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ÉRIC CAUVIN
BRUNO NEUNREUTHER
CERGAM, IAE d’Aix en Provence
La contribution
du contrôle de gestion
au management
de la valeur
F
aites moins cher ou vous êtes virés, qu’il définit pour diagnostiquer un avan-
faites moins bien et vous êtes tage concurrentiel et trouver les moyens de
virés ! »1 ordonne un manager de le renforcer.
chez Sony, au regard plutôt persuasif, à ses
collaborateurs. Ce rappel à l’ordre renvoie I – AU DÉBUT FUT
bien à la nécessité de satisfaire le client LA CHAÎNE DE VALEUR…
que Michel Montebello (2003) définit
comme demandeur de valeur. Il est en effet La construction et la défense d’un avantage
conjointement sensible au prix et à la qua- compétitif résultent dès lors de la capacité
lité, ou tout autre critère de différenciation d’une entreprise à accomplir les activités
générateur de valeur à ses yeux. Améliorer nécessaires, à un coût inférieur à celui de
le couple coût-valeur devient dès lors une ses concurrents, ou à effectuer certaines
nécessité absolue. Il pourrait être reproché activités d’une façon unique créatrice de
à Porter d’avoir provoqué l’enlisement valeur pour le client. Selon Porter, créer de
dans la voie médiane, les stratégies de la valeur c’est éliminer les activités non
domination par les coûts et les stratégies créatrices de valeur.
de différenciation étant selon lui totale- Et, avec d’autres, comme Hergert et Morris
ment incompatibles. Néanmoins, on lui (1989), de fustiger les comptables de ne pas
doit la présentation des sources de création être capables d’apporter une information
et de maintien d’un avantage compétitif adaptée à l’analyse de la chaîne de valeur.
par la valeur (Porter, 1985) grâce au Cette dissonance tient principalement à
concept de chaîne de valeur (figure 1) deux raisons : d’une part, les systèmes de
2. Pour l’obsolescence des systèmes traditionnels de calcul des coûts voir Cauvin et Neumann (2007).
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lyse des activités, l’amélioration des activi- mune. Ce questionnement consiste alors à
tés, et l’évaluation des performances des mettre en perspective les ressources que
activités. consomme une activité avec la valeur per-
çue qu’elle engendre. Dans cet arbitrage
1. L’analyse des activités entre les coûts et la valeur, on dépasse le
Dès lors que les activités ont été identifiées simple calcul et on s’inscrit dans une pers-
et leur coût a été calculé, l’ABM commence pective stratégique. Il n’est toutefois pas
par l’analyse de ces activités. Cette pre- simple de classer les activités et les proces-
mière étape s’inscrit dans une démarche sus en distinguant ceux qui sont créateurs
globale par rapport à l’entreprise et à ses ou non de valeur pour le client. Pour cer-
processus. En effet, une activité non créa- tains, les activités sans valeur sont liées au
trice de valeur est souvent définie comme gaspillage, ou bien encore au coût de la
une activité qui peut être éliminée sans qualité lorsque, par exemple on retravaille
nuire aux attributs d’un produit (par des produits défectueux. À l’extrême, pour
exemple, à sa fonctionnalité, ou à sa qua- d’autres, tout ce qui n’a pas trait à la pro-
lité). Cela revient à s’interroger sur la capa- duction peut être perçu comme sans valeur.
cité d’une activité à créer de la valeur pour Cependant, un processus, c’est-à-dire une
un client, ou sur sa contribution à la créa- série d’activités liées, où chaque activité est
tion de valeur d’un processus qui regroupe « cliente » d’une autre, peut globalement
des activités autour d’une finalité com- créer de la valeur tout en intégrant des acti-
vités qui n’en créent pas mais qui sont tout 2. L’amélioration des activités
autant incontournables. Voici des exemples Ce qui différencie le management par les
d’activités que l’on juge souvent comme activités des méthodes traditionnelles de
non créatrices de valeur : calcul et de gestion des coûts est l’attention
– L’initialisation des machines car pendant qu’il porte, non plus aux produits, mais aux
ce temps-là on ne produit rien. Mais com- activités. En effet, comme le souligne
ment s’exonérer de cette activité ? Pierre Mévellec (1991), les produits ne sont
– La logistique. En effet, acheminer des que la matérialisation de la compétitivité
composants vers un atelier, ou transférer un des activités. C’est en recherchant l’amélio-
produit d’un atelier à un autre n’accroît pas ration permanente des activités et des pro-
sa valeur. cessus que l’entreprise peut se doter de fac-
– Le contrôle de qualité. Une entreprise teurs de compétitivité centrés sur la maîtrise
peut en effet s’exempter de cette activité à de ses coûts et de la valeur qu’elle crée
condition de produire sans défauts. (Cauvin, 2000).
– Le stockage, à moins que le client consi- Changer la manière dont les activités sont
dère la disponibilité d’un bien comme un utilisées ou réalisées, puis réallouer les res-
critère d’achat essentiel et discriminant sources ainsi dégagées constitue le meilleur
dans son choix rendant dès lors l’activité moyen de réduire les coûts tout en créant de
stratégique. la valeur. Quatre types de stratégie peuvent
Cette analyse se heurte toutefois au grand être envisagés pour atteindre cet objectif.
nombre d’activités à traiter. Cela conduit
souvent à se focaliser sur les activités les L’élimination des activités non créatrices
plus critiques c’est-à-dire les plus consom- de valeur
matrices de ressources. On pourra utiliser la Comme nous l’avons évoqué précédem-
loi de Pareto permettant de rechercher les ment, certaines activités peuvent être élimi-
20 % d’activités représentant 80 % des nées car elles ne créent pas de valeur pour
coûts. le client ou ne sont pas nécessaires au fonc-
Il est généralement recommandé de termi- tionnement de l’entreprise.
ner l’analyse des activités par leur étalon- Toutefois cette démarche ne débouche pas
nage6 en interne, si l’entreprise dispose de forcément sur la suppression brutale d’une
plusieurs entités réalisant des activités activité mais peut déclencher une réflexion
comparables ou en externe sur la base sur la réorganisation d’une entreprise. À
d’appels d’offres. Cette comparaison aux titre d’exemple, le déplacement d’un pro-
meilleures pratiques peut être réalisée sur duit d’un atelier à un autre est une activité
la base de critères tels que la durée, les res- qui n’apporte pas de valeur au client final,
sources consommées, la satisfaction des mais qui est incontournable tant que les
clients, etc. deux ateliers sont séparés géographique-
Ce travail d’analyse constitue un préalable à ment. Dès lors, la disposition de l’usine
l’étape suivante : l’amélioration des activités. devient le « facteur causal de l’activité »7.
6. Benchmarking.
7. Appelé aussi « facteur explicatif des coûts » ou en anglais « cost drivers ».
La contribution du contrôle de gestion au management de la valeur 183
8. « Le renouveau du sac génère des emplois », Le Monde, 14 décembre 2004 ; « Vuitton unpacks its clothes »,
Financial Times, 21 mars 2006.
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tés les moins coûteuses. La conception d’un mance. Cette dernière action implique la
produit et la sélection de ses composants construction de systèmes de mesures phy-
peuvent en effet induire le choix de proces- siques de la performance : les objectifs
sus spécifiques à leur assemblage : un assem- financiers ne stimulant guère l’amélioration
blage automatisé ou artisanal. Ce choix doit opérationnelle. L’amélioration des proces-
être pris en compte dans les premières étapes sus doit par conséquent précéder celle des
de conception du produit en comparant le résultats. Par ailleurs, ces informations
coût associé aux deux modes d’assemblage. n’éliminent pas le besoin d’informations
financières car l’élimination de certaines
Le partage d’activités ou de composants activités, ou la réduction de leur coût
Dès lors que des produits différents répon- implique une réallocation pertinente des
dent partiellement à des besoins communs, ressources ainsi dégagées.
il est recommandé de mutualiser les res-
sources allouées. Il est de plus en plus cou- L’évaluation des performances :
rant que les concepteurs de produits, en par- de la stratégie à la gestion opérationnelle
ticulier dans l’industrie automobile, Dans la conception de l’entreprise du
utilisent des composants communs dans la XXIe siècle, le processus devient le concept
fabrication de produits différents. Les seuls fédérateur de la gestion stratégique et opé-
composants qui doivent rester uniques sont rationnelle. Les systèmes d’évaluation des
ceux qui sont attachés à des attributs diffé- performances doivent évoluer conjointe-
renciateurs aux yeux du client. Cette ment aux critères d’achat définis par le
mutualisation des composants se répercute client, en considérant qu’ils ne sont jamais
également sur les activités associées (par ni statiques, ni complètement satisfaits
exemple, les activités de stockage ou d’ap- (Schonberger, 1990). La performance n’est
provisionnement). plus fonction de la quantité produite par
Ces différentes mesures en direction des rapport à la quantité de ressources consom-
activités et des processus que les entreprises mées pour chaque activité accomplie, mais
mobilisent pour satisfaire un client de plus bien du coût et de la contribution de l’en-
en plus exigeant ne peuvent être mises en semble des activités à la richesse créée aux
œuvre et comprises par les différents yeux du client.
acteurs qu’à condition qu’elles s’adossent à Par conséquent, les actions à court terme
un système d’évaluation et de pilotage des doivent s’inscrire dans le cadre d’orienta-
performances adapté. tions à long terme. Les systèmes d’évalua-
tion des performances doivent contribuer au
2. L’évaluation des performances suivi de la mise en œuvre des stratégies, et
Dans le management par les activités, la être parties prenantes d’un système de pilo-
gestion du couple coût-valeur suppose tage cohérent guidant l’action en assurant le
l’identification des activités stratégiques, suivi des performances à court et long
celles dont dépendent la création et la terme. La stratégie, les actions menées et
défense d’un avantage compétitif, ainsi que l’évaluation des performances doivent être
l’évaluation et le pilotage de leur perfor- constamment rapprochées.
La contribution du contrôle de gestion au management de la valeur 185
L’évaluation des performances : titivité peut ainsi avoir pour origine, certes
un équilibre d’indicateurs financiers une stratégie ambitieuse mais également un
et non financiers programme d’action novateur, ou un sys-
La recherche de cohérence entre la straté- tème d’évaluation des performances effi-
gie, les actions qu’elle induit, et l’évalua- cace. Les trois directions sont complémen-
tion de ces dernières implique l’utilisation taires et se renforcent mutuellement.
d’indicateurs à la fois financiers et non Selon Nanni et al. (1992), « plus la qualité
financiers. et la réactivité au marché deviennent des
La figure 4 souligne l’existence d’une rela- dimensions stratégiques fondamentales,
tion dynamique entre la stratégie, les moins les indicateurs financiers, fondés uni-
actions et l’évaluation des performances. quement sur les économies de coûts, sont
Le contrôle de gestion est dès lors considéré pertinentes pour gérer l’entreprise à long
comme un outil de mise en œuvre, mais terme ». Dès lors, dans un environnement
aussi de définition de la stratégie. caractérisé par des évolutions technolo-
Les trois axes doivent maintenir leur cohé- giques de plus en plus rapides et par le rac-
rence réciproque au-delà de leur progres- courcissement du cycle de vie des produits,
sion. En outre, chacune des trois dimen- marqué également par le rôle fondamental
sions peut engendrer un changement accordé maintenant au savoir et à d’autres
(Nanni et al., 1992), car l’application de actifs incorporels, les performances finan-
décisions stratégiques peut, en retour, faire cières futures sont souvent mieux évaluées
émerger de nouvelles politiques (Simons, par des indicateurs non financiers que par
1990, 1991). L’amélioration de la compé- des indicateurs financiers.
Stratégie
cible ainsi que l’offre de valeur décrivant appréhender et comprendre l’impact de l’im-
comment l’entreprise se différencie pour matériel sur les résultats financiers. Ainsi par-
attirer les clients visés, les fidéliser et tant de sa vision et de sa stratégie l’entreprise
approfondir les relations avec eux. Il jugera de façon plus réaliste les savoirs
conviendra tout de même de noter que la qu’elle devra déployer dans ces processus
démarche décrite par Kaplan et Norton a internes afin de satisfaire la proposition de
pour point de départ les objectifs financiers valeur qu’elle aura définie. Elle pourra dès
qui permettent de définir le contenu de l’axe lors « mesurer » l’impact de ses investisse-
client, lui-même satisfait par les processus ments immatériels sur ses résultats financiers.
internes à l’intérieur desquels l’infrastruc- À travers les innovations qui ont parcouru les
ture de l’entreprise se déploie. années 1980 et 1990, le contrôle de gestion
Cette chaîne causale, des connaissances aux s’est efforcé de répondre aux exigences stra-
résultats financiers, évaluée par des indica- tégiques combinées de réduction des coûts et
teurs financiers et non financiers constitue de différenciation. Le management par les
une démarche intéressante pour les entre- activités constitue un dispositif de gestion
prises qui s’interrogent sur la « valeur » de dont l’objectif est d’apporter une informa-
leur capital intellectuel. Il ne s’agit pas là de tion adaptée à la chaîne de valeur. Il produit
valoriser des actifs mais plutôt de mieux des indications sur le coût des activités et
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permet d’identifier les activités stratégiques capable d’exercer un pilotage par les activi-
en fonction des critères d’achat des clients et tés (et les processus) dont le Balanced Sco-
donc de l’offre de valeur définie par l’entre- recard est une des formes les plus abouties.
prise. Au-delà de cette vision statique, le Néanmoins, si chercher à créer de la valeur
management par les activités s’inscrit dans est légitime et souhaitable, faire ce qu’il
une démarche plus dynamique d’évaluation faut pour éviter d’en détruire semble l’être
des performances des activités et des proces- tout autant. À cet égard, et pour conclure,
sus. En s’appuyant sur des indicateurs essen- nous voulons souligner le rôle primordial
tiellement opérationnels il contribue à d’une autre dimension du contrôle, le
l’équilibre du financier et du non financier contrôle interne.
dont se réclame le Balanced Scorecard9 De manière générale, le contrôle interne est
défini en tant qu’outil de pilotage straté- un processus mis en œuvre par les dirigeants
gique. Il en constitue ainsi l’un des piliers. et le personnel, à quel que niveau que ce
Les stratégies de création de valeur exigent soit, destiné à leur donner en permanence
pour se déployer un contrôle de gestion une assurance raisonnable que les opérations
sont réalisées, sécurisées, optimisées et per- tage, comme l’a très bien montré Simons
mettent ainsi à l’organisation d’atteindre ses (1995) à travers sa typologie des systèmes
objectifs de base, de performance, de renta- de contrôle (figure 6).
bilité et de protection du patrimoine et que Enfin, force est de reconnaître que les diffi-
les informations sont fiables10. Le contrôle cultés de la période actuelle incitent à pro-
interne est ainsi le socle sur lequel la straté- mouvoir les différentes formes de contrôle
gie (de création de valeur) peut se déployer aussi bien dans la création que dans la pro-
et le contrôle de gestion en assurer le pilo- tection de la valeur créée par la stratégie.
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