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Revue européenne des migrations

internationales
vol. 24 - n°3 | 2008
Numéro ouvert

Le « combat pour l’intégration » des églises issues


du Réveil congolais (RDC)
The “Fight for Integration” of the Congolese Revival (DRC) Churches
La “lucha para la integració” de las iglesias nacidas del Renacimiento congolès
(RDC)

Sarah Demart

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/remi/4840
DOI : 10.4000/remi.4840
ISSN : 1777-5418

Éditeur
Université de Poitiers

Édition imprimée
Date de publication : 1 décembre 2008
Pagination : 147-165
ISBN : 978-2-911627-50-7
ISSN : 0765-0752

Référence électronique
Sarah Demart, « Le « combat pour l’intégration » des églises issues du Réveil congolais (RDC) », Revue
européenne des migrations internationales [En ligne], vol. 24 - n°3 | 2008, mis en ligne le 01 décembre
2011, consulté le 30 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/remi/4840 ; DOI : 10.4000/
remi.4840

© Université de Poitiers
RE
M Revue Européenne des Migrations Internationales, 2008 (24) 3 pp. 147-165 147

Le « combat pour l’intégration » des


églises issues du Réveil congolais (RDC)

Sarah DEMART*

Au début des années 1980, de nombreux pays européens ont vu s’implanter


sur leurs territoires des églises « africaines ». Un grand nombre d’entre elles1 est
d’origine congolaise (RDC, ex-Zaïre2). Bien qu’une estimation soit difficile à établir en
regard du caractère indépendant et mouvant qui caractérise ces collectifs religieux, on
peut à l’échelle de l’Europe, estimer au nombre de quelques milliers ces nouvelles
églises ; environ 200 en Belgique et plus de 500 en France3. Toutefois, une minorité
seulement est reconnue, c’est-à-dire affiliée aux réseaux protestants locaux. Cette
reconnaissance s’opère de façon différenciée selon les contextes nationaux. Ainsi, en
Belgique, l’église doit faire une démarche auprès d’une confession protestante locale
via l’EPUB (L’Église Protestante Unie de Belgique) ou via le Synode (Fédéral des
Églises évangéliques et protestantes de Belgique). En France, par contre, cette
« négociation » a été menée sur un mode collectif, à l’initiative des églises zaïroises qui
se sont constituées au début des années 2000 en « Communauté des Églises

* Doctorante en sociologie, Université Toulouse le Mirail, Laboratoire Lisst-Cers UMR 5193 -


Maison de la Recherche, Université de Toulouse le Mirail 5, Allées Antonio Machado,
1058 Toulouse Cedex 9, France. Université Louvain la Neuve, Place Montesquieu, 1,
1348 Louvain-la-Neuve, Belgique, sarahdemart@hotmail.com
1 Notamment en ce qui concerne les Églises francophones. Pour des populations anglophones,
on peut se référer aux travaux de Sandra Fancello sur le pentecôtisme ghanéen (2006), et pour
une approche plus générale de cette évolution du protestantisme français à ceux de Sébastien
Fath (2005).
2 Lorsque le nationaliste Laurent-Désiré Kabila renverse le pouvoir de Mobutu Sese Seko en
1997, il opère un certain nombre de changements, à commencer par la « dézaïrianisation » du
pays. Le Zaïre redevient Congo et plus précisément République démocratique du Congo
(RDC). La zaïrianisation ayant été le mouvement culturel, politique et économique initié par
Mobutu en 1974 dont l’objectif était de revenir à « l’authenticité » africaine.
3 Par « Églises congolaises », j’entends les Églises impulsées par des congolais. Ces Églises
ayant pu, et c’est le plus souvent le cas, accueillir des fidèles d’autres nationalités : africaines,
européennes etc., un des objectifs majeurs étant de s’ouvrir, d’évangéliser et de sortir de toute
forme de « ghetto », pour reprendre le terme le plus souvent évoqué.
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d’Expression Africaines de France » (CEAF), nonobstant la diversification croissante


de leurs assemblées 4 . En devenant communauté membre de la FPF (Fédération
Protestante de France), la CEAF a alors obtenu l’habilitation à fournir une reconnais-
sance juridique à ces nouveaux mouvements religieux5.

Ces nouvelles églises composent un paysage religieux contrasté, avec souvent


guère plus de dix membres à leur début et plusieurs centaines voire quelques milliers,
lorsqu’elles sont « instituées ». Elles rassemblent de façon générale, une majorité de
femmes et de jeunes. Les cultes ont lieu dans des hangars, des caves, des grandes
maisons, ou encore dans des usines désaffectées qui, réaménagées, permettent
d’accueillir de grandes assemblées, sans déranger le voisinage. Ces nouveaux temples
se développent de façon autonome, grâce aux offrandes et aux dîmes des fidèles6. Si
l’on a affaire à des dispositifs élaborés dans et par la migration, il ne faut pas cependant
oublier que ces églises sont aussi les marqueurs d’un mouvement missionnaire
important : le pentecôtisme. Confession protestante encore minoritaire et marginale en
Europe, le pentecôtisme n’en demeure pas moins, l’une des principales trans-
nationalisation religieuse du siècle passé (Corten, 2000). Depuis le début du XXe siècle,
son expansion à une échelle mondiale n’a cessé de multiplier les foyers d’émergence
(réveils) de cette religiosité (Willaime, 1999) au point que sa naissance est encore
l’objet de controverses. Néanmoins, deux foyers sont communément admis et par
ailleurs significatifs de l’extrême plasticité de cette forme religieuse. Celui de la
communauté « blanche » dans l’école biblique de Topeka (Kansas) dirigée par le
Pasteur méthodiste Charles F. Parnham proche du Klu Klux Klan créée en 1901 et celui
de la communauté « noire » d’Azuza Street Mission dirigée par le Pasteur baptiste
William J. Seymour, créée en 1906 à Los Angeles 7 . Dès les années 1910, le
pentecôtisme s’introduit en Afrique subsaharienne, puis en Europe, au cours des années
1930. Aujourd’hui, à travers le monde, ce sont cinq cents millions de croyants qui sont
rattachés à la confession pentecôtiste/charismatique (Barrett, 2001). En référence aux
Actes des apôtres (Livres des Actes, chap. II), celle-ci revendique le Salut par la
conversion, la glossolalie ou « parler en langues », les prophéties, la guérison
miraculeuse des maladies et le retour prochain de Jésus-Christ.

Bien qu’implanté au Congo au début du XXe siècle via les Assemblées de Dieu,
depuis les années 1970, le pentecôtisme connaît un renouveau spectaculaire au sein de
la population congolaise. On peut attribuer l’origine de ce « vent de l’esprit Saint », qui

4 Les jeunes nés en France mais aussi leurs parents dont un certain nombre ont acquis la
nationalité française ont modifié la composition des assemblées, qui, si elles sont
majoritairement dirigées par des Pasteurs d’origine congolaise, comptent de plus en plus de
nationalités différentes parmi les fidèles.
5 Dans ce contexte où les églises se forment en dehors d’une autorité centralisatrice, la frontière
distinguant l’institution « Église » des lieux de cultes peut être difficile à établir. D’où le flou
dans certaines désignations de ces Églises/églises que j’ai choisi de restituer tel quel.
6 Les offrandes sont dominicales : à chaque culte, mais également « spéciales », lorsqu’il s’agit
de soutenir un projet : achat d’un terrain ou d’un bâtiment ou de matériel. La dîme est
mensuelle et correspond au dixième du salaire.
7 Celui-ci connaîtra d’ailleurs une grande expansion dans la Bible Belt (Fath, 2004).

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caractérise le Réveil, à la venue successive de nombreux évangélistes internationaux de


grand renom : de la fin des années 19608 au milieu des années 1980. Ils ont mené,
parfois avec de grands moyens, des campagnes d’évangélisation et des « croisades »
pour appeler les foules à se convertir, à Kinshasa comme à l’intérieur du pays. Dans les
années 1970, des groupes de prière ont commencé à se former en marge des Églises
historiques, protestantes et catholiques, mettant en cause le bien fondé des séparations
religieuses, ainsi que l’ordre des centralités du catholicisme, institué depuis l’époque
coloniale comme religion dominante. La découverte d’une relation sans médiation avec
un Dieu qui, depuis l’avènement de Jésus, « n’a pas changé », peut véritablement être
considéré comme le moteur fédérateur de ces chrétiens de différentes tendances. De ces
groupes, où chacun pouvait expérimenter les dons charismatiques par la descente de
l’Esprit Saint, sont nées les églises des années 1980. Elles ont à leur tour donné lieu à
de nombreuses ramifications, notamment à l’échelle internationale, avec de
nombreuses scissions. Dans le déploiement de cette religiosité émotionnelle (Willaime,
1999) qui transforma les pratiques habituelles de prière, le pentecôtisme congolais s’est
développé sur un mode hybride (Corten et Mary, 2000). Véritable puissance de
libération face aux « blocages » que génèrent les forces sorcières ou occultes, la
puissance biblique est donnée comme « la solution » à tous les problèmes (santé,
travail, mariage, malédiction etc.), qui ne peuvent relever que de l’action des démons et
fétiches. Cette nouvelle vague pentecôtiste est d’une grande diversité et l’on observe
une fragmentation de ce mouvement dont les parties sont régulièrement en opposition
concernant la liturgie, les pratiques économiques et politiques et enfin le leadership.
C’est dans cette dynamique que le Réveil congolais s’est développé à l’intérieur
comme à l’extérieur du pays. Aujourd’hui, la seule ville de Kinshasa, compte plus de
6 000 Églises de réveil auxquelles l’État a accordé la reconnaissance juridique depuis
2001.

Le Congo Brazzaville ou l’Angola, pays frontaliers de la RDC, sont devenus


des terres de missions et d’autres pays plus lointains comme l’Afrique du sud, le
Canada, les États-Unis et l’Europe, n’échappent pas à cette « fièvre missionnaire »,
parfois planifiée mais le plus souvent improvisée et souvent propice à des stratégies
migratoires (même si les pasteurs voyageant avec un visa missionnaire sont très peu
nombreux). En Europe, les premières Églises se sont implantées en France (1983) et en
Belgique (1984) à l’initiative de prédicateurs actifs depuis plusieurs années au Congo
et qui dans le cadre de l’évangélisation en Europe ont suivi des formations théolo-
giques (souvent de troisième cycle). Aujourd’hui minoritaires9, ces Pasteurs ont été
rejoints par toute une génération de Pasteurs autoproclamés (fin 1980-1990), qui
revendiquent une formation « essentiellement délivrée par l’Esprit-Saint ». Les
Assemblées se sont également diversifiées avec les flux migratoires liés à la crise
socioéconomique pendant la gouvernance mobutiste (1965-1997), les grands pillages

8 La première « croisade » est organisée en 1968 par T.L. Osborn.


9 Par contre, ils sont en France comme en Belgique à l’origine des processus de fédération des
Églises.

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militaires (1991-1992) et depuis 1998, l’agression burundo-ougando-rwandaise10.


Celle-ci a conduit à d’importants déplacements de population vers la capitale et hors du
pays. Selon les sources11, on estime aujourd’hui entre 500 000 et quatre millions, le
nombre de Congolais vivant à l’étranger dont environ 20 000 en Belgique et 40 000 en
France, en comptant les personnes en situation irrégulière12. L’Europe est donc une
destination parmi tant d’autres de ces mouvements migratoires qui se sont, au fil du
temps, diversifiés ; l’élite socioprofessionnelle se dirigeant vers d’autres pays Afrique,
tandis que les migrations estudiantines se réorientent plutôt vers le Canada et les États-
Unis, à l’instar des migrations africaines contournant les rapports post-coloniaux qui
perdureraient en Europe (Mbembe, 2005).

Le développement des Églises, leurs modes d’organisation, leurs demandes de


reconnaissance et leurs stratégies d’investissement de l’espace public diffèrent de façon
considérable, selon les contextes européens, et selon le profil du dirigeant, mais
l’accent « pro-intégration » 13 du discours religieux est par contre une constante
significative. On assiste ainsi à une recomposition du discours religieux dans une
perspective où l’intégration citoyenne des croyants, atteste de la puissance et de la
grâce divine et de « l’édification » du croyant.

Dans cet article, je mettrai en perspective le « combat pour l’intégration » à


partir de données recueillies entre 2003 et 2008 dans une cinquantaine d’églises situées
en France, en Belgique et à Kinshasa. La méthode adoptée est celle d’une anthropo-
logie sociale, alternant des entretiens systématiques (semi-dirigés, non-dirigés et
informels) auprès des membres et des responsables religieux avec des périodes
d’immersion, brèves et longues, au sein de différentes Assemblées. Ce qui concerne :
les espaces-temps du culte, les espaces-temps communautaires [comme les mariages
coutumiers ou religieux, les matangas (deuils) etc.], les espaces de décision et de
formation (les réunions des équipes dirigeantes, les formations pour les prédicateurs,
les cours délivrés dans des instituts bibliques ou de « missiologie ») ainsi que l’espace
plus privé, des fidèles et des pasteurs.

Quatre aspects seront développés. Premièrement, celui des ressources que


fournit l’identité chrétienne à ces migrants pour se penser en dehors des stigmates
associés à l’identité et au statut « d’immigré ». Deuxièmement, la façon dont l’Église

10 Improprement désignée comme « crise congolaise » ou « guerre civile », cette « agression »


rwando-ougando-burundaise a entrepris une vaste entreprise de pillages et de tueries,
utilisant le viol et la contamination au VIH comme arme de guerre et fait à ce jour, selon les
sources entre 4 et 5,4 millions de morts. L’Unicef dans son communiqué de presse du
24 juillet 2006 considère que ce drame est comparable à « un tsunami tous les six mois ».
11 Aucune statistique officielle n’étant établie.
12 Mais sans compter les Congolais qui ont acquis la nationalité du pays d’installation, ni les
enfants nés en France ou en Belgique, et ce d’autant que la nationalité congolaise est une et
indivisible.
13 Pour Chantal Bordes-Benayoun et Dominique Schnapper (2007), l’intégration ne peut être
une donnée en soi mais au contraire une reconstruction a posteriori et surtout une mise en
perspective du processus interactif entre la société d’installation (ou de transit) et les
migrants, qui participent de sa dynamique interne.

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institutionnalise une attente collective qui a fonction de régulation et de canalisation


des émotions, suscitées par les situations d’attente ou de « blocage » des croyants.
Enfin, dans les deux dernières parties, je m’intéresserai à des composantes de l’espace
religieux qui articulent culture d’origine (réelle ou imaginaire) et culture biblique
(entendue comme universelle) et qui sont susceptibles de subvertir des logiques qui
assignent ces collectifs à l’altérité. La proposition de cette contribution est de consi-
dérer que pour ces collectifs de migrants chrétiens, le contexte migratoire actualise un
rapport ancien, que récapitule la notion de « blocage » tout en fournissant les
conditions d’une rupture « historique » avec l’ordre des hiérarchies et des centralités
autochtones qui les situent en marge.

COMMENCER PAR ROMPRE AVEC LES STIGMATES DE


« L’IMMIGRÉ »
Durant les années 1980, la migration a commencé à s’imposer comme une
stratégie de survie économique et de « Salut » pour nombre de Congolais. Les
expressions d’« eldorado » ou de « paradis » venant, en amont de l’expérience
migratoire, qualifier l’Europe. L’image idyllique de l’Europe a notamment été
véhiculée par des musiciens, généralement « Sapeurs » (Gandoulou, 1984) 14, de
passage dans les capitales européennes. Avec les politiques européennes de l’immi-
gration, les Congolais vont en faire une autre expérience 15. Les appellations de
« réfugié » ou « d’immigré » venant récapituler les stigmates statutaires qui se greffent
aux différentes étapes du processus de régularisation juridico-administrative, lequel
délivre de façon progressive et partielle les droits à l’existence légale sur ces territoires.
À cela se greffe un système de discriminations plus ou moins tacite, dans les rapports
sociaux, au logement et surtout à l’emploi. Les hommes, dont un grand nombre sont
détenteurs d’un ou plusieurs diplômes, y compris de 3 e cycle, sont généralement
soumis à une très forte déqualification. Pour contourner une perspective profession-
nelle faite de « petits boulots », certains se reconvertissent alors dans des études
d’infirmier, de taximan ou développent des formes d’entreprenariat qui les situent dans
l’entre-deux de circulations entre le Congo et l’Europe et de plus en plus vers la Chine,
dans la dynamique des nouveaux cosmopolitismes (Tarrius, 2000). Quant à la vie
professionnelle des femmes, elle est souvent marquée par des horaires contraignants
(soirée, nuit, week-end etc.) et par un cantonnement à des tâches domestiques ou
manuelles. Quelles qu’aient été leurs formations antérieures, elles font le plus souvent
des ménages. L’ensemble de ces traitements sociaux différenciés, officiels et officieux,
participe d’une réalité collective qui se traduit par une nouvelle terminologie. Celle de
« parcours du combattant ». À Kinshasa même, alors qu’on pense son projet

14 Le terme de « sape » est à l’origine un sigle, la Société des Ambianceurs et Personnes


Élégantes, qui décrit l’apparence et le voyage qui font le Sapeur dans l’entre-deux des allers-
retours entre Paris et le Congo.
15 En Belgique, les Congolais sont présents plus tôt qu’en France, dès les années 1960. Les
liens historiques entre le Congo et la Belgique favorisent la venue d’étudiants, de diplomates,
de commerçants et de touristes, qui ne développent toutefois aucune logique d’installation
durable.

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migratoire, l’expression qui s’impose est celle de « kobeta libanga », qui signifie
littéralement (en lingala) « taper la pierre » ou « tailler dans le roc », à l’image de
l’explorateur anglo-américain Henry Morton Stanley16.

Les dispositifs religieux d’accompagnement comme les cellules d’intercession


ou les visites à domicile, mais aussi les prières et les cantiques chantés durant le temps
de l’adoration, sont autant d’espaces-temps religieux qui rendent perceptibles les
situations « d’attente » et de « souffrance » des fidèles, lesquels demandent
inlassablement de la « force ». De façon significative, l’item organisateur de la parole
pentecôtiste est celui de l’annonce de la délivrance à venir, que les fidèles
attendent avec joie et travaillent à mettre en œuvre :
« Toi qui souffres, toi qui te sens humilié, tu dois savoir que Dieu a un plan
merveilleux pour toi. Je suis venu t’annoncer que Dieu va agir dans ta vie, que
Dieu va faire des miracles, que Dieu va résoudre ton problème, qu’il va te donner
des papiers, que tu vas te marier cette année, que tu vas décrocher un travail dans
la semaine etc. ».

L’Église se donne alors à voir comme un lieu de culte qui fournit au croyant
des ressources pour se penser en dehors des cadres qui régissent une quotidienneté
marquée par des assignations identitaires discriminatoires, et dont la pigmentation de la
peau est le marqueur majeur. Nous sommes en 2004, lors d’un culte au sein d’une
Église implantée en France. Une jeune femme veut témoigner de ce que « Dieu a fait
dans sa vie ». Elle s’avance devant l’autel, prend un micro et fait face à l’Assemblée.
Dans les Églises de réveil, le témoignage a une fonction de « fortification » et
« d’édification » de la foi du Chrétien. Il fait partie intégrante de la mission pour le
converti qui doit à son tour témoigner des « grandes choses » que Dieu a faites dans sa
vie. Cette jeune femme explique qu’elle recherchait du travail, mais cette fois, « autre
chose » que ce qui lui est habituellement proposé [entendre « des ménages »]. Elle
vient de décrocher deux stages au sein d’institutions importantes. Et elle nous explique
que Dieu a agi dans sa vie de deux manières : d’abord parce qu’elle a « osé » faire des
candidatures au sein de ces institutions, et ensuite parce qu’elle a été retenue au Conseil
Général et à Airbus, « ce sont des endroits, très, très difficiles à toucher, mais Dieu a
fait que j’ai été choisie ». Elle nous explique le parcours qu’elle a effectué : l’Église, la
cellule de prières17 et puis cette prière improvisée avec des frères et sœurs de l’Église,
où elle demande à Dieu de lui donner « de la force » pour l’entretien, que Dieu fasse
qu’elle soit « lumineuse » et que ses interlocuteurs « n’entendent pas les bêtises » qui
sortiront de sa bouche. L’entretien au Conseil Général est rapide, elle s’inquiète, mais
son interlocutrice lui dit qu’elle va personnellement soutenir son dossier, qu’elle a été

16 Alors qu’il entreprenait la construction de la route reliant Matadi et Stanley (1879-1884) pour
assurer des échanges commerciaux. Devant tailler à même le Roc, il utilisa de la dynamite et
fut surnommé « Bula Matari » (qui en kikongo signifie celui qui taille le roc) par les
habitants.
17 Durant la semaine, les Églises ont des cellules d’intercessions et de prière, en général au
moins deux fois par semaine, qui s’organisent généralement par quartier, ayant lieu au
domicile d’un frère ou d’une sœur de l’Église.

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convaincue. Elle s’engage alors envers son Dieu à témoigner de la gloire de son nom,
si elle est reçue. La chose est faite, et quelques jours après, c’est Airbus qui confirmera
à son tour l’embauche pour un stage. Elle parviendra qui plus est, à faire différer le
deuxième stage pour pouvoir bénéficier de ces deux références qui enrichiront son
curriculum vitae. C’est ainsi qu’elle encourage les fidèles à persévérer, « ils n’ont pas
vu la couleur de ma peau ou quoi que ce soit, parce que c’est Dieu qui était là ».

Ces stages qui sont objectivés comme des victoires témoignent de la possible
mobilité sociale dès lors que le croyant s’en remet à son Dieu. Le modérateur
enthousiaste, qui anime le culte ce jour-là, reprendra la parole en disant à ces frères et
sœurs :
« Bien-aimés, tout ça c’est pour nous : les institutions, les grandes
entreprises… Il faut demander des grandes choses à notre Dieu parce que nous
prions un Dieu qui est grand. Si vous priez un Dieu petit, si vous demandez des
petites choses, il fait de petites choses. Notre Dieu est un Dieu vivant qui fait de
grandes choses, qui fait des miracles, demandez de grandes choses, voyez
grand ! ».

Se « révolutionner » ou « s’évolutionner » sont des néologismes répandus dans


ces milieux qui désignent la prise de conscience individuelle, souvent sous forme de
vision ou de révélation, de ses propres potentialités et capacités à appréhender le
dépassement d’un état d’esprit qui subit, comme l’illustre cet autre témoignage (2005)
d’un prédicateur, relatif cette fois à la création d’une Église18.
« Quand on est arrivé ici, c’est vrai que beaucoup avaient ce complexe
d’infériorité, mais il faut s’évolutionner. Il faut se dire que ce sont des hommes
comme nous, voilà. Alors, deuxième chose aussi : ils n’arrivaient pas à prier,
complexe de langage aussi, de langue, pardon. Il sait bien parler français, mais
pour prier en français, c’est autre chose, alors que les Blancs, heu, pardon, les
Français, même si tu parles mal français, je vois personne qui va rigoler de toi, ils
rigolent pas. Y’avait ce complexe d’infériorité, si je prie, je vais peut-être mal
prononcer, si au lieu de “le” je mets “la”, je serai mal vu (…) Personnellement ce
qui m’avait encouragé, c’était une dame, elle était espagnole, elle priait avec
l’accent espagnol : “mais si cette dame là, qui prie mal, prie, alors pourquoi pas
moi ?”. Je parle bien français par rapport à elle. Même Pasteur Henri et les autres
frères, c’est là où on s’était révolutionnés à prier à l’Église en français (…) Mais
comme on était minoritaires à se révolutionner, on a estimé qu’il fallait qu’on fasse
une Église, mais qui soit quand même en collaboration avec les Églises de France,
pour ne pas être isolés ».

Ces récits d’un investissement, par étapes, de la société d’installation insistent


sur le processus qui permet d’opérer une « r-évolution » à l’échelle individuelle (et par
extension collective). Le droit à négocier sa place (malgré la couleur de sa peau ou
malgré les « bêtises » qui pourraient être dites) et à s’exprimer dans la langue de

18 Ce prédicateur fait partie du noyau d’une Église importante dans le sud de la France
comptant environ 150 membres. Il importe de préciser que l’équipe dirigeante de cette Église
aujourd’hui reconnue, relève d’une origine sociale modeste.

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l’autochtone (malgré les fautes d’orthographe), amène à visibilité un esprit


d’entreprenariat, que les candidatures spontanées et l’implantation de l’Église
traduisent. On voit par ailleurs, que les étapes, même infimes, de ce qui peut être
associé à une avancée dans le processus d’établissement et de mobilité sociale sont
énoncées comme des victoires qui rappellent que le succès des entreprises terrestres
intervient comme signe de la grâce divine (Weber, 1964).

« On n’est rien, mais avec notre Dieu on peut tout », telle est l’équation
résumée de l’affranchissement, annoncé et exhorté, de ces croyants au statut et à
l’identité « d’immigré ».

INSTITUTIONNALISATION DE L’ATTENTE ET ESPRIT DE


VICTOIRE
Dans la vie d’une Église peuvent aussi intervenir des évènements qui
traduisent la non intervention de Dieu, comme un décès suite à une maladie malgré le
témoignage de sa rémission, la réduction à un travail manuel ou domestique, malgré
des études supérieures, des papiers qui n’arrivent pas depuis plusieurs années ou encore
une expulsion…

Lors d’un culte, dans une Église située à Bruxelles (2006), nous apprenons
l’expulsion d’une Sœur, qui était depuis plus d’un mois dans un centre fermé. Certains
membres de l’Église accompagnés du Pasteur étaient allés « la visiter ». Durant les
cellules d’intercession et les cultes, l’Église avait prié pour que sa situation évolue.
Aujourd’hui, le Pasteur annonce cette nouvelle, déjà connue de certains, qui suscite un
certain effroi dans l’Assemblée. Ce dernier va répéter son annonce en insistant sur le
« Alléluia », auquel doivent répondre les « Amen » approbateurs, qui ne se sont pas
encore manifestés. À deux reprises, il exigera cette approbation qui semble rejouer
l’adhésion des fidèles, traversés par des sentiments de tristesse et de révolte au regard
du « piège » tendu par la police. En effet, suite à une convocation, la Sœur s’était
présenté à la police, son avocat lui ayant affirmé que cette étape s’inscrivait dans le
processus normal de régularisation de sa situation.
« Bien-aimés, vous savez notre sœur Thérèse était enfermée depuis maintenant
un mois et demi. Elle a été renvoyée au pays, Alléluia (Amen), Alléluia (Amen).
Bien-aimés, si Dieu a fait que la police prenne notre Sœur et la renvoie au pays,
c’est que Dieu a son plan. Dieu pouvait intervenir, s’il ne l’a pas fait, c’est parce
qu’il a son plan. Peut- être que notre Sœur va revenir et fera de grandes choses,
peut-être que Dieu a besoin d’elle au pays, Alléluia (Amen), Dieu a son plan que
l’homme ne peut pas comprendre… ».

Cet événement qui pourrait relever d’un contre-témoignage, offre une lisibilité
des tensions qui peuvent présider à l’autorité du Pasteur dont le statut d’intermédiaire
et d’organisateur terrestre de la délivrance est à la mesure de son pouvoir charismatique
et de ses compétences entreprenariales (Dozon, 1995). Mais il nous renseigne surtout
sur la direction de cette pastorale chrétienne, résolument optimiste dans la lecture des
évènements au point parfois de nier le pouvoir de ces « blocages ». Si « Jésus est la

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solution à tous tes problèmes », la Grâce quant à elle, relève d’un ordre dont la pensée
et la temporalité ne sont pas celles de la volonté humaine. Quelle que soit l’apparente
injustice des évènements, à l’image de la mise à l’épreuve de Job, se révolter revient à
se révolter contre son Dieu. Il importe d’accepter les épreuves, de « s’accrocher ». Le
doute étant le meilleur moyen pour ne pas être sauvé. C’est par une foi inébranlable en
Jésus et un « travail sur soi », que le croyant pourra voir les miracles et sa vie
transformée. Cette posture de « vainqueur », par laquelle le croyant témoigne de la
grandeur de son Dieu, se cultive au sein de l’Église de différentes manières : par
l’abandon de traditions et des pratiques « païennes », par l’adoption de la morale
chrétienne et par l’exercice régulier de pratiques comme la lecture de la Bible, la prière
ou le jeûne et bien sûr par une fréquentation assidue de l’Église. Quel que soit le degré
de développement de l’Église, le déroulement d’un culte reprend toujours les mêmes
séquences temporelles (dont l’ordre peut varier) : « la Louange » (cantiques),
« l’Adoration » (prières individuelles et collectives), le prêche, les offrandes et les
annonces des activités de la semaine. Les témoignages s’insérant de façon non
systématique dans ce programme.

L’annonce de la délivrance à venir (dont la forme ultime est le retour de Jésus-


Christ) structure la majeure partie des prédications. Les problèmes de papiers et
d’emploi (dont dépendront l’équilibre d’une famille, d’un couple, les études d’un
enfant resté au pays, un mariage ou encore un accès aux soins etc.) sont régulièrement
abordés, sous l’angle des situations d’attente qu’ils génèrent, globalement vécus
comme humiliantes et déstructurantes. Dans la temporalité du culte, les chants
religieux qui mêlent cantiques des Assemblées de Dieu, Gospel et musique des
« jeunes » (reggae, rap), sont entrecoupés de temps de prière au cours desquels le
modérateur ou le pasteur invitent les fidèles à communiquer directement avec leur
Dieu. Chaque voix s’élèvera19 laissant libre cours aux émotions du croyant qui peut
crier, chanter, pleurer ou encore taper des pieds s’il en ressent le besoin. Dans cette
temporalité, l’Église se manifeste comme le lieu d’une mise en scène extraordinaire de
« l’Attente ». De l’attente du retour de Jésus-Christ à l’attente du dénouement de
situations « bloquées », l’Église offre non seulement un espace d’extériorisation des
émotions, mais un lieu de mise en sens des « blocages » qui, quelle que soit leur
évolution, s’inscriront toujours dans le « plan merveilleux » de Dieu. C’est dans cette
récupération et réinterprétation des situations vécues, transposées dans le registre
religieux, que le discours pentecôtiste opère une fonction régulatrice, que je suis tentée
de qualifier de forme d’institutionnalisation de l’attente. Ce qui ne doit pas être
compris en termes de fixité, mais plutôt en termes d’entre-deux et de pragmatique. La
canalisation (discursive et émotionnelle) des sentiments de doute, de révolte ou de
désespoir, qui relèvent de la catégorie des mauvais esprits, est une sorte de
réorientation qui a à voir avec la dynamique de transformations qu’impulsent les
pasteurs. Car, ne l’oublions pas, dans ce parcours du combattant et cette lutte contre les

19 La prière au contraire des cultes qui s’exercent exclusivement en français peut être faite dans
une langue « étrangère ». Sachant que la RDC compte quatre langues nationales : le lingala,
le kikongo, le swahili et le tshiluba.

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156 Sarah DEMART

(mauvais) esprits, la figure idéaltypique qui se dégage est celle du Chrétien qui ne
s’avoue jamais vaincu. Ce que je vais illustrer par une surprenante réplique d’un
Pasteur, résident en Belgique et interrogé dans un cadre non religieux (mariage
coutumier), au sujet des politiques de l’immigration qui faisaient l’actualité en France :
« Pour moi on n’a pas à combattre Sarkozy20, c’est plutôt un modèle… Il est
comme nous, c’est un immigré, mais lui, il est arrivé au top, il faut le prendre
comme un exemple ».

Cette vue, qui ne pourrait être partagée par l’ensemble des Pasteurs, n’en est
pas moins, une rhétorique significative du modèle de réussite qui porte ce discours
intégrationniste. La figure du self made man qui se dégage, traduit cet effort que
l’individu doit fournir pour rompre avec le statut, souvent qualifié de médiocre,
« d’immigré ». C’est à ce niveau qu’une déclinaison toute particulière d’esprits à
combattre se dégage, désignant des manifestations émotionnelles et des
« constructions » identitaires comme lieux de « blocage » : « je chasse tout esprit de
timidité », de peur, de petitesse d’esprit ou encore de médiocrité.

Toujours dans cette « tendance », la lutte contre les stigmates qui « bloquent »
ces chrétiens peut passer par une désignation/diabolisation des marqueurs culturels qui
en sont à l’origine. C’est alors un référentiel et des catégories justificatrices de rapports
sociaux hiérarchisants et asymétriques, qui se dégage. Cela me fut particulièrement
perceptible le jour où le Pasteur d’une grande Église située à Bruxelles me demanda
(toujours dans un cadre informel), quelle place j’accordais, dans le cadre de ma
recherche, à la « paresse » (sic) ? Bien embêtée, je fus obligée d’avouer que la notion
de paresse ne m’était jamais venue à l’esprit, mais que je pouvais envisager celles
d’attente ou de brutalité d’un système qui pourrait produire des sentiments de
« démission » etc. Il acquiesça finalement, considérant qu’au regard de la réalité d’une
« immigration non préparée (l’Europe va tout résoudre) » et d’une population « non
qualifiée », ou ne pouvant exploiter son capital-diplôme, nonobstant un traitement
« parfois raciste », le risque de tomber dans un « assistanat », redoublé de pratiques
informelles « illégales » était véritablement « problématique ». Les responsables
religieux mettent effectivement en avant le travail effectué auprès des populations
« immigrées » et déviantes, en termes « d’utilité sociale », non sans reprendre certains
clichés (prostituées, drogués, délinquants etc.). Ce qui ne laisse pas indifférent certains
pouvoirs publics qui tendent alors à désigner ces responsables religieux qui prêchent
l’excellence, le travail, l’honnêteté et une bonne moralité, comme des responsables
communautaires. D’autant que si certaines grandes Églises mettent parfois en place des
structures d’accompagnement effectives (mettant à profit les compétences et quali-
fications de leurs membres : conseil juridique, soutien scolaire, aide alimentaire etc.), il
semble que ce soit essentiellement dans le dispositif religieux à proprement parler et les
sociabilités qui lui sont associées, que les fidèles se « ressourcent » et « s’édifient ».

20 À l’époque où l’actuel Président français, alors Ministre de l’Intérieur, se distinguait par le


durcissement de sa politique en termes d’immigration non sans accent xénophobe.

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Le « combat pour l’intégration » des églises issues du Réveil congolais (RDC) 157

RELIGIOSITÉ HYBRIDE ET ENTRE-DEUX CULTURELS


« Dernièrement, le Pasteur Kroll a dit à mon épouse : ton mari n’est plus
Africain, il est devenu moderne… tu connais le Pasteur Kroll, quand il dit quelque
chose, ce n’est jamais à la légère !21». Cette confidence du Pasteur Kibutu dans un
cadre informel est venue clôturer un entretien au cours duquel ce dernier avait
développé la question de l’intégration socioprofessionnelle et citoyenne de ses fidèles,
qui est au cœur de sa mission. Le Pasteur Kroll lui, est hollandais. Il a, à un moment
donné, soutenu le développement de l’Église de l’EIB, l’Église Internationale de
Bruxelles22, dont le Pasteur Kibutu est le Pasteur principal. Mais il est surtout très actif,
depuis des années, dans l’évangélisation au Congo, particulièrement auprès des
populations pygmées. Également actif dans l’organisation Campus for Christ23 en
Europe, il a, lors d’un colloque, rencontré le Pasteur Kibutu qui exerçait dans la même
organisation, mais à Kinshasa. Ce partage d’expérience les a rapprochés et de là, est
née une collaboration sur le sol européen, concernant notamment le développement de
l’EIB, implantée par le Pasteur Kibutu en 1984 à Bruxelles (et aujourd’hui affiliée à la
fédération des Églises évangéliques de Belgique). Immergé depuis plus de quinze ans
dans les milieux « Blancs », ce dernier considère, en effet, qu’après quatorze années
d’études théologiques effectuées en Belgique, son « intégration » au sein du milieu
africain relève d’un « choc culturel ». Cherchant à prolonger cette surprenante
révélation, je lui demandais en réponse (et à tâtons) si le fait de ne plus être
« Africain », d’être « moderne », était de l’ordre d’une « délivrance » :
« Pas du tout, c’est une perte, une perte de mon identité culturelle, mais je la
retrouve grâce à l’Église, c’est grâce à l’intégration [dans l’Église] que je peux
éviter la césure avec les Congolais (…), ma femme elle, est complètement
congolaise, elle n’a pas changé comme moi, elle fait tout congolais, elle mange
congolais (…) c’est peut-être parce qu’elle est restée très en contact avec sa
mère. ».

Il peut paraître déroutant que le responsable de la seconde plus grande Église


congolaise de Bruxelles se situe dans une position d’extériorité culturelle par rapport
au groupe religieux à caractère « ethnique » (Fath, 2005) qu’il conduit24. Pourtant, le
Bishop Martin Mutyebele, Pasteur principal de la « mythique » Nouvelle-Jérusalem, la
plus grande Église congolaise à Bruxelles et en Europe25 a, lui aussi, évoqué cette

21 Je l’ai connu en assistant aux cours de missiologie que l’EIB prodigue, puisqu’il y animait
une partie des enseignements auxquels j’assistais via un autre Pasteur. Je l’ai par la suite
interviewé chez lui, en Hollande.
22 Qui compte près de 1000 membres.
23 Organisation internationale qui a pour but d’évangéliser dans les milieux étudiants.
24 Dans l’Assemblée, il y a rarement plus de dix « blancs » lors des cultes. Par contre plusieurs
nationalités africaines sont présentes.
25 Comptant plus de trois mille membres, quatre cultes le dimanche (ciblant des publics
différenciés socialement et linguistiquement : francophone, lingalaphone et swahiliphone) et
vingt-six Églises annexes (en Belgique, en Allemagne, en Russie, en Suisse, en Angleterre et
aux États-Unis).

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158 Sarah DEMART

position d’entre-deux. L’une de ces expressions a eu lieu lors d’une campagne


d’évangélisation au théâtre St Pierre, à Bruxelles, en Août 2005. Cette campagne dont
l’objectif était d’impulser un mouvement fédérateur auprès des Églises congolaises, fut
organisée sur plusieurs jours. Plus de 70 Pasteurs étaient présents. Le Pasteur
Mutyebele fut appelé à témoigner. À son arrivée sur scène, le public se leva et
l’acclama longuement. Il commença comme il se doit par prier, puis fit le récit des
origines de cette « institution » qu’est la Nouvelle-Jérusalem. L’anecdote centrale du
récit porta sur la façon dont ses fidèles eurent à négocier l’introduction des rythmes et
instruments de musique africains dans l’Église. Lui-même « étant habitué » aux
cantiques traditionnels du protestantisme européen et nord-américain qui n’incluaient
ni le « tam tam », ni les chants en lingala. Ces leaders religieux, qui se trouvent diriger
les deux plus grandes Églises congolaises de Bruxelles font le constat sur un mode
plutôt élogieux d’une position d’intermédiaire entre deux univers culturels. La
formation puis l’exercice de leurs qualifications au sein d’institutions religieuses
établies (et « blanches ») est présentée comme une « intégration » qui aurait pour
corollaire une rupture « culturelle », une « césure » avec le groupe d’origine qui
deviendrait le lieu de « ré-acculturation » du leader. Cette figure de l’intermédiaire, si
elle est effective en regard des structures au sein desquelles certains Pasteurs évoluent
et de la mission portée, n’en est pas moins mise en scène comme un marqueur de
distinction et d’évolution. Cette forme de présentation de soi, au sens goffmanien du
terme, se retrouve dans de nombreuses prédications qui témoignent de la force
spirituelle présidant à une intervention divine. Par la restitution de leurs contacts ou des
négociations qui ont permis de lever un « blocage » social, les Pasteurs « édifient » la
foi des croyants. La démonstration de la subversion des frontières culturelles et/ou
raciales qui présideraient aux blocages de « l’immigré » peut concerner l’obtention
d’un visa pour aller prêcher aux États-Unis, une négociation avec le propriétaire des
locaux pour différer un paiement comme une collaboration avec les réseaux protestants
locaux sur des bases « égalitaires » etc. Et c’est en ce sens que l’organisation, de type
« ghetto », est dénoncée par les Pasteurs, qui sans toujours y parvenir prêchent contre
le « communautarisme ». Ce qui suppose là aussi, des adaptations culturelles et le
changement de certaines pratiques, notamment dans la gestion des temporalités et dans
l’usage systématique de la langue locale. Il faut « s’ouvrir », « être à l’heure » pour que
les « Blancs puissent s’y retrouver ». Et parce que l’accueil est à la mesure de
l’intention de l’Église de s’agrandir et surtout de susciter la conversion, l’accueil de
nouveaux venus est l’objet d’une attention particulière et d’autant plus s’il est
« Blanc ». Ma présence de femme blanche, accessoirement chercheure, a toujours été
l’occasion d’un accueil chaleureux (qui en cela ne diffère pas tellement des autres
milieux congolais). Par contre, c’est une réelle fierté, dans les milieux religieux que de
pouvoir présenter « la sœur Sarah qui prie avec nous ». L’enjeu de ma conversion, et
de mon affiliation, s’est d’ailleurs souvent posée, surtout dans les petites Églises, en
quête de légitimité, comme si la présence d’un mundele (blanc) dans l’Assemblée,
permettait de « décommunautariser » ces Assemblées en prouvant la dimension
universaliste de l’appartenance chrétienne. Et a fortiori la capacité de ces chrétiens à
« s’intégrer » à l’univers socioculturel de la chercheure cooptée. L’enjeu de cette
affiliation visant notamment à me faire passer d’un statut symbolique à celui d’une
« connexion » effective (de membre participant activement et financièrement à

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Le « combat pour l’intégration » des églises issues du Réveil congolais (RDC) 159

l’avancée de l’œuvre). En situation de « précarité », certains Pasteurs ont ainsi vu en


moi une ressource, réelle ou supposée, susceptible d’accélérer l’avancée de « l’œuvre
de Dieu », en simplifiant certaines démarches ou en leur donnant une légitimité.

D’UN MODE D’INTÉGRATION À UN AUTRE


Si certains discours tout en affirmant leur intention de rompre avec un
complexe d’infériorité semble l’actualiser, on peut se demander dans quelle mesure des
expressions telles qu’« accepter d’évoluer (en étant à l’heure) », « être moderne », « se
conduire en civilisé », « sortir de la médiocrité » ou encore par la revendication de
certains Pasteurs de « ne pas être un Africain comme les autres », ne seraient pas in fine
une forme de rhétorique opportune. Car dans certains contextes, notamment de
participation institutionnelle dans les milieux protestants (Demart, 2008b) ou
d’évangélisation des autochtones (Demart, 2008a), cette exigence de transformation est
double : transformation de Soi et transformation de l’Autre étant indissociables. À ce
niveau, le discours religieux élabore alors une critique de l’Europe.
« Nous sommes en Europe, c’est vrai, mais l’Europe a sa mentalité, étant
chrétien, nous devons marcher selon ce que la parole de Dieu dit, nous ne devons
pas nous conformer à ce monde, nous sommes un peuple qui est mis à part ».

Cette référence à la « mentalité » de l’Europe désigne la perte des valeurs


chrétiennes et de la foi, l’individualisme, la peur de l’altérité et « l’accueil » qui en
découle, l’indifférence dans les rapports de voisinage, le divorce généralisé, la
difficulté à éduquer ses enfants en Europe face à une autorité parentale défaillante et
généralisée ou encore la nudité banalisée de la femme dans l’espace public. Si ces
critiques sont globalement transversales aux populations congolaises, elles sont, dans
le cadre religieux, appréhendées sous l’angle de la déchristianisation de sociétés, que le
confort matériel a éloigné de Dieu. Au travers du récit d’un peuple élu et persécuté,
marchant vers la terre promise ou attendant le retour du Christ, la Bible fournit une
caution et une arme symbolique pour des collectifs de migrants qui expérimentent
l’indésirabilité et la non-valeur de leur statut d’immigré-es « non choisis ». L’affir-
mation d’une seule et unique frontière, celle qui sépare les chrétiens des païens, les
convertis des non-convertis, annule alors ipso facto le bien fondé des autres
frontières qu’elles soient ethniques, nationales, culturelles ou raciales. Par son alliance
avec Dieu, qui devient un partenaire permanent des entreprises terrestres, le converti
peut envisager sinon un renversement de l’ordre des hiérarchies sociales, du moins sa
légitime traversée. En cela, l’identité chrétienne fournit une garantie au croyant : celle
de sortir à plus ou moins court terme, vainqueur de ce « parcours du combattant ». Dès
lors, bien sûr, qu’il en prend la décision de façon indéfectible. Cette posture sous-tend
une critique à l’endroit d’une Europe qui a non seulement failli à ses idéaux
démocratiques, mais trahi les valeurs de l’Évangile, qu’elle avait pourtant elle-même
« apporté aux Africains ». Dans une vision comparative avec le modèle sociétal
américain, l’Europe, catholique, et de surcroît déchristianisée apparaît d’autant plus
fermée à l’altérité : « Aux États-Unis, on prend le meilleur, ici, on ne vous prend pas
parce que vous êtes différents », récapitule ce Pasteur qui prêche régulièrement dans
des églises européennes et nord-américaines (et qui prépare, par ailleurs, dans une

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160 Sarah DEMART

université américaine un doctorat sur les stratégies de pénétration de l’Évangile en


milieu européen). La plus forte représentativité socioprofessionnelle des « Noirs » aux
États-Unis, à laquelle les « jeunes » sont tout particulièrement sensibles, conforte cette
idée d’avancement. De plus, des grandes croisades comme celles d’Osborn ou de Pat
Robertson, les passages télévisés sur la chaîne congolaise de Billy Graham dans les
années 1980 ou des organismes comme le Full Gospel Businessmen Fellowship ou
Campus for Christ, ont durablement marqué l’histoire du Réveil congolais. Enfin, si la
plupart des Églises se développent sur un mode d’autofinancement, il n’échappe à
personne que la Nouvelle Jérusalem doit son développement remarquable en partie aux
financements des Églises américaines de la Church of God, dont le Pasteur Mutyebele
est aujourd’hui le représentant en Belgique.

Lorsque les Pasteurs rappellent que « nous prions un Dieu “vivant” et non
“mort” comme chez les catholiques », ils font appel à une foi sans borne et à un Dieu
qui, depuis les temps apostoliques, « n’a pas changé ». Mais la référence au Dieu
« mort » des catholiques est aussi une référence à une histoire plus lointaine, plus ou
moins théorisée selon les Pasteurs. Dans l’histoire du Congo, le catholicisme a, en
effet, été un instrument majeur de l’État colonial26. L’objectif qui fut énoncé sans
ambages aux missionnaires en partance pour le Congo, dans une lettre mémorable du
roi Léopold II, était celui de la préparation psychologique des colonisés à se soumettre
à la grande entreprise de domestication et d’exploitation économique du Congo27. Les
« croisades » et évangélisations des années 1970-1980 qui venaient révéler le caractère
accessible du Salut et les miracles sans limite d’un Dieu « vivant », qui n’a pas changé
(« contrairement à ce qui nous avait été dit ») renversaient un ordre de centralité
instauré pendant la période coloniale (1885-1960). Cette (ré)appropriation des voies et
modes d’accès du Salut, s’est accompagnée d’une reprise et d’une intensification de la
lutte contre les esprits telle que, dans certains cas, la « ligne de partage » (Tonda, 2002)
entre univers biblique d’une part, et univers sorcellaire, magique ou traditionnel,
d’autre part, n’est pas identifiable. Au point que certains anthropologues y voient une
forme de pentecôtisme autre, qualifiant cette nouvelle vague, de « néopentecôtiste »
(Laurent, 1999 ; Corten, 1999). La tension entre, continuité et rupture, intelligible dans
l’articulation « chasse aux démons », « diabolisation des traditions » et « Évangile de la
prospérité » (Marshall-Fratani, 2001), pose selon moi, avant tout la question du cadre
spatio-temporel susceptible de restituer cette forme religieuse. Un bref détour vers les
rues de Matonge (le quartier congolais à Bruxelles), de Château Rouge (Paris) ou
encore vers les vitrines de nombreux commerces congolais, nous donnera un élément
de réponse ou plutôt de questionnement. On peut y voir, en effet, de façon très

26 Même si, par la suite, durant le pouvoir dictatorial de Mobutu, le catholicisme a été un contre
pouvoir, se donnant à voir comme religion d’opposition dans un contexte toutefois où
certains « intérêts » étaient menacés, à l’image de la politique de l’authenticité (en 1972) qui
rebaptisa le Congo, Zaïre et exigea de tous les « citoyens » d’abandonner leurs noms
chrétiens pour des noms locaux.
27 Lettre du roi Léopold II adressée aux missionnaires et reprise par le Ministre des colonies
M. Jules Renquin en 1920 avec les premiers missionnaires catholiques du Congo belge,
cf. Avenir colonial Belge, 30 octobre 1921, Bruxelles.

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Le « combat pour l’intégration » des églises issues du Réveil congolais (RDC) 161

régulière, des affiches annonçant la venue d’invités exceptionnels, d’Allemagne, de


Grande-Bretagne, du Congo ou encore des États-Unis (Congolais en migration ou
nationaux). Pour des séminaires de quelques jours ou pour une conférence, ces
prédicateurs développeront le thème du leadership : « Vivre le leadership », l’« Impact
d’un leadership spirituel », le leadership comme stratégie d’évangélisation, comme
gestion de la vie professionnelle et sociale ou encore comme stratégie de management
pour l’Église etc. Plus souvent recherchés par les Hommes de Dieu, mais pas
uniquement, ces enseignements mobilisent un concept évocateur de réussite,
d’excellence et d’ouverture sur l’international. Même si cette internationalité peut se
révéler relative, le leadership occupe une place de choix dans le panel des « techniques
de soi » de cette offre religieuse. Il apparaît in fine comme un aboutissement de la
compétence entreprenariale et charismatique à développer en soi pour accéder aux
promesses de la mondialisation

DE L’INJONCTION CONTRADICTOIRE À L’ INTÉGRATION


En 2006, Lydia Mutyebele, fille du Pasteur Martin Mutyebele de la Nouvelle
Jérusalem, active dans l’Église de son père (où elle dirige notamment une chorale de
gospel) et avocate de formation entrait sur la scène politique belge en se présentant aux
élections communales. Candidate CDH28 pour la ville de Bruxelles puis au Sénat
(2008), la percée de cette nouvelle candidate ne laissa pas indifférent. Sur sa carte de
visite, laissée à disposition dans plusieurs lieux publics, notamment dans les ngandas29
de Matonge (quartier congolais à Bruxelles), on pouvait prendre connaissance de son
combat politique et citoyen. Lequel appelait à lutter « contre l’indifférence, l’exclusion
et la médiocrité ». De façon inédite et récapitulée, s’énonçait un appel à des
transformations sociétales qui mettait au même niveau l’indifférence, l’exclusion et la
médiocrité. Si l’indifférence et l’exclusion venaient traduire des formes de discrimi-
nations entendues comme freins à « l’intégration », la convocation dans l’espace public
de la lutte contre la médiocrité visait elle, à n’en pas douter, la « communauté
congolaise ». On retrouve là un thème qui circule dans les milieux du Réveil, en France
comme en Belgique. Toutefois, si la « médiocrité » vient effectivement qualifier le
statut de « l’immigré », les conditions de la rupture avec cette identité stigmatisante
relèvent par contre, de logiques différenciées. Dans ce contexte électoral précis par
exemple, la référence à cette « tare » est non seulement l’indicateur d’un vote
ethnique30, mais la référence à un modèle méritocratique qui invite à prendre en charge
ou à résoudre, de façon individuelle la question du stigmate. Toutefois, dans d’autres

28 Le parti Centre Démocrate Humaniste. Lydia Mutyebele, était la 25ème candidate sur la liste
CDH pour la circonscription de Bruxelles-Ville comprenant Bruxelles, Laeken, Neder-Over-
Heembeek, Haren qui est l’une des 19 communes de Bruxelles.
29 Les ngandas sont des bars-restaurants en général stigmatisants dans ces milieux religieux car
associés à la bière, aux femmes libres, à la débauche et aux pêchés.
30 Malgré le déni de la direction du CDH, le parti fut traversé par de fortes controverses au sujet
de ce vote communautaire. Les scores de Bertin Mampaka, de Lydia Mutyebele ou encore de
Nestorine Kimbondja Kalengi, relevant effectivement de stratégies ciblées cf. « le stemblock
à la manière CDH », le Soir, 13 octobre 2006.

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162 Sarah DEMART

contextes, le refus de cette « médiocrité » passe par une « politique » qui peut
concerner les bâtiments, l’organisation des églises ou encore tout un ensemble de
négociations avec les protestantismes locaux. La « médiocrité » étant alors une
construction sociale (situations d’irrégularité, de précarité, préjugés, misérabilisme
etc.) avec laquelle il « faut » rompre. Que ce soit à l’échelle de l’individu ou du groupe,
l’esprit d’entreprenariat qui se dégage de ce discours religieux affirme un droit et une
intention : ceux de rompre avec la figure stigmatisée et stigmatisante de « l’immigré »
qui situe ces collectifs en marge des circuits classiques de l’intégration et de l’insertion
sociale. Par ailleurs, c’est à partir de la perte des valeurs morales ou de la non
application des valeurs chrétiennes dans les sociétés européennes, que ces collectifs
émettent une critique vis-à-vis de cette Europe qu’ils entendent conquérir en négociant
leur droit à s’insérer dans l’ordre des hiérarchies et des légitimités autochtones. La
référence au modèle américain que l’on peut dégager comme « forme ultime de la
civilisation de Dieu » (Tonda, 2000) semble avant tout être le lieu de l’expression d’un
refus. Rappelant, si besoin était, que « la décolonisation n’a pas mis un point final à la
question de savoir que faire des histoires partagées une fois que celles-ci ont été plus
ou moins désavouées » (Mbembe, 2005 : 141). Car dans la structure même de son
discours (et dans la grande variabilité de ses formes), le pentecôtisme congolais élabore
un système de pensée et de croyances qui repose sur une bipolarité hiérarchisante
(esprits/Esprit-Saint, Bible/Sorcellerie etc.) forgée par l’évangélisation coloniale
(Tonda, 2000). Plus efficace et plus puissant, le pouvoir biblique l’est donc aussi en
termes de légitimité, puisque c’est du point de vue des valeurs chrétiennes, que ces
Pasteurs posent la question de l’universalisme, pour contredire le bien fondé de
certaines stratifications sociales et leur durabilité. À l’intersection de deux modèles,
celui d’une intégration pensée comme assimilation et celui d’un communautarisme, ou
d’une ethnicité, perçu comme enfermant, ces collectifs définissent leur « combat pour
l’intégration ». L’accent porté sur l’individu reprend une idée forte dans les nouveaux
mouvements religieux, selon laquelle « le changement de soi est une manière de
changer la société » (Marshall-Fratani et Péclard, 2002). L’impératif d’excellence et de
bonne moralité versus la « médiocrité » étant tributaire de l’idée de la toute potentialité
de l’individu, par l’alliance avec le divin versus de l’incapacité individuelle à se
« r-évolutionner » en rompant « en soi » avec ce qui se manifeste comme un blocage
« social ». Cette dynamique de transformations amène à visibilité deux logiques, que
l’on peut schématiquement identifier comme de continuité et de rupture. La référence
américaine, à travers le réveil religieux et le modèle du self made man soutient la
rupture avec les multiples figures de l’altérité construites dans les interactions passées
et présentes avec l’Europe : le colonisé, le païen, l’évangélisé, l’étranger et l’immigré.
On pourrait, d’ailleurs, se demander si les transformations suggérées à l’échelle de
l’individu, en termes de bonne moralité et de distinction d’une part et l’assimilation de
« tares », comme la paresse ou la médiocrité, à des attributs collectifs, d’autre part,
n’actualiseraient pas des figures coloniales qu’il s’agirait alors de restituer en fonction
de leurs usages, contextes et ancrages dans des formes collectives de revendications
afin de dégager les différentes stratégies élaborées à partir de ces constructions
identitaires. En tout état de cause, si l’on peut s’accorder sur la définition donnée par
Bordes-Benayoun et Schnapper (ibid.) de l’intégration comme reconstruction a
posteriori et mise en perspective d’un processus interactif entre société d’installation

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Le « combat pour l’intégration » des églises issues du Réveil congolais (RDC) 163

(ou de transit) et les migrants, alors on doit considérer que ces recompositions
culturelles et identitaires sont de toutes façons, des indicateurs d’un rapport qui
déborde le seul cadre des interactions quotidiennes ou de la culture du groupe. Ce qui,
dans notre contexte, supposerait de pouvoir restituer le continuum entre contexte
colonial et contexte post-colonial de la migration, que ce discours religieux sur
l’intégration amène à visibilité. En effet, dans son caractère hybride, évolutif et
malléable, cette religiosité s’inscrit dans une logique de continuité qui convoque
l’histoire. Sans qu’elle ne fasse l’objet à proprement parler de ce discours religieux, on
peut repérer une sorte d’inversion des temporalités, laquelle nous renseigne sur le
rapport macrosocial, culturel et historique qu’actualise cette expérience migratoire
collective. L’espace-temps du culte (et non de l’Église) qui, on l’a vu, institutionnalise
une attente constitutive de ces « parcours de combattants », offre une lisibilité de cette
inversion. Car, ce n’est pas ou plus, l’histoire passée qui permet d’éclairer un présent
conflictuel, « bloqué » ou malheureux, mais bien l’avenir « délivré », victorieux et
maîtrisé par le chrétien et décrit dans les Écritures qui est organisateur du présent. Dans
cette inversion des temporalités, la tension entre continuité et rupture semble trouver
une issue pragmatique qui a véritablement fonction de régulation. Et c’est bien, dans
l’imbrication des référentiels temporels, culturels, sociétaux ou encore territoriaux, que
mobilise ce discours pro-intégration, que l’on peut saisir la façon dont ces collectifs
expérimentent l’intégration ou plus exactement la capacité d’intégration de sociétés
qui, elles aussi, malgré tout, sont issues de l’histoire coloniale (Blanchard, Bancel et
Lemaire, 2006). La construction d’une ethnicité, y compris dans le cas de l’exception
française manifestant un « décalage » entre discours et pratiques institutionnels (Costa-
Lascoux, 2006), se donnant ici à voir, comme un marqueur significatif de l’injonction
contradictoire à l’intégration à laquelle se confrontent ces collectifs.

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164 Sarah DEMART

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RE
M RÉSUMÉ - ABSTRACT - RESUMEN 165

Le « combat pour l’intégration » des églises issues du Réveil congolais (RDC)


Sarah DEMART

Cette contribution se propose de mettre en perspectives un discours sur « l’inté-


gration » qui se développe depuis quelques années, dans des églises à caractère « ethnique »
(France-Belgique). D’obédience pentecôtiste et évangélique, ces églises issues des migrations
congolaises (RDC) se comptent à l’échelle de l’Europe, par centaines, pour ne pas dire par
quelques milliers. Si cette nouvelle branche du protestantisme donne à voir un mouvement
pluriel et fragmenté, des constantes sont toutefois observables, notamment l’affirmation du droit
à se penser en dehors de logiques d’assignation à l’altérité. Il en résulte un discours intégra-
tionniste inédit qui se donne à voir comme rupture avec un rapport ancien qu’actualiserait l’ordre
des hiérarchies et des centralités autochtones.

The “Fight for Integration” of the Congolese Revival (DRC) Churches


Sarah DEMART

This article proposes to analyse the discourses on “integration” developed during the
last few years within various “ethnics” churches (France-Belgium). Of Pentecostal and
Evangelical obedience, these churches, stemming from Congolese’s migrations (DRC), can be
estimated to several hundreds and even up to a few thousands in Europe. Some constant can be
observed in this new branch of Protestantism despite its fragmented and plural movement,
particularly the right to think oneself beyond the logics of reduction to otherness. The
integrationist discourse produced constitutes a real break with the ideas carried by the
autochthon order of both hierarchies and centralities.

La “lucha para la integració” de las iglesias nacidas del Renacimiento


congolès (RDC)
Sarah DEMART

Esta contribución propone poner en perspectivas un discurso de “la integración” que se


desarrolla desde hace algunos años en iglesias a carácter “étnico” (Francia-Bélgica). De
tendencia pentecostal y evangélica, estas iglesias nacidas de la migración congolesa (RDC), se
cuentan en Europa por centenas, sino algunos millares. Esta nueva rama del protestantismo
muestra un movimiento plural y fragmentado, sin embargo las constantes son siempre
observables, particularmente la afirmación del derecho a pensarse fuera de lógicas de asignación
a la alteridad. De esto resulta un discurso integracionista inédito que se muestra como la ruptura
a un viejo lazo que actualiza el orden de las jerarquías y de las centralidades autóctonas.

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DIASPORAS
Histoire et Sociétés
Dieux-valises
N°12/2008
Dossier coordonné par Patrick Cabanel
ƒ DES DIEUX ET DES TEMPLES EN VOYAGES
Corinne BONNET, Entre immanence et transcendance. Réflexions sur la représentation du
divin dans l'Antiquité
Michel BRUNEAU, Des icônes aux églises et aux monastères reconstruits par les Réfugiés
grecs d'Asie Mineure sur les lieux de leur exil
Dominique JARRASSE, Une architecture de l'exil. Transferts des synagogues et construction
identitaire aux Etats-Unis et en Israël au XXe siècle
Sarah MEKDJIAN, Reproduction ou création ? Images, pratiques et objets religieux arméniens
dans l'exil à Los Angeles
Alice GALLOIS, Migration et mutations du culte des génies Hauka du Niger vers la Gold-Coast
(années 1920-1950)
Pauline GUEDJ, De l'Afrique aux Amériques. L'implantation du culte des divinités akan aux
États-Unis
ƒ JETER L'ANCRE : DES TEMPLES VENUS D'AILLEURS DANS LE PAYSAGE URBAIN FRANÇAIS
Régis BERTRAND, Présence des chrétiens d'Orient dans le paysage marseillais aux XIXe et
XXe siècles
Katrin LANGEWIESCHE, Construire au nom de Dieu. Architecture et diaspora arméniennes à
Marseille
Philippe VIDELIER, « L'église des Italiens ». Une paroisse de la banlieue de Lyon
Michèle BAUSSANT, De l'Algérie à la France : les transferts de Notre-Dame de Santa Cruz,
Notre-Dame d'Afrique et Saint Michel
Lydie FOURNIER, Les bâtiments du culte musulman comme prisme d'analyse des clivages et
des enjeux politiques autour du croire en islam. L'exemple de Montpellier
Chantiers de recherche
e e
Migrations et religion en France XIX -XX siècle, Yvan Gastaut, compte rendu du colloque de Nice, décembre 2007
Des immigrés au service de la France : les engagements volontaires de l'automne 1938, par Emmanuel Debono
« La valise ou le cercueil » : un aller-retour dans la mémoire des Pieds-Noirs, par Amy L. Hubbell
Publications de documents
Ils ont fait l'Amérique ! Un siècle d'histoire huguenote aux États-Unis (v. 1850-v.1945), par Bertrand Van Ruymbeke,
[suivi de deux extraits d'ouvrages]
Bibliothèque, Résumés

T a r i f s a b o n n e m e n t 2 0 0 8
Particulier : 33 € / Organisme : 46 € / Etranger : 50 € — Prix au numéro : 22 €
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