FAHAVALISME ET TROUBLES SOCIAUX
DANS LE BOINA A LA FIN DU XIX° SIECLE
par
Gey JACOB
Si V'lmerina vécut longtemps dans la crainte d’incursions
sakalava, les victoires de Radama I" semblérent marquer_un
tournant décisif. Au prix de cofteuses expéditions, il réussit &
triompher des principaux souverains sakalava et parut devoir
assurer sa domination sur leurs royauimes, en particulier sur
le Boina (1), Il installa une garnison 4 Majunga et fit batir des
citadelles aux principaux points stratégiques.
En réalité, il ne put jamais contréler Vensemble d’une région
vaste, de pénétration’ malaisée, & la population clairsemée,
indépendante, belliqueuse et encore mal fixée. Et ses successeurs
ne parvinrent que bien difficilement 4 maintenir ses conquétes.
Certes tous les chefs qui se dressérent encore contre Pautorité
merina furent battus, mais jamais le Boina (’Ambongo ou le
Menabe encore moins) ne fui totalement pacifié. Les pays saka-
lava restérent une terre d’élection du fahavalisme (2). Des bandes
armées continuérent a voler les troupeaux de beeufs, détrousser
(1) Cette étude a été suscitée par un, voyage organisé dans le Boina, en
mars 1966, par la Faculté des Lettres de Madagascar. Département @'Histoi
(2) Fahavalo veut dire ennemi (Dictionnaire d’4binal et Malzac). D'aprés
H, Deschamrs, Histoire de Madagascar, p. 432, le sens premier serait ¢ gens du
nombre huit >. Les fohavato sont encore nommés jirtka, mot qui veut dire ?
1° Dillards qui vont par bende, 2* commerce et particulitrement vente desclaves
(ietionnaire @Abinal et Malzac). L’évolution du sens de ce dernier terme
montre comment on considérait qu’éiait couramment alimenté le marché des
esclaves,2 uy sacon
les voyageurs, razzier les villages d’agriculteurs, réduire leurs
habitants en esclavage. Le Boina ct méme les marches acciden-
tales de I'Imerina étaient considérés comme des zones d'insécu-
rité permanente. Cependant, la plupart du temps, les fahavalo
se contentaient de coups de main sur des hameaux sans
protection ct @attaques contre des voyageurs isolés ou médiocre-
ment escortés, fls semblaient éviter soigneusement les batailles
rangées contre larmée réguliére.
Or, & partir de 1890, on assiste A une recrudescence de leurs
activités. Les fahavalo w’hésitent plus attaquer les troupes
merina enyoyées en renfort et les agents européens des conces-
sions auriféres, pourtant nombreux et bien armés. La liste de
leurs exploits, et de lcurs victimes, s’allonge. Il est incontestable
que le mouvement a alors acquis une audace et pris une extension
toutes nouvelles. Mais garde-t-il les mémes caractéres que durant
la période précédente, son recrutement est-il le méme ? Quelles
sont les raisons profondes de cette renaissance du fahavalisme
et quelle en a été la portée ?
{, LE FAHAVALISME TRADITIONNEL DANS LE BOINA
Les refuges des fahavalo qui, avant 1890, ravageaient le Boina,
étaient le Menabe et ’'Ambongo (3). Cette derniére région, malgré
plusieurs expéditions militaires vers 1835, avait pratiquement
foujours échappé & Pautorité merina. Les fahavalo traversaient
le plateau basaltique de YAsbongd ou le bastion calcaire de
Ankara, zones a peu prés désertiques qui séparent le Boina
de VAmbongo proprement dit, pour faire des incursions saison-
niéves dans les vallées. Leurs expéditions commencaient au début
de la saison séche, & partir de mars ou avril, des que les cours
d'eau devenaient facilement guéables. Autre avantage, ils pou-
vaient ramener les animaux capturés hors des gués habituels
et échapper plus aisément a leurs éventuels poursuivants.
Ils franchissaient l’Ikopa et la Betsiboka, et non contents de
(8) Les sources principales que mous avons consultées — et confrantées
pour cette présentation du fahavalisme traditionnel: sont :
du ma tgtnteeae, Madagascar en 1895, qui propose une explication densembte
iu mouvement,
— Les comptes rendus de missions dans la revue Notes, Reconnaissances,
Ezplorations (1897-1901), ceuvre Woflciers ou @exploxateurs qui donnent une
és précise duu pays, de ses habitants et meme de leur histoire,
@’Antanimandro (hameau & proximité de 1a
cs na) recueilli par Tiaray Rabenja. Ce berger est né en 1894
(an an avant Varrivée des Francais, nous a-t-il déclaré). Ses parents, esclaves,
fugitifs, venus se fixer prés de ta forteresse mering de Maevatanana, ont vécu
la fin de cette période troublée, dans la craimte permanente de raids de pillards,FAHAVALISME, TROUBLES SOCIAUX DANS LE BOINA 23
dévaster ces vallécs, poussaient parfois jusqu’en pays Sihanaka
et méme en pays Antakarana. Mais i] semble plus vraisemblable
que ces derniéres régions étaient surtout piliées @autres
bandes, formécs ou regroupées dans la vallée supérieure de la
Mahajamba. Les fahavalo regagnaient leurs quartiers dhiver
4 partir du mois doetobre.
Une description pittoresque dune de ces bandes, précisément
venue de la Mahajamba, nous est donnée par un chercheur d'or,
le Comte de Sardelys, qui, alors qu'il circulait avec une trés faible
escorte, fut encereié par une forte troupe de hors la loi, prés de
la forteresse merina de Soalazaina. « Malgré la gravité de la
situation, je ne pouvais m'empécher d’admirer le spectacle
vraiment pittoresque et guerrier offert par ces sauvages, nus
jusqu’a la ceinture, couverts seulement du lamba violet et ‘noir,
la poitrine chargée d’amulettes, le coquillage au milieu du front,
Ie fusil et les sagaics dans la main gauche, et marchant au combat
en soufflant dans leurs conques en coquillage > (4).
Parmi les fakavato, chaque homme avait un fusil. Armes et
munitions étaient amenées clandestinement sur des boutres par
des trafiquants indiens et débarquées dans une des nombreuses
baies (de Baly, de Marambitsy, de Boina) qui se trouvent au
nord de PAmbongo. En échange, ces trafiquants recevaient des
captifs et des boeufs.
Les villageois étaient Je plus souvent surpris par des attaques
soudaines, qui avaient licu généralement la nuit. Quelquefois, ils
essayaient de s’entraider, de village 4 village, pour repousser
les agresseurs, mais inférieurs en nombre, en armement, en
organisation, ils succombaient presque toujours. En effet, les
villages sakalava n’étaient que des hameaux composts de
quelques cases, situés en plaine, A proximité des riziéres, et
jamais fortifiés (5). La tache des assaillants s’en trouvait ainsi
singuli¢rement facilitée.
(4) De Sanpenys, Trois moly chez lex Antsianaka ef sur les bords de la
Mihajanba, in Noles, Reconnaissances, Explorations, 1897, pp. 71-72.
(Get episode ‘se passe en février 1896, mals comme le dit (auteur Iul-méme :
« Nous avions i faire aux fahavalo’ dv «< Bon views temps > ct non aux
insurgés actuels, »
Ledénouement fut heureux. Aprés de longues palabres, le chef de bande acéepta
de négocier, suivant un curieux — et sans doute prudent — protocole : « Le chet
ennemi s'avanga alors, complement dépourvu de ses _vétements, jusau’
milleu de Tespace qui nous séparait et ot il fut rejoint par un de nos hommes,
envoyé en ambassadeur, également dans la méme « absence de costume »
pour clmenter le traité, »
(5) Cf, Bexnvesr, Etude sur fe Bouéni, in Notes, Reconnaissances, Explora-
tions, 1897, pp, 858-379. Benevent été frappé par cette dernigre particularité,
Il pense que. si les villages sakalava sont toujours ouverts, c'est parce que « le
Hova s'est réservé le droit de se retrancher derriére des fortifleations. Le Saka-
tava, du reste, a de lui-méme rejeté toute idée de défense des villages. If n'avait
pas besoin de cela quand sa race était puissante, et il Ini plait de ne pad
changer ses habitudes >.ey uy sacon
Ilya Ja un aspect classique des rapports entre les sédentaires
et les nomades. Pour ces derniers le pillage, et surtout le vol de
beeufs, était une activité A la fois noble et lucrative. Le géographe
E-F, Gautier parle d’un roi du Menabe qui chaque année se
mettait a la téte d'une bande armée pour aller ranconner ses
voisins, amassant ainsi de quoi se reposer durant la saison
pluviewse (6). Les fahavalo se recrutaient parmi les tribus
sakalava qui méprisaient le plus les travaux de la terre et qui
restaient les plus instables. Dans unc certaine mesure, se pro-
longeait le conflit qui opposait de longue date les Sakalava
éleveurs itinérants et de vocation guerriére, aux paysans des
hautes terres, plus pacifiques. Mais il faut noter que parmi ceux
qui étaient alors les victimes des razzias il y avait non sculement
des cultivateurs merina et betsileo (parmi lesquels se trouvaient
beaucoup d'affranchis et d’esckaves fugitifs) mais aussi des
populations Sakalava sédentarisées qui avaient cru trouver une
protection auprés des occupants merina.
Comment était assurée cette protection? Pour obtenir unc
relative sécurité, Radama I* et ses successcurs avaient été amenés
4 jalonner la piste qui allait de Tananarive 4 Majunga de toute
une série de citadelles ainsi qu’a armer les habitants des marches
et les colons des territoires nouvellement eonquis. En cela, il
continuaient la politique d’Andrianampoinimerina qui avait
développé le systéme des voanjo (arachides), soldats-paysans
merina assurant A la fois la défense et la mise en valeur du
terroir. Mais dans le Boina cette colonisation ne devait pas faire
tiche dhuile, On en était bien vite arrivé 4 une sorte d’équilibre
des forces. Les merina contrdlaient les points de passage obligé,
protégaient quelques centres économiques comme Marovoay,
mais ne pouvant, ni ne voulant songer & policer ensemble du
Boina, abandonnérent bientot le plat pays aux fahavalo.
Cet abandon explique le déplacement du village sakalava de
Maevatanana, d’abord situé sur la rive gauche de PTkopa, qui se
réfugie au pied de la citadelle merina installée sur l'autre rive,
sur une butte escarpée. Le premier site aurait été abandonné sous
le régne de Ranavalona III, 4 la suite d’attaques répétées par
Jes fakavalo (7). Ainsi les pillards pouvaient impunément venir
rangonner un village situé & quelques kilometres dune des
principales garnisons du Boina. Déjé apparaissent des signes
précurseurs de la décadence de Pantorité merina, avant que
Péquilibre des forces ne soit rompu, vers 1890, par une agressivité
nouvelle des fahavalo.
(6) Rapporté par Bexevens, op. eit,
(7) Cf, Héléne Raramonaninosy, Les trois Maevatanana, 1a Recherches sur
histoire du Boina.FAHAVALISME, TROUBLES ROCIAUX DANS LE ROINS 25
I LA RECRUDESCENCE DU FAHAVALISME.
SES CAUSES
De cette agressivité témoignent plusieurs rapports dofi-
ciers (8), qui signalent que de nombreux villages ont été détruits
A partir de 1890, et surtout les attaques dont furent Pobjet les
concessions auriféres de Suberbie. En dix-huit mois, portant sur
les années 1893 et 1894, 487 ouvricrs auraient été tués et
516 blessés sur ces concessions (9). Plusieurs Européens du
personnel d’encadrement sont parmi les victimes, dont le Docteur
Béziat (tué en septembre 1891) ef le Réunionnais Silangue (en
octobre 1893). Et en juillet 1893, Passassinat du naturaliste
Miiller, au sud de la baie de lz Mahajamba, avait provoqué en
France quelque émotion. Certes plus de publicité a 6té faite sur
ces agressions ct ces meurtres que sur la destruction de villages
ou le massacre de paysans. Néanmoins, tous les témoignages
concordent : Vinsécurité devient de plus’ en plus grande.
Ce développement du fahavalisme peut s‘expliquer par le fait
qu'il a alors recu importants renforts en hommes et en arme-
ment, provenant essenticllement de la fuite devant la corvée de
Yor ct de la désertion de soldats merina.
Le Premier Ministre, aprés le traité de décembre 1885, fut
amené, pour payer l'indemnité de guerre due a la France, &
emprunter 15 millions au Comptoir d’Escompte de Paris. Pour
se libérer au plus vite de sa dette ct échapper ainsi a un contréle
du gouvernement frangais, il décide de tirer systématiquement
profit des richesses auriféres de Madagascar, Il passa en parti-
culier un contrat avec le Frangais Léon Suberbie (10) pour
exploiter les gisements du Boina et procéda 4 une yéritable
mobilisation dé la population pour la corvée de Yor.
Les inconvénients de cette réquisition de la main-d’ceuvre sont
signalés par Martineau, qui cherche & dégager la responsabilité
tie Suberbie. Martineau déclare que le systéme fut « imposé »
a ses compatriotes ct précise : « M. Suberbie, malgré ses rares
qualités (intelligence et d’énergie, crut devoir accepter la corvée
que lui offrait gratuitement le Premier Ministre. Cadeau perfide,
il en résulta aussitét parmi les populations un mécontentement
(8) In Notes, Reconnaisances, Explorations, passim,
(8) Archives de Ia République Malgache (abréviation A.RM,), Dossier
Suberbie,
(10) Léon Suberbie (1853-1907), représentant d'une maison de commerce
frangaise & Madagascar dés 1874, lié au Premier Ministre Rainilalarivony, négo-
clateur officieux lors du conflit de 1883-1885, fut le premier Européen & obtenir
de vastes concessions auriféres sur le sol’malgache, Ces concessions étaiertt
situées autour de Maevatanana, qu'il rebaptisa Suberbieville.26 ovy sacon
qui entretint dans toute la contrée un état de trouble qui v’a
pas encore disparu > (11).
Certes le principe méme de la corvée de Yor fut trés impopu-
laire. La corvée était acceptée lorsque les hommes étaient
réquisitionnés dans leur village ou & proximité, pour des travaux
intérét public, comme l'aménagement des digues et canaux
des riziéres ou leur entretien, Elle devenait un fardeau insup-
portable lorsqu’elle était faite au profit de Toligarchie, du
gouvernement ou <’étrangers, et que les travailleurs étaient
transplantés loin de chez eux. Le rapide déclin des forges de
Jean Laborde 4 Mantasoa en est le meilleur exemple.
Mais la corvée de Vor devint d’autant plus impopulaire qu'elle
fut imposée dans la concession de Suberbie de fagon arbitraire
et dans des conditions particulitrement dures. Elle fut d’abord
rigoureusement appliquée dans tout le périmétre des mines d’or
pour trois mois. Mais 4 l’issue de ces trois mois on enlevait les
femmes des travailleurs pour les obliger a travailler & leur
tour (12). Les populations sakalava, déja trés clairscmées,
avaient tendance a s'enfuir pour échapper @ la réquisition :
en 1887, 2000 hommes seulement purent étre recrutés. Mais,
dés le printemps de 1888, le Premier Ministre et Suberbie envisa-
geaient de recourir 4 une main-d’euvre amenée d'autres
régions (13). Rainilaiarivony décida d’opérer de véritables
transferts de population & partir des provinces du Vonizongo,
du Valalafotsy et du Mandridrano. En avril 1888, la Reine
donnait l’ordre de réunir au moins 6 000 Vonizongo et 2000 Man-
dridrano et le Premier Ministre écrivait a Ramambazafy,
gouverneur général du Boina, en juillet de la _méme année :
«Il faut que je prépare la mission de Razafinjato dans le
Vonizongo oii il doit rassembler la moitié de la population qui
doit venir chez vous, et si cette moitié de 1a population désignée,
qui doit étre relevée au bout de six mois, ne vient pas, j’en rends
Razafinjato responsable devant vous. J’ai envoyé copie de cette
lettre & M. Léon Suberbie » (14).
Il ne parait pas que la mission de Razafinjato ait cu grand
succés : Suberbie se plaint constamment de Ja pénurie de mail
d’ceuvre et en 1890 le Premier Ministre lui écrit qu’il a envoyé
un ordre de la Reine dans le Vonizongo pour recruter 850 tra-
vailleurs (15). Ce nombre représentait le dixiéme du chiffre des
travailleurs porté sur ancien recensement établi par Radama I.
G1) A, Mantiveau, op. eit,, pp. 59-60. Martineau écrit en 1894
(12) Archives de Ja Marine (abréviation : Arch, Mar), BB4 1499 b. Note de
M. Foex, Vice-Résident de France & Majunga, en date du’ 16 septembre 1890.
(3) A.RM, Dossier Suberbie, lettre du 29 avril 1888,
(14) ARM. Dossier Suberbie, lettre du 18 juillet 1888,
(25) ARM. Dossier Suberbie,LE BOINA ET LES REGIONS AVOISINANTES
save
Pov n vais.
VAKINANKARATRA28 uy acon
Non seulement les exigences du gouvernement devenaient plus
modestes, mais ces hommes pouvaient partir avec leur famille,
pour former un premier groupe de colons. Néanmoins ce fut
encore un échee, puisqu’il fut péniblement recruté 157 travail-
leurs.
On ne peut done parler d’importants déplacements de popula-
tion. Quelques centaines de corvéables seulement furent trans-
férés dans la région de Maevatanana. En revanche d'autres,
beaucoup plus nombreux sans doute, partirent aussi vers loucst,
mais pour fuir la réquisition.
Enfin ceux qui furent transplantés sur les chantiers de Suberbi
ne devaient avoir qu’un désir: les abandonner au plus to
A maintes reprises le Premier Ministre reproche 4 Suberbie de
ne pas payer sa main-d’euvre et de la maltraiter (16). Certes
Rainilaiarivony avait intérét A cxagérer ses griefs contre son
associé. Mais d’autres témoignages, en particulier celui de
avaron, montrent quelle réputation avait cette concession
aurifére, méme aux yeux des Européens (17).
Ainsi, nombre de travailleurs, en rupture de corvée, vinrent,
4 bout de ressources, grossir les tangs des fahavalo. Ils ne furent
pas les seuls. Des déserteurs de 'armée merina avaient eux aus
choisi la liberté et, en dépit des apparences, une sécurité sans
doute plus grande que celle que leur offraient Jes rangs des
troupes réguliéres, Martineau évoque les expéditions militaires,
envoyées de Tananarive sur Tuléar, 4 la demande des traitan!
francais de Nossi Ve, génés dans leurs activités commerciales
par Vinsécurité que faisaicnt régner les Vezo et les Masikor:
A propos de la premiére expédition, de 1888, qui échoua totale-
ment, il ajoute : « Le premier convoi de troupes fut envoyé par
terre, mais plus de 50 % désertérent » (18). Une fiche de ren-
seignements détaillée du vice Résident de France & Majunga
nous donne des précisions sur cet éehee et ses conséquences (19)
Le Premier Ministre avait dirigé sur la baic de Saint-Augustin
800 hommes sous le commandement de Rainimiadana. Pour
traverser de vastes régions dépourvucs de ressources, chaque
soldat avait recu, pour tout viatique, un petit sac de riz. Sur Jes
800 soldats plus de 400 désertérent et vinrent avee leurs armes
se joindre aux fahavalo (20). Le vice Résident de France A
as) Dossier Suberbie, passim,
(17) G, Savanox, Mes souvenirs @ Madagascar, avant et aprés la conquéte
pp. 93, 97, 247-249. Savaron exploitait, avant 1895, des ines d'or pour le eatpte
dy’ Premier Minisire,
(18) A. Martineau, op. cit, p. 342.
(29) Arch. Mar, BB{ 1499 b. Note de M. Foex.
(20) Finalement, le Prince Ramahatra, lors de son expédition victorieuse
sur Tuléar en 1896, ne récupérera de Ia premiére armée que 250 hommes, avec
eur chef, le matheurenx Rainimiadana, qui avaient reusi A traverser Te Menahe
ct A atteindre Andranopas}
au Nord du delte du Mangoke.FAHAVALISME, TROUBLES SOCIAUX DANS LE BOINA, 29
Majunga constate que jusque-la le brigandage était limité a de
petites razzia sur les paysans ou les caravanes qui prenaient le
chemin de Touest. Tout change 4 partir de cette malhcureuse
expédition. Cette désertion massive a constitué pour les fahavalo
un renfort décisif : elle va leur permettre de résister victorieu-
sement aux expéditions punitives dirigées contre eux et entrainer
de nouvelles désertions. Ce dont témoigne Martineau: < Au mois
de décembre 1893, sous prétexte de réprimer des troubles dans
le Boeni, le Premier Ministre a dirigé 2000 hommes sur
aevatanana, Le lendemain méme du départ, il en manquait 800.
jours aprés, le chef méme de l’expédition passait 4 l'ennemi
(ou était tué par la foudre). 150 hommes sont arrivés dans
Ie Boeni > (21).
Nous voyons donc se dessiner la physionomie d’un nouveau
fahavalisme. Aux bandes primitives de nomades pillards sont
venus s’ajouter les soldats déserteurs ct les réfractaires 4 la
corvée (22). Et les fahavato ne se contentent plus de voler les
beeufs et de piller les villages. De plus en plus nombreux, de
micux en micux armés, ils vont porter un intérét nouveau ‘aux
concessions auriféres de Suberbie, que certains d’entre eux
avaient d’abord fuies. Ils ne vont pas hésiter 4 attaquer les toby
(campements) ct a se faire voleurs dor. Ainsi cette exploitation,
4 la fois répulsive et attractive, a été, de toutes facons, un
cfficace facteur de désorganisation sociale et de troubles.
*
Ill, LECHEC DE L7ARMEE MERINA
ET LES CONSEQUENCES DES TROUBLES
SUR LES RELATIONS FRANCO-MALGACHES
Dés 1890, les fahavalo qui formaient des bandes groupant
jusqu’d 200 hommes viennent terroriser les rives de Pikopa et
de la Betsiboka. Le 23 aot 1890 le poste de Marotaolana, sur
la concession Suberbie, est attaqué par plus de 500 bandits.
Les travailleurs, le personpeLd’encadrement ct les soldats merina
sont obligés de se réf le rova pour tenir (éte aux
assaillants (23). Aussj e offensive générale est-clle
lancée contre les fdfgfvalo. dyesckouverneurs des principaux
centres de la région lfgatiwitnt, @facun a la téte d’une garnison
7 S
a
ene WS
@1) A, Martineau, op. cit. B
(22) Sang. do}
nombreux Sakal
ent, se sauver
p. 63 Nous n’avons pas obtenu d'autres
@3) A.RM., Dossier Suberbie, Un rova est une enceinte fortifie,30 Guy sacon
de 150 & 200 hommes (24). Echee cuisant; trois gouverneurs, dont
celui d’Ambalazanakomby, sont tués. Le gouverneur d’Ampa-
rihibe est fait prisonnicr et crucllement mutilé avant d’étre
renvoyé devant le gouverneur général du Boeni, Ramambazafy.
Ramambazafy se lance lui-méme contre les fahavalo a ia téle
de 300 hommes que viennent renforcer les Européens et les
Créoles des mines. Les fahavalo, loin de refuser le combat,
attendent ’attaque de pied ferme & Maroakata, au sud d’Ambato
Boeni, et la repoussent.
Lorsque Ramambazafy meurt en 1891, il a pour successeur
Ramasombazaha qui parait avoir lutté beaucoup moins éner-
giquement contre les fahavalo, ce dont Suberbie se_plaint
amérement auprés du Premier Ministre, Et les garnisons isolée
découragées, semblent bien étre revenues a un accord tacite avec
les hors-la-loi, Il n'est pas exclu que pariois officiers et soldats
se soient livrés cux aussi a un fructueux trafic de lor pour le
compte de recelleurs indiens qui avaient organisé wn marché
clandestin de l'or 4 Majunga, Marovoay, Ambato-Boeni, Andriba.
Cette impossibilité de rétablir Pordre dans le Boina est un
signe de faiblesse, d’affaiblissement méme, pour Etat merina.
Les observatenrs francais, et au premier rang Martineau, ne vont
pas manquer d’en tirer des conséquences qui militent en faveur
dune intervention armée de la France. Certains caressent
Vespoir de pouvoir utiliser les fahavalo qui tiennent une partic
du pays sakalava contre le gouvernement de Tananarive. Ain:
le Vice-Résident de France Majunga déclarait que les insurgé:
ne s’attaquaient qu’aux sujets de la Reine ct en particulier &
Ramambazafy, le gouverncur général du Boina, qui personnifiait
4 leurs yeux Podieuse corvéc. Il affirmait que ‘ces insurgés pro-
clamaient bien haut que les Francais n’avaient rien & craindre
eux, s'ils observaient une stricte neutralité, I en déduisait que
le fahavalisme était un véritable parti et concluait qu’il const
tuait « une force séricuse qui fait échee aux Hova ct pourrait
étre éventuellement utilisée par ceux qui sauraient la compren-
dre » (25).
Il s’agit 14 d'une variation sur le vieux théme de alliance avec
les Sakalava contre les Merina, d’une manifestation de influence
persistante dun mythe si vivace quill conduit Pauteur dun
rapport pourtant bien informé & des conclusions hasardeuses.
En effet, c’était une erreur de considérer ce soulévement, méme
s'il étai autre chose qu'un simple brigandage, comme ¢apable
de devenir le ferment d’un mouvement politique. Les renforts,
qui ont donné au fahavalisme sa nouvelle extension et son nouvel
aspect, étaient constitués par des déclassés, sans unité cthnique,
(24) Arch, Mar., BB4 1499 b, Note de M. Foex.
(23) Arch. Mar, BB4 1499 b, Note de M. Foex.FAMAVALISME, TROUBLES SOCIAUX DANS LE OINA a
arrachés a leur cadre social traditionnel; c’étaient des hors-la-loi
malgré eux. Ils n’ayaient pas et ne pouvaient pas avoir de
conscience politique. Effectivement, lors de la conquéte francaise
en 1895, ceux qui espéraient pouvoir s’appuyer sur les Sakalava
furent encore une fois décus,
L'insécurité sc maintint encore longtemps aprés la conquéte
francaise dans le Menabe et dans certains secteurs du Boina; si
Ja région de Maevatanana, 4 proximité du grand axe de circula-
tion Majunga-Tananarive fut rapidement contrdlée, celle de
Tsaratanana ne le fut qu'aprés d’assez longues opérations mili-
taires. Mais il ne semble pas non plus que cette agitation prit
le caractére d'un soulévement concerté contre les Francais.
Le mouvement des Menalamba, en partie d’origine politique et
finalement dirigé contre les envahisseurs étrangers, ne parait pas
avoir cu de profondes répercussions en pays sakalava. Simple-
ment les bandes poursuivaient leurs activités traditionnelles, les
intensifiaient méme en profitant de Panarchie provoquée par le
conflit, et refusaient de se soumettre au nouvel occupant.
Si 'armée frangaise n’a pu utiliser directement le fahavalisme
du Boina, celui-ci Ini a, d'un autre cété, finalement posé des
problémes moins graves qu'elle ne avait un moment redouté.
En revanche, ce mouvement avait été antérieurement utilisé par
la propagande politique et avait puissamment contribué & pro-
voquer Vintervention militaire de la France 4 Madagascar.
En effet, les assassinats d’Européens avaient permis d’alerter
Yopinion publique et les agressions multipliées apportérent la
preuye que le gouvernement de Tananarive avait une autorité
purement nominale sur de vastes régions qu’il était en fait
incapable de contréler. Certains avancérent méme que le Premier
Ministre apportait, en sous main, son soutien aux fahavalo pour
éliminer, avec l'exploitation de Suberbie, le principal établis-
sement francais & Madagascar. Argument peu vraisemblable,
mais auquel n’étaient pas insensibles ceux qui voulaient a priori
croire en la duplicité de Rainilaiarivony. De toutes fagons, se
trouvait justifiée une expédition destinée officiellement & pro-
téger les biens et les personnes des Européens et a rétablir ordre
A Madagascar.
s
Certes une étude du fahavalisme limitée au Boina ne peut
rendre compte de Vorigine et des caractéres de tous les troubles
qui se multipligrent 4 Madagascar aprés 1890. Si les fahavalo
du Menabe, nombreux surtout dans le Betsiriry, par leur recrute-
ment et leurs activités paraissent pouvoir étre comparés & ceux
du Boina, les montagnes de 'Ankaratra, beaucoup plus proches
de la capitale, abritérent non seulement des brigands, des
déserteurs ct des réfractaires 4 la corvée, mais aussi des réfugiéspolitiques restés en relation avee Tananarive, Et cest précis
ment de l’Ankaratra que partira un des plus importants
soulévements des Menalamba.
Néanmoins la formation de ces bandes de hors-la-loi, puis
leur évolution, dans le Far-West malgache, sont en elles-mémes
significatives ct nous donnent un exemple des difficultés dun
Elat, affaibli par une conquéte mal consolidée et cherchant
vainement sauyer son indépendance menacée. Dans ce but,
Rainilaiarivony youlut tardivement exploiter les richesses du
sous-sol malgache en mobilisant les populations et restaurer, en
pays sakalava, une autorité chancelante, Ses efforts mémes se
refournérent contre lui, et hatérent sa chute.33
BIBLIC
APHIE
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