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À PROPOS DE LA PRÉSENTATION DE MALADESENTRETIEN AVEC JEAN-

JACQUES TYSZLER

Hélène Blaquière

Érès | « La clinique lacanienne »

2016/1 n° 27 | pages 213 à 228


ISSN 1288-6629
ISBN 9782749249469
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À propos de la présentation de malades 1
Entretien avec Jean-Jacques Tyszler
par Hélène Blaquière

Hélène Blaquière : Cela fait près de dix ans que vous faites
une présentation de malades à Ville-Evrard, dans le service du
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Dr Xavier Lallart, avec Alain Bellet et Pierre-Henri Castel. De
quelle façon avez-vous rencontré ce dispositif de la présentation
de malades dans votre parcours ?

Jean-Jacques Tyszler : J’ai eu la chance d’être jeune externe


à Sainte-Anne en 1980 dans le service de Marcel Czermak. Cela
s’appelait l’hôpital Henri Rousselle dans le temps. Et Marcel
a longtemps gardé la tradition de ce lieu-là puisqu’à l’origine,
il était l’assistant de Lacan. C’était à partir de son service que
Lacan faisait la présentation de malades. À cette époque, Marcel,
qui était jeune assistant, les choisissait pour Lacan. À la mort de
Lacan, Marcel Czermak et Charles Melman ont gardé alternati-
vement une présentation de malades, dans le style qu’ils avaient

Jean-Jacques Tyszler, psychiatre, psychanalyste.


Hélène Blaquière, psychologue clinicienne, psychanalyste.
1. Entretien inédit mené le 18 avril 2011 à l’occasion d’un travail sur la présen-
tation de malades de Charcot à nos jours. La première partie de cet entretien
évoque plus particulièrement la présentation de malades d’un point de vue histo-
rique. La seconde partie qui sera publiée dans le numéro suivant de La clinique
lacanienne abordera les enjeux singuliers que cette forme clinique présente
aujourd’hui au regard de la psychiatrie et de la psychanalyse.

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glané au moment où Lacan la faisait. J’étais là très jeune externe


et je suis resté à cette présentation jusqu’au moment où elle s’est
terminée, vingt-cinq ans plus tard, parce que Marcel avait des
soucis avec le nouveau médecin-chef et que le climat était moins
propice aux grandes présentations. Il l’a finalement fermée.

Hélène Blaquière : Aviez-vous eu auparavant l’occasion


d’assister à la présentation de Lacan ?

Jean-Jacques Tyszler : Ah non, Lacan, j’étais trop jeune.


Quand je suis arrivé dans le service, chez Marcel, Lacan était
mourant. Il faisait encore partie du service, en principe, mais il
ne faisait déjà plus sa présentation depuis six ou sept mois. Ce
qui fait que je ne l’ai jamais croisé. Je pensais le voir mais enfin
bon, j’étais à peine au courant à ce moment-là de ce que c’était
que les écoles lacaniennes. Je venais là au titre de ma formation
psychiatrique.
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Hélène Blaquière : Avez-vous assisté à d’autres présentations
de malades que celles de Czermak ?

Jean-Jacques Tyszler : À l’époque, il y avait d’autres présen-


tations de malades dans le cadre de la formation de psychiatrie. Il
y avait un type qui était bien, qui était drôle, c’était le Professeur
Lantéri-Laura, un très grand psychiatre de culture qui faisait
une présentation. Il était extraordinairement cultivé, pas du tout
analytique mais c’était un très grand historien de la psychiatrie.
Et donc, on allait par obligation à sa présentation parce que cela
faisait partie du cursus de l’internat.

Hélène Blaquière : Son style était-il très différent de celui de


Marcel Czermak ?

Jean-Jacques Tyszler : Cela n’a rien à voir. Lantéri, ce qui


lui importait dans mon souvenir c’était de raconter la longue
histoire des concepts et des signifiants psychiatriques. Mais
c’était très intéressant. Il était capable de vous expliquer pourquoi
Bleuler utitlisait tel mot plutôt que tel autre, ce que c’était devenu
dans la clinique française… Ce qui n’est pas donné aujourd’hui…

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À propos de la présentation de malades

Hélène Blaquière : C’est un peu ce que fait Pierre-Henri


Castel dans les reprises lorsqu’il explique les différences entre
l’hébéphrénie pensée par les Allemands ou par les Français…

Jean-Jacques Tyszler : À sa façon. Pierre-Henri Castel a


ce talent. Effectivement, il faut un peu de culture classique pour
pouvoir le faire. Or, en France, c’était souvent les gens réunis
autour de L’évolution psychiatrique, comme Lantéri-Laura. Il
y a encore Jean Garrabé, de cette trempe-là, qui est un ancien
psychiatre de culture.
Et puis, dans mon souvenir, on allait de temps en temps à la
présentation de Roger Dorey qui était à Sainte-Anne aussi et qui
faisait la présentation destinée aux étudiants en psychologie, je
ne sais plus pourquoi. Enfin bref… on allait un peu à droite à
gauche. J’ai même été voir la très grande présentation assez folk-
lorique du Professeur Deniker. Lui, c’était la présentation telle
qu’on ne la faisait plus. Il s’arrêtait pour commenter le cas devant
le patient. Il prenait à témoin ses externes en blouses blanches,
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ses internes, ses assistants… C’était assez… à l’ancienne, quoi !
C’est amusant comme à la même époque il y avait des
choses très différenciées, au nom de la présentation de malades.
Mais c’était d’usage dans les grands services de psychiatrie, en
principe, il y avait un enseignement par les présentations.

Hélène Blaquière : Et quelle importance ça a eu pour vous


dans votre formation d’assister à ces présentations ?

Jean-Jacques Tyszler : Je crois que pour moi, d’un certain


point de vue, la présentation de malades était sine qua non. C’est
à mon sens inimaginable de garantir une culture livresque de la
psychose. Quand vous dites « hallucinations », ou « automatisme
mental », vous pouvez le lire mais si vous n’avez pas la chance
de l’entendre, et pas simplement de l’entendre car vous pouvez
l’entendre en passant rapidement dans un service, mais si vous
n’avez pas la chance de l’entendre vraiment, de l’écouter en
quelque sorte, c’est-à-dire que quelqu’un se mette en position de
vous faire entendre ce qui est en principe impossible à entendre,
c’est-à-dire ce qui est une hallucination, au fond, ça vous donne
une culture de la psychose totalement erronée.

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Donc cette présentation-là prend la forme de la grande présen-


tation. Bien entendu, dans un service de psychiatrie, il y a les
mini-présentations qui sont liées au fait que chaque équipe voyait
en commun des patients avec les infirmiers, les psychologues,
les médecins, donc c’était l’usage que cela se transmette par les
anciens aux plus jeunes – mais la présentation, à mon sens encore
maintenant, je ne vois pas bien par quoi elle peut être remplacée
pour transmettre les phénomènes réels de la psychose, ça me
paraît très improbable que ça puisse être transmis autrement.
Donc c’est aussi bête que ça, mais aussi énorme que ça.
Je pense que vous en voyez comme moi autour de vous des
collègues très expérimentés, très formés mais qui n’ont pas eu
la chance d’être dans des services de psychiatrie adulte, et on
s’aperçoit qu’ils sont formés par rapport au réel sous une tout
autre forme. Ce qu’ils appellent « réel » n’a rien à voir avec ce
qu’appelle « réel » un praticien de la psychose. Ce n’est ni bien
ni mal, mais on sent bien qu’il y a là une dimension qui est tota-
lement autre.
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Hélène Blaquière : Dans la présentation de Marcel Czermak,
quelles formes cela prenait-il ?

Jean-Jacques Tyszler : La présentation de Marcel – peut-


être que ça s’entend un peu encore dans la présentation de Ville-
Evrard – avait ceci d’extraordinaire, c’est que Marcel avait le
talent de prendre immédiatement non pas à contre-pied mais
en paradoxe tous les signifiants de la culture classique. C’est-
à-dire, il lui était présenté un patient qu’on disait schizophrène,
discordant… Et Marcel avait le talent, durant l’entretien même,
de faire surgir le fait que les mots qu’on utilisait, on ne savait pas
trop pourquoi on les utilisait pour décrire ce qu’on était en train
de voir ou d’entendre. Il avait une façon de s’engager très loin
avec le patient dans son propos, dans sa façon de faire surgir des
paradoxes sur notre savoir, en quelque sorte. C’est-à-dire qu’à la
fin, il surgissait des lignes de force, des curiosités, des façons,
des modes d’abord, des fractures de cette psychose, qui étaient
totalement inconnus par ceux qui l’avaient vue précédemment
et surtout qui avaient du mal à être collectés par la psychiatrie
traditionnelle. Il avait donc cette façon très spéciale de rentrer

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À propos de la présentation de malades

profondément dans le champ structural du patient, mais sans


jamais viser dans un premier temps à le ramener à du connu en
quelque sorte. C’était plutôt l’inverse. Ce qui fait qu’à la fin de
l’entretien, il nous disait à propos de tous les mots que nous utili-
sions, nous, les plus jeunes : « Pourquoi vous dites ça ? Ce que
vous appelez discordance, c’est quoi ? Pourquoi lui vous paraît
discordant finalement ? Est-ce que vous, vous n’êtes pas plus
discordants que lui pour finir ? » Tous les mots étaient repris à
l’envers. Il ne cédait jamais sur cette dimension de l’insu. C’était
extraordinaire, un peu ravageant pour nous à l’époque parce que
nous étions dans un essai de classification pour nous-mêmes mais
il nous faisait valoir que la clinique psychanalytique n’était pas
simplement réductible à la nosographie – alors que c’était un très
grand nosographe. Il faisait surgir une formalisation du réel qui
ne se plierait jamais à des catégories toutes faites.
Sur le moment, il laissait de côté le savoir. Enfin pas le savoir
mais les connaissances. Marcel avait quasiment tout lu de la
psychiatrie française, allemande, ça n’était pas un problème de
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faire un cours… Mais ça n’apparaissait pas au moment de la
présentation. Cela pouvait être repris au moment d’un baroud
plus tard, pour des journées d’études, un article, un congrès,
alors là, oui. Mais au moment même, il ne visait pas du tout à
la constitution d’un savoir. Je dirais même que c’était presque
l’inverse. Il se demandait quel était le savoir singulier que ce
patient présentait qui n’était pas aisément assimilable au savoir
constitué. Il avait une idée comme ça, comme on ferait pour
un travail analytique habituel, au fond. Comme on fait avec les
enfants, sans chercher évidemment à les mettre dans des cases
préformées… Donc entendre ça dans le champ de la psychose,
c’était quand même assez inhabituel.
La présentation se faisait en deux temps. Lui faisait la présen-
tation. On prenait un peu de temps après pour les questions. Et
puis il avait mis en place quelque chose qui est extraordinaire-
ment précieux qu’il a appelé le « trait du cas » et qui reposait
sur le fait que lui ne voulait pas reprendre ensuite ce qui avait
été évoqué. Il estimait que ceux qui étaient là en tiers devaient
s’organiser en cartels pour lui rendre compte de ce travail. Il y
avait donc des groupes qu’on appelait de « traits du cas » qui
essayaient de rapporter dans un second temps ce qu’ils avaient

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pu entendre. Il y avait une formalisation un peu plus complète.


Ce qu’il y avait d’absolument génial et qui ne se fait plus mainte-
nant, c’est que tout cela était pris à la lettre. Tout était enregistré
et scrupuleusement transcrit, mais sans tricher, sans résumer.
C’était un travail de littéralité et certains de nos collègues qui
étaient des linguistes, comme Cyril Veken, un ami, faisaient un
travail de typologie linguistique supplémentaire. Cela impliquait
donc toute une équipe.

Hélène Blaquière : Il me semble que Lacan lui-même disait :


finalement, c’est dans la voiture que j’entends ce qui s’est dit
dans la présentation par les personnes qui y assistaient et qui me
raccompagnaient après la présentation.

Jean-Jacques Tyszler : Exactement. Il faut être honnête.


Je m’en rends compte avec les années qui passent. Quand vous
faites une présentation, un certain nombre de choses évidemment
vous viennent, mais quand vous êtes en face-à-face comme ça,
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un certain nombre de musiques vous échappent, c’est normal.
Et donc vous êtes attentif à un bord des questions, mais il y a
probablement tout un autre bord auquel les collègues qui sont là,
de côté, sont plus sensibles.

Hélène Blaquière : Donc vous-même faisiez partie de ces


cartels de « traits du cas » à l’époque ?

Jean-Jacques Tyszler : Oui, je m’en suis beaucoup occupé


des années durant. On a fait beaucoup de publications qui sont
trouvables mais d’autres malheureusement ont été perdues ou
restent à publier… On avait des recueils entiers, mais cela fait
des formes de monographies qui ne sont pas toujours faciles à
publier comme ça. On en a encore en stock des centaines. Mais
aujourd’hui, la tonalité des monographies dans le commerce s’y
prête moins, c’est plus difficile. On en a donné certaines mais
les autres, bon, je ne peux pas vous dire ce qu’elles deviendront.
C’était dans ce sens que s’orientait Marcel.

Hélène Blaquière : Du point de vue du style qu’il avait, dans


sa façon de mener l’entretien, que retenez-vous ?

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À propos de la présentation de malades

Jean-Jacques Tyszler : Ce qui, peut-être avec le recul, est


particulier à son style, c’est qu’il allait un peu comme il semblait
que Clérambault faisait, il allait très loin pour brusquer le patient
dans ses façons de faire et de dire, sûrement beaucoup plus que
ce que l’on fait à Ville-Evrard aujourd’hui. On ne s’autorise pas
à aller probablement aussi loin dans le questionnement, quitte à
créer ce moment d’effroi où le patient se trouverait à se justifier
de ses façons.
Marcel pouvait aller loin, très loin, sur un mode qui paraissait
insolite. Je pense que Lacan faisait pareil.

Hélène Blaquière : J’ai lu uniquement les rapports des


années 1930 des présentations de malades de Lacan qui sont
publiées dans le Pas-tout Lacan. On n’en a que le rendu après
coup. Il y a un travail de synthèse qui est fait, donc on ne sent
pas forcément de quelle façon l’entretien était mené à l’époque.

Jean-Jacques Tyszler : C’est vrai, oui, vous avez raison. Je


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pense quand même, d’après ce qu’on peut comprendre quand
Lacan parle des psychoses, qu’assez bizarrement, tout en décla-
rant que c’était chez le psychotique qu’on s’apercevait que la
parole était le plus en difficulté, il les traitait vraiment comme
des êtres parlants. Il menait avec eux des entretiens et des débats
de très haut niveau. C’est ça le paradoxe, je pense, qui est issu
de cette pratique de Lacan. C’est-à-dire qu’à la fois les phéno-
mènes montraient malheureusement que ces sujets étaient les
plus en panne quant à la parole pleine, en quelque sorte, mais,
néanmoins, le propos qui s’engageait avec eux était du meilleur
niveau. Il les traitait au plus haut niveau possible. Donc Marcel a
hérité de ça, ce qui fait qu’il poussait les entretiens parfois à un
niveau paroxystique assez étonnant. Nous, on aurait, par peur ou
par précaution, renoncé à aller au-delà d’un certain point, mais
lui, pour des raisons qui n’étaient pas que scientifiques, il essayait
de voir où se logeait chez le patient le degré de certitude, le degré
de dialectique, le pourquoi de ce postulat plutôt qu’un autre, ce
qu’il en pensait lui-même, si cela l’enquiquinait… C’était très
curieux, enfin pour un jeune, c’était très paradoxal.
Je me rappelle des présentations qu’il avait faites de patients
transsexuels, parce qu’à l’époque on en recevait beaucoup. Il

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était considéré comme un scientifique du transsexualisme ! Là,


ça le passionnait. Alors il fallait voir les entretiens qu’il menait
pour savoir pourquoi quelqu’un voulait à tout prix changer de
sexe, c’était hallucinant. Il allait les chercher vraiment très loin,
comme s’ils allaient rendre compte par eux-mêmes de cet étrange
paradoxe.
On n’était pas seulement à la recherche nosographique, il y
en avait une partie qui allait s’accomplir comme ça au passage,
à travers les interrogations suscitées par tous les patients. Mais
Marcel Czermak avait une technique qui mettait en valeur assez
curieusement le fait de traiter au meilleur l’être parlant, tout
simplement ; qu’il soit psychotique ou pas, ça ne changeait
rien… Et ça, ça m’a paru très digne. Je pense, au fond, que ceux
qui paraissent les plus structuralistes, entre guillemets, comme
Marcel, sont souvent des gens qui sont les plus respectueux
du fait que les sujets qu’ils ont en face d’eux parlent et qu’ils
s’adressent vraiment à eux. Ce qui fait que quand ils ont parlé
avec eux, l’autre en a la mémoire. Il se rappelle qu’il s’est passé
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quelque chose. Ça fait événement. Ce n’est pas juste un cours,
une leçon de choses.

Hélène Blaquière : Est-ce que vous seriez d’accord avec


cette formulation selon laquelle dans la présentation de malades,
et en comparaison du dispositif analytique classique de la cure,
il y a une inversion des positions du sujet auquel on suppose un
savoir ? Dans la présentation, c’est le patient qui serait lui-même
directement mis en position de sujet supposé savoir…

Jean-Jacques Tyszler : Je n’irais pas jusqu’à dire cela parce


que le risque en serait d’aller jusqu’à dire que les psychotiques
sont nos maîtres en quelque sorte. Mais cela pose un problème de
façon trop paradoxale et qui ne paraît pas juste. Ce n’est pas tant
ça. Le bord réel de la vie, des phénomènes, le névrosé usuelle-
ment n’y accède pas. L’objet comme tel lui est voilé par structure,
par l’image, le fantasme, l’imaginaire. C’est à cet endroit que le
psychotique, lui, la parle en clair, sa structure d’objet. Ce n’est
pas tant qu’il en a le savoir. Ça, c’est un autre problème. Le
terme en avoir le savoir lui supposerait une dialectique à l’être
lui-même, c’est-à-dire qu’il serait à la fois parasité par ce réel

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À propos de la présentation de malades

et qu’il pourrait lui-même en rendre compte sur un mode de la


dialectique. C’est ça qu’on appelle un savoir. Donc ce n’est pas
pour autant que ça fait savoir. Mais il n’y a qu’un psychotique qui
peut vous faire sentir ce qu’est vraiment un regard ou une voix.
Usuellement, nous-mêmes – on peut toujours raconter ce
qu’on veut, passer par un océan d’esthétisme ou de philosophie
– ne pourrons jamais aboutir à cette compréhension de ce qu’est
une image, une voix, un regard, la force d’un nom, la force d’une
lettre… C’est tout un travail analytique pour arriver ne serait-
ce qu’à l’accepter. Par exemple, la psychanalyse distingue la
lettre du signifiant. Bon, mais il faut des années d’analyse pour
accepter qu’une lettre pour l’inconscient ait une telle force qu’elle
en bouleverse un destin. Donc il faut être Kafka pour le croire et
l’écrire, ou bien un psychotique pour le raconter, sinon c’est vingt
ans de cure !
Alors, si vous voulez appeler cela savoir, pourquoi pas.
Mais le problème du savoir, c’est qu’en principe le savoir se
sait lui-même en quelque sorte. Il y a un retour du savoir sur
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lui-même, ce qui, pour la psychose, pose un problème. C’est
dans ce sens plutôt, vous voyez. Cela n’inverse pas le rapport.
Pour le psychotique, l’autre du transfert est très important, pas
seulement celui qui l’interviewe mais le praticien. Celui qui est
en place du transfert, on le sait, usuellement, va l’accompagner
très durablement. Curieusement, ils mettent en l’autre un certain
nombre de choses.

Hélène Blaquière : Vous avez fait la distinction entre la


lettre et le signifiant tout à l’heure. Si je vous suis bien, faut-il
comprendre que du côté d’un patient psychotique, il détiendrait
la lettre mais hors chaîne signifiante, coupée de la chaîne signi-
fiante ? Ce ne serait pas dialectisable dans la mesure où elle
serait à part ?

Jean-Jacques Tyszler : Il ne faut pas être trop radical. La


doxa lacanienne fait dire que le grand drame du psychotique –
d’ailleurs c’est souvent ce que l’on voit à Ville-Evrard –, c’est
que tout ce qui est de l’ordre du signifiant va se réduire peu à peu
à ce qui fait signe. C’est donc la réduction du signifiant, mais au
sens où l’entend Lacan : ce n’est pas simplement un mot, c’est

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un signifiant qui représente un sujet pour un autre. C’est-à-dire


qu’un sujet n’est jamais identique à ce qu’il vient de dire de
lui-même, il est toujours rejeté vers un autre signifiant, c’est ça
qui le sauve en quelque sorte. Pour le psychotique, c’est vrai, la
plupart du temps on s’aperçoit combien il est à l’endroit qu’il dit,
par exemple cette scène d’enfance, il est exactement là, c’est lui,
il sera pour toujours à cet endroit, il commémorera cet endroit
signifiant qui pour lui est immuable. Donc cette réduction du
signifiant au signe, par doctrine, est le drame de la psychose.
Maintenant, il ne faut pas être caricatural. Il faut faire atten-
tion. Cela ne sous-entend pas que les psychotiques se soient
détachés de toute accroche possible à la langue parce que, sinon,
ils ne pourraient même pas échanger, ils ne pourraient même
pas écrire. Certains n’auraient même pas le génie de faire de la
peinture ou des lettres. Il y a donc ce problème. Et à l’autre bout,
ce qui est tout à fait passionnant, c’est cette dimension du rapport
entre l’objet pulsionnel et la lettre.
Vous avez ce long chemin chez Lacan dont on s’acharne tous
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à saisir peu à peu la portée qui est : comment passe-t-il de l’objet,
qui est l’objet freudien dans un premier temps, l’objet partiel, puis
la catégorie de l’objet de la pulsion, pour migrer petit à petit vers
l’objet en tant que littéralité ? Pourquoi et à partir de quoi peut-il
dire ça ? C’est une des grandes questions. Pourquoi détache-t-il
autant la question de la lettre de la question du signifiant ? Ce
sont des questions habituelles dans le champ de la psychanalyse
lacanienne, on a travaillé cela tout au long des séminaires, mais
ce qui est assez incroyable avec les psychotiques, c’est que cette
connaissance disjonctive là, ils l’ont par obligation en quelque
sorte. Regardez celui qui écrivait…

Hélène Blaquière : Monsieur H. ?

Jean-Jacques Tyszler : Oui, c’est ça, il avait réécrit quasi-


ment l’ordre du monde, un travail gigantesque, à partir simple-
ment de la structure littérale, pour proposer aux puissants de se
mettre en ordre par rapport à cette littéralité nouvelle, et ça ne
paraît rien, mais c’est gigantesque…
Donc, ce savoir-là que dans la lettre il y a cette puis-
sance phénoménale, qui subsume là pour finir toute dialectique

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À propos de la présentation de malades

signifiante – rien que les lettres par leur jonction propre –, le


psychotique, il en parle. Là c’est sous ce mode, souvent c’est par
rapport au nom propre, etc. Et ça les persécute, comme Schreber
et Flechsig… Les psychotiques ont ce – je ne vais pas dire « ce
talent » parce que ce serait méchant, mais disons assez curieuse-
ment cette vocation à entendre mieux que d’autres ce tourment,
on pourrait dire ce martyr de la lettre, en quelque sorte…
Cependant, il ne faut pas être caricatural, il faut faire atten-
tion, il faut faire ce que Clérambault faisait… C’est-à-dire que
la clinique est une fiction. Il faut des grandes fictions de doctrine
pour nous fixer nous-même un regard… C’est-à-dire quand on dit
que la forclusion, c’est comme ci et pas comme cela, ça donne un
regard possible. Il faut bien rentrer par une théorie quelconque.
Mais après il ne faut pas penser que tous les vivants se résument
à cette théorie, ce serait imbécile. D’ailleurs on voit bien à Ville-
Evrard, ça a été l’une de nos missions, qu’on a maintenue, de
nous demander : qu’est-ce qui justifie en théorie cette diversité
tout à fait inouïe de la psychose ? On dit « la » psychose, mais
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enfin !… N’importe quel infirmier débutant s’aperçoit qu’en
guise de psychose, il y en a quand même des très variées… Et
chaque cas est très déconcertant.
Alors ça, ça vient d’où ? Il faut bien croire qu’il y a un tirail-
lement infini dans tout ce jeu complexe : objet, lettre, signifiant,
qui fait que les psychotiques, eh bien… ils bossent. Ce qui
explique qu’il y a des formes de typologie qui existent… Il y a
des grandes polarités, ça ne fait aucun doute. Le paranoïaque, ce
n’est pas exactement le mélancolique, on est bien d’accord, etc.
Il y a des tensions parce que le vivant a tout de même des limites
structurales, il ne peut pas faire tout et n’importe quoi, donc il y a
des pôles… Mais il faut faire attention aux définitions. D’ailleurs
Lacan lui-même était le premier à le faire. Quand on lit Lacan de
séminaire en séminaire, on s’aperçoit qu’il se reprenait beaucoup
sur ses définitions, qu’il n’hésitait pas non plus à les contredire,
mais il les reprenait par un autre biais, un autre tour, un autre
paradoxe… Par exemple le « ce qui est forclos du symbolique fait
retour dans le réel », rien que ça, mériterait aujourd’hui d’être un
peu réexploré. Il ne suffit pas de le nommer, en effet, mais quid,
quelle vision du symbolique a-t-on, qui fait retour dans le réel,

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La clinique lacanienne n° 27

oui mais par quel biais ? Qu’est-ce que vous appelez réel… ? La
phrase elle-même ne dit rien.

Hélène Blaquière : Après avoir évoqué d’historiques présen-


tations de malades, j’aimerais qu’on s’attarde un peu sur la
spécificité de la présentation à Ville-Evrard. Comment est-ce que
vous définiriez l’objet de la présentation ?

Jean-Jacques Tyszler : Eh bien, l’objet de la présentation,


dans un premier temps, il faut être simple ; l’objet, il est double.
Il est, d’une part, déterminé par une vocation de transmission. La
plupart du temps, un service qui se met à faire une présentation de
malades est un service qui souhaite encore transmettre. C’est un
service qui se pose la question de la transmission de sa spécialité,
c’est-à-dire la psychiatrie. Ce qui ne paraît rien, mais aujourd’hui
on ne sait plus ce que c’est la psychiatrie. On ne sait pas si c’est
de la neurologie… Donc quand quelqu’un veut transmettre
encore ce qu’est le métier et la praxis de la psychopathologie, de
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la psychiatrie, on est obligé d’en passer par des formes en quelque
sorte, dont la présentation de patients. Cela me paraît être le motif
qui guide, qui est le plus important.
Le second motif qui est lié, mais vous l’avez vécu souvent,
c’est le temps de la présentation, qui est souvent, pour le patient et
pour l’équipe qui s’en occupe, un temps de relance intellectuelle
indispensable. Cela fait que le patient ne se sédimente pas dans
son diagnostic, sa thérapeutique et surtout cela modifie le regard
qui est porté sur lui, qui est très vite chronicisé. Mais ce n’est
pas une critique. Chacun de nous a une patience très limitée à
l’égard de ce phénomène de la psychose, les bras nous tombent
assez vite. Et cela fait que le temps de la présentation est pour
un patient souvent une chance. D’ailleurs il le dit la plupart du
temps comme ça. Une chance d’avoir un regard un peu neuf,
une question qu’on ne leur posait plus, une bizarrerie qui leur
est demandée sur leur enfance à laquelle personne ne s’était inté-
ressé. Et pour l’équipe elle-même, il y a la surprise, sans même
qu’on force le trait, de voir apparaître des choses nouvelles,
ou des choses connues qui intéressent à nouveau. Et c’est ce
désir-là aussi, en tant que désir de transmettre, qui est sollicité.
Souvent se conjoignent, dans le meilleur des cas, ces deux axes :

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À propos de la présentation de malades

la transmission et le temps d’une relance. S’il ne s’agissait que


de faire un cours, d’organiser autour d’une chefferie une certaine
solidarité de savoir, à mon avis ce serait un peu scandaleux, car
le patient, dans ce cas-là, ne serait plus qu’un alibi. Mais ce n’est
pas le propos de la présentation telle que je l’ai connue, et nous
ne l’avons jamais pratiquée ainsi. Nous avons toujours veillé à
ce que ça existe pour tel praticien, parce que c’est au fond aussi
pour celui qui demande, celui qui le suit, vous savez, lui, ça
l’intéresse. Pour quoi faire ? Voyez, c’est quand même adressé,
une présentation…

Hélène Blaquière : Justement la question de transfert est


assez complexe, notamment à Ville-Evrard parce que, finalement,
tous les psychiatres du service connaissent le patient. Ce qui
n’est pas le cas dans d’autres services. Les patients sont à la fois
attitrés, et en même temps il faut que ça tourne. Donc ça crée
déjà un transfert un peu diffracté entre les différents psychiatres.
Alors comment penser la question du transfert dans le cadre de
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la présentation elle-même ?

Jean-Jacques Tyszler : Oui, c’est vrai, vous avez raison de


souligner ce point, mais qui est moderne, si je puis dire. Nous, on
a moins connu ça à l’époque. C’est moderne ça, cette diffraction
du transfert. Il est vrai que nous étions plus classiques, les charges
du transfert étaient très nominalement dédiées : tel médecin, tel
psychologue, même tel infirmier, qui avaient la charge du patient
durant tout le séjour et même au-delà du séjour… Cette nouvelle
tendance est liée à cet effet de vitesse qui résulte du peu de
moyens de la psychiatrie d’aujourd’hui, qui fait valoir qu’ils se
partagent le temps, ils se partagent le patient, et ça oblige à une
connaissance réciproque des uns et des autres, vous avez raison.
Je pense que ça pose un problème effectivement sur l’accompa-
gnement et le suivi des patients psychotiques et de la lecture, pas
tant de la lecture structurale mais de la lecture de leur transfert.
Parce que ce n’est pas pareil de lire un patient structuralement
une fois et de pouvoir le lire dans son transfert sur un temps
plus long forcément… Donc nous, ce qui nous intéresse dans le
meilleur des cas, c’est de voir ce qu’il devient, ce patient, et non

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pas seulement de l’avoir lu, tel jour… C’est sûr que ça, c’est lié à
la modernité en psychiatrie, les choses ont changé.

Hélène Blaquière : Est-ce que vous pensez que, par-delà


la question des moyens de l’hôpital public, cette diffraction du
transfert est aussi quelque chose qui pare à un certain risque
transférentiel, l’érotomanie par exemple… C’est finalement
d’une manière assez harmonieuse que les patients passent de l’un
à l’autre…

Jean-Jacques Tyszler : Peut-être que vous avez raison. Et


que ça permet de parer à certains risques du transfert. Mais je ne
sais pas jusqu’où on pourrait le soutenir, parce que le risque fait
partie du réel. On n’a pas le choix. Le risque que vous décrivez –
et il n’y a pas que l’érotomanie d’ailleurs, ça peut être l’emprise
passionnelle, le risque suicidaire qui arrive souvent, le risque de
dangerosité –, ce risque est congruent au suivi des psychotiques
lui-même. C’est-à-dire que le praticien, isolément, doit pouvoir
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prendre ce risque. Et éventuellement pour l’entendre. C’est de ça
que le patient lui sait gré en quelque sorte. S’il ne sait pas qui a
pris le risque pour lui et avec lui, à mon sens, ça n’a pas, comme
tel, la même vertu transférentielle.
Donc, là, je distinguerais le niveau d’efficace du fonctionne-
ment du service qui est très agréable à Ville-Evrard, où de fait ils
sont très solidaires, mais ça ne dira pas grand-chose – il faudrait
faire une autre étude de ce que deviennent sur dix ans les mêmes
patients. Il n’y a que cela qui est véritablement intéressant au
titre de la psychanalyse : est-ce que la rencontre analytique sur
un certain cours a eu une quelconque efficace, ou bien est-ce
qu’il ne s’est rien passé du tout parce que personne n’en a eu la
charge ? Moi, je resterais là-dessus : le risque est à prendre et il
est pris du côté du praticien, s’il le souhaite. Il doit prendre sur lui
la charge de ce risque. Le psychotique, vous le faites sortir, et il
s’aggrave huit jours après, par exemple, ce n’est pas l’équipe qui
peut prendre ce risque, ça n’existe pas un risque de l’équipe, il
faut qu’il y en ait un qui se dise : « Voilà… je prends telle option,
telle orientation », de lui dire cela, ou d’interpréter ceci, de dire
non à ceci, ou d’interdire cela. Cela ne peut être que le fait d’un
seul, je ne vois pas comment on pourrait faire autrement…

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À propos de la présentation de malades

Ceci dit, vous avez raison, c’est entre eux, au sein de l’équipe,
qu’il y a une structure transférentielle très préservée. Ils ont la
chance d’avoir un vrai médecin-chef qui assume son rôle. Dans
le temps, on appelait ça « la psychothérapie institutionnelle », il
y a un transfert à l’institution lorsque le service fonctionne bien.
C’est vrai. Je suis plutôt content de voir quand ça existe et quand
ça fonctionne bien, tout comme vous, mais ce qui me soucie le
plus, c’est de savoir ce que le transfert dans la psychose aura
comme efficace sur un parcours. Et ça, pour pouvoir le dire, il
faut être deux, le praticien et le patient, sinon vous ne le saurez
jamais. Et ce n’est pas toujours garanti. Bien souvent, les patients,
on ne sait pas ce qu’ils deviennent. D’ailleurs c’est pour ça que
les entretiens qu’on mène à Ville-Evrard gardent un peu ce
trait de singularité. C’est-à-dire que les patients s’entretiennent,
curieusement, ce jour-là, avec un tel qui ne fait pas partie
vraiment de l’équipe, qui n’est certes pas toujours là, qu’ils n’ont
pas l’habitude de côtoyer, qui ne leur est pas non plus étranger,
c’est un statut très singulier que cette rencontre, qui souvent reste
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ainsi marquée en mémoire.

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