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F LORENT B RESSON1
Version 1.12α
24 juin 2013
© Florent Bresson
2
Table des matières
2 La demande de monnaie 51
2.1 La théorie quantitative de la monnaie correctement formulée. . . . . . . 53
2.1.1 L’équation de Cambridge . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54
2.1.2 L’effet d’encaisses réelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58
2.1.3 Le mécanisme indirect . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63
2.1.4 Théorie quantitative de la monnaie et neutralité de la monnaie 64
2.2 La détermination de la demande de monnaie dans la vision keynésienne 67
2.2.1 La demande de monnaie pour motifs de transaction et de pré-
caution . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68
2.2.2 La demande de monnaie pour motif de spéculation . . . . . . . . 75
2.2.3 La vision de Keynes et la synthèse néo-classique . . . . . . . . . 92
2.3 La détermination de la demande de monnaie dans la vision friedma-
nienne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102
2.3.1 La construction théorique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102
2.3.2 Implications et critiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106
2.3.3 La théorie quantitative à l’épreuve des faits . . . . . . . . . . . . 109
3
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
4
Préambule
Ce cours a été conçu en s’appuyant autant que possible sur les contri-
butions originales des auteurs ayant développé les différentes théories
présentées dans ce document. Pour être tout à fait transparent, il convient
toutefois de reconnaître que ces pages sont aussi nourries des réflexions
et présentations offertes dans les manuels suivants : Le Page (1991),
Diatkine (1995), Ruffini (1996), Lavigne & Pollin (1997), Augey & Bra-
moullé (1998), Guillaumont-Jeanneney (1998), Blaug (1998), de Mourgues
(2000), Bradley & Descamps (2005), Brana & Cazals (2006), Delaplace
(2009), Handa (2009) et Goux (2011).
5
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
6
Chapitre 1
Le concept de monnaie et son rôle
7
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
de cacao chez les aztèques. . .), autrement dit des biens ayant une valeur d’usage
intrinsèque propre à chaque individu mais qui peuvent aussi être utilisés comme
moyen de paiement. Pour qu’une marchandise puisse être employée pour réaliser
des transactions, on devine alors aisément qu’elle doit procurer une utilité à un
grand nombre d’individus afin que chacun puisse à son tour pouvoir s’en dessaisir
pour réaliser d’autres échanges. La cigarette, qui fut massivement employée dans
les camps de prisonnier lors de la seconde guerre mondiale et dans toute l’Allemagne
de l’ouest jusqu’à la réforme de 1948 et la création du deutschmark, illustre parfai-
tement ce phénomène. Bien que la cigarette ne soit pas consommée par l’intégralité
des prisonniers, les non-fumeurs savaient qu’il existaient suffisamment de fumeurs
auprès desquels ils pourraient toujours écouler les cigarettes obtenues, notamment
au travers des colis distribués par la Croix Rouge, en l’échange de biens désirés.
Dans nombre de sociétés, la forme métallique de la monnaie s’est souvent impo-
sée du fait de son caractère inaltérable, assez facilement transportable et divisible
à loisir. Cette monnaie métallique est apparue dans un premier temps sous forme
d’objets dont le pouvoir d’achat était fixé après pesée du poids en métal. Par la suite,
ce métal a été transformé en pièces de taille (et quelques fois de formes) différentes
afin de s’affranchir de la contrainte de la pesée. Dans la mesure où le titre 3 de ces
pièces était néanmoins fréquemment sujet à caution est apparue la technique de la
frappe. Avec cette dernière, un sceau apposé sur la pièce par une autorité religieuse
ou politique garantissait la quantité de métal contenue dans la pièce, ce qui permet
à celui qui le reçoit d’en accepter la valeur avec confiance. Avec le développement
du billet de banque, les pièces de métaux précieux ont progressivement disparu de
la circulation. Les pièces en métaux non précieux 4 subsistent mais leur valeur est
totalement déconnectée de leur valeur faciale.
L’autre grande forme de monnaie manuelle est le billet de banque, dont les
formes modernes apparaissent au XVIIe siècle en Europe 5 . Celui-ci est dans un
premier temps un simple certificat attestant le dépôt d’une quantité de métaux pré-
cieux dans un établissement bancaire 6 . Il ne devient toutefois réellement intéres-
sant pour notre problématique qu’avec l’apparition du billet de banque convertible
et du cour légal. Ce dernier consiste en l’obligation légale d’accepter un instrument
monétaire pour régler une dette ou effectuer un paiement. Avec la convertibilité, la
banque émettrice s’engage à échanger le billet contre sa valeur en métal précieux
3. Le titre d’une monnaie est la quantité de métal précieux qu’elle contient.
4. Dans le cas de l’euro, les pièces de 1 et 2e sont réalisées dans un alliage de nickel, celles de 10,
20 et 50 centimes en or nordique — l’or nordique est un alliage de cuivre, zinc, aluminium et étain —
et les pièces 1,2 et 5 centimes en acier cuivré.
5. Son apparition en Chine semble beaucoup plus ancienne et on a trouvé des traces d’un système
équivalent en Perse et dans la Rome antique.
6. Les premiers billets ne sont en fait même pas imprimés, mais rédigés par les employés des
banques avec apposition d’un sceau et signatures. Dans certains cas, comme pour le Canada français
de manière intermittente aux XVIIe et XVIIIe siècles ou pour les premiers assignats émis pendant la
révolution française, les billets étaient mêmes rédigés au dos de cartes à jouer.
8
CHAPITRE 1. LE CONCEPT DE MONNAIE ET SON RÔLE
sur simple présentation du billet. On parles alors de monnaie fiduciaire (de fiducia,
confiance en latin) puisque son utilisation repose sur la confiance qu’a le porteur
de billet de pouvoir effectivement convertir son billet en métal précieux s’il se pré-
sente auprès de la banque émettrice. La dématérialisation de la monnaie se traduit
finalement par une rupture entre métal précieux et billets avec l’introduction du
billet inconvertible qui s’appuie sur un cours forcé de la monnaie. Ainsi en 1936 en
France, le gouvernement impose le cours forcé des billets — le cours forcé est l’impo-
sition par l’État du cours légal et de l’inconvertibilité. Les particuliers doivent donc
renoncer à la convertibilité de la monnaie (billets et monnaie divisionnaire) en or
alors même que sa valeur est encore définie pour les échanges internationaux en
référence à l’or (système de l’étalon or ou gold standard).
Le dernière forme générale de la monnaie est la forme scripturale. La monnaie
n’est pas matérialisée au travers d’objets ayant ou non une valeur intrinsèque, mais
par des lignes sur les comptes des banques. Les transactions s’effectuent alors de
manière effective par jeux d’écritures dans les comptes des banques, même s’il existe
différents supports pour les réaliser (chèques, carte bancaire, virements, titres inter-
bancaires de paiement, effets de commerce 7 , lettre de change relevé 8 , prélèvement
automatique et monnaie électronique).
La forme prise par la monnaie n’est malheureusement d’aucun secours pour dé-
finir la monnaie de sorte que l’on se réfère souvent aux fonctions de la monnaie pour
appréhender ce concept. Si comme le dit l’adage, money is what money does, la défi-
nition proposée en début de section semble faire de la monnaie essentiellement un
outil pour l’échange. Ses fonctions sont en fait plus larges. De manière générale, on
attribue au moins depuis Aristote trois fonctions à la monnaie, à savoir celles :
– d’unité de compte,
– de moyen de paiement et
– de réserve de valeur.
Bien que la réunion de ces trois fonctions fasse indubitablement d’un actif quel-
conque une monnaie, l’histoire nous montre généralement que certaines monnaies
n’ont pu en remplir que certaines de ses fonctions. Cette approche fonctionnelle de
la définition de la monnaie est particulièrement importante du point de vue de la
pensée économique car elle a soutenue et sert encore de base dans nombre de débats
relatif au rôle de la monnaie dans l’économie.
7. Parmi les effets de commerce on peut relever notamment la lettre de change pour son impor-
tance historique. Celle-ci est un effet de commerce dans lequel une personne désignée, le tireur, donne
l’ordre à une autre personne désignée, le tiré, de régler à une date convenue, une somme déterminée,
à un bénéficiaire nominalement désigné ou au porteur de la lettre.
8. Il s’agit d’enregistrement numérique d’effets de commerce afin d’en réaliser un traitement in-
formatique.
9
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
La fonction d’unité de compte est la plus basique. Elle permet de définir une
échelle de prix pour l’ensemble des biens et par la même de calculer rapidement
des prix relatifs. Cette fonction donne donc la possibilité de réduire le nombre de
prix nécessaires à la détermination et à la réalisation des échanges. Il est probable
que, d’un point de vue historique, ce soit au travers de cette fonction et non celle
de moyen de paiement que soient apparues les premières formes de monnaie. On
sait ainsi que les égyptiens utilisaient un système d’unités abstraites (shâts, deben
et quité) pour définir les prix des biens échangés au moins 2000 ans avant JC. Si
ces unités correspondaient en fait à des unités de poids et que la valeur des unités
de compte étaient définies pour un certain poids de métal, le métal en question
n’était pas utilisé pour les transactions. Les prix étaient ainsi fixés en selon l’unité
adéquate au volume de transaction, mais l’échange était ensuite effectué sous forme
de troc, que les échanges de marchandise soient simultanés ou non 9 . On utilise le
terme de numéraire pour désigner le bien par rapport au prix duquel sont définis
les prix de tous les autres biens. C’est donc un bien (réel ou fictif) dont le prix est
arbitrairement fixé à 1.
Certaines monnaies n’ont ainsi jamais servi que d’unités de compte comme la
livre tournois dans la France du Moyen-Âge jusqu’à la révolution française. Il en
fut de même pour la Guinée britannique après 1813 10 ou encore l’ECU (European
Currency Unit) entre pays membres du SME (Système Monétaire Européen) entre
1979, date de mise en place du SME, et l’arrivée de l’Euro en 1999. Enfin, le franc
français, s’il n’est plus utilisé pour le règlement d’échange, joue toujours un rôle
d’unité de mesure pour nombre de citoyens afin d’apprécier la valeur des biens.
La fonction de moyen de paiement est utilisée pour le règlement d’achat ou l’ex-
tinction des dettes. On dit d’ailleurs que la monnaie a un pouvoir libératoire — elle
permet de se « libérer 11 » d’une dette — dans la mesure où elle est le seul bien qui
permette le règlement d’un achat ou d’une dette sans accord préalable du créancier
ou du fournisseur. Attention toutefois, si la monnaie ayant cours légal dans l’écono-
mie ne peut en aucun cas être refusée pour une transaction, il est tout autre pour
ce qui est de l’acceptation de certains supports de monnaie. Il est ainsi courant de
9. L’utilisation de cette valeur étalon permettait en outre celle du dépôt de garanti. Ainsi, si Pignon
souhaitait échanger avec Perrin x shâts de fromage contre la même valeur en raisin non encore ven-
dangé, il pouvait dans un premier temps échanger avec Perrin son fromage contre une marchandise
non périssable évaluée à x shâts, puis dans un deuxième temps, après vendange, échanger les x shâts
de marchandise non périssable contre le raisin désiré.
10. La Guinée était une pièce d’or dont la frappe cessa en 1813. Si son cours initial était à parité
avec la livre sterling, il fluctua par la suite avant de se fixer à 1 livre et 1 shillings en 1813. Bien que
les pièces ne circulaient plus, un certain nombre de prix continuèrent d’être précisés en Guinées par
la suite jusqu’au passage du Royaume Uni à un système décimal en 1971.
11. À nouveau l’étymologie de certains noms communs est éclairante. Ainsi Courbis, Froment &
Servet (1990) notent que « payer, du latin pax (paix) et pacare (pacifier, apaiser), signifie originellement
se réconcilier, satisfaire, littéralement, apaiser son créancier par exemple. Le mot finance, synonyme
de paiement ou de rançon au XIIIe siècle, vient du latin, régler un différent, généralement par remise
d’argent. S’acquitter signifie littéralement se rendre quitte, libre, de quietus (tranquille) ».
10
CHAPITRE 1. LE CONCEPT DE MONNAIE ET SON RÔLE
voir des commerçants refuser les cartes de paiement ou les chèques pour certains
montants (ce qui est légal 12 ).
Même si les preuves manques pour dater le début de cette pratique, il est qua-
siment certain que certains biens on depuis longtemps servi de monnaie comme
nous l’avons indiqué précédemment. On sait en revanche que la monnaie existe sous
forme scripturale près de 2000 ans avant Jésus Christ en Mésopotamie. Les dettes
et créances des citoyens étaient alors en effet consignées sur des tablettes d’argiles
et évaluées au travers de leur valeur monétaire. A titre de comparaison, les pre-
mières pièces de monnaies font semble-t-il leur apparition en Europe environ 700
ans avant Jésus Christ dans le royaume de Lydie, situé au sein de l’actuelle Turquie,
lorsque les rois de l’époque — la postérité a notamment retenue le roi Crésus — au-
torisent la circulation de pièces en or, argent et électrum 13 , initialement destinées
à réaliser des offrandes aux divinités grecques, pour réaliser des transactions hors
des temples. On peut noter que cet outil fut d’autant plus facilement accepté qu’il
permettait toujours en dernier recours de se dégager de ses obligations vis-à-vis du
culte.
Enfin la fonction de réserve de valeur correspond à la capacité de la monnaie de
conserver sa valeur au cours du temps. Cette caractéristique est particulièrement
importante car elle offre la possibilité de décaler les transactions dans le temps en
offrant une sécurité à son détenteur. Certes, il existe une certaine érosion de la
monnaie au travers du mécanisme de l’inflation, mais, hors cas d’hyperinflation, la
valeur de la monnaie reste suffisamment stable dans le moyen terme pour que les
agents ne soient pas incités à s’en dessaisir le plus rapidement possible 14 . On note
d’ailleurs que les marchandises qui ont initialement joué le rôle de monnaie avaient
généralement deux caractéristiques : la durabilité et une certaine constance de la
production. Ainsi, l’aspect inaltérable des métaux et pierres précieuses permettent
une détention longue de la marchandise contrairement par exemple aux victuailles.
De même, la stabilité de la rareté relative de la marchandise assure que la valeur
de marché de celle-ci reste aussi stable. De fait, les conditions de production d’un
bien conditionnent largement le choix de celui-ci comme monnaie. Il convient néan-
moins de souligner que, des trois fonctions susnommées, la fonction de réserve de
valeur n’est finalement pas propre à la monnaie. Certains considèrent même qu’il
s’agit d’une fonction secondaire pour la définition de la monnaie dans la mesure
où cette fonction peut être déduite des fonctions d’unité de compte et de moyen de
12. Notons néanmoins que dans le cas des cartes de paiement, les commerçants ont généralement
l’obligation contractuelle de ne pas fixer de montant minimum pour les paiements.
13. L’électrum est un mélange naturel d’or et d’argent
14. Si la valeur faciale d’un instrument monétaire est normalement fixe, Sylvio Gesell, commerçant
et économiste allemand de la fin du XIXesiècle et du début du XXesiècle, proposa néanmoins l’idée de
la monnaie franche, à savoir une monnaie dont la valeur faciale diminue à intervalles fixes à partir
de sa date d’émission. L’idée de Gesell était de lutter ainsi contrer la thésaurisation, autrement dit la
conservation d’encaisses oisives.
11
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
paiement 15 16 .
À ces fonctions strictement économiques, il convient aussi d’ajouter que la mon-
naie présente aussi un certain nombre de fonctions sociales qu’il convient de ne pas
négliger. Premièrement, l’aire d’utilisation du monnaie définit une communauté, à
savoir celle de ses utilisateurs. De par son utilisation répétée sur un territoire au
sein d’une population, la monnaie favorise donc la création de lien social. Le besoin
des gouvernants de créer une unité nationale explique ainsi aisément pourquoi la
monnaie est souvent vue comme un des attributs de l’identité nationale, au même
titre que le drapeau ou l’hymne. Ainsi, la création d’un nouvel état entraîne dans
la quasi totalité des cas la création d’une nouvelle monnaie. De même, les débats
qui ont eu lieu au début des années 90 lors de l’abandon du franc français au profit
de l’euro ont ainsi montré qu’il existait une peur de perte identitaire avec la dispa-
rition du franc. Par ailleurs, la dimension politique de la monnaie est importante
puisque l’émission de monnaie a souvent été le fait de la puissance publique. Cette
volonté de créer du lien social autour d’un moyen de paiement est aussi au cœur des
systèmes d’échanges locaux (SEL) où la monnaie est souvent basée sur le temps de
travail effectué pour la production d’un bien ou d’un service.
La monnaie structure aussi les rapports sociaux en permettant de codifier les
rapports entre individus, la richesse se substituant par exemple à la force ou le
prestige pour définir des relations hiérarchiques dans la population. L’existence du
cens pour attribuer le droit de vote dans certains régimes politiques est par exemple
révélateur de l’importance de la monnaie pour la répartition du pouvoir au sein de
la population. La formation des dotes pour les mariages relève du même principe en
définissant quelles unions sont possibles. Il faut aussi noter que la monnaie fonde
l’économie marchande en ce sens qu’elle permet de définir une échelle de valeur
nécessaire à la réalisation de l’échange. Elle étend donc la portée du concept de
valeur dans la définition des rapports sociaux en favorisant la marchandisation de
l’économie La monnaie présente donc une dimension non-économique qu’il ne faut
pas négliger.
12
CHAPITRE 1. LE CONCEPT DE MONNAIE ET SON RÔLE
nous étudions donc dans une première partie l’économie de troc. La suite logique
nous amène à nous pencher sur le modèle dichotomique souvent présenté dans les
manuels d’introduction à la macroéconomie pour résumer le rôle secondaire de la
monnaie dans l’univers des auteurs classiques. Ce modèle suppose un rôle limité
pour la monnaie car une économie monétarisée y est alors conçue comme une éco-
nomie de troc où seraient levés l’ensemble des obstacles qui lui sont associés et à
laquelle vient s’ajouter la monnaie pour déterminer les niveaux absolus des prix. Un
exposé des critiques et incohérences de cette dichotomie entre sphères réelles et mo-
nétaires nous conduit finalement à réfléchir sur ce qu’est réellement une économie
monétarisée et à donner un rôle actif à la monnaie dans la formation de l’équilibre
économique.
Dès lors que les individus ne peuvent satisfaire au mieux leurs besoins dans un
équilibre autarcique, autrement dit à partir de leurs seules ressources, l’échange
marchand, pour peu qu’il soit possible, devient nécessaire pour accroître leur bien-
être. La manière la plus directe de réaliser un échange marchand est obtenue au
travers du troc — on négligera ici l’existence des mécanismes de don qui peuvent
tout à fait servir de mécanisme principal d’échange pour la société (cas des potlatch
amérindiens par exemple) —, autrement dit dans l’échange réciproque, concomitant
ou non, de biens et de services. Pendant longtemps, on a considéré que le troc avait
été la règle pendant des millénaires dans toutes les sociétés humaines. L’analyse
historique semble néanmoins montrer que cette vision est largement erronée de
sorte que certains auteurs suggèrent préférable de parler de fable du troc 17 . Néan-
moins, que l’économie de troc ne soit ou non qu’une fiction — ce ne serait de toute
manière pas la seule dans l’histoire de la discipline —, l’étude d’une économie non
monétarisée reste pourtant pertinente 18 car elle permet de cerner aisément certains
17. Voir notamment Courbis et al. (1991) et Servet (2001). Servet défend ainsi l’idée que cette fiction
du troc constitue un mythe fondateur pour la discipline économique telle qu’elle apparaît avec les
classique car elle permet de s’affranchir des contextes sociaux et politiques : « le mythe du troc est
ainsi un élément fondateur de l’économie politique comme discipline supposée autonome du savoir, et à
travers elle de notre modernité. S’il est possible d’imaginer une société auto-régulée, indépendamment
de toute organisation collective supérieure, par la confrontation des intérêts privés et la sommation
des de ces relations interindividuelles, et de définir une mesure naturelle pour évaluer les prix des
biens et des services, on peut dès lors penser un ensemble particulier de phénomènes sociaux comme
ayant une logique autonome et spécifique, autrement dit d’élaborer une discipline qui n’a été qualifiée
de politique qu’en souvenir de ses lointaines origines » (Servet, 2001, p. 32).
18. Du point de vue des auteurs classiques, elle trouvait aussi sa pertinence par rapport au contexte
intellectuel de l’époque. Pou les auteurs classique, il s’agissait de lutter contre les théories mercanti-
listes et notamment l’idée que les métaux précieux, autrement dit la monnaie, constituait la richesse
des nations. En étudiant une économie théorique en faisant abstraction de la monnaie, les classiques
pouvaient définir une théorie de la valeur qui soit indépendante de l’instrument monétaire. La théorie
quantitative introduite plus loin participait à ce combat intellectuel en défendant l’idée que l’objec-
13
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
tif d’accumulation d’or défendu par les mercantilistes constituait une erreur puisque les entrées d’or
sur le territoire ne se traduisaient in fine que par une augmentation du niveau des prix et non un
accroissement de la richesse nationale qui, selon les classiques, est constituée par la seule production
nationale.
19. Du nom de Francis Ysidro Edgeworth, économiste et philosophe irlandais de la fin du XIXe
siècle. On lui doit notamment des contributions en statistique, en théorie du commerce internationale
ainsi que le concept de courbe d’indifférence. Soulignons néanmoins que la boite d’Edgeworth n’est pas
due à cette auteur mais à été imaginée par Vilfredo Pareto. Comme le souligne Blaug (1998, p. 670),
il est en effet courant en sciences économiques que certains auteurs associent des théories à d’autres
que leurs véritables auteurs. Ainsi, « Thomas Gresham n’ a jamais énoncé la Loi de Gresham ; Jean-
Baptiste Say n’a énoncé la Loi de Say qu’après que bien d’autres l’aient fait pour lui. Robert Giffen n’a
jamais énoncé le Paradoxe de Giffen. Francis Edgeworth n’a jamais construit de Boite d’Edgeworth.
Ernst Engel n’a jamais tracé de courbe de Engel. Walras n’a jamais énoncé la loi de Walras. Irving
Fisher n’ a pas inventé le Nombre Indice Idéal et en réalité il avait demandé (vainement) qu’on ne lui
donne pas son nom. Arthur Bowley n’a pas énoncé la loi de Bowley. Arthur Pigou n’a pas énoncé l’Effet
Pigou,etc. [. . .] Néanmoins, il auxiste aussi des contre-exemples [. . .] comme l’optimalité de Pareto et
l’Effet Wicksell ».
20. Notons qu’originellement, il s’agissait surtout d’étudier le commerce entre deux nations.
14
CHAPITRE 1. LE CONCEPT DE MONNAIE ET SON RÔLE
xA2 Perrin
−e−1
vin
yA1 b
A yA2
Pignon xA1
fromage
ciées par rapport au point inférieur gauche de la boite et celles du second individu
par rapport au point supérieur droit. Sur la figure 1.1, le point A permet ainsi d’iden-
tifier les dotations initiales des individus 1 (Pignon dans notre exemple) et 2 (Perrin
dans notre exemple). Pignon possède alors xA1 kg de fromage et yA1 litres de vin
tandis que Perrin dispose de xA2 kg de fromage et yA2 litres de vin.
Pour compléter la représentation du modèle et visualiser les forces qui motivent
les agents à échanger, il suffit de reprendre la théorie microéconomique standard
du consommateur en ajoutant les préférences individuelles au travers de courbes
d’indifférences 21 . Celles-ci sont représentées de manière classique par rapport au
coin inférieur gauche pour le consommateur 1 tandis que celles du consommateur 2
sont définies par rapport au coin supérieur gauche de sorte qu’un mouvement vers
le bas et la gauche se traduit dans le cadre de préférences « normales » 22 par une
augmentation de son niveau de bien-être. L’optimum d’un consommateur se situe
pour rappel à un point de tangence entre une courbe d’indifférence et la droite de
contrainte budgétaire définie par l’équation 1.1. Comme les agents de notre modèle
doivent potentiellement céder une partie de leurs dotations pour pouvoir acquérir
d’autres biens, ils sont à la fois demandeurs et offreurs. De même, puisqu’il seront
offreur ou demandeur en fonction des termes de l’échange proposés, il se révèle com-
mode de réfléchir pour chaque bien en termes de demande nette, soit la différence
entre demande et offre. Un individu se trouve ainsi demandeur net si, pour des
termes de l’échange e donnés, la quantité demandée est supérieure à sa dotation
initiale. Dans le cas contraire, il sera offreur net ou, dit autrement, il exprimera une
21. Rappelons qu’une courbe d’indifférence représente graphiquement l’ensemble des paniers de
consommation, autrement dit des couples (x, y) dans notre cas, qui apportent le même degré de satis-
faction à l’agent considéré.
22. Pour mémoire, des préférences sont dites « normales » lorsque sont respectés les axiomes, de
complétude, de transitivité, de réflexivité, de monotonicité et de convexité des préférences.
15
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
yB1 b yB2
B
UB1
yA2 b
A U yA2
A1
pour tout panier quelconque B accessible pour l’individu 1 compte tenu des termes
de l’échange et des dotations totales de l’économie. Le membre de gauche exprime
la « valeur » en unités de x (par exemple de kg de fromage) de la dotation de l’indi-
vidu 1 tandis que celui de droite correspond à l’évaluation dans la même unité de la
consommation finale de cet agent. Une telle contrainte budgétaire est représentée
par la droite oblique discontinue sur la figure 1.1.
Du fait de la contrainte budgétaire de chaque individu, la distribution des biens
16
CHAPITRE 1. LE CONCEPT DE MONNAIE ET SON RÔLE
yE1 b
E yE2
vin
UE1
yA2 b
A U yA2
A1
après échange doit nécessairement se trouver le long d’une droite passant par le
point d’équilibre autarcique A, la pente de cette courbe définissant le prix relatif du
litre de vin par rapport au kg de fromage. Dans le cadre de notre modèle d’échange
pur, il convient de noter que les individus ne sont pas preneurs de prix, de sorte que
le terme e est influencé par les demandes nettes de Pignon et de Perrin. La résolu-
tion du modèle est donc obtenue en trouvant la valeur de e qui permet d’obtenir en
un même point la tangence entre une courbes d’indifférence de chaque agent et la
droite d’échange 23 . Comme les termes de l’échange auxquels fait face Pignon sont
nécessairement identiques à ceux rencontrés par Perrin en l’absence de coûts de
transaction ou de système de taxation, on montre que la valeur e∗ est généralement
unique et l’équilibre après échange se trouve donc sur la figure 1.3 au point E cor-
respondant au point de tangence des courbes UE1 et UE2 . Pignon va donc acquérir la
quantité yE1 − yA1 de vin en cédant à Perrin xA1 − xE1 kg de fromage, pour un prix
yE1 −yA1
relatif e∗ égal à xA1 −xE1 .
Il convient de noter que dans notre modèle d’échange pur, seuls comptent les prix
relatifs. Introduisons en effet la monnaie en tant que simple unité de compte. Dans
ce cadre monétaire, en notant px et py les prix respectifs du vin et du fromage, la
contrainte budgétaire de Pignon devient :
23. Notons que ce modèle suppose de manière implicite une relative égalité des partenaires commer-
ciaux dans la fixation des termes de l’échange, de sorte qu’aucun d’entre eux ne soit capable d’imposer
à l’autre des termes de l’échange qui conduiraient pour ce dernier à une situation sous-optimale. On
retrouve bien là avec cette dimension égalitariste le caractère normatif des modèles concurrentiels et
non une description fidèle des conditions de fixation des termes de l’échange dans nombre de situations
réelles.
17
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
py py
xA1 + yA1 = xB1 + yB1 . (1.3)
px px
py
Il s’agit donc d’une expression identique à la contrainte de troc 1.1 avec e = px .
On conçoit en effet facilement pourquoi le troc ne nécessite que la formation de prix
relatifs : un doublement de chaque prix n’affecte en effet ni la pente ni l’ordonnée à
l’origine de la droite de budget. La pente est en effet définie par le rapport des prix
tandis que l’ordonnée à l’origine dépend de la valeur des ressources. Si le prix de
ces dernières double, le « revenu » de l’individu double aussi. Seuls comptent donc
les prix relatifs des biens dans le modèle de troc. On dit alors que les agents ne sont
pas victime d’illusion monétaire puisque la modification des valeurs nominales sans
changement des valeurs réelles ne modifie pas leur comportement
Si, d’un point de vue formel, le système de troc et l’emploi de la monnaie doivent
permettre d’atteindre la situation d’équilibre décrite dans les paragraphes précé-
dents, il y a de fortes raisons de penser que l’équilibre général concurrentiel ne
pourra être atteint avec un système de troc du fait de ses limites pratiques. On peut
en effet recenser des problèmes d’information, d’absence de double coïncidence des
besoins, la possibilité d’obtenir des systèmes de prix non-cohérents, des problèmes
d’indivisibilités des biens et services ou encore de situations de simultanéité des
échanges.
Dans le cas d’une économie simplifiée à deux biens comme celle présentée aupa-
ravant, il faut aussi noter que l’absence de monnaie et le recours au troc ne donnent
pas lieu à un problème informationnel puisqu’un seul prix résume l’information né-
cessaire à la réalisation des échanges. Avec trois biens, par exemple du vin, du fro-
mage et du jambon, on voit que le système se complique puisqu’il est nécessaire de
définir 3 prix relatifs, autrement dit celui du vin par rapport au fromage, celui du
vin par rapport au jambon et enfin celui du fromage par rapport au jambon. Pour n
n(n−1)
biens, on montre qu’il est nécessaire de définir 2 prix relatifs afin que les indi-
vidus puissent bénéficier de toute l’information nécessaire à la réalisation de leurs
choix. D’un point de vue strictement informationnel, le troc se révèle donc parti-
culièrement difficile à gérer puisqu’il nécessite pour les agents le traitement d’une
information pléthorique 24 alors que n prix nominaux suffisent.
24. Par exemple, pour cent biens et services, il serait nécessaire de déterminer 4 950 prix relatifs
alors que 100 prix nominaux suffisent avec l’adoption d’une monnaie de compte.
18
CHAPITRE 1. LE CONCEPT DE MONNAIE ET SON RÔLE
25. C’est à Stanley Jevons que l’on doit la mise en lumière de ce problème d’après Ostroy & Starr
(1990).
19
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
l’échange n’ait pas lieu et que chacun reste sur sa position d’autarcie. De manière
générale, il faut aussi noter que plus le nombre d’individus ne présentant pas de
double coïncidence des besoins est important dans l’économie, plus le nombre d’opé-
rations intermédiaires nécessaires à la réalisation du troc indirect est susceptible
d’être important. En l’absence d’information parfaite sur les dotations et désirs de
chacun, il est donc fort probable que l’opération de troc indirect ne puisse être réali-
sée parce qu’elle met en jeu des coûts de transaction de plus en plus importants tout
en augmentant les risques pour un individu de ne pas obtenir les quantités désirées
pour chaque bien.
Toutefois, même en cas de double coïncidence des besoins, il est possible que le
troc soit sous-optimal du fait d’indivisibilités — on peut difficilement partager un
tableau de maître ou tout autre bien dont la valeur serait fortement diminuée ou
anéantie par la division en plusieurs parties — et du caractère non pérenne de cer-
tain biens — une tarte s’échange beaucoup plus facilement le jour de sa fabrication
que le surlendemain. Pour illustrer le problème lié aux indivisibilités, supposons que
Pignon souhaite acquérir auprès de Perrin des chèvres en l’échange de chemises.
Imaginons que les termes de l’échange soient de une chemise et demi contre une
chèvre. Dans la mesure où une demi-chemise ne présente qu’une utilité très limité,
on en conclut que Perrin n’acceptera sans doute pas de céder une chèvre puisqu’il
n’obtiendra en échange qu’une seule chemise utilisable. Pour accroître sa dotation
en chèvres, Pignon va devoir donc en acquérir deux unités au prix de trois chemises.
Il est toutefois possible qu’un tel échange laisse Pignon ou Perrin avec un degré de
satisfaction moindre qu’avant échange de sorte qu’il soit préférable pour lui d’en
rester à la situation initiale. En l’absence de monnaie, il serait évidemment possible
que Pignon paie directement une chemise à Perrin pour obtenir sa chèvre et recon-
naisse une dette d’une moitié de chemise valable pour des transactions ultérieures
(par exemple pour la prochaine chèvre pour laquelle Perrin pourrait recevoir deux
chemises) mais le respect des engagements tenus peut être lui-même source de pro-
blèmes. Si la monnaie, parfaitement divisible, permet de régler ce problème, il faut
néanmoins souligner que l’échange n’implique pas nécessairement la cession d’un
bien puisqu’il est toujours possible de louer les services de ce bien. Ainsi, l’entrepre-
neur qui a besoin d’un véhicule peut parfaitement louer un véhicule pour la moitié
de la durée de vie théorique de celle-ci au lieu de l’acheter, de sorte que les indivisi-
bilités ne posent de problème que si les individus sont intéressés non seulement par
l’utilité ou les services procurés par le bien, mais aussi par sa propriété.
Notons aussi que l’on peut se demander, dans la situation où le troc spéculatif
n’est pas possible, si le troc direct débouche nécessairement sur l’obtention d’un sys-
tème de prix relatif cohérent. Pour illustrer cela, imaginons que l’on ait à nouveau
trois bien, à savoir le le vin, le fromage et le jambon, et six agents tels que l’on ait
pour chaque couple de bien un couple d’agent vérifiant la condition de simultanéité
20
CHAPITRE 1. LE CONCEPT DE MONNAIE ET SON RÔLE
26. Pour illustrer ce problème, Ostroy & Starr (1990) proposent la parabole des deux vieillards.
Ces individus sont supposés n’avoir que de besoins d’échange très limités aussi bien entre eux qu’avec
l’extérieur. En fait ces échanges se limitent à des dîners qu’ils s’accordent pour organiser tour à tour
à cause des coûts et de la fatigue que ces repas engendrent. Néanmoins la fréquence irrégulière de
ces repas et les problèmes de mémoires des deux vieillards aboutissent quelques fois à des disputes
sur l’identité de celui qui doit organiser le prochain dîner. De telles disputes ont pour conséquence de
diminuer la fréquence des rencontres entre les deux vieillards. Pour résoudre le problème, l’un décide
de prendre une pierre, de la peindre de manière à la rendre unique et de la donner à l’autre au cours
du prochain repas organisé par ce dernier. La pierre permet ainsi à son possesseur de se rappeler que
c’est à l’autre d’organiser le prochain repas et de pouvoir le prouver si nécessaire en exhibant la pierre
peinte.
Cette parabole, montre ainsi que la monnaie est un instrument simple mais efficace de conserva-
tion des transactions passées. Dans le cas présent, la monnaie (la pierre peinte) indique simplement
que son possesseur est celui qui a donné le dernier dîner. Le paiement du dîner par celui qui est invité
est simplement un moyen de transférer cette information.
21
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
rin pouvant être de se délier de ses engagements, le troc ne peut logiquement être
effectué que s’il existe un arbitre disposant d’un pouvoir coercitif pour s’assurer de
l’exécution de ses engagements par chacun des contractants. Or il est probable que
le recours à cet arbitre soit coûteux, ce qui peut empêcher la réalisation de transac-
tions de faible valeur lorsque ce coût est fixe. En définissant une valeur stable et
unanimement reconnue pour le règlement de toute dette dans une économie don-
née et en séparant les échanges réciproques réalisés au travers du troc, la monnaie
permet de résoudre ces problèmes sans coût 27 .
Une part importante du projet scientifique des auteurs classiques visait à ré-
futer la théorie mercantiliste selon laquelle la richesse d’une nation consistait en
la quantité de monnaie, autrement dit le métal précieux à l’époque, qu’elle parve-
nait à accumuler, notamment à l’aide du commerce extérieur 28 . En s’intéressant
à une économie de troc et en montrant qu’une telle économie était simultanément
viable et permettait de rendre compte d’un certain nombre de comportements éco-
nomiques observés, les classiques réussissaient dans leur entreprise en révélant la
nature réelle de la richesse. De fait, si la monnaie existe bien, on peut finalement
considérer son rôle comme mineur pour la détermination de l’équilibre réel et s’en
tenir pour décrire la nature des échanges marchands à la loi des débouchés énoncée
par Jean-Baptiste Say 29 , selon laquelle « les produits s’échangent contre des pro-
duits » et la monnaie n’apparaît donc que comme un voile permettant la réalisation
effective des échanges.
La formalisation par Léon Walras 30 au XIXe siècle d’un modèle de troc similaire
dans l’esprit à celui dont nous avons offert une représentation graphique dans la
section précédente, permit alors de souligner l’importance des prix relatifs dans la
détermination de l’équilibre entre offre et demande sur chaque marché. Néanmoins,
il restait que la monnaie ne pouvait être totalement rejetée de l’analyse puisqu’il
existait bien une offre et une demande pour cette dernière. Walras proposa donc de
compléter le modèle en intégrant la théorie dominante à l’époque en matière moné-
22
CHAPITRE 1. LE CONCEPT DE MONNAIE ET SON RÔLE
La théorie quantitative de la monnaie constitue sans doute une des plus vieilles
et des plus vivaces théories énoncées dans la littérature économique. Bien que la
formalisation de cette théorie soit généralement attribuée à Irving Fisher 33 , il est
courant d’accorder l’origine de la théorie quantitative de la monnaie dans la ré-
ponse de Jean Bodin 34 au paradoxe de Malestroict au milieu du XVIe siècle. À cette
époque, on relève en effet une hausse importante et persistante du prix des biens
et services. Mandaté par Charles IX pour vérifier la réalité de la chose — rappelons
31. Évoquant ses convictions durant ses jeunes années en tant qu’économiste, Samuelson (1968),
précise tout de même que les auteurs classiques et néo-classiques distinguaient nettement les aspect
qualitatifs et quantitatifs de la monnaie : « selon notre théorie qualitative, la monnaie n’était pas
neutre ; elle faisait une énorme différence. Pitié soit du pays qui dépende encore du troc, puisque
son système économique ne sera pas efficace. Mais dès lors que ce bénéfice qualitatif a été acquis
par l’adoption de structures de marché employant M [Ndt : la monnaie], le niveau quantitatif de M
n’avait pas d’importance particulière [. . .]. Nous aimions l’image de John Stuart Mill selon laquelle la
monnaie est un lubrifiant de l’industrie et du commerce. Comme même les conductrice le savent, la
lubrification est importante [sic]. Mais M est du point de vue quantitatif un lubrifiant spécial : une
goutte est aussi efficace qu’une pleine piscine. Par conséquent, une image encore meilleure que celle
de Mill était celle-ci : la monnaie est comme un catalyseur dans une réaction chimique, qui permet à la
réaction de se produire mieux et plus rapidement, mais qui, à l’instar de l’huile qui sauva le prophète
Élie, ne s’épuise jamais. En poussant l’analogie au delà du raisonnable, seul un iota du catalyseur est
nécessaire pour le processus ».
32. Bien que la théorie quantitative de la monnaie ait d’abord été formulée par des mercantiliste,
celle-ci participe pleinement au combat des classiques contre la pensée mercantilistes. En effet, si
l’accumulation d’or sur le territoire national se traduit uniquement par une hausse de prix, il n’est de
touté évidence pas possible de justifier l’accumulation de monnaie puisque l’on parviens finalement
qu’à déprécier le pouvoir d’achat de celle-ci.
33. Irving Fisher est un économiste américain de la fin du XIXe siècle et du début du XXe. Outre
la théorie quantitative, il proposa une théorie des taux d’intérêts liés à la préférence pour le présent
ainsi qu’une théorie de la déflation-dette. Moins reluisant, il fut président fondateur de la Société
Américaine d’Eugénisme.
34. Jean Bodin est un juriste français de la première moitié du XVIe siècle. Outre sa contribution à
l’analyse économique, il rédigea un certain nombre d’ouvrages en droit et en astrologie.
23
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
qu’il n’existe pas d’appareil statistique à l’époque — et d’en déterminer les éven-
tuelles causes, Malestroict arrive à la conclusion que les biens ne se sont en fait pas
enchéris depuis au moins 300 ans. En France, la monnaie utilisée alors pour défi-
nir les prix est la livre tournois, mais cette dernière ne sert que d’unité de compte
puisque les règlements sont effectués à l’aide de nombre de pièces d’or et d’argent
de poids et d’origine diverses. La valeur de la livre tournois était définie en rapport
à un poids fixe en argent, la valeur de ce dernier étant elle-même fixée par rapport
à l’or selon un certain rapport de poids. Néanmoins, la valeur de la livre tournois a
progressivement été érodée au cours du temps. Afin de diminuer la valeur réelle de
leurs dettes, stipulées en livre tournois et non en métal précieux, les rois de France
ont en effet régulièrement révisé à la baisse la quantité d’argent fin nécessaire à la
fixation de la valeur de la livre tournois. Les dettes du royaume présentaient ainsi
la même valeur nominale mais pouvaient être remboursées avec une quantité d’or
ou d’argent plus faible. Malestroict établit sa conclusion en montrant que les prix
des biens en métal précieux, autrement dit la valeur réelle, sont restés relativement
stables alors même que la dépréciation de la livre tournois a conduit à en augmenter
les prix nominaux. En effet, si la valeur d’un kg de fromage en or est laissée inchan-
gée et qu’un plus grand montant en livre tournois est nécessaire pour aquérir une
certaine quantité d’or, il est logique de voir le prix du fromage augmenter lorsqu’il
est libellé en livre tournois.
Jean Bodin conteste les conclusions de Malestroict et plus particulièrement l’hy-
pothèse selon laquelle la valeur des marchandises en métal précieux serait res-
tée inchangée. Parmi l’ensemble des causes citées 35 , Bodin insiste notamment sur
l’accroissement important des quantités de métaux précieux en circulation en Eu-
rope qui trouve son origine dans des afflux importants en provenance des provinces
latino-américaines récemment conquises. L’apport de Bodin à la théorie quantita-
tive se trouve donc le lien étroit qu’il pointe entre quantité de monnaie (en tant
qu’instrument de paiement, donc les pièces d’or et d’argent dans notre cas) et ni-
veau général des prix 36 .
On peut à nouveau utiliser la boîte d’Edgeworth pour illustrer ce résultat, en
considérant i) que le bien x est un métal précieux utilisé comme moyen de paiement
et comme numéraire, et ii) que cette monnaie entre directement dans la fonction
d’utilité des individus, ce qui est facilement acceptable dans le cas d’une monnaie
marchandise comme l’or 37 . On part donc d’une situation d’équilibre initial caractéri-
35. Dans son essai, Bodin cite aussi la présence des monopoles, les rationnements de l’offre liés aux
tarifs commerciaux et les tensions sur la demande provoquées par les consommations de la noblesse.
36. Il semble toutefois que l’on retrouve déjà cette idée de relation entre niveau des prix et stock de
métal précieux chez certains auteurs grecs comme Aristote et Xénophon.
37. Il s’agit bien d’une utilité propre de la monnaie puisque les autres biens sont explicitement
introduits dans la fonction d’utilité des individus, de sorte que l’utilité de la monnaie ne puisse être
assimilée à une utilité du revenu. Précisons aussi que le modèle utilisé ne se prétend pas être une
démonstration de la théorie quantitative telle qu’employée par les classiques puisque ces auteurs
24
CHAPITRE 1. LE CONCEPT DE MONNAIE ET SON RÔLE
0 0
UE1
b
G
b b
F
vin
E UG1
UF 1
px p′x
py p′y
UE2 UG2 UF 2
0
or
F IGURE 1.4 – Les effets de la hausse de la quantité de métal précieux.
px
sée par le point E et le système de prix relatifs py = a où a est une constante positive
quelconque. On peut noter que x étant utilisé comme numéraire, son prix est natu-
px
rellement fixé à 1. Le prix nominal du bien y est donc logiquement py = a = a1 . Dans
notre cas de figure, l’introduction d’une quantité supplémentaire de métal précieux
se traduit par un élargissement de la boîte d’Edgeworth puisque la dotation en bien
x a augmenté. Il est alors important de noter que cet élargissement se traduit par
une modification de l’origine pour Perrin. On suppose finalement que cet apport
de métal précieux est réparti d’une manière quelconque entre Pignon et Perrin —
on pourrait remplacer nos deux individus par la France et l’Espagne afin de nous
adapter à la réalité du problème abordé par Bodin —, de sorte que les quantités dé-
tenues par chacun en bien x ne diminuent pas par rapport à la situation d’équilibre
initial E.
Du fait de leurs préférences, il est fort probable que ces nouvelles dotations de
Pignon et de Perrin, représentées par le point E ′ sur la figure 1.4, ne correspondent
pas à une situation optimale pour le système de prix en vigueur avant croissance
du stock de métal précieux 38 . Les mécanismes traditionnels de marché se mettent
en œuvre et l’on démontre que la convexité des préférences individuelles se tra-
duit par la fixation d’un nouvel optimum G caractérisé par un niveau de prix re-
p′x px
latif p′y < py . L’intuition derrière ce résultat est la suivante : comme la convexité
des courbes d’indifférence traduit l’hypothèse de décroissance du taux marginal de
substitution entre les deux biens, une augmentation de la disponibilité du bien x ré-
duit les utilités marginales de Pignon et de Perrin vis-à-vis de ce bien toutes choses
25
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
égales par ailleurs. Comme l’équilibre correspond à une situation où le niveau rela-
tif des prix est égal au rapport des utilités marginales correspondant aux quantités
consommées, la baisse de dernier ratio entraîne nécessairement celle du prix rela-
tif 39 .
D’autres auteurs majeurs comme John Locke 40 , David Hume 41 , David Ricardo 42 ,
ou encore John Stuart Mill 43 , ont par la suite exprimé l’idée d’une relation de pro-
portionnalité entre masse monétaire, autrement dit la quantité de monnaie, et ni-
veau des prix. Par exemple, Hume résume cette théorie au travers de la fiction sui-
vante :
Supposons que, par miracle, on glisse cinq livres dans les poches de chaque
individu en Grande Bretagne en une nuit ; ceci ferait plus que doubler la
quantité de monnaie actuelle dans le royaume ; il n’y aurait pourtant ni
le jour suivant, ni pour un certain temps, plus de prêteurs ou de variation
dans l’intérêt. Et, s’il n’y avait que des propriétaires fonciers et des pay-
sans dans le pays, cette monnaie [. . .] ne servirait jamais qu’à augmenter
le prix de toute chose, sans aucune autre conséquence.
Pour exprimer cette relation, nous pouvons, à l’instar des auteurs classiques,
nous appuyer dans un premier temps sur une caractéristique d’équilibre de l’écono-
mie, à savoir la nécessaire égalité entre flux monétaires et flux réels marchands. Mill
énonce ainsi que « la monnaie dépensée est égale en valeur aux marchandises qu’elle
achète ». Il est ici important de souligner que Mill parle de monnaie dépensée et non
de monnaie en circulation. Il note ainsi qu’une unité monétaire peut-être employée
plusieurs fois lors de la période d’intérêt et recours donc implicitement au concept
de vitesse de circulation de la monnaie, précédemment introduit dans la littérature
39. L’histoire ne s’arrête bien évidemment pas là puisque le rapport des utilités marginales pour
Pignon en F n’est a priori pas identique à celui de Perrin au même point. Dans la mesure où Perrin
et Pignon font nécessairement face aux mêmes termes de l’échange (c-à-d le prix relatif), quantités
consommés et prix vont à nouveau s’ajuster jusqu’à la situation d’équilibre G caractérisée par la triple
égalité entre prix relatifs, rapport des utilités marginales de Pignon et rapport des utilités marginales
de Perrin
40. John Locke est un philosophe et médecin anglais du XVIIe siècle. Considéré comme le père
du libéralisme (politique), il est l’un des auteurs les plus influents des Lumières. D’un point de vue
économique, il s’inscrit essentiellement dans la pensée mercantiliste.
41. David Hume est un philosophe et historien écossais du XVIIIe siècle. Hume inscrit sa vision
d’une relation entre quantité de monnaie et niveau des prix dans le cadre d’une théorie du commerce
internationale visant à réfuter les thèses mercantilistes.
42. David Ricardo est un économiste, agent de change et homme politique anglais des XVIIIe et
XIXe siècles. Il est particulièrement difficile de recenser les contributions de Ricardo à l’analyse éco-
nomique tant elles furent nombreuses. On lui doit notamment la théorie des avantages comparatifs
en commerce international, celle de l’équivalence entre impôt et endettement en finances publiques
ainsi qu’une théorie de la rente. En outre, on retrouve les prémices d’un raisonnement à la marge dans
certaines de ses analyses comme celle de la rente.
43. John Stuart Mill était un philosophe, logicien et économiste anglais du XIXe siècle. Connu sur-
tout pour ses développements de la théorie utilitariste — son parrain n’était autre que Jeremy Ben-
tham, père de l’utilitarisme —, il contribue aussi à l’élaboration d’une théorie falsificationniste sur
laquelle se fonde la démarche scientifique actuelle et apporte des contributions importantes aux théo-
ries du commerce.
26
CHAPITRE 1. LE CONCEPT DE MONNAIE ET SON RÔLE
M v = pT, (1.4)
Mf vf + Ms vs = pT, (1.5)
44. Richard Cantillon est un auteur franco-irlandais du XVIIIesiècle et rattaché, comme David
Hume, au courant mercantiliste.
45. Fisher supposait par la suite qu’il existait une relation stable de proportionnalité entre formes fi-
duciaires et scripturales de la monnaie, de sorte que l’on peut se limiter à l’analysee de l’équation (1.4).
27
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
M v Mv
dp = dv + dM − 2 dT. (1.6)
T T T
28
CHAPITRE 1. LE CONCEPT DE MONNAIE ET SON RÔLE
les prix au fur et à mesure que la monnaie se diffuse au travers de l’échange mar-
chand. Ceci s’explique simplement par l’hétérogénéité des préférences individuelles
qui implique que les individus recevant en premier la monnaie additionnelle n’in-
fluenceront pas les demandes agrégées de biens et services de la même manière que
les suivants. Les premières hausses de demande se traduisent par une hausse du
prix des biens considérés et éventuellement par une augmentation des quantité pro-
duites, procurant ainsi des recettes additionnelles aux agents offrant ces biens. Du
fait de ces hausses de revenus, ces agents vont à leur tour accroître leurs demandes
de biens et services, donnant lieu à de nouvelles hausses de prix et éventuellement
de la production. Or dans une économie en plein emploi, il n’est pas possible d’aug-
menter le niveau de production pour chaque bien et service. Le mécanisme se pour-
suit donc jusqu’à provoquer in fine une augmentation proportionnelle des demandes
agrégées et donc du niveau général des prix. On observe donc une distorsion dans
la structure des prix relatifs et donc logiquement dans la composition du produit
agrégé, sauf si l’injection de monnaie est réalisée de manière neutre, autrement dit
en multipliant dans une même proportion les avoirs monétaires de chaque agent.
Hume propose un mécanisme distinct. Partant de l’idée que l’injection de mon-
naie dans l’économie accroît la demande globale, ce qui implique une augmentation
du niveau d’emploi, l’entrée de monnaie doit se traduire dans un premier temps par
une augmentation de la production dans certaines industries. La hausse des prix se
manifeste in fine lorsque les entreprises font face à une pénurie de main d’œuvre
et que les travailleurs sont en mesure de réclamer des augmentations de salaire.
L’effet sur la production n’est donc que temporaire et dépend de l’existence de ca-
pacités de production inemployées 46 . Ainsi selon Hume (repris dans Blaug, 1998,
ch. 1.7, p. 27) « au début [d’une injection de monnaie], aucune variation n’est per-
çue ; les prix s’élèvent progressivement, d’abord celui d’une marchandise, puis celui
d’une autre ; jusqu’à ce que finalement l’ensemble atteigne une proportion juste de
la nouvelle quantité de monnaie présente dans le Royaume. À mon avis, c’est seule-
ment pendant cet intervalle entre le moment de l’acquisition de la monnaie et celui
de la hausse des prix, que la croissance du stock d’or et d’argent est favorable à
l’industrie ».
Finalement, Fisher reprend l’idée d’une augmentation de la demande, donc des
prix, consécutive à l’augmentation de la quantité de monnaie. Pour les effets réels de
court terme, il s’appuie en revanche sur un décalage temporel entre investissement
et consommation. En supposant que les taux d’intérêts s’ajustent moins rapidement
que les autres prix 47 , la hausse de ces derniers améliore les perspective de pro-
46. On peut noter que Hume anticipait finalement la pensée keynésienne en envisageant la possi-
bilité de capacités de production inemployées dans l’économie.
47. Plus précisément Fisher émet l’hypothèse que les agents fixent un taux d’intérêt nominal qui
prend en compte le niveau anticipé d’inflation. Les agents sont donc bien rationnels puisqu’ils rai-
sonnent en termes réels, mais Fisher pense qu’ils ont du mal à ajuster correctement les taux nomi-
29
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
fit des entreprises. Tant que les taux d’intérêts restent inchangés, l’investissement
devient donc plus profitable, ce qui favorise son expansion. À terme, les épargnants
réagissent et demandent des intérêts plus importants, ce qui rééquilibre la situation
au niveau de la sphère réelle et permet de retrouver l’équilibre initial. En revanche,
le niveau général des prix aura lui augmenté conformément à l’intuition quantitati-
viste.
naux aux variations de prix car ils ne parviennent pas à apprécier correctement et instantanément
ces dernières.
48. On résume ainsi souvent la loi de Say par la maxime « l’offre crée sa propre demande ». L’expres-
sion n’est pourtant pas de Say mais de Keynes qui cherchait à l’attaquer dans sa « Théorie générale
de l’emploie, de l’intérêt et de la monnaie ».
30
CHAPITRE 1. LE CONCEPT DE MONNAIE ET SON RÔLE
Notons que la loi de Say ne réfute pas la possibilité d’un excès d’offre ou de de-
mande sur un marché particulier considéré indépendamment du reste de l’économie.
Néanmoins, ce raisonnement ne peut être étendu à l’ensemble des marché, autre-
ment dit en tenant compte des interdépendances entre ces marchés. En effet, la
demande agrégée ne peut être traitée de manière exogène par rapport à l’offre agré-
gée puisque celle-ci créé les revenus nécessaires à la formation de cette demande ; de
fait, une surproduction générale est impossible 49 . Par conséquent, vendre un pro-
duit pour obtenir de la monnaie puis utiliser cette monnaie pour acquérir un autre
bien ou service revient à échanger des produits contre d’autres. On peut dès lors
dire, comme Arthur Pigou le résuma ultérieurement, que la monnaie n’est qu’un
voile qui masque la réalité des échanges ou, comme Jean-Baptiste Say, affirmer que
la monnaie est une simple « voiture de la valeur des produits ». Si les individus ne
détiennent pas de la monnaie pour elle-même, il faut toutefois faire abstraction du
temps puisque la monnaie permet de décaler les achats dans le temps. La loi des
débouchés nous place donc dans le long terme. Ceci explique que le modèle pré-
senté dans les prochaines pages ne permette pas de mettre en évidence les effets
réels mentionnés à court terme par les auteurs classiques. Comme le modèle ne
permet qu’une analyse en statique comparative, les dynamiques d’ajustement des
différentes variables du modèle ne peuvent être appréciées et seuls subsistent les
effets de long terme.
Pris sous son acceptation la plus rigide, autrement dit qu’il n’existe jamais de
déséquilibre sur le marché de la monnaie puisque le produit de chaque vente est
« immédiatement » employé pour l’achat d’autres biens et services, la loi de Say
prend la forme de ce qu’il est convenu d’appeler l’identité de Say 50 . L’identité de
Say débouche immédiatement sur un postulat d’homogénéité de degré zéro (voire
annexe B pour un rappel sur les fonctions homogènes) par rapports aux prix pour
les fonctions d’offre et de demande de biens et services. Cette hypothèse vise notam-
ment à défendre l’idée que les individus ne sont pas victime d’illusion monétaire.
On dit qu’un agent économique est victime d’illusion monétaire lorsqu’il modifie son
comportement suite à une modification des valeurs nominales n’entraînant pour-
tant pas de déformation dans la structure des prix relatifs. Le postulat d’homogé-
néité permet de s’assurer que les agents raisonnent en termes réels et non nominaux
puisqu’une hausse uniforme de l’ensemble des prix ne modifie pas le niveau des de-
mandes et offres de biens et services. Ce postulat est donc l’expression classique de
la rationalité supposée des agents économiques. Si l’on considère une économie avec
49. Sur ce sujet, on peut citer Blaug (1998, ch.5.1, p.182) : « on ne doit pas dire « surproduction
généralisée » ou « insuffisance générale de production » car il s’agit d’une impossibilité logique. Mais
il est évident que ce n’est une impossibilité logique que dans une économie de troc. La surproduction
doit être relative à quelque chose et, en parlant de tous les biens de l’économie sans mentionner la
monnaie, nous avons exclu la seule chose par rapport à quoi il peut y avoir de surproduction. ».
50. La distinction entre identité de Say et égalité de Say que nous présenterons plus loin est due à
Baumol & Becker (1952). Pour plus de détails sur cette distinction, voir Blaug (1998, ch. 5).
31
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
e
En choisissant par exemple λ = p−1
m , autrement dit en choisissant le m bien
comme numéraire, on obtient :
p1 pm−1 p1 pm−1
Dij (p1 , . . . , pm ) = Dij ,..., , 1 = Dij ,..., , (1.9)
pm pm pm pm
p1 pm−1 p1 pm−1
Sij (p1 , . . . , pm ) = Sij ,..., , 1 = Sij ,..., . (1.10)
pm pm pm pm
Le postulat d’homogénéité de degré zéro par rapport aux prix implique donc que,
de manière similaire au modèle de troc, seuls les prix relatifs des biens interviennent
dans la détermination de l’équilibre dans la sphère réelle. De plus, les valeurs des m
fonctions d’offres et de demandes ne sont déterminées que par m − 1 prix (relatifs).
L’autre pilier du modèle dichotomique, loi de Walras, est un peu le pendant éco-
nomique de la maxime de Lavoisier selon laquelle « rien ne se perd, rien ne se créé,
tout se transforme ». La loi de Walras stipule en effet que, à l’équilibre général, ex-
cès d’offre et excès de demande se compensent sur l’ensemble des marchés. Pour m
marchés dans l’économie, la loi de Walras implique donc que si l’on observe un excès
d’offre pour m − 1 marchés, on doit avoir un excès de demande de valeur équivalente
sur le me marché. En termes formels, en notant Dj et Sj les fonctions de demande
et d’offre agrégées sur le marché du bien j, on doit donc avoir m
P
j=1 pj Dj − Sj = 0.
Un corollaire évident de cette loi est que l’équilibre sur m − 1 marchés implique né-
cessairement l’équilibre sur le dernier marché ( j6=k pj Dj − Sj = 0 implique donc
P
Dk − Sk = 0).
Au final, la transcription par Léon Walras du modèle classique résume le rôle de
la monnaie au travers d’un modèle en deux étapes qui plaque plus qu’il ne l’intègre
la monnaie dans l’économie. Pour présenter ce modèle classique, on considère comme
dans la section 1.2.1 une économie d’échange pur 51 , de sorte que les n individus de la
société sont chacun initialement dotés d’un ensemble de m biens qui ne correspond
pas nécessairement à un optimum tel que défini par leurs préférences. De manière
parfaitement arbitraire, considérons que le me correspond à la monnaie. Le prix
nominal de chaque bien j est noté pj et p := {p1 , . . . , pj , . . . , pm−1 , 1} est le vecteur
obtenu à partir de ces m valeurs pour décrire le système de prix auxquels font faces
les différents agents de l’économie. Puisque le me bien est la monnaie, il est naturel
51. Les questions de production sont donc exclues de l’analyse, mais on peut aisément les intégrer
dans le modèle en augmentant le nombre de marchés considérés. Les résultats ne sont toutefois pas
affectés par cette modification.
32
CHAPITRE 1. LE CONCEPT DE MONNAIE ET SON RÔLE
m−1
X
pj Xj (p) + Xm (p) = 0, (1.13)
j=1
52. Cette restriction n’est pas nécessaire en fait. Patinkin (1948, 1949, 1965) distingue ainsi les
fonctions d’unité de compte et de moyen de paiement. Dans ses démonstrations, le me bien est alors le
numéraire et le m − 1e est le moyen de paiement. Ceci l’amène à distinguer les prix en numéraires, les
prix en moyens de paiement et les prix relatifs des autres biens entre eux.
53. D’un point de vue technique, ces demandes nettes dépendent évidemment d’autres variables
comme les dotations initiales, mais ces éléments peuvent être omis ici afin de clarifier l’exposé.
54. Bien que l’objet de cette section ne soit pas l’étude du système d’équilibre général walrassien,
il peut être important de rappeler les hypothèses qui permettent au modèle walrassien d’aboutir à
un équilibre unique et économiquement significatif. Il est ainsi nécessaire que « (1) les rendements
d’échelle soient constants ou décroissants ; (2) qu’il n’y ait pas de produits joints ou d’effets externes
soit dans la production, soit dans la consommation ; et (3) que tous les biens soient des substituts bruts,
les uns des autres, en ce sens que la hausse du prix d’un bien produise une demande excédentaire pour
l’autre ; et (4) il existe des marchés à terme pour tous les biens et services finaux » (Blaug, 1998, p.708).
33
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
soit :
m−1
X
Xm (p) = − pj Xj (p). (1.14)
j=1
Autrement dit, la loi de Walras implique que la demande nette de monnaie est
égale à la valeur des offres nettes observées sur les marchés des autres biens et ser-
vices. Si l’on émet l’hypothèse que le marché de la monnaie ne soit pas équilibré, soit
Xm 6= 0, il existerait alors nécessairement un déséquilibre sur le marché des biens.
Une demande excédentaire de monnaie devrait ainsi être compensée par une offre
globale excédentaire au niveau des autres biens. Or l’identité de Say exclut de telles
situations puisqu’elle implique que les individus maintiennent in fine constant le
niveau de leurs encaisses monétaires 55 . En d’autres termes, le marché de la mon-
naie doit par définition toujours être équilibré. L’utilisation de l’identité de Say se
traduit donc par la décomposition suivante de la condition d’équilibre global :
Pm−1 p X (p) = 0,
j=1 j j
(1.15)
X (p) ≡ 0.
m
Ce résultat est cohérent avec la condition d’homogénéité de degré zéro par rap-
port aux prix énoncé plus haut pour les fonctions d’offre et de demandes des m − 1
premiers biens et que l’on retrouve naturellement avec les fonctions de demande
nette 56 . On peut dès lors exprimer les demandes nettes individuelles et agrégées
en fonction des prix relatifs
par rapport au prix de l’un des m − 1 premiers biens,
p1 pm−2 pm−1
donc par exemple Xj pm−1 , . . . , pm−1 , pm−1 = 1 , j = 1, . . . , m − 1, au niveau agrégé
pour λ = p−1
m−1 . Cette propriété est bien conforme à l’esprit de la loi des débouchés
lorsque celle-ci est résumée dans la maxime « les produits s’échangent contre des
produits ». Pour déterminer l’équilibre au niveau de la sphère réelle, il suffit donc de
déterminer m − 2 prix relatifs. La condition d’équilibre global dans la sphère réelle
permettant de se limiter à l’étude de m − 2 marchés, le système est parfaitement
identifié puisque l’on dispose de m − 2 équations indépendantes pour m − 2 incon-
34
CHAPITRE 1. LE CONCEPT DE MONNAIE ET SON RÔLE
nues, soit :
p1 pm−2
X1 , . . . , pm−1 = 0,
pm−1
X2 p1 , . . . , pm−2 = 0,
pm−1 pm−1
.. (1.16)
.
Xm−2 p1 , . . . , pm−2 = 0.
pm−1 pm−1
Tout comme avec la boîte d’Edgeworth, on démontre que l’équilibre atteint est
unique et stable. À ce stade de la résolution du modèle, on connaît donc l’ensemble
des prix relatifs d’équilibres et on peut par conséquent déterminer les offres et de-
mande de chaque individu sur les m − 1 premiers marchés. L’exemple 1 permet
d’illustrer ce processus de détermination de l’équilibre dans la sphère réelle.
Exemple 1 : Nous reprenons ici une illustration proposée par Archibald & Lipsey (1958).
Supposons une économie avec deux biens et monnaie. Écartons provisoirement la monnaie
et supposons que les fonctions de demande, d’offre et de demande nette sur chaque marché
soient respectivement :
p2 p1 p2 p1
D1 (p1 , p2 ) = 4 S1 (p1 , p2 ) = 16 X1 (p1 , p2 ) = 4 − 16 , (1.17)
p1 p2 p1 p2
p1 p2 p1 p2
D2 (p1 , p2 ) = 8 S2 (p1 , p2 ) = 2 X2 (p1 , p2 ) = 8 − 2 . (1.18)
p2 p1 p2 p1
On peut aisément vérifier que ces équations simples correspondent à des demandes dé-
∂pi < 0 et ∂pi > 0, ∀i = 1, 2)
croissantes et des offres croissantes du prix du bien considérés ( ∂Di ∂Si
et que les deux biens sont des substituts à la consommation et à la production ( ∂D ∂pj > 0 et
i
∂pj < 0, ∀i 6= j). On peut aussi observer que ces différentes fonctions respectent la propriété
∂Si
d’homogénéité de degré zero par rapport aux prix. L’équilibre général walrassien est obtenu
pour le prix pp12 tel que :
X (p , p ) = 0
1 1 2
(1.19)
X2 (p1 , p2 ) = 0
Puisque nous avons par hypothèse équilibre dans la sphère réelle (identité de Say) et
que la loi de Walras stipule que l’équilibre sur le marché du bien 1 implique l’équilibre sur
le marché du bien 2, nous pouvons nous limiter à l’étude la première équation, soit :
p2 p1
4 − 16 = 0, (1.20)
p1 p2
p2 p1
⇒ =4 , (1.21)
p1 p2
2
p1 1
⇒ = , (1.22)
p2 4
p1 1
⇒ = . (1.23)
p2 2
La résolution de cette équation nous indique donc que le prix du bien 1 doit être moitié
35
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
de celui du bien 2 pour que le marché du bien 1 soit équilibré. On peut alors vérifier que ce
prix relatif permet aussi d’équilibrer le marché du bien 2.
pT
MD = . (1.24)
v
Comme la monnaie a pour propriété que chaque unité peut être « consommée » à
plusieurs reprises puisqu’elle n’est pas nécessairement détruite au terme de son uti-
lisation, il est intéressant de noter que la demande nette de monnaie exprimée dans
le modèle walrassien correspond à de la monnaie dépensée plus qu’aux quantités de
pièces et de billets en circulation. Elle intègre donc implicitement la vitesse de cir-
culation, soit Dm = vM D . Dans le cadre de notre présentation, la valeur monétaire
des biens échangés pT est m−1
Pn + +
i=1 Xij où Xij renvoie la valeur Xij si l’indi-
P
j=1 pj
vidu exprime une demande nette positive 57 (autrement dit un excès de demande
par rapport à l’offre individuelle) et 0 sinon. Pour que le marché de la monnaie soit
équilibré, on doit donc résoudre :
m−1 n m−1 n
X X
+
X pj X
+
vM S = Sm = pj Xij = pm−1 Xij . (1.25)
pm−1
j=1 i=1 j=1 i=1
36
CHAPITRE 1. LE CONCEPT DE MONNAIE ET SON RÔLE
du prix de ce bien 58 , on peut calculer une valeur générale de la monnaie (par rapport
donc à tous les bien) en retenant l’inverse du niveau général des prix.
Exemple 2 : Reprenons la suite de l’exemple 1 en supposons que dans notre économie les
agents ne soient jamais simultanément offreur et demandeur du même bien, de sorte que
la demande nette d’un agent soit strictement égale à sa demande. Le montant (en quan-
tités physiques) des transactions réalisées sur chaque marché peuvent alors être appré-
ciées directement à partir valeurs prises par les fonctions de demande agrégées. Les ré-
sultats
obtenus
dans l’exemple 1 montrent
alors que les niveaux de demande sont égaux à
−1
D1 pp12 = 21 = 4 × 21 = 8 et D1 pp12 = 12 = 8 21 = 4.
Supposons maintenant que la quantité de monnaie en circulation soit égale à 100e et
que la vitesse de circulation soit égale à 1, 6. L’équilibre du marché monétaire défini par
l’équation des échanges aboutit à la relation :
p1 1 p1 1
M̄ v = p1 D1 = + p2 D 2 = , (1.27)
p2 2 p2 2
⇒ 100 × 1, 6 = p1 × 8 + p2 × 4. (1.28)
(1.29)
Or, puisque pp12 = 12 , nous avons p2 = 2p1 . La dernière équation de notre équilibre moné-
taire peut donc être présentée sous la forme :
Ce qui est saisissant avec ce modèle d’équilibre général dichotomique, c’est que la
monnaie n’intervient nullement dans la détermination des prix relatifs et des quan-
tités échangées. En quelque sorte, l’économie fonctionne comme dans une économie
de troc où l’ensemble des obstacles liés à cette pratique auraient été levés. En ce sens
il existe donc une dichotomie entre sphères réelles et monétaires puisque le niveau
de la masse monétaire ne sert qu’à déterminer les prix absolus des biens échangés à
long terme. Plus précisément, la monnaie intervient principalement dans le modèle
comme unité de compte et, s’il est généralement supposé de manière implicite que
les agents vont utiliser la monnaie — peut importe d’ailleurs qu’il s’agisse ou non
de la même que l’unité de compte — pour réaliser leurs paiements, rien ne permet
d’affirmer que les agents ne recourent pas au troc en pratique. Enfin, les prix relatifs
sont les seuls nécessaires dans la sphère réelle alors que les prix nominaux n’ont de
sens qu’une fois pris en compte l’équilibre du marché de la monnaie.
58. Rappelons qu’un prix nominal peut toujours être appréhendé comme un prix relatif, à savoir
celui du bien considéré par rapport à celui de la monnaie, ce dernier étant arbitrairement fixé à 1.
37
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
Quelque chose est incorrect dans cette représentation. Cela vient du fait
que, dans une économie monétaire, un pont est inévitablement créé entre
les secteur réels et monétaires : les individus ne peuvent prendre de dé-
cisions dans le secteur réel indépendamment des décisions prises dans le
secteur monétaire. En particulier, le seul moyen qu’ont les individus pour
se procurer de la monnaie est la vente de biens ; de fait la demande de mon-
naie est identique à l’offre globale de biens. Ainsi, lorsque les individus
déterminent leur offre pour chaque bien, ils déterminent simultanément
le niveau demandé de monnaie. Les économistes classiques reconnaissent
cette dépendance, et en fait s’appuient dessus. Ils négligent toutefois une
de ses implications les plus directes : si la demande pour chaque bien dé-
pend seulement des prix relatifs, le demande de monnaie ne peut dépendre
que des seuls prix relatifs. Les prix absolus n’apparaissent ainsi nulle part
dans le système et ne peuvent évidemment pas être « déterminés » par celui-
ci.
En effet si l’on double l’ensemble des prix des biens, les demandes de ces biens
ne sont pas affectées puisque les prix relatifs n’ont pas été modifiés. L’équilibre sur
les marchés des biens est par conséquent préservé et donc, en vertu de la loi des
débouché, celui du marché de la monnaie. Ceci signifie donc que le marché monétaire
peut s’équilibrer pour une infinité de niveaux de prix compatibles avec le système de
prix relatifs déterminé dans la sphère réelle en l’absence de variation de la masse
59. Rappelons en effet que la loi de Walras implique l’équilibre sur le marché du m − 1e bien si les
m − 2 autres marchés sont en équilibre.
38
CHAPITRE 1. LE CONCEPT DE MONNAIE ET SON RÔLE
monétaire. Le couple formé par l’identité de Say et la loi de Walras entre donc en
opposition avec la théorie quantitative puisque cette dernière implique l’équilibre
sur le marché de la monnaie pour un niveau unique des prix tandis que l’identité de
Say impose l’équilibre monétaire pour tout système de prix.
La seconde incohérence réside dans les propriétés de la demande de monnaie.
Le résultat en fait est directement issu de l’expression de la demande de nette de
monnaie telle qu’elle peut être tirée de la condition d’équilibre walrassienne, soit :
m−1
X
Xm = − pj Xj (p). (1.31)
j=1
En multipliant l’ensemble des prix par une valeur λ non nulle, on vérifie alors
aisément que cette demande nette est homogène de degré 1 par rapport aux prix
puisque les demandes des autres biens sont supposées homogènes de degré zéro par
rapport à ces mêmes variables. En revanche, si l’on définit cette demande nette en
s’appuyant sur la théorie quantitative et en supposant que cette dernière exprime
la demande d’encaisses monétaires, cette demande nette devient :
m−1
X n
X
+
Xm = pj Xij (p) − vM S , (1.32)
j=1 i=1
qui ne peut être homogène par rapport aux prix puisque l’offre de monnaie M S est
supposée exogène. Dans un cadre walrassien, on ne peut donc tenir compte de la
théorie quantitative sans toucher au postulat d’homogénéité des fonctions de de-
mande de bien telle qu’elle est proposée par les classiques. Pourtant, énoncée dans
le cadre d’une économie de troc, ce postulat est parfaitement valide puisque le re-
venu des individus est constitué par leurs seules dotations en biens comme c’était
le cas dans le modèle d’échange pur présenté dans la section 1.2.1. Autrement dit,
en cas de doublement de l’ensemble des prix, il importe peu pour Pignon que le prix
du vin double puisque la valeur de ce qu’il peut vendre, en l’occurrence du fromage,
aura doublé aussi. En revanche, en économie monétaire, on comprend aisément que
ce résultat ne tienne plus puisque le pouvoir d’achat des encaisses monétaires ini-
tiale de Pignon (tout comme celle des autres individus) aura été divisé de moitié.
Patinkin propose donc de substituer à la condition d’homogénéité de degré zéro par
rapport aux prix une condition d’homogénéité par rapport aux prix et au niveau
d’encaisses 60 .
Une troisième critique de Patinkin concerne les fondements micro-économiques
du modèle classique walrassien (Patinkin, 1948). Pour parvenir à résoudre le mo-
60. Dans un modèle plus complet incluant plusieurs périodes et un marché des titres, Patinkin
précise que les fonctions de demande nettes sont homogènes de degré zéro par rapport aux prix, aux
avoirs initiaux en titres et en monnaie.
39
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
40
CHAPITRE 1. LE CONCEPT DE MONNAIE ET SON RÔLE
où M̄i correspond à la dotation initiale (exogène) de l’individu en monnaie. La quantité Xim doit alors
être comprise comme une demande de monnaie à des fins de précaution.
La contrainte de revenus peut être assimilée à une contrainte de liquidité et se présente sous la
forme :
m−1
X −
pj Xij (p) + Lj = 0, (1.34)
j=1
où −
Xij6 0 désigne une offre nette pour le bien j de la part de l’individu i. Ici Lj traduit la demande
de monnaie destinée à la réalisation de transactions.
41
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
yE b
E
vin
yE ′ b
E′
UE
yA b
A UA
0 xE xE ′ xA C
fromage
dans le troc. Dans une économie décentralisée, les individus doivent en effet cher-
cher les individus qui détiennent les biens recherchés et ceux qui désirent les biens
qu’ils souhaitent vendre eux-même. Avec le troc, ces recherches sont encore plus
compliquées, donc plus coûteuses, puisqu’il est nécessaire de réaliser la double coïn-
cidence des besoins en identifiant les individus ayant des besoins parfaitement sy-
métriques aux siens. Cette recherche a un coût et dans la mesure où elle est consom-
matrice en temps et peut engendrer des frais de stockage pour les individus. Comme
nous l’avons vu dans la section 1.2.1, ces coûts peuvent être amplifiés dès lors que
le troc direct n’est pas possible et qu’il est nécessaire de multiplier les échanges
intermédiaires.
Pour justifier l’emploi de la monnaie, on peut donc introduire des coûts dans
l’échange pur, coûts qui seront réduits, voire annulés avec l’emploi de la monnaie.
Pour faciliter la représentation, nous recourons à la notion de coûts de type iceberg
introduite par Paul Samuelson 63 . Un coût de type iceberg est un coût en nature qui
implique que la quantité de biens dont on dispose après transport pour la consom-
mation soit inférieure à celle achetée. Il existe donc une certaine « fonte » du bien
qui introduit un écart entre prix de vente effectif pour l’offreur et celui implicitement
perçu par le consommateur.
Reprenons le cas de Pignon en notant xA et yA ses dotations initiales, et x et y les
quantités désirées. La figure 1.5 représente la situation à laquelle fait face cet agent.
63. Paul Samuelson est un économiste américain du XXe siècle. On lui doit de nombreux déve-
loppements en microéconomie, théorie du commerce international, modélisation macroéconomique,
économie publique, économie du bien être. . . Parallèlement à Hicks, il contribua à l’élaboration de
la synthèse néo-classique visant à intégrer les avancées keynésiennes dans le cadre néo-classique. Il
reçut le prix de la Banque de Suède en mémoire d’Alfred Nobel (le « Nobel » d’économie) en 1970.
42
CHAPITRE 1. LE CONCEPT DE MONNAIE ET SON RÔLE
p x x + p y y = p x xA + p y y A . (1.35)
py py
x+ y = xA + y A . (1.36)
px px
p′y p′y
x+ y = xA + y A . (1.37)
px px
avec p′y > py . Au contraire, si Pignon venait plutôt à exprimer un excès de demande
pour le fromage, c’est le prix relatif du fromage par rapport au vin auquel il ferait
face qui serait augmenté du fait de l’introduction de ces coûts de type iceberg, soit :
py py
x+ ′
y = xA + ′ y A . (1.38)
px px
avec p′x > px . Au final, la contrainte budgétaire totale de Pignon est donc concave
avec les coûts de type iceberg (courbe BAC sur la figure 1.5) et l’optimum atteint
(point E ′ ) correspond à un niveau d’utilité plus faible qu’en l’absence de coûts (point
E).
En introduisant Perrin dans le modèle de manière à retrouver le modèle 2 × 2
d’échange pur de la boite d’Edgeworth et en faisant l’hypothèse que cet agent sup-
porte les mêmes contraintes de coûts, on obtient la situation décrite sur la figure 1.6.
Les quantités effectivement consommés à l’optimum par les deux protagonistes
ne sont plus décrites par un point unique E mais par le couple formé par E ′ et
E ′′ . Cette non coïncidence à l’optimum correspond à l’existence de fuites en vin
(yA1 + yA2 − yE ′ 1 − yE ′′ 2 > 0) et en fromage (xA1 + xA2 − xE ′ 1 − xE ′′ 2 > 0) dans le modèle
liés à l’existence des coûts de transaction. On peut aisément voir qu’elle aboutit à
une situation sous-optimale par rapport à E puisque les niveaux d’utilité atteints
64. L’intuition est simple. Pignon achète une quantité x à un prix px , mais ne consomme finalement
qu’une quantité αx où 0 < α < 1. Pour retrouver l’égalité entre somme dépensée et la valeur de ce
qui est effectivement consommé, il faut donc retrouver le prix que l’on aurait dépensé pour acquérir la
quantité αx de manière à dépenser px x, soit p′x = px αx
x
= pαx > px .
43
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
xE2 xE ′′ xA2 0
yE1 b
E yE2
vin
b
E ′′ yE ′′
yE ′ b
E′
yA2 b
A yA2
0 xE1xE ′ xA1
fromage
par chacun sont inférieurs à la situation en absence de coûts. Si l’on fait l’hypothèse
que l’introduction de la monnaie permet de réduire les coûts de transaction, on se
rapproche de la contrainte budgétaire correspondant à l’équation (1.36) et donc de
l’optimum correspondant à E. Les effets de la contrainte d’encaisses préalables sont
alors compensés par la diminution des coûts de transaction.
Si l’on se place dans une perspective plus dynamique, on peut noter que l’ab-
sence de monnaie contraint, en cas de coûts de transactions importants, le dévelop-
pement de l’économie. Smith (1776) faisait de la spécialisation des tâches un élé-
ment moteur dans le progrès économique. Une telle spécialisation, dans un contexte
de diversité des besoins, implique un recours plus important à l’échange. Dès lors
que l’échange implique des coûts importants, il peut être préférable pour les indivi-
dus de ne pas approfondir leur spécialisation afin de réduire leurs besoins de com-
mercer, ce qui globalement limite le développement de l’économie. En réduisant les
coûts d’échange, la monnaie contribue donc à l’expansion de l’économie et incitant
les agents à se spécialiser dans leurs activités de production.
S’il offre une justification tout à fait pertinente à l’usage de la monnaie, on peut
néanmoins rétorquer que le modèle précédent ne justifie aucunement la détention
d’encaisses monétaires par les agents après qu’ils aient réalisés l’ensemble des tran-
sactions désirées. En effet, le modèle suppose que la monnaie n’entre pas directe-
ment dans la fonction d’utilité des agents mais indirectement au travers de son ser-
vice de réduction des coûts de transaction à l’échange. Les agents devraient donc en
toute rationalité ne détenir aucune encaisse une fois le processus de marché achevé.
Pour justifier une telle détention, il faut en fait se placer dans un cadre d’analyse
multi-période avec un horizon de vie infini et d’introduire une certaine dose d’incer-
titude sur les prix futurs.
44
CHAPITRE 1. LE CONCEPT DE MONNAIE ET SON RÔLE
L’institutionnalisation de la monnaie
45
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
bien est rapidement disponible pour le marché et que l’écart entre prix d’achat et
prix de vente est le plus faible parmi l’ensemble des biens disponibles dans l’éco-
nomie. Cette propriété est importante car elle signifie que l’on peut détenir le bien
dans le but de réaliser des achats ultérieurs avec des pertes faibles lors de la vente
du bien et que l’on peut aisément trouver un acquéreur pour le dit bien. Dans un
mode de pensée qui rappelle inévitablement la main invisible d’Adam Smith, Men-
ger (1871) précise ainsi la manière dont se fait l’adoption d’un bien comme moyen
de paiement :
Cette citation met en relief plusieurs éléments important. En premier lieu, la né-
gociabilité d’un bien n’est pas une caractéristique immuable et la marchandise ayant
le rôle de monnaie à un moment donné peut perdre ce rôle dès lors qu’un autre bien
devient le plus négociable dans l’économie considérée. Ainsi le bétail utilisé dans
nombre de civilisations comme monnaie perd son rôle avec la sédentarisation des
populations et les progrès réalisés dans le travail des métaux. Dans le même ordre
d’idée, les pièces de métaux précieux se substituent à la fève de cacao dans certains
sociétés d’Amérique latine avec la conquête espagnole. Certes, les caractéristiques
physiques comme la durabilité ou la divisibilité du bien entrent en jeu, mais ce sont
surtout les caractéristiques du marché du bien qui sont importantes pour Menger.
Il est en effet nécessaire que le bien fasse lui-même l’objet d’une demande suffisam-
ment importante et que offre et demande soient relativement stables pour que l’on
observe une bonne négociabilité. Ces éléments de stabilité sont important car ils
permettent de limiter l’incertitude sur la valeur future du bien et favorisent donc sa
détention comme réserve de pouvoir d’achat.
La seconde étape dans le raisonnement de Menger est lié au caractère autova-
lidant que peut prendre la négociabilité d’un bien. En effet, dans la mesure où les
individus observent, ou croient observer, une forte négociabilité du bien, ils sont
logiquement amenés à chercher à l’utiliser comme intermédiaire des échanges, ce
qui élargit le marché du bien et renforce donc sa négociabilité. À termes, il se peut
même que le bien ne soit plus demandé pour sa consommation que dans une faible
proportion dès lors que la majeure partie de la population est convaincue qu’elle
46
CHAPITRE 1. LE CONCEPT DE MONNAIE ET SON RÔLE
pourra toujours céder le bien au moment opportun à un prix qui soit très proche de
celui auquel il aura été acquis. Menger place ainsi le processus d’imitation, l’usage
et la croyance au cœur du phénomène de transformation d’un bien en monnaie. La
monnaie apparaît donc comme une institution en ce sens qu’elle est une convention
qui facilite et structure les échanges. Comme le fait remarquer Georg Simmel 65 ,
la monnaie est donc « complètement une institution sociale, totalement dénuée de
sens si son usage est retreint à un seul individu ». Cet aspect conventionnel apparaît
clairement avec la monnaie fiduciaire dont la valeur excède en général largement
le coût de fabrication. C’est uniquement parce qu’un individu est persuadé qu’un
billet de 100 e sera accepté par chacun et à n’importe quel moment dans l’écono-
mie considérée pour une transaction du même montant qu’il accepte de vendre les
biens qu’il produit en échange d’un simple bout de papier. Inversement, dès lors que
la confiance est rompue, les individus n’hésitent pas à se dessaisir de la monnaie,
quitte à retourner au troc ou à se tourner vers une autre monnaie comme le dollar —
on parle alors de dollarisation de l’économie — qui leur inspire davantage confiance
et peut être largement acceptée.
L’analyse de Menger n’accorde pas un rôle moteur à l’État dans l’apparition de la
monnaie. Il précise néanmoins que l’action publique peut renforcer cette institution
sociale en perfectionnant son usage (monnaie frappée par exemple) et en accroissant
la confiance de la population par la garantie qu’offrent la banque centrale et le Tré-
sor de sa valeur. On peut pourtant souligner l’intérêt de l’État à favoriser l’essor de
la monnaie, ne serait-ce qu’au travers de la pratique du seigneuriage. En effet, lors-
qu’un agent quelconque émet monnaie, la valeur faciale de celle-ci dépasse son coût
d’émission 66 de sorte que la création de monnaie créé une rente pour son émetteur.
De fait, les pièces d’or émisses par le passé valaient plus que leur titre en or, ce qui
procurait des recettes fiscales pour le seigneur — d’où le terme de seigneuriage —
qui battait sa propre monnaie. Cette rente est évidemment encore plus importante
avec la monnaie papier ou avec la monnaie scripturale dont les coûts d’émission sont
quasi-nuls. Bien que la technique du seigneuriage doive être manipulée de manière
raisonnable du fait des pressions inflationnistes qu’elle peut susciter, elle consti-
tue un outil traditionnel de la politique monétaire qui peut expliquer que les États
participent activement à l’expansion de la monnaie dans l’économie.
65. Georg Simmel est un philosophe et sociologue allemand de la fin du XIXesiècle. Il se distingue
notamment par sa position anti-positiviste, autrement dit par le rejet de l’empirisme et de la démarche
scientifique pour la compréhension des phénomènes sociaux.
66. Ceci n’est pas nécessairement vrai pour les pièces de très faible valeur.
47
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
xA2 Perrin
vin
yA2 UA1 b
B b
A B ′ yA2
b
UA2
Pignon xA1
fromage
48
CHAPITRE 1. LE CONCEPT DE MONNAIE ET SON RÔLE
Dans le cas particulier d’une fonction homogène de degré zéro par rapport à
x1 , . . . , xn , la multiplication de ces variables par un même λ 6= 0 ne modifie pas la
valeur de la fonction, soit :
= λt h(x1 , . . . , xn , y1 , . . . , ym ).
49
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
50
Chapitre 2
La demande de monnaie
Dans le premier chapitre, nous avons mis en évidence deux grandes approches
de la monnaie, à savoir la monnaie comme bien procurant une certaines utilité et
la monnaie comme institution organisant les mécanismes d’échange et les relations
sociales. Dans ce chapitre, nous verrons que la première approche fut naturellement
privilégiée par les économistes dans leur analyse de la demande de monnaie. Cette
vision de la monnaie comme marchandise — vision sans doute favorisée par l’im-
portance historique du support métallique — va à essentiellement consacrer l’idée
d’une monnaie procurant une utilité lorsqu’elle est possédée plus que lorsqu’elle cir-
cule. Plus précisément, les auteurs vont principalement identifier trois motifs pour
la détention de la monnaie, soit :
– un motif de transaction où la monnaie permet de répondre aux problèmes de
synchronisation des flux de dépense et de revenus. Désireux de distinguer par-
ticuliers et entreprises, John Keynes parle pour les premiers de motif de re-
venu et de motif d’affaires pour les second. Dans le premier cas, le niveau
d’encaisses monétaires est déterminé par l’importance et la périodicité des re-
venus. Dans le second cas, il est défini en fonction des dépenses de production,
des besoins d’investissement et des décalages entre recettes et dépenses. À
chaque fois, le revenu apparaît comme le principal déterminant.
– un motif de précaution. Il s’agit là d’une détente d’encaisses motivée par des in-
certitudes en termes de dépense, qu’il s’agisse de leur nature ou de leur terme.
Keynes (1936, livre IV, chap. XV) justifie ce motif par « le souci de penser aux
éventualités exigeant une dépense soudaine, l’espoir de profiter d’occasions
non prévues d’achats avantageux, et enfin le désir de garder un avoir d’une
valeur nominale immuable pour faire face à une obligation future stipulée en
51
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
monnaie ».
– un motif de spéculation qui constitue l’innovation majeure de Keynes dans le
domaine. Cette détention est liée au désir des agents de gérer de manière opti-
male la valeur de leur patrimoine de manière à effectuer des gains ou limiter
leurs pertes financières. Contrairement aux néoclassiques qui conçoivent de
manière simultanées les décisions relatives au niveau et à la composition de
l’épargne, Keynes suppose que les individus effectuent dans un premier temps
un arbitrage consommation-épargne et réfléchissent dans un second temps à
l’allocation de cette épargne entre différents actifs financiers, dont la mon-
naie 1 . Comme tout arbitrage entre différents biens, celui-ci s’effectue sur en
s’appuyant sur la comparaison de prix et de rendements relatifs. De fait, la
demande de monnaie pour motif de spéculation fait naturellement intervenir
le taux d’intérêt.
Ultérieurement Keynes (1937a) ajoute à cette liste un motif de financement pour
la demande de monnaie issue des entrepreneurs, motif dont l’analyse ne sera pas
détaillé dans ce cours. Cette demande s’ajoute aux autres demandes lorsque les en-
trepreneurs anticipent une hausse de l’activité et donc un surcroit d’investissement.
Avec la nécessité de financer ces investissements additionnels, les entreprises ex-
priment alors une demande supplémentaire de monnaie dès lors qu’ils se tournent
vers le crédit bancaire 2 . Tout comme le motif de spéculation, ce motif de finance-
ment met en avant le rôle majeur des anticipations dans la formation de l’équilibre
macro-économique car elle introduit le revenu anticipé comme déterminant de la
demande de monnaie.
Comme nous avons déjà pu le noter à partir de la présentation effectuée dans
la partie 1.2.2, l’analyse effectuée par les classiques s’appuyait essentiellement sur
une demande de monnaie pour motif de transaction et les développements proposés
par la suite par les théoriciens de l’école de Cambridge (confer section 2.1) s’appuient
essentiellement sur ce motif et celui de précaution qui lui est étroitement associé.
Bien que la vision patrimoniale des néo-classiques permette néanmoins de mettre en
1. Keynes (1936, livre IV, chap. XIII) précise ainsi que pour « réaliser pleinement ses préférences
psychologiques relatives au temps un individu a deux sortes de décisions à prendre. Les premières ont
trait à cet élément de la préférence relative au temps que nous avons appelé la propension à consommer,
facteur qui, sous l’influence des divers motifs indiqués au Livre Ill, détermine pour chaque individu
la partie de son revenu qu’il consomme et la partie qu’il réserve sous la forme d’un droit quelconque à
une consommation future[. . .] Mais, une fois cette décision prise, une autre lui reste à prendre. Il doit
choisir la forme sous laquelle il conservera le droit à une consommation future qu’il s’est réservé soit
dans son revenu courant, soit dans ses épargnes antérieures. Désire-t-il lui conserver la forme d’un droit
immédiat, liquide (i.e. la forme de monnaie ou d’équivalent monétaire) ? Ou au contraire est-il disposé
à aliéner ce droit immédiat pour une période spécifiée ou indéfinie, le taux auquel il pourra en cas de
besoin convertir son droit différé à des biens déterminés en un droit immédiat à des biens indéterminés
devant alors être fixé par les conditions futures du marché ? En d’autres termes, quel est le degré de sa
préférence pour la liquidité — la préférence pour la liquidité d’un individu étant donnée par la courbe
figurant le montant de ses ressources qu’il désire conserver sous forme de monnaie en différentes séries
de circonstances, ce montant étant calculé soit en unités de monnaie soit en unités de salaire ? »
2. Concernant le rôle du crédit dans la création monétaire, se reporter au chapitre 3.
52
CHAPITRE 2. LA DEMANDE DE MONNAIE
Bien que nous ayons présenté le modèle dichotomique de la section 1.2.2 comme
la transcription par Walras du point de vue classique en matière monétaire, les
auteurs classiques, avec toute l’ambiguïté qui caractérise leurs discours sur la mon-
naie, ne pouvaient a priori pas souscrire à l’identité de Say. En effet, bien qu’ils
jugeaient en général le rôle de la monnaie dans la sphère réelle comme mineur dans
une perspective de long terme, ces auteurs connaissaient et souscrivaient à l’effet
Cantillon selon lequel les variations de prix liées à l’injection de monnaie dans l’éco-
nomie varient en fonction de la nature de cette injection. Ainsi la structure des prix
relatifs se modifie selon les caractéristiques en termes de demande des bénéficiaires
initiaux de l’injection, de sorte que les évolutions des prix relatifs ne sont pas in-
dépendantes de celles des prix nominaux. Par conséquent, même si l’économie tend
à long terme vers une situation proche de l’équilibre concurrentiel pour l’ensemble
de ses marchés, les classiques devaient envisager que la demande agrégée de biens
et services puisse ne pas être de manière permanente égale à l’offre agrégée. Ce
qui revient à admettre l’existence de déséquilibres temporaires sur le marché de la
monnaie.
Évidemment, les classiques et leurs « descendants » néo-classiques croyaient en
l’équilibre économique avec plein emploi, de sorte que ces déséquilibres monétaires
53
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
doivent nécessairement se corriger d’eux-même. Si tel est le cas, quelles sont alors
les forces de rappel vers l’équilibre économique de sorte que l’on puisse retenir pour
le long terme l’esprit de la loi des débouchés, autrement dit qu’une demande ou
une offre excédentaire de monnaie tende à se résorber automatiquement ? L’offre de
monnaie étant généralement supposée exogène à l’époque des classique, c’est évi-
demment du côté de la demande qu’il faut chercher les mécanismes permettant le
retour à l’équilibre du marché de la monnaie. Deux processus sont alors envisagés,
à savoir l’effet d’encaisses réelles et un mécanisme indirect transitant par les taux
d’intérêt. La description du premier mécanisme nous incite à présenter préalable-
ment la formulation cambridgienne de la théorie quantitative de la monnaie
M = kpY, (2.1)
3. Alfred Marshall (1842–1924) est un économiste anglais qui contribua principalement à synthéti-
ser et à populariser la pensée néoclassique, notamment au travers de l’analyse en termes de fonctions
d’offre et de demande. On lui doit aussi, entre autres, les notions de surplus du producteur et du
consommateur.
4. Arthur Cecil Pigou (1877–1953) est un économiste britannique. Outre ses travaux monétaires,
on lui doit aussi le concept d’externalité et quelques uns de premiers travaux en économie de l’envi-
ronnement.
5. Par jeune Keynes, on entend celui qui n’avait pas encore écrit son « Théorie générale de l’emploi,
de l’intérêt et de la monnaie » mais déjà son « Traité sur la monnaie ». Lorsque ce dernier ouvrage est
publié en 1930, Keynes est néanmoins déjà âgé 47 ans !
54
CHAPITRE 2. LA DEMANDE DE MONNAIE
M
= kY. (2.2)
p
Cette cible d’encaisses réelles peut être motivée de plusieurs manières. Ainsi, la
monnaie peut dans un premier temps rendre un service d’approvisionnement dès
lors qu’il existe un décalage entre dépenses et perception des revenus. Les encaisses
monétaires sont donc des sommes de revenus préparées à l’avance pour la consom-
mation. La nécessité de maintenir constant le niveau d’encaisses peut s’expliquer
par l’aspect aléatoire que peut prendre dans le temps la dépense et qui justifie que
l’on dispose d’un actif immédiatement disponible pour la réaliser. Toutefois, ce rai-
sonnement va de pair avec un avenir certain puisqu’il postule que les prix et quan-
tités utilisés pour calculer le niveau désiré d’encaisses soient effectivement ceux ob-
servés lors du décaissement. Or si l’on est en univers certain, les individus peuvent
tout à fait raisonner en termes d’encaisses nominales. En revanche, si l’on introduit
une certaine incertitude sur les prix observés au moment de la dépense, il devient
rationnel pour les individus de chercher à maintenir constant le pouvoir d’achat de
ses encaisses. C’est donc la fonction de réserve de valeur, même si le raisonnement
ne fait pas appel à une incertitude sur le type de dépenses (frais de santé ou répara-
tion d’un véhicule non anticipés), sur laquelle s’appuie cette approche patrimoniale
de la monnaie.
À première vue, l’équation (2.1) semble très proche de l’équation des échan-
ges (1.4). Certes, le niveau de transactions T diffère du revenu réel Y puisque le
dernier ne tient pas compte des consommations intermédiaires mais inclut les va-
riations de stock. Toutefois, à long terme il existe une stricte proportionnalité entre
les deux et il est courant de voir en k l’inverse de la vitesse de circulation de la
55
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
monnaie 7 .
La vision cambridgienne s’écarte toutefois sensiblement de la vision fisherienne.
Si le remplacement de T par Y a dans un premier temps été motivé par des raisons
pratiques — il était déjà plus aisé d’obtenir des statistiques sur le produit global
que le niveau de transactions à l’époque de Pigou —, il provoque un changement
d’optique vis-à-vis de la monnaie puisque l’on ne s’intéresse plus à la monnaie en
mouvement mais à celle au repos. Autrement dit, la monnaie est vue comme une af-
fectation possible du revenu ce qui permet de lui donner un contenu plus large que
la seule monnaie fiduciaire. La demande de monnaie se définit donc dans une op-
tique patrimoniale et sa rentabilité doit être comparée à celle des autres actifs. Ceci
implique que la monnaie soit un déterminant direct du bien-être des agents. Hicks
(1935) 8 , dans son appel à une « révolution marginaliste » des théories monétaires,
précise ainsi :
Nous réalisons maintenant que l’analyse en termes d’utilité marginale
n’est rien d’autre qu’une théorie générale du choix, qui est applicable dès
lors que le choix s’effectue entre des alternatives quantifiables. De toute évi-
dence, la monnaie peut être quantifiée et donc l’affirmation selon laquelle
l’utilité marginale de la monnaie est nulle doit être fausse. Les individus
choisissent de détenir de la monnaie plutôt que d’autres choses ; la mon-
naie doit donc présenter une utilité marginale.
En d’autres termes, le terme k de l’équation (2.1) n’est pas un simple paramètre
technique mais le résultat d’un processus d’optimisation du portefeuille des agents.
Il doit donc en toute rigueur être fonction du taux d’intérêt, du niveau général des
prix et de l’utilité marginale des consommations présentes et futures (en plus évi-
demment de facteurs techniques). On relève en particulier que dans l’optique d’une
substituabilité entre actifs monétaires et financiers, une hausse du taux d’intérêt
doit se traduire par une diminution de k, donc de la demande de monnaie, puisque
le rendement de la monnaie diminue en comparaison de celui des autres actifs finan-
ciers. Les auteurs de l’école de Cambridge ne soulignent toutefois pas ces résultats.
Ils ouvrent certes la porte à une remise en cause de la vision fisherienne d’une vi-
tesse de circulation de la monnaie stable — il faudra attendre le monétarisme de
Friedman pour que cette hypothèse de stabilité soit reprise — mais ne poussent pas
leur raisonnement jusqu’au bout, ce qui aurait aboutie à une intégration complète
des sphères réelles et monétaires dans la détermination de l’équilibre général. Il
7. Le ratio k−1 correspond cependant à une vitesse-revenus de circulation de la monnaie contrai-
rement à v qui est une vitesse-transaction de circulation de la monnaie.
8. John Hicks (1904-1989) est un économiste anglais qui s’est notamment illustré en contribuant
de manière importante à l’analyse du consommateur et du producteur. On lui doit aussi le modèle
IS–LM, la distinction entre économies de marché et économie d’endettement et un critère de com-
pensation, connu sous le nom de critère de compensation de Hick-Kaldor, permettant d’envisager des
améliorations de bien être collectif lorsque les conditions d’une amélioration efficace au sens de Pareto
ne sont pas réunies.
56
CHAPITRE 2. LA DEMANDE DE MONNAIE
faudra donc attendre Keynes pour mettre en lumière le caractère endogène du pa-
ramètre k, notamment vis-à-vis du taux d’intérêt qui en tant que rémunération du
facteur capital intervient aussi dans la sphère réelle.
1
p
1
p∗ M
1 p = kY
2p∗
0 M̄ 2M̄ M
Note :.
9. Rappelons que le pouvoir d’achat de la monnaie, autrement dit ce qu’il est possible d’obtenir
comme produit avec une unité de monnaie, est égal à p1 . Si l’on reprend l’équation (2.1) qui exprime
une demande nominale de monnaie, on obtient effectivement :
−1 −1
∂M p −1 ∂ k p Y 1
= ,
∂p−1 M ∂p−1 kp2 Y
−2 1
= −k p−1 Y 2 ,
kp Y
= −1.
57
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
Si l’on raisonne à partir d’une offre de monnaie exogène, celle-ci prendra la forme
d’une droite verticale d’abscisse M̄ dans la représentation du marché de la monnaie
correspondant à la figure 2.1. L’égalité entre offre et demande de monnaie se tra-
duira, puisque k, Y et M sont déterminés de manière exogène, par la fixation du
niveau des prix au niveau p∗ . On retrouve alors la représentation d’une économie
monétarisée conforme à celle du modèle dichotomique dont nous avons déjà pré-
senté les nombreuses incohérences.
Patinkin (1948) montre toutefois qu’il est possible d’obtenir une représentation
de l’équilibre général s’appuyant sur la loi de Walras et la théorie quantitative dès
lors que l’identité de Say est abandonnée, que le postulat d’homogénéité est refor-
mulé et l’effet d’encaisses réelles est introduit. La loi des débouchés implique en
effet que chacun dépense (à terme) intégralement son revenu, quels que soient les
prix des biens. Appréhendée sous la forme de l’identité de Say, cette loi a pour corol-
laire que les encaisses nominales de chaque individu doivent rester constantes quel
que soit le niveau des prix puisque seules les nouvelles encaisses sont dépensées.
Pour que l’esprit de la théorie quantitative soit conservé dans le modèle d’équilibre
général classique, Patinkin montre qu’il est nécessaire d’abandonner le résultat de
constance de la demande d’encaisses nominales issu de l’identité de Say et le rem-
placer par une hypothèse de constance des encaisses réelles à niveau de revenu réel
donné.
Le mécanisme d’encaisses réelles 10 — permet d’obtenir la force de rappel qui
manquait au modèle classique walrassien en introduisant un mécanisme de retour
à l’équilibre sur le marché de la monnaie. L’intuition du mécanisme est le suivant :
si l’on augmente la quantité de monnaie disponible dans l’économie, les agents béné-
ficiaires se retrouvent avec un excès d’encaisses monétaires par rapport au niveau
souhaité et défini en proportion du niveau de revenus. Ce supplément d’encaisses
réelles étant considéré par les agents comme un accroissement de leur patrimoine,
il donnera lieu à des dépenses additionnelles de la part des agents bénéficiaires, au-
trement dit une hausse de leur consommation ou de leur investissement. Comme le
modèle néoclassique suppose, long terme oblige, l’inexistence de capacité de produc-
tion sous-employées, les entreprises vont réagir à cette demande additionnelle en
augmentant leurs prix de sorte que l’on retrouve le niveau de demande initial sur
chaque marché de bien et service. De fait, l’augmentation du niveau des prix permet
de diminuer la valeur du stock d’encaisses monétaires des agents, le mécanisme se
10. Le mécanisme d’encaisse réelles est une manifestation d’une théorie plus vaste à savoir celle
des effets de richesse, aussi appelés effets Pigou. Selon cette théorie une hausse des prix des actifs qui
constituent le patrimoine des agents les conduits à considérer ces hausses comme donnant lieu à un
enrichissement, ce qui stimule leurs dépenses de consommation ou d’investissement.
58
CHAPITRE 2. LA DEMANDE DE MONNAIE
11. Patinkin (1965, ch. II–3) précise ainsi : « Ainsi considérons une variation équiprortionnelle de
tous les prix — ce qui est le type de variation qui nous intéresse en premier chef dans la théorie
monétaire. Cette variation n’affecte pas les prix relatifs, et par conséquent n’engendre aucun effet
de substitution ; elle provoque cependant une variation opposée de la valeur réelle des avoirs moné-
taires initiaux, et par conséquent détermine un effet de richesse. En conséquence, nous dirons que
la variation de prix dans ce cas ne produit qu’un effet de richesse sous la forme d’un effet d’encaisse
réelle ».
12. En fait, il reconnaît que l’équation de Cambridge puisse être une fonction de demande de la
monnaie si elle est interprétée comme une courbe dans laquelle l’effet revenu a été éliminé. De plus, il
précise que Y ne doit pas être interprété comme les ressources réelles totales de l’économie mais plutôt
comme le volume envisagé de transactions. La vision de Patinkin constitue donc un savant mélange
des conceptions fisheriennes et cambridgiennes de la théorie quantitative.
59
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
servait seulement dans un premier temps une hausse équiprortionnelle des prix, la
valeur du patrimoine des agents serait plus faible qu’auparavant. Or on suppose de
manière traditionnelle que le monnaie est un bien normal, autrement dit un bien
dont la demande augmente avec le niveau de revenu ; par conséquent la diminution
de la valeur du patrimoine des agents doit entraîner une diminution de la quantité
réelle de monnaie demandée. Une telle conclusion est logique dans le cadre d’une
demande de monnaie pour motif de transaction puisque la monnaie n’est deman-
dée que pour effectuer des paiements et qu’une baisse du niveau de revenu des
agents entraîne l’achat de quantités moindres de chaque bien et service — on émet
là aussi l’hypothèse qu’il s’agit de biens normaux. Pour des quantités réelles consom-
mées moindres, on en déduit une demande réelle de monnaie moindre. L’équation
de Cambridge ne traduit donc pas une demande de monnaie pour Patinkin car elle
correspond à un raisonnement à revenu réel constant et néglige donc l’effet d’une
variation du niveau des prix sur le niveau de revenu réel des agents.
1
′
p MD MD
1
p0
1 M
2p0 p = const.
0 ′
M̄ M D (p0 ) 2M̄ M
Note :.
60
CHAPITRE 2. LA DEMANDE DE MONNAIE
l’injection de monnaie additionnelle dans une situation plus favorable dans la me-
sure où leur patrimoine s’est accru pour des prix des biens et services, et donc le pou-
voir d’achat de la monnaie, inchangés. Puisque la courbe de demande de monnaie
définie une relation entre prix et quantité de monnaie à niveau de revenu donné,
une augmentation de ce revenu entraîne un déplacement de la courbe de demande.
Comme le niveau de revenu augmente, stimulant ainsi la consommation et appelant
ainsi pour un même niveau de prix à besoins supérieurs en moyens de paiement, on
observe ainsi un déplacement vers la droite, matérialisé sur la figure 2.2 par un pas-
′
sage de la courbe M D à M D . Néanmoins, avec une élasticité revenu de la demande
′
de monnaie inférieure à l’unité 13 , la nouvelle quantité M D (p0 ) demandée par les
agents sera inférieure au niveau effectif d’encaisses monétaires 2M̄ . Les agents se
retrouvent donc avec une quantité plus importante de monnaie qu’ils n’en désirent,
autrement dit dans une situation d’offre nette de monnaie. La loi de Walras impli-
quant qu’à une offre nette de monnaie correspond une demande nette de biens et
services, les agents vont par conséquent se « débarasser » de l’excédent de monnaie
par une augmentation de leur consommation de biens et services, qui à capacités de
production inchangées, va produire une hausse des prix. La hausse des prix entraîne
une augmentation de la demande d’encaisses monétaires et l’on se déplace mainte-
′
nant le long de la courbe M D jusqu’à ce que la hausse de prix permette l’égalité
entre encaisses détenues et encaisses désirées. Le nouvel équilibre sera ainsi carac-
térisé par un niveau des prix égal 2p0 pour une offre de monnaie fixée à 2M̄ .
On peut alors légitimement se demander pourquoi le déplacement de la courbe
de demande de monnaie est telle que le nouveau prix d’équilibre est exactement
égal au double des prix initiaux dans notre exemple. En fait, Patinkin justifie ce
respect de la théorie quantitative par l’hypothèse d’absence d’illusion monétaire qui
se traduit par un désir de maintenir à une proportion constante du patrimoine le
niveau d’encaisses réelles. Le déplacement de la courbe de demande nominale ne
peut donc échapper à cette hypothèse de sorte que l’ensemble des points d’équilibres
sur le marché de la monnaie figure sur une hyperbole équilatère matérialisé par une
ligne discontinue sur la figure 2.2.
L’avantage de la présentation de Patinkin est qu’elle permet de sauvegarder
les principes d’absence d’illusion monétaire et de neutralité de la monnaie. En re-
vanche, elle met fin à la vision dichotomique puisque le canal de transmission entre
masse monétaire et niveau général des prix passe par la sphère réelle (même si au
final, les variations de la masse monétaire sont supposées neutres du point de vue
de l’équilibre réel). Patinkin (1965, ch. VIII-3) précise ainsi :
13. Patinkin émet l’hypothèse très crédible que monnaie et biens ne sont pas des biens inférieurs.
Puisque tout revenu additionnel sera réparti par les agents entre biens et monnaie et que la demande
pour ces deux éléments ne peut diminuer avec le revenu, l’élasticité revenu de la monnaie ne peut
qu’être inférieure à l’unité.
61
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
La conclusion qu’il faut tirer [. . .] est qu’une fois que les données moné-
taires et réelles d’une économie avec monnaie externe sont précisées, les
valeurs d’équilibre des prix prix relatifs, le taux d’intérêt, et le niveau ab-
solu des prix sont déterminés simultanément par l’ensemble des marchés
de l’économie. Il est généralement impossible d’isoler un sous-ensemble
de marchés qui permet de déterminer les valeurs d’équilibre d’un sous-
ensemble de prix. Dans l’esprit vrai d’une théorie de l’équilibre général,
« tout dépend de tout ».
En particulier, comme nous l’avons vu, il est fatal de succomber à la tenta-
tion de dire que les prix relatifs sont déterminés sur les marchés des mar-
chandises et les prix absolus sur le marché monétaire. Ceci ne veut pas
dire que la théorie de la valeur ne puisse pas être distinguée de la théorie
monétaire. Il est évident qu’elles sont distinctes ; mais cette distinction est
fondée sur la dichotomisation des effets et non pas sur la dichotomisation
des marchés. Plus précisément, la théorie monétaire comme la théorie de
la valeur considèrent simultanément tous les marchés de l’économie. Mais,
sur chacun de ces marchés, la théorie de la valeur analyse les expérimen-
tations individuelles qui mesurent l’effet de substitution et cette partie de
l’effet de richesse qui ne découle pas des variations des encaisses réelles ;
et la théorie monétaire les expérimentations individuelles qui mesurent
l’effet d’encaisse réelle.
Ce résultat repose toutefois sur l’hypothèse fondamentale selon laquelle l’aug-
mentation du niveau d’encaisses réelles, qui se traduit donc par un effet de richesse
pour les individus, donne lieu à une augmentation uniforme des demandes agrégées
pour l’ensemble des biens et services présents dans l’économie 14 . Si, au contraire, les
demandes nettes évoluent différemment suite à cette augmentation, on doit néces-
sairement observer une modification des prix relatifs d’équilibre. Enfin, il convient
de noter que si l’on prend en compte la possibilité pour les individus de s’endetter
ou de prêter, la variation de la masse monétaire induit nécessairement un phéno-
mène de redistribution entre créanciers et débiteurs. Cet effet d’endettement réel
fonctionne de la manière suivante : une augmentation du niveau général des prix
diminue la valeur réelle de la dette des individus, ce qui conduit à augmenter le pa-
trimoine des débiteurs et à diminuer celui des créanciers 15 . Dans la mesure où les
préférences de ces deux groupes peuvent différent, l’équilibre réel peut être affecté
14. En d’autres termes, les demandes agrégées pour les différents biens et services présents dans
l’économie doivent présenter chacune une valeur identique de leur élasticité revenu, hypothèse qui
peut sembler hautement irréaliste.
15. On parle d’effet Fisher ou d’effet de richesse négatif lorsque l’injection de monnaie se fait au
détriment des débiteurs. Par définition ces agents consomment plus que leurs créanciers. L’effet re-
distributif s’accompagne alors d’une réduction du produit agrégé dans la mesure où les créanciers
augmenteront leur consommation d’un montant moins important que la baisse observée pour les dé-
biteurs.
62
CHAPITRE 2. LA DEMANDE DE MONNAIE
16. Il est intéressant de noter que pour Patinkin, seule compte véritablement la présence de l’effet
d’encaisses réelles et non son importance : « il n’est pas inutile de souligner de prime abord que la
place qu’il tient [l’effet d’encaisses réelles] dans l’analyse (par rapport à la politique économique) ne
dépend pas de la force de cet effet mais de son existence [. . .] Il faut souligner que dans l’économie
d’échange simple dont nous traitons maintenant, l’hypothèse de l’existence d’un effet d’encaisse réelle
sur les marchés des marchandises est la condition sine qua non de l’existence d’une théorie monétaire
[. . .] Il s’ensuit que bien que les « approximations » qui négligent l’effet d’encaisse réelle puissent être
utiles — en raison de la faiblesse de cet effet — dans la détermination des prix relatifs, de telles
« approximations » éliminent un élément analytique essentiel de la théorie de la détermination du
niveau absolu des prix
17. Patinkin justifie une utilité marginale de la monnaie positive par les décalages potentiels entre
encaissements et décaissements et l’incertitude des individus sur le moment précis où se produisent
ces flux. Néanmoins, pour obtenir ce résultat, Patinkin est obligé d’introduire des coûts liés à la cession
d’actif ou aux retards de paiements, bref des coûts de transaction, qui ne permettent théoriquement
plus de raisonner dans un cadre de concurrence pure et parfaite.
18. Henry Thornton est un économiste, banquier et homme politique du XIXe siècle à qui l’on doit
un des traitement le plus poussés des questions monétaires dans le courant classique.
19. Notons là une certaine ambiguïté quant à la définition de ce taux naturel puisque certains
auteurs comme Gardes & Levy (1994) se réfèrent plutôt au taux de profit nominal moyen.
63
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
20. Knut Wicksell est un économiste suédois de la fin du XIXe siècle – début du XXe siècle.
64
CHAPITRE 2. LA DEMANDE DE MONNAIE
ceci admis, on peut se demander quelle est la véritable portée de la théorie quan-
titative si elle ne porte que sur effets d’injections équiproportionnelles de monnaie,
autrement dit un cas théorique hautement improbable dans la réalité. En d’autres
termes, la monnaie reste-t’elle neutre lorsque l’on injecte de tout autre manière la
monnaie dans l’économie ? Patinkin (1965, ch. III–4) précise que dans ce cas de fi-
gure :
Il est clair que la validité de cette conclusion dépend de l’hypothèse que les
avoirs monétaires initiaux des individus sont tous accrus dans la même
proportion. Car, envisageons un doublement de la quantité totale de mon-
naie dans l’économie qui ne se fasse pas de cette façon. Dans un tel cas,
l’économie n’a pas besoin de revenir à l’équilibre par un doublement de
tous les prix. Car la valeur réelle des avoirs monétaires accrus de chaque
individu (et par conséquent de sa richesse réelle) ne sera pas alors la même
que dans la position d’équilibre initiale. Il en résulte que les quantités de
demande nettes de marché en seront également pas les mêmes. En général,
la nouvelle position d’équilibre dans ce cas impliquera des prix relatifs
plus élevés pour les biens qui ont la faveur des individus dont les avoirs
monétaires ont plus que doublé, et des prix relatifs plus bas pour les biens
qui ont la faveur des individus dont les avoirs ont moins que doublé. Ce
fait a été justement et dûment souligné par les partisans néo-classiques et
classiques de la théorie quantitative de la monnaie.
Patinkin fait ainsi implicitement appel à l’effet Cantillon pour laisser entendre
que la neutralité de la monnaie ne correspond qu’au cas d’injection équiproportion-
nelle et donc qu’en règle générale la monnaie n’est pas neutre dans la mesure où
elle peut affecter le niveau du produit réel et sa distribution au sein de l’économie.
On peut toutefois imaginer qu’une relation telle que celle correspondant à l’équation
de Cambridge puisse toujours être valide à long terme quelle que soit la nature et
le volume de l’injection. En effet, dans l’équation de Cambridge ne figurent directe-
ment ni les prix de chaque bien ni les quantités produites ou échangées de chaque
bien. Les variables p et Y correspondent respectivement au prix et à la quantité d’un
bien composite représentatif des biens et services de l’économie. Or, la détermina-
tion de ces deux valeurs dépend évidemment de la composition de la production et
des échanges dans l’économie, de sorte que si les prix relatifs des biens et services
évoluent, la pondération de chaque bien et service dans p et Y évoluera — un poids
plus important sera donné à ceux dont la consommation à augmenté et moindre à
ceux dont la consommation a diminué. Il est alors possible que les évolutions de ces
pondérations soient telles que, suite à un doublement de la quantité de monnaie
dans l’économie, le niveau général des prix finisse par doubler et le produit réel Y
rester inchangé alors même que les prix relatifs et quantités de chaque bien aient
65
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
66
CHAPITRE 2. LA DEMANDE DE MONNAIE
Comme nous avons le voir dans la partie 1.2.2, l’analyse effectuée par les clas-
siques s’appuyait essentiellement sur une demande de monnaie pour motif de tran-
saction et de précaution. Bien que la vision patrimoniale des néo-classiques (confer
section 2.1) ait permis de mettre en avant la fonction de réserve de valeur dans
l’analyse de la demande de monnaie, ce n’est véritablement qu’avec Keynes que
cette dimension de la monnaie devient réellement centrale dans l’analyse, le be-
soin d’outils tenant lieu de moyens de paiements et de réserves de valeur n’étant
plus justifié par les seuls problèmes de synchronisation entre recettes et dépenses.
Un des éléments fondamental de la théorie keynésienne est en effet d’introduire la
thésaurisation dans l’analyse économique. Par thésaurisation, on entend la déten-
tion d’encaisses monétaires oisives, autrement dit d’encaisses ne participant pas au
22. Avec l’introduction d’un marché financier dans le modèle walrassien, Patinkin précise que l’ab-
sence d’illusion monétaire doit être définie par rapport à une situation où les prix, la quantité de
monnaie et les avoirs en titres augmentent dans les mêmes proportion afin d’éviter cet effet d’« endet-
tement réel ». Patinkin (1965, p.92) précise ainsi qu’« un individu est exempt d’illusion monétaire si la
quantité qu’il demande d’un bien réel donné (marchandises, avoirs réels en titres, et avoirs monétaires
réels) reste inchangée pour toute variation qui n’affecte ni les prix relatifs, ni le taux d’intérêt, ni le
flux temporel des revenus réels, et ni la valeur réelle des avoirs initiaux en titres et en monnaie ».
67
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
23. Attention, il ne faut pas confondre thésaurisation et épargne dans la mesure où l’épargne contri-
bue au financement de l’investissement. Avec la thésaurisation, on s’intéresse à la monnaie retirée
temporairement du circuit économique.
24. Les anglophones recourent généralement au terme moneyness pour désigner la liquidité d’un
actif.
68
CHAPITRE 2. LA DEMANDE DE MONNAIE
Le modèle de Baumol-Tobin
69
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
dépense
D
M M
M
0 T /3 2T /3 T temps
Note : La courbe noire représente le niveau restant de revenu consacré à la dépense
tandis que la courbe orange correspond au stock de titres.
coût d’opportunité, à savoir les intérêts non perçus qui seraient pour Walras ceux d’une obligation
perpétuelle.
30. Il s’agit en fait d’une hypothèse dans le cade de Baumol (1952), mais ce résultat est démontré
dans Tobin (1956) lorsque les frais de courtage prennent la forme d’un montant forfaitaire. En re-
vanche, dès lors que ces frais dépendent du niveau de transaction et que l’achat de titres présente un
coût, les ventes ne se font plus à intervalles réguliers. Voir annexe A pour les démonstrations de ces
résultats.
31. Le modèle proposé par Baumol (1952) s’inspire en fait d’un modèle de gestion de stock de mar-
chandise dans lequel une entreprise doit à la fois tenir compte de la périodicité des ventes et du coût
de stockage.
32. Notons T la durée de la période d’analyse et t la variable de temps. De fait, le montant d’en-
caisses restant à l’instant t est égal à M TT−t . Comme le temps est distribué par essence de manière
70
CHAPITRE 2. LA DEMANDE DE MONNAIE
de monnaie sera de r M
2 . Tandis que les frais de courtage diminuent avec M , le coût
d’opportunité est donc fonction croissante de cette variable. Pour trouver la valeur
de M qui minimise les coûts, il suffit, comme bien souvent, de calculer la dérivée du
coût total par rapport à M et de trouver la valeur de cette variable qui annule la
dérivée, soit :
∂ D M D r
b +r = −b 2
+ =0 (2.3)
∂M M 2 M 2
On en déduit le niveau optimal d’encaisse :
r
2bD
M= . (2.4)
r
qui est une fonction croissante du niveau de transaction et du niveau des frais de
courtage, décroissante du rendement des titres. On peut enrichir le modèle manière
à obtenir des frais de courtage qui soient aussi fonction du niveau d’encaisse désiré.
De même, Baumol (1952) étudie le cas d’un revenu initialement obtenu en mon-
naie et dont une partie est par la suite convertie en titres moyennant des frais de
courtage. Il est important de souligner que les résultats sont alors similaires à ceux
obtenus lorsque l’ensemble de l’encaisse initiale peut être convertie sans frais en
titres en début de période (voir annexe B).
Le résultat le plus important que l’on puisse tirer de ce modèle s’obtient en com-
parant l’équation (2.4), connue sous le nom de « formule de la racine carrée », avec
la demande de monnaie telle qu’exprimée au travers de la théorie quantitative. En
effet, tandis que les tenants de cette dernière soutiennent que la demande de mon-
naie est proportionnelle au revenu, Baumol conclut que cette demande progresse,
à un facteur près, selon la racine carré du revenu 33 — on peut aisément vérifier
que l’élasticité revenu de la demande de monnaie est alors égale à 1
2 dès lors que
la dépense correspond à un pourcentage fixe du niveau de revenu. Selon Baumol
(1952, page 551), « la demande d’encaisse augmente moins que proportionnellement
uniforme sur l’intervalle [0, T ], l’instant t survient avec la probabilité T1 . L’espérance mathématique
du niveau d’encaisse restant est donc :
Z T Z T
T −t 1 M Mt
M dt = − 2 dt,
0 T T 0 T T
T
M t2
Mt
= − 2 ,
T T 0
M
=M− ,
2
M
= .
2
33. Attention, ce qui est valable au niveau d’un individu ne l’est pas toujours au niveau agrégé, ce
qui est le cas ici.
q Ainsi, si
ql’on noteq
D1 et D2 les niveaux de dépense respectifs de deux agents, on voit
2b(D1 +D2 )
aisément que 2bD r
1
+ 2bD r
2
6= r
∀D1 , D2 > 0. Par conséquent la demande de monnaie
agrégée pour motif de transaction ne pourra suivre la règle de la racine carrée.
71
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
au volume de transaction, de sorte qu’il existe, en effet, des économies d’échelle im-
portantes dans l’utilisation d’encaisses monétaires ».
Ce modèle simple montre aussi que la vitesse de circulation de la monnaie n’est
pas constante mais dépend effectivement du stock de monnaie disponible. En re-
prenant la définition de la vitesse de circulation-revenu de la monnaie telle qu’ex-
primée au travers de l’équation de Cambridge et en réarrangeant les termes de
l’équation (2.4) 34 , on obtient ainsi v = 2b .
Mr
À l’équilibre sur le marché de la monnaie
et en supposant une offre de monnaie exogène, on note que la vitesse de circulation
de la monnaie varie dans les même proportions que le stock de monnaie. On peut
aussi voir qu’elle est une fonction croissante du taux d’intérêt.
34. Pour faire le lien entre les équations (1.4) et (2.4), il suffit de voir que D = pT .
35. L’article original de Whalen (1966) présente malheureusement une erreur dans l’emploi de l’in-
égalité de Tchebycheff. Nous en présentons ici une version corrigée et indiquons par des notes de bas
de page les différences entre notre présentation et celles de l’article original.
36. La définition retenue ici pour la dépense nette est celle de Whalen (1966). On pourrait néan-
moins préférer la définir comme la différence entre dépense effective et dépense anticipée, ce qui
permettrait de retirer complètement de l’analyse la détention de monnaie pour motif de transaction
(déjà prévue dans la dépense anticipée).
72
CHAPITRE 2. LA DEMANDE DE MONNAIE
En posant k = M
σ et en l’insérant dans l’équation précédente, on obtient ainsi
37. Notons que l’erreur de Whalen (1966) se situe à ce niveau puisque l’auteur interprète l’inégalité
de Tchebycheff comme Prob(x − µ > kσ) 6 k12 , ce qui revient à considérer qu’aucun écart négatif
de plus de k fois l’écart type ne peut être observé entre la variable x et la moyenne. Remis dans le
contexte du modèle de Whalen ceci signifierait que la probabilité de recettes excédentaires supérieur
à la quantité de monnaie détenue est nulle, ce qui impliquerait des hypothèses additionnelles dans le
modèle.
En fait, si l’on ne dispose que de la moyenne et de l’écart type de la dépense nette, il faut se tourner
non vers l’inégalité de Tchebycheff mais l’inégalité de Cantelli selon laquelle :
1
Prob(x − µ > kσ) 6 .
1 + k2
73
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
38. Attention, ce résultat est directement lié à l’hypothèse de prudence employée par Whalen. Wein-
robe (1972) montre ainsi qu’une augmentation de σ peut tout autant conduire à une augmentation qu’à
une diminution de la demande de monnaie pour motif de précaution.
39. Plus précisément, on ne retrouverait la conclusion classique que dans le cas de figure où f (Y ) =
Y 3.
74
CHAPITRE 2. LA DEMANDE DE MONNAIE
Incertitude et risque
75
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
ou partie de leur valeur, ce qui donne lieu à une réduction strictement égale à cette
valeur en l’absence de mécanisme d’assurance du patrimoine de leurs détenteurs.
Le risque de capital est du même ordre, mais se produit essentiellement lorsqu’un
titre voit son cours diminuer fortement comme cela a pu notamment être le cas avec
la crise financière actuelle. Enfin, le risque d’illiquidité nous renvoie à la notion de
négociabilité proposée par Carl Menger (confer section 1.2.3). Dès lors que le marché
pour un titre est faiblement développé, celui-ci peut difficilement trouver preneur ou
alors avec des coûts de négociation et de liquidation importants.
Nous avons déjà mentionné que la monnaie peut être considérée comme un actif
peu risqué car très liquide. Elle présente donc évidemment la meilleure protection
face au risque d’illiquidité. Par définition, le risque de taux d’intérêt est nul sur la
monnaie fiduciaire, mais existe toutefois avec les autres formes de monnaie (confer
section 3.1.3). On a pu ainsi le voir ces dernières années avec les variations, me-
surées mais néanmoins réelles, du taux de rémunération des comptes sur livret
comme le livret A dont le taux avait été fixé à 4% en août 2008 avant de revenir
progressivement 41 à 1,25% en août 2009. Le risque d’insolvabilité existe aussi bien
pour la monnaie fiduciaire que les formes de monnaie bancaire. Dans le premier
cas ce risque se limite à la probabilité extrêmement faible de faillite de l’État. Avec
les autres formes de monnaie, il s’agit essentiellement d’un risque de faillite des
banques puisque ces dernières ne disposent jamais du niveau de monnaie fiduciaire
correspondant au montant des dépôts figurant au passif de leur bilan. Enfin, le ris-
que de capital ne concerne par définition que les titres de créance négociables que
l’on retrouve dans M 3 − M 2. Il existe toutefois avec toutes les formes de monnaie
hors du marché domestique, auquel cas le risque de capital se résume à un risque
de change lié à la variabilité du taux de change entre la monnaie considérée et les
autres devises.
Pour comprendre le point de vue de Keynes sur la relation entre taux d’intérêt
et demande de monnaie, il convient en premier lieu de préciser la relation qui existe
entre prix d’un titre et taux d’intérêts. Prenons dans un premier temps l’exemple
d’un titre dont l’échéance est d’un an et qui donne lieu au versement d’un coupon
forfaitaire de x e à échéance 42 . En notant p le prix de ce titre, on obtient par défini-
tion la relation suivante entre taux d’intérêt i, qui représente le rendement du titre,
et le prix de ce titre :
x
i= . (2.9)
p
41. Les révisions du livret A sont opérées tous les six mois à l’initiative du gouvernement.
42. Les bons du Trésor fonctionnent en général selon ce principe et avec des échéances du même
ordre.
76
CHAPITRE 2. LA DEMANDE DE MONNAIE
43. Il s’agit de titres, généralement d’obligations d’État, qui offrent la particularité d’être non-
remboursables et donnent donc lieu à une rente pour leurs détenteurs.
44. Pour une valeur faciale, en d’autres termes la valeur d’émission, le nouveau titre rapporte 100 ×
15% = 15 e, tandis que l’ancien ne procure que 100 × 10% = 10 e. On cherche donc la valeur que doit
prendre le titre pour que les 10 e correspondent à un rendement de 15%.
77
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
d’intérêt et prix des titres présenté au travers de l’équation (2.9), on obtient l’expres-
sion suivante de gt+1
a :
x x
ia − it it
a
gt+1 = t+1
x = a − 1. (2.11)
it it+1
iat+1
ict+1 = (2.12)
1 + iat+1
qui par définition est toujours inférieur 45 à iat+1 . Pour it < ict+1 , le taux de rende-
ment anticipé est négatif. L’individu aura donc une demande de monnaie non nulle.
Au contraire, pour it > ict+1 , le taux de rendement anticipé est positif et l’individu
placera toute sa richesse sous forme de titres.
La particularité de ce modèle est que les individus effectuent un raisonnement
du « tout ou rien », puisque le processus d’optimisation des agents ne laisse pas de
place pour un panachage entre détention de titre et détention de monnaie 46 . La
demande de monnaie individuelle pour motif de spéculation se présente donc sous
la forme d’une fonction en « escalier » tel que représentée sur la figure 2.4. En notant
Wt la valeur du portefeuille de l’individu en t, on voit que la demande de monnaie
MtD à ce même instant t est nulle pour it > ict+1 et égale à Wt dans le cas contraire.
Au niveau agrégé, la demande de monnaie pour motif de spéculation ne pré-
45. Ce sera évidemment toujours le cas si l’on réfléchit en valeur nominale. Si au contraire i corres-
pond à une grandeur réelle (autrement dit en corrigeant le taux nominal du taux d’inflation anticipé),
on peut observer ict+1 > iat+1 si le taux anticipé est négatif.
46. En toute rigueur, il existe une possibilité de panachage lorsque le taux d’intérêt est strictement
égal au taux d’intérêt critique. Ce cas est particulier puisque l’individu est strictement indifférent à la
composition de son portefeuille entre monnaie et titres.
78
CHAPITRE 2. LA DEMANDE DE MONNAIE
a a
MtD gt+1 < 0 gt+1 >0
Wt
a a
rt+1 <0 rt+1 >0
0 ict+1 iat+1 i
P3 MtD PN MtD
j=1 Wj,t j=1 Wj,t
P3
j=2 Wj,t
W3,t
sente toutefois pas cet aspect « tout ou rien » sauf à émettre l’hypothèse que tous les
agents économiques réalisent les mêmes anticipations en matière de taux d’intérêt.
Or, il est à peu près certain que tous les agents ne présentent pas la même vision de
l’avenir, situation d’autant plus plausible que Keynes place sa théorie dans le cadre
d’une incertitude radicale. En d’autres termes, les agents ne disposent d’aucune in-
formation fiable quant à la distribution future du taux d’intérêt. Keynes suppose en
fait que le taux d’intérêt anticipé par agent est essentiellement déterminé par l’ap-
préciation qu’il a des anticipations effectuées par les autres agents 47 . Pour chaque
individu j, on aura donc une valeur particulière iaj,t+1 du taux d’intérêt anticipé, et
donc une valeur propre icj,t+1 du taux d’intérêt critique. On obtient donc une fonction
de demande de monnaie en « escalier » qui offre plusieurs « marches » comme c’est
le cas sur la figure 2.5a. Sur cette figure, la demande de monnaie totale est obtenue
en agrégeant les demandes de monnaie individuelles de trois individus classés par
47. Ceci revient à supposer que les autres agents sont susceptibles de détenir des informations dont
on ne dispose pas et donc que leurs anticipations sont de meilleures qualités que les notre. On peut
aussi s’appuyer sur l’idée de prophéties autoréalisatrices. En d’autres termes, même si la majorité
des agents se trompent quant à l’évolution des taux d’intérêts, les actions de ceux-ci vont modifier
l’équilibre du marché dans le sens de leur prédictions. Une baisse des taux d’intérêt pourra donc se
produire simplement parce qu’une majorité d’acteurs auront agi en misant sur une baisse future du
taux d’intérêt.
79
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
80
CHAPITRE 2. LA DEMANDE DE MONNAIE
Dans la cas du jeu de pile ou face présenté auparavant, le gain espéré est tout
simplement E(x) = 0, 5(0 − 10) + 0, 5(100 − 10) = 40. On peut donc penser que l’inté-
rêt de l’individu est de participer (si possible de manière répétée) au jeu puisqu’en
moyenne il obtiendra un gain net strictement positif. Ce critère de décision sou-
lève toutefois plusieurs problèmes. Le premier est qu’il ne met pas en jeu les préfé-
rences individuelles. Tandis que certains individus seront peut être effrayé à l’idée
de perdre leurs 10 e si la pièce présente son côté pile et renonceront à participer au
jeu, d’autres feront sans doute un raisonnement inverse en pensant aux 100 e qu’ils
peuvent obtenir si la chance leur sourit. Enfin, l’expérience montre que les individus
vont aussi renoncer à participer à un jeu même lorsque l’espérance de gain est très
élevée.
Pour montrer cette dernière insuffisances du critère d’espérance mathématique
dans les décisions, il est courant de faire appel au paradoxe dit de St Petersbourg
présenté par Nicolas Bernouilli en 1713. Le jeu auquel on propose de participer
est le suivant. Contre un montant forfaitaire y donné, on propose un jeu de pile
ou face répété tel que l’individu doit rejouer tant qu’il obtient pile et tire un gain
de 2n e lorsque le côté face est obtenu au ne lancé. En d’autres termes, si la pièce
présente son côté face au premier lancer, l’individu obtient 2 e et le jeu s’arrête. Si
au contraire, c’est pile qui est obtenu, un second lancer est réalisé et donne lieu à
un gain de 4 e si la pièce tombe de manière à présenter le côté face. . . Dans ce jeu,
on montre que l’espérance mathématique de gain net est égale à −y + 21 2 + 212 22 +
2 + · · · = +∞
P+∞
i=1 1 = +∞. En d’autres termes, quelle que soit la
1 3 P 1 i
23 i=1 2i 2 = −y +
valeur du coût de participation y au jeu, tout individu devrait (pour peu qu’il ne soit
81
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
gains net entre participation et non participation, on compare l’utilité moyenne ob-
servée avec participation et celle obtenue en cas de non participation. En supposant
que le gain net avec non participation soit nul, la règle de choix est donc :
E u(x) > u(0) ⇒ participation,
(2.14)
E u(x) < u(0) ⇒ non participation.
La logique du critère est évidente. Ce n’est pas pour elle-même que nous désirons
disposer d’une certaine somme d’argent, mais pour l’utilité qu’elle nous procure. Il
semble donc logique de chercher quelle utilité nous allons tirer en moyenne d’un jeu
√
plutôt que le gain moyen obtenu. Par exemple, pour u(x) = 100 + x, l’espérance
d’utilité tirée du jeu simple de pile ou face présenté en début de section avec un coût
d’entrée de 40 e est E u(x) = 0, 5 100 + (0 − 40) + 0, 5 100 + (100 − 40) ≃ 9, 66
p p
√
alors qu’elle est de 100 + 0 = 10 si l’individu ne participe pas au jeu. En recourant
au critère d’espérance d’utilité, on montre alors que l’individu caractérisé par les
préférences associées à la fonction u choisit donc de ne pas participer au jeu alors
même que le critère d’espérance mathématique conduirait à une décision opposée
puisque E(x) = 0, 5(0 − 40) + 0, 5(100 − 40) = 10 > 0.
Dans ce cadre là, ce sont donc tout autant les caractéristiques du jeu que celles
des préférences individuelles qui doivent être prises en compte dans la prise de
décision. Plus particulièrement, c’est la courbure de la fonction d’utilité qui va atti-
rer notre attention pour traduire les préférences individuelles vis-à-vis du risque.
Comme le critère d’espérance d’utilité doit permettre de comparer un choix cer-
tain avec un jeu risqué donnant lieu à la même espérance mathématique, il suf-
fit donc, pour déterminer la préférence des individus face au risque, de comparer
l’espérance d’utilité du jeu avec l’utilité associée à l’espérance mathématique. Si
E u(x) > u E(x) ∀E(x), l’individu est dit « risquophobe » ou averse au risque
48. Si l’on attribue à juste titre la version moderne de la théorie de l’utilité espérée à ces deux
auteurs, il convient tout de même de préciser que les fondements de celles-ci sont dans les réponses
fournies au paradoxe de St Petersbourg par Gabriel Cramer et Daniel Bernouilli (cousin de Nicolas
Bernouilli). Ces auteurs suggèrent ainsi de pondérer les gains au travers d’une expression logarith-
mique de ces derniers de manière à obtenir une espérance mathématique finie.
82
CHAPITRE 2. LA DEMANDE DE MONNAIE
u(x2 )
u E(x)
E u(x)
u(x1 )
0 x1 E(x) x2
u(x2 )
u(x2 )
E u(x) = u E(x)
E u(x) u(x1 )
u E(x)
u(x1 )
0 x1 E(x) x2 0 x1 E(x) x2
à l’utilité moyenne associée au jeu E u(x) , ce qui caractérise bien une situation
d’aversion au risque. En fait, on peut vérifier que ce résultat peut être observée pour
toute distribution des probabilités {p1 , p2 } et même tout couple de valeur {x1 , x2 }
compte tenu de la forme de la fonction d’utilité. L’aversion au risque est donc une
caractéristique des fonctions d’utilité convexe, autrement dit celles dont la dérivée
2
seconde est positive ( ∂∂xu2 > 0). Le même raisonnement nous permet de vérifier que
le goût pour le risque (confer figure 2.6b) peut être observé lorsque la fonction d’uti-
∂2u
lité est concave, autrement dit lorsque ∂x2
< 0. Enfin, la neutralité face au risque
(confer figure 2.6c) correspond à une forme linéaire de la fonction d’utilité. La déri-
vée seconde est alors nulle.
Dans les exemples de la figure 2.6, les individus sont supposés avoir toujours le
même comportement face au risque, quel que soit l’enjeu. On peut toutefois admettre
83
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
que notre appréhension du risque peut être faible lorsque l’espérance de gain est
faible et forte dès lors que l’enjeu devient élevé. Pour étudier le comportement face
au risque pour un jeu donné, il suffit alors de se concentrer sur le signe de la dérivée
seconde pour la valeur de l’espérance de gain associée à ce jeu.
Le principal point dans l’analyse de Keynes (ou en tout cas dans la traduction
réalisée par ses successeurs) est que les individus se comportent comme si leurs
anticipations étaient certaines, l’incertitude n’étant finalement obtenue que parce
que les individus ne réalisent pas tous les mêmes anticipations. Cette certitude au
niveau de l’individu prête toutefois le flanc à la critique. (Tobin, 1958, page 65) juge
ainsi ce postulat peu crédible et résume ainsi la question de la relation entre de-
mande de monnaie et taux d’intérêt :
Pourquoi un individu devrait-il conserver des obligations du gouverne-
ment ne rapportant aucun intérêt [ndt : de la monnaie en d’autres termes]
au lieu d’obligations de ce même gouvernement mais rapportant un in-
térêt ? De plus le caractère apparemment irrationnel de ce comportement
est le même, que le taux d’intérêt soit de 6%, 3% ou 0,5%. Il est donc né-
cessaire d’expliquer non seulement l’existence d’une demande d’encaisses
monétaires lorsque son rendement est moindre que celui d’actifs alterna-
tifs, mais aussi la relation inverse entre la demande agrégée d’encaisses
monétaires et l’amplitude des différentiels de rendements.
Le modèle proposé par Tobin permet de comprendre comment l’existence de
risques sur le rendement de certains actifs justifie la détention d’encaisses mo-
nétaires. Ce modèle reprend en partie l’arbitrage proposé par Baumol (confer sec-
tion 2.2.1) entre monnaie et titres. Toutefois, alors que le rendement de la monnaie
est toujours supposé nul (r m = 0), celui des titres présente un certain niveau de
risque. En notant r t le rendement des titres, l’hypothèse fondamentale du modèle
de Tobin est que l’individu connaît parfaitement la distribution de ce rendement,
de sorte qu’il peut dire sans erreur quelle sera la probabilité d’observer toute va-
leur effective de ce rendement 49 . Pour simplifier on suppose que la distribution du
risque peut être décrite par une distribution à deux paramètres — il peut s’agir
par exemple d’une distribution normale, mais ce n’est pas la seule solution envisa-
geable — µt et σ t . Le premier désigne le rendement moyen des titres et le second
l’écart type de ce rendement. L’écart type permettant de saisir la dispersion des va-
leurs autour de la moyenne, ce paramètre σ t traduit donc le degré de risque de l’actif.
49. Le modèle sera néanmoins inchangé sur l’individu ne connaît pas la distribution objective de
ce rendement mais est capable de se déterminer de manière subjective quant à la distribution qu’il
anticipe de ce rendement. L’important est en effet que l’agent soit capable d’attribuer une probabilité
à chaque réalisation possible de r t .
84
CHAPITRE 2. LA DEMANDE DE MONNAIE
Pour un même rendement moyen, un individu averse au risque doit donc préférer
celui qui présente la valeur la plus faible de σ t , contrairement à l’individu « risquo-
phile » qui, alléché par les perspectives de gains élevés, va privilégier des valeurs
élevées de σ t
En notant r p , le taux de rendement du portefeuille de l’individu et α la part de
ce portefeuille détenue en titres, on obtient l’expression suivante de la valeur de la
variable aléatoire r p :
r p = (1 − α)r m + αr t . (2.15)
σp
α= . (2.17)
σt
i + µg
E rp = σp (2.18)
.
σt
50. En se rappelant que la variance se définit comme la moyenne du carré des écarts à la moyenne,
on obtient :
σ p2 = E 2 r p − E r p ,
= E 2 αr t − E r p ,
= E 2 αr t − αµt ,
= α2 E 2 r t − µt ,
2
= α2 σ t .
où E 2 (x) désigne l’espérance du carré de x. Comme l’écart type correspond à la racine carré de la
variance, on obtient bien σ p = ασ t .
85
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
rp
i+µg
σt
0 σt σp
51. Notons que si la monnaie était caractérisée par un rendement certain strictement positif, l’or-
donnée à l’origine de cette droite serait maintenant strictement positive puisque correspondant à ce
taux de rendement.
86
CHAPITRE 2. LA DEMANDE DE MONNAIE
rp u3 rp
u2 u3
u1 u2
u1
0 σp 0 σp
(d) préférence pour la
(c) « tout ou rien » diversification
rp rp
u3
u2
u1
u3
u2
u1
0 σp 0 σp
Ces situations sont sans doute peu intéressantes pour notre analyse. Pour l’indi-
vidu risquophile, il n’y a pas lieu de choisir entre rentabilité et sécurisation de son
patrimoine puisqu’il préfère de manière systématique le risque et le rendement es-
87
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
52. Attention, ceci n’est vrai que tant que risque et rendement espéré sont positivement corrélés.
Pour i + µg < 0, il est probable que le portefeuille optimal de l’individu risquophile contienne à la fois
des titres et de la monnaie.
53. Puisque par hypothèse le degré de risque est nulle lorsque le portefeuille n’est constitué que de
monnaie, l’utilité espérée est tout simplement égale au niveau d’utilité.
54. Notons qu’il est théoriquement possible d’observer une solution de coin, autrement dit un résul-
tat « tout ou rien »dès lors que la courbure des courbes d’indifférence n’est pas assez prononcée.
88
CHAPITRE 2. LA DEMANDE DE MONNAIE
rp
rp∗ i+µg
σt
0
σ p∗ σt σp
1
σt
α∗
1
α
55. Le raisonnement est identique si l’on étudie les effets d’une hausse du taux de plus-value anti-
cipé.
89
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
rp i2 +µg rp
σt
i1 +µg
u′2 σt
p∗ p∗
r i1 +µg r u2
u2 σt i2 +µg
u1 u1 σt
0 0
σ p∗ σt σp σ p∗ σt σp
α∗2 1 1
σt α∗1 σt
α∗1 α∗2
α∗2 ′ α∗i
1 1
α α
56. Il s’agit ici d’une décomposition à la Hicks et non à la Slutsky puisque l’on glisse le long de la
courbe d’indifférence initiale pour évaluer l’effet substitution.
90
CHAPITRE 2. LA DEMANDE DE MONNAIE
rp i+µg rp
σ1t
i+µg
u1 σ2t
p∗ p∗
r i+µg r u2
u′2 σ2t i+µg
u2 u1 σ1t
0 0
σ1p∗ σ1t σ2t σp σ1p∗ σ1t σ2t σp
α∗2 1 1
α∗2 ∗
1 1
σ1t σ2t σ2t σ1t
α∗2 ′ α′
α∗1 i∗
α∗1 αi
1 1
α α
91
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
92
CHAPITRE 2. LA DEMANDE DE MONNAIE
l’offre de monnaie.
La seconde propriété implique que la monnaie soit un actif sans substitut pour
la fonction de moyen de paiement. Sa rareté, la hausse de son prix relatif n’amènent
pas à lui préférer un autre bien pour la fonction d’échange car il n’existe pas d’autre
bien de cette sorte. Keynes (1936, livre IV, ch. XVII) indique ainsi que « lorsque
[la] valeur d’échange [de la monnaie] s’élève, il n’apparaît aucune tendance à lui
substituer un autre facteur, si ce n’est peut-être dans une mesure infime quand les
métaux précieux servent aussi à l’industrie ou aux arts. Ceci découle de la particu-
larité qu’offre la monnaie d’avoir une utilité qui procède uniquement de sa valeur
d’échange, de sorte que l’une et l’autre s’élèvent ou s’abaissent en même temps.
Lorsque sa valeur d’échange s’élève, il n’y a donc pas, comme dans le cas des autres
facteurs de rente, de motif ni de tendance à lui substituer un autre facteur. [. . .]
Ainsi, non seulement il est impossible d’employer plus de travail à produire de la
monnaie lorsque son prix s’élève par rapport aux salaires, mais encore la monnaie
constitue un réceptacle sans fond pour le pouvoir d’achat lorsque sa demande s’ac-
croît, car il n’existe pas, comme dans le cas des autres facteurs de rente, une valeur
au-dessus de laquelle cette demande est déviée vers d’autres objets ».
Ces deux propriétés expliquent pour Keynes la relative rigidité des salaires no-
minaux.
La troisième propriété est essentielle car elle implique que la demande globale
peut se reporter sur la monnaie et ce sans que son prix n’en soit affecté, ce qui a d’évi-
dentes répercutions en matière d’emploi. Keynes (1936, livre IV, chap. XVII) note
ainsi qu’une hausse de la rémunération « de la monnaie ralentit [. . .] la production
des richesses dans toutes les branches où elle est élastique sans stimuler celle de
la monnaie qui, par hypothèse, est parfaitement inélastique. Le taux d’intérêt de la
monnaie, en déterminant le niveau des taux d’intérêt de toutes les autres richesses,
contrarie l’investissement dans la production de ces richesses sans pouvoir stimu-
ler l’investissement dans la production de la monnaie, qui, par hypothèse, ne peut
être produite. Au surplus, étant donné l’élasticité de la demande d’argent liquide en
échange de créances, un faible changement dans les conditions qui gouvernent cette
demande ne saurait faire beaucoup varier le taux d’intérêt de la monnaie et, d’autre
part, étant donné l’inélasticité de la production de la monnaie, il n’est pas possible
non plus (en dehors de l’intervention officielle) que les forces naturelles fassent bais-
ser le taux d’intérêt par leur effet sur l’offre ».
Ainsi que nous l’avons précisé en introduction de ce chapitre, la demande globale
de monnaie correspond à la somme des demandes de monnaies relatives aux motifs
de transaction, de précaution et de spéculation (voire éventuellement pour le motif
de financement). De manière générale, on peut exprimer cette demande globale sous
la forme :
M D = M D (Y, p, i, u), (2.20)
93
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
M MD
0 ic− i
où M0D est une demande autonome que Keynes appelle degré de préférence pour
la liquidité, M1D est la composante transactionnelle de la demande de monnaie et
M2D sa composante spéculative.
Une représentation générale de la demande de monnaie agrégée est représentée
sur la figure 2.12 59 . Keynes insiste en particulier sur la présence d’un taux d’in-
térêt minimal i− en deçà duquel les anticipations sont telles en matière de taux
d’intérêt que toute augmentation du patrimoine des individus se traduit par une
augmentation strictement égale de la demande de monnaie. Dans la mesure où les
agents anticipent tous une augmentation des taux d’intérêt, donc une baisse du prix
des titres, leur avantage est, conformément au mécanisme motivant la demande
2 D 2 D
58. Le résultats des modèles précédents laissent aussi penser que l’on a ∂∂YM2 6 0 et ∂ ∂iM2 > 0.
59. Une différence importante entre la représentation donnée sur la figure 2.12 et les représenta-
tions traditionnelle de la demande de monnaie agrégée chez Keynes est la possibilité d’observer une
demande de monnaie nulle. Keynes suppose lui qu’il existe un niveau d’encaisses minimales en deçà
duquel la demande ne peut tomber. Dans la mesure où les analyses néo-keynésiennes ne semblent
être parvenues à justifier cette demande incompressible, nous acceptons la possibilité d’une demande
de monnaie nulle au delà d’un certain taux d’intérêt.
94
CHAPITRE 2. LA DEMANDE DE MONNAIE
M M
M2S
M̄2
M1S
M̄1
M2S
M̄2
M1D M2D
M1S
M̄1 MD
0 ic− iq i2 i1 i 0 ic− i
60. Il s’agit évidemment de ceux dont le taux d’intérêt critique est inférieur au niveau i1 , donc qui
anticipent une hausse du prix des titres actuels.
95
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
ral par une hausse du niveau de revenu et une baisse du taux d’intérêt dans l’esprit
keynésien.
Si au contraire, l’équilibre initial correspond à la valeur limité du taux d’inté-
rêt définissant la trappe à la liquidité, toute augmentation de l’offre de monnaie ne
permet pas de stimuler l’activité au travers d’une baisse des taux d’intérêts (confer
figure 2.13b). Dans la mesure où l’ensemble des agents anticipent une remontée fu-
ture des taux d’intérêts, toute injection de monnaie supplémentaire dans l’économie
est immédiatement conservée sous forme oisive puisque son utilisation pour l’achat
de titres exposerait a priori leurs détenteurs à des risques de moins-values.
Le cas de la trappe à liquidité n’est pas la seule limite à la politique monétaire
dans l’esprit de Keynes. Plus fondamentalement, c’est la présence de l’incertitude
qui rend difficilement utilisable la relation de demande de monnaie à des fins de
politique économique. Keynes (1937b) voit ainsi la monnaie comme l’outil de ges-
tion par les individus des situations d’incertitude. L’incertitude a pour conséquence
de nous amener potentiellement à reconsidérer nombre des choix économiques que
nous effectuons. En choisissant certains actifs ou biens plutôt que la monnaie, nous
nous engageons pour un futur plus ou moins lointain et il sera souvent coûteux de
réviser éventuellement par la suite nos choix à cause de la liquidité imparfaite de
ces actifs. La monnaie est au contraire l’actif liquide par exemple, celui qui est ac-
cepté en règlement de toute transaction et permet donc de faire face au plus vite
et à moindre coût à toute modification de la situation économique. Notre degré de
confiance quand à nos anticipations futures conditionne par conséquent notre degré
de préférence pour la liquidité et donc notre demande de monnaie. Si ce degré de
confiance est fortement aléatoire, alors la demande de monnaie le sera alors aussi
nécessairement.
Au delà de la seule confiance des agents quant-à leurs anticipations, il faut ajou-
ter que ceux-ci sont donc amenés à réviser très régulièrement leurs anticipations,
notamment en matière de taux d’intérêt. Or ces révisions ne sont pas toujours moti-
vées selon Keynes par une étude des déterminants fondamentaux de l’équilibre éco-
nomique 61 . Au contraire, elles peuvent intervenir à la suite de rumeurs, fondées ou
non, et mettent en avant l’appréciation que se fait chaque agents des anticipations
des autres agents. Par nature, ces anticipations sont donc instables et cette insta-
bilité est renforcée par la présence de comportements moutonniers sur les marchés.
De tels comportements s’expliquent par la croyance qu’ont ceux qui observent l’ac-
tion de certains agents que ces dernières sont motivés par des informations qu’ils
ne détiennent pas eux-même. En situation d’incertitude, une stratégie d’imitation
des comportements des autres agents peut s’avérer payante — on peut même dire
61. Nous serions alors dans ce cas de figure dans le cadre de modèles à anticipations rationnelles
qui forment la base de la nouvelle économie classique.
96
CHAPITRE 2. LA DEMANDE DE MONNAIE
97
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
économie fermée et repose sur deux équilibres, à savoir un équilibre réel revenu-
dépense représenté par la courbe IS 65 et un équilibre monétaire représenté par la
courbe LM 66 . La courbe IS s’appuie dans un premier temps sur la relation comp-
table entre revenu et dépense, relation qu’on peut en l’absence de distinction entre
dépense publique et privée, présenter sous la forme simplifiée Y = C + I où C dé-
signe la consommation et I l’investissement. Notons que si l’on définit l’épargne S
comme la partie non consommée du revenu, soit S := Y − C, on obtient bien l’éga-
lité entre épargne et investissement qui caractérise notre équilibre. À notre relation
comptable doivent maintenant être ajoutées des relations fonctionnelles pour C et
I qui marquent véritablement la vision théorique dans laquelle on souhaite s’ins-
crire. Dans une vision keynésienne, on pourra ainsi préciser que C = C0 + cY , avec
c ∈]0; 1[ et C0 > 0, et que I est fonction du niveau de revenu et du taux d’intérêt i,
soit I = I(Y, i) avec ∂I
∂Y > 0 et ∂I
∂i 6 0. Dans une perspective classique, on aura une
expression générale identique de l’investissement. En revanche, la consommation
sera exprimée plus largement comme une fonction du revenu et du taux d’intérêt,
soit C = C(Y, i) avec ∂C
∂Y > 0 et, en général, ∂C
∂i 6 0, dans une perspective clas-
sique. En replaçant ces expressions dans la condition d’équilibre revenu-dépense,
on obtient une relation qui met implicitement en relation niveau de revenu et taux
d’intérêt. En explicitant cette relation, autrement dit en obtenant une expression de
Y en fonction de i, on obtient l’équation de la courbe IS qui indique l’ensemble des
couples (Y, i) qui permettent d’obtenir un équilibre dans la sphère réelle. En géné-
ral, les hypothèses retenues pour les fonctions de consommation et d’investissement
donnent lieu à une relation décroissante entre revenu et taux d’intérêt.
La courbe LM traduit l’équilibre de la sphère monétaire. Elle est donc obtenue
par confrontation de l’offre et de la demande de monnaie. En général, l’offre de mon-
naie est supposée exogène, de sorte que c’est la fonction de demande de monnaie qui
permet une éventuelle relation entre revenu et taux d’intérêt. Si la doxa quantitati-
viste n’établit pas de lien entre demande de monnaie et taux d’intérêt, ce n’est pas
le cas dans l’optique keynésienne où l’on suppose comme nous l’avons vu dans les
∂M D ∂M D
pages précédentes M D = M D (Y, i) avec ∂Y > 0 et ∂i > 0. En insérant l’expres-
sion de la demande de monnaie dans la condition d’équilibre du marché monétaire,
on obtient alors une nouvelle relation implicite entre Y et i, relation que l’on rend
plus explicite en réorganisant les termes de l’équation de manière à obtenir une ex-
pression de Y en fonction de i. Cette dernière équation est celle de la courbe LM qui
dans le cas keynésien sera croissante et verticale dans le cas classique.
Les figures 2.14a et 2.14b montrent alors quelles formes peuvent prendre les
courbes LM selon le cadre d’analyse dans lequel on se place. Précisons néanmoins
98
CHAPITRE 2. LA DEMANDE DE MONNAIE
i i
IS LM IS LM
i∗ i∗
0 Y∗ Y 0 Y∗ Y
i
IS LM0 LM1
i∗0
i∗1
0 Y0∗ Y1∗ Y
que le cas classique présenté sur la figure 2.14b n’est pas à proprement parlé conforme
à l’esprit classique puisque nous supposons les prix fixes. De fait, l’équilibre moné-
taire ne peut être obtenu que par ajustement du produit Y qui est lui-même tota-
lement et uniquement déterminé par la quantité de monnaie offerte. On voit donc
bien qu’on est loin de l’univers classique avec plein emploi, ajustement par les prix
et détermination du produit (réel) dans la sphère réelle.
Dans le modèle, chaque courbe montre l’ensemble des combinaisons (Y, i) compa-
tible avec l’équilibre sur la sphère correspondante, de sorte que c’est le croisement
des deux courbes qui permet de préciser les valeurs Y ∗ et i∗ d’équilibre global. Dans
le cadre de ce cours, nous ne nous intéressons qu’aux effets d’une variation de l’offre
de monnaie, autrement dit à la politique monétaire. L’utilisation du modèle IS-LM
nous permet alors de reprendre le raisonnement présenté précédemment sur la fi-
gure 2.13a. Une offre de monnaie plus important implique un déplacement de l’équi-
libre sur le marché monétaire le long de la courbe de demande de monnaie. Pour un
99
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
où L traduit la préférence pour la liquidité des agents. Une telle expression si-
gnifie que la demande réelle d’encaisses monétaires est indépendante du niveau
général des prix.
100
CHAPITRE 2. LA DEMANDE DE MONNAIE
L’introduction des prix ne modifie pas la courbe IS. En revanche, cet ajout modi-
fie le modèle dans la mesure où l’équilibre monétaire n’est plus défini par l’équilibre
entre demande et offre nominales de monnaie mais entre offre et demande réelles
MS
de monnaie. Il est intéressant de noter alors que l’offre réelle de monnaie p n’est
plus fixe puisqu’une diminution des prix accroît notre offre réelle. De fait, à offre
nominale inchangée, une baisse du niveau général des prix va équilibrer le marché
monétaire pour un niveau plus faible du taux d’intérêt. En effet, avec la baisse des
prix, les individus vont disposer d’un niveau d’encaisses réelles supérieur au niveau
correspondant à leur préférence pour la liquidité. Ils vont donc pour partie se des-
saisir de cette monnaie excédentaire en achetant des titres, ce qui conduit à notre
réduction du taux d’intérêt. Comme le niveau de revenu n’est pas (encore) affecté,
on obtient un déplacement de la courbe LM vers la droite, ce qui entraîne simultané-
ment une diminution du taux d’intérêt d’équilibre et une augmentation du niveau de
revenu d’équilibre. Évidemment, cette augmentation du niveau de revenu va à son
tour accroître la demande de monnaie et provoquer un léger retour vers la gauche
de LM, etc mais, au final, nous devons bien obtenir une augmentation du niveau de
revenu d’équilibre.
Le passage d’un modèle à prix fixe à un modèle à prix flexible illustre bien l’im-
portance de la rigidité des prix (à la baisse) dans les conclusions keynésiennes. On
voit en effet qu’en permettant des baisses des prix on peut accroître le niveau de
revenu et donc pousser théoriquement celui-ci jusqu’au niveau de plein-emploi 67 .
Le modèle keynésien n’est alors vu que comme un cas limite du modèle classique.
On peut toutefois amender cette conclusion en introduisant une influence du
niveau général des prix dans l’équilibre IS. Les perspectives de profit sont très di-
rectement influencées par les anticipations de prix et, dans l’optique de Keynes, les
anticipations de prix sont directement déterminés par les prix courants. Une baisse
des prix réduit donc les perspectives de profit des entreprises et donc leur niveau
d’investissement pour un taux d’intérêt donné. La baisse des prix qui impliquait un
déplacement vers la droite de LM doit donc parallèlement donner lieu à un dépla-
cement vers la gauche de IS. Le niveau de revenu sera donc plus faible que dans le
cas précédent et pourra même être plus faible qu’initialement si l’investissement se
révèle particulièrement sensible aux prix courants. Les deux situations sont illus-
trées sur la figure 2.16 pour un diminution du niveau général des prix de p0 à p1 .
Alors qu’un faible sensibilité de l’investissement au niveau des prix n’empêche pas
une baisse de ces derniers de rapprocher l’économie d’une situation de plein emploi
(Y1∗ > Y0∗ sur la figure 2.16a), une forte sensibilité va au contraire produire l’effet
inverse (Y1∗ < Y0∗ sur la figure 2.16b).
67. Ceci n’est évidemment possible que si le niveau de plein emploi correspond à un taux d’intérêt
d’équilibre supérieur à celui correspondant au phénomène de trappe à liquidité. Dans le cas contraire,
la baisse des prix ne peut plus provoquer de diminution du taux d’intérêt et donc de déplacement
favorable de LM.
101
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
i i
IS(p0 ) LM (p0 ) LM (p1 ) IS(p0 ) LM (p0 ) LM (p1 )
IS(p1 )
IS(p1 )
i∗0 i∗0
i∗1
i∗1
F IGURE 2.16 – Effets d’une diminution des prix sur l’équilibre IS-LM avec
prix variables selon la sensibilité de l’investissement au niveau général
des prix.
L’approche de Milton Friedman est comparable à celle proposée par les auteurs
keynesiens (confer section 2.2), dans la mesure où la demande de monnaie est déga-
gée au travers d’un processus d’arbitrage entre différents actifs sur la base de leur
rentabilité. Friedman souhaite pourtant écarter cette filiation en s’appuyant sur la
théorie micro-économique néoclassique du consommateur, puisqu’il précise (page 4)
que « comme dans la théorie habituelle du consommateur, la demande de monnaie
dépend essentiellement de trois ensembles de facteurs : i) la richesse totale détenue
sous différentes formes — l’équivalent donc de la contrainte budgétaire, ii) le prix
et le rendement de ce type d’actif et de ses alternatives et iii) les goût et préférences
68. Dans son article de 1956, Friedman présente sa théorie comme un formalisation de la vision dé-
veloppée au sein de l’Université de Chicago dans les décennies précédentes. Patinkin (1969) conteste
ce point et maintient même que la contribution de Friedman ne s’inscrit pas dans la vision quanti-
tativiste, même si elle partage un certain nombre de ses conclusions, mais correspond plutôt à un
développement ultime de l’approche keynésienne.
102
CHAPITRE 2. LA DEMANDE DE MONNAIE
69. On peut ainsi voir que les taux anticipés de plus-values sur les actions et obligations ainsi que
le taux d’inflation anticipé sont présents dans l’équation (2.23).
103
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
Yp 70
cadre, on peut substituer dans l’analyse W par le ratio r . Notons que W et Yp sont
ici exprimés sous forme nominale. Enfin, il est important de souligner qu’une carac-
téristique importante du revenu permanent est, contrairement au revenu courant,
sa faible réactivité aux changements conjoncturels puisqu’il dépend principalement
des flux de revenus futurs.
En quatrième lieu et corollaire du troisième point, l’analyse de Friedman porte
sur un arbitrage entre toutes formes d’actifs. En d’autres termes, les individus
doivent répartir leur patrimoine entre monnaie, titres, actifs réels et humains. L’al-
location entre ces différentes formes d’actifs s’effectue sur la base de leur rende-
ment, constitué de manière générale d’un rendement d’usage et d’un rendement
monétaire. Comme les rendements sont exprimés par unité de monnaie investie, il
convient de tenir compte du volume de biens auquel correspond cette unité, autre-
ment dit du pouvoir d’achat. Une variable clef sera donc le niveau général des prix p.
Dans le cadre de son analyse théorique, Friedman retient finalement les actifs sui-
vants :
– la monnaie qui ne présente qu’un rendement d’usage dans le service des tran-
sactions, voire comme actif non risqué. Il dépend donc des préférences indi-
viduelles, appréhendées au travers de la variable u. Cette même variable est
utilisée pour capter l’évaluation de la valeur d’usage des actifs physiques.
– les obligations qui procurent un revenu nominal fixe rb 71 mais offrent en outre
des perspective de plus-values en fonction de l’évolution anticipée par l’agent
des taux d’intérêts. De ce point de vue, Friedman ne se distingue pas de Keynes
puisqu’il raisonne non comme Tobin à partir d’un risque prenant la forme
d’une variable aléatoire de distribution connue, mais à partir d’une évalua-
tion subjective certaine. Le rendement obtenu pour chaque unité de monnaie
∆a rb
placée dans ces obligations est donc rb − rb où ∆a désigne une variation
anticipée.
– les actions qui procurent un revenu variable, le dividende. Comme ce dernier
dépend en premier lieu des bénéfices des entreprises et donc du niveau des
prix, l’inflation anticipée va donc s’ajouter à la partie fixe re 72 des rémunéra-
tions des actions et aux éventuels gains en termes de plus-values. En notant
π a le taux d’inflation anticipé, tout euro placé en action doit donc procurer un
a
rendement égal à re + π a − ∆rere .
– les actifs physiques, essentiellement des biens durables, dont le rendement est
lié aux plus-values naissant d’une éventuelles variation des prix, donc du taux
d’inflation anticipé π a .
– les actifs humains qui, dans l’esprit de Friedman, correspondent essentielle-
70. Ce résultat est similaire au lien entre taux d’intérêt, rémunération et prix d’un actif que nous
avons mis en évidence dans la section 2.2.2
71. Avec un b comme bonds.
72. Avec un e comme equities.
104
CHAPITRE 2. LA DEMANDE DE MONNAIE
ment à la force de travail et au capital humain. Cet élément doit être pris en
compte car le patrimoine est formé aussi bien par les revenus du travail que
par ceux du capital. La force de travail et le capital humain d’un individu ne
pouvant être cédés dans une société non-esclavagiste, il n’existe pas de prix
de marché compétitif permettant d’apprécier les termes d’une substitution di-
recte entre actifs humains et autres types d’actifs. Durant la vie d’un individu,
on observe néanmoins une substitution entre ces deux types d’actifs lorsque
des investissements en capital humain sont effectués au détriment ou repor-
tés au profit des autres formes d’actifs. Friedman propose donc d’inclure dans
l’analyse la part w des revenus issus des actifs humains dans le patrimoine
puisqu’il n’est pas possible d’exprimer les termes d’une substitution avec les
autres types d’actifs sous forme de taux de rendement.
Finalement, comme dans le cadre de la théorie du consommateur qui sert de
cadre à Friedman, l’individu va chercher à maximiser son utilité sous contrainte
de revenu, l’optimum étant atteint lorsqu’il lui est parfaitement indifférent de pou-
voir consacrer une unité monétaire dans une forme d’actif plutôt qu’une autre. En
fait, il convient de préciser que, bien que les actifs humains soient pris en compte
dans l’analyse afin de rester en cohérence avec l’idée d’un choix d’allocation du pa-
trimoine total, Friedman doit tenir compte de la substituabilité limitée des actifs
humains avec les autres types d’actifs. Il suppose donc donné lors du choix d’alloca-
tion le paramètre w. La demande de monnaie résultant du processus d’optimisation
se présente donc sous la forme :
∆a rb ∆a re a
Yp
MD = MD , p, rb − , re + π a − , π , w, u . (2.23)
r rb re
105
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
MD MD
Yp
= a
, ro , re , π , w, u , (2.25)
p p p
ou de manière équivalente 73 :
Yp
M D
=k a
, ro , re , π , w, u Yp , (2.27)
p
où v = 1
k désigne la vitesse-revenu de circulation de la monnaie 74 . On retrouve donc
une formulation similaire à la version cambridgienne de la théorie quantitative 75
Comme le souligne de Mourgues (2000), le remplacement du revenu courant par le
revenu permanent est en outre plus satisfaisant dans le cadre d’une vision qualita-
tive de la monnaie car elle permet d’éviter qu’un stock, la monnaie, soit déterminé
par un flux, le revenu courant, comme c’est le cas dans la version cambridgienne
puisque le revenu permanent est directement lié au patrimoine (qui est un stock).
74. Attention, cette vitesse-revenu ne correspond pas la vitesse de circulation de l’équation des
échanges.
75. Attention, le niveau général des prix n’apparaît pas de manière explicite dans le membre de
gauche car le revenu est ici introduit sous forme nominale.
76. De ce point de vue, il s’oppose d’ailleurs directement à Keynes qui soutenait au contraire que
la relation macroéconomique la plus stable était celle reliant la consommation au niveau de revenus
courants.
106
CHAPITRE 2. LA DEMANDE DE MONNAIE
77. Outre Milton Friedman et Anna Schwartz, sont aussi associés à ce courant notamment Karl
Brunner, Philip Cagan, David Laidler, Allan Meltzer et Robert Lucas. On parles aussi d’école de Chi-
cago puisque la pluspart de ces auteurs y ont exercé ou en sont issus.
107
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
108
CHAPITRE 2. LA DEMANDE DE MONNAIE
mon. fiduciaire
0.8
0.7
0.6
0.5
0.4
0.3
0.2 mon. fiduciaire + dépôts à vue
109
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
110
CHAPITRE 2. LA DEMANDE DE MONNAIE
0.8
M1
0.6
0.4
0.2
0.0 M2
variabilité de court terme dans le cas américain lorsque la quantité de monnaie est
appréciée au travers de l’agrégat M2. Dans le cas européen, on constate une faible
variabilité de court terme mais une tendance haussière dont on peut se demander si
elle est seulement attribuable à une hausse du revenu permanent des pays européen
alors même que ceux-ci n’ont pas connu une croissance forte sur l’ensemble de la
période.
111
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
M3
1.0
M2
M1
0.8
0.6
0.4
112
CHAPITRE 2. LA DEMANDE DE MONNAIE
À faire !
Plaçons nous dans le cas d’un individu averse au risque et dont le niveau d’utilité
soit fonction croissante du seul taux de rendement de son portefeuille r p conformé-
ment au modèle de Tobin (1958). Une représentation de cette fonction peut être
celle présentée sur la figure 2.20. Puisque les courbes d’indifférences renvoient dans
le modèle de Tobin à un même niveau d’utilité espérée, nous pouvons concentrer
notre analyse sur un niveau d’utilité (espérée) donné ū. En inversant la fonction
d’utilité, nous pouvons déjà noter on obtient ainsi le rendement r̄ = u−1 (ū) qui per-
met d’obtenir avec certitude ū (donc en l’absence de risque sur le rendement futur
du portefeuille).
u(r2′ )
u(r2 )
ū
u(r1 )
u(r1′ )
Supposons maintenant que l’agent étudié doive réaliser un arbitrage entre deux
actifs. L’un offre un taux de rendement sûr égal à r̄ tandis que le second présente
un certain degré de risque mais une rentabilité moyenne plus forte. Dans dans un
souci de simplification émettons l’hypothèse que le rendement de l’actif risqué ne
puisse prendre que deux valeurs distinctes et affectons à la valeur la plus faible
la probabilité 1
3 et donc 2
3 à la valeur la plus forte. Lorsque le portefeuille n’est
pas constitué intégralement d’actif sans risque, on en déduit le taux de rendement
du portefeuille peut prendre deux valeurs distinctes. Plus exactement, pour une
113
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
certaine proportion du portefeuille conservée sous forme d’actif risqué, il est possible
de définir une valeur de la part d’actif risqué tel que les taux de rendements associés
r1 et r2 permettent d’obtenir le niveau d’utilité espéré ū. Il sera donc équivalent pour
l’agent dont les préférences sont décrites par la fonction u de détenir uniquement
des actifs non risqués pour un taux de rendement r̄ ou de panacher son portefeuille
avec l’actif risqué de manière à obtenir un rendement moyen E(r) pour un degré
2 2
de risque σ = 13 r1 − E(r) + 23 r2 − E(r) . Puisque l’agent considéré est averse au
risque — la fonction u est concave par rapport à r p —, il est important de noter qu’un
certain degré de risque ne peut être accepté par celui-ci qu’au prix d’un rendement
moyen E(r) plus important que le rendement certain r̄.
rp
E(r ′ )
E(r)
r̄ ū
0 σ σ′ σp
114
CHAPITRE 2. LA DEMANDE DE MONNAIE
où les coefficients βi et ϕij sont des réels quelconques. Dans le cadre du modèle de
Tobin (1958) où la fonction d’utilité n’est déterminée que par le seul rendement du
portefeuille, la fonction d’utilité est donc :
u(r p ) = βr p + ϕr p2 , (2.29)
telle que β +2ϕr p > 0 pour respecter la condition d’utilité marginale croissante. Pour
que l’individu puisse être considéré comme averse au risque, la fonction d’utilité doit
) 2 p
être concave et il est donc nécessaire que le paramètre ϕ soit négatif ( ∂ ∂ru(r
p2 = 2ϕ < 0
si et seulement si ϕ < 0). En prenant en compte la contrainte d’utilité marginale
croissante, on en déduit que β doit être positif et supérieur ou égal à |2ϕ|.
Dans la mesure où le rendement du portefeuille présente un aspect aléatoire du
fait du risque associé à la détention de titre, l’individu va effectuer son raisonne-
ment, non sur la base de l’utilité, mais sur l’utilité espérée de ce rendement. On
obtient donc 78 :
E u(r p ) = E βr p + ϕr p2 , (2.30)
= βE(r p ) + ϕE r p2
(2.31)
,
= βE(r p ) + ϕ E(r p )2 + σ p2
(2.32)
.
∂E u(r p )
2
= β(i + µg ) + 2ϕα∗ (i + µg )2 + σ t = 0 (2.33)
∂α
78. Pour le passage de (2.31) à (2.32), il suffit de se rappeler que la variance σ 2 d’une variable
x
peut se calculer comme σ 2 = E x2 − E(x)2 . En réorganisant les termes, on en déduit donc E x2 =
σ 2 + E(x)2 .
115
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
−β(i + µg )
α∗ = . (2.34)
2ϕ (i + µg )2 + σ t 2
2
2((i+µg )2 +σt )
qui n’est compris dans l’intervalle [0; 1] que si ϕ > − β(i+µg ) . Pour un patri-
moine de W , la fonction de demande de monnaie est par conséquent :
M = (1 − α∗ )W, (2.35)
β(i + µg )
= W 1 + . (2.36)
2ϕ (i + µg )2 + σt 2
βW i + µg − σ t i + µg + σ t
∂M
=− 2 , (2.37)
∂i
2ϕ (i + µg )2 + σ t 2
qui est négatif tant que i+µg < σ t . Dans ce cas, la demande de monnaie pour motif de
spéculation est alors bien une fonction décroissante du taux d’intérêt, conformément
à l’intuition keynésienne.
L’effet d’une variation du degré de risque associé aux titres est lui sans équivoque
puisque la dérivée première de la demande de monnaie par rapport au paramètre
σ t , soit :
∂M βW σ t (i + µg )
=− 2 , (2.38)
∂i
ϕ (i + µg )2 + σ t 2
est toujours positive du fait des restrictions imposées sur les valeurs des coefficients
β et ϕ.
116
Chapitre 3
L’offre de monnaie
Dans l’ensemble des analyses effectuées dans les chapitres précédents, nous
avons supposé l’offre de monnaie strictement exogène. La monnaie n’est pourtant
pas produite de manière arbitraire ou aléatoire ; son offre dépend tout autant de
l’état de l’économie que sa demande et, dans le cadre de l’étude de l’équilibre du
marché monétaire, il est en particulier important de s’interroger sur les relations
entre offre de monnaie et taux d’intérêt. Pour cela, il faut dans un premier temps
identifier les agents responsables de la formation de la masse monétaire, puis, dans
un second temps, comprendre les motivations et intérêts de ces agents.
La réponse à la première question semble évidente. Ainsi, lorsque l’on étudie la
composition de la masse monétaire (confer section 3.1.3), on peut clairement établir
une distinction entre monnaie manuelle et monnaie scripturale, la première étant
de nos jours émise exclusivement par l’autorité monétaire, tandis que la seconde
concerne la totalité des IFM (Institutions Financières et Monétaires). En observant
la part très importante des dépôts dans la masse monétaire, on comprend aisément
que les banques commerciales jouent un rôle prépondérant dans la création mo-
nétaire. L’essentiel des développements de ce chapitre vont donc concerner le com-
portement des banques commerciales ainsi que leurs relations avec l’autorité mo-
nétaire. L’étude de ces relations est importante en termes de politique économique
dans la mesure où l’on peut se demander quel est le degré de contrôle de l’autorité
monétaire sur l’émission de monnaie. Auparavant, nous allons néanmoins aborder
la question de la mesure de la quantité de monnaie qui nous contraint naturelle-
ment à préciser quels actifs peuvent prétendre au nom de monnaie.
117
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
de la monnaie est évidemment importante car il n’est pas possible de suivre l’évo-
lution d’un agrégat quelconque sans mesure précise de celui-ci. Sans mesure, on ne
peut donc vérifier la validité empirique d’une théorie et l’on se prive d’un instrument
de suivi de la politique monétaire.
Comme nous l’avons souligné dans la section 1.1.2, la plupart des définitions
s’appuient sur les différentes fonctions de la monnaie, plus précisément celles d’in-
termédiaires des échanges et de réserve de valeur. Bien qu’importante, la fonction
d’unité de compte ne peut servir à définir quels actifs composent la monnaie puisque
cette fonction ne fait intervenir la monnaie que de manière conceptuelle (Sayers,
1960). Il faut donc se tourner vers les deux autres fonctions retenues pour donner
un contenu plus tangible à la monnaie et la quantifier.
En fait, si l’on ne retenait que la fonction d’intermédiaire des échanges pour défi-
nir la monnaie comme nous l’avons fait en début de chapitre, circonscrire les formes
prises par la monnaie serait relativement simple et l’on pourrait sans doute se limi-
ter à la monnaie fiduciaire et aux dépôts à vue. Toutefois, la fonction de réserve de
valeur peut nous amener à prendre en considération nombre d’actifs relativement
proches comme les dépôts des comptes sur livret. Certes dans la mesure de tels ac-
tifs doivent être transformés en moyens de paiement pour réaliser une transaction,
on peut admettre qu’il ne s’agisse pas de monnaie stricto sensu mais, dès lors que
cette conversion en moyen de paiement peut-être réalisée de manière immédiate,
l’autorité monétaire ne peut conduire de politique sans effectuer de surveillance de
ces formes de « quasi-monnaie ». Aussi triviale qu’elle puisse paraître cette question
de définition du domaine de la monnaie est donc fondamentale car elle doit être en
cohérence avec le cadre retenu pour la politique monétaire. Ses implications sont
parfaitement illustrées par les débats tenus au XIXe entre tenants de l’école de la
banque (banking school) et ceux de l’école de la circulation (currency school).
1. La suspension de la convertibilité est elle-même une réponse des autorités au vent de panique
qui toucha les épargnants suite aux rumeurs d’invasion de l’Angleterre par les soldats français. Les
autorités monétaires craignaient en effet une conversion massive des billets en monnaie métallique,
retraits qui auraient mis en faillite une grande partie des banques commerciales. Durant la période
de suspension de la convertibilité, les banques continuèrent à émettre des billets alors même que
les quantités d’or disponibles ne progressaient pas, de sorte que leur capacité à assurer la future
conversion de ces billets en or s’en trouvait considérablement diminuée.
118
CHAPITRE 3. L’OFFRE DE MONNAIE
l’inflation constatée durant cette période. La possibilité pour les banques d’émettre
des billets convertibles en or sans restriction en contrepartie d’escompte d’effets pri-
vés a conduit certains auteurs à voir là une source majeure d’inflation. S’est donc
alors posée la question de la nature des billets de banque convertibles en or ou ar-
gent ainsi que des dépôts à vue et autres titres négociables. École de la circulation
et école de la banque 2 3 s’opposent à ce sujet, les premiers ayant une vision plus res-
treinte que les seconds de la notion de monnaie. Comme nous allons le voir la nature
des débats n’est pas seulement méthodologiques mais renvoie fondamentalement à
des conceptions très opposées de la politique monétaire.
Les tenants de l’école de la circulation (currency school) comme Samuel Jones-
Loyd 4 , Henry Thornton, Robert Torrens ou Amasa Walker sont essentiellement
d’obédience quantitativiste — ils s’appuient en grande partie sur les positions de
David Ricardo — et font donc de la stabilité des prix et du maintient de la parité
de la monnaie par rapport aux devises étrangères des objectifs majeurs. Dans la
mesure où ils voient dans l’inflation un phénomène essentiellement monétaire, un
contrôle strict de la masse monétaire s’impose. De fait, la monnaie doit est alors
définie de manière relativement large, en incluant la monnaie divisionnaire, aux
billets non convertibles (émis par la Banque d’Angleterre) et aux billets convertibles
en or émis par les banques commerciales. Pour arriver à contrôler la masse moné-
taire, Ricardo suggère ainsi que l’émission de billets par les banques se fasse sous
condition de couverture en or au delà d’un certain seuil 5 . En imposant ainsi cette
contrainte à l’émission de billets par les banques commerciales, celles-ci ne peuvent
plus émettre de billets qu’en fonction de l’augmentation de leur stock d’or. Dans
la mesure où les stocks globaux d’or d’un pays sont relativement stables, on peut
ainsi contrôler efficacement le niveau de la masse monétaire et donc, si la théorie
quantitative se confirme, le niveau général des prix. En l’absence de règle stricte
sur l’émission de billets de banque convertible, le système bancaire est soumis à des
risques importants de faillite pour Ricardo, notamment dans le cadre d’une écono-
mie ouverte. Un déficit commercial doit en effet se traduire par des sorties d’or en
régime d’étalon or. Si la quantité de billets de banque convertibles est déterminée
2. Pour être plus précis, les deux courants se réfèrent plutôt aux controverses apparues au milieu
du XIXe siècle lors de la réorganisation du système monétaire et du monopole d’émission confié à
la Banque d’Angleterre (Banking Act de 1844). Les débats concernent alors l’obligation imposée à la
Banque d’Angleterre de n’émettre des billets qu’en proportion du stock d’or disponible dans l’économie
conformément au point de vue des auteurs de l’école de la circulation. Auparavant on oppose plutôt
bullionists et anti-bullionists, mais les vues des premiers correspondent très largement à celles de
l’école de la circulation et celles des seconds à celles de l’école de la banque.
3. En toute rigueur, il faudrait ajouter le point de vue de la free banking school qui considère que
le secteur de la monnaie ne doit pas être régulé et donc que la création monétaire peut être librement
confiée aux banques commerciales. Ce point de vue fut néanmoins très minoritaire.
4. Samuel Jones-Loyd est plus connu sous le nom de Lord Overstone.
5. Cette position est logique dans l’optique de l’école de la circulation car ses théoriciens supposent
qu’un système mixte de monnaie métallique et de monnaie papier doit être organisé de manière à
retrouver les propriétés d’un système basé sur la seule monnaie métallique.
119
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
6. Attention, l’accent mis par les théoriciens de l’école de la banque sur les billets convertibles et les
dépôts peut être trompeuse. Comme le relève Schwartz (1987) : « la définition de la monnaie retenue
par la banking school est quelques fois présentée comme plus large que celle des autres écoles mais
était en fait plus étroite — la monnaie était restreinte à la monnaie métallique et au papier monnaie
émis par l’État. Les billets de banque et les dépôts bancaires étaient exclus parce qu’il étaient consi-
dérés comme des moyens d’accroître la vitesse de circulation de leur encaisses et non pour accroître
la quantité de monnaie. À court terme, l’école soutenait que toute forme de crédit pouvait influencer
les prix mais seule la monnaie telle que définie précédemment pouvait agir ainsi sur le long terme car
les prix dans l’économie ne pouvait dévier que de manière temporaire des prix mondiaux déterminés
dans le cadre du gold standard. »
120
CHAPITRE 3. L’OFFRE DE MONNAIE
On relève souvent que les questions soulevées lors de la controverse entre cur-
rency school et banking school ont toujours su rester d’actualité malgré les évolu-
tions importantes des systèmes monétaires et financiers. Du fait de sa nature de
moyen de paiement et de réserve de valeur, la monnaie reste un concept délicat à
appréhender lorsque l’on souhaite suivre les évolutions réelles de cette grandeur
économique. Dans les prochains paragraphes, nous envisageons quelques uns des
critères proposés dans la littérature économique pour séparer la monnaie des autres
actifs en distinguant les approches formelles de l’approche statistique défendue par
Friedman et Schwartz.
Au début des années 60, John Gurley et Edward Shaw proposent une théorie du
financement de l’économie qui conduit à reconsidérer le champs de définition de la
monnaie tout en s’appuyant sur les intuitions keynésiennes d’arbitrages entre mon-
naie et autres actifs. Conservant la notion de moyen de paiement pour la monnaie,
ils relèvent que la demande de monnaie dépend aussi de la disponibilité d’actifs
financiers plus ou moins liquides.
Pour Gurley et Shaw, les moyens de paiements présentent de manière impli-
cite un rendement financier de leur capacité à éviter les coûts de trésorerie et à la
relative stabilité de leur valeur en comparaison des autres actifs financiers plus sen-
sibles aux conditions de marché. Monnaie et autres actifs financiers sont donc dans
une certaine mesure substituables puisque chacun procure un certain rendement
7. Pour de plus amples détails, voir notamment Schwartz (1987).
121
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
avec un certain risque. Un tel arbitrage pose problème car il implique une rela-
tive inefficacité d’une politique monétaire basée sur la seule fixation de la quantité
d’instruments de paiement. Si l’autorité monétaire décide en effet de restreindre
la disponibilité de ces derniers dans l’économie, les effets attendus de cette poli-
tique peuvent être en effet en grande partie annulés par un rapport des agents sur
d’autres actifs financiers suffisamment liquides.
Cette conception de la monnaie sera appuyée et approfondie par d’autres auteurs
qui écartent la possibilité de se restreindre à la seule fonction de moyen de paiement
pour définir la monnaie. Robert Sayers soutient ainsi que les fonctions d’instrument
de paiement et de réserve de valeur sont indissociables (Sayers, 1960) :
Pour certains, il faut donc finalement renoncer au concept de monnaie pour s’ap-
puyer sur celui d’actif liquide plus adéquat pour analyser l’évolution de la conjonc-
ture. On peut néanmoins juger cette position peu concluante car il devient alors
nécessaire de définir de manière arbitraire un seuil de liquidité pour pouvoir appré-
cier l’évolution de la masse de liquidité. De plus, le degré de liquidité n’est pas une
caractéristique invariante pour la plupart des actifs. Il dépend en effet notamment
de conditions de marché, par définition variable dans le temps.
Les difficultés soulevées par l’approche en termes de liquidité ainsi que la convic-
tion que la fonction d’instrument de paiement procure aux actifs monétaires un pou-
voir spécifique, ont conduit quelques années plus tard Boris Pesek et Thomas Saving
à proposer un critère original de définition de la monnaie. Pour ces auteurs, un actif
présentant la fonction d’instrument de paiement peut être considéré comme mon-
naie dès lors qu’il constitue une richesse nette pour l’ensemble de l’économie. Leur
définition se base donc sur la notion de dette du secteur bancaire. Pesek et Saving
soutiennent ainsi que la monnaie fiduciaire correspond à une richesse nette car elle
est une créance sur l’économie pour son détenteur et lui rend un certain nombre de
services sans pour autant constituer de dette pour aucun autre agent. De fait, la
122
CHAPITRE 3. L’OFFRE DE MONNAIE
gestion de dépôts à vue par le secteur bancaire est considérée comme une activité
de production et non d’intermédiation puisque les établissements bancaires ne cré-
ditent pas sur les comptes à vue de leurs clients une monnaie scripturale qu’elles
ont emprunté auprès d’autres agents (confer section 3.2).
Cette approche fut toutefois très critiquée (voir par exemple Laidler, 1969, Fried-
man & Schwartz, 1969). Si ces pourfendeurs ne contestent pas que la monnaie
puisse être appréhendée comme une richesse nette par les services qu’elle procure,
ils rejettent l’idée selon laquelle les actifs classés comme non monétaires par Pe-
sek et Saving ne constituent pas une richesse nette sous prétexte qu’ils constituent
une dette pour le secteur bancaire. Il s’agit en effet là d’une confusion entre valeur
moyenne et valeur marginale des actifs, car on conçoit mal qu’un actif comme les
dépôts à terme puisse être produit et employé s’il ne procure aucune supplément de
bien être à un quelconque agent. De plus, ces détracteurs estiment en particulier
infondée la clef de répartition des actifs entre monnaie et dette proposée par Pesek
et Saving. Dans le cas où l’écart entre taux de rémunération d’un compte de dépôt à
vue et taux d’intérêt du marché serait nul, ne pas inclure cette somme dans la défi-
nition de la masse monétaire reviendrait à considérer que cet actif n’ait pas fonction
d’instrument de paiement.
Un autre critère formel de définition de la monnaie fut celui proposé par Wal-
ter Newlyn de neutralité de la monnaie. Cet auteur définit la monnaie comme l’en-
semble des actifs dont l’utilisation pour réaliser un paiement n’exerce pas d’effet sur
le marché des fonds prêtables. En d’autres termes, il s’agit de trouver un ensemble
d’actifs utilisables comme moyens de paiements et dont le niveau ne présente pas de
corrélation avec celui des taux d’intérêts. Bien qu’attractive, cette définition aussi
d’un certain nombre de limites notamment s’il s’avère que même l’émission de mon-
naie centrale — la monnaie centrale est celle émise par la banque centrale — exerce
un effet sur les taux d’intérêt, ce qui peut être le cas lorsque des taux de réserve
obligatoire sont imposés au secteur bancaire.
123
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
À ces approches formelles, Friedman et Schwartz vont opposer à la fin des années
60 une approche empirique pour la définition statistique de la monnaie. Pour ces
auteurs, la définition de la monnaie doit être instrumentale au regard de la théorie
monétaire que l’on soutient. S’appuyant sur la vision défendue par Friedman (confer
section 2.3), ils affirment que la définition de la monnaie la plus adéquate est celle
qui est compatible avec l’estimation économétrique 8 d’une fonction de demande de
monnaie stable.
Dans la théorie friedmanienne de la demande de monnaie, cette dernière est
un actif parmi tant d’autres. Cet actif peut prendre différentes formes relativement
substituables qui présentent toutes un rendement similaires, et la demande pour cet
actif ne dépend que d’un petit nombre de variables économiques comme le revenu
permanent, le taux d’intérêt et le taux d’inflation. Pour Friedman et Schwartz, c’est
à l’outil statistique de déterminer quel contenu doit prendre le concept de monnaie :
parmi toutes les définitions possibles, on retient ainsi celle qui offre les corrélations
les plus fortes avec les variables économiques désignées par la théorie. On retrouve
ainsi un lien fort notamment entre revenu global et quantité de monnaie, conformé-
ment à l’esprit quantitativiste, tout en admettant que la composition de cette masse
monétaire soit susceptible de connaître des modifications importantes.
La démarche n’est toutefois pas exempte de reproches. En premier lieu, elle est
critiquable car ouvrant la possibilité à un raisonnement circulaire. Si la théorie mo-
nétaire soutenue par Friedman et Schwartz est utilisée pour définir le champ d’ap-
plication du concept de monnaie, il n’est plus possible de tester cette théorie en s’ap-
puyant sur l’agrégat monétaire obtenu puisque, par essence, celui-ci est celui qui se
révèle le plus conforme à la théorie. On peut même envisager qu’une théorie rivale
puisse, en s’appuyant sur cette démarche empirique, faire émerger un autre concept
de monnaie qui présente le même caractère autovalidant et ne permette donc pas de
discriminer les deux théories. Le second reproche est d’ordre opérationnel puisque
l’approche empirique nécessite des données de relativement longue période. Or les
innovations financières et monétaires importantes observées dans les pays indus-
trialisées à partir des années 70 ont entraîné l’apparition de nombreux actifs sus-
ceptibles d’être inclus dans la masse monétaire et provoqué une grande variabilité
de la fonction de demande de monnaie. Comme l’approche statistique de Friedman
et Schwartz repose sur la stabilité des relations entre quantité de monnaie et les
déterminants théoriques de la demande de monnaie, l’instabilité de cette dernière
rend la procédure statistique très compliquée. Elle donne lieu finalement à des défi-
nitions de la monnaie variables dans le temps, ce qui rend le suivi de son évolution
8. L’économétrie est une branche de la statistique portant sur l’estimation de paramètres en situa-
tion de surplus d’informations et permettant de tester la validité empirique d’une théorie scientifique.
124
CHAPITRE 3. L’OFFRE DE MONNAIE
potentiellement délicat.
Malgré les développements ultérieurs présentées dans les dernières pages, c’est
encore l’analyse en termes de liquidité qui fait autorité de nos jours pour la me-
sure de la masse monétaire. La difficulté de définir une frontière nette entre actifs
monétaires et non monétaires s’est en effet considérablement accru avec la dérégle-
mentation du secteur bancaire observée à partir des années 70 de sorte qu’il faut
maintenant prendre en compte toute une variété d’actifs présentant le caractère de
monnaie à des degrés divers. De fait, ce n’est pas une mais plusieurs définitions de
la monnaie qui sont retenues pour mesurer la masse monétaire. Plus précisément,
ces quantités de monnaie sont basées sur une classification des actifs par ordre de
liquidité décroissante 9 . On retient ainsi les agrégats M1, M2 et M3 qui, emboités
les uns dans les autres, élargissent progressivement la définition de la monnaie à
des actifs moins liquides que ceux du niveaux précédent. En outre, les agrégats uti-
lisés sont aussi définis en fonction de la nature de l’institution qui les émets. Ainsi
les actifs retenus pour M1, M2 et M3 ont pour commun d’être tous émis par des
IFM, institutions financières monétaires. Ces IFM regroupent l’ensemble des éta-
blissement de crédits résidents ainsi que toute institution financière résidente dont
l’activité consiste à recevoir des dépôts d’agents autres que les IFM et qui consentent
des crédits ou effectuent des placements en titres. On retrouve donc essentiellement
parmi ces IFM les banques centrales, les banques commerciales et des OPCVM (or-
ganismes de placement collectif en valeur mobilières).
S’il convient de préciser que leur contenu a pu fluctuer dans le temps et d’un
pays à l’autre, les agrégats M1, M2 et M3 recouvrent depuis 1999, année du passage
à l’Euro, les actifs suivants :
M1 constitue la monnaie au sens strict puisqu’il contient l’ensemble des actifs par-
faitement liquides, à savoir la monnaie fiduciaire (pièces et billets) et les dé-
pôts à vue au sein des IFM. En d’autres termes, il s’agit donc des instrument
de paiement.
M2 ajoute à M1 l’ensemble des dépôts remboursables avec un préavis inférieur ou
égal à trois mois et les dépôts à terme d’une durée initiale inférieure ou égale
à deux ans. En pratique, on retrouve donc par exemple dans le cas français
les comptes sur livrets comme les livret A ou les livrets jeunes, les comptes
épargne logement, les CODEVI (comptes pour le développement industriel)
devenus en 2007 livrets de développement durable, les livrets d’épargne po-
pulaire. La différence avec M1 se situe donc dans l’inclusion d’actifs qui ne
9. Il peut être intéressant de noter que ce critère de liquidité ne fut pas toujours celui retenu par la
Banque de France pour définir ses agrégats monétaires. Ainsi une précédente hiérarchie des agrégats
monétaires reposait en grande partie sur la nature de son émetteur.
125
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
présentent aucun risque mais ne peuvent servir à réaliser des paiements bien
qu’ils soient disponibles à tout moment 10 .
M3 élargit M2 en incluant les instruments négociables émis par les IFM résidentes.
On retrouve alors dans cette catégorie des titres d’OPCVM monétaires, les
pensions, rémérés et les titres de créance dont le terme est inférieur ou égal
à deux ans. Les pensions et rémérés sont des titres détenue dans le cadre
d’un engagement de rachat dans un délai court à un prix et une date fixés à
l’avance 11 . Les rémérés diffèrent des pensions dans la mesure où le rachat des
titres est optionnel. Contrairement aux instruments de M2, M3 élargit donc la
définition de la monnaie en incluant des instruments de placement ayant pour
support des titres négociables sur les marchés. Il présentent la particularité
de ne pas être convertibles en moyen de paiement sans frais et leur valeur est
susceptible de variations même si les titres considérés présentent un risque
faible 12 .
On peut aussi pour mémoire citer l’agrégat M4 utilisé en France dans les années
90 et qui ajoutait à M3 les titres négociables émis par les agents non financiers. On
y retrouvait donc les bons du Trésor négociables et les bons de trésorerie à moyens
termes négociables émis par les sociétés.
D’un point de vue technique, ces agrégats sont mesurés à partir du passif du
bilan consolidé des IFM. Ce dernier se présente schématiquement sous la forme dé-
crite dans le tableau 3.1. L’agrégat M3 est obtenu en sommant les montants figurant
sur les 6 premiers postes du passif.
Les politiques monétaires se basent généralement sur la surveillance de l’agré-
gat le plus stable dans l’optique d’un contrôle de l’évolution du niveau général des
prix. En pratique, il s’agit le plus souvent de M3, plus stable que M2. En effet, en
raison de leur degré élevé de liquidité et de la faible incertitude qu’ils présentent en
matière de cours, les instruments négociables des IFM résidentes constituent des
substituts proches des dépôts. Du fait de leur inclusion dans M3, cet agrégat large
est moins sensible aux transferts opérés entre les différentes catégories d’actifs li-
quides que ne le sont les agrégats monétaires plus étroits et se trouve donc être plus
stable.
Le tableau 3.2 permet d’apprécier la composition de la masse monétaire au ni-
10. Dans la réalité cette affirmation doit être relativisée puisqu’il existe des possibilités légales
d’effectuer des paiements directement à partir d’un compte sur livret, notamment pour certains pré-
lèvements automatiques comme les pour les factures d’eau, d’électricité. . .
11. Dans le cas d’une mise en pension, il est utile de noter que les titres concernés restent toujours
dans le portefeuille de l’agent emprunteur.
12. Comme le soulignent Bradley & Descamps (2005), on peut néanmoins douter que l’ensemble
des instruments de M3−M2 soient véritablement plus liquides que ceux compris dans M2−M1. En
effet, certain titres monétaires peuvent être échangés sur des marchés très fluides et donc être plus
rapidement disponibles que des instruments de court terme soumis à des pénalisations financières et
fiscales en cas de retrait anticipé.
126
CHAPITRE 3. L’OFFRE DE MONNAIE
Actif Passif
1. Prêts aux résidents de la zone Euro ; 1. Monnaie Fiduciaire ;
2. Portefeuille de titres autres que les ac- 2. Dépôts de l’administration centrale ;
tions émis par les résidents de la zone
Euro ;
3. Portefeuilles d’actions et autres partici- 3. Dépôts d’autres administrations pu-
pations émises par des résidents de la zone bliques de la zone Euro ;
Euro ;
4. Créances sur les non résidents ; 4. Dépôts d’autres résidents de la zone
Euro ;
5. Actifs immobilisés ; 5. Titres d’OPCVM monétaires ;
6. Autres actifs ; 6. Titres de créances émis ;
7. Capital et réserves ;
8. Engagements envers les non résidents ;
9. Autres passifs ;
10. Excédents d’engagements inter-IFM.
Source : Delaplace (2009, p. 73).
veau de la zone Euro et de la France en 2008. Que l’on se limite à une définition
restreinte de la monnaie (M1) ou que l’on adopte une vision plus large avec M2 ou
M3, on peut voir que la monnaie fiduciaire ne correspond qu’à une part faible de la
monnaie circulant dans l’économie européenne. Les dépôts, qu’il s’agisse de dépôts
à vue ou de dépôts à court terme représentent au contraire la majeure partie de
la masse monétaire. Les courbes de la figure 3.1 permettent d’apprécier l’évolution
relatives des différents agrégats en longue période dans la zone Euro et aux USA.
On s’aperçoit, notamment dans le cas américain du développement plus rapide de
la quasi monnaie (M3 moins M1) par rapport à la monnaie stricto sensu.
127
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
128
CHAPITRE 3. L’OFFRE DE MONNAIE
10000
M1 M1
M2 M2
M3 M3
8000
6000
6000
4000
4000
2000
2000
0
1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010 1960 1970 1980 1990 2000
Note : données en milliards d’Euros sur la figure 3.1a (source Banque Centrale Eu-
ropéenne) et en milliards de dollars sur la figure 3.1b (source Federal Reserve).
Actif Passif
Réserves Dépôts
Crédit
gure 3.2 13 .
Il convient pour autant de souligner une des singularités de l’activité bancaire,
à savoir la nature monétaire des dettes que constituent pour elles les dépôts à vue.
Lorsqu’un dépôt est effectué dans une banque, celui-ci constitue pour cette dernière
une dette exigible à vue, autrement dit dont le remboursement peut être demandé à
n’importe quel moment sous forme de monnaie manuelle par le titulaire du compte.
L’originalité de cette dette de la banque est toutefois qu’elle est effectuée sur elle
même et peut simultanément servir de moyen de paiement. Elle n’a donc de valeur
que pour ceux qui la reçoivent, autrement dit les clients de la banque, pour peu
qu’ils la mettent en circulation. Il est à ce moment utile de préciser que la monnaie
scripturale créée par la banque commerciale n’a pas une aire d’acceptation aussi
importante que la monnaie fiduciaire et la monnaie scripturale émise par la Banque
13. Cette représentation simplifiée occulte les fonds propres de la banque, constitués par les ca-
pitaux apportés par les actionnaires et les dividendes non rémunérés. Puisqu’il s’agit d’engagements
vis-à-vis des propriétaires de l’entreprise, ils figurent au passif du bilan. Les fonds propres permettent
de garantir la solvabilité de la banque. En cas d’impayé, la dette du débiteur est retiré des actifs de
la banque et les fonds propres sont amputés du même montant. On conçoit aisément qu’une banque
doive s’assurer de la solvabilité de ses emprunteurs puisque des défaillances massives se traduisant
par un épuisement des fonds propres entraîne nécessairement la faillite de l’établissement.
129
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
Banque Brochant
∆Actif ∆Passif
Réserves +10 Dépôt à vue +100
Crédit +90
Pignon Perrin
∆Actif ∆Passif ∆Actif ∆Passif
Billets −100 Billets +90 Dette +90
Dépôt à vue +100
130
CHAPITRE 3. L’OFFRE DE MONNAIE
n’a aucunement besoin de ressources préalables pour accorder des crédits. En aug-
mentant la ligne de ses dépôts à vue du montant correspondant au prêt effectué,
elle équilibre son bilan et augmente parallèlement le niveau de la masse monétaire
sans avoir à « puiser » dans les dépôts préalablement formés par ses autres clients.
La création monétaire par le crédit correspond donc à un simple jeu d’écriture qui
correspond à l’échange d’une créance réelle — le crédit bancaire est bien adossé aux
actifs réels qu’il permet d’acquérir — en dettes de nature monétaire, à savoir les
dépôts à vue. Toute l’originalité du mécanisme est donc que la banque et l’emprun-
teur effectuent un échange de créances de l’un sur l’autre 14 . On observe donc bien
au travers de ce mécanisme une monétisation d’actifs non monétaires. De plus, on
peut in fine concevoir la monnaie comme une dette de banque qui circule, puisqu’il
s’agit d’un élément du passif des institutions bancaires qui peut être utilisé comme
moyen de paiement.
Cette capacité de création monétaire ex nihilo ne rend toutefois pas caduque
la fonction d’intermédiation financière au niveau des banques 15 . Il faut en effet
préciser qu’en parallèle de cet activité monétaire, la banque joue toujours un rôle
d’intermédiaire financier pur dès lors qu’elle participe au financement de l’économie
au travers de ses capitaux propres ou empruntés sur les marchés financiers 16 .
Cette création de monnaie offre évidemment un avantage conséquent au sys-
tème bancaire. En offrant des crédit à un taux d’intérêt sensiblement plus élevé
que la rémunération des dépôts, la banque tire un profit substantiel de son activité
sous forme de seigneuriage. Le corollaire de ce mécanisme de création monétaire est
évidemment la nature temporaire de la monnaie créée. Au fur et à mesure que l’em-
prunteur rembourse son crédit, la monnaie initialement créée disparaît en étant
effacée à la fois de l’actif et du passif de la banque. On parle alors de destruction
monétaire. On comprend alors que, hors émission de monnaie divisionnaire par la
Banque centrale, la masse monétaire ne peut croître qu’au fil de la progression du
crédit dans l’économie, donc du développement de l’activité économique 17 . Ce lien se
retrouve évidemment sur le plan statistique puisque l’on peut observer que les diffé-
rents agrégats monétaires enregistrent généralement des baisses dans les périodes
de contraction de l’activité économique.
Il faut toutefois s’interroger sur les limites de ces mécanismes de création mo-
nétaire puisque les banques semblent pouvoir créer de la monnaie de manière illi-
mitée, sans autres limites que l’identification de projets susceptibles d’être financés,
14. On peut alors voir l’intérêt associé au prêt comme la rémunération pour la banque de ce service
de conversion.
15. La question ne se pose évidemment pas pour les autres institutions financières qui doivent elles
collecter des ressources préalablement à toute activité de prêt.
16. Pour la suite du cours, nous négligerons ce comportement d’intermédiaire simple qui n’est pour-
tant pas négligeable dans l’activité bancaire.
17. Sur ce point précis, il est intéressant de retrouver là un résultat qui fait écho à la position tenue
par les auteurs de la banking school (confer section 3.1.1).
131
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
Dans le cas plus général où le système est composé de plusieurs banques com-
merciales, les banques voient aussi une partie des dépôts formés à l’issue d’une
opération de crédit servir pour des règlements auprès d’agents clients de banques
concurrentes, ce qui rend plus sensible la question des réserves. Par exemple, suppo-
sons que la banque Brochant accorde un prêt à Pignon à hauteur de 100 e. Celui-ci
utilise 60% de ce crédit pour payer Perrin, son fournisseur en vin, lui même client
de la banque Leblanc. De fait, l’opération de crédit a permis d’augmenter l’actif de
la banque Brochant de 100 e, mais il lui aura aussi fallu diminuer utiliser ses ré-
18. Pour mémoire, rappelons que les emplois correspondent à l’actif d’un agent, et ses ressources à
son passif.
19. Lorsque ce mécanisme de création monétaire par le crédit naquit simultanément en Angleterre
et en Suède au XVIIe siècle, il s’agissait bien évidemment de métal précieux.
132
CHAPITRE 3. L’OFFRE DE MONNAIE
serves puisque les opérations entre banque s’effectuent en monnaie centrale, et donc
réduire son actif de 60 e pour financer la fuite que constitue le règlement de Pignon
auprès de Perrin. L’actif de la banque Brochant augmente donc au final du même
montant que son passif, soit 100−60=40 e comme on peut le voir à partir de la fi-
gure 3.4. On s’aperçoit donc que l’opération de crédit, en entamant les réserves de
la banque Brochant augmente son risque d’insolvabilité. On peut penser que cette
situation est temporaire dans la mesure où le prêt de Pignon est destiné à financer
une activité. En d’autres termes, Pignon doit tôt ou tard approvisionner son compte
courant avec les recettes de son activité, ce qui va permettre à la Banque Brochant
de reconstituer ses réserves. Néanmoins, cette dernière doit faire face temporaire-
ment à une situation de sous-liquidité dans la mesure où son actif est composé d’une
part plus importante d’actifs réels (la dette de Pignon) qui l’expose durant cette pé-
riode à un risque d’illiquidité. Elle ne peut donc se permettre d’offrir du crédit de
manière illimité sous peine que sa fragilité ne conduise à une panique qui provoque
une situation réelle d’insolvabilité.
On peut aussi noter que ces réserves additionnelles engrangées par la banque
Leblanc offrent aussi cette dernière la capacité d’accorder des crédits supplémen-
taires à ses clients, donc d’accroître le niveau de la masse monétaire par intermé-
diation bancaire. De fait, si le pouvoir de création monétaire de chaque banque com-
merciale est limité par le pourcentage de dépôts qui restent au passif de son bilan,
autrement dit sa part de marché, celui du système bancaire est potentiellement illi-
mité. Pour préciser ce résultat considérons que le système bancaire ne comporte que
deux banques commerciales et que la part de marché de la banque Brochant soit de
40%. En d’autres termes, tout nouveau crédit d’un montant y accordé par la banque
Brochant doit se traduire par une diminution de ses réserves de 0,6y tandis qu’un
prêt d’un montant x par la banque Leblanc va, au fil des transactions de ses clients,
donner lieu à une augmentation de 0,4x des réserves de la banque Brochant. On
comprend ainsi qu’une banque commerciale ne peut se développer de manière du-
rable par le seul crédit dans la mesure où il lui faut avoir le circuit monétaire le
plus étendu possible, autrement dit la part de marché la plus importante possible
en matière de dépôts, afin de limiter les risques d’illiquidité. Même si l’activité de
dépôt semble peu rémunératrice — il faut tout de même tenir en compte les nom-
breux services financiers vendus aux clients — au regard de l’activité de crédit, elle
permet de limiter les coûts de banque en matière de refinancement. Sous cet angle,
on comprend mieux l’intérêt des banques à fidéliser leurs clients.
Dans notre exemple, pour que les réserves de la banque Brochant restent stables,
il est donc nécessaire que les fuites soient strictement compensées par de nouveaux
dépôts, soit 0, 6y = 0, 4x. On en déduit que les deux banques maintiennent leurs
réserves constantes dès lors que la banque Leblanc accorde un volume de crédit
0,6
x
y = 0,4 = 1, 5 fois plus important que la banque Brochant.
133
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
Dans la mesure cette correspondance parfaite n’a que peu de raison de se pro-
duire à court terme — notons que notre exemple exclut aussi les fuites hors du
circuit bancaire sous formes de retrait en billets —, une banque disposera d’un excé-
dent de liquidités tandis que l’autre présentera un déficit. Si l’on reprend la situation
de la figure 3.4, la banque Brochant est en situation de manque de réserves faute
d’avoir réussi à capter des dépôts issus des banques concurrentes. Pour maintenir sa
capacité à répondre à un besoin en liquidité de ses clients, la banque Brochant doit
se tourner vers la banque Leblanc. Cette dernière voit les dépôts de Perrin auprès
d’elle augmenter de 60 e sans pour autant avoir d’emploi direct pour ses ressources.
En effet, dans la mesure où la banque Leblanc n’a a priori qu’un intérêt limité pour
la constitution de réserves additionnelles, on peut penser que celle-ci va utiliser son
excès de monnaie pour accorder de nouveaux crédits. Elle peut ainsi accorder un
prêt à la banque Brochant, autrement dit convertir les réserves additionnelles en
créance sur la banque Brochant, ce qui permet à cette dernière de retrouver un ni-
veau de réserves soutenable et donc sa capacité à distribuer du crédit 20 . Le lieu de
rencontre de ces excédents et déficits de monnaie est appelé marché interbancaire
ou chaque banque évalue chaque jour le solde des règlements perçus et dus auprès
de chaque autre banque 21 . Les banques soldent alors leurs positions au travers de
prêts à très courts termes dans la mesure où les positions de chacune sont en prin-
cipe fluctuantes autour du niveau zéro. On pourrait penser que la banque Brochant
pourrait obtenir les liquidités nécessaires en contrepartie de la cession de titres cor-
respondant aux créances acquises sur Pignon lors de l’activité de crédit. Toutefois,
la banque Leblanc n’a aucune raison de penser que la dette de Pignon auprès de
la banque Brochant est valable — cette dernière peut avoir mal évalué le degré de
risque du projet d’investissement de Pignon — ; elle préférera donc acquérir une
créance sur la Banque Brochant comme on le voit sur les bilans de la figure 3.5.
En se cédant des créances des unes sur les autres, les banques pourraient donc
continuer à distribuer indéfiniment du crédit en l’absence de progression du crédit
20. On aurait aussi pu imaginer que la banque Leblanc ouvre un compte de dépôt auprès de la
banque Brochant, dépôt qui serait crédité du montant dû par cette dernière. Ceci signifierait toutefois
que la banque Leblanc paierait ses dettes à l’aide de sa propre monnaie, monnaie qui est aussi une
dette. Or, nul ne paie avec sa propre dette.
21. Au niveau européean le système de règlement utilisé est TARGET2 (trans-European automated
real time gross settlement express transfer system).
134
CHAPITRE 3. L’OFFRE DE MONNAIE
parallèle à leurs parts de marché. Le problème avec ce raisonnement est qu’il repose
sur l’absence de fuites hors du circuit bancaire — par circuit bancaire, on entend
l’ensemble des circuits monétaires des banques commerciales — correspondant aux
retraits de billets, aux opérations en devises ou aux opérations avec le Trésor 22 . De
plus, tant que la Banque centrale n’intervient pas cette création monétaire se fait à
niveau global de réserves fixes, comme c’est le cas lorsque l’on regarde la situation
du système bancaire sur la figure 3.5. En accordant un prêt en monnaie centrale à
la banque Brochant, la banque Leblanc ne se trouve plus en situation de couvrir le
dépôt additionnel de Perrin si elle ne disposait pas initialement de réserves excé-
dentaires. Le système bancaire dans son ensemble se trouve donc en situation de
sous-liquidité après la séquence de prêts effectués, la liquidité d’un agent financier
se définissant à partir de l’importance relative de ses avoirs en monnaie centrale ou
équivalents. Les banques ont intérêt à limiter leur utilisation du droit de seigneu-
riage afin de ne pas s’exposer à des risques d’insolvabilité trop importants.
Puisque la monnaie créée figure au passif des banques et qu’un bilan se doit
par définition d’être équilibré, on peut naturellement trouver les contreparties, en
d’autres termes les sources, de la création monétaire en analysant l’actif figurant
au bilan des IMF. Bien que la monnaie bancaire puisse être créée ex nihilo d’un
point de vue monétaire, cette création suppose toujours l’acquisition par les IMF
de créances sans pouvoir libératoire. De manière générale, les contreparties à la
création monétaire sont les opérations à la source de celle-ci effectuées par les IMF
au profit des agents non financiers. Il s’agit en fait d’opérations de créance dont on
distingue trois catégories selon le type d’agent impliqué :
– la contrepartie extérieure qui retrace l’impact des flux de fonds entre agents
non financiers résidents et agents non résidents sur le stock de monnaie. La
masse monétaire varie donc au fil des transactions courantes de la balance des
paiements et des mouvements de capitaux à court et long termes entre agents
non financiers résidents et agents non résidents. Lorsqu’une entreprise ex-
porte des biens à l’étranger, l’importateur doit effectuer un règlement en mon-
naie nationale, ce qui implique une demande de crédit auprès d’une banque
résidente afin d’obtenir les moyens des règlement. Le crédit lui-même a une
contrepartie en devises qui constituent une créance sur l’étranger, et donne
lieu à une augmentation du même montant de la masse monétaire. Notons
qu’une fois les devises acquises, la banque commerciale peut chercher à les
vendre auprès de la Banque centrale désireuse de bénéficier des réserves en
22. Dans ce dernier cas, la fuite correspond au fait que le système du Trésor et celui des banques
ne sont pas directement connectés et n’entrent donc pas en compensation. Les règlements se font en
fait en monnaie centrale au travers des comptes de ses institutions auprès de la Banque centrale.
135
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
devise pour pouvoir influer sur le cours de sa monnaie à l’extérieur. Pour ac-
quérir ces devises, la banque centrale doit par conséquent émettre de la mon-
naie centrale.
– la contrepartie « créances sur l’État » qui retrace l’endettement de l’État vis-à-
vis du système financier. On y retrouve donc les titres d’État, les bons du Tré-
sor négociables ou obligations acquis par les institutions financières, y compris
ceux vendus à réméré 23 ou donnés en pension aux agents non financiers. A ceci
s’ajoutent les créances non-remboursables sur le Trésor que sont les pièces de
monnaie.
– la contrepartie sur l’économie qui regroupe les financements consentis par les
institutions financières aux agents non financiers résidents. Il s’agit donc des
crédits stricto sensu (y compris les découverts accordés par la banque), des
avances, des parts et comptes courants d’associés dans les sociétés immobi-
lières de promotion, des immobilisation de crédit-bail, des opérations de lo-
cation avec option d’achat, des prêts participatifs 24 , des valeurs mobilières
émises par les agents non financiers autres que l’État ou des billets de tréso-
rerie escomptés.
23. Une vente est dite à réméré lorsque le vendeur à la possibilité, mais non l’obligation, de racheter
le bien concerné dans le futur.
24. Il s’agit de prêts aux sociétés du secteur publics, aux sociétés coopératives et aux entreprises
d’assurance. En cas de liquidation de l’entreprise, les créanciers ordinaires touchent un intérêt fixe et
une participation variable, mais avant les actionnaires.
25. Il figure aussi de manière non-négligeables à l’actif de nombre d’institutions multilatérales
comme le FMI ou la Banque Mondiale dont les activités sont rapprochent de celles des IFM.
136
CHAPITRE 3. L’OFFRE DE MONNAIE
Actif Passif
Or et Réserves de change Billets
Refinancement Réserves
des banques commerciales des banques commerciales
Créances sur le Trésor Compte
des administrations publiques
26. On peut ajouter que la Banque de France gérait aussi des comptes de dépôts pour des agents
privés non financiers. La totalité des comptes ont été fermés fin 2004.
137
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
On peut distinguer deux modes créations de la monnaie centrale selon qu’elle est
ou non liée à un besoin de liquidité des banques de second rang. S’il n’existe pas de
lien direct, on parles de monnaie centrale « non empruntée » et de monnaie centrale
« empruntée » dans le cas alternatif. Dans le premier cas, la création nait d’une
opération avec le Trésor ou d’un excédent de la balance de paiements tandis que
dans le second cas, il s’agit bien d’opérations destinées à assurer le refinancement
des banques en monnaie centrale.
Les opérations avec le Trésor, destinées à financer le déficit public, peuvent se
faire de deux manière : au travers d’avances ou d’achats de titres publics sur le mar-
ché interbancaire. Dans le premier cas, il s’agit donc de prêts directs au Trésor 27
qui se justifient dès lors que le compte du Trésor est géré par la Banque centrale
puisque cela contraint cette dernière à assurer la trésorerie du premier. La banque
émet alors de la monnaie centrale qui est distribuée par la suite « gratuitement »
aux banques au fur et à mesure des paiements du Trésor aux agents de l’écono-
mie. Dans le cadre européen, ce type de financement de l’État a été délaissé par les
pouvoirs publics à partir des années 80 et est même prohibé depuis la signature du
traité de Maastricht en 1992.
Le second moyen utilisé — le seul utilisé de nos jours — par la Banque centrale
pour financer le déficit public correspond à l’achat de titres publics (des OAT, ou
obligations assimilables du Trésor, et des Bons du Trésor) au travers d’opérations
d’open market. De manière général, une opération d’open market consiste en l’achat
de titres (obligations et bons du Trésor, billets de trésorerie, certificats de dépôt,
bon des institutions financières et plus rarement valeurs mobilières) sur les mar-
chés monétaires et financiers ou directement aux entreprises en l’échange de mon-
naie centrale. Dans le cas d’opérations destinées à financer le déficit budgétaire, la
Banque centrale se porte acheteuse de titres publics déjà émis, ce qui en augmente
la demande et, à offre donnée, le prix. Par conséquent le taux d’intérêt sur les titres
nouveaux diminue (confer section 2.2.2 pour la relation entre prix des titres et taux
d’intérêt) et permet à l’État de se financer à moindre frais. En parallèle, l’achat de
titres publics anciens au banques permet à ces dernières d’obtenir de la monnaie
centrale.
Pour ce qui est de l’émission de monnaie centrale « non empruntée » dans les re-
lations avec l’extérieur, il suffit d’avoir en tête, comme nous l’avons indiqué dans la
section 3.2.3, que les banques commerciales doivent passer par l’intermédiaire de la
Banque centrale, et plus particulièrement de son fonds de stabilisation des changes,
pour convertir les devises acquises par leurs clients en monnaie centrale. De fait, il
27. C’est essentiellement à ce procédé auquel il est fait référence lorsque l’on parle de « faire marcher
la planche à billets » pour financer le déficit public.
138
CHAPITRE 3. L’OFFRE DE MONNAIE
est important de mentionner que le régime de change d’un pays peut grandement
affecter l’importance de la création de monnaie centrale ayant une contrepartie ex-
térieure. En situation de change flottant, la Banque centrale ne créé de la monnaie
centrale que dès lors que les évolutions du cours de la monnaie ne lui semblent pas
compatibles avec les objectifs qui lui ont été confiés. Au contraire, dans un régime de
change fixe, la Banque centrale doit en permanence adapter ses réserves de change
afin de défendre la parité fixé avec les autres monnaies et ses interventions prennent
un caractère automatique. Dans le cas extrême d’une caisse d’émission 28 , la parité
d’une monnaie par rapport à un devise de référence est aussi fixe, mais l’émission
de monnaie centrale ne se fait qu’au fil des entrées de devises dans le pays.
Pour le refinancement direct des banques qui donne lieu à la création de monnaie
centrale « empruntée », deux types d’opérations sont traditionnellement utilisées à
savoir le réescompte et les opérations sur le marché monétaire. Dans le premier cas,
les banques de second rang obtiennent de la monnaie centrale en cédant à la Banque
centrale les titres de créance à court termes escomptés auprès de leurs clients. Dans
ce cas, le réescompte s’effectue à un taux fixé au préalable par la Banque centrale
(le taux de facilité de prêt marginal dans le cas de la BCE) et qui constitue un de ses
taux directeurs. La monnaie centrale est donc alors créée de la même manière pour
les banques de second rang que ces dernières accordent des crédits à leurs clients.
Le problème de ce mécanisme de facilités permanentes est qu’il contraint la Banque
centrale a prendre en charge le recouvrement des créances acquises en contrepartie.
C’est pour cela que les banques centrales recourent principalement à des inter-
ventions directes sur le marché monétaire, autrement dit d’opérations d’open market
puisque la monnaie est créée aux conditions de marché. Plus précisément, il s’agit
d’adjudications au travers desquelles la Banque centrale émet de la monnaie par la
voie d’appels d’offre qui constituent dans le cas de la BCE l’instrument essentiel de
refinancement et de pilotage des taux d’intérêt à court terme. Ces adjudications, qui
prennent généralement la forme de pensions, sont réalisées soit à taux fixe, soit à
volume de liquidité fixe. Le taux d’intérêt correspondant à ces prêts de liquidité est
appelé taux de refinancement — on parle de taux « refi » — et constitue le principal
taux directeur de la Banque centrale.
28. La traduction en langue anglaise est currency board. L’abandon de toute possibilité d’influer
de manière discrétionnaire sur la masse monétaire au travers des caisses d’émission a généralement
pour but de rétablir immédiatement la confiance dans la monnaie nationale. Il s’agit donc d’un moyen
redoutablement efficace pour lutter contre l’inflation et éviter l’utilisation du seigneuriage par l’État
pour financer ses déficits.
139
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
pages, nous avons aussi souligné que nombre d’opérations exerçaient une influence
sur cette disponibilité en monnaie centrale. Plus exactement, on dégage quatre fac-
teurs de liquidité du système bancaire, à savoir : i) les besoins en billets, ii) les
opérations en devises, iii) les opérations avec le circuit du Trésor, autrement dits
celles liées aux activités sur les comptes courants des administrations publiques
auprès de la Banque centrale, et iv) les réserves obligatoires 29 . Les trois premiers
facteurs sont qualifiés d’autonomes dans la mesure où la Banque centrale ne peut
véritablement agir dessus. Le dernier est qualifié de réglementaire et représente
donc, sous certaines conditions, un levier de la politique monétaire. C’est principale-
ment ce dernier facteur qui est mis en avant dans la théorie dite du multiplicateur
de base monétaire et présenté dans la section 3.3.3.
L’étude des mécanismes de création de la base monétaire montre l’existence
d’une relation quasi-comptable 30 entre monnaie centrale et les monnaies créées par
les banques commerciales au travers du crédit. Bien que la constitution de réserves
soit dans l’intérêt même des banques commerciales, ce lien est institutionnalisé avec
la présence des réserves obligatoires initialement prévues pour prévenir les risques
de faillite bancaire en garantissant la capacité des banques à répondre à des de-
mandes imprévues de conversion des dépôts en billets. Actuellement, la Banque
Centrale Européenne impose un taux de réserve obligatoires de 2% pour les dépôts
à vue, les dépôts à terme d’une durée inférieure ou égale à deux ans, les dépôts
remboursables avec un préavis inférieur ou égal à deux ans et les titres de créance
d’une durée inférieure ou égale à deux ans. Il est en revanche nul pour les pensions,
les dépôts assortis d’une échéance convenue supérieure à deux ans et aux titres de
créance d’une échéance convenue supérieure à deux ans. Les réserves des banques
commerciales figurant sur ces comptes à vue sont rémunérées selon un taux de ré-
munération des dépôts fixé au jour le jour par la Banque centrale et qui correspond à
la moyenne du taux d’intérêt marginal des opérations principales de refinancement
de l’Eurosystème. Dans le système européen, il convient de noter que seules les ré-
serves obligatoires sont rémunérées sur ces comptes de dépôts à vue 31 . Ajoutons
que les réserves obligatoires sont généralement fixées à hauteur d’une certaine pro-
portion des dépôts, mais il arrive que les autorités monétaires en fixent directement
le montant par rapport au crédit distribué. Enfin, on dit de la monnaie centrale af-
fectée en réserves obligatoires des banques de second rang qu’elle est stérilisée dans
la mesure où elle ne peut participer à la distribution de crédit bancaire.
Pour simplifier la présentation de cette relation 32 , on suppose que les banques
29. Dans le cas français, les réserves obligatoires ne sont apparues qu’à partir de 1967.
30. Nous la qualifions de quasi-comptable car elle inclut au moins un élément comportemental avec
le taux de préférence pour les billets.
31. Pour les réserves excédentaires, les banques commerciales ont la possibilité d’effectuer tout de
même des dépôts à 24 heures rémunérés selon un taux plancher du loyer de largent au jour le jour et
appelé taux de facilité de dépôt.
32. Il semble que ce soit Chester Phillips — à ne pas confondre avec Alban Phillips, auteur de la
140
CHAPITRE 3. L’OFFRE DE MONNAIE
M = B + D, (3.1)
M b = B + R. (3.2)
1
M= M b. (3.3)
ρ + ϕ − ρϕ
(1 − ρ)(1 − ϕ) b
C= M . (3.4)
ρ + ϕ − ρϕ
courbe du même nom — qui ait identifié cette relation le premier au début du XXe siècle.
33. La définition de ϕ permet d’écrire B = ϕM . On en déduit à l’aide de l’équation (3.1) que D =
(1 − ϕ)M . De même, comme R = ρD, on obtient R = ρ(1 − ϕ)M . En replaçant les expressions de B et
R dans l’équation (3.2) respectivement par B = ϕM et R = ρ(1 − ϕ)M , on aboutit à l’équation (3.3).
34. Pour obtenir l’équation (3.4), il suffit dans un premier temps de réorganiser cette dernière équa-
tion comptable en C = D − R. En utilisant la définition de ρ dans cette dernière équation, on obtient
une expression de C en fonction de R. Enfin, à l’aide de l’expression de R en fonction de M (voir note 33,
on obtient C = (1 − ρ)(1 − ϕ)M . En utilisant cette expression dans l’équation (3.3), on obtient (3.4).
141
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
142
CHAPITRE 3. L’OFFRE DE MONNAIE
143
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
Cette théorie du multiplicateur de base monétaire n’en reste pas moins criti-
quable pour plusieurs raisons. En premier lieu, pour obtenir un réel contrôle de la
masse monétaire à partir de la base monétaire — on parle alors de politique de base
monétaire —, il est nécessaire que les paramètres ρ et φ soient stables. L’automa-
tisme du mécanisme de crédit que traduit la fixité de ρ minimise ainsi grandement
la fonction bancaire. En fait, une hypothèse implicite de la théorie du multiplicateur
de base monétaire est que les banques se contentent de fixer leur taux de réserve à
hauteur du taux de réserve obligatoire alors même qu’il s’agit de la résultant d’un
processus d’optimisation d’un portefeuille d’actif (sous contrainte réglementaire tout
de même) susceptible d’évoluer en fonction du rendement relatif de différents actifs
(confer le modèle de gestion de portefeuille présenté en section 2.2.2). Comme le pré-
cise Tobin (1963, page 416), « il y a plus dans la détermination du volume de dépôts
bancaires que la seule arithmétique de l’offre de refinancement et les ratios de ré-
serves. Les réserves excédentaires des années 30 rappellent de manière exemplaire
que les opportunités économiques prévalent sur les calculs de réserves ». En effet,
les banques n’accordent du crédit que dans la mesure où elles trouvent des projets
qu’elles jugent rentables de financer aux conditions de marché actuelles. En prenant
en compte cette possibilité d’absence de projets à financer, la relation (3.7) ne donne
finalement que la valeur maximale que peut atteindre la masse monétaire suite à
une expansion de la base monétaire. Cette critique permet aussi de souligner que
la valeur du multiplicateur de base monétaire ne doit a priori pas être orthogonale
au niveau des taux d’intérêts. Rien ne permet en effet de supposer qu’une banque
disposant de réserves excédentaires ne va pas trouver un emploi plus rémunérateur
ou moins risqué pour ces réserves que le crédit. Il est en effet possible que la banque
privilégie au contraire des opérations de trésorerie à court terme, l’achat de titres,
voire en profite pour se désendetter auprès de la Banque centrale en rachetant les
titres cédés antérieurement lors d’opérations de refinancement.
On peut aussi mettre en avant le fait que la valeur de ϕ est influencée par l’offre
de services des banques commerciales, notamment sur les taux de rémunération
des dépôts, les coûts d’utilisation des moyens scripturaux ou encore la facilité avec
laquelle sont effectués les retraits en espèce. Les observations empiriques semblent
en outre montrer que la valeur du multiplicateur est loin d’être stable.
144
CHAPITRE 3. L’OFFRE DE MONNAIE
145
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
36. Ceci explique en partie pourquoi la Réserve Fédérale n’a pas eu le même comportement durant
la crise des subprimes avec Morgan Stanley et Goldman Sachs qu’avec Lehman Brothers.
37. Il peut être intéressant de replacer cette opposition entre multiplicateur de base monétaire et
diviseur de crédit à la lumière de la controverse entre banking school et currency school. Le multipli-
cateur correspond en effet mieux à une conception quantitative de la politique monétaire, autrement
dit au contrôle du niveau des prix tandis que la théorie du diviseur s’inscrit finalement dans la lignée
de la banking school, autrement dit d’une monnaie qui accompagne les besoins de financement de
l’économie.
146
CHAPITRE 3. L’OFFRE DE MONNAIE
établissement bancaire. Pour ce qui est du chiffre d’affaire, on suppose que celui-ci
correspond aux intérêts obtenus sur les crédits C accordés. En notant iC le taux
débiteur des banques commerciales, autrement dit le taux auquel elles accordent
des crédits, ce chiffre d’affaire est alors iC C.
Dans ce modèle, nous négligeons donc la possibilité pour les banques commer-
ciales de réaliser des profits sur l’activité de dépôt. En fait, ces dépôts sont envisagés
comme des ressources pour l’activité de crédit et apparaissent dans les coûts de la
firme bancaire. Ces coûts prennent la forme de frais de gestion proportionnels au
niveau des dépôts. Ils couvrent aussi bien le taux de rémunération éventuellement
versé par la banque aux déposants que les frais de gestion de ces dépôts proprement
dits. Dans le cadre de notre modèle, ils sont supposés être exogènes et s’élever à iD
par unité de dépôt. En admettant que les dépôts collectés représentant une fraction
(1 − ϕ) de la masse monétaire M , les coûts de gestion de dépôts s’élèvent alors à
iD (1 − ϕ)M .
L’autre élément de coûts dans l’analyse correspond à l’éventuel besoin de refi-
nancement de la firme (ou plutôt du système bancaire dans son ensemble). En écar-
tant la possibilité pour les firmes d’agir sur leur taux de réserve — on supposera
de manière traditionnelle que le taux optimal serait inférieur au taux de réserve
obligatoire —, les réserves sont définies comme une proportion ρ des dépôts collec-
tés, soit ρ(1 − ϕ)M . Le niveau de refinancement MRD demandé par les banques, qui
correspond à la partie non couverte par les réserves de la différence entre niveau de
crédit accordé C et dépôts, sera donc 38 :
Si l’on suppose que la masse monétaire a pour contrepartie le crédit et des contre-
parties externes X (opérations en devise ou avec le Trésor), on obtient à partir de
l’équation (3.9) la relation suivante entre refinancement et contreparties de la masse
monétaire :
MRD = C ρ + ϕ(1 − ρ) − X 1 − ρ − ϕ(1 − ρ) . (3.10)
Le taux auquel les banques peuvent se refinancer est noté iR . En ajoutant les
frais liés à la gestion des dépôts, le coût total des banques est donc égal à iD (1 −
ϕ)M +iR MR . En reprenant l’ensemble des éléments exposés, on en déduit la fonction
de profit bancaire Π et le programme de maximisation suivants :
max Π = C iC −iD (1−ϕ)−iR ρ+ϕ(1−ρ) −X iD (1−ϕ)−iR 1−ρ−ϕ(1−ρ) , (3.11)
C
147
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
Si l’on suppose que le marché du crédit est concurrentiel, les établissement ban-
caires réalisent une tarification de leur activité au coût marginal. Par conséquent,
en établissant la condition de premier ordre de ce programme de maximisation du
profit ( ∂C
∂Π
= 0), on en déduit la fonction d’offre de crédit C S suivante :
(3.12)
iC = iD (1 − ϕ) + iR ρ + ϕ(1 − ρ) .
148
CHAPITRE 3. L’OFFRE DE MONNAIE
taux débiteur.
Exemple 3 : Supposons que la fonction de réaction de la Banque centrale soit MRS = αiR
où α est une constante quelconque strictement positive. L’égalité entre offre et demande de
refinancement se traduit alors par l’égalité suivante :
β2
β 1−β β(1 − β)
iC − iD (1 − ϕ) − C S − X β − CS +X . (3.19)
α α α α
α 1−β
CS = (3.20)
2
iC − iD (1 − ϕ) + X .
2β β
On peut alors aisément vérifier que l’offre de crédit est bien une fonction croissante du
S
taux débiteur iC puisque ∂C α
∂iC = 2β 2 > 0.
iR iC
MRS CS
i∗C
i∗R
MRD CD
0 MR∗ MR 0 C∗ C
L’équilibre du modèle est donc atteint en confrontant d’une part offre de refi-
nancement de la Banque centrale et demande de refinancement des banques com-
merciales, et d’autre part offre de crédit des établissements bancaires et demande
de crédit des agents non financiers. En supposant de manière classique que la de-
149
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
mande de crédit C D est une fonction décroissante du taux débiteur, on obtient une
représentation générale similaire à celle de la figure 3.8. Au final, l’ensemble de
l’analyse fait apparaître au final le rôle fondamental que joue le comportement de
la Banque centrale dans le processus de création monétaire. Dans les paragraphes
suivants, nous étudions les deux cas polaires correspondant i) à un objectif de taux
d’intérêt et ii) à un objectif en termes de masse monétaire.
iR iC
′
MRS ′
ī′R i∗C ′ CS
MRS i∗C
īR CS
MRD CD
0 MR∗ ′ MR∗ MR 0 C ∗′ C ∗ C
Si l’on fait l’hypothèse que la Banque centrale se fixe un objectif de taux d’intérêt,
sa fonction de réaction devient ir = īr . En d’autres termes, la Banque centrale déter-
mine seule le coût du refinancement des banques commerciales, mais répond de fait
favorablement à toute demande de liquidité émanant de ces dernières. D’un point de
vue graphique, l’offre de monnaie centrale pour le refinancement se présente alors
sous la forme d’une droite horizontale comme on peut le voir sur la figure 3.9. Les
établissements bancaires ne sont donc pas contraints dans leur refinancement est
illimité, mais effectuent ce dernier un taux choisi par la Banque centrale. De fait,
leur offre de crédit sera définie par l’équation :
(3.21)
iC = iD (1 − ϕ) + īR ρ + ϕ(1 − ρ) .
150
CHAPITRE 3. L’OFFRE DE MONNAIE
′ ′
iR MRS MRS iC CS CS
i∗R ′ i∗C ′
i∗R i∗C
MRD CD
′
0 M¯R M̄R MR 0 C ∗′ C ∗ C
151
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
Une fois cette valeur C ∗ définie, la confrontation avec la demande de crédit per-
met de déterminer la valeur du taux d’intérêt débiteur tandis que la demande de
refinancement correspondant à C ∗ définit le coût du refinancement pour M̄R donné.
On est donc bien dans une mécanique de multiplicateur de base monétaire puisque
c’est la fixation de cette dernière qui détermine le niveau atteint par la masse mo-
nétaire, du moins dans sa partie ayant pour contrepartie le crédit.
La comparaison avec les résultats obtenus dans le cas du diviseur sont particu-
lièrement intéressants car ils montrent que les déterminants du crédit, donc de la
monnaie bancaire, diffèrent selon les situations. Dans les deux cas, les paramètres
de comportement ρ et ϕ apparaissent bien, mais la monnaie issue du diviseur dé-
pend aussi des facteurs de coûts auxquels sont exposées les banques, et des déter-
minants de la demande de crédit comme le niveau d’activité ou les anticipations
d’inflation. En revanche, dans le cadre du multiplicateur de la base monétaire, ce
sont essentiellement le niveau de monnaie centrale et le volume des contreparties
externes qui définissent le volume de l’activité bancaire.
152
CHAPITRE 3. L’OFFRE DE MONNAIE
Limites
153
M ACROÉCONOMIE MONÉTAIRE
b
b b
154
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