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Code et auteur : [87] Wittersheim (Eric).

Titre : « Qui est Chef ? La représentation politique de la coutume


au Vanuatu » in Christine Hamelin ; Eric Wittersheim (textes
réunis et présentés par) , La tradition et l’Etat.
Publication : Paris : L’Harmattan (Collection Cahiers du Pacifique Sud
Contemporain. 2), 2002.
Pages : 131-160.
Type de Article ouvrage collectif.
document  :
Domaine : Anthropologie ; Anthropologie du Pacifique Sud
Contemporain
Observations : Collection dirigée par Alban Bensa et Jean-Claude Rivierre.
Localisation : ENS/Jourdan [HAM 307.7]. Archive personnel, photocopie.
Anthropologie [Océanie] ; Océanie [politique] ; Culture [usages politiques de] ;
Anthropologie [changement social ; changement politique] ; Catégories
politiques

Anthropologie Culture et politique entretiennent des rapports complexes


[Océanie] ; en Mélanesie. L’idée que l’analyse de la politique, au niveau
Océanie local ou national, serait indissociable de l’étude de la culture
[politique] ; de ces sociétés y est toujours bien ancrée. Elle fait le miel de
Culture [usages tous les discours sur l’impossible adaptation du modèle
politiques] démocratique occidental –fondé sur le droit, la liberté
individuelle et l’intérêt collectif –aux sociétés océaniennes
où dominerait le consensus, une identité de type relationnel
et l’absence de la sphère publique. Au Vanuatu, la présence
de nombreux symboles traditionnels dans la vie politique
contemporaine accrédite l’idée d’un style ou d’une culture
politique spécifiques. Cependant, un tel point de vue ne peut
être développé que si l’on ignore les conditions dans
lesquelles les références culturelles sont mobilisées dans le
débat politique. Dans les discours politiques, la culture
apparaît tantôt comme une arme ou un bouclier, tantôt
comme une ressource ou un refuge. Ni essentialistes, ni
complètement instrumentales, les références à la culture
offrent un bon angle d’attaque pour comprendre la politique
en Mélanésie contemporaine. Encore faut-il rapporter ce
recours à la tradition à leur contexte historique (marqué
notamment par la colonisation et l’évangélisation), et
sociologique (système scolaire, économie marchande,
trajectoire des leaders…). [87 : 131]
L’argument développé ici s’appuie notamment sur un débat
parlamentaire de 1976, au cours duquel se sont opposés, à
propos de la question de la présence ou non de chefs à
l’Assemblée, les deux administrations coloniales (française
et anglaise) et les jeunes leaders anglophones du New
Hebrides National Party, futurs dirigeants du Vanuatu
indépendant à partir de 1980. [87 : 132]
Anthropologie La Mélanésie à abondamment nourri la réflexion
[Océanie] ; anthropologique sur le politique. Big men, great men, chefs :
Océanie le débat autour de ces figures du pouvoir n’ont cessé, au fil
[politique] ; des époques et au gré des courants théoriques, de se
Culture [usages décliner à l’infini. […] on a tenté de formaliser et de classer
politiques] ; les formes de pouvoir, à partir des exemples-types locaux. Il
Anthropologie semble néanmoins aujourd’hui de plus en plus difficile de
[changement réduire toutes les configurations politiques existantes à un
social ; nombre limité de modèles anthropologiques dont les cas
changement concrets ne seraient que de simples variantes. En prêtant
politique] une attention toujours plus grande aux conditions
historiques du changement social et politique et en ayant
recours aux archives, il devient difficile de passer sous
silence le rôle souvent central qu’on joué les missions et les
administrations coloniales dans la « rationalisation »
politique des sociétés mélanésiennes. En nommant des chefs
et des assesseurs, en inventant des titres de « grand chef »
pour légitimer de nouveaux types de leaders et ainsi asseoir
la domination coloniale jusqu’au niveau le plus local, les
autorités coloniales ont importé des institutions qui ont
profondément bouleversé le paysage politique mélanésien.
[87 : 132]
Catégories Certains travaux récents ont montré comment des
politiques catégories politiques apparemment « traditionnelles »
[Océanie] avaient ainsi été définies ou instaurées par les
administrations coloniales et les missions dans le Pacifique,
puis fixées, figées par la pratique, sans qu’il soit toujours
possible de savoir si les chefs reconnus par les Européens
étaient à l’origine de « vrais » chefs, de simples prête-nom
ou des personnes choisies pour leurs compétences
particulières (maîtrise de la langue du colonisateur, volonté
de collaboration) que faisaient d’eux des intermédiaires, des
middlemen. [87 : 132-133]
Catégories La prise en compte du facteur colonial dans l’évolution des
politiques modèles politiques est relativement récente, et elle s’impose
Océanie[politiq d’autant plus vite comme une approche incontournable en
ue] Océanie qu’elle particulièrement négligée auparavant. Les
discussions passionnées sur les figures du pouvoir son
pourtant loin d’être l’apanage des seuls anthropologues. Les
chefs, les leaders ou la représentation politique constituent,
pour les Mélanésiens eux-mêmes, des sujets de conversation
constants. Dans les commentaires sur la politique actuelle,
les références au leadership traditionnel sont courantes, et
ce dans tous les registres, du plus métaphorique au plus
sérieux, de l’ironie à la justification […] On évoque les
difficultés de la démocratie à s’y implanter, la faible portée
du sentiment citoyen et de l’Etat de droit, en mettant
notamment en avant le fait que ces sociétés ne
« possédaient » autrefois ni Etat, ni domaine public… [87 :
133]
Culture [Usage …la Mélanésie a longtemps été en quelque sorte « victime »
politique] ; de la culture : l’archaïsme supposé des populations
Océanie mélanésiennes, l’étrangeté et la prégnance de leurs
[politique] traditions ont souvent été perçus comme un frein à leur
entrée à la modernité. Retournant l’argument, les
mouvements indépendantistes en Mélanésie et dans tout le
Pacifique Sud on fait très tôt de la culture un argument
fondamental. Les leaders politiques l’ont mise en avant, y
puisant leur légitimité tout autant que leur inspiration.
Toutefois, malgré cette volonté d’intégrer –parallèlement au
christianisme –les « valeurs mélanésiennes » à leur projet de
société, les pays océaniens devenus indépendants tâtonnent
dans la recherche d’une voie politique et économique
originale, ou tout simplement viable. Aujourd’hui encore,
« l’adaptation » du système démocratique aux valeurs et à la
culture mélanésienne et son corollaire, la représentation
politique de la coutume, constituent un véritable serpent de
mer du débat politique en Mélanésie. C’est par exemple le
cas au Vanuatu, où le rôle politique des chefs dits
« traditionnels » au sein de l’Etat est constamment discuté.
En commentant les vives discussions qui entourent la
question de leur représentation politique au niveau national,
j’essaierai de montrer ici comment cette situation, très
significative, masque, par son argumentation culturaliste
convenue, des réalités plus complexes. L’opposition entre
ceux qui veulent que les « vrais chefs » fassent de la
politique et ceux qui, bien que favorables à la « coutume »
d’une manière générale, s’inquiètent de voir leur pouvoir
confisqué, cache des différences sociologiques et historiques
importantes entre ces leaders, qui renvoient plus à l’histoire
de l’évangélisation, à la gestion coloniale des affaires
autochtones et aux projets de société qu’aux big men où à la
hiérarchie des grades. [87 : 134]
Catégories Malgré les profonds bouleversements sociaux et politiques
politiques survenus depuis le milieu du XIXe siècle, l’établissement de
[leadership] ; nouvelles formes de hiérarchie par le biais des Eglises puis
[Océanie] la mise en place d’un Etat de type occidental, le terme
« chef » (ou chief, anglais et jif en bislama) continue d’être
largement employé au Vanuatu. Mais son champ
sémantique, comme celui du terme kastom (la coutume), est
on ne peut plus flou ; un chef aujourd’hui au Vanautu ce
serait peut-être tout simplement, comme le suggère Lissant
Bolton « un leader, quel qu’il soit »… [87 : 135]
En d’autres termes, toute forme actuelle de leadership
semble nous ramener à la notion de chef considérée comme
l’expression de la culture mélanésienne « traditionnelle »,
bien que l’on s’accorde à penser qu’il n’existait pas de chefs
à proprement parler dans le Vanuatu précolonial. Il s’agit là
de métaphores, de références d’ordre symbolique plutôt que
de véritables analogies, dans la mesure où la diversité des
formes de pouvoir anciennes et l’histoire coloniale
mouvementée qu’a connues le Vanuatu rendent difficile
toute application unilatérale de cette notion de chef. Qu’est-
ce qu’un chef ? Qui est chef ? [87 : 135]
Catégorie Les effets de la colonisation sur ces formes locales de
politiques pouvoir sont-ils homogènes ? Dans quelle mesure ces statuts
[Océanie] [lead ne sont-ils pas, en partie du moins, des conséquences de la
ership] colonisation et des contacts avec les Européens (marchands,
missionnaires, militaires…) depuis le début du XIXe siècle ? A
nos yeux, cette incertitude rend difficile toute discussion
générale sur les modèles canoniques du pouvoir au Vanautu
aujourd’hui […]. Plus généralement, l’absence de projet
colonial homogène et volontariste a laissé libres,
missionnaires, administrateurs locaux –et bien sûr les
Mélanésiens eux-mêmes –d’adapter les formes locales de
pouvoir aux transformations sociales, et surtout à leurs
intérêts respectifs. Ainsi, au gré des situations, de nouveaux
statuts ont émergé, d’autres se sont pérennisé en
s’adaptant, des hiérarchies locales ont été bouleversées ou
au contraire renforcées… [87 : 136]
Catégories Je veux plutôt m’interroger sur la place que « les chefs », en
politiques tant que groupe réel ou imaginaire, occupent aujourd’hui
[Océanie : chef] dans ce jeune Etat mélanésien, et de quels enjeux ils ont
l’objet, pour tenter de comprendre le rapport
qu’entretiennent les habitants du Vanuatu, et en particulier
les « élites » (politique ou non) avec leur « coutume » et
leurs « traditions »… [87 : 136]
…La place que les chefs occupent dans le débat public
conduit à un constat paradoxal. Comme dans le cas de la
kastom , leur évocation est ambivalente et non dénuée
d’arrière pensées politiques, tout en restant affective et
sincère. Ainsi, bien que leur rôle semble avant tout
symbolique, les chefs suscitent de vifs débats. En effet, alors
que tout le monde s’accorde à reconnaître leur importance,
leur légitimité, le rôle qu’ils sont en revanche censées jouer
dans un Etat de type occidental n’est pas le même aux yeux
de tous […] Par-delà la traditionnelle et manichéenne
opposition entre « francophones » et « anglophones »
héritée de la période du condominium se cachent d’autres
oppositions, plus concrètes, profondément liées aux
pratiques évangéliques, économiques et politiques
différentes auxquelles le Mélanésiens ont été confrontés…
[87 : 137]
…l’évolution du pouvoir « traditionnel » apparaît donc
indissociable des modèles de sociétés véhiculés par les
missionnaires, mais aussi de facteurs parfois plus
circonstanciels, tels que les opportunités économiques. [87 :
140]
Catégories Ce désaccord [sur la place du chef dans l’Etat] s’inscrit dans
politiques un débat récurrent, celui d’une éventuelle adaptation du
[Océanie : chef] modèle démocratique occidental aux valeurs et aux
pratiques mélanésiennes. Mais ces différentes
interprétations sont-elles uniquement dictées par des projets
ou des ambitions politiques divergentes ? Ne recouvrent-
elles pas, plus profondément, des différences sociales et
historiques réelles ? Les « chefs » dont on parle constituent-
ils un groupe réellement homogène ? En quoi les débats et
polémiques autour des chefs au Vanuatu et dans une grande
partie de la Mélanésie peuvent-ils éclairer notre
compréhension des mutations et des adaptations de ces
sociétés ? [87 : 140]
Culture [usage Il n’est donc guère surprenant que des références à la
politique de] culture émaillent fréquemment les discours concernant
[Océanie] l’identité du pays, la politique à mener, ou encore la
nécessaire adaptation des institutions. D’autant que les
difficultés de l’appareil d’Etat incitent la population à
s’interroger sur les fondements de l’autorité et sur la
légitimité des gouvernants. Ainsi, le débat sur la légitimation
du pouvoir des chefs, censés être les garants de l’ordre et se
situer au-dessus des partis, prend place dans un contexte de
grande instabilité politique… [87 : 141]
Catégories Un document recueilli dans la bibliothèque du Parlement du
politiques Vanuatu peut fournir quelques éléments d’explication. Il
[Océanie] s’agit de la retranscription des débats de la première séance
à l’Assemblée représentative des Nouvelles-Hébrides, en
1976, au cours de laquelle furent discutées les conditions
d’une représentation élue des chefs dans cette assemblée.
L’intérêt principal de ce débat particulièrement vif aura été
de nous montrer combien, au Vanuatu, l’acception du terme
« chef » varie, selon les pratiques et les hiérarchies sociales
anciennes, parfois encore en vigueur dans chaque île, mais
aussi et surtout en fonction des transformations survenus,
depuis plus d’un siècle, en raison de l’évangélisation, de la
colonisation et de l’économie de marché. Il s’agit donc ici de
montrer que les sociétés mélanésiennes contemporaines
n’échappent pas à la sociologie. On ne peut pas les analyser
uniquement à la seule aune de l’anthropologie culturelle.
[87 : 142]
Océanie Ces péripéties [des débats au sein de l’Assemblée]
[politique] ; soulignent plusieurs faits. En premier lieu, les difficultés de
Catégories la démocratie naissante aux Nouvelles-Hébrides, du fait
politiques d’une gestion coloniale sans véritable projet, plus
[Océanie] administrative que politique. Elles indiquent également la
volonté et les certitudes des indépendantistes. Enfin, et
surtout, le rôle et la place des chefs dans la société
contemporaine au Vanuatu –et plus largement celui de la
coutume- apparaissent ici tiraillés au gré des intérêts de
chacun, comme l’objet de mobilisation et d’interprétation
variables en fonction d’enjeux divergents… [87 : 149]
Catégories La mise en écart des chefs de la vie politique ne peut
politiques pourtant s’expliquer uniquement en terme d’opposition
[Océanie] entre tradition et modernité. Les liens qui unissent les
leaders et les politiciens mélanésiens à leurs « traditions »
sont complexes et ne sauraient se résumer à un rejet pur et
simple ou à une utilisation cynique à des fins stratégiques…
[87 : 156]
Catégories Contrairement à ce qui se passe dans d’autres Etats du
politiques Pacifique comme Fidji ou les Samoa, où les coutumières
[Océanie] occupent une place prépondérante dans l’appareil d’Etat
dans l’appareil politique, au Vanuatu ceux-ci semblent
condamnés à rester en marge […] Il semble que pour une
partie de la population urbaine éduquée qui constitue la
petite élite (au sens précis du terme) du Vanuatu, les chefs
portent en eux le risque d’un recul sur le plan des libertés et
des avancées sociales. […] Cependant, le manque de
confiance croissant de la population envers les politiciens
conduit souvent à imaginer les chefs, et plus généralement
la coutume, comme des recours possibles ou plus
modestement comme des garants de la transmission des
valeurs positives de la société mélanésienne (égalitarisme,
consensus, rapport à l’environnement). Plus de vingt ans
après l’indépendance, la culture reste donc au cœur des
débats sociaux et politiques de l’archipel. [87 : 158]
Les leçons que nous pouvons tirer de ce débat amènent à
reconnaître a posteriori le rôle fondamental joué par les
jeunes indépendantistes mélanésiens pour rendre autonome
le champ politique au Vanuatu. [87 : 158]

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