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internationales
vol. 24 - n°3 | 2008
Numéro ouvert
Sarah Demart
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/remi/4840
DOI : 10.4000/remi.4840
ISSN : 1777-5418
Éditeur
Université de Poitiers
Édition imprimée
Date de publication : 1 décembre 2008
Pagination : 147-165
ISBN : 978-2-911627-50-7
ISSN : 0765-0752
Référence électronique
Sarah Demart, « Le « combat pour l’intégration » des églises issues du Réveil congolais (RDC) », Revue
européenne des migrations internationales [En ligne], vol. 24 - n°3 | 2008, mis en ligne le 01 décembre
2011, consulté le 30 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/remi/4840 ; DOI : 10.4000/
remi.4840
© Université de Poitiers
RE
M Revue Européenne des Migrations Internationales, 2008 (24) 3 pp. 147-165 147
Sarah DEMART*
Bien qu’implanté au Congo au début du XXe siècle via les Assemblées de Dieu,
depuis les années 1970, le pentecôtisme connaît un renouveau spectaculaire au sein de
la population congolaise. On peut attribuer l’origine de ce « vent de l’esprit Saint », qui
4 Les jeunes nés en France mais aussi leurs parents dont un certain nombre ont acquis la
nationalité française ont modifié la composition des assemblées, qui, si elles sont
majoritairement dirigées par des Pasteurs d’origine congolaise, comptent de plus en plus de
nationalités différentes parmi les fidèles.
5 Dans ce contexte où les églises se forment en dehors d’une autorité centralisatrice, la frontière
distinguant l’institution « Église » des lieux de cultes peut être difficile à établir. D’où le flou
dans certaines désignations de ces Églises/églises que j’ai choisi de restituer tel quel.
6 Les offrandes sont dominicales : à chaque culte, mais également « spéciales », lorsqu’il s’agit
de soutenir un projet : achat d’un terrain ou d’un bâtiment ou de matériel. La dîme est
mensuelle et correspond au dixième du salaire.
7 Celui-ci connaîtra d’ailleurs une grande expansion dans la Bible Belt (Fath, 2004).
migratoire, l’expression qui s’impose est celle de « kobeta libanga », qui signifie
littéralement (en lingala) « taper la pierre » ou « tailler dans le roc », à l’image de
l’explorateur anglo-américain Henry Morton Stanley16.
L’Église se donne alors à voir comme un lieu de culte qui fournit au croyant
des ressources pour se penser en dehors des cadres qui régissent une quotidienneté
marquée par des assignations identitaires discriminatoires, et dont la pigmentation de la
peau est le marqueur majeur. Nous sommes en 2004, lors d’un culte au sein d’une
Église implantée en France. Une jeune femme veut témoigner de ce que « Dieu a fait
dans sa vie ». Elle s’avance devant l’autel, prend un micro et fait face à l’Assemblée.
Dans les Églises de réveil, le témoignage a une fonction de « fortification » et
« d’édification » de la foi du Chrétien. Il fait partie intégrante de la mission pour le
converti qui doit à son tour témoigner des « grandes choses » que Dieu a faites dans sa
vie. Cette jeune femme explique qu’elle recherchait du travail, mais cette fois, « autre
chose » que ce qui lui est habituellement proposé [entendre « des ménages »]. Elle
vient de décrocher deux stages au sein d’institutions importantes. Et elle nous explique
que Dieu a agi dans sa vie de deux manières : d’abord parce qu’elle a « osé » faire des
candidatures au sein de ces institutions, et ensuite parce qu’elle a été retenue au Conseil
Général et à Airbus, « ce sont des endroits, très, très difficiles à toucher, mais Dieu a
fait que j’ai été choisie ». Elle nous explique le parcours qu’elle a effectué : l’Église, la
cellule de prières17 et puis cette prière improvisée avec des frères et sœurs de l’Église,
où elle demande à Dieu de lui donner « de la force » pour l’entretien, que Dieu fasse
qu’elle soit « lumineuse » et que ses interlocuteurs « n’entendent pas les bêtises » qui
sortiront de sa bouche. L’entretien au Conseil Général est rapide, elle s’inquiète, mais
son interlocutrice lui dit qu’elle va personnellement soutenir son dossier, qu’elle a été
16 Alors qu’il entreprenait la construction de la route reliant Matadi et Stanley (1879-1884) pour
assurer des échanges commerciaux. Devant tailler à même le Roc, il utilisa de la dynamite et
fut surnommé « Bula Matari » (qui en kikongo signifie celui qui taille le roc) par les
habitants.
17 Durant la semaine, les Églises ont des cellules d’intercessions et de prière, en général au
moins deux fois par semaine, qui s’organisent généralement par quartier, ayant lieu au
domicile d’un frère ou d’une sœur de l’Église.
convaincue. Elle s’engage alors envers son Dieu à témoigner de la gloire de son nom,
si elle est reçue. La chose est faite, et quelques jours après, c’est Airbus qui confirmera
à son tour l’embauche pour un stage. Elle parviendra qui plus est, à faire différer le
deuxième stage pour pouvoir bénéficier de ces deux références qui enrichiront son
curriculum vitae. C’est ainsi qu’elle encourage les fidèles à persévérer, « ils n’ont pas
vu la couleur de ma peau ou quoi que ce soit, parce que c’est Dieu qui était là ».
Ces stages qui sont objectivés comme des victoires témoignent de la possible
mobilité sociale dès lors que le croyant s’en remet à son Dieu. Le modérateur
enthousiaste, qui anime le culte ce jour-là, reprendra la parole en disant à ces frères et
sœurs :
« Bien-aimés, tout ça c’est pour nous : les institutions, les grandes
entreprises… Il faut demander des grandes choses à notre Dieu parce que nous
prions un Dieu qui est grand. Si vous priez un Dieu petit, si vous demandez des
petites choses, il fait de petites choses. Notre Dieu est un Dieu vivant qui fait de
grandes choses, qui fait des miracles, demandez de grandes choses, voyez
grand ! ».
18 Ce prédicateur fait partie du noyau d’une Église importante dans le sud de la France
comptant environ 150 membres. Il importe de préciser que l’équipe dirigeante de cette Église
aujourd’hui reconnue, relève d’une origine sociale modeste.
« On n’est rien, mais avec notre Dieu on peut tout », telle est l’équation
résumée de l’affranchissement, annoncé et exhorté, de ces croyants au statut et à
l’identité « d’immigré ».
Lors d’un culte, dans une Église située à Bruxelles (2006), nous apprenons
l’expulsion d’une Sœur, qui était depuis plus d’un mois dans un centre fermé. Certains
membres de l’Église accompagnés du Pasteur étaient allés « la visiter ». Durant les
cellules d’intercession et les cultes, l’Église avait prié pour que sa situation évolue.
Aujourd’hui, le Pasteur annonce cette nouvelle, déjà connue de certains, qui suscite un
certain effroi dans l’Assemblée. Ce dernier va répéter son annonce en insistant sur le
« Alléluia », auquel doivent répondre les « Amen » approbateurs, qui ne se sont pas
encore manifestés. À deux reprises, il exigera cette approbation qui semble rejouer
l’adhésion des fidèles, traversés par des sentiments de tristesse et de révolte au regard
du « piège » tendu par la police. En effet, suite à une convocation, la Sœur s’était
présenté à la police, son avocat lui ayant affirmé que cette étape s’inscrivait dans le
processus normal de régularisation de sa situation.
« Bien-aimés, vous savez notre sœur Thérèse était enfermée depuis maintenant
un mois et demi. Elle a été renvoyée au pays, Alléluia (Amen), Alléluia (Amen).
Bien-aimés, si Dieu a fait que la police prenne notre Sœur et la renvoie au pays,
c’est que Dieu a son plan. Dieu pouvait intervenir, s’il ne l’a pas fait, c’est parce
qu’il a son plan. Peut- être que notre Sœur va revenir et fera de grandes choses,
peut-être que Dieu a besoin d’elle au pays, Alléluia (Amen), Dieu a son plan que
l’homme ne peut pas comprendre… ».
Cet événement qui pourrait relever d’un contre-témoignage, offre une lisibilité
des tensions qui peuvent présider à l’autorité du Pasteur dont le statut d’intermédiaire
et d’organisateur terrestre de la délivrance est à la mesure de son pouvoir charismatique
et de ses compétences entreprenariales (Dozon, 1995). Mais il nous renseigne surtout
sur la direction de cette pastorale chrétienne, résolument optimiste dans la lecture des
évènements au point parfois de nier le pouvoir de ces « blocages ». Si « Jésus est la
solution à tous tes problèmes », la Grâce quant à elle, relève d’un ordre dont la pensée
et la temporalité ne sont pas celles de la volonté humaine. Quelle que soit l’apparente
injustice des évènements, à l’image de la mise à l’épreuve de Job, se révolter revient à
se révolter contre son Dieu. Il importe d’accepter les épreuves, de « s’accrocher ». Le
doute étant le meilleur moyen pour ne pas être sauvé. C’est par une foi inébranlable en
Jésus et un « travail sur soi », que le croyant pourra voir les miracles et sa vie
transformée. Cette posture de « vainqueur », par laquelle le croyant témoigne de la
grandeur de son Dieu, se cultive au sein de l’Église de différentes manières : par
l’abandon de traditions et des pratiques « païennes », par l’adoption de la morale
chrétienne et par l’exercice régulier de pratiques comme la lecture de la Bible, la prière
ou le jeûne et bien sûr par une fréquentation assidue de l’Église. Quel que soit le degré
de développement de l’Église, le déroulement d’un culte reprend toujours les mêmes
séquences temporelles (dont l’ordre peut varier) : « la Louange » (cantiques),
« l’Adoration » (prières individuelles et collectives), le prêche, les offrandes et les
annonces des activités de la semaine. Les témoignages s’insérant de façon non
systématique dans ce programme.
19 La prière au contraire des cultes qui s’exercent exclusivement en français peut être faite dans
une langue « étrangère ». Sachant que la RDC compte quatre langues nationales : le lingala,
le kikongo, le swahili et le tshiluba.
(mauvais) esprits, la figure idéaltypique qui se dégage est celle du Chrétien qui ne
s’avoue jamais vaincu. Ce que je vais illustrer par une surprenante réplique d’un
Pasteur, résident en Belgique et interrogé dans un cadre non religieux (mariage
coutumier), au sujet des politiques de l’immigration qui faisaient l’actualité en France :
« Pour moi on n’a pas à combattre Sarkozy20, c’est plutôt un modèle… Il est
comme nous, c’est un immigré, mais lui, il est arrivé au top, il faut le prendre
comme un exemple ».
Cette vue, qui ne pourrait être partagée par l’ensemble des Pasteurs, n’en est
pas moins, une rhétorique significative du modèle de réussite qui porte ce discours
intégrationniste. La figure du self made man qui se dégage, traduit cet effort que
l’individu doit fournir pour rompre avec le statut, souvent qualifié de médiocre,
« d’immigré ». C’est à ce niveau qu’une déclinaison toute particulière d’esprits à
combattre se dégage, désignant des manifestations émotionnelles et des
« constructions » identitaires comme lieux de « blocage » : « je chasse tout esprit de
timidité », de peur, de petitesse d’esprit ou encore de médiocrité.
Toujours dans cette « tendance », la lutte contre les stigmates qui « bloquent »
ces chrétiens peut passer par une désignation/diabolisation des marqueurs culturels qui
en sont à l’origine. C’est alors un référentiel et des catégories justificatrices de rapports
sociaux hiérarchisants et asymétriques, qui se dégage. Cela me fut particulièrement
perceptible le jour où le Pasteur d’une grande Église située à Bruxelles me demanda
(toujours dans un cadre informel), quelle place j’accordais, dans le cadre de ma
recherche, à la « paresse » (sic) ? Bien embêtée, je fus obligée d’avouer que la notion
de paresse ne m’était jamais venue à l’esprit, mais que je pouvais envisager celles
d’attente ou de brutalité d’un système qui pourrait produire des sentiments de
« démission » etc. Il acquiesça finalement, considérant qu’au regard de la réalité d’une
« immigration non préparée (l’Europe va tout résoudre) » et d’une population « non
qualifiée », ou ne pouvant exploiter son capital-diplôme, nonobstant un traitement
« parfois raciste », le risque de tomber dans un « assistanat », redoublé de pratiques
informelles « illégales » était véritablement « problématique ». Les responsables
religieux mettent effectivement en avant le travail effectué auprès des populations
« immigrées » et déviantes, en termes « d’utilité sociale », non sans reprendre certains
clichés (prostituées, drogués, délinquants etc.). Ce qui ne laisse pas indifférent certains
pouvoirs publics qui tendent alors à désigner ces responsables religieux qui prêchent
l’excellence, le travail, l’honnêteté et une bonne moralité, comme des responsables
communautaires. D’autant que si certaines grandes Églises mettent parfois en place des
structures d’accompagnement effectives (mettant à profit les compétences et quali-
fications de leurs membres : conseil juridique, soutien scolaire, aide alimentaire etc.), il
semble que ce soit essentiellement dans le dispositif religieux à proprement parler et les
sociabilités qui lui sont associées, que les fidèles se « ressourcent » et « s’édifient ».
21 Je l’ai connu en assistant aux cours de missiologie que l’EIB prodigue, puisqu’il y animait
une partie des enseignements auxquels j’assistais via un autre Pasteur. Je l’ai par la suite
interviewé chez lui, en Hollande.
22 Qui compte près de 1000 membres.
23 Organisation internationale qui a pour but d’évangéliser dans les milieux étudiants.
24 Dans l’Assemblée, il y a rarement plus de dix « blancs » lors des cultes. Par contre plusieurs
nationalités africaines sont présentes.
25 Comptant plus de trois mille membres, quatre cultes le dimanche (ciblant des publics
différenciés socialement et linguistiquement : francophone, lingalaphone et swahiliphone) et
vingt-six Églises annexes (en Belgique, en Allemagne, en Russie, en Suisse, en Angleterre et
aux États-Unis).
Lorsque les Pasteurs rappellent que « nous prions un Dieu “vivant” et non
“mort” comme chez les catholiques », ils font appel à une foi sans borne et à un Dieu
qui, depuis les temps apostoliques, « n’a pas changé ». Mais la référence au Dieu
« mort » des catholiques est aussi une référence à une histoire plus lointaine, plus ou
moins théorisée selon les Pasteurs. Dans l’histoire du Congo, le catholicisme a, en
effet, été un instrument majeur de l’État colonial26. L’objectif qui fut énoncé sans
ambages aux missionnaires en partance pour le Congo, dans une lettre mémorable du
roi Léopold II, était celui de la préparation psychologique des colonisés à se soumettre
à la grande entreprise de domestication et d’exploitation économique du Congo27. Les
« croisades » et évangélisations des années 1970-1980 qui venaient révéler le caractère
accessible du Salut et les miracles sans limite d’un Dieu « vivant », qui n’a pas changé
(« contrairement à ce qui nous avait été dit ») renversaient un ordre de centralité
instauré pendant la période coloniale (1885-1960). Cette (ré)appropriation des voies et
modes d’accès du Salut, s’est accompagnée d’une reprise et d’une intensification de la
lutte contre les esprits telle que, dans certains cas, la « ligne de partage » (Tonda, 2002)
entre univers biblique d’une part, et univers sorcellaire, magique ou traditionnel,
d’autre part, n’est pas identifiable. Au point que certains anthropologues y voient une
forme de pentecôtisme autre, qualifiant cette nouvelle vague, de « néopentecôtiste »
(Laurent, 1999 ; Corten, 1999). La tension entre, continuité et rupture, intelligible dans
l’articulation « chasse aux démons », « diabolisation des traditions » et « Évangile de la
prospérité » (Marshall-Fratani, 2001), pose selon moi, avant tout la question du cadre
spatio-temporel susceptible de restituer cette forme religieuse. Un bref détour vers les
rues de Matonge (le quartier congolais à Bruxelles), de Château Rouge (Paris) ou
encore vers les vitrines de nombreux commerces congolais, nous donnera un élément
de réponse ou plutôt de questionnement. On peut y voir, en effet, de façon très
26 Même si, par la suite, durant le pouvoir dictatorial de Mobutu, le catholicisme a été un contre
pouvoir, se donnant à voir comme religion d’opposition dans un contexte toutefois où
certains « intérêts » étaient menacés, à l’image de la politique de l’authenticité (en 1972) qui
rebaptisa le Congo, Zaïre et exigea de tous les « citoyens » d’abandonner leurs noms
chrétiens pour des noms locaux.
27 Lettre du roi Léopold II adressée aux missionnaires et reprise par le Ministre des colonies
M. Jules Renquin en 1920 avec les premiers missionnaires catholiques du Congo belge,
cf. Avenir colonial Belge, 30 octobre 1921, Bruxelles.
28 Le parti Centre Démocrate Humaniste. Lydia Mutyebele, était la 25ème candidate sur la liste
CDH pour la circonscription de Bruxelles-Ville comprenant Bruxelles, Laeken, Neder-Over-
Heembeek, Haren qui est l’une des 19 communes de Bruxelles.
29 Les ngandas sont des bars-restaurants en général stigmatisants dans ces milieux religieux car
associés à la bière, aux femmes libres, à la débauche et aux pêchés.
30 Malgré le déni de la direction du CDH, le parti fut traversé par de fortes controverses au sujet
de ce vote communautaire. Les scores de Bertin Mampaka, de Lydia Mutyebele ou encore de
Nestorine Kimbondja Kalengi, relevant effectivement de stratégies ciblées cf. « le stemblock
à la manière CDH », le Soir, 13 octobre 2006.
contextes, le refus de cette « médiocrité » passe par une « politique » qui peut
concerner les bâtiments, l’organisation des églises ou encore tout un ensemble de
négociations avec les protestantismes locaux. La « médiocrité » étant alors une
construction sociale (situations d’irrégularité, de précarité, préjugés, misérabilisme
etc.) avec laquelle il « faut » rompre. Que ce soit à l’échelle de l’individu ou du groupe,
l’esprit d’entreprenariat qui se dégage de ce discours religieux affirme un droit et une
intention : ceux de rompre avec la figure stigmatisée et stigmatisante de « l’immigré »
qui situe ces collectifs en marge des circuits classiques de l’intégration et de l’insertion
sociale. Par ailleurs, c’est à partir de la perte des valeurs morales ou de la non
application des valeurs chrétiennes dans les sociétés européennes, que ces collectifs
émettent une critique vis-à-vis de cette Europe qu’ils entendent conquérir en négociant
leur droit à s’insérer dans l’ordre des hiérarchies et des légitimités autochtones. La
référence au modèle américain que l’on peut dégager comme « forme ultime de la
civilisation de Dieu » (Tonda, 2000) semble avant tout être le lieu de l’expression d’un
refus. Rappelant, si besoin était, que « la décolonisation n’a pas mis un point final à la
question de savoir que faire des histoires partagées une fois que celles-ci ont été plus
ou moins désavouées » (Mbembe, 2005 : 141). Car dans la structure même de son
discours (et dans la grande variabilité de ses formes), le pentecôtisme congolais élabore
un système de pensée et de croyances qui repose sur une bipolarité hiérarchisante
(esprits/Esprit-Saint, Bible/Sorcellerie etc.) forgée par l’évangélisation coloniale
(Tonda, 2000). Plus efficace et plus puissant, le pouvoir biblique l’est donc aussi en
termes de légitimité, puisque c’est du point de vue des valeurs chrétiennes, que ces
Pasteurs posent la question de l’universalisme, pour contredire le bien fondé de
certaines stratifications sociales et leur durabilité. À l’intersection de deux modèles,
celui d’une intégration pensée comme assimilation et celui d’un communautarisme, ou
d’une ethnicité, perçu comme enfermant, ces collectifs définissent leur « combat pour
l’intégration ». L’accent porté sur l’individu reprend une idée forte dans les nouveaux
mouvements religieux, selon laquelle « le changement de soi est une manière de
changer la société » (Marshall-Fratani et Péclard, 2002). L’impératif d’excellence et de
bonne moralité versus la « médiocrité » étant tributaire de l’idée de la toute potentialité
de l’individu, par l’alliance avec le divin versus de l’incapacité individuelle à se
« r-évolutionner » en rompant « en soi » avec ce qui se manifeste comme un blocage
« social ». Cette dynamique de transformations amène à visibilité deux logiques, que
l’on peut schématiquement identifier comme de continuité et de rupture. La référence
américaine, à travers le réveil religieux et le modèle du self made man soutient la
rupture avec les multiples figures de l’altérité construites dans les interactions passées
et présentes avec l’Europe : le colonisé, le païen, l’évangélisé, l’étranger et l’immigré.
On pourrait, d’ailleurs, se demander si les transformations suggérées à l’échelle de
l’individu, en termes de bonne moralité et de distinction d’une part et l’assimilation de
« tares », comme la paresse ou la médiocrité, à des attributs collectifs, d’autre part,
n’actualiseraient pas des figures coloniales qu’il s’agirait alors de restituer en fonction
de leurs usages, contextes et ancrages dans des formes collectives de revendications
afin de dégager les différentes stratégies élaborées à partir de ces constructions
identitaires. En tout état de cause, si l’on peut s’accorder sur la définition donnée par
Bordes-Benayoun et Schnapper (ibid.) de l’intégration comme reconstruction a
posteriori et mise en perspective d’un processus interactif entre société d’installation
(ou de transit) et les migrants, alors on doit considérer que ces recompositions
culturelles et identitaires sont de toutes façons, des indicateurs d’un rapport qui
déborde le seul cadre des interactions quotidiennes ou de la culture du groupe. Ce qui,
dans notre contexte, supposerait de pouvoir restituer le continuum entre contexte
colonial et contexte post-colonial de la migration, que ce discours religieux sur
l’intégration amène à visibilité. En effet, dans son caractère hybride, évolutif et
malléable, cette religiosité s’inscrit dans une logique de continuité qui convoque
l’histoire. Sans qu’elle ne fasse l’objet à proprement parler de ce discours religieux, on
peut repérer une sorte d’inversion des temporalités, laquelle nous renseigne sur le
rapport macrosocial, culturel et historique qu’actualise cette expérience migratoire
collective. L’espace-temps du culte (et non de l’Église) qui, on l’a vu, institutionnalise
une attente constitutive de ces « parcours de combattants », offre une lisibilité de cette
inversion. Car, ce n’est pas ou plus, l’histoire passée qui permet d’éclairer un présent
conflictuel, « bloqué » ou malheureux, mais bien l’avenir « délivré », victorieux et
maîtrisé par le chrétien et décrit dans les Écritures qui est organisateur du présent. Dans
cette inversion des temporalités, la tension entre continuité et rupture semble trouver
une issue pragmatique qui a véritablement fonction de régulation. Et c’est bien, dans
l’imbrication des référentiels temporels, culturels, sociétaux ou encore territoriaux, que
mobilise ce discours pro-intégration, que l’on peut saisir la façon dont ces collectifs
expérimentent l’intégration ou plus exactement la capacité d’intégration de sociétés
qui, elles aussi, malgré tout, sont issues de l’histoire coloniale (Blanchard, Bancel et
Lemaire, 2006). La construction d’une ethnicité, y compris dans le cas de l’exception
française manifestant un « décalage » entre discours et pratiques institutionnels (Costa-
Lascoux, 2006), se donnant ici à voir, comme un marqueur significatif de l’injonction
contradictoire à l’intégration à laquelle se confrontent ces collectifs.
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This article proposes to analyse the discourses on “integration” developed during the
last few years within various “ethnics” churches (France-Belgium). Of Pentecostal and
Evangelical obedience, these churches, stemming from Congolese’s migrations (DRC), can be
estimated to several hundreds and even up to a few thousands in Europe. Some constant can be
observed in this new branch of Protestantism despite its fragmented and plural movement,
particularly the right to think oneself beyond the logics of reduction to otherness. The
integrationist discourse produced constitutes a real break with the ideas carried by the
autochthon order of both hierarchies and centralities.
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