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R.I.D.C.

2-2006

IV.E

LES LIMITES AUX COMPÉTENCES DU POUVOIR


LÉGISLATIF EN MATIÈRE FISCALE

Emmanuel de CROUY CHANEL*

1. Briefly describe the fundamental protections of individual liberties


and rights that exist under your national law and the court and
administrative agencies and systems that have primary responsability for
protecting those liberties and rights

Il existe deux systèmes garantissant en France les libertés individuelles.


Tout d’abord, une loi votée par le Parlement, mais non encore
promulguée, pourra être soumise au Conseil constitutionnel, un organe
juridictionnel. Le Conseil constitutionnel peut déclarer une loi
inconstitutionnelle, lui interdisant par-là même d’entrer en vigueur. Si la
constitution, stricto sensu, contient quelques dispositions protectrices des
libertés individuelles, c’est principalement une lecture extensive de son
préambule qui a permis au Conseil constitutionnel de reconnaître la valeur
constitutionnelle des droits et libertés affirmés par la Déclaration des droits
de l’Homme et du citoyen de 1789, le préambule de la Constitution de 1946,
ou comptant parmi les principes fondamentaux reconnus par les lois de la
République. Le Conseil constitutionnel ne s’estime pas compétent pour
opérer un contrôle du respect par la loi des normes internationales,
notamment issues des traités (droit conventionnel), renvoyant pour cela aux
juridictions ordinaires.
Les deux ordres français de juridiction (judiciaire et administrative)
assurent également le respect des normes constitutionnelles par les normes
infra-législatives, en s’inspirant largement de la jurisprudence du Conseil
*
Professeur à l’Université de Picardie Jules-Verne (CUARPP-CNRS).
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constitutionnel. Les tribunaux peuvent également écarter l’application d’une


loi qui serait incompatible avec une norme de droit international (par
exemple, une disposition de la Convention européenne de sauvegarde des
droits de l’homme et des libertés fondamentales). Ce mécanisme confère en
pratique un très grand rôle au droit conventionnel, indépendamment de toute
intervention d’un juge international. En effet, le contrôle de
constitutionnalité d’une loi étant impossible une fois celle-ci promulguée, et
cette voie étant de toutes façons fermée aux particuliers, c’est par la voie
d’une exception d’inconventionnalité que l’application des dispositions de la
loi litigieuse pourra être paralysée.

2. Describe the process for enacting tax legislation with emphasis on


the intervention of the courts or agencies described in 1. above in the
legislative process for tax law proposals

Selon l’article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles concernant


« l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de
toutes natures ». La catégorie des « impositions de toutes natures » est large,
mais elle ne couvre ni les redevances (pour lesquelles le prélèvement
obligatoire opéré par la puissance publique trouve une contrepartie directe
dans un service qu’elle fournit) ni les cotisations sociales (pour lesquelles
existe une contrepartie, éventuelle).
La proposition ou le projet de loi fiscale ne suit pas nécessairement la
procédure particulière d’adoption des lois de finances (lois budgétaires)
même si, en pratique, la plupart des mesures fiscales sont votées dans ce
cadre là.
Une fois adoptée dans des termes identiques par les deux chambres du
Parlement (Assemblée nationale et Sénat1), la loi peut être soumise au
Conseil constitutionnel par le président de l’Assemblée nationale, le
président du Sénat, le président de la République, le Premier Ministre, 60
députés ou 60 sénateurs. En réalité, seule la saisine par les parlementaires
(de l’opposition) est pratiquée, depuis la réforme constitutionnelle de 1974
qui leur a conféré ce droit. Le Conseil constitutionnel est saisi de l’ensemble
du texte, même si, en pratique, la saisine vise particulièrement certains
articles en exposant ce qui semble être les raisons de leur
inconstitutionnalité. Le Conseil constitutionnel peut donc parfaitement
déclarer inconstitutionnelles des dispositions non attaquées, pour des raisons
non envisagées. A contrario, la déclaration de constitutionnalité est

1
Il existe une procédure permettant au gouvernement de surmonter l’opposition du Sénat à un
projet de loi en le faisant adopter par la seule Assemblée nationale (art. 45 de la Constitution).
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supposée porter sur l’ensemble de la loi et pour tout moyen. Sauf urgence
déclarée, le Conseil constitutionnel a trois mois pour se prononcer.
La loi jugée conforme à la constitution est ensuite promulguée par le
Président de la République. Une loi promulguée ne peut plus être contestée
pour son inconstitutionnalité, ni devant le Conseil constitutionnel, ni devant
une juridiction ordinaire. La situation est d’autant plus insatisfaisante que la
plupart des lois ne sont pas soumises au Conseil constitutionnel, et qu’il y a
même parfois entente entre la majorité et l’opposition parlementaire pour ne
pas soumettre au Conseil une loi à la constitutionnalité particulièrement
douteuse. Les propositions de révision constitutionnelle visant à permettre
aux cours supérieures des deux ordres de juridiction de poser au Conseil
constitutionnel une question préjudicielle sur la constitutionnalité d’une loi
n’ont, jusqu’ici, jamais abouti.

3. Who may challenge tax laws on the basis that they conflict with basic
rights ? If one believes a tax law to violate one’s basic rights, how might one
pursue the challenge ? Describe the available process for challenge,
including whether one must enlist the support of an administrator or
administrative agency in order to advance the challenge

Tout dépend de la norme dont se prévaut le plaignant.


S’il s’agit d’une norme constitutionnelle et qu’il conteste une loi, la
seule action possible est une saisine du Conseil constitutionnel avant la
promulgation de la loi, et l’on a vu que cette saisine n’est ouverte qu’aux
acteurs politiques.
S’il s’agit d’une norme constitutionnelle et qu’il conteste un règlement
ou une décision administrative, le plaignant pourra demander l’annulation de
la norme attaquée devant le juge administratif2 (recours pour excès de
pouvoir), à la condition de faire valoir un intérêt suffisant à agir. Cette
condition n’est pas évidente à remplir : l’intérêt peut être trop éloigné ou,
s’il est au contraire trop caractérisé (contribuable directement concerné)
obliger à l’utilisation d’autres voies de recours (application du principe
d’exception de recours parallèle, selon lequel la voie du recours pour excès
de pouvoir n’est ouverte qu’à la condition qu’il n’existe pas une autre voie
procédurale pour obtenir satisfaction). La tendance jurisprudentielle est
cependant, à l’élargissement des cas de recours pour excès de pouvoir en
matière fiscale. Le plaignant pourra également, à l’occasion d’un litige

2
Les « lois de pays » adoptées par le congrès de Nouvelle-Calédonie constituent une catégorie
très particulière d’actes administratifs, contestables seulement devant le Conseil constitutionnel (qui
agit alors comme juge administratif). La seule décision rendue à ce titre (décision n° 2000-1 LP du
27 janvier 2000) concernait une loi de pays à caractère fiscal, laquelle n’était contestée que par des
moyens de procédure.
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fiscal, soulever devant le juge de l’impôt3 l’inconstitutionnalité de la


disposition réglementaire qui lui est appliquée (contrôle par voie
d’exception). Ce contrôle, direct ou indirect, du règlement n’est cependant
possible qu’à la condition que la disposition contestée ne soit pas une simple
reproduction du texte législatif, ceci afin d’éviter que sous couvert d’un
contrôle de légalité du règlement le juge engage un véritable contrôle de
constitutionnalité de la loi (théorie de la « loi-écran »). Or le principe de
légalité de l’impôt fait que, bien souvent, l’essentiel des dispositions
contestables ont une origine législative.
La double barrière à la contestation de l’impôt sur le terrain des libertés
fondamentales (contrôle de constitutionnalité de la loi a priori et théorie de
la loi-écran) est cependant battue en brèche par le développement du
contrôle de conventionnalité, fondé sur la supériorité, reconnue par la
Constitution (art. 55), de la norme internationale sur la loi, même
postérieure. Le plaignant pourra donc faire écarter par voie d’exception
l’application d’une loi incompatible avec une norme internationale ou faire
annuler un acte administratif contraire à une norme internationale, quand
bien même il serait une simple transposition d’une loi. En conséquence, les
dispositions protectrices des libertés fondamentales résultant de normes
internationales (par exemple, Convention européenne de sauvegarde des
droits de l’homme et des libertés fondamentales, Pacte international de
New-York relatifs aux droits civils et politiques ou les traités
communautaires) sont beaucoup plus utiles pour les particuliers que les
dispositions constitutionnelles. Cela n’est d’ailleurs pas sans poser un
problème redoutable de mise en accord des jurisprudences pour conserver
une certaine cohérence entre les protections constitutionnelle et
conventionnelle des libertés fondamentales.

4. Subsistence Minima and Vertical Equity. Most individual income tax


systems include multiple rates of tax that are mildly or steeply progressive.
Generally, some amount of income remains exempt from tax (a zero rate)
a) Have there been challenges, whether or not successful, to the amount
of that basic exemption from the income tax on the ground of conflict with
basic rights ? (For comparison, see the subsistence minima cases in
Germany, for example, BverGE 82, 60 (May 29, 1990), BverGE 87, 153
(September 25, 1992))

3
En France, le contentieux de l’impôt est réparti, selon les impôts, entre les deux ordres de
juridiction, administratif (impôts directs et TVA) et judiciaires (impôts indirects, droits
d’enregistrement et ISF).
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L’existence d’un revenu minimal exonéré en tant que tel4 de l’impôt sur
le revenu (à proprement parler, il s’agit d’une tranche imposée au taux de
0%) n’a jamais été contestée ni n’a eu besoin d’être revendiquée devant le
juge constitutionnel. Dans l’hypothèse où l’établissement d’un taux
d’imposition de base serait envisagé, il serait sans doute possible d’invoquer
le droit à un minimum vital, sur le fondement de l’absence manifeste de
faculté contributive (art. 13 de la Déclaration de 1789), de la garantie
nationale de la sécurité matérielle (alinéa 11 du Préambule de la
Constitution de 1946), ou du droit à la sûreté personnelle (art. 2 de la
Déclaration de 1789). Toutefois, la formulation de l’article 13 de la
Déclaration de 1789, qui insiste sur l’universalité de l’obligation fiscale,
pourrait également être prise en considération.
b) Have there been challenges, whether or not successful, to rate
structures or underlying structures on the ground that they are not
sufficiently progressive relative to income or wealth ? Too progressive ?
La création de la Contribution sociale généralisée (CSG), un impôt
proportionnel sur les revenus (revenus d’activité, revenus du patrimoine,
revenus de substitution) a donné lieu en 1990 à une contestation devant le
Conseil constitutionnel sur le terrain de la violation du principe de
progressivité de l’impôt. Le Conseil constitutionnel (décision n° 90-285 DC
du 28 décembre 1990), tout en se référant à l’article 13 de la Déclaration des
droits de l’homme (répartition de l’impôt en raison des facultés des
citoyens), n’a pas explicitement affirmé le caractère constitutionnel de la
progressivité de l’impôt, renvoyant à l’appréciation du législateur, impôt par
impôt. Toutefois, il a écarté le moyen en considérant, d’une part, que la CSG
se substituait à des cotisations sociales qui n’étaient déjà pas progressives,
et, d’autre part, qu’elle aurait une incidence sur le montant du revenu
imposable à l’impôt sur le revenu, soumis, lui, à un barème progressif. Bref,
malgré le choix d’un taux proportionnel, la CSG aurait quelque chose de
progressif. Il serait cependant hasardeux de conclure de cette position pour
le moins contournée que le Conseil constitutionnel a explicitement validé un
principe de progressivité de l’impôt, compris ici, en tout état de cause,
comme une modalité de réalisation du principe d’égalité des citoyens devant
l’impôt.
La question d’une possible inconstitutionnalité de taux excessivement
progressifs n’a été que rarement soulevée devant le Conseil constitutionnel,
ainsi d’ailleurs que celle du caractère confiscatoire de taux marginaux
excessifs (décision n° 97-393 DC du 18 décembre 1997 : une taxe de 2,5 %

4
Le fait que l’institution d’un taux de base pourrait constituer une atteinte au principe de
progressivité sera traité ultérieurement.
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sur le chiffre d’affaires des laboratoires pharmaceutiques n’est pas excessive


au point de violer l’article 13 de la DDHC (proportion aux facultés) ; cf.
aussi n° 98-404 DC pour une taxe comparable, le Conseil considérant que ni
la progressivité de la contribution, ni ses effets de seuil ne sont excessifs au
regard de la nécessaire prise en compte des facultés contributives). La
question pourrait cependant se trouver à nouveau posée avec l’Impôt de
solidarité sur la fortune (ISF), considéré par le Conseil constitutionnel
comme un impôt pesant sur le revenu de la fortune (d’où l’assujettissement
du seul usufruitier). Pour prévenir un caractère confiscatoire d’une
superposition d’impôts sur le revenu, le législateur avait introduit un
mécanisme de plafonnement de l’ISF, de façon que le la somme de l’impôt
sur le revenu et de l’ISF à acquitter par un foyer ne dépasse pas 85 % du
revenu de ce foyer. Il a, par la suite, plafonné la réduction pouvant être
obtenue au titre du mécanisme du plafonnement, réouvrant la voie à des
situations dans lesquelles l’impôt supporté par les revenus du foyer dépasse
85 %, voire 100 %, de ces revenus. Ce plafonnement du plafonnement
n’avait, à l’époque, pas été contesté devant le Conseil constitutionnel. Ce
mécanisme fait désormais l’objet d’un recours pendant devant la CEDH (la
Cour de cassation l’ayant avalisé en novembre 2003) et devrait être remis en
cause par la prochaine loi de finances (le projet de loi de finances pour 2006
(art. 58 du projet) envisage un nouveau mécanisme de plafonnement, la
somme de l’impôt sur le revenu, de l’ISF et des impôts directs locaux ne
devant pas dépasser 60 % des revenus du foyer), ce qui pourrait donner lieu
à quelques éclaircissements par le juge constitutionnel.
c) Similarly, European and Asian democracies rely heavily on
consumption taxes, including value added and turnover taxes, for their tax
revenues. Consumption taxes tend to be regressive to income or wealth,
Have there been challenges, whether or not successful, to consumption taxes
on the basis that they violate notions of vertical equity ?
Non, sauf dans le discours politique.

5. Horizontal Equity. Have there been challenges, whether or not


successful, to tax laws on the basis that they treat taxpayers with similar
income or wealth dissimilarly either because of the structure of the tax or
failure to correct systemic flaws that afford opportunities for well-advised
taxpayers to avoid taxes or diminish taxes ? Or that the tax law favors
specific conduct or business structures ?

Ainsi que le rappelle régulièrement le Conseil constitutionnel, « le


principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon
différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des
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raisons d’intérêt général, pourvu que dans l’un et l’autre cas, la différence de
traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui
l’établit ». Le principe d’égalité n’est donc violé qu’à deux conditions : la loi
introduit une différence de traitement entre des contribuables se trouvant
dans des situations similaires, et cette différence de traitement n’est pas
justifiée par un motif d’intérêt général en rapport avec l’objet de la loi (ce
qui implique des critères objectifs et rationnels en rapport avec le but visé
par le législateur). Ainsi formulé, le principe d’égalité devant l’impôt (article
13 de la Déclaration de 1789) est une application à un domaine particulier
du principe général d’égalité devant la loi (article 6 de la même
Déclaration). Il semble cependant qu’il soit appliqué de manière particulière.
L’atteinte à l’égalité est le moyen le plus souvent invoqué devant le
Conseil constitutionnel à l’encontre d’une loi fiscale. Les auteurs de la
saisine invoquent généralement la seule différence de traitement à situation
comparable. Ce moyen prospère rarement, soit que la similitude des
situations ne soit pas retenue par le Conseil constitutionnel (exemples : sont
dans des situations différentes : les agriculteurs et les autres catégories de
travailleurs indépendants au regard des plus-values professionnelles (83-164
DC) ; les personnes redevables des CSG sur les revenus d’activité, du
patrimoine, et des produits de placement (90-285 DC ) ; les partenaires
pacsés et les concubins au regard des droits de mutation à titre gratuit (99-
419 DC)), soit que le Conseil considère que le but d’intérêt général
poursuivi par la le législateur justifie un traitement fiscal dérogatoire. Il
semble même que le principe d’égalité devant l’impôt se caractérise ici par
rapport au principe général d’égalité devant la loi par une plus grande
latitude laissée au législateur. Ces dernières années, seules les écotaxes ont
eu quelques difficultés à réussir ce test, le Conseil constitutionnel se
montrant sourcilleux sur la définition donnée par la loi du groupe des
pollueurs taxés (pollueurs exemptés (décisions n° 2002-464 DC et 2003-488
DC) ou non-pollueurs taxés (2000-441 DC)).

6. Family structure. Do your income, wealth or consumption taxes


provide benefits for specific family structures, for example, income splitting
through joint returns (for married individuals – whether or not cohabiting)
that are not available to other family structures (multiple generation
families, same sex relationships, unmarried cohabitation) ? Are the
alternate family structures protected under basic laws ? Have the tax laws
been challenged ?

L’impôt sur le revenu des personnes physiques est basé, en France, sur
le revenu global du foyer fiscal (couple marié et personnes à charge). L’effet
pénalisant de la progressivité de l’impôt est neutralisé par le mécanisme –
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obligatoire – du quotient familial : le revenu global est divisé par le nombre


de parts du foyer fiscal (une pour chaque parent, une demie part par enfant
pour les deux premiers, une complète par enfant à partir du troisième,
exemple : famille de deux parents et trois enfants = 4 parts) ; le barème est
appliqué par part ; le résultat est multiplié par le nombre de parts pour
déterminer l’impôt sur le revenu de l’ensemble du foyer.
Le mécanisme du quotient familial, qui vise à une parfaite égalité
horizontale, est cependant tempéré par un plafonnement, par part d’enfant à
charge, de l’avantage qu’il procure. Pour les hauts revenus, le mécanisme du
quotient familial se rapproche donc de celui du splitting avec réduction
d’impôt par enfant à charge.5
Les partisans du mécanisme du quotient familial y voient une
application du principe d’égalité devant l’impôt. Il aurait donc une base
constitutionnelle. Le Conseil constitutionnel a sur ce point une position peu
claire, se référant parfois à la prise en compte du foyer fiscal pour apprécier
le respect de l’article 13 de la Déclaration, mais sans explicitement en faire
une condition du respect de ce principe. Il est à noter que ce mécanisme est
propre à l’impôt sur le revenu, et qu’il n’a jamais été jugé nécessaire à la
constitutionnalité d’autres impôts pesants sur le foyer (impôts directs locaux,
impôt de solidarité sur la fortune…), l’argument n’ayant même jamais été
soulevé.
Le bénéfice de l’imposition du couple par foyer et de l’application du
quotient familial est réservé, pour l’impôt sur le revenu, aux couples mariés.
Les concubins ne peuvent y prétendre. Ils ne bénéficient pas non plus de la
majoration d’une demie-part attribuée au parent isolé (en théorie du moins,
car les contrôles sont difficiles), ni ne peuvent, en cas de partage des enfants
à charge entre les deux parents, profiter de la majoration d’une demie-part
par enfant à compter du troisième.
Le mécanisme de l’imposition par foyer a été étendu aux couples
signataires d’un pacte civil de solidarité (PACS), formule d’union moins
formelle et – surtout – ouverte aux partenaires de même sexe. Le législateur,
reflétant la méfiance de l’administration fiscale pour une forme d’union
aisée à conclure et à dénoncer, ne permettait l’imposition commune qu’à
compter de la troisième année suivant la conclusion du PACS, mais cette
condition a été supprimée par la loi de finances pour 2005.
L’impôt de solidarité sur la fortune est également établi par foyer, sans
mécanisme d’atténuation en fonction de la composition du foyer (sauf une

5
Il s’agit là d’une présentation très succincte car le mécanisme du quotient familial a été
largement utilisé comme support de diverses politiques familiales (exemple : la bonification d’une
demie-part supplémentaire pour le parent isolé) ou autres (demie-part supplémentaire pour les
invalides de guerre ou civils ou pour les anciens combattants), et a du prendre en compte les
évolutions familiales modernes (partage des parts entre les deux parents en cas de garde alternée).
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légère réduction d’impôt par enfant à charge). La définition du foyer fiscal


est ici beaucoup plus large et comprend non seulement les personnes
mariées, pacsées, mais aussi vivant en concubinage.
Les structures familiales ne sont pas prises en compte par les impôts de
consommation.
L’existence de mécanismes différents d’imposition pour les couples
mariés, pacsés ou en concubinage a été régulièrement attaquée devant le
Conseil constitutionnel, sans aucun succès dès lors que celui-ci y voit des
situations différentes justifiant une différence de traitement.

7. Separate Taxing Authorities. Are all taxes centralized or do different


governmental units have independent taxing powers, municipalities, school
districts, etc. ? What is the source of the taxing power ? derivative of
national legislative enactment ? protected by basic law ? Have
governmental units challenged the national government’s power to limit the
units’ taxing authority ?

La France est un pays unitaire longtemps centralisateur. Ce n’est donc


que difficilement qu’a été reconnue aux collectivités locales une compétence
fiscale, étroitement limitée en droit et en fait.
En droit, car l’article 34 de la Constitution réserve au seul Parlement le
droit de fixer les règles relatives aux impositions de toutes natures. La
compétence des collectivités locales se limite donc, pour les impôts dits
locaux, à quelques aménagements très marginaux des règles d’assiette et à la
fixation des taux (dont les variations sont étroitement encadrées par les
règles légales). Les opérations administratives de calcul et de recouvrement
des créances fiscales sont assurées par les services de l’État.
Dans les faits, car l’État s’est réservé pour son financement les impôts
les plus modernes et les plus productifs, transformant de facto la fiscalité
locale en conservatoire des vieilles formes fiscales. En conséquence, ces
dernières années, les efforts pour moderniser le système fiscal français et
alléger les impôts les plus pernicieux se sont généralement traduits par la
diminution ou la suppression d’impôts locaux, la baisse des recettes fiscales
pour les collectivités locales étant compensée, du moins en théorie, par une
hausse équivalente des versements de l’État vers ces collectivités (principe
constitutionnalisé en mars 2003 par l’alinéa 4 de l’article 72-2 de la
Constitution). Cette situation a été vivement dénoncée par les élus locaux –
dénonciation relayée par les parlementaires – comme étant une atteinte au
principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales
(art. 72 de la Constitution), qui impliquerait un minimum d’autonomie
financière (ressources propres ou, au minimum, garanties), et même
d’autonomie fiscale (part prépondérante des ressources fiscales dans les
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ressources des collectivités territoriales). Plusieurs fois saisi avec motivation


sur ce point, le Conseil constitutionnel a repris le raisonnement à son
compte, en considérant toutefois systématiquement que les diverses
réductions ou suppressions d’impôts locaux sur lesquelles il avait à statuer
n’étaient pas d’une ampleur telle qu’elles portassent atteinte à l’autonomie
financière des collectivités territoriales (décisions n° 90-277 DC du 25 juillet
1990, 91-298 DC du 24 juillet 1991, 94-358 DC du 26 janvier 1995, 98-402
DC du 25 juin 1998, 98-405 DC du 29 décembre 1998 (suppression de la
part salariale de la taxe professionnelle), 2000-432 DC du 12 juillet 2000
(suppression de la part régionale de la taxe d’habitation), 2000-442 DC du
28décembre 2000 (suppression de la vignette automobile), 2002-464 DC du
27 décembre 2002). Pour finir, la révision constitutionnelle du 28 mars 2003
a ajouté à la Constitution un article 72-2 précisant notamment que « les
recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales
représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante
de l’ensemble de leurs ressources ». La loi organique du 29 juillet 2004 a
considéré que cette notion de ressources propres comprenait aussi bien les
impôts dont le taux ou l’assiette étaient déterminés par les collectivités
territoriales, que les impôts déterminés par la loi mais dont le produit ou
l’assiette leur est réservé. La plus grande imprécision persiste sur la notion
de part « déterminante ».
La constitution ne fait pas obstacle à ce qu’une autre personne qu’une
collectivité territoriale, par exemple un établissement public (décisions du
Conseil constitutionnel n° 82-140 DC du 28 juin 1982, 98-403 DC du 28
juillet 1998, 99-422 DC du 21 décembre 1999) ou même une personne
privée chargée d’une mission de service public (n° 98-405 DC du 29
décembre 1998), puisse se voir attribuer le produit d’un impôt. Mais la loi
ne peut lui donner compétence pour déterminer certains éléments de son
régime (cf. art. 72-2 alinéa 2 a contrario et décision n° 87-239 DC du 30
décembre 1987).

Are there conflicts among governmental units ? Tax challenges to the


power of a unit to impose a tax ? discrimination against or in favor of
residents of the unit ? challenges to tax subsidies to encourage investment
within the unit ?

Il n’y a pas de conflits manifestes entre les collectivités territoriales,


bien que les impôts directs locaux qui les financent se partagent la même
assiette (il y a simplement une superposition des taux).
Leurs décisions fiscales ne sont guère davantage contestées en justice,
ce qui est assez logique dans la mesure où leur pouvoir de décision est
restreint, pour l’essentiel, à la fixation des taux, et que les possibilités de
E. de CROUY CHANEL : COMPÉTENCES LÉGISLATIVES ET FISCALITÉ 653

variation de ceux-ci sont elles-mêmes encadrées. Font exception à la règle


les impôts des territoires d’outre-mer, dont l’établissement dépend
traditionnellement du pouvoir réglementaire (désormais décentralisé), et qui
sont donc passibles d’un contrôle par le juge administratif (cf. par exemple,
l’arrêt d’assemblée du Conseil d’État du 30 juin 1995, n° 162329,
Gouvernement du territoire de la Polynésie française, faisant application du
principe d’égalité devant l’impôt pour le contrôle du système particulier
d’imposition des revenus créé pour le territoire).
La création ou la modification des redevances pour services rendus, qui
relèvent du pouvoir règlementaire, sont plus fréquemment contestées devant
le juge administratif.
La discrimination selon la résidence est normale, dans la mesure où les
impôts directs locaux sont assis sur la valeur locative des immeubles situés
sur le territoire de la collectivité territoriale. Les effets négatifs (notamment
de ségrégation sociale) sont pour partie corrigés par des dispositifs de
péréquation entre les collectivités territoriales riches et pauvres (selon des
modalités complexes, et d’une efficacité limitée), ou, pour les communes,
par le développement de groupements intercommunaux à fiscalité unifiée.
Les collectivités locales n’ont que peu de possibilités d’encourager
l’investissement par des mesures fiscales dérogatoires, et leurs marges de
manœuvre (par exemple, allègements de taxe professionnelle pour les zones
franches urbaines) sont strictement définies par la loi. Encore une fois, la
contestation passe peu ici par des recours juridictionnels.

8. Retroactivity. Have there been challenges, whether or not successful,


to changes in the tax law on the basis that they adversly impact completed
or non-alterable transactions to the detriment of the taxpayers ?

La rétroactivité de la loi fiscale peut prendre plusieurs formes.


Elle peut résulter, tout d’abord, d’un fait générateur de l’impôt
postérieur à la loi mais tenant compte d’évènements antérieurs. Par exemple,
l’impôt sur le revenu est dû pour les revenus réalisés au cours de l’année
civile. La date du fait générateur de l’impôt, dans la plupart des cas, est donc
l’achèvement de l’année civile. La loi de finances promulguée le 30
décembre est donc antérieure au fait générateur de l’impôt – elle n’est donc
pas à proprement parler rétroactive – mais postérieure à la plupart des choix
de gestion faits par les contribuables au cours de l’année. Souvent dénoncée,
cette « fausse » rétroactivité n’a jamais fait l’objet d’un quelconque
encadrement constitutionnel.
La rétroactivité peut également être masquée sous le couvert d’une loi
prétendument « interprétative » de dispositions antérieures. Au besoin, le
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caractère novateur (et donc rétroactif) des dispositions interprétatives pourra


être reconnu.
Enfin, la loi peut être clairement rétroactive, par exemple pour donner
sa date d’effet à une mesure fiscale nouvelle au jour où elle a été annoncée,
ou pour valider un acte administratif contesté.
Le Conseil constitutionnel considère que le principe de non-
rétroactivité de la loi n’a de valeur constitutionnelle qu’en matière pénale
(article 8 de la Déclaration de 1789), notion dont il a élargi la portée en y
incluant toutes les mesures punitives, et notamment les sanctions fiscales.
Par contre, aucune disposition constitutionnelle ne s’oppose à ce qu’une loi
fiscale ait un caractère rétroactif (cf. décision 83-164 DC du 29 décembre
1983) et puisse modifier la situation résultant de la législation antérieure (cf.
par exemple la décision n° 89-268 DC du 29 décembre 1989 ; en
l’occurrence, le législateur supprimait une disposition utilisée pour des
montages d’évasion fiscale). Il a toutefois posé des limites au législateur.
Tout d’abord, une loi ne peut porter atteinte à une décision de justice passée
en force de chose jugée (décision n° 86-223 DC du 29 décembre 1986).
Ensuite, il a posé le principe qu’une loi fiscale rétroactive, par les effets
qu’elle peut avoir sur le droit de propriété et l’insécurité juridique qu’elle
génère, doit être motivée par un intérêt général suffisant (décision n° 95-369
DC du 28 décembre 1995 ; en la circonstance, le seul intérêt financier de la
mesure a été jugé insuffisant pour en justifier la rétroactivité ; cf. surtout la
décision n° 98-404 DC du 18 décembre 1998, où le Conseil retient
également, pour apprécier la nécessité de la mesure rétroactive, la possibilité
de parvenir au même résultat par d’autres moyens).
Les juridictions ordinaires, pour leur part, ne peuvent contrôler les lois
fiscales rétroactives qu’au regard du droit conventionnel (cf. question 1),
c'est-à-dire ici, au regard de l’article 6 §1 CEDH. Une jurisprudence
administrative hardie, inspirée de l’arrêt CEDH National &Provincial
Building Society, a tenté d’opérer un contrôle d’une loi fiscale rétroactive au
regard de cet article (CAA Paris, plén., 30 mars 1999, n° 96-1858, SA
Synetics), initiatives auxquelles le Conseil d’État coupa tout de suite court
(CE, 26 novembre 1999, n° 184474, Guenoun), en ré-affirmant que l’article
6 §1 CEDH ne s’appliquait pas aux litiges fiscaux. La clarification
jurisprudentielle amenée par l’arrêt CEDH Ferrazzini fit définitivement
cesser le débat, et conduisit de son côté la Cour de cassation à renverser une
jurisprudence de 1996 reconnaissant l’applicabilité de l’article 6 §1 CEDH à
la matière fiscale (Cass. com., 12 juillet 2004, n° 01-11.403, Consorts Pelat).
E. de CROUY CHANEL : COMPÉTENCES LÉGISLATIVES ET FISCALITÉ 655

9. Private Legislation. May and does the legislature enact tax


legislation to benefit one or several taxpayers or to make the tax outcome
for a specific transaction certain (and beneficial) ?

Cela arrive, mais assez rarement de manière patente (cf. pour exemple,
l’exonération de l’impôt sur le revenu des primes des médaillés
olympiques). Une disposition dérogatoire au principe d’égalité devant
l’impôt exige l’existence d’un intérêt général suffisant (cf. supra) pour être
reconnue comme constitutionnelle.

10. Other. Are there other characteristics of your national tax system
that protect it from challenge when it conflicts with basic rights ? Other
decisions of courts or agencies that have limited the legislature’s power to
define tax structures, rates or types of tax ?

Il existe un dispositif original pour garantir la sécurité juridique des


contribuables : lorsque ceux-ci se sont fondés sur l’interprétation de la loi
publiée par l’administration fiscale (doctrine administrative), ils ne peuvent
faire l’objet d’un redressement résultant d’une interprétation différente,
quand bien même il serait reconnu que l’interprétation initiale était contraire
à la loi (article L.80 A du Livre des procédures fiscales). Le mécanisme a été
étendu aux prises de position expresses de l’administration sur une question
soumise par un contribuable (mécanisme du rescrit fiscal, article L. 80 B du
Livre des procédures fiscales).

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