Vous êtes sur la page 1sur 15

DOSSIER

ÉRIC CAUVIN
BRUNO NEUNREUTHER
CERGAM, IAE d’Aix en Provence

La contribution
du contrôle de gestion
au management
de la valeur

L’hypercompétition à laquelle les entreprises sont confrontées


les renvoie à l’obligation de réduire constamment les prix de
leurs produits ou services, tout en améliorant leur qualité.
Cette gestion combinée de deux critères qui ne sont pas
forcément compatibles caractérise le client que M. Montebello
(2003) définit par demandeur de valeur. Fondé sur la chaîne
de valeur de Porter (1985), le management par les activités a
pour objectif d’apporter un éclairage sur les processus
créateurs de valeur dans une entreprise tout en identifiant les
leviers pour en réduire les coûts. Dès lors, la performance
d’une entreprise ne peut plus se définir uniquement autour de
critères financiers. Le développement de tableaux de bord
équilibrés fondés sur des indicateurs non financiers
(re)devient nécessaire.

DOI:10.3166/RFG.196.177-190 © 2009 Lavoisier, Paris


178 Revue française de gestion – N° 196/2009

F
aites moins cher ou vous êtes virés, qu’il définit pour diagnostiquer un avan-
faites moins bien et vous êtes tage concurrentiel et trouver les moyens de
virés ! »1 ordonne un manager de le renforcer.
chez Sony, au regard plutôt persuasif, à ses
collaborateurs. Ce rappel à l’ordre renvoie I – AU DÉBUT FUT
bien à la nécessité de satisfaire le client LA CHAÎNE DE VALEUR…
que Michel Montebello (2003) définit
comme demandeur de valeur. Il est en effet La construction et la défense d’un avantage
conjointement sensible au prix et à la qua- compétitif résultent dès lors de la capacité
lité, ou tout autre critère de différenciation d’une entreprise à accomplir les activités
générateur de valeur à ses yeux. Améliorer nécessaires, à un coût inférieur à celui de
le couple coût-valeur devient dès lors une ses concurrents, ou à effectuer certaines
nécessité absolue. Il pourrait être reproché activités d’une façon unique créatrice de
à Porter d’avoir provoqué l’enlisement valeur pour le client. Selon Porter, créer de
dans la voie médiane, les stratégies de la valeur c’est éliminer les activités non
domination par les coûts et les stratégies créatrices de valeur.
de différenciation étant selon lui totale- Et, avec d’autres, comme Hergert et Morris
ment incompatibles. Néanmoins, on lui (1989), de fustiger les comptables de ne pas
doit la présentation des sources de création être capables d’apporter une information
et de maintien d’un avantage compétitif adaptée à l’analyse de la chaîne de valeur.
par la valeur (Porter, 1985) grâce au Cette dissonance tient principalement à
concept de chaîne de valeur (figure 1) deux raisons : d’une part, les systèmes de

Figure 1 – La chaîne de valeur

Source : Porter (1985).

1. Slogan de l’entreprise Sony (2002).


La contribution du contrôle de gestion au management de la valeur 179

comptabilité de gestion, généralement teurs, caractérisés par des fonctions de


développés au début du XXe siècle, ont une demande distinctes. Pour l’entreprise, la
orientation fonctionnelle, et d’autre part, ils valeur s’analyse sur chaque activité accom-
ne sont pas centrés sur le couple coût- plie (au sens de la chaîne de valeur) en se
valeur2. En effet, ces deux notions ne pré- demandant si, dans l’absolu, cette activité
sentent pas la même base d’évaluation. La est vendable aux clients. Si en dehors de
valeur est un critère de compétitivité établi toute considération de coût, la réponse est
par le marché, le coût est un critère de pro- négative, on se trouve face à une activité
fitabilité jugé d’un point de vue interne. non créatrice de valeur.
Difficilement mesurable, la valeur est pour- En évoquant le concept de système de
tant bien représentée dans l’analyse de la valeur, Porter (1985) montre que les attributs
chaîne de valeur, où toutes les activités ont fondamentaux émergent de la chaîne de
vocation à la créer. La valeur peut s’envisa- valeur du client et qu’ils sont reliés aux acti-
ger sous deux angles. Pour le consomma- vités exercées par l’entreprise. La valeur
teur, elle est fondée sur le concept écono- qu’une entreprise crée pour son client est
mique de demande. Les produits sont alors déterminée par les liaisons qui unissent
considérés comme un ensemble d’attributs. sa chaîne de valeur à celle du client. De ces
Ils ont donc des configurations différentes multiples liens résultent les critères d’achat
pour satisfaire des segments de consomma- qui dépassent généralement les simples

Figure 2 – Matrice d’identification des activités stratégiques

Source : Porter (1985).

2. Pour l’obsolescence des systèmes traditionnels de calcul des coûts voir Cauvin et Neumann (2007).
180 Revue française de gestion – N° 196/2009

caractéristiques physiques du produit. Dès prise afin d’imputer de manière pertinente


lors, l’entreprise doit déterminer les activités les dépenses indirectement reliées aux pro-
créatrices de valeur qui influent sur les cri- duits ou aux services. La méthode ABC
tères d’achat. À cet effet, Porter présente une postule en effet que toute activité
matrice (figure 2) qui croise les critères consomme des ressources et que tout pro-
d’achat (critères d’utilisation ou critères de duit ou service consomme des activités. Ce
signalisation) et les activités accomplies qui cause les coûts, ce ne sont plus les fonc-
dans le cadre de la chaîne de valeur. L’objec- tions offertes comme le prétend l’analyse
tif est de définir le poids relatif des activités de la valeur mais les activités, c’est-à-dire
dans la création d’une différenciation. une combinaison de personnes, de techno-
En observant la matrice présentée ci-avant, logies, de matières, et de méthodes qui
l’amélioration du critère « Délai de livrai- fournissent un produit ou un service déter-
son », critère de différenciation défini par le miné. Associé à l’ABC, l’ABM est une ins-
client, passe par la gestion des activités dès trumentalisation de la chaîne de valeur en
lors devenues stratégiques : la production, la analysant les activités dans le but d’amélio-
logistique externe, les services, les approvi- rer la valeur pour le client tout en réduisant
sionnements, le développement technolo- les coûts (Cauvin, 2000).
gique et la gestion des ressources humaines. L’entreprise n’est plus perçue comme un
Il convient donc de souligner qu’une activité ensemble de ressources regroupées en unités
est créatrice de valeur à partir du moment où administratives dont il suffit de maximiser
elle devient stratégique. Elle devient straté- l’efficience, indépendamment les unes des
gique dès lors qu’elle participe à la réalisa- autres, pour avoir du succès. Elle est désor-
tion d’un critère d’achat défini par le client. mais représentée comme un ensemble d’ac-
En réponse à cette évolution de la réflexion tivités liées, qui forment des réseaux appelés
stratégique, la fin des années 1980 va mar- processus auxquels clients et fournisseurs
quer une évolution des outils de comptabi- peuvent être rattachés (Schonberger, 1990).
lité de gestion avec l’émergence de la Dans ce contexte, l’entreprise constitue une
comptabilité par activités (ou ABC)3 éten- chaîne de clients où chacun est à la fois four-
due à un système de management par les nisseur et acheteur. Les activités sont alors
activités (ou ABM)4. intégrées, dans le sens où les relations ne
passent plus quasi exclusivement par la voie
hiérarchique, et deviennent directes, de type
II – LE RETOUR VERS L’ACTION :
clients/fournisseurs, introduisant de proche
LE MANAGEMENT PAR LES
en proche les impératifs du marché.
ACTIVITÉS5
Le schéma proposé par Gunasekaran et al.
L’ABC est une méthode de calcul de coûts annonce les trois parties que nous allons
construite autour des activités d’une entre- évoquer pour traiter cette question : l’ana-

3. Activity-Based Costing (ABC).


4. Activity-Based Management (ABM).
5. Voir en particulier Berliner et Brimson (1988), Johnson et Kaplan (1987), Kaplan (1983), Kaplan (1984),
Mévellec (1991).
La contribution du contrôle de gestion au management de la valeur 181

lyse des activités, l’amélioration des activi- mune. Ce questionnement consiste alors à
tés, et l’évaluation des performances des mettre en perspective les ressources que
activités. consomme une activité avec la valeur per-
çue qu’elle engendre. Dans cet arbitrage
1. L’analyse des activités entre les coûts et la valeur, on dépasse le
Dès lors que les activités ont été identifiées simple calcul et on s’inscrit dans une pers-
et leur coût a été calculé, l’ABM commence pective stratégique. Il n’est toutefois pas
par l’analyse de ces activités. Cette pre- simple de classer les activités et les proces-
mière étape s’inscrit dans une démarche sus en distinguant ceux qui sont créateurs
globale par rapport à l’entreprise et à ses ou non de valeur pour le client. Pour cer-
processus. En effet, une activité non créa- tains, les activités sans valeur sont liées au
trice de valeur est souvent définie comme gaspillage, ou bien encore au coût de la
une activité qui peut être éliminée sans qualité lorsque, par exemple on retravaille
nuire aux attributs d’un produit (par des produits défectueux. À l’extrême, pour
exemple, à sa fonctionnalité, ou à sa qua- d’autres, tout ce qui n’a pas trait à la pro-
lité). Cela revient à s’interroger sur la capa- duction peut être perçu comme sans valeur.
cité d’une activité à créer de la valeur pour Cependant, un processus, c’est-à-dire une
un client, ou sur sa contribution à la créa- série d’activités liées, où chaque activité est
tion de valeur d’un processus qui regroupe « cliente » d’une autre, peut globalement
des activités autour d’une finalité com- créer de la valeur tout en intégrant des acti-

Figure 3 – L’analyse par les activités

Source : Gunasekaran et al. (2000).


182 Revue française de gestion – N° 196/2009

vités qui n’en créent pas mais qui sont tout 2. L’amélioration des activités
autant incontournables. Voici des exemples Ce qui différencie le management par les
d’activités que l’on juge souvent comme activités des méthodes traditionnelles de
non créatrices de valeur : calcul et de gestion des coûts est l’attention
– L’initialisation des machines car pendant qu’il porte, non plus aux produits, mais aux
ce temps-là on ne produit rien. Mais com- activités. En effet, comme le souligne
ment s’exonérer de cette activité ? Pierre Mévellec (1991), les produits ne sont
– La logistique. En effet, acheminer des que la matérialisation de la compétitivité
composants vers un atelier, ou transférer un des activités. C’est en recherchant l’amélio-
produit d’un atelier à un autre n’accroît pas ration permanente des activités et des pro-
sa valeur. cessus que l’entreprise peut se doter de fac-
– Le contrôle de qualité. Une entreprise teurs de compétitivité centrés sur la maîtrise
peut en effet s’exempter de cette activité à de ses coûts et de la valeur qu’elle crée
condition de produire sans défauts. (Cauvin, 2000).
– Le stockage, à moins que le client consi- Changer la manière dont les activités sont
dère la disponibilité d’un bien comme un utilisées ou réalisées, puis réallouer les res-
critère d’achat essentiel et discriminant sources ainsi dégagées constitue le meilleur
dans son choix rendant dès lors l’activité moyen de réduire les coûts tout en créant de
stratégique. la valeur. Quatre types de stratégie peuvent
Cette analyse se heurte toutefois au grand être envisagés pour atteindre cet objectif.
nombre d’activités à traiter. Cela conduit
souvent à se focaliser sur les activités les L’élimination des activités non créatrices
plus critiques c’est-à-dire les plus consom- de valeur
matrices de ressources. On pourra utiliser la Comme nous l’avons évoqué précédem-
loi de Pareto permettant de rechercher les ment, certaines activités peuvent être élimi-
20 % d’activités représentant 80 % des nées car elles ne créent pas de valeur pour
coûts. le client ou ne sont pas nécessaires au fonc-
Il est généralement recommandé de termi- tionnement de l’entreprise.
ner l’analyse des activités par leur étalon- Toutefois cette démarche ne débouche pas
nage6 en interne, si l’entreprise dispose de forcément sur la suppression brutale d’une
plusieurs entités réalisant des activités activité mais peut déclencher une réflexion
comparables ou en externe sur la base sur la réorganisation d’une entreprise. À
d’appels d’offres. Cette comparaison aux titre d’exemple, le déplacement d’un pro-
meilleures pratiques peut être réalisée sur duit d’un atelier à un autre est une activité
la base de critères tels que la durée, les res- qui n’apporte pas de valeur au client final,
sources consommées, la satisfaction des mais qui est incontournable tant que les
clients, etc. deux ateliers sont séparés géographique-
Ce travail d’analyse constitue un préalable à ment. Dès lors, la disposition de l’usine
l’étape suivante : l’amélioration des activités. devient le « facteur causal de l’activité »7.

6. Benchmarking.
7. Appelé aussi « facteur explicatif des coûts » ou en anglais « cost drivers ».
La contribution du contrôle de gestion au management de la valeur 183

C’est par conséquent en réorganisant outils, et une re-conception des produits à


l’usine, c’est-à-dire en rapprochant les deux fabriquer dans le but de réduire l’initiali-
ateliers, que l’on peut agir sur le facteur sation des machines selon les produits.
causal et éliminer l’activité de déplacement Cette démarche ne doit toutefois pas se
des produits. Dyer et Hatch (2004), à tra- faire aux dépens du positionnement straté-
vers l’exemple de Toyota, illustrent parfai- gique de l’entreprise. En effet, dans l’esprit
tement cette démarche. En effet, Toyota a de la chaîne de valeur, les activités sont le
initié une démarche d’apprentissage organi- vecteur des critères d’achat définis par les
sationnel au sein de son réseau de fournis- clients, et par conséquent de l’offre de
seurs dans le but d’améliorer la producti- valeur de l’entreprise. Leur élimination ne
vité. Toyota a ainsi collaboré avec doit donc pas entacher cette offre. À titre
Continental Metal Specialty (CMS), un d’illustration8, l’entreprise Louis Vuitton a
fournisseur américain, à l’élimination de modifié le processus de fabrication de ses
ses activités sans valeur. Cette entreprise sacs à main. Aujourd’hui, leur fabrication
qui estampe les pièces métalliques des nécessite 3 jours et demi au lieu de 25 jours
châssis réalisait un total de trente activités. en moyenne en 1995. La diminution pro-
Les consultants de Toyota ont identifié seu- bable des coûts qui résulte de l’industriali-
lement quatre activités créatrices de valeur : sation d’un processus autrefois artisanal est
le découpage, la mise en forme, la soudure de nature à augmenter la rentabilité tout en
et la peinture. Toyota et CMS ont alors réor- maintenant le caractère « Made in France »,
ganisé la production pour rapprocher dans considéré comme essentiel par la marque.
un même lieu la soudure et la mise en Elle permet également de diminuer le prix
forme, éliminant ainsi douze étapes non du produit. Ce dernier tend en effet à deve-
créatrices de valeur. Avec le temps, CMS nir un accessoire de mode dont la durée de
s’est affranchie de dix-neuf activités sans vie est plus courte, ce qui exige de raccour-
valeur, réduisant le temps de lancement en cir le cycle de production pour augmenter
fabrication de deux heures à 12 minutes ! les volumes fabriqués. Toutefois, l’émer-
Les stocks ont de surcroît diminué de 90 %. gence d’une production « de masse »
dégrade en partie le caractère de rareté qui
La réduction du temps était, entre autres attributs, engendré par
et de l’effort nécessaire une production artisanale. La contrepartie
à l’accomplissement d’une activité pour Vuitton est de s’éloigner du luxe et de
Cette réduction peut être fondée sur une se rapprocher du prêt-à-porter. Les sacs
amélioration du processus et sur la concep- sont ainsi parfois vendus dans des « cor-
tion des produits. À titre d’exemple, le temps ners » de grands magasins tels que Harrods.
consacré à l’initialisation des machines peut
être réduit par l’effet d’expérience, une La sélection d’activités à faibles coûts
meilleure coordination des différents acteurs Les concepteurs des produits et des proces-
impliqués, une meilleure disposition des sus de fabrication doivent choisir les activi-

8. « Le renouveau du sac génère des emplois », Le Monde, 14 décembre 2004 ; « Vuitton unpacks its clothes »,
Financial Times, 21 mars 2006.
184 Revue française de gestion – N° 196/2009

tés les moins coûteuses. La conception d’un mance. Cette dernière action implique la
produit et la sélection de ses composants construction de systèmes de mesures phy-
peuvent en effet induire le choix de proces- siques de la performance : les objectifs
sus spécifiques à leur assemblage : un assem- financiers ne stimulant guère l’amélioration
blage automatisé ou artisanal. Ce choix doit opérationnelle. L’amélioration des proces-
être pris en compte dans les premières étapes sus doit par conséquent précéder celle des
de conception du produit en comparant le résultats. Par ailleurs, ces informations
coût associé aux deux modes d’assemblage. n’éliminent pas le besoin d’informations
financières car l’élimination de certaines
Le partage d’activités ou de composants activités, ou la réduction de leur coût
Dès lors que des produits différents répon- implique une réallocation pertinente des
dent partiellement à des besoins communs, ressources ainsi dégagées.
il est recommandé de mutualiser les res-
sources allouées. Il est de plus en plus cou- L’évaluation des performances :
rant que les concepteurs de produits, en par- de la stratégie à la gestion opérationnelle
ticulier dans l’industrie automobile, Dans la conception de l’entreprise du
utilisent des composants communs dans la XXIe siècle, le processus devient le concept
fabrication de produits différents. Les seuls fédérateur de la gestion stratégique et opé-
composants qui doivent rester uniques sont rationnelle. Les systèmes d’évaluation des
ceux qui sont attachés à des attributs diffé- performances doivent évoluer conjointe-
renciateurs aux yeux du client. Cette ment aux critères d’achat définis par le
mutualisation des composants se répercute client, en considérant qu’ils ne sont jamais
également sur les activités associées (par ni statiques, ni complètement satisfaits
exemple, les activités de stockage ou d’ap- (Schonberger, 1990). La performance n’est
provisionnement). plus fonction de la quantité produite par
Ces différentes mesures en direction des rapport à la quantité de ressources consom-
activités et des processus que les entreprises mées pour chaque activité accomplie, mais
mobilisent pour satisfaire un client de plus bien du coût et de la contribution de l’en-
en plus exigeant ne peuvent être mises en semble des activités à la richesse créée aux
œuvre et comprises par les différents yeux du client.
acteurs qu’à condition qu’elles s’adossent à Par conséquent, les actions à court terme
un système d’évaluation et de pilotage des doivent s’inscrire dans le cadre d’orienta-
performances adapté. tions à long terme. Les systèmes d’évalua-
tion des performances doivent contribuer au
2. L’évaluation des performances suivi de la mise en œuvre des stratégies, et
Dans le management par les activités, la être parties prenantes d’un système de pilo-
gestion du couple coût-valeur suppose tage cohérent guidant l’action en assurant le
l’identification des activités stratégiques, suivi des performances à court et long
celles dont dépendent la création et la terme. La stratégie, les actions menées et
défense d’un avantage compétitif, ainsi que l’évaluation des performances doivent être
l’évaluation et le pilotage de leur perfor- constamment rapprochées.
La contribution du contrôle de gestion au management de la valeur 185

L’évaluation des performances : titivité peut ainsi avoir pour origine, certes
un équilibre d’indicateurs financiers une stratégie ambitieuse mais également un
et non financiers programme d’action novateur, ou un sys-
La recherche de cohérence entre la straté- tème d’évaluation des performances effi-
gie, les actions qu’elle induit, et l’évalua- cace. Les trois directions sont complémen-
tion de ces dernières implique l’utilisation taires et se renforcent mutuellement.
d’indicateurs à la fois financiers et non Selon Nanni et al. (1992), « plus la qualité
financiers. et la réactivité au marché deviennent des
La figure 4 souligne l’existence d’une rela- dimensions stratégiques fondamentales,
tion dynamique entre la stratégie, les moins les indicateurs financiers, fondés uni-
actions et l’évaluation des performances. quement sur les économies de coûts, sont
Le contrôle de gestion est dès lors considéré pertinentes pour gérer l’entreprise à long
comme un outil de mise en œuvre, mais terme ». Dès lors, dans un environnement
aussi de définition de la stratégie. caractérisé par des évolutions technolo-
Les trois axes doivent maintenir leur cohé- giques de plus en plus rapides et par le rac-
rence réciproque au-delà de leur progres- courcissement du cycle de vie des produits,
sion. En outre, chacune des trois dimen- marqué également par le rôle fondamental
sions peut engendrer un changement accordé maintenant au savoir et à d’autres
(Nanni et al., 1992), car l’application de actifs incorporels, les performances finan-
décisions stratégiques peut, en retour, faire cières futures sont souvent mieux évaluées
émerger de nouvelles politiques (Simons, par des indicateurs non financiers que par
1990, 1991). L’amélioration de la compé- des indicateurs financiers.

Figure 4 – La cohérence entre la stratégie, les actions, et les indicateurs de performance

Stratégie

Indicateurs de performance Actions

Source : d’après Nanni et al. (1992).


186 Revue française de gestion – N° 196/2009

Cette nécessaire harmonie de la stratégie, auteurs le soulignent « dans une économie


des actions, et des systèmes d’évaluation caractérisée par les actifs matériels, les
des performances, implique un contrôle de indicateurs financiers étaient adaptés…
gestion totalement en phase avec la gestion Mais l’économie actuelle, où les actifs
stratégique et opérationnelle. Le manage- incorporels sont devenus des sources
ment par les activités constitue la clé de majeures d’avantages concurrentiels, exige
voûte de ces deux domaines. Elle repose sur des outils qui décrivent les actifs fondés sur
une amélioration continue des variables le savoir et les stratégies de création de
stratégiques par une coordination des acti- valeur que ces actifs génèrent. » (Kaplan et
vités au-delà des limites fonctionnelles. Norton, 2001).
La coordination des activités en fonction de Comme le montre la figure 5, le Balanced
la stratégie définie s’appuie sur la mise en Scorecard se compose d’indicateurs
place d’indicateurs non financiers ou fac- regroupés au sein de quatre axes straté-
teurs explicatifs des coûts. Il s’agit d’indica- giques qui ont les uns envers les autres des
teurs opérationnels dont l’objectif est de liens de causalité. Cette chaîne causale suit
suivre l’amélioration des processus. Leur le parcours suivant :
nature peut être physique (par exemple, le – en premier lieu, elle part des indicateurs
nombre d’ordres d’achat) ou monétaire (par contenus dans l’axe apprentissage organi-
exemple, le coût d’un ordre d’achat). Néan- sationnel,
moins, ces indicateurs doivent être définis en – ensuite, elle se dirige vers les indicateurs
cohérence avec la stratégie de l’entreprise, et contenus dans l’axe processus interne et
doivent par conséquent évaluer la perfor- innovation,
mance des activités ou processus critiques. – puis vers ceux contenus dans l’axe straté-
Cette dernière phase du management par gique clients,
les activités consacrée à l’évaluation des – pour enfin aboutir aux indicateurs conte-
performances constitue l’un des quatre axes nus dans l’axe financier.
fondamentaux du système d’évaluation des Ainsi, l’infrastructure de l’entreprise, les
performances proposé par Kaplan et Norton compétences, les capacités et les connais-
(1996) : le Balanced Scorecard. sances du personnel, mais aussi la techno-
logie qu’il utilise et l’ambiance dans
Le Balanced Scorecard laquelle il travaille, conditionnent la capa-
À travers le Balanced Scorecard, Kaplan et cité d’une entreprise à exécuter des proces-
Norton proposent un nouveau cadre pour sus internes de façon nouvelle et différen-
décrire une stratégie en reliant des actifs ciée. Ces processus internes, tels que la
incorporels et corporels aux activités créa- conception de nouveaux produits, le déve-
trices de valeur. Ce tableau de bord n’a pas loppement de marques et de marchés, les
pour objectif d’évaluer le capital intellec- ventes, le service, l’exploitation et la logis-
tuel. Il permet plutôt d’identifier et d’appré- tique, définissent les activités qui sont
cier les liens de cause à effet entre les actifs, nécessaires pour créer l’offre de valeur et la
matériels et immatériels, que l’entreprise a différenciation souhaitées pour le client.
mobilisés et combinés afin de créer de la C’est l’axe client qui, une fois les objectifs
valeur pour ses clients. En effet, comme les financiers fixés, aura identifié les clients
La contribution du contrôle de gestion au management de la valeur 187

Figure 5 – Le Balanced Scorecard

Source : Kaplan et Norton (1996).

cible ainsi que l’offre de valeur décrivant appréhender et comprendre l’impact de l’im-
comment l’entreprise se différencie pour matériel sur les résultats financiers. Ainsi par-
attirer les clients visés, les fidéliser et tant de sa vision et de sa stratégie l’entreprise
approfondir les relations avec eux. Il jugera de façon plus réaliste les savoirs
conviendra tout de même de noter que la qu’elle devra déployer dans ces processus
démarche décrite par Kaplan et Norton a internes afin de satisfaire la proposition de
pour point de départ les objectifs financiers valeur qu’elle aura définie. Elle pourra dès
qui permettent de définir le contenu de l’axe lors « mesurer » l’impact de ses investisse-
client, lui-même satisfait par les processus ments immatériels sur ses résultats financiers.
internes à l’intérieur desquels l’infrastruc- À travers les innovations qui ont parcouru les
ture de l’entreprise se déploie. années 1980 et 1990, le contrôle de gestion
Cette chaîne causale, des connaissances aux s’est efforcé de répondre aux exigences stra-
résultats financiers, évaluée par des indica- tégiques combinées de réduction des coûts et
teurs financiers et non financiers constitue de différenciation. Le management par les
une démarche intéressante pour les entre- activités constitue un dispositif de gestion
prises qui s’interrogent sur la « valeur » de dont l’objectif est d’apporter une informa-
leur capital intellectuel. Il ne s’agit pas là de tion adaptée à la chaîne de valeur. Il produit
valoriser des actifs mais plutôt de mieux des indications sur le coût des activités et
188 Revue française de gestion – N° 196/2009

permet d’identifier les activités stratégiques capable d’exercer un pilotage par les activi-
en fonction des critères d’achat des clients et tés (et les processus) dont le Balanced Sco-
donc de l’offre de valeur définie par l’entre- recard est une des formes les plus abouties.
prise. Au-delà de cette vision statique, le Néanmoins, si chercher à créer de la valeur
management par les activités s’inscrit dans est légitime et souhaitable, faire ce qu’il
une démarche plus dynamique d’évaluation faut pour éviter d’en détruire semble l’être
des performances des activités et des proces- tout autant. À cet égard, et pour conclure,
sus. En s’appuyant sur des indicateurs essen- nous voulons souligner le rôle primordial
tiellement opérationnels il contribue à d’une autre dimension du contrôle, le
l’équilibre du financier et du non financier contrôle interne.
dont se réclame le Balanced Scorecard9 De manière générale, le contrôle interne est
défini en tant qu’outil de pilotage straté- un processus mis en œuvre par les dirigeants
gique. Il en constitue ainsi l’un des piliers. et le personnel, à quel que niveau que ce
Les stratégies de création de valeur exigent soit, destiné à leur donner en permanence
pour se déployer un contrôle de gestion une assurance raisonnable que les opérations

Figure 6 – Stratégie et systèmes de contrôle

Source : adapté de Simons (1995).

9. Traduit littéralement « Tableau de bord équilibré ».


La contribution du contrôle de gestion au management de la valeur 189

sont réalisées, sécurisées, optimisées et per- tage, comme l’a très bien montré Simons
mettent ainsi à l’organisation d’atteindre ses (1995) à travers sa typologie des systèmes
objectifs de base, de performance, de renta- de contrôle (figure 6).
bilité et de protection du patrimoine et que Enfin, force est de reconnaître que les diffi-
les informations sont fiables10. Le contrôle cultés de la période actuelle incitent à pro-
interne est ainsi le socle sur lequel la straté- mouvoir les différentes formes de contrôle
gie (de création de valeur) peut se déployer aussi bien dans la création que dans la pro-
et le contrôle de gestion en assurer le pilo- tection de la valeur créée par la stratégie.

BIBLIOGRAPHIE
Berliner C., Brimson J.A., Cost Management for Today’s Advanced Manufacturing: The
CAM-I Conceptual Design, Harvard Business School Press, 1988.
Cauvin E., « La gestion par les activités », Les Nouvelles Approches de la Gestion des
Organisations, Arregle J.-L., Cauvin E., Ghertman M., Grand B., Rousseau P., Economica,
2000.
Cauvin E., Neumann B., “French Cost Accounting Methods: ABC and Other Structural
Similarities”, Journal of Cost Management, May-June 2007.
Dyer, J.H., Hatch N., “Using Supplier Networks to Learn Faster”, Sloan Management
Review, Spring, vol. 45, n° 3, 2004.
Gunasekaran A., McNil R., Singh D., “Activity-Based management in small company: a case
study”, Production Planning & Control, vol. 11, n° 4, 2000.
Hergert M., Morris D., “Accounting data for value chain analysis”, Strategic Management
Journal, vol. 10, 1989.
Johnson H.T., Kaplan R.S., Relevance Lost. The Rise and Fall of Management Accounting,
Harvard Business School Press, 1987.
Kaplan R.S., Measuring Manufacturing Performance: A New Challenge for Accounting
Research, The Accounting Review, vol. 57, n° 4, October 1983.
Kaplan R.S., « Yesterday’s accounting undermines production », Harvard Business Review,
July-August 1984.
Kaplan R.S., Norton D.P., The Balanced Scorecard: Translating Strategy into Action, Boston,
MA, Harvard Business School Press, 1996.
Kaplan R.S. et Norton D.P., “The strategy-focused organization: how balanced scorecard
companies thrive in the new business environment”, Havard Business School Press, 2001.
Mévellec P., Outils de Gestion. La pertinence retrouvée, Éditions Comptables Malesherbes,
1991.
Montebello M., Stratégie de création de valeur pour le client, Economica, 2003.

10. Adapté de la définition du contrôle interne de l’IFACI (Institut de l’audit interne).


190 Revue française de gestion – N° 196/2009

Nanni A.J., Dixon J.R., Vollmann T.E., “Integrated Performance Measurement : Management
Accounting to Support the New Manufacturing Realities”, Journal of Management
Accounting Research, vol. 4, Fall 1992.
Porter M.E., Competitive Advantage: Creating and Sustaining Superior Performance, New
York, The Free Press, 1985.
Simons R., “The role of management control systems in creating competitive advantage :
new perspectives”, Accounting, Organizations and Society, vol. 15, n° 1/2, 1990.
Simons R., “Strategic orientation and top management attention to control systems”,
Strategic Management Journal, vol. 12, 1991.
Simons R., Levers of Control, Boston, Harvard Business Scholl Press, 1995.
Schonberger R.J., Building a Chain of Customers: Linking Business Functions to Create the
World-Class Company, New York, The Free Press, 1990.

Vous aimerez peut-être aussi