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JACQUES TYSZLER
Hélène Blaquière
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Hélène Blaquière : Cela fait près de dix ans que vous faites
une présentation de malades à Ville-Evrard, dans le service du
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Dr Xavier Lallart, avec Alain Bellet et Pierre-Henri Castel. De
quelle façon avez-vous rencontré ce dispositif de la présentation
de malades dans votre parcours ?
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Hélène Blaquière : Avez-vous assisté à d’autres présentations
de malades que celles de Czermak ?
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ses internes, ses assistants… C’était assez… à l’ancienne, quoi !
C’est amusant comme à la même époque il y avait des
choses très différenciées, au nom de la présentation de malades.
Mais c’était d’usage dans les grands services de psychiatrie, en
principe, il y avait un enseignement par les présentations.
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Hélène Blaquière : Dans la présentation de Marcel Czermak,
quelles formes cela prenait-il ?
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faire un cours… Mais ça n’apparaissait pas au moment de la
présentation. Cela pouvait être repris au moment d’un baroud
plus tard, pour des journées d’études, un article, un congrès,
alors là, oui. Mais au moment même, il ne visait pas du tout à
la constitution d’un savoir. Je dirais même que c’était presque
l’inverse. Il se demandait quel était le savoir singulier que ce
patient présentait qui n’était pas aisément assimilable au savoir
constitué. Il avait une idée comme ça, comme on ferait pour
un travail analytique habituel, au fond. Comme on fait avec les
enfants, sans chercher évidemment à les mettre dans des cases
préformées… Donc entendre ça dans le champ de la psychose,
c’était quand même assez inhabituel.
La présentation se faisait en deux temps. Lui faisait la présen-
tation. On prenait un peu de temps après pour les questions. Et
puis il avait mis en place quelque chose qui est extraordinaire-
ment précieux qu’il a appelé le « trait du cas » et qui reposait
sur le fait que lui ne voulait pas reprendre ensuite ce qui avait
été évoqué. Il estimait que ceux qui étaient là en tiers devaient
s’organiser en cartels pour lui rendre compte de ce travail. Il y
avait donc des groupes qu’on appelait de « traits du cas » qui
essayaient de rapporter dans un second temps ce qu’ils avaient
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un certain nombre de musiques vous échappent, c’est normal.
Et donc vous êtes attentif à un bord des questions, mais il y a
probablement tout un autre bord auquel les collègues qui sont là,
de côté, sont plus sensibles.
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pense quand même, d’après ce qu’on peut comprendre quand
Lacan parle des psychoses, qu’assez bizarrement, tout en décla-
rant que c’était chez le psychotique qu’on s’apercevait que la
parole était le plus en difficulté, il les traitait vraiment comme
des êtres parlants. Il menait avec eux des entretiens et des débats
de très haut niveau. C’est ça le paradoxe, je pense, qui est issu
de cette pratique de Lacan. C’est-à-dire qu’à la fois les phéno-
mènes montraient malheureusement que ces sujets étaient les
plus en panne quant à la parole pleine, en quelque sorte, mais,
néanmoins, le propos qui s’engageait avec eux était du meilleur
niveau. Il les traitait au plus haut niveau possible. Donc Marcel a
hérité de ça, ce qui fait qu’il poussait les entretiens parfois à un
niveau paroxystique assez étonnant. Nous, on aurait, par peur ou
par précaution, renoncé à aller au-delà d’un certain point, mais
lui, pour des raisons qui n’étaient pas que scientifiques, il essayait
de voir où se logeait chez le patient le degré de certitude, le degré
de dialectique, le pourquoi de ce postulat plutôt qu’un autre, ce
qu’il en pensait lui-même, si cela l’enquiquinait… C’était très
curieux, enfin pour un jeune, c’était très paradoxal.
Je me rappelle des présentations qu’il avait faites de patients
transsexuels, parce qu’à l’époque on en recevait beaucoup. Il
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quelque chose. Ça fait événement. Ce n’est pas juste un cours,
une leçon de choses.
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lui-même, ce qui, pour la psychose, pose un problème. C’est
dans ce sens plutôt, vous voyez. Cela n’inverse pas le rapport.
Pour le psychotique, l’autre du transfert est très important, pas
seulement celui qui l’interviewe mais le praticien. Celui qui est
en place du transfert, on le sait, usuellement, va l’accompagner
très durablement. Curieusement, ils mettent en l’autre un certain
nombre de choses.
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à saisir peu à peu la portée qui est : comment passe-t-il de l’objet,
qui est l’objet freudien dans un premier temps, l’objet partiel, puis
la catégorie de l’objet de la pulsion, pour migrer petit à petit vers
l’objet en tant que littéralité ? Pourquoi et à partir de quoi peut-il
dire ça ? C’est une des grandes questions. Pourquoi détache-t-il
autant la question de la lettre de la question du signifiant ? Ce
sont des questions habituelles dans le champ de la psychanalyse
lacanienne, on a travaillé cela tout au long des séminaires, mais
ce qui est assez incroyable avec les psychotiques, c’est que cette
connaissance disjonctive là, ils l’ont par obligation en quelque
sorte. Regardez celui qui écrivait…
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enfin !… N’importe quel infirmier débutant s’aperçoit qu’en
guise de psychose, il y en a quand même des très variées… Et
chaque cas est très déconcertant.
Alors ça, ça vient d’où ? Il faut bien croire qu’il y a un tirail-
lement infini dans tout ce jeu complexe : objet, lettre, signifiant,
qui fait que les psychotiques, eh bien… ils bossent. Ce qui
explique qu’il y a des formes de typologie qui existent… Il y a
des grandes polarités, ça ne fait aucun doute. Le paranoïaque, ce
n’est pas exactement le mélancolique, on est bien d’accord, etc.
Il y a des tensions parce que le vivant a tout de même des limites
structurales, il ne peut pas faire tout et n’importe quoi, donc il y a
des pôles… Mais il faut faire attention aux définitions. D’ailleurs
Lacan lui-même était le premier à le faire. Quand on lit Lacan de
séminaire en séminaire, on s’aperçoit qu’il se reprenait beaucoup
sur ses définitions, qu’il n’hésitait pas non plus à les contredire,
mais il les reprenait par un autre biais, un autre tour, un autre
paradoxe… Par exemple le « ce qui est forclos du symbolique fait
retour dans le réel », rien que ça, mériterait aujourd’hui d’être un
peu réexploré. Il ne suffit pas de le nommer, en effet, mais quid,
quelle vision du symbolique a-t-on, qui fait retour dans le réel,
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oui mais par quel biais ? Qu’est-ce que vous appelez réel… ? La
phrase elle-même ne dit rien.
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la psychiatrie, on est obligé d’en passer par des formes en quelque
sorte, dont la présentation de patients. Cela me paraît être le motif
qui guide, qui est le plus important.
Le second motif qui est lié, mais vous l’avez vécu souvent,
c’est le temps de la présentation, qui est souvent, pour le patient et
pour l’équipe qui s’en occupe, un temps de relance intellectuelle
indispensable. Cela fait que le patient ne se sédimente pas dans
son diagnostic, sa thérapeutique et surtout cela modifie le regard
qui est porté sur lui, qui est très vite chronicisé. Mais ce n’est
pas une critique. Chacun de nous a une patience très limitée à
l’égard de ce phénomène de la psychose, les bras nous tombent
assez vite. Et cela fait que le temps de la présentation est pour
un patient souvent une chance. D’ailleurs il le dit la plupart du
temps comme ça. Une chance d’avoir un regard un peu neuf,
une question qu’on ne leur posait plus, une bizarrerie qui leur
est demandée sur leur enfance à laquelle personne ne s’était inté-
ressé. Et pour l’équipe elle-même, il y a la surprise, sans même
qu’on force le trait, de voir apparaître des choses nouvelles,
ou des choses connues qui intéressent à nouveau. Et c’est ce
désir-là aussi, en tant que désir de transmettre, qui est sollicité.
Souvent se conjoignent, dans le meilleur des cas, ces deux axes :
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la présentation elle-même ?
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pas seulement de l’avoir lu, tel jour… C’est sûr que ça, c’est lié à
la modernité en psychiatrie, les choses ont changé.
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prendre ce risque. Et éventuellement pour l’entendre. C’est de ça
que le patient lui sait gré en quelque sorte. S’il ne sait pas qui a
pris le risque pour lui et avec lui, à mon sens, ça n’a pas, comme
tel, la même vertu transférentielle.
Donc, là, je distinguerais le niveau d’efficace du fonctionne-
ment du service qui est très agréable à Ville-Evrard, où de fait ils
sont très solidaires, mais ça ne dira pas grand-chose – il faudrait
faire une autre étude de ce que deviennent sur dix ans les mêmes
patients. Il n’y a que cela qui est véritablement intéressant au
titre de la psychanalyse : est-ce que la rencontre analytique sur
un certain cours a eu une quelconque efficace, ou bien est-ce
qu’il ne s’est rien passé du tout parce que personne n’en a eu la
charge ? Moi, je resterais là-dessus : le risque est à prendre et il
est pris du côté du praticien, s’il le souhaite. Il doit prendre sur lui
la charge de ce risque. Le psychotique, vous le faites sortir, et il
s’aggrave huit jours après, par exemple, ce n’est pas l’équipe qui
peut prendre ce risque, ça n’existe pas un risque de l’équipe, il
faut qu’il y en ait un qui se dise : « Voilà… je prends telle option,
telle orientation », de lui dire cela, ou d’interpréter ceci, de dire
non à ceci, ou d’interdire cela. Cela ne peut être que le fait d’un
seul, je ne vois pas comment on pourrait faire autrement…
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Ceci dit, vous avez raison, c’est entre eux, au sein de l’équipe,
qu’il y a une structure transférentielle très préservée. Ils ont la
chance d’avoir un vrai médecin-chef qui assume son rôle. Dans
le temps, on appelait ça « la psychothérapie institutionnelle », il
y a un transfert à l’institution lorsque le service fonctionne bien.
C’est vrai. Je suis plutôt content de voir quand ça existe et quand
ça fonctionne bien, tout comme vous, mais ce qui me soucie le
plus, c’est de savoir ce que le transfert dans la psychose aura
comme efficace sur un parcours. Et ça, pour pouvoir le dire, il
faut être deux, le praticien et le patient, sinon vous ne le saurez
jamais. Et ce n’est pas toujours garanti. Bien souvent, les patients,
on ne sait pas ce qu’ils deviennent. D’ailleurs c’est pour ça que
les entretiens qu’on mène à Ville-Evrard gardent un peu ce
trait de singularité. C’est-à-dire que les patients s’entretiennent,
curieusement, ce jour-là, avec un tel qui ne fait pas partie
vraiment de l’équipe, qui n’est certes pas toujours là, qu’ils n’ont
pas l’habitude de côtoyer, qui ne leur est pas non plus étranger,
c’est un statut très singulier que cette rencontre, qui souvent reste
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ainsi marquée en mémoire.
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Clinique lacanienne 27.indd 228
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