AVEC LES HERESY IV

La 4e édition, de ces légendaires enceintes à trois voies ultra-compactes et

hautement performantes, perpétue la tradition de fabrication tout en intégrant
des améliorations acoustiques et esthétiques pour faire entrer le génie de
conception de Paul W. Klipsch dans l’ère moderne.

Conçue et fabriquée à la main aux USA

Placage bois véritable
Satin black ash
American walnut
Natural cherry
Distressed oak
NUMÉRO 129
FÉVRIER 2021

72
Bob
Dylan
Flash-back sur
ces conversations
étonnantes entre
le “Zim” et son ami de
toujours, Tony Glover.
Par Douglas Brinkley

52
1971
L’année débute sur les
chapeaux de roues avec le live
du premier concert caritatif
de l’histoire. Le monde se tourne
aussi vers l’espace et s’ouvre
de nouvelles perspectives.
Par Xavier Bonnet
et Sophie Rosemont

60
Robert Wyatt
Retour sur un parcours
qui s’étale sur plus de
cinquante ans.
Par Philippe Barbot

PHOTO DE Don Hunstein

 Sommaire

26
The Black Keys
Le duo américain replonge dans son passé.
Pour notre plus grand bonheur.
par Xavier Bonnet

Le Mix
HOMMAGE
13 Justin Townes
et Steve Earle
Le jeune et brillant
songwriter a bâti sa
propre légende, mais
a été dépassé par
la noirceur qui allait avec.
Quant à son père, il signe
un album poignant.
par JONATHAN BERNSTEIN
RENCONTRE
18 Théo Charaf
Le songwriter lyonnais
sort un album stupéfiant.
À découvrir d’urgence.
par SAMUEL DEGASNE
PHOTO
22
ÎLE DÉSERTE
St Germain
Ludovic Navarre remixe
son premier album avec
la crème des DJ.
par SOPHIE ROSEMONT
CONCERT PRIVÉ
24 The Twin Souls
Le duo sudiste a donné
un concert privé pour
Rolling Stone. Le making
of de l’événement.
par BELKACEM BAHLOULI
30 John Carpenter
Le réalisateur américain
délaisse la caméra
pour ne plus faire que
de la musique.
par XAVIER BONNET
BD
Magazine Guide 91 Guy Delisle
Le plus parisien
ARÈNE POLITIQUE Musique des Québécois revient
sur sa jeunesse
34 Liberté, je twitte DISQUE DU MOIS
au pays de l’hiver.
ton nom 64 Foo Fighters par LORAINE ADAM
Donald Trump a été Avec sa bande, Dave
expulsé des réseaux Grohl signe un album
Livres
sociaux. Mais est-ce surprenant. À découvrir,
donc !
92 Judith
vraiment aux Gafa
de faire la loi ? par ALAIN GOUVRION
Perrignon
Le roman de Détroit
par RENAUD DÉLY
TRÉSOR ENTERRÉ et de son naufrage,
à travers le destin
36 Lignes jaunes 86 Bobby Caldwell
de trois générations
Derrière l’assaut théâtral Disparu puis retrouvé,
d’habitants.
du Capitole, certains il a signé des œuvres
ne veulent voir que
par PHILIPPE BLANCHET
majeures et fait un come-
le dernier outrage de back inattendu.
Donald Trump. PAR BERTRAND DEVEAUD
Dernier mot
par LAURENT BAZIN 98 Werner Herzog
RADIO CLASSIQUE Le réalisateur
PROCÈS “CHARLIE” 88 James Brown légendaire parle de
40 Les eaux noires Plus classique que “Sex
folie inspirée…

20 Bob Marley Rubriques Le dessinateur François Machine”, difficile de

par JASON NEWMAN

Éditorial 5 Boucq raconte trouver, et pourtant elle

L’inoubliable rastaman
Contributeurs 6 graphiquement plus de n’est pas tombée du
fait l’objet d’un livre de
photos souvenir, signé Courrier 7 deux mois d’audiences. chapeau. Flash-back ! En couverture
Playlist 10 Poignant. “One, two, three, four…” Dave Grohl
par sa famille.
par Danny Clinch
©DR

par PATRICK DOYLE

RollingStone.fr 12 par LORAINE ADAM par PHILIPPE BARBOT

4 | Rolling Stone | rollingstone.fr Février 2021

 “D’un point de vue sonore, je tenais vraiment à ce que nous évoluions vers quelque chose

Édito de différent. Quand tu vieillis, c’est le genre de choses qui prend de l’importance chez toi :
avoir cette variété, ces variations, qui te font te lever le matin.”
DAV E GROH L

Par B E L K AC E M B A H L O U L I

2021 ?
L
A NOUVELLE ANNÉE
a commencé sur les
chapeaux de roues,
c’est le moins que
l’on puisse dire. À
croire que le mois
de décembre 2020
se prolonge à l’infini. L’interminable
guérilla électorale que livrent les
électeurs fanatisés de Donald, qui
n’ont pas hésité une seule seconde à
Bruce Springsteen et Pete Seger lors de l’investiture
organiser une action coordonnée vi- de Barack Obama, en janvier 2010.
sant à liquider les élus du Congrès, à
Washington, mènera à un bain de sang, des suicides, des dé- INAUGURATION
missions en masse et un peuple à cran. Comment, en 2021,
dans un pays instruit, avec une longue histoire républicaine, Joe Biden “rocke”
l’une des plus vieilles démocraties au monde, une partie
d’une population peut-elle se fanatiser, s’auto-intoxiquer de PARTAGEZ Washington
fake news, et monter une tentative non pas de putsch, mais VOS IDÉES
d’assassinats en masse des représentants du peuple, tout Pour la cérémonie d’investiture,
NOUS VOUS
simplement en se laissant galvaniser par un Président trop un programme de choix.
ÉCOUTONS !
dingue, d’un égotisme sans limite ? Comment ces gens ont- Écrivez-nous à
redaction@
Les premiers noms commencent à
ils réussi à perdre toute notion de sens commun et d’accep- apparaître au moment ou nous mettons
rollingstone.fr
tation des règles ? Alors ils ne sont qu’une poignée, dit-on, sous presse. Évidemment, l’inusable Bruce
à l’échelle du pays. Mais cette poignée, nourrie de haines Springsteen sera de la partie, comme
et de fantasmes allant de la guerre froide à celle d’indépen- il l’a annoncé sur Tweeter, le 15 janvier.
dance, en passant par la guerre de Sécession, rappelle que On retrouvera aussi, pour cette soirée,
l’unité d’un peuple tient à un fil. À croire qu’ils n’ont rien John Legend, les Foo Fighters, Eva
appris de l’histoire, tant les symboles affichés le 6 janvier Longoria et Kerry Washington. Le comité
dernier lors de la prise d’assaut du Capitole ont donné la inaugural a également avancé les noms de
nausée : drapeaux confédéré et du III e Reich, bannières Lady Gaga, qui chantera l’hymne national
QAnon... Tout était écœurant, jusqu’aux coups d’extinc- – sa vibrante version du Star-Spangled
teur pour tuer un policier. Ces scènes irréelles rappellent Banner, lors de la cérémonie d’ouverture
surtout que Trump s’est non seulement montré sourd aux du Super Bowl 50, en 2016, est encore
signalements du FBI, qui lui rappelait quotidiennement que dans toutes les mémoires – et enfin de
le terrorisme suprémaciste était le premier danger du pays, Jennifer Lopez, qui livrera une
mais qu’en plus, il a encore derrière lui cette frange de, “performance musicale”.
selon ses propres termes, “fine people”. On a connu plus fin.
Si cette parenthèse historique est enfin fermée avec
l’arrivée de Joe Biden à la Maison-Blanche, les plaies, trop
profondes, restent-elles encore ouvertes, voire béantes ?
Comment réussir à réconcilier le meilleur de l’Amérique
dans les années qui viennent ? Et, par-là même, rappeler
aux autres pays, notamment en Europe, tentés par le popu-
lisme, que le seul but de ces régimes est de tout saccager et
de tout renverser.
© LORAINE ADAM/GETTY IMAGES

Février 2021 Rolling Stone | rollingstone.fr | 5

 ROLLING STONE FRANCE

Contributeurs DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : Michel Birnbaum

RÉDACTEUR EN CHEF : Belkacem Bahlouli

SECRÉTAIRE DE RÉDACTION : Stéphane Chaumet
RÉDACTEUR-GRAPHISTE : Monika Jakopetrevska

RÉDACTION : 53, rue Claude-Bernard, 75005 Paris

Tél. : 01 44 39 78 20
redaction@rollingstone.fr

ONT PARTICIPÉ À CE NUMÉRO : Driss Abdi, Loraine

Adam, Philippe Barbot, Laurent Bazin, Yves
Bigot, Philippe Blanchet, Émilie Blon-Metzinger,
Charles Bloch, Xavier Bonnet, Samuel Degasne,
Renaud Dély, Bertrand Deveaud, Alain Frétet,
Damien Glez, Alain Gouvrion, Lauric Henneton,
Dom Kiris, Philippe Langlest, Bruno Patino,
Samuel Regnard, Sophie Rosemont, Alma Rota,
Denis Roulleau, Nadia Sarraï-Desseigne, Jessica
Saval, Silvère Vincent, Francis Zégut.

FABRICATION :
Anne-Lise Gonnet
(gonnet.annelise@positivemedia.fr)
JEFF GOODELL
RÉDACTRICE EN CHEF PÔLE NUMÉRIQUE :
JOURNALISTE ET ÉCRIVAIN
—
Collaborateur de longue date du magazine Rolling Stone US,
Alma Rota (arota@rollingstone.fr)

PUBLICITÉ & PARTENARIATS :

chez l’éditeur : arota@rollingstone.fr
Jeff Goodell est spécialisé dans les questions énergétiques et
environnementales. Si le grand public américain le connaît grâce à ADMINISTRATION ET GESTION :
ses interventions sur les chaînes de télévision, il a été aussi auréolé 53, rue Claude-Bernard, 75005 Paris.
Tél. : 01 44 39 78 20
de plusieurs prix, dont le Grantham Prize et l’award décerné par PRÉSIDENT : Michel Birnbaum
l’American Meteorological Society. Dans ce numéro, il enquête sur
les liens entre climat et pandémies. SERVICE DES VENTES : À Juste Titres
Pascale Delifer (p.delifer@ajustetitres.fr)
Tél. : 04 88 15 12 41
Numéro réservé aux dépositaires
et diffuseurs de presse.
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PHILIPPE BARBOT PRIX ABONNEMENT UN AN : 98,95 €
JOURNALISTE ET MUSICIEN
—
Journaliste musical de Télérama à Rolling Stone, il vient de publier
ROLLING STONE USA

GUS WENNER, PRESIDENT & CHIEF OPERATING OFFICER

une biographie d’Alain Bashung. Il est aussi l’auteur de Backstage, JASON FINE, EDITOR
SEAN WOODS, DEPUTY EDITOR
récit de rencontres avec des artistes internationaux, et de
JOE HUTCHINSON, CREATIVE DIRECTOR
101 Chansons cultes, d’après sa chronique mensuelle dans notre CATRIONA NI AOLAIN, DIRECTOR OF CREATIVE CONTENT
magazine, “Radio Classique”. Auteur-compositeur-interprète, il a
enregistré deux albums de chansons, Point barre et Dynamo. Pour ce JANN S. WENNER, FOUNDER AND EDITORIAL DIRECTOR
numéro, outre sa rubrique habituelle, il tire le portrait de Robert
PENSKE MEDIA CORPORATION (PMC)
Wyatt et signe la nécrologie de Phil Spector.
JAY PENSKE, CHAIRMAN & CEO
GEORGE GROBAR, CHIEF OPERATING OFFICER
DEBASHISH GHOSH, MANAGING DIRECTOR,
INTERNATIONAL MARKETS
KEVIN LABONGE, VICE PRESIDENT, GLOBAL
PARTNERSHIPS & LICENSING
GURJEET CHIMA, SENIOR DIRECTOR, INTERNATIONAL
MARKETS
LAURA ONGARO, EDITORIAL & BRAND DIRECTOR,
INTERNATIONAL

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permission is prohibited. The name ROLLING STONE and the logo thereof are
registered trademarks of Penske Media Corporation. which trademarks have been
licensed to POSITIVE MEDIA.

ROLLING STONE No 129 – MENSUEL, NUMÉRO DE FÉVRIER 2021.

Rolling Stone est une publication éditée par RS FRANCE, SAS au
capital de 1 000 euros. RCS Paris 878 718 436. Siège social et rédac-
tion : 53, rue Claude-Bernard, 75005 Paris. Tél. : 01 44 39 78 20. Dépôt
légal : premier trimestre 2021. Diffusion : MLP. Numéro de commis-
DOUGLAS BRINKLEY sion paritaire : 1220 D 82240. ISSN : 1764-1071. )-0(+ Les
ÉCRIVAIN ET ÉDITEUR documents reçus ne sont pas rendus, et leur envoi implique l’accord

—
Titulaire de la chaire Katherine Tsanoff Brown en sciences humaines,
de l’auteur pour leur libre publication.
© 2021/RS FRANCE

et professeur d’histoire à l’université Rice (Houston, Texas), historien

de CNN, et auteur de Rightful Heritage: Franklin D. Roosevelt and the www.rollingstone.fr
Land of America, Douglas Brinkley écrit régulièrement pour Vanity Fair.
Son amitié avec Bob Dylan est connue, et, pour ce numéro, il revient
sur une autre amitié, celle entretenue par le “Zim” avec le musicien et
critique musical, Tony Glover.
LE PAPIER UTILISÉ POUR ROLLING STONE EST RECYCLABLE.
L’ENSEMBLE DE NOS EXEMPLAIRES EST COMPOSÉ DE PAPIERS CERTIFIÉS
© DR

PEFC, ISSUS DE FORÊTS GÉRÉES DURABLEMENT.

6 | Rolling Stone | rollingstone.fr | Février 2021

Courrier + LETTRES, TWEETS ET MAILS

“Autant je
comprenais
pourquoi vous
mettiez Paul
McCartney en
couverture de
votre dernier
numéro, autant
la présence de Nouveau Western
Taylor Swift La qualité des intervenants, c’est
comme les bons ingrédients quand
me paraissait on fait la cuisine. Et ceux choisis par
Laurent-David Samama m’ont surpris
saugrenue. dans son dernier article. Cependant,

Au final, une j’ai découvert une chose, je ne suis

pas le seul à m’être passionné pour
conversation cette campagne américaine.
PIERRE-MARIE (TOURS)
géniale, merci…”
FRANK (PAR E-MAIL)

Joni Mitchell
L’article consacré à l’incomparable folk-
jazz-pop-musicologue est un véritable
bonheur, de lecture d’un côté, et de tout
ce qu’on a pu y apprendre. Un très bel
hommage à cette femme unique, qui a tant
fait avancer la musique.
CAROLINE (PAR E-MAIL)

Musiciens !
Un grand bravo pour plein
de raisons. Quand on ouvre
le magazine, il est rempli
de texte. Ça peut paraître
dingue de dire ça, mais
c’est vrai. Le papier ? Du
vrai papier, pas glacé, quel
plaisir. Les thèmes et la
qualité du contenu. Je ne
suis pas d’accord avec tout, il y a même des fois où je fais “pffff” en
lisant certaines critiques d’albums, mais qu’on soit d’accord ou non,
c’est toujours plaisant à lire. Et le plus important, ça parle de musiciens
qui parlent de musique. Pas de marques de fringues, de comptes
Insta, d’influenceurs, de marques de godasses. Il n’y a plus beaucoup
de “vraies choses”, mais ce qu’il en reste, Rolling Stone en parle.
UN ABONNÉ (PAR E-MAIL)
Trump ?
@sebastienfolin Il a enfin été éjecté, et je constate
1980 en hélas que le bonhomme continue
80 albums. de faire des siennes. Je tenais à vous
Très beau
millésime !
dire à quel point votre magazine
De là à dire m’a servi de guide dans les méandres
que c’est de Washington, et la pertinence de
le meilleur ? vos enquêtes est imbattable.
Les perspectives dégagées par Lauric
Henneton montrent une qualité
d’analyse rare, qui tranche avec
le côté spectaculaire de la chose.
ARTHUR (PAR E-MAIL)
ÉCRIVEZ À LA RÉDACTION
REDACTION@ROLLINGSTONE.FR
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INSTAGRAM.COM/ROLLINGSTONEFRANCE

Février 2021 rollingstone.fr | Rolling Stone | 7

My Back Pages
Par B RU N O PAT I N O

Ainsi soit-il
VOILÀ, C’EST FINI. England, d’images retrouvées : les quatre qui jouent ensemble et
out. Le Royaume-Uni est donc qui assurent, les sourires, l’atmosphère détendue, Paul
sorti de l’Union européenne, et au sommet, George qui ne fait pas la tête, Ringo, heureux
tout ce qui pouvait être écrit là- d’être là, Yoko et Linda tout sourire, à l’aise en studio, l’hu-
dessus l’a déjà été. À juste titre, mour de John (“And now, the bottles”), et même un sem-
d’ailleurs, car il est peu d’évé- blant de bonne ambiance sur le toit. Mais de l’autre, cette
nements qui portent autant de mise en abyme (le film qui raconte le making of d’un film
signes de l’époque que celui- sur le making of d’un film) nous fait l’impression d’une
là. Comme le dit l’horrible sorte de réécriture de l’histoire. On avait admis, lors de
expression, “il coche toutes l’édition 2018 du White Album, que les relations n’étaient
les cases”. Et notamment pas si mauvaises que cela. Mais Let it Be, c’était bien un
celles du laboratoire européen album de divorce avant l’heure, non ? Le témoignage brut
de la dégradation de l’espace de la fin de quelque chose qui fut bien plus qu’un groupe
public par l’irruption du mensonge comme méthode de ou qu’un phénomène (même si l’ordre chronologique des
conquête politique, de l’utilisation des réseaux sociaux albums ne fut pas celui des sessions). C’est comme si Peter
comme instrument de déploiement de cette politique, Jackson voulait nous faire croire que tout, du début à la
de la croyance comme acide létal sur la raison héritée fin, n’avait été qu’enthousiasme et conquête, comme dans
des Grecs, et de la bouffonne- le Eight Days a Week, de Ron
rie comme style d’exercice de Howard, qui relatait la tournée
américaine et le Shea Stadium.
pouvoir (selon les termes expli-
qués par Christian Salmon dans La conquête Cette longue bande-annonce
son formidable livre). On peut
y voir également la traduction,
culturelle avait nous prive du récit précédent,
celui de la fin d’un groupe qui
dans l’histoire qui se fait, de la
perte de confiance envers les
remplacé les annonçait la fin d’une époque.
Au moment même où ce qui
médias d’information et envers
les institutions (les deux allant
conquêtes restait de cette époque semble
définitivement révolu. Les Beat-
souvent de pair). Et, enfin, la
preuve du manque d’attrait, face
maritimes. La les sont bien sûr indissociables
de l’émergence du Swinging
au malaise social et à la peur du
déclassement, des constructions
musique, la culture London, ils y ont participé tout
comme ils en ont bénéficié. De
rationnelles, qui semblent inca- et Marie Quant ce moment où la conquête cultu-
pables de mettre un soupçon de relle et l’ouverture universelle
séduction émotionnelle sur leur contre un empire… avaient remplacé les conquêtes
raisonnement un tant soit peu maritimes. L a musique, la
trop bureaucratique. L’avenir culture et Marie Quant contre
seul dira s’il y a eu effectivement deux perdants dans ce di- un empire, comment ne pas être d’accord ? Londres avait
vorce, si celui qui part souffrira plus que ceux qui restent, alors suffisamment confiance en elle pour accueillir la pla-
ou si chacun refait sa vie de façon heureuse. L’auteur de nète, et pas seulement financière. Let It Be, la version origi-
ces lignes ne prédit pas l’avenir, et ce n’est pas l’objet de nale, c’est l’instant zéro du Brexit : l’annonce irrémédiable
cette chronique, dont le titre revendique une part de nos- que la parenthèse enchantée des sixties a commencé à
talgie assumée. La Grande-Bretagne a cédé, à nouveau, à se refermer, que Londres, à un moment ou à un autre,
son identité insulaire, et on sait les îles toujours tiraillées cessera d’être une ville-planète pour redevenir la capitale
entre expansion maritime et isolationnisme terrestre. du Royaume-Uni, voire à terme de la seule Angleterre. La
Elle s’est détachée du continent en espérant à nouveau le réécriture jacksonienne, alors même que cette fermeture
grand large, alors même qu’elle n’a plus d’empire. paraît désormais achevée, semble arriver à contretemps,
Je ne peux m’empêcher de faire le rapprochement, et c’est sans doute pour cela qu’elle s’appellera Get Back.
hasardeux j’en conviens, entre ce divorce et un autre, Il fut une époque où nous étions nombreux à rêver
entre l’Angleterre qui claque la porte de l’Union euro- d’une “maison bleue accrochée à la colline”. L’Amérique
péenne et les images diffusées sur les réseaux du prochain pour les plus audacieux ou les plus fortunés, la Grande-
long-métrage à venir de Peter Jackson sur les Beatles, qui Bretagne pour les moins téméraires ou les plus fauchés,
évoquera dans un film ce qui fut aussi un projet de film. c’était la porte ouverte au fait de sortir de sa banlieue, et
Let It Be. Il n’a pas fallu longtemps pour que les compteurs de quitter sa condition sociale en oubliant, pour un temps,
de visionnage de la planète s’affolent devant les 7 minutes sa géographie.
mises à disposition. Mais il était également difficile de ne La promesse était à portée de charter ou de bus. Au-
pas être partagé face à ses images. D’un côté, bien sûr, jourd’hui, “ceux qui vivent là ont remis la clé”. Et nous
l’enthousiasme face aux scènes exhumées des 56 heures voilà comme orphelins d’une promesse. Let It Be…

8 | Rolling Stone | rollingstone.fr Février 2021

 L’Hebdo
Le magazine qui se lit,
se regarde et s’écoute. Chaque
semaine, un condensé
de toute l’actualité en version
100 % interactive*
ROLLINGSTONE.FR/HEBDO
*INCLUS POUR TOUT ABONNEMENT
INTÉGRAL OU NUMÉRIQUE
Le Mix
5 GEORGE
3
1. Paul McCartney
Deep Deep Feeling
(EMI)
Pionnier du home studio,
il y a cinquante ans, Paul
McCartney a transformé
le lockdown mondial en
ce qu’il appelle
un “Rockdown intimiste”.
On est donc plongé dans
la tête de la légende de
78 ans, qui n’a plus rien à
prouver, et peut s’évader
sur “Deep Deep Feeling”,
un grand huit du même
nombre de minutes qui
résume la créativité de
McCartney III.
2. Songhoy Blues
Badala (Transgressive)
Le salut du rock passe par
l’Afrique, surtout quand
Songhoy Blues, groupe
malien exilé à Londres,
branche ses guitares
électriques. Une vraie
jouissance débridée à
coup de riffs que ne
renierait pas Jimmy Page
ou Jimi Hendrix. C’est en
même temps un acte
de résistance festif pour
ce groupe plein d’espoir,
au point de baptiser
10 | Rolling Stone | rollingstone.fr | Février 2021
PLAYLIST
DOM KIRIS DE OÜI FM
PRÉSENTE SES COUPS
DE CŒUR DU MOIS
leur nouvel album,
Optimisme.
3. Aaron Lee Tasjan
Up All Night (New West)
Encore un secret bien
gardé du côté de
Nashville. Guitariste
connu comme le loup
blanc dans le milieu
des musiciens, Aaron Lee
Tasjan sort un album
somptueux en hommage
aux grandes heures de
la pop, des Beatles
à Electric Light Orchestra.
En préliminaire, “Up All
Night” en clin d’œil à Tom
Petty, annonce déjà
un disque incontournable
de 2021.
4. The Dirty Knobs
Wreckless Abandon
(BMG)
Si vous voulez savoir
qui se cache derrière
1
4
The Dirty Knobs, tournez
le bouton de votre player.
Dès les premiers accords
de “Wreckless Abandon”,
le jeu de guitare
carillonnant de Mike
Campbell s’impose
comme un hommage à
son leader disparu, Tom
Petty. Avec ce premier
album, l’ex Heartbreakers
place son statut de
guitariste de légende en
pleine lumière.
5. Aaron Frazer
Bad News (Easy Eye
sound/Dead Ocean)
Dans son studio de
Nashville, Dan Auerbach,
des Black Keys, est
toujours aux aguets pour
produire de véritables
pépites. Cette fois, dans
un registre sweet soul
music, il a pris sous son
aile la voix de falsetto de
Aaron Frazer. Non
seulement ce chanteur-
Chroniques
de disques
et playlists de
la rédaction sur
rollingstone.fr
batteur chante comme
un ange, mais il compose
comme un dieu de la soul,
entre Marvin Gaye et Curtis
Mayfield. Il arrive même
à nous faire passer les “Bad
News” de 2020 pour du pur
bonheur.
6. Please
Of Our Own (auto-prod)
Constitué de quatre jeunes
musiciens unis par un jeu
tout en harmonie, le groupe
Please fait revivre le rock
estampillé 1960/1970 de
Buffalo Springfield, The
Band, jusqu’à Supertramp.
Superbe entrée en matière,
“Of Our Own” est une
émouvante ballade extraite
d’un premier EP cinq titres,
réalisé avec soin par
ces Parisiens vivant sur
la même planète ensoleillée
que Lemon Twigs et
Foxygen.
MA
LISTE
& MOI
Sigolène Vinson
Survivante de Charlie
Hebdo, Sigolène
Vinson publie
La Canine de George,
aux éditions de
L’Observatoire, un
hommage vibrant aux
mots et à la musique.
BALLAD OF SIR
FRANKIE CRISP
(LET IT ROLL)
sur l’album All Things
Must Pass. Inspirée par
l’ancien propriétaire de
Friar Park, le manoir
néogothique racheté par
George Harrison, elle
n’aurait pu être qu’une
herbe folle. C’est
une liane d’argent
au charme euphorisant
et mélancolique.
STUCK INSIDE
A CLOUD
sur l’album Brainwashed.
Elle semble annoncer
la fin, alors même que
c’est un album posthume.
Pour peu qu’on aime
George Harrison et la
guitare slide, on pleure.
DARK HORSE
sur l’album Dark Horse.
Je l’aime car il a une
laryngite au moment où
il l’enregistre, et l’on
distingue encore plus
la cicatrice dans sa voix.
I NEED YOU
sur l’album Help! J’aime
sa voix, alors quand il
nous offre une chanson
polyphonique où il
la double, je m’y vautre.
MOTHER DIVINE
© SANDRA SURMENIAN) / DR
démo. Je ne crois en rien,
sinon en cette “Mother
Divine”. Pour ce quelque
chose dans la voix de
joyeux et de déchirant
à la fois, comme
une douleur exquise.
Sign o’ the times
Par Y V E S B I G O T

Gotta serve somebody

ON SAIT L’EFFET destructeur de la pandémie planétaire sur les
concerts, tournées, festivals, disquaires, revenus et avenir des
artistes, musiciens et nombreuses professions associées. Que
restera-t-il de ses effets sur la création, solitaire ou en ligne ?
Sans préjuger de ce qui arrivera en 2021 (Sade, Arcade Fire,
Raphaël…), surtout si la crise sanitaire devait se prolonger, ses
effets isolants ont déjà conduit à différentes déclinaisons mai-
son, de McCartney III au Folklore de Taylor Swift (avec Aaron
Dessner de The National et Bon Iver), salués en couverture
du Stone du mois dernier, en passant par Tales of Isolation
( J.S. Ondara), Love in The Midst of Mayhem ( Joe Ely) et The New
OK (Drive-By Truckers).
Il y eut aussi le caritatif “One World: Together at Home”,
globalement pathétique, qui ne fit sensation qu’à travers la prestation préenregistrée
d’un “You Can’t Always Get What You Want” de circonstance. Cinq jours plus tard, “them
British bad boys the Rolling Stones” (Dylan, dans “I Contain
Multitudes”) lâchaient “Living in a Ghost Town”, prémices de
cet album qui n’en finit plus de ne pas arriver.
Les initiatives de prestations en ligne se sont multipliées, des
pires aux meilleures. Notamment les sessions “In My Room”
de ce magazine, auxquelles se sont prêtées nos icônes (Brian
Wilson, Graham Nash, Jonathan Wilson, Steve Earle, Larkin
Poe, Angélique Kidjo, etc.), dont certaines étendues à des
aventures familiales confinées : John Fogerty, ses deux fils et sa
fille, livrent Fogerty’s Factory qui mêle ses classiques et reprises
de “Lean on Me” et “City of New Orleans”. Neil Young a offert
une série de “Fireside Sessions”, dont la dernière préservée
par le EP The Times. Mais les réalités économiques ont rap-
pelé les artistes désorientés et bricoleurs à la raison : reprises
à l’iPhone, concerts et émissions de télévision virtuels leur
permettent de tromper l’ennui et la peur de l’oubli, mais pas
de gagner leur vie.
Van Morrison et Eric Clapton ont justement enregistré “Stand
and Deliver” au profit des musiciens britanniques désœuvrés. PERFORMANCE LIVESTREAM
Lucinda Williams a lancé “Lu’s Jukebox”, concerts thématiques Après le livestream payant de sa performance solo dans un
Alexandra Palace de Londres vide, Nick Cave publie cet Idiot
en pay per view (dont Runnin’ Down a Dream: A Tribute to Tom
Prayer, premier chef-d’œuvre de cette période stupéfiante.
Petty), au bénéfice des salles de spectacles indépendantes.
Après le livestream payant de sa performance solo dans un
Alexandra Palace de Londres vide, Nick Cave publie cet Idiot Prayer, premier chef-
d’œuvre de cette période stupéfiante, dans la foulée de sa tournée “Conversations with
Nick Cave” où il répondait aux questions du public et interprétait son répertoire au piano.
Metallica, Paul Weller, Liam Gallagher, Björk, Gorillaz, Laura Marling, pour l’équivalent
du prix d’un CD, ont aussi livré des prestations en ligne filmées professionnellement.
Même si l’offre explose, le seuil de rentabilité moyen se situant aux alentours de 35 000 €,
cela ne fonctionne que pour des artistes d’une certaine notoriété, et dont le public est
engagé dans la consommation immatérielle. Tout le monde ne réalisera pas un bénéfice
de 23 millions de dollars comme le groupe de K-pop coréen, BTS.
En France, Rodolphe Burger, pour qui “la gratuité est la mort des artistes”, mettait en
ligne un concert facturé de 15 à 50 € avec 444 clients pour une recette de 11 000 €, dé-
ficitaire d’un tiers. Grâce à des soutiens locaux et à la diffusion sur Arte, il s’en sort tout
juste. Gims, lui, s’apprête à se faire autre chose en or que sa chaîne. À l’instar de Cave,
dont la seule diffusion a rapporté 600 000 € sans compter le chiffre d’affaires à venir du
DVD et du double CD. Une Idiot Prayer ? Pas sûr…

Février 2021 rollingstone.fr | Rolling Stone | 11

 Retrouvez
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MUSIC BUSINESS
Bandsintown se renouvelle
La marque annonce la sortie d’une plateforme avec
du contenu live à foison : à défaut d’aller en concert,
Bandsintown propose, via cette nouvelle plateforme
en ligne, une alternative idéale !

VIDÉO
Bafang en mode
influenceur
Le duo afro-rock Bafang
poursuit sa mission
d’“ambiançage” de masse
avec son nouveau single,
“Ngo Mee”, titre à la texture
chaude et aux riffs
percutants. Le clip,
tourné en format “story”,
est une satire délirante VIDÉO 2
des réseaux sociaux. “Les premières fois”
de Bruce Springsteen Neil Young
Alors qu’il sort un nouvel
album, Bruce Springsteen, désarchive !
partage quelques souvenirs
musicaux qui ont forgé sa Si le coffret de dix disques
carrière : The Beatles, Bob Archives: Volume II 1972-1976 arrive
Dylan, et des répétitions avec en mars prochain, le “Loner” a
son tout premier groupe…
annoncé que Way Down in the Rust
Interview “Première fois” !
Bucket, un live enregistré en 1990,
sortira, lui, le 26 février sous forme
d’un film et d’un double album.
MUSIQUE
L’hommage à Gang of Four
En mai sortira un album hommage à Gang of Four, The
Problem of Leisure: A Celebration of Andy Gill and Gang of
Four, en hommage au guitariste du groupe, décédé en février SUIVEZ-NOUS
2020, avec Tom Morello, Serj Tankian, Flea et John Frusciante. CINÉMA
Wonder Woman part. III
Wonder Woman 1984
© ROLLING STONE FRANCE/ YOUTUBE /HENRY DILTZ/GETTY

RollingStoneFR à peine sorti

(simultanément dans les
salles et en streaming),
rollingstonefrance Warner confirme l’arrivée
du troisième volet, avec
toujours Patty Jenkins
RollingStoneFra derrière la caméra.

FLASHEZ LE CODE

12 | Rolling Stone | rollingstone.fr Février 2021

QUOI DE NEUF DANS LE ROCK ?

Hommage
La ballade
de Justin
Townes Earle
Songwriter brillant, il a bâti
sa propre légende, mais
a été dépassé par la noirceur
qui allait avec.
Par JONATHAN BERNSTEIN
Photo de JOSHUA BLACK WILKINS

Février 2021 | rollingstone.fr | Rolling Stone | 13

Le Mix
JUSTIN TOWNES EARLE

U
N JOUR DE
PRINTEMPS
2018, Jenn
Marie Earle fait
la vaisselle dans sa maison
de Portland (Oregon),
quand son mari, Justin
Townes Earle, entre dans
la cuisine pour jouer
une chanson qu’il vient
d’écrire.
Dès qu’il se met à chanter,
les larmes de Jenn Marie
coulent. En surface, “Ahi
Esta Mi Niña” est l’histoire
d’un père portoricain
tentant de renouer avec
sa fille après une longue
peine de prison. Mais
Jenn Marie comprend
qu’elle parle de la douleur
de son mari. Sa carrière
a plafonné ces dernières
années et il craint de ne
plus subvenir à leurs
besoins.
L’album que Justin écrit
dans une pièce sombre,
au sous-sol, dernier sorti
de son vivant, s’intitule
The Saint of Lost Causes.
“Je pense qu’il admettait
sa défaite en de nombreux
points”, a dit Jenn Marie.
En 2010, Earle perce
avec Harlem River Blues,
et ses chansons parlant de
conducteurs de métro,
d’addiction et de petits
appartements à Brooklyn,
sur fond de gospel, de folk
et de country-blues.
Il transcende alors les
comparaisons constantes
avec son père, Steve
Earle, et est sur le point
de devenir la première
superstar solo de ce genre
musical roots, bientôt
appelé americana.
Sur scène, Earle est
électrisant : 1,95 mètre,
vêtu de costumes vintage,
jouant un style de
fingerpicking furieux,
appris en écoutant
le bluesman Mance
Lipscomb. Il adopte
le rôle du troubadour
blasé, digne de celui qui
inspira son prénom,
forte impression à ceux
qui l’ont connu. “Il menait
la vie de certaines légendes
de la country”, dit un
vieux copain de tournée,
James Felice, des Felice
Brothers. Fils d’un
musicien qui connaît très
bien le métier, Earle
consolide sa légende sur
et hors de scène,
partageant des histoires
tragicomiques sur
ses overdoses d’héroïne
à l’adolescence et ses
bagarres dans les bars qui
lui ont coûté des dents.
Mais ce personnage
masque des problèmes
de santé mentale et
d’addiction, s’aggravant
alors que sa carrière
stagne. “C’est un miracle
que j’ai atteint la trentaine,
a-t-il déclaré un jour, et
je le crois sincèrement.”
Au fil du temps, son
insécurité s’accroît. Après
avoir écrit The Saint of
Lost Causes, en 2018, Earle
entre en désintoxication, FAMILLE
“Tout ce que
traitement suivi plus d’une
Justin a appris,
douzaine de fois, puis il l’a appris
part en studio. Cet album de son père”,
très vulnérable peut être dit son ami et
l’occasion d’un virage photographe,
dans sa carrière, et son Joshua Black
Wilkins.
label, New West Records,
est excité. Mais quand
Earle reprend la route
à l’automne 2019, il s’est épuisé. Le 21 juillet, il est lui dit : “Je ne veux pas
remis à boire au point que À SAVOIR admis dans un hôpital de t’enterrer.”
ses musiciens craignent Nashville pour soigner Puis plus personne n’a
qu’il ne finisse pas DISCOGRAPHIE une pneumonie et subit de nouvelles. Quand
la tournée. Justin Townes Earle a sorti une opération aux la police de Nashville
9 albums au cours de sa
En janvier 2020, Jenn poumons. À sa sortie, passe le dimanche soir,
carrière musicale et a
Marie l’aide à louer un remporté 2 Americana
le 2 août, son docteur elle le trouve mort
appartement à Nashville, Music Awards… le prévient que son corps chez lui. L’analyse
où il pourra vivre ADDICTION
ne supportera pas qu’il toxicologique établit qu’il
temporairement seul pour Le musicien a beaucoup se remette à boire. a succombé à une
se concentrer sur ses évoqué son combat contre “On a cru que ce serait overdose accidentelle
projets. Il se lance dans les addictions, qui ont fait que un signal d’alarme”, se d’un mélange d’alcool et
une tournée solo en mars, son père l’a viré de son souvient Jenn Marie. de cocaïne coupée au
qui s’arrête au bout groupe. Pas pour Justin. “Il m’a fentanyl, opiacé
d’un concert à cause de FAMILLE toujours répété : ‘Les Earle responsable du décès de
la pandémie. Confiné à Justin a épousé Jenn Marie ne meurent pas, on est Prince et de Tom Petty,
Nashville, Earle perd pied. Maynard en 2013, et le couple invincibles’”, rappelle entre autres.
a eu une fille, Etta, en 2017.
“Il avait besoin d’un public, Laurens Kusters, manager À la fin des années
dit son ami et producteur, PÈRE ET FILS et confident, qui le voit 1970, Steve Earle
Quand il évoquait son enfance
Steve Poulton. Il était à sa sortie de l’hôpital. rencontre Carol-Ann
à Nashville, il se présentait en
habitué à donner et à Le 20 août, il parle au Hunter dans un bar de
tant que fils d’un célèbre
© JOSHUA BLACK WILKINS

le génie autodestructeur
de la country-folk,
Townes Van Zandt,
un ami de son père.
Sa personnalité
magnétique a laissé une
recevoir de l’énergie.”
Mais selon ses amis et
sa famille, Earle se débat
toujours avec l’addiction.
À 38 ans, deux décennies
de dépendance l’ont
auteur-compositeur-interprète.
NASHVILLE
Justin a participé à
un documentaire saisissant
sur l’histoire de Music City.
téléphone avec un Earle
optimiste et agité. “Il était
nerveux, voulait tourner
à nouveau.” Selon le New
York Times, il appelle son
père le même jour, lequel
Nashville où elle travaille.
Ils se marient en 1981, et
Justin naît un an plus tard.
Il a 4 ans quand
ses parents se séparent,
en 1986 ; cette année-là,

14 | Rolling Stone | rollingstone.fr Février 2021


Steve Earle devient
une star improbable de la
country avec son premier
album, Guitar Town.
La chanson “Little Rock
’N’ Roller” est la promesse
d’un musicien en tournée
à son fils : “Un de ces jours
quand tu seras plus grand,
tu monteras dans le grand
bus et tout ira bien.”
Justin passe son enfance
avec sa mère dans
un quartier difficile du
sud de Nashville où il est
exposé à la drogue, et
quitte l’école à 14 ans.
Il se met à voir plus
souvent son père et
tourne avec lui comme
roadie, puis travaille pour
son label.
À la fin des années
1990, Justin intègre
son premier groupe,
les Swindlers, dont les
membres ont des pères
Février 2021
songwriters ou musiciens
connus à Nashville.
Dès l’adolescence,
il écrit des chansons très
adultes sur la solitude et
le désespoir, comme
“Rogers Park”.
En tant que jeune
compositeur, Justin
cherche l’approbation de
son père, qui ne vient pas
aisément au début.
Un jour, alors que
les Swindlers ont fini un
concert avec une nouvelle
composition, “Maria”,
Steve demande à Justin de
quelle chanson d’Elvis
Costello il s’agit. Plus
d’une décennie après,
Justin est encore fier de ce
compliment involontaire.
Les Swindlers finissent
par s’éloigner, et Justin se
concentre sur sa musique.
En 2006, Earle et un ami,
le chanteur, songwriter et
photographe Joshua Black
Wilkins, se lancent dans
une tournée commune.
Wilkins suggère à Earle
d’utiliser son deuxième
prénom, Townes. Earle va
jusqu’à se le faire tatouer
sous la gorge.
Malgré son talent, Justin
n’est jamais libéré de
l’ombre paternelle. Leur
relation compliquée
devient l’un de ses thèmes
de prédilection, de
“Mama’s Eyes” (“Je suis
le fils de mon père”) en
2009 à “Am I That Lonely
“Je ne peux
pas lui
en vouloir
tant que ça”,
a dit un jour
Justin
à propos de
son père,
Steve Earle.
“Je lui
ressemble
plus que
je ne
le pensais.”
Tonight?” (“J’entends mon
père à la radio”), en 2012,
en passant par l’album de
2015, Absent Fathers.
Quand Earle sort son
premier album, en 2008,
il a 26 ans et connaît sa
première longue période
de sobriété à l’âge adulte.
Il se forge un public loyal
en jouant des centaines
de shows par an en duo
acoustique avec l’ex-
Swindlers, Cory Younts.
Lorsqu’il enregistre
Harlem River Blues, tout
le monde, de Jason Isbell
à Ketch Secor, du Old
Crow Medicine Show,
vient jouer ou chanter
dessus. Il lui permet de
percer, même si Earle
sabote ce moment. Deux
jours après sa sortie, il est
arrêté à Indianapolis et
accusé d’agression,
d’ivresse sur la voie
publique et d’insulte à
agent après avoir saccagé
une loge et, soi-disant,
frappé la fille du
propriétaire d’un club
(Earle nie les accusations,
abandonnées au final.)
Dix jours plus tard,
il retourne en
désintoxication, retardant
la tournée la plus en vue
de sa carrière. Harlem
River Blues devient
toutefois son disque
le plus vendu.
“Entre le nom, son allure
et sa réputation de bad
boy, Justin avait tout pour
qu’on dise de lui : ‘Si tout
marche, ce gars peut
devenir une icône’, confie
Justin Eshak, son manager
de 2010 à 2012. Il me
faisait beaucoup penser
à Amy Winehouse,
bizarrement…”
Après une autre cure,
Earle doit prendre du
Suboxone, médicament
prescrit contre la
dépendance aux opiacés.
À cette période, il se
coupe de nombreuses
relations personnelles et
professionnelles.
Mais il se met aussi à
sortir avec Jenn Marie
Maynard, adolescente
rencontrée dans sa ville
de Salt Lake City. Earle est
fascinée par cette
ancienne athlète qui
possède un studio de yoga
et est presque aussi
grande et dégingandée
que lui. En octobre 2013,
ils se marient.
Il enregistre un double
album, qu’il finit par
sortir sur deux disques :
Single Mothers et Absent
Fathers. Ils reçoivent
nettement moins
d’attention que
les précédents.
Lassés de Nashville,
Justin et Jenn Marie
s’installent dans un coin
isolé du nord de
la Californie. Il s’y plaît
d’abord, dévorant des
livres sur la guerre de
sécession, se promenant
chaque matin avec leur
chien sur la plage, où
il ramasse des objets
rouillés qu’il expose dans
sa cour.
Earle fascine toujours
le public, mais hors de
scène, il se débat avec
rollingstone.fr | Rolling Stone | 15
des problèmes de santé
mentale. En Californie,
il arrête le Suboxone.
“Ses vieilles addictions ont
commencé à revenir”,
explique Jenn Marie.
Quand Earle se rend à
Omaha pour enregistrer,
il apprend qu’il va devenir
père. Il appelle aussitôt
le sien. À la naissance
de sa fille, Etta, il est fou
de joie. Ils s’installent
à Portland (Oregon),
lorsqu’elle a un an. Être
père le rapproche de son
propre père.
Earle admet à ses
proches qu’il n’est pas
encore prêt, à plus
de 35 ans, à se battre
contre ses démons. “Il m’a
dit il y a deux ans que ses
démons le rattrapaient et
qu’il était prêt à lutter, dit
Jenn Marie. Puis il a
aussitôt décidé
le contraire.”
Il a souvent camouflé
ses moments les plus
intimes dans des styles
blues ou honky-tonk
anciens pour donner
l’impression qu’il ne
parlait pas de lui. Mais sur
la dernière chanson de
The Saint of Lost Causes,
“Talking to Myself”, il n’a
jamais été plus direct :
“Je souffre beaucoup et j’ai
besoin d’aide/Je n’ose le dire
à personne.”
Jenn Marie et Etta
viennent le voir
à plusieurs reprises à
Nashville, en 2020.
La dernière fois que
la famille est réunie, peu
avant sa mort, Jenn et
Justin repassent chez
leurs antiquaires favoris et
emmènent Etta dans
des parcs où il a joué,
enfant. Quand, à la fin
du séjour, Jenn Marie et
Etta montent en voiture
pour aller à l’aéroport,
elles baissent la vitre.
Justin crie : “Je vous aime”
et elles lui répondent.
“Ça brise le cœur, dit Jenn
Marie en repensant à
ce moment. J’aurais aimé
l’empoigner et lui dire :
‘Tu rentres. Merde au
business et au côté
pratique.’ Mais il ne serait
pas venu. Il aurait trouvé
une excuse pour rester
seul, parce qu’il était
comme ça.”
Le Mix
DISPARITION
Phil Spector 1939-2021
Le producteur qui a révolutionné le son du rock au début des années 1960
est décédé le 16 janvier, à l’âge de 81 ans. Par PHILIPPE BARBOT
S
A MORT A été confirmée par le Départe-
ment des services correctionnels et de
réinsertion californien : “Le décès de
Phillip Spector, détenu dans un établisse-
ment de soins de santé de Californie, a été pro-
noncé de cause naturelle à 18 h 35 le samedi 16 jan-
vier 2021.” Sa vie aura été tumultueuse et
finalement tragique ; aussi révolutionnaires
qu’aient pu être ses réalisations en studio, elles
ont été éclipsées par sa condamnation en 2009
pour le meurtre de l’actrice Lana Clarkson.
À lui seul, Phil Spector a écrit une page
essentielle de l’histoire de la musique. Avant
de défrayer la chronique judiciaire, celui qui,
depuis les années 1990, s’était ou presque retiré
du monde musical, était qualifié de “Tycoon of
Teen” (“Tycoon de la jeunesse”) et a surtout fait
les beaux jours des hit-parades des années 1960
et 1970. Avant lui, on ne parlait pas de produc-
teur, au sens artistique du terme.
Sa vie bascule à 5 heures du matin, ce 3 fé-
vrier 2003, au 1700 South Grandview Drive,
dans le quartier d’Alhambra, banlieue de Los
Angeles. Échevelé, tenant un pistolet à la main,
il surgit sur le perron d’une étrange “man-
sion”. Quelques minutes après, les flics arrivés
à grand renfort de sirènes découvrent le corps
16 | Rolling Stone | rollingstone.fr
d’une femme blonde, assise sur un fauteuil
dans le hall de la maison, une balle de revol-
ver calibre 38 dans la tête. Elle s’appelle Lana
Clarkson, actrice de série B comme il en existe
sans doute des milliers à Hollywood, une belle
blonde de 40 ans, fan de Marilyn Monroe ; a
joué dans quelques productions du cinéaste
de science-fiction série Z, Roger Corman, des
rôles du genre “Barbarian Queen” ou “Amazon
Woman”. Quant au propriétaire de la maison,
il est plus singulier puisqu’il répond au nom de
Harvey Phillip Spector. Avant de l’embarquer
au poste, les policiers doivent faire usage d’un
pistolet Taser pour le maîtriser.
Surnommée “Pyrenees Castle”, cette bâtisse
est une sorte de faux château rococo surmonté
d’une tour vaguement médiévale, avec un parc
façon jungle de palmiers et une fontaine à jets
d’eau. C’est là, dans cet ancien hôtel recyclé en
manoir de luxe, que vivait Phil Spector depuis
1998. Vivre, c’est un bien grand mot pour dési-
gner l’activité de ce reclus excentrique qui ne
dédaigne pas se balader en costume de Batman
dans les dix chambres de sa vaste demeure,
change de tenue plus de trois fois par jour,
reçoit peu et sort encore moins. Une sorte de
Howard Hughes furtif au profil de vampire et
STUDIO
Avec Tina et Ike
Turner, lors de
l’enregistrement
de River Deep,
Mountain High,
en 1965. Le single
sortira l’année
suivante.
à la tignasse de savant fou. D’ailleurs, ne le sur-
nommait-on pas “The Mad Genius”, au temps
de sa gloire ?
Mais ce type était une légende. Au milieu
des années 1960, à 25 ans à peine, ce natif du
Bronx a inventé, outre le métier de produc-
teur, mieux que des riffs, mieux que des tubes,
mieux qu’un style : un son. Le “Wall of Sound”,
une griffe sonore quasi symphonique, sculptée
à base de violons, de pianos et de chambres
d’écho ; une révolution dans le petit monde du
disque. Les Ronettes, les Crystals, les Righteous
Brothers, Ike et Tina Turner sont passés entre
ses manettes de magicien timbré, d’inventeur
de la pierre philosophale pop. On prétendait à
l’époque qu’il suffisait que Spector arrange une
chanson pour qu’elle devienne un tube, car tout
ce qu’il touche se transforme en or : “Be My
Baby” “Unchained Melody”, “You’ve Lost That
Lovin’ Feelin’” ou “River Deep, Mountain High”,
© RAY AVERY/GETTY IMAGES
standards universels parmi d’autres façonnés
par le “First Tycoon of Teen”, comme l’a un jour
de 1966 surnommé le journaliste Tom Wolfe.
Plus tard, les Beatles de Let It Be, le Lennon
d’“Instant Karma” ou le Harrison de All Things
Must Pass feront appel à ses services, avec plus
ou moins de bonheur. Jusqu’à Leonard Cohen
Février 2021
et les Ramones, à l’orée des années 1980, alors que
son étoile commençait à pâlir, ternie par ses caprices
et ses colères légendaires. On l’a souvent décrit débar-
quant en studio armé jusqu’aux dents et invariable-
ment entouré d’une armada de gorilles menaçants,
braquant son flingue sur quiconque songeait à discu-
ter ses ordres, juste parce qu’il ne supportait pas la
contrariété – qu’elle émane de John Lennon, Leonard
Cohen ou Dee Dee Ramone –, séquestrant les bandes
magnétiques ou parfois même les artistes… Sa propre
femme, Ronnie, a dû fuir à jamais le domicile conjugal
en s’évadant, en nuisette et pieds nus, dans la rue.
La Toya Jackson et d’autres femmes plus ou moins
célèbres affirment avoir été séquestrées plusieurs jours
chez Spector. Bref, le mec est complètement frappé,
comme il l’a lui-même un jour avoué au quotidien
anglais The Daily Telegraph : “Je suis vraiment dingo, j’ai
une personnalité bipolaire, je suis mon pire ennemi…”
C’est auréolé de cette sulfureuse réputation que
débarque Phil Spector, 67 ans, devant un tribunal de
Los Angeles, en avril 2007, inculpé du meurtre de Lana
Clarkson. Il comparaît libre, après avoir acquitté une
caution d’un million de dollars. Malgré les avocats pres-
tigieux dont il s’entoure (parmi eux, un certain Robert
Shapiro, qui s’est illustré dans un autre procès média-
tique, celui d’O.J. Simpson), la défense de l’accusé est
simple, voire simplette : non, il n’a jamais prononcé les
paroles rapportées par son chauffeur (“Je crois que je
viens de tuer quelqu’un”), l’actrice s’est suicidée chez lui,
rien de plus. “Elle a embrassé le
flingue avant d’appuyer sur la
gâchette”, précisera même un “Je suis
Spector pourtant peu loquace
et étrangement absent pendant vraiment
toute la durée des débats. Ce
soir de février 2003, il affirme
dingo,
avoir rencontré l’actrice dans j’ai une
un club VIP, le House of Blues,
et l’avoir emmenée chez lui à la personnalité
demande de la jeune femme.
Après cinq mois de procès et
bipolaire,
quinze jours de délibérations, je suis
le jury ne parviendra pas à
rendre un jugement à l’unani- mon pire
mité (10 voix pour sa culpabilité
contre 2 pour son innocence).
ennemi…”
Et Spector, comme c’est la
règle, sortira libre du tribunal, au bras de Rachelle, la
jeune femme de quarante ans sa cadette qu’il a épou-
sée quelques mois seulement après la mort de Lana
Clarkson… Et dont, bien évidemment, il va produire
le premier album.
Le 20 octobre 2008 débute un second procès, au
cours duquel Spector apparaît toujours impassible,
planqué derrière ses verres fumés roses ou bleus, mais
affublé au fil des jours de diverses perruques, tignasse
crêpée façon victime d’électrocution, coupe au bol
blonde à la Noureev ou brushing bouclé à la mode
Robert Plant. Un festival de looks qui laisse de marbre
le juge Larry Paul Fidler, le procureur star Alan Jackson
et surtout les jurés : le 13 avril 2009, Phil Spector est
reconnu coupable de meurtre au second degré sur la
personne de Lana Clarkson et condamné à dix-neuf ans
de réclusion criminelle.
Au terme de sa peine, il aurait eu 88 ans… Comme il
l’a lui-même affirmé un jour, au cours d’une interview :
“Ma plus grande trouille est que Dieu m’empêche d’aller
au paradis parce que je suis trop démoniaque, et que Lu-
cifer m’interdise l’entrée de l’enfer, parce qu’il craindrait
que je prenne sa place…”

Février 2021 rollingstone.fr | Rolling Stone | 17

Le Mix
Beaucoup ont souligné
votre passage du punk
à un blues décharné…
Et je n’ai pas compris
pourquoi. Je n’ai que
27 ans et suis encore à
fond dans le punk… Ce
n’est ni un remplacement,
ni une supposée maturité
et encore moins
un repentir ! Je regrette
que l’on voie encore
aujourd’hui
une contradiction dans
ces deux genres. Il n’y a
pas besoin de casser
des guitares pour être
subversif… S’il y a
maturité, c’est plus dans
le fait d’avoir été fasciné,
adolescent, par la scène
glam, pour finir punk.
Est-ce parce que Lyon
a musicalement été
moins marqué par
la contestation ?
Ce n’est effectivement pas
la première chose
à laquelle on pense
à propos de la scène
locale… Mais, là encore,
on aurait tort de s’arrêter
à ce détail : la ville a
beaucoup changé
ces dernières années.
Après une grosse période
pop, il existe aujourd’hui
toute une scène garage,
boostée par les prises
de conscience actuelles.
Et des talents qui ont
vraiment les moyens de
remplacer les figures
historiques de la ville dans
l’inconscient collectif.
Vous verrez…
Qu’est-ce qui vous
a donc séduit dans
le blues ?
Son incroyable capacité
de résilience… C’est
une musique d’opprimés
qui, via la foi (absente
chez moi), possède une
véritable ferveur. L’écoute
d’artistes comme Skip
James a marqué un vrai
tournant : je souhaitais,
en adoptant le blues, que
les auditeurs puissent
ressentir les mêmes
émotions que moi à sa
découverte… Et puis, en
vieillissant, je suis de plus
en plus attiré par
les grands espaces.
Des lieux le plus
souvent désertés par
l’État fédéral…
Je ne nie pas cette réalité,
que j’ai pu découvrir en
18 | Rolling Stone | rollingstone.fr
Théo Charaf
On compare le Lyonnais à Neil Young, mais en version
made in France. Qu’en est-il ?
Par SAMUEL DEGASNE
tournée avec Skinner.
Ces villes perdues à la
Twin Peaks, divisées entre
armureries et bureaux de
recrutement de l’armée…
Mais ce ne sont pas
les hommes qui
m’intéressent ( je ne suis
pas doué pour les
interactions sociales),
mais le calme, la liberté
et la possibilité – surtout
– de ne pas subir l’acidité
humaine. Si les années
2000 nous ont poussés
à l’excellence, à rentrer
coûte que coûte dans
Q&R
la norme, nous n’avons
aujourd’hui plus le temps
de développer des projets
pour soi… Chacun devrait
pouvoir avoir cette
chance.
Quel rôle joue l’écriture
dans ce processus ?
Elle permet la nuance.
D’un côté, c’est se retirer
un poids en exprimant
des sentiments enfouis
(permettant ainsi de
mieux les vivre – je n’étais
pas bien, il y a deux ans,
lors de l’écriture des
morceaux). De l’autre,
c’est utiliser l’anglais
pour sa musicalité…
et ses possibilités
d’interprétations.
L’anglais permet
les rebonds : c’est à la fois
dire et ouvrir ! Le français
est trop précis et
t’enferme dans la figure
du poète maudit…
Comme le titre éponyme
de l’album, c’est un choix
qui s’inscrit dans la
continuité ( j’assume déjà
ce nom depuis 27 ans, je
peux encore continuer),
mais qui permet
également, en évitant les
métaphores et fioritures
habituelles, un postulat
idéal (car ouvert),
qu’importe la future
direction que prendra
le projet.
Vos reprises (Dylan,
Van Zandt…) ne sont
donc pas des petits
cailloux destinés à vous
définir ?
Elles ne sont pas
“stratégiques”, en tout
cas. Elles correspondent
toutes à une envie sur
le moment ou à
une anecdote… J’ai une
approche très viscérale et
instinctive de la musique :
je ne connais pas le
solfège, ai une technique
maladroite, personnelle…
et surtout autodidacte.
Le côté brut des morceaux
est plutôt dû à mon
inculture de l’arrangement
(qui nécessite de
l’expérience pour ne pas
être roboratif ), autant
qu’à ma culture punk :
“Peu importe le moyen,
démerde-toi pour
t’exprimer”… Car
l’objectif, c’est avant tout
de se faire du bien, non ?
Comment restituer
cette authenticité sur
scène ?
On prévoit une formule
live extensible : parfois
seul, parfois en groupe
suivant la configuration
des lieux (j’ai fait
des essais avec
un contrebassiste il y a
quelques jours, par
exemple). Car, et c’est
sans doute l’habitude du
groupe, je n’ai pas envie
d’être seul sur les routes…
Et puis tout ça, je le dois
à ma rencontre avec
le tatoueur et illustrateur
Jean-Luc Navette, à
un concert. C’est lui qui
m’a enregistré à l’arrach’
la première fois et trouvé
ma première date… Le
tout sublimé ensuite par
Hervé Bessenay, au studio
Electrophonic Recordings.
C’est à ce génie autistique
(dans le sens “amélioratif”
du terme) que je dois ma
voix en avant. Certes,
j’aime le calme, mais
© SARAH FOUASSIER
le baptême de feu fut si
difficile (et formateur)
qu’il me tarde désormais
d’aller vite le défendre…
Février 2021
 PROFIL

Haute fidélité pop

Avec Banane bleue, Frànçois Marry révise sa pop à l’épure, teintée de l’essence
du monde 2.1 et de nos batailles intérieures. Rencontre. Par SOPHIE ROSEMONT

B
ANANE BLEUE
EST NÉ d’une
rencontre.
Celle du finlandais
Jaakko Eino Kalevi,
qui cultive une veine
pop minimale au sein
du label Domino, et
de Frànçois Marry,
l’un des rares
artistes français qui y
figure également.
À la tête du groupe
The Atlas Mountains,
il est aujourd’hui quasi
seul à bord, ayant réduit
son entourage sur scène comme
en studio. Après Solide Mirage (2017), riche
album à la consonance politique, il était
à la recherche d’épure. “J’avais envie de
garder un regard sur le monde dans lequel on
est, mais, en même temps, marcher d’un pas
plus léger”, confie-t-il en cet après-midi
d’hiver, où il est de passage à Paris. Il n’est
pas encore 16 heures mais la luminosité
n’est déjà plus. Ce qui lui rappelle ses
années à Bristol, sourit-il. Des années
fondatrices, qui se ressentent à l’écoute
de Banane bleue, où l’on retrouve
des échos cold wave britanniques sur
des morceaux comme “Holly Go
Lightly” ou “Lee-Ann & Lucy” – lequel
fait référence à un couple de surfeuses
“dégagé de tout cliché, ensemble sur
les vagues comme à la ville”.
Les vagues ne sont jamais loin de
Marry, qui vit désormais dans le Pays
basque. Un calme retrouvé après de
nombreux voyages, dont l’un, crucial, à
Essaouira, où il s’est plongé dans la transe
gnawa : “Je savais que je ne pourrais pas
l’intégrer dans ma musique, car j’étais comme
un jeune padawan… Cependant, cela a changé
ma façon de jouer, dans la volonté de me
concentrer sur une ossature simple, de faire
circuler la basse et les messages.” En 2018, son
© OIHAN BRIÈRE - STUDIO ZÔMPÀ&ZITÜ
l’est
plus :
depuis, nos
oreilles ont
pris du français à
tout va, simplifié,
maniéré, rappé, scandé…
Pour Banane bleue, je ne
me suis pas posé la question
de chanter en français ou en
anglais.” Ce dont témoigne ce
nouvel album, donc, qui s’ouvre
sur le polyglotte “The Foreigner”,
lequel épouse le parcours de
l’enregistrement du disque,
entre Paris, Berlin et Athènes.
Au-delà de ses réminiscences
surréalistes, le titre même de
Banane bleue désigne
le vieux continent, la vue
de l’Europe depuis
le ciel, son épine
dorsale. “Il s’agit de
s’accaparer à
de communiquer à notre époque ?
Qu’est-ce que d’être
un poète bohème qui se laisse
naviguer en parlant d’amour
alors que la manière de faire
passer son message est liée
à la consommation d’énergie ?”
Si tout art reste politique – et
celui proposé par Marry ne fait pas
exception à la règle –, il est ici
question d’amour, de sa complexité,
des épreuves et des ruptures qu’il
engendre. Un titre comme
“Coucou” raconte avec acidité
comment les échanges
passionnels peuvent se
désincarner, alors que “Par
le passé” assume
sa mélancolie. Outre ses
aspects autobiographiques,
on ressent les lectures de
Marry, de Truman Capote à
Paul Auster en passant par
Kundera. “La musique devait
être aussi légère que
les paroles traduisent une
souffrance. Ce disque m’a aidé
à remonter la pente, ainsi que
la qualité du travail avec
Jaakko. Je ne suis pas certain
qu’il sache ce dont parlent
les morceaux, ce qui n’était pas
pour me déplaire : cela nous a
évité d’être bloqués par le sens
des paroles. Il s’agissait se
contenter de créer une enveloppe
sonique, très visible, très sobre. Une
ligne claire.” Sublimée par le
travail de mixage de Renaud
Letang, la rencontre des claviers et
des cordes, de l’acoustique jadis
orientaliste et du synthétique, trouve son
sens dans un retour aux racines de Marry,
lorsqu’il débutait dans la musique sur
la scène Do It Yourself, de Bristol. Face aux
contraintes imposées par la pandémie, il se

projet autour de Baudelaire, où il mettait huit nouveau ce qui se console en disant qu’il a toujours préféré les
poèmes en musique, lui a donné l’impression passe au-dessus petites jauges et les concerts en extérieur. “Je
de s’“imprégner de la noblesse de la langue de nos têtes, suis heureux que cet album sorte aujourd’hui,
française” : “Je l’ai fait avec facilité et peu commente conclut-il, car son aspect éthéré le rend
d’accords, et j’ai réalisé qu’il fallait se faire Marry. Les airs adéquat à ce pour quoi on peut être
confiance. Nos motivations doivent devenir sont disponible en 2021. Il ne respire pourtant
intelligibles au public pour qu’il y trouve un électriques. pas l’angoisse actuelle : c’est, au contraire,
écho. Ce qui était un statement il y a dix ans ne Qu’est-ce que un contrepoint à notre époque.”

rollingstone.fr | Rolling Stone | 19

Février 2021
Le Mix
PHOTO PEOPLE GET READY
Ziggy aime cette
image de 1976,
car “on peut voir
les taches sur son
visage. Vous voyez
le vrai gars. On
peut y voir ce qu’il
a vécu, mais
il est toujours aussi
cool et confiant.
Je pense qu’il est
prêt à conquérir

Une autre
le monde”.

facette de
Bob Marley
ZIGGY MARLEY SAIT que sa famille aurait fait quelque
chose d’important pour marquer le 75e anniversaire de
son père, Bob. “Comme il n’est pas là, nous allons quand
même le fêter”, assure Ziggy, qui s’est chargé d’éditer
un nouveau livre sur la légende du reggae, Bob Marley:
Portrait of the Legend, avec une belle collection de
photos rares du chanteur prises entre 1976 et 1980,
période durant laquelle le rastaman en chef deviendra
un phénomène mondial, fera le tour du monde et
passera du temps à Londres après une tentative de
suicide. Ziggy précise qu’il voulait montrer “une facette
de la légende que vous ne voyez pas”, à travers
des “expériences de la vie réelle”, notamment lorsque
Bob Marley avec ses enfants et ses vieux amis
traînaient au 56 Hope Road, à Kingston ( Jamaïque), et
jouaient au football. “Les gens se connectent à lui
à un niveau qui va au-delà de la musique”, ajoute Ziggy,
qui a récemment sorti un album de musique pour
enfants, More Family Time, avant de préciser : “C’est
un ami, c’est un frère. Les gens le voient comme quelqu’un
dont ils pourraient être proches – et il serait prêt à être
proche d’eux aussi.” PATRICK DOYLE

20 | Rolling Stone | rollingstone.fr Février 2021

 MÉLODISTE
EN FORMATION
Ziggy et son
père lors d’un
soundcheck
pour le deuxième
Reggae Sunsplash,
un festival
de reggae pour
les stars, à
Montego Bay
(Jamaïque), durant
l’été 1979. “Je suis
juste en train de
m’imprégner”,
commente Ziggy.

DE KINGSTON À LONDRES
Les choristes Judy Mowatt, Rita Marley et Marcia Griffiths – les I-Threes –
à Londres, en juin 1980. “On peut voir la foule se presser devant la pièce
d’eau”, signale Ziggy.

NATURAL MYSTIC
Au Rainbow Theatre de
Londres, sur la tournée
“Exodus”, en 1977. Ziggy
précise que son père
avait “deux côtés : l’être
humain normal, et
un homme doté d’une
force spirituelle”.

CATCH A FIRE
Marley fumant avec
le percussionniste des
Wailers, Alvin “Seeco”
Patterson, chez lui,
à Kingston, en 1979.
“Seeco était un bon
ami dès le début, au
tout début”, assure
Ziggy. “Ils s’amusent,
font des blagues. Ils se
détendent, comme
des potes, tu vois ?
C’est le but du livre, de
montrer cette réalité.”

Février 2021 rollingstone.fr | Rolling Stone | 21

Le Mix
PLAYLIST

St Germain
L’Île Déserte
À l’occasion des 20 ans de son emblématique album Tourist, Ludovic Navarre alias
St Germain fait le tour d’horizon des disques qui ont compté pour lui. Par SOPHIE ROSEMONT

L
E 18 AVRIL 2000 paraissait l’un des Chicago et l’afro house, le Royaume-Uni et Marvin Gaye
plus grands succès de la French l’Afrique du Sud. Pour Rolling Stone, il re- What’s Going On 1971
Touch : Tourist, de St Germain. Un vient sur les œuvres musicales qui ont jalon- Ce disque a marqué
album partagé entre jazz, pop et élec- né son existence. une époque tout en faisant
tro, tout en légèreté, vendu à 4 millions évoluer la Motown, qui
d’exemplaires à travers le monde. versait dans une variété de
Pour célébrer cet anniversaire, après l’ex- qualité. Il a insisté pour
cellente réédition remastérisée sortie l’année l’enregistrer. Il a mis un point d’honneur
dernière, paraît aujourd’hui une étonnante Bob Marley à s’opposer à la guerre du Vietnam, prendre
Travel Versions, composée de remix savam- Live! 1975 parti contre le mode de vie américain… Il y a
ment sélectionnés par Ludovic Navarre- Le reggae, c’est beaucoup de sincérité dans What’s Going On.
St Germain lui-même. Ainsi, “Rose Rouge” est la première musique que Et sa voix est exceptionnelle.
réinventé par Terry Laird, Jovonn, Night- j’ai aimée étant enfant.
mares on Wax et AtJazz ; “Sure Thing”, par Je l’écoutais à fond grâce Bill Evans
Osunlade, Black Motion, Jullian Gomes et DJ à mon Walkman. Quintessence 1976
Deep ; “What You Think About”, par Trau- Les mélodies étaient si fédératrices… Par C’est l’un des maîtres
mer ; et, enfin, “So Flute” bénéficie d’une la suite, j’ai écouté beaucoup d’autres artistes du jazz modal, un immense
nouvelle lecture de Navarre lui-même. reggae, et cela m’a naturellement formé instrumentiste sur
Une fois encore, c’est bien au-delà des au mixage, de mes propres morceaux ou de lequel même Miles Davis
frontières françaises qu’il cherche ses inspi- ceux des autres. C’est très fin, dans pouvait compter,
© DR

rations et partenaires, entre l’héritage de les dosages des percussions, des syncopes… un des interprètes du Kind of Blue. Il avait

22 | Rolling Stone | rollingstone.fr Février 2021

ce don de parler en jouant, avec ses accords.
C’est très imagé, et je suis à chaque fois surpris
de sa dextérité. Ses morceaux m’offrent une vraie
possibilité d’évasion…

The Staple Singers

Uncloudy Day 1959
Pour la spiritualité, l’énergie,
les voix – dont celle de Mavis
Staples – et les jeux de
guitare de Pops. Et puis, c’est
merveilleux une famille qui
chante ensemble. C’est l’histoire des affranchis
sudistes qui ont tenté leur chance, avec succès,
dans le Nord. Entre le gospel et le blues, quoi de
mieux pour se sentir moins seul ?

James Brown
Sex Machine 1970
Pour danser jusqu’à
épuisement. James Brown
a influencé tout le monde, de
la soul au hip-hop en passant
par le jazz, c’était aussi
une personnalité scénique hors du commun.
Il fait partie de ces artistes très travailleurs qui
voulaient survivre à tout prix, surtout grâce
à la musique. Et il savait bien s’entourer de ses
JB’s, ce personnel instrumental de haute voltige :
Fred Wesley, Maceo Parker, Bootsy Collins…

Michael Jackson
Thriller 1982
C’est l’un des albums de mon
adolescence. On attendait
ses clips avec impatience,
c’étaient des courts-
métrages, un interprète et
un danseur formidable. La production de Quincy
Jones, la chanson “Thriller”, avec ce passage
basse-batterie, c’est brillant. Lui aussi, c’est
une icône de la pop qu’on a tous imitée.

Fela Kuti Zombie 1976

La transe africaine à son
sommet. Des morceaux allant
jusqu’à trente minutes…
Quand je pense qu’on me
reproche la longueur de mes
morceaux ! Fela est aussi
une personnalité très engagée comme
je les aime. J’ai eu la chance de jouer avec feu
Tony Allen, cela reste un souvenir mémorable.
Ce genre d’hommes qui comprennent la musique
sans aucune explication, sans barrière de langue.

Teddy Douglas
Presents Margaret Grace
2010
Margaret Grace, c’est
une grande voix que j’ai
découverte par hasard, sur
internet. Depuis, je l’adore et,
malheureusement, elle n’a pas sorti beaucoup
d’autres disques. S’y trouve une reprise de Nina
Simone, “See-Line Woman”. C’est de la house
music underground, avec un esprit soul. En
parlant de voix, j’apprécie aussi beaucoup celle
de Toshi Tikolo, une Sud-Africaine qui s’est avant
tout illustrée sur des featurings.

Février 2021 rollingstone.fr | Rolling Stone | 23

Le Mix

TOURNAGE

Rockin’ South
Le duo de Rabastens, nanti d’un nouvel EP, a donné un concert… restreint !

C’
EST DANS UN cadre plutôt inhabituel que les frères Martin et Guil- LIVE
hem, fondateurs du duo rock Twin Souls, ont donné rendez-vous… à ROCK
Rolling Stone pour défendre en live leur nouvel EP, sobrement intitu- Énergique
lé II, faisant suite à leur première galette sortie en 2019. S’ils jouaient au possible,
le duo sudiste
en trio il y a encore quelques mois, suite au départ du frangin batteur, il a fallu
enchaîne les
recentrer le groupe et trouver une formule. “On s’est donc réparti les batteries ; sur titres, devant…
une partie des titres, c’est Guilhem qui s’installe derrière les fûts, précise Martin, l’aî- les caméras.
né, et pour une autre partie, c’est moi qui me charge des baguettes.” Et la formule est
convaincante. Rock garage à l’esprit, ces inconditionnels des Raconteurs ou de LOGO
Royal Blood première manière, mais aussi de tout ce que le rock classic compte Pour ce groupe
comme héros, bastonnent. Pour ce set exclusif capté par cinq caméras et visible à très forte
identité, un
sur notre site rollingstone.fr, le duo a donc joué l’intégralité de son nouvel EP ;
logo s’imposait.
les compos s’enchaînent à très bon rythme et, en live, on reconnaît aisément l’in- Ainsi qu’un
fluence du rock british : “On a grandi en écoutant les Beatles et les Kinks, précise look, vintage
Guilhem, alors forcément, ça laisse des traces…” BELKACEM BAHLOULI à souhait.

24 | Rolling Stone | rollingstone.fr | Février 2021

 LE DUO  CHÂTEAU
À gauche, Guilhem, à L’Hôtel de
droite, Martin ; les deux Rolland, situé
musiciens s’échangent en plein
les instruments en centre-ville
fonction des morceaux, de Rabastens
un titre à la guitare, (Tarn), date
l’autre à la batterie. du
Et chacun chante XVIe siècle et
également. a été restauré
au XIXe.

OPTIONS GUITARES
Au final, le groupe
n’utilisera qu’une seule
guitare, une Sheraton
demi-caisse, ici shootée
par Gabbie Burns, et une
batterie Asba, made in
France, avec une grosse
caisse de 24 pouces.

PRÉPARATION
Objectifs nettoyés,
batteries chargées, il est
17 heures, le tournage peut
débuter. Gabbie Burns,
Carolyne Shü, Céline
Kaladjian, Rémi Pratviel
attaquent le tournage.

SHOOTING
Quatre caméras ont été
nécessaires à la
captation du concert,
que l’on peut retrouver
sur le site du magazine,
rollingstone.fr

 PRISE DE SON
Préparation pour
l’entrée en scène dans
le grand salon de
l’Hôtel de Rolland.
Matthieu Gastaldi,
l’ingé, est à la console.

PHOTOS DE LORAINE ADAM – CONCERT À DÉCOUVRIR SUR ROLLINGSTONE.FR

Le Mix
PROFIL
Black
Keys
Dans
la lignée
de mire
Album majeur dans le parcours du groupe,
Brothers est le premier de sa discographie à connaître
les honneurs d’une réédition anniversaire.
Par XAVIER BONNET / Photo d’ALYSSE GAFKJEN
L’
HEURE EST DONC VENUE pour la paire
constituée de Dan Auerbach et Patrick
Carney d’en passer par la case
commémorations. Une plongée dans
les archives du groupe dont l’édition “Deluxe
10e anniversaire” de l’album Brothers n’est que
la première étape. Certains pourraient s’étonner
d’un tel choix, considérant que El Camino,
l’album suivant, aurait été une réédition plus
marquante, plus en phase avec le succès
planétaire dudit album. Ce sera pour plus tard
dans l’année. Ce serait surtout oublier, au-delà
de l’argument du dixième anniversaire un peu
frelaté (sortie en mai 2010 pour l’original,
janvier 2021 pour la réédition), combien Brothers
allait changer pas mal la donne dans le quotidien
des Black Keys à l’époque. Une sorte de quitte
ou double aussi. “C’était probablement la dernière
fois de nos vies que nous étions disposés à monter
dans un van ou un bus et de passer 200 jours par
an sur les routes, concède volontiers,
rétrospectivement, Carney, l’homme derrière
la batterie, depuis Nashville. Si les choses n’avaient
pas évolué, nous n’aurions certainement pas fourni
à nouveau un tel effort. Cela faisait alors huit ans
que nous étions sur ce même rythme, assez rincés.”
26 | Rolling Stone | rollingstone.fr
Sans oublier – ce que Carney prend soin de
passer sous silence – qu’il l’avait eu mauvaise, au
moment d’entamer l’écriture de Brothers, d’avoir
été mis devant le fait accompli à propos d’un
album solo (Keep It Hid) qu’Auerbach avait mis en
boîte en omettant de prévenir son compère.
Avec quelques tensions à la, hum, clé…
Brothers refait donc un tour de piste,
remasterisé, tout juste enrichi, au-delà
d’une présentation soignée et d’un livret assez
somptueux, d’une poignée de suppléments :
“Chop and Change”, déjà apparu sur la bande
originale de The Twilight Saga : Eclipse ; les deux
vrais inédits, “Keep My Name Outta Your
Mouth” et “Black Mud Part II”, belle jam
instrumentale pour ce qui est du dernier
nommé, et un brin plus enflammée que son
pendant déjà présent sur l’album original. Trois
petits plus seulement ? Là encore, le manque de
générosité supposé des Keys pourrait en faire
grincer certains, argument que Carney balaie :
“Il n’y a qu’un autre titre que nous avons laissé
de côté, une version alternative de ‘Tighten Up’,
un peu différente, mais qui reprenait pas mal
d’éléments de la chanson telle qu’on la connaît.
N’oublions pas qu’il y avait déjà quinze morceaux
Février 2021
 sur Brothers ! Qui plus est, nous n’avons jamais été
le genre de groupe à accumuler les prises et
les versions. Sur toute notre carrière, il doit y avoir
quelque chose comme 60 titres non achevés ou non
publiés. Si on prend l’exemple d’une chanson comme
“Little Black Submarines” [sur El Camino], la version
finale est telle que celle que nous avions jouée ensemble,
dès la première fois, ce jour-là.”
Le livret précédemment évoqué raconte comment
les Keys ont débarqué avec ingénieur du son (Mark
Neill, crédité en outre de coproducteur) et matos
personnel aux mythiques studios de Muscle Shoals,
à Sheffield (Alabama), le 16 août 2009. Une date
forcément à part pour des férus de rock et d’histoire
de celui-ci, comme les Keys s’en sont souvent
revendiqués, puisqu’elle correspond à la mort d’Elvis
Presley. Rien d’intentionnel dans un tel choix
pourtant, a priori en tout cas. “L’ironie veut que nous
avions prévu, au départ, d’aller enregistrer à Memphis,
se souvient Carney. On voulait enregistrer dans le Sud,
c’était l’idée de base, et donc faire l’album à Memphis.
En août, dans le Sud, il fait chaud, humide, c’est
le moment parfait pour être en intérieur et faire
un disque. C’est Mark qui a décidé de préférer
l’Alabama. Il a même insisté, nous disant qu’il ne
voulait pas faire ça chez Sun Records, à Memphis, car
il y aurait de la moisissure, et que l’endroit était dans
l’ensemble assez sale. Plutôt ironique quand on a
découvert qu’à Muscle Shoals, rien ne fonctionnait !
À part la clim’ ! La plupart du temps, nous étions dans
le noir, quasiment livrés à nous-mêmes. En même
temps, ça ne nous changeait pas beaucoup. Avec Dan,
nous étions devenus experts dans l’art de faire
des albums avec du matos cassé ou qui ne marchait
pas. C’est ce que nous faisions depuis près de dix ans,
à essayer de tirer le meilleur de trucs déficients car
nous n’avions pas les moyens de faire autrement.”
Carney le reconnaît bien volontiers également,
The Black Keys ne sont aujourd’hui plus le même
groupe. Avec d’autres enjeux en tête ou à
appréhender, du fait de cette dimension planétaire
qui n’était alors pas encore la sienne. Carney assure
toutefois ne pas oublier l’essentiel : “Ce qui nous
a donné envie de monter un groupe, à Dan et à moi,
c’est le country blues du nord du Mississippi, et c’est là
quelque chose vers lequel nous revenons sans arrêt.
Brothers en est imprégné d’une certaine façon, avec
cette teinte de soul, et j’ai tendance à penser que c’est
le langage musical que Dan et moi ‘parlons’ le mieux
entre nous.”
Un… dialogue que l’on retrouvera à nouveau sur
un prochain album du duo. Il faudra pour ça être
patient, puisqu’en la matière, rien n’est inscrit
au programme avant 2022.
© WABBOTT

Merci à Talia Soghomonian pour le décryptage de

l’enregistrement “aléatoire” de l’interview.

Février 2021 rollingstone.fr | Rolling Stone | 27

Le Mix
CINÉMA
Hors Piste !
Pour la première fois de son histoire, Les Arcs Film
Festival a dû revoir son organisation, coronavirus
oblige, et proposer un programme 100 % digital.
Par SAMUEL REGNARD
F
INALEMENT,
2020 ne s’est
pas terminée
sans une touche de
cinéma. Bien que
les salles obscures
de l’Hexagone
étaient à ce
moment-là fermées
(et jusqu’à nouvel
ordre), on pouvait
tout de même
profiter de nos
salons, chambres et
salles de projection
privées. C’est ainsi
que des milliers
de journalistes,
cinéphiles et
autres gourmands
du 7e art ont bien sûr
répondu présent,
au coin du feu, à cette
douzième édition
du festival des Arcs
– certes bousculée par
la crise sanitaire, mais
qui donne tout de même
le vertige.
Au total, 50 longs-
métrages et 30 courts
ont été, pour la plupart,
présentés pour la
première fois en France,
formant un panorama
le plus exhaustif possible
du cinéma européen.
Cette édition, baptisée
“Hors Piste !”, a d’abord
proposé, en ce mois de
décembre 2020,
une sélection de films
toujours plus engagés et
imprégnés de la
conscience écologique,
via la catégorie
“Déplacer les
montagnes”, avec
l’édifiant I Am Greta,
mais aussi Petite fille,
Douce France ou encore
le documentaire choc,
L’Affaire collective.
“Le cinéma a clairement
28 | Rolling Stone | rollingstone.fr
son mot à dire là-dedans.
C’est un vecteur très
important pour
communiquer des
messages forts et pour
parler au public,
directement grâce à
l’image, nous confiait
à ce propos la jeune
militante Camille
Étienne, invitée de cette
édition. Tout le monde
a déjà été touché par
un film. L’art est plus que
jamais une arme, qui
nous aide à alerter sur
le monde d’aujourd’hui et
prévenir celui de
demain.” Outre cet
engagement, le festival
a aussi assuré son statut
de vecteur phare du
cinéma indé européen,
avec des pépites telles
que Quo Vadis, Aida?,
sacré Flèche de cristal et
Prix du public, mais
aussi le troublant After
Love, The Whaler Boy,
Grand Prix du jury
(mérité), Apples, Prix
du jury jeune… Le tout
rythmé par des tables
rondes, que l’on a pu
visionner en
direct via
les réseaux
sociaux
(65 000 vues
cumulées !), en
compagnie de
cinéastes,
comédiens,
écrivains et
militants.
D’autres
programmes ont
également capté
l’attention, à
l’instar de l’étude
du Lab Femmes
de cinéma sur
la place des
réalisatrices en
Europe.
Une question cruciale
qui ne cesse de prendre
de l’ampleur au sein de
cette industrie. Cette
année, le prix Femmes
de cinéma a d’ailleurs
été remis à la cinéaste
polonaise Agnieszka
Holland, de retour avec
Le Procès de l’herboriste.
Le résultat, malgré
le climat, est plus que
positif. Les films et
rencontres ont pu être
visionnés plus de
40 000 fois (7 700 tickets
publics vendus).
“Un succès qui confirme
l’intérêt du public pour
le festival, se réjouissent
les organisateurs. Tout
ceci ne remplacera
évidemment jamais le
festival ‘physique’, tel qu’il
se déroule chaque année
au cœur des montagnes
savoyardes, sous la neige
et dans la convivialité,
mais cela a néanmoins
permis de retrouver et de
partager un peu de
l’esprit des Arcs !” Et c’est
déjà beaucoup.
TROIS COUPS DE CŒUR
DE ROLLING STONE
After Love, D’ALEEM KHAN (1 h 29,
Rezo Films, sortie en 2021)
Dans la ville côtière de Douvres, au sud
de l’Angleterre, Mary Hussain se
retrouve veuve après le décès inattendu
de son mari. Après l’enterrement, elle
découvre avec stupeur qu’il cachait un secret
bien enfoui, à seulement 34 km, de l’autre côté de la Manche,
à Calais… After Love est le premier essai filmique, prometteur
et captivant, du britannique Aleem Khan, remettant au goût
du jour le thème de l’assimilation culturelle, le tout sur fond
de deuil, d’amour et de pardon. Khan filme une Joanna
Scanlan déterminée, en quête de vérité (une révélation),
au côté de Nathalie Richard, étonnante et juste. Mary veut
comprendre, par amour, le terrible mensonge porté par
son défunt mari. Elle fera tout pour parvenir à ses fins…
Le film, qui a obtenu le prix de la “Meilleure musique
originale” au Arcs Film Festival, a également fait partie de
la sélection Semaine de la critique Cannes 2020, et on croise
les doigts pour une distribution dans nos salles courant 2021.
Affaire à suivre !
The Whaler Boy, DE PHILIPP
YURYEV (1 h 34, sortie prochainement)
Un adolescent d’un village isolé de
l’Extrême-Orient russe découvre
l’amour sur un site internet pour adulte
et rêve de l’Amérique… Sacré Grand Prix
du jury du festival, pas d’étonnement ici :
The Whaler Boy est une magnifique découverte. Plastique
d’abord, la photographie y est sublime, notamment lors de
cette séquence d’ouverture pop, où défilent des lieux phares
de l’american way of life sur fond de Johnny Cash. Pourtant,
la plus grosse partie du film se déroule dans les paysages
austères de la campagne profonde russe. Le personnage
principal, naïf mais attachant, tombe amoureux d’une camgirl
et se jure de la retrouver, là-bas, aux États-Unis. Mais rien de
tout cela n’est facile… Le film prend alors une allure onirique,
minimaliste, et nous emmène en road trip, vers un monde
incertain. On se rend vite compte que le chemin parcouru est
tout aussi mental. Yuryev laisse planer sa caméra, sur des
grands espaces à la fois apaisants et terrifiants. On en sort
intrigué, les images imprimées pour longtemps sur sa rétine.
I Am Greta, DE NATHAN
GROSSMAN (1 h 37, KMBO, sortie le
17 février 2021)
Greta Thunberg, 15 ans, entame seule
une grève de l’école pour le climat.
Elle devient rapidement une icône
planétaire et la porte-parole de millions
de jeunes qui veulent changer le monde. Véritable joyau
de l’édition 2020 du festival, I Am Greta est un documentaire
sur l’ascension fulgurante de l’activiste qui ne laisse personne
indifférent. Sans nous lâcher une seule seconde, le film
nous emmène en meeting, en discours à l’Assemblée
nationale, tout en passant par le siège de l’ONU, pour finir
par un voyage éprouvant en bateau. Pendant 1 h 37, Greta
Thunberg est filmée au plus près, mais cette intimité n’est
pas surjouée et ne se donne pas en spectacle. La jeune
activiste fait même preuve d’une maturité étonnante,
lorsqu’elle avoue savoir que les politiques l’invitent “pour
faire joli” mais n’agissent pas vraiment pour le climat.
Jamais démonstratif ou méprisant, I Am Greta nous
montre que cette lutte pour la justice climatique est
entre les mains de tous et pas seulement des élites.
Un documentaire édifiant qui tire, une bonne fois pour
toutes, la sonnette d’alarme.
Février 2021
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Le Mix
BANDE ORIGINALE
Le deuxième
souffle
J
OHN CARPENTER A renoncé au cinéma.
À s’installer derrière une caméra en
tout cas. Plus envie. Plus envie d’aller
se les cailler sur un plateau au petit
matin. Plus envie de s’emm… à poireauter
entre deux réglages techniques. Trop vieux
pour cela (73 ans depuis le 16 janvier). Une
santé un peu fragile qui n’aide pas non plus à
aller poser son séant sur une chaise de réalisa-
teur avec son nom à l’arrière du dossier. Pas
vraiment un scoop, ici, puisque sa dernière
réalisation remonte à dix ans – The Ward : l’hô-
pital de la terreur, aisément “oubliable”, et
mettant alors lui-même fin à une décennie
d’abstinence depuis Ghosts of War. Rien de
nouveau, donc, sous le soleil californien qu’il
a fait sien, juste une réticence persistante à
l’accepter pour qui aura été “biberonné” aux
Halloween, Fog, New York 1997, The Thing,
Christine et consorts, et dont la capacité de ré-
sistance à ne pas remettre le couvert est mise
à rude épreuve à chaque nouvelle rediffusion
TV ou à chaque frôlement un peu trop rappro-
ché de son étagère à VHS, DVD, Blu-ray…
30 | Rolling Stone | rollingstone.fr | Février 2021
Les claviers sont désormais la seule préoccupation
de John Carpenter. Nouvelle illustration avec
le troisième volet de ses Lost Themes. Par XAVIER BONNET
Certes, l’intéressé ne ferme pas complète-
ment la porte, mais on sent plus chez lui de
la politesse à l’égard du fan transi qui ne peut
s’empêcher de ramener la question sur le tapis.
“Une bonne histoire, un bon budget, le temps
nécessaire pour faire ça correctement, et je suis
partant !”, assure-t-il au téléphone depuis Los
Angeles. Pour quasiment tuer aussitôt dans
l’œuf tout espoir… naissant : “Mais si ça ne peut
pas se faire, ça me va aussi…”
Il va donc bien falloir s’efforcer de l’accepter :
ce qui “éclate” John Carpenter aujourd’hui, ce
sont essentiellement les jeux vidéo, auxquels
il semble consacrer pas mal de ses journées.
Assassin’s Creed Valhalla, Fallout 3… Pour vite
comprendre, là aussi, que c’est plus le fun à
s’échiner sur la manette que la dimension artis-
tique des jeux en question qui semble définir
ses priorités. “Ils sont souvent plus créatifs, en
tout cas en donnent-ils l’impression, avance-t-il,
un peu pour la forme. Mais je ne doute pas qu’il
y ait aussi beaucoup de créativité dans certains
films aujourd’hui. Je pense même que les uns
volent parfois aux autres, dans les deux sens.”
Fort heureusement pour nous, il n’y a pas
qu’en martyrisant triangle, rond, croix et car-
ré, du matin au soir, que John Carpenter entre-
tient sa flamme artistique. Derrière ses claviers
qui faisaient déjà la sève des bandes-son de ses
films, l’homme se plaît toujours à composer,
et de manière somme toute assez régulière
depuis 2015, aux côtés de son fils Cody et de
Daniel Davies, filleul de Carpenter et fils de
Dave Davies, le guitariste de The Kinks. Là
encore, et pas seulement quand le trio revi-
site les thèmes majeurs des bandes originales
d’antan sur scène, ou comme il s’y attelait sur
la compilation Anthology : Movie Themes 1974-
1988, en 2017, difficile de faire abstraction du
volet cinéma dans les velléités de Carpenter.
La série des Lost Themes, avec son dédale de
mises en son électroniques et dont le troisième
volet sera disponible dans quelques jours, a
beau se présenter comme autant d’albums
de “non-soundtrack music”, impossible de
ne pas dérouler à nouveau le, hum… film de
certaines ambiances passées. Jusqu’au “single”
de ce Lost Themes III, “Weeping Ghost”, qui
 Le destin du compositeur
Michel Magne et de
ses légendaires studios
dans un récit épique
et bouleversant.

nous renvoie presque illico au Manhattan de-

venu prison-cloaque dans New York 1997. “C’est
purement non intentionnel, assure Carpenter,
ce que l’on est tout disposé à croire. Ces Lost
Themes n’existent que par et pour eux-mêmes.
D’ailleurs, en sens inverse, si l’on me demandait
à quoi pourrait ressembler un film qui collerait
avec ces morceaux, je serais bien incapable de
répondre. Quand nous composons, je n’associe
aucune image en ce qui me concerne. Seul l’uni- Avec les postfaces
vers musical de tel ou tel morceau m’intéresse.
C’est même ce qui me plaît dans la musique et son de Costa-Gavras,
expression : elle ne nécessite pas d’explication ni
d’être décortiquée, et c’est ce qui en fait une forme Sempé, Eddy Mitchell
artistique toujours étonnante.”
Logiquement, et Carpenter le reconnaît
et Bill Wyman
sans qu’on l’y pousse, le trio a gagné en os- des Rolling Stones
mose. Il aime à dire que chacun connaît mieux
les forces et les faiblesses de l’autre : “Je me
considère comme un musicien assez limité, pour
ne pas dire médiocre comparé à eux deux,
énonce-t-il sans fausse modestie. En revanche,
j’ai plus d’expérience dans la composition. Si En librairie
nous avons également gagné en technique, nous
avons la chance de pouvoir nous appuyer sur des
palettes de sons qui ont incroyablement évolué
le 17 février
depuis le premier Lost Themes. La vitesse à la- Suivez nous sur
quelle tu peux découvrir de nouveaux logiciels,
© WABBOTT

de nouveaux programmes, est purement in-

croyable. Et c’est un bonheur permanent de pou-
voir en tirer avantage”.

Février 2021 | rollingstone.fr | Rolling Stone | 31

Le Mix

PLAYLIST
Steve
Miller Band
Fly Like an
Eagle

Dan
Fogelberg
Tucson,
Arizona
(Gazette)

Eagles
Life in the
Fast Lane

SUR LA ROUTE
ZZ Top
A Fool for

Freewheelin’ Zégut
Your
Stockings

Bruce
L’année 2020 a été difficile pour tout le monde. Notre chroniqueur biker signe Springsteen
ici un hommage à son road-friend, Jean-Pierre. Cadillac Ranch

L
A FORCE de la discussion, de
l’échange, du partage amène les
esprits à converger ou pas. Au-
tour d’une passion commune,
l’envie dépasse parfois la raison, et tant
mieux, car sortir du cadre, mettre deux
roues dans la poussière de la marge, c’est
jouissif ! Pas tous les jours, of course,
car la courroie se détend, les joints de-
viennent poreux, le carter commence PAR
à suinter. Des rêves devenus réalité, des FRANCIS ZÉGUT
horizons cinématographiques, des appa-
ritions lumineuses en plein désert, des Animateur radio et
sons stéréophoniques, des hamburgers journaliste rock,
hauts comme des immeubles, des cakes mais aussi grand
aux couleurs irréelles qui te donnent la voyageur, Francis,
sensation de manger un “Télétubbies”, photographe à
des fart parties en milieu clos, des rires ses heures, nous
sans fin, c’est l’aventure humaine et fait découvrir
mécanique que nous avons vécue sur chaque mois un lieu banquette arrière de la Camaro décapo-
la Route 66 avec “The JP’s”, Jean Pierre, et une histoire qui
le père, et Jean-Philippe, le fils. Nous ont marqué
étions voisins en banlieue parisienne, l’imaginaire.
passionnés de sports mécaniques, de Avec la BO du
photographie, avec aussi un bon coup voyage, bien sûr.
de fourchette, de temps en temps, pas
loin du Taz…
dans les gas stations, à l’assaut d’impro- Creedence
bables sneakers. À chaque étape de cette Clearwater
Route 66, nous partions en même temps Revival
que tout le monde, mais nous arrivions Born on the
Bayou
toujours en retard. Partis avec différents
bouquins, applis et conseils d’amis avi-
sés, nous avons fait des détours, parfois
plusieurs centaines de miles. Un point
de vue, un truck stop, une casse de voi- Norman
tures, de vieux bâtiments délabrés, des
Greenbaum
fresques, des graffitis, tout était bon pour
Spirit in the
Sky
dégainer le boîtier ou le smartphone.
À Oklahoma City, nous nous sommes
arrêtés dans cette station qui ressemble
à la navette de Kylo Ren, de Star Wars, The Rolling
nous avons fait le plein avec de l’essence Stones
digne de ce nom. Sortis de la ville, les Gimme
JP’s aperçoivent un grand parking désert Shelter
recouvert de terre battue. Coincé sur la
table blanche, je m’accroche, car je sais
que les gommes de l’américaine vont
envoyer poussière et gravillons dans
d’énormes drifts heureusement contrô- Steppenwolf
Born to Be Wild
lés. C’est French Fast & Furious !
Voilà, Jean Pierre n’est plus là… 2020 a
vraiment été une année de merde.
© FRANCIS ZEGUT

Les souvenirs m’envahissent à nouveau, break- Reste cette mémoire toujours vive et cette irrésis-
fast à Chicago, Big Texan Steak Ranch, à Amarillo tible envie de repartir, un jour… Canned
Heat
(Texas), les incroyables milk-shakes du Peggy Sue’s RIP Jean-Pierre
On the Road
50’S Diner, 1279 S Kihei Rd Ste 303, Kihei, et les stops Condoléances Brigitte, Virginie, Jean-Philippe Again

32 | Rolling Stone | rollingstone.fr | Février 2021

VINTAGE

Reborn in the Bayou

Spirit Of My My My, c’est derrière ce nom que se cache le dandy rock Gilles Riberolles, dont le
nouvel album, My Pleasure My Pain, débarque chez les disquaires. Par NADIA SARR AÏ-DESSEIGNE

G
ILLES RIBEROLLES jazz, c’est une même aussi souvent joué avec les convenances, en toute indépendante, sous-culture,
a le mojo. histoire, explique l’auteur, John Sinclair [manager liberté d’esprit et de style. contre-culture. On traite
Lorsqu’il prend très influencé par du MC5, ndlr].” Certains y verront du rock, tout ça en bloc, comme
une photo de David Bowie la contre-culture. Le rock Son nouveau projet, d’autres du groove, un secteur marchand non
à un concert, elle devient et la pop british des 60’s My Pleasure My Pain, chez de la pop.” S’il a finalisé indispensable. C’est
la cover de Stage. Quand transcendaient les genres et Milano Records, débarque son nouvel album malgré une grave mise en danger
il rencontre James Brown, les classes sociales, dans les bacs en plein une situation économico- de ce qui ne relève pas de la
il lui offre un de ses s’imposaient et faisaient hiver : “Plus que mes sanitaire difficile, culture institutionnalisée,
costumes de scène. souffler un vent de liberté précédents albums, le mépris affiché des ou subventionnée.” Malgré
Journaliste au magazine sur le reste de la société.” ce disque, sous influence politiques face au monde tout, Gilles est un
Best dans les années 1980, C’est cet esprit qui l’a louisianaise, est basé sur de la culture ne le laisse optimiste et reste sur une
ce touche-à-tout a toujours imprégné et qu’il du rhythm’n’blues, et peut cependant pas note positive : “Un titre des
également cosigné un titre a retrouvé… à La Nouvelle- être funky à l’occasion. indifférent : “On ne fait Beatles en 1967 : ‘All You
sur un album de Blondie. Orléans. “J’y ai tourné deux Le challenge était de pas de distinction entre Need Is Love’, ces paroles
“Pour moi, rock, blues, documentaires et j’y ai repousser les conventions et culture institutionnelle, ont toujours du sens.”

PHOTO D’Alain Frétet Février 2021 | rollingstone.fr | Rolling Stone | 33

Liberté, je twitte ton nom
Après l’insurrection du Capitole, le chef de bande, Donald Trump, a été expulsé des réseaux
sociaux. Certes, il l’avait bien cherché… mais est-ce vraiment aux Gafa de faire la loi ?
O
N L’A CONNU jadis avec bras-
sard, mèche brune et petite
moustache. Une autre version
nous l’a présenté chauve avec
chemise noire, accent italien et huile de
ricin. Nombre de ses avatars à crâne rasé
se sont illustrés à grands coups de batte
de base-ball. Au fil de sa longue histoire,
le fascisme a affiché une foultitude de vi-
sages différents, d’accoutrements variés,
de pratiques diverses, avec toujours le
même objectif : renverser la démocratie.
Le 6 janvier, du côté de Washington, la
gamme du fascisme nous a présenté un
modèle automne-hiver 2021 assez inat-
tendu. Un Indien torse nu vociférant et
couvert de tatouages, coiffé de cornes dé-
passant d’une sorte de toque en fourrure
à la Davy Crockett, brandissant the Star
Spangled-Banner.
Un clone de Jay Kay ? Le chanteur de Ja-
miroquai a plaidé non coupable : il avait un
bon alibi et ne traînait pas dans la capitale
américaine avec “tous ces tarés”. D’autres
ont cru à une réincarnation des Village
People. “Young man, there’s no need to feel
down/I said, young man, pick yourself off the
ground/I said, young man, ‘cause you’re in
a new town/There’s no need to be unhappy/
Young man, there’s a place you can go.”
Which place? The Capitol building? Mais
non voyons, puisque : “It’s fun to stay at the
YMCA/They have everything for you men to
enjoy/You can hang out with all the boys/It’s
fun to stay at the YMCA.”
Ces hypothèses écartées, il a bien fallu
se rendre à l’évidence. Le danger fasciste
peut s’affubler d’un déguisement ridicule.
L’individu en question s’appelle Jacob
Anthony Chansley, alias Jake Angeli, bien
connu des services américains sous les
pseudonymes “Q Shaman” et “Q Guy”,
des surnoms en référence au mouvement
complotiste QAnon.
Quant à ses tatouages, ils n’étaient pas
purement décoratifs. L’un d’eux, compo-
sé de triangles entrelacés, est le symbole
viking du valknut. Une sombre référence
au wotanisme, inspiré de la figure du dieu
34 | Rolling Stone | rollingstone.fr | Février 2021
Wotan, une divinité du panthéon germa-
nique prisée des néonazis.
Bref, convaincu comme les autres
adeptes de la mouvance QAnon que
Donald Trump est le seul grand
homme capable de lutter contre
“les pédophiles cannibales” du Par-
ti démocrate, Jake Angeli n’a rien
d’un sympathique hurluberlu un
tantinet déjanté. C’est un dange-
reux putschiste qui s’est embar-
qué, comme quelques centaines
d’autres, dans l’équipée sanglante
du Capitole, après avoir été chauffé
à blanc par le 45e président des
États-Unis, qui avait cru bon ex-
horter ses troupes à marcher vers
le temple de la démocratie amé-
ricaine pour protester contre la
“victoire volée” par Joe Biden.
Un exemple, parmi d’autres, de son
invraisemblable logorrhée conspiration-
niste ? “Partout dans le monde, les pays
sont occupés par les institutions bancaires
centrales, qui prêtent au gouvernement
pour maîtriser tous les rouages socio-écono-
miques et géopolitiques. Des milliards de dol-
lars sont ainsi utilisés pour créer des tonnes
de bases souterraines, où ils ont des techno-
logies de pointe top secrètes pour créer de
l’énergie infinie, une technologie antigravité,
ou encore avancer sur le clonage et ce genre
de choses folles”, a doctement expliqué
Jake Angeli, ajoutant avoir rassemblé ces
découvertes grâce à des recherches… sur
internet. CQFD.
Autrefois, les délires de ce genre d’indi-
vidus ne dépassaient pas les limites d’un
comptoir de bistrot. Et quand le patron
du bar ne les supportait plus, il mettait à
la porte le poivrot, qui rentrait chez lui en
maugréant.
Twitter, Facebook and Co. ont remplacé
le Café des sports. Ces établissements-là
restent ouverts 24 heures sur 24, même
en temps de pandémie. Harcèlement, vio-
lences, terrorisme, et donc insurrection
fascisante, les dégâts commis par le flot de
haines qu’ils laissent se déverser sont de
plus en plus meurtriers. Le smartphone
et le tweet en moins de 280 signes sont
devenus les armes favorites des fachos 2.0.
Jack Dorsey et Mark Zuckerberg, les pa-
trons de ces bistrots numériques,
ont fini par sévir en privant le
chef de bande, Donald Trump,
de ses comptes Twitter et Face-
book. Sage résolution un rien
trop tardive ? Sans doute. Mais
même si c’est, en l’occurrence,
pour la bonne cause, celle de
la protection d’une démocratie
pacifiée, on peut quand même
s’inquiéter de voir des entreprises
privées censurer un chef d’État
RENAUD DÉLY démocratiquement élu.
Et si demain un fervent trum-
piste prend le contrôle des
tuyaux des réseaux sociaux, il en coupera
l’accès à Joe Biden et aux Démocrates ? En
vertu de quelle légitimité les Gafa pour-
raient-ils s’ériger en seuls juges des bonnes
mœurs du débat public ?
Un jour, c’est L’Origine du monde, de
Gustave Courbet, qui est censurée sur Fa-
cebook quand, le lendemain, la diffusion
de diatribes négationnistes et attaques anti-
sémites y est tolérée au nom d’une pseudo-
“liberté d’expression” ?
Certes, les Gafa sont des entreprises
privées libres de définir leurs conditions
générales d’utilisation. Sauf que le poids
démesuré acquis par ces multinationales
leur octroie désormais, de fait, une mission
de service public. Dès lors, c’est à la puis-
sance publique de faire la loi, d’imposer
des règles claires et des principes stricts.
Les pirates du net hurleront à la censure ?
C’est pourtant l’anarchie qui est liber-
ticide, quand la loi, garante de l’intérêt
général, est émancipatrice.
Réguler les réseaux, c’est désormais une
urgence démocratique. “La guerre ! C’est
une chose trop grave pour la confier à des
militaires”, prévenait jadis Clemenceau.
Notre liberté est, elle, un bien trop
précieux pour la céder au seul bon vouloir
des Gafa.
ILLUSTRATION D’Alain Frétet
 Lignes
jaunes
Derrière l’assaut théâtral du Capitole, certains
ne veulent voir que le dernier outrage de Donald
Trump. Et si c’était l’annonce de ce qui nous attend,
si nous ne nous réveillons pas ?
S’
IL Y A UNE CHOSE sacrée,
en Amérique, ce sont
bien les lignes jaunes.
Step back, Sir. Dès
l’aéroport, on est sè-
chement prié de rester
sagement derrière la ligne. Qui n’a pas
entendu un douanier lui ordonner de
respecter les distances n’a jamais mis
les pieds à Kennedy Airport ou à Dulles.
Step back, Sir, c’est ce que j’ai entendu
comme touriste sur le parvis du Capitole,
tandis qu’intrépide, je tentais d’en mon-
ter les marches interdites. Puis comme
reporter, dans la foulée d’un Président.
Avant l’arrivée d’Air Force One, le Secret
Service traçait au sol une ligne symbo-
lique, au-delà de laquelle aucun camé-
raman américain n’aurait osé s’aventu-
rer. La règle, la loi, l’interdit, c’est sacré
chez eux. Mais nous, Français, c’est bien
connu, nous ne respectons rien. Pour
arracher quelques mots à Bill Clinton,
mon équipe et moi avions donc fait un
pas vers le cortège. Un pas au-delà de la
ligne. Un pas de trop. Deux men in black
nous sont aussitôt tombés dessus, outra-
gés par notre audace.
Step back, Sir.
C’est pour cela que les services de sé-
curité n’ont pas pris au sérieux la menace
des manifestants pro-Trump, le 6 jan-
vier, devant le Congrès. Et c’est pour
36 | Rolling Stone | rollingstone.fr | Février 2021
cela, aussi, qu’ils ont tant tardé à réa-
gir lorsque les Village People de Donald
Trump ont entrepris – ô sacrilège ! – de
monter les marches sacrées du Capitole
pour forcer les portes du “temple
de la démocratie américaine”.
Parce qu’il était impensable pour
eux que des Américains, fussent-
ils chauffés à blanc par Donald
Trump, puissent ne pas respec-
ter l’essentiel, le ciment même de
cette société : la ligne jaune.
La vérité sur l’épisode du Capi-
tole, c’est que le ver était dans le
fruit dès le premier jour, le pre-
mier mensonge, la première ou- PAR LAURENT BAZIN
trance de Trump ; dans la bouillie
permanente des réseaux sociaux,
des chaînes d’info et des déclarations
tapageuses d’un Président populiste
qui a si volontiers mélangé, pendant
quatre ans, son ego et la nation, le vrai
et le faux, les faits et les opinions. Le
reste n’est qu’un lent mais irrésistible
effondrement, qui n’a pas attendu Do-
nald Trump, et dont on peut douter que
l’Amérique sortira par la seule grâce de
la baguette magique de Joe Biden.
Toute ressemblance avec des faits ou
des personnes bien de chez nous n’a évi-
demment rien de fortuite. En France,
en Europe, comme là-bas, avec moins
de folklore sans doute, mais tout autant
de force, les lignes jaunes ont sauté. Les
règles, les lois, le contrat social même,
menacent de voler en éclat.
Dans nos démocraties, comme en Amé-
rique, chacun voit désormais midi et
la vérité à sa seule porte. L’adversaire
est devenu un ennemi – l’ennemi du
peuple – et ce qu’il chérit, un totem
à abattre. On incendie sans honte
un véhicule de police avec ses occu-
pants à l’intérieur. On saccage l’Arc
de Triomphe. On prend d’assaut un
ministère, et demain, pourquoi pas,
l’Élysée… Puisque le pouvoir nous
échappe, puisqu’il est aux mains de
nos ennemis, alors rien ne vaut, pas
vrai ? Marine Le Pen prétend jusqu’à
l’absurdité que Trump a gagné. “Ma
personne est sacrée”, hurle Mélenchon
aux juges qui le perquisitionnent. Tandis
qu’une semaine après l’autre, des “same-
dis jaunes” défigurent Paris.
Comme les Américains avant le sac-
cage du Congrès, nous voulons croire
qu’il suffira d’une nouvelle élection pour
tout nettoyer. Un nouveau jet de dés pré-
sidentiel, une nouvelle dramaturgie et
ça repart…
On se trompe.
Il suffit de lire régulièrement Twitter
ou de regarder Zemmour et ses affidés
sur CNews, pour comprendre que le plus
rude est à venir.
ILLUSTRATION Damien Glez
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Rolling Stone, 53, rue Claude-Bernard, 75005 Paris, France
ou en écrivant à dpo@positivemedia.fr
LES EAUX
NOIRES
Le dessinateur François Boucq
revient sur ces longs mois de procès
aboutissant à la condamnation
des terroristes qui ont décimé
la rédaction de Charlie Hebdo, abattu
et blessé des policiers et organisé
la tuerie du magasin Hyper Cacher.

Par Loraine Adam,

Photo de Stéphane Grangier

E
N JANVIER 2015, les terroristes qui
ont visé dessinateurs, juifs et poli-
ciers et tué 17 personnes s’en sont
pris à notre liberté, à notre mode
de vie. Cinq ans plus tard, un pro-
cès-fleuve, suspendu pendant cinq
semaines en raison de la pandé-
mie et ponctué par trois autres
attentats, réunissait 11 accusés sur
14, environ 200 parties civiles, une
centaine d’avocats et 90 médias.
Parmi eux, un écrivain, Yannick
Haenel, collaborateur de Char-
lie Hebdo, et un auteur-dessinateur, François
Boucq, Grand Prix d’Angoulême 1998, mandatés
par l’hebdomadaire, ont couvert cet événement
historique et symbolique. Un livre est né de leur
collaboration (Janvier 2015, le procès, éd. Les
Échappés), un livre de liberté dédié à Samuel
Paty, le professeur décapité à l’automne dernier.
Observateur attentif de ce procès tant attendu,
François Boucq revient sur cette expérience
unique aux conclusions amères.
Si, en 2015, il rejoint l’équipe de Charlie Hebdo
pour illustrer, sous pseudo, la page “écologie”,
c’est par amitié pour Cabu : “Je l’adorais, on était
très copains. Je l’avais rencontré à 19 ans, raconte
François Boucq. Il avait repéré mes caricatures
dit qu’il allait falloir tenir pendant deux mois…
sans me douter que ça durerait trois mois et demi.
C’est une charge énorme.” En arrivant, il s’est
senti comme un intrus, malgré son expérience
en 2015 lors du procès Carlton et de l’affaire
assez étonnant cette sorte d’étuve où l’on ne voit
pas le jour, surtout en période hivernale. On ne
sait pas non plus quelle heure il est si on ne regarde
pas son portable qu’on a mis en sourdine. C’est
comme être dans un vaisseau, dans un temps sus-
pendu, avec des tas de gens pendant trois mois.”
Son rôle étant de témoigner en dessin du
mieux possible ce qu’il voyait, “l’œil-esprit”,
ainsi nommé dans sa biographie en fin de livre,
observe et scrute sans relâche pour deviner
les psychés masquées. Très assidu, il n’aura
manqué qu’une seule des 54 audiences, une
“supplémentaire”, un samedi… pour ne pas
perdre le fil de sa vie. Il exécutera ainsi plus de
500 dessins à l’encre noire ou en couleur sur
papier kraft. “Ce qui est intéressant en pareil cas,
c’est l’utilisation du langage non verbal. C’est mon
domaine, explique-t-il. Comment ces personnes
se présentent-elles à la barre ? Comment s’expri-
ment-elles ? Comment croisent-elles les jambes ?
Ont-elles les mains dans les poches ? Pourquoi les
retirent-elles pour les poser sur le prétoire ? Réac-
tions, attitudes, gestuelles… c’est ça qui m’intéres-
sait, d’autant qu’avec les masques, on avait des
moitiés de visages, donc impossible de savoir s’il y
avait, dessous, des sourires ou pas. C’est par tout
le reste du corps qu’il faut essayer de traduire ce
qui est en train de se passer.”

dans Le Point et L’Expansion, mais c’est seule-
ment après coup, par sa femme Véronique, que
j’ai su à quel point il aimait bien ce que je faisais.
Il voulait que je travaille à Charlie mais ça ne
s’était jamais fait.” Alors, quand Riss, le direc-
teur de la rédaction, lui a proposé de suivre le
procès, sans réfléchir, il a répondu oui. “Ça me
semblait évident mais je ne m’attendais pas du
tout à ce à quoi j’allais être percuté. Les premiers
jours, quand j’en ai compris l’envergure, je me suis
DSK, qu’il avait suivi et dessiné : “Les avocats
se connaissaient tous, ils allaient voir les juges,
les procureurs… C’est leur univers. Moi, je me
demandais ce que j’allais faire au milieu de tout
ça. C’est un peu comme une colonie de vacances
où tu ne sais pas avec qui tu vas te retrouver et où,
finalement, tu te fais des copains qui sont parfois
saugrenus… journalistes, avocats, mais aussi des
prévenus qui te parlent, te hèlent pour te deman-
der de voir les dessins que tu as fait d’eux. C’est
A
lors qu’il s’occupait de la partie visuelle,
Yannick Haenel, lui, rédigeait des chro-
niques littéraires : “Nos champs de visions
étaient très différents car nous étions répar-
tis dans deux zones distinctes. Il était avec
la partie civile et les journalistes, juste en face des
juges et à une grande distance du prétoire, d’où
on ne pouvait voir les gens que de dos. Mon terri-
toire, que je partageais avec cinq auteurs dessina-

40 | Rolling Stone | rollingstone.fr | Février 2021

LES EAUX NOIRES
teurs, était situé juste en dessous des juges.
Assis en pleine face de ceux qui venaient se
présenter à la barre ; j’avais, des deux côtés,
une vue plus dense sur les accusés dans les
box.” Engoncé dans un fauteuil de 9 h 30
à 21 heures, aquarelles à droite, papier à
gauche et le carnet posé sur les jambes
sans support particulier prévu à cet effet,
“avec les huissiers qui passent devant au
moment où tu es en train de saisir une ex-
pression, que tu l’as perdue et qu’il faut es-
sayer de la reconstituer… Quand tu es ha-
bitué à ton atelier, c’est être dans les pires
conditions”. Parfois, en fin de journée,
quand les illustrateurs croisaient leurs
réflexions, l’un avait entendu quelque
chose qui avait échappé à l’autre, qui
lui montrait ses dessins pour qu’il découvre
ce qu’il n’avait pas pu voir.
“La cour a fait son travail d’une manière
très respectueuse, face à des barbares. C’était
même exemplaire de faire preuve d’une telle
dignité. J’avoue que quand j’ai commencé à des-
siner, alors que la plupart du temps les croquis
d’audience se font sous forme caricaturale, je
n’ai pas souhaité adopter ce style.”
“J’ai tout pris sans me prémunir, raconte
le dessinateur. Je n’avais voulu lire aucun
livre, que ce soient Le Lambeau, de Phi-
lippe Lançon, ou celui de Riss. Je voulais
tout découvrir au fur et à mesure. C’est un
bouillon de culture auquel je me suis abreu-
vé. J’ai baigné dedans et quand je rentrais
chez moi, pour m’en défaire, j’allais cou-
rir un peu parce que, bien sûr, j’avais mal
partout.” Parfois, à force d’entendre
des mots ou des noms, ceux-ci ressur-
gissaient dans ses rêves. Aujourd’hui,
c’est moins le cas, mais quand il évoque
certains instants, l’émotion est intacte :
“Pourtant, je ne suis qu’un observateur, je
ne fais pas partie de ceux qui ont été affec-
tés directement. Malgré tout, la charge
émotionnelle est très puissante.” Il re-
pense aux images du corps de Charb, au
visage complètement éclaté par sept balles de
kalachnikov… “Et le commissaire expliquant, très
professionnellement, que son visage était répandu
sur le sol. On se dit que putain, c’est incroyable !”
S
a plus grande appréhension était juste-
ment de voir ce qu’il s’était passé dans
l’Hyper Cacher et chez Charlie Hebdo, car
il savait que les images seraient éprou-
vantes. Mais les témoignages des par-
ties civiles l’ont été tout autant : “Les véritables
acteurs et héros de cette affaire sont ceux qui se
sont proposés pour venir à la barre. D’un seul
coup, il y a eu un déferlement émotionnel d’une
intensité que l’on n’imagine pas tant qu’on ne
vit pas ce que ces gens-là te racontent. L’explici-
tation, la narration de cette tragédie, avec des
concours de circonstances inimaginables, les
ont menés dans des situations que rien dans leur
vie ne pouvait laisser supposer qu’ils en étaient
prédestinés.” En mémoire, il gardera, bien
sûr, les propos bouleversants et souvent poli-
42 | Rolling Stone | rollingstone.fr
L’un des tiques des survivants de Charlie,
survivants
,
Fabrice Nicolino s’appuyant sur
Simon ses béquilles, Riss, Coco, Sigo-
Fieschi, lène Vinson ou Simon Fieschi…
est venu
Mais aussi ceux d’inconnus : “On
témoigner
béquille
a moins parlé du tout premier mort
en main. de la tuerie de Charlie, un agent
Il est toujo
urs de maintenance sur qui ils ont fait
webmaste un carton. Il fallait voir sa femme
r
du site de à la barre… et son copain de tra-
Charlie
vail racontant comment il a essayé
Hebdo.
de sauver son collègue et ami. Ou
encore Michel Catalano, proprié-
taire de l’imprimerie où se sont
retranchés les frères Kouachi, expli-
quant comment il a essayé par tous
Willy les moyens de sauver son employé,
Le prévenu réfugié pendant huit heures sous un
mme
Prévost, ho
à tout faire
évier… J’ai aussi eu les poils hérissés
oulibaly : quand, dans un français approximatif,
d’Amedy C
, je sais
“Radicalisé un vieux rabbin tunisien, père de celui
c’est
même pas qui a tenté de prendre la kalachnikov de
quoi.” Coulibaly à l’Hyper Cacher, a dit qu’il
était fier de son fils et de ce qu’il avait fait.
Puis il est reparti. Alors que son fils est
mort dans cette situation à la con, tu te
dis qu’il a fait tout le déplacement pour
dire ces quelques mots, mais on n’avait
pas besoin d’en savoir plus. Ce sont des
moments impossibles à oublier.”
Les réactions inattendues et les
coups de théâtre furent légion,
notamment lorsque, dès le départ,
dans le box, Ali Riza Polat, un pré-
Sigolène Vinson, venu qui risquait perpétuité – qui l’a
ex-chroniqueuse eue et qui a même fait appel depuis – a
judiciaire de déclaré : “Je ne suis pas un terroriste, ce
Charlie Hebdo, qui m’intéresse, c’est le grand banditisme,
également
actrice, avocate
d’ailleurs si je sors, je ferai pire !” “Là, on
et romancière. se dit que ce n’est pas croyable”, lâche-t-
il dans un soupir. Ou encore le témoi-
gnage-événement, en fin de journée,
d’une salafiste “complètement bâchée”,
portant masque et lunettes, venue dé-
poser à la barre pendant trois heures
pour contredire de bout en bout son ex-
mari qui, depuis le matin, n’avait cessé
de s’amender. Pour brosser le portrait
d’un islam radical, antijuifs, “qui souille
l’islam”, prônant le djihad et justifiant
les attentats. “Il disait qu’il n’était au cou-
rant de rien, alors que Coulibaly était son
principal ami. Devant tous, cette salafiste a
démasqué cet homme, et tout ce qu’on avait
entendu depuis le début de la journée s’est
écroulé. C’est très déstabilisant de voir une
inconnue arriver à la barre et déficeler tout
ce qui avait été mis en scène dès le début de
la journée.”
D
es élans d’empathie insoupçonnés
Chloé
© BOUCQ/LES ÉCHAPPÉS
Verlhac, aussi, comme envers maître Cou-
veuve du tant-Peyre, dépassée par son client
dessinateur indomptable : “Un boulet en fusion
Tignous, qui essayait par tous les moyens de
tué dans défendre son morceau, à tel point qu’elle
l’attentat.
est devenue moins importante que lui. Elle
Février 2021

tentait de tirer son épingle du
jeu mais c’est lui qui menait la
danse. C’est une femme gentille,
enfin, disons qu’au bout d’un mo-
ment, quand tu es dans ce genre
d’endroit, tu finis par avoir un
regard de compassion pour cette
humanité en convulsion. Côté pré-
venus, ils sont ici dans une situation
vulnérable car ils risquent des an-
nées de leur vie. Ils sont donc forcé-
ment différents de ceux qui tuent, font
des escroqueries ou des trafics en tout
genre. Là, ils essaient de faire figure
honorable et d’offrir un profil plus
attendrissant. Le tribunal révèle
des aspects qui, pour certains, les
rendent plus humains mais, bien
sûr, les faits les contredisent.”
En toute fin de procès, une
dernière vision inoubliable,
celle de Sigolène Vinson et
Hélène Honoré entrant dans le
box des dessinateurs. “J’ai com-
pris après coup ce qu’elles étaient
venues faire et dire surtout,
raconte François Boucq. Elles
sont venues parler à certains
prévenus, dont Willy Prévost
et Miguel Martinez, qui retira
son masque pour présenter son
visage.” “La beauté du cœur qui
s’ouvre. Il y a le crime, la mort, la
douleur et pourtant, le cœur, le rire et
l’esprit sauvent le monde”, écrira Yan-
nick Haenel, ce jour-là.
D
u point de vue de la loi
française, François Boucq
trouve le verdict équilibré :
“Les juges ont fait le boulot
honnêtement.” Par contre,
vis-à-vis du péril terroriste, il
estime qu’il aurait fallu être plus
sévère. “Ce n’est pas assez dissua-
sif. Certains ont déjà fait cinq ans
de prison et, avec une remise de
peine, ils seront sortis dans un
an… Et quand on sait combien
les prisons sont des endroits de
radicalisation. Ce procès leur a
offert leur heure de vedettariat.
Les ego s’hypertrophiaient au
fil de ces trois mois, ce n’était
pas anodin pour eux, ça leur
donnait une carrure supplé-
mentaire. Le drame humain se
joue là aussi. Les Kouachi ou
Coulibaly rêvaient d’être des
héros et ils ont trouvé ce moyen-
là, la médiatisation. Elle a été
© BOUCQ/LES ÉCHAPPÉS
hors norme, ils sont connus dans
Les dessinateurs
le monde entier. Il peut ressortir
de tout cela un grand sentiment
contrebas du pr
d’impuissance, mais c’est aussi,
en tout cas pour ceux qui sont
clairvoyants, un sentiment de
Février 2021
a,
d Malk
Richar a ts
s avoc
l’un de r lie grand danger qui est permanent et qui
de Cha
o u s ne va pas cesser du jour au lendemain.
 : “V
Hebdo
z it
fa
en ave À mon sens, si les mesures ne sont pas
bole !
un sym ait prises d’une manière très ferme, ça
f
n avez
Vous e  ! On ne nous emmène vers des catastrophes.”
ée
une id “ Pour toutes ces raisons, le com-
a plus.
la er
t u
bat de Charlie et le livre sont es-
sentiels à ses yeux : “L’état d’esprit
français n’est pas encore mobilisé
sur le danger du terrorisme qui est
énorme, chronique et dangereux à
terme. Quelque chose est en train
de prendre une ampleur que l’on
n’imagine pas. Il y a des gens qui
se servent de la religion, un alibi
honorable à leurs yeux, pour
essayer d’imposer une dictature.
Riss, directeur Nous devrions être beaucoup
de publication plus vigilants et solidaires envers
de Charlie
tous ceux qui, comme Charlie
Hebdo,
caricaturiste et ceux de confession juive, se
et auteur sentent isolés. L’isolement par la
de BD. discussion vient de ces intellectuels
de gauche qui disent : ‘Oui, mais
quand même, ils n’auraient pas
dû…’, c’est une discussion oiseuse
qui est un apanage de notre liberté
d’expression, mais à un moment
il faut être capable de dire ‘Stop
les gars !’ On va trop loin, dans
quelque temps la liberté d’expres-
sion sera mise à mal, y compris
celle qui nous permet de discuter
aujourd’hui.” Des mots qui font écho
Benjamin H à ceux de Fabrice Nicolino, lors de son
attab,
père de Yo témoignage : “Cette gauche qui donne
av,
mort en te
ntant quitus à ceux qui vont venir nous tuer
de désarm
Amedy C er après, je les déteste, je les vomis.”
oulibaly :
P
“Je suis fie
r de
mon fils.” orté par ce sentiment d’urgence,
François Boucq poursuit : “Avec
les plaidoiries de Richard Malka
ou de l’Hyper Cacher, on est reve-
nu à l’essentiel, qui est comment
on a laissé ces faits se produire et com-
ment on pourrait réagir, si on le voulait,
aujourd’hui. Ça concerne la politique, l’état
d’esprit et la liberté de confession et d’expres-
sion sous toutes ses formes. Pour tout cela,
on ne devrait pas risquer d’encourir un
assassinat. La conclusion de Richard
Malka, c’était que Charlie vive alors
‘Vive Charlie !’ quoi que l’on pense
des caricatures. Même si on n’est pas
toujours d’accord, c’est pas ça le plus
important, c’est de pouvoir continuer
à caricaturer, de préserver la versati-
lité de l’insolence. Ce sont des choses
sur lesquelles on ne devrait pas tran-
siger. On doit pouvoir continuer à
être désinvolte et faire de l’humour
pendant avec les événements. Si un dieu existe
l’audience, inst al lés en et qu’il nous a donné la possibilité
és id en t de la désinvolture, c’est qu’elle est
de se s as se ss eurs. nécessaire pour la vie. Pour se mar-
et
rer, continuer à se marrer. C’est ça le
plus important.”
rollingstone.fr | Rolling Stone | 43
 CLIMAT
MORTEL
Covid-19, Zika, Nipah, Ebola, dengue… comment la crise climatique entraîne une
nouvelle ère pandémique, et pourquoi nous n’y sommes absolument pas préparés.

PAR JEFF GOODELL

I L L U S T R AT I O N PA R J A S O N H O L L E Y

ROLLING STONE | 44 | FÉVRIER 2021

 C L I M AT
M O RT E L
OMME BEAUCOUP D’ENTRE NOUS, Jenni-
fer Jones a passé l’essentiel de son été
chez elle. Alors qu’elle s’occupait dans
son jardin, en Floride, un moustique s’est
posé sur elle. Jusque-là, rien d’étonnant.
Sauf que ce n’était pas n’importe quel
moustique. C’était un Aedes aegypti, l’un
des animaux les plus mortels de toute
l’histoire humaine (la moitié des humains
ayant jamais vécu serait morte d’un pa-
thogène transmis par les moustiques), ar-
rivé en Amérique du Nord avec les navires
d’esclaves au XVIIe siècle.
Le moustique a fait très vite. Après
avoir engourdi la peau de Jones, il l’a
piquée de son proboscis, qui contient en
fait six aiguilles. Avec deux d’entre elles,
il a fait un trou dans la chair, qu’il a en-
suite écartée avec deux autres, avant de
s’introduire dans une veine. C’est là qu’il
se passe quelque chose d’important :
pour mieux aspirer le sang, le mous-
tique crache de la salive anticoagulante.
Et dans cette salive, il y a un virus qui
provoque une maladie tropicale connue
sous le nom de dengue.
Il a fallu environ une semaine pour que
le virus fasse son effet : rougeurs, fortes
douleurs articulaires et derrière les yeux.
“J’avais l’impression d’être une femme de
99 ans heurtée par un camion”, raconte
Jones. Dans de rares cas, la dengue peut
entraîner des complications fatales (en-
viron 10 000 personnes meurent de la
dengue chaque année), mais Jones a eu
de la chance. Elle s’est remise après quatre
ou cinq jours.
Cette maladie existe depuis des siècles
en Asie et dans les Caraïbes. D’après
l’OMS, seuls neuf pays ont connu des épi-
démies graves de dengue avant 1970. Mais
depuis, elle est devenue endémique (c’est-
à-dire implantée de façon permanente)
dans 128 pays. En 2019, on a enregistré
4,2 millions de cas. Le monde se réchauffe,
rendant la planète plus hospitalière pour
Aedes aegypti, qui gagne du terrain. D’ici à
2080, plus de 60 % de la population pour-
rait être menacée par cette maladie.
46 | Rolling Stone | rollingstone.fr
A
u moment d’écrire ces lignes,
le Covid-19 a touché 86 millions
de personnes et causé plus de
1,8 million de morts dans le
monde. En juillet 2020, l’impact
économique mondial de la pan-
démie était estimé entre 8 000 et
16 000 millions de dollars. Les
souffrances causées par ce mi-
nuscule microbe sont immenses : perte de
proches, chômage, effets à long terme…
Pourtant, nous avons eu de la chance.
Comparé à d’autres pathogènes, ce coro-
navirus est plutôt docile. Il est facilement
transmissible et bien plus meurtrier que la
grippe, mais il ne tue pas 3 personnes sur 4
comme le virus Nipah. Il ne fait pas saigner
des yeux et du rectum comme Ebola. “Ima-
ginez une maladie avec un taux de mortalité
de 75 % qui serait aussi facilement transmis-
sible, lance Stephen Luby, épidémiologiste
à l’université de Stanford. Ce serait une me-
nace existentielle pour la civilisation.”
La pandémie de Covid-19 est souvent
comparée à la grippe espagnole de 1918, qui
a tué au moins 50 millions de personnes.
Mais il est peut-être plus juste de la voir
comme un aperçu de ce qui est à venir.
“Nous sommes entrés dans l’ère des pandé-
mies”, écrit le docteur Anthony Fauci, de
l’Institut national des allergies et maladies
infectieuses. Il cite le VIH/Sida, qui a causé
au moins 37 millions de morts, et fait l’ef-
frayant inventaire de cette dernière décen-
nie : grippe A/H1N1 en 2009, chikungunya
en 2014, Zika en 2015, Ebola… Et puis il y a
les coronavirus. Sars-CoV, qui a failli pro-
voquer une pandémie en 2002-2003 avant
de disparaître ; Mers-CoV, qui a rapidement
dépéri ; et aujourd’hui, Sars-CoV2, le virus
qui cause le Covid-19.
L’un des principaux moteurs de cette
nouvelle ère des pandémies est la crise cli-
matique. La fonte du permafrost de l’Arc-
tique relâche des pathogènes qui n’ont pas
vu la lumière du jour depuis des dizaines de
milliers d’années. Mais surtout, le réchauf-
fement impacte l’émergence de nouveaux
pathogènes venus d’animaux.
Entre la destruction des habitats et
la hausse des températures, beaucoup
d’espèces sont contraintes de migrer vers
des environnements plus hospitaliers. La
morue de l’Atlantique s’est déplacée de
200 km par décennie. Dans les Andes,
des champignons et des grenouilles ont
été vus à plus de 400 mètres d’altitude au
cours des soixante-dix dernières années.
En Alaska, on découvre des parasites ori-
ginaires de plus de 1 500 km de là sous la
peau d’oiseaux sauvages (les petits parasites
s’adaptent mieux au changement rapide des
températures que les animaux plus grands).
Durant leur exode, tous ces animaux sont
susceptibles d’en croiser d’autres, qu’ils
n’auraient jamais rencontrés autrement.
Février 2021
 LES DANGERS PARMI NOUS
Autant d’occasions pour les virus de passer
d’une espèce à l’autre : c’est souvent ainsi
que naissent de nouvelles maladies. On
estime à 1,7 million le nombre de virus en-
core non découverts chez les oiseaux et les
mammifères. Parmi eux, plus de 800 000

E
pourraient infecter les humains. Les chauves-souris, les tiques et les moustiques transportent certaines des maladies les plus
mortelles au monde, et de nouveaux pathogènes continuent d’émerger.
n 1994, dans la petite ville de
Hendra, en banlieue de Bris-
bane (Australie), des chevaux
de course sont mystérieusement
tombés malades. Peu de temps
après, leur entraîneur était admis
en soins intensifs, avant de suc-
comber. Au total, 70 chevaux ont
été contaminés et 7 humains sont
morts. Il a fallu des mois pour comprendre
ce qui s’était passé.
Les chauves-souris géantes frugivores
sont communes dans cette partie de l’Aus-
tralie, mais elles ont de plus en plus de mal
à trouver de la nourriture à cause de la
fragmentation de leur habitat. Alors elles
se rapprochent de la civilisation. Venues
se nourrir sur des arbres fruitiers dans un
pré, elles ont contaminé l’herbe avec leur
urine, laquelle contenait un virus inconnu.
Celui-ci est passé aux chevaux, puis aux
humains. Heureusement, le virus Hendra MALADIES ASSOCIÉES IMPACT DU CHANGEMENT CLIMATIQUE
n’était pas facilement transmissible et a Dengue, fièvre jaune, chikungunya, Aedes aegypti prospère à
ESPÈCE
rapidement été maîtrisé. Zika… Aedes aegypti est le vecteur de des températures supérieures à celles
Peu après, en 1998, c’est le virus Nipah, Moustique maladies le plus efficace au monde, supportées par les autres moustiques
un proche cousin de Hendra, qui est appa- Aedes causant plus de 50 millions d’infections et est bien adapté à une planète qui
aegypti par an. “N’importe quel virus pouvant se réchauffe. Son taux de transmission
ru en Malaisie dans des conditions à peu infecter Aedes aegypti a aussi le de maladies a été multiplié par trente
près similaires : des chauves-souris ont fait potentiel d’accéder à des milliards ces cinquante dernières années, et
tomber des fruits infectés par leur salive, d’humains”, écrit le Dr Anthony Fauci. son territoire s’étend.
que des porcs d’élevage ont mangés. Plus
© DE HAUT EN BAS : PROF. FRANK HADLEY COLLINS/CNTR. FOR GLOBAL HEALTH AND INFECTIOUS DISEASES/UNIV. OF NOTRE

de 300 cas humains et 100 morts ont été

MALADIES ASSOCIÉES
rapportés. Pour mettre fin à l’épidémie, un ESPÈCE Virus Hendra et Nipah, qui ont
million de cochons ont été abattus. Puis, causé des épidémies en Asie
Chauve-
en 2001, une deuxième épidémie éclate au du Sud et en Australie, avec
souris
Bangladesh. Cette fois, les individus ont
DAME/CDC; RONALD WITTEK/PICTURE PRESS/RE DUX; MARIJAN MURAT/PICTURE-ALLIANCE/DPA/AP IMAGES

un taux de mortalité jusqu’à 75 %.

géante Une souche transmissible par
contracté le virus en buvant de la sève de frugivore
dattier infectée par les chauves-souris. Sur voie aérienne, “serait comparable
à la peste noire”, affirme
les 248 cas de virus Nipah identifiés au
un épidémiologiste.
Bangladesh entre 2001 et 2014, 82 étaient
causés par une transmission de personne IMPACT DU CHANGEMENT CLIMATIQUE
La floraison des arbres dont dépendent ces animaux
à personne, et 193 ont conduit à la mort : un
change et les force à migrer pour trouver de la nourriture.
taux de mortalité de 78 %. Un tiers de ceux Leur habitat, rasé, les rapproche des humains et rend
qui ont survécu présentent des séquelles la transmission de virus plus probable.
neurologiques. “La seule chose qui a empê-
ché Nipah de tourner à la pandémie, c’est
MALADIES ASSOCIÉES
qu’il ne se transmet pas de façon asympto- ESPÈCE Les tiques abritent quelque
matique, explique l’épidémiologiste Raina
Plowright. On n’est contagieux que lorsqu’on Tique 20 pathogènes aux États-Unis,
dont la fièvre pourprée
sait déjà qu’on est malade, ce qui rend le virus des montagnes Rocheuses et
bien plus facile à maîtriser.” le bandavirus Heartland. Mais
Mais les virus mutent, et de nouvelles la maladie de Lyme est le danger le plus pressant, avec
souches peuvent émerger. Le virus Nipah environ 300 000 cas par an.
appartient à une famille qui comprend IMPACT DU CHANGEMENT
CLIMATIQUE
la rougeole et les oreillons, qui se trans-
Un environnement chaud
mettent très bien dans les populations
permet leur propagation vers
humaines. De légers changements pour- le nord. Les cas de maladie de
raient donc augmenter sa capacité à se Lyme ont triplé aux États-Unis
transmettre d’humain à humain, ce qui depuis les années 1990.

Février 2021 rollingstone.fr | Rolling Stone | 47


créerait une pandémie à fort taux de mor-
talité. “Si Nipah devenait plus transmissible,
avance Stephen Luby, ce serait un problème
du niveau de la peste noire.”
La liste des virus passés de la chauve-
souris à l’homme est longue et terrifiante :
Hendra, Marburg, Ebola, rage, probable-
ment Sars-CoV2… Pourquoi ces animaux
abritent-ils autant de virus mortels ? D’une
part, ils possèdent un système immunitaire
qui tolère les infections, ce qui leur per-
met d’être porteurs d’une large palette de
virus sans être malades. Les chauves-souris
vivent jusqu’à 40 ans, ce qui leur donne le
temps de diffuser la maladie, et elles sont
très mobiles : certaines espèces font 50 km
chaque nuit pour trouver de la nourriture.
Pour Plowright, le lien avec la crise cli-
matique est évident. “Ces chauves-souris
dépendent d’une nourriture régulée par le
climat. Les choses changent vraiment rapi-
dement. Il arrive un moment où il n’y a plus
de nourriture, alors les chauves-souris se
retrouvent dans le jardin des gens ou dans les
écuries, là où il y a de quoi manger.”
Plus ces chauves-souris ont de contacts
avec d’autres animaux, plus les virus
qu’elles transportent ont d’opportunités
de faire le saut d’espèce. “Sars-CoV2 a été un
désastre humanitaire, mais vous imaginez si
le virus tuait la moitié des gens qu’il infectait
après une période de transmission asymp-
tomatique ? Voilà le risque que l’on court. Et
plus le changement climatique sera rapide,
D
plus le risque augmentera.”
ans un petit laboratoire près
de Houston (Texas), Max Vigi-
lant trie une pile de moustiques
morts, piégés dans le cadre de sa
mission pour le Département de
la santé publique local. Ils seront
broyés et passeront une série
de tests pour déterminer quels
pathogènes ils contiennent. La
plupart d’entre eux appartiennent au genre
Culex, le moustique ordinaire. Mais Vigilant
en pioche un autre. “Vous voyez ces bandes
blanches sur l’abdomen ? C’est Aedes aegyp-
ti.” Aedes aegypti est un vecteur extrême-
ment efficace de la dengue et du Zika, mais
aussi de la fièvre jaune et du chikungunya,
ce qui en fait l’un des animaux les plus dan-
gereux sur terre.
Malheureusement, c’est aussi celui qui
nous préfère. C’est le labrador des mous-
tiques, il est heureux près de nos maisons.
Et parce qu’il prospère à des températures
plus élevées que la plupart des autres mous-
tiques, il est bien adapté à la vie sur une
planète qui se réchauffe. Le Népal en a fait
la triste expérience : en 2015, on y comptait
135 cas de dengue. En 2019, 14 662.
Ailleurs, les changements seront plus
complexes. La malaria, qui tue plus de
400 000 personnes chaque année, est pro-
48 | Rolling Stone | rollingstone.fr
C L I M AT
M O RT E L
voquée par le parasite d’un petit mous-
tique, Anopheles gambiae, lequel est sen-
sible aux hautes températures. L’Afrique
de l’Ouest deviendra probablement trop
chaude pour lui et il migrera vers l’est et
le sud du continent. Dans le même temps,
Aedes aegypti, qui aime la chaleur, prendra
sa place laissée vide. À Houston, comme
dans une bonne partie du sud des États-
Unis, Aedes aegypti est installé, mais peu
commun. La ville a connu sa première épi-
démie de dengue en 2003 et une flambée
de Zika en 2016. Vigilant et son équipe n’ont
qu’une seule arme : diffuser de l’insecticide
depuis un pick-up au moindre signe alar-
mant. Mais les moustiques développent une
immunité. Des avancées technologiques,
comme des moustiques génétiquement
modifiés pour produire des femelles sté-
riles, semblent prometteuses, mais en atten-
dant, Aedes aegypti règne en maître comme
vecteur le plus insidieux et inarrêtable de
maladies futures. Vu de l’extérieur, on ne
LA LISTE DES VIRUS PASSÉS DE LA CHAUVE-SOURIS À
L’HOMME EST LONGUE ET TERRIFIANTE : HENDRA, MARBURG,
EBOLA, RAGE, PROBABLEMENT SARS-COV2… POURQUOI
CES ANIMAUX ABRITENT-ILS AUTANT DE VIRUS MORTELS ?
se doute pas que le laboratoire national
de Galveston abrite l’un des rares endroits
dans le pays où les scientifiques étudient
quelques-uns des virus les plus mortels au
monde : Ebola, Nipah, Marburg…
Entrer dans un laboratoire P4, c’est faire
un voyage dans l’espace. On passe d’abord
par un couloir tampon qui débouche dans
une pièce où on troque ses vêtements de
ville pour une blouse stérile. Ensuite, dans
une autre pièce, on enfile une “combinai-
son spatiale”, avec gants intégrés et casque
en plastique transparent. La combinaison
est ensuite mise sous pression et gonflée
comme un bibendum. Puis vient le sas,
qui est la barrière la plus importante entre
les pathogènes mortels et le monde exté-
rieur. On ouvre une lourde porte étanche
de sous-marin, on la referme, on fait
quelques pas puis on en ouvre une autre.
Enfin, on est arrivé. À L’intérieur, Dennis
Bente travaille sur des tiques natives du
bassin méditerranéen, les Hyalomma. Elles
sont brunes, avec des bandes jaunes sur
les pattes, lesquelles sont plus longues que
celles de tiques communes, ce qui leur per-
met de courir (sur YouTube, on peut trou-
ver des vidéos de Hyalomma qui courent
après des gens, comme de minuscules lions
C
poursuivant une antilope).
es tiques sont porteuses de la
fièvre hémorragique de Crimée-
Congo, qui est une sorte d’Ebola,
légèrement moins horrible. La
maladie commence souvent avec
une forte fièvre, des douleurs ar-
ticulaires et des vomissements.
Des taches rouges apparaissent
sur le visage et la gorge. Au qua-
trième jour, de graves contusions et des
saignements de nez arrivent, et dans bien
des cas, des saignements d’autres orifices.
Cela dure deux semaines environ. Il n’y a ni
traitement ni vaccin. Le taux de mortalité
va de 5 à 30 %. Les tiques vivent jusqu’à
deux ans, contre quelques semaines pour
les moustiques. Mais comme ces derniers,
elles ne peuvent pas survivre longtemps
dans des climats froids ou secs. Alors elles
suivent la chaleur. Certaines espèces se
déplacent de 50 km au nord chaque année.
Aux États-Unis, les tiques peuvent véhi-
culer plus de 20 pathogènes différents,
et on en découvre continuellement de
nouveaux. La plus emblématique est la
maladie de Lyme, causée par la bactérie
Borrelia burgdorferi, et découverte dans
le Connecticut au milieu des années 1970.
Aujourd’hui, c’est une menace majeure et
grandissante. Les cas rapportés ont tri-
plé depuis la fin des années 1990. En plus
de la hausse des températures, le paysage
de plus en plus fragmenté du nord-est des
États-Unis a participé à l’élargissement du
territoire de cette tique. La destruction de
forêts a fait chuter le nombre de renards et
de rapaces nocturnes, ce qui a conduit à
une explosion du nombre de souris à pattes
blanches, qui sont le principal réservoir de
Borrelia burgdorferi. Elles transmettent la
bactérie aux tiques qui les infestent, les-
quelles la propagent ensuite.
Février 2021

M
ais Bente s’inquiète avant
tout de l’invasion de tiques
à long ues cornes. Natives
d’Asie de l’Est, d’Australie et
© DE HAUT EN BAS : MICHAEL STRAVATO/”THE NEW YORK TIMES”/REDUX; MARK KINONEN/
de Nouvelle-Zélande, elles
ont été détectées pour la pre-
mière fois dans le New Jersey,
en 2017. En l’espace d’un an,
les chercheurs en ont trouvé
UNIVERSITY OF TEXAS MEDICAL BRANCH; JOE RAEDLE/GETTY IMAGES
dans huit autres États. L’une des raisons
de ce développement rapide est que les fe-
melles peuvent se reproduire par clonage
(parthénogenèse). Leurs proies favorites
sont le bétail. Dans certaines parties de
la Nouvelle-Zélande et de l’Australie, les
tiques ont fait baisser le rendement en
lait de 25 %.
Pour l’instant, il n’y a aucune preuve
que ces tiques transmettent des maladies
aux humains. Mais est-ce que le virus de la
fièvre hémorragique pourrait passer des
tiques Hyalomma à ces tiques à longues
cornes ? “La nature est complexe, me répond
Bente. Je n’aime pas le discours consistant
Février 2021
LES ENQUÊTEURS
La Floride et le Texas ont déjà
connu de petites épidémies
de dengue. Max Vigilant,
épidémiologiste du comté
de Harris, à Houston
[ EN HAUT  ], ainsi que Meredith
Kruse et Billy Ryan, dans
les Keys, en Floride [ À GAUCHE ], surveillent la population
locale de moustiques. Dennis Bente [ À DROITE ] étudie les
tiques Hyalomma, vecteurs de la fièvre hémorragique de
Crimée-Congo.
à dire qu’on est à une morsure de la catas-
trophe. Mais en même temps, je ne peux pas
O
dire que ça n’arrivera pas.”
n parle beaucoup du besoin de
se préparer à cette nouvelle ère
pandémique. Aux États-Unis, il
y a eu des programmes fédéraux
ambitieux, comme Predict, lan-
cé en 2009 par l’administration
Obama suite à la grippe aviaire
H5N1 de 2005 : 200 millions de
dollars dépensés pour former
environ 5 000 scientifiques dans 30 pays
et pour construire ou renforcer 60 labora-
toires. Les chercheurs du programme ont
découvert près de 1 000 nouveaux virus,
dont une nouvelle souche d’Ebola. Mais
l’administration Trump n’était pas intéres-
sée, et les financements se sont arrêtés en
octobre 2019, quelques mois avant la pan-
démie de Covid-19. En avril, une rallonge
exceptionnelle a été accordée, mais il était
déjà trop tard.
Cependant, pour moi, il est clair que
ce n’est pas le manque de surveillance
des maladies qui est au cœur du pro-
blème, mais notre mode de vie. Nous
rasons des forêts pour construire des
lotissements, élevons du bétail dans des
usines, alimentons nos maisons et nos
voitures avec des énergies fossiles qui
réchauffent la planète et bouleversent
le monde naturel. Comme l’explique le
docteur Aaron Bernstein, de Harvard :
“Si on veut faire quelque chose pour em-
pêcher l’émergence de maladies, il faut
d’abord reconsidérer sérieusement notre
façon de traiter la biosphère.”
Sans compter qu’il n’y a pas que les
nouvelles maladies. Le changement cli-
matique augmente notre vulnérabilité
aux anciennes. La production de nourri-
ture dans les régions les plus désolées du
monde déclinera à cause
de la chaleur et de la séche-
resse. “Le plus gros impact
du changement climatique
sur la santé humaine pren-
dra probablement la forme
d’une hausse des maladies
comme la tuberculose et la
rougeole chez des personnes
mal nourries, explique Ste-
phen Luby. Quand les gens
sont affaiblis, ils sont plus
vulnérables.”
Au Texas, premier État à
passer la barre du million
de cas de Covid-19, une
meilleure sur veillance
des maladies n’aurait rien
changé. Les gens tombent
comme des mouches à
cause du virus, pourtant
on peut se promener en
ville sans croiser une seule personne avec
un masque. Ceux qui ont le plus souffert,
comme toujours, sont les plus pauvres,
les minorités, ceux qui sont à la marge
de notre société. Au bout du compte, une
pandémie est un problème politique, pas
scientifique.
Je demande à Max Vigilant de me mon-
trer le quartier de Houston le plus infesté
de moustiques, là où les gens seraient le
plus en danger en cas d’épidémie. Il nous
conduit dans un quartier principalement
noir et hispanique. Les rues sont vides à
cause du Covid, les hôpitaux sont satu-
rés, et la quatrième ville des États-Unis
a des airs de cité fantôme. Vigilant sou-
lève une plaque dans la rue, sous laquelle
apparaît un piège à moustiques. Ils sont
des centaines là-dedans, chacun abritant
potentiellement un virus ou un parasite
encore jamais vu. Peut-être que ce nou-
veau pathogène ne survivra pas à son saut
vers l’humain. Ou peut-être que si ; qu’il se
répliquera quelques milliards de fois, et
qu’il changera le cours de notre histoire.
rollingstone.fr | Rolling Stone | 49
 L’incendiaire
du hashtag
Pas la moindre trace de fraude, et pourtant la troupe MAGA continue
de hurler son “Stop the steal”. Jusqu’à l’inacceptable.
I
t’s All Over Now”, Donald. “You
Bet ter Move On”. “Look What
You’ve Done!” OK, “It’s Not Easy”,
mais, “Think”, “You Gotta Move”. C’est
drôle, il fut un temps où les Stones sem-
blaient adresser un message prémoni-
toire à un Donald Trump incapable de se
résoudre à l’“Aftermath”, l’après. You’re
“Out of Time” !
On aurait préféré la version “Cool Calm
Collected” mais on ne peut pas toujours
avoir ce qu’on veut. On pensait naïvement
être tranquilles après la semaine d’an-
goisse qui a suivi le 3 novembre. Le “Can
I Get a Witness?” de l’équipe Trump n’a
rien donné et, faute de la moindre preuve
de fraude électorale, sauf dans l’esprit
malade de complotistes plus nombreux
qu’on le croit, le collège des grands élec-
teurs a fini par se prononcer, et le Congrès
en session plénière devait confirmer une
dernière fois leur vote. Ce qui est d’habi-
tude une formalité devait être agrémenté,
cette année, du baroud d’honneur d’un
quarteron de MAGAgogos républicains,
moins intéressés par la prolongation du
Patron (pas du Boss, attention) que par
la manne de ses 74 millions d’électeurs
pour servir leurs ambitions en 2024. On
savait que Mike Pence, qui présidait la
session, ne pouvait pas inverser le cours
de l’histoire, et que les Républicains, qui
faisaient mine de s’opposer au vote des
grands électeurs dans certains États clés,
n’auraient pas le soutien de leurs collè-
gues pour avoir le moindre impact sur le
résultat. Tout cela était donc du théâtre
politique, ni plus ni moins.
Dans le même temps se jouait le dé-
nouement d’une extraordinaire double
prolongation en Géorgie : un deuxième
tour (quand aucun des candidats ne dé-
croche 50 % des voix en novembre), c’est
assez rare, mais deux, à cause d’une élec-
tion partielle en bonus, c’est du jamais vu.
Et le plus fou, c’est que ce double scrutin
détermine l’orientation de la majorité
au Sénat et, par conséquent, les marges
de manœuvre de l’administration Biden
dans l’exercice de son pouvoir, les nomi-
nations qu’elle entrevoit et l’application
de son programme de gouvernement.
ILLUSTRATION VICTOR JUHASZ
Pour les Démocrates, il était impératif
d’emporter les deux scrutins. Le grand
chelem. On a rapidement su que l’un des
Démocrates, Raphael Warnock, l’empor-
tait ; il a fallu attendre plus longtemps
pour voir le deuxième, Jon Ossoff, passer
devant le sortant David Perdue (un
vrai nom de winner), et encore un
peu plus pour que cette deuxième
victoire soit confirmée, ce qui est
historique. Oh ! il y a eu des Démo-
crates en Géorgie, mais ils étaient
plus Ku Klux Klan que pasteur noir,
comme Warnock.
Donc c’est historique dans
l’incarnation actuelle du Parti dé-
mocrate, et cela confirme que la PAR LAURIC HENNETON
Géorgie change au niveau démo-
graphique et sociologique, et que
les Démocrates arrivent à mobiliser
cette nouvelle population, notamment
des Noirs diplômés venus des grandes
villes des États du Nord, dans un mou-
vement inverse de la “grande migration”
qui a conduit tant de leurs ancêtres des
champs de coton du Sud vers les usines
de Chicago, Détroit ou Cleveland. C’était,
en d’autres termes, la route du blues, qui
s’électrifia au passage dans les tripots
bruyants de ces grandes villes. Là, c’est
plutôt la route des Bleus, couleur des Dé-
mocrates. On le voit aussi au Texas mais
dans une mesure bien moindre.
Ce 6 janvier devait donc être la double
conclusion d’une longue, très longue sai-
son électorale, commencée avant que
le coronavirus ne vienne changer nos
existences. Il y a une éternité.
Mais voilà, l’incendiaire du hashtag
en avait décidé autrement, et le final de
la dernière saison a tenu ses promesses.
Pour faire pression sur des parlemen-
taires incapables d’empêcher son iné-
luctable défaite, il a trouvé judicieux de
réunir ses fidèles pour marcher sur le
Capitole. Bilan, une bande de “Street
Fighting Men” qui avaient bien préparé
leur opération sur les réseaux sociaux pri-
vilégiés par l’extrême droite (GAB et Par-
ler). Le Madcap-in-chief était-il assez naïf
pour croire que ces joyeux drilles allaient
se contenter d’une promenade dans la
froidure de janvier pour dire poliment
“I can’t get satisfied” ? Le plus étonnant est
surtout l’incroyable facilité avec laquelle
ils ont réussi à pénétrer dans le Capitole.
Pas pour un coup d’État, comme on a
pu le lire. Non, un coup d’État implique
un projet politique de prise du
pouvoir par la force. La force, on
l’a vue, un peu. Des fragiles ont
déploré l’accueil un peu musclé
qui leur fut réservé. Beaucoup, une
fois à l’intérieur, se sont contentés
de faire des selfies et de s’installer
dans les fauteuils de ces élites qu’ils
méprisent tant. Et l’immense majo-
rité est sortie sans se faire inquiéter
par des forces de l’ordre totalement
dépassées. “I found my thrill/On
@lauric_henneton Capitol Hill”, comme on me l’a souf-
flé astucieusement sur Twitter. Ou
plutôt, “Ain’t That a Shame”.
On pensait avoir vécu de bien“ Strange
Days” pendant quatre ans, mais là on
était carrément dans la “Fifth Dimen-
sion”. A minima. “Dark Side of the Moon”,
option “Brain Damage”. La honte inter-
nationale, presque intergalactique. La
plus ancienne démocratie du monde,
toujours prête à donner des leçons (mais
la France n’est pas en reste sur ce point)
pouvait se faire toute petite. Cependant,
le principal problème de cette sombre
conclusion du mandat le plus chaotique
de l’histoire récente (la présidence Lin-
coln a été un peu agitée, quand même)
est un problème de maintien de l’ordre et
de sécurisation d’un lieu de pouvoir. Bien
des terroristes ont dû tomber des nues en
voyant avec quelle facilité ils auraient pu
accomplir leurs sombres desseins. Sauf
que d’habitude, c’est une forteresse.
Au moment d’écrire ces lignes, Trump
s’est fait bannir de Twitter et de Face-
book ; on se demande ce qu’il peut encore
manigancer, mais on devrait bientôt pou-
voir tourner la page et ouvrir un nouveau
chapitre de l’histoire du pays. Les insti-
tutions ont tenu le choc, la participation
électorale – dans les deux camps – fut
historique malgré la pandémie : la démo-
cratie américaine en sort grandie. “All
Things Must Pass”. “All Right Now”.
Février 2021 | rollingstone.fr | Rolling Stone | 51
 CHANGEMENT
D’ÈRE
Si l’année précédente avait marqué la fin des illusions, la nouvelle,
qui débute avec le live du premier concert caritatif de l’histoire, ouvre
de nouvelles perspectives.
PAR SOPHIE ROSEMONT & XAVIER BONNET
 TIMELINE

JANVIER JANVIER MARS

15 janvier
10 janvier Inauguration du haut barrage
Mort de Coco Chanel d’Assouan, sur le Nil.
à l’âge de 87 ans,
dans son
appartement
de l’hôtel Ritz,
à Paris.

5 mars
Led Zeppelin joue en live “Stairway to Heaven”
pour la première fois au Ulster Hall de Belfast.
Réactions très mitigées dans la salle…

JANVIER FÉVRIER MARS

George Harrison Janis Joplin ZZ Top Carole King Nick Drake Jethro Tull
The Concert for Pearl ZZ Top’s First Album Tapestry Bryter Layter Aqualung
Bangladesh 11 janvier 1971 16 janvier 1971 10 février 1971 5 mars 1971 19 mars 1971
7 janvier 1972 Réalisé par Blues, hard rock et Après avoir quitté Gerry Accompagné de Entre folk-rock et
Premier grand concert le producteur des colorations de ce que Goffin, la compositrice membres du Fairport prog rock, Jethro Tull
de charité, chargé en Doors, Paul Rothchild, l’on n’appelle pas enregistre cet écrin Convention, de John définit son cadre
moments de grâce : ce premier vrai disque encore rock sudiste, à la production Cale, Mike Kowalski en condamnant
“Bangla Desh” de son solo de Janis la le tout assaisonné cristalline, où elle et Ed Carter, Nick – notamment –
initiateur, George flamboyante offre un bel d’allusions “grivoises” réinterprète les Drake ne signe pas les dogmes religieux.
Harrison (puis avec aperçu de ce qu’aurait plus ou moins, hum, chansons jusqu’ici son album le plus Les solos de guitare de
Clapton “While My pu être sa carrière si elle limpides. La mayonnaise interprétées par bouleversant, Martin Barre tombent
© GETTY IMAGES

Guitare Gently Weeps”), n’était pas morte durant texane commence à d’autres. Elle en profite mais peut-être à point nommé pour
bien entouré de Dylan, l’enregistrement. prendre, elle n’a pas fini pour raconter sa celui qui touchait de rappeler que Jethro Tull
Shankar, Starr et Une autre idée du blues de nous monter au nez… quête d’indépendance plus près le bonheur ne se résumait pas
Preston. féminin. et à la barbe ! comme d’amour. d’être en vie. toujours à la flûte de Ian

54 | Rolling Stone | rollingstone.fr Février 2021

 MARS AV R I L JUIN

8 mars
Le “Combat
du siècle“ entre Joe 5 avril 11-13 juin
Frazier et Mohamed Ali, au Madison Publication, dans le Nouvel Au congrès d’Épinay,
Square Garden de New York, se solde par la Observateur, du Manifeste François Mitterrand
première défaite professionnelle du second des 343 femmes en faveur de prend le contrôle
nommé. La revanche (28/10/74) et la belle la légalisation de l’avortement, du nouveau Parti
(1/10/75) tourneront à son avantage… rédigé par Simone de Beauvoir. Socialiste.

AV R I L MAI

Serge Gainsbourg Leonard Cohen Crosby, Stills, Nash The Doors The Rolling Stones Paul McCartney/
Histoire de Melody Songs of Love and Hate & Young L.A. Woman Stinky Fingers Linda McCartney
Nelson 19 mars 1971 4 Way Street 19 avril 1971 23 avril 1971 RAM
24 mars 1971 La face A pour la haine, 7 avril 1971 Le chant du cygne Considéré comme 17 mai 1971
L’album le plus culte la face B pour l’amour Quand 4 Way Street sort, d’un groupe souvent l’un des chefs-d’œuvre Deuxième album solo ou
de Gainsbourg outre- – avec le légendaire l’association de imité, jamais égalé, des Stones, qui n’ont façon de prouver qu’il
Manche, à la fois “Famous Blue Raincoat”, ces quatre-là est déjà qui délaisse pas lésiné sur peut lui aussi associer
narratif et conceptuel, d’abord chanté par caduque, n’ayant pas le psychédélique le potentiel attractif de Madame à son travail,
aux légendaires Judy Collins. Enregistré résisté aux conflits nés référentiel pour un blues la pochette au-delà des piques à
cordes signées à Nashville avec sur la tournée estivale de mantresque, où la voix warholienne, cet album Lennon (“Too Many
Jean-Claude Vannier, Bob Johnston, il 1970, que retrace cette de Morrison résonne se partage entre People”, “Dear Boy”) ?
© GETTY IMAGES

entre symphonique résonne autant de vingtaine de titres avec une rare ballades à tomber, Qu’importe. Le sens
et pré-spoken l’épure cohenienne où chacun donne de profondeur, notamment comme “Wild Horses”, mélodique et la légèreté
word, poétique que de son son meilleur, seul ou sur la conclusion, et brûlots blues façon subliment un ensemble
et toxique. inspirante poésie. accompagné. “Riders on the Storm”. “Brown Sugar”. un brin foutraque.

Février 2021 rollingstone.fr | Rolling Stone | 55

 TIMELINE

JUIN AO Û T

3 juillet
Mort de Jim Morrison dans son
appartement de la rue Beautreillis, à Paris.

31 août
13 juin John Lennon quitte
Publication dans l’Angleterre direction
le New York Times des premiers extraits New York, pour ne plus
des Pentagon Papers. jamais en repartir.

JUIN

Aretha Franklin Marvin Gaye Rory Gallagher Graham Nash Rod Stewart Michel Polnareff
Aretha Live at Fillmore What’s Going On Rory Gallagher Songs for Beginners Every Picture Tells “polnareff’s”
West 21 mai 1971 23 mai 1971 28 mai 1971 a Story 1er juin 1971
19 mai 1971 Le neuvième album Il a dit au revoir à Taste Après Crosby, Stills 28 mai 1971 “Voyages”, le premier
D’entrée de jeu et de Marvin Gaye est après un ultime concert et Young, c’est au Des reprises qui font morceau – instrumental –
ce “Respect” presque né du succès de son au Nouvel An, l’idée de tour du plus discret mouche (Dylan et de ce troisième album,
étouffant d’intensité, morceau titre, s’associer avec Noel et romantique – Hardin, ici), des compos suffirait à lui seul à
dame Aretha est en feu. “What’s Going On”. Redding et Mitch le plus anglais aussi – qui transcendent folk, montrer qu’il n’était pas
Une incandescence qui L’objectif : dénoncer Mitchell, du Jimi Hendrix de la bande de génies rock et blues, juste venu faire du tourisme
ne s’apaisera pas, entre les désillusions de Experience, n’a pas folkeux de s’essayer un peu plus sèches que en investissant
standards soul et la jeunesse américaine abouti. L’Irlandais va au solo. Avec une sur Gasoline Alley. La les studios d’Abbey
© GETTY IMAGES

reprises pop sublimées luttant pour imposer donc mener sa barque classe folle, encore routine chez Rod ? Sauf Road. Pop, jazz, soul,
avec énergie et émotion. les droits civiques, et (presque) seul, son blues marquée par qu’avec un “Maggie orchestral quasiment
Un album live a-t-il envoyée en pâture au fiévreux nous prenant ici sa relation amoureuse May” dans la musette, tout du long : Polnareff
jamais été aussi… vivant ? Vietnam. Soul brother… d’emblée à la gorge. avec Joni Mitchell. ce n’est plus pareil. essaie tout.

56 | Rolling Stone | rollingstone.fr Février 2021

 SEPTEMBRE O C TO B R E

12 octobre
Gene Vincent succombe à une hémorragie
interne provoquée par un ulcère au foie,
à quelques mois de son 37e anniversaire…

17 septembre
Diffusion sur le réseau anglais ITV
du premier dès 24 épisodes de
The Persuaders! (Amicalement vôtre
chez nous, à partir d’octobre 1972).

JUILLET AO Û T

Joni Mitchell Deep Purple Allman Brothers Band Black Sabbath Isaac Hayes The Who
Blue Fireball Live at Fillmore East Master of Reality Shaft Who’s next
22 juin 1971 9 juillet 1971 Juillet 1971 21 juillet 1971 Août 1971 14 août 1971
L’amour sous toutes Les bases ont été Considéré comme “Alright now! Won’t Avec Superfly, Cela aurait pu et dû être
ses coutures, dans posées l’année l’un des meilleurs live you listen?” La menace l’une des deux un nouveau rock opera,
ce qu’il a de plus précédente avec de tous les temps, est signifiée d’entrée grandes bandes suite improbable de
euphorisant mais In Rock. Deep Purple Fillmore East est surtout de jeu. Plus caverneux sonores de Tommy. Au final, Who’s
surtout de plus Mark II peut enfoncer la démonstration d’un dans le ton de la la Blaxploitation, qui Next s’affirme comme
mélancolique. Dans le clou avec sa équipage au sommet guitare de Tony Iommi, vaudra au Black Moses la quintessence de The
cet album manifeste, tambouille mêlant de son interaction. Bien le Sabbath millésime un Grammy Award et Who, entre rock brut et
le folk acoustique hard-rock, blues et que “condensées” au 1971 va définir la consécration de emphase lyrique,
© GETTY IMAGES

de la reine de Laurel rock progressif. mixage pour certaines, les vendanges les sa soul symphonique, témoignage aussi de
Canyon a rarement “Fireball”, “The Mule” les performances plus noires de la sexy et groovy à la fixette du moment de
semblé aussi proche et “Strange Kind of jamment entre blues sphère metal pour souhait, option Pete Townshend pour
de la perfection. Woman” font le reste… et rock sudiste. les décennies à venir ! guitares wah-wah. les synthés.

Février 2021 rollingstone.fr | Rolling Stone | 57

 TIMELINE

N OV E M B R E N OV E M B R E N OV E M B R E

14 novembre
La sonde américaine Mariner 9
est le premier engin spatial
à se placer en orbite autour
de la planète Mars.

15 novembre
Naissance du
premier
microprocesseur :
dans
une publicité
au magazine
Electronic News,
la société Intel
annonce
“un ordinateur
programmable
dans une
puce”…

27 novembre
La sonde soviétique
Mars 2 s’écrase sur
la surface de Mars,
devenant, “en dépit de
son plein gré”,
le premier engin spatial
à toucher le sol de
la planète rouge.

SEPTEMBRE O C TO B R E

Howlin’ Wolf The Beach Boys Santana T. Rex Cat Stevens John Lennon
The London Howlin’ Wolf Surf’s Up Santana 3 Electric Warrior Teaser and the Firecat Imagine
Sessions 30 août 1971 Septembre 1971 24 septembre 1971 1er octobre 1971 8 octobre 1971
Août 1971 La présence de Avec l’arrivée de Neal Perçu comme l’album 10 titres d’un folk “Imagine”, hymne
Le pionnier du blues se Brian Wilson, déjà Schon à la guitare, au fondateur du glam- céleste. Presque pacifique inspiré des
frotte à certains de ses complètement dans sein de l’embarcation rock en Angleterre, mystique, de quoi poèmes de Yoko Ono,
“héritiers” blancs (Eric les choux, a beau latino-rock (avant d’en Electric Warrior vaut annoncer sa conversion et la fabuleuse ballade
Clapton, Ian Stewart, Bill être en pointillé, elle repartir pour former surtout par un son de à l’islam, en 1977. Si un “Jealous Guy”, font
Wyman, Charlie Watts, insuffle de l’émotion à Journey), celle-ci gagne guitare reconnaissable bijou comme “Morning du second album solo
Ringo Starr, Steve cet écrin de mélodies en agressivité, offrant entre mille et un Has Broken” bénéficie de Lennon, produit par
Winwood…). Pas le arborées, qu’on plus de latitude au boss sens mélodique du piano de Rick Phil Spector, son plus
© GETTY IMAGES

meilleur souvenir pour n’attendait plus, et qui Carlos pour ses parfaitement mis en Wakeman, la voix, la emblématique. Bonus :
certains, mais une belle permet aux Beach Boys envolées. “Toussaint valeur par Tony Visconti. guitare de Cat Stevens, une attaque acide pour
réussite commerciale de remonter dans les l’Overture” bluffe “Get It On” ? Certes, enchanteresses, “Macca”, “How do you
pour Chess Records. classements. toujours 50 ans après. mais pas que… pansent nos plaies. sleep?”

58 | Rolling Stone | rollingstone.fr Février 2021

 DÉCEMBRE DÉCEMBRE

4 décembre
Le casino de Montreux
prend feu lors d’un
concert de Frank Zappa.
L’incendie inspirera
“Smoke on the Water” à
Deep Purple, qui le suit
“en direct live” depuis
son hôtel.

22 décembre
Création de
l’organisation
humanitaire Médecins
sans frontières.

29 novembre
Mort de Duane Allman dans un accident de moto, à Macon
(Géorgie), suite à une collision avec un camion.

O C TO B R E DÉCEMBRE

Pink Floyd Elton John Led Zeppelin Genesis Alice Cooper David Bowie
Meddle Madman across Led Zeppelin IV Nursery Cryme Killer Hunky Dory
31 octobre 1971 the Water 8 novembre 1971 12 novembre 1971 27 novembre 1971 17 décembre 1971
Le premier album “grand 5 novembre 1971 L’album du plus gros Peut-être moins “tête Battre le fer tant qu’il “Changes”, chante-t-il
public” du Floyd ? Si la superbe ouverture tube de Jimmy Page et chercheuse” que son est chaud ? Love It to dès l’ouverture.
Le plus lumineux et piano-voix “Tiny Robert Plant, “Stairway prédécesseur, Trespass, Death a “matché” en Nouvelle preuve du
annonciateur des Dancer” n’a pas to Heaven”, mais aussi moins réaliste que son début d’année, pas de génie caméléonesque
futures… mises en sons réussi à faire sa de bombes électriques successeur, Foxtrot, temps à perdre, donc. de Bowie, cet album de
de Dark Side of the Moon. gloire, le quatrième comme “Black Dog” et Nursery Cryme confirme Bob Ezrin s’installe pop ultra-progressive,
De l’incroyable tourbillon album de “Tonton de ballades comme en beauté la musicalité derrière la console de jamais loin du baroque,
de “One of These Days” John” tient bien la “Going to California”. des protagonistes et production. Le heavy tout en références,
© GETTY IMAGES

aux 23 minutes route, entre Le tout concocté par la théâtralité de son rock grandiloquent aligne des classiques et
stratosphériques de réminiscences western, un groupe à son apogée leader vocal, à l’instar du groupe va vite s’en fait toujours appel
“Echoes”, Meddle gospel détourné sex, drugs and de “The Musical Box” , ressentir, pour à l’espace spatial avec
envoûte. et brit pop baroque. rock’n’roll. entre autres. le meilleur. “Life on Mars?”

Février 2021 rollingstone.fr | Rolling Stone | 59

 Robert Wyatt
Les actes
réussis Avec la sortie de His Greatest Misses, une compilation
retraçant la carrière du musicien de 75 ans, flash-back sur
un parcours qui s’étale sur plus de cinquante ans.

Par Philippe Barbot

Si Dieu était britannique et communiste, il ressemblerait à Robert Wyatt : un per-

sonnage bienveillant à barbe blanche, trônant à jamais sur un nuage. À l’image de la pochette de
l’album Shleep, où notre héros plane dans des cieux azurés, lové sur le dos d’une colombe. Tout
au long d’une dizaine d’albums studio en un demi-siècle, le grand Robert a créé une œuvre sin-
gulière, empruntant aussi bien au jazz qu’à l’opéra, au rock progressif qu’aux rythmes sud-amé-
ricains. Une œuvre en apesanteur, concoctée par un ange cloué au sol, à la voix surgie du fond
des âges, à la fois primitive et sophistiquée, nasillarde et caressante, cosmique et terriblement
humaine. Dont certains des fleurons sont aujourd’hui réédités en vinyle dans une compilation
baptisée His Greatest Misses, dix-neuf titres, du classique “Sea Song” au plus récent “Foreign
Accents”, en passant par des reprises fameuses comme “At Last I Am Free” de Chic, “Shipbuil-
ding” de Costello ou “I’m a Believer” des Monkees. De quoi survoler plusieurs décennies de la
carrière d’un artiste hors norme, qui publie aussi Side by Side, un ouvrage écrit et dessiné avec
sa compagne et muse Alfreda Benge, dite “Alfie”.
Le 1er juin 1973, la vie de Robert Wyatt-Ellidge a basculé. Une chute accidentelle du troisième
étage, au cours d’une soirée arrosée pour l’anniversaire de Gilli Smyth, l’égérie du groupe Gong,
le laisse colonne vertébrale brisée, paralysé des deux jambes. Le batteur-chanteur virtuose de
Soft Machine et Matching Mole se voit contraint de vivre désormais dans un fauteuil roulant.
Lui, l’elfe blond bondissant, sculpteur de tempos complexes, doit abandonner son instrument
de prédilection. S’il a perdu l’usage de ses membres inférieurs, il lui reste deux bras et un
gosier. C’est ainsi qu’il élaborera ce qui demeure son album le plus légendaire, Rock Bottom,
en 1974. Un de ces disques dont la découverte a bouleversé le paysage musical de l’époque et
l’inconscient de plus d’un auditeur.
© DR

60 | Rolling Stone | rollingstone.fr Février 2021

F
l a sh - b a c k . N é e n
1945 à Bristol,
Angleterre, fils d’un
psychologue d’entreprise
et d’une enseignante ani-
matrice de radio, le jeune
Robert s’initie à la batterie
auprès du musicien de jazz
américain, George Niedorf.
Au collège, il se lie d’amitié
avec un certain Hugh Hop-
per, puis avec le dénommé
Mike Ratledge. Mais c’est
l’arrivée d’un excentrique
b e a t n i k au s t r a l i e n , l e s
valises chargées de disques
de jazz, qui va déc ider
de la suite : Daevid Allen,
future figure de proue de
Gong, a loué une chambre
chez les parents de Robert,
désormais exilés à Lydden,
dans le Kent. C’est avec lui
que le tambourinaire fait
sa première expérience de
groupe, avant de rejoindre
les Wilde Flowers, en com-
pagnie des frères Hopper,
de Richard Sinclair, futur
Caravan, et de Kevin Ayers,
futur lui-même. Les débuts
à Mike Oldfield, de Richard
Sinclair à Fred Frith.
Si le disque suivant, Ruth
Is Stranger Than Richard,
malgré ses qualités, n’égale
pas la renommée de son
prédécesseur, la carrière
du céleste paraplégique se
poursuit avec une spora-
dique parcimonie. Il s’en
explique ainsi : “Je chemine
très lentement. Je n’ai pas
beaucoup d’idées, mais j’ai
une très longue vie… alors
je ne suis pas pressé. Avant
d’écrire, j’ai besoin de vivre
de nouvelles expériences, de
nouvelles sensations. Sinon,
ce que je crée ressemble inva-
riablement à quelque chose
qui existe déjà. Par exemple,
j’ai dû faire involontairement
une centaine de versions de
‘Embraceable You’, le stan-
dard de jazz… Je travaille
directement avec mes doigts
et ma bouche, le bois, le
er
Le 1 juin 1973, la vie de Robert Wyatt-Ellidge bascule. Une chute accidentelle métal et le souffle. Pour moi,
du troisième étage le laisse colonne vertébrale brisée, paralysé des deux jambes. le summum de la technologie,
ce sont les micros !”

I
de ce qu’on désignera bientôt sous l’intitulé souvent à l’unisson avec le chant, hantera l faut attendre dix ans pour voir la publi-
“école de Canterbury”, concept musico-géo- ensuite toute l’œuvre de l’artiste. Comme dans cation de l’album suivant, Old Rottenhat,
graphique rassemblant des musiciens de tous “Sea Song”, l’une des pièces maîtresses de et cinq années de plus pour Dondestan,
horizons expérimentant une sorte de jazz-rock l’album Rock Bottom. inspiré par des poèmes écrits par Alfie. Qui
progressif, psychédélique et dadaïste. Style un Littéralement, on pourrait traduire le titre participe aussi à l’album Shleep, en 1997,
brin nébuleux, que Wyatt pratique de 1966 à par “36e dessous”. Ou “Toucher le fond”, enregistré avec Phil Manzanera, Brian Eno et
1971, tout au long de quatre albums de Soft Ma- à l’image de la pochette de la réédition du Philip Catherine. Un duo à l’osmose créatrice :
chine, avant de claquer la porte d’un groupe “Mon disque Rock Bottom est sorti exactement
qu’il juge désormais trop engoncé dans le jazz le jour où nous nous sommes mariés. Nous
instrumental. Sans doute aussi parce qu’il
se sent de plus en plus mis à l’écart, lui qui,
Robert et Alfie vivent vivons ensemble vingt-quatre heures sur vingt-
quatre. Quand l’un commence une phrase,
devant le refus de ses collègues, a été obligé de dans un petit village l’autre peut l’achever aisément. Parfois même,
jouer seul tous les instruments sur une partie nous ne savons plus lequel de nous deux a com-
de sa pièce “Moon in June”, qui occupe toute du Lincolnshire, au mencé à la formuler. J’ai du mal à imaginer que
une face du double album Third. Avant de se j’aurais pu entreprendre quoi que ce soit, ou
voir privé de chant sur le disque suivant. milieu d’un bric-à- même rester vivant, sans Alfie. Elle est ma raison
brac de claviers, d’être. Donc d’écrire.”

C
’est dans cet état d’esprit qu’il fonde Depuis, Robert et Alfie vivent dans un petit
alors le groupe Matching Mole, jeu de d’instruments à vent village du Lincolnshire anglais, au milieu d’un
mots franglais entre “machine molle” bric-à-brac de claviers, d’instruments à vent et
et “taupe combattante”. Un orchestre à géo- et de percussions… de percussions diverses. Tout en faisant des
métrie variable, qui enregistre deux albums, apparitions sur les disques des autres (entre
dont l’un produit par Robert Fripp, avant de se disque, en 1998, sur laquelle virevoltent des autres Français, Pascal Comelade, Bertrand
dissoudre pour cause d’accident de son leader. plongeurs au milieu d’un banc de poissons. Un Burgalat ou Bruno Coulais), et même sur
Dès le lendemain de cette tragique soirée de dessin signé Alfie (comme celui de la version scène en compagnie de David Gilmour, Wyatt
juin 1973, le groupe avait en effet prévu de originale, au pastel onirique), qui illustre bien a publié d’autres albums originaux, dont Cuc-
se réunir pour travailler les compositions du la teneur de cette œuvre peu commune : une kooland en 2003, et le dernier, Comicopera, en
disque suivant… musique aux volutes aquatiques, aux harmo- 2007. Comme il dit : “La perte de mes jambes m’a
Depuis déjà plusieurs années, notamment nies en spirales, comme une longue plainte apporté finalement une nouvelle sorte de liber-
à la faveur d’une pause de Soft Machine suite en apesanteur, un rêve ouaté aux dissonances té…” À côté de diverses compilations, (comme
à une épuisante tournée avec Jimi Hendrix, douillettes. Six morceaux, guidés par la voix Nothing Can Stop Us, qui regroupe certains
Wyatt travaillait à des projets solos, concrétisés d’ange rouillé de Wyatt, où s’entremêlent singles, dont le traditionnel “Caimanera” et le
par un premier album bricolo, The End of an claviers, trompettes, guitares et percussions, “Strange Fruit” popularisé par Billie Holiday),
Ear, en 1970. Quelques mois avant son acci- à la façon d’un orchestre aérien en train de cette réédition du “best of ” His Great Misses
dent, à l’occasion d’un court séjour à Venise, s’accorder, d’une chorale sans partition inter- rappellera à ceux qui l’ignoreraient encore
il avait ébauché quelques mélodies : “Pour prétant une symphonie cosmique, un poème le talent unique d’un des plus exceptionnels
m’occuper, Alfie m’avait acheté un petit clavier tellurique. Le tout produit par le Pink Floyd compositeurs et vocalistes de la musique
très simple, doté d’un singulier vibrato qui cha- Nick Mason, avec la participation de quasiment contemporaine.
toyait comme cette eau qui nous entourait.” Un tout ce que la scène de Canterbury compte Après tout, ce n’est pas tous les jours qu’on
© DR

instrument de fortune dont le son vacillant, de virtuoses touche-à-tout, de Hugh Hopper a l’occasion d’écouter Dieu.

62 | Rolling Stone | rollingstone.fr Février 2021

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NOS HORS-SÉRIES
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 Fo o
Continu er
 LES "COMBATTANTS"
AU COMPLET
De gauche à
droite : Pat Smear,
Dave Grohl,
Taylor Hawkins,
Nate Mandel,
Rami Jaffee et
Chris Shiflett.

Figh ters
le co m b at…
a i n d e s o ig ner
rs s e r a i en t en tr
, le s Fo o F ighte g ra n d e p o mpe
m o n d e d ’a vant u x fe s t i v i t és en an t m ettre
Dan s l e n sécut i ve a o i pou r a ut
e d e b o i s c o é . P a s d e q u l alb um,
une g u e u l ist ence . R at d ’un n o u ve
c l e d ’e x l à l’a u be
’u n q u ar t d e siè d e D a v e G roh di fice.
d u sia s m e p r op r e é
ve ille u s e l’entho b o u sc u le r son
en
el il a ch er ché à
u
à travers leq
v ie r Bon n et
Par Xa
linch
©

t o Da nny C
Pho

Rolling Stone | 65 | rollingstone.fr

 UCUN DOUTE LÀ-DES-
SUS : personne au sein
de l’équipée Foo Figh-
ters n’aurait imaginé
devoir se contenter de
poser son séant dans
un fauteuil, cornet de
pop-corn à portée de
main, avant de réagir
tous ensemble à un
défilé d’instantanés
projetés sur un écran
et chargés de revenir
sur vingt-cinq ans de
“bourlingages” à travers la planète, ainsi qu’ils y consentent dans
une bonne humeur contagieuse pour les besoins du mini-docu-
mentaire Times Like These. Cette célébration, tous l’avaient déjà
visualisée, Dave Grohl le premier : sur scène, devant des dizaines
de milliers de gosiers s’époumonant plus fort que lui sur la tren-
taine de chansons que peut compter en moyenne la setlist d’un
concert des Foo – avec ou sans trône quand le taulier a la mau-
vaise et malencontreuse idée de s’exploser le tibia au préalable,
comme ce fut le cas à l’été 2015. Ainsi que le principal intéressé en
convient aisément un peu plus loin, certains des neuf morceaux
de ce Medicine at Midnight, dixième album studio au compteur,
avaient été “cogités” dans cette perspective, dans cet esprit.
La pandémie et le confinement auront donc stoppé net les Foo
Fighters dans leur élan alors qu’ils venaient de boucler leur nou-
velle petite affaire en janvier 2020, voire un peu plus vite que
prévu pour des raisons “spectrales” expliquées plus tard. Les
Foo Fighters à l’arrêt peut-être, mais pas Dave Grohl. L’homme a
toujours foisonné de projets et d’envies, une quarantaine n’allait
rien y changer. Au chapitre de ses activités multiples, impossible
de faire l’impasse sur ce nouveau documentaire s’attardant sur
les souvenirs de groupes célèbres revenant sur leurs premières
années à sillonner les routes dans un van, l’idée… bifurquant
rapidement sur la notion même de tournée, de concert. Titre de
travail du projet : “What drives us”, le mot drive prenant ici une
succulente définition (ce qui nous conduit, ce qui nous porte).
Pour l’occasion et à l’instar de ce qu’il avait déjà pu proposer
avec la série Sonic Highways, Grohl s’est mué en interviewer. “J’ai
parlé à tout le monde, démarré au quart de tour. Et c’est loin d’être
fini.” Or, quand Dave Grohl dit “tout le monde”, ça ne plaisante
pas vraiment : Ringo Starr, Steven Tyler (Aerosmith), Slash, The
Edge (U2), Lars Ulrich (Metallica), Ben Harper, St. Vincent, et
jusqu’à Charlie Gabriel, vénérable clarinettiste septuagénaire
du mythique Preservation Hall Jazz Band, à la Nouvelle-Orléans.
Et dire que se profile à l’horizon le trentième anniversaire de la
sortie de Nevermind, l’album qui fit (et défit ?) Nirvana ! Grohl jure
qu’il n’est au courant de rien pour l’instant. Quelque chose nous
dit qu’il ne devrait plus tarder à en être autrement.
Bref, Dave Grohl trace sa route, avec une frénésie jamais prise à
défaut, un peu en mode “qui m’aime me suive”. Voilà qui tombe
bien, nous sommes et restons assez nombreux dans ce cas-là…
Même si l’album a été enregistré et mixé avant le début
de la pandémie, dans quelle mesure considérez-vous
Medicine at Midnight comme un album de quarantaine ?
Nous avons fait cet album avec l’ambition qu’il soit quelque chose
de très énergétique, un album de “party”. J’imagine donc que
les chansons vont mieux fonctionner dans le cadre d’un festival
ou dans un stade. En les écrivant, j’imaginais les gens danser
dessus, j’imaginais que tel refrain serait repris à tue-tête. L’idée
de cette expérience commune, connectée, était très présente en
moi, puis le monde s’est arrêté. Aujourd’hui, quand je regarde cet
©
 LIVE
Les Foo Fighters
au grand complet
sur la scène du
mythique show
télévisé américain,
“Saturday Night
Live”, le samedi
7 novembre 2020.
©
FORMATION
2020 aurait dû
être une année
de grande
©

célébration :
dixième album,
25 ans
du groupe…

album, j’imagine quelqu’un seul chez lui, le
soir, interdit de simplement traverser la rue et
s’ouvrant du coup une bouteille de vin, mettre
ce disque et danser seul dans la cuisine. Au
final, ce n’est pas tant l’environnement ou le
contexte qui compte, mais la façon dont la
musique te fait bouger, te fait réagir. Oui, c’est
très étrange de sortir un album à un moment
où tu ne peux pas physiquement aller le par-
tager avec les gens, car ça a toujours eu une
grande part dans ce que sont les Foo Fighters
depuis vingt-cinq ans. Être sur scène, c’est ce
qui nous porte. Et quand ça t’est retiré, tu dois
te souvenir que tu fais de la musique pour que
les gens puissent l’entendre, qu’ils puissent
chanter dessus, que ce soit avec nous ou seuls
dans leur cuisine.
Précisément parce que vous – et les
musiciens en général – ne pouvez pas
tourner jusqu’à nouvel ordre, la notion
même d’album en tant qu’objet physique
et moyen d’expression ne regagne-t-elle
pas un peu de l’importance, de la “valeur”
qu’elle a pu perdre ces dernières années ?
Peut-être, en effet, mais je pense que les choses
vont encore plus loin. Avant toute chose,
quand un musicien attrape un instrument,
juste après en avoir sorti un son, il n’a qu’un
seul désir : écrire une chanson. Ça devient le
premier challenge. Puis, quand il a franchi ce
cap, il veut que les gens l’entendent par tous
les moyens. Au cours de ces derniers mois où
tout le monde a été obligé de rester chez lui,
j’ai communiqué avec pas mal d’autres musi-
ciens qui se sentent comme artistiquement
fébriles, car cet isolement a généré chez eux
une nouvelle forme de liberté.
Pourquoi cela ?
Tu peux vite de sentir piégé par le cycle al-
bum-tournée-album, c’est une ligne que tu
peux suivre sans jamais t’en détourner. Mais
quand cette machine se grippe, c’est excitant
d’un point de vue créatif, car la notion de
restriction vole en éclats. Tous ces musiciens
avec qui j’ai parlé veulent aller vers quelque
chose de plus “bizarre” musicalement, es-
sayer autre chose, et c’est génial car ça ren-
voie à la façon dont la plupart d’entre nous
ont commencé, à la façon dont ils se sentaient
capables de tout essayer, sans notion de vrai
ou faux, avant que ça devienne une carrière
et les paramètres et restrictions qu’elle peut
© DOUBLE PAGE PRÉCÉDENTE : WILL HEATH/NBC/NBCU/ DANNY CLINCH
impliquer. Là, d’un seul coup, il n’y a plus de
loi, et cette liberté est vraiment une sensation
agréable.
À un niveau plus personnel, vous a-t-il
fallu du temps pour vous adapter à cette
pandémie ? Vous êtes-vous découvert
de nouveaux talents, de nouveaux
hobbies ? J’ai cru comprendre que
la cuisine avait joué un rôle non
négligeable (lors d’une récente interview,
Dave Grohl confiait qu’il était devenu
un expert des lasagnes)…
[Rires] Je crois surtout que tout le monde se
met à la cuisine quand les restaurants sont
fermés, que tu sois doué pour ça ou non. En
fait, l’une des premières choses auxquelles je
me suis mis, ce fut d’écrire. Pas de la musique,
mais des histoires, des mémoires. Des petits
trucs qui revenaient sur les différents moments
de ma vie. Mes deux parents écrivaient : mon
père était journaliste et rédigeait des discours
à Washington, ma mère était prof d’anglais et
écrivain public à ses heures. Bref, ce rythme
des mots, leur parler, ont toujours eu une
place prépondérante à la maison. Même si
j’adore ça, je n’avais jamais vraiment eu l’occa-
sion de me mettre à l’écriture.
Le confinement est plutôt “bien tombé”,
donc…
On peut dire ça… Quand tout s’est arrêté, en
mars l’année dernière, j’ai ouvert mon ordina-
teur et je me suis lancé. Au début, c’était pour
cette page Instagram que j’avais démarrée,
et en fait je ne me suis plus arrêté : à pro-
pos de trucs qui m’étaient arrivés à l’enfance
ou à l’époque de Nirvana, puis quand je suis
devenu père, puis au sein des Foo Fighters.
Chaque fois que je termine une chanson, j’ai
un sentiment particulier. Or, j’ai commen-
cé à ressentir ce même sentiment quand je
finissais une histoire. J’y ai aussi trouvé des
similitudes dans la construction. Du coup, je
continue à écrire, quasiment tous les jours et
c’est très gratifiant.
Que comptez-vous faire de toutes
ces histoires ? Les publier sous une forme
ou sous une autre ? Les garder pour
vous-même ?
Je n’en sais rien. Si je considère à un moment
que ça a du sens d’en faire un livre, pourquoi
pas ? Un jour, peut-être. J’ai des centaines et
des centaines de projets dans la tête. Après,
c’est souvent une question de décider quoi en
faire. Mais pour l’instant, j’écris et ça me plaît.
Pour revenir à ce nouvel album, ceux qui
ont eu la chance de l’écouter en entier
pourraient s’étonner du choix de “Shame
Shame” en guise de premier single, tant
la chanson ne correspond pas vraiment
à la tonalité générale de l’ensemble.
Mais c’est justement la raison de ce choix !
“Shame Shame” ne se démarque pas seule-
ment de l’album d’un point de vue sonore
mais aussi esthétique. Elle n’a même, pour
ainsi dire, rien en commun avec tout ce que
nous avons pu écrire avec les Foo Fighters. Le
groove, le ton, la dynamique : tout est diffé-
rent. Les textes aussi, un peu plus sombres. Et
j’ai adoré ça. C’est précisément parce qu’elle
ne ressemblait pas à ce que nous avions pu
proposer jusqu’ici qu’elle devait être la pre-
mière chose que les gens devaient entendre de
cet album, ne serait-ce que pour signifier que
nous nous aventurions dans un territoire qui
nous était inconnu. Après vingt-cinq ans, être
capable d’écrire quelque chose qui suscite des
interrogations chez la personne en face de toi,
c’est assez vivifiant.
Medicine at Midnight est le dixième
album studio du groupe. Ce chiffre a-t-il
une signification particulière pour vous ?
Vous a-t-il poussé à reconsidérer
Rolling Stone | 69 | rollingstone.fr
Foo Fighters
les choses un peu plus en profondeur
avec le groupe ?
Il y a un peu de ça. 2020 aurait dû être une an-
née de grande célébration pour nous : dixième
album, 25 ans du groupe… J’avais conscience,
depuis des années, que notre dixième album
devait être l’occasion de quelque chose d’iné-
dit. Donc, oui, la notion de temps, du temps
qui passe, a compté, mais davantage pour aller
de l’avant. Il nous fallait concevoir quelque
chose qui nous maintenait éveillé pour les
années à venir. D’un point de vue sonore, je
tenais vraiment à ce que nous évoluions vers
quelque chose de différent. Quand tu vieillis,
c’est le genre de choses qui prend de l’impor-
tance chez toi : avoir cette variété, ces varia-
tions qui te font te lever le matin.
Doit-on en déduire que vous commenciez
à vous lasser du son qui a forgé
la signature Foo Fighters ?
Pas du tout ! Je l’adore, cette putain de signa-
ture [rires] ! Quand nous sommes sur scène et
que nous attaquons “Everlong” ou “My Hero”
ou n’importe laquelle de ces chansons, je suis
aux anges et encore plus quand le public les
reprend avec nous. Mais tu ne peux juste pas
porter le même pantalon toute ta vie…
Vous avez déjà largement raconté toutes
ces choses étranges qui ont émaillé
l’enregistrement de l’album, dans cette
vieille demeure des années 1940, à
Encino, qui ont fait flipper tout le monde
dans le groupe. Mais pourquoi avoir
choisi cette maison pour les sessions
plutôt qu’un studio professionnel ?
Quand je m’attelle à la composition d’un al-
bum des Foo Fighters, j’ai l’habitude de confi-
gurer moi-même le studio et de commencer à
y enregistrer les premières idées, les premières
trames guitare-basse-batterie, complètement
seul. Il n’y a même pas un ingénieur du son
avec moi à ce moment-là. Il y avait donc cette
maison au bout de la rue où j’habite que j’avais
décidé de louer pour deux mois. Le son de cet
endroit a plu à tout le monde et on s’y est donc
tous installés. Quand tu enregistres un album,
le plus important est de capter un moment,
d’expérimenter un instantané, et c’était exac-
tement de ça qu’il était question ici. Tout ce qui
peut ne pas ressembler à un studio qui sonne
comme un laboratoire est bon à prendre ! Là,
la batterie était installée dans la salle à manger,
j’enregistrais mes voix dans la salle de bains et
ainsi de suite.
Mais pourquoi cette maison en
particulier ? Pourquoi celle-là ?
En fait, j’y avais vécu quelque temps il y a
des années. Je l’avais louée quand il y avait
eu des travaux chez moi. C’est une grande et
vieille demeure complètement déglinguée.
Elle tombe en ruines, littéralement, mais elle
a ces immenses plafonds et ces sols en marbre
qui sonnent de manière incroyable. C’est vrai
qu’elle donne l’impression de faire partie d’un
film d’horreur, mais elle est aussi très cool…
Il a été dit que vous aviez signé un accord
avec son propriétaire vous empêchant
 DRUM STREET
Taylor Hawkins
et Dave
Grohl, des
Foo Fighters,
Stewart
Copeland,
ex-Police,
et les Street
Drummers
de New York,
en 2005.

TV SHOW
Lors de la “Big
Night”, concert
télévisé par
la BBC.

SUR SCÈNE
L'un des tout
derniers concerts
du groupe, en
janvier 2020,
à Los Angeles.

NIRVANA LES DÉBUTS

Dave, à gauche, De gauche à droite :
avec Kurt Cobain Taylor Hawkins, Dave
et le bassiste Krist Grohl et Chris Shiflett,
Novoselic, en 1992. en 1992.

de détailler quoi que ce soit qui ait pu
s’y dérouler avant qu’elle soit vendue.
A-t-elle finalement été vendue et pouvez-
vous donc révéler ne serait-ce qu’une
partie de ses “terribles” secrets ?
Comment dire… Si vous avez vécu quelque
part en étant persuadé qu’il y avait des fan-
tômes, c’est assez compliqué à expliquer.
Certains vous raconteront qu’ils ont vu des
apparitions flottant au-dessus de leur tête ou
des formes sombres dans un couloir. À côté de
ça, il y a ceux qui ont l’intuition de ne pas être
seuls dans cette maison. J’ai vécu des expé-
riences bizarres dans la maison que j’ai habi-
tée à Seattle : des rêves étranges, le sentiment
d’être suivi, d’avoir quelqu’un derrière mon
dos. C’était un peu les mêmes sentiments ici.
Peut-on avoir un peu plus de détails,
du coup ?
Ça a commencé par l’impression d’avoir tou-
FESTIVAL
Dave au festival jours quelqu’un avec nous dans une pièce, puis
de Reading, en ça s’est transformé avec, en effet, dès dérègle-
Angleterre, en 2000. ments sur le matériel d’enregistrement, un
micro qui avait changé de place, la console de
mixage bidouillée, les guitares désaccordées
dans la nuit, etc. On a fini par installer des
caméras pour voir si quelqu’un s’introduisait
dans le studio en notre absence en pleine nuit.
Rien. Personne. Et ce, alors que ces phéno-
mènes continuaient à se produire ! Nous étions
dix en tout dans cette maison et on a commen-
cé à s’interroger : “Si ce n’est pas moi, si ce n’est
pas toi, qui ?” Bref, tout ça mis à bout à bout,
on a enregistré nos neuf chansons et on s’est
cassé de ce putain d’endroit [rires] !
Il est mentionné ici et là qu’une
des chansons de l’album s’appuie sur
un riff de guitare qui vous “travaillait”
depuis les débuts du groupe. Cet autre
secret peut-il être levé à son tour ?
[Rires] C’est beaucoup moins excitant ! C’est
même quelque chose qui remonte à plus loin
que les Foo Fighters, juste après Nirvana. J’en-
registrais des trucs dans mon salon, un peu
en guise de thérapie car je voulais continuer à
jouer, ne pas m’arrêter. Ce riff, on l’a essayé sur
chacun des albums du groupe, depuis le pre-
mier, et ça ne fonctionnait jamais. Finalement,
sur le dernier jour des enregistrements de cet
album, j’ai dit aux gars : “Essayons ce putain de
riff encore une fois !” Et c’est devenu la trame
de “Cloudspotter”. Je voulais juste que ce riff
ne me pourrisse plus l’existence et il se trouve
qu’il a bien trouvé sa place !
Quand vous avez décidé de mettre
le groupe en pause, il y a un peu plus
de deux ans, bon nombre de vos fans
© GETTY/REDFERNS/ MICK HUTSON/KEVIN MAZUR
se sont montrés inquiets pour la suite,
comme c’est souvent le cas dans ce
genre de circonstances. Avez-vous craint
vous-même que ce break ne dure plus
longtemps que vous ne l’auriez imaginé ?
Avez-vous senti cette inquiétude chez
les autres membres du groupe ?
Non. Après avoir passé autant de temps en-
semble, je ne suis pas certain que nous pour-
rions vivre les uns sans les autres. C’est en
Rolling Stone | 71 | rollingstone.fr
Foo Fighters
tout cas comme ça que je ressens les choses
d’un point de vue personnel, sans considé-
ration musicale ou de carrière du groupe.
Nous avons passé plus de la moitié de nos
vies respectives ensemble et je ne crois vrai-
ment pas que la durée d’un break pourrait
avoir la moindre importance. Dans le passé,
on se posait entre nous la question à chaque
fois que l’on terminait un album : “Est-ce le
dernier ? Non, pensons à en faire un autre !”
Et ainsi de suite. Mais après dix-quinze-vingt
ans, ça devient beaucoup plus qu’un simple
groupe. Les liens entre nous en tant qu’indi-
vidus sont trop forts pour qu’ils disparaissent
comme ça.
Si les choses ne s’améliorent pas
suffisamment concernant cette pandémie
et que vos projets de tournée sont
encore retardés, ceux-ci pourraient se
télescoper avec le trentième anniversaire
de Nevermind, et les célébrations
potentiellement prévues pour l’occasion.
Quel regard portez-vous sur cet
anniversaire et les sollicitations dont vous
serez probablement l’objet ?
Je n’ai aucun problème à parler de Nirvana. J’ai
trop de respect pour ce que fut le groupe, pour
la musique que nous avons faite ensemble.
Quand je tombe sur une de ces chansons à la
radio, je ne baisse pas le son, bien au contraire.
C’est un peu comme feuilleter un album photo.
Tout ça me renvoie à un moment, un souvenir,
et je suis heureux que cette musique perdure
et perdurera pour toujours. Il y a eu des mo-
ments douloureux et d’autres de pur bonheur.
Avoir été partie intégrante de quelque chose
de si spécial dans le cœur et l’esprit de tant de
gens, c’est un honneur. S’il peut m’arriver de
rechigner d’évoquer des moments plus per-
sonnels à propos de Nirvana, dans l’ensemble,
je vois un peu ça comme être allé sur la lune
puis en être revenu.
Il y a vingt-cinq ans, la toute première
chanson du premier album des Foo
Fighters scandait : “C’est un appel à tous
mes renoncements passés, ça a assez
duré.” Ces mêmes mots pourraient-ils
s’appliquer aux Foo Fighters en 2021 ?
Je crois. À un niveau personnel, j’essaie tou-
jours de me soulager de mes insécurités, mes
peurs, mes inquiétudes. Tous les jours. Être le
plus à l’aise avec la vie telle qu’elle est, autant
que possible. En écrivant cette chanson, je
me sentais soudain libre de plusieurs choses.
Libre notamment d’être le chanteur d’un
groupe. Libre aussi de me planter avec une
guitare devant un micro. C’était nouveau pour
moi. À ce moment-là, j’en avais besoin pour
survivre, j’en avais besoin pour me rappeler
que la vie méritait d’être vécue. Il s’agissait
de saisir une chance, d’essayer quelque chose
sans savoir si j’en étais capable. Et c’est ce que
je continue à ressentir pratiquement tous les
jours. Quand je me lève le matin, je réfléchis
à des choses que je n’ai jamais faites de ma vie
et, naïvement, je cherche à les faire. Rien n’a
changé de ce côté-là.
Dylan
sans filtre
Alors que la carrière de Bob Dylan prospère, il reste
en contact avec son ami musicien et critique musical,
Tony Glover. Leurs conversations et lettres – publiées ici
pour la première fois – montrent un Dylan
que peu de gens connaissent.

PA R D O U G L A S B R I N K L E Y

L
E 18 MARS 1971, Bob Dylan met les pieds sur une table de son bu-
reau de Manhattan, gratte une guitare et s’épanche comme il ne
l’a jamais fait. Il parle à son vieil ami, le musicien et critique rock
Tony Glover, pour le premier de quatre entretiens menés cette an-
née-là. Dylan revient sur le fait d’avoir été hué à Newport en 1965
(“C’était une soirée étrange”), sur l’écriture de “Subterranean Home-
sick Blues” (“l’histoire d’un cinglé”), sur son art (“mon travail est
une chose en mouvement”) et se moque de son diplôme honoraire
de Princeton (“un drôle de diplôme – il ne sert à rien”). Se sentant disséqué par des cri-
tiques bas du front cherchant dans ses paroles des informations autobiographiques,
il riposte. “Crois-tu que Johnny Cash a tué un mec à Reno ? Ou que Paul Simon se jette-
rait par-dessus l’Hudson pour servir de pont à quelqu’un ?” Les interviews durent trois
heures et demie au total et ne sortiront jamais – jusqu’à présent.
Quand il parle avec Glover, Dylan perd son énergie nerveuse de la décennie précé-
dente. Il est paisible et érudit, désireux de revenir sur des choses qu’il n’a pas vraiment
expliquées auparavant. Il se sent à l’aise avec Glover, joueur d’harmonica blues et
musicologue, venant, comme lui, du Minnesota. Glover est l’une des rares personnes
avec qui Dylan est en contact régulier depuis qu’il a quitté Minneapolis pour New York.

72
“ÇA ME BLESSE
AUSSI”
Dylan enregistrant Self
Portrait, en 1970, que
les critiques ont démoli.
“Dans quelques années,
ils vont l’adorer”, dit-il
à Glover.
 DY L A N S A N S F I LT R E

Glover espère utiliser les retranscrip-
tions des interviews – annotées de la main
de Dylan – pour un article dans Esquire. Le
projet n’aboutira pas, Dylan ayant cessé de
s’y intéresser. Farouchement loyal, Glover,
mort en 2019, a conservé les bandes et les
retranscriptions ainsi que quatre lettres et
un trésor de souvenirs amassés au fil des
années. Il y a également des enregistrements
d’appels téléphoniques entre Dylan et Glover
de 1969 à 1971.
Le 19 novembre dernier, RR Auction, à Bos-
ton, a vendu cette collection historique au
nom de Cynthia, la veuve de Glover.
L’amitié entre Dylan et Glover débute vers
1960, quand le premier quitte l’université du
Minnesota pour jouer de la folk et du blues
dans les clubs de Minneapolis, avec “Spider”
John Koerner, Dave Ray et Glover. Ce dernier,
qui joue de l’harmonica avec une complexité
bien à lui, devient une inspiration pour Dylan,
les Rolling Stones et les Doors.
Dylan vit à New York
quand Glover suggère
ces interviews. Il n’ad-
met qu’à Glover qu’écou- “Kerouac,
c’est un auteur
V
isualisant la scène, Glover imagine
que ça devait être difficile d’avoir
une conversation dans ces cir-
constances. “Il n’y avait pas grand-
chose à dire, répond Dylan. Il vou-
lait écouter ses chansons et je les lui jouais.
Je les connaissais toutes. J’ai dû connaître au
moins 75 de ses chansons. Aucune chance
d’épuiser mon répertoire.” Guthrie suggère à
Dylan de rendre visite à sa femme, Marjorie,
à Howard Beach, dans le Queens, pour écou-
ter certains de ses inédits. “J’ai pris le métro
jusqu’au bout de la ligne – c’était vraiment loin.
Puis j’ai traversé le marais. C’était en février,
je crois. Je m’en souviens mieux que des visites
à Woody – c’était facile d’aller le voir. Pas si tu
vivais en Californie ou dans le Midwest, mais si
tu étais là, n’importe qui pouvait aller le voir
à l’hôpital. Je suis venu à New York pour ça…”
Glover veut savoir comment Dylan s’est
rendu à New York la première fois. “J’ai fait
du stop depuis Saint Paul et me suis retrouvé à
Madison, dans le Wiscon-
sin. Le destin m’a amené
ici, je ne me doutais de
rien. C’était un coup de
passe dans l’industrie musicale. Sa curiosité
est peut-être due au repli qu’il s’est imposé.
Par exemple, il dit à Glover qu’il préférerait
lire la Police Gazette plutôt que Rolling Stone,
qui a démoli son double album Self Portrait
et publié une “non-interview” (faisant sans
doute référence à un article de couverture du
magazine de 1969).
Formulant ses questions avec courtoisie,
Glover lui demande pourquoi il a changé son
nom, de Zimmerman à Dylan, sujet délicat
pour tout autre journaliste. Glover sous-en-
tend qu’il craignait que l’antisémitisme n’en-
trave sa carrière. “Il y a de la discrimination
contre les juifs, répond Dylan. Beaucoup de
gens ont l’impression qu’ils ne sont que des ban-
quiers ou des vendeurs de montres. Ils croient
qu’ils ont une queue ou vont manger vos filles,
ce genre.” Le nom de “Dylan” a été choisi, au
final, comme moyen d’établir une identité
artistique dynamique. “Ça m’a permis d’entrer
dans le rôle de Guthrie, avec plus de person-
nalité. Et on ne me rappellerait plus ce que je
voulais oublier à l’époque. Je devais être assez
libre pour apprendre la musique, la technique.”

ter ses chefs-d’œuvre
du milieu des sixties,
comme Bringing It All
Back Home et Highway 61
Revisited lui “a foutu la
trouille. On ne chante pas
ce genre de chansons en
menant une vie normale,
dit Dylan. Pour être fort à
un niveau, il faut être très
faible à d’autres”. Leurs
conversations – publiées
ici pour la première fois –
sont toujours amicales.
Glover tente de mainte-
nir une approche chro-
nologique, commençant
chance. En descendant
de voiture, je suis tombé
divertissant ; sur des guitaristes. Après
je ne sais pas si je quelques jours là… je ne
peux le qualifier sais plus. Je crois qu’on est
partis de Madison avec
de grand. deux jeunes Ne w-Yor-
Il n’entretient kais.” Quitter le Minne-
sota, pense Dylan, était
pas vraiment de la seule option valide.
suspense, il ne “Je devais partir. J’avais
le choix entre vendre des
raconte pas une chemises, travailler à
histoire géniale – la mine ou apprendre à
il ne te donne rien piloter un avion… Je ne
pense pas que je voulais
que tu puisses être James Dean – il y a eu
D
ylan note que, si son premier
album, en 1962, ne s’est pas
très bien vendu, il a reçu des
lettres de fans de “lieux très
étranges” comme “des petites
villes de l’Idaho, du Michigan, de l’Ohio, de Loui-
siane, de Floride, dont tu n’as jamais entendu
parler”. Ce retour positif l’a motivé. Glover
et Dylan sont d’accord pour dire que l’enre-
gistrement de The Freewheelin’ Bob Dylan,
avec le hit “Blowin’ in the Wind”, fait de lui le
nouveau chouchou du revival folk. Glover lui
demande comment il a composé sa chanson
emblématique. “J’écrivais des chansons tous les
jours. À l’époque, il était courant d’écrire le plus
possible, presque au point d’avoir une nouvelle
chanson à jouer le soir si on faisait un concert.

CI-CONTRE, EN PARTANT DU HAUT : BILL RAY/THE “LIFE” PICTURE COLLECTION/GETTY IMAGES ; TED
par le départ de Dylan garder en toi des une période où j’ai bloqué Tout le monde le faisait. J’ai simplement eu de
de Minneapolis, en jan- tout le reste. Personne ne la chance avec ‘Blowin’ in the Wind’, elle s’est
vier 1961, pour rencon- semaines –, il ne te comptait autant que Gu- distinguée du lot. Mais j’ai sans doute écrit une

DOUBLE PAGE PRÉCÉDENTE : AL CLAYTON/COURTESY OF SONY MUSIC ENTERTAINMENT.

trer son idole Woody Gu- change pas.” thrie.” chanson la veille et deux le lendemain, qui ne
thrie au Greystone Park Il y a un sentiment de sont pas sorties par ce qu’elles n’étaient pas dans
R

Hospital, à Morris Plains tranquillité et de cama- la même veine. C’était une chanson de plus pour
O

(New Jersey), et finissant avec la sortie de Bob raderie dans les réponses de Dylan à Glover. moi. Elle s’est distinguée car d’autres artistes
L

Dylan’s Greatest Hits Vol. II, en 1971. C’est comme s’il avait descendu les chutes du l’ont reprise.”
L

RUSSELL/POLARIS ; JOHN BYRNE COOKE ESTATE/GETTY IMAGES

Dans la première interview, Glover de- Niagara dans un tonneau et était à présent Préoccupé par sa sécurité, Dylan parle à
I

mande si Dylan a croisé d’autres musiciens dans un havre de paix à profiter du soleil. Glover d’A. J. Weberman, un faux journa-
N

à l’hôpital en allant voir Woody. “J’ai vu beau- Lorsque la conversation s’oriente vers des liste menaçant sa famille et fouillant ses pou-
G

coup d’autres hommes assis là, raconte Dylan. figures de la musique, telles que Sonny Boy belles pour écrire des articles salaces sur lui.
S

On ne pouvait se retrouver que dans la salle Williamson, Little Walter, Howlin’ Wolf et “Je sais ce qu’il y avait dans les ordures. Tu ne
T

d’attente. Il y avait 50, 60 types en pyjama… Je Ernie Freeman, Dylan brille. C’est moins le croiras pas ce que le gars a dû supporter. On a
O

me souviens de l’odeur du lieu plus que du reste.” cas lorsqu’ils abordent le sujet de son œuvre. deux enfants qui portent encore des Pampers.
N

“Je n’ai jamais pu écouter mes albums jusqu’à, Les poubelles en sont remplies et ça ne sentait
E

oh !, environ 1969, jamais pu les supporter. Je les pas bon.”

DOUGLAS BRINKLEY est titulaire de la chaire
Katherine Tsanoff Brown en sciences humaines, et
professeur d’histoire à l’université Rice, historien
de CNN, et auteur de Rightful Heritage: Franklin
D. Roosevelt and the Land of America.
détestais. Je suppose qu’il y a du bon et du mau-
vais là-dedans, tu vois ? J’ai cette impression.”
Glover est critique pour Little Sandy Review,
Sing Out !, Hullabaloo/Circus et Rolling Stone, et
Dylan aime obtenir des scoops sur ce qui se
Connu pour ses cachotteries, Dylan est prêt
à éclairer le processus d’écriture des chan-
sons. “Les chansons de John Wesley Harding
ont toutes été écrites comme des poèmes, et les
musiques sont venues plus tard. Sur Nashville

74
 Skyline, c’est l’inverse. Les
musiques existaient déjà, ça
change les choses au final…
S’il fallait isoler les paroles [de
Nashville Skyline] une minute
et ne penser qu’au son de la
voix, de la musique – imagine
que tu ne comprennes par
l’anglais –, le son serait à peu
près celui des paroles. Beau-
coup de choses oniriques, une
sorte de musique plaisante,
apaisante, j’imagine.”
Glover veut savoir qui
a armé la colère de Dylan
quand il a écrit “Like a Rol-
ling Stone.” Était-ce “des
filles” ou l’establishment ?
“C ’est… À qui en veux-tu
quand tu vas dans un maga-
sin, demande un tournevis et
que personne ne s’occupe de
toi pendant une heure ? dit-il
en riant. Et tu vas au cinéma,
et pour arriver à ton siège, tu
marches dans un truc sale et
tu t’assois dans la même chose.
Tu ressors, tu prends ta voi-
ture et elle tombe en panne…
Contre qui tu t’énerves ? Ce
n’est pas contre une personne
en particulier.”
Cinq mois avant
le premier entre-
tien, Dylan a sorti
l’album New Mor-
ning, i nc lu a nt la
B OB ET LE B EATLE S chanson brillante
Harrison et Dylan au Concert for Bangladesh, en 1971. “Sign on the Win-
Dans une de ses interviews avec Glover, Dylan s’extasie dow”, qui parle de
sur l’ex-Beatles : “Il a organisé ce projet d’une façon la ville de Le Sueur,
cohésive… Lennon n’aurait pas pu faire ça.”
sur le Minnesota, où
des travailleurs sai-
sonniers viennent
cueillir des petits
pois et du maïs pour
la ma rque G éa nt
Vert. Il mentionne
F
d ’a u t r e s p e t i t e s
É
choses sur ses inspi-
V

rations. “Lay, Lady,

R

UNE AUT R E L ay ” n’a pa s été

I

FACETTE écrit pour le film Macadam Cowboy, comme

E

on a pu le lire partout, mais pour Barbra Strei-

Ci-dessus : à sa
R

machine à écrire sand. Quand il est suggéré que “Mr. Tambou-

en 1964. À gauche : rine Man” a un rapport avec la drogue, Dylan
2

avec Glover et Mimi est cassant : “C’est des conneries.”

0

Fariña, en 1964. Lorsque Glover lui demande s’il trouve que

2

Dylan et Glover se Jack Kerouac est un “grand auteur”, Dylan le

1

sont rencontrés
reprend : “C’est un auteur divertissant ; je ne
dans le Minnesota
vers 1960, et sont sais pas si je peux le qualifier de grand. Il n’en-
restés amis pendant tretient pas vraiment de suspense. Il ne raconte
des décennies. pas une histoire géniale – il ne te donne rien
que tu puisses garder en toi des semaines –, il
ne te change pas. Je me souviens avoir lu Sur la

75
 DY L A N S A N S F I LT R E
1er mai 1970, studio B,
Columbia, New York
L’ex-Beatles George
Harrison et Bob
Dylan scellent
les débuts de leur
collaboration
musicale.
PA R Y V E S BIG OT
DYLAN – 1970 : pas la plus
alléchante des affiches.
Les trois albums enregistrés
ou publiés cette année-là
– le fastidieux Self Portrait, le
résidu Dylan (paru en 1973) et
l’énigmatique New Morning –
ne constituent pas son corpus
le plus irrésistible. D’autant
plus que leur spectaculaire et
inattendue réhabilitation est
déjà intervenue avec
la publication, en 2013, de
l’épatante Bootleg Series
Vol. 10, Another Self Portrait.
Tombé du ciel le 4 décembre
dans une édition très limitée
purement technique, destinée
à étendre en Europe
le copyright capé à cinquante
ans de ces enregistrements
restants, le triple Bob Dylan –
50th Anniversary Collection :
1970 connaîtra pourtant, face
à la demande, une publication
étendue le 26 février prochain.
C’est dire si, depuis
l’apparition en juillet 1969 du
premier pirate, Great White
Wonder, l’appétit pour
les moindres inédits – alors
interdits et mirifiques – de
R
Dylan est toujours aussi fort.
O
Le plus étonnant, c’est que son
L
management procède ainsi
L
chaque année depuis 2012,
I
dans l’indifférence, et que
N
le meilleur de ces séances a
G
donc déjà été exploité. On se
S
trouve donc devant les fonds
T
de tiroir d’une année pauvre
O
en inspiration, dont rien
N
de tout cela n’était destiné
E
à la publication ; ce sont
des sketchs, des essais,
des répétitions, avec des
pointures, certes : Al Kooper,
David Bromberg, Charlie
Daniels, Russ Kunkel, etc.
Et le “Special guest George
Harrison”.
C’est cette séance du 1er mai
1970 au studio Columbia B de
New York, pour sa troisième
visite à Dylan, vingt jours
seulement après la séparation
officielle des Beatles, qui
focalise l’intérêt. Lors de son
premier séjour à Woodstock
pour Thanksgiving 1968, ils
avaient composé ensemble
“I’d Have You Anytime”, qui
ouvrira All Things Must Pass.
Dylan est impressionné par les
Beatles, leur aura, leur succès
planétaire, et George est celui
dont il se sent le plus proche.
Leur relation, renforcée par le
Concert for Bangladesh l’année
suivante, culminera dix-huit
ans plus tard avec la formation
des Traveling Wilburys, le plus
improbable des supergroupes.
Sur les douze titres où
Harrison a accompagné Dylan
ce jour-là, trois avaient déjà été
publiés : “If Not For You” (The
76
Bootleg
Series Vol.1-
3, Rare and
Unreleased),
“Time
Passes Slowly #1”
et “Working on a Guru” (tous
deux sur Another Self Portrait).
Pour les neuf présentés ici, on
l’entend principalement
à la guitare, sa voix restant
la plupart du temps en retrait
dans les refrains derrière celle
de Dylan, plus timbrée et
puissante.
Au-delà de la curiosité et
du marketing lié à la présence
discrète du troisième Beatles,
qu’est-ce qui fait l’intérêt de
ces soixante-et-onze
enregistrements ? Constater
une nouvelle fois combien,
même lorsqu’il n’est pas à son
meilleur, ni même lorsqu’il
tâtonne, Dylan respire cette
musique. À l’écoute de ces
reprises, différentes prises,
retours en arrière, on a
le sentiment de se trouver face
à une version apaisée, pépère,
des Basements Tapes. Une
certaine magie, intermittente.
Il mouline “Went to See the
Gypsy”, “Sign on the Window”
et “If Not for You”, chante
ses anciens collègues de
Greenwich Village, Tom
Paxton, Eric Andersen, Jimmy
C. Newman, Buffy Sainte-
Marie, mais aussi du country
blues, les traditionnels de
la Carter Family, le country
originel, Johnny Cash, Elvis,
les Everly Brothers, Odetta,
les Crystals, Sam Cooke
(“Cupid”) et Paul McCartney
(“Yesterday”) !
Il faut entendre
les brouillons de Dylan, ces
tentatives spontanées, comme
on découvrirait ceux de
Shakespeare ou de Rimbaud,
les esquisses de Picasso. Dylan
a toujours travaillé à partir de
la matière musicale et
thématique immense qu’il
possède au plus profond de lui
et brasse tout le spectre du
dernier siècle et demi,
son
imaginaire,
son style,
qu’elle ait
habité The
Freewheelin’ Bob
Dylan, Highway
61 Revisited,
Nashville Skyline,
Blood on the
Tracks, Love and
Theft ou Rough and
Rowdy Ways et à peu près tout
entre.
Alors est-ce que cette
nouvelle publication est
essentielle ? Certainement pas,
et on se gardera bien de
la conseiller à ceux qui
trouvent que Dylan chante du
nez, que la vente récente
– pour au moins 300 millions
de dollars – de son catalogue
éditorial à Universal est
la preuve que seul l’argent
l’intéresse. Mais pour ceux qui
savent, qui avaient compris
dès “Mr. Tambourine Man”,
que le prix Nobel de littérature
© NIKKI BRICKETT/RR AUCTION, 3/DR
l’attendait, c’est une nouvelle
plongée dans l’univers
sidérant d’un artiste si
mystérieux qu’il fascine quoi
qu’il fasse, qu’il le fasse exprès
ou non.
 route il y a des années et je viens de le relire – je
ne me souviens d’aucun grand changement. J’ai
lu cette histoire, L’Esclave, d’Isaac Singer, j’y ai
pensé pendant des mois.”
Quant à son propre roman, Tarantula, réé-
dité en 1971, Dylan trouve qu’il n’est pas “bien
écrit du tout, mais qu’il déborde d’énergie.”
Autorisé à aborder des sujets personnels,
Glover lui parle de son fameux passage au
Newport Folk Festival, en 1965, avec des ins-
truments électriques – sous les huées des
puristes folk. La rumeur a dit que Dylan,
découragé, a pleuré en coulisse. “Non. C’est
Pete Seeger qui pleurait.” La vue de Seeger
boudant dans une voiture, fenêtres fermées,
est gravée dans la tête de Dylan. “Les gens
tapaient sur les vitres – ‘Allez Pete, sors !’ –,
mais il pleurait. Donc je suis revenu en solo et
j’ai chanté ‘Mr. Tambourine Man’ et ‘Baby Blue’
car c’est tout ce qu’ils voulaient entendre. C’était
comme des bébés. Ils ne voulaient entendre que
ça et je l’ai chanté pour eux. À l’époque, je savais
que c’était une bande de cons et je
me suis dit : ‘Tant pis s’ils veulent
qu’on ne leur chante que des ber-
AU TO - ceuses.’”
PORTRAIT

L
Dans les souvenirs de es quat re let t res
Dylan que la veuve de
que Dylan écrit à
Glover, Cynthia, a mis
aux enchères
Glover entre 1962
le 19 novembre dernier, et 1964, avec une
se trouvent des bandes franche discussion
et des retranscriptions sur ses débuts et ses influences,
– avec les corrections sont tout aussi intrigantes que
manuscrites de Dylan –
les interviews. Dans les lettres de
des quatre interviews
menées en 1971, ainsi
1962, il s’extasie sur le concert de
que des lettres John Lee Hooker à Gerde’s Folk
de Dylan, dont une City (site du premier concert
de 1964 (ci-dessus), professionnel de Dylan, en 1961)
où il écrit : “john et dit avoir écrit “une nouvelle
lennon groovy ringo
chanson intitulée ‘The John Birch
aussi”. Ces chroniques
inédites, ainsi que
Paranoid Blues’.” Les lettres de
des conversations 1963 et 1964 décrivent sa trans-
téléphoniques formation de fan de Woody Gu-
enregistrées, dévoilent thrie du Midwest à compositeur
un Dylan détendu de “Desolation Row”, offrant des
et sincère, abordant
informations vitales sur les pre-
des sujets comme
ses visites à Woody
mières séances, l’écriture, les ac-
F
Guthrie, le fait d’être cordages de guitare, sa relation
É
hué au Newport Folk avec Joan Baez et la rencontre
V

Festival et l’écriture historique avec les Beatles. Deux

de chansons.
R

notes manuscrites sont glissées

I

avec des bandes contenant des

E

premiers mixages d’enregistre-

R

ments (dont “I Shall Be Released” et “You

Ain’t Goin’ Nowhere”), que Dylan envoie à
2

son ami pour avoir un avis. Les archives de

0

Glover contiennent aussi un exemplaire de

2

The Basement Tapes, sur bande.

1

Le 20 janvier 1962, Dylan écrit à Glover

après deux concerts réussis à Greenwich Vil-
lage. Empli de fierté, il s’emballe sur le fait
d’avoir appris auprès des icônes du blues
John Lee Hooker et le Révérend Gary Davis.
Avec humour, il note que leur ami commun,

77
 DY L A N S A N S F I LT R E

le musicien de Minneapolis Dave Ray – gui-
tariste du trio Koerner, Ray & Glover, dont
l’album de 1963, Blues, Rags and Hollers, chez
Elektra, est salué par la critique – devrait
s’installer dans le Village pour étudier auprès
des maîtres du Delta blues.
Ici on a un canapé dans une chambre.
J’aimerais savoir quand tu viens.
Les choses ne vont pas très bien partout.
J’ai écrit une nouvelle chanson qui
s’appelle ‘The John Birch Paranoid
Blues’.
Dave Ray bosse encore au Gaslight
– les choses ne sont pas terribles ici non
À 
la fin du mois, Dylan part pour
Manhattan, où il est présenté aux
Beatles au Delmonico Hotel. Il
s’agit de la rencontre légendaire,
où Dylan leur fait découvrir la ma-
rijuana. “Je ne sais plus trop de quoi on a parlé,
a dit Lennon à ce sujet. On a fumé de l’herbe, bu
du vin et on a fait nos rockers qui s’amusent. Ça a

“E
h eh, c’est moi qui t’écris
une lettre. De retour dans la
ville et pensant à toute cette
musique que tu fais à l’har-
monica là-bas, dans ce trou,
me fait penser et parler à ma bonne petite amie
de cet harmoniciste que j’ai connu – j’ai cherché
partout le livre que tu voulais tant et j’ai honte
de ne pas le trouver, mais je te l’envoie dès que
je l’ai. J’ai vu ce bon vieux Dave Ray et je l’ai un
plus. C’est tout pour l’instant, dépêche-
toi d’écrire et de me dire quand tu viens.
(Amène une montagne d’argent
– remplis ton coffre, on s’en servira pour
acheter du bois, le bois est très cher
aujourd’hui.)
Souffle bien dans ton harmonica
en attendant.
été un bon moment.” Peu après, Dylan envoie à
Glover une lettre nerveuse et lyrique reflétant
son processus d’écriture. Ainsi qu’a son habi-
tude, il coupe la fin des mots, comme l’a écrit
sa petite amie Suze Rotolo dans A Freewheelin’
Time, “à la manière d’un randonneur se frayant
un chemin dans les bois, machette en main”.
Avant de signer son nom au gros feutre noir,
Dylan tape une série amusante de symboles et

P
peu présenté. On est allés une fois voir John Lee eu après la sortie de Freewhee- de chiffres avant d’ajouter “et bises”.
Hooker payant sa dette au blues, à City. Dave lin’, Dylan doit jouer “Talkin’ Glover et Dylan sont restés proches pendant
va, chante et joue de mieux en mieux chaque John Birch” au “Ed Sullivan des décennies. Les journalistes se sont adres-
jour – parfois j’ai le sentiment que s’il n’y avait Show”, décision initialement sés à Glover, autorité sur Dylan et ses années
pas New York, je m’installerai là… j’ai joué à approuvée par toutes les par- dans les Twin Cities. Lorsque Dylan se produit
Schenectady la semaine dernière. J’ai dépensé ties concernées. Mais le jour de l’émission, à l’Orpheum Theater, à Minneapolis, en sep-
tant d’argent que j’ai dû jouer une soirée de plus les avocats de BCS exigent qu’il abandonne la tembre 1992, Glover fait partie de son groupe
pour rentrer à New chanson, de crainte de tournée. En 1998, Glover est embauché
York. J’espère avoir qu’elle suscite des pour écrire les notes de pochette de sa compi-
un de ces jours un “Il y a tellement p ou r su ite s de l a lation The Bootleg Series, Vol. 4 Bob Dylan Live
John Birch Society. 1966, “The Royal Albert Hall” Concert.
appartement, donc
si jamais tu passes,
de musique qui a été Dylan refuse d’être Dylan fait aussi un aveu sur son accident de
ma maison sera la influencée par moi. censuré et claque la moto, en 1966. L’événement a été entouré de
porte. mystère dylanesque et pourtant, avec Glover,
tienne – il fait plus La plupart, tu vois, Quelques se- il affirme que ce crash lui a sauvé la vie. “Je
froid ici et le vent te
transperce jusqu’aux même les Beatles – maines plus tard, faisais des trucs depuis si longtemps, je bougeais
os, on se croirait dans eh ! je ne me vante en mai 1962, Dylan
don ne à Glover
depuis si longtemps, je bougeais si vite depuis
si longtemps, que ça m’a pris des années à me
un marécage quand
on marche dans la
pas en disant cela, des paroles écrites débarrasser de ça, a expliqué Dylan. Ce n’était
r ue. Je vai s bie n- rien de ce genre. Mais e n l’hon neu r du plus : ‘Eh, je fais des excès depuis 1962 ou
f lamboyant Delta 1963.’ Avant cela même, avant ça. On pourrait
tôt emmener Dave
Ray voir Gary Davis
pour qu’un mec dise bluesman Big Joe dire que j’ai fait des excès toute ma vie. Ma vie
– Dave sera alors au- réellement : ‘Eh bien, Williams, son nou- entière a été une longue et grande série d’excès.”
veau héros et men-
tomatiquement dix j’ai changé la musique

E
fois meilleur.” tor. Dylan et Glover xcès de quoi, se demande Glover,
Dylan conclut populaire’ [rires]. Bon viennent de rendre de voyages non-stop, d’overdoses
en disant à Glover sang, qui peut faire ce visite à Guthrie, à
l’hôpital. Williams
de drogue ou constitution épui-
sée ? “D’oubli, à oublier tout, à tout
“de passer le bon-
jour de ma part à ce
genre de déclaration ? s’est autoproclamé effacer, continue Dylan. À tout
Mississippi” et cite Je peux vraiment “Roi de la guitare garder là et simplement aller droit devant… Ne
à neuf cordes” et regarde pas en arrière. À faire dieu sait quoi ? Tu
Guthrie : “Ce monde le dire et ça me fait
R

est le tien, vas-y dou- a p opu l a r i s é le s sais ce qui m’étonne ? Avec tout ça ? Aujourd’hui,
O

cement, mais prends- flipper…” standards du blues on écoute la radio – et il y a tellement de musique
L

le.” Et ajoute : “Ma “Baby Please Don’t qui a été influencée par moi. La plupart, tu vois,
L

petite amie dit qu’on ne signe pas son nom entier G o” et “Crawl i n’ même les Beatles – eh, je ne me vante pas en
I

King Snake.” Dylan a récemment joué de l’har- disant cela, rien de ce genre. Mais pour qu’un
N

pour les amis, donc – Moi, Bob.”

monica blues et chanté sur un album avec mec dise réellement : ‘Eh bien, j’ai changé la
G

Le 16 février 1962, Dylan écrit à Glover à

“Minneapolice” sur une enveloppe du Nor- Williams, enregistré à Brooklyn. musique populaire’ [rires]. Bon sang, qui peut
S

mandie Hotel, à San Juan (Porto Rico). Il est Dylan passe le plus clair du mois d’août 1964 faire ce genre de déclaration ? Je peux vraiment
T

excité par sa nouvelle chanson satirique, dans la maison de Woodstock de son manager, le dire et ça me fait flipper… Tous ces gens font
O

“Talkin’ John Birch Paranoid Blues”, écrite du Albert Grossman, avec Joan Baez, et des invi- simplement, dans une sorte de phase, ce que Bob
N

point de vue d’un homme de droite convaincu tés tels que Allen Ginsberg et Peter Orlovsky. Dylan faisait à l’époque, tu vois ?”
E

que les communistes infiltrent les États-Unis.
Voici une partie de la longue lettre :
“Il n’y a pas beaucoup de boulot ici et
je ne travaille pas, j’écris beaucoup et
je glande.
“Pendant tout le temps qu’on était là, Bob était
sur sa machine à écrire dans un coin, à boire du
vin rouge et à fumer, tapant pendant des heures,
a raconté Baez. Au milieu de la nuit, il se réveil-
lait, grognait, prenait une cigarette et retournait
à la machine à écrire.”
Glover se demande si son vieux complice a
ressenti un sentiment de fierté à l’idée d’avoir
changé l’histoire de la musique. “Ouais, vrai-
ment, j’éprouve vraiment un sentiment de fier-
té… à un niveau. À un autre niveau, non, ce n’est
rien du tout – bien sûr que non.”
©

78
Musique

COMPLÈTE-
MENT FOO…
Dance revival ?
Pourquoi pas.
Par ALAIN GOUVRION

Foo Fighters
Medicine at Midnight
RCA - ROSWELL

++++

À
EN CROIRE Dave
Grohl, les Foo
Fighters auraient
commis l’irréparable :
un disque pour danser.
Débrouillez-vous avec ça,
amis du rock, grunge ou
moins grunge ! Évidemment,
avec Mr Grohl, les choses ne
sont jamais aussi simples.
Pas le genre à tournoyer en
costard blanc sous une boule
disco comme n’importe quel
combo de godelureaux 2.0
tombé dans le grand bain
80’s. Après quatre ans de
break, l’homme qui
murmure à l’oreille des
superstars (McCartney,
Springsteen…) célèbre les
25 ans des Foo Fighters avec
un album bluffant, en partie
sous influence bowienne…
mais pas juste le Bowie de
“Let’s Dance”. Présenté live
chez Stephen Colbert, avec
sa fille Violet aux chœurs,
“Shame, Shame” – et ses
parfums très “Fame” –
a rappelé l’étendue de
la palette du songwriter,
sa faculté de délivrer

ILLUSTRATION : ALAIN FRETET

Guide Musique
FOO FIGHTERS Lâcher-
des parties vocales à fleur de peau et
prise
la formidable maîtrise de son groupe. Chef d’orchestre et
Impression confirmée à l’écoute de ce chanteur de CYHSY,
magistral Medicine at Midnight, qui désormais seul à bord du
s’ouvre sur un “Make a Fire” tubesque groupe qu’il a formé au
milieu des années 2000,
(Joe Walsh meets “Na Na Hey Hey Kiss
Alec Ounsworth met ici
Him Goodbye”), et dont la chanson-titre
à nu son désarroi face
s’apparente à un tour de force, avec à une société américaine
sa guitare griffée “China Girl” et sa rongée par ses démons.
rythmique imparable : une idée à la S’inspirant de ses propres
seconde et rendez-vous sur le dancefloor ! déboires comme de
Basé sur un riff monstrueux qui ne cesse David Foster Wallace
d’enfler jusqu’à devenir “foo furieux”, – merveilleux écrivain
“Cloudspotter” est de la même eau, auquel on doit L’Infinie
ses “bang bang bang/know what I mean” St Germain Comédie, suicidé à l’âge
menant à un final en forme d’apothéose Tourist de 46 ans –, il pratique
sonique. Au fil des plages, les pièces du Travel Versions un lâcher-prise qui, certes,
puzzle se mettent en place pour former peut déstabiliser, agacer
WARNER MUSIC
un tout d’une rare cohérence. Le refrain parfois, mais aussi toucher
de “Holding Poison” est du pur Nirvana,
+++ son auditeur, sur des titres
comme “Innocent Weight”

PREMIÈRE
“No Son of Mine” percute “Helter
ou “If I Were More Like
Skelter”, et l’on ne fera pas injure à Grohl, Jesus”. Une belle
assez fan du bonhomme, en écrivant que amplitude orchestrale se
“Love Dies Young”, ultime cavalcade fait également entendre,

CLASSE
héroïque d’un disque qui laisse à bout de faisant de New Fragility
souffle, évoque les grands instant hits un disque assumé de A à
de Bryan Adams. Mais l’hommage “aux Z, avec un panache
rockers qui font danser les stades” se meut assumant, lui, tous ses
en quelque chose de plus ambitieux dès défauts. S.R.

B
lors qu’on aborde des morceaux comme eaucoup moins
“Waiting on a War”, avec ses montées de connu du grand
cordes et cette accélération de tempo – du public que Daft
symphonic rock lancé à plein régime –, et Punk ou Air, St Germain,
surtout “Chasing Birds”, ballade dotée alias Ludovic Navarre, est
d’arrangements lennoniens. Grohl se plaît néanmoins l’un des artistes
à raconter que Medicine at Midnight a été précurseurs de la French
enregistré dans une maison hantée, du Touch, versant lounge
côté d’Encino : pistes mystérieusement électro-jazzy. Publié en
effacées, riff surgi du néant après 25 ans 2000 sur le prestigieux
et autres phénomènes paranormaux. label Blue Note, l’album
Les médocs de minuit ont l’air de faire Tourist s’est vendu à près de
des miracles : UFO magnifiques trouant 4 millions d’exemplaires
le morne paysage musical des années dans le monde et fait l’objet
2020, les Foo Fighters nous prouvent que aujourd’hui de remix signés
le rock en a encore sous le capot. Peu par la crème de la crème :
importe la couleur des pilules. Atjazz transporte ainsi
“Rose Rouge”
dans un mantra Deep
House obsédant, tandis
que Ron Trent, sur
CYHSY
le même titre, lorgne New Fragility
évidemment du côté du MODULOR
groove de Chicago, à +++
l’inverse de Black Motion,
qui repeint “Sure Thing”
en mode afro house…
On se dit qu’étant donné
la qualité des compositions
originales et des musiciens
réunis ici, un remix bal
musette aurait également
fonctionné.
DENIS ROULLEAU

L’OVNI DU MOIS
Martin Gore
The Third
Chimpanzee
Art primitif
MUTE RECORDS Nouvel opus instrumental solo pour le compositeur de Depeche Mode,
fraîchement intronisé au Rock & Roll Hall of Fame. Magicien de l’electronica,
+++ ½ Gore a mis à profit son confinement pour bidouiller sur ses machines et en
sortir un EP concept autour des primates, idée qui lui est venue en trafiquant
le son de sa voix jusqu’à ce qu’elle “ressemble plus au cri d’un singe hurleur”.
“Ce qui m’a fasciné, c’est de rendre floue la frontière entre l’homme et
l’animal”, assure-t-il. Il nous livre ainsi 5 titres industriels en mode mineur,
sombres, aux loops hypnotiques, rythmiques lentes et tribales, illuminés de
quelques mélodies fantomatiques et nostalgiques. Les amateurs pourront y
déceler des effluves de Delta Machine, Black Celebration ou encore
de son premier album, Counterfeit. Un excellent cru d’un Gore tourmenté
© TRAVIS SHINN

par la période obscure que nous traversons et son questionnement sur

le lien homme-animal. ALMA ROTA

80 | Rolling Stone | rollingstone.fr | Février 2021 +++++ Classique | ++++ Excellent | +++ OK ! | ++ Mouais… | + Euh…

Lucero
When You Found Me
THIRTY TIGERS
+++
Western rock
Lucero serait assez du
genre à brouiller les pistes.
En tout cas, à ne pas se
retenir pour en changer et
en emprunter de nouvelles
selon ses humeurs, et en
premier lieu celle de son
leader, Ben Nichols. Ainsi,
aux colorations country-
folk et rock sudiste qui ont
pu accompagner ses
escapades depuis neuf
albums studio – en même
temps que l’intégration de
claviers vintage il y a trois
ans, en “remplacement” de
cuivres qui faisaient une
autre de ses signatures – il
a voulu ajouter une touche
plus classic rock au
dixième. Sa voix, toujours
très grave, peut dès lors se
faire… porte-parole de
chansons plus solides
les unes que les autres, où
les thèmes sont souvent en
lien avec la famille, celle
des générations passées
comme celle de demain.
Qu’il garde la maîtrise de
ses ambiances ou décide
de lâcher les chevaux, il n’a
besoin de personne pour
se trouver. X.B.
Grant Haua
Awa Blues
DIXIEFROG/PIAS
++++
From New Zealand
Après avoir sillonné
pendant plus de dix ans
les terres néozélandaises et
une partie de l’Australie,
Grant Haua est repéré
début 2019 par le label
français Dixiefrog, qui sort
Février 2021
aujourd’hui son premier
album sur le territoire.
Les douze chansons qui
composent Awa Blues
mélangent racines blues,
groove rock et musique
cajun. Son jeu fluide et sa
virtuosité sur le manche de
sa six-cordes, inspiré par
Albert King ou Robert Cray,
s’impose naturellement sur
“Got Something” ou
“Addiction”. Ses textes
tatoués au fer rouge,
hantés par la culture Maori,
vous collent à la peau,
portés par une voix
puissante qui harponne en
un tour de piste, comme
la rencontre de Tom Jones
et John Hiatt. Un disque de
blues-rock “à l’ancienne”,
magistral et renversant, qui
se hisse déjà à la hauteur
des meilleurs songwriters
du genre. Indispensable.
PHILIPPE LANGLEST
Compilation
We Are The Vineyard Vol.II
RED REC
+++ ½
Georgia on my mind
D’office, l’ovni du mois reçu
à la rédaction. Imaginez
“une compilation de
groupes géorgiens actuels
d’electro-ambient”. Tout
le monde a fui ? Après
un premier volume sorti en
2019 qui a provoqué un “à
surveiller de près !”, le label
rennais Red Rec continue
ses découvertes d’artistes
de Tbilissi. Ce WATV Vol. II
affiche deux faces
distinctes : une face B très
hypnotic, avec Solarmental
et Itch (rien à voir avec
le collaborateur de D.O.A.,
bien sûr) mais, surtout,
une face A très ambient,
avec “Let The Right One In”
de Her Ra et “Eternal
Activity Without Action” de
Vako Pachulia, qui mérite
à elle seule le détour si on
est dans une recherche de
pleine “zénitude”. Ces deux
titres semblent respirer,
vivre tout seuls, en
autonomie totale.
Une sorte de moment
introspectif bienvenu
aujourd’hui. SILVÈRE VINCENT
faire entendre sa voix au milieu
d’un brouhaha occultant les injustices
socio-économiques et les troubles
écologiques. Les entêtants “Jazz (in the
Supermarket)” ou “Anxiety Feels”
profitent du chant de la “riot grrrl”
charismatique, guitariste et leadeuse
du groupe, Lottie Cream. Entourée de
sa garde rapprochée, la formidable
batteuse Rosy Bones en première ligne
et Dan Carey (Franz Ferdinand, Kate
Tempest) à la production, elle fait
du rock’n’roll à la fois une arme et
un manifeste. SOPHIE ROSEMONT
GIRLS ROCK
Goat Girl
On All Fours
ROUGH TRADE
+++½
Impossible de résister au second
album de ces rockeuses, qui, sans
compromis, excellent dans le mariage
des cordes et des synthés pour
un résultat mélodiquement addictif.
Du folk à double tranchant de “Pest”
à la conclusion désabusée de “A-Men”,
On All Fours affirme une volonté de
Talk Talk (“Listen for a Brits made in Thailand
Change”), du U2 en L’avantage de ce septième
puissance (“Forbidden album du groupe anglais
Ways”), du Elvis Costello, – qu'il est allé enregistrer
aussi (“Rumours”). Mais en Thaïlande – est qu’il ne
au-delà des influences, perd pas de temps à
Barton possède un talent dévoiler ses intentions :
inné pour la mélodie, You Me at Six a de
sensible. Comment ne pas la frustration à exorciser, et
mentionner la ballade “The il ne va pas chercher midi à
Barton Hartshorn Gold Black Vaccum of Your quatorze heures pour
Past”, forte d’un étonnant le démontrer. Son ADN pop
Not What I Expected to Hope
For solo floydien, ou encore punk fait le reste et le fait
“Still Life”, probablement bien, quitte à chercher
SUXEED le meilleur titre, se à tromper son monde avec
terminant sur un un titre-album empruntant
+++ ½
arrangement déchaînant à une electro-dance
Britpop revival ! piano et batterie. Le presque martiale
Barton Hartshorn n’en est premier album feel good (le leitmotiv “I rise from the
pas à son premier essai de l’année, assurément ! wreckage you left behind”-
solo ! Ce nouvel opus est le SAMUEL REGNARD “Je me relève
quatrième d’un répertoire des décombres que tu as
florissant, flirtant entre laissés derrière toi”, qui,
la folk, le rock et la pop aux évidemment, remet
accents british. Not What instantanément les choses
I Expected to Hope For, un en place) ou quelque trame
album truffé de vie et de mélodique qui ne calmera
bonnes ondes, a été écrit le jeu que quelques
dans le monde d’avant, instants. “We’re fucked up
au cours de la dernière in a beautiful way”, hurle
tournée américaine. Barton à s’en péter les cordes
est retourné en studio avec vocales Josh Franceschi
You Me at Six
son groupe, et il s’agit plus sur le premier single de
d’un retour à ses racines Suckapunch l’album. Et si l’essentiel
pop anglaise, avec toujours UNDERDOG RECORDS était là ? Extirper et trouver
ce goût pour le storytelling de la beauté d’où qu’elle
© DR
qui lui sied si bien. Il y a du +++ vienne… XAVIER BONNET
rollingstone.fr | Rolling Stone | 81
Guide Musique
The Staves
Good Woman
WARNER
++++
Sororité
Les trois sœurs Jessica,
Emily et Camilla Staveley-
Taylor se sont imposé
un silence de six ans,
seulement interrompu
le temps d’un EP avec
l’orchestre de chambre
new-yorkais yMusic, et de
voix posées chez Paul
Weller ou l’album
posthume de Leonard
Cohen. Le temps d’avoir
le cœur brisé par
des ruptures amoureuses,
la mort de leur mère ;
le temps de donner
naissance pour l’une
d’entre elles. S’ouvrant sur
le très efficace “Good
Woman”, cet album produit
par John Congleton est
plus abrupt, plus féministe
aussi. Il s’agit de rendre
hommage à une puissance
insoupçonnée, ce qui se
ressent dans des riffs
électrisants ou une
acoustique subtilement
façonnée. Entre effluves
rock et rêveries folk, ces
13 nouveaux morceaux
font partie des meilleurs,
et de loin, de la sororité
des Staves. S.R.
Théo Charaf
Théo Charaf
WITA RECORDS
+++½
Lyon, Mississippi
Certains collègues bien
intentionnés ont cru bon
de voir en Théo Charaf “le
petit-fils français de Neil
Young”. On s’abstiendra de
notre côté de lui mettre
ainsi la pression. Et quitte à
se laisser aller à l’emphase,
82 | Rolling Stone | rollingstone.fr
on irait volontiers jusqu’à
ébaucher quelque parallèle
dans le ton très grave de
la voix du garçon avec
un certain Johnny Cash.
Une chose est certaine, en
revanche : rien sur cet
album n’indique que l’on
tient là un natif de Lyon.
À moins qu’il ne s’agisse de
Lyon, Mississippi, tant
l’héritage blues et folk
semble couler dans
les veines de notre nouveau
troubadour. Seul avec sa
guitare et un brin d’écho,
Théo Charaf voyage et
nous fait voyager, entre
compositions personnelles
et reprises, qu’il a la bonne
idée de savoir savamment
bousculer, tout en leur
payant hommage : le “Devil
Got My Woman”, de Skip
James, pour n’évoquer que
lui, réveille ainsi plus
d’un fantôme… XAVIER BONNET
Philippe Cohen Solal &
Mike Lindsay
Outsider
IYA BASTA !
++++
Pop picturale
Outsider. Comme l’a été,
de son vivant, l’artiste
américain Henry Darger
(1892-1973). Très tôt
orphelin et livré à lui-
même, il peindra toute
sa vie en parallèle
d’un quotidien précaire,
à Chicago. C’est là que
Philippe Cohen Solal
découvre ses textes de
chansons encore
inexploités. Avec Mike
Lindsay, de Tunng, il se
charge de les mettre en
musique. Le résultat est
aussi riche et bouleversant
que l’œuvre du peintre,
habité par le timbre de
crooner mélancolique
d’Adam Glover. Fourmillant
de trouvailles sonores,
la pop réussit ici le tour de
force d’être à la fois
expérimentale et baroque,
grâce à des chœurs et des
arrangements de cordes et
de cuivres parfaitement
maîtrisés. Un bel album,
qui fait honneur au génie
pictural de Darger. SR
PHYSIQUE OU
CÉRÉBRAL MAIS
ÇA SECOUE
TV Priest
Uppers
SUBPOP/MODULOR
++++
SubPop revient à des choses plus
dures, plus tendues. Après Metz, par
exemple, les Anglais de TV Priest
s’inscrivent dans cette “re-
brutalisation” avec un post-punk au
son particulièrement épuré. Rien que
Do Not Machine
Heart Beat Nation
TWENTY SOMETHING/PIAS
+++½
Retour vers le futur
Il y a longtemps qu’Angers
est inscrit sur la carte
mondiale du rock’n’roll et,
pourtant, la ville insiste et
crée même un “super-
groupe” en réunissant
un Zenzile, un Last Time
Voodoo et deux Daria,
encore plus visibles dans
LANE depuis un moment.
D’office, le niveau des
compositions est élevé et
solide, dans une lignée
hardcore/pop forcément
90’s. “Curious Box”, qui
entame l’album, pourrait
apparaître chez les Foo
Fighters, “Heart Beat
Nation” sur un disque de
Nirvana, mais, le groupe
les intros de basse de Nic Bueth sur
“The Big Curve” ou “Fathers And
Sons” évoquent toute la tension sans
artifice qui tient tout l’album. Ils citent
The Fall ou Protomartyr, on ajoute
Tad, Sonic Youth… et même Dead
Kennedys, grâce à cette manière qu’a
Charlie Drinkwater de déclamer son
texte plus qu’il ne le chante. Avec
“Press Gang”, c’est une puissance
froide et sèche, une sorte de punk
post-industriel, qui “bastonne” et
secoue. Ça ne s’arrange pas avec
“Leg Room” ou “Journal of a Plague
Year”, avant un étonnant “History
Week”, reposé. Puis la tension revient,
violente et malaisante ou maladive,
dans “Slideshow” ou “The Ref”. Pas
facile, mais à quel moment voudrait-
on que la musique soit facile ?
SILVÈRE VINCENT
le dit, il y a du Torche ou Nono a réenregistré, en
du The National aussi dans direct live et en trois jours,
ce CD puissant. Un peu ses trois premiers albums,
daté également, mais c’est ainsi qu’un set acoustique
l’option de départ : “à la bougie”, qui réunit six
retrouver les sonorités titres de ses deux derniers
d’une époque tellement opus. Au-delà de
riche musicalement. la performance, ces quatre
Bonus pour “A Promise”, disques, qui balaient plus
titre qui résume l’esprit de quarante ans de
d’un album qui tient son carrière, donnent
engagement. La galette l’occasion d’entendre une
énergétique du mois. poignée de morceaux peu
SOPHIE VAN DE NESSE joués jusqu’ici sur scène
(“Passe”, “Dialogue de
sourds”) et quelques
réinterprétations
surprenantes, notamment
dues à trois choristes qui
apportent une touche soul
loin d’être désagréable
(“Le Matteur”, “Monsieur
Comédie”). En revanche,
“Antisocial” et “Le Mitard”
demeurent fidèles à leur
Trust
esprit original et n’ont rien
RE.CI.DIV perdu de leur efficacité en
VERYCORDS 2021, tandis que l’hymne
anti-Macron du dernier
+++½ album en date, “Miss
Univers”, passe aisément
À l’énergie et à la bougie le cap du traitement
Trust a décidé de remonter acoustique. Un exercice
sur les planches, sans de style casse-gueule par
public bien sûr, mais excellence, que le groupe
surtout sans filet, puisque accomplit avec
© DR
la bande de Bernie et de les honneurs. DENIS ROULLEAU
Février 2021

DeWolff
Wolffpack
MASCOT RECORDS
+++
Psyché Southern Rock
Lorsque vous enregistrez
un album sur la route avec
une console cassette
quatre-pistes, entre
chambres d’hôtel et
coulisses de quelque salle,
voire sur le bord même de
cette route, bien délicat de
devoir renoncer à aller le
défendre… sur les routes !
Nos loups bataves ont
donc dû, comme tout le
monde, ronger leur frein et
fermer le chapitre Tascam
Tapes. Mais l’adversité peut
parfois s’avérer votre
meilleure alliée. Bref, c’est
par le biais d’un groupe sur
un réseau social, créé entre
et pour eux seuls, qu’ils ont
commencé à coucher
les idées de ce Wolffpack.
Si la colonne vertébrale de
ce “psychedelic southern
rock” n’a pas disparu dans
les limbes digitaux, entre
guitares acérées et rasades
d’orgue Hammond, le gang
des frères Van De Poel
profite de l’occasion pour
mettre en avant un côté
pop et mélodique que l’on
ne lui soupçonnait pas
forcément. Joli pack
des loups… XAVIER BONNET
Israel Nash
Topaz
THIRTY TIGERS
++++
Précieux en écrin
Pour capter ses idées au
plus près de sa vérité, Israel
Nash s’est fait construire
un studio à 200 mètres
de chez lui. En résulte un
album immédiat, empreint
d’un confort dont on ne
Février 2021
refuse pas un gramme
depuis quelques mois. Loin
pour autant d’être
un énième disque de
confinement, Topaz brille
par une orchestration riche
et qui flirte principalement
avec trois univers bien
précis. Une brume
floydienne, un ressac
harrisonien et, bien sûr,
une fausse candeur digne
de Neil Young. Sur l’album,
“Dividing Lines” et “Closer”
sont l’exemple type
des chansons qui arrêtent
le temps et nous
engouffrent dans
un tourbillon de souvenirs
de ces moments où, ados,
voire enfants pour les plus
chanceux, on découvrait
la bonne musique.
Un album généreux,
à cœur ouvert, et dont
la nostalgie fait presque
mal, par moments. C.B .
The Pretty Reckless
Death by Rock and Roll
FEARLESS RECORDS/
CENTURY MEDIA RECORDS
+++
Hail Rock'n'roll!
Quatre ans après la sortie
de Who You Selling For,
Taylor Momsen et ses
Pretty Reckless signent
un nouvel album manifeste.
Un cri du cœur. Une
promesse. Que le rock ne
s'éteindra jamais. Qu'il
saura toujours faire vibrer
les six-cordes sensibles de
ses voix les plus féroces…
Et la jeune chanteuse
américaine est l’une d’elles !
En douze chansons écrites
à l’encre de deuils, le
groupe de rock a remonté
une pente glissante
jusqu’aux sommets, et
hurle que c’est grâce à son
amour des riffs qu’il est
toujours debout… Et quels
riffs ! Qu’il s’agisse du
furieux “And So It Went”
– dans lequel on retrouve
un certain Tom Morello – ou
encore du “james-bondien”
“25”, The Pretty Reckless
porte haut les couleurs du
meilleur des rocks, un rock
nécessaire. JESSICA SAVAL
NOTTINGHAM
CALLING
Sleaford Mods
Spare Ribs
BEGGARS
+++
Pouvait-on
sérieusement penser
que le duo de
Nottingham laisserait
passer la crise
pandémique sans dire
un mot ? Non. Sur
le drôle de mélange
Smith & Burrows
Only Smith & Burrows Is Good
Enough
ANTI/PIAS
++++
Smith & Burrows est le fruit
de l’association de deux
songwriters british : le
chanteur de The Editors,
Tom Smith, et le batteur de
Razorlight, Andy Burrows.
Après un premier opus
(Funny Looking Angels)
sorti en 2011, le duo revient
dix ans plus tard avec
un second chapitre conçu
à Nashville, sous
la houlette de Jacquire
King (Kings of Leon). Fin
mélodiste, la doublette
anglaise tisse d’entrée son
pouvoir de séduction, avec
le morceau “All The Best
Moves”, où sa ritournelle
obsédante et ses guitares
électro-pop, punk et rap façonné par le
producteur Andrew Fearn, le chanteur
Jason Williamson reste fidèle à son
engagement. S’il invite leur jeune
disciple anglaise Billy Nomates et Amy
Taylor, la chanteuse du groupe punk
australien Amyl and The Sniffers,
il reste au centre d’un disque qui
dénonce l’absurdité de la politique
gouvernementale face au virus.
Commencé en janvier 2020, Spare
Ribs s’est rapidement enrichi de titres
enregistrés en deux semaines de
studio entre deux confinements, l’été
dernier. Et crache sa haine contre
les conservateurs de tous bords,
rappelant la constance du mépris de
classe – en témoigne entre autres
l’impressionnant “The New Brick”. S.R.
trampoline font merveille. vous y trompez pas. Même
Mélange de folk-rock et de si c’est un groupe mature
brit pop, le répertoire de et adulte qui nous parle
Smith & Burrows séduit des vicissitudes de la vie
avec ses chansons d’amour moderne sous la forme de
pour cœurs brisés (“I Want chroniques, de portraits et
You Back in My Life”) et ses de tranches de vie, on
ballades dorées à l’or fin trouve le côté faussement
(“Parliament Hill”), raffinées enlevé qu’affectionne Wes
et élégantes comme un Anderson quand il nous
doux parfum nostalgique raconte ses familles
et capiteux d’outre- saugrenues et fragiles.
Manche. PHILIPPE LANGLEST Pas étonnant, d’ailleurs,
de trouver dans la grâce
de Craig Finn, le frontman
du sextet, cette tragique
légèreté qui rappelle
la musique de Mark
Mothersbaugh, ex-Devo.
Cette façon parfaitement
contrôlée avec laquelle
il voltige dans un rock
parfois un peu littéraire
mais si vrai et si typique de
The Hold Steady ce charme new-yorkais
Open Door Policy – brooklynien, plus
THIRTY TIGERS
précisément – qui teinte
les disques cohérents et,
+++ en fait, rassurants, que
l’on apprend
Brooklyn à aimer. C.B.
Rhapsody
Hold Steady,
ça veut dire
“bien en
place”.
© DR
Ne
 Guide Musique
Après avoir fait ses armes avec
Wassailer Evergreen, Will Serfas se lance en
i, the bastard solo pour une pop qui part dans
Empty Streets Records/Because Music divers chemins (folk, jazz, néo-soul
électro), tout en trouvant sa voie !
S’inspirant de ce que le folk british a
Anandammide offert de plus poétique, le chanteur
Earthly Paradise et multi-instrumentiste italien Michele
Lizard Records Moschini imagine ici un album d’une
rare richesse orchestrale.
À mi-chemin entre le punk et
Pom Poko la pop, ce quatuor norvégien profite
Cheater du timbre sucré d’une chanteuse,
entourée de guitares et de
Bella Union
rythmiques sur ressorts.
Après des débuts au côté de
Buzzy Lee son frère Théo, la fille de Steven
Spoiled Love Spielberg confirme son joli brin de
Future Classic
voix avec cet album d’une élégance
éthérée, produit par Nicolas Jaar.
Romancier désormais affirmé,
Joseph d’Anvers Joseph d’Anvers est l’un des piliers
Doppelgänger de la scène française, et bouscule ici
Doppelgänger sa chanson de nouvelles sonorités
synthétiques. On se laisse prendre !
Guy Blakeslee Le fantôme de Townes Van Zandt
rôde dans les compositions
Postcards from
du leader du projet Entrance, dont
the Edge cette échappée solo entérine
Entrance Records une sensibilité pop-folk.
The Besnard Lakes
Mené par Jace Lasek et Olga
Are The Last Of The Goreas, le groupe montréalais
Great Thunderstorm retourne à la substantifique moelle
de son rock’n’roll vaporeux et
Warnings
psychédélique.
Full Time Hobby
Arlö Parks Anaïs Oluwatoyin Estelle Marinho a
20 ans, vient de Londres et décape
Collapsed in déjà le territoire urbain avec plume
Sunbeams affûtée et voix de velours, au service
Transgressive/Pias d’une soul remarquablement écrite.
Voix nonchalante, textes désabusés
ChevalRex mais pas trop, toile de fond pop
Providence synthétique : Rémy Poncet nous
Vietnam parle avec délicatesse d’amour, de
famille, de maturité et de cimetières.
Plus de dix ans après leur rencontre,
Still Corners Tessa Murray et Greg Hughes
The Last Exit publient une déclaration d’amour
Wrecking Light Records/Differ-Ant aux grands paysages américains et
une soif d’horizons existentiels.
SÉLECTION : SOPHIE ROSEMONT
84 | Rolling Stone | rollingstone.fr | Février 2021
POP
ACUITÉ
VISUELLE
+++
++½
Steven Wilson
The Future Bites
++½ CAROLINE/UNIVERSAL
+++½
S
E TON AVAIT ÉTÉ
DONNÉ avec To The
Bone, son précédent
+++ album. Sa couronne de
“nouveau roi du rock
progressif”, Steven Wilson
ne la recalerait sur sa tête,
en permanente ébullition,
que lorsqu’il s’attellerait
+++ à un nouveau mixage 5.1,
ou plus si affinités, de telle
réédition de telle sommité
du genre. Le trône est en
effet définitivement brûlé
avec The Future Bites, notre
++½ binoclard s’ouvrant grand
les fenêtres d’une pop
décomplexée, histoire de
laisser passer de vivifiants
courants d’air sur
un thème général
++++ potentiellement pesant,
qui mêlerait, en vrac,
l’individualisme exacerbé,
la vanité et/ou
la dangerosité des réseaux
sociaux, le consumérisme
+++ à outrance (thème
exacerbé par ce “Personal
Shopper” où Elton John en
personne vient égrainer
une liste de produits à
l’utilité contestable, liste
++½ incluant, entre autres
joyeusetés, les coffrets
“Edition Deluxe” qui
occupent si souvent, par
ailleurs, le sieur Wilson).
Si la démarche peut
+++ parfois déconcerter tant
l’intéressé la pousse
jusqu’au paroxysme, sa
maîtrise des arrangements
rend caduque toute
© DR
contestation. XAVIER BONNET

Aaron Lee Tasjan
Tasjan! Tasjan! Tasjan!
NEW WEST
++++
Songwriter
Aaron Lee Tasjan à déjà,
à 34 ans, une carrière bien
remplie. À l’âge de 16 ans,
on le découvre sur scène
à la guitare derrière le Peter
Yarrow de Peter, Paul &
Mary. Quelques années
plus tard, il devient
le guitariste du combo
sudiste Drivin N Cryin, puis
intègre sur scène les New
York Dolls, en 2008, au
côté de David Johansen.
Début 2013, il cofonde
le groupe BP Fallon & The
Bandits, en compagnie
de Ian McLagan (Faces) et
Clem Burke (Blondie).
Aujourd’hui, il sort son
quatrième album. Bien
au-dessus de la moyenne,
le songwriting de Aaron
Lee Tasjan est le résultat
d’une alchimie entre power
pop et classic rock,
jaillissant tout droit des
hauts fourneaux de Tom
Petty, Jeff Lynne. Fan de
Roy Orbison, le songwriter
confirme sa proximité
vocale avec l’auteur
de “Oh, Pretty Woman” sur
“Another Lonely Day”.
Un bel album, finement
ciselé. Rare et précieux. P.L.
The Cosmic Trip
Advisors
Wrong Again Albert… + Same,
Same… But Different
BAD REPUTATION
+++½
Déflagration blues rock
Quel pourrait bien être
le programme du périple
cosmique ? Deux guitares
(dont les crédits aiment à
préciser que l’une “occupe”
Février 2021
le côté droit et l’autre le
gauche de l’enregistrement
stéréo), une batterie et une
basse, des orgues-claviers
qui s’en donnent à cœur
joie, quitte à aller réveiller,
quand ça leur… chante,
le spectre et/ou le souvenir
de Ray Manzarek, des
Doors, une voix enfin, ou
plutôt une tornade vocale,
“tétanisante” de puissance.
La déflagration blues-rock
délicieusement vintage, qui
n’hésite pas à rallumer
un rock sudiste faussement
avachi, peut dès lors
commencer et surtout ne
jamais s’interrompre.
Mieux, c’est une double
dose qui est ici inoculée,
le groupe ayant insisté
auprès de son label pour
ajouter une version de
l’album réenregistrée sans
overdubs.
XAVIER BONNET
Marquis
Aurora
CAROLINE
++++
Le retour du Marquis
Suite au décès brutal
du chanteur de Marquis
de Sade, Philippe Pascal, le
12 septembre 2019, le reste
du groupe, emmené par
le guitariste Frank Darcel, a
décidé de poursuivre
l’aventure sous le nom de
Marquis. Sur ce premier
opus (Aurora), enregistré
entre la Bretagne, New
York, Bruxelles et Paris, on
y croise beaucoup de
guitaristes : Ivan Julian et
Richard Lloyd (Television).
Si Étienne Daho y signe
un titre, on remarquera
la présence du regretté
Dominic Sonic sur
la reprise du Velvet
Underground, “Ocean”.
Présent au chant sur 8 des
13 titres, le flamand Simon
Mahieu réussit le challenge,
au micro, de combler
l’absence de Philippe
Pascal. Un album dense,
travaillé sous toutes
ses facettes par un Frank
Darcel bouillonnant, entre
mandales de riffs et post-
punk endiablé P.L.
CANADIAN
HEROES
Kiwi Jr
Cooler Returns
SUB POP/
MODULOR
++++
En parlant de Kiwi Jr,
certains évoquent
le renouveau rock du
début des années 2000,
tendance Strokes, mais
c’est plutôt du côté
Shame
Drunk Tank Pink
SECRETLY
+++
Post-punk primaire ?
Il y a seulement deux ans,
et déjà une petite éternité,
sortait le premier effort,
trempé dans la sueur et
la bière, de Shame. Après
une tournée fiévreuse,
un virus les a contraints à
réviser leur mode de vie
mais pas l’essence de leur
post-punk faussement
primaire. Si le noyau
du disque a été imaginé
au bercail du groupe,
à Londres, il a pris forme
dans les Highlands, avec
l’artiste électro écossais
Makeness, mais aussi en
France, aux studios de
La Frette, avec James Ford
(Arctic Monkeys, Depeche
du slacker rock des années 1990, de
Pavement à Weezer en passant par
Dinosaur Jr., qu’il faut chercher les
influences de ce groupe de Toronto,
signé chez le ô combien prestigieux
Sub Pop. On y entend même un peu
d’harmonica, entre deux riffs
nonchalants. Sur ce deuxième album,
enregistré durant le confinement du
printemps 2020, Kiwi Jr affirme son
refus d’un monde stupide, et explore
l’histoire nord-américaine avec
délectation, signant un recueil de
chansons à la fois mythologiques
(“Norma Jean’s Jacket”), politiques
(“Undecided Voters”) et immédiates,
tant du point de vue mélodique que
rythmique. S.R.
Mode, Gorillaz). Avec Toronto depuis 2008
“Born in Luton”, pourra paraître pour
le chanteur Charlie Steen le moins déconcertant. Elle
interroge tout ce qui dans le reconnaît elle-même, la
notre origine peut nous pop des années 1980 a pas
désespérer, nous nourrir et mal occupé ses diverses
nous faire rire. Un humour écoutes ces dernières
grinçant et distancié, de années. Gageons que celle
la dérision à la pelle et des 70’s ne devait pas être
des riffs jaillissants : cette exclue du programme, tant
formule fait mouche, certaines sonorités de
comme l’annonce le titre, cet(te) Ignorance
Drunk Tank Pink. S.R. pourraient renvoyer à
Fleetwood Mac – et pas
seulement parce que
le timbre de Tamara peut
s’approcher de celui de
Christine McVie. Une voix
enjôleuse et qui sait
s’autoriser quelque
falsetto, mais sans jamais
trop en faire non plus, tant
elle a d’autres chats
The Weather Station à fouetter et d’autres
Ignorance préoccupations à
considérer, à commencer
FAT POSSUM
par un engagement
++++ écologique qui continue à
percer de temps à autre, à
Voix enjôleuse défaut d’être aussi central
Pour qui prendrait le train que sur ses projets
en marche du groupe précédents. Quelques
incarné par Tamara touches jazzy là-dessus et
Lindeman avec ce nouvel l’affaire est pliée : miss
album, “avaler” que Tamara va encore faire
la blonde demoiselle est la pluie et le beau temps
© DR
un pilier de la scène folk de entre nos deux oreilles…X.B.
rollingstone.fr | Rolling Stone | 85
Le Mix
TRÉSOR ENTERRÉ

Soulman et crooner
Pris pour un chanteur noir à l’époque du disco, Bobby Caldwell fête
rendre hommage.”
Hasard ou pas,
la rencontre avec le roi
du reggae coïncide avec
le lancement de sa
ses 50 ans de carrière. Un éclectisme unique. Par BERTRAND DEVEAUD carrière discographique.
“J’ai pris contact avec TK
Records, qui cherchait de

U
N NOM, mais pas
de visage. Juste
une silhouette dans
la nuit, celle d’un homme
assis sur un banc.
La pochette du premier
album de Bobby Caldwell
(publié en 1978) ne dit rien
de plus. Une volonté de
TK Records, label
spécialisé dans le
rythm’n’blues, qui vient
de signer ce nouveau
chanteur de pop soul,
blanc de peau. “Tous
les artistes, ou presque, de
TK Records étaient afro-
américains, précise
Bobby Caldwell. Il valait
mieux, semble-t-il, cacher
mon identité et faire croire
que j’étais noir. C’était mon
premier contrat. Je n’ai
pas pu dire grand-chose.”
L’illusion n’aura pas
duré longtemps. Bien
accueilli par les critiques,
l’album grimpe vite dans
les charts (no 21 au
Billboard), grâce à
l’énorme tube “What You
Won’t Do For Love”.
Bobby est engagé pour
faire la première partie de
la tournée de Natalie Cole.
La fille de Nat “King”,
nouvelle reine de la soul,
au coude-à-coude avec
Aretha Franklin, vient de
rafler plusieurs Grammy
Awards et affiche complet
partout où elle passe.
Bobby, dont on ne connaît
que la voix, apparaît pour
la première fois, en vrai.
“Le public a été sacrément
surpris. Moi aussi.
Personne ne s’attendait
à voir chanter un Blanc,
et moi je ne savais pas que
je me retrouverais dans
une salle 100 % noire”.
Un double effet de
surprise sans conséquence.
“La musique, c’est un
langage universel. Pas de
couleurs, pas de barrières.”
en pleine
lumière. Blond, yeux
clairs, cheveux mi-longs,
barbe courte, portant un
chapeau de feutre, veste
et cravate : le look parfait
du “blue-eyed soul”.
Un début de carrière en
trompe-l’œil pour cet
artiste qui a toujours été
à part dans l’industrie du
disque. Né en 1951 à New
York, il grandit à Miami,
où ses parents, chanteurs
de formation, animent
un show de variétés
(“Suppertime”). “Tout petit
déjà, j’entendais à la maison
les chansons de Frank
Sinatra, d’Ella Fitzgerald,
de Tony Bennett. Puis il y a
eu les Beatles, qui me
fascinaient. Et aussi Sam
Cooke, Marvin Gaye.
À Miami, sur les radios
locales, il y avait toutes
sortes de musiques.
J’ai appris la guitare et
le piano…”
Cet environnement
pousse Bobby à faire de
la musique son métier.
compositions. Au début
des années 1970,
il accompagne Little
Richard, qui l’emmène
à Las Vegas. Il y restera
plusieurs années : “Ce
n’était pas le Las Vegas
d’aujourd’hui, il y avait
même des quartiers
dangereux. Mais c’était
cool, le spectacle était
permanent, et toutes les
stars étaient à l’affiche.”
Bobby tente aussi
sa chance à Los Angeles,
devenue La Mecque
du disque. Mais sans
décrocher de contrat.
Cinq ans plus tard,
il rentre à Miami et
rencontre Bob Marley, qui
termine le mixage de
Rastaman Vibration,
aux Criteria Recording
Studios. “Ma mère,
reconvertie dans
l’immobilier, lui avait
vendu une maison. Il était
génial. On est devenus
amis. Il m’a beaucoup
inspiré et j’ai écrit
Commodores, Al Jarreau,
Roberta Flack, Neil
Diamond… Ils sont
nombreux à interpréter
Avec Jack
Splash !
Alors qu’il vient de
fêter ses 64 ans,
Bobby Caldwell
découvre qu’il a
un admirateur
inattendu : Jack
Splash, le producteur
de Kendrick Lamar,
et Alicia Keys. “Dans
une interview, il me
citait comme l’une de
ses références. Je l’ai
appelé, il était à
Miami. On est entré
en studio et, en
quatorze jours, on a
écrit et enregistré
un album”. Intitulée
Cool Uncle, cette
collaboration entre
l’artiste d’hier et celui
d’aujourd’hui
rassemble quinze
chansons où
les talents de
mélodiste de Bobby
nouveaux artistes.
Je leur ai fait écouter
des titres, dont ‘The
House Is Rockin’’. Et j’ai
signé dans la foulée pour
mon premier LP.”
Bobby enchaîne alors
les albums, toujours dans
la veine pop soul, avec
des accents latins et jazz.
Mais les ventes piétinent.
Sur les conseils de Boz
Scaggs, il écrit pour
d’autres. Chicago,
ses chansons, et le box-
office adore. “Je ne me
voyais pas comme
un auteur-compositeur
au service de l’industrie.
Mais ça m’a plutôt bien
réussi, et ça m’a permis de
ne pas me faire oublier.”
Alors que ses propres
albums ne sortent plus
qu’au Japon, où il est
élevé au rang de star,
Bobby retrouve
le succès aux États-Unis
avec ses nouveaux
enregistrements (Come
Rain or Come Shine,
After Dark), produits à
l’ancienne avec un big
band. Il y rend hommage
à Frank Sinatra, son idole
de jeunesse. “J’ai toujours
aimé cette musique,
c’est celle de mon enfance.
Elle m’a toujours électrisé.”
Bobby n’est bien sûr pas
le seul à surfer sur
la nostalgie, en jouant
le crooner qui reprend de
vieux standards de jazz.
Harry Connick Jr. et
Michael Bublé l’ont fait
avant lui. Mais chez lui,
cela sent le vécu,
ces expériences bonnes
et moins bonnes qu’il a
traversées, et le fait que,
cinquante ans après ses
débuts, il a toujours
© GETTY IMAGES

sont mis en valeur

Pour son deuxième album À 17 ans, il joue dans “Jamaica” [chanson par la production de besoin de se renouveler
(Cat in the Hat), Bobby des clubs, en Floride. publiée sur son 3e album, Jack. Une réussite. (lire encadré). Le refus de
apparaît en gros plan, et Des reprises et ses propres Carry On, ndlr] pour lui vieillir, sans doute.

86 | Rolling Stone | rollingstone.fr Février 2021

 JAZZ

Doug Carn
Jazz Is Dead 005
UNIVERSAL
“Doug Carn demeure l’un
des plus grands organistes
de jazz de tous les temps. Ce
disque célèbre son influence,
les vibrations funk qu’il a
insufflées à cette musique.”
Andrian Younge, l’un des deux
fondateurs, avec Ali Shaheed
Muhammad (A Tribe Called Quest), du tout jeune label Jazz Is
Dead, n’y va pas de main morte. Il est vrai que ce pianiste et
organiste venu de Floride, figure du mythique label d’Oakland,
Black Jazz Records, fut un héros du jazz-funk des années
1970, en alignant une poignée d’albums novateurs, devenus
cultes pour les connaisseurs (Infant Eyes, Revelation…). Après
avoir longtemps disparu des radars, le patriarche revient
aujourd’hui, plus groovy que jamais, aux commandes de son
Hammond B3, avec cet album diaboliquement soul et funky.
Une résurrection. PHILIPPE BLANCHET

Yasmine Kyd
Night Sailin’
ONDE MUSIC
C’est bien connu, les Bretons
sont de grands voyageurs.
Yasmine Kyd n’a pas échappé à
cet appel du large. Mais depuis
son plus jeune âge, c’est
à travers les musiques qui
évoquent l’ailleurs qu’elle
navigue contre vents et marées,
du blues des vieux hobos du Delta au jazz de Gershwin, en
passant par les chants berbères de son père, d’origine kabyle,
ou le soul-jazz soyeux d’une Erykah Badu. Enregistré dans
les conditions du live avec un quatuor de vieux complices et
une section de cuivres, son nouvel album, le cinquième (et le
plus jazzy), reflète cet univers riche et complexe, teinté d’une
précieuse dose d’onirisme, sans doute propre à la navigation
de nuit. En se guidant à la lumière des étoiles, d’une voix sûre
et pure, Yasmine Kyd pourrait bientôt en devenir une… P.B.

Kari Ikonen
Impressions, Improvisations and
Compositions
OZELLA MUSIC
Depuis déjà des lustres,
le pianiste finlandais Kari Ikonen
explore les méandres,
les volutes et les subtilités de
la musique arabe, moyenne-
orientale et turque, et tente de
les conjuguer aux conventions
d’un jazz plus conventionnel. Comme notre homme ne
manque pas de ressources ni d’imagination (et possède sans
doute un talent de bricoleur), il a construit un instrument
parfaitement inédit, le Maqiano, qui s’installe sur les cordes de
son Steinway et lui permet d’élargir la diversité des tons et
d’obtenir une palette mélodique qu’un simple piano n’offrirait
pas. Le résultat est étonnant, parfois un peu aride, mais
souvent très réussi, comme le prouvent les compositions et
les improvisations de cet album solo s’embarquant avec délice
dans des contrées inexplorées. P.B.
© DR

Février 2021 rollingstone.fr | Rolling Stone | 87

Le Mix
RADIO CLASSIQUE
U
N SOIR DU
printemps 1970,
juste après
un concert, un James
Brown surexcité pénètre
dans le bus de tournée
où sont rassemblés ses
musiciens. Ceux-ci sont
épatés : d’ordinaire,
le patron ne voyage pas
avec eux, il emprunte
soit une limousine, soit
un jet privé. “J’ai un
nouveau truc, s’exclame-
t-il, laissez-moi vous
le chanter !” Bootsy
Collins se souvient : “Il a
commencé à faire ses ‘Get
up, aah, get on up…’
Il voulait écrire ça tout de
suite, alors quelqu’un lui
a donné le sac en papier
qui emballait un sandwich.
C’est comme ça que tout
a commencé…”
En 1970, James Joseph
Brown est déjà une star,
doublée d’une
spectaculaire attraction
scénique. Celui que l’on
surnomme le “Hardest
Working Man in Show
Business”, a publié
une quarantaine d’albums
depuis 1959 (au rythme
de trois au quatre par an)
et décroché une bonne
tripotée de tubes, dont
“Please, Please, Please”,
“Try Me”, “I Feel Good”
“Papa’s Got a Brand New
Bag”, “Cold Sweat”, “It’s a
Man’s Man’s Man’s World”
ou “Say It Loud, I’m Black
and I’m Proud”. De la
soul et du rhythm’n’blues,
il a évolué vers un registre
plus funk. Jusqu’à
présent, il emploie divers
musiciens, la plupart issus
du jazz, comme
les saxophonistes Pee
Wee Ellis et Maceo Parker,
ou le tromboniste Fred
Wesley. Des musiciens
qui, juste avant un
concert à Columbus
(Georgie), en mars 1970,
décidèrent de se rebeller
contre leur boss jugé aussi
tyrannique que grippe-
sou. Furieux, Brown vire
88 | Rolling Stone | rollingstone.fr
JAMES BROWN
Sex Machine
Si le single explosif du “plus gros bosseur du show-
business” est connu sous son titre raccourci, il présente
une histoire… à rallonges.
Par PHILIPPE BARBOT
toute la troupe, depuis l’époque
à l’exception du batteur des Famous Flames,
John “Jabo” Starks, et le premier groupe
engage illico un jeune de Brown.
orchestre de Cincinnati La séance
nommé the Pacemakers d’enregistrement de
(parfois nommés la chanson, qui deviendra
les Pacesetters), sous son titre complet
accompagnateurs entre “Get Up (I Feel Like Being
autres de Hank Ballard. a) Sex Machine”, débute
À la tête de ce nouveau comme une jam session,
groupe devenu les JBs, sur le tempo et
les frères Bootsy et Phelps la séquence d’une
“Catfish” Collins, précédente chanson de
respectivement bassiste et James, “Give It Up or
guitariste. Recrutés sans Turn It a Loose”. Brown
audition ni répétition, les et Byrd s’interpellant l’un
musiciens se voient offrir l’autre (“Get up!”/“Get on
un salaire de 250 dollars up!”), et repris par le
la semaine. Dès le mois groupe. Dès l’intro, James
d’avril, James embarque s’adresse à ses musiciens
les nouveaux venus pour leur annoncer qu’il
à Nashville, dans est prêt à “faire son truc”,
les Starday-King Sound ce à quoi l’orchestre
Studios, pour mettre en acquiesce bruyamment.
boîte son nouveau titre. Des séquences parlées qui
À ses côtés, le fidèle deviendront l’une
Bobby Byrd, compositeur, des caractéristiques
vocaliste et bras droit des morceaux de Brown.
La chanson est enregistrée
en deux prises, dans
les conditions du live,
avec James lui-même au
piano. Bootsy Collins
raconte : “Quand on a eu
fini, quelqu’un a dit : ‘Ça
sonne super, Mr Brown !
Quand allez-vous mixer
tout ça ?’ Et James de
répondre : ‘Mixer ? C’est
déjà fait, mon gars !’”
Publiée en juillet 1970,
la chanson, divisée en
deux parties, est signée
de Brown et Byrd, ainsi
que d’un troisième larron
nommé Ron Lenhoff : en
fait l’ingénieur du son,
que James tira de son lit
en pleine nuit et obligea à
se taper cinq heures de
voiture jusqu’à Nashville,
rien que pour enregistrer
le morceau. Mais qui fut
plus chanceux qu’Elmore
James, dont Brown
emprunta le titre d’un de
ses morceaux, “Shake
Your Moneymaker”, pour
en faire une phrase
répétée à plusieurs
reprises, sans en créditer
l’auteur.
Première chanson avec
le mot “sexe” dans le titre
à trôner dans les charts,
“Get Up (I Feel Like Being
a) Sex Machine”, plus
connue sous la simple
appellation de “Sex
Machine”, finit de
transformer le “Godfather
of Soul” en “Parrain du
funk”. Le riff de guitare,
joué par Catfish Collins,
est devenu un classique
du style, éternellement
repris et copié. Brown
réenregistra la chanson
à plusieurs reprises,
notamment pour son
double album, Sex
Machine, censé être une
captation live à Augusta,
mais dont la plupart des
morceaux ont été réalisés
en studio, en ajoutant
réverbération et bruits de
foule. Si les JB’s des frères
Collins ne restèrent que
onze mois avec Brown
(ils rejoignirent ensuite
les groupes Parliament et
Funkadelic, de George
Clinton), “Sex Machine”
demeurera, jusqu’à la fin,
un incontournable de
ses concerts, parfois dans
des versions de quinze
minutes. Curieusement,
s’il fut largement samplé,
en particulier par des
rappers comme Heavy D,
les Fat Boys ou Mya, peu
se sont risqués à le
reprendre. À l’exception
sans doute des Flying
Lizards, dans leur style
bizarroïde habituel.
La chanson a également
inspiré le titre du biopic
de James Brown, Get On
Up, réalisé par Tate
Taylor, en 2014, avec
Chadwick Boseman. Elle
reste l’un des rituels
musts des discothèques et
autres fêtes de mariage.
One two three four! Stay on
© DR
the scene…
Février 2021

The Dead Daisies
Holy Ground
SPINEFARM RECORDS
+++½
Révisez vos classiques
Plus qu’un groupe, c’est
un concept, un état d’esprit. Une
formation à géométrie variable.
Ainsi, exit l’ancien chanteur
de Mötley Crüe, John Corabi, et
bienvenue à Glenn Hughes,
vocaliste au CV chargé comme
une mule, allant de Deep Purple
à Black Sabbath. Et ce Holy
Ground tout chaud de donner
un coup de barre vintage, mais pas
trop. Alors si l’on peut penser
aux anciens groupes de Hughes,
certains titres, par leur coloration,
rappellent Led Zeppelin, Doug
Aldrich se faisant plaisir comme
jamais à la six-cordes. Groové à
mort par Deen Castronovo et
Hughes, sans chercher à reprendre
le son granuleux des derniers
albums, ce nouvel opus a tous les
atours d’un classique. ABEL CORROYER
Rest in Gale
Tombola
KLISS RECORDS/JARANE
++++
Rock vintage à tous les étages
On les aime beaucoup ici, chez
Rolling Stone, ces sympathiques
Rest in Gale. Oui, on les aime car
ils jouent divinement bien, mais
dans un joyeux bordel plus ou
moins organisé. Oui, car un état
d’esprit aussi rock’n’roll, on ne voit
© DR
Février 2021
plus ça depuis longtemps. Et on
les aime surtout pour leur
songwriting épatant, n’ayant rien
à envier à leurs collègues d’outre-
Manche ou Atlantique ; pour
ces morceaux, parfois à rallonges,
avec une prod vintage pêchue qui
met en valeur la voix du chanteur,
quelque part située entre Nick
Cave et Jim Morrison, pour vous
faire une idée. C’est rempli de clins
d’œil à tout ce que le rock 70’s
a pu produire de génial, tout en
restant étonnamment
contemporain dans leur son et
leurs textes, bien déjantés. Donc
oui, incontestablement, on
les aime. BELKACEM BAHLOULI
The Luka State
Fall In Fall Out
SHELTER RECORDS/BMG
+++½
So british
Encore une énième sensation
venue de la perfide et brexiteuse
Albion ? Que nenni, nous tenons là
du lourd, du qui bastonne et qui,
par certains côtés, rappelle
l’énergie de The Jam ou du Clash,
mais pas que. Car ces jeunes gars
– dont deux frangins, Conrad et
Sam Bell – venus de… Manchester,
comme par hasard, ont été nourris
au son de la ville, et quelques
réminiscences apparaissent çà et
là. Mais il y a la part personnelle,
étonnante, détonnante, explosive
même, qui produit des chansons
pas réellement novatrices mais
avec un certain cachet et une
habilité palpable. Ça rugit, la voix
est là, mûre, parée pour la grande
aventure du rock, celle du son
des clubs de rock, où bière et riffs
se mêlent en étranges effluves.
Un rock de combat ? Pensez-vous,
non ! Un rock qui combat, qui
avance, et qui veut en découdre.
Lads are back in town? Definitely!
ABEL CORROYER
+++++ Classique | ++++ Excellent | +++ OK ! | ++ Mouais… | + Euh…
 IN MY ROOM
RETROUVEZ TOUTES NOS SESSIONS ACOUSTIQUES RÉALISÉES PENDANT LE CONFINEMENT.
DE BELLES SURPRISES, DES REPRISES ÉTONNANTES, ET SURTOUT DE L'ORIGINALITÉ ET DU TALENT.

Thomas Dutronc
Le chanteur et guitariste a convié ses amis musiciens
pour nous offrir une séance pleine de surprises.

COUNTRY ROCK
Steve Earle L’outlaw interprète ici deux titres sortis de son répertoire, ainsi Undervoid Deux titres enregistrés à distance, pour l’un des groupes de rock les
qu’une reprise bluffante. plus pertinents du moment. À découvrir.

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© ROLLING STONE FRANCE

BLUES-ROCK AMERICANA
Tyler Bryant tout juste couronné meilleur gratteux de l’année par nos confrères Joseph Martone Jeune talent… venu d’Italie, il nous
du magazine américain Guitarist, a sorti son Dobro et sa Strat pour Rolling Stone. propose sa vision toute personnelle de l’americana. FLASHEZ LE CODE

90 | Rolling Stone | rollingstone.fr Février 2021

MEN AT WORK
Guy Delisle revient sur ses souvenirs
dans le pays de son enfance, le Québec.
Jeune, vous rêviez de
vous installer en France ?
Comme beaucoup de
Québécois, j’ai pris
une année pour visiter
les vieux pays. Je pensais
faire un tour en Europe et
rentrer chez moi, mais
le hasard en a décidé
autrement. J’ai trouvé
du travail et, finalement,
je suis resté plus
longtemps que prévu.
Après tous ces
voyages, pourquoi ce
retour sur votre passé ?
Chroniques J’y pensais depuis
de jeunesse
longtemps, mais j’avais
SCÉNARIO ET DESSIN
Guy Delisle quelques scrupules à
ÉDITIONS Delcourt fouiller mon passé. Je me
suis toujours dit : quand
+++ ½ j’aurai dépassé les 50 ans principal de cet album, quelques années pour Et la musique dans
je m’autoriserai à c’est l’usine. À mon voir ce que ça donnerait. tout ça ?
raconter mes souvenirs. époque, il y avait Meilleure décision de J’en écoute en dessinant,
Après une passionnante Voilà qui est fait depuis 4 machines à papier et ma vie. donc du plus loin que
série de témoignages
longtemps ! Alors quand plus de 1 000 employés. Vous travaillez je puisse me rappeler.
sur la Corée du Nord,
le projet m’est revenu Aujourd’hui, 3 machines souvent avec Pendant la colorisation de
la Birmanie ou Israël,
à l’esprit, je n’avais plus tournent et les employés Trondheim ? cet album, j’ai écouté
Guy Delisle raconte ici
d’excuse pour reculer. ont diminué de moitié. Oui, vu qu’il est directeur l’intégralité des émissions
son premier job d’été
Je ne sais pas si La chose la plus de collection chez de radio de Laurent
dans une gigantesque
j’y donnerai suite, je ne importante que vous y Delcourt ! On se connaît Garnier. Huit saisons en
usine à papier, à Québec.
prévois pas mes albums avez apprise ? depuis longtemps, et tout. Le “gros beat”, ça
longtemps à l’avance. Mettre du sel dans le café c’est très confortable de me motive pour bosser.
Pourquoi cette pour enlever l’amertume. l’avoir comme premier Le tout dernier morceau
période précise ? Êtes-vous nostalgique lecteur. Il est sans en date que j’ai écouté,
J’aime bien entraîner de votre pays natal ? concession. c’est “Fade Into You” de
mes lecteurs dans J’aimais tant attendre Parmi tous vos Mazzy Star. C’est sorti en
des environnements l’autobus au coin de la rue périples, quel est celui 1993 et je ne connaissais
particuliers. Ici, ce n’est par – 30 degrés Celsius… qui vous a le plus pas. Ça s’écoute en
pas un pays exotique Quel est votre côté marqué ? boucle.
mais une usine. Un décor le plus québécois ? La Corée du Nord, qui Qu’avez-vous retenu
qui me donnait envie de L’automne venu, je ne donne l’impression de du confinement ?
l’illustrer. Toute une peux m’empêcher de voyager dans le temps. Que la liberté, c’est quand
brochette de personnages prendre ma hache et Tout semble s’être figé même moins déprimant.
m’est revenue à l’esprit et d’aller couper du bois. dans les années 1950. Des projets en cours ?
l’idée de les dessiner Le dessin d’animation, La paranoïa ambiante Rejointoyer le mur
me plaisait aussi. C’est c’est fini ? finit par vous gagner en pierre au fond de
également une période Après mon expérience en après quelques semaines. ma cour. Car, comme me
particulière entre Corée du Nord, je me suis Très dépaysant. disait mon voisin, mortier
l’adolescence et l’âge dit que j’allais arrêter Et votre prochain d’hiver, mortier de fer.
adulte mais ça, c’est en l’animation et me voyage ? Un vœu pour 2021 ?
PAR LORAINE ADAM second plan, car,
finalement, le personnage
consacrer à la bande
dessinée pendant
Le Japon, comme tout
le monde.
Facile, une année moins
pourrie que 2020.

Février 2021 rollingstone.fr | Rolling Stone | 91

 loin d’ici. Nous autres,
toutes races confondues,
je veux dire hommes et
animaux, ça fait
longtemps qu’on l’a
compris. C’est sauvage,
Détroit.”
Détroit, juillet 2013.
L’officier de police Ira
observe les rapaces qui
tournent au-dessus
des ruines des dernières
tours du Brewster-
Douglass Project, un
imposant ensemble de
logements sociaux situé
dans la partie est de
la ville, où il a passé son
enfance, et où le cadavre
d’un jeune homme non
identifié, tué d’une balle
dans la tête, vient d’être
retrouvé. L’endroit est
lugubre, à l’image d’une
ville qui – et c’est une
première aux États-Unis –
vient d’être déclarée en
faillite, et se délabre un
peu plus tous les jours.
Un immense gâchis.
Pourtant, les choses n’ont
pas toujours été ainsi.
Lors de son inauguration
par Eleanor Roosevelt,
le 9 septembre 1935, en
MOTORCITY IS
plein New Deal, le Project
BURNING
Là où nous dansions
AUTEUR Judith Perrignon
ÉDITIONS Rivages
++++
Le roman de Détroit et de son naufrage, à travers le destin était une grande idée :
celle de construire
de trois générations d’habitants, sur fond de Motown. les premiers logements
sociaux pour reloger une
“A
UX INFOS de ce vient d’être déclaré en population noire vivant
matin encore, faillite, ça fait les titres alors dans des taudis.
c’était comme dans tout le pays, même C’est dans cette cité
un chœur d’église. Ou à l’étranger. La belle flambant neuve de petits
comme le lancement de affaire ! Oh, mon Dieu, ça bâtiments en briquettes
je ne sais quelle guerre y est ! Le frisson de rouges que Roselle,
dont notre grand pays a la crise, de la rouille, du la grand-mère d’Ira, avait
le secret. Bankruptcy ! crime, de l’effondrement. installé sa famille, à
PAR PHILIPPE BLANCHET Ils n’ont plus que ce mot-
là à la bouche. Détroit
Mais quoi ? Tout ça, c’est
bon pour ceux qui vivent
une époque où Motorcity
tournait à fond la caisse,
92 | Rolling Stone | rollingstone.fr
au tempo des chaînes
Ford, Dodge ou Mercury.
C’est aussi là où, à la fin
des années 1950, vit
Geraldine, la mère d’Ira,
fenêtres ouvertes, bercée
par les vocalises de trois
filles du voisinage,
Florence Ballard, Mary
Wells et Diana Ross.
Les Supremes seront
l’orgueil du Project, et
Hitsville USA, un blason
prestigieux pour la ville.
Mais le ver est dans
le fruit. Et les crises se
succèdent. Les émeutes
aussi. Aux harmonies
acidulées de “Baby Love”
succèdent les riffs
rageurs de MC5.
La population blanche
fout le camp. La Motown
va briller sous le soleil de
Californie. Les services
sociaux saturent.
Le crack gagne
du terrain. Tout annonce
en ville les prémices de
la chute, l’effondrement…
La journaliste et
romancière française
Judith Perrignon connaît
Détroit comme sa poche
et en suit l’évolution
depuis des années.
Son livre est un vibrant
hommage à cette ville
sinistrée et aux habitants
qui ne l’ont pas désertée.
Au fil de cet émouvant
roman choral,
embrassant trois
générations, et ponctué
par un crime (celui du
jeune graffeur français
Bilal Berreni, alias Zoo
Project, assassiné pour
quelques dollars, pour
rien), Là où nous dansions
réussit le prodige de
s’imposer non seulement
comme un récit
historique
remarquablement riche
et vivant, comme
une analyse sociale
d’une grande finesse,
mais aussi comme un
formidable feu d’artifice
musical, orchestré par
un trio féminin incarnant
mieux que quiconque, et
© PATRICK SWIRC
à jamais, le pouls
de Détroit. Son cœur.
Sa soul. Son âme.
Février 2021
 FRENCH FAR WEST
Il s’en passe des vertes et des pas mûres dans l’Ouest sauvage de
Yan Lespoux. Bienvenue dans le Médoc, le vrai !

plutôt que de dévoiler ce chanteur oublié, qui y des laissés pour compte
Presqu’îles leur bon coin pour croit peut-être encore. qui inspire tant d’auteurs
AUTEUR Yan Lespoux
les cèpes, le secret d’une Ou celui qui sombre et aujourd’hui. Mais on est
ÉDITIONS Agullo vie, au cœur de la forêt. qui, face à l’apparition dans l’Ouest, le vrai, celui
Et puis il y a les autres. d’un cerf, au milieu des du Médoc landais, une
++++ Les jeunes qui zonent pins, lâche sa bouteille de région que Yan Lespoux
au rayon presse gin et “se sent comme une connaît bien, et dans

D
’ABORD IL Y A
les vieux.
Ceux qui ont
la gâchette facile,
surtout après quelques
tournées de Ricard et
de Label 5. Ou ceux qui
préféreraient crever
du supermarché.
Les terroristes aux bras
cassés, ramant dans leur
Kangoo. Les Parisiens et
des Bordelais, qui
resteront à jamais
des étrangers. Ceux qui
s’enfoncent, à l’image de
merde”. Des gens un brin
monstrueux, sauvages,
pathétiques, animaux.
Tout simplement
humains… On se croirait
presque dans le Kentucky
ou la Caroline du Nord,
dans cette Amérique
laquelle il enracine,
d’une écriture sûre et
concise (et avec un art de
la chute consommé !),
une collection de courtes
nouvelles impossibles
à oublier. Un premier livre
plus que prometteur. P.B.

TOT LOHMAN, QUELS SONT LES LIENS entre

un jeune homme ANGERS, FIN DES ANNÉES 1970. les émeutes londoniennes de
Tout en biberonnant les Buzzcocks, La Faction
rangé, mais très 1780, le Joe Strummer de London
les Clash, et les Ramones, ou cannibale
habile avec Calling, Robespierre et La Grande
une Winchester, un rock plus hexagonal passant par AUTEUR
Escroquerie du Rock’n’roll,
la chloroquine frelatée des Servando Rocha
tue, en état les situationnistes, la Commune
Olivensteins ou la rage des Dogs, ÉDITIONS Tusitala
de légitime de Paris, Violette Nozière, Richard
défense, un des les frères Sourice, flanqués de deux ++++ Hell, Jack l’Éventreur, William
fils du clan Boyd, complices remontés comme des Blake… Comment ces éléments
et se retrouve coucous, commencent à balancer disparates d’un puzzle braillard
contraint de fuir un punk-rock sans concession : peuvent-ils s’articuler et
pour échapper les Thugs vont s’imposer durant s’assembler pour raconter
à la vengeance quelques années comme une histoire, celle des rapports
La Fureur de cette brutale un groupe indé indomptable, allant entre l’art, la terreur et le fait
des hommes famille de jusqu’à séduire le label de Seattle, divers. C’est ce défi que relève,
AUTEUR ranchers du Sub Pop, et le producteur Steve avec une incroyable acuité,
Charles O. Locke
nord-ouest du Albini. L’aventure durera jusqu’aux l’essayiste espagnol Servando
ÉDITIONS
Texas. Lohman derniers feux de 1999, et connaîtra Rocha, disciple du philosophe
Actes Sud un bref retour de flamme en 2008,
met le cap sur Walter Benjamin (et de son
+++ ½ le Nouveau- histoire de filer des regrets à ceux Livre des passages), dans
Mexique, où qui avaient raté la marche. À travers ce formidable ouvrage gorgé
il espère retrouver son vieux père, les témoignages des musiciens, de pop culture. Magistral. P.B.
malade et en difficulté. Toujours traqué comme d’une dizaine de
par des cow-boys ivres de rage, personnages impliqués dans
le fuyard s’embarque alors dans une l’histoire du UN MYSTÉRIEUX GROUPE
interminable odyssée, au fil d’effrayants groupe (Jean- dénommé Greenwar vient
Les
paysages désertiques et hostiles, où Thugs, Luc Manet, d’enlever le P-DG de Total et
rodent parfois quelques Comanches Radical David Dufresne, réclame une rançon de
voleurs de chevaux… Comme History Francis Vidal, 20 milliards d’euros. Le capitaine
le souligne Bertrand Tavernier dans AUTEUR
le responsable Nathan Modis et la psychologue
la postface de ce poignant roman Patrick promo de Sub Diane Meyer commencent
(dernière parution en date de la Foulhoux Pop, leurs à négocier, lorsque la directrice
superbe collection qu’il dirige, “L’Ouest, ÉDITIONS sonorisateurs, financière de La Société
Le Boulon leurs
le vrai”), La Fureur des hommes ne brille Générale est à son tour
guère par son “pitch”, une histoire de +++ managers…), kidnappée, et que l’affaire,
vengeance on ne peut plus Patrick Foulhoux relayée par les réseaux sociaux,
conventionnelle. L’intérêt de ce western retrace, sous fait des émules… Ex-flic devenu
de Charles O. Locke (1895-1977), le mode d’une poids lourd du polar, Olivier
adapté à l’écran par Henry Hathaway, passionnante Norek nous a déjà habitués
histoire orale à quelques notoires coups de Impact
est ailleurs, en grande partie dans sa
forme, une écriture sobre, dépouillée, (préfacée par gueule (Entre deux mondes, dans AUTEUR

Virginie Olivier Norek

ponctuée de passages épistolaires qui la jungle de Calais). Sous couvert
enrichissent le récit et lui donnent un Despentes), leur de roman policier (et l’on sait qu’il
ÉDITIONS
Michel Lafon
côté étonnamment moderne. Une vraie glorieuse en maîtrise le vocabulaire et
découverte, à siroter avec un 78-tours épopée. P.B. les codes), Olivier Norek signe +++
© DR

de Bob Wills et ses Texas Playboys. P.B. un saisissant manifeste écolo. P.B.

Février 2021 +++++ Classique | ++++ Excellent | +++ OK! | ++ Mouais… | + Euh…
TV
SÉRIE
Divan
en série
En thérapie, la variation
française de la série israélienne
BeTipul, analyse la société
française à travers les séances
délivrées par un psy en crise,
au lendemain des attentats du
13 novembre 2015. Passionnant.
Par SOPHIE ROSEMONT
L
undi 15 novembre 2015. Le docteur
Philippe Dayan (Frédéric Pierrot,
le psy qu’on aimerait tous consulter)
reçoit l’une de ses patientes, Ariane
(irrésistible Mélanie Thierry). Chirurgienne,
elle a passé au bloc les heures qui ont suivi
l’attentat au Bataclan. Côté sentimental,
c’est compliqué… Le lendemain, Dayan fait
la connaissance d’un nouveau patient, Adel,
un agent de la BRI fortement secoué par son
intervention au Bataclan. Cette fois, c’est
le formidable Reda Kateb qui parle, gesticule,
défie son psy… Une fiction ? Pas tout à fait,
car tout sonne juste dans cette série. Aussi
bien le couple dysfonctionnel formé par
94 | Rolling Stone | rollingstone.fr
Clémence
Poésy et Pio
Marmaï, que
l’ado en mal de
vivre, incarnée
par la prometteuse
Céleste Brunnquell.
Ou l’autre analyste
d’En thérapie, Carole
Bouquet, que Dayan revient
voir après une longue absence.
Le pari était risqué. Certes, la série
israélienne BeTipul, créée par Hagai Levi,
a déjà prouvé son efficacité, d’abord dans
son format originel puis via plus d’une
quinzaine d’adaptations, dont la plus
connue reste l’américaine, In Treatment,
avec Gabriel Byrne. Mais la transposer dans
un Paris proche de nous, secoué par
les attentats, traduisant le mal-être de
ses habitants, était non seulement malin
mais offre également une passionnante
perspective à cette fiction
de haute volée. Elle parvient
à contextualiser, pour
les néophytes, les débats et
questionnements
psychanalystes (Freud versus
Une fiction ?
Lacan, les subtilités du Pas tout à
transfert, etc.), tout en
entretenant un suspense sur fait, car tout
le devenir des patients :
chaque épisode, soit chaque
sonne juste
séance, se déroule durant dans cette
un jour précis de la semaine.
série.
Ponctuée par le clavier
La série
bénéficie
d’un casting
de tout
premier
ordre.
mélancolique
du musicien
rémois
Yuksek, En
thérapie nous
interroge autant
qu’elle interroge
ses personnages. En cela,
elle reflète le savoir-faire de
celles et ceux qui l’ont initiée,
grandes personnalités du petit et grand
écran : les productrices Yaël Fogiel et
Laetitia Gonzalez, et le duo de réalisateurs
Éric Toledano et Olivier Nakache. “Beaucoup
de gens parlent mais peu écoutent”, déplorent
ces derniers, qui, après les attentats de 2015,
souhaitent remettre le dialogue au cœur de
leur création, comme ils l’ont récemment
raconté lors d’une conférence de presse en
ligne. Reda Kateb y évoque la “qualité de
l’écriture” : “Proche du théâtre,
cette mise en scène pouvait
donner beaucoup de liberté aux
acteurs. J’ai pris la mesure de
ce que ça pouvait représenter :
un traumatisme collectif… Quand
j’ai lu ce personnage, je me suis vu
le jouer : un tel rôle, c’est
un magnifique cadeau !”
Dans En thérapie, en dépit
des vases communicants,
chacun est à sa place, quels que
soient son âge ou la classe
© DR
socioculturelle qu’il est censé
Février 2021
 représenter. Sans doute car les multiples PLATEAU TÉLÉ
réalisateurs s’en sont tenus à leurs
La garantie de passer… une sacrée soirée !
personnages précis : Toledano et
Nakache, donc, mais aussi Pierre
Salvadori (En liberté), Nicolas Pariser
(Alice et le maire) et Mathieu Vadepied
(La Vie en grand), également chargé de
la direction artistique. Celui-ci souligne
l’enjeu narratif mais aussi horaire de
la série : “Il fallait contourner le simple
champ-contrechamp, trouver des solutions
techniques et esthétiques, car nous
tournions quasi un épisode par jour, par
tranche de huit minutes.” En résultent
35 épisodes, défi audiovisuel accepté par
Arte, et qui fait “le sel de la série”, selon
Toledano et Nakache : “D’après Hagai
Levi, les failles d’un personnage traduisent
celles d’un pays. Actuellement, nous vivons MONTE-EN-L’AIR
dans une cacophonie… Nous avons été Omar Sy joue un Arsène
nous-mêmes surpris de la résonance Lupin contemporain,
des contraintes du jeu au centre, de deux hanté par ses démons.
acteurs, de leur écoute mutuelle.” On se
permet alors de questionner : lorsqu’on

Carole
FRANCE VS ÉTATS-UNIS
Bouquet Deux séries à découvrir d’urgence.
tient le rôle

GENTLEMAN CAMBRIOLEUR PÈRE ET FILS

d’une
psycho-
analyste.
Lupin Your Honor
ARTE DÈS LE 28 JANVIER. NETFLIX/SUR CANAL+ EN FÉVRIER

+++ +++
Adolescent, Assane Diop (Omar C’est le grand retour de Bryan
Sy) a vu son père accusé Cranston. Après avoir été
injustement du vol d’un remarqué dans Malcolm puis
prestigieux collier, celui de célébré grâce à Breaking Bad,
la reine, et ne pas s’en relever. le voici initiateur et personnage
C’était il y a vingt-cinq ans, et principal de cette nouvelle série
on suit, via des flashbacks inspirée par Kvodo, écrite par
joue l’analysant, devient-on analysable ? savamment répartis, son les Israéliens Ron Ninio et
Qu’apprend-on de soi en jouant parcours jusqu’à l’homme qu’il Shlomo Mashiach. Ici, il est
un patient ou son praticien ? “C’est est devenu : prêt à tout pour un juge respecté de la Nouvelle-
un travail sur le langage, la simplicité de la justice… quitte à utiliser Orléans, lequel se retrouve
la présence physique, la vérité comme des moyens peu orthodoxes. confronté à de nombreux
le mensonge… le mystère de nos vies”, Ceux d’Arsène Lupin, dilemmes lorsque son fils ado est
répond Frédéric Pierrot, qui semble le gentleman cambrioleur créé impliqué dans une sombre
avoir parfaitement maîtrisé le rythme par Maurice Leblanc. Présentés histoire de mafia…
fou de cette série, alors que tout (ou comme une première partie, À la réalisation des trois premiers
presque) repose sur lui. ces cinq épisodes ultra- épisodes, Edward Berger.
C’est là où intervient Carole Bouquet : accrocheurs se donnent Au scénario et au showrunning,
“Il a raison ! L’écoute, la parole, les moyens de leurs ambitions, Peter Moffat (The Night Of,
la présence, c’est ce qui nous manque servis par un casting solide : Undercover). Au casting, Sofia
le plus en ce moment. Son personnage ne Omar Sy à sa tête, mais aussi Black-D’Elia, Hope Davis,
peut pas travailler sans empathie, mais Ludivine Sagnier, Antoine Hunter Doohan,
moi, ma position est plus dure… En tout Gouy, Nicole Garcia, Michael Stuhl-
cas, à partir du moment où j’étais assise Clotilde Hesme… Est barg… Soit
dans ce fauteuil, je me suis sentie bien également pointée dix épisodes
regardée, bien filmée. On avait l’impression une lutte des prenants,
de créer quelque chose d’un peu classes toujours où
exceptionnel. Même si parfois, on avait toxique, ce qui BREAKING Cranston
GOOD ?
l’impression de sauter du pont du Gard. rend ce révèle
Brian
Et il est très haut !” Aussi haut que spectacle grand toutes les
Cranston
le niveau d’En thérapie, dont on attend public plus est de capacités
d’ores et déjà une suite… peut-être sur complexe qu’il retour. de son
la pandémie qui s’est récemment abattue n’en a l’air. S.R. jeu. S.R.
© DR

sur nous, bousculant tous nos repères ?

Février 2021 +++++ Classique | ++++ Excellent | +++ OK ! | ++ Mouais… | + Euh…
Son&Objets
Super trend
1989 Batmobile X Kross Studio
Le cadeau ultime pour le (richissime) geek
cinéphile qui sommeille en vous. Fabriquée
avec des matériaux de qualité, cette horloge
originale renferme 512 composants. Si vous
n’arrivez pas à mettre la main sur une
des 100 unités, vous pourrez vous consoler
en achetant… une vraie voiture ! 9 900 €
Spidi Beta Evo Primaloft
Sous des airs de coupe-vent à coupe droite,
cette veste deux en un profite d’un tissu
laminé pour garantir l’étanchéité, et de poches
bien pratiques. Les protections homologuées
en font le modèle parfait pour rouler bien
au chaud, à moto, cet hiver. 449,90 €
Zepp Z
Une montre en apparence classique, doublée
d’un traqueur d’activité avec
cardiofréquencemètre. Avec son boîtier taillé
dans une pièce d’alliage en titane brossé,
la Zepp Z dispose de plus de 50 cadrans et
offre une autonomie de 15 jours. 349,90 €
96 | Rolling Stone | rollingstone.fr
Hi-gadget
Cupra Formentor
En attendant l’hybride rechargeable
Cupra est une nouvelle marque de Seat, qui se caractérise par sa sportivité.
Et en la matière, ce n’est pas ce qui manque à cette Formentor, qui nous fait de l’œil avec
ses lignes musclées, sa peinture mate ou encore les inserts en cuivre et les 4 sorties
d’échappement. Sportivité également à bord, avec des sièges baquets qui n’oublient pas
néanmoins d’être confortables. L’habitacle fait la part belle au numérique, avec un grand
écran d’info-divertissement de 12 pouces, et une instrumentation dont l’affichage coloré est
bien lisible et modifiable, mais qui nous a semblé un peu chargé. L’espace à bord est
généreux, y compris aux places arrière et malgré le toit fuyant. Plusieurs modes de conduite
sont disponibles, dont le “Cupra”, renforcé par un bruiteur désactivable, pour les amateurs.
Avec ses 310 ch, la Formentor VZ, que nous avons essayée, offre son lot de sensations, bien
aidée par l’amortissement piloté, une direction précise et un freinage monstrueux grâce
aux freins Brembo. On pourra juste lui reprocher un creux en dessous de 4 000 tours/min.
Mais le plus gros défaut de cette Formentor est à chercher du côté de son malus, de plus de
13 000 €. Heureusement deux versions hybrides rechargeables de 204 et 245 ch sont
attendues, qui pourront prétendre à un bonus, sans pour autant brider les sensations.
À partir de 33 050 €
Mercedes CLA 250e
Le meilleur des deux mondes
Mercedes a donné un coup de fouet à l’électrification de ses gammes et propose
pas moins de 24 modèles hybrides rechargeables à date. De la compacte à la berline, en
passant par les SUV, tout le monde devrait y trouver son compte, avec une autonomie
électrique jusqu’à 100 km pour les modèles les plus récents. Nous avons pu prendre
le volant de la CLA 250e, un modèle hybride en apparence identique à la version standard
de cette compacte. L’habitabilité reste, en effet, inchangée, car c’est sous la banquette
arrière qu’est intégrée la batterie. Avec une capacité de 15,6 kWh, celle-ci promet
une autonomie de plus de 60 km, qui dépendra bien évidemment de votre style de
conduite, du nombre de personnes à bord ou encore de la topographie. Dans la pratique,
il faudra plutôt tabler autour de 45 km, ce qui suffit toutefois pour la plupart des
déplacements quotidiens. En ville, on pourra également exploiter son freinage régénératif
et pousser un peu plus loin. Outre son style très réussi aussi bien dans sa version coupé que
Shooting Brake, le CLA se caractérise par son confort et son dynamisme. Le moteur
électrique permet de réduire la consommation moyenne, mais aussi d’offrir un sérieux
boost en cas de besoin. Le système MBUX compte parmi les plus réussis du moment, tout
comme ses aides à la conduite, notamment pour la conduite semi-autonome. Reste un prix
© DR
salé, surtout pour notre version AMG Line toute équipée. À partir de 47 000 €
Février 2021
 Idées tech Focus
La pandémie n’a pas ralenti l’avalanche de nouveaux produits Klipsch The Fives
high-tech. Voici une sélection variée pour vous équiper, quel que
soit votre budget. Enceintes
à tout faire
La célèbre marque américaine
Bose QuietComfort
d’équipements audio célèbre ses 75 ans
À défaut d’être les plus petits, ces
cette année, en proposant des
écouteurs True Wireless bénéficient
transducteurs exceptionnels, The Fives,
d’un des systèmes de réduction
probablement les enceintes bibliothèques
du bruit les plus performants.
stéréo les plus polyvalentes du moment.
Résistant aux éclaboussures,
Auto-amplifiées, il ne reste plus qu’à
ils délivrent un son équilibré avec
connecter n’importe quelle source audio
des graves généreux. À noter
pour profiter d’un son capable de remplir
l’excellente qualité des micros lors
une pièce de bonne taille. C’est d’ailleurs
des appels. 279,95 €
le premier modèle d’enceintes actives
à date doté d’une connectivité aussi riche,
et notamment d’une entrée HDMI ARC.
Il suffit donc de brancher le câble adéquat
sur le port idoine d’un téléviseur pour
profiter du son de The Fives, qui
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de son. On peut même brancher une
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BIEN QU’ELLES n’importe quel autre
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Des écouteurs True Wireless
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YesYes
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de brancher une clé USB. Deux molettes
Hyper- s’illustre en
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Février 2021 rollingstone.fr | Rolling Stone | 97

Werner Herzog
Le réalisateur légendaire parle de folie inspirée
et de la puissance de Winnie l’ourson
Quelles sont vos règles de vie
les plus importantes ?
La curiosité, qui ne me quitte
jamais. La discipline aussi,
parce que nous vivons dans
une époque particulière où on
ne peut combattre qu’avec
responsabilité et discipline.
Se couper autant que possible
du contact avec les autres
humains. Il faut affamer cette
saloperie.
Fireball, le documentaire
d’Herzog sur
les météorites et
les comètes, est sorti
récemment.
Êtes-vous surpris que
le port du masque soit devenu
une question politique ?
On voit ça très souvent en
Amérique, ce dédain pour
la science, parce que l’Ouest a
été fait par des hommes avec
les pieds sur terre, dans leur
roulotte, à cheval, qui ont
conquis un vaste continent…
C’est cette idée que “nous
définissons notre destin le fusil
à la main, avec la foi et derrière
la charrue.” L’inconscient
américain n’a pas encore
vraiment intégré que beaucoup
de choses que nous faisons
aujourd’hui s’appuient sur
des fondations scientifiques.
Espérez-vous que Fireball,
votre dernier film qui traite
des météorites, pousse les gens
un peu plus vers la science ?
Oui, bien sûr. J’ai dit à Clive
[Oppenheimer, le coréalisateur] :
“S’il y a ne serait-ce qu’un enfant
qui voit le film et se dit qu’il
aimerait bien faire quelque chose
comme ça, alors on a fait ce
qu’il fallait faire.”
Quel est le meilleur conseil
que vous ayez reçu ?
J’ai façonné ma vie en ignorant
les conseils autant que
98 | Rolling Stone | rollingstone.fr
possible. Ignorez les conseils, mais gardez [compositeur italien des XVIe et
votre culture, vos visions, vos rêves. XVIIe siècles]. Complètement
Hissez le bateau sur la montagne, si fou. Il a assassiné sa femme,
nécessaire. Tous les adultes devraient qu’il a surprise en pleine
hisser leur bateau sur une montagne. action avec un jeune
Nous devons tendre vers quelque noble de Naples, puis
chose de bien plus grand que nous. a fui dans son château.
Vers quel livre de votre enfance Et avec ses hommes de
aimez-vous vous tourner ? main, il a abattu une
Winnie l’ourson. J’ai grandi dans forêt entière autour de son
une vallée perdue, en Bavière, dans château. On ne sait pas
les Alpes. C’est tout juste s’il y avait pourquoi. Il a commencé
une école. Personne ne lisait. C’était à s’autoflageller, puis
des gamins de paysans. a ordonné à des hommes de
Ils venaient tous s’entasser dans le flageller à mort.
notre petite cuisine, et ma Des personnages dingues,
mère leur lisait des histoires. dingues !
On criait de joie à l’idée Alors, vous
d’écouter un chapitre considérez-vous
de Winnie l’ourson, comme
chaque soir. On un optimiste ?
adorait Winnie, Je ne réfléchis pas en
Porcinet et termes d’optimisme
Bourriquet. Ils ou de pessimisme.
ont laissé une Je regarde droit
trace indélébile devant, et peu
dans mon âme. importe ce qui se
L’âme d’un présente sur mon
enfant trouve chemin, je fais
une explication avec. Je n’ai pas
dans ce livre. peur de ce qui
Qui sont vos peut arriver. Je n’ai
héros et pourquoi ? jamais eu peur.
Les héros sont J’ai suivi ma vision,
ceux dont qu’il y ait des
les découvertes scénarios optimistes ou
ont été négligées pessimistes. Les choses
et qu’on a arrivent et je fais avec.
ridiculisés. Pensez-vous parfois
Le peintre à la retraite ?
néerlandais Hercules La retraite est quelque
Seghers a fait chose qui m’est étranger.
des gravures incroyables, Si j’avais les financements, je
mais il ne reste presque pourrais démarrer cinq films.
plus rien de lui. J’écris de la poésie et de
Il avait des siècles la prose, ce qui ne coûte pas
© ILLUSTRATION DE MARK SUMMERS
d’avance sur grand-chose et que je peux
son temps faire en étant reclus. Je ne sais
et était vu pas où ça s’arrête. Je ne peux
comme pas suivre tous ces projets, qui
un fou. Ou arrivent avec beaucoup de
un musicien véhémence. Je ne peux pas
comme esquiver et me cacher dans
Gesualdo une tranchée. Jason Newman
Février 2021
 PRENONS UNE LONGUEUR D’AVANCE SUR LE CANCER
QUI RESTE LA 1ÈRE CAUSE DE MORTALITE PREMATUREE EN FRANCE

Crédit photo : @michelnguyen

Madame Anne Gravoin, musicienne et Présidente de Music Booking Orchestra

A d m i n i s t r a t r i c e a u s e i n d e VA I N C R E L E C A N C E R

Chaque année, 400.000 nouveaux cas de cancer, tout type confondu, sont dépistés.
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