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Jordi Pàmias
Universitat Autònoma de Barcelona
1
Voir Smith (1981).
2
Quelques savants ont tenté de faire correspondre chacune des deux variantes
mythographiques avec une tradition locale : la variante de l’Epitomé sera attribuée à la
tradition de Chios ; et celle des Fragmenta Vaticana à la crétoise.4 Cependant, les
épisodes de chasse exterminatrice d’Orion ne se déroulent pas toujours en Crète mais
à Chios,5 ce qui nous amène à ne pas relier des variantes mythographiques à des
variantes locales. En revanche, l’étroite analogie entre la chasse et la sexualité dans la
pensée mythique et rituelle des grecs révèle une complète ambivalence structurelle
entre les deux traditions manuscrites.
Le chapitre VIII des Catastérismes est dédié à Arcas, le fils de Callisto. Lorsque
celui-ci atteint l’adolescence, il se consacre à l’activité cynégétique dans les
montagnes d’Arcadie, ce que l’on attend d’un éphèbe. Par hasard, il tombe sur sa
propre mère, transformée en ourse (cf. Cat. I). Sur ce point, les témoignages grecs et
latins des Catastérismes se séparent en deux variantes. D’une part, selon les
Fragmenta Vaticana et les Scholies à Germanicus, Arcas s’accouple avec sa mère.
D’autre part, selon l’Epitomé et le De Astronomia d’Hygin, Arcas pourchasse sa mère
pour l’abattre.6 Comme pour le cas de la mort d’Orion, l’érotisme alterne avec la
chasse et un motif peut alors se substituer à l’autre. Ainsi, les deux variantes
mythographiques gardent, dans l’économie du récit, une stricte correspondance
structurelle – qui pourtant renferme, à son tour, de profondes racines historico rituelles.
En effet, érotisme et chasse, comme l’a, entre autres, montré Walter Burkert
(notamment dans son Homo Necans), ont des rapports très étroits : « l’agression et la
sexualité masculine sont étroitement rattachées l’une à l’autre, simultanément
stimulées et presque toujours inhibées conjointement ».7 Qu’il s’agisse de l’épée, de la
matraque, de la lance ou du canon, l’arme, comme attribut de la masculinité, a persisté
comme motif transparent depuis la plus ancienne préhistoire jusqu’à la publicité de nos
2
Voir un exposé de l’histoire du texte des Catastérismes chez Pàmias (2004, 29-54).
3
On retrouve, juxtaposées, les deux versions sur la mort d’Orion au chapitre XXXII des Catastérismes,
qui, cependant, n’est transmis que par l’Epitomé. Les diverses versions de la mort d’Orion dans la
mythologie grecque sont analysées par Renaud (2004, 330-346).
4
Voir Eitrem (1928, 55).
5
Cf. Arat. 637-640 ; Parth. XX.
6
En vérité, la correspondance de l’Epitomé nous manque. Mais le témoin parallèle d’Eudocie montre
que dans ce lieu l’Epitomé s’écartait des Fragmenta Vaticana pour embrasser la variante d’Hygin: kai; to;n
∆Arktou`ron de; Kallistou`" uiJo;n levgousin ∆Arkavda kalouvmenon, o}" ejpercomevnhn th;n mhtevra ejn
kunhghsivw/ kat∆ aujtou`, metaballomevnhn eij" a[rkton, tou` Dio;" mignumevnou aujth`/, wJ" ei[rhtai, ajnei`le
(Eudoc. DXXXIII, p. 425, éd. Flach). Cf. uJpo; de; tou` ijdivou uiJou` diwkomevnhn (Cat. I [Epitomé]).
7
Burkert (1983, 59). Parallèles avec d’autres cultures chez Borgeaud (1988, 33 ; 202, n. 53). Sur les
deux versions du chapitre VIII des Catastérismes, voir Burkert (1983, 87) : « these mythical variants attest
once more to the ambivalence of weapons and sexuality in hunting behavior ». L’iconographie grecque
illustre aussi ces associations : Schnapp (1997, 318-354; 247 ss.).
3
jours. Dans la pensée religieuse des grecs, obsédés par la chasse,8 les deux versions
s’avèrent donc commutables et équivalentes. Par conséquent, lorsqu’on se propose
d’examiner et de commenter les épisodes d’Orion et d’Arcas, il faut procéder en même
temps à la description de l’alternance des variantes mythographiques ainsi qu’à
l’interprétation de la spéculation mythologique.9
En premier lieu, ces observations doivent nous mettre en garde contre la notion
rigide que Jean Martin (1959) proposait pour l’archétype des Catastérismes (qu’il
appela édition F), qui serait à l’origine des Scholies à Germanicus, les Fragmenta
Vaticana, l’Epitomé des Catastérismes et l’ainsi dit Aratus Latinus. Mais au-delà, la
fluidité de la tradition manuscrite, avec toutes ses leçons et ses variantes
interchangeables, peut aussi être considérée comme un reflet d’un ‘état de choses’
dans l’espace intellectuel et matériel où les Catastérismes sont nés, c’est-à-dire dans
la Bibliothèque du Musée. Grâce à la dispersion et (à) la confrontation des variantes
manuscrites, on perçoit les retentissements d’une ‘édition multi textuelle’ dont les
débris auraient survécu jusqu’à l’époque médiévale. À ce sujet, je n’utilise pas au
hasard le terme multitext edition proposé par Gregory Nagy. Le professeur d’ Harvard
accorde la plus grande fiabilité aux variantes relevées par les philologues alexandrins,
considérées comme des témoignages des variantes textuelles authentiques des
performances homériques et non comme des conjectures savantes. Cette démarche a
produit également des résultats au delà de la philologie homérique alexandrine.
L’approche du Prof. Nagy a aussi été suivie, par exemple, par Myriam Hecquet-
Devienne, qui l’a appliquée aux recherches du Lycée aristotélicien et aux travaux en
cours sur quelques traités d’Aristote et de Théophraste.10
Or, de notre côté, nous sommes aussi d’avis que les leçons, que l’on retrouve dans
les manuscrits médiévaux des Catastérismes, sont le reflet d’un ‘état de choses’
reproduisant une activité en cours dans la Bibliothèque du Musée. Nous avons vu, à
propos des épisodes d’Arcas et d’Orion, comment quelques mythes sont transmis
selon des variantes structurellement identiques. Et puisque l’enquête et l’interprétation
mythologiques nous empêchent de choisir et préférer une variante textuelle à une
autre à cause de sa prétendue ancienneté ou supériorité, il faut considérer les versions
mythographiques comme des versions traditionnelles du mythe d’Arcas ou d’Orion. En
outre, toujours actifs et flexibles, les combinaisons d’alternances, analysées ici, invitent
à croire que ces versions traditionnelles, encore vivantes et en vigueur, étaient perçues
non seulement par l’anthropologue moderne, mais également par l’auteur des
Catastérismes, comme des motifs équivalents et remplaçables. Le dualisme « érotique
et chasse » était donc pleinement fonctionnel dans la pensée religieuse du savant
enfermé dans la bibliothèque. Les variantes textuelles dans nos manuscrits sont, par
conséquent, un témoin absolument privilégié des démarches de la spéculation
mythologique, toujours créative, parmi les rayons du Musée alexandrin.
8
Voir Henrichs (1987, 266).
9
Pour la distinction entre « description » et « interprétation » et leurs concomitances, voir Fish (1980, 8 ;
93 ss.).
10
Voir Hecquet-Devienne (2004).
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Bibliographie