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COLLECTIVITES TRADITIONNELLES

ET MODERNISATION
L E S A IT Z E K R I D ’Z E M M O U R

M E M O IR E P O U R LE D IP L O M E D ’E T U D E S S U P E R IE U R S E S 'S C IE N C E S P O L IT IQ U E S

P résenté e t soutenu publiquem ent par

R A C H IK HASSAN

JURY

PR ESID EN T : M r Le P rofesseur BLANC F R N C O IS -P A U L

S u ffre g a n ts :
1

Introducti o n .

Première partie : La collectivité traditionnelle Ait Zekri.

Chapitre I : L'organisation sociale.

Chapitre II : L'organisation politique.

Deuxième partie : La dynamique externe de lacollectivité


Aït Zekri.

Chapitre I : Le changement institutionnel.

Chapitre II :La signification du changement institutionnel

Troisième partie: La dynamique de la tradition.

Chapitre I : L'administration et la tradition.

Chapitre II : Résistance au changement ou changement


de la résistance ?

Conclusion .
2

I N T R O D U C T I O N

L objet général de ce travail est constitué par l'étude


dans un contexte de changement de la collectivité traditionnelle
Ait Zekri d'Zemmour.

Un préalable s'impose avant toute problématique: il


importe,en effet, de déterminer les collectivités tradition­
nelles que l'on désignera sous le nom de Zekri, ce nom n'étant
pas toujours porté par les mêmes collectivités.

Les Zemmours étaient divisés par le Makhzen, en vue»


d< la répartition de l'impôt, en cinq Khoms (1) : les Ait
Zckri; Messaghra; Aït Miraoun; Aït jbel doum; Beni Hkem.
Le nom Zekri désignait alors un Khoms qui comprenait plusieurs
rbaTs (quart),les Aït Zekri se composaient ainsi de trois
rbafs :
- Aït ouribel et Qabliyine.
- Aït 'Abbou, Aït Wahi et Aït Belkacem.
- Beni ‘
Ameur (2 )

Le service de la conservation foncière de Khémisset a maintenu


la division ancienne des tribus Zemmours en cinq Khoms;
mais cette division diffère, au niveau des groupements de
tribus constituant les Khoms, de celle avancée par les auteurs
de "Villes et tribus du Maroc" :
Les Aït Jbel doum; Beni 'Ameur (Aït 'Ali ou Lhassan, Kotbiyine,
Khezazna, AïtBou Yahya; Hejjama); Beni Hkem et Houderran;
Messaghra (Messaghra; Aït Yaddine) et les AïtZekri qui
ne comprennent que les Ait Wahi ; les Aït Belkacem, les
Aït 'Abbou, les Qabliyines et les Aït Ouribel. (3)

(1) "Un Khoms,cinquième parti e d 'un Khams akhmas.Il paraît


établi que les fictions généalogiques du découpage tribal
en 1ignages,tendaient à constituer des groupes de cinq lingagos
(ikhs) nommés afùs (main,sous entendu cinq doigts) ou des
groupes de quatre lignages nommés rebbàa.." P.Pascon,
Le Haouz de Marrakech, ed. marocaines et internationales,Tanger,
19 77, T.I p .159, note 7- Le Khoms chez leszemmours avait
un sens fiscal et non _ ethnologique : il est une subdivision
fiscale opérée par le Makhzen .
(2) Villes et tribus du Maroc (Rabat et sa région), T III,les
tribus,ed. Leroux,Paris 1920, p"! 19 8 .
(3 )Lesne(Mj»Evolution d'un groupement berbère: Les Zemmour , Ecole
du livre,Rabat, 19 59» p. 1 1 7 »
C'est cette même division qui est reprise dans la carte
des tribus du Maroc (Tribes of morocco) établie par bernard
G. lioffman en 1958 (4 ).En revanche dans la liste des confédéra­
tions, tribus et principales fractions du Maroc établir
en 1939 par la direction des affaires indigènes (5), la
collectivité Ait Zekri était classée parmi les sous-confédéra­
tions Zemmours et ne comprenait que quatre tribus: Ait 'Abbou,
Ait Belkacem, Ait Wahi et Ait ouribel.

La carte des tribus dressee par le bureau des cartes


de la résidence générale à l'aide des renseignements donnes
par les officiers des affaires indigènes et les contrôleurs
civils range sous le nom de Zekri trois collectivités :
Ait 'Abbou, Ait Wahi et Ait Belkacem.

L'administration locale coloniale n'a pas non plus attribué


au nom Zekri un contenu fixe, tantôt il désigne les trois
collectivités Alt 'Abbou,Ait Wahi, Ait Belkacem ,ainsi la jema'a
judiciaire Aït Zekri et par la suite le tribunal coutumier
Alt Zekri comprenaient ces trois tribus;' tantôt il ne désigne
que les Aït 'Abbou et les Aït Wâlîi, les Aït Belkacem étant
"emboités" -administrativement - dans les Beni 'Ameur de
l'Ouest avec les Aït 'Ali ou Lhassan et les Qotbiyines (6 ).

Pour distinguer la collectivité Aït Zekri, subdivision


fiscale déterminée par le Makhzen ou une circonscription
administrative pour l'administration coloniale, de l'unité
traditionnelle Aït Zekri qui se définit positivement en
tant que telle par les individus qui portent le nom de Zekri
et négativement par les membres des collectivités voisines
qui portent des noms différents,des informations collectées
dans les tribus Zemmours s'avéraient nécessaires. Il en
ressort que seuls les membres des collectivités Aït 'Abbou,

tofteion-^ *19 ** ’ morocco under colonial rule, Frank Kass,


(5 ) - Liste des confédérations , tribus et principales fractions
du Maroc. Résidence générale de la République au Maroc:,
di rection des affaires indigènes 1 9 3 9 pp. 2 .6 .9 .1 0 .
(6 ) - Lesne o p .cit. p.216.
j
a
Ait Bclkacein et Ait Walii se considèrent comme Zckris «•!
que les collectivités voisines les considèrent également
comme tels. Dans la présente étude la collectivité tradition­
nelle Ait Zekri comprendra de ce fait les Ait Belkacem,
les Ait Wahi et les Aït 'Abbou qui correspondent à l'ancienm*
unité fiscale, rba , dans l'organisation traditionnelle du
Makhzen.

Ce sont également ces trois collectivités qui ont été


groupees dans la Jetnaa .-judiciaire Aït Zekri, car c'est au
niveau de l'organisation de la justice coutumière que
l'administration se référait à la tradition berbère, et
que les limites traditionnelles internes entre collectivités
Zemmours ont été maintenues.

Dans l'analyse du changement de la collectivité tradition­


nelle Aït Zekri ainsi définie ,seuls les facteurs du changement
social qui ont leurs origines à l'extérieur et qui résultent,
des contacts imposes par la ( colonisation seront appréhendés;
parmi ces facteurs exogènes, un seul facteur de changement
sera privilégié : l'action administrative coloniale.

Il s'agit de montrer comment la.collectivité traditionnelle


Aït Zekri s'est transformée sous 1'impact d'institutions
introduites par l'administration coloniale, comment a été
entamé et maintenu le processus de changement de ses éléments
trad it ionnels.

La réponse à cette question générale exige que soient


identifiés les éléments traditionnels de l'organisation
sociale et politique des Aït Zekri qui ont connu des modifica­
tions. ' En effet, le processus de changement social ne peut
être analysé qu'après avoir défini le point de départ de
l'étude, la collectivité traditionnelle Aït Zekri, objet
de l'action administrative coloniale. Il ne s'agit pas d'évaluer
le changement par rapport à un "point zéro" qui définirait
la collectivité traditionnelle,avant la pénétration coloniale,
ni de reconstruire l'histoire traditionnelle, c'est-à-dire anté-coloniale
des Aït Zekri, mais simplement de sélectionner certains
traits interdépendants ; et caractéristiques de la collectivité
étudiée, sur lesquels l'administration organisera son action,
(tel sera l'objet de la première partie de ce mémoire qui
sera consacrée à la définition de la collectivité traditionnelle
Aït Zekri).
»
5

Une fois décrites les modifications des éléments tradition­


nels de la collectivité Zekrie, des questions relatives ,1
la nature du changement et à son interprétation s'imposeront.:
selon quel terme convient-il de qualifier le processus de*
changement de la collectivité Aït Zekri : évolution, mutation,
développement, modernisation ou acculturation..? Quelles
sont les significations que l'on pourrait attribuer an
changement social des Aït Zekri ?

L'administration du Maroc indépendant qui a succédé


à l'administration coloniale a également agi sur la collectivité
Aït Zekri. Il importe de savoir dans quelle mesure l'administra­
tion nouvellea-t-elle ou non maintenu le processus de
changement de la collectivité Zekrie entamé par l'administration
du protectorat ainsi que le cadre de référence occidental
de ses innovations institutionnelles (la réponse à ces questions
constituera l'objet de la seconde partie).

Si dans un premier temps il s'est avéré nécessaire de


privilégier la causalité externe en ne prenant en considération
que l'action de l'administration coloniale sur les institutions
traditionnelles Zekries et le changement institutionnel
qui en résulte,il s'est révélé indispensable en un second
temps d'analyser la causalité interne qui influence et modèle
les institutions nouvelles à travers les institutions tradition­
nelles. L'approche "institutionnelle" qui n'envisage lf
changement qu'au niveau du fonctionnement des institutions
estinsuffisante; il faut confronter l'analyse de la dynamique externe
et les changements institutionnels d'une part, et la dynamique
de la tradition d'autre part, c'est-à-dire étudier en quoi
certains principes symboliques traditionnels peuvent agir
sur le fonctionnement des institutions nouvelles et sur
leurs significations et enfin analyser comment ces institutions
nouvelles sont influencées par ces principes traditionnels.
En un mot, il faut relier l'aspect institutionnel à l'aspect
symbolique de l'organisation sociale et politique traditionnelle»

L'étude du changement social Aït Zekri ne se réduira


donc pas .à l'analyse des innovations institutionnelles
introduites par l'administration coloniale et traduisant
la discontinuité,la rupture dans la collectivité traditionnelle,
au contraire, elle devra identifier et analyser également
les laits traduisant la "continuité11 des éléments traditionnels
ou les transformations dissimulées par les permanences formelles
(ce sera l'objet de la troisième partie).

Au niveau de l'administration coloniaie,celle-ci n'a


pas fait officiellement abstraction, en agissant sur la
collectivité, du passe culturel des Ait Zekri, elle a respecté
it ^ 4
et maintenu la tradition berbère. Cependant, comment interpréter
la référence de 1 'administration à la tradition berbère,
le maintien officiel de certaines institutions berbères
( Jerna'a >amghar, annechcham etc.) ?

Au niveau de l'administration du Maroc indépendant,


l'analyse ne se limitera pas seulement aux premières réactions
de l'administration vis-à-vis des institutions introduites
par- le protectorat, elle englobera également son attitude
à l'égard de l'exaltation de la tradition berbère et vis-
à-vis du maintien d'éléments traditionnels par l'administration
à laquelle elle a succédé.

Au niveau de la collectivité traditionnelle, lorsque


on évoque le changement social on lui associe automatiquement
la résistance au chargement : les Aït Belkacem remettent
en cause le nouveau découpage communal qui les regroupe
avec les Aït Wahi dans la même commune Khemis Sidi Yahya,
et revendiquent une commune propre à eux. Les Aït Zekri
étaient au lendemain de l'indépendance dans un même caïdat
(annexe de Tiflet), Les Aït 'Abbou étant plus proches de
Khémisset, ont demandé aux autorités locales de relever
de Khémisset. Les Aït Wahi ont aussitôt envoyé une délégation
leur demandant de ne pas se séparer des groupes frères Zekris
en quittant le caïda:. La contestation du découpage communal
par les Aït Belkacem, le comportement des Aït Wahi, le recours
à la violence par les Aït 'Aqoub (Aït Belkacem) au lendemain
de l'indépendance comme moyen de règlement des conflits,
les conflits intertibaux etc., signifient-ils une résistance
au changement ? D'i.ne façon générale, comment les collectivité
peuvent-elles à leur tour agir sur les transformations
provoquées par l'administration coloniale et en influencer
la direction ?,

Pour répondre k ces questions-et à d'autres qui en découlent -


trois faits seront étudiés : la revendication par les Aït
I ''
i
»
7

Belkacem d'une institution moderne, la commune , au nom d'un


principe d ’organisation traditionnel : le nom porté en commun
Belkacem ) le recours à la violence des Aït ’Aqoub pour
régler le conflit qui les oppose à une collectivité voisine;
enfin la lettre envoyée par les Aït Belkacem au Roi Mohammed
V pour qu'il arbitre le même conflit.
8

I - AIT ZEKRI,ZEMMOUR,CONFEDERATIONS ENVIRONANTES.


b

II - AIT ZEKRI,ZEMMOUK.
EMPLACEMENTS APPROXIMATIFS DES DOUARS

ATT ZEKRI
P R E M I E R E P A R T I E

LA COLLECTIVITE TRADITIONNELLE AIT ZEKRI


La collectivité traditionnelle Aït Zekri ne sera pas
envisagée comme un tout empirique qu'il faudrait décrire
en tant que tel,sa dèscription sera sélective. Seuls certains
éléments de la collectivité traditionnelle seront décrits,
ainsi que les relations entre ces éléments. La question
est de savoir quels sont les éléments de la collectivité
traditionnelle Aït Zekri qui seront choisis et ordonnés
pour constituer une structure de la collectivité étudiée.
Seront sélectionnés d'une part les éléments qui lient entre eux
les individus appartenant à la collectivité Aït Zekri,
déterminent leur solidarité et les distinguent des autres
groupes; d'autre part les éléments relatifs à leur organisation
politique.
P R E M I E R C H A P I T R E

L ' ORGANISATION SOC IA LE


1J

(Juels sont les éléments sur lesquels reposent l'organisation


sociale des Aït Zekri, qui rendent interdépendants ses parties
constitutives (individus, groupes), qui pourvoient à la
formation de groupes séparés et solidairement distincts,
établissent et maintiennent des groupes sociaux effectifs?
Est-ce la parenté, le sentiment d'appartenance à l'ancêtre
Zekri ? Est-ce l'attachement au sol, la communauté de biens
(terrains collectifs, greniers collectifs..) ?

Section I : Les symboles d'identité collective.

Le modèle colonial attribue à l'ancêtre une fonction


de cohésion sociale et définit la collectivité comme un
groupement humain lié par le sentiment d'appartenance à
un ancêtre commun qui est mythique (l). Critiquant le modèle
colonial, Lahlimi insiste sur les conséquences des activités
nécessaires à la préservation du groupe (2 ) (la sauvegarde
d'un espace pour son activité économique; et pastorale,
les exigences de défense ..), qui sont, selon lui, plus
la base de sa ' cohésion que le rattachement à un ancêtre
commun. Rejetant au second plan la fonction de l'ancêtre
dans la solidarité sociale du groupe sous prétexte que la
croyance dans le rattachement à un ancêtre est d'ordre
idéologique, il analyse la cohésion du groupe sans se référer
aux systèmes d'idées et représentations de ses membres.
L'analogie implicite entre le fonctionnement des organismes
et le groupement traditionnel qui se suffirait à lui même
sans référence aux systèmes d'idées soutend la critique
de Lahlimi qui exclut la référence au sang même au niveau
de la cellule de base ('Adam), parce que mythique. Cependant,
ce n'est pas le caractère mythique ou réel de l'ancêtre
qu'il faut analyser mais l'évaluation du groupe à l'ancêtre,
la relation groupe-ancêtre. Ce sont les évaluations qu'une
tribu totémique, par exemple, attache à un animal. qui
intéresserait l'observateur plutôt que l'animal lui même.
Il serait aussi superflu qu'inutile de démontrer que l'animal
est mythique. Il faudrait prendre en considération la réalité
de la référence et non l'objet de la référence.

(1) - LAHLIMI (A), Les collectivités rurales traditionnelles et


leur évolution, repris dans Etudes* sociologi-
ques sur le Maroc, publications du B .E .S .M .
p. 20.

(2 ) - ibid ,pp.( 2 1 . 2 2
13

La theorie segmentaire (3) confère à l'ancêtre une double


fonction. La premiere consiste a justifier une descendance
commune des membres de la collectivité. Un homme, selon
cette théorie, appartiendrait à la collectivité Zekrie parce
qu'il descend de Zekri. L'ancêtre a également une fonction
de définition des sëgments sociaux : La tribu possède une
structure semblable à celle d'un arbre; elle se divise et
se subdivise comme les branches d'un arbre. L'ancêtre commun
est le point de départ de plusieurs lignes définies par
ses descendants maies. Ceux-ci qui sont en quelque sorte
des sous-ancêtres | constitueront de nouveaux points de départ
pour d'autres sous-lignes jusqu'au niveau inférieur, celui
de la famille. L'ancêtre est donc soit une définition positive
lorsqu'il définit le groupe le plus large et les liens entre
les sous-groupes, soit une définition négative lorsqu'il
définit un sous-groupe en le distinguant des autres sous-
groupes. Les groupes dans une société segmentaire sont définis
par genre et par différence, un ancêtre fournit le genre,
un autre- son fils réel ou supposé— procure la différence.
Quel est en partant de leur généalogie (4 ) La fonction
de l'ancêtre chez les Aït Zekri ?
Dans les trois tribus,existent des lignages importants
qui sont cependant considérés comme étrangers, c'est-à-dire
ne justifiant pas d'un acte de descendance des trois fils
de Zekri. Ce sont tout d'abord les Aït Haddou et les Aït
Mellouk de la tribu Aït Wahi. La légende rapporte que Haddou
et Mellouk sont venus de 'Abda afin de s'installer chez
les Aït Wahi et enseigner le coran à leurs enfants. Ce sont
ces deuxFkihs qui auraient donné naissance aux deux grands
lignages des Aït Wahi.
Les Aït Makhlouf qui ont intégré les Aït 'Abbou sont originaires
d'Imouzzer Mermoücha, alors que les Aït 'Atman, hôtes des
Aït Belkacem, sont des Doukkalas (5)«

(3)- GELLNER \(E ): — Comment devenir Marabout, B .E .S .M , n°


128-129, 1976. p p .8-13.
- Pouvoir politique et fonction réligieuse
. dans l'Islam Marocain» Annales E.S.C.
Mai-Juin 1970, p.702 et S.
(4)- cf. infra Les généalogies des trois tribus, p *>. 18-19*20'•
(5) — Informateurs,Kadimi Ben Lha j ,Lha j Haddou (Ait Wahi ),Cha j i*.
Abdellah,Ihouran Abdelkbir,(Aït Abbou),Lahsen Ben Bou' azza,Oulhachmir
Abdesslam (Aït Belkacem)...
14

Chez les Aït Zekri les allogènes ne sont pas totalement


intègres à la genealogie qui distingue les "vrais” descendants
et les étrangers. Ces derniers sont inscrits dans la généalogie
mais en tant qu'etrangers. Ils y sont inclus mais pour en
être immédiatement exclus (4 ). .
L'ancetre ayant démissioné de ses fonctions de cohésion
et de définition des lignages étrangers et lignages authentiques/
quel est l'element qui prendra sa place pour cimenter tous
les lignages, et faire des lignages étrangers des Aït Zekri?
La référence à l'ancêtre existe mais pour distinguer
au sein du groupe les allogènes des originaires. Wahi, Belkacem
en tant qu'ancêtres ont pour fonction d'exclure les Aït Mellouk,
les Aït Haddou et les Aït 'Atman. Cependant Wahi et Belkacem
en tant que nom ne sont pas le monopole exclusif des seuls
descendants de Wahi et de Belkacem. Ils sont portés,et sans
contestation aucune, par ceux que la mémoire collective
qualifie d'étrangers.
Au niveau des individus,1'amazzal,étranger ‘qu'un chef
de tente adopte et marie à l'une de ses filles-et qui s'engage
en contre partie à servir son beau-père durant toute sa
vie - peut porter le nom du lignage de celui qui l'a adopté
mais il ne peut jamais prétendre à la descendance de l'ancêtre.
Il est, par exemple, Belkasmi mais il ne descend pas de
Belkacem. Il a le droit au nom commun mais jamais à la
descendance commune.
La distinction entre le nom et 1'ancêtre est relativement
claire au niveau des Aït 'Abbou. Ces derniers ne portent
pas le nom de leur ancêtre Lahsen ou 'issa mais celui de
’Abbou homme qualifié par la légende de brave et courageux.
Le nom porté en commun n'étant pas celui de l'ancêtre, la
distinction entre les fonctions respectives des deux éléments
est moins difficile : alors queLahsen ou 'Issa Légitim
une descendance et par conséquent élimine tous les étrangers
des groupes originaires, lenom commun 'Abbou les récupère
pour les réintégrer et ainsi remédier aux segrégations de
la généalogie.
L'impossibilité d'une "communauté de l'ancêtre" renforce
aux niveaux supérieurs,et notamment le niveau de la tribu,
la force intégratrice du nom qui est le seul élément commun
porté par des groupes condamnés i par la généalogie : à être
15

étrangers les uns des autres. La distance qui sépare 1c*


nom de l'ancêtre estcelle qui existe entre l'originaire
et l'allogène. Si l'ancêtre définit seulement les originaires,
le nom commun définit aussi bien les originaires que les
étrangers. Le nom a une fonction de cohésion sociale et
une fonction de définition des groupes sociaux. Chaque niveau
de la segmentation estdéfini par un nom ou une série de
noms. Ainsi, aux deux niveaux supérieurs, la Taqbilt Takesouat

(la grande tribu) et la Taqbilt Amezzian. (la petite tribu),


correspondent respectivement les noms de Zemmour et de Zekri.
Le troisième niveau,appelé également Taqbilt Amezzian est
représenté par une série de noms : Belkacem,Wahi , 'Abbou(ô).

Si le nom est un symbole d'identité collective et de


cohésion du groupe, l'ancêtre n'exprime que la forme parentale
de la cohésion sociale. Il est le reflet de la transposition
des liens de parenté d'un niveau inférieur à un niveau plus
large, de l'imitation sociale des liens du sang réels et
de la création,à côté d'une parenté biologique, d'une parenté
sociale.

(6 ) - Pour les autres niveaux inférieurs : ighs akesouat,


* Asun, '.ighs Amezzian, cf. lés généalogies des 3 tribus
p»^* 18 * 19» 20j*
zemmour
Taqbi’b TaktbOua^
[ik bùlftO
Gmftdi*jaii*rv
ZEKRI

Taqbilt Amttxian.
( Zi fvtfLfceJsûIm.)
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Taqbilb Amtixian
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(7)- Selon les Aïts'lssa Ikdimen,qui ont
une interprétation différente cïe leur
généalogie,seuls ceux qui portent le nom
de'Issa sont des lignages authentiques.Les
Vît'Issa Ikdimen sont les plus anciens
ainsi que l'atteste leur nom:Ikdimen
signifie anciens.Les autres lignages sont
"nouveaux" parce qu'ils ne portent que
Les noms des fils de'Issa : Haddou ou'Issa,
■!a:nmon ou'"Issa,Ali ou'Issa. '
Cl est à rappeler que plusieurs groupesAït
'Abbou se considèrent comme descendant de
Lalisen ou 'Issa

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Section 2 : La mouvance des Aït Zekri.

Selon l'importance de la mouvance du troupeau et des


individus qui l'accompagnent on peut distinguer trois types
de mouvance : le serrii - nomadisme , la transhumance et ]a
simple remue (8 ). Le semi-nomadisme est pratiqué lorsque
les pâturages d'été et les pâturages d'hiver sont trop éloignés
pour faire passer, le même jour, le troupeau d'un pâturage
à l'autre » le douar peut se déplacer dans sa totalité ou
dans sa plus grande partie. Il y a transhumance quand le
groupe détache seulement pour la garde des troupeaux, quelques
bergers formant un 'azib, qui est le campement établi, par
ces gardiens appelés 'azzabas, loin de l'habitat de base.
Enfin les tentes peuvent se fixer près des zones de pâturage
afin que les troupeaux puissent rentrer chaque soir. Ce
mouvement de bétail est qualifié de simple remue.
Les Aït Zekri pratiquent le semi- nomadisme (9 ) . Le départ
des troupeaux s'effectue après les premières pluies, après
que les hommes aient achevé les labours d'automne et les
troupeaux les chaumes. Les tentes, après leur dispersion
sur les terrains de culture, se réunissent en groupement
de tentes disposées en rond que les Aït Zekri appellent Asun
ou Douar. La forme habituelle d'un Douar est celle d'un
rond autour duquel les tentes s'allignent la face tournée
vers l'intérieur, laissant entre elles un passage par lequel
les troupeaux ont accès au centre du Douar et qu'on peut
facilement obstruer la nuit au moyen de buissons' d'épines
(Âzilal). Les troupeaux sont parqués au centre du Douar.
La forme en rond est adoptée quand les tentes suivent les
troupeaux. Parvenues à leurs terrains de parcours les tentes
maintiennent généralement leurs formes antérieures. Certains
Douars se dispersent cependant (10).
Certains Douars Aït 'Abbou conduisent leurs troupeaux
en direction de l'oued Fouarrat et de l'oued Smento. Ils
viennent avec les KhamoujaS (Aït Ouribel), les Aït 'Ali ou

(8 ) Lecoz (y):Le Rharb,Fellahs et colons ,2 Vol. Inframar,Rabat 1964 p-327*


(9) Les Aït Zekri emploient le mot 'Azib pour désigner leur mouvance.
(10) Laoust(E).L'habitation chez les transhumants du Maroc central. I.
La tente et le Douar, Hesperis T."X 1930 p ,p.229-243
- informateur, Lhaj L'arbi des Aït Wahi.
20

Lhassan et les Aït Bou Yahya (11). D'autres Douars Aït 'Abbou
campent à Dar Ben Hsin à l'Oued Tarherst (Mzourfa).Une partie
des Aït Wahi, s'installent, avec leurs Douars et leurs troupeaux
dans cha'bat El Hamma (Qotbiyine) < 1 'autre partie dans l'Oued
Satour, le Belkouch et l'Oudinet, chez les Aït Belkacem
(12). En général, les Aït 'Abbou sont acceuillis par les
quatre tribus riveraines de la Ma'mora (Qotbiyine,Mzourfa,
Khezazna,Aït 'Ali ou Lhassan), alors que les Aït Wahi sont
acceuillis par les QotbiyineS1et les Aït Belkacem.
Attachés, quoique partiellement, aux terrains qu'ils
cultivent, , les Aït Zekri y retournent et campent sur leurs
emplacements respectifs. C'est cet attachement relatif au
sol qui les oblige à se conformer aux lois saisonières et
détermine le rythme et le calendrier de leurs mouvances.
Leur morphologie varie donc selon les saisons: durant leurs
mouvances les Douars se composent de tentes groupées qui
retrouvent leur dispersion initiale une fois installées
sur leurs propres terrains de culture. Ces changements
morphologiques des collectivités Aït Zekri s'expliquent,
en grande partie, par l'effort de ses membres à adapter
leurs besoins sociaux à la nature. Cette technique est
relativement tombée en désuétude chez les Aït Belkacem.
Ces derniers sont relativement sédentaires et ne décampent
que rarement, grâce à la proximité de la forêt et à l'aptitude
de leurs terres aux cultures de printemps qui les retiennent
sur place (13). Ils n'avaient pas besoin d'ajuster les facteurs
naturels aux besoins de leurs groupes; La nature s'est déjà
conformée à leurs besoins et de ce fait les dispense de
la double morphologie qui caractérise leurs groupes frères.
A côté du semi-nomadisme qui représente une mouvance
régulière, les Aït Zekri connaissent une autre forme de
mouvance qui- peut être qualifiée d'irrégulière. Cette mouvance n'est
pas un simple déplacement alternatif et périodique des groupes et de
leurs troupeaux entre deux régions de climats différents
mais un déplacement d é f i n i t i f . ________________________ ________
(11) Villes et tribus du Maroc (Rabat et sa région) T . III ,les
tribus
Edi Lerouxv, Paris 1920. p.236
(1 2 ) ibid , p >237
(13) Lesne (M), Evolution d'un groupement berbère : les Zemmour^
Ecole du Livre. Rabat, 19 59 > p*55 •
21

C'étaient les Beni Hsen (tribu installée dans le Rharb)


qui occuppaient tout le pays Zemmour actuel. Les Aït Zekri,
originaires de Tigrigra (14)' (région d'Azrou), ainsi que
la majorité des tribus 'Zemmours, campaient dans le territoire
actuel des Beni Mguild du moyen Atlas. Les Zemmours, cédant
à la pression des Beni Mguild, chassent devant eux les Beni
Hsen sous le règne de Moulay ’Abderrahman .
IL existe d ’autres déplacements qui ne concernent pas
toute la confédération, mais les seules tribus Aït Zekri.
Ainsi les Aït Belkacem, actuellement en bordure de Bouregreg,
campaient aux environs de Daït Roumi vers 1840-1850» c'est
vers 1900-1905 qu'il y eut un glissement de tentes Aït Belkacem
vers l'ouest pour occuper les terres de parcours que l'installa­
tion des Aït ‘Ali ou Lhassan en Ma' mora avait libérée (15)-
La mouvance des Aït Zekri, qu'elle soit régulière ou
irrégulière, a des effets sur la cohésion du groupe et sa
définition. Les groupes sociaux,à cause de la mouvance,
ne constituent pas des unités territoriales.! Les Aït Zekri
ne se définissent pas par le territoire qu'ils occupent mais
par le nom porté en commun. C'est la mouvance qui explique,dans
une large mesure, la force intégratrice du nom. Seul le
nom commun,symbole mobile et mobilier - par opposition au
territoire qui est pour ainsi dire un symbole d'identité
fixe et immobilier - peut définir et représenter la solidarité
sociale d'un groupe mouvant. A la mouvance réelle du groupe
correspond une mouvance symbolique de l'identité collective
La mouvance par la concentration sociale qu'elle permet,
rappelle les frontières entre les groupes sociaux et ainsi
donne au nom commun une base morphologique qui le fonde
groupement de tentes qui portent un nom commun. Si la mouvance
régulière, agissant seulement au. niveau inférieur,consolide
la cohésion sociale des Douars, parce que ce sont les s'eules
unités sociales qu'elle met en cause, la mouvance irrégulière,
du fait qu'elle concerne toute la tribu, intervient en revanche

(14) EL Caïd Hammou (A. Belkacem) Lhaj La'rbi(A. Wahi) cf. La carte p\28
(15) Lesne (M), op.cit.,pp.46-47«
22

à un niveau supérieur en renforçant la solidarité sociale du groupe le


plus large.

Section 3 : La communauté de biens

Dans la société traditionnelle, les forêts, les terrains


de culture, les pâturages... restent effectés à l'usage
de tous les membres du groupe. Ce mode d'appropriation collectif
s'explique par la forte cohésion du groupe, ainsi que par
la mouvance qui rend difficile tout rapport continu et durable
au sol.
Néanmoins, l'appropriation collective n'implique pas
une exploitation collective. Le terrain collectif Dar Saboun ,
par exemple, appartenant à deux Douars Aït Belkacem (Aït
Bel L*arbi, et Aït Ben Hessi), n'est pas exploité collectivement,
par les deux collectivités propriétaires. Il est partagé
en 132 parts qui correspondent au nombre de Kanoun (16)
qui compose les deux collectivités au moment du partage
initial. (1900-1905). Les parcelles sont séparées par des
levées de terre et chaque Kanoun exploite la sienne ( 1 7 ).
Le partage des terres collectives ne se faisait pas
au prorata des attelés de labour disponibles comme l'affirma
M. Lesne (l8). selon lui, le partage se faisait à la corde
• (19) et déterminait des parcelles correspondant chacun**
à la superficie que peut labourer en une saison agricole-
une charrue attelée de deux bêtes de traits (Zouja). Dans
la collectivité Aït Zekri, c'est l'organisation sociale
qui était projetée dans le terrain collectif et non le nombre

(16) En général,dans ,la région de Sous,l 'homme forme un Kanoun lorsqu'il


se marie;aussi on peut trouver dans la même habitation plusieurs
Kanouns.Chez les Aït Zekri,1'homme et son épouse ne peuvent constituer
un Kanoun que si leur tente est séparée de celle du chef de la
famille. Le Kanoun correspond dans ce cas,à l'unité d'habitation.
(17) Lahsen Bou'azza,Naïb (représentant) des terres collectives Aït Belkacem
(18 ) M. Lesne : Evolution d'un groupement berbère : les Zemmour. op.cit
p . 44- -^
(19) La longueur du terrain est calculée et divisée par le nombre de
charrues.Le quotient permet d'obtenir la largeur de chaque lot.Une corde
de cette dimenssion servant d'étalon,permet de procéder au partage:ceux qui
ont trois attelées de labour avaient un lot d'une largeur égale à trois
cordes et d'une longueur égale à la largeur du collectif..ceux qui ne
possèdent qu'une bête de trait n'obtiennent qu'une demi corde. Guillaume
(A), La propriété collective au Maroc, Edition la Porte,I960, pp.66-6 7 .
23

des Zoujas dont dispose le groupe» C'est le Kanoun qui était,


le critère du partage et tous les Kanouns avaient droit
à leur part dans le collectif. Les Aït Zekri ne connaissent
pas le système de rotation et chaque Kanoun retrouve chaque
année la parcelle qui lui avait été allouée lors du partage
initial. En principe la parcelle peut être restreinte ou
augmentée du fait des transmissions successorales. Cependant
chez les Aït Belkacem le nombre de parcelles est fixe. Une
parcelle peut être partagée entre trois héritiers,par exemple,
sans pour autant donner naissance à trois nouvelles parcelles.
Les Aït Zekri sont pauvres en terrains collectifs. Seuls
cinq Douars sur vingt et un possèdent des terrains collectifs:
- le collectif Dar Saboun des Aït Bel Iîàrbi et Aït Ben
Hessi (Aït Belkacem)
- Bled jema'a des Aït Bel tarbi (Aït Belkacem)
- Ras El mguiÜat de l'a'tarsa (Aït vÀbbou)
- Dhar Jamâ^de Fou'izzen (Aït'Abbou)
- Terrain collectif des Aït Ichchi (Aït Wahi)
Ils ignorent l'igherm.— grenier collectif ou chaque
douar installe une famille pour garder les biens emmagasinés
dans les maisons silos — pourtant connu chez les tribus voisines
Beni Mtir, Zaïan, Beni Mguild... Chaque tente Zekrie,dispose
privâtivement d'un MerS' — emplacement des silos - où elle
conserve et garde ses biens.
En revanche, les Aït Zekri connaissent l'institution
commune : Bit Lmal n^ jamàv (le "trésor" de la mosquée) - Chaque
Douar dispose d'une tente - mosquée et de son bit lmal qui
est formé' grâce aux contributions des membres du groupe.
Les donnations peuvent être en argent ou en nature (boeufs,
blé...). Ces biens, qui sont gérés par un Moqqadem choisi
par le groupe, servent à entretenir la tente — mosquée, à
aider les nécessiteux, à prêter de l'argent aux endèttés(21)..

(21) Informateurs,Lhaj Haddou (Aït Wahi) et 'Abdesslam ou


Lhachmi (Aït Belkacem). La même institution existe avec
quelques légères différences chez les Zaxns .C .F : R. Aspignon,
Contribution à l'étude du droit coutumier marocain (étudet
sur les coutumes Zaïans),Casablanca, 1946 •
Selon mes informateurs l'institution existe encore dans
trois Douars Aït Belkacem (Ferazza,Aït Mohammed ou 'Abdellah,
Aït Ali) et dans certains Douars Aït Wahi.
24

chaque Douar ayant exclusivement sa tente-mosquée, le Bit


Lmal n ’jamà', sur lequel tous les membres du Douar ont un
droit de regard — les ventes du bétail de la mosquée, par
exemple,ne peuvent avoir lieu qu'en présence des membres
du douar- — renforce la cohésion du groupe et matérialisent
les frontières entre les Douars.
Exceptés, les Bit Lmals n'jamà'-et les terrains collectifs
qui font l'objet d'un droit de contrôle par le groupe, la
règle générale chez les Aït Zekri est l'appropriation indivise
et l'exploitation de la propriété par la tente. La propriété
privée (qui ne signifie pas individuelle) n'était pas
incompatible avec leurs intérêts. Car,elle s'arrêtait. à
la forêt et aux terrains de parcours,c 'est-à-dire là où
commence réelement la préoccupation essentielle pour un
groupe mouvant : le droit collectif au parcours.
Le droit du contrôle du groupe n'est pas seulement exercé
sur les biens communs à tout le groupe, mais aussi ; <'sur
les biens privés. 'Cette limite à l'appropriation privée,
derrière laquelle se dissimulent les exigences du groupe,
est représentée par la chefà*â. Celle-ci tout en gardant
au groupe sa prééminence, atténue le caractère privé de
la propriété. La chefak u est le droit que peut exercer,
à l'occasion de la vente d'un immeuble à un étranger,tout
membre mâle du groupe. Elle permet à ce dernier le retrait
de — la terre des mains de l'acquéreur étranger contre
remboursement du prix (22). Elle permet la récupération
des terres perdues par le groupe. Au sein du groupe lui
même, le plus proche parent de 1 'aliénateur peut, grâce
à la c h e f a V < ,s'opposer à toute transmission des terres
entre les tentes (23). La chefaà empêche toute concentration
foncière au détriment du groupe ou au sein de ce dernier.
Elle maintient pour le groupe et surtout pour les tentes
une des bases de leur cohésion : la propriété collective
et la propriété^ indivise. _ _

(22) Marcv (G), le droit coutumier Zemmour, Paris,Larose,1949 .


p. 1 6 8 .
(23) Marcy (G), op-cit p. 1 69
La dimension de chaque collective t é ,sa place dans la
généalogie,est déterminée par la fonction qu'elle remplit.
Le douar est l'unité économique nécessaire à la mouvance
régulière du groupe.Un ensemble de douars groupés forment
la taqbilt.Unité politique et militaire immédiate,elle constitue
leur cadre de défense e t •les représente au niveau intertribal.
La collectivité Aït Zekri qui regroupe les trois taqbilts
existe pour faire face aux autres groupements de tribus(24)*
Elle se dissout dans l'immensité du groupement Zemmour lorsque
la dimension du groupement opposé l'impose. Ce sont les
Zemmours qui se révoltent contre le Makhzen et entrent en
guerre contre les Beni Hsen,les Beni Mguild..Cependant les
bases de la soljjiarité (économique,polit ique, militaire)
ne sont pas représentées par les Aït Zekris en termes explicites
parce que obstraites. „ ■

La solidarité sociale est,à tous les niveaux de la


segmentation,symbolisée par l'attachement à un nom commun.

(24 )- Les Aït Ouribel en guerre contre les Houderrans disaient ï Houder
A ou Zekri,A d'Outkh A Houderri.baisse toi ou Zekri pour que je tire
sur les Houderris.Les Aït Zekri étaient les alliés de Hourouran et ennemis
des Aït Ouribel. informateurs Aït 'Abbou.
3 !. K
O -* -T
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^ t ï?<■ CJ* S
Cf> i* r5
rrv -x
— * f* f 3

KHFZAZm
D E U X I E M E C H A P I T R E

L 1O R G A N ISA T ION P O L IT IQ U E
L étude de l'organisation politique iniplique l'identifica­
tion des facteurs qui maintiennent l'ordre social aussi
bien au sein des Aït Zekri qu'au niveau de leurs relations
extérieures. Une première question s'impose : dans quelle
mesure le Makhzen a-t-il assuré l'ordre au niveau des Aït
Zekri ?

Section 1 : La quasi-défaillance (1) du Makhzen.

Sous Moulay Sliman, les Zemmours commandés par le caïd


Bel Lghazi étaientsoumis au Makhzen. En 18 18 (H.1234) ils
participent à côté des ‘Arabs du Gharb, les Guerwans et
les Aït Idrassen à l'expédition organisée par le Makhzen
contre les Zaïans. Venus pour les combattre, les Zemmours
s'allient à eux et attaquent ensemble les vÀrabs et la Mehalla
du Sultan auxquels ils font subir une grande défaite (2).
Les Zemmours passèrent à la révolte ouverte contre le Makhzen
sous le commandement de Bel Lghazi. Ils participèrent ainsi
à la révolte berbère de Bou Beker Amhaouch. Ils assiégèrent
Meknës pour libérer les berbères que Moulay Sliman avait
emprisonnés. En 1820 (H. 1236), le caïd Bel Lghazi soutenus
par les cavaliers Zemmours et Beni Hkem, ainsi que EL Hassan
ben Hammou Elmtiri, chef des Aït Idrassen pénétrèrent dans
Fez et choisirent comme Sultan Brahim Ben Yazid (3)-
En 1822 (H. 1238) le caïd Bel Lghazi mit un terme à la
révolte des Zemmours. Il manifesta son obeissance en apportant
au sultan Moulay 'Abderrahman ses présents et sa bey'a |. Le
Sultan en fera son conseiller, et pour affermir ce lien
le mariera à l'une des concubines de son oncle.

(1)- Les termes,"quasi-déffaillance","insoumission"..ne sont guère innocents


dans la mesure où ils ne décrivent les rapports entre Makhzen et collecti­
vités, qu'en tant que rapports négatifs en se référant implicitement à
d'autres rapports où l'Etat est arrivé,relativement,à tout centraliser.
Ils laissent sous-entendre que les rapports entre les collectivités tradi­
tionnelles et le Makhzen constituent un défaut du système,une lacune..En
réalité,les rapports entre Makhzen et tribus ne sont en soi,c'est-à-dire
en dehors de toute comparaison (quoiqu'il est difficile,voire impossible
de se passer de telles comparaisons),ni pathologiques,ni anormaux. .Ils
ne prennent ces significations qu'une fois ces rapports mis en relation
avec d'autres rapports nouveaux,et à caractère centralisateur. .
(2) Naciri (S) ,Kitab al istiksa,chronique dela dynastie Alaouite du
Maroc,traduction Fumey. Arhives , marocaines,Vol X,Paris 1907, pp.51-52.
TT5 Lesne (M), Les Zemmours,essai d'histoire tribale.Revue de l'occident
musulman,n° 4 , 1967, p*5 1 *
le caïd Zemmouri accompagnait souvent le sultan à Marrakech,
cependant cette confiance et cette intimité ne durèrent
pas longtemps. Le sultan le fit arrêter et exiler dans l'île
d 1Essaouira ou'il terminera ses jours (4).

Après la mort de leur chef en 182 5 (H.1240),les Zemmours


se révoltèrent de nouveau contre le Makhzen,le commandement
est alors assuré par le caïd Echcherif de la tribu Qabliyine.
Jilali ®en Mbarek des Aït Belkacem lui succédera (5)* Les
Zemmours auraient,par la suite,été divisés en cinq Khoms:

- Aït Zekri : caïd Si Elghazi des Aït 'Abbou.


- Beni 'Ameur : caïd Hassan des Khezazna.
- Houderrane : caïd ben Toumi
- Messaghra : caïd Hammadi Ben Hammou.
- Beni Hkem : caïd Bel 'Abbés.

Selon Querleux, deux caïds seulement se partagent le


commandement des zemmours après la mort de Bel Lghazi: le
caïd Jilali Mbarek des Aït Belkacem commandait le Khoms
des Aït Zekri, les autres Khoms étaient sous les ordres
du caïd Toumi des Aït Sibeur (6). Si les renseignements
collectés par les auteurs français restent imprécis et
hypothétiques, parce que basés sur les souvenirs des
informateurs, en ce qui concerne le nombre des caïds qui
commandent les Zemmours après la mort de BelLghazi; elles
s'accordent, néanmoins,sur la division des zemmours en Khoms.
Cette division en Khoms, opérée par le Makhzen,et ayant
déterminé une organisation intérieure des Zemmours en fonction
du paiement de l'impôt, traduit l'affaiblissement des Zemmours.
Une telle division ne peut être imposée que par la force
du Makhzen. Cependant, la première expédition punitive du
Makhzen ne date que de 1843 (H.»1259). Cette expédition est
partiellement decrite dans une lettre de Moulay ‘Abderrahman
envoyée à son fils et Khalifa Sidi Mohammed :
" (...) Voyant qu'ils (les Zemmours) persistaient à rester
aveugles,qu'ils ne voulaient pas revenir de leur passion,
malgré leur éloignement de leur pays, malgré le mal que

(4)- Al istiksaa pp 108-115. ' ~ '


(5)- Lt. Mortier.Rapport sur la question Beni Hsen,Zemmour,Ma'mora 1913-cité
par M. Lesne,les Zemmours:Essai d'histoire tribale,op.cit., p.55*
(6)- Cn.Querleux, Les Zemnours,Archives berbères,Vol.I 1915,P-23
29

leur c. fait la révolte, .malgré le pillage de leur récolté. .,nous


avons estimé que les combattre était légal,et que leur faire
la guerre ét^it défendre la religion et la protéger..nous
avons ordonné de leur prendre leurs biens et de les harceler
avec plus de rigueur,de les piller et de les incendier 1^
plus possible,et de les bloquer dans leurs montagnes..Partout
où on les rencontrait,ils étaient pris et massacrés. Chaque
jour les lances cueillaient les têtes de leurs chefs.. A
mesure qu'on les cherchait,ils s 'enfonçaient dans les montagnes
et s 'enfuiyaient.." (7 ).

Affaiblis,les Zemmours finirent par se soumettre au


Makhzen.Leur soumission sera concrétisée par la désignation
de trois gouverneurs Zemmours chargés par Moulay A^derrahman
de perpétuer la domination du Makhzen,par la contribution
de 50*000 Mitkal qu'ils s'engagèrent à verser au Bit El
Mal ("trésor publique") et par le contingent de deux cents
guerriers qu'ils devaient fournir à l'arr/ée’ du Makhzen.
La soumission des Zemmours étant éphémère,Ie sultan Moulay
Abderrahman était de nouveau contraint de le» rendre
droit chemin". En 18 54 (H.1269) le sultan quitte Meknês
pour les combattre. Il a fait lui même la relation de cette
expédition dans une lettre qui nous est' parvenue :"Il n
y 1a personne qui ignore la malice des Zemmours : elle est
plus noire que la nuit,et assez forte pour être comparée
à un torrent,.)". Ailleurs,il poursuit "..jusqu'a alors nous
avons livré combat à ces mauvais sujets dans_ 1 'endroit appelé
El Khemisât,mais les colonnes n'étaient pas suffisament
à l'aise pour les tuer,les piller.. pendant ces séjours et
ces déplacements,notre fils Sidi Mohammed••quittait ER Ribat
et s'installait à Tiflet, qui était le centre des révoltés
et le lieu d'étape des oppresseurs) inictues* ^-e rapprochement
des deux Mehallas causa à ses révoltés ur;e grande surprise.. (8 )
Le Makhzen multipliera ses expéditions et chaque année le
Sultan et son fils razziaient les Z e m m o u r s ,détruisaient
leurs cultures et leurs propriétés. Les Zemmours s enfuiyaient
dans les montagnes.' Epuisés, ils se soumettaient ,mais ils
ne tardaient pas à se révolter dès que leurs forces se
reconstituaient. En 18 58 (H.1275) Sultan s installe à

T7P Lettre SI ïi? Rijëb 1259 f1 W 1 -Istiqssa op.cit.,pp.1b3-16 4 .


Voir annexe I. ,nn
(8 )- Lettre du 26 Dou Lquida 1269 (1854). Istiqssa.op.cit, pp.190 îyz.
Voir annexe II.
Meknes qu'il quitte à plusieurs reprises pour châtier les
Zemmours. C'est lors d'une expédition contre ^ es Zemmours,
qu'il est atteint de la maladie dont il devait mourir en
1859 (H.1276).

Son fils Sidi Mohammed réussira tardivement,à soumettre


les Zemmours. Ces derniers prenderont le parti de Sidi Mohammed
lorsque les Beni Hsen,les Guerwanes, les Beni Mtir et les
Mejjats assiégeront Meknes. Sur invitation du Sultan ils
protégeront ses habitants. En récompense le sultan libérera 1
Jilali Ben Mbarek caïd des Aït Belkacem , emprisonné
à Mogador par Moulay ' Abderrahman. Plusieurs caïds receveront
leurs investitures du Sultan. Les premiers furent El Haj
Rezzouk El Wahioui (Aït Wahi),Mohammed Echcherif (Kabliyine),
Ould Toumi Es-sibeurni (Messaghra,Aït Jbel Doum), D'autres
caïds furent nommés à la tête de chaque tribu (9)- Le
commandement unique des Zemmours n'était plus qu'un souvenir.
Les petits commandements se multiplièrent. Les Aït Zekri
échappent à l'autorité des caïds Kabliyines pour se placer
avec les Aït Ouribel sous les ordres de Mohammed Ben Chahboun
El Wahioui. En 1880, les Aït Belkacem se séparent des Aït
Zekri, ils sont commandés par Bou' azza Ould Immas . *En 1892,
presque toute les tribus Zemmours avaient chacune leurs
caïds : Aït ‘Abbou (Elghazi), Aït Wahi (El H a s s a n ) , Aït Belkacem
(Mohammed El Idiri) (10).

En 1877 (H.1293) le successeur de Sidi Mohammed traverse


le territoire des Zemmours qui lui témoignent leur obéissance
par les présents mis entre ses mains. Ils s'engagent aussi
à payer l'impôt et à fournir le contingent au Makhzen (11).

Sous Moulay Hassan, les expéditions connurent un intermède.


Au printemps de l'année 18 8 1, le sultan en route vers Marrakech
pose pacifiquement sa Mehalla au lieu nomme depuis Dar
Soultane (12). A partir de cette date les Mehallas purent
camper chez les Zemmours sans avoir recours au Baroud (la
poudre).En 1895, la Mehalla de Moulay ' 'Abdelaziz pourra

(9 )- Lesne (M),Essai d'histoire tribale:les Zemmours.op.cit,p.5&«


(10)- Lesne (M),Ibid, pp 62-03
(11)- Naciri (S).Istiqssaa,op.cit, p.310; ,
(12)- Arnaud (L),Au temps des Mehallas ou le Maroc de_I00O a—
Ed. Atlantides,Casablanca ,1952,p.60.L'informateur Lhaj L arbi des Ait
Wahi a vécu cet événement . selon lui le Sultan était bien accueilli.
31 '

ainsi quitter Fez et traverser le pays Zemmour. Mais cette


trêve était illusoire.En 1902 la Melialla ne put continuer à rendre ses
visites pacifiques aux Zemmours (13).Elle fut obligée
d'emprunter la route des Beni Hsen pour se rendre de Rabat
à Meknès. Renforcée par des tribus chaouia,Doukkala, 'Abda
et Hmar,la Mehalla du Sultan partira,la même année,pour
tenter de soumettre les Zemmours. Mais cette expédition
fut interrompue,la Mehalla sera obligée de revenir à Meknès,
Bouhmara appuyé par les tribus Riyats menaçant alors Taza.(14)

En 1903,les Zemmours sont intégrés par le sultan dans


la Mehalla conduite par le caïd Mehdi Elmenebhi pour aller
combattre Bouhmara.

C'était oublier l'intermittence des soumissions - et


des insoumissions - Zemmouries. Pour cette expédition, le
Makhzen - en contre partie de leur soutien - leur distribuera
fusils et deniers. Sitôt armés et abondamment pourvus de
l'argent du Makhzen,les Zemmours désertent la Mehalla et
regagnent leur territoire, parés pour d'autres expéditions.(1 5 )
Quelques mois après, le Makhzen sollicite de nouveau leur
intervention. Arrivés à F^z,ils se désengagent après avoir
mis la ville et ses souks au pillage. Gorgés de butin^ils
préfèrent rentrer chez eux. La même année ils pillent le
souk de Meknès en compagnie des Guerwans,puis le marché
de salé.

C'est au début du règne de Moulay Hfid (21-3-1908) qu'une


nouvelle Mehalla est envoyée punir les Zemmours ,sous le
commandement du caïd .Boukhobza.Cette expédition se soldera
par un echec,la Mehalla s'enfuyant vers Fez "comme des lièvres
chassés par des Sloughis" (16) (variété de lévriers d'Afrique).

( 13 )-"L' anonyme de Fez" compare le sultan Moulay 'Abdelaziz^ qui ne quitte


pas son palais à son père' Moulay Hassan:"l'aigle vit dans les airs et
habite les déserts,tandis que le coq erre autour des maisons.La force
de l'aigle lui confère un pouvoir absolu;mais le coq,que peut-il faire
sinon effrayer les poules quand il chante."cité par M. Lesne in Les Zemmour,
Essai d'histoire tribale,op.cit,p.67
(14)- L. Arnauld, op.cit, pp. 115. 167-170
(15)- Ibid',p.184 .Selon Querleux les Zemmours ont emporté. 4000 fusils.
op.cit, p.60.
(l6)-Ainsi decrite par l'informateur de L . Arnauld.L . Aman 1ri’ op.cit,p.267 «
32

Les rapports entre le Makhzen et les Zemmours ne furent


donc jamais stables ni permanents. C'étaient des rapports
pour ains.» dire en pointillé. Ils se caractérisent rar cette
alternance entre une soumission précaire et une insoumission,
qui même lorsqu'elle n'est pas réelle est toujours potentielle.
Si l'insoumission est une négation de toute relation entre
le Makhzen et les Zemmours,comment définir alors,à partir
de cette chronique partielle,la "soumission" en tant que
rapport entre le Makhzen et les Zemmours ? Quel est le contenu
de cette "soumission" ?

Chaque fois que le Sultan soumet les Zemmours,il prend


à leur égard trois types de mesures. Tout d'abord,il désigne
des caïds ou gouverneurs ( 'Amils) pour les commander • le
pouvoir du Sultan est à ce niveau 1imité,puisque,les chefs
doivent être Zemmouris et acceptés par la population. La
nomination n'est jamais sultanienne,elle est un compromis
entre la volonté du sultan et celle des Zemmours. Le Makhzen
ne commande pas,il négocie. Les caïds Zemmours,simplement
reconnus par le sultan et non investis d'aucune autorité
politique,n 1avaient pas le pouvoir de donner les ordres,ni
d administrer des sanctions.Leurs activités,non soutenues
par> la menace de la force physique,sont faiblement dirigées
vers le maintien de l'ordre. A la fin du XIX° siècle,les
caïds n'arrivent pas à étendre leur autorité à toute la
tribu.Trois caïds : Haddou Elma' ti (17),Bou Tayeb Hammadi
et Hammadi Ben Mohammed se partagent le commandement des
Aït Abbou (18).Les Aït Belkacem avaient deux caïds : Hammadi
ou Abbou et Haddou Beloua (lÇ)-Seul le caïd Chahboun a
pu commander toute la tribu Aït Wahi .

Ensuite le sultan les oblige à payer l'impôt. A la fin


du XIX° siècle^ce sont les représentants du sultan,généralement
les caïds des Cherardas: Ben Driss,Ahmed Zirari ou Ben Chliha

(17)-Voir les Dahirs d'investiture du caïd Haddou Elma' ti.Annexes 4 et5


(18 )-Haddou Elma' ti était caïd sur les Aït 'Ali, Aït 'Azzouz ou 'Ali et
les Aït Talha.Bou Tayeb Hammadi sur les Aït Hmiddan et Aït Hemmou Kessou.
Hammadi Ben Mohammed sur le Aït Makhlouf. f-
(19)-Le caïd Hammadi ou ' Abbou commandait les Aït 1 'Aqoub,Haddou Beloua
les Aït Belkacem Tehtaniyine.informateur Lcaïd Hammou.(Aït Belkacem).
qui assurent la répartition de l'impôt entre les tribus
Zemmours. (20 ) .
La présence de la Mehalla du Sultan était nécessaire à la
perception de 1'impôt;elle oblige les "récalcitrants" à
payer. Pour cette perception les Zemmours sont divisés en
cinq Khoms: les Aït Zekri,les Messaghra,les Aït Mimoun,les
Aït Jbel Doum et les Beni Hkem-. Chaque Khoms compte plusieurs
rba s (quart),les Aït Zekri comprennent trois rba's:
- Les Aït Ouribel et les Qabliyines. .
- Les Aït Wahi,les Aït 'Abbou et les Aït Belkacem
- Les Beni 'Ameur (21). „
Enfin,le sultan impose aux Zemmours de fournir des contingents à
l'armée du Makhzen.

En dépit de ces mesures intermittentes qui ne traduisent en fait,


que sa défaillance.Le Makhzen était loin d'assurer l'ordre en pays Zemmour.
Il importe donc de s'interroger sur le point de savoir comment s'organi­
saient les Aït Zekri en dehors de l'autorité suprême du Makhzen?
Section 2 : Le maintien de l'ordre intertribal.

Selon la théorie segmentaire les fonctions du maintien


de l'ordre,dans une société segmentaire,sont remplies par
l'équilibre et l'opposition des groupes sociaux et par le
rôle d'arbitrage assuré par les lignages sacrés.L 'ordre
n'est pas maintenu par des agents de coercition ou par des
institutions pollitiques spécialisées à l'intérieur du groupe
social,mais par\ une menace externe.C 1est la structure en
arbre qui assure,pour n'importe quel conflit et à chaque
niveau,des groupes rivaux qui sont les uns pour les autres
des menaces extérieures. A tous les niveaux de la segmentation
chaque groupe social a son opposé. Le système'.-, est maintenu
par la répartition des oppositions sur tous les niveaux.
Les groupes de chaque niveau s'opposent et s'équilibrent •
les uns les autres. C'est cette opposition équilibrée des
groupes sociaux qui assure le maintien de l'ordre.

" Le conflit peut surgir n'importe où. Deux frères peuvent


se quereller pour l'usage, d'un outil,deux cousins peuvent
se quereller pour un champ,deux clans I dans un village au
sujet de l'entretien d'un canal d'irrigation,deux villages

(20)- CneJguerleux, op.cit, p.41*


(21)- villes et tribus du Maroc.Rabat et sa région, Tome III,les tribus
Ed. Leroux, Paris 1920, p.ÎÇH.
peuvent se quereller au sujet d'un pâturage,deux tribus
peuvent entrer en conflit à un grand marché.Dans une société
anarchique,acéphale,chaque fois qu'un conflit surgit..Ce
n'est pas la peine d'appeler la police ou le gouvernement
pour se protéger et arranger 1 1affaire..On ne peut qu'espérer
que la loyauté et la cohésion du groupe seront activées par
la menace de l'autre groupe" (22).
Le second élément qui contribue au maintien de la paix est l'arbitrage
des saints.La fonction d'arbitrage que les saints remplissent est due
surtout à leur neutralité-les saints sont au dessus des oppositions
segmentaires-et à leur pacifisrae-les saints ne portent pas d'armes.

Dans .quelle', mesure le modèle segmentaire peut-il-être


appliqué à la collectivité Ait Zekri ? Avant d'apporter
quelques éléments de réponse à cette question,nous allons
identifier et examiner les institutions au moyen desquelles
les relations,d 'alliance ou de conflit, sont organisées
re les Aït Zekri et les autres tribus.

La Tata

L'institution Tata désigne une alliance entre deux tribus.


Dans la société traditionnelle Aït Zekri , la Tata est scellée
par la cérémonie de blaghis (babouches) : Deux hommes sont
choisis pour représenter les deux tribus désirant s'allier
par la Tata. Chacun a pour fonction de recevoir des membres
de sa tribu leurs "chaussures droites qu'il place sous un
Selham (grande cape avec capuchon).Ensuite ils tirent au
sort (2 3 ) deux chaussures dont les propriétaires sont désormais
liés par la Tata. Le tirage au sort se poursuit jusqu'à
ce que chaque membre des deux tribus ait connu son "ou Tata".
La cérémonie terminée, chaque membre de la tribu acceuillante
invite son "ou Tata" auquel il offre un sacrifice. Un mois
plus tard,la tribu acceuillante se rend chez la tribu hôte
qui fait de même (24).

(22)- E. Gellener, comment devenir Marabout? , op.cit,pp.16-17.


(23)- Les Ait Zekri disent :"Tji Tatek Bel Ferda" ■
(24)- Informateurs Lahsen Ben Bouciazza - ''caïd Hammou. Lhaj Haddou et
plusieurs informateurs Aït 'Abbou.
Voir aussi: G.H. Bousquet. H.Bruno, les pactes d’alliances et de protection
chez les Berbères du Maroc central, Hesperis, 1946, p.166.
La Tata impose un double engagement : l'"ou Tata" est
engagé envers tous les membres de l'autre tribu Tata, et
spécialement envers celui que le sort lui a désigné.Elle
entraîne des obligations strictes. Les Aït Tata,se considèrent
comme frères,ne peuvent se marier entre eux (25).Ils doivent
marcher pieds nus lorsqu'ils pénétrent dans le territoire
des "ou Tatas" qui est considéré comme sacré. Il leur est
interdit de piller,de voler,d 'employer entre eux de mauvaises
paroles.Cependant la Tata n'implique pas l'assistance en
cas de guerre.

Semi-nomades,les Aït Zekri doivent traverser dans leurs


déplacements le territoire d'autres tribus et être acceuillis
par d'autres. leur mouvance est facilitée par la Tata: le
troupeau et les tentes peuvent être envoyés chez les ou
Tata en toute confiance.La mouvance du groupe exige la Tata,
et celle-ci n'existe que chez les grandes tribus mouvantes
du grand Atlas et surtout du moyen Atlas (Aït 'Atta,Zaïan,
Beni Mtir,Aït Youssi,Aït Sadden.).Au delà de la ma' mora,dans
le Rharb,la Tata n'est pratiquée que par les Beni Hsen et
plus particulièrement par les tribus voisines des Zemmours
(26). La sécurité des hommes et de leurs troupeaux résulte
de cette institution qui remédie à la carence d'une autorité
centrale. Le Makhzen n'a d'ailleurs que mépris pour cette
institution ...Elle est sévèrement jugée par Moulay 'Abderrâhman qui
écrit dans une lettre au sujet du caïd El 'Amri des Beni Hsen:"Il a préféré
les coutumes des berbères à celle des arabes;Il a voulu gouverner les
Beni Hsenen s'appuiyant sur les Zemmours; Il prendchez les premiers
chevaux et argent et les distribue exclusivement aux seconds..Plus grave
encore , il s'est rendu coupable d'une vilénie inconnue

(25)- La Tata semble être a l'origine conclue par le recours au procédé


symbolique de colactation:deux groupes de femmes des deux tribus procèdent-
à l'échange de leurs enfants nourrissons .Le terme Tata paraît signifier
etymologiquement l'action de prendre le sein,d'être allaité (G.Marcy.cité
par M.Lesne .Les Zemmourévolution d'un groupement berbère,op.cit.p.60).
cette parenté sociale par le lait expliquerait l'interdiction du mariage
entre tribus soeurs.Les Zemmours connaissent une grande Tata et une simple
Tata.Les grandes Tata n'existent qu'avec des groupes et tribus restreints.
Certaines obligations-interdiction du mariage par exemple - ne sont
observées que s'il s'agit de la grande Tata.Aujourd'hui,les Aït ' Abbou
ne peuvent pas se marier avec les Zhanas. La grande Tata existe entre
les Aït Belkacem et les Serghinisi des Aït Mimoun (Aït Jbel Doum).Elle
se déduit de plusieurs contes 'qui ont pour point commun :1a métamorphose
des objets volés par les ou Tata en animaux (cable - serpent.Sacs de
blé - porcs..) Voir infra. p. gg
(26)- J.Lecoz, le Rharb.op.cit,p.350.
36

dans sa lignée en acceptant de passer avec eux le pacte


Tada,auquel aucun homme digne,aucun arabe de bonne naissance,
n'aurait souscrit; il a accepté de suivre leurs coutumes
anté-Islamiques (Jahiliya),de partager avec eux le repas
traditionnel préparé à cet effet,de venir chez eux déchaussé
et tête nue pour que,la cérénomie s'étant déroulée dans
les formes,ils aient confiance en lui et le considèrent
comme un des leurs."(27).

L 1ou Tata est aussi un garant,en cas de vol ou de meurtre.


Lorsque l'auteur du Vol présumé appartient à une tribu Tata,
le plaignant doit désigner dix co-jureurs de la tribu du
prétendu voleur qui doivent prêter serment pour que leur
frère soit disculpé. Ne connaissant pas les hommes de l'autre
tribu,le plaignant confie le choix des témoins et co-jureurs
sérieux et honnêtes à son ou Tata qui lui a été désigné
au cours de la cérémonie (28).En cas de meurtre c'est l'ou
Tata du parent le plus proche de la victime qui prend sa
défense dans la tribu de l'auteur du meurtre. C'est lui
qui est chargéd'obliger l'auteur et à défaut sa Jèma'a à
payer la dia (rançon pour meurtre,prix du sang) aux parents
de la victime (29).

La Tazettat ’

La _Tazettat (en arabe le Mezrag) est une protection


I • -
( 'i-'Aa-.-i 1 ) demandée par un étranger (non Zemmour) afin de
traverser en sécurité le territoire des tribus insoumises.
L'étranger se rend chez une personne courageuse et influente
et lui demande la Tazettat.
L 'Azettat (le protecteur) l'accompagne lui même ou le fait
conduire par l'un de ses parents ou esclaves moyenant
une rétribution appelée Tazettat.Arrivé à la limite de la
tribu,1'Azettat se décharge de la protection de l'étranger

(27)- Ibn Zaïdan,Tome V p.80,cité par A.Laroui,les origines sociales


et culturelles du nationalisme marocain,(1830-1912),F.Maspero,1977 *P*165*
(28)- Querleux,op.cit.p.41•
(29)- Lcaïd Hammou des Aït Belkacem m'a raconté que son frère a été tué
par un Qotbi,au temps de la Siba,et que c'est son ou Tata chez les Qotbiyine»
qui s'est chargé' de payer la dia qui consistait en 40 chèvres, 5000 riaux
et deux vaches.
ï "■ ' ........................
i TRIBUS | Tribus alliées par la TATA
| Ait Zekri 1 ........ .
| Selon M.Lesne (30) Selon les informateurs Aït Selon G.Marcy (31) 1
1 Zekri
1
| - Qotbiyine - Qotbiyine Qotbiyine |
j - Aït Ouribel - Aït Ouribel
j - Ait Helli (Ait Jbel Doum) - Aït Helli (Aït Jbel Doum)
| -Aït 'Ali ou Lhasane-Aït 'Abbou
| Aït Wahi | - Mzourfa - Aït Belkacem
| - Aït Bouyahya - Hejjama
| - Qabliyine - Khezazna
| - Aït Izzi,A.Bouchlifen,Ijanaten
| Aït Henou 'Addi (Houderran)

37
| - Shoul - ' Ameur (Beni Hsen)
| -Aït 'Ali ou Lhassane - Aït 'Ali ou Lhassan
j - Aït Wahi - Aït Wahi
| - Qotbiyine ^ Qotbiyine
| - Mzourfa - Aït Bou Yahya
j - Aït Yaddine ’ - Serghini (Aït .Jbel Doum)
| Aït Belkacem | - Shoul,Houssein,'Ameur(Beni Hsen) 1 - M'arif (Houderran)
| - Oulad 'Aziz,goureinate, Haoùamed
j (Za'er) Qabliyine |
| - Aït Ouribel - Aït Ouribel
j - Aït Wahi Aït Wahi , |
| - Kabliyine Qabliyine * |
| Ait ' Abbou | - Qotbiyine - Hejjama- Mzourfa - Houderran
| - Khezazna - Houadif (Messaghra) - Mouarid
| - Aït Zbaïr - Zhana (groupe étranger installé
| - Aït Youssef (Aït Jbel Doum) chez les Aït 'Abbou)
1
(3^'- M.Lesne, Evolution d'un groupement berbère : les Zemmours op.cit.pp 64-65
( *l)- G.Marcy, le droit coutumier /f-mmour . o p . cit. p.l63
38

sur un nouvel Azettat. Le protégé est ainsi remis d'un


protecteur à un autre jusqu'à sa destination.

Le mot Tazettat serait le démunitif d'Azetta qui désigne


le tissu,1 1étoffe tissé.Il semble qu'à l'origine les protecteurs
remettaient seulement une Tazettat en signe de leur
< protection (32). Le Mezrag qui signifie lance aurait la
même origine.La personne qui accordait le Mezrag remettait
sa lance au protégé. Dans d'autres tribus berbères le protecteur
est appelé El Kassi (celui qui donne le vêtement) parce
qu'il donne à l'étranger un Kisa (vêtement) qui est montré
en cas d'atteinte à sa personne ou à ses biens,le Kissa
étant connu pour appartenir au protecteur (33)-

De Foucauld était obligé de recourir à cette institution


pour traverser le territoire Zemmour. Il écrit le 27 Août
1883 "•11 enfin je quitte Meknâs. Nous partons plus nombreux
que je ne pensais..Six ou huits musulmans pauvres qui se
rendent dans le Tadla,puis deux juifs de Bou El Djad qui
regagnent leur pays. De plus, nous faisons route jusqu'au
Tlatta Ez-Zemmour avec une caravane d'une cinquantaine de
marchands qui vont à ce marché. Nous sommes ainsi près de
soixante cinq : un seul Zettat nous protège tous ; c'est
un homme des Zemmours Moulay Ez-Zaïr" (34).

Les Zemmours connaissent une autre institution, l'amur,


qui à la différence de la Tazettat, est accordé à l'hôte
ou au réfugié Zemmour .L 'Amur ne comporte aucune rétribution(35)

La Khawa

Si la Tata régit les relations entre les tribus en temps

(32)-G.H .Bousquet,H.Bruno,les pactes d'alliances et de protection chez


les berbères du Maroc central,op.cit,pp.36 1-3^2.
(33)-G.Salmon,les institutions berbères.Archives marocaines,Tome 1,1904»
p . 136 ^ ^
(34)-Ch.De Foucauld,Reconnaissance au Maroc,Paris,sociétés d'éditions
géographiques,maritimes et coloniales,1939. p.106.
(35)-Les Aït Ouribel et les Ou Dhbib (Houderran) n'ont pas respecté l'Amur
donné à un ou Zekri.Ce non respect,conçu comme une honte,a fait l'objet
d'un "poème" chanté par un anechchad (poète)Zekri,qui commence comme
suit :
Amou ou Dhbib, Amou Ouribli, Cha Amùr ou tigui.
Tel l'ou DhbibjTel 1'Ouribli,les deux n'ont pas respecté l'Amur
(informateurs Aït 'Abbou).
39 !

de paix et ne comporte aucune assistance militaire,la Khawa


(fraternitélmot arabe qui s'est substitué au mot berbère
Tagmat) est une alliance qui organise les relations inter­
tribales en temps de guerre. La Khawa engage les deux tribus
alliées à s'assister et à s'entraider militairement.La tribu
en guerre qui désire l'aide etle secours de l'autre tribu
Khawa lui offre un sacrifice que les Aït Zekri appellent
t 'arguiba *1Ce n'est pas le sacrifice qui engendre l'alliance
qui existe déjà,le sang versé ne fait que la renouveler.Les
tribus Khawas sont connues et les sacrifices ne peuvent
être offerts et acceptés que par ces tribus.Cette restriction
est nécessaire pour créer et maintenir un équilibre militaire
entre les tribus. La Tata existemême avec une tribu ennemie,
elle est compatible avec le Baroud.La Khawa doit être précise
et restreinte à certaines tribus sur lesquelles les Aït
Zekri peuvent compter.Les Aït Zekri désignent les tribus
Khawas de "frères dans le baroud ”(à j j LuJ \ ce sont les
Aït 'Ali ou Lhassan,les Khezaznas et les Houderrans.En guerre
contre les Aït Ouribel,les Houderrans i demandent l'aide
aux Aït Wahi et Aït Belkacem.(généralement l'aide militaire
des Aït *Abbou n'est pas sollicitée. Car ils se situent
au milieu des tribus ennemies,les Aït Ouribel et les Qabliyines.
Leur situation les oblige’ à conserver une certaine neutralité).
Les Aït Ouribel en revanche demandent de l'aide | à l'une
de leurs tribus Khawas qui sont les Qotbiyines,les Kabliyines,
les Mzourfasjet les Hejjamas. Les Aït Zekri à leur _tour ne
peuvent demander l'appui qu'aux tribus auxquelles ils sont
liés par la Khawa. C'est ainsi que les Aït '"Abbou,vaincus
par lesAït Ouribel,se sont réfugiés chez les tribus Khawas:
les Aït Makhlouf chez les IHouderrans], les Aït 'vAzzouz ou
'Ali ont préféré rester chez eux et ils ont demandé 1 'Amùr
aux Aït Ouribel (36).

L 'Issi .

Lorsque deux tribus désirent rétablir la paix, Elles


concluentun J'ahd (pacte) appelé : l'Issi (du verbe Assi
qui signifie porter). Elles désignent deux Amassays (littérale­
ment celui qui porte, en arabe reffad,du verbe Rfed qui

(36)- informateurs des 3 tribus.


ra
40

signifie lui aussi porter) qui échangent entre eux leurs


Selhams et s'engagent ainsi à vivre en paix et à empêcher
leurs tribus respectives de commettre tout acte suceptible
de ressusiter le conflit armé. Ils sont obligés,par exemple,
de restituer les objets volés par leurs frères à la tribu
liée par 1 'Issi .L 'Amassay est donc un dhamen (garant) du
'ahd passé entre les deux tribus.
Le délai. de la trêve peut être prévu par les deux tribus. La
suspension des hostilités coïncidera alors avec le temps
nécessaire à la réalisation d'une activité indispensable
aux deux groupes (labours,moissons..).Le délai révolu,la
guerre reprend.Les hostilités pourraient également être
déclarées en dehors de la prévision de tout délai,dès que
les deux Amassays se sont mutuellement restitués les Selhams,
c'est la tararit (berbère : meraran du verbe rar : rendre,
arabe : traddou) (37)* L'Issi étant un accord mutuel entre
deux tribus,lorsque une|seule tribu épuisée ou vaincue souhaite
la paix,elle est obligée d'offrir un sacrifice pour cesser
la guerre.

La Khawa et 1'Issi traduisent une certaine maîtrise


: institutionnelle de la violence.Si la Khawa par la multiplica-
j tion de la violence qu'elle réalise,tend à diminuer de son
’ intensité,1'Issi constitue une mobilisation des tribus contre
.leur propre violence.

Chorfas e.t Zaouias

Les Chorfas d'Ouezzane avaient beaucoup d'influence


j en pays Zemmour.Ils ont joué de ce fait un rôle d'intermédiaire
entre le Makhzen et les Zemmours. En 1902 Moulay 'Abdelaziz
ne pouvant pas continuer les attaques contre les Zemmours
réfugiés a Tafoueït,laisse les Chorfas d'Ouezzane négocier
une trêve entre le Makhzen et les Zemmours. Ces derniers
ne répondirent à l'appel de la lettre de Moulay 'Abdelaziz
pour lutter contre Bouhmara qu'après avoir été sollicités
par les Chorfas d 'Ouezzane.Ils partent sous le commandement
de Sidi Taïbi,Cherif d'Ouezzane et grand ami des Zemmours.
Lorsque les Zemmours désertèrent la Mehalla,le Sultan

(37)- GH.Bousquet. H.Bruno,les pactes d'alliance et de protection chez


les berbères du Maroc central,op.cit, p.368~l
41

leur adresse pour les ramener à la Harka contre Bouhmara


un cherif Kettani et un cherif Ouezzani (3 8 ).L 1 influence
et la fonction des Chorfas d 1Ouezzane survivent encore dans
certains récits Zemmours :
"..De Khemissèt,Il (Moulay lAbderrahman) s'apprêtait à envoyer
les gens de sa Mehalla sur les divers points de notre territoire
pour accomplir les destructions annuelles lorsque nos amis
les Chorfas d'Ouezzane voulurent intervenir auprès de lui
en notre faveur..Le sultan les aperçut devina la raison
de leur visite.Il les arrêta., et leur dit ces seules paroles:
"Si c'est le pardon des Zemmours que vous demandez,votre
requête est inutile".Les Chorfas n'osèrent insister' et se
retirèrent.Mai s un jeune fils du chérif qui avait pu s'approcher
de Moulay 'Abderrahman l'avait pincé..Dès le lendemain la
meurtrissure infectée était invahie par les vers et Moulay
'Abderrahman gravement malade donna 1'ordre de rentrer
immédiatement. .A Meknès seulement on apprit sa mort.."(39)•

Malgré l'influence des Chorfas d'Ouezzane en pays Zemmours


leur fonction dans le maintien de l'ordre est faible parce
que intermitente. Ils interviennent raremment dans les rapports
extérieurs des Zemmours. Ils se contentent de -visiter les
tribus Zemmours et éventuellement d'intervenir pour -.concilier
les tribus en guerre ou trancher les questions u< dia..Ils
sont de ce fait hors jeu. les lignages sacrés Zemmours dont
le rôle constant peut être apprehendé, notamment les Chorfas
Khaldiyines des Aït Ouribel, sont au milieu des oppositions
tribales. Ils ne sont ni pacifiques,ni neutres. Ils portent
les armes et prennent le parti de leur tribu dans les guerres
intertribjales (40).Les Zaouias qui assurent dans leurs Horms
(lieu sacré et inviolable) la sécurité des caravanes, des
voyageurs et des réfugiés et jouent un rôle dans le règlement

(38)- M.Lesne, les Zemmour.' ,Essai d'histoire tribale ,op .cit,


pp.66 -6 7 . .
(39)- Ibid, pp. 57-58 le même récit m'a été raconté par le
Cheikh Oumannana 'Abdelkbir (Aït 'Abbou)
(40)- Le Naqib des Chorfas Khaldiyines (Aït Ouribel).
42

des différends intertribaux font défaut dans la collectivité


Aït Zekri et sont peu nombreuses et faibles dans les
collectivités voisines.

Section 3 : Le maintien de l'ordre tribal.

La Jema'a est. 'désignée par 1'éthnologiej coloniale comme


la seule institution qui assure l'ordre tribal. C'est l'organe
qui assure toutes les fonctions au sein de la collectivité
traditionnelle. R.Aspignon énumère les attributions de la
jema'a :

1°) politiques : c'est à la Jema'a qu'il appartient


de déclarer la guerre,demander la ■paix,envoyer les députations
aux tribus voisines pour régler des différends et conclure
des pactes (Tata,Talmat etc..)

2°) judiciaires : Lorsque un différend quelconque surgit


entres les membres d'un même groupement,la Jema'a i tente
d'arranger l'affaire '.Elle juge en dernier ressort.

C'est aussi la Jema'a qui sert de témoin pour la passation


de tout contrat (association,mariage,divorce,reconnaissance
de dette..). Ses attributions s1'étendent également le cas
échéant à la modification de la coutume.

3°) administratives : Au point de vu administratif,


la Jema a ;se charge des changements périodiques de campement,
des pèlerinages aux lieux Saints,du service de garde pour
la. securité du pays,de la réception des hôtes,de l'entretien
des mosquées,et des visites à faire aux tribus voisines.

C'est encore elle qui règle en conciliation,les délits


de pacage, le par.tage des eaux et terrains de labours..."( 41 ) •

Les ethnologues coloniaux qui ne pouvaient envisager


a priori que l'existence de fonctions séparées et distinctes,
recherchaient vainement les organes correspondant à ces
fonctions.La seule institution relativement organisée était

(41 )-R.Aspignon,contribution à l'étude Hn droit coutumier berbère Marocain


(étude sur les coutumes Zaïan),Casablanca,1946,pp.25-26.
43

la Jema a, par conséquent,toutes les fonctions devaient être exercées


par elles.La Jema a ' a été approchée et analysée à travers
des concepts et catégories juridiques propres à une évolution
historique étrangère aux collectivités étudiées. G.Surdon
a pressenti cette lacune méthodologique :" Il est très malaisé
de définir les attributions de la Jema'a ,rien de semblable
à cet organisme n'ayant existé,dans notre droit public.
Il serait inéxacte et vain d'essayer de répartir ses attribuions
en administratives,judiciaires et politiques ou d'y discerner
un pouvoir législatif, un pouvoir éxecutif et un pouvoir
judiciaire.il serait insuffisant de dire,s 1agissant notamment
de la Jema'ai de tri bu,q u 'elle est le gouvernement. Elle
est sans doute le gouvernement du groupement,mai s elle est
bien plus que cela. On peut dire simplement,qu1en raison
de sa composition et de la structure clanique de la société
berbère,rien ne se -règle sans elle dans le groupement.
Ses préoccupations constantes sont d'arbitrer les conflits,
de choisir les lieux de campement,de régler la transhumance
(••). En bref elle pense et agit pour le groupement. C'est
donc a peine assez dire que d'énoncer qu'elle détient toute
autorité."(42). ‘

Le caractère diffus de la Jema'a a été exagéré; certes


la Jema'a n'était pas spécialisée dans un domaine précis
avec des attributions précises,mais elle n'intervenait pas
partout dans la mesure où ses fonctions diffèrent selon
le niveau de segmentation auquel *elle correspond ( Jema'a de
douar, Jema'a de 1'Ikhs Akesouat, Jema'a de la Taqbilt). Ce
n'est pas la Jema'ai du douar qui décide la guerre ou la
paix avec les autres tribus comme ce n'est pas la Jema'a
de la Taqbilt qui consacre les mariages au niveau du douar.

Si la Jema'a n'a pas un domainespécial,elle n'a pas


non plus un domaine exclusif,el1e est concurencée par d'autres
institutions. Ainsi, un autre groupe Tata ou simplement
un groupe neutre peut arbitrer ou mettre fin à un conflit
opposant deux groupes en leur offrant un i sacrifice. Cette
résolution du conflit est appelée Moussaléha (conciliation)(43).

( 42)- G.Surdon,institutions et coutumes berbères au Magherb,


Tanger,Ed. Internationales, 1938, p .186.
(43)- Lhaj Larbi : Aït Wahi.
L'Argaz Akesouat (1! homme grand ou l'homme âgé) qui est
un homme respecté,courageux (Argaz Akesouat dans le Baroud)
et génereux (il doit avoir une grande Gas'a : ustensile
où l'on sert le couscous) peut remplir une fonction d'arbitrage
au sein de son groupe,il peut fixer la dia etc...

D autres institutions assurent la sécurité des personnes.


Un réfugié peut obtenir la protection d'une femme en faisant
le simulacre ,d'être allaité par elle. Cette protection est
tellement puissante qu'aucune personne ne peut lui porter
préjudice. Il peut l'obtenir également en se réfugiant dans
un sanctuaire ou dans la tente d'un tiers, ces lieux étant
inviolables (44).

Le Capitaine Querleux a constaté l'existence d'institutions


concurentes ou parallèles à la Jema'a chez les Zemmours
mais ne leur attribue qu'un rôle secondaire :"les réclamations
étaient portées en principe devant la ‘Jema'a ! ,qui pouvait
déléguer plusieurs de ses membres pour examiner le différend;
chacun des plaignants se présentait avec son Hamil , qui
répondait de l'exécution de la décision prise. Parfois aussi
les conflits étaient portés devant des personnages âgés,
connus pour leur caractère droit et impartial,leur connaissance
des choses juridiques, ou tout au moins la justesse de leur
jugement ."(45).

H .Bruno a aussi constaté dans la région de Meknès des


institutions qui arbitraient .les conflits en dehors de la
Jema'a : .."Lorsque la Jema'a n'a pas réussi à concilier les
parties ou lorsque l'affaire traîne en longueur devant elle,
les parties vont soumettre leur différend à un arbitre".
" Les litiges se règlent donc très souvent par voie d'arbitrage,
les parties désignant d'un commun accord un arbitre (Anechcham,
pl. Inechachamen; Anzerfu, pl. Inzurfa.) auquel elles soumettent
leur différend."(4 6 ).

( 4 4 ) - Les institutions qui ont la même fonction sont nombreuses


chez les Aït Zekri.
(45)- Cne Querleux, Les Zemmours,op.cit,p .43.
(4 6 )- H.Bruno,la justice berbère au Maroc central,Hesperis,
1922, pp.l87-l8in
45

La quasi défaillance du Makhzen et des lignages sacrés


privilégaient l'opposition équilibrée dans le maintien de
l'ordre . Gellner pense avoir trouvé ce que les ethnographes
français,par leur insistance à chercher des institutions
politiques ( Jema'a ,arbitres,chefferies..) n'ont pas découvert
à savoir le secret de l'organisation politique dans les
tribus insoumises : la répartition du pouvoir à l'intersection
des segments. Mais,1'opposition des groupes n'est pas abstraite
et ne se maintient pas d'elle même. Elle est institutionnalisée,
et elle n'est perceptible que dans ses manifestations
institutionnelles. La Khawa n'est autre chose que l'institution­
nalisation de cette opposition équilibrée au niveau intertribal.
C'est le complexe institutionnel traduisant les oppositions
et les alliances entre tribus qui assure l'ordre intertribal.
Au niveau tribal, les oppositions entre groupes sont également
institutionnalisées. C'est au sein de la Jema'a; où sont
représentés les segments( sociaux que se réalisent concrètement
les oppositions segmentaires. Toutefois, l'ordre ne résulte
pas seulement des manifestations institutionnelles des opposi­
tions segmentaires, d'autres institutions tellesque la Tazettat,
la Tata..contribuent au maintien de l'ordre sans être en
rapport direct avec les oppositions des segments.C 'est donc
la collaboration complexe de plusieurs institutions - ainsi
shématisées - qui maintiennent l'ordre au niveau tribal
et intertribal et non 1 'autorité'suprême,d 'une seule institution
(M a k hz e n , J e m a ' a .) ou d'un seul principe : la répartition
du pouvoir à l'intersection des segments. Cependant,même
si ces institutions contribuent au maintien de l'ordre,elles
ne sont pas pour autant des institutions politiques mais
à aspect politique. Elles sont multifonctionnelles et aucune
institution n'a pour objet exclusif et spécial le maintien
de 1'ordre. '
D E U X I E M E P A R T I E

LA DYNAMIQUE EXTERNE DE LA C O L L E C T IV IT E A I T ZEKR I

i
46 ‘

La connaissance des traits traditionnels principaux


de la collectivité Aït Zekri nous permet de comprendre comment
l'administration coloniale a agi sur les institutions tradition­
nelles Zekries et de saisir le changement institutionnel
entamé et maintenu par elle.

La classification des actions de l'administration sur


la collectivité traditionnelle présente l'avantage d'éviter
la simple déscription du changement institutionnel. La typologie
de l'action administative,fondée sur le critère du type
de "contact" entre les institutions nouvelles et les institu­
tions anciennes,comprend trois termes :

1) la formation d'institutions nouvelles : il importe


d'examiner tout d'abord les institutions introduites par
l'administration dans un domaine jusqu'alors marqué par
un quasi vide institutionnel,celui des rapports entre le
Makhzen et les collectivités traditionnelles.

2) la substitution d'institutions : l'étude portera


ensuite sur l'action administrative qui tend à substituer
aux institutions traditionnelles des institutions nouvelles.
Ces dernières seront confrontées,concurencées par les institu­
tions anciennes3contrai rement aux institutions introduites
par le protectorat pour organiser les rapports entre le
Makhzen
j.
et les collectivités traditionnelles.

3) la désorganisation d'anciennes institutions :


A la différence de la substitution d 'institutions,1'action
administrative ne remplace pas ici les institutions tradition­
nelles par de nouvelles institutions ;elle leur a simplement
imposé,par le biais de . la règlementation,des principes
nouveaux d'organisation et de fonctionnement. .

Une fois décrit le changement institutionnel(chapitreI)


il sera nécessaire de s'interroger sur la natüre du changement,
ses caractéristiques et enfin sur la continuation ou là
non continuation du,processus du changement par 1'administation
du Maroc indépendant (chapitre II).
P R E M I E R C H A P I T R E

LE CHANGEMENT IN S T IT U T IO N N E L
47

Section 1 : La formation d'institutions nouvelles

§1- Prologue : La liquidation du Baroud

Le 4 Wai 1911 Moulay Hfid demande l'appui du gouvernement


français contre les tribus environantes (Cherarda,Beni Mtir,
Ait Youssi ,Riyata..) qui assiègent Féz et bloquent toutes
les routes qui y conduisent. La France accepte d'envoyer
une colonne française sous les .ordres du Général Moinier
pour sauver Féz. Traversant le Rharb,la colonne est attaquée
à Lalla Ytto et Daïet 'Aïcha. Les Zemmours participent à
ces attaques. La colonne entre à Féz le 21 Mai 1911, après
avoir chassé les Aït Youssi,et entreprend aussitôt une série
d'opérations pour "sacrifier" la région de Féz.Les tribus
révoltés se soumettent mais provisoi rement ; le camp de la
colonne française à Dar Debibagh à Féz est attaqué par les
Aït Youssi, Aït Seghrouchen,Beni Ouraïn et les Beni Sadden
le 6 Juin 1911 (1)•

Le même mois,c'est le pays Zemmour que l'armée française


projette de "pacifier" en décidant l'ouverture d'une route
reliant Rabat à Meknès à travers les tribus Zemmours. Le
8 Juiller 1911 la route est ouverte par la rencontre de
la colonne Ditte partie de Rabat et de la colonne Moinier
venue de Féz. Cette route réalise,simultanément et paradoxa­
lement, la jonction entre le centre et le nord du pays, et
la division de la collectivité Aït Zekri : la route_ scinde
la collectivité en deux. Elle est le premier signe de la
domination militaire française au sein des Aït Zekri.

En même temps des postes où campent des garnisons françaises


sont établis,non loin des tribus Aït Zekri,à Sidi 'Allai
lElbahraoui,(camp monod),à Tiflet,à Khémissèt . et à souk
Larb' a (camp Bataille). Plus tard un nouveau poste est crée
au M*aziz (tribu Houderran)(2) .
L'armée Française n'a pas cessé d'avancer,le Général Ditte
atteint le coeur des Zemmour en pénétrant dans le territoire
Tafoudeit (tribu Aït Ouribel) et refoule les Zemmours chez

(1)-L.Arnaud :Au temps de Mehallas ou le Maroc de 1860 à 1912. Ed. Atlantides


Casablanca 1952 .pp< 29&-301. '
(2)-Villes et tribus du Maroc (Rabat et sa région) Tome III,les tribus,
Bd.Leroux, 1920 p.197.
48

les Zaïans. Cette opération est complétée par le Colonnel


Brulard qui rejette vers le sud les derniers Zemmours
résistants. Mais dès le départ des colonnes les Zemmours
retrouvent leurs emplacements. Les français réoccupent la
lafoudeit (Avril 1912) après un combat contre les Zemmours
et les Zaïans à Ouljat Soultan et y établissent un poste
qui est vite évacué. L'armée française, en effet, est obligée
de réduire ses troupes dans la région de Rabat pour mater
la révolté de Fez (17 Avril 1912) et marcher sur Marrakech
tombée aux mains d'El Hiba. Les Zemmours exploitent la
conjoncture et entreprennent de nombreuses Ilarkas. Aussi
les français décident d'établir plusieurs postes dans les
terrains de culture et de parcours et créent un groupe mobile
pour surveiller la Ma'mora (3).

Le traité conclu entre le Maroc et la France le 30. 3 .1912


pour "l'organisation du protectorat français sur l'empire
chérifien" consacre la pénétration militaire française
" Sa Majesté le Sultan admet dès maintenant que le gouvernement
français procède,après avoir prévenu le Makhzen,aux occupations
militaires du territoire marocain qu'il jugerait nécessaire
au maintien de l'ordre ".(4)

Ayant le soutien juridique du traité du protectorat


et l'accord Sultanien,1'armée française établit un nouveau
p oste à Tiddas (Novembre 1912).Du 25 Avril au 10 Mai 1913
Le Xieutnant colonnel Coudein parcourait toute la région
Zemmourie de l'Oued Beht à l'Oued Bouregrag (Aït Belkacem)
sans rencontrer aucune résistance. Les Zemmours sont refoulés
sur le plateau d'Oulmes leur dernier refuge,et point de
départ de leurs Harkas. Les troupes françaises attaquent
le plateau (Mai' 1913) et y créent un poste (5)- En Octobre

(3)- Ibid,pp.110-112.
(4)- B.O n° 1 du 1° novembre 1912, p.l.
(5)-"Au Tafoudeit,le colonnel Coudein,après avoir gagné l'emplacement
de notre ancien poste dans ce massif, a entrepris le nettoyage complet de ses
abords.Il a rejeté vers le sud les fractions dissidentes des Zemmours,usantde
tous les moyens pour rentrer en relation politique avec elles.puis il a gagné
enfin,le plateau de l'Ouïmes, région dominahfce du plus haut intérêt.Cette occu­
pation constitue une menace directe pour les Zaïans,une couverture efficace
contre les Zemmours insoumis,une liaison effective entre le pajisdes Beni Mtir
actuellement occupé par le colonnel Henrys et le sud de Zaer où opère le
colonnel Maugin." Situation politique du Maroc,semaine du 4 au 11 Mai B.O
n° 29 - 16 Mai 1913- P-132 '
49

1913> la pacification du pays Zemmour est officiellement


achevée. La menace des bombardements aériens empêchent les
Zemmours de recourir aux anciens regroupements des douars
t

et tribus pour faire face aux troupes françaises. Ce sont,


cependant ces regroupements qui constituaient leur force
contre le Makhzen. L'occupation militaire 'est à l'origine
de l'extinction de certaines institutionstraditionnelles
dont le fondement était la généralisation du port d'armes.
La Tazettat qui assurait la sécurité aux étrangers n'a plus
aucune raison d'être. Les étrangers qui devaient traverser
le territoire Zemmour escortés par des personnes influentes
ou des cavaliers Zemmours le font désormais les armes en
mains devant les Zemmours désarmés. La Khawa n'est plus
qu'un souvenir,les alliances militaires ne peuvent plus
exister entre tribus dépossédées de leurs armes. Les Zemmours
n'ont plus le droit, ni la possibilité de faire la guerre
entre eux, ni au Makhzen appuyé, depuis l'appel de Moulay
Hfid,par une puissance militaire.
La liquidation du Baroud constitue le point de départ de
la tendance au monopole du port d'armes,de la violence physique
légitime,trait caractéristique de l'Etat moderne et "lacune"
que le Makhzen traditionnel n'avait pas pu combler : "il
faut concevoir l'Etat contemporain comme une communauté
humaine qui, dans les limites d'un territoire déterminé
(...),revendique avec succès pour son propre compte le monopole
de la violence physique légitime. Ce qui est en effet le
propre de notre époque, c'est qu'elle n'accorde;à tous les
groupements, ou aux individus, le droit de faire appel à
la violence que dans la mesure où l'Etat la tolère celui-
ci passe donc pour l'unique source de "droit" à la violence"(6 ) .
Les tribus pa.cifiées ne peuvent exercer la violence que
si celle-ci est tolérée par l'administration coloniale.
C'est ainsi que les instructions générales du commandement
du général Lyautey prescrivent aux commandants de régions
de "réacoutumer les tribus rentrées dans l ’ordre à se défendre
elles même à ne pas faire constamment appel à notre appui
et à ne pas nous entraîner dans des occupations prématurées

(6)- Max Weber :1e savant et le politique.Union générales


d'édition. Paris 1974- pp.100-101.
50

ou excentriques ; leur rendre confiance en elles mêmes et


exploiter leur esprit guerrier pour leur défense propre
et celle de l'ordre général ."(7 ). Les armes qui circulaient
librement au sein des collectivités traditionnelles se trouvent
concentrées dans les postes. Le Zekri qui veut porter les
armes doit désormais s'inscrire à Dar Elàskri (maison du
soldat) à Khémissèt pour combattre non plus le Makhzen ou
• ^
les tribus n o n - K h a w a , mais les ennemis de la France en
Allemagne,en Italie, dans les territoires d 'outre-mer,en
Corée et en Indochine.

La tendance au monopole de la force légitime consacrée


par l'Article II du traité du protectorat est la condition
nécessaire* à toutes les actions ultérieures de l'administration
coloniale qui se trouvent résumées dans l'Article I du même
traité : "le gouvernement de la République française et
Sa Majésté le Sultan sont d'accord pour instituer un nouveau
régime comportant les réformes administratives,judiciaires,
scolaires,financières et militaires que le gouvernement
français jugera utile d'introduire sur le territoire
marocain." (8)

§2- La Centralisation Administrative :

En 1911,J .Ladreit de Lacharrière,qui accompagnait la


colonne Ditte pénétrant en pays Zemmour,écrivait :"aucune
organisation fixe n'éxistant chez les Zemmours,aucun personnage
n'étant investi d'une autorité autre que celle qu'il peut
acquérir par son courage ou son habilité,il s'ensuit qu'on
ne sait très exactement ce que représentent les individus
qui viennent demander l'"aman" et immoler le taureau de
"Targuiba". Quelle est l'autorité de ces gens ? font-ils
partie du çof le plus puissant ou de l'opposition ? Sont-
ce des gens de bonne foi ou des malins qui se préparent
des voies vers des caïdats futurs ?..Selon le proverbe local,
"chaque homme vaut ce que vaut son fusil". Aucune base ne
s'offre pour entreprendre des pourparlers et on marche un
peu vers 1'inconnu".(9)

X7JI B.O n°2, 8 Novembre 1912,instructions générales pour l'organisation


• (du| commandement.11 p. 11.
(8)- B.O, n°l, 1 Novembre 1912,p.1.
(9)- Cité par M.Lesne in les Zemmour. ,Essai d'histoire tribale,op.cit,
pp.71-72. ‘
51

L'auteur cherchait des institutions précises,des personnages


investis d'autorité, représentant les collectivités et avec
qui il est possible de négocier. Il ne pouvait savoir que
ce qu'il cherchait n'était autre chose que des institutions
que l'administration n'avait pas encore introduites.
" A mesure qu'une région est rentrée dans l'ordre y reconstituer
avant toute chose l'autorité locale,afin qu'elle s'exerce
conformément aux règles traditionnelles et en reprenant
sous notre contrôle sa subordination au Makhzen."( 10 ) .*
Parallèlement à l'occupation militaire, l'administration
amorce une nouvelle organisation du commandement, en introduisant,
de nouveaux principes d'organisation ayant d'une part pour
objectif de combler le vide institutionnel qui caractérisait
les rapports entre le Makhzen et les collectivités et
d'autre partpour conséquense la centralisation administrative.Si
les institutions traditionnelles étaient simplement juxtaposées,
elles entraient avec les institutions nouvelles,par
l'introduction du principe de la Hiérarchie administrative
"c'est à dire l'organisation précise de contrôle et de
surveillance pour toute autorité constituée"(1 1 ),dans un
rapport nouveau : elles n'étaient plus parallèles mais
subordonnées hiérarchiquement les unes aux autres.

L'administration a divisé le pays en régions civiles


et militaires et a confié le commandement de ces régions
à des chefs de régions français .Cette nouvelle unité
territoriale "permet seule,dans un pays aussi vaste et~ où
les moyens de communication sont, pour longtemps,longs et
difficiles,une action immédiate et efficace".(10). Le chef
de région,autorité du protectorat,exerce exclusivement et
directement le pouvoir au niveau de la région. Par le jeu
de la hiérarchie,les autorités locales marocaines (caïds,
chioukhs) lui sont également subordonnées. Il exerce sur
eux un contrôle politique par l'intermédiaire des contrôleurs
civils. La fonction de ces derniers est définie par Lyautey:

(10)- B.O n°2, 8 Novembre 1912,instructions générales pour l'organisation


du commandement,signé Lyautey; Rabat le 19 Août 1912, p.10.
(11)- M.Weber : Economie et société. Ed. pl°n,.1971* p.224.
52

" les contrôleurs civils sont les mandataires de la puissance


protectrice,chargés à ce titre d'exercer un contrôle étroit
sur l'ensemble des organes des administrations chérifiennes
proprement dites (..) faire du contrôle beaucoup plus que
l'administration directe, se servir dans la plus large mesure
des autorités indigènes>,éviter de se substituer à elles
dans l'accomplissement de leurs tâches administratives.Cette
méthode n'est pas l'application stricte du protectorat,el 1 e
a l'avantage de dégager les contrôleurs d'une besogne terre
à terre.Les contrôleurs doivent circuler constamment en
automobile ou à cheval,dans leur circonscription ."(1 2 )
La formule "contrôle" par opposition à "administration directe"
n'a pas longtemps subsisté. Les contrôleurs civils ont dépasse*
leur pouvoir de contrôle pour exercer un réel pouvoir
d'administration.

Contrôlés,subordonnés,lesanciens caïds perdent leurs


libertés d'initiative vis-à-vis du pouvoir central,le champ
théoriquement illimité de leurs actions; ils deviennent
une institution centralisée de la nouvelle administration:
le caïd est le représentant du Makhzen dans sa tribu,il
est responsable,sous l'autrorité du grand Vizir et le contrôle
des autorités françai ses,de la tenue politique d(J la tribu.
Son premier devoir est d'informer le gouvernement,assurer
l'ordre,la sécurité,la police générale de son commandement,
comme de veiller à la publication et à l'exécution des lois
et règlements (1 3 ).

La nomination du caïd n'est plus un compromis entre


deux volentés (celle du Makhzen et celle de la tribu),
elle n'est plus, pour ainsi dire,bilatérale, mais unilaterale:
L'autorité locale de contrôle établit une liste de trois
noms que les chefs de région proposent au résident général.
Ce dernier approuve la liste et la transmet au Sultan par
le biais du conseiller du gouvernement chérifien. Le Sultan

(12)- Cité par.S.Ben Bachir,in l'administration locale marocaine,imprimerie


royale.Casa 1969 .p.127. . _, '
(13)- E.Coïdan (contrôleur civil) le caïd marocaiji. Rabat,bd saaaa
1950 .p.19
53

choisit l'un des candidats et le nomme caïd par Dahir. L'époque


est révolue où les caïds Zemmours se proposaient eux même
et allaient à Meknès ou à Fez chercher leurs Dahirs
d 'investiture,titres plus honorifiques que fonctionnels.
Le nouveau caïd est également muté et révoqué par Dahir.
La nouvelle organisation du commandement va plus loin et
fait du caïd, naguère autonome,1 'objet de mesures disciplinaires
prises par les autorités locales de contrôle ou par le chef
de la région.

L'objectif de l'administration étant l'intervention


jusqu'aux échelon^. inférieurs,le torrent hiérarchique ne
s'arrête pas aa niveau du caïd mais se prolonge pour toucher
le c h e i k h et le moukadein . C 'est le caïd qui nomme à la tête de
chaque fraction le cheikh et à la tête de chaque douar un
moukadem,auxiliaire du cheikh. La décision caïdale est soumise
à l'approbation du chef du cercle .(1 4 )

La création d>e nouveaux niveaux hiérarchisés ne s'est


pas limitée à la région appelée - depuis l'institution de
nouvelles divisions de la vie sociale des collectivités-
administrative, mais aussi à la nouvelle région baptisée
judiciaire. Le contrôle des jeina'as judiciaires s'exerce
également suivant une organisation hiérarchisée. A Rabat,
et au sommet de la hiérarchie,1 e contrôle est exercé par
un inspecteur des juridictions coutumières, à Meknès et
à Marrakech deux contrôleurs régionaux se partagent la zone
dite de coutume berbère. Le commissaire de gouvernement
et les autorités de contrôle assurent au niveau local
la continuité du contrôle respectivement au niveau des tribunaux
coutumiers d'appel et auprès des tribunaux coutumiers de
première instance. (1 5 )

L'administration coloniale ne peut pas agir par le


truchement d'institutions qui lui sont extérieures et parallèles
mais par l'intermédiaire d'agents qui lui sont subordonnés
hiérarchiquement, nommés par elles et agissant au nom de
Dahirs,arrêtés 'viziriels.. émanant du pouvoir central.Si

(14)- E. Coïdan . Le caïd marocain, op.cit. p.12 ’


(15)- A.Plantey: La réforme de la justice marocaine,justice berbère,justice
Makhzen .Paris L.G.D.J 1952 pp.237-23^*
54

la subordinnation hiérarchique permet à l'administration


d'exercer le contrôle politique sur les collectivités
traditionnelles en intégrant certaines institutions tradition­
nelles dans la hiérarchie administrative, 1 a tutelle permet
à l'administration de contrôler,en les écartant de la chaîne
des niveaux hiérarchisés, ce qu'elle pense être les centres
de décisions traditionnels.

La tutelle en tant que principe d'organisation des rapports


entre collectivités et pouvoir central a été introduite
explicitement (1 6 ) par l'Article premier du Dahir 27 .Avri 1 . 1 9 1 9 :
" le droit de propriété des tribus,fractions,douars ou autres
groupements indigènes sur les terres de culture ou de parcours
dont ils ont la jouissance à titre col 1 ect if ,sel on les modes
traditionnels d'exploitation ou d'usage, ne peut s'exercer
que sous la tutelle de l'Etat et dans les conditions fixées
par le présent Dahir."
Les collectivités sont considérées par l'administration
coloniale comme des mineurs dedroit public. Il est normal,
du point de vue de l'administration "majeure",qu'une tutelle
soit exercée sur les collectivités par le directeur des
affaires indigènes, assisté d'un conseil de tutelle,et que
ce dernier "décidera dans chaque" cas d'espèce de l'emploi
ou du remploi qui sera fait au profit de la collectivité,
du capital provenant de la cession amiable en cas d'expropria­
tion,ainsi _ que la rente .."(1 7 ); il est également,dans
le même esprit,logi que que la Jema'a nepuisse passer de
gré à gré des baux ou des contrats d'association agricole
qu'avec l'autorisation du directeur général des affaires
indigènes (1 8 ) et que même la connaissance du caractère

(J6 )-L' Arrêté Viziriel -du 23 Janvier 1916 contient déjà,mais implicitement,
le princie de tutelle:"considérant que le Makhzen est le protecteur naturel
des dites collectivités,
Article premier-Les cheikhs,les caïds et le secrétaire général du gouver­
nement chérifien sont spécialement chargés de la surveillance des biens
collectifs.
Article 2-Dans tout litige ou contestation immobilière intéressant une
collectivité,ces agents auront qualité pour assister en justice la collecti­
vité ou son mandataire et, au besoin,agir en son nom."
(17)- Dahir du 27 Avril 1919.Art.14.
(18)- Ibid. Art. 6
55

privatif ou collectif de leurs terrains collectifs leur


écliappe (19) jusqu'à ce qu'elles atteignent la "majorité".

(19)- C'est le conseil de tutelle qui a décidé,au sujet de la détermination


de la situation juridique de terrains situés à Daït Roumi ■ et apparenant
à la tribu Ait Wahi dans sa séance du 30 Janvier 1926 que les terrains
sont nettement privatifs.
P.V du conseil de tutelle n°49 p.298 séance du 21-3-1925.
P.V du conseil de tutelle n°51 p.338 séance du 23-5-1925-
P.V du conseil de tutelle n°57 p.11 séance du 30-1-1926.
Archives de la direction des affaires rurales.Division des terres
collectives.
56

Section 2 : La Substitution d'institutions :

§1- Du mouvoir au circonscrire.

L'administration coloniale a maintenu les subdivisions


Makhzeniennes traditionnelles de la collectivité Aït Zekri .
Celle-ci est subdivisée en cinq caïdats . Les Aït Wahi et
les Aït Belkacem sont respectivement commandés par le caïd
El Hassan Ben Mohammed et le caïd Hammadi Ben 'Abbou. Les
Ait Abbou,repartis en trois caidats jsont sous les ordres
des caïds Haddou EL Ma'tijBou Tayeb Ben (lammadi et Bou Beker
ou Bou“azza. (20)

Cependant l'administration coloniale marque une certaine


tendance à réduire les petits commandement, .s. Déjà,en 1916,
Haddou EL Marti est devenu caïd sur toute la tribu Aït 'Abbou.
En 1926,un seul caïd Driss Ben Chahboun commande les trois
tribus Zekri s (21).L'année 1932 couronne cette évolution
par un grand.regroupement des caïdats: six caïdats se partagent
toutes les tribus Zemmours. Le caïd Driss Ben Chahboun commande
depuis cette année les Aït Zekri, les Aït Ali ou Lhassan
et les Qotbiyins (22).

L'administration renonce depuis 1916 à faire coïncider


le découpage administratif des collectivités avec leur
distribution "ethnique". Toutefois le changement ,1e décalage
entre le caïdat et la collectivité est antérieur aux
regroupements' des caïdats.Quand bien même le caïdat
correspondait à la collectivité portant le même nom, il
ne représentait pas pour autant un groupement humain mais
une circonscription administrative : les Aït Zekri ne se
subivisent plus d'après le nom commun mais d'après la division
du territoire.

Le découpage territorial introduit la tendance de la


collectivité à ne plus avoir conscience de soi que comme
un groupe d'individus campés sur une même étendue de territoire.

(20)-Villes et tribuiâdu Maroc.op.cit.pp. 198-199.201-202. ™


(21)-Actes divers de la jeméfta judiciaire du caïd Boudriss Chahboun,Khémisset
le 11 Janvier 1926.Archives du tribunal de 1ère instance.Khémisset.
(22)- M.Lesne. Evolution d'un groupement berbère : les Zemmour.op.cit.p.84 .
57

La distribution de la collectivité Ait Zekri en unités sociales


correspondant à des activités nécessaires à la reproduction
des groupes et symblisées par des noms communs ne s'applique
qu'à l'occasion des grandes fêtes et événements qui mobilisent
toute la collectivité (la préparation d'une fête,d'un moussem,
l'entretien du tombeau d'un saint ou la réparation de la
mosquée se font au nom de la collectivité et non pas au nom
de la circonscription territoriale). Le nom commun, en tant
que principe de répartition des individus en différentes
collectivités cède désormais la place au découpage territorial,
qui réduit* la col1 ectivité,groupement humain,à une portion
de territoire. Le nom Zekri désignerait alors plus une unité
spatiale qu'une collectivité humaine.

Le caïd ne commande plus un groupement de tentes mais


un espace plus ou moins délimité. Tous les individus campés
dans cet espace, quel que_ soit leurs origines ou leurs
collectivités,relèvent de sa compétence.Dans la collectivité traditionnelle
les individus relèvent toujours des institutions de leurs collectivités
et non de celles du territoire dans lequel ils se trouvent.On faisait
appel pour tous les actes commis en dehors de la collectivité,aux institu­
tions locales: Amassay,Jemofci,Argaz Akesouat etc..Le Zekri où qu'il se
trouve', , ne relevait que des institutions Zekries. Avec
le découpage territorial, il relève de plusieurs institutions
selon le territoire où il se trouve. Le Zekri admettait
difficilement non seulement de relever du caïd du territoire
dans lequel il campait,mais encore s'il changeait de campement,
d'être assujeti aux ordres d'un autre caïd (23)*

Le changement a également affecté la manière dont sont


disposées les collectivités traditionnelles . Les trois
tribus Zekries ne s'emboîtent plus dans des collectivités
humaines plus larges (Aït Zekri;Zemmour..) mais dans des
unités administratives. Les Ait Belkacem, séparés des, Ait
Zekri s ,sont emboîtés dans l'annexe de Tiflet,les Aït 'Abbou
et les Aït Wahi dans le bureau du cercle de Khémisset. L'annexe
et le bureau sont emboîtés dans le cercle de Zemmour enveloppé
par un territoire,qui s'emboîte à son tour dans la région
civile de Rabat.

(23)- Informateurs Aït 'Abbou


58

L'administration tend à créer un territoire homogène


où la division du territoire ne s'effectue plus selon la
répartition hétérogène des individus en fonction du nom
commun. C'est la répartition des individus qui sera fonction
du territoire et non l'inverse. Elle substitue à la cohésion
sociale traditionnelle une cohésion artificielle qui résulte
de la cohabitation. Les niveaux d'authenticité c'est-à-dire
les "groupes institutionnels ou non institutionnels,où les
individus ont une connaissance concrète les uns des autres"
sont remplacés par des niveaux inauthentiques "ou les hommes
réels sont séparés ou rassemblés par des intermédiaires
ou des relais qu'ils s'agissent d'organes administratifs
(ou d'inflorescence idéologiques)" (24). L'établissement
de circonscriptions territorial es,1 eur extension ou leur
réduction,les assimilations de collectivités naguère ennemies
dans une même circonscription ou la séparation de groupes
frères ou alliés dans différentes circonscriptions ne dépendent
que de simples mesures administratives. Les assimilations
qui ne dépendaient que de la volonté des tribus et qui étaient
régies par des institutions coutumières ne font plus l'objet
de cérémonies mais d'un "formalisme administratif "

§2- La fixation au sol.

Le découpage territorial est incompatible avec la mouvance


et la mobilité des Ait Zekri,le mouvement des individus
et du bétail devait désormais être subordonnés aux exigences
de la circonscription et réglementé par les fonctionnaires
français. Seule la fixation des collectivités pouvait constituer
le garant de l'application du découpage territorial.

Les premières mesures concernèrent les forêts' qui "dans


toute l'étendue de l'empire chérifien,appartiennent au Makhzen
sous réserve des droits d'usage (pâturage des troupeaux,
ramassage du bois) que pourraient avoir, les tribus voisines".
(24)bis.La forêt devient bien de l'Etat et les tribus n'ont que le droit
d'usage que l'Arrêté viziriel du 12 Juillet 1916 relatif à la délimitation
de la Msfmora n'attribue qu'aux tribus riveraines des

(24)- C.Levy-Strauss.in Georges Charbonnier :entretiens avec Levy-Strauss


unions générales d'éditions.Paris 1973»P»63*
(24)bis- circulaire en date du 1“Novembre 1912 du grand Vizir . •
aux gouverneurs,caïds et cadis.
59

Beni 'Ameur et Messghra. Les Aït Zekri,ainsi que les tribus


centrales Zemmours sont exclus de l'exploitation pastorale
de la Mrfmora.Cependant, même dans le cas où les Aït Zekri
ne sont pas exclus du fait» de la non application stricte
de ces restrietions,leur droit au parcours ne peut s'exercer
que dans les cantons reconnus défensables (reconnu comme pouvant se
defendre seul contre la dent du bétail) et par présentation
d'une carte au parcours. Le nombre et l'espèce des animaux
a admettre au parcours sont fixés annuellement par le service
forestier d'après les conditions de défensabi1 ité de bois( 2 5 ).
Depuis 1949 les Aït Zekri ne peuvent introduire leurs bétail
dans les forêts du sud que s'ils disposent déjà d'une autorisa­
tion délivrée par les services forestiers. Aucun non-usager
riverain ne s'est inscrit depuis 1950,les forêts Zemmours
sont désormais strictement protégées. L'entrée de caprins
y est interdite.(2 7 )

Le mouvement vers la Ma'mora s'est affaibli pendant les


annees 50. Les Ait Belkacem et les Aït Wahi ne conduisent
plus leurs troupeaux vers la Ma'mora.Seu 1s les Aït 'Abbou
utilisent encore ce parcours. Les Aït Zekri sont obligés
d'aller sur les parcours de liouderran ou des Aït Jbel Doum.
Les Aït Zekri qui s'adaptaient grâce à leur mouvance à la
nature virent s'interposer entre eux et la nature un ensemble
de textes et de pratiques conçus dans les bureaux français.
Leur rapport à l'espace a cesse d'etre immédiat pour devenir
médiatisé. Le- temps de la transhumance échappe ainsi aux
collectivités,i1 est organisé par l'administration et le
Zekri ne peut plus ajusterles exigences de la mouvance
aux péripéties du temps.Le rythme de la mouvance est devenu
uniforme,rigide après avoir été souple et flexible.L 'espace
de la mouvance est également organisé par l'administration,

(25)-"Art.22:Les droits au parcours ne pourront s'exercer que dans les


cantons reconnus défensables et au profit des seuls indigènes marocains
(..)le service forestier fixera annuellement,d'après les conditions de
défensabilité du bois,le nombre et l'espèce des animaux à admettre au
parcours.." Dahir du 10 Octobre 1917 sur la conservation et l'exploitation
des forêts. _
(26)-M.Lesne îEvolution d'un groupement berbère: les Zemmour.op.cit .p:271.
(27)-En 1926 les caprins Aït Zekri (Aït'Abbou,Aït Wahi) étaient au nombre
de 7607;en 1954 on ne compte plus que 103.Evolution du cheptel bovin,ovin,
caprin - statistiques. (1926-1954).M.Lesne op.cit,p:26l.
60

les tribus ne peuvent plus conduire leurs troupeaux là où


l'herbe est abondante ou dans les pâturages des tribus Tata
mais seulement là ou l'administration l'autorise. Le bétail
non plus,n'est plus libre de mouvoir,les caprins sont interdits
dans les lieux baptisés non défensables. La transhumance
n'est plus organisée en fonction des besoins du groupe mais
en fonction de certains principes techniques défendus par
les fonctionnaires : sauvegarde de la foret, nécessité de
sédentariser pour mieux coritrôl er ..El 1e est "dépaysée" dans
les textes de 1 1 administration,des services des eaux et
forêts. Elle n'est plus un moment de la vie des collectivités
mais un objet à réglementer . ( 2 8 )

La réduction des possibilités pastorales due à la


règlementation des forêts Zemmours a grandement contribué
à la fixation des Aït Zekri, à leur sédentarisation
coercitive (2 9 ).La vie agricole s'est substituée progressivement

(28)-Ces règlementations,interdictions,.ont été chantées par l'anchad


(poète) 'Akka-ou-Raho des Aït Wahi-Zitchouene :
Le garde des eaux et forêts t'a dit :
" la mise en défens est pour sept ans"
A tout berger qui y pénétré,il inflige l'amende
Malheur à ceux qui ont des chèvres,car il te dit :
"Elles ont détruit les fourrés,
Elles atteignent jusqu'aux rochers les plus escarpés "
Et l'on ajoute "les chèvres doivent disparaître "
C'est notre grande peine*

J'ai voulu tailler un pilon à grains


Le garde m'a dit :"ne touchez pas les chênes verts"
Quant à moi je me suis fait une louche en fer

Oh forêt,les gardes t'ont prise !


Oh plaine les colons t'ont prise !
Les tracteurs ont boulversé ta surface
Que vais-je labourer ? une vache ne me suffit pas
M.Lesne op.cit p.277
(29)-A.Bourgeot distingue deux types de sédentarisation:"le mouvement
vers la sédentarisation peut emprui -er deux voies :l) la sédentarisation
dynamique:c'est-à-dire la tendance,1 'aboutissement d'une société nomade
dont le dynamisme interne conduit à la sédentarisation....
2)La sédentarisation coercitive:c'est-à-dire la sédentarisation imposée
par des moyens extérieurs de tout ordre:économique,politico-policiers,
juridiques.." Revue de 1'occident musulman.n°11. l°Sepbtembre 1972.p.88 .

H
61

à la vie pastorale semi-nomade.Ce changement est accompagné


par le développement de l'habitat fixe (nouai a ,baraque,mai son).
La khaïma quand elle subsiste n'est qu'un signe de misère
et non plus de mouvance,el 1 e signifie l'incapacité de son
propriétaire de construire une habitation fixe.Elle est
en revanche un signe de richesse lorsqu'elle est gardée
et construite pour célébrer des moments privilégiés de
l'existense sociale des tribus.

En Algérie,1'administration coloniale avait essentiellement


pour objectif de grouper des collectivités déjà sédentarisées:
"l'essentiel est en effet,de grouper ce peuple qui est partout
et nulle part,1 1 essentiel est de nous lt- rendre saisissable.
Quand nous le tiendruns,nous pourrons alors faire bien des
choses qui nous sont impossibles aujourd'hui et qui nous
permettront peut être de nous emparerde son esprit après
nous être emparés de son corps "(30). Au Maroc centralnotamment,
ce qui était essentiel autant que difficile pour les
fonctionnaires français,ce n'était pas le regroupement des
collectivités déjà sédentarisées,mai s d'abord leur fixation.
Les premières tentatives de regroupement des collectivités
Zekries n'ont vu le jour qu'à l'agonie de la colonisation
(1 9 5 5 ) avec les projets de création de centres ruraux dans
les trois tribus. L'emplacement de ces centres ruraux est
conditionné par l'existence d'un souk. Ils devaient être
crées à souk Sebt des Aït 'Abbou, à Khemis Sidi Yahya des
Aït Wahi et à Sidi Bou Taïcha des Aït Belkacem. Ils devaient
"grouper les installations à caractère administratif et
social qui sont :
- en premier lieu la maison communale et la Mahkama
en liaison avec le souk, -puis 1 'école,1'infirmerie,le Hammam
un peu plus à l'écart,un terrain de jeu même sommairement
équi pé.
La création,ajoutent les auteurs,en un seul point de tout
cet équipement amènera très vite la cristalisation d'un
habitat sédentaire des artisans et commerçants locaux en
premier lieu.. "(30

(30)- Capitaine Charles Richard, cité ijri P.Boudieu ,A.Sayyad:le déracinement,


Editions de minuit,1964, p. 27»
(31)" Manret-Pnmmelet.Rignelet.mise en valeur et équipement rural de
la province de Rabat,B.E.S.M,1956,n° 69,p.23. .
62

Après la fixation des habitations le second objectif


était de les rapprocher.En agissant sur le rapport des Aït
Zekri au sol,en réglementant leur1 mouvance,l'administration
coloniale a boulversé leurs bases morphologiques,bouleversement
nécessaire à la réalisation de la compétence rationae loci!
La résolution du "problème" de la mouvance passait par sa
dissolution. Un chef de cercle écrivait à propos des tribus
Marraoucha (région de Taza):"ce délicat problème de la
transhumance ( ..) ne recevera un règlement satisfaisant,
que lorsque les tribus seront sédentarisées davantage . . " ( 3 2 )

L'administration coloniale est guérie de son épouvante,


les Aït Zekri sont sédentarisés.

Section 3 :La désorganisation d'anciennes institutions.

§1- L'extraction administrative de la Jema'a

Les premiers textes,qui traduisent les premières actions


directes et officielles de l'administration coloniale sur
les institutions traditionnelles,prétendent réaliser une
conciliation impossible entre deux termes exlusifs et
contradictoires : maintenir l'institution traditionnelle
tout en la contrôlant. Cependant,c 'est cette appropriation
administrative d'une institution ancienne qui annonce déjà
son agonie.Ainsi le Dahir du 11 septembre 19M af firmait,tout
en respectant les usages qui régissent les tribus berbères,
que les tribus dites de coutume berbère étaient et demeuraient
administrées selon leurs coutumes propres mais sous le contrôle
des autorités.

La première innovation introduite au niveau de la Jema'a, le


contrôle,étant assurée,d 'autres innovations pourraient alors
intervenir,innovâtions dont la réalisation était impossible
sans le concours de l'innovation mère - le contrôle.

Chaque fraction qui compose la tribu dispose d'une Jema'a(33)

(32)— J.Berque,Le magreb entre les deux guerres,Paris,1962,p.H9


(33)—L 'institution cadi(appliquant ïë chrav )établie chez les Zemmours
en 1916 a été écartée à la suite d'un rapport adressé au Vizir de la
justice par le cadi lui même et à la demande expresse des Zemmours le
6 Janvier 1918. J.Delucconsidérations sur les tribunaux coutumiers dans
la confédération des tribus Zemmours,C.H.E.A.M.,1952,p.7•
63

"dont les membres sont choisis . et désignés pour trois ans


parmi les notables de ]a fraction en nombre égal à celui
des douars et après approbation de l'autorité centraie" ( 3 4 )•
Selon la même circulaire,la justice civile devait être rendue
par des Anechchams (arbitrès)(3 5).Ce sont les parties qui
désignent cet arbitre d'un commun accord.Ce n'est qu'en
l'absence de tout accord sur le choix de l'arbitre que les
parties recourent à la Jema'a qui est chargée de les concilier.
Dans le cas contraire la Jema'a le désigne el 1e-même.C 1 est
devant la Jema'a qu'était donné acte de$ jugements et des
transactions .

Chez les Aït Zekri,c'est le caïd qui ^ssure . la fonction


de 1 'Aneclicliam( 36 ) .C 'est lui qui juge en matière civile,la
jema'a est confinée dans un rôle consultatif intermitent;
le caïd ne demande pas ses avis pour tous les jugements,mai s
seulement quand il le juge nécessaire (3 7 ).

Si en matière civile la circulaire affirme que l'arbitrage


se fait ou doit se faire conformément aux usages en vigueur
dans chaque tribu,en matière pénale "les infractions seront
poursuivies et reprimées conformément aux dispositions des
Dahiis et règlements généraux applicables dans tout le
tenitoire de l'empire chérifien".La disparition du "droit
coutumier pénal" au profit d'un droit pénal uniforme applicable
dans tout le pays et le maintien d'une "originalité berbère"
en matière civile annonce la contradi cti on,qiae l'administration
coloniale va gérer,entre l'unité de droit et sa diversité.

(34)-Circulaire dû 22-9-1915 n°7041 portant instructions relatives au


fonctionnement de la justice indigène des tribus de coutume berbère.Cité
in A.Plantey op.cit,p.203
T 3 5 )-La circulaire est rédigée par le contrôleur civil II.Bruno qui à
la suite d'une iquête,dans les tribus de la région de Meknès avait
découvert qur la jistice était rendue par des Anechchars et non par la
Jema'a. C.R. Ageroim,politiques coloniales au Magret ,P.U.F, 1972,p. 126
(36)-Tous mes informateurs ignorent l'institution "anechchan."
(37)-"Aït 'Abbou (Aït Wahi,Aït BelkacemUtécisions arbitrales commencées
le 6 Novembre 1920 terminées le 12 Juin 1923" •Archives du tribunal de
Première instance.Khémisset.
On peut à partir de ce registre,tirer quelques informations :
- Le premier avis de la Jema^a officielle Aït 'Abbou n'a été sollicité
par le caïd que le 23-5-1921 pour le 26ème jugement.
- Les Jemaüas officielles des Aït Belkacem et Aït Wahi ont donné leur
avis un peu plus tard le 30 .10. 1921 pour le 50ème jugement. '
- Sur 117 jugements les trois jemdas n'ont été consultées que 27 fois.
Ceci montre l'affaiblissement de la Jemata et le renforcement de l'élément
centralisé le caïd.
Voir- Annexes n° 6,7j8,10.
64- ,
Cependant,la ségrégation et 1'assimilation,dans la politique
berbère coloniale,ne s'opposent qu'en apparence.L 'administration
recourt à la différence d'usages et des coutumes entre les
tribus de l'Izerf (coutume) et les tribus du chra' (droit
canonique) pour nier l'unité de droit. Mais au sein des
tribus dites de coutumes berbères,elle nie la diversité
de leurs usages et coutumes au nom de l'unité de droit.

La jema'a en tant qu 1 insti tut ion,est arrachée à la


collectivité avec laquelle elle se confondait pour ne devenir,au
fur et mesure que ses frontières se précisent et ses pouvoirs
se renforcent au détriment du caïd,qu'une pièce dans la
mécanique administrative.

Le Dahir du 21 Novembre iyi6 - rendu applicable en zone


berbère par le Dahir du 21novembre 1921 - introduit et
consacre l'extraction de la Jema'a de la collectivité
traditionnelle. :"Article I: Il est crée dans les tribus
et fractions de notre empire qui seront déterminées par
arrêtés Viziriels, des jema'aS qui représentent légalement des
collectivités." Le rôle de représentant crée par la législation
coloniale instaure la division entre les représentants (membres
de la Jema'a) et les représentés (tous les membres de la
collectivité moins leurs représentants).Le nouveau rôle
de représentant est dépendant dans la mesure où il ne peut
tirer son existence que de sa relation avec d'autres contre-
rôles,ceux des représentés.L 'existence du rôle de représentant
de la collecvité est déterminée par l'absence de la collectivité»
On ne peut représenter qu'une absence. L'ancien rôle disparu,
1 1 ajernav,était au contraire, un rôle indépendant en .ce .sens
qu'il n'était pas nécessaire,pour son existence et sa définition
d'entrer dans un rapport avec un ou plusieurs contre-roles.
Tous les membres d'un douar peuvent être ajema' (ajema' est
celui qui se réunit parce que jema'a signifie réunion et
le verbe "tjama'" se réunir) et tous ceux qui sont présents
à la Jema'a ont droit à ce nom.

L'administration s'est assurée le non retour a cette


confusion entre la collectivité et sa jem^a,et la perpétuation
de leur séparation,grâce au pouvoir qu'elle détient de nommer
les membres de la Jema'a. Cependant,1 'admini strati on ,en
attribuant à la jema'a la fonction nouvelle de représentation,
lui ote tous les moyens juridiques pour assurer cette fonction.
La Jema'a de tribu est présidée par le caïd .La .jema'a de
fraction est présidée par le cheikh. Les jema'as sont
dépolitisées et n'agissent qu'à titre consultatif (3 8 ).

Les Textes adoptés par l'administration ont visé,après


avoir détaché la jema'a de la collecti vité,1 'éclatement de
la jema'a elle même. Le Dahir du 19 Octobre 1 9 1 7 reconnaît
les jema'as de fait chargées de la gestion des terres collectives
auxquelles il confie de nouveau la gestion de leurs biens
collectifs. Il est décidé,le 10 Juillet. 1 9 2 3 , de généraliser
la pratique administrative des jema'as judiciaires qui sont
désormais distrinctes des jema'as administratives. Les caïds
disparaissent du registre des décisions arbitrales le
29-1 - 1 9 2 3 pour laisser la place aux jema'as judiciaires qui
n'ont plus une fonction consultative mais judiciaire (3 9 ).
La collectivité traditionnelle qui se reconnaissait dans
une seule jema'a se trouve confrontée à une multitude
d'institutions qui ont toutes la même appelation :les Jema'as
officielles instituées par le Dahir du 22 - Novembre 1916,
les jema'as propriétaires de biens collectifs, les jema'as
judiciaires et enfin les jema'as administratives.

Le regroupement de toutes les fractions d'une tribu


dans une seule jema'a judiciaire de tribu,recommandé par
une note résidentielle (n° DR/2 17-Aout 1923) "pour obtenir
des unités techniques plus étoffées et restreindre le nombre
des jema'as" (4 0 ) accentue le décalage entre la jema'a et la
collectivité.Chez les Aït Zekri,le regroupement est encore
allé plus loin,ce sont les trois tribus elles même et non
seulement leurs fractions,qui sont regroupées depuis 1926

(38)- Art III et Art IV du Dahir en date du 21 Novembre 1916 '


(39) -Il est à noter que les jema'as Aït Zekri ont été consultées pour
tous les jugements depuis le 29 Décembre 1922 (jugement n°ll8 )jusqu'au
29 Janvier 1923 (jugement n°l36 ^décisions arbitrales Aït'Abbou (Aït Wahi,Aït
Belkacenfl.op.cit.Voir Annexe n° 9
C'est comme si ce mois était conçu comme un stage préparatoire pour
les jema'as officielles en vue de leurs nouvelles fonctions de jemsîas
judiciaires.
(40 )- A.Plantey,op.cit, p.204.
66

dans la jema'a judiciaire Aït Zekri du Caïd Driss Chahboun.(41 )

Le. iemaa judiciaire des Aït Zekri est devenue un véritable


tribunal . elle juge en dernier ressort après un délibéré
^ majorité,ses décisions sont suivies d'éxécutions
forcées. La création de jema'as judiciaires ajoute au rôle
de représentant et au "rôle* de représenté le rôle de juge
que l'ajema' assume. La jema'a judiciaire n'est pas seulement
détachee de la collectivité,elle lui devient étrangère.

Les jema'as judiciaires n'avaient pas d 'exi stensc légale, leur


création n'a été décidée que par des mesures administratives
et les autori tés marucai net.,sauf quelques exceptions, n'étaient,
pas co-signataires de ces textes .Fn matière delégislation
marocaine on devait procéder par voie de Dahir et de ce
fait un acte de sultan était nécessaire pour1 organiser les
Jema'as judiciaires et conférer à leurs décisions la légalité
qui leur fit défaut.Cette illégalité entachant la création
des Jema'as judiciaires,qui explique en partie la promulgation
du Dahir du 16 Mai 1930 (connu sous le nom du dahir berbère).
Ce dahir remplace les jema'as judiciaires par les tribunaux
couturiers et crée des tribunaux d'appel coutumiers présidés
par des magistrats français. Un commissaire de gt ivernement
et un secrétaire greffier sont placés auprès des tribunaux
coutumiers de première instance et d 'appel.Leurs attributions
deviennent complexes : les caïds sont compétents pour les
infractions mineures,les infractions criminelles étant
exclusivement de la compétence des juridictions françaises.
La compétence de la jema'a est étendue au détriment du caïd:
la jema'a dispose concuremment avec le caïd du pouvoir de
sanction pénale..

Commençant par le contrôle de la jema'a, lui appliquant un


"droit coutumier" uniforme qui ignore les usages et coutumes
propres aux Aït Zekri,la détachant de la collectivité par
l'introduction de nouveaux rôles et par le regroupement,
l'administration a fini par promulguer l'acte de décès officiel
de la jematajle Dahir berbère,qui a étouffé le dernier soufle,la

(41)- Registre de la jeméte judiciaire Aït Zekri du caïd Driss Ben Chahboun
Khémisset 11 Janvier 1926.Archives du tribunal de première instance
Khémisset.
67

dernière apparence de la vie légale de la Jema'a :L 1appelation (42 ).

La jema'a , n'est plus.

§2- Le contrôle adminsistratif de la propriété collective.

L Article 11 du traité de Madrid (18 80 ) leva l'interdiction


opposée jusqu'alors aux européens de détenir en pleine propriété
des terres au Maroc. L'achat de terres devait cependant
etre autorisé par le gouvernement marocain et respecter
les lois du pays. L'Acte d'Algésiras (1906) annula l'autorisa­
tion préalable du gouvernement pour 1 1environnement de certaines
villes .Cependant c'est le protectorat qui supprimera toutes
les entraves à 1 'acquisition de terres par les étrangers.

L'administration coloniale commence par la conservation


des terres collectives pour pouvoir les affecter à la colonisa­
tion officielle. Aussi, dès le 1er Novembre 1912,une circulaire
du grand Vizir adressée aux gouverneurs,caïds et cadis dispose:
"les terres occupées en collectivité par des tribus qui
resteront telles quelles sont et continueront à être régies
par les anciens usages sans pouvoir être vendues ou partagées."
L'Arrêté Viziriel du 23 Janvier 1915 considère le Makhzen
comme le protecteur naturel des collectivités et charge
le cheikh,le caïd et le secrétaire général du gouvernement
chérifien de la surveillance des biens collectifs. Le but
des textes fonciers,dans un second temps,est d'établir les
bases d'une économie moderne,d'où la nécessité d'apurement,
juridique des terres collectives afin de pourvoir les colons
de moyens légaux.C'est l'immatriculation des terres collectives
ou leur délimitation administrative - lorsqu'il il s'agit
de parcelles de grande importance - qui auront le privilège
d'offrir le plus de garantie aux transactions.

(42)-Le Dahir berbère n'est pas entré en vigueur à cause des protestations
qu'il a soulevées(cf ,C.R. Ageron,op.cit,pp. 135-144)frc'est le Dahir du 8
Avril 1934 qui a officiellement réglé la situation juridique en pays
berbère.Les tribunaux coutumiers sont maintenus mais ils ne sont compétents
qu'en matière civile. Pour la jemafa judiciaire Aït Zekri,le Dahir berbère
était plutôt une condamnation à mort dont 1'exécution ne s'est effectuée
que le 25-3-1935,date,de l'audience dans laquelle le mot tribunal coutumier
Aït Zekri a été utilisé.Registre des jugements de la jema'a judiciaire
Aït Zekri 1935,Archives du tribunal de 1° instance Khémisset. Voir Annexe
11.
68

Il est nécessaire d'analyser sur la base d'archives


administratives coloniaies,quelques fragments de l'histoire
récente aes terres collectives Zekries qui montrent cette
préocupation de l'administration de donner des bases juridiques
nouvelles aux immeubles collectifs.

Le Colon Ange Abaz a demandé le 9-10-1929 à l'autorité


locale de contrôle la location décennale du terrain collectif
Ras ELmguit^at — appartenant à la collectivité Laftarsa
(Ait ^\bbou )- qu'il a louéle 10 Mai 1927 pour trois ans.
La demande a été transmiseau conseil de tutelle avec avis
favorable. Ce dernier a décidé que "le terrain..n'étant
pas apuré juridiquement,1 econseil estime nécessaire de
poursuivre cet apurement avant d'examiner la location à
long terme."(43)- Le 25 Novembre 1929 la collectivité La*tarsa
donne, devant la jema'a judiciaire des Aït Zekri,à Bou'azza
Ben Ichchi qui accepte,mandat aux fins de réquérir et pour­
suivre 1 l'immatriculation de Ras Elmguit'at (44 ) •La jema'a
judiciaire Aït Zekri entame l'apurement juridique dans son
témoignage de propriété (4 5 ) lorsqu'elle reconnaît la collec
tivité requérante comme propriétaire légitime de la totalit.é
de 1 'immeuble,après avoir procédé aux publications qui n'ont
donné lieu à aucune opposition,et écouté les témoins et
propriétaires d'immeubles voisins. Le 6 Janvier 1930,1e
contrôleur civil,chef de la circonscription du contrôle
des Zemmours,adressera au directeur des affaires indigènes
la réquisition d'immatriculation concernant le terrain collectif
Ras Elmgit'at . La réquisition sera déposée à la conservation
le 29 Janvier 1930 et le bornage aura lieu le 21 Mai 1931*(46)

Une fois apuré juridiquement le terrain collectif Ras


Elmaguitfat par 1 'é-tabl issement d'un titre foncier le
6 -2 - 1 9 3 2 (4 7 )le conseil de tutelle fut ressaisi de l'affaire
et décidera la mise en adjudication du bled Ras Elmguit'at

"(43)-P.V.du conseil de tutelle n°103,séance du 9 Octobre 1929 .Archives


de la division des terres collectives.Direction des affaires rurales.
(44)-Procuration;jema'a judiciaire Aït Zekri acte n°102 31 Décembre 1929.
Dans la Réquisition n°7529 •• .Archives de la division des terres collectives.
(45)-Témoignage de propriété,jemafa judiciaire Aït Zekri acte n°37,
30 Décembre 1929;dans Réquisition 7529 .Archives de la division des
terres collectives.
(46)-Réquisition n° 7529 .B.O n° 908 du 21 Mars 1930.
Avis de clôture de bornage.B.O n° 991 du 23 Octobre 1931.
(47)- Titre foncier n°6785. .Conservation fonçière - Khémisset.
dans sa séance du 9 Avril 1932 en vue de passer di rect (.•ment,
à son aliénation perpétuelle de jouissance (4^):"En application
des Articles 8 et 9 du Dahir 27-5-19 la jemaa de LaLarsa(. ..)
a consenti avec l'assistance et l'autorisation du conseil
de tutelle des collectivités indigènes au profit de Monsieur
Abaz Ange (...) l'aliénation perpetuelle du droit de jouissance
moyenant une rente annuelle et perpétuel1e ."(49 ).

Il est relativement clair que du 9 Octobre 1929 date


à laquelle le conseil de tutelle a décidé la nécessité de
J

l'apurement, juridique jusqu'au 1° Octobre 1932 où a été


inscrite l'aliénation perpetuelle de jouissance dans le
titre foncier,1'effort de l'administration était de procurer
au Colon Abaz des moyens juridiques inc.ontest.abl e s ,moyens
sanctionnés par l'établissement d'un titre foncier spécial
du droit de jouissance perpétuelle au nom d'Abaz. Le Dahir
d'Aout 1913 sur l'immatriculation et la création en 1915
du service de la conservation foncière ont permis de donner
aux terres collectives un statut définitif en les entourant
de garanties juridiques.

Les terrains collectifs Aït Belkacem ont connu le même


itinéraire (50).Dar Saboun et bled jma'a ont été demandés
en location successivement par deux colons. Cependant ces
deux demandes sont demeurées sans suite à cause du refus
opposé par les jemavas propriétaires.

Seul le collectif Dhar Jama' appartenant aux Aït Hman


et Aït Brahim (Aït 'Abbou) n'a jamais étéimmatriculé parce
que ce terrain ne rentre pas dans la catégorie des terres

(4 8 )- Lettre du 19 Septembre 1932.dans Réquisation 75291 .Archives de


la division des terres collectives.
(49)-Titre foncier 6785 ' .Conservation foncière.Khémisset.
(50)-L 'immatriculation de Dar Saboun,appartenant aux Aït Bel L'arbi,etAït
Ben Hessi a été demandée par le directeur des affaires politiques,tuteur
des collectivités indigènes suivant la réquisition déposée le 10 Novembre
1941 (B.O n° 1519j 5 Décembre 1941 iLe bornage a eu lieu le 27 Janvier
1942 (B.O n°1540,10 Mai 1942)Xe titre foncier est établi le 4 Décembre
1942 sous le n° 20.198 .
' ,Le terrain collectif Bled, jmaca (appartenant aux Aït Bel L^arbi a fait
l'objet d'une réquisition déposée le 6 Août 1941(B.O n°1505,29Aout 1941);
Le bornage a&u lieu le 29 Janvier 1942 (B.O n°1543,22 Mai 1942 ). L e titre
financier n° 20962 sera établi le 18 Juin 1943• 1
/u

collectives suceptibles d'être louées et qui devaient être


inventoriées et leurs situations régularisées.

La propriété collective en tant que forme de contrôle


que les membres d'une collectivité exercent sur un bien
se trouve limitue par l'introduction de certaines institutions,
notamment la conservation foncière. Les groupes traditionnels,
grâce à leur capacité de mémoire,participent collectivement
au contrôle de leurs biens collectifs. Le naïb de terres
collectives n'est que l'incarnation de ce mode de conservation
orale de tous les actes concernant les biens collectifs.
(succession,partâge ..)

Depuis 1913 toutes les transactions doivent être fixées,


enchaînées par 1 'écriture.Four l'administration la "conservation
orale" ne peut plus suivre la prolifération et la complexité
des transactions,ni en constituer une garantie.Dans le même
sens,des instructions en date du 4 février 1924 attribuent
à la Jema'a une fonction nouvelle î tous les actes passés
en tribus doivent etre enregistrés devant elle et sur des
registres spéciaux. Une lettre du 14 février 1424 impose
aux chefs de bureaux de propager parmi la population
"l'avantage considérable de cette innovation qui donnera
aux transactions les garanties inappréciables de la preuve
écrite" (5 1 )

La propriété,les garanties et la preuve de transactions


sont assurées par l'écriture (titrèsfonciers,Arrêtés Viziriels,
registres spéciaux..) et non plus par le naîb ou la mémoire
collective. La collectivité traditionnelle perd de ce fait
l'essentiel du contrôle qu'elle exerçait sur ses biens
collectifs..

(51)- Cité par A.Plantey, op.cit,p.205


D E U X I E M E C H A P I T R E

LA SIGNIFICATION DU CHANGEMENT INSTITUTIONNEL


Section I : Problèmes de qualification

L'ensemble des actions de l'administration coloniale


sur les institutions traditionnelles pourrait être défini
par différents termes : acculturation,mutation,évolution,
changement,développement,modernisation etc.. Toutes ces
notions,qui s'inscrivent dans un champ sémantique élargi
sont confuses,vagues et requièrent par conséquent dans chaque
étude de cas des définitions précises en fonction du changement
social étudié.

Si on se plaçait du point de vue île l'anthropologie


culturelle américaine,on qualifierait. d'acculturation le
contact entre les institutions traditionnelles et ]es actions
et institutions introduites par l'administration coloniale.
Ce terme,forgé par l'ethnologue américain Powell en 1880,
est composé de "ad" et "culturum" qui signifie littéralement
le passage des primitifs à la civi1 isation.L 'acculturation
décrit le changement social qui se produit lorsque des groupes
sociaux appartenant à des aires culturelles différentes,
entrent en contact continu et direct (l). Elle est définie
comme "l'ensemble des phénomènes qui résultent de ce que
des groupes d'individus de cultures différentes entrent
en contact,continu et direct,avec les changements qui
surviennent dans les patrons culturels originaux de l'un
ou des deux groupes..Selon cette définition,1 'acculturation
doit etre distinguée du changement culturel,dont elle n'est
qu'un des aspects - et de 1 1 assimi lation,qui n'en est qu'une
des phases. Elle doit être également différenciée de la
diffusion qui,bien que se produisant dans tous les cas
d 'acculturation,peut non seulement se produire sans qu'il
y ait contact de group&s,mais
qui ne constitue encore qu'un
*
des aspects du processus de l'acculturation .(2 ) ’

Le processus particulier du changement social que la


campagne marocaine connaît est qualifié,par certains auteurs,
de développement qui est défini par Chabot comme "L'ensemble

(1)- G.Balandier,dynamique externe des sociétés archaîques,in G.Gurvich,


Traité de sociologie,P.U.F,1962,p.451
(2)-Redfield,Linton et Herskovits,Américan anthropologist,1936. cité par
R.Bastide in problèmes de 1 1entrecroisement des civilisations et de Ifeurs
oeuvres, in Traité de sociologie)P.U.F.1962,p.3l6
72

de changements sociaux et mentaux qui favorisent l'apparition


de la croissance et sa poursuite à long terme".Pour G.Lazarev
le changement social ne suppose pas seulement une évolution
sociale parce que toute les sociétés évoluent et se modifient,
mais une évolution sociale particulière qui se traduit par
une transformation du cadre social de référence et du projet
de la société (3 )-

La notion de mutation pourrait s'appliquer au changement


institutionnel Aït Zekri puisqu'elle désigne les changements
cumulés et les transformations profondes de la société,les
changements qui ont pour conséquences le passage d'une structure
sociale à une autre :"nous ne parlerons pas de mutation
tant que nous restons dans une même* st ructure,nous réserverons
ce terme à tout changement. qui se définit comme passage
d une structure à une autre,comme bouleversement de système"(4 ).

La notion de modernisation s'emploie pour décrire le


même processus social. "(Elle) peut être décrite comme la
transposition dans les sociétés traditionnelles de certains
rôles - professionnels,techniques,administratifs - et des
institutions qui en sont les supports - hôpitaux,écoles,
universités, bureaucratie - sans la force d'intégration
qu'on trouve dans les sociétés industrielles"(5 ).D .Aptcr
considère le colonialisme comme •une force modernisante,
comme un modèle par lequel la modernisation a été universalisée.
La modernité qui décrit l'ensemble des caractéristiques
(abstraction de l'Etat, sa centralisation avec son organisation
politique et bureaucratique,1 a division rationnelle du travail..)
communes aux pays qui sont les plus avancés en matière de
développement technique,politique,économique et social,se
distingue de la modernisation,processus par lequel ses cara­
ctéristiques se trouvent acquises.

Les études et théories sur la modernisation, commencées


dès les années quarante et cinquante,posent en hypothèse
que "les conditions qui permettent le développement d'une
société moderne,viable et capable de croissance se ramènent,
d'une part,à l'augmentation continue des indices socio--

(3)-G.Lazarev changement social et développement dans les campagnes


marocaines,Etude sexiiologique du Maroc,1978,pp.130-131
(4 )- R.Bastide,cité par G.Balandier in sens et puissance.P.U.F,1971,p.
(5)-D.Apter,cité par A.Laroui in les origines sociales et culturelles
du nationalisme marocain (1830-1912),F.Masf>ero,1977-P- 17
73

démographiques et / ou structurels et, d'autre part, ri la


destruction complété de tous les éléments traditionnels.Selon
cette conception,plus l'on rencontre les caractéristiques
d'une spécialisation structurelle au sein d'une société
et de ses organismes composants,plus cette société se place
haut sur diverses échelles de mobilisation socialejet plus
parfaite est la dissolution progressive des éléments
taditionnels,plus la société paraît apte à se développer
de façon continue : à affronter des problèmes et des forces
sociales toujours nouveaux; à élaborer une structure
institutionnelle sans cesse en expansion; à accroître sa
capacité id'absorption. du changement ;enfin,conséquence implicite^
à acquérir d'autres qualités caractér ist.iques des sociétés
modernes,telles que la rationalité,1 'efficacité et une prédilec­
tion pour la liberté".(6 )

Elles supposaient que les sociétés traditionnelles disparai-


traient une fois atteinte l'étape finale : la modernité.
Il n'existe selon ces études qu'une seule étape de modernité,
celle de la société occidentale,car elle seule détient le
monopole de l'innovation et du changement. Eisenstadt,lui
même,affirmait que "Historiquement la modernisation est
le processus de changement vers ces types de systèmes,
économiques et politiques qui se sont développés en Europe
occidentale et en Amérique du nord depuis le XVII jusqu'au
XIX siècle et se sont répandus ensuite dans d'autres pays".(7)
La théorie de la modernisation partage certaines hypothèses
de la théorie sur la couvergence des sociétés industrielles.
Selon cette théorie l'industrialisation entraînerait la
convergence de toutes les sociétés traditionnelles et modernes
qui tendraient à se ressembler et à n'être que l'imitation
d'un seul modèle : le modèle de la société occidentale.
La raison de cette tendance à la similitude est trouvée
dans la dynamique interne du processus d'industrialisation
qui crée pour toutes les sociétés des problèmes organisationnels
et institutionnels identiques qui ne peuvent qu'effacer
les différences qui les éloignent (8 ).Certains auteurs concluent
que la notion de modernite et de modernisation comportent

(6 )-S.N.Eisenstadt,l'analyse anthropologique des sociétés complexes,cahiers


internationaux de sociologie,Vol.LX, 197^,p.l6 . "■
(7 )- G .Balandier.Antropo-logiques,P.U.F,1974,p.247•
(8 )- S.N.iEisenstadt,op.cit,p.1 8 .
74

des implications idéologiques puisqu'elles postulent un


état final défini d'une manière unilatérale par les sociétés
occidentales. "La théorie de la modernisation (..) est
caractérisée par une forme particulière de 1 'ethnocentrismo
occidental ;par ethnocentrisme; -,nous entendons simplement
le point de vue par lequel un membre d'une société donnée
conçoi t .jd 1une certaine façon, le monde comme une extension
de sa propre société qui,sur tous les plans,pratique autant
que théorique,est son seul univers"(9 ).
Pour d'autres auteurs le terme modernisation est neutre
et n implique pas automatiquement une étape supérieure.I 1
connote simplement le fait que les structures et modèles
sociaux fondamentaux sont altérés et désigne les transformations
soci u-culturelles qui résultent des facteurs et processus
distinctifs du monde industriel contemporain (1 0 ).

Les autres notions présentent également des inconvénients:


la notion d'acculturation établit une identité entre le
fait acculturatif et tous les facteurs exogènes du changement
social.Elle ne distingue pas entre la mise en rapport forcée
et volontaire,entre contacts concernant des cultures "parentes"
et contacts imposés par la colonisation. La notion engloberait
aussi bien l'action du Makhzen,1'action des Zaouias - car
il s'agit bien de contacts entre groupements représentant
des cultures relativement différentes et qui ont pour
conséquences des changements qui affectent la collectivité
traditionnelle - que 1 'interventionisme administratif colonial
et ôterait,de ce fait, toute originalité historique à l'action
administrative coloniale sur la collectivité traditionnelle.En
plus de la confusion de toutes les actions exogènes à la
société traditionnel 1 e ,1 'acculturation considère les groupements
en contact sur le même pied,il n'existe pas d'action d'une
culture sur une autre mais des transactions culturelles
entre les cultures en contact. L'acculturation ne peut
s'appliquer que lorsque le contact est interaction entre
les cultures et non une action unilatérale imposée par une
culture sur une autre. Elle ne prend pas en considération
non plus le fait colonial. Les facteurs qui sont à l'origine

(10)-G.Balandier.Anthropo-logi ques,P.IM7, 1974 >p.247 _24$ J


(9 ),D. Slater, la géographie du développement, cahiers internationaux de sociologie
VOL, LX, p 72
du changement social Aït Zekri opèrent dans des conditions
particulières auxquelles G.Balandier a donné le nom de situation
coloniale.(il)
Prenant en considération le contexte colonial,R .Bastide
établit,dans sa classification des types de contacts entre
civilisations,une distinction entre "l'acculturation spontannée,
naturelle,1 ibre qui n'est ni dirigée,ni contrôlée où les
individus doivent s'adapter à des conditions altérées par
le simple jeu du contact" et "l'acculturation organi sée,niais
forcée au bénéfice d'un seul groupe (..) que nous trouvons
par exemple dans le cas de 1 'esclavage ou de la colonisation,
cas dans lesquels il y'a bien volonté de changer la culture
des natifs pour la plier aux besoins du groupe dominant,donc
organisation des processus acculturatifs,mais une organisation
non planifiée ou mal planifice"(1 2 )

Appliquée au changement institutionnel des Aït Zekri ,


la notion de mutation ne mettrait l'accent que sur un aspect
du changement,à savoir la' rupture,les transformations
structurelles rapides et brusques des institutions
traditionnelles,sans établir aucune distinction entre la
dynamique externe de la collectivité et sa dynamique interne,
entre les facteurs exogènes et les facteurs endogènes du
changement social.Quant à la notion du développement,celle-

(1 1 )-"on peut définir cette dernière (Ta situation coloniale)en retenant


les (conditions)plus générales et les plus manifestes d'entre elles:
la domination imposée par une minorité étrangère "racialement"et culturel­
lement différente,au nom d'une supériorité raciale (ou etlinique) et
culturelle dogmatiquement affirmée,à une majorité authoctone matériellement
inférieure; la mise en rapport de civilisations hétérogènes : une
civilisation à machinisme,à économie puissante,à rythme rapide et d'origine
chrétienne s'imposant à des civilisations sans techniques complexes,à
économie retardée,à rythme lent et radicalement "non chrétiennes" ;le
caractère antagoniste des relations intervenant entre les deux sociétés
qui s'explique par le rôle d'instrument auquel est condamné la société
dominée;la nécessité pour maintenir la domination de recourir non seulement
à la "force" mais encore à un ensemble de pseudo-justifications et de
comportements stéréotypées,etc. ".
G.Balandier,sociologie actuelle de l'Afrique noire,P.U.F,1971}p*34••
(12)- R.Bastide,problèmes de 1 1 entrecroisement, des civilisations et de
leurs oeuvres,op.cit.p.325
76

ci ne met l'accent ni sur la reproduction et la continuité


de la collectivité traditionnelle ni sur la rupture et.
ladiscontinuité,Le développement résulte d'un ensemble
de changements cumulés.(1 3 )

Nous retenons la notion de modernisation parce qu'elle


a l'avantage de connoter la rupture et la discontinuité, 1 a
mise en relation entre deux sociétés fondamentalement
differentes,la société traditionnelle et la société moderne,de
mettre l'accent sur la dynamique externe de la société
traditionnelle.

La modernisation de la collectivité Aït. Zekri peut être


decrite comme une mutation provoquée par l'application forcée,
par l'administration coloniale,de rôles et institutions
nouveaux à la collectivité traditionnelle.

Section 2: Les caractéristiques de la modernisation.

§1- La rationalisation juridique

Par forme du droit il faut comprendre "les diverses


manières de constater et d'exprimer le droit"(1 4 ).Le droit
est constaté et exprimé dans la collectivité traditionnelle
par des règles coutumières fixées d'avance. mais fléxibles
et par des accords entre collectivités (Tata,Khawa..) • Quant
au contenu,on constate l'extrême diversité des règles coutumières qui
traduit le caractère particulier du droit appliqué dans
chaque collectivité ou groupe de collectivités. Cette
particularité juridique découle du fait qu'aucun groupement
n'est arrivé à imposer le contenu de son droit aux autres
groupements qui disposent chacun,d'un espace juridique
particulier.

(13)-Le développement. culturel,par exemple,est défini,par E.Willems,comme


un "changement caractérisé par l'accumulation irréversible d'éléments
de civilisation dans une société déterminée qui de ce fait,acquiert un
contrôle toujours efficace sur le milieu physique et social".Dictionnaire
de sociologie,Librairie Marcel Rivière et Cie,Paris,1961,p.6 9 .

(14)- G.Gurvich, Traité de sociologie.problèmes de sociologie de droit,


op.cit, p.190 .
77

Le droit appliqué par l'administration coloniale aux


institutions traditionnelles des Aït Zekri est un droit
à caractère rationnel (1 5 ) quant à son contenu et sa forme.
La rationalité du contenu peut être déduite de la grande
abstraction et généralisation des propositions juridiques
qui peuvent être appliquées à unnombre infini de cas. Au
niveau de la forme du droit introduit par l'administration,
seule la constatation et l'expression du droit par les textes
écrits (Dahirs,Arrêtés Viziriels..) et la pratique des tribunaux
(jema'as judiciaires et tribunaux coutumiers) sont admises.

La rationalisation juridique,effectuée par l'administration


coloni aie,signi f ie la soumission des Aït. Zekri aux propositions
juridiques générales et abstraites. Les règles juridiques
nouvelles (relatives à la jema'a,aux terres col 1 ect ives,aux
agents d'autorité..) ne concernent pas seulement le groupement
particulier Aït Zekri,elles sont appliquées à toutes les
collectivités soumises à l'administration coloniale.La
généralisation des propositions juridiques suppose la
suppression de l'indépendance des espaces juridiqut-.s
particuliers vis-à-vis du pouvoir central et leur intégration
dans un espace juridique global,intégration qui va de pair
avec l'insertion des groupements particuliers,dans la société
globale - le Maroc colonial. Cette tentative d'unification
juridique n'avait pour limite que la division par le protectorat
des tribus en tribus - chra' et tribus - coutumes. Cependant
cette limite n'est q u 'apparente,1 'homogénéisation de l'espace
juridique s'effectue au sein même des deux catégories de
tribus.

Mais la rationalisation juridique ne signifie pas que

(1 5 )- Le droit rationnel introduit par le protectorat est inspiré du


droit romain adopté après le moyen âge en France.Cette adoption a entraîné
la prolifération de codifications rationalistes du droit.Le droit romain
"trouve son expression dans l'activité du préteur et des prudents-juriscon-
sultes de la Rome républicaine et de l'empire.Le préteur est un magistrat
chargé de "dire le droit".En entrant en fonction;il proclame des édits
d'après lesquels il va juger et qui sont élaborés avec l'aide des "prudents"
qui sont à la fois des savants-juristes,des avoués et des avocats.C'est
la loi et la pratique judiciaires qui,en se combinant,constituent ici le droit.
Le droit romain est devenu l'exemple classique du droit purement laïc
et rationnel.il est entièrement rationnel:aussi bien quant à sa source,
que quant à son, contenu composé de propositions abstraites universellement
applicables." G.Gurvich.Ibid.p.182 .
78

les Aït Zekri sont soumis exclusivement au droit "inventé"


par les juristes français. Les Jema'as propriétaires de biens
collectifs continuent à être régies par un droit autonome,
qui n'est pas totalement subordonné au droit uniforme d«*
l'administration coloniaie,mal gré la réglementation de plusieurs
aspects de l'exploitation du collectif et du contrôle
administratif par des règles générales et abstraites. La
coutume continue à s'appliquer à certains domaines : désignation
du naïb de la jema'a, partage du rendement des t.erres collectives
par Kanoun etc..Par aileurs le droit que les jema'as judiciaires
et par la suite les tribunaux coutumiers appl iquèrent. est
différent de celui appliqué par l'administration aux jemaVi-.
judiciaires. Ce dernier est. uniforme et. s'applique à toute
les jema'as judiciaires (les règles concernant, la nomination
des ajema's leurs rémunérât ions,la compétence des jema'as
etc..sont identiques) alors que la coutume appliquée par
la jema'a est particulière et diffère par conséquent de celles
appliquées dans d'autres . tribus berbères.Cependant,à
l'expression et à la constation du droit par la coutume
et les accords intertribaux,s 'est substituée une autre forme
d'établissement du droit : la pratique ries jema'as judiciaires
matérialisée par les sentences qui sont écrites et enregistrées.
La coutume perd de sa spontanéité dès q u ’elle est appliquée
par un groupe d'ajema’s. L'administration coloniale ne peut
pas administrer les collectivités traditionnelles en conservant
un droit dont les manifestations sont, d'après la logique
de l'organisation juridique rationnel!e,inorganisées. Il
faut,alors,créer une juridiction : le droit n'est plus exprimé
par la coutume mais par des ajema's qui "disent le droit"
dont la source demeure coutumière; cependant, cette source
commence à perdre de sa force avec la création du collège
judiciaire Zemmour qui a de "véritables pouvoirs législatifs".
La création de ce collège a pour conséquence de trouver
un nouveau fondement à la coutume. Celle-ci ne doit plus
être acceptée parce qu'elle l'a toujours été,mais elle
peut être remise en cause dès qu'elle ne correspond plus
aux situations nouvelles : "Celui (le collège judiciaire)
79

des Zemmours a été réuni plusieurs fois pour compléter,rénover,


modifier ou abroger des dispositions coutumières devenues
incompatibles avec l'évolution inévitable des tribunaux
sortis de leur isolement sous la poussée de nécessités
économiques,administratives ou soci aies" .(1 6 ) Ces tentative:-,
qui tendent à retirer à la coutume sa justification par
1 'ancienneté,par le passé, pour la fonder sur la compatibilité
avec des situations nouvelles ne se sont pas effectuées
sans difficultés s" 1 1 nous a été donné récemment de mesurer
à l'occasion d'un cas d 'espèce,conibi en les Zemmours répugnent
à laisser soustraire à leur coutume ce qui n'a plus de raison
de subsister du fait de la présence civilisatrice de la
France dans le pays.
V'
Il s'agit d'une question relative aux effets de l'esclavage
et il convient,pour la bonne intelligence de ce que nous
voulons montrer,d 'exposer succintement les faits : un berbère
des Beni 'Ameur de l'annexe de Tiflet cite la veuve d'un
esclave de son père défunt. Il demande que lui soit reconnue
la qualité de tuteur matrimonial de la fille née des oeuvres
de l'esclave et de la défendresse.Les juges de première
instance font droit à sa requête.Les juges du second degré
£
se montrent disposés à confirmer ce jugement.

''En qualité de commissaire du gouvernement nous tentons


de leur faire entendre que si les Zemmours estiment que
l'ancien maître conserve encore des droits sur les descendants
de l'esclave défunt,on ne saurait le suivre de nos jours,
jusqu'à admettre que ces droits puissent être transmis
héréditairement. Mous nous heurtons à une incompréhension
totale de l'ensemble des douze juges d'appel et renvoyons
le règlement du litige à une audience ultérieure pour consulta­
tion de la direction des affaires chérifiennes. Celle-ci
nous fait connaître qu'elle approuve notre point de vue
et que nous devons nous employer à le faire prévaloir devant
le tribunal d 'appel".(1 7)

(16 )-J.Deluc,considérations sur les tribunaux coutumiers Zemmours,document


C.H.E.A.M,n° 2335,1952,p.27. ' -
(17)- J.Deluc, op.cit,p.17-18
80

La rationalisation du contenu . du droit,c 'est-à-dirv


la substitution de propositions juridiques générales et.
abstraites aux règles coutumières appliquées par la jeinavi
judiciaire,n'a jamais été réalisce,malgré les tentatives
des juristes et des fonctionnaires coloniaux :
" Certains estiment nécessaire,écrit J.Deluc, d'accentuer
sans tarder nos efforts vers une unification de droit (...)
cependant, il y'a un réel danger et nous risquons de porter
une rude atteinte a l'originalité berbère. Notre souci
d'uniformisation est étranger1 voire en opposition avec la
structure de la société étudiée " .(1 8 ) Par ailleurs l'auteur
atténue sa position rigide en jugeant seulement précoce
toute uniformisation de droit. Selon lui "il faut attendre
et préparer des recuei1s .."( 19) . La variété des règles
coutumières hante la rationalité juridique qui tend à réduire
toute diversité juridique à l'unité de droit. Toutefois
la codification et l'unification du droit coutumier n'ont
jamais vu le jour. La seule tentative de rationalisation
qu : ne concerne pas les coutumes des tribus berbères,mai s
seulement le droit coutumier Zemmour,demeure l'ouvrage de
G.Marcy (le droit coutumier Zemmour).

La rationalisation juridique s'est limitée à la forme


du droit; les ajemars continuent à se référer à des règles
fixées par la coutume et non par l'administration coloniale.
Ces règles coutumières ignorent toute systématisation et
demeurent,par conséquent,appliquées au niveau de groupements
particuliers.

L'opposition rationalisation juridique de la forme /


non-rationalisation du contenu n'est valable que dans' la
mesure où l'analyse se borne à identifier les éléments
rationnels et les éléments non-rationnels dans le droit
appliqué au sein de la collectivité Zekriejmais dès l'instant
où on ne dissocie pas l'analyse des caractères du droit
étudié et la politique berbère coloniale on s'aperçoit que
la non rationalisation du contenu du droit traditionnel
est essentiellement un choix rationnel de la part de

(18)- J.Deluc, op.cit, p.41


(19)- J.Deluc,. op ■cit, p.42.
81 ~ •

1 administration coloniale.La non-rationalisation du contenu


par l'administration n'est due ni à 1a résistance de la
coutume, ni a l'incapacité des juristes devant la diversité
des réglés coutumières.Elle résulte,au contraire,d 'un choix
politique de 1 administration,celui de maintenir la coutume,
1 originalité berbère",en vue de contrebalancer le Makhzen
et son soutien, "l'élément arabe""malgré nos tendances
rationalistes,écrit A.Plantey, nous sûmes éviter l'assimilation
aux tribus arabisées de la plaine".(2 0 ) la non-rationalisation
un choix rationnel dans la mesure où elle n'est qu'un
moyen par rapport à une fin définie par la stratégie politique
o oniale. De même la rationalisation juridique suppose
un c>roupe de juristes pour .systématiser les règles juridiques,
de même la non-rationalisation juridique suppose l'existence
d'un groupe d'hommes politiques pour la réfléchir et la
mettre en oeuvre. La non-rationalisation n'est pas une
ommission, elle est une activité rationnelle par rapport
à un but.(2 1 )

§2 - démythification et déritualisation.

La rationalisation a une seconde signification que M.Weber


a essayé de préciser au plan de la science :"Essayons d'abord
de voir clairement ce que signifie en pratique cette
rationalisation intellectualiste que nous devons à la science
et à la technique scientifique.Signifirait, - elle par hasard
que tous ceux qui sont assis dans cette salle possèdent
sur leurs conditions de vie une connaissance supérieure à
celle qu'un indien ou un Hottentot peut avoir des siennes?
Cela est peu probable. Celui d'entre nous qui prend le tramway
n'a aucune notion du mécanisme qui permet à la voiture de
se mettre ' en marche (...) Nous n'avons d'ailleurs pas besoin
de le savoir. Il nous suffit de pouvoir "compter" sur le
tramway et d'orienter en conséquence notre comportement(... )
L'intellectualisation et la rationalisation croissante ne
signifient donc nullement une connaissance générale croissante
des conditions dans lesquelles nous vivons. Elles signifient
bien plutôt que nous savons ou que nous croyons qu'à chaque

(2 0 )- A.Plantey, o p .cit, p.197*


(21)- c_f .inf ra - Partie III, Chapitre I.
82

instant nous pourrions,pourvu seulement que nous le voulions,


nous prouver qu il n ’existe en principe aucune puissance
mystérieuse et imprévisible qui interfère dans le cours
de la vie,bref que nous pouvons maîtriser toute chose par
la prévision. Mais cela revient à désenchanter le monde.
Il ne s'agit plus pour nous,comme pour le sauvage qui croit
à l'existence de ces puissances,de faire appel à des moyens
magiques en vue de maîtriser les esprits ou de les implorer
mais de recourir à la technique et à la prévision. Telle
est la signification essentielle de 1 'intel1 ectualisation."(2 2 )

Il a fallu que l'administration co1onia 1e ,pour rationaliser


la collectivité traditionnelle,1 ui retire ses mythes,ses
mystères, ses qualités esthétiques et sacrées et la transforme
en un ensemble d'objets et de données.

L'analyse des institutions traditionnelles permet de


distinguer l'aspect rituel et mythique et l'aspect technique
et profane. La Tata en tant que pacte d'alliance a un aspect
technique et profane dans la mesure où elle a des conséquences
politiques et économiques permettant d'une part de faciliter
la mouvance,et d'autre part de maintenir l'ordre. La Khawa
a aussi un aspect fonctionnel représenté par l'atténuation
de la violence par sa généralisation. Cependant la Khawa
et la Tata ne sont pas seulement des institutions à aspect
technique ;car elles sont accompagnées d'autres actes sociaux
qui sont techniquement superflus : La céremonie de blaghis
pour l'institution Tata et la "Dbiha" (sacrifice) pour la
Khawa. Le sacrifice, le fait de tuer le bétail,n'est pas
un acte technique, il ne vise pas,par exemple, la distribution
de la viande. C'est un énoncé symbolique en acte. Ce sont,
ces actes techniquement non fonctionnels qui font de la
Tata et de la Khawa des institutions Zekries et non pas
seulement des institutions 1 onctionnelles :"il en va de
même pour tout espèce d'acte technique,celui—ci comporte
toujours un élément fonctionnellement essentiel,et un autre,qui
est simplement la coutume locale,11apret esthetique" (23)»
Ce sont ces actes techniquement superflus qu'il importe

(2 2 )- M.Weber, le savant et le politique,pion,1974,PP-69 70.


(23)-E.Leach.les systèmes politiques des hautes terres de Birmanie,F.Maspero
1972,p.3 4 . .
de qualifier à la suite d 1 E .Leacli,de rituels. A ces rites
correspondent des mythes,énoncés verbaux,qui constituent
la sanction du rituel :"Seddik - Ben lAssila,des Ait 'Abbou,
a la suite d ’un conflit qu'avait opposé entre elles nombre
de tribus avait été choisi comme "moul el mezrag" par les
Mzourf a .Quelques temps après,des frères de Seddik-Ben-'Assila
attaquaient des moissonneurs Mzoufas. Sur deux souks consécutifs
des Aït 'Abbou une bannière noire flotta au vent et,en se
croisantsur le marché,les gens se disaient :"ceci est 3e
drapeau de Seddik-Ben-Assi la" (‘Alam-Seddik ). Le jour du
troisième souk,on creusa un fossé,et on édifia un tombeau
avec des pierres surmontées de chiffons noirs.Ceux qui passaient
demandaient qui était enterré là. Un leur répondait : "c'est
là la tombe de Seddik-Ben-'Assila". Et tous crachaient à
terre en maudissant le traître"(2 4 ).

Le mythe en tant que charte prévoit des sanctions


surnaturelles pour ceux qui ne respectent pas le 'Ahd. La
garantie juridique des accords tribaux est fondée sur la
crainte de forces surnaturelles.( 2 5) Ce n'est donc pas 1<*

(24)- in M.Lesne, Les Zemmour,Essai d'histoire tribale,op.cit,p.72.


(25)-Le caractère sacré de la Tata a produit de riches récits mythiques:
"Des Belkasmis ont volé des "mers" appartenant à certains douars Aït
Jbel Doum. L'opération terminée,ils rentrent chez eux,mais au milieu
du chemin,les sacs deviennent lourds,ils se sont métamorphosés en porcs.
C'est plus tard qu'ils se sont aperçus que les objets volés appartiennent
aux serghinis des Aït Jbel Doum avec qui les Aït Belkacem sont liés par
la Tata".Informateur Oulhachmi ’ Abdesslam.Aït Belkacem.
"Un homme des Aït ‘Abbou a ramassé un cable,dans un lieu où campaient
des tentes;le cable s'est transformé en vipère parce qu'il appartient
aux Zhana,groupement, lié avec les Aït 'Abbou par la Tata" Informateur.
I hourran 'Abdelkbir.Aït ‘Abbou. .
Marcel Lesne rapporte des récits similaires :"Au cours d'un Moussem de
sidi-Larbi,des Beni Hsen,une femme des Messaghra trouva un bracelet en
argent. Au lieu de se conformer à la tradition tata qui consiste à
remettre l'objet trouvé à la jetnaa constituée à cet effet, elle se tut
et l'emporta chez elle à la fin du Moussem. Le malheur s'abattit sur
la famille .Elle perdit mari et enfants. Le Moussem suivant,elle vint
remettre le bracelet à la Jemaa et raconta son histoire. Le bracelet
appartenait à une femme des Ouled-Hmid . Un objet volé à un ou - Tata
est absolument sacré pour son frère ." M.Lesne,les Zemmour,op.cit, p.6 l.
84

manque de garantie extérieure qui distingue la coutume (26)


du droit nouveau,mais la nature de cette garantie : dans
la collectivité traditionnelle les règles coutumières soni.
garanties par la caution du sacré,alors que le droit introduit
"est garantie extérieurement par la chance d'une contrainte,
grâce à 1 activité d'une instance humaine,spécialement instituée
a cet effet, qui force au respect de l'ordre et châtie la
vi olation".(27)

"La sécularisation et la "désacralisation" des images


du monde orienLant l'action voir'e ]a tradition culturel 1<*
dans son ensemble- sont la contrepartie d'une "rationalité"
croissante de l'activité sociale".(2 8 )

La rationalisation signifie également la démythification


des institutionstraditionnelles,1 a substitution,aux
institutions fondées sur le rituel,des institutions techniques,
profanes et entièrement fonctionnelles.L 'assimilation de
collectivités dans une même circonscription administrative
ne dépend que de considérations techniques,basées sur un
savoir empirique.La répartition des individus ne se fait
plus selon les liens affectifs qui les rattachent à un nom
commun mais selon la division du terr it.oire.Cette répartition
traditionnelle des individus se justifie par le fait qu'il
en était toujours ainsi. Seule la tradition explique la
répartition qui ne peut être mise en cause. Le découpage
territorial se fonde sur des préoccupations, techniques :
le regroupement des petits caïdats,le nombre des individus,
l'homogénéisation du territoire etc..Il peut toujours être
remis en question si de nouvelles divisions du territoire
se révèlent plus efficaces.La rationalité administrative
se base sur le fait que les institutions trouvent leur
explication en elles mêmes et non en dehors d'elles (dans

(26 )- "Par "coutume" nous entendons,à la différence de la "convention"


et du "droit",une règle sans garantie extérieure que l'agent observe
librement,que ce soit d'une façon simplement "machinale",par "commodité"
ou pour toutes sortes d'autres raisons,en même temps qu'il peut s'attendre
pour ces raisons à ce que les autres membres qui appartiennent au groupe
la respectent vraisemblablement.Ainsi comprise,la coutume n'a rien
d'obligatoirement valable" .M.Weber, Economie et société,pion, 1971 *p.27
(27)-La définition que donne Weber du droit (ibid.p.33)en tant que règle
ayant une chance de s'imposer par la contrainte,est employé ici pour
définir seulement le droit introduit par l'administration coloniale.
(28)-J .Habermas.la technique et la science comme idéologie,Denoël/Gouthier,
1978,P.4 .
S5

le mythe ou la tradition..)- Les terrains collectifs n'ont


pas échappé à cette expansion rationnelle. Le partage du
terra in collectif ne doit plus refleter les principes
d'organisation traditionnels , 1 a parenté réelle ou sociale,
mais se conformer aux règles techniques et rationnelles:
"Il s'agit de révolutionner les. usages.de faire un partage
conforme aux techniques agricoles (..). L'irrigation exige
un partage géométrique selon les lignes de pentes,qui n'est
pas nécessairement conforme aux traditions des usages. D'autre
part quand on a affaire avec un groupement composé de- 40
ou 50 chefs de familles (..) il est souvent difficile de
mettre tout le monde d'accord sur la répartition des lots:
les frères et cousins trouver veulent se groupés et quelques
•*
fois les clans qui composent les douars.

"Enfin sur le plan matériel,il est parfois impossible


de partager rationellement un collectif ou le lot revenant
à chaque famille est trop petit pour constituer une exploitation
agricole normale".(29)

§3- La dépolitisation des institutions traditionnelles.

la démythification des institutions tribales est accompagnée


de leur dépolitisation,les institutions traditionnelles
ont une dimension mythique mais également une fonction
politique.L'administration coloniale n'a pas seulement agi
sur l'aspect mythique et rituel mais aussi sur l'aspect
fonctionnel et politique : le maintien de 1 'ordre,1 'organisation
de la violence etc.. "La colonisation a transformé tout
problème politique en un problème technique relevant de
la compétence administrative. Elle a contenu toute manifestation
de la vie collective ou toute initiative qui semblait limiter
ou menacer son emprise quelles qu'étaient la forme de la
société politique indigène et les régimes coloniaux qui
organisèrent la domination"•(3 0 )

En effet, tous les aspects politiques tribaux et inter—

(29)-A.Guillaume.la propriété collective au Maroc,Ed.la porte,I960,p.78.


(30 )-G.Balandier,1 *anthropologie politique,p•u •F 1 9p7,P »1 •
86

tribaux n'ont plus avec l'administration coloniale qu'un


caractère technique et administratif : les frontières ne
sont plus le reflet des rapports de force entre les tribus,
elles ne sont plus déterminées par les institutions tradition­
nelles à aspect politique (jema'a ,Aniassay ..) , la mouvance
n'est plus organisée par la Tata etc.. La délimitation des
frontières ,1 a mouvance etc. deviennent l'affaire des services
administratifs. L'Azetat ne protège plus les étrangers,
l'administration devient l'unique azetat.

La dépolitisation peut être engendrée soit par l'extinction


pure et simple des institutions trad it ionrif 11 es à aspects
poli tiques (Tata,Khawa,Azetat,Issi ..)soit par le maintien
des institutions traditionnelles en les dépouillant de leur
aspects et fonctions politiques. La jema'a n'est maintenue
que pour assurer des fonctions administratives,judici aires
ou de gestion de collectifs. Le Dahir du 21 Novembre 1916
est explicite à cet égard :"Art.4- Les jemaas de tribu ou
de fraction ont pour mission en dehors de toute attributions
politiques :

1 °) de fournir,au nom de la collectivité et à titre


consultatif,aux autorités administratives ou de contrôle,
des indications ou avis concernant les intérêts du groupe;

2 °) de gérer,dans les conditions qui seront arrêtées


par notre grand Vizir,les biens collectifs de la tribu ou
fraction,qui demeurent soumis au régime immobilier institue
par notre Dahir du 7 Juillet 1914,et ne peuvent en conséquence
être aliénés, qu'avec l'autorisation de notre gouvernement;

3 °) d'engager ou de soutenir en justice,avec l'assistance


(les autorités locales administratives et de control e ,toutes
actions nécessaires à la sauvegarde des interets collectifs
do la tribu ou fraction".

Cette dépolitisation se traduit par la multiplication


des liens! verticaux qui regissent les rapports entre collecti­
vités et administration au détriment de ceux horizentaux
qui organisent les relations entre les collectivités .
87

§4- La rationalisation bureaucratique.

La direction administrative bureaucratique "se compose,dans


le type le plus pur, de fonctionnaires individules (..)lesquels,

X— personnellement libres,n 1 obéissent qu'aux développements


objectifs de leurs fonctions ,

2- dans une hiérarchie de la fonction solidement établie,

3 - avec des comptétences de la fonction solidement établies,

4- en vertu d'un contrat donc (en principe) yur le fondement


d'une sélection ouverte selon

5- la qualification professionnelle : dans le cas 1r


plus rationnel, ils sont nommés (non élus) selon une qualifica­
tion professionnelle révélée par 1 'examen,attestée par le
diplôme ;

6- sont payés par des appointements fixes en espèces


(...),ces appointements sont avant tout gradués suivant
le rang hiérarchique en même temps que suivant les respons­
abilités assumées, au demeurant suivant le principe de
"la conformité au rang"

7- traitent leurs fonctions comme unique ou principale


profession; .

8- voient s'ouvrir à eux une carrière,un "avancement


selon l'ancienneté" ou selon les prestations de service,
ou encore selon les deux, avancement dépendant du jugement
de leurs supérieurs;

. 9 - travaillent totalement "séparés des moyens d ■administra-


ion" et sans appropriation de leurs emplois;

10- sont soumis à une discipline stricte et homogène


de leurs fonctions et à un contrôle " (31)

A partir,de ce type idéal de la bureaucratie,i1 faudra


montrer dans quelle mesure les traits principaux dela direction
administrative locale coloniale correspondent ou non avec
ceux ainsi définis par M.Weber.

(31)- M.Weber, Economie et société, Pion, 1971, p.226.


88

L'administration locale coloniale est caractérisée par


l'action continue de plusieurs fonctionnaires qui,liés à
des règles fixées et déterminées d 1 avance,sont soumis à
une organisation où chaque fonctionnaire est subordonne*
hiérarchiquement à son supérieur immédiat. (les Moukadems
et les cheikhs sont non seulement subordonnés hiérarchiquement,
et responsables de leur travaux devant le caïd qui est lui
meme responsable de son travail devant le grand Vizir, mais
encore contrôlés par les contrôleurs civils.)
L'organisation rationnelle du travail a entraîné la multiplica­
tion de rôles au sein de l'administration. Concernant la
jema'a judiciaire, au rôle d'ajema' se sont ajoutés plusieurs
rôles : celui du secrétaire greffier,ce 1 ui des commis greffiers
ordinaires et principaux... La multiplication de rôles est
accompagnée par la multiplication des titulaires de rôles.
La confusion de rôles qui caractérise la collectivité
traditionnelle (L'ajema',le caïd.. assurent plusieurs rôles
sociaux et politiques) a cédé la place à la spécialisation,
pour que l'activité, au lieu de se disperser sur une longue
surface, se concentre et gagne en intensité ce qu'elle perd
en étenduê. Les fonctionnaires locaux se spécialisent dans
un domaine déterminé. La spécialisation au sein de l'administra­
tion se confond avec la compétence lorsque celle-ci est
définie comme " a) un domaine de développement d'exécution
délimité objectivement en vertu du partage de cette exécution,
b) avec l'adjonction de pouvoirs de commandement requis
à cette fin et c) une délimitation précise des moyens de
coercition et des hypothèses de leurs application . " ( 3 2 )
Les compétences respectives du caïd et de la jema'a sont
relativement précises : le caïd intervient essentiellement
pour le maintien de l'ordre alors que la jema'a judiciaire
n'est sollicitée que pour "dire le droit".Au sein de la
Jeina'â elle même, les rôles sont distincts : 1'ajema' juge;
le commissaire du gouvernement veille au respect de procédures,
à l'exacte application de la coutume et à l'exécution de
la sentence; le secrétaire greffier reçoit les requêtes,envoie

(3 2 )- M.Weber, op.cit, p.224.


89

les citations,met en minutes les jugements,assure l'exécution


CtvC * ■•

La spécialisation implique l'exclusivité et entraîne


par conséquent la suppression des rôles traditionnels concurents.
Ainsi l'Amassay ou l'Argaz Akesouat perdent leur place dans
l'arbitrage entre individus au profit denouvels ajema's.
Il en va de même pour l'Azetat qui ne peut plus assurer
à côté du caïd la police' intérieure de la collectivité.

L'administration locale coloniale est également caractérisée


par 1 'expropriation des anciens caïds et cheikhs de leurs
postes. Ils ne sont plus en principes, propriétaires d<-
la fonction qu'ils exercerit, ils deviennent, avec l'administra­
tion coloniale des personnes nommées par des supérieurs
hiérarchiques,mutées et révoquées par eux. Ils se trouvent
également séparés des moyens d'administration, ils ne disposent
plus a titre personnel des moyens matériels de gestion qu'ils
reçoivent en espèce ou en nature,des lieux d'activité de
leurs fonctions, le bureau est séparé du lieu d'habitation.
"Partout,affirme Weber,le développement de l'Etat moderne
a pour point de départ la volenté du prince d'exproprier
les puissances "privées" indépendantes qui à côté de lui,
détiennent un pouvoir admi ni strat. if ,c 'est-à-d ire tous ceux
qui sont propriétaires de moyens de gestion, de moyens
militaires, de moyens financiers et de toutes les sortes
de biens suceptibles d'être utilisés politiquement. Ce processus
s'accomplit en parfait parallèle avec le développement de
l'entreprise capitaliste expropriant petit à petit les
propriétaires indépendants. Et finalement on voit que dans
l'Etat moderne le pouvoir qui dispose de la totalité des
moyens de gestion politiques tend à se ramasser en une seule
main,aucun des fonctionnaires ne reste plus propriétaire
personnel de l'argent qu'il dépense ou des bâtiments,des
stocks et des machines de guerre qu'il contrôle".(3 3 )

Si ces caractéristiques sont incontestablement applicables


à la bureaucratie coloniale,elles appellent,néanmoins,quelques
précisions au niveau des ajema’s ,caïds,cheikhs et moukadems

(3 3 )-M.Weber,1 e savant et la politique,Pion,1 9 7 4 ,p. 1 0 7 .


90

qui subordonnés a des supérieurs hierarchiques,constituent


le relais de l'action administrative coloniale à l'echelon
local.

La première précision est relative au principe de séparation


des fonctionnaires de leurs moyens matériels de gestion.
La séparation des locaux administratifs des lieux d'habitations
des fonctionnaires n'est appliquée qu'à Tiflet et à Khémisset
où des bureaux administratifs ont ete construits. En revanche,
au sein des collectivités,1 'habitati on du cheikh ou. du caïd
continue à tenir lieu de local administratif. La séparation
entre les ressources de la fonction et les ressources privées
n'est pas,non plus,totale. La rémunération d'une partie
du personnel subalterne du caïd est assurée par le caïd
lui même et non par les ressources de l'administration coloniale.

La seconde précision concerne la rémunération des agents


locaux marocains. Ceux-ci ne perçoivent aucun traitement
de l'administration française : "on les laisse prélever leur
part de l'impôt rural et on tolère quelques exactions
supplémentaires. Le coût de cette administration «dont les
représentants sont présents au niveau du moindre groupement
ethnique,pour maintenir 1 'ordre,renseigner et exécuter les
décisions de l'administration - est donc supporté par le
secteur traditionnel."(34)

En effet,les caïds reçoivent une remise de 6 centimes


additonnels sur l'impôt du tertib collecté dans leurs commande­
ments. Les Khalifas qui secondent le caïd dans sa tâche
ne touchent aucune rétribution officielle. Quand au personnel
subalterne dont dispose le caïd,à savoir un fkih et un certain
nombre de Mokhaznis,il est rémunéré par le caïd et touche
en plus une indemnité de sortie (sokhra); il est de sucroît
nourri gratuitement (mouna) dans les tribus où il se déplace.
Les cheikhs reçoivent une remise de 4 centimes additionnels
à l'impôt du tertib recouvré dans la fraction. Les Moukadems
assurent leurs fonctions de liaison entre les cheikhs et
les douars sans aucune rétribution of f icielle.(3 5 ) Les ajema^s

(34)-R.Leveau,le Fellah marocain défenseur du trône,Presses de la fondation


nationale des sciences politiques,1976 ,p.7•
(35)- E.Coïdan.le caïd marocain,op.cit,pp.10-13.
91

ne touchent aucun traitement fixe mais seulement des rémunéra­


tions selon les audiences auxquelles ils ont assisté ainsi
que des indemnités de frais de route du domicile au tribunal
(36) .

L 1 absence d'un appointement fixe et en espèce constitue


apparement une fausse note dans l'harmonie bureaucratique.
Cependant la perception par les caïds et les cheikhs d'un
pourcentage de l'impôt agricole s'avère aussi efficace,sur
le plan de la dépendance vis-à-vis de 1 'administration,que
le salaire .(37)

L'homogénéisation du droit,du territoire,des institutions


et des rôles;(3 8 ) la dômythification,la dépolitisation des
institutions traditionnelles etc..Sont autant imposées
par des nécessités tenant à la rationalisation que par les

(36 ) C'est l'arrêté Viziriel du 17 Décembre 1934 qui a organisé la rémunéra­


tion des ajemsfs :
Article I:les membres titulaires et suppléants des tribunaux coutumiers
de première instance reçoivent à l'occasion des audiences qu'ils tiennent:
1°) Une vacation d'audience;
2°) Une indemnité représentative de frais de route.
Article II. La vacation d'audience est fixée à 20 Francs par journée
d'audience.
L'indemnité représentative de frais de route est fixée à 30 Francs par
journée de route nécessaire au membre du tribunal.'*
Avant le premier Janvier 1935,date d'entrée en vigueur de cet arrêté
viziriel,l'ajema* ne touchait aucune rémunération officielle. Cet état
de fait est ainsi critiqué par le contrôleur civil,chef de la circonscription
des Zemmours : — .
"Il est en effet inadmissible de continuer à demander à des juges bénévoles
que l'on dérange en permanence tantôt,pour siéger,tantôt pour se transporter
sur les lieux d'enquêtes,de se considérer comme payés par l'honneur qui
leur est fait ou par les repas que l'on sert" Rapport du contrôleur civil,
chef de la circonscription des Zemmours sur l'activité des Jernaas
judiciaires en 1928-29. Cité par H.Hersé in le statut judiciaire des
tribus de coutume berbère au Maroc, Thèse pour le Doctorat (soutenu le
19 Juin 1935),Université de Rennes,Faculté de droit.

(37)- "La rétribution fixe est normale..De même la rétribution en espèce,


du point de vue conceptuel,elle n'est pas absolument essentielle,mai s
correspond au type le plus pur" M.Weber,Economie et société,op. cit,p. 227.
(38 )-Une analogie entre l'homogénéisation institutionnelle,spatiale,
juridique, .et la normalisation,telle qu'elle est définie par H.Jeanne,
peut être établie.La normalisation "se caractérise par l'interchangeabilité
aussi parfaite du maximum d'objets et de pièces constituantes des objets
dont use l'homme pour travailler^et"pour vivre..Le résultat de la normalisa­
tion est la réduction du nombre de formes et de caractéristiques que
peut revêtir les pièces et les objets ayant la même fonction.Chaque pièce
et objet obéit à des normes conventionnellement respectées par les
producteurs".Toute fiche électrique,par exemple,doit s'adapter immédiatement
à toute prise de courant.
11.Jeanne, le système, social,Ed. de l'université de Bruxelles,p.293*
92

besoins d'une activité administrative centralisée et d'une


administration de masses L •acti vi té rationnelle par rapport
a une fin est en vertu de sa structure même l'exercice d'un
contrôle".(39).L'administration centrale ne peut contrôle,
que par le biais d'un droit uniforme et établi par elle,par
le truchement d'une bureaucratie locale,spécialisée,hiérarchisée
et disciplinée:Elle ne peut dominer la coutume ,expression
traditionnelle du droit mais la pratique des tribunaux,nouvelle
manière d'établissement du droit. Elle ne peut maîtriser
un territoire qui se subdivise en fonction de la distributio n
des individus mais des individus qui se subdivisent en foncti o n
du territoire. Elle ne peut. contrôler des collectivités
mouvantes,mais des collectivités fixes etc. C'est,ainsi,
que la rationalisation est synonime de l'institutionnalisation
d'une nouvelle domination ,cl 'un nouveau contrôle.

Section 3 • La continuation de la modernisation.

L'administration du Maroc indépendant va adopter trois


types d'attitudes face aux innovations introduites par
l'administration coloniale : •

1°) Elle annule purement et simplementdes innovations


qui ne correspondent plus à la situation nouvelle,par exemple,
le Dahir du 9 Mai 1959 qui a résilié la concession de droit
de jouissance perpétuelle consentie en application du Dahir
du 27 Avril 1919 et du tfahir du 13 Décembre 1941.

2 °) L'administration maintient totalement ou en partie,


certaines innovations,c 'est ainsi que le Dahir du 28 Juillet
1956 maintient la tutelle des jema'as tout en confiant cette
tutelle au ministre de l'intérieur; c'est ainsi également
que le Dahir du 2 Décembre 19 5 5 'elat if à la division administr­
ative du royaume,-respecte 1 1 organistation territoriale du
pays établié par le protectorat .(38 )bis La fixation des Alt
Zekri est devenue définitive après l'indépendance : devant
le durcissement dans l'application de la législation forêstière
depuis 1,960,la protection sévère des forêts du Sud, le paiement
des redevances auxquels les animaux transhumants sont soumis,

(39),-. Jurgen Kâbermas„op.cit, p.5»


.(38)bis-"Art I:' : notre royaume est divisé en seize provinces et deux
préfectures ainsi qu'en communes urbaines et rurales.
Les provinces sont divisées en cercles,les cercles sont divisés en caïdats".
93

le refus des services forestiers d'admettre au parcours


un nombre d'animaux dépassant celui inscrit en 1960 el
d'accorder de nouvelles inscripfcions,]es Aït Zekri furent
contraints d'abandonner la transhumance après avoir déjà,
sous le protectorat, abandonné le semi-nomadisme.

3 ) L'administration prend en outre des mesures qui


continuent et accentuent la modernisation entamée par
l'administration coloniale. Ce sont ces mesures ainsi que
leurs significations et leurs conséquences sur la collectivité
Ait Zekri qui seront examinées (dans le cadre de cette section).

L'administration locale confiée à des agents locaux


non rémunérés par l'Etat est abandonnée. L'administration
du Maroc indépendant (4 0 ) rompt avec la pratique colonial <•
qui consiste à laisser les agents se payer sur les
collectivités Le système des caïds notables était certes
définitivement condamné par leur participation à la déposition
de Mohamed V en 1953* Soucieuse de son aspect moderne,
l'administration du Maroc indépendant ne pouvait pas se
permettre d'utiliser des agents qui vivaient officiellement
de prélèvements sur les populations qu'ils administraient.
Les nouveaux caïds étaient des fonctionnaires que l'on
avaitf . l'intention d'organiser sur le modèle théorique
du corps préfectorale français,et suivant la pratique du
contrôle civil dont ils héritaient les postes budgétaires,
les bureaux et les villas." (40 bis)

(39)bis-Projet Sebou,Zootechnie,! situation actuelle.Fasc.8 , les ruminants


du pays Zemmour. Maroc F.A.Û. Rabat. 1968.p.53-
(40)-"L'administration du Maroc indépendant" est employé,ici ,à dessein
au lieu de "l'administration marociane".Car l'administration qui a succédé
à 1 'administration coloniale comprenait encore plusieurs contrôleurs
civils et des assitants techniques français, aussi bien au niveau des
services centraux que provinciaux.
Ceci est confirmée par la structure administrative en 1959»

1 |Marocains |étrangers IToi al |Marocains^ étrangers'/. |


Icadres subordonnés 1 7289 | 20 17309 ! 99,7 0,3 1
1cadres secondaires 1 8677 1 3342 j12019 1 72,19 27,9 I
Icadres principaux 1 2507 1 1691 14198 1 59,7 40,4 1
1cadres supérieurs 1 4272 1 3531 17803 1 54,7 45,3 1
in note descriptive sur les élites administratives et économiques marocaines
A.Khatibi,Pouvoir et administration au maghreb,C.N.R.S, 1975,P*75•
(40bis)-R.Leveau,op.cit,p.44 ’
94

Le caïd ne dépend plus,du point de vue de sa rémunération de


la collectivité,i1 est rémunéré par l'Etat.Le Dahir du 20
Mars 1956 fixant le statut des caïds affirme :"sont abrogées
toutes dispositions prévoyant le prélèvement sur les produits
des impôts de sommes déstinées à être réservées aux caïds
et chioukhs."(41 ) Cette indépendance vis—à—vis . de la
collectivité, entraînant une dépendance croissante à l'égard
de l'administration centrale,est accentuée par la nomination,
au lendemain de 1 'indépendance,de caïds étrangers à la tête
de la collectivité Ait Zekri. C'est la première fois qu'un
caïd non Zekri ou non Zëinmouri commande la collectivité Aït
Zekri. La nomination du caïd,chez les Aït Zekri,n 'était sous
le protectorat que la consécration administrative d'un statut
prescrit : tous les caïds qui ont commandés les Aït Zekri
étaient des fils de caïds.Avec la nomination des nouveaux
caïds le statut prescrit cède la place au statut acquis.

La fonctionnarisation de 400 caïds ne posait pas autant


de problèmes que la fonctionnarisation de 2000 cheikhs et
20.000 moukadems. La modernisation de l'administration locale
est limitée par la capacité de financement de l'Etat. Le
cheikh est rémunéré par l'Etat,mais il ne recevait que 250D11
par mois. Le ministère des finances exige que le nombre des
moukadems soit réduit et que leur salaire soit modeste.
L'indemnité allouée,alors , au moukadem est de 50 DM par mois.

La fonctionnarisation,1mal gré les efforts de l'administration


centrale à moderniser l'administration locale et à rompre
avec la pratique coloniale, reste partielle notamment au
niveau inférieur,celui des cheikhs et moukadems :

1°) La faible rémunération ne permet pas aux cheikhs


et moukadems de faire de leurs fonctions une occupation unique
ou principale. Ils sont des agriculteurs qui ont d'autres
préoccupations parallèles.

2°) Sur le plan de financement de ces agents, le problème


est résolu par des pratiques officieuses .L 'administration
est contrainte de tolérer les prélèvements des moukadmins
sur les paiements en nature ou en argent des chantiers do

(41)- BJJ),n°2267,6 Avril 1 9 5 6 ,p.342.


la promotion nationale. Il existe aussi d'autres compensations
traditionnellement tolérées par l'administration et la population-

3°) Les cheikhs ne disposent pas de- locaux administratifs.


Plusieurs lieux (cafés,maisons .. )se transforment occasionnel-
lem**nt en locaux administratifs où sont délivrés des certificats
de rcsidence,d 'indigence...

4°) Les moukadems et les cheikhs ne sont pas des fonction­


naires de carrière malgré leur rémunération par l'Etat.
Les caïds qui sont des fonctionnaires de carrière n'étaient
pas dans leur majorité,quaiifi ces . "la fonction publique
moderne qui exige de nos jours un corps de travailleurs
intellectuels spécialisés,hautement quai ifiés,préparés à
leur tache professionnelle par une formation de plusieurs
années"(4 2 ) est encore loin d'être réalisée au niveau de
l'administration locale (4 2 ): "suivant une enquête faite
en Juillet I960 par le ministère de 1 'intérieur,on comptait
sur 395 caïds et chefs de cercles, 23 illetrés 57 agents
n'ayant que quelques rudiments d'instructions en arabe, jet
135 ayant un niveau d'études primaires. Une centaine d'agents
seulement,en premier lieu les chefs de cercle,avaient un
niveau d'études dépassant le C.E.P."(43)

5°) Il manque également aux cheikhs et moukadems la


compétence fixe et précise. Les fonctions assurées en fait
par eux sont nombreuses,i1 s assument des fonctions politiques
(information de l'autorité locale..) des fonctions judiciaires
(remise des plis de justice,avertissements..) et des fonctions
administratives (enquête administratives,auxi1 iaire d'organ­
ismes de crédits,auxiliaires de 1 'inspecteur des impôts
ruraux..) (4 4 )•

(42)-Max Weber,le savant et le politique,op.cit,p.117. '


(43)-R.Leveau,Le fellah marocajn déffenseur du trône,op.cit,p,51»
(44)-En 1958, une note du ministère de l'intérieur, établie avec
ministère des finances, pour discuter la situation des moukadems,décrit,
ainsi leurs attributions :
" Le rôle du Moqqadem :
Dans unçheikhat, les moqqadmins sont les auxiliaires des chioukhs, leurs
agents d'exécution, à l'échelon du douar.Par ailleurs, ils sont censés
renreigner le cheikh ou le caïd sur tous les aspects de l'activité de
douar ayant une incidence administrative, économique et même politique.
Si l'on considère que la vie en tribu conserve un caractère fortement
collectif, et que la plupart des ordres et directives s'y transmettent
par voie orale,le cheikh privé des moqqadmins ne pourrait pas faire
grand-chose.
96

L'effort de modernisation locale se manifeste également


au niveau de la création des communes rurales.(45 ) La collec­
tivité Aït . Zekri est UULLe
dotée aedp deux communes rurales qui•
ne recoupent pas
t les
o trois i
UU i S irions •
/eknes i
: la commune
Sidi 'Allai lmseddcr correspond à la collectivité Aït ‘Abbou
alors que la commune Khemis Sidi Yahya regroupe les Aït
Belkacem et les Ait
-■■o Wahi
wani (140J.
A fi1 t ^•
L'organisation -i
communale
reprend certaines innovations prévues par le Dahir du 6
Juillet 1951 : 1 'élection des membres de la jema'a administrative
et leur fonction représentative et délibérante.Cependant
elle va plus loin sur de nombreux points.

La ci éation des communes par la loi signifie que seule


les communes rurales sidi 'Allai Lmsedd.er et. Kliemis sidi
Yahya ont une existence legale. Les tribus Zekries n'existent
plus du point de vue du droit public marocain .Cette inéxi stence
légale des tribus est confirmée au niveau des noms des communes’
,
les communes ne portent plus,comme pendant le protectorat,
les noms des tribus auxquelles elles correspondent.

L'appartenance à la commune n'est plus conditionnée


par l'appartenance à la collectivité (ou aux collectivités)
qui coïncide avec la commune .L'électeur a le choix entre
trois listes él ectorales,i1 peut s'inscrire soit sur la
liste d'une commune de sa résidence depuis un an, soit sur'
la liste d'une commune où il paye ses impôts depuis trois
ans,soit sur la liste de son lieu de naissance (47).Le Dahir
du 1° Septembre 1959 relatif à l'clection des conseils

Le rnoqqadem est en quelque sorte le représentant et le responsable du


douar- ce qui implique que la population doit lui faire confiance.
Faute de facteurs ruraux,le rnoqqadem est chargé de remettre à leurs destina­
taires tous les plis privés ou administratifs.
Il assure le travail de prérecensement du tertib aidé de quelques hommes
de confiance.C'est une responsabilité sérieuse,puisque ce travail sert
de base à l'établissement de l'assiette de l'impôt.
Il assistait,si besoin était,aux audiences de justice lorsque les caïds
détenaient le pouvoir judiciaire. Là où le juge délégué est compétent.,
il est souvent chargé par celui-ci de fournir des renseignements sur
les litiges ou les parties.De même,les services de lapolice et de la
gendarmerie ont fréquement recours aux moqqadininsdans leurs enquêtes.A
cela s'ajoutent diverses activités et responsabilités qu'il est difficile
de circonscrire car elles sont occasionnelles..) R.Leveau.op.cit.p.4 8 .
(45)- Les deux communes rurales (sidi Mlal Lmsedder et Khemis Sidi Yahya)
sont crées par le decret de 2 Décembre 1959 créant et émunérant les communes
urbaines et rurales du royaume du Maroc.B.O du 4 Décembre 1959)n° 2458,
p.2040
(46)-des instructions sont expédiées aux gouverneurs,en Mai 1957}prescrivent
de préparer un nouveau découpage se fondant essentiellement sur des intérêts
économiques et géographiques.La commune doit rassembler tous ceux qu'unit
un intérêt économique commun, (même Seguia,même Souk,centre de travaux
agricole. .) R.Leveau,op.cit,p.29
v47)-L>ahir 1.9 .1959*relatif à l'élection des conseils communaux.B.0,du
4.9.1959, n° 2458.
97

communaux fait intervenir plusieurs critères modernes clans


la détermination des liens entre les électeurs et la commune;,
alors que le Dahir tlu 6 Juillet 1951 prévoit que les membres
de la jemaa seront élus par les ressortissants de leurs
groupements. Le critere de la rcsidence et celui de 1 1 inscrip­
tion sur le rôle de la commune permettent à un non 'Abboui,par
exemple,d’appartenir à la commune Sidi ‘Allai Lmsedder et
entraînent par conséquent un décalage entre la commune et
les collectivités.

L'homogénéisation de l'organisation communale et son


unification sont réalisées par le Dahir du premier' septembre
1959 et,notamment,par le Dahir du 23 Juin îyôO. Cette uniform­
isation était, limitée pendant le protectorat à cause surtout
de la politique berbère coloniale. L'administration coloniale
n'avait pas,par exemple,une procédure uniforme pour l'élection
des membres des jema’as administratives. Le Dahir de 1951
permettait aux autorités de contrôle d'organiser les élections
suivant les modes coutumiers de désigantion de jema'a. En
Revanche l'Article III du Dahir de 1959 prévoit une procédure
unique à toutes les communes rurales et urbaines marocaines:
"les membres de conseils communaux sont élus au scrutin
uninominal àla majorité relative à un tour au suffrage
universel direct,pour une durée de b ans".Le Dahir de I960
subordonne,également,1 e fonctionnement,lesat
du conseil communal,les dépenses obligatoires de la commune
etc..à des règles identiques.

La continuation de l'uniformisation entamée par le


protectorat a notamment visé "la justice coutumière berbère".
Exposant les motifs de la suppression de la section pénale
coutumière du haut tribunal chérifien le Dahir du ‘19*3-1956.
dispose:"considérant que dans le but de soumettre les juridic­
tions Makhzen à un régime uniforme,il est apparu opportun
de supprimer la section penale coutumi ere du haut tribunal
chérifien." Le Roi Mohanmed V,dans le discours prononcé
lors de 1 'installait ion'de la cour suprême (23-10-57), a insisté
sur la réalisation de l'unification de droit en tant qu'objectif
principal dans le programme de réforme judiciaire :"Pour
permettre l'unification générale du droit,il est nécessaire
98

de promulguer une législation uniforme applicable par tous


les tribunaux* Ls réalisation de ce ^ra nd projet nécessite*
la création de commissions spécialisées. C'est ainsi que
Nous avons chargé une commission de codifier le droit musulman
et de préparer un projet relatif au statut personnel.Nous
avons l'intention d'instituer d'autres commissions pour
élaborer un Code Pénal et un Code d'instruction criminelle. " ( 4 8 )
Le "particularisme" de la justice berbère consacré par le
Dahir du 16 Mai 1930 est implicitement abrogé par les Dahir s
du 25 Août 1956 (49) portant créât.ion des tribunaux de juges
délégués dans le ressort des anciens tribunaux coutumiers
et portant création de cadis dans les anciennes tribus dites
de coutumes. L'hétérogénéité des règles coutumières appliquées
par les juridictions coutumières est abolie par la poussée
des textes,homogénéisants et uniformisants,après l'indépendance.
L'application des règles coutumières relève du passé; la
collégialité des juridictions est supprimée; la source du
droit n'est plus coututnière : les tribunaux du cadi à khémisset
(5 0 ) appliquent le chra' et le tribunal de première instance
de khémisset (5 1 ) des règles nouvelles uniformes .(5 2 )

(48)-Réalisations et perspectives,(16 Novembre 1955)18 Novembre 1957)»


ministère de l'information et du tourisme,pp. 120-121.
(49)-cf.le Dil n° 1.56.158 du 25 Août 1956 et le Dahir n° 1.56.159 d
25 Août 1956. B.O du 7 Septembre 1956,n°2289,p.1002.
(50)-Le tribunal du cadi à khémisset,siégeant à khémisset et comprenant
un cadi et un suppléant est crée par le DH n° 1.56.192 du 25 Août 1956
portant création de 20 tribunaux de cadi dans les anciennes tribus dites
de coutumes. B.O du 7 Septembre 1956,n° 2289,p-1003.
(51)- Le tribunal du juge délégué de khémisset,siégeant à khémisset et
comprenant un juge délégué,4 Juges suppléants et 20 asseseurs est crée
par le Dahir n° 1-56-160 porant création de 20 tribunaux de juges délégués
et déterminant,leur composition,leur siège et leur ressort.
B.O du 7 Septembre 1956,n° 2289, p.1003* _
I52)-La réalisation et les perspectives en matière de justice sont ainsi
résumées en Novembre 1957 par le ministère de l'information et de tourisme:
"sur" le plan judiciaire,des problèmes ardus se posaient.L'ancien système
avait laissé en place,à son départ.,une multiplicité de juridictions,
n'appliquant pas les mêmes textes et. ne suivant pas les mêmes procédures...
outre le découpage en zones qui faisait subir un premier trançonnement
de la chose judiciaire,il y'avait à l'interieur d'une même zone des juridic­
tions modernes,des juridictions dites "Makhzen" des juridicitions civiles
appliquant le droit musulman,des juridiction dites "coutumières",basées
sur les traditions orales,elles-mêmes variables selon les tribus ou les
portions de tribu !(..) ,.
le gouvernement eut donc à remettre de l'ordre dans cette étrange machine
juridique. , . .,
En justice civile,le droit musulman fut rendu d'application generale
sur tout le territoire.Cela fut acquis par la suppression du fameux "Dahir
berbère".Une conmission de codification de ce droit fut réunie et assure,
sous la présidence de M.Allai El Fassi,une formulation d'articles inspires
certes de la tradition juridique musulmane,mais aussi,suivant le voeu
99

du Roi,d'un souci d'adapter le droit musulman aux exigences de; la vie


moderne.
En matière pénale,un seul Code Pénal et un seul Code de Procédure criminelle
doivent désormais régir l'application de la loi sur tout le territoire
nationnal." ■
Réalisations perspectives (16 Novembre 1955,18 Novembre 1957 )imini stère
de 1'information et du tourisme, p.1 1 9 .
T R O I S I E M E P A R T I E

LA DYNAMIQUE DE LA TRADITION

i
100

La majorité des études sur la modernisation ne s'intéresse,


dans leur analyse du processus de nioderni sation,qu 'aux aspects
organisationnels et institutionnels du changement social.L 'étude
du processus de modernisation se limite à la description
des institutions nouvelles et à l'analyse de leur fonctionnement*
Pour ces etudes,en effet seule la dynamique organisationnelle
des institutions modernes déterminé le changement institutionnel
(1 ).

Les approches "institutionnelle" et "organisationnelle"


de la modernisation mettent. 1 'accent sur les innovations
institutionnelles et négligent les traditions culturelles
des sociétés m o d e m isees,sous prétexte que les différences
culturelles sont secondaires pour le processus de modernisation;
cette diversité culturelle des sociétés en transition se
dissiperait une fois réalisée l'étape ultime de cette transi­
tion : la modernité.
Si dans les développements précédents il a été nécessaire
pour la clareté de l'exposé d'analyser le changement institu­
tionnel et ainsi de privilégier les discontinuités historiques
provoquées par l'interventionnisme colonial au détriment
des "continuités" historiques et culturelles dans l'orientation
ou la réorientation du changement social,il importe maintenant
de prendre en considération non plus seulement la dynamique
externe de la collectivité Aït Zekri,mais également sa dynamique
interne,en d'autres termes de confronter les institutions
introduites par le protectorat avec la tradition des Aït
Zekri.

Cette dynamique de la tradition sera analysée en examinant


aussi bien l'attitude de l'administration moderne à l'égard
de la tradition (chapitre I) que l'attitutde de la collectivité
traditionnelle face à la modernisation (chapitre II).

7T)-cf s.n. Reisenstadt. 1 1analyse anthropologiqueides soc iétés_ complexes,


op.cit,pp.16-22.
*

P R E M I E R C H A P I T R E

L'ADMINISTRATION ET LA TRADITION
101

La question de l'attitude que l'administration doit


■adopter à l'égard du passé cuiturel des tribus berbères
s'est üeja poses au printemps 1913 où Me généra] Henry*,
<,u, dirigeait le groupe mobile,et son équipe algérienne
«.• déclaraient aussitôt partisans d'une solution qui sauvegar­
derait l'originalité berbère marocaine en maintenant celui-
ci dans son isolement traditionnel en lui conservant ses
coutumes '1 (2 ), Le capitaine (Juerl eux,chef du bureau de renseigne­
ment de Tiflet, écrit en io ic uti. t -> 7 x .
J-J-s U e » Zemmours) virent
en nous bien plus l'ennemi de leur liberté et de leurs préroga­
tives que celui de leur religion,et la résistance qu'ils
nous opposèrent fut bien plus dirige contre 1 'étranger
que contre le Rourni .Aussi est-i] nécessaire de tenir compte
dans nos méthodes administratives, de leur race, de leurs
coutumes locales et de leurs traditions anciennes. L'observance
de ce principe, et leur indifférence en matière reli gieuse,sont,
certainement les meilleurs facteurs de notre réussite et
les plus solides garanties de notre domination."(3) Cette
attitude est légalisée par le Dahir du II.9 . 1 9 1 4 : "les
tribus dites de coutume berbère sont et demeurent régies
et administrées selon leurs lois et coutumes propres sous
le contrôle des autorités".

L'intérêt officiel porté aux coutumes berbères au nom


de l'originalité berbère a été mise en oeuvre par la "Politique
berbère".Le lieutnant-colonnel Huot,directeur des affaires
indigènes a défini en 1 922 "les caractéristiques de la politique
berbère .Selon lui, "la veritable politique berbère consistera
a respecter cette organisation et ces coutumes et à faire
cadrer avec elles les réformes administratives et politiques
que nous aurons à introduire dans le pays ( ..) toutes les
questions de statut personnel ou successoral, de transaction
immobilière,de différends,de litiges continuront à être
règleés par la coutume 11. ( 4 )

Comparant l'idéologie coloniale en Algérie et celle


qui s'est développée au Maroc, !J.Favret* affirme qu'"il n'y'a
pas eu de politique berbère en Algérie,c 'est-à-dire l'exaltation
des modes d'organisation et des valeurs berbères",au contraire

p)-C.R Ageronj politiques coloniales auMaghreb,op.cit,p. 1 2 1 .


(3)- Cne jjuerleux,les Zemmour,Archives berbères,1915»Vol♦I»P»6 l.
'4)-C.R. Ageron, op.cit,p.116.
102

"à partir de 1870 le caractère même de la politique algérienne,


moins déterminé par la métropoleque par une société coloniale
largement autonome,ne se prêtait pas à l'exaltation mais
au mépris de la société traditionnelle. Il faut voir là
sans doute une raison du discrédit et de la médiocrité de
l'administration locale en Algérie,les administrateurs
militaires et avec eux, la politique tribaliste ayant succombé
à l'hostilité des colons."(5 )

La question est de savoir quel est la signification


de 1 ’attitude,officiellement positive,de l'administration
coloniale vis-à-vis du passé traditionnel des tribus berbères."

Sect ion I : La réact.i vat ion administrative de la tradition.

Le respect de la traditionen matiere de justice consiste poux*


l'administration coloniale d'une part de ne pas appliquer
l'institution musulmane (le cadi)et d'autre part de ne pas
introduire une justice directe (juge français tel qu'il
fut mis en place en Algérie). Justifiant le maintien de
la jema'a en matière de justice dans le cercle des Zemmours,
le commissaire du gouvernement,le capitaine J.Deluc affirme
que la faveur que connaissent ces juridictions traditionnelles
"s'explique par le fait que ces juridictions répondent,tant
dans leur composition que dans leur fonctionnement à la
mentalité rustique du berbère et à son ésprit démocrati que.En
effet la composition de l'un de ces tribunaux tient compte
du fractionnement ethnique de la tribu et toutes les fractions
y sont représentées. Les juges ne sont pas des professionnels
mais, choisis parmi leurs "frères*, ils sont soumis à la surveil­
lance de l'opinion publique".( 6 )

La fidélité officielle à la tradition était nécessaire


à l'administration coloniale pour passer de la puissance
(qui signifie toute chance de faire triompher au sein d'une relation
sociale sa propre volonté,même contredes résistances,peu
importe sur quoi repose cette chance)à la domination (qui
singifie la chance de trouver des personnes déterminables
prêtes à obéir à un ordre de contenu déterminé"(7) ..

15)-J .Favet :le traditionalisme par excès de modernité,Archives européennes


jg sociologie.y») VTTT.lQb7.P.yi
(6)-J«Deluc,pp.çit,p.9»
(7)- M.Weber,Economie et société,op.cit,p56 .
103

L'administration ne cherche pas seulement à imposer sa. volonté


aux tribus même contre la résistance de celles-ci,mais cherche
aussi leur obéissance. Il s'agit pour l'administration coloniale
de; dépasser l'étape de la "pacification" où son commandement
n'était pas légitime et où la soumission des tribus était
obligatoire à un commandement légitime fondée sur l'obéissance
qui devient un devoir pour les tribus."L'expérience montre,
écrit VVeber,qu 'aucune domination ne se contente de bon gré
de fonder sa pérennité sur des motifs ou strictement matériels,
ou strictement affectuels,ou strictement rationnels en valeurs.
Au contraire,toutes les dominations cherchent à éveiller
et. à entretenir la croyance en leur "légitimité" (?) .Selon
le même auteur "Il existe en principe trois raisons internes
qui justifient. la doininati on,et par conséquent il existe
trois fondements de la légitimité .Tout d'abord l'autorité
de 1 '"éternel hier",c 'est-à-dire celle des coutumes sanctifiées
par leur validité immémoriale et par l'habitude enracinée
en l'homme de les respecter.Tel est le "pouvoir traditionnel"
que le patriarche ou le seigneur terrien exerçait autrefois.En
second lieu l'autorité fondée sur la grâce personnelle et
extraordinaire d'un individu (charisme);elle se caractérise
par le dévouement tout personnel des sujets à la cause d'un
homme et par leur confiance en sa seule personne en tant
qu'elle se singularise par des qualités prodigieuses, par
l'heroîsme ou d'autres particularités exemplaires qui font
le chef (..) il y'a enfin l'autorité .qui s'impose, en vertu
de la "légalité",en vertu de la croyance en la validité
d'un statut légal et d'une "compétence" positive fondee
sur des règles établies rationnellement,en d'autres termes
l'autorité fondée sur l'obéissance qui s'acquitte des obliga­
tions conformes au statut établi.C'est là le pouvoir tel
que l'exerce le "serviteur rie l'Etat" moderne,ai nsi que
tous les détenteurs du pouvoir qui s'en rapprochent sous
ce rapport".(9 )

On peut être t e n t é de q u a l i f i e r la r é f é r e n c e de l ' a d m i n i s ­


tration à la tradition de "légitimité traditionnelle".Cependant

(&)- M.Weber,op.cit,p.22Ô. SJ_ irv0


(9)- M.Weber : le savant et le politique ,g£^it >P-
104

dan * de ., •a<,.inJ.t r a U o „ c l o n,aIo. n „e „„


d'une si,„,„e conformité passé,, hl„.. ^
la 3 em.Ta était conforme au rn« (; ' - ‘
~ i t- . * Clic DO nNixe.ss)t.ait
o r p ^ Q i ' f n î f .aucune
forme de légitimation de 1 'extÉr ir»n». i •
, exu.rieur. Les institutions tradi ton­
nelles n'ont pas besoin d'être n„çH f r • -,
u ctre J'Jst.nfiecs a la raaniùr.- de
Deluc. biles tirent leur - -,
l é g i t i m i t é ,l e u r r a i s o n d'être de
leur ancienneté. Ce nui PSt i -. •4.• -
1 cst légitime par Deluc,ce n'es t
pas la Jema'a traditionnelle en tant ,„,e telle qui peut se
passer de toute Justification extérieure de 1 .admi ni st io„
coloniale pour se m a i n t e n i r .«ais ,e. innovations q„.. con n u e
cette institution. La jema-a traditionnelle n ’est pas maintenue
en f a t , e l l e n'existe qu'en tant que symbole qui ........
les innovations administratives et simule 1 'institnl,on
nouvel 1 e qu'on continue à appeler jema-a. Ce maintien d'appel».
tions traditionnelles (iema'a raïH
vjt-mdd,caicl,cnei kh ..) par -
ii i • •
]'administrai, ion
coloniale est
une
une . farnn aussi i
laçon de cacher n
les .
innovations
derrière le conservatisme des signifiants .

La légitimité de l'administration coloniale ne se définit


pas comme une simple conformité au passé mais comme la
justification d'innovations sous voile de conformité au
passé.(1 0 )

Ce ne sont pas seulement les changements qu'ont connus


les institutions traditionnelles que l'administration cherche
à légitimer en se référant à la tradition,mai s également
les institutions nouvelles,telle que la tutelle,sont plongées
dans le passé pour leur trouver des racines traditionnelles
et un simulacre de conti nui té.On peut se référer,à titre
d'exemple,à l'étude de Michaux-Bellaire sur "les terres
collectives et la tradition au 1 Maroc11 dans lequel l'auteur
s'efforce de montrer que "le principe de tutelle sur lequel
est établi le Dahir du 29 Avril 1919 est..bien conforme
à la tradi ti on ".( 1 Obis ) "Cette organi sati on ,préci se-t. - i]
basée sur le principe de la collectivité de certaines terres
et sur celui de la tutelle de l'Etat ne constitue pas une
innovation : elle est au contraire parfaitement conforme
aux traditions du pays et à son organisation politique".( 1 1 ) |

(10)- cf.A.Laroui,tradition et traditionalisation,in Renaissance du monde


arabe,Ouvrage collectif,Ed.J.Duculot, et S.N._E.D,Alger, 1972,pp. 265-276.
(lObis)- E. Mi c h a u x . B e l l a i r e , L e s terres collectives et la tradition au
Ma r o c ,Hesneris 1924 ,T.IV.p. 14BT " '
105

Il commence par chercher le principe de la tutelle dans


le passé traditionnel des tribus qui ont échappé à la pénétra­
tion arabe et à l'autorité du Makhzen -'sans doute,il pouvait
arriver qu'au sein d'une de ces collectivités,se développât
une personnalité puissante qui,par son prestige et par sa
force,prit pour elle seule tout ou partie des biens collectifs
et constituât ainsi une véritable propriété privée ( ..).Si
l'établissement (de cette puissance) est assez fort pour
devenir héréditaire,la propriété était créee et la propriété
collective du reste de la tribu tombait du fait même dans
la dépendance de la famille qui exerçait ainsi son autorité
sur toute la collectivité.L 'état de dépendance dans lequel
vivaient et vivent encore certaines collectivités berbères
vis-à-vis des familles qui détiennent ce patriarcat féodal
augmenté souvent d'un prestige religieux,constitue réellement
pour ces collectivités une situation analogue à celles de
mineurs soumis à l'autorité d'un tuteur. Ces collectivités
sont réellement en tutelle."(11).

L'administration coloniale„voile (peu importe si l'admini­


stration a l'intention de voiler ou a conscience de son
action de voiler,ce qui importe,ce sont les conséquences
de ses actions et non ses intentions) par son recours à
la tradition aussi bien les changements que connaissent
les intitutions traditionnelles que l'introduction d'institu­
tions nouvelles,comme si la référence au passé atténuait
la rupture provoquée par l'administration dans les collectivités
traditionnelles. Les institutions traditionnelles doivent
être présentées comme intactes et les institutions nouvelles
comme traditionnelles. La rupture au niveau institutionnel
est compensée par un semblant de continuité symbolique.

Cette référence au passé est d'ailleurs provisoire et


tactique. Elle n'existe que parce que l'administration n'a
pas intérêt à établir des innovations qu'elle qualifie de
brutales et radicales :"I1 ne s'agit pas certes de bouleverser
les coutumes existantes. La plus grande prudence est obsolument
nécessaire dans ce domaine ( ..) nous mêler de la transformer
brutalement sans attendre que les intéressés en éprouvent

(11 )-E.Michaux-Bellaire ,op.cit,pp. 142-143»


106

eux mêmes le besoin ne manque pas de nous exposer à de nouveau x


déboires".(12) Ces innovations sont jugées si précoces,pour
l'administration colonia 1e ,qu'i1 est tactique de les cadrer
avec les institutions traditionnelle;».

Les débats de la commission crèee par .l'arrêté viziriel


du 7 Décembre 1929 et qui fut "chargée d'étudier le fonction­
nement et l'organisation de la justice berbère" sont révélateurs
en ce domaine. La commission s'est réunie (Février 1930)
pour discuter les divers moyens de consacrer l'état provisoire
de la justice berbère tout en préparant. 1 1avenir" :"cet avenir
résidait selon le président dans 1'extension en pays berbère»
de la compétence des tribunaux français. D'emblée les jurist.es
se prononcèrent pour une justice directe à l'algérienne
aux mains d'un juge de paix à cr>mpétence étendue : celui-
ci était déjà le cadi des Xaby 1es,pourquoi ne deviendrait-
il pas celui des berbères ? Le; chef du service des études
législatives et le bâtonnier) de l'ordre des avocats,Me
Bruno,furent les plus persuasifs. Mais le colonnel Benazel ,
directeur adjoint des affaires indigènes,n 'était pas du
tout favorable à la formule du juge français : il redoutait.
1 'acceuil fait par les berbères eux-mêmes à une "innovation
aussi radicale".Le getnéral Nogués,directeur gémirai des
affaires indigènes, intervint dans le même sens, tout e>n concédant
que dans l'avenir le nombre des djemaas pourrait dimunieri
graduellement et ses membres deviendraient peu à peu les
assesseurs du juge français. A la séance du 6 Mars 1930,1 e
président Cordier déclara :"je vois dans l'avenir des magistrats
français chez les berbères,mai s ce n'est pas le moment actuel­
lement. Je ne vois rien toutefois qui empêche ce moment
d 1arriver".(1 3 )

La conformité au passé était conçue par l'administration


comme une "transition" pour faire accepter ses innovations.
Elle n'a pas hésité plus tard à enfreindre ce qui légitimait
son action : les jema'as deviennent les tribunaux coutumiers,
le découpage administratif,avec le regroupement de caïdats
ne respecte plus la répartition traditionnelle des collectivités,
le mot jema'a sera remplacé par les Dahirs des 6 Juillet
et 25 Avril 1955 par une nouvelle dénomination,cel1e de
"conseil rural" etc....

(12)-J.Deluc,op.cit,p.36.
(13)- C.R. Agerou1
,op.cit,p.134 »
107

La politique berbère qui se donne comme principe général


le respect de la tradition ne se limite pas seulement i
une réactivation des institutions traditionnelles en vue
de légitimer les innovations administratives,Au nom du même
principe,le maintien de la tradition,la politique berbère
construit et légitime un modèle d'action politique pour
les fonctionnaires français.

Un rapport de 1 9 1 4 met l'accent sur les principaux éléments


qui fondent l'action politique coloniale en pays berbère:
la non arabisation et la non isi ami sati on ;ceux-ci définissent
négativement une tradition de langue berbère,basée sur la
coutume ce serait commettre une lourde faute que d'employer
vis-à-vis de ces popul at ions,les procédés du sultan et d'essayer
de leur appliquer l'organisation Makhzenienne.Notre premier
soin doit être,au contraire,de les rassurer à cet égard
et, dès que la poudre aura cessé de parler,d 'éviter de les
inquiéter par des mesures administratives étroites,de parler
de caïds à ceux qui n'en avaient pas,de cadis à ceux qui
ignorent ces fonctionnaires. Nous devons constamment nous
inspirer des moeurs et des coutumes locales et,quand nous
avons à innover le faire avec la plus grande prudence,sans
nous croire liés dans ces innovations,par les formes musulmanes
que nous suivons ailleurs (..).En résumé il faut éviter
d 'arabiser,d 'islamiser les berbères .S 1i1 est nécessaire
qu'ils évoluent,nous dirigerons leur évolution vers une
culture nettement européenne,et non purement musulmane ".( 14 )

Les cours donnés aux officiers des affaires indigènes


et contrôleurs civils,les préviennent et avertissent des
erreurs commises en Algérie qu'il ne faut pas répéter au
Maroc :"On ne devait pas laisser islamiser en profondeur
des. musulmans superficiels,ne pas arabiser ces berbères
en leur imposant le chraa coranique, ne pas leur donner des
cadis,ne pas amoindrir l'importance de leur jemaa".Lyautey
rappelle dans une circulaire le contenu de la politique
berbère à un officier responsable des bureaux de renseignements
qui a demandé aux Aït Mesrouh des Aït Seghrouchen <ie -se>
doter d'un ’talebj arabe pour faire la correspondance,1 'écol e'
et la prière :"c'est là en politique berbère un contresens.

(l4)-Rapport en date de 1914,cité par A.Plantey la réforme de la justice


marocaine,op.cit,p.197
io a

Nous n'avons pas à enseigner l'arabe à des populations qu i


s'en sont toujours passés♦L 'arabe est un facteur d 'isi ami sat icm
parce que cette langue s'apprend dans le coran. Ur notre
intérêt nous commande de faire évoluer les berbères hors
ciu cadre de 1 'Islam. Au point de vue linguistique* nous devons
tendre à passer directement du berbère au français (..)
Tous nos officiers de renseignements doivent être pénétrés
de ces principes : qu'ils évitent surtout de se présenter'
en fourriers de l'Islam à ces populations berbères".(15)

Malgré ses tendances rationalistes à savoir la soumission


des tribus à une.* administration centra 1e ,1 1adrnin ist rat ion
coloniale s'oppose à 1 '"ass imi 1at iori" des bei'hère» aux arabes.
Au nom de la tradition berbère (1angue,1zeri'..) l'élément
berbère est utilisé comme un contrepoids aux "arabes" et
au Makhzen car selon 1 'adrni n ist rat ion ,"i1 serait dangereux
de laisser se former un bloc compact d'indigènes dont la
langue et les institutions seraient communes". La politique
berbère en tant que modèle d'action politique définit les
ennemis : les arabes et le Makhzen;précise les objectifs:
la francisation et la désis 1amisation et suggère les moyens,
création des jema'as judiciaires et des tribunaux coutumiers

pour maintenir 1'1zerf ,création des écoles berbères pour


enseigner- le français aux berbères.. La tradition des tribus
berbères n'est pas seulement manipulée aux fins de légitimer
les innovations institutionnelles mais également pour la
construction d'un modèle d'action politique qui se justifie
par référence à la tradition berbère. Bn effet,celle c'
est sollicitée pour légitimer l'action politique berbère
coloniale,les significations politiques qu'elle attribue
aux différences linguistiques et sociales. La coutume ber '
justifie la désislamisation,! 1élimination du Chra', du cadi ,1a
"langue berbère" légitime la non arabisation...

Nous pouvons à présent distinguer deux types de légitimation


deux types de références à la tradition. La jemaa,par I
est invoquée pour justifier l'action politique berbère,le
"diviser pour régner" en insistant sur son caractère anti/
antéi si ami que :"Je pense que nous devrions faire revi

Tl5)-Cité par C .R . Ageron■o p .cit »P •123 124 •


109,

celles des institutions et coutumes berbères. La jemaa par


dont l'esprit du particularisme constitue le meilleur
exe m p l e

desantagonistes de
u l'Islam" (l6ï La .Jem.-fa est i également
In * i .
invoquée comme signe du respect des coutumes pour justifier
les innovations administratives :"U appartiendra aux autorités
de contrôle en portant à la connaissance des indigènes (..)
la nouvelle organisation de faire amplement ressortir l'avantage
considérable de cette innovation * (Jema'a judiciaire) ( ..)
On insisteraparticulierement sur les raisons (respect de
coutumes) qui ont. uétertiii né la création pour les berbères
u 1une justice specia 1e" .(1 7 ) Peut-on se fonder sur les formules
de légitimité pou r' qualifier la domination de l'administration
co 1o riia le ?

La domination exercée par le protectorat ne peut être


qualifiée de rationnelle,parce que la validité de sa légitimité
ne revet pas "un caractère rationnel,reposant sur la croyance
en la légalité des règlements arrêtés et du droit de donner
des directives qu'ont ceux qui sont appelés à exercer la
domination par ces moyens". (18 ) Elle ne peut non plus être
qualifiée de traditionnel1e ,sa légitimité ne repose pas
"sur la croyance quotidienne en la sainteté de traditions
valables de tout temps et en la légitimité de ceux qui sont
appelés à exercer l'autorité par ces moyens"( 1M) .

Cette difficulté de qualification de la domination de


l'administration coloniale vient du fait que la typologie
wébérienne de la domination est construit.e sur la typologie
des motivations de l'obéissance (1 9 )» A la domination légale
et à la domination traditionnelle correspondent respectivement
les deux formules de légitimité rationnelle et traditionnelle.
La classification wébérienne suppose un parallélisme entre
les acteurs qui exercent la domination,1es types de domination
et les formes de légitimité. On peut représenter shématiquement
ce parallélisme comme suit :
domination rationnelle - b u r e a u c r a t i e ..- L é g i t i m i t é rationnelle»

(10)-C.R. Ageron.,op.cit,p. 123- r


(17)-Lettre 192 D.r/ du 14 Fevrierl924.Cité par C.R.Ageron,op.cit >P- ltL0 •
(l8)-M.Weber,Economie et société,op.cit,p.222. .... ... .
(19)-". .Selon le genre de légitimité revendiquée,le type d obels®f ®
de la direction administrative destinée à le garantir et le canaecere
de l'exercice de la domination sont fondamentalement différents.bt a
eux son action. Par conséquent,il faut distinguer les formes e 02Q>
suivant la revendication de légitimité qui leur est propre --- >
110

domination traditionnelle - j.
„ C Patriarcat..- légitimité tradi­
tionnel le.

Cependant dans le cas Ho i , ■


aS de la domination coloniale,il
existe un decalage entre les acteurs qui pjii
exercent i3 domination
rcera, ia ,n ■ ^
et qui sont des fonctionnaires modernes et la formule d e
légitimité a la quelle ils Se réfèrent pour légitimer leur
domination. Ce décalage ne peut être assimilé à la cofusion
que peut offrir la réalité des deux types de légitimité.

La domination rationnelle de l'administration coloniale


ne peut être fondée sur une légitimité rationne] K-,il
s'aK it pas pour l'administration de doubler la rupture q,„.
connaît le fonctionnement réel des institutions l„,nl,.s
par une légit.mité nouvel 1e ,mai s de voiler cette domination
nouvelle,cette rupture,par une continuité symbolique apparente.
Michaux Bellai re,par exemple, ne justifie pas l'institution
nouvelle,la tutelle,en montrant la légalité du Dallir qui
l'a instituée.ou la légalité des titres de l'autorité qui
1 'a.emise| ,„,ais en cherchant à l'institution nouvelle des
origines anciennes.

La qualification de la domination de l'administration


ne peut dériver du type de légitimité auquelle elle rcr<
pour justifier sa domination,mai s des déterminants de
activité sociale (20).La tradition est réfléchie,pensée,débatt
dans les bureaux,par les fonctionnaires coloniaux .Elle
^®"k ÇH-i un moyen,def ini dans la pol it ique berbè re^par rapport a
une fin,elle même déterminée par la même politique. L'action
de l'administration sur la "tradition berbère" est rationnel1>
parce que "agit de façon rationnelle en finalité celui
oriente son activité d'après les fins,moyens et conséqu<
subsidiaires et qui confronte en même temps: rationnelli ment
les moyens et fins possibles entre elles. En tout cas celui-
là n'opére ni par expression des affects ni par tradition”.(21)

(20)- l'activité sociale peut être déterminée de façon rationnelle en


finalité "par des expectations du comportement des objets du monde extérieur
ou de celui d'autres hommes,en exploitant ces expectations comme "conditions
ou coirane "moyens" pour parvenir rationnellement aux fins propres,mûrement
réfléchies fju'on veut atteindre."ibid,p.22
(21)-ibid, p. 23
111

§2- La négation de la traditi on.

L'Etat marocain indépendant a adopté une attitude négative


à • 3 égard de la réference de l'administration coloniale*
à la tradition berbère. Cette référence à la tradition,réduite
seulement a son aspect politique de division ne sera pas
maintenue après l'indépendance. La majorité des institutions,
textes et pratiques administratives qui traduisaient la
conformité officielle a la tradition des tribus berbères
ont été abolis.(22)
I

L'élite politique mo d e m iste,notamment ce-lle de l'Isiiqlal


désaprouve non seulement le type de rapport de l'administration
coloniale à la tradition berbere,mais tout rapport à 1.i
tradition :"le Maroc entre dans une ère nouvelle où la révolu­
tion va s 1enracinant,le cadre des tribus anciennes commence
à s'affaiblir du fait même de son ancienneté. Par conséquent
il est temps de substituer les limites territoriales aux
limites tribales et de faire disparaître les solidarités
de sang et les solidarités familiales qui étaient les seuls
éléments de cohésion des membres de la tribu au profit d'autres
solidarités qui ont la même force mais qui répondent mieux
aux exigences du monde moderne ".(23) Meluli Ben Barka est
encore allé plus loin en voulant. agir non seulement sur
les institutions traditionnelles mais aussi sur leurs appela-
tions. Il propose,par exemple,de changer l'appelation "caïd"
et de la remplacer par "moutassarif" (administrateur) pour
effacer l'image qu'avaient les caïds dans le passé. L'hebdoma­
daire AL-Istiqlal a grandement contribué à la vulgarisation
de ces conceptions modernistes des institutions locales,
"les caïds et super-caïds comme leurs noms doivent céder
la place à des administrateurs répartis par échelons selon
qu'il s'agit des chefs d'annexes,de circonscriptions ou
de cercles".(24)

L'affaiblissement de la référence à la tradition est


compensé par une abondante référence à la m o d e r n i t é ,c 'est
l'exaltation du nouveau et non plus l'exaltation du passe

(22)-cf. supra, section III: La .continuation de la modernisation. "


(23)-Conférence donnée par Mehdi Ben Barka en 1956 evan ^ a premi ^
promotion des agents d 'autorité,ayant suivi un stage au centre .de format o
de cadre d'Aedal-AL Mouharrir,29 Octobre 1980,p.3-
(24)-Nécessité de réformer le statut des administrateurs. AL Istiql_,
9 Février 1957 jP-3*
112

qui légitime la création d'institutions nouvelles. L'institution


communale n'est pas justifiée par un recours au passé mais
par les exigences de la vie moderne. Seule la modernité
justifie la commune et son établissement :"1 'évolution du
pays, dit Mohammed V dans sa proclamation du 8 Mai 1958,
a eu pour conséquence l 1éclatement de la structure tribale
qui ne saurait dès lors constituer une base pour la mise
en place d'organismes représentatifs.Aussi avons nous jugé
préférable que la commune,nouvel1 e cellule sociale et politique,
soit à la base de l'organisation du régime du Maroc moderne".(2 5 )
La référence à la modernité, comme justification de l'établis­
sement des communes,est encore plus expli cit< dans le discours
Istiqlalien. Ben Barka,défenscur acharné de la modernité,
affirme que " la création des communes rurales doit s'inscrire*
dans le cadre de la modernisation du système institutionnel
de notre pays, il ne faut perdre de vue surtout que le but
essentiel pour lequel elles sont créees demeure le développement
économique et le progrès social de notre jeune nation".(2 6 ).
Ces thèmes sont repris et vulgarisés par l'hebdomadaire
AL-Isti qlal :"..I1 est donc de notre devoir de définir,dès
le départ,le sens et la portée de telles élections. Tout
d'abord s'agissant d'élections à l'échelle de la commune,
il nous faut rappeler notre conception de la commune comme
base de développement économique et social de notre pays,comme
moyen d'édification d'un Maroc Moderne qui se traduira par
l'épanouissement des villes,la création des villages,les
aménagements l o c a u x 27)

La référence se fait beaucoup plus au présent,à l'avenir,


aux pays occidentaux. L'institution nouvelle n est plus

justifiée par sa conformité au passe mais par sa capacité


de réaliser les exigences nouvelles du pays (développement,
démocratisation..).La tutelle,par exemple,n 'est plus légitima
à la manière de Michaux. - Bellaire.par son anciennete,sa

T25)-MiBourleyle droit public marocain,Edition la. ?ort e>K^ a t ’


(26)-Les communes rurales et 1 1éducation ,de de base et de
fait par M. Ben Barka,au congres de la ligue et eaucat o
lutte contre l'analphabétisme. AL Istiqlal,9-3-1957?P-3»
(27)-AL Istiqlal,Samedi 20 Juillet 1957>n° 60,p.1.
113

continuité historique,mai s
Dar ^»
P son caractere nouveau,par
le fait qu'elle existe "dans t-nnc i .»
s tous les systèmes des assemblées
communales": "certes une tntpiu i -i. , .
une tutelle del'administration centrale
et des représentants doit çin,Q_ ,
■- exercer jcomme dans tous 1 rs
systèmes des assemblées communales,
communal ne- et peut etre même « avec
une assistance
^ beaucoup plus
f w-lus etroite dans
^ •
certaines communes
peudéveloppées .Mai s dès 1 'inet- „ii ■ > r.
installation des futurs -conseils
communaux, ,leurs iprésidents
csiuents doivent .
pouvoir se présenter
comme des^ maires, à la f n U j
. ■
s émanation de , ,
la commune par
voie d'élection renréspntantet
‘«présentant de i -]ii ,
'autorité . centrale dont
ils traduisent les directive „„;ii
u n cccives,veillant4. a
• l'application
,, ,. des
lois et règlements".(2 8 )

La référence abondante à la modérait ,• n'implique pas


une négation totale de la tradition.Cert.es le recours à
la tradition est affaibli mais il existe des références
a la tradition des tribus berbères dont il s'agit d'examiner
la signification. Ben Barka se réfère,quoique d'une manière
secondaire,à la tradition :»le Maroc qui a recouvré son
indépendance se doit de trouver un système moderne d'institutions
représentatives qui en tenant compte des aspirations du
peuple et de ses traditions lui yiennettent d'assurer son
avenir (29)« Il se réfère dans la même conférence à la jema'a:
L'Islam a connu dès sa naissance un régime profondément
démocratique. Dès l'aurore de son histoire les califes ont
appliqué les principes de gouvernement démocratique,principes
que les juristes ont ensuite étudié et dont ils ont défini
1a nature et l'application.La notion d'intérêt général qu i
donne aux actes du prince leur validité légale est,elle
meme,inspiree par une pensée démocratique,à savoir que les
interets matériels et spirituels de la communauté doivent
être le ^souci majeur’ de tout gouvernement.L 'évolution des
institutions prouve par ailleurs que l'équilibre des pouvoirs
ne saurait être atteint sans l'existence d'organismes
représentatifs élus^

Le Maroc a non seulement connu et appliqué ces principes,

728)- ibid ’ ' ' — —


(29)-Mehdi Ben Barka,les cours de fonctionnaires d'autorité,la commune
rurale - Al Istiqlal,2 Mars 1957,P•3•
114

mais il a eu. avec la jemaa une institution à la fois très


vivante et originale. Avant le protectorat,1 a vie démocratique
était pleine de force : elle était entretenue par les jemaa,
centre de guerre et de paix dans les campagnes (..) sous
le protectorat,cette vie démocratique est restée en veilleuse',
périclitant au profit d'un seul homme,le caïd,agent do
1 1admi ni strat ion ,et le paysan comme le citadin n'avaient.
plus de moyens d 'expressi on."Il propose également de substituer'
au nom de cheikh,non pas un nom moderne,ma is une appelation
traditionnelle : l'amghar ou le Rais,

La référence à ces inst.itut ions traditionnelles leur


attribue des s ign if ica t.ions nouvel 1es .Les institutions
anc iennes,jema'a ainghar et Raïs, ne sont pas conçues en tan1
que telles mais dans la mesure seulement où elles représentent
des principes et valeurs modernes : la jemafa est le symbole
de la démocrat ie,1 1amghar et le Raïs,symboles de la non
corruption,de la noncollaboration avec l'administration
coloniale,de la limitation du pouvoir etc.Les institutions
traditionnelles sont donc réinterprétées selon les modèles
occidentaux,et le recours à la tradition a pour fonction,
notamment,de montrer que la modernité (démocratie,représenta­
tion..) n'est pas entièrement nouvelle pour le Maroc :"Si
certains aspects de cette vie communale sont nouvelles, le
fondement de la commune est issu de nos traditions, ancestr­
ales... "(31) La référence à la tradition,quoi que faible,légitime
comme dans le cas de 1'adminsitration coloniale les innovations
‘ institutionnelles. La rupture avec le passé n'est pas totalement,
assumée,sa résurgence au niveau du discours moderniste
singifie que les institutions nouvelles (la représentation,
la démocratie etc..) ne sont pas introduites au Maroc a
la suite du "contact" avec l'occident mais lui sont antérieures.

La référence à la tradition,la prise en considération


d'éléments traditionnels dans l'administration locale,sont
encore plus fortes au niveau des fonctionnaires coloniau
qui ont intégré. l'administration du Maroc indépendant en
tant qu'assistants techniques. Le colonnel Verlet,an ’

T30)-Ihid ! ~
(31)- AL Istiqlal, 30 Juillet 1957, n° 68,p.l.
115

secretaire gênerai de la région de Fez devenu après l'indépend­


ance assistant- technique provincial et responsable officieux
des affaires communales rappelle y en s'inspirant de la
tradition , aux caïds et chefs de cercle,dans une conférence
donné en Janvier 1957 les erreurs à éviter :
"Il ne s'agit pas,au début, de réunir cette jemaa pour lui
poser des questions auxquelles elle ne répondra pas,ou mal;
mais uniquement de lui faire part de l'ordre du jour de
la prochaine réunion en veillant à ce qu'aucun membre ne
s'en aille sans le conna-ître parfaitement. Pourquoi procéder
de la sorte et ne pas vider cet ordre du jour séance tenante?
D'abord parce que le campagnard marocain raisonne moins
vite que nous et qu'il lui faut un long délai de réflexion.
Ensuite parce que,fréquemment,i1 n'a pas saisi tout le sens
du problème,surtout lorsqu'il est teinté d'un aspect occidental.
Enfin parce qu'en homme honnête et consciencieux,en, vrai
représentant,il n'exprimera son avis qu'en connaissant celui
de ses mandants.(.. ) Si vous faites venir ces délégués de
quelques dizaines de kilomètres pour leur annoncer une mesure
désagréable prise sans les avoirconsultés ou pour leur'
faire entériner cette mesure vous commettez une erreur- .Si vous réunissez
ces mêmes délégués pour les menacer de sanctions ou les rendre respons­
ables d'actes qu'ils n'ont pas commis, vous aurez devant vous une assemblee
sourde et muette qui vous échappera complètement. Il -
donc préparer de longue date les questions a étudier
les Jemaas,laisser à ces membres de longs délais de réflexion
et savoir écouter avec patience les arguments les plus
contraires à ses vues personnelles. Si fréquemment ces arguments
ne nous plaisent pas,il est rare qu'ils ne soient pas ' y-
par des principes d'une conception qui peut-être nous échappe
mais qui possède sa v a l e u r 32)

Cette conception traduit la continuité de la pratique


de administration. coloniale, soucieuse de ne pas pp 1
des institutions et des pratiques nouvelles d'une manière
brutale et favorable à un "dialogue" entre l'innovation
et la tradition telle qu'elle est conçue par elle.

(32)- R .Leveau,Le fellah marocain d é f e n s e u r du t r ô n e . Paris.P r e s s e s de


la fondation nationale des sciences politiques.iy/ •
116

Il est b remarquer qu'au moment où les fonctionnaires


français "lisaient" la société rurale marocaine pour proposer
des pratiques et institutions qui, scion eux, étaient plus
adaptées à la campagne marocai ne ,1 1él .ite moderniste marocaine
"lisait" les systèmes communaux occidentaux.
D E U X I E M E C H A P I T R E

RESISTANCE AU CHANGEMENT OU CHANGEMENT DE LA RESISTANCE?


117

Section I : La perception de l'Etat.

La collectivité Aït Zekri a connu au lendemain de


l'indépendance des conflits intertribaux. Le plus significatif
est celui qui a opposé les Aït Belkacem aux Aït 'Alla dr
la tribu voisine Houderran. Le conflit est relatif au terrain
collectif dit "Ouljat Sekka" qui appartient légalement aux
Aït 'Alla. Le terrain avait fait l'objet de la délimitation
administrative n° 128,homologuée conformément au Dahir du
18 Février 1924 par l'Arrêté Viziriel du 19 Juin 1933.( 1)
celui-ci affirme qu aucune immatriculation n'est antérieurement,
intervenue sui la parcelle deîimitée et qu'aucune opposition
à la délimitation n ’a fait l'objet du dépôt d'une réquisition
d'immatriculation. Le problème est juridiquement. résolu,
la délimitation administrative a déterminé matériellement
et juridiquement l'identité de l'immeuble avec tous les
droits et les charges le concernant; Elle a organisé une
publicité pour mettre au courant les tiers susceptibles
de s'opposer à la délimitation; celle-ci est homologuée
par arrêté viziriel; cette homologation constitue un point
de départ nouveau dans la vie juridique de l'immeuble collectif
Ouljat Sekka parce qu'elle le purge de tous les droits et
charges non retenus par la délimitation administrative.
L'homologation consacrant la propriété collective est donc
juridiquement définitive et inattaquable.

Cependant, au lendemain de 1 'indépendance,les Aït 'Aqoub


soutenus par les autres douars Belkasmis occupent de force
le terrain collectif Ouljat Sekka. Ils affirment que le
terrain collectif leur appartenaient et qu'ils l'exploitaient
en tant que terrain de parcours de la fraction,mais comme
les Houderrans étaient souvent chasses par les tribus Zaïans,
les Aït ’Aqoub donnaient aux 'Aït Alla le terrain Ouljat Sekka
pour l'exploiter provisoirement.. Il faut voir le point,
de départ du litige,selon les Aït Belkacem,dans la démarche
des colons venus contacter la jema'a des Ait Aqoub pour leur
louer le terrain,la jema'a comme elle l'avait fait pour le
collectif Dar Saboun,leur opposa un refus. Les colons contact­
èrent ,alors ,la collectivité Aït Alla qui ne l'exploitait
que provisoirement. Elle accepta et engagea la procédure

U ) - U.O du 21 Juillet 1933, n° 1082.


118

de* dem imi t at i on sdmini strati ve (2 )

auel est la signification du recours ^


a la violence <,ans „„ contexte „ù la , i o l „ ce _“
le monopole de l'Etat ? quelle est 1 , F „ * ■ ’
, -, - -, fonction de 1 'Ft nt
aans la resolution des conflit-* ^ -,
nrJlts intertribaux ? Et .
comment les Art Besace» perçoivent-ils cette fonction î

1 LA-t a C e '". ^
Belk, Se S ° nt o p p o s a s à l'appropriation
de, « l a qu'après 1 ' i « d é p e n d a n c e ,o p p o s i t i en quJ „ pris
Une f 0 r "’e -aditionneHe du r é g le„e„, ,1(. c o n f m
collectivité.. Ils sont,à |ilusic„ rs rn>1.iR,.R > „ u ,

ITçn ° fC CUPe r de f ° rce le t. fï r t *fi j n collectif Ouljat S e k k a . Er .


.959 1 autorité locale écr.vai, ce suj et „ « aienal„

que jusqu 'à ce jour 1., Alt Al)oul) ne cessent de commettre


des empiétements sur ce terrain et qu'aucune mesure n'a
été prise a leur e n c o n t r e .C e t t e situation e st d'autant plus

anormale que les Alt Aqoub n'I.ésitent pas à employer la


violence ...

Je vois que si des mesures efficaces ne sont prises


d urgence,de graves incidents ne se produisent un jour"(3).

Le 28 Mai 1959. Il écrit de nouveau " A ce jour les


empiétements et occupations indûs des Aït Aqoub ne cessent
pas. Je vous serais reconnaissant de vouloir bien donner
toutes instructions utiles pour qu'il soit mis i fin à cet
état de choses, qui risque d'entraîner des désordres assez
graves".(4 )

Le recours des Aït Belkacem à la violence pour trancher


le conflit qui les oppose aux Aït 'Alla signifie le refus,
le rejet des techniques et procédures modernes du règlement
fieconflit tels que la saisine de l'autorité de tutelle, ]e
recours à un avocat etc.Seule la guerre, la violence réglaient
le conflit entre les tribus lorsque les autres institutions
régulatrices traditionnelles échouaient ou faisaient défaut.
Les frontières sont déterminées par les rapports de force
et non par une ■ institution étrangère aux collectivités en

( 2)- I n f o r m a t e u r s :Lahsen Ben Botfazza (naïb des terrains collectifs)Moussaoui


Abdellah, ou Lhaclimi ‘Abdesslam (Alt Belkacem).
(3 ) - L e t t r e envoyée au ministre de l'intérieur le 6 Avril 1959.D.A.n°128.
Archives de la division des terres collectives.Direction des affai r e s
rurales.
(4)-D.A.n° 128. op.cit
c o n f l i t , l'administration est écartée par les A ï t Belkacem
parce (ju'elle est assimilée au Makhzen traditionnel qui
n'avait pas pour fonction de tranch-r les conflits inter­
tribaux Zemmours.

Les institutions introduites par l'administration coloniale


étaient les premieres a s'imniisser et a intervenir dans
les relations intertribales.Mais une fois l'indépendance
acquise,les Ait Belkacem estiment,en voulant se faire justice
eux mêmes , que la fin de la co] oni sati on ,ass ir:ii1ée au retrait
de la Mehalla du Makhzen ,irnp 1ique un retour à la pré-colonisa­
tion et par conséquent un "retour"' aux solutions précoloniales
des litiges entre tribus. La colonisa* ion n'était, pour eux
qu'un simple intermède violent et contraignant qui a étouffé les pratiques
et institutions tradi tionnel les. F,n réactivant ces formes traditionnel les, ils
retrouvent ce que 1 'administration a refoulé.

La fin de la colonisation et l'accession à l'indépendance


expliquent dans dîne large mesure la "résurgence" des institu­
tions traditionnelles. Le conflit "Ouljat Sekka" présente
certaines particularités,cependant , Si les Aït Belkacem n'ont
contesté l'appropriation des Aït 'Alla qu'après 1956,c'est
parce qu'ils ne remettent pas en cause la légalité de
l'appropriation des Aït 'Alla,mais sa légi t.imi t.é .L 'appropri ét n-
tion est légale - Délimitation admini strative,i,homologation
de l'Arrêté Viziriel - mais illégitime parce que à leur
yeux l'ordre colonial est lui même illégitime,illégitimité
que les Aït Belkacem ne peuvent remettre en cause qu'une
fois la colonisation achevée.Cette remise en cause de la
légitimité coloniale est manifeste dans la lettre que les
Ait Belkacem ont envoyée au •Palais royal :"la terre collective
dite Ouljat Sekka nous a été expropriée à une époque ancienne
par la force et a été attribuée à un colon français par
1 'intermédiaire du contrôleur civil et le caïd Bou Driss
Chahboun. Et dès l'aurore de l'indépendance nous sommes
allés récupérer la terre dont nous avons encore les actes
et les preuves qui attestent jnotre appropriation.."( 5 )•

Le fait que les A ï t Belkacem recourent à la violence,


sans faire intervenir l'administration dans la résolu ’

(5) - L e t t r e du 30 Novembre 1959- D.A. 45 Dossier v e r t , r e q u ê t e s . A r c h i v e s


de l a division d e s terres c o l l e c t i v e s . Direction des affaires '
120

du conflit,traduit une continuité de la perception tradition­


nelle qu'ils ont du Makhzen. Cette perception connaîtra
un e certaine évolution : les ATt Belkacem écrivent au Roi
un e lettre au sujet du conflit et sollicitent son intervention
pour le trancher. L'histoiro des Zemmours ne connaît aucune
intervention du Makhzen pour arbitrer ou trancher un conflit intertribal.Le
Makhzen n'intervient que sur sa propre initiative et généralement pour
soumettre les Zemmours.C1est la première fois que le Makhzen - les Aït
Belkacem emploient le mot MaWizen dans leur lettre-est sollicité pour'
concilier deux collect ivités Zemmours.

Si les Aït Belkacem dérogent à leurs propres pratiques


traditionnel 1es de résolution de conflit en introduisant
le Roi, ils n'adopent. pas pour autant une perception nouvelle
du pouvoir central mais une autre perception traditionnelle
qui traduit la fonction d'arbitrage du Makhzen.La frontière
.traditionnelle. par exemple,entre le kharb et lés Beni Hseu
est tracée grâce à la médiation du Makhzen sollicité par
les Beni Malek et les Beni Séfiane qui ont protesté contre
les intrusions des Beni Hsen chassés par les Zemmours. (6)
G.Ayache a montré que l'attitude du Makhzen ne se réduit
pas à organiser des Harkas contre les tribus,mais que sa
fonction était au contraire de les concilier; et l'auteur
est à même d'évoquer toute une série de litigeet de conflil
pour la résolution desquels l'intervention du Makhzen est
sollicité (7)•

Les Aït Belkacem assimilent l'administration centrale


au Roi. Ils neperçoivent pas l'administration comme un
ensemble de départements qui interviennent chacun dans un
domaine précisé par la loi. Toute l'administration se trouve
représentée dans la personne du Roi qui peut intervenir
partout.C 'est pouquoi la requête n'est pas envoyée au ministre
de l'intérieur qui est compétent pour trancher le litige
en tant que tuteur des collectivités propriétaires de biens
collectifs, mais au Roi. Ce n'est que plus tard que le
"Service d'enquêtes et de renseignements" du palais royal
a "corrigé" la confusion des Aït Belkacem en remettant la

T6)-J.Lecoz.le rharb.Fellahs et colons>op.cit>p.244»


(7)-G.Ayache,' la fonction d'arbitrage du Makhzen,Publications du B.E.C.M,
1979,pp.14-21 *
lettre,la ou la repartion nouvelle des compétences exigeait,
son envoie1est-à-dire au ministre de l'intérieur (8).

Section 2 : La perception de la Commune

Le Dahir du 6 Juillet 1951 introduit une innovation


importante en créant des groupements ruraux qui ne coïncident
pas avec les collectivités traditionnelles. Néanmoins
l'administration coloniale continue à tenir compte de la
"géographie ethnique traditionnelle":1e découpage administratif
respecte la répartition traditionnelle des Zekris en trois
tribus avec lesquelles elle fait coïncider trois communes
rural es .Après 1 'indépendance,le decret du 2 Décembre 195"
divisera la collectivité Aït Zekri en deux communes: la
commune de Sidi ‘Allai Lmsedder (Aït, 'Abbou ) et. la commune
Kliemis Sidi Yahya (Aït Wahi, Aït Belkacem).

Depuis 1978,les Aït Belkacem contestent ce découpage


administratif qui ne se conforme pas à la répartition tradition-

(S)-Les conflits intertribaux ont ressurgi lors de la délimitation des


communes rurales Zemmours (l‘>79).Ces conflits de frontières opposent
juridiquement les communes et non plus les tribus-la commune Sidi Xllal
Lmsedder (Aït 'Abbou) a un conflit de frontière avec les communes Khernis
Sidi Yahya (Aït Wahi,Aït. Belkacem) ,Mkam Tolba (Mzourfa) ,Sidi ‘Abderrazzak
(Khezazna)et enfin avec la commune de Tiflet (Aït Hou Yahya et Hajjama)-
ces conflits ont perdu leur expression militaire,1'une des caractéristiques
du conflit traditionnel et moyen ultime de règlement de conflit,et tendent
a être réglés d'une manière moderne : les collectivités ont relativement
intériorisé l'évidence de l'intervention de l'administration dans leurs
conflits "intimes" (la désignation de commissions administratives chargées
d'exaaiiner les litiges relatifs aux délimitations des communes rurales,
délimitation de frontières par les services topographiques etc.)Cependant,
seul le conflit qui oppose la commune Sidi ‘Allai Lmsedder et celle de
Khemis Sidi Yahya a trouvé une solution. Peut-on chercher l'explication
de la résolution de ce conflit dans le fait que les trois tribus qui
composent les deux communes sont des groupes frères et portent un nom
commun,Zekri?Les autres conflits n'ont pu être résolu à cause notamment
des éléments hétérogè îes qu'interviennent dans la résolution du conflit.
1°)L'établissement des fronti ère^ d'une manière moderne, ,,
2° )entre des unités qui portent la marque du passé:les tribus.Ces éléments
hétérogènes ne peuvent être compatibles.L'un ne peut réussir qu'au détriment
le l'autre,soit que les frontières se font d'une manière unilatera e
sans consulter les "jema'as traditionnelles"..,dans ce cas c'est la pratique
moderne qui 1 'emportera,soit en tenant compte des institutions tradition­
nelles et dans ce cas le tracé ne peut s'effectuer qu'après compromis
entre les tribus en cause. Seule la " r è g l e m e n t a t i o n " a n c i e n n e des frontières
entre tribus, imprécise, changeante selon les rapports e or * ^
compatible avec l'existence d'unités sociales rivales . les collecti '
traditionnelles.C'est à cause de cette hétérogénéité que le trace es
soit difficile,soit rejeté.. ■ „rhainp<!
(9)-Decret du 2 Décembre 1959 créant et énumérant les communes urb
et rurales du royaume.B.O; du 4 Décembre 1959»n°2458,pp.20 40
nelle des Zekris et demandent le retrait de leur collectivité*
de la commune Khemis Sidi Yahya et la création d'une commune
qui épouse les mêmes limites que ce]1rs de la collectivité
Aït. Belkacem. En 1979 la demande des ATI, Belkacem est inscrite
à l'ordre du jour du conseil communal.El le en est rapidement
retirée sur ordre du gouverneur (9b.is).Le 3 Mars 19 8 1,1 a
collectivité Aït Belkacem désigne des représentants qui
sont charges d ccr ire une 1e'11rc au ministre de l'intérieur
dont l'objet est "la création d'une commune rurale propre
aux Aït Belkacem".

La "demande" des Aït Belk.icem de disposer d'une commune

qui leur soit propre,const itue un complexe' de- référence-,


à des éléments modernes et à des éléments traditionnels:
elle revendi que ,au nom d'un principe de 1 1orgai ni sat i<>n
sociale traditionnelle (le nom porté en commun Belkacem),
une institution moderne qui doit avoir pour base la collectivité
humaine et non le territoire;les signataires de la lettre
ne sont pas les représentants légaux des Aït Belkacem mais
des représentants désignés occasionnellement; la représentation
est faite selon la forme traditionnelle suivant laquelle

chaque douar désigne un représentant,ainsi les représentants


qui sont au nombre de dix correspondent ,11011 aux circonscriptions
électorales,mais aux unités traditionne11 es ,1 es douars;la
lettre elle même traduit cette complexité de références
des Alt — Belkacem :"..le découpage électoral qui a eu lieu
en 1959 n'est pas effectué dans notre intérêt.Car il nous
a subordonné à une commune lointaine à savoir la commune
Khemis Sidi Yahya qui comprend également la tribu Alt Wahi.Il
faut ajouter à cela que le budget ainsi que les recettes
de notre tribu,celles du souk sebt Aït Belkacem et celles
de la forêt et des mines appartenant à notre tribu sont
mis au profit des Aït Wahi puisque tous les services vitaux
sont construits chez eux : les exemples abondent,1 'éce> le
est construite chez eux et nos enfants sont obligés de marcher
30 Km pour aller et autant pour revenir, 1 'hopital est également.

(9bis)-Moussaoui ‘Abdellah : vice président du conseil communal


de la commune Khemis Sidi Yahya.
123

construit chez les Aït Wahi,les P.T.T..." .

Comment interpréter la revendication par les Aït Belkacem


d'une institution moderne,la commune,qui doit coïncider avec
une unité traditionnelle,la collectivité Aït Belkacem ?
Represente-t-el1e une résistance au changement institutionnel,
une contestation des institutions modernes,en l'occurence
le découpage communal ? Peut-on qualifier cette contestation
de traditionnelle,parce que c'est un élément traditionnel,
le nom porté en commun,belkacem,qui mobilise les membres
de la collectivité à revendiquer la création d'une nouvel 1»
commune Belkasmie ? Comment par ailleurs tenir compte également
des références modernes dans la demande des Aït Bel kacem'.
Celle-ci si &ni I ie-t..-el 1e-une revendication de la modernité
(commune,éco1e ,hopita 1 ..),une adhésion aux rapports nouveaux
entre la collectivité et l'administration centrale ?
La demande peut être interprétée comme une résistance au
changement,un refus du découpage administratif moderne et
une revendication d'un retour au passé,d'un retour à la
répartition traditionnelle des deux tribus formant la commune
Khemis Sidi Yahya .La tradition et plus précisément le nom
porté en commun constituerait une force rétrogradé tendant
à affaiblir les facteurs de changement seuls susceptibles
de doter les collectivités locales d'une base moderne,le
territoire et non le groupement humain. On peut également,
voir dans la demande une simple manifestation du conservatisme
qui caractérise la collectivité traditionnelle et qui implique
une • conformité aux . symboles traditionnels et a leur
intangibilité :"La société traditionnelle est par définition
enracinée dans le passé et tend à ecarter tout ce qui est
nouveau,ainsi qu'à réaffirmer la répétition des modèles
établis.Dans ce type de société,tout changement est considéré
comme anormal et constitue en tout cas une violation des
formes.Dans la société industrielle moderne,inversement,1e
changement devient un phénomène normal,prévu et institution­
nalisé par les normes même".(10)

L'analyse de la "demande" des Aït Belkacem en termes


de résistance au changement serait implicitement fondée

Uôl-G.Germani . n n l l t i g u e «ociétè et modernisation,Ed. I .Du cul ot,


1972.,>.74.
sur la dichotomie "tradition, modernité", qui aurait comme
inconvénient de distinguer^ d'une manière rigide deux secteurs
en perpétuel conflit (11),le secteur moderne incarné par
l'administration et le secteur traditionnel représenté par
la collectivité Ait Zekri. Le premier est caractérisé par
l'innovation,la dynamique,la rupture,alors que le second
est,au contraire,caractérisé par la permanence,le statique
et la continuité. Shématiquement,1'administration introduit
de nouvelles institutions,innove en appliquant le découpage
territorial alors que les Aït Belkacem résistent en revendiquant
un retour au découpage traditionnel.

Dans son analyse de l'insurrection rurale de 1'Aurès


postérieure à 1 indépendance algeri enne,Jeanne Favret montre
que "le traditionalisme des paysans n'est pas un obstacle
à la modernisation puisqu'il est provoqué par un excès de
modernité relativement aux moyens dont ils disposent : on
peut dès à présent observer que la scolarisation est très
fortement valorisée dans les campagnes et que la moindre
occasion est évidement saisie par les paysans sinon par
l'administration municipale".(12) Les paysans parcellaires
dans les Aurès recourent à une forme politique traditionnelle,
1 1insurrécl ion ,pour protester contre la sous-administration
de leur région. Ils réactivent une organisation politique
segmentaire,dont l'objet traditionnel est le refus de tout
contrôle d'un pouvoir centralisé,pour des fins modernes:
"l'insurrection est un moyen parmi d'autres pour obtenir
à soi la sollicitude de 1'amdministration,c 'est-à-dire de
la société industrielle puisque l'Etat est le seul employeur
qui compte". (13) L'insurrection,, forme traditionnelle de la
contest at io n ,ne remet pas en cause la modernisation,ne résisté
pas au changement,elle les revendique :"ce qui provoque
des insurréct ions, ce n'est pourtant pas la crainte d etre
envahis par l'ordre citadin,mais la crainte de ne pas l'être
assez; ils ne regrettent pas que l'Etat soit devenu le protago­
niste obligé de toute activité économique,mais qu'il ne
soit pas le moteur universel de .l'économie locale.."(14)

Ül)-"Si on parle de la tradition,écrit A.Laroui,comme négatif du moderni sme


comme obstacle au changement,au progrès,elle est nécessairement consciente,
une tradition inconsciente,non formulée,ne s'oppose à rien,ou bien 1
s'agirait d'une opposition muette,obstinée qui se déroulerait en dehors
de l'histoire" .TrarHt.ion et traditionalisation,op.crt p.209■ ,
(12)-Favret.J ,le traditionalisme par exces d~modernité.Archives européennes
^e_soliologie ,.Vol 8.19Ô7.P-83*
TT3Pibid,pTÏÏ2.
(l4)-ibid,p.8l
125

L'analyse en termes de ré^-ict-.,


-,t "PCe au ci,angement qui conçoit
latradition comme un frein i ^
ein a" changement soci-H n*.
devant les Ait Belkacem que doux , ' ■‘1SS<‘
aux institutions mocWnes • ‘• ‘^
t + . ' C r^ et l'«assimilation. Eli»
ne peut pas tenir compte des i ni
• j , pf<*ctinns non exlusjvr^
qui peuvent s'effectuer entre le* /i-
, *‘ment s nouveaux et les
elements ante-co]oniaux.Les Aït '
. . .. . . , «elkacen se réfèrent aux
institutions modernes: ils ne reiet t
^ . -j -1,t.rnt. p,-tj, seuelement le
decoupage territorial moderne,ne r'«î « i
. . ' s.(-ent pas au changement.
mais revendiquent une institution nouvelle 1 '
nouvoile,I t commune. on
observant, des déma rchc-s modernes (j,srpin, , , ‘
‘ SCi ip. l u ri de* la re v e n d ic a -
t 1on a 1 'ordre du
du suus( • 1 -jour C(i'::iiiiiii,i1,Jet (re snn^,.
envoyéi
au ministre de l'intérieur..) '

Si les AïtBelkacem ne résistcn’=, i


. . 1 Pas au changement,aux
innovations lparce au'ils
qu us les revendiquent,
les r i­ quelsrapports
entretiennent-ils avec les institutions „o<lernes7 cu„,»en,.
les p e r ç o i v e n t - i l s ? et coiMnt agi iaent-i 1s sur elles ?
La société traditionnellene
ne se présente -.1 ^ devant
nrpspnt .> ,
pas i i •
un choix
limité et. binaire du type acceptation . refus ,assi„,i lation
rejet. "Lorsque un groupe accepte des traitsculturels venus
du dehors,il les réinterprète à travers sonmonde mental,
il pense par exemple les cérémonials cl.rétiens à travers
le rituelmagique du paganisme ou bien encore il identifie
les saints catholiques à ses propres divinités : on a donné
à ce phénomène une série de dénominations: réinterprétation,
réori entation, réadaptation, indigéni sat ion, sy nclirétisation, recon­
stellation et synthèse..Nous nous trouvons enprésence d'une
causalité interne qui modèle le nouveau à travers les cadres
de la psychée collective."(1 4 bis )

Le concept de "réinterprét-ati on" de l'anthropologie


culturelle est défini corn,me "le processus par lequel d'anciennes
significations sont attribuées j des éléments nouveaux ou
par lequel de nouvelles valeurschangent la signification
culturelle des formes anciennes".(1 S)

Analysant le changementsocial et led é v e l o p p e m e n t dans

les campagnes m a r o c a i n e s ,G .L a z a r e v emploie le concept «■

(14bis )-R. Bastide, problèmes de l'entrecroisement de civilisations et


je leurs oeuvres,op.cit,p.319-
(1SJ-Heskovits, the myth of the negro pist,Nevv York, 1941 .Cité par R. Bastide,
ü£^Ü,p.329.
126

de réinterprétation pour désigner une

1' intégration du changement social p,r la ru'li!^,'"^


au départ,par une tentative de OSI ’

- - — « - a i e tente d ,Ï Z ^ f '“ —
soci aie dans elle est

d'exemples relativement sirnilairs à la ... , ^


Belkacem» (La réutilisation
1 cuuj iisation nar jesi
Uamande
c an • des Aït,
ai Jiances
des pactes d'alliances traditionnelles TATA, dons la
de Sidi SI iman,qui couvrent stries ^ I T
nouvelle, par des oppositions anci ennes ;]a riSslJ „

T T T t r a d i t " ^ * • j— -u. *a««.U re


1 ordre socal.un organe de défense,,,,, ,„,„lüe dl. t<
est le plus souvent le cadre d'actions collectives n o u v e l , ■'
el que 1 'a c h a t d'une terre de c o l o„i sat io n , ;et l'aut<!llr
de conclure ,ue «la société traditionnelle r é s i s t e ,cherche
a s a apter a la transformation sociale en réinteprétanl
les faits nouveaux selon son modèle social implicite.il
y'a une sorte de refus profond à intégrer de nouvelles
references,et mettre en cause une socj été" .(1 7)

Dans quelle mesure les Aït Belkacem réinterprètent-ils


les institutions modernes en leur attribuant des significations
anciennes ?

L'institution moderne,la commune,est basée en tant que


circonscription sur l'idée de terri tori al ité .Cependant lorsque
les Ait Belkacem revendiquent la création d'une commune
qui se superpose à leur tribu,ils ne revendiquent pas la
commune telle qu'elle existe dans les régimes occidentaux
modernes ou telle que l'administration la conçoit,mais la
commune réinterprétée à partir de leurs principes d 'organisati on
sociale traditionnelle. Les Aït Belkacem éliminent l'idée
de territorialité pour associer la commune à l'idée de
collectivité humaine dont le principe d'existence n'est
pas le territoire mais le nom porté en commun. A l'idée
territorialité,base de la collectivité locale moderne,

T10)-G.Lazarev,changement social et développement dans les campagnes


^oçaines,o^^çit,p.139
Lazarev,op. çjt,p. 1 4 1 . .
127

ils substituent l'idée de collectivité humaine.Le nom commun


empêche la confusion des appartenances que peut provoquer
la définition d'une collectivité par rapport à un terri toire.En
refusant le découpage territorial,1es Belkasmis ne veulent
pas courir le risque de voir se substituer aux liens de
parenté sociaux symbolisés par le nom commun des liens
territoriaux.Les frontières doivent,selon eux,être tracées
entre collectivités humaines et non entre ter ritoi res,entre
les Ait \.ahi (les Ait Belkacem et les Aït 'Abbou et non entre
la commune Khemis Sidi Yahya et la commune Sidi 'Allai Lmsedder.
Les Aït Belkacem ne rejettent pas la comniunc ,ne refusent
pas le découpage communal mais no les acceptent pas, ne les
assimilent pas en tant que tels, ce qu'ils contestent,c 'est
un découpage territorial basé sur des critères étrangers
à la collectivité telle que la répartition des individus qui
ne tient compte que du nombre", ce qu'ils refusent ce sont
les critères modernes retenus pour créer une commune car
ils négligent les attachements affectifs et réels aux symboles
traditionnels.Ils remettent en cause la base territoriale
et spatiale du découpage administratif et annoncent en même
temps une revendication de transformation : la superposition
de la collectivité humaine à la collectivité territoriale,
la commune • Le découpage territorial n'est pas rejeté en
bloc,il doit seulement se conformer aux principes traditionnels
de distribution des individus.

Les Aït Belkacem ne se limitent pas à réi nter prêter


les institutions nouvelles à partir de leur système symbolique-
traditionnel,mai s ils confèrent aussi aux éléments traditionnels
des significations modernes.Le nom porté en commun demeure
un élément décisif dans la construction,le maintien de
l'identité et des limites de la collectivitéjil n'a cependant
plus pour fonction de préciser les limites d'une unité politico-
militaire mais celles de l'institution nouvelle,la commune.Il
ne mobilise plus la collectivité pour des fins traditionnelles
telles que la guerre intertribale ou la conclusion des pactes
d'alliances,mais pour des fins modernes.Le nom commun perd
certaines de ses caractéristiques traditionnelles pour épouseï
d'autres caractéristiques modernes.Toutefoi s il ne const' *
Pas un élément traditionnel pur mis au service de fins
128

n ou v e l les, il est lui même "modernisé" en fonction du coi.texlo


nouveau dans lequel il est implique'. Cependant,,de; me*ne que
les éléments traditionnels sont réactivés pour la réalisation
de fins modernes,de même les institutions nouvelles sont
revendiquées pour réaliser des fins traditionnelles : ]a
tribu n'étant pas une personne morale de droit public,les
Ait Belkacem demandent la création d'une commurie,se11Je
institution reconnue par la loi,et seule; collectivité locale
pouvant réaliser leur but.L 'inst itut ion va 1e>ri sée ,présent c
et d isponi bl e ,1a commune;, est mise- au service de l'institution
refoulée c;t méconnue par la loi : la tribu.

Les Aït Belkacem se réfèrent aux itmo va l ions ,à la me>dern i t e*

mais réduisent l'etfe;L ele la modernisation au niveau élu


découpage administratif qui d oi t correspondre aux unités

traditionnelles.Ils se réfèrent aux principes d'organisation


sociale traditionnelle mais pour la réalisation de fins
modernes.C 'est en ce sens que la demande des Aït Belkacem
constitue un complexe de références au passé - pressent.El le
ne peut être simplifiée à un seul élément une seule référence'
qu'on peut facilement situer dans la case "modernité" ou
"tradition".Le nom commun cesse d'être traditionnel dès
lorsqu'il mobilise les individus d'une collectivité à
revendiquer une institution nouvelle.La commune moderne
revendiquée cesse,elle aussi,d'être moderne parce que sa
revendication est formulée dans le langage de la tradition
qui n'est plus tradition du fait même qu’elle parle le présent.

L'institution commune telle qu'elle est réinterpretée,ne


peut être' qualifiée de moderne uniquement par sa "généalogie",ni
de traditionnelle du fait de sa coïncidence avec la collectivité
Aït Belkacem,elle constitue üne combinaison originale d'éléments
irréductibles à leurs antécédants .La réi nt.erprétat ion culturelle
n'est pas,ici,une addition de significations et d'élément.s
d'origines diverses,elle est une création d'une institution
originale et inédite qui continue à être appelee - ce qui
est fallacieux - par un nom moderne :1a jema'a Al-Karawiya
(la commune rurale).
129

Le nom c o m m u n ,expression symbolique de


assure encore la fonction de C o h é sf „ , 1cct 1 v j 1
cohésion et d'ident.'f
des membres de la col lect iv i ti i £ ^^cation
vite.Il se réaffirme Dar i
ini crt r i bal qui reste un facteur d'intégration °
des limites traditionnelles de laco ll. i-• • - * ‘ ma 1nt ] (,r'
JOC t Jvi te humai tiw P^v ,
si le nom commun et le conflit ■ * ’ pendan(
J-e contlit intertribal sont •
fonctionnels, ils le sontdans un cadre nn J°Urb
Lrtnro nouveau • l
traditionnel d'identité collective mobilise la ' S y ""‘o1 "

pour la revendication de la "modernité",,/conflit'” 1


prend de vdles formes i,„i1üs, es
Liât centralise. un

Il importe maintenant de savoir ,a revendication


des A.t Belkacem et le règlement de conflits au lendemain
de l ' i ndépendance ne se sont-ils pas exprimés dans 1rs Formes
modernes ? ou d'une façon général e ,comment expliquer ]e
maintien d'éléments "traditionnels" au sein de la collectivité
Zekrie ?

Certains auteurs trouvent l'explication du maintien


de la tradition dans le fait que "le social peut changer
sans que la culture se modifie pur cel a ,rési stant de tout<
la force de la tradition » .(1 8 ) L ’action de l'administration
coloniale aurait pour conséquence le changement des institutions
traditionnelles,la répartition traditionnelle des individus
et non la modification des représentations traditionnelles
des Aït Zekris qui résistent et ne reflètent donc pas ]<■>
changement institutionnel.D 'autres auteurs se fondent "sur
l'observation que toutes les sociétés - même les plus ouvertes
aux changements rapides et cumulés - manifestent une certaine
continuité;tout ne change pas,et ce qui change ne se modifie
pas en bloc".(1 9 )

Le maintien de la tradition peut être la conséquence


du rythme du changement qui n'est pas le même pour tous
les secteurs: "toute société en voie de transformation révèle
des inégalités sectorielles en matière de changement,d 'intensi té
eL de rapidité des changements.Certains secteurs peuvent

(18)- R.Bastide,problèmes de l'entrecroisent des civilisations et de leurs


?a«res,oE;cit,p.3i9.
' y )~G.Balandier,sens et puissance,P.U.F, 1971,P»99-
130

être ditsplus "lents" ;cel n î a^ ^


tente dese situe, h ", , '
“ reli8i°"
do l’emppis.e du
assauts temps,des
de ] 1histoire :ce] ui des jq«T*.r»rw> i
_ • =■•> aSenoM „„tbculturels c,„i défi ni ss
un< nation ou une ethnie e! Ul i dn . iniMent
, , 1 dorment, son être et «•,
personnalité. Ils sont .par natm-*. ^ • '
Ê P f!j]e terra i n ou se maintiennent
ou „e™e se renforcent l es facteurs de c o n t i n u é fksi„ t.s
secteurs peuvent etre dits plus Vapi(lf.s „ , celllJ d|)

sc ) e n t i f i que et des te ctaiq„ s d ■a,„„ ica ti o n ,ce, ut de


1 •cconomie,celui des techniciues
, , miqucs de gouvernement,ri•«dministration
des hommes et des choses" .(20 ) tr„n t- •
Une explication similairr
r " ” " persistance de t r*„
l'asyncl,ron,s.ne in s t it nt ionnel ............... ,.„s U t „ .

tions ou groupes d'institutions «v • ,


_ ' S”»1 t'x|>11si'i’,s aux chaudement
inhérent s au deve] ouneiiicit
I Mr-nrm
•■ t •que et. au proc essus de
cono,;ij
mode r n -isation. Elles
le sont ,'
^ s»nni t ,i(,b rythmes
, jt *• r ^ *
différents, ce
qui, rend possible la coexistence H ' *
■ ■ >
^AibLtnce d institutions caractéristiques ’
d'étapes différentes à 1 'iritéri pur. d-ii,
rieur , „ meme
une *■ ,
zone ou rteion".
(21). ■ b

Ces explications auraient l'inconvénient de séparer


le traditionnel - identifié au eu 11 ure I,aux secteurs "lents"-
du moderne-i denti fié aux institutions nouvel les,aux secteurs
"rapides".Cette délimitation rigide des domaines respectif*
de la tradition et de la modem ité ,est faite sur la base
de leur histoire respective,c 1est seulement la "généalogie"
des institutionsjdes pratiques sociales et de leurs représenta­
tions qui permettent de qualifier un élément de traditionnel
ou de moderne : le traditionnel est tout ce qui est anté-
eoloniale, indigène jle moderne est,en revanche,tout ce qui
est étranger à la collectivité et resuite rie l'action administr­
ative coloniale.L'étude doit porter sur l'analyse des éléments
traditionnels"et "modernes" dans leur combinaison nouvelle.
Ainsi le nom commun ne sera pas un symbole traditionnel
Qui ne s'est pas modifié ou qui appartient- aux secteurs
"lents",au culturel qui est toujours en décalage sur le
social,mais un principe d'organisation "traditionnel" qui
a changé et qui s'est adapté à une fonction nouvelle imposée
par des circonstances nouvelles.

-G.balandier,sens et puissance,op.cit,p.107 . ~
(*■1)-G.Gennani,politique société et modernisation,op.cit,p.115.
131

L(; recours au nom commun n'est plusun fait traditionnel,


il rie reflète pas non plus une phase transitoire vers 1'intégra­
tion et l'adoption d 'inst.i tutions modernes .C 'est pourquoi
j] faudrait qualifier- le nomcommun, tel qu'il fonctionne
actuellement nu sein de la collectivité Zekrie,d 'ex-traditionnel
pour affirmer (par l'adjectif "traditionnel") et exluro
(par la préposition latine "ex") à la fois son caractère
traditionnel.Ceci est transposahle aux institutions nouvelles
telle que la commune,qu 'i1 faudrait qualifier d "'ex-moderne 11
afin de tenir1 compte aussi bien de leurs origines occidentales
et iocentes,que de Leurs places dans le contexte nouveau
qui n'est pas occidental.

Le maintien de la tradition pourrait s'expliquer par


le fait que la collectivité en changement s'exprime plus
dans un langage établi que dans un langage à construire.
Le présent est interprété dans le langage de la "tradition".
La collectivité établirait "un rapport ambigu avec le temps:
du passé elle reçoit les moyens de se définir et de se main­
tenir; du présnet elle tire la découverte de son caractère
probl èmat ique .." (21 ) La "tradi ti on ", dans le cas des Aït.
Belkacem,n 'est qu'un langage déjà construit. pour formuler
la revendication d'une institution moderne.La combinaison
nouvelle assigne à la "tradition" la fonction d'exprimer
le moderne (22).Cependant la "tradition" en tant que langage

(21)- G.Balandier,sens et puissance,op.cit,p.2061


(22)-G.Balandier constate le même phénomène au niveau théorique: "les
conceptions concernant le présent et l'avenir sont en partie exprimées
dans le langage du passé. L.Althusser a considéré ce problème en analysant,
la genèse de la pensée du "jeune Marx":il montre le rapport de cette
pensée singulière au champ idéologique existant (. .). Marx inventeur d'un
inonde nouveau,dut d'abord s'exercer l'esprit "dans les formes anciennes";
celles-ci ont une lourdeur qui assure leur ma intien.Il n'est pas aisé
d'échapper à leur emprise fiour concevoir des formes nouvelles permettant
de concevoir un nouvel objet - et de devenir un agent de changement".
(-.Balandier, sens et puissance,op.cit,p.l08 .
L'analogie n'a,ici,qu'une valeur illustrative.On ne peut adhérer a la
déduction qui peut en être faite,à savoir que le langage du passé est
seulement transitoire et qu'il y'a possibilité de concevoir un langage*
nouveau ;comme on ne peut rejeter,cette possibilité,parce que l'objet
de l'étude n'est pas de prévoir le cours futur des événements.
132

qui interprète le pi esent n'est applicable qu'à la revendication


des Aït Belkicem. On ne peut pas affirmer que la tradition
avait la même fonction pour l'administration colonia]e.C ’est
dire que la tradition n'a pas un contenu fixe,elle n'est
pas un corps fermé et-achevé, transmissible d'une génération
à l'autre • Elle ne peut être défini en soi mais seulement
par rapport aux groupes sociaux qui 1'interprètent.La tradition
n'est pas la même pour 1 'administration et pour les Aïi
Zekri. Elle est pour ceux-ci le seul langage par le truchement
duquel ils parlent "la modernité" -et pour celle-là une légitima­
tion des innovations et de la politique berbère coloniale.
t

C O N C L U S I O N

i
%
133

L'introduction d'institutions nouvelles et la destructura-


' tion de la collectivité traditionnelle par l'administration
coloniale n a pas entraîne la de.-strucl.ion complète de tons
les cléments traditionnels et 1 'implant,-i tjou ,par voie de
conséquence, d 'institutions homogènes.Peut-on,alors,par1er
d'un, conglomérat institutionnel constitué d'éléments hétérogènes
d'origines diverses ?

Si la genèse, le passe des institutions hétérogènes,qui


existent dans les trois col 1ectivités,sont nécessaires à
la coinpréhensi on de leur évolution dans un contexte nouveau,
ils ne déterminent pas,pour autant,exlusivement leurs signifie.»
t ions.

La structure institutionnelle est hétérogène,mais les


institutions formant cette structure n'ont pas conservé
leurs caractéristiques initiales : l'abstraction de l'Etat
qui appartient aux temps modernes ne constitue pas pour
les Aït Belkacem un élément dans leur perception de l'Etat,
qu'ils assimilent à une personne concrète : Le Roi.L 'abstraction
de la commune n'est pas non plus perçue par les Aït Belkacem
qui ne peuvent concevoir leur appartenance à un groupe
secondaire que par le biais de leur attachement à un groupe
primaire. La sphère du symbole traditionnel reste l'élément,
décisif non seulement dans la construction des limites et
de l'identité de la collectivité mais également des limites
des circonscriptions et institutions modernes.etc.. C'est
dire que ce n'est pas seulement la structure institutionnelle
qui est hétérogène mais aussi les institutions elles memes
en tant que complexe recouvrant plusieurs aspects.La commune
est décomposée en vue de lui extraire son aspect territorial
et recompensé avec un principe traditionnel: le nom commun.
Les Aït Belkacem associent à la commune un aspect traditionnel,
la parenté sociale.

0n nepeut pas parler de coexistence d'institutions modernes


et d'institutions traditionnelles les caractéristiques
la transition,notamment la coexistence de formes sociales
Particulières aux différentes époques,soulignent de manière
frappante le processus de changement".(1) L'institution

^•CJermani ,politique société et modernisation.Ed. J.Duculot, 1972,p. 55


134

11commune11 n ’est pas une institution moderne qui coexisterait


avecd'autres institutions traditionnelles telles que la
tribu,la etc. ,au contraire elle révélé elle même des
aspects d âges différents qui ^ combines entre eux ^ créent
une; institution oiiginale.En analysant la coui!-
)iriaison nouvelle
des institutions jS'ans en isoler les éléments,sur la base
explicite ou impiici te,du modèle dichrotomique tradition-
modernité , les institutions nouvelles ainsi que les institu­
tions anciennes perdent leur caractère initial.

L'application du modèle dichotomique tiad it.ion-noderri it •


suppose que les institutions sont isolées de la combinaison
nouvelle dans laquelle elle.- sont imp 1iquées,et à l'intérieur-
de laquelle so' définit la signification relationnelle de ehaqut

ins-titution .Fa ire l'économie de l'analyse de cette combinaison


nouvelle c'est se limiter aux significations les plus apparentes
des institutions en distinguant les institutions modernes
des institutions traditionnelles.
A N N E X E S .
t

Annexe (l): Lettre de Moulay ‘Abderralunan à son fils Mohammed (l).

"A notre fils intègre,pieux et juste,Sidi Mohammed (Dieu vous


perfectionne! ).
" Le salut soit sur vous,ainsi que la miséricorde du Très-Haut et
ses bénédictions.
" Ensuite : .
"Nous nous étions promis d'épargner la tribu de Zemmour,par clémence
et par compassion,et de la ramener dans le droit chemin en lui faisant,
redouter notre sévérité dans diverses affaires,et en la traitant avec
douceur. Mais Dieu ne leur voulait pas de bien,à cause de leurs desseins
pervers,deleurs sentiments méchants»,et. de leur confiance dans leur
puissance et leur force.Plus nous les traitons avec bonté,plus ils se
montraient durs et corrompus. A mesure que nous leur donnions des exhorta­
tions et des conseils,ils manifestaient plus d'arrogance et ("insoumission.
Et quand,pour les épargner et les gagner,nous avons retardé le dépari
de* la mhalla victorieuse, ils ont considéré cette mesure comme une marque

de faiblesse et d1impuissance, 11étonnement, leur a bouché les yeux d


les oreilles,et ils neise sont pas rendu comp'-e que Dieu bien avant, eu'
a fait périr des hommes qui les surpassaient par leur force et pat* leur
nombre.
" Faites du bien à un homme pervers,il se révolte.
" User de générosité quand il faudrait employer le sabre est aussi
nuisible qu'avoir recours à l'épée quand il faudrait la générosité.
" Voyant qu'ils persistaient à rester aveugles,qu1ils ne Voulaient
lias revenir de leur passion,;nalgré leur éloignement, de leur pays,maigri’
le mal que leur avait fait la révolte,à eux et. à leurs enfants, malgré
1-e pillage de leurs récoltes sur pied ou déjà moissonnées et la remise
forcée de leurs nombreuses provisions,iions avons estimé que les combattre
était légal,et que leur faire la guerre était défendre la religion e*
la protéger.Prenant appui de la force et de la puissance de Dieu,nous
avons ordonné de leur prendre leurs biens et. de les harceler avec plus
de rigueur,de les. piller et de les incendier le plus possible,et de les
bloquer dans leurs montagnes,et de les forcer dans leurs nids d'aigles,
parce que l'action prolongée est plus efficace r|ue 1 'assaut.Donc, des
incursions successives furent, dirigées contre eux, des pertes continues
leur furent infligées.Ils ne surent, plus nu trouver le repos. Partout
où on les rencontrait,ils étaient pris et massacrés.Chaque jour les lances
.cueillaient les. têtes de leurs chefs,et la mort frappait les auteurs
de leur malheur. A mesure qu'on les recherchait,ils s1enfonçaient davantage
dans les montagnes et s'enfuyaient.Mais la guerre finit par les dompter,et.
le fer et la- poudre toujours en action par les dévorer.Leur bétail et.
leur argent perdus dans le blocus,le mal atteignant les enfants et les
femmes,ils commencèrent, à se transporter chez les trijius voisines,demandant
leur appui à leurs alliés et à leurs voisins.Le mal qui leur a été fait
ayant atteint les dernières limites,Dieu a réalisé sur eux les promesses
du verset sacré.Pendant tout ce t.emps,à tout, moment, ils demandaient pardon,
ils demandaient humblement que leur repentir fût agréé et témoignaient
de leur modestie. Mai s nous ne leur avons réj>ondu que par les refus les
plus catégoriques,parce que nous avons voulu ne fonder une décision a
leur égard que surdes bases sérieuses et les punir de la violation t.
leurs engagements.Et c'est lorsque la domination a exercé sur eux tout,
ce que nous attendions,et que le châtiment a atteint sur eux son extrerne
degré,que nous avons répondu à leur offense par la bienvei 1 lance,et que
nous nous sommes laissé fléchir envers eux par les malheureux,les femmes
et. les enfants.Nous leur avons donné trois gouverneurs pris dans la tribu,et
nous leur avons imposé une contribution de 50-000 mitsqâls.Nous les avons
136

obligés à fournir un contingent de 200 hommes de harka,comme les tribus


soumises,et à prendre l'engagement de se bien conduire et de servir de
leur mieux.Ils se sont exécutés dans les meilleures conditions et ont
donné des gages du paiement de l'argent au bout de quelques jours.Alors
nous leur avons accordé le pardon du triomphe et la force. Souvent le
châtiment amène une belle soumission,et le repentir sincère répare les
fautes et les pertes passées.Parmi les hommes,il y en a qui ont besoin
d'être maltraités pour être bons: votre Maître crée ce qu'il veut et
fait ce qu'il lui plaît.
"Atiya ne s'est pas rendue de son plein gré,c'est la force qui l'a
amenée dans la bonne voie.
" Nous avions voulu l'épargner,mais sa fatuité n'a fait qu'augmenter,
et c'est la rigueur, la violence et la captivité qui l'ont corrigée."
"S'ils avaient lié ensemble les bienfaits et la reconnaissance,ils
eussent été sûrs de ne pas périr.Quand Dieu veut du mal à un peuple,personne
ne peut l'en empêcher,et ce peuple n'a pas d'autre protecteur que lui.
" Salut." -
" Le 1er du mois sacré de rjéb,l'unique de l'année 1259*"

il)- Naciri (S),Kitab aï istikasaa,chronique de la dynastie Alaouite,


traduction Fumey.Archives marocaines.Vol.X. 1907*PP* 163-165- •
137

Annexe (2): Lettre de Moulay ‘Abderraliman après une expédition .en pays
Z e m m o u r .(2)

" Ensuite : '


" 11 n'y a personne qui ignore la malice des Zommoilr: elle est plus
noire que la nuit,et assez forte pour être comparée à un torrent .l)cpujs
longtemps,nous les avons rappelés au devoir,nous les avons exhortés au
bien,nous les avons prévenus et menacés,et nous nous sommes abstenus
de leur faire du mal,répondant à leur audace par la douceur,à leurs provoca­
tions par le calme.Mais leur infatuation les a enhardis et rendus plus
insolents,et le mal leur a bouché les yeux et les orei lies.Celui dont
Dieu veut la révolte est désarmé pour lui résister.Voyant que le matin
du départ ne dissipait pas les ténèbres de leur égarement ,ot qu'une main
destructrice s'était appesantie sur les rites de 1'Islam,nous avons levé
contre eux les- troupes victorieuses devant lesquelles sont toujours
déployés,avec l'aide de Dieu,les étendards de la victoire,et. nous avons
fait venir de Morrâkch notre fils vertueux Sidi Mohammed (Dieu le conserve! >
à la tête d'une année précédée de la bonne fortune et des heureux auspices,
et poussée par lu félicité dans ses repos et dans ses ma relies.Nous avons
quitté nous-môme Méknâsét Ezzéîtoûn avec une année qui remplissait les
plaines et garnissait les cantons et les districts avec ses cavaliers
et ses fantassins, ses colonnes légères et ses bagages.Jusqu'alors ,
nous avionss livré combat à ces mauvais sujets dans l'endroit appelé
E lkhamisât,mais les colonnes n'étant pas suffisamment à l'aise pour le.s
tuer,les piller,les disperser et. les frapper,nous avons décidé,cette
fois,de prendre position contre eux,d'abord à JAïn El'arima,le point
où leur soulèvement et leurs déprédations avaient tout envahi.Npus avons
campé là quelques jours,puis,levant le camp,nous nous somnes arrêtés
à Mahsâ.De là,nous nous somnes encore mis en r o u t e el nous avons c a m p e
à Elkhainîsât.Pendant ces séjours et ces déplacements,notre fils Sidi
Mohammed (Dieu le conserve'. )quittait Erribât et s'installait à Tifelt,qui
était le centre des révoltés et le lieu d'étape des oppresseurs iniques.
Le rapprochement des deux mhallas causa à ces révoltés une grande surprise
qui atteignit toute extrémité.Les colonnes s'occupèrent à dévaster leurs
grains et à les jeter au vent,et à extraire de leurs cachettes leurs
provisions anciennes et récentes.Eux,regardaient ahuris et voyaient le
malheur qui les frappait.Dès qu'ils cherchai ont à se défendre,ils s'en
retournaient humiliés.Les têtes des oiseaux de proie,leurs chefs,ayant
été coupées,ils ne purent plus résister et quittèrent leurs territoires,
persuadés que le malheur décrété pour eux voulait qu'ils fussent chassés
et éloignés de chez eux. Il n'y resta plus d'autres habitants que les
bêtes sauvages et les chameaux,car ils s'étaient retranchés dans leurs
repaires habituels et leurs citadelles,au sein de montagnes voilées do
nuages et donnant presque la main aux étoiles.Réduits à la plus grande
détresse,leurs femmes périrent de faim et de soif,leurs biens furent
perdus,et le malheur s'exerça sur eux comme il voulut.Quoiqu'ils fussent
fortifiés dans ces repaires,les troupes auraient voulu aller les >
poursuivre et donner leur vie précieuse pour s'emparer d'eux.Mais pris
par cette compassion qui anoblit et par la haine de l'acharnement qui
avilit,nous avons donné 1'ordre de ne pas les attaquer,pour attendre
que leurs repaires les rejettent et que leur feu les brûle.Perdant patience
et consumés par l'abattement,ils ont imploré la protection de notre fils
Sidi Mohammed (Dieu le conserve !)qui a intercédé en leur faveur auprès
de nous. Nous avons accédé à ses prières moyennant certaines conditions
qu'ils ont acceptées,certaines obligations auxquelles ils ont souscrit
et de vifs reproches.Nous avons alors incliné vers la clémence et le
pardon prescrit par Dieu,et remettant leur sort entre les mains de notre
fils pour couper court à leurs excuses,nous les avons quittés (Dieu soit
l°we!),nous en remettant à Dieu du soin de régler leurs comptes.Je demande
3 J^u protéger tous les Musulmans. Ainsi soit-il !
e 26 du mois sacré de doùlqa'ada de l'année 12Ô9".
138

ANN E X E -3-

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ANNEXE -4
139

Traductions approximatives :

Annexe -3" :
Harnd£<la Tasliya

Sceau Chérifien Moulay H a s s a n 'I.

A notre serviteur- le caïd lîouVizza 1 1Ouribl i .Puisse


Dieu t'aider dans 1'accomplissement de ' ta tâche.Le salut
soit sur toi,ainsi que la miséricorde du très-haut et ses
bénédictions.Ensuite,je t'ordonne de prendre soin des porteurs
de ce Dahir,les Chorfas descendants du saint khalid Ben
Y a h y a j résidant à Tafoudeït en leur rendant les égards qu'ils
méritent dans le respect de leurs coutumes habituelles,et
en les défendant contre toute atteinte.Si tu lis notre lettre,l.u
la leur remet.s pour qu'ils puissent. s 1cri prévaloir.Le 4
Cha'hane de l'année 1294-

Annexe - 4 ^-
llanida 1a Tasii ya
Sceau Chérifien Moulay 'AbdePaziz

' Oue le salut de Dieu ainsi que sa


miséricorde soit sur vous.Ensuite,nous avons décidé de nommer
le caïd Haddou Ben ElmaMsi el'Abboui' Ez-zemmouri et de lui
attribuer le pouvoir de veiller sur vos affaires.Nous vous
ordonnons île le respecter et de lui obéir pour tout ce qui
touche le service de notre Majesté Chérifienne.Puisse Dieu
le rendre et. vous rendre heureux de cette nomination.Le
1er Safar de l ’année 1326.

Annexe -5- :
Hatndala Tasliya
Sceau Chérifien Moulay Hfid
Nous avons décidé de nommer avec l'aide de Dieu notre
loyal serviteur le caïd Haddou Elma'ti el^bboui Ez-zemmouri
à la tête de ses frères Aït 'Ali, Aït ftzzouz ou Ali et Aït
Talha des Aït ’Abbou,et de lui attribuer le pouvoirs de veiller
sur leurs affaires.Nous leur ordonnons de 1'écouter et d'obéir
a ses ordres.Puisse Dieu le rendre et vous rendre heureux
de cette nomination.Le 9 Joumada de l'année 1327-

-3- Lettre à la disposition du Naqib des Chorfas Khaldiyine (Aït Ou ribel)


-4- Les deux Dahirs d'investiture du caïd Haddou Eltnâti sont à la disposi­
tion de son fils Cheikh Ben'Issa.
Deuxième décision "arbitrale" rendue par le caTd des ATh ’Abhon (5)

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cachet -
ii
du contrôle signature • le contrôleur suppléant Vu.
civil .Tiflet.

\ 5)-Décisions arbitrales.commencées le 5 Novembre 1920,terminées îë"


Juin 1923.Archives du tribunal de première instance de Khémisset.
141

Traduction approximative

Numéro d'ordre
Date ■ 14 Novembre 1920
Objet Différend au sujet- de la garde d'une fille

Nom du demandeur Haddou Ben Rehhou ,-l Abboui el Makhloufi


déclare que N U I ) père est murt laissant sa femme enceinte
Celle-ci a a c c o u c h é d ' u n e f i l l e , p u i s e l l e s ' e s t r e m a r i é e
avec son oncle Mohammed el Ghazi el MaLhloufi.La fil I
est restée sous sa garde jusqu'à la mort de la mère
Le demandeur revendique la garde de sa soeur.
Nom du défendeur : Mohammed elghazi a rejeté les allégations
du demandeur tout en déclarant que la fille est sa propre,
fille. .
Témoins : Le Cheikh Ben ‘Abdeslam el Makhloufi
déclaré que la mère de la fille a reconnu être enceinte
de son premier mari.Bou beker ben Bou'azza el Makhloufi
declare qu'il a demandé en mariage la mère de la fille
à la mort de son premier mari et que la défunte lui
a répondu qu'lle est enceinte.Le même témoignage a ét <’
rapporté par "Ali Amzil el Makhloufi qui a reconnu avo ir
demandé la main de la mère de la fille qui a refus*-
allégnant son état de grossesse.

Jugement- après des investigations sur la réalité


du caïd du différend on a décidé de donner
raison Haddou en nous basant sur deux éléments :
1'existance d'une preuve intangible,et la confirmation
par 100 co-jureurs de ses allégations.Mohammed Elghazi
est débouté de sa demande pour deux raisons : l'absence
de co-jureurs confirmant ses prétentions et son incapacité
à fournir des preuves. La coutume chez nous prévoit
que celui dont le serment est "cassé" perd son droit.
C'est pourquoi je signe ce jugement à son détriment.
Annexe -7“ :
l a première consultation d'une jemffa traditionnelle des Alt Zekri
par le caïd (6)

20

1 9 2 1 ^ 2 9

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^_j W \ p6\'■^)j)-v' ^^ VliyoA^c\ Va— ** ^ ■'. \
O-® 10 25 _? A-6-J \
^^c^—1^ ^ —le. (% ^ j \ ^ ^g-^ie . ^ ^ ^^^^ ^— i \^ ^ \
.jO5LiJ \J J<>i \^ 1 \a> .\^l'"■*<a-c£-jji_ijÜ ^ ^\(Ji_jlî^^

cachet : contrôle civil .Tiflet. Signature Vu \ t Lâ_o

lo)- Décisions arbitrales .op.cit.


143

Traduction approximative.

n° d ' o r d r e : 20 '

Date : 29 Fevrier 1921

Objet
différend au sujet, d'un cheval

demandeur ; - lAkka Ben Keyahi des Alt lladdou (Ait Wahi )


soutient qu'il a demandé à Boufazza Ben Pouchta,
travaillant chez lui,d 1emmener le soc chez
le forgeron.Ce dernier y est allé sur un
cheval appartenant au demandeur.Au retour
le cheval,frappé par le destin,est mort de
suite. En conséquence 'Akka demande à Boifazza
de lui payer son cheval .

Défendeur : BouVzza,sus-mentionné,s 1est - présenté et


a déclaré que c'est 'Akka qui lui a demandé
de monter le cheval et qu'jl ne s'en est
servi qu'avec prudence et sans le fatiguer.
Et que c'est la volenté de Dieu qui s'est
accomplie.
Témoins : Noms des témoins. .
Jugement du : Après avoir longuement médité sur leurs
caïd , prêtentions,j 'ai jugé utile de soumettre
le différend à la jema'a' qui tranchera selon
les usagés etcoutumes en vigueur.Après
reflexions et délibérations,ils ont répondu
que Bou'azza doit réunir 25 co-jureurs dont
■ 10 notables.Ces co-jureurs doivent confirmer
qu'il n'a pas surmené le cheval.Ainsi j'ai
tranché le litige conformément à l ’avis émis
par la jema'a.
144

Annexe: - S - :

Le premier jugement (Je la jemaa officielle des ATt Wahi (7)

■ 1 4 2 àùï
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^ \^j ^j) '* O**1 1^ f-i_^J^ \ O ^ \ wo \ \_*■** Va ^—Lji ^ W
•1 3 4 1 ^o l£- \—lsîXô 29
j L* Jjy-'i \ ^^ A 'ia. V û s _ l i V-i Lj U I \ J * !..3—) *V• <3 I\C ^i/'^lO ^ \
• Lo Vlj L_i cr“*
1 d—Lj%aaj^>—1 \ C_lj Vc. \^o^_ \ \ i_i^ Vlj t **'-p ^ ^ ^ t-lj Vc. V,-&^ ^ \ ^ <^
j) 4^-A-ii c—i»*.—1 \jtif \ià 1 \j)à\
j U Vlj Lû^. \<t\*VU) À_1ui_5 A 1 \£- 1iLts—5 L_i f**-4_5
•^o'«L.n \ \^ ^
j^(_jv«i_tC. \ JV o {j-H ^(j-j t-lj Lü =k_o \
ù"1^^ ^ Or1 ^ Or1 « ^ > -0 • ts^-r! ù r1 ^ f?" ^ ^ ^ ù r1 <a> •*
<-^£L ô-^ A^>Tf-5 '

Signature Vu \ \ Ç- VA..Ç

'l'iW

^^ décisions arbitrales.op.cit

iT
WL
145

Traduction approximative

n° d 'ordre : 1 4‘

Date : 16 Avril 1923

Objet procès relatif à une dia.

Demanderesse: Yamma Bent Jilal: (des Alt Wahi) déclare que


son mari Ben Naceur Ben Jilali' l'a battue et
lui a fait perdre une dent.En conséquence elle
demande la dia de sa dent.
Défendeur Le mari a répondu que la demandresse est sa
femme et que le mari traite sa femme comme
il 1 1 entend.
Jugement de lorsque la jema’a des ATt Wahi fut saisie du
la jema'a différend,elle a décidé que la demanderesse
officielle doit rejoindre son mari et rester sous son
àutorité.L 'épouse ne pourra,selon leur coutume,
reclamer la dia qu ^ après le divorce , les ajema's
présents sont : premièrement,Mehtat Ben Hammou
Hammou Ben .Mohammed ou Issa^ Bouazza Boutellist.
Hammou Ben Laziz .Mohammed Ben Lhaj.Rehhou
Ben Ichchi . Mohammed Ben Baddi.Omar Ben Lhassan.
Lyazid Ben 'Akka.

7 -Décisions a r b i t r a l e s . op.ci t ;
Annexe -9-: Jugement du tribunal coutumier Aït Zekri.(8)

Teneur du jugement Observations

Audience de 25 Mars 1935 Liquidé

Attendu que les défendeurs ajoutent à leurs Le Lundi 29 Avril,le jemaa


déclarations que s'il y'a une contestation au Bouazza rend compte du
sujet de la limite qui sépare leur terrain de résultat des serments :
celui du demandeur la superficie du terrain les demandeurs ont fait
réclamé n'est que d'un demi moud. abandon de ces derniers
et. les parties ont conclu
Attendu que le demandeur reconnaît qu'il doit un aménagement,la limite
réclamer une superficie de trois mouds non pas a été tracé et des fossés
aux présents défendeurs mais à leur frère creusés, en présence du
Razzouq Ben Bouazza. • jernaa Bouazza.

Attendu que la coutume prévoit le règlement Signature


par serment do toute contestation de limite

Par ces motifs , la djemaa décide :


Les défendeurs ,Iiaddou Ben Bouazza et
Mohammed Ben Bouazza,prêtront serment à Sidi
Yahya, le 27 Avril 1 9 3 5 , avec 25 jureurs
(vingt cinq) en présence du Djemaa Bouazza -
Les défendeurs indiqueront avant de prêter les
serments prescrits, le tracé de la limite entre
leur terrain et celui du demandeur.
• .
Signature

de^reliènlT31 coutun\ieil Aït Zekri,registre des jugements 1935. Tribunal


première instance de Khémisset.
C h r o n o l o g i e par ti el le .

règne de Moulay
Slimane -
(1792-1822 )

1810 - Défaite de l'armée impériale conduite par Moulay Sliman


contre les Ait Oumalou (défaite connu sous le nom de
"affaire d'Azrou")

1818 (H 1234) - Les Zemmours participent,sous le commandement du caïd


Elghazi,à l'expédition du Makhzen contre les Aït Oumalou.Ils
s'allient au camp ennemi et défendent Moulay Sliman
("affaire Zaïan").

1820 ( 1236) - Le caïd Elghazi et Elhassan Ben Ilarmiou Elmtiri ,chef


des Aït Idrassen choisissent comme sultan un fils de
Mou! ay Bral1i:n Ben Yaz id.

- Elghazi participe aux expéditions contre les villes


du nord.

1822 ( 1238 ) - Après la mort de Moulay Sliman,Elghazi et les partisans


de Bou Beker Amhaouch forcent les habitants de Tétouan
à accepter le nouveau Sultan désigné par eux, Moulay Saï'd
Ben Yazid. .

règne de Moulay
'Abderrahman
(1822-1859)

1822 ( 1238) - Elghazi apporte au nouveau Sultan des présents et sa


bejta.

- Les Zemmours chassent les Beni Hsen et occupent leur


territoire.

1825 ( 1240) - Mort du caïd Elghazi à Mogador où il avait été emprisonné


par moulay Abderralmian.

- Les Zemmours sont divisés en 5 Khoms.

- Ils participent à la Harka organisée par Moulay



Abderrahman contre les cherardas (Marrakech).

1843 C1259) - Ilanka du Sultan contre les Zemmours.


- Avant 1 'expédition , le caïd Jilali Ben Mbarek des Aït.
Belkacem est arrêté et envoyé à Mogador.
1853 (1969) - Nouvelle llarka du Sultan aidé par son fils Mohammed,
Khalifa de Marrakech.A partir de cette date les Harkas
contre les Zemmours deviennent régulières.
!857 (1273) - Expédition du Sultan contre les Zemmours.
1859 (1276) - Mort de Moulay 'Abderrahman.(au cours d'une Harka contre
les Zemmours ? à Meknès ?).
règne de Sidi - Sur l'invitation du Sultan les Zemmours.protègent Meknès
Mohammed Ben qui était assiégé par les Beni Hsen,les Beni Mtir les
'Abderrahman Guerwans et les Mojjats.
(1859-1873)
- Le Sultan libère le caïd Jilali Ben Mbarek des Aït
Belkacem.

règne de Moulay -
Hassan I
(1873-1894)
2875 - Les Aït 'Abbou et les Aït Wahi refusent les caïds Qabliy-
ines et se placent avec les Aït Belkacem et les Aït Ouribel
sous l'autorité du caïd Mohammed Ben Chahboun El l/ahiwi .

1877 (1293) - Moulay Uassan traverse pacifiquement le territoire


Ze;ni;iour.

1877 - Un officier de ,1a fission militaire française au Maroc


le capitaine Sch.nidt est, tué par descavaliersZemmours.

1880 -Sous la direction du caïd Bouazza Ould Immas, les Aït


Belkacem se séparent des Aït Zekri.

1881 - Le Sultan,en serendant à Marrakech,installe sa Mehalla


chez les Zemmours. . .

1885-1890 - Conflit relatif à la possession du Souk Tlata (Khémisset)


entre les Aït Ouribel et les Qabliyines.

1890 - Sous la direction du caïd Driss ouReliho lesAït Ouribel


' se séparent des Aït Zekri.

1892 - La plupart des tribus Zemmours se dotent d'un caïd.

1893 - Les Zemmours et les Zaërs mettent en déroute les troupes


du Sultan.

- Conquête de la Maniora par les Zemmours.

règne de Moulay
‘Abdelaziz
(1894-1908)

1895
» - Le Sultan traverse pacifiquement le territoire Zemmour.
1902 v Harka contre les Zemmours
Soumission des Zemmours après 1'intercession des Chorfas
d'Ouezzan qui les sollicitent pour combattre contre Bou
Hmara.
1903 - Les Zemmours sont appelés par le Sultan pour combattre
Bou Hmara.
1903 - Les cavaliers Zemmours pillent le Souk de Meknès en
compagnie des Guerwans.

- Les cavaliers Zemmours pillent le marché de Salé.


- Les Aït Belkacem quittent les environs de Dayet Uoumi
1900-1905
pour camper en bordure de Bouregreg
-partage initial du collectif Dar Saboun.
Règne de Moulay
Hifid
(1908-1952)

1908 - Première expédition du Sultan Moulay llfid contre les


Zemmours,défaite du Sultan.

Mai 1911 - 'Les Zemmours participent aux attaques contre la colonne


française du général Moinier qui se porte au secours
de Fez et de Moulay llfid,

8 Juillet 1911 - La route reliant Rabat à Meknès est ouverte par la


rencontre de la colonne Ditte partie de Rabat et la colonne
de Moiniêr partie de Fez.

- Etablissement de plusieurs postes sur la route : à


Sidi 'Allai Elbahraoui (camp Monod),à Tiflet,à Khémiss»*'.
et à Souk El arbVi (camp Bataille).

30-3-1912 - traité conclu entre la France et le Maroc pour l'organisa­


tion du protectorat français sur l'empire chérifien.
(B.0.n°l du 1° Novembre 1912.p.l)

Avril 1912 - Occupation par les troupes françaises de la Tafoudeït


après un combat contre les Zemmours et les Zaïans à Ouljat
Soultan.

Règne de Moulay
Youssef
(1912-1927)

1° Novembre - Circulaire du grand vizir aux gouverneurs,caïds e+


1912 cadis.(Consacre 1'inaliénabilité des terres collectives
et des forêts).
Mai 1913 - Les troupes française attaquent le plateau d'Oulmès,
dernier refuge des Zemmours et y créent un poste.

Octobre 1913 - La "pacification" du pays Zemmour est,officiellement,


achevée.

7 Juillet - Dahir portant réglementation de la justice civile indigène


1914 et de la transaction de la propriété immobilière.(B.O.n°90
du 17 Juillet 1914 PP.579-586).
il Septembre - Dahir relatif à l'administration des tribus berbères
1914 de l'empire (B.0.n°100 du 21 Septembre 1914,p.742)
23 Janvier - Arrêté viziriel sur la conservation des biens collectifs.
1915 (B.0,n°119 du 1° Fevrier 1915,p.54)

22 Septembre - Circulaire n° 7041 portant instructions relatives au


1915 fonctionnement de la justice indigène des tribus de coutume
berbère.
1916 - Un cadi est établi à Khémisset
1916 - Le caïd Haddou Elm^ti est devenu caïd sur toute la
collectivité Aït 'Abbou.
150

12 Juillet 1916 - Arrêté viziriel relatif à la délimitation du massif


forestier de la Mainora. (B.O,n°195 du 17 Juillet 19l6,p.7j2)

21 Novembre - Dahir créant des jeinaVis de tribus. (B.O,n°217 du 18


1916 Décembre 1916,pli70) ce Dahir est rendu applicable en
zone berbère par le Dahir du 21 Novembre 1921.

10 Octobre 1917 - Dahir sur la conservation et l'exploitation des forêts.


(B.O,n°2ô2,du 29 Octobre 1917,p.1151)

- Arrêté viziriel déterminant les territoires auxquels


s'applique le régime forestier institué par le Dahir
du 10-10-1917 sur la conservation et l'exploitation des
forêts (ibid.p.ÎIÔO)

1918 - Le cadi de Khémisset • signale au vizir- de la justice


dans une lettre datée du 22 Rabi' I 1336 que les
justiciables de son ressort souhaitent 11applicat ion
de la coutume. -

27 Avril 1919 - Dahir organisant la tutelle administrative des collect­


ivités indigènes et réglementant la gestion et l'aliénation
des biens collectifs.(B.O,n° 340 du 28 Avril 1919>p*375)

6 Çpvembre 1920 - Le caïd des Aït Yvbbou rend la première décision arbitrale
(en application de la circulaire du 22 septembre 1915)

11 Décembre - Les Zemmours sont classés parmi les tribus de coutume


1920 berbère. *

15 Janvier - Arrêté viziriel réglant le mode d'exercice du droit


1921 au parcours dans les forêts domaniales.(B.O,n°432 du
1° Fevrier 1921,p.l69)
29 Fevrier - La jema'a traditionnelle des Aït Wahi est consultée
1921 pour la première fois par le caïd pour le 20ème jugement.
(Selon le numéro d'ordre des jugements dans le registre
des décisions arbitrales.) .
23 Mai 1921 - Le premier avis de la Jema'a officielle des Aït. 'Abbou
est sollicité par le caïd pour le 26ème jugement.
5 Septembre - Dahir rendant applicable aux tribus de coutumes berbères
1921 les textes organisant,la tutelle administrative,des collect­
ivités indigènes et réglementant la gestion et l'aliénation
des biens collectifs.(B.O,n°465 du 20 Septembre 1921,p.458 )
30 Octobre - Les premiers avis des jemacts officielles des Aït Belkacem
1921 et Aït Wahi sont donnés pour le 50ème jugement.
29 Janvier - La jemafta officielle Aït Belkacem rend son premier jugement
1923 (jugement n°136).Le caïd ne juge plus (en matière civile)
18 Fevrier - La jema'a officielle Aït 'Abbou rend son premier jugement
1923 (jugement n°147)
16 Avril I923
- La jema'a officielle Aït Wahi donne son premier jugement,
(jugement n°142)
151

- Une note résidentielle n° D.R/2 17 Août 1923 recommanda


17 Août 1923 le regroupement de toutes les fractions d'une tribu dans
une seule jema'a judiciaire de tribu.

- Circulaire n° 127, organisant dans le détail les jema'a


29 Janvier
judiciaires.
1924
_ Détermination de la situation juridique des terrains
30 Janvier
appartenant à la collectivité Aït Wahi par le consei 1
1924
de tutelle dans sa séance du 30-1-1926 (les séances du
21-3-1925 et. du -23-5-1925 avaient été consacrées à la
même question) •

1926 - regroupement des trois jémanas des Aït Wahi ,Aït ’Abbou
et Aït Belkacem dans la jema’a judiciaire Aït Zekri du
caïd Driss Chahboun.

1926 - regroupement ries Aït Zekri dans lui même caïdat commandé
par le caïd Driss Chahboun.

10 Mai 1927 - Location pour trois ans du ter-tain collectif Ras Elmguiüat
(Aït hbbou)par le colon A.Abaz.

Règne de
Mohammed V
(1927-1961)

9 Octobre 1929 - Le conseil de tutelle exige dans sa séance du 9 Octobre


1929 l'immatriculation du collectif Ras Elmguitîat avant
d'envisager sa location décennale par A.Abaz.

25 Novembre - Procuration donnée par la collectivité La'tarsa (Aït


1929 'Abbou) à Bouâzza Ben Ichachi pour requérir et poursuivre
l'immatriculation du collectif Ras El Mguitîat.

30 Décembre - La jema'a judiciaire dans ‘son témoignage de propriété’


1929 (acte n°37 ) reconnaît la collectivité requérante La'tarsa
comme propriétaire de la totalité de l'immeuble.

6 Janvier - - Le contrôleur civil,chef de la circonscription du contrôle


1930 des Zemmours,adresse au directeur des affaires indigènes
la réquisition d'immatriculation relative au collectif
Ras El Mguitfat.

29 Janvier - La réquisition est déposée à la conservation foncière.


,1930

21 Mars 1930 - Publication.au B.O n°908 de la réquisition d'immatricula­


tion du collectif Ras El Mguitîat (réquisition n°7529)-

16 Mai 1930 - Dahir réglant le fonctionnement de la justice dans


les tribus de coutume berbère non pourvues de Malikama
pour l'application du Chra*.
(B.O.du 30 Mai 1930,p.65 2 )
21 Mai 1931 - Bornage du collectif Ras Elmguitfat.
23 Octobre - Publication au JLO.n°991 de l'avis de clôture de bornage
1931 du collectif Ras Elmgitat.
1932 - 6 caïdats seulement se partagent toutes les tribus
Zemmoures le caïd Driss •Chahboun commande en plus des
Ait Zekri les Aït Ali ou Lhassan et les Qotbiyines.
- Etablissement du titre foncier (n° 6785 ) du collectit
6 Fevrier
Ras Elmguitat. • '
1932
1 Le conseil de tutelle décide la mise en adjudication
9 Avril 1932. du terrain collectif Ras El Mguitîat en vue de passer'
à son aliénation perpetuelle de jouissance.^
- Aliénation perpétuelle de jouissance du terrain collée? 1 i
14 Octobre
Ras El Mguitfat au profit du colon A.Abaz.
1932
- Délimitation administrative (D.A) n° 128 relative à
19 Juin 1933
"Ouijat Sekka" homologuée par l'arrêté viziriel du 1.
Juin 1933 (B.O n°1082 du 21 Juillet 1933) __

8 Avril 1934 - Dahir soumettant à un régime uniforme en matière pénal f’


les juridictions des pachas et caïds de l'empire et portant
extension de compétence et réorganisation du haut tribunal
chérif ien (B.0,n°l120 du 13 Avril 1934}p-30ô)

8 Avril 1934 - Dahir réglant, la compétence,la procédure, l'organisation.


le fonctionnement des tribunaux coutumiers. (B.O,n° 1120 ,-.lu
13 Avril 1934,p.307).

15 Septembre - Arrêté viziriel fixant,la composition et le ressort


1934 des tribunaux coutumiers de première instance et d'appel,
(le siège,la composition et le ressort,du tribunal coutumier
Aït Zekri est fixé ainsi: siège:K
membres titulaires : 6.Nombre des membres suppléants :3•
tribus de ressort : Aït 'Abbou,Aït Belkacem et Aït Wahi )
(B.O,n°1146 du 12 Octobre 1934,p.1027)

17 Décembre - Arrêtéviziriel fixant le taux des vacations d'audiem:<-


i934 et des indemnités de frais de route allouées aux membres
des tribunaux . c o u t u m i e r s . (B.0,n° 1157 du 28 Décembre
1934,p.1312)

29 Avril 1935 - Le mot "jema’a" disparaît du registre des jugements


du tribunal coutumier Aït Zekri au profit de 1'appelation
"tribunal coutumier".

6 Août 1941 - Le Directeur des affaires politiques dépose la réquisition


de l'immatriculation du collectif Bled Jema^i appartenant
au Aït Bel L'arbi (Aït Belkacem).

29 Août 1941 - Publication de la réquisition d'immatriculation du


Bled Jema'a au B.0,n° 1 505.
10 Novembre - Le directeur des affaires politiques demande l'immatricu­
1941 lation du collectif Dar Saboun appartenant aux collectivités
Aït Bel L’arbi et Aït Ben Hessi (Aït Belkacem).
5 Décembre - Publication de la réquisition d'immatriculation Dar
1941 Saboun au B.0,n°1 519•
27 Janvier - Bornage du collectif Dar Saboun.
1942

29 Janvier - Bornage du collectif Bled Jemsfa.


1942

10 Mai 1942 - Publication de l'avis de clôture de bornage au B.O,n°1540.


. - 1

- Publication de l'avis de clôture de bornage au B . 0 ,n°1543•


22 Mai 1942

4 Décembre - Etablissement du ti t re foncier (20.198 )relatif à Dar-


1942 Saboun.

18 Juin 1943 - Etablissement du titre foncier (20.962 )relatit au


collectif Bled Jermia.

6 Juillet - Dahir m od ifiant le Dahir du 21 Novembre 1916 créant


1951 les jema\as a d ministratives de tribus. .
(B . 0 ,n°2021 du 20 J u i llet 1 9 5 1 ,p.1 1 5 0 ) .

19 Mars 1956 - Dahir sup p r i m a n t la section pénale c o u tumière du haut-


tribunal chérifien.
(B.O,n°2267 du 6 Avril 1956,p . 337).

20 MARS 1956 - Dahir fixant le si.atut du caïd .


(B.O,n°2267 du 6 Avril 1956,p.342).

4 Avril 1956 - Dahir relatif à l'organisation , au fonctionnement des


juridictions, de droit commun.
(BjJ,n°2273,la Mai 1956,p.45«).
25 Août 1956 - Dahir ri°1-56-15& portant, création des tribunaux
de juges délégués dans le ressort des anciens tribunaux
coutumiers.

- Dahir n°1-56-159 portant création de cadis dans les


anciennes tribus dites de coutuine.

- Dahir n°1-56-192 portant création de 20 tribunaux de


cadi dans les anciennes tribus dite:-, de coutume et détermi­
nant leur composition et leur ressort (un tribunal de
cadi est crce à khémisset, siégeant à khémisset et
comprenant un cadi et un suppléant.) <

- Dahir n°l-S6-lô0 portant, création de 20 Juges délégués


et déterminant leur composition,leur siège et leur ressort
(un tribunal du juge délégué est crée à Khémisset,siégeant
a Khémisset et comprenant un juge délégué,4 Juges suppléants
20 assesseurs)
(B.O,n°2289 du 7 Septembre 1956,pp.1002-1003).
30 Mai 1958
- Circulaire n°1.519 int.D.A. relative à l'apurement
juridique des terres collectives n'ayant pas encore fait
l'objet d'une délimitation administrative ou réquisition
d'immatriculation. '
Mars.Avril.Mai. - Occupation de force de "Ouljat Sekka",terrain collectif
1959
appartenant légalement aux Aït VVlla,par les Aït 'Aqoub
(Aït Belkacem).
9 Mai 1959
- Dahir' relatif à la résiliation des concessions de droit
de jouissance perpétuelle et à la révision des contrats
de location à long terme consentis sur les terres
collectives.
1 Septmbre
1959
- Dahir 1-59-161 relatif à l'élection des conseils
communaux.

- Dahir 1-59-162 réglementant les élections.


(B.O,n°2245 du 4 Septembre 1959,pp.1477•148 1)
154

Octobre 1959 - Les Aït. Belkacem envoient une lettre au Roi pour qu'il
arbitre le conflit qui les opposent aux Aït 'Alla (i'ou'lcrrjin)

2 Décembre - Dahir relatif à la division administrative du roy.ni'ne.


1959

- Decret créant et énumérant les communes urbaines el.


rurales du royaume.
(D.ü,n°2458 du 4 Décembre 1959,p.2040)
23 Juin I960 - Dahir relatif à l'organisation communale.
(B.O,n°2487 du 24 Juin 1960,p.1230).
* D D

Documentation

Sources :

A/ sources manuscrites :

1°) -Archives 3 la direction des affaires rurales

- D.A. (délimitation administrative) n°128 : dossier renfermant


des documents concernant le conflit "Ait Belkacem-Aït Alla".

- D.A. n°45 : requêtes (Aït Belkacem)

- Réquisition n°l6.821 (documents relatifs au terrain collectif


Dar Saboun de.-- Aït Bel L'arbi et Aït Ben Hessi )

- Réquisition n°16 • 640 (documents relatifs au terrain collectif


Bled Jema'a Aït Bel L'arbi )

- Réquisition n° 7 * 529 (documents relatifs au terrain collectif


Ras Elmguit'at de- la collectivité La'tarsa.Ces cinq dossier^
contiennent,en plus des documents qui concernent directement,
les terrains collectifs,des informations relatives à la
collectivité Aït Zekri,rapports de contrôleurs civils,de>>
correspondances administratives etc.)

- F.V . du conseil de tutelle :

deter- njrnt ion de la situation juridique des terra ins situé


aux e:. .rnns de Daït Roumi - tribu Aït Wahi,contrôle civil
de Kli.'ttiisset.Séances du 21 Mars 1925,du 23 Mai 1925 et du
30 Janvier 1926.

Demande de location décennale présentée par A.Abaz et concernant


un terrain appartenant à la collectivité des Aït *Ali Zekri
Aït Abbou (Zemmour).Séance du 9 Octobre 1929.

2 ) -Archives du tribun il de première instance de Khémisset :

Registre^ des dicisions arbitrales commencé le 6 Novembre 19 0


e ' ^'cr iy ri® 12 Juin 1923 (jugements des caïds,et des jema'as
c fici elles des t:pois tribus)

- Reg .- res des jugements des jemaVis judiciaires.

- Registres des jugements du tribunal coutumier Aït Zekri.

^ eS ac^ es Pas ses en m atière i mmobilière et successorale


' ^bboUjAït Belkacem,Alt Wahi)

- Regist es des Actes divers Aït Zekri.


156

3°) - Archives de la conservation foncière

- Titre foncierdu terrain collectif Dar Saboun:T.F.20-198

- Titre foncierdu terrain collectif Bled Jema<i:T.F. 20.962

- Titre foncier u
d terrain collectif Ras Elmgitfat :T.F. 6. 7&5

B/ Sources imprimées :

- Deluc (J) : Considérations sur les tribunaux coutumicr.-»


de la confédération dos tri ju s Zemmours.
c.:i.h.A.::.iy5 2 .5 S[,.

- Iliourran (A) : Lvol ut\ jon adsniiii strat ive ,<r-conomi que e(
(.Otalifa -A 7 t i\bbou) sociale du cnlùat Leaseuder-Ghandor. 35p *
(rapport en ara!»-).

- List e des confédérations,tribus et princi pfiles fractions du


Maroc. •
Résidence générale de la république au Maroc,direction des
affaires i n d i g è n e s . 1 9 3 9 •

- Projet Sebou, Zooteclinie,I situation actuelle.Fasc.8,les ruminants


du pays Zemmour.Maroc.F.A .0.Rabat 1968.66p.
(la transhumance dans les pays Zemmour depuis i960 ) ’

~ Villes et tribus du Maroc (Rabat et sa région) tome 3>les tribus,


Ed.Leroux.Paris.1920.

II Bibliographie :

A/ ouvrag es :

Ageron (r r ) r. t •^ •
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à 1 9 1 2 .Ed.Atlantides.Casablanca.1 9 5 2 .
Asfpignon (R)
: Contribution à l'étude du droit coutumier
berbère marocain® (étude sur les coutumes
Zaîans) Casablanca.1946.
Balandier (q \
> :L anthropologie politique.P.U.F.1 9 6 7 .

Sociologie actuelle de l'Afrique noire.P.U.F.


1971

Sens et puissance P.U.F. 1971.

Anthropo-logiques.P.U.F.1974. ’
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royale.Casablanca.1 9 6 9 .
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Coïdan (E) Le caïd marocain.Ed.Saada 1950»

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géographiques,maritimes et coloniales.1 939-

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160

Tahle des matières

Introduction •

Première partie : La Collectivité traditionnelle Aït Zekri 11

Chapitre I :
L 'organisation sociale 1

Section I Les symboles d'identité collective 12


Section II La mouvance des Aït Zekri llJ
La communauté d'institutions 99
Section III

Chapitre Ils L 'o r g a n i s a t i o n politique

tien I
b e c La .quasi-déffai 1lance du Makhzen 27
Sect ion II Le maintien de l'ordre intertribal. V-
Section III Le maintien de; l'ordre tribal 4-

Deuxième partie; La dynamique externe de la collectivité Aït 4f>


Zekri

Chapitre I : Le changement institutionnel. 47

Section I : La formation d'institutions nouvelles 47

§1- Prologue : La liquidation du Baroud


§2- La centralisation administrative

Section IT : La substitution d'institutions

§1- Du mouvoir au circonscrire


§2- La fixation au sol

Section III : La désorganisation d'anciennes institu-62


tions

§1- L'extraction administrative de la jemaVi


§2- Le contrôle administratif de la propriété
collective.

Chapitre II : La signification du changement institutionnel ^

Section 1 :problèmes de qualification 7|


Section II :Les caractéristiques de lamodernisation?'

§1-La rationalisation juridque i


2-démythi f ication et déritualisatiUJ,
on
§3-La dépolitisation des institutions i
traditionnelles !
§4-La rationalisation bureaucratique J

Section III : La continuation de la modernisation ? 9' f!


161

Troisième Partie : La dynamique de la -tradition 10U

Chapitre I : L'administration et la tradition li’l

Section I :La réactivation administrative de* 102


la tradition. .
Section II :La négation de la tradition ? 111

Chapitre II : Résistance au changement ou changement 11/


de la résistance ?

Section I :perception de l'Etat 117


Section II :La réinterprétation de la commune 1^1 J

Conclusion. 133

Annexes :

- Lettre de Moulay 'Abderrahman à son fils Mohammed 13c.

- Lettre de Moulay 'Abderrahman après une expédition 13’


en pays Zemmour. ■ —

- Lettre de Moulay Hassan I au caïd Bou'azza l 1Ouribli 13»

- Dahir d^’investiture du caïd Haddou El Ma*ti par 13'.


Moulay ’Abdelaziz

- Dahir d'investiture du caïd Haddou par Moulay Hfid. 13­

- Décision arbitrale rendue par le caïd des Aït 'Abbou 140

- Consultation d'une jema'a traditionnelle Zekrie i. n 14-


le caïd

- Jugement de la jema'a officielle des Aït Wahi 14

- Jugement du tribunal coutumier Zekri 146!

Chronologie. 14/

Documentation. 1 5;

Table des matières,

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