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Carême-prenant !

Dominique Rézeau - L’Île d’Yeu, 14 février 2021 n°5

Le combat de Carnaval et Carême - Breughel l'Ancien 1559

Si l’expression carême-prenant n’est plus guère d’usage, elle désigne les trois
jours gras qui précèdent immédiatement le mercredi des cendres (étymologie :
on va « prendre le Carême » comme on «prend la mer pour une longue
traversée »). Ces dimanche 14, lundi 15 et mardi 16 février annoncent le temps
de jeûne et de pénitence qui conduira les chrétiens jusqu’à la fête de Pâques, le 4
avril prochain.

Trois jours de réjouissance, de bombance et


d’extravagance, accompagnés (hors Covid…) par les
célèbres « carnavals » nés au cours du temps, à
Venise, à Nice, à Rio, etc… On peut voir au musée
d’histoire de Vienne le fameux tableau de Breughel
peinte au XVIe siècle qui illustre la rencontre de
« Carnaval » et de « Carême » : d’un côté la vie de
plaisir, de l’autre l’observance religieuse. Tandis
qu’une multitude de personnages se livrent sur la
place du marché, qui à faire ripaille avec abondance
de chair et de liqueurs, qui à faire provision de poisson
et d’eau fraîche pour le lendemain, nones et fidèles se
préparent au flanc de l’église au jeûne et à la prière !
Institué progressivement par l’Eglise, le
Carême (du latin quadragesima) dure
quarante jours, en souvenir des 40 jours
passés par le peuple hébreu dans le désert
du Sinaï avant d’entrer en Terre promise,
mais aussi des 40 jours de Jésus au désert
avant de commencer sa vie publique.
Temps du désert qui est le lieu du
dépouillement, de la solitude, de l’épreuve
et de la rencontre avec Dieu.
Dans le désert coulent les larmes. L’aridité se change
en source. L’amertume devient douceur: Confiance en
Dieu !
L’aspect « alimentaire» du Carême a
souvent pris le pas sur cette dimension
spirituelle. La privation de nourriture et en
particulier de viande a fait l’objet de multiples
lois ecclésiastiques, mandements pontificaux et
épiscopaux, sermons paroissiaux, etc… au
risque pour l’arbre de cacher la forêt ! Le beau
signe des cendres reçues sur le front au
lendemain du mardi-gras, appel à la conversion
du cœur et au changement de vie à la suite du
Christ, est devenu pour beaucoup signe de
tristesse et de deuil pour l’abandon de toutes
les bonnes choses de la vie ! Vous avez dit
Imposition des cendres
« effort et privation » ? quels mots
antipathiques ! pensons pourtant à ce que nous ont coûté les efforts et privations
exigés en temps de confinement ! Efforts des gestes barrière, respect des mesures
sanitaires, privations de repas et de fêtes de familles, de visites pour nos anciens
et malades, de spectacles, de bars et restaurants…. Bref un « carême » imposé et
qui dure, depuis plus de 40 jours !

Alors pourquoi ne pas substituer ce « jeûne forcé » au


jeûne de nourriture et autres satisfactions (ou de le
rajouter si nous sommes de tempérament ascétique) ?
Avec amour, of course, pour Celui dont nous allons
célébrer le grand mystère de la mort et de la résurrection
au jour de Pâques, en ne maugréant pas pour accepter
les multiples limites du confinement, en multipliant
sourire et partage avec les autres, en restant en contact
avec ceux que nous aimons et ceux que nous
rencontrons … en venant prier à l’église? Quarante jours, est-ce trop pour
comprendre que l’on est cendre et retournera cendre, mais qu’à ce corps le
Royaume est promis. Pourvu qu’au pauvre on offre en Ta tendresse, pour le guérir
de tout ce qui l’oppresse, le blé du Ciel dont la terre est semis ? (Jampierre)
Le poisson en Carême
En Carême donc jeûne et partage, ainsi que
l’écrit saint Augustin : le jeûne et l'aumône sont
les deux ailes qui soulèvent jusqu'à Dieu la prière
du Carême ! Et poisson… qui remplaçait jadis la
viande en temps de jeûne et d’abstinence.
Tradition chère à nos marins-pêcheurs, au temps
où ledit habitant des mers était un pis-aller pour
les carnivores et maintenant presqu’un met de
luxe ! On lira avec intérêt l’ouvrage dû à un
éminent médecin (TRAITE DES ALIMENS DE CARESME
J.B. Coignard, 1713) qui s’est penché avec sérieux sur les poissons qu’il convient
de servir en temps de jeûne et leurs qualités gustatives :

Nous commencerons par les Poissons de Mer, & nous viendrons ensuite à ceux d’Eau-
douce ; après quoi nous examinerons les Amphibies. Les Poissons de Mer les plus
ordinaires sur les tables de Carême, sont, 1o. le Turbot, la Barbuë, la Sole, la Plye, la
Limande, le Flez, le Carrelet, la Vive, le Rouget, le Surmulet, le Merlan, la Raye, l’Alose, la
Lamproye, la Brame, l’Esturgeon, la Seiche. 2o. Parmi ceux qui ont des coquilles, les
Ecrevisses de mer, les Moules, les Huîtres. 3o. Parmi ceux que l’on sale, les Sardines, les
Anchoyes, le Hareng, le Saumon, la Morue & la Merluche.

Le bon docteur chante en particulier les louanges du turbot et de la sole (La Sole,
autrement appelée, Perdrix de mer, Perdix marina, à cause de son bon goût, est un poisson
long & plat, qui a la chair courte, blanche, ferme, & très-savoureuse. C’est peut-être le
plus exquis, le plus nourrissant, & le plus sain qui se puisse manger). Citant un de ses
confrères, l’auteur indique qu’on auroit sujet de croire les Moules, les Huitres & les
Ecrevisses, des poissons trop délicats pour un tems de pénitence, tel que celui du Carême.
On ajoute même que ce sont des poissons dont on auroit trop à craindre pour la piété
Chrétienne. Trop bons les fruits de mer en Carême !
Face de Carême ?

Le jeune homme malade, Lorenzo Lotto, 1530

Le visage amaigri de ce jeune homme peint par Lotto pourrait en effet illustrer
la définition proposée par l’excellent TRESOR DE LA LANGUE FRANÇAISE : Face, figure
de carême : visage maigre et pâle, analogue à celui d'une personne qui a jeûné
tout un carême. Tel celui du magistrat compassé qui fait dire à « Petit Jean » dans
LES PLAIDEURS de Racine : Ah peste de toi-même ! Voyez cet autre avec sa face de
carême. Rien à voir avec le chrétien qui « fait son carême » en s’inspirant des
paroles de Jésus entendues au jour des Cendres : Quand vous jeûnez, ne prenez
pas un air abattu, comme les hypocrites : ils prennent une mine défaite pour bien
montrer aux hommes qu’ils jeûnent… Mais toi, quand tu jeûnes, parfume-toi la tête
et lave-toi le visage !

J’ai rendu visite récemment à deux personnes en


fin de vie ; ce n’est pas leur souffrance qui m’a frappé
ni leur corps glissant peu à peu vers la mort, comme
une barque fatiguée qui glisse dans le courant vers
un autre océan, mais le sourire sur leur visage,
épanoui chez l’une, malicieux chez l’autre, « comme
si déjà ils voyaient l’invisible » (Héb.11/27). Il y a la
joie qui est la plus forte (Claudel)

Par la croix du Bien-Aimé,


Fleuve de paix où s'abreuve toute vie
Par le corps de Jésus-Christ
Hurlant nos peurs dans la nuit des hôpitaux
Sur le monde que tu fis pour qu'il soit beau et nous parle de ton nom
Fais paraître ton jour et le temps de ta grâce
Fais paraître ton jour que l'homme soit sauvé

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