Jelloun, nous voyons immédiatement que la culture de l’oralité est très présente tout au long du roman. Cette oralité est bien entendu alimentée par une autre source culturelle importante: l’écriture littéraire. Dans cet essai, nous nous attacherons tout d’abord à voir comment l’oralité est imprégnée de tradition littéraire sous forme d’écriture.
L’histoire est présentée à travers du monde des
conteurs. Ces conteurs, font partie des personnages du livre, parce que leurs récits se présentent marquées par leur personnalité et les circonstances dans lesquelles ils prennent la parole. Alors, L’enfant du sable a une double présence du conte oral et du récit écrit.
En ce qui concerne le conteur principal, on
trouve qu’il apparaît dans le 1èr chapitre et qui est encore lui qui ferme la dernière phrase du roman (“Je m’en (...) des morts!”). En outre, il se manifeste constamment jusqu’au chapitre 6 dans lequel il est disparu provisoirement. Pourtant, dans les dernières lignes de ce chapitre, il réapparaît à la demande de celui qui l’a supplanté (“Excuse mes (...) cette histoire”). Une autre intervention est celle du chapitre 8, quand il reprend la parole et se désigné comme le conteur (“À ce moment-l’a (...) peut-être”). Également, on observe au début du chapitre 10 que le public du conteur principal n’est pas très nombreux et qu’il essaye de profiter les liens avec les gens qui l'écoutent (“Compagnons fidèles! (...) de cet homme”).
Une bonne partie du récit est supposée sortir
d’un cahier. En citant des passages d’un texte écrit, qu’il appelle le cahier ou le livre, le romancier s’appuie sur l’importance de l’écriture dans la société dont il parle. Il en profite pour valoriser son travail et montrer les risques “Les mots du livre ont l’air anodin et, moi qui le lis, je suis remué comme si on me dépossédait de moi-même”. Chaque fois qu’il lit des pages du cahier, le conteur tient à rappeler qu’il prend un risque et qu’il court le danger d’être “déstabilisé”. D’ailleurs, le déchiffrement des pages écrites est parfois difficile. C’est ainsi que le conteur, par imprudence a perdu tout le contenu du livre: “Le livre est vide. Il a été dévasté. J’ai eu l’imprudence de le feuilleter une nuit de pleine lune…”
Quelle est la place du Coran…
Le Coran est le livre le plus important pour tout citoyen marocain. C’est le livre religieux des musulmans mais aussi une partie intégrante de la loi marocaine et des moeurs du pays. Dans une première partie nous étudierons la place du Coran dans les récits des conteurs présentés par T.B.J, puis, pourquoi le Coran et la poésie mystique sont décisifs dans la vie d’Ahmed. Le Coran est très présent dans l’oeuvre parce qu’il l’est dans l’esprit de tout l’auditoire. On a vu que toute liberté prise par le conteur à l’égard du texte coranique est susceptible de faire fuir ses plus fidèles habitués: “Je sais pourquoi certains ne sont pas revenus ce matin: ils n’ont pas supporté la petite hérésie que s’est permise notre personnage. Il a osé détourner un verset du Coran. D’ailleurs, l’accent sur le valeur poétique du Coran est mis dans le journal ou les lettres d’Ahmed. Il est ainsi lorsque celui-ci rêve d’être emmené au ciel par des anges et se complaît à imaginer cet envol “Je m’en vais sur la pointe des pieds. Je ne veux pas peser lourd, au cas où les anges, comme il est dit dans le Coran, viendraient me porter jusqu’au ciel”
Ce rêve rejoint une aspiration de tendance
mystique. Ahmed est encouragé en ce sens par son correspondant anonyme qui souligne la place que tient dans sa vie “la fréquentation de quelques poètes mystiques.Mais c’est surtout à travers l’un de ses doubles, Amar, que le héros nous éclaire sur son appartenance et ses prédilections: “Lìslam que je porte en moi est introuvable, je suis un homme seul et la religion ne m'intéresse pas. Mis leur parler d’Ibn Arabi ou d’El Hallaj aurait pu me valoir des ennuis” Un des traits de la mystique plus relevant est qu’Ahmed-Zahra exprime souvent un désir de rompre tout lien avec le monde et de se délivrer des attaches matérielles.
Le patriarcat et le statut de la femme
Il est évident que l’homme est considéré
comme supérieur à la femme dans la société marocaine. Dans un premier temps, nous présenterons le patriarcat tel qu’il est présenté dans la famille d’Ahmed, et, dans un deuxième temps, nous analyserons le regard que parte Ahmed sur sa famille en nous appuyant sur des passages du livre
T.B.J veut montrer que le patriarcat est encore
très présent à travers la figure du père.Le choix fait par le père et sa volonté d’avoir à tout prix un garçon nous montrent deux choses: en tant que père de famille, tous les pouvoirs s’inclinent devant lui et le monde masculin est si valorisé qu’avoir un descendance seulement féminine est une honte. En outre, le père est le seul à disposer de l’autorité pour tout qui concerne la famille. On trouve souvent accolé à son nom le mot décision “C’était cela sa décision, une détermination inébranlable, une fixation sans recours” Mais toute distinction honorifique ne sert à rien si le personnage qui la porte n’a pas une progéniture mâle: “Le bruit courait déjà dans le quartier et le reste de la famille: Hadj Ahmed va avoir un garçon”. Le conteur explique qu’en fait Hadj Ahmed peut tout se permettre parce qu’il est “un homme puissant et déterminé”. Lorsqu’arrive la mort du père, Ahmed est d’ailleurs bien décidé à affirmer son autorité. Il fait notamment venir ses soeurs et leur annonce qu’il aura sur elles tous les droits d’un tuteur. Il agit comme le maître de la maison et redresse les affaires de son père. Néanmoins, comme Ahmed ne peut se satisfaire des avantages pourtant considérables dont il bénéficie à cause de l’imposture mise en place à sa naissance, il décide de trahir le patriarcat en devenant Zahara. Après cette “transformation”, Ahmed décide de fuir de son destin et s’échapper de sa propre maison, en laissant tout l’argent à ses soeurs.
L'énigme du moi
Vu que le moi d’un personne peut avoir des
dimensions innombrables, dans cet essai nous nous concentrerons sur l’aspect sexuel de la construction identitaire d’Ahmed. Ainsi, à plusieurs reprises, le personnage de l’Enfant de sable se découvre dépourvu d'identité sexuelle. Nous construirons donc, notre argumentation en nous appuyant sur les questions posées par Ahmed lui-même: “J’ai perdu la langue de mon corps; d’ailleurs je ne l’ai jamais possédée. Je devrais l’apprendre et commencer d’abord par parler comme une femme. Comme une femme? Pourquoi? Suis-je un homme?”