Vous êtes sur la page 1sur 15

AGENDA/MISE À L'AGENDA

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 - - 194.199.206.8 - 28/03/2017 15h54. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.)
Catherine Achin, Laure Bereni

in Catherine Achin et al., Dictionnaire. Genre et science politique


Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 - - 194.199.206.8 - 28/03/2017 15h54. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.)

Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) | « Références »

2013 | pages 55 à 68
ISBN 9782724613810
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
http://www.cairn.info/dictionnaire-genre-et-science-
politique--9782724613810-page-55.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Pour citer cet article :


--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Catherine Achin, Laure Bereni, « Agenda/Mise à l'agenda », in Catherine Achin et
al., Dictionnaire. Genre et science politique, Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.)
« Références », 2013 (), p. 55-68.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.).


© Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.). Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.

Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)


Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 - - 194.199.206.8 - 28/03/2017 15h54. © Presses de Sciences Po (P.F.N.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 - - 194.199.206.8 - 28/03/2017 15h54. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.)

Agenda/Mise à l'agenda 55

Renvois :
Élites, Politiques publiques, État providence, Institutions poli-
tiques, Care.

Références essentielles :
CARDI (Coline), « La construction sexuée des risques familiaux »,
Politiques sociales et familiales, 101, 2010, p. 35-45.
DARLEY (Mathilde), GAUTHIER (Jérémie), HARTMANN (Eddie) et
MAINSANT (Gwenaëlle) (dir.), « L’État au prisme du contrôle des
déviances : plaidoyer pour une approche ethnographique »,
Déviance et société, 3 (2), 2010.
LAUFER (Jacqueline) et MULLER (Pierre) (dir.) « Le plafond de verre
dans l’administration, enjeux et démarches de changement »,
Politiques et management public, 28 (2), 2011.
SIBLOT (Yasmine), Faire valoir ses droits au quotidien. Les ser-
vices publics dans les quartiers populaires, Paris, Presses de
Sciences Po, 2006.
STIVERS (Camilla), Gender Images in Public Administration. Legi-
timacy and the Administrative State, Londres, Sage, 1993.

• • •

> AGENDA/MISE À L’AGENDA


Les travaux au croisement des études de genre et de l’analyse
des politiques publiques sont nombreux depuis les années 1970 ;
ils analysent notamment l’influence de l’action publique sur les
femmes, les rapports de pouvoir entre hommes et femmes, ainsi
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 - - 194.199.206.8 - 28/03/2017 15h54. © Presses de Sciences Po (P.F.N.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 - - 194.199.206.8 - 28/03/2017 15h54. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.)

56 DICTIONNAIRE GENRE & SCIENCE POLITIQUE

que l’action collective des femmes face à ces interventions éta-


tiques. Cependant, l’articulation entre le genre et une séquence par-
ticulière de l’action publique – dans le cadre d’une approche qui
consiste à diviser le développement d’une politique publique en
plusieurs étapes distinctes (mise à l’agenda, décision, mise en
œuvre, évaluation, terminaison) (Jones, 1970) – semble avoir beau-
coup moins intéressé les politistes jusqu’à une date récente. C’est
notamment le cas de la première étape de la grille séquentielle
consacrée à l’identification du problème, son émergence en tant
qu’enjeu public et son inscription à l’agenda des autorités poli-
tiques. À l’exception d’un numéro spécial de la Revue française de
science politique sur « Le genre à la frontière entre policy et poli-
tics » (Boussaguet et Jacquot, 2009a), l’agenda et la mise à l’agenda
ont en effet peu fait l’objet d’une réflexion sur ce que « le genre
leur fait ». Plus généralement, il convient de rappeler que l’étude
de cette séquence particulière a longtemps été négligée par la
science politique française et qu’elle n’a donné naissance à un nou-
veau champ de recherche que récemment (par exemple
Baumgartner et al., 2006), et qu’il « constitue davantage un chan-
tier qu’un ensemble relativement intégré et unifié de travaux »
(Garraud, 2010). On comprend ainsi mieux le sous-intérêt mani-
feste pour l’interaction possible – et potentiellement féconde –
entre genre et agenda.
L’ambition de cette notice est de tenter d’y remédier en proposant
d’analyser les manières dont le genre « travaille » l’agenda. Nous
proposons pour cela d’envisager le concept de genre sous des
formes variées, à l’instar de ce que proposent Jane Jenson et
Éléonore Lépinard (2009). Celui-ci peut ainsi déterminer les
acteurs de l’agenda, devenir objet de l’agenda, être une variable
de l’agenda et enfin représenter une nouvelle approche analytique
de l’agenda.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 - - 194.199.206.8 - 28/03/2017 15h54. © Presses de Sciences Po (P.F.N.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 - - 194.199.206.8 - 28/03/2017 15h54. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.)

Agenda/Mise à l'agenda 57

LE GENRE, ACTEUR DE L’AGENDA

La prise en compte de la potentielle dimension genrée de


l’agenda permet tout d’abord d’envisager des acteurs jusque-là
plutôt délaissés par l’analyse. Cette évolution est rendue possible,
dans le champ de l’analyse des politiques publiques, par la pro-
gressive sociologisation de l’étude de l’action publique, qui se tra-
duit par un intérêt nouveau pour l’ensemble des acteurs qui
interviennent dans les processus d’émergence et de décision
(Hassenteufel, 2011).
Cet intérêt pour tous les acteurs, notamment privés, qui jouent un
rôle dans la fabrique de l’action publique, se vérifie tout particu-
lièrement dans l’étude des processus de mise à l’agenda. En effet,
à l’exception des types d’émergence qui trouvent leur origine dans
la sphère politique, la phase de construction d’un problème public
est certainement l’une des séquences de l’action publique où la
participation d’acteurs issus de la société civile est la plus visible.
Un problème devient généralement public sur les scènes publique
et médiatique, avant d’être inscrit à l’agenda des autorités poli-
tiques, et cette publicisation se fait à la faveur de la mobilisation
d’acteurs, individuels ou collectifs, professionnels ou profanes, par-
ticuliers ou associatifs, médiatiques ou privés. C’est ce que la lit-
térature sur la mise à l’agenda nomme l’« émergence progressive
et par canaux multiples » (Favre, 1992) ou l’« émergence par la
mobilisation » (Boussaguet, 2008) ; on se situe alors à l’articulation
entre sphère publique et société civile, entre élaboration de l’action
publique et mobilisations (Garraud, 2010).
Pour le sujet qui nous intéresse ici, cela passe par la mise en évi-
dence du rôle joué par les mobilisations de femmes, à l’extérieur
– les mouvements féministes par exemple – comme à l’intérieur des
instances étatiques – la présence de « fémocrates », ces féministes
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 - - 194.199.206.8 - 28/03/2017 15h54. © Presses de Sciences Po (P.F.N.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 - - 194.199.206.8 - 28/03/2017 15h54. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.)

58 DICTIONNAIRE GENRE & SCIENCE POLITIQUE

qui sont amenées à travailler au sein de l’appareil d’État –, dans la


mise à l’agenda de nouveaux enjeux – par exemple le droit de vote
des femmes, la légalisation de l’avortement, la parité ou le pacte
civil de solidarité (Pacs). Toutefois, cette influence féministe sur
l’agenda setting est très variable, dans le temps, dans l’espace et
suivant les domaines d’intervention publique. Il est possible de
distinguer quatre séries de facteurs qui viennent conditionner
cette influence.
La temporalité de l’émergence. Si les actrices féministes sont les
premières à se saisir de l’enjeu et à le construire comme problème
public, alors elles peuvent se retrouver en situation de monopole
pour le faire émerger sur les scènes publique et politique. C’est
notamment ce que montre Sophie Jacquot (2009) sur les premières
années de la politique communautaire d’égalité entre les hommes
et les femmes, centrée autour d’un petit nombre de militantes de
la cause des femmes et de la cause européenne.
La configuration des acteurs en présence. Les militantes féministes
se heurtent cependant le plus souvent à l’opposition d’autres
acteurs, qui refusent l’inscription à l’agenda d’un problème ou sou-
haitent le publiciser d’une autre façon, comme l’illustre le front des
conservateurs et des catholiques opposé à la légalisation de l’avor-
tement dans les années 1970 (Mossuz-Lavau, 2002). Et quand elles
parviennent à détenir le monopole de l’émergence, celui-ci n’est
généralement que de courte durée. Ainsi par exemple, si les fémi-
nistes étaient les « faiseuses d’agenda » des abus sexuels sur
mineurs dans les années 1980, elles ne jouent plus qu’un rôle
secondaire dix ans plus tard, au bénéfice des familles de victimes
et des associations de protection de l’enfance (Boussaguet, 2009).
Leur critique de la domination masculine trouve en effet moins
d’écho dans un contexte de backlash – progression de l’anti-
féminisme, remise en cause des droits des femmes, etc. – dénoncé
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 - - 194.199.206.8 - 28/03/2017 15h54. © Presses de Sciences Po (P.F.N.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 - - 194.199.206.8 - 28/03/2017 15h54. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.)

Agenda/Mise à l'agenda 59

par les féministes elles-mêmes (Faludi, 1992 ; Bard, 1999) et dès


lors que des contradictions émergent entre leurs discours et la réa-
lité des abus sexuels – les filles ne sont pas les seules victimes.
Le contexte discursif. Les mobilisations féministes ont d’autant
plus de chance d’influer sur le processus de mise à l’agenda d’un
enjeu qu’elles sont en résonance avec l’environnement cognitif et
normatif dominant dans la société. C’est ce que montrent par
exemple Laure Bereni et Éléonore Lépinard à propos de la rhéto-
rique paritaire (2004). Si les pro-paritaires réussissent à emporter
le débat sur l’introduction de la parité en politique, c’est parce
qu’elles parviennent à adapter leur registre argumentatif au
modèle de l’universalisme républicain qui prévaut en France, en
soutenant que la différence sexuelle est la seule différence réel-
lement universelle.
Le contexte institutionnel. L’influence féministe varie enfin en fonc-
tion de la présence, ou non, de relais potentiels et/ou de structures
au sein de la sphère étatique, permettant de représenter et de réper-
cuter les discours féministes émanant de la société civile. Il peut
s’agir d’individualités, telles que des ministres femmes sensibilisées
aux luttes féministes, à l’image de Miet Smet en Belgique, secrétaire
d’État à l’Environnement et à l’Émancipation sociale, qui se saisit
la première des questions de violences sexuelles sur mineurs dans
les années 1980, en réponse aux mobilisations féministes
(Boussaguet, 2008). Ce peut être aussi des institutions susceptibles
de relayer les discours et expertises féministes auprès des autorités
politiques, telles que la Women’s National Commission en Grande-
Bretagne, dotée d’un puissant pouvoir consultatif, ou le Comité
du travail féminin en France, organe consultatif situé en marge
du ministère du Travail et créé sous la pression d’associations
féminines, qui a joué un rôle non négligeable dans le développe-
ment de la politique d’égalité professionnelle (Revillard, 2009).
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 - - 194.199.206.8 - 28/03/2017 15h54. © Presses de Sciences Po (P.F.N.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 - - 194.199.206.8 - 28/03/2017 15h54. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.)

60 DICTIONNAIRE GENRE & SCIENCE POLITIQUE

Cette seconde piste renvoie à ce que l’on appelle communément le


« féminisme d’État » (Mazur et McBride Stetson, 1995) mais aussi
à l’ensemble des travaux sur les coalitions féministes transversales,
qui débordent la frontière traditionnellement établie entre les mou-
vements sociaux et les institutions (Bereni, 2009 ; Banaszak, 2005).

LE GENRE, OBJET DE L’AGENDA


La dimension genrée de l’agenda renvoie d’autre part au
contenu de ce dernier, soit aux problèmes publics qui émergent et
font l’objet d’une intervention de la part des autorités politiques.
Il est ainsi possible d’en distinguer deux grandes catégories reliées
au genre et susceptibles de faire l’objet d’un processus d’agenda
setting (Boussaguet et Jacquot, 2009b).
Premièrement, on trouve des problèmes que l’on envisage comme
étant eux-mêmes genrés, parce qu’ils ont trait à ce qui est (construit
comme) spécifiquement féminin, à l’image de la maternité. Tous
les enjeux reproductifs tels que la contraception, l’avortement ou
la procréation médicalement assistée (PMA) relèvent ainsi de cette
première catégorie.
Deuxièmement, il existe des problèmes a priori « neutres », mais
sur lesquels on choisit de porter un regard genré et/ou qui sont
construits de façon genrée par les acteurs de l’émergence. Entrent
par exemple dans cette catégorie la représentation politique avec
la question de la parité ou l’activité professionnelle avec l’objectif
d’égalité entre hommes et femmes. Plus généralement, la prise en
charge de ces problèmes appréhendés de façon genrée a donné
naissance à un ensemble de politiques qui cherchent à améliorer
le statut des femmes et l’égalité entre les sexes et que l’on appelle
« politiques d’égalité » ou selon certains auteurs, « politiques fémi-
nistes » (Mazur, 2002 ; Mazur et Pollack, 2009).
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 - - 194.199.206.8 - 28/03/2017 15h54. © Presses de Sciences Po (P.F.N.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 - - 194.199.206.8 - 28/03/2017 15h54. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.)

Agenda/Mise à l'agenda 61

Historiquement, il est possible de distinguer plusieurs phases dans


l’inscription du genre sur l’agenda des autorités politiques qui
correspondent grosso modo aux évolutions même du féminisme
– pour un rappel de ces évolutions, voir Bereni et al., 2012. Ainsi,
lorsque les mouvements féministes émergent en Occident dans la
seconde moitié du XIXe siècle, leurs premières revendications
concernent la demande d’égalité juridique, civile et politique entre
les sexes et l’inclusion des femmes dans les sphères publique et
politique. Les mouvements suffragistes dans les pays anglo-
saxons, actifs dès les années 1860, relèvent de cette « première
vague » et aboutissent à l’obtention du droit de vote pour les
femmes de manière précoce (1913 au Canada, 1918 en Grande-
Bretagne, etc.) ; c’est la première fois que la question des droits
des femmes devient objet de l’agenda.
Toutefois, une fois le suffrage obtenu, les mouvements féministes
connaissent une phase de repli dans la plupart des pays occiden-
taux – appelée aussi « creux de la vague » (Chaperon, 2000) –
durant laquelle l’enjeu de l’égalité hommes/femmes ne rencontre
quasiment plus l’agenda des autorités politiques. Et il faut
attendre les années 1960 et 1970 pour assister à un renouveau
des mobilisations féministes – qualifiées de « deuxième vague » –,
autour de la nébuleuse du Mouvement de libération des femmes
(MLF) en France. La principale nouveauté de cette deuxième
vague est d’avoir placé au cœur de ses revendications des enjeux
tels que la sexualité, la contraception, l’avortement, enjeux qui
étaient jusque-là considérés comme « privés » – tout en étant de
longue date la cible de politiques publiques (pénalisation de la
contraception et de l’avortement, etc.). Les mouvements fémi-
nistes ont alors contribué à inscrire ces questions à l’agenda éta-
tique, au nom d’un slogan qui synthétise cette deuxième phase :
« le personnel est politique ».
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 - - 194.199.206.8 - 28/03/2017 15h54. © Presses de Sciences Po (P.F.N.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 - - 194.199.206.8 - 28/03/2017 15h54. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.)

62 DICTIONNAIRE GENRE & SCIENCE POLITIQUE

Les années 1980 sont en revanche peu propices à la mise à l’agenda


des questions d’égalité : il semble que l’on entre en France, comme
dans d’autres démocraties occidentales, dans une phase de
backlash ; et les mouvements féministes eux-mêmes se démobili-
sent. Cependant, depuis le milieu des années 1990, l’on voit se
développer de nouveaux groupes, composés de militant.e.s plus
jeunes (les filles des militantes de la deuxième vague), parfois des
deux sexes, et portant de nouvelles revendications (droits des mino-
rités sexuelles, des personnes trans, intersectionnalité, etc.). Cela se
traduit par l’émergence de nouveaux enjeux sur les scènes publique
et politique occidentales, situés au croisement entre discrimina-
tions de genre et d’autres thématiques telles que le racisme ou
l’homophobie ; les débats récents autour du « mariage pour tous »
en offrent une bonne illustration.
Il existe ici aussi des conditions plus ou moins favorables à l’ins-
cription de la question de l’égalité hommes/femmes sur l’agenda
des autorités politiques. Ce peut-être par exemple le poids et le
degré de structuration des mouvements féministes, l’importance du
contexte ou le type de régime politique, comme l’indique l’histoire
de la réception des revendications suffragistes (Bereni et al., 2012 :
223 et suiv.).
À l’ère contemporaine, au niveau de l’Union européenne (UE) par
exemple, deux conditions semblent devoir être remplies pour que
le genre accède à l’agenda. Il convient tout d’abord de parler le
langage de l’Europe et d’être en résonance cognitive avec le para-
digme dominant de l’action publique communautaire. C’est seule-
ment ainsi que l’on peut par exemple comprendre l’introduction de
l’article 119 relatif à l’égalité de rémunération entre travailleurs
féminins et masculins dans le traité de Rome de 1957, accepté, non
pas au nom de principes égalitaristes et féministes, mais dans une
logique de marché, pour tenter de limiter les distorsions de
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 - - 194.199.206.8 - 28/03/2017 15h54. © Presses de Sciences Po (P.F.N.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 - - 194.199.206.8 - 28/03/2017 15h54. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.)

Agenda/Mise à l'agenda 63

concurrence et le dumping social entre États membres. Il faut en


outre que la question de l’égalité ou des droits des femmes relève
bien des domaines de compétences de l’UE. Rien d’étonnant alors
à ce que la question de la traite des êtres humains, et en particulier
des femmes, ait pris de l’ampleur sur l’agenda européen au moment
où les questions de justice, d’immigration et d’asile sont progres-
sivement communautarisées.

LE GENRE, VARIABLE DE L’AGENDA


Il est possible de porter un autre regard sur le genre, consistant
à le considérer non plus comme variable dépendante, mais bien
comme variable indépendante, déterminante pour l’agenda. Deux
de ses caractéristiques peuvent alors être envisagées : le genre pose
tout d’abord la question de la frontière entre public et privé ; il
revêt en outre une dimension transversale qui pèse sur l’ensemble
des agendas sectoriels des autorités politiques.
Qu’il soit public – regroupant l’ensemble des enjeux qui ont atteint
un haut degré de visibilité et d’intérêt public – ou formel – composé
des thèmes effectivement pris en considération par les décideurs
au pouvoir –, suivant la distinction établie par Roger Cobb, Jennie
Ross et Marc Ross (1976), l’agenda concerne des problèmes publics,
c’est-à-dire « perçus comme appelant un débat public, voire l’inter-
vention des autorités politiques légitimes » (Padioleau, 1982). Le
propre de l’agenda est en effet de désigner quels sont, à un instant t,
les problèmes méritant l’attention du public ou nécessitant l’inter-
vention des autorités publiques. Tous les faits objectifs et les phé-
nomènes sociaux ne sont pas des problèmes publics ; c’est leur
publicisation et leur inscription à l’agenda qui permet de les qua-
lifier ainsi – ils changent alors de statut et passent de la sphère
privée à la sphère publique.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 - - 194.199.206.8 - 28/03/2017 15h54. © Presses de Sciences Po (P.F.N.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 - - 194.199.206.8 - 28/03/2017 15h54. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.)

64 DICTIONNAIRE GENRE & SCIENCE POLITIQUE

Or le genre questionne cette frontière qui sépare ce qui est privé


de ce qui est public. Envisagé comme « sexe social » – soit le rapport
social entre femmes et hommes –, comme le firent les premières
études sur le genre, ou défini plus généralement comme « système
de bicatégorisation hiérarchisé entre les sexes (hommes/femmes) et
entre les valeurs et représentations qui leur sont associées (mas-
culin/féminin) » (Bereni et al., 2012 : 10), réfléchir en termes de
genre signifie en effet porter un nouveau regard sur la société,
refuser les différences entre sexes au nom de la biologie, rejeter les
inégalités dont souffrent les femmes et donc porter sur la scène
publique des enjeux et des faits jusque-là perçus comme non pro-
blématiques ou comme relevant de la sphère privée. C’est par
exemple ce qu’a permis le genre dans le domaine du travail. En
mettant en évidence, à partir des années 1960, l’existence du tra-
vail domestique, non reconnu socialement et réalisé par les femmes
dans la sphère privée, la réflexion des études féministes et/ou de
genre a donné une visibilité au phénomène et a permis le déve-
loppement de sa mesure et de sa prise en compte économique et
publique – à l’image des « temps sociaux » des hommes et des
femmes mesurés par l’Insee depuis le début des années 1980 au
sein des enquêtes Emploi du temps. En somme, en contribuant à
politiser ce qui est personnel, en donnant une lecture sociale des
discriminations à l’égard des femmes et en offrant une explication
systémique, et donc publique, de la situation des femmes dans nos
sociétés, le concept de genre remet en cause la traditionnelle fron-
tière entre public et privé.
Par ailleurs, il faut noter que le genre revêt une dimension trans-
versale qui concerne l’ensemble des secteurs d’action publique. Le
gender mainstreaming se veut en ce sens un principe d’intégration
horizontale qui pose que la question de l’égalité entre les sexes ne
doit pas seulement être prise en compte par les acteurs et instances
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 - - 194.199.206.8 - 28/03/2017 15h54. © Presses de Sciences Po (P.F.N.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 - - 194.199.206.8 - 28/03/2017 15h54. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.)

Agenda/Mise à l'agenda 65

chargés de ces questions, mais bien par l’ensemble des responsables


politiques. Pour chaque politique publique en effet, il convient de
se poser la question de son impact en matière d’égalité – et d’iné-
galité – entre les femmes et les hommes.
Ce principe émerge progressivement au début des années 1990 et
connaît son apogée au milieu de la décennie (Daly, 2005 ; Hafner-
Burton et Pollack, 2002 ; Squires, 2007). Il est érigé en norme inter-
nationale d’action publique lors de la Conférence mondiale sur les
femmes de l’Organisation des Nations unies (ONU) qui se tient à
Pékin en 1995 et est adopté par une centaine de pays. Quasiment
toutes les organisations internationales y recourent entre 1995
et 2000 (True et Mintrom, 2001), à l’image de l’Union européenne
qui lui consacre l’article 3.2 TCE dans le traité d’Amsterdam et
l’élève « au rang de principe directeur de la politique de l’Union en
matière de lutte contre les discriminations entre les femmes et les
hommes » (Jacquot, 2009 : 266).
Indépendamment de la question de son effective mise en œuvre
– et de la volonté politique pour qu’il soit appliqué –, ce principe
et la perspective qu’il représente – l’intégration systématique de la
question du genre dans tout processus d’action publique – consti-
tuent un changement de grande ampleur pour la fabrique des poli-
tiques publiques, pour la façon de raisonner des responsables
politiques, et partant pour la mise à l’agenda de nouveaux enjeux.
Désormais en effet, le genre est un élément de détermination de ce
qu’il est possible de faire, un filtre au travers duquel doivent être
envisagés les problèmes publics. Si la question des retraites est par
exemple réinscrite à l’agenda des autorités politiques, ces dernières,
dans l’optique d’une réforme, se doivent d’intégrer dans leurs pro-
positions de changements les implications en termes de genre de
l’allongement de la durée des cotisations ou du décalage de l’âge
de départ à la retraite. Ainsi chaque nouvelle politique se conçoit
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 - - 194.199.206.8 - 28/03/2017 15h54. © Presses de Sciences Po (P.F.N.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 - - 194.199.206.8 - 28/03/2017 15h54. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.)

66 DICTIONNAIRE GENRE & SCIENCE POLITIQUE

et se construit en tenant compte de ce cadrage (framing) particulier


qui s’applique à l’ensemble des domaines d’action publique.

LE GENRE COMME NOUVELLE APPROCHE ANALYTIQUE


DE L’AGENDA

Enfin, le genre peut être appréhendé comme une façon parti-


culière de regarder et d’analyser l’agenda. La prise en compte de
la dimension de genre permet de souligner le caractère sexué et
inégalitaire de nombreuses politiques publiques et de comprendre
sur quels cadres cognitifs, matrices normatives et « récits »
(Radaelli, 2000) elles reposent. Les problèmes publics inscrits à
l’agenda des autorités politiques sont en effet construits d’une cer-
taine façon, à partir de présupposés et de représentations de ce que
sont ou devraient être le féminin et le masculin, la place des femmes
et celle des hommes dans la société, la maternité, le public et le
privé, etc. Seule une analyse intégrant une perspective de genre est
alors en mesure de déconstruire ces éléments idéels et ces matrices
normatives qui sous-tendent l’action publique.
Le meilleur exemple que l’on puisse trouver de cet apport du genre
à l’analyse de l’agenda est sans aucun doute celui des politiques
sociales (Morel, 2007). De nombreuses auteures (Lewis, 1992 ;
Orloff, 1993 ; Sainsbury, 1996) ont en effet montré que tout l’édi-
fice de l’État providence depuis la fin de la seconde guerre mon-
diale repose en fait sur une certaine conception des rôles masculin
et féminin dans la société. Dans un registre différent, celui de la
lutte contre la pédophilie, les lunettes du genre – ou les lunettes
féministes – permettent de constater la construction biaisée de cer-
tains problèmes publics. Dans les années 1990 en Europe en effet,
la pédophilie devient un problème public et politique majeur qui
suscite de nouvelles législations. Toutefois, les militantes féministes
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 - - 194.199.206.8 - 28/03/2017 15h54. © Presses de Sciences Po (P.F.N.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 - - 194.199.206.8 - 28/03/2017 15h54. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.)

Agenda/Mise à l'agenda 67

qui s’étaient mobilisées sur les questions d’inceste une décennie


plus tôt s’insurgent de la façon dont est qualifié le problème au
moment de sa mise à l’agenda (Kelly, 1996) : les abus sexuels sont
en effet réduits à la seule pédophilie commise par une personne
étrangère à l’enfant – alors que la majorité des abus sexuels sont
commis dans le cadre de la famille – et un récit autour de la récidive
des délinquants sexuels s’impose comme dominant. Cette manière
d’envisager le problème gomme les rapports de pouvoir et la domi-
nation masculine qui sévissent au sein de la famille et de la société
et se traduit par des mesures politiques hypocrites – interdisant par
exemple aux agresseurs sexuels d’approcher des lieux fréquentés
par des enfants – ne permettant pas de lutter efficacement contre
le phénomène des abus sexuels sur mineurs dans leur ensemble
(Boussaguet, 2008).

En définitive, le genre ne cesse de travailler l’agenda. Qu’il soit


envisagé comme acteur, objet, variable ou approche analytique, on
s’aperçoit qu’il est un déplacement de perspective toujours salu-
taire, synonyme d’enrichissement pour l’analyse.

Laurie BOUSSAGUET

Renvois :
Politiques publiques, Europe/Européanisation, État providence,
Féminisme.

Références essentielles :
BERENI (Laure) et al., Introduction aux études sur le genre,
Bruxelles, De Boeck, 2012 [2e éd.].
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 - - 194.199.206.8 - 28/03/2017 15h54. © Presses de Sciences Po (P.F.N.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 - - 194.199.206.8 - 28/03/2017 15h54. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.)

68 DICTIONNAIRE GENRE & SCIENCE POLITIQUE

BOUSSAGUET (Laurie), La Pédophilie, problème public. France,


Belgique, Angleterre, Paris, Dalloz, 2008.
BOUSSAGUET (Laurie) et JACQUOT (Sophie) (dir.), « Le genre à la
frontière entre policy et politics », Revue française de science
politique, 59 (2), 2009.
JACQUOT (Sophie) et MAZUR (Amy), « Politiques publiques et
genre », dans Laurie Boussaguet, Sophie Jacquot et Pauline
Ravinet (dir.), Dictionnaire des politiques publiques, Paris,
Presses de Sciences Po, 2010 [3e éd.], p. 460-469.

• • •

> CAMPAGNE ÉLECTORALE


Classiquement, dans le cadre des recherches sur les campagnes
électorales, les interrogations les plus systématiques portaient sur
leurs « effets » et privilégiaient deux perspectives. D’une part, elles
étaient vues comme des « bulles » valant surtout pour leur conclu-
sion ultime, quantifiable et indiscutable : l’acte de vote. Comme
si, dans l’expression « campagne électorale », comptait plus le
second que le premier terme (Restier-Melleray, 2002). Il faut alors
souligner les travaux pionniers de Janine Mossuz-Lavau et
Mariette Sineau qui se sont efforcés de distinguer et d’expliquer
les votes des femmes et des hommes (Mossuz-Lavau et Sineau,
1983). D’autre part, la thèse des effets amenait à faire la part belle
aux études communicationnelles. Alors que les premiers travaux
en communication se confondaient avec ceux sur les campagnes
électorales, l’usage des sondages et la volatilité du vote ont dans
un deuxième temps consolidé cette approche des campagnes,
vues comme des flux de communications entre des émetteurs

Vous aimerez peut-être aussi