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UN ESSAI DE COMPARAISON
Raphaël Ehrsam
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Le catÉgoriel chez Emil Lask et Clarence
Irving Lewis : un essai de comparaison
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1. Lask n’a vécu que 40 ans (1875-1915). Il est l’élève de Rickert à Fribourg, enseigne
à partir de 1905 à 30 ans, et est élu professeur avant la Première Guerre Mondiale. Il publie
de son vivant deux ouvrages : L’idéalisme de Fichte et l’histoire en 1902, La Logique de la philo-
sophie et la doctrine des catégories en 1911. Son œuvre a connu peu d’échos, sinon par le biais
de son influence sur Heidegger.
2. Lewis est encore assez mal connu dans les pays de langue française ; il a pourtant été
l’un des philosophes américains les plus importants, sinon le philosophe majeur, du début du
xxe siècle. Né en 1883, soit 8 ans après Lask, il a vécu jusqu’en 1964. Influencé par Peirce,
James et Royce (ce dernier dirigea sa thèse de doctorat), il consacre ses premiers travaux à la
logique modale. Mais son ouvrage clé reste assurément Mind and the World Order, publié en
1929. Lewis enseigna à Harvard et compta parmi ses étudiants : Quine, Goodman, Chisholm,
Firth et Sellars. Il donna de façon régulière des conférences sur Kant à Harvard.
Les Études philosophiques, n° 3/2017, p. 421-436
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fonder un partage entre le réel et l’irréel. Au contraire, pour Lask, en dépit
de l’impossibilité de clore la liste des catégories, les sens fondamentaux de
l’être coïncident avec l’objectivité sensible spatio-temporelle et l’objectivité
suprasensible de l’éthique, de l’esthétique et de la religion. Ce faisant, tandis
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les façons fondamentales de faire usage du verbe être. L’être se dit selon la
substance, la quantité, la qualité, la relation, le lieu, le temps, la position,
la possession, l’action, la passion4. Dans « Socrate est à Athènes » : le verbe
être signifie un lieu. Dans « Socrate est un homme » : le verbe être signifie
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2. Déplacements kantiens
La théorie kantienne des catégories infléchit chacune de ces décisions,
tout en conservant le cœur de la problématique d’Aristote. Pour Kant comme
pour Aristote, la question des catégories émerge à partir d’une réflexion géné-
rale sur la vérité et son niveau minimal d’application, à savoir le jugement.
On peut repérer deux différences principales séparant Kant d’Aristote.
i) Pour Aristote, les catégories sont découvertes selon une énumération
des principaux types de prédicats. Pour Kant, en revanche, la question de la
signification des pensées n’a pas à être exclusivement soulevée au niveau du
rapport entre un prédicat et un sujet (et donc en lien exclusif avec le pro-
blème de la vérité et de la fausseté). Elle épouse toute la variété des formes de
liaison entre les concepts ; on pourrait dire qu’Aristote découvre le catégoriel
à même la prétention à la vérité du jugement dit « catégorique » (A est B),
tandis que Kant pose la question des catégories à partir de toutes les variations
formelles du jugement. En attestent ses efforts pour dériver la table des caté-
gories de la table des formes logiques du jugement, dans le passage de la
Critique de la raison pure qu’il nomme la « déduction métaphysique5 » des
catégories. Ainsi, les catégories de la quantité (unité, pluralité, totalité) sont
découvertes à partir des variations de la quantification opérée sur le sujet dans
le jugement (on parle nécessairement d’un objet, de plusieurs objets d’un
même genre, ou de tous les objets d’un certain genre) ; celles de la qualité
(réalité, négation, limitation) sont découvertes à partir des variations atte-
nant au prédicat (affirmation d’un prédicat positif, négation d’un prédicat
positif, affirmation d’un prédicat négatif ) ; celles de la relation (substance,
accident, cause, effet et dépendance réciproque) sont découvertes à partir
des variations qui touchent le rapport d’une proposition aux conditions de
son assertion (dans le jugement catégorique, de type « p », l’assertion de p est
sans condition ; dans le jugement hypothétique, de type « si p, alors q », la
proposition q n’est affirmée que sous la condition de la proposition p ; dans
4. Aristote, Les Catégories, trad. fr. J. Tricot, Paris, Vrin, 1994, 1 b 25.
5. I. Kant, Critique de la raison pure, trad. fr. A. Renaut, Paris, Garnier-Flammarion,
2001, p. 214. Ak 3 : 124 ; B 159.
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21 juillet 2017 02:24 - Études philosophiques n° 3-2017 - Collectif - Études philosophiques - 155 x 240 - page 424 / 472 21 jui
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le jugement disjonctif, de type p ou q, l’assertion de la proposition p a pour
condition l’exclusion de la proposition q, quoique les propositions p et q
constituent collectivement un ensemble exhaustif de possibilités logiques).
ii) Tandis qu’Aristote supposait une correspondance entre types de la
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6. Afin d’approfondir cette description bien trop brève, voir, entre autres, R. Brandt,
Die Urteilstafel, Hambourg, Felix Meiner, 1991 ; B. Longuenesse, Kant et le pouvoir de juger,
Paris, Puf, 1993 ; M. Wolff, Die Vollständigkeit der Kantischen Urteilstafel: Mit einem Essay
über Freges Begriffschrift, Francfort-sur-le-Main, V. Klosterman, 1995.
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distinctive), les concepts et structures logico-syntaxiques seraient sans portée
ontologique, de sorte qu’on devrait les apprécier selon des critères conven-
tionnels et/ou pragmatiques de commodité. Pour Lask, au contraire, les
jugements pensés et formulés dans lesquels des concepts et formes logiques
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7. E. Lask, Die Logik der Philosophie und die Kategorienlehre, Gesammelte Schriften,
vol. II, Tübingen, J.C.B Mohr, 1923 ; trad. fr. J.-F. Courtine, M. de Launay, D. Pradelle et
P. Quesne, La Logique de la philosophie, Paris, Vrin, 2002, p. 68.
8. Ibidem.
9. Ibidem.
10. Ibidem, p. 67. Nous faisons l’hypothèse selon laquelle cette formule de Lask épouse
une certaine conception du rapport de dépendance entre sens et référence. Si je prends l’énoncé
« Aristote a soutenu qu’il existe 10 catégories », la réalité à laquelle l’énoncé renvoie n’a de statut
que relativement aux concepts employés ici pour la désigner (ou du moins relativement à
des concepts qui permettent de la désigner, ainsi ou autrement). L’identité de l’individu réel
Aristote n’est pas séparable de l’identité fournie par au moins une description définie telle que
« l’auteur de l’Organon », « le précepteur d’Alexandre », « le philosophie natif de Stagire », etc.
Il existe une certaine affinité entre la conception de Lask et ce que l’on nomme aujourd’hui
l’« identity theory of truth » (voir J. Hornsby, « Truth: the identity theory », Proceedings of the
Aristotelian Society, 1997, n° 97, p. 1-24 ; voir également R. Gaskin, « The Identity Theory of
Truth », The Stanford Encyclopedia of Philosophy, E. N. Zalta (dir.), URL = <http://plato.stanford.
edu/archives/sum2015/entries/truth-identity/>. Lask déclare en effet que l’« on est donc en
droit de dire sans réserve que des objets spatiotemporels sont des vérités, des objets physiques sont
des vérités physiques, des objets astraux, des vérités astronomiques, des objets psychiques, des
vérités psychologiques, etc. » (La Logique de la philosophie, op. cit., p. 66).
11. Ibidem, p. 64.
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de la logique transcendantale12. » Le dogmatisme établissait l’objectualité au-
delà de l’entendement, « à l’extérieur de la teneur de validité qui appartient
à la logique13 ». Au contraire, « l’opération copernicienne vise à ce que soit
détruite cette dualité de l’objectualité et du valoir logique14 ».
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Dans la mesure où la philosophie peut être définie comme l’étude de l’esprit
par lui-même selon une méthode réflexive20, elle peut être définie comme
une théorie des catégories ou une étude de l’a priori en général21.
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pas l’expérience vécue immédiate de la vérité, mais précisément l’expérience
vécue de l’alogique dans sa nudité logique24. » Reste que le vivre pur et simple
se tient en deçà du connaître et de l’expérience intersubjective : « L’opacité,
l’inintelligibilité, l’impossibilité d’illuminer, cette “donnée” et cette irréduc-
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de produire la synthèse du divers représentationnel qu’elle fournit31. Ces deux
points commandent là encore tout uniment les réflexions de Lask et Lewis.
De façon remarquable, Lask insiste sur le fait que la représentation de
n’importe quel objet individuel engage davantage que le divers fourni par la
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sensibilité. Il distingue à cet effet les « choses sensibles », c’est-à-dire les objets
dont nous faisons l’expérience et que nous nous efforçons de connaître, et les
« complexes d’impressions sensibles » qui nous sont fournis par la sensibilité
seule. Les seconds ne sont que pur matériau alogique, et ne peuvent coïnci-
der ainsi avec les premiers ; une « chose sensible » est toujours un « complexe
d’impressions sensibles » en tant qu’il procède d’une règle de synthèse selon un
ou des concepts :
Ce qui différencie l’être des choses sensibles des simples complexes d’impres-
sions sensibles ne se surajoute pas aux qualités sensibles comme un nouveau moment
sensible, mais comme simple « nécessité d’une liaison de représentations »32.
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singuliers. Le nerf de la preuve épouse l’analyse sémantique des termes censés
référer à des « impressions simples » :
Ce que tout concept ou tout adjectif [de ce type] dénote – par exemple « rouge »
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ou « rond » – est plus complexe qu’un quale sensible identifiable. L’objet du concept
doit notamment toujours occuper une certaine étendue temporelle au-delà de
l’apparence présente36.
Avant Sellars, Lewis remarque qu’en disant « je vois du bleu », ou plutôt
« cet objet devant moi est bleu », je ne fais pas qu’exprimer une impression,
j’adopte en réalité une attitude prédictive réglée par un concept – je sup-
pose implicitement, notamment, que l’objet aurait l’air de telle autre nuance
si je l’observais sous une lumière différente à un autre moment du temps,
ou qu’il m’offrirait des sensations semblables sous une lumière semblable.
En d’autres termes, il n’y a pas d’impression absolument simple, et ce que
la tradition nommait « impressions simples » engage déjà une articulation
conceptuelle : « attribuer un substantif ou un adjectif c’est faire l’hypothèse
d’une certaine séquence dans l’expérience possible, ou d’une multiplicité
de telles séquences »37. (iii) Enfin, Lewis a le mérite de remarquer que si le
rôle des catégories est de guider la liaison entre des impressions sensibles,
la conséquence en est que l’usage des catégories est compatible avec le fait
que nos expériences subjectives soient qualitativement hétérogènes : « nos
concepts catégoriaux, “substance et accident”, “cause et effet”, “différent de”,
“ou… ou”, font assurément partie de ceux qui sont exemplifiés dans l’expé-
rience par un grand nombre de contenus sensibles hétérogènes […] ; au plan
psychologique, les catégories reflètent bien plus directement nos manières
d’agir qu’elles ne reflètent le caractère de ce sur quoi les actes sont dirigés38 » ;
« or, il n’est pas nécessaire qu’en agissant de la même manière nous ressentions
les mêmes choses39 ».
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empirique, interdit que l’on restreigne l’application des catégories au champ
de l’expérience. Il convient ici, selon lui, de proposer une théorie des caté-
gories à deux niveaux : un premier niveau qui expose la détermination de la
connaissance empirique par des catégories dites « constitutives », un second
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1. Retour à l’ontologie
La question principale de Lask l’entraînant au-delà de Kant est celle de
savoir si « la forme catégoriale est ou non limitée à un matériau intuitif et
sensible40 ». Sa réponse, négative, indique à ses yeux la limite centrale de la
théorie kantienne des catégories : cette dernière restreint indûment la portée
des concepts purs.
L’argumentation de Lask repose à cet égard sur le topos postkantien
que l’on a pu nommer le « dilemme de Schulze ». Dans son essai sceptique
Énésidème, Schulze avait en effet remarqué le premier que la Critique de la
raison pure prêtait le flanc à une objection en forme de dilemme : (i) ou bien
il est vrai que toute connaissance humaine se trouve cantonnée au champ des
objets dont il est possible de faire l’expérience – et dans ce cas les propositions
de la Critique (qui portent non pas tant sur des objets que sur la connaissance
des objets en tant qu’elle est possible en général) ne peuvent pas prétendre
posséder elles-mêmes le statut de connaissances ; (ii) ou bien les propositions
transcendantales de la Critique, qui portent non sur des objets spatialement
et/ou temporellement conditionnés, mais bien sur les connaissances de ces
objets, sont elles-mêmes des connaissances – ce sont, en quelque sorte, des
connaissances de connaissances – , et dans ce cas il n’est pas vrai que toute
connaissance se limite au champ de l’expérience. La théorie de Lask tranche
en faveur de l’option (ii), en distinguant deux types de catégories.
Les catégories constitutives sont celles dont l’usage est essentiel afin qu’un
certain champ d’objets puisse constituer un domaine de connaissance. Les
catégories kantiennes (substance, cause, communauté, etc.) référées aux
objets spatio-temporels ont ainsi le statut de catégories constitutives. Les
catégories réflexives, elles, sont celles que le théoricien de la connaissance doit
nécessairement employer afin de décrire les divers champs de connaissance
mobilisant des catégories constitutives. Lask n’est pas exhaustif à propos
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de ce second ensemble de catégories, mais il offre comme exemples de ces
dernières les notions d’espèce, de groupe, de généralité, de particularité, de
contradiction, de forme et de matière, d’identité et de différence, etc.41. À
ses yeux, si l’on admet que Kant a été capable d’énoncer des vérités à propos
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des connaissances ordinaires, alors il doit exister des catégories exprimant les
formes de ces vérités elles-mêmes, des catégories dont la validité dépasse le
champ de la sensibilité : « l’extension du problème des catégories au-delà du
sensible repose en dernière instance sur la pensée fondatrice qu’est l’absence
de limite qui caractérise la vérité, l’étendue omni-englobante de l’espace de
souveraineté logique42 ».
Or, si l’on accepte contre Kant l’idée selon laquelle certaines catégories
possèderaient une validité alors même qu’elles ne sont pas rapportées à des
objets sensibles, il devient possible d’envisager, premièrement, que les catégo-
ries constitutives du domaine sensible aient une portée ontologique en même
temps que transcendantale – les conditions de possibilité de la connaissance
exprimeraient les structures mêmes de l’être ; deuxièmement, qu’il puisse exis-
ter des catégories constitutives pour le suprasensible. C’en est fini du « dogme
kantien », selon lequel « on tient pour évident que la théorie de la connais-
sance ne saurait être qu’une théorie de la connaissance ontique »43. Le second
geste est assurément le plus audacieux ; il consiste à prendre appui sur la
portée non sensible des catégories réflexives pour rendre non problématique
la reconnaissance de catégories constitutives dont le domaine dépasserait la
sensibilité. On peut envisager une duplication du rapport entre l’immédiat
et le catégoriel au niveau du suprasensible lui-même, pourvu que l’on fasse
droit à des vécus dont l’objet serait suprasensible, et à des connaissances
ayant pour terrain ces vécus :
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résolument évolutionniste de la théorie lewisienne de l’adoption de systèmes
catégoriels.
(a) Lewis nomme « sophisme idéaliste » la tentation de fournir une
justification anthropologique de la nécessaire soumission du donné aux
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catégories :
45. C. I. Lewis, Mind and the World Order, op. cit., p. 188.
46. Ibidem, p. 320.
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21 juillet 2017 02:24 - Études philosophiques n° 3-2017 - Collectif - Études philosophiques - 155 x 240 - page 434 / 472 21 jui
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est systématiquement ambigu et ne peut avoir de sens qu’en étant entendu
d’une façon spécifique47 » :
Un mirage, ce n’est pas des arbres et de l’eau réels, mais c’est un état réel de
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types d’expériences théoriques, vitales et sociales auxquels nous avons été
confrontés le plus souvent à ce jour. On peut donc dire que « les catégories
sont des guides pour l’action, des créations en réponse à nos besoins et inter-
actions, des produits sociaux53 ». L’analogie lewisienne la plus emblématique
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est ainsi celle qui rapproche la sélection d’une description adéquate pour un
objet et la sélection d’un système de catégories en relation avec un objectif
théorique ou pratique ponctuel :
Que je désigne cette chose comme un « stylo » reflète mon objectif, qui est
d’écrire ; que je la désigne comme un « cylindre » reflète mon désir de résoudre
un problème géométrique ou mécanique ; que je la désigne comme « une mau-
vaise affaire » reflète ma résolution de me montrer plus prudent à l’avenir dans mes
dépenses54.
Conclusion
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L’originalité du pragmatisme de Lewis, à savoir son insistance sur la diffi-
culté voire l’impossibilité d’établir une liste close de catégories, forme aussi
bien la force de sa théorie que sa difficulté la plus aiguë – le principe même
d’une démarcation entre catégories et concepts non catégoriels se trouvant
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ainsi fragilisé. Certes, Lewis a raison d’insister sur le fait que tout concept
particulier peut être principe d’un partage entre le réel et l’irréel. « Réel », ou
« être », se disent en une grande multiplicité, non close, de sens. Est égale-
ment précieuse l’insistance de Lewis sur le fait que l’adoption d’un système
de catégories ne fait peser aucune hypothèque sur le caractère inanticipable
des contenus de l’expérience. Le problème est que même si Lewis continue à
employer le terme « catégorie », il ne permet plus véritablement de répondre
à la question de savoir si la possibilité d’appliquer certains concepts pos-
sède ou non un caractère absolument fondamental (« rien n’est réel selon
toutes les catégories ; mais tout est réel selon une catégorie57 »). Lewis aura
peut-être manqué la pointe de la percée kantienne à propos des catégories.
Pour Kant, un concept (quelconque) n’est jamais appliqué à un objet qu’en
étant lié à d’autres concepts (quelconques). Si donc certains concepts (spé-
cifiques) expriment les modes de liaison de tous les autres concepts dans
les jugements, il demeure légitime de penser que ces concepts (spécifiques)
possèderont une applicabilité universelle et nécessaire. Lewis a raison de dire
que les concepts de « stylo », de « chaise », de « rêve », de « réalité physique »,
ne peuvent être appliqués universellement ; mais s’il faut toujours employer
quelques concepts et les lier en vue de parvenir à des connaissances, alors, s’il
existe des concepts exprimant les principes de la liaison des concepts dans des
jugements, ceux-ci du moins devront toujours pouvoir être appliqués.
Raphaël Ehrsam
Université Paris-Sorbonne,
Centre Emmanuel Lévinas, CEPACC
57. C. I. Lewis, Mind and the World Order, op. cit., p. 322.