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Par Louis-Abel Constant - 29 mars 2019
Naissance de la Françafrique
Au moment de son accession au pouvoir en 1958, le général de Gaulle trouve un monde
colonial en ébullition. La France peine à se remettre de son humiliation militaire à Dien
Bien Phû (1954), de son humiliation diplomatique après la crise de Suez (1956), et subit
une instabilité politique en Algérie qui précipite la IVème République vers l’abîme.
Face aux mouvements politiques en faveur de l’indépendance qui émaillent l’Afrique du
Nord, le général est conscient de l’incapacité de la France à tenir indéfiniment ses
anciennes colonies. Souhaitant installer sa Vème République sur les décombres de la
quatrième, de Gaulle s’engage donc vers le chemin de l’indépendance des anciennes
colonies françaises sur toute la décennie des années 1960.
Dans ses Mémoires d’espoir, le général de Gaulle parle d’une relation « d’amitié » et de
coopération avec des chefs d’État qu’il considère comme ses « amis », afin d’ouvrir « le
progrès » au continent africain. En réalité, il s’agit pour la France de garder les pays
nouvellement indépendants sous tutelle économique, politique et militaire. L’ancien
colonisateur ne souhaite pas voir laisser les anciennes positions géopolitiques et les
fabuleuses richesses de l’Afrique sortir du giron d’une économie française en plein
essor.
Afin de matérialiser le vœu gaullien, Jacques Foccart est nommé à la tête du Secrétariat
général des affaires africaines et malgaches en 1959. Mais Foccart est déjà un vieux
baroudeur de l’Afrique : il gravite dans les réseaux gaullistes dès 1952 dans le cadre de
l’Union française, cette institution voulue par la IVème République afin de garder les
territoires africains dans le giron colonial français. Devenu rapidement intime du vieux
général, Foccart le suit naturellement lorsque de Gaulle arrive au pouvoir en 1958.
Très vite, Foccart organise un réseau d’amitié entre politiques, militaires et hommes
d’affaires afin de maintenir l’emprise de la France sur le continent tout en organisant
un véritable pillage de ses ressources.
Très vite, Foccart organise un réseau d’amitié entre politiques, militaires et hommes
d’affaires afin de maintenir l’emprise de la France sur le continent tout en organisant un
véritable pillage de ses ressources. Celles-ci bénéficieront soit aux entreprises françaises
(on pense à son ami, Pierre Guillaumat, dirigeant d’Elf), soit aux politiques français,
soit aux potentats africains qui ne feront nullement, ou si peu, ruisseler leurs bénéfices
vers la population. Afin de maintenir l’ensemble cohérent, Foccart s’appuie sur son
grand ami Felix Houphouët-Boigny, Président ivoirien, avec un entretien téléphonique
tous les mercredis. De même, le général de Gaulle se tenait informé quasiment en temps
réel des évolutions politiques du continent africain par l’intermédiaire de Foccart.
Mieux encore, c’est par ce secrétaire que passe les relations diplomatiques entre les
chefs d’États africains et la France.
Pour Foccart, la stabilité d’une Afrique dans le giron de la France passe par le soutien
des chefs d’État dociles et la déstabilisation de ceux qui sont considérés comme hostiles
à l’emprise française. Ainsi, en 1964, le Gabonais Léon Mba essuie un coup d’État
militaire dans l’indifférence totale de la population. Très vite, les réseaux Foccart
s’activent et, après de brefs combats, Mba est réintégré dans ses fonctions, avec comme
vice-président un jeune prometteur : Omar Bongo. À l’inverse, Foccart soutien les
opposants des chefs d’États hostiles à la Françafrique : Ahmed Sékou Touré a
constamment dû subir les tentatives de déstabilisation de Foccart, tandis que le maréchal
Mobutu bénéficie de sa bienveillance en République démocratique du Congo.
« Il ne faut jamais que le Général soit en première ligne pour ce genre de coups durs. Il
faut les régler sans lui en parler. On parle en son nom. On le met au courant quand
c’est fini. Il peut toujours nous désavouer si ça rate. »
Face à une telle violence, le pouvoir politique français doit être protégé, sous peine de
passer sous les fourches caudines des institutions internationales. Il incombe donc à
Foccart d’être en première ligne des coups d’États, assassinats ou arrestations qui
émaillent l’Afrique, souvent à son instigation. Le principe est de garder le général de
Gaulle hors de tout soupçon afin de conserver son aura historique de héros national et
d’homme d’État à l’extérieur comme à l’intérieur du pays. Foccart était donc conscient
d’être en première ligne, comme il le confiait à Alain Pierrefitte, porte-parole du
gouvernement après l’épisode du coup d’État manqué contre Léon Mba : « Il ne faut
jamais que le Général soit en première ligne pour ce genre de coups durs. Il faut les
régler sans lui en parler. On parle en son nom. On le met au courant quand c’est fini. Il
peut toujours nous désavouer si ça rate. » (in Jacques Foccart, dans l’ombre du pouvoir,
Turpin Frédéric, CNRS éditions, 2018).
L’après de Gaulle
Les convulsions du régime gaullien avec les événements de mai-juin 1968 ne changent
pas grand-chose concernant le monde africain. Foccart continue d’officier sous
Pompidou, avant d’être remplacé, sous Giscard, par son adjoint, René Journiac. Sous
Giscard, Journiac s’est illustré par une empoignade mémorable avec « l’empereur » de
Centrafrique, Jean-Bedel Bokassa, qui, de colère, lui a asséné un coup de canne sur la
tête. Cette offense à la Françafrique lui a rapidement coûté son trône, avec une
expédition militaire aéroportée mémorable de l’armée française vers Bangui. Après la
prise de la ville, David Dacko proclame la chute de l’empire et l’avènement d’une
République qui abandonne la volonté de Bokassa de se doter de la bombe atomique et
de se rapprocher du colonel Kadhafi en Libye.
Le travail de Guy Penne est tellement efficace que Foccart s’exprimait dans une
biographie peu avant son décès : « nous n’avions aucun désaccords profonds ».
Car Guy Penne a dû s’occuper d’un des plus grands adversaires de la Françafrique :
Thomas Sankara. Adversaire déclaré du système, le président Burkinabé s’exprimait sur
la dette comme arme de la domination occidentale sur l’Afrique lors d’un discours à
Addis-Addeba lors d’un sommet de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) le 29
juillet 1987 :
« La dette sous sa forme actuelle, est une reconquête savamment organisée de l’Afrique,
pour que sa croissance et son développement obéissent à des paliers, à des normes qui
nous sont totalement étrangers. Faisant en sorte que chacun de nous devienne l’esclave
financier, c’est-à-dire l’esclave tout court, de ceux qui ont eu l’opportunité, la ruse, la
fourberie de placer des fonds chez nous avec l’obligation de rembourser. On nous dit de
rembourser la dette. Ce n’est pas une question morale. Ce n’est point une question de ce
prétendu honneur que de rembourser ou de ne pas rembourser ».
La Françafrique ne tolérera pas un homme d’État hors de ses réseaux, et, surtout, un
idéaliste souhaitant débarrasser l’Afrique de la tutelle occidentale, et en particulier
française.
À l’instar de Foccart avec Guillaumat, Guy Penne sait s’entourer d’hommes capables de
maintenir la cohésion du système malgré l’alternance. En particulier, Michel Roussin,
ancien des services de renseignements, passé ensuite dans le cabinet de Jacques Chirac
durant la cohabitation, pour terminer, aujourd’hui, dans le groupe Bolloré. De même, il
a été à l’origine de l’éviction du jeune ministre de la Coopération, Jean Pierre Cot, qui
fut le premier à remettre en question la politique africaine de la France. Il quitte le
gouvernement en 1982.
En 1986, suite à une affaire de détournement de fonds publics, Guy Penne doit quitter le
navire pour laisser la place au fils aîné de François Mitterrand, Jean-Christophe. En
prenant en compte le calendrier politique, l’éviction de Penne obéit plutôt à une volonté
d’éviter un « mélange des genres ». En effet, 1986 est l’année de la cohabitation et Guy
Penne est trop lié avec les milieux foccardiens, qui trustent les places auprès de Jacques
Chirac, nouveau Premier ministre à Matignon. Mais l’éviction de Penne ne signifie pas
la fin de sa carrière politique : dès septembre 1986, il est élu sénateur.
Bien loin d’être vaincus par l’alternance, les réseaux foccardiens ont pu prospérer
grâce à l’oreille des nouveaux acteurs aux pouvoir. Mieux encore, les grandes lignes de
la politique de Penne trouveront leur aboutissement
Bien loin d’être vaincus par l’alternance, les réseaux foccardiens ont pu prospérer grâce
à l’oreille des nouveaux acteurs au pouvoir. Mieux encore, les grandes lignes de la
politique de Penne trouveront leur aboutissement avec la cohabitation. Le 15 octobre
1987, Thomas Sankara est assassiné par un coup d’État monté contre lui par Blaise
Compaoré, qui gouvernera le Burkina Faso jusqu’en 2014. Gauche ou droite, la défense
des intérêts de la Françafrique sur tout le reste prime. En ce sens, il est avéré
aujourd’hui que les services de renseignement français ont participé de près ou de loin à
l’élimination de Sankara.
La rupture avec Jacques Chirac amène une guerre des clans qui aura raison de la
Françafrique telle que l’avait imaginée Foccart. Dans les couloirs feutrés de l’Élysée,
une guerre sans merci s’engage entre :
Emmanuel Macron, annonce, lui aussi, sa prétendue volonté de s’écarter des années de
la Françafrique, et nomme, après sa victoire à la présidentielle de 2017, Franck Paris au
poste de conseiller pour l’Afrique. L’idée de Macron serait de remplacer les réseaux
d’influence français en Afrique par un « soft power », permettant à la France de se
blanchir tout en conservant son influence dans les anciennes colonies. En ce sens,
Franck Paris travaille donc à la création d’un « conseil présidentiel pour l’Afrique »,
composé d’entrepreneurs, chercheurs, journalistes etc, qui appartiennent à la diaspora
africaine en France et qui agiraient en relais entre une diplomatie élyséenne rénovée et
la société civile africaine.
L’année 2017-2018 voit Macron entamer un « règne personnel » sur les sujets africains.
Il débute une tournée africaine où il s’adresse directement à la jeunesse. Il vante le
« défi civilisationnel de l’Afrique », s’emploie à charmer ses interlocuteurs via des
discussions « sans filtre », et ouvre les archives françaises sur l’assassinat de Thomas
Sankara en 1987. De même, en mai 2018, Macron reçoit les deux potentats libyens les
plus influents, Fayez Al Sarraj et Khalifa Haftar, et initie les accords de Paris, qui
annoncent la tenue d’élections présidentielles pour le 10 décembre 2018 en Libye. C’est
sans compter sur la situation locale explosive. L’organisation d’un scrutin est
impossible, alors que les Italiens ne souhaitent pas voir la France s’immiscer davantage
dans leur ancienne colonie. Donald Trump s’est empressé de soutenir l’Italie, réduisant
à néant le poids diplomatique français et entraînant logiquement une humiliation lors de
la conférence de Palerme en novembre dernier. Après cette déconvenue lourde de sens
pour la position française en Afrique, Le Drian, à nouveau, reprend la main sur la
question africaine.
Humilié diplomatiquement et sans poids de premier ordre, Macron doit donc se rallier à
l’approche sécuritaire de Le Drian, dont la nomination au quai d’Orsay ne remet pas en
question ce tropisme. Sa grande entourloupe de « soft power » est remise aux calendes
grecques, et le « conseil présidentiel de l’Afrique » parqué dans les locaux de l’Agence
française de développement (AFD). De plus, la mise au ban des réseaux Pasqua/Sarkozy
de la Françafrique a conduit à une quasi indépendance de ces hommes d’affaires. Ils
n’hésitent plus à travailler pour des investisseurs étrangers, comme le Qatar, la Turquie,
l’Arabie Saoudite, etc… Il en résulte une ouverture des marchés africains qui attirent les
investisseurs et que la Chine comme la Russie ne mettent pas longtemps à en voir le
potentiel. Or sans ces hommes d’affaires ayant l’oreille des dirigeants africains, la
France, mécaniquement, à moins de poids pour faire valoir ses arguments face à ses
concurrents. Il en résulte donc une pénétration de la Chine et de la Russie, très visible en
Centrafrique, et qui bouscule sérieusement la suprématie française traditionnelle dans la
région. Doit-on voir dans le rapprochement entre Macron et Sarkozy le désir de la part
du Président de peser à nouveau dans le jeu libyen et de stopper l’hémorragie causée par
la perte de ces juteux marchés africains – l’ex-président étant l’un des seuls à même de
lui fournir le réseau suffisant pour y parvenir ?
Non content de tremper avec les pires réseaux que le milieu d’affaires français est
capable de produire pour réparer les erreurs de son aventurisme diplomatique puéril,
Emmanuel Macron doit, aujourd’hui, courir après ces personnes afin de les réintégrer
dans le giron élyséen.
Non content de tremper avec les pires réseaux que le milieu d’affaires français est
capable de produire pour réparer les erreurs de son aventurisme diplomatique puéril,
Emmanuel Macron doit, aujourd’hui, courir après ces personnes afin de les réintégrer
dans le giron élyséen. Au prix, probablement, de davantage de révélations dans cette
collusion entre le milieu macronien et la Françafrique. Plus largement, ces milieux de la
Françafrique ont toujours su graviter autour du pouvoir et se sont réinventés avec une
très grande adaptabilité à chaque alternance. Cette force de ces réseaux, tout comme son
étendue et sa profondeur au sein des institutions et de l’Histoire de la Vème République,
amène une question : sera-t-il possible de tuer le pouvoir de la Françafrique sur
l’exécutif sans abolir la Vème République ? Mais le problème peut aussi se poser en
sens inverse : serait-il concevable d’abolir la Vème République sans d’abord tuer le
pouvoir de la Françafrique ? Finalement, les deux se confondent tant, et partagent une
histoire commune au point qu’il est quasiment impossible de les distinguer.
Foccart Jacques, Foccart parle. Entretiens avec Philippe Gaillard, 2 tomes, Paris,
Fayard-Jeune Afrique, 1995-1997
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6 OCTOBRE 2019