.
70, 72, 75,138, 206, 208-216, 226-
227. L
HOLMES J.S., 105, 179, 228, 230.
HOMÈRE, 41, 50, 102,139-142, 168, LA MOTTE HOUDARD A., 51.
174, 221. LABBÉ L., 99-102, 147.
HOOF H. (van), 95, 225. LACAN J„ 90, 181, 195-196, 203-
HOPKINS G. M., 46. 206, 213- 214, 219, 223, 227, 229.
HORACE, 16, 90. LACOUE-LABARTHE P., 53, 210.
HUGUET E., 146. LADMIRAL J.-R., 15, 30, 39, 42, 72,
HUMBOLDT W. (von), 17, 33, 39, 83, 223, 228.
53, 83, 109, 220. LAMBERT J., 40, 105-106, 228.
HUTCHINSON P., 212. LANDINO C„ 142.
LARBAUD V., 132, 223, 229.
I LE COINTE F., 143.
LE PLAT DU TEMPLE, 144.
INFANTE C., 98. LE TONNELIER DE BRETEUIL G.-
ISER W., 10. É„ 103.
LÉVY J., 92.
J LOBATO M., 128.
LOBB F., 101.
JACCOTTET P., 168. LOHMANN J., 41.
234 In d e x dus n o m s u ' a u t h iik s
A v an t-p ro p o s....................................................................................... 9
B ibliographie.................................................................................... 219
IS B N 978-2-7453-1497-Q