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Annuaire français de droit

international

Les Conventions d'établissement conclues par le Sénégal avec


des entreprises
M. le Professeur Jean-Claude Gautron

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Gautron Jean-Claude. Les Conventions d'établissement conclues par le Sénégal avec des entreprises. In: Annuaire
français de droit international, volume 14, 1968. pp. 654-670;

doi : https://doi.org/10.3406/afdi.1968.1511

https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1968_num_14_1_1511

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654 CONFÉRENCE DES NATIONS UNIES SUR LE COMMERCE ET LE DÉVELOPPEMENT

En fait que pourra-t-il se passer lorsque la C.N.U.C.E.D. convoquera


les conférences internationales envisagées ? Il faut pour assurer le succès
de telles conférences un consensus aussi large que possible des principaux
pays intéressés. Or le consensus n'a pas été obtenu le 25 mars lors du vote
de la résolution.
Pourtant les pays maritimes traditionnels qui à la Nouvelle Delhi, ont
voté contre la résolution ont choisi de s'incliner devant la décision de la
conférence. Ils ont participé, depuis la Nouvelle Delhi, à la première réunion du
groupe de travail chargé de l'élaboration du nouveau droit maritime. On
assiste donc à l'amorce d'un bouleversement total des rapports maritimes.
Bouleversement qui se traduira dans les règles de droit avec une rapidité
peu coutumière en droit maritime.
A cet égard la conférence de la Nouvelle Delhi, représente un grand
tournant, comme on en trouve peu dans l'histoire du monde maritime et surtout
du droit maritime, mais analogue à celui que l'on a connu à la fin du XIXe
siècle, et qui a correspondu à la naissance du C.M.I.

LES CONVENTIONS D'ETABLISSEMENT CONCLUES


PAR LE SÉNÉGAL AVEC DES ENTREPRISES

Jean-Claude GAUTRON

En droit moderne, le terme de « convention d'établissement » désigne


deux réalités distinctes que l'on ne saurait confondre. Dans la terminologie
classique du droit international, la convention (ou traité) d'établissement
détermine l'entrée et la condition des ressortissants d'une des hautes parties
contractantes sur le territoire de l'autre. Il s'agit, le plus souvent, d'un traité
bilatéral qui contient 1' enumeration des droits — et des limites des droits —

(*) Jean-Claude Gautron, Professeur à la Faculté de Droit de Dakar, Directeur de


TE.N.A. du Sénégal. Thèse : Les départements ministériels (1960) ; articles in Annuaire
Français de droit international, 1962, 1964, 1967; Annales de la Faculté de Droit de Dakar,
1966; Revue française d'études politiques africaines, 1967; Revue sénégalaise de Droit,
1967.
LES CONVENTIONS D'ÉTABLISSEMENT SENEGAL-ENTREPRISES 655

reconnus aux étrangers en ce qui concerne l'exercice des professions libérales


et commerciales, leur statut en matière sociale ou fiscale, leurs droits acquis,
leur participation aux activités de l'Etat (marchés publics, concessions,
autorisations administratives principalement). En certains cas, les droits
d'établissement sont fixés par une convention multilatérale ou régionale : ainsi,
les articles 52 à 59 du traité instituant la Communauté Economique
Européenne, l'accord multilatéral du 22 juin 1960 sur les droits fondamentaux
des nationaux des Etats de la Communauté ou la Convention Générale
relative à la situation des personnes et aux conditions d'établissement, signée à
Tananarive le 9 septembre 1961 par les Etats membres de l'U.A.M.
L'indépendance des Etats africains a provoqué la conclusion de nombreux accords
d'établissement — souvent de contenu identique — liant la France et les
nouveaux Etats; dans les relations franco-sénégalaises, on peut citer la
convention d'établissement du 22 juin 1960.
Dans un second sens, le terme « convention d'établissement » désigne le
document conventionnel par lequel sont fixées les conditions de l'activité
d'une entreprise sur le territoire d'un Etat; sont donc parties à l'accord un
Etat et une entreprise étrangère. Réservons pour l'instant la discussion
relative au caractère d'extranéité de l'entreprise dont l'appréciation est
nécessairement délicate; dans cette note consacrée à l'étude des conventions
d'établissement conclues par le Sénégal, nous verrons les solutions apportées
par le droit sénégalais à la détermination de la nationalité des sociétés. En
toute occasion, nous retiendrons le terme « Etablissement ■» dans son second
sens, c'est-à-dire l'ensemble des droits et obligations contenus dans un acte
applicable à une entreprise nommément partie à cet acte et non pas ceux
reconnus à tous les nationaux d'un Etat signataire d'une convention générale
d'établissement (1) .
La pratique récente a donné, en effet, une extension considérable aux
conventions d'établissement — que l'on appelle également « contrats
d'investissement » (2) pour les raisons que l'on sait : les autorités des Etats sous-
développés cherchent à fixer sur leur sol national des capitaux étrangers
que leurs détenteurs acceptent d'investir sur place. Une telle opération
exige un climat de confiance que les motivations différentes des responsables
nationaux et des investisseurs empêchent parfois d'établir : au souci de
rentabilité et de stabilité de l'investisseur s'opposent, pour l'Etat, des
préoccupations qui, selon les cas, sont politiques (accroissement des biens appar-

(1) II existe un rapport évident entre le traité d'établissement, au sens général et abstrait,
et la convention d'établissement au sens particulier que nous retenons ici, dans la mesure
où celle-ci ne saurait réduire le volume et la nature des droits que toute entreprise étrangère
tient d'un traité d'établissement alors que son effet principal est d'étendre les droits et
avantages de l'entreprise étrangère, en échange de l'acceptation par celle-ci de certaines
obligations.
(2) Rapport de M. Paillere, Le contrat d'investissement dans les pays en voie de
développement, rapport du colloque juridique international de mai 1967, in Les investissements et le
développement économique des pays du tiers-monde (Pedone, 1968).
656 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE

tenant à des nationaux) , idéologiques (nationalisation et socialisation) ,


économiques (dirigisme accru) ou financières (équilibre budgétaire). La forme la
plus achevée de la collaboration entre l'Etat et l'entreprise étrangère semble
être la convention d'établissement qui, sur une base consensuelle, et par
conséquent librement discutée, fixe la condition de l'investissement étranger.
L'importance de l'étude du sous-développement et le recours
systématique aux contrats d'investissement se sont traduits par une importante
littérature juridique, ainsi que par la conclusion d'une convention pour le
règlement des différends relatifs aux investissements entre Etats et
ressortissants d'autres Etats, élaborée par les administrateurs de la B.I.R.D., et
largement commentée (3) .

I. — Le cadre juridique et économique des conventions d'établissement

La loi du 22 mars 1962 instituait au Sénégal un Code des


investissements (4) après qu'un grand nombre de codes analogues aient été promulgués
dans les Etats issus de l'ancienne Afrique française (5) . De ce fait, le Code
sénégalais a été l'objet d'une élaboration très poussée (6). Ce n'était pas une
nouveauté puisque, sous l'empire de la loi-cadre du 23 juin 1956, les autorités
locales avaient été autorisées à passer des conventions avec des entreprises

(3) Sur les problèmes juridiques de l'investissement : dans l'ouvrage cité, outre l'article
de M. Paillère : J. Ambert : Les garanties juridiques et financières des investissements privés;
F. Luchaire : La nationalité des sociétés et le droit international du développement; voir
aussi Shawcross : Le problème des investissements à l'étranger en droit international,
R.C. A.D.I. , p. 369; Presswerk : La protection des investissements privés dans les traités
bilatéraux, Zurich, 1963; En ce qui concerne l'arbitrage : Fouchard : L'arbitrage commercial
international, 1965; Quere-Mesing : Le rôle de l'arbitrage dans l'assistance aux pays sous-
développés, Annuaire français de droit international, 1960; Arechaga : L'arbitrage entre les
Etats et les sociétés privées étrangères, Mélanges Gidel, p. 367; Ph. Kahn : Le règlement
des différends par la méthode de l'arbitrage in : Les investissements et le développement
économique des pays du tiers-monde, précité; G. P. Delaume : La Convention pour le
règlement des différends relatifs aux investissements entre Etats et ressortissants d'autres
Etats, Journal du Droit International, 1966, p. 26 et sur le même sujet, les rapports d%
MM. Reuter, Kovar, Siorat, Goldman, Lalive aux Journées d'études de Dijon, avril 1968
ainsi que le commentaire de Roulet (dans l'Annuaire suisse de droit international, 1965).
En ce qui concerne l'Afrique Noire : B. Vinay : Epargne, fiscalité, développement
(A. Colin, 1968) ; Loyrette : Les codes d'investissement, Rec. Penant, 1963, p. 139; Werwilghew :
Le régime juridique des investissements au Congo, Cahiers économiques et sociaux, 1966;
Durand-Reville et Paillère : Le régime des investissements dans les pays africains
d'expression française et à Madagascar, RJPOM, 1962, et surtout Ph. Kahn : Problèmes juridiques de
l'investissement dans les pays de l'ancienne Afrique française, Clunet, 1965, p. 338.
(4) J.O.R.S. du 31 mars 1962, n° spécial, p. 586; le Code a été modifié et complété par la
loi 65-34 du 19 mai 1965. J.O.R.S. du 5 juin 1965. Les principales modifications avaient pour
objet d'abaisser le montant minimum des investissements exigés de l'entreprise, c'est-à-dire
d'étendre à des investissements plus réduits les avantages contenus dans le Code de 1962.
(5) En 1961, la Section du Développement du Conseil Economique et Social français
suggérait aux Etats de l'Afrique de l'Ouest d'harmoniser leurs dispositions législatives et
réglementaires relatives aux investissements privés, mais en fait les Etats africains francophones
ont élaboré, au cours des années 1959-1963, une législation parallèle des investissements; les
différences ont été analysées par Ph. Kahn dans l'article déjà cité (Clunet, 1965, p. 338).
(6) M. Seydou Sy en a donné un commentaire dans les publications du CREDILA, 1962,
n° 3.
LES CONVENTIONS D'ÉTABLISSEMENT SENEGAL-ENTREPRISES 657

présentant une réelle importance pour l'économie locale; dans ce cadre, sur
délibération de la commission permanente du grand conseil, une convention
de longue durée fut passée le 11 juillet 1958 entre le territoire du Sénégal et
la Compagnie des Phosphates de Taïba, entreprise qui exploitait la principale
ressource minière du pays. En 1961, le Code minier du Sénégal, puis le Code
pétrolier, conféraient, dans des domaines particuliers, certains avantages aux
investisseurs.
Le Code de 1962 définit une politique des investissements soucieuse de
ménager les intérêts des deux parties. L'exposé des motifs du projet de Code
indiquait que le gouvernement, en échange des garanties générales ou
spéciales accordées aux investisseurs, entend maintenir certains principes de
politique économique : l'intégration des actions privées d'investissement dans
les objectifs du plan de développement, l'octroi d'avantages particuliers à
ceux des investisseurs qui acceptent de s'installer en dehors de la zone
privilégiée du Cap Vert (Dakar) et, si possible, éviter les double-emplois en
matière d'investissement tant vis-à-vis des entreprises déjà installées que
dans le cadre plus général de 1'U.D.A.O. (Union Douanière de l'Afrique
Occidentale) ou de l'U.A.M.(7).

A) Les définitions légales en matière d'investissement.

Le Code de 1962 a été rédigé — nous l'avons dit — de manière précise,


en conservant une orientation libérale, il contient une série de définitions
qui réduisent la part de l'incertitude quant à son champ d'application.
Au point de vue du domaine de l'investissement, l'article 1er du Code
stipule que les personnes ou entreprises exerçant une activité commerciale,
industrielle ou agricole peuvent prétendre à l'application des dispositions du
Code, alors que certains codes excluent expressément les entreprises à
vocation purement commerciale (Cameroun, Mali, Congo). L'explication tient au
fait que Dakar fut dans la Fédération de l'A.O.F. le centre des circuits de
commercialisation qui opéraient à l'échelle de la Fédération et que le secteur
commercial organisé est créateur d'emplois; en outre, les entreprises
commerciales, même si elles bénéficient d'avantages fiscaux, sont, à terme,
génératrices de recettes budgétaires.
En ce qui concerne le contenu de l'investissement susceptible de
bénéficier des dispositions du Code, les articles 2 et 7 en donnent également une
définition large. Toute personne ou entreprise, régulièrement établie au

(7) Ces principes n'ont pas été respectés car le plan n'eut jamais un caractère directif
et que, sauf exception, la rentabilité d'une entreprise exige une installation dans le Cap-Vert
(localisation de l'industrie) ; de plus les Etats africains se sont livrés à la concurrence en
matière d'investissement (et de nombreuses entreprises se sont scindées en autant d'unités
de production qu'elles disposaient de marchés). Le principe le mieux respecté fut celui qui
aboutissait à la protection des entreprises déjà installées au Sénégal.
658 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE

Sénégal, peut bénéficier des avantages du Code dès lors qu'elle envisage de
créer une activité nouvelle ou, simplement, d'opérer une extension de ses
installations déjà existantes. Dans le premier cas, il est clair que les
investissements antérieurs à la date de publication du Code ne peuvent être pris
en considération, même s'ils ont été opérés postérieurement à la date de
l'indépendance; cette disposition n'est pas dénuée de réalisme puisque l'objet
du Code des investissements consiste à inciter l'investisseur nouveau à placer
des capitaux sur le territoire et non pas à rassurer les investisseurs déjà
établis (8). Parfois, une entreprise anciennement installée a vu confirmer les
avantages qu'elle tirait d'une convention de longue durée à l'occasion de la
conclusion d'une nouvelle convention (exemple précité de la Compagnie de
Taïba). De plus, dans le second cas, en réalisant une extension de ses
installations déjà existantes, une entreprise ancienne peut bénéficier des
dispositions du Code et éviter d'être pénalisée par rapport à une entreprise
nouvelle (9). D'une façon générale, la notion d'activité nouvelle est
suffisamment large pour recouvrir tous les cas d'investissement. Encore le Code
est-il plus explicite en ce qui concerne les investissements de capitaux
provenant de l'étranger, ce qui élargit la notion classique d'investissement.
L'article 2 du Code étend le bénéfice des garanties qui y sont incluses à des
participations ou prêts en provenance de l'étranger, ainsi définis :
— les apports de capitaux, biens ou prestations à toute entreprise établie
au Sénégal, en échange de l'octroi de parts ou titres sociaux donnant droit
aux bénéfices;
— les prêts consentis par une autre personne qu'un Etat ou un
Etablissement public étranger à toute entreprise régulièrement établie au Sénégal
à condition qu'ils soient, pour 50 % au moins, remboursables à plus de cinq
ans d'échéance, que le taux d'intérêt ne soit pas supérieur au taux d'escompte
officiel, majoré de deux points et qu'ils constituent un élément déterminant
du financement de l'entreprise (ce qu'il est relativement facile de démontrer).
Par ces dispositions, le Code de 1962 reconnaît le phénomène de
l'assistance financière privée aux pays sous-développés qui est rarement reconnue
par des textes de droit positif (10).
En ce qui concerne enfin la personne de l'investisseur, bien que les
dispositions de la loi de 1962 s'appliquent à tous les investisseurs sans
discrimination, le Code des investissements donne une définition précise de
l'investisseur étranger. Nous dirons plus loin que cette qualification influe

(8) La garantie des investissements anciens tient à d'autres facteurs qui sont le rythme
d'amortissement et la rentabilité de l'entreprise, le droit fiscal commun, l'étendue du marché,
ainsi que pour les investisseurs étrangers les règles d'établissement, les mécanismes de
l'Union monétaire ouest-africaine et la liberté des transferts, également le bon
fonctionnement des institutions judiciaires.
(9) En outre, la détermination des installations nouvelles exige que l'on tienne compte,
dans une certaine mesure, des installations anciennes; le Code favorise ainsi le
ré-investissement.
(10) Cf. Kahn, art. préc. in Clunet, 1965, p. 349.
LES CONVENTIONS D'ÉTABLISSEMENT SÉNÉGAL-ENTREPRISES 659

sur le régime et aussi la nature juridique des conventions d'établissement


qui sont, le plus souvent, conclues par des investisseurs étrangers (11) . Le
Code des investissements ne renvoie pas à la loi 61-10 du 17 mars 1961 sur
la nationalité qui ne traite que de la nationalité des personnes physiques,
il contient une double définition de l'investisseur étranger selon que
l'entreprise est elle-même étrangère ou simplement contrôlée par des ressortissants
étrangers, et ceci afin de donner confiance aux détenteurs de capitaux
étrangers (12) . Est étrangère « toute personne physique ou morale n'ayant pas la
nationalité sénégalaise au sens de la loi » (article 2, al. 2) . Dans le silence
de la loi, il faut admettre que les principes généraux et l'usage dominant
conduisent à prendre en considération le critère classique du siège social;
une société qui a son siège social au Sénégal est une société sénégalaise.
En fait, la plupart des conventions d'établissement sont signées par des
sociétés de droit local dont le siège est à Dakar et pour des raisons
psychologiques et pratiques. Mais le Code ajoute une seconde définition selon
laquelle est entreprise contrôlée par un ressortissant étranger, tout
établissement ( « quelle que soit sa nationalité ») dans lequel des ressortissants
étrangers détiennent un pouvoir déterminant sur la direction et la gestion.
Cette définition n'a pas pour but de superposer au critère du siège social
le critère du contrôle (13) mais uniquement de distinguer, parmi les sociétés
qui ont la nationalité sénégalaise celles qui sont contrôlées par des nationaux
et celles qui sont contrôlées par des étrangers. Cette distinction n'a aucun
caractère restritif , elle laisse à ces dernières l'intégralité des droits qui leur
sont reconnus par le droit interne sénégalais, elle confirme les droits qu'ont
les investisseurs étrangers d'accéder aux avantages consentis par le Code
par le jeu de la création d'une société de droit local, elle ouvre aux
investisseurs, personnes physiques, une éventuelle protection diplomatique par
leur Etat d'allégeance (14) .

B) Les régimes juridiques de l'investissement.

Les définitions légales ci-dessus rappelées ne conduisent pas


automatiquement l'entreprise à bénéficier des dispositions contenues dans le Code des
Investissements; l'entreprise doit satisfaire à d'autres conditions, qui varient

(11) Au Sénégal, hormis quelques exceptions (telle la Société sénégalaise du Sud-Est), les
nationaux font partie d'un secteur commercial non organisé.
(12) Sur ce point, lire : F. Luchaire : La société étrangère dans les pays sous-développés
(in La personnalité morale et ses limites, L.G.D.J., 1960) et une étude plus récente du même
auteur : La nationalité des sociétés et le droit international du développement (in ouvrage
précité. Pédone, 1968) .
(13) En ce sens, Y. Lotjssocarn : La nationalité des sociétés dans les législations du
développement, Annales Faculté de Droit de Dakar, 1962, p. 219; en sens contraire : Kahn, art.
préc. in Clunet, 1965, p. 351 et 352.
(14) Sur ce point lire les articles de Kiss et D. Vignes sur la protection des actionnaires
(in La personnalité morale et ses limites).
660 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE

selon que le régime juridique de l'investissement est contenu dans un acte


unilatéral (simple agrément) ou dans une convention d'établissement, acte
bilatéral.
En ce qui concerne les conditions d'octroi de l'un des régimes institués
par le Code, il est une exigence minimum, à savoir que l'entreprise est
régulièrement établie au Sénégal au regard des lois locales et que les
étrangers ont été autorisés à séjourner ou à exercer une activité économique.
Outre certaines conditions déjà mentionnées (15) , l'entreprise doit s'engager
à fournir des statistiques périodiques précises, à tenir sa comptabilité selon
le plan comptable général (avec certification annuelle du bilan et du compte
d'exploitation) .
Plus précises sont les dispositions relatives au montant minimum de
l'investissement, au-dessous duquel la qualité d'investisseur ne pourra être
reconnue par l'Etat. Pour cela, les entreprises doivent présenter un
programme portant sur un investissement de 40 millions de C.F.A. au moins,
réalisable en trois ans, ou entraînant la création de 40 emplois permanents
de cadres et d'ouvriers (16) . Dans les négociations entre l'administration et
les investisseurs, la détermination de la qualité d'ouvriers a parfois soulevé
des difficultés.
L'entreprise qui réalise un investissement peut se voir reconnaître une
double qualité, soit celle d'entreprise prioritaire, soit celle, plus favorable,
d'entreprise conventionnée. L'entreprise prioritaire est reconnue par un
décret portant agrément de l'entreprise, pris sur proposition conjointe du
ministre des Finances, du ministre du Plan et de l'Industrie, des ministres
compétents (selon les secteurs de l'investissement); le décret fixe l'objet et
l'étendue du programme d'investissement, sa durée, la date de départ de la
période d'application du régime particulier. Le décret d'agrément permet à
l'entreprise prioritaire d'échapper au droit commun, à deux points de vue
principalement :
— au point de vue administratif, l'entreprise prioritaire peut bénéficier
de la procédure d'expropriation, elle peut demander à acheter ou louer des
biens appartenant à l'Etat, elle peut demander à l'Etat de participer à leur
capital ou d'accorder sa garantie pour des emprunts contractés par elle;
— au point de vue fiscal, elle bénéficie de plein droit de certains
avantages fiscaux : exonération de l'impôt sur les bénéfices industriels et
commerciaux (17) pour une période de cinq ans ou de huit ans (entreprise installée
hors de Dakar), déduction de l'assiette des B.I.C. des sommes réinvesties,

(15) Conditions relatives au respect des objectifs du plan et à la limitation de la


concurrence sur le plan national ou régional (U.D.E.A.O.) .
(16) V. art. 1 de la loi du 19 mai 1965 qui a ramené de 100 millions à 40 et de 100 emplois
à 40 les chiffres-plancher contenus dans le Code de 1962. La même loi précise qu'en dehors de
la Région du Cap-Vert les minimums sont ramenés à 20 millions ou 20 emplois permanents.
(17) Dans la limite du montant des investissements.
LES CONVENTIONS D'ÉTABLISSEMENT SÉNÉGAL-ENTREPRISES 661

réduction de moitié de l'impôt sur le revenu des capitaux mobiliers pendant


trois ans, exonération de la patente pendant cinq ou huit ans, selon que
l'entreprise est installée dans le Cap -Vert ou dans une région. Ces avantages
fiscaux courent à compter de la première opération commerciale réalisée
par l'entreprise (et non à compter de son installation) .
A ces avantages fiscaux de plein droit peuvent s'ajouter d'autres
avantages d'ordre douanier (exonération ou ristourne des droits d'entrée sur les
matériels et les pièces de rechange, admission temporaire des matières
premières entrant dans la fabrication des produits) ou d'ordre fiscal (exonération
des droits de mutation en dehors du Cap-Vert, exonération des taxes sur
une partie du chiffre d'affaires, de la contribution foncière des propriétés
bâties, des droits et taxes de sorties) (18).
La liste des avantages fiscaux est longue et près de vingt-cinq
entreprises installées au Sénégal ont été soumises au régime de l'agrément en
qualité d'entreprise prioritaire.
L'agrément en qualité d'entreprise prioritaire a un caractère provisoire,
et ne s'applique que pendant une durée d'application initialement
déterminée par le décret d'agrément. Toute entreprise prioritaire peut demander
à être replacée sous le régime de droit commun. De plus, en cas de
manquement à l'une de ses obligations par l'entreprise, le retrait de
l'agrément peut être prononcé par décret et dans les mêmes formes que l'octroi
de l'agrément, après une mise en demeure restée sans effet.
La procédure des conventions d'établissement est plus complexe que la
précédente. Elle débute de la même façon que celle-ci par la présentation
d'un dossier d'investissement par l'entreprise qui répond aux conditions
minimales exigées pour l'octroi de la qualité de prioritaire. C'est dire que
le Code des investissements ne pose pas d'exigence plus stricte à l'endroit
des entreprises conventionnées (19). Des négociations s'engagent entre
l'administration et l'investisseur qui se traduisent parfois par la signature
d'une convention provisoire (avant qu'une société de droit local ait été
constituée) .
Au terme de ces négociations, l'entreprise est agréée (20) par décret pris
sur proposition du président de la commission d'agrément, qui est une
commission interministérielle présidée par le ministre des Finances (ou son
représentant) après que la convention d'établissement ait été signée par le

(18) Art. 3 de la loi du 19 mai 1965, modifiant l'article 23 du Code.


(19) L'article 27 du Code précise que le programme d'investissement est apprécié en
fonction de son montant, du nombre d'emplois à créer et de son incidence sur le
développement du pays.
(20) On constate qu'il existe deux types de décret d'agrément : ceux qui octroient la
qualité d'entreprise conventionnée aux co-signataires de la convention et ceux qui, au
préalable, leur accordent la qualité d'entreprise prioritaire; on doit en conclure que, dans ces
derniers cas, l'entreprise bénéficie de l'ensemble des avantages de plein droit, contenus
dans le Code, applicables aux entreprises prioritaires.
662 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE

Président de la République et le représentant légal de l'entreprise. Le même


décret contient une approbation de la convention d'établissement.

II. — Le contenu des conventions d'établissement

Une dizaine de conventions d'établissement ont été conclues au Sénégal.


Ce nombre, peu élevé, s'explique par l'histoire du développement
économique de ce pays qui est largement antérieur à la date de promulgation du
Code de 1962 (à la différence de la Côte d'Ivoire qui a connu un essor plus
récent lié à l'éclatement du marché de l'A.O.F. avec la baUcanisation et à
la politique économique libérale prônée par ses dirigeants). Avant que
d'analyser le contenu des conventions, il convient de rappeler que le Code
des investissements garantit d'une façon générale à tous les investisseurs
la liberté de déplacement des personnes, le droit de participer aux marchés
publics et d'obtenir des autorisations administratives; les personnes physiques
et morales étrangères se voient reconnaître le droit de participer aux
activités syndicales et à l'activité des organismes professionnels ainsi que le
droit au transfert de leurs capitaux et de leurs revenus. Ainsi le code
consacre-t-il le principe fondamental de la non-discrimination dans les
relations entre entreprises anciennes et nouvelles, nationales et étrangères,
sans préjudice d'autres garanties plus avantageuses découlant des
conventions internationales (accords d'établissement, accords régionaux) ou bien
sûr, du texte même des conventions d'établissement. Mais celles-ci comportent
également des obligations à la charge de l'entreprise.

A) Les obligations de l'investisseur.

Il est clair que sa principale obligation consiste à réaliser


l'investissement projeté dans le délai fixé d'un commun accord. Cette obligation
fondamentale est souvent contenue dans l'exposé des motifs qui fait partie
intégrante de la convention (21) et dans les articles liminaires. Il arrive que la
convention procède à une ventilation minutieuse du programme
d'investissement (ex. Société minière Gaziello (22) ) . Fréquemment, la convention
d'établissement, qui est un instrument de dirigisme économique aux mains de
l'Etat, détermine la structure technique de l'entreprise (ex. caractéristiques
techniques de la raffinerie construite par la S.A.R. (23)), capacité de pro-

(21) L'exposé des motifs contient une analyse rapide des intérêts que présente la création
ou l'extension projetée.
(22) Décret 63-034 du 25.1.1963, J.O.R.S., 30 mars 1963.
(23) Décret du 12.4.1962, J.O.R.S., 20 avril 1962.
LES CONVENTIONS D'ÉTABLISSEMENT SÉNÉGAL-ENTREPRISES 663

duction de l'usine de triage Gaziello, volumes de fabrication et de raffinage


de la C.A.P.A. (24), infrastructure de l'usine d'engrais S.I.E.S.(25) ...).
L'entreprise reconnaît d'autres obligations, incorporées au texte de la
convention, relatives à l'utilisation prioritaire des entreprises locales (c'est-à-
dire installées dans le pays) ou de sous-traitants (ex. : les sous-traitants et
fournisseurs locaux de Berliet- Sénégal (26) ) , et ceci afin de codifier les effets
induits que l'on attend de l'investissement nouveau. Dans le même sens, est
la clause relative à l'utilisation prioritaire de la main-d'œuvre locale (avec
fixation éventuelle d'un chiffre minimum d'emplois), ainsi que la
reconnaissance des droits et avantages sociaux dus au personnel; de nombreuses
conventions d'établissement obligent l'entreprise à favoriser le logement et
les conditions sanitaires du personnel et surtout à poursuivre la formation
professionnelle du personnel, soit en organisant des cours à l'intérieur de
l'entreprise, soit en inscrivant leurs agents à des établissements de
perfectionnement (C.A.P.A.) .
L'entreprise s'engage également à faire connaître son barème de prix et
à fournir à l'administration tous renseignements d'ordre statistique ou
comptable.
Toutes les conventions d'établissement contiennent, en outre, sous réserve
d'un recours à l'arbitrage (que nous analyserons plus loin) une procédure
unilatérale de retrait d'agrément, par décret, après mise en demeure restée
sans effet, au cas où l'entreprise aurait manqué à l'une de ses obligations
(sauf fait justificatif tiré de la force majeure). En pratique, des avenants à
la convention peuvent corriger, en cours d'exécution, le texte primitif.

B) Les garanties de l'Etat.

Les garanties prévues dans le Code des investissements, soit au titre


des dispositions générales et communes, soit au titre des entreprises
prioritaires, demeurent acquises pour les entreprises conventionnées, mais les
conventions d'établissement reprennent en détail ces diverses dispositions
en les précisant et en les complétant en chaque cas. Une garantie générale
les résume toutes, elle est contenue dans la clause de non-aggravation et de
non-discrimination selon laquelle aucune disposition législative réglementaire
ayant pour effet de compromettre les conditions de gestion ou d'exploitation
de l'entreprise ne pourra être appliquée au co-signataire de la convention (27) .

(24) Décret du 25.5.1964, J.O.R.S., 30 juin 1964.


(25) Décret du 30.7.1964, J.O.R.S., du 22 août 1964.
(26) Décret 64-149 du 27 février 1964, J.O.R.S., 21 mars 1964.
(27) L'entreprise signataire peut signaler aux autorités dans un délai de deux mois toute
disposition qu'elle considère comme aggravante et si l'administration ne répond pas dans
le même délai, cette disposition ne lui sera pas appliquée. En cas de désaccord, il faut recourir
à la procédure d'arbitrage.
664 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE

Certaines conventions contiennent, en outre, une clause de « l'entreprise la


plus favorisée » qui oblige le gouvernement, par voie d'avenant, à appliquer
au co-signataire les conditions plus avantageuses qu'il viendrait à accorder
à une autre entreprise se trouvant dans une « situation similaire ». Cette
disposition assez ambiguë (qu'est-ce qu'une situation similaire ?) n'a pas été
reprise dans les conventions conclues récemment; par « similaire », il faut
entendre une entreprise qui aurait la même activité que l'entreprise déjà
installée et préalablement conventionnée. Les garanties particulières énu-
mérées dans les conventions sont d'ordre juridique, économique, financier
et fiscal; classification complexe, à laquelle nous préférons celle qui consiste
à opposer les garanties relatives à l'organisation et au fonctionnement de
l'entreprise, les garanties relatives à la rentabilité de l'entreprise.
L'organisation et le fonctionnement de l'entreprise sont assurés d'une
bienveillante neutralité de l'administration. L'entreprise est libre d'utiliser
les agents qui lui conviennent (liberté d'embauché, d'emploi et de circulation
du personnel quelle que soit sa nationalité) ; les modifications des dispositions
légales relatives aux droits de sociétés ne pourraient leur être appliquées
et, seules devraient être approuvés par le gouvernement, les changements
de statut et les cessions de capital qui aboutissent à modifier le contrôle de
la société. L'entreprise conserve en général, le droit de choisir librement
ses fournisseurs et entrepreneurs ainsi que les entreprises sous-traitantes.
L'administration s'engage à faciliter à l'investisseur (et parfois lui accorde
directement) tous droits de voirie ou de concession nécessaires au plein
exercice de son activité. Enfin, sur le plan des transferts de capitaux, l'Etat
s'engage à laisser faire les mouvements de fonds entre le Sénégal et les
Etats de la zone franc, l'exportation hors du Sénégal en quelque lieu que
ce soit, des sommes dues par l'entreprise ainsi que le rapatriement des
capitaux appartenant à des non-résidents, la liberté de transfert du produit
des actions et bénéfices ou de la réalisation et de la liquidation des
investissements. La liberté de transfert porte ainsi à la fois sur les bénéfices obtenus
et sur la mise initiale en capital (art. 5 du Code des Investissements) .
Plus importantes sont les clauses qui concernent la rentabilité de
l'entreprise. Elles sont parfois déterminantes de l'incitation à investir car
l'investisseur est alors assuré d'un amortissement rapide et d'une rentabilité
satisfaisante du capital engagé. Ce point apparaît d'autant plus important
que, outre les risques politiques auxquels s'exposent les investisseurs dans
tout pays sous-développé, il apparaît difficile d'assurer au Sénégal une
production industrielle concurrentielle par rapport aux produits importés
d'Europe, étant donné le coût des approvisionnements en matières premières,
le coût du transport, le prix élevé de la mise en place et de l'entretien d'une
infrastructure technique de production, et en dépit de l'existence de facteurs
favorables (coût de la main-d'œuvre moins élevé qu'en Europe, proximité
des marchés à desservir...). Pour pallier ces inconvénients, les conventions
LES CONVENTIONS D'ÉTABLISSEMENT SÉNÉGAL-ENTREPRISES 665

d'établissement contiennent des garanties d'ordre fiscal (et douanier) et des


garanties d'ordre économique.
En ce qui concerne les avantages fiscaux, il faut distinguer entre deux
catégories de conventions d'établissement, les conventions simples et les
conventions à régime fiscal stabilisé. Si les premières contiennent diverses
dispositions fiscales et douanières, sensiblement analogues à celles prévues
pour les entreprises prioritaires (avantages de plein droit ou avantages
facultatifs), les secondes garantissent une stabilité des charges fiscales de toute
nature découlant des impôts, droits, taxes et redevances tels qu'ils existent
à la date retenue par la convention. Toutefois, certaines conditions sont
posées par le Code à l'octroi du régime fiscal stabilisé. Seules peuvent en
bénéficier les entreprises justifiant d'un programme d'investissement de 500
millions C.F.A. en 3 ans et le régime fiscal stabilisé est accordé pour une
période calculée en fonction de l'amortissement du capital investi, dans la
limite supérieure de 25 ans (majorée s'il y a lieu des années d'installation
de l'entreprise). De ce fait, au plan fiscal et douanier, les conventions
d'établissement établissent, le plus souvent, deux périodes successives :
— une période d'exonération fiscale, variable selon les impôts ou taxes.
Exemple : cinq ans ou huit ans pour les bénéfices industriels et
commerciaux (28) , trois ans pour les revenus des capitaux mobiliers, cinq ans ou
huit ans pour les patentes, quinze ans pour la contribution foncière, etc. Ces
dispositions sont complétées par une clause autorisant à déduire de l'assiette
de l'impôt sur les B.I.C. des sommes égales à celles effectivement réinvesties
sous forme d'immobilisation au Sénégal (29) et une clause exonérant de la
taxe sur le chiffre d'affaires l'entreprise conventionnée pour toutes les
opérations nécessaires à la réalisation du programme d'investissement; on note
également une exonération des droits de douane et des droits fiscaux d'entrée
pour les matériels et matériaux nécessaires à la réalisation du programme
d'investissement pendant une période variable (ou conventionnellement
définie);
— une période de stabilisation pour la durée de la Convention, dans la
limite supérieure de 25 ans, pendant laquelle les droits et taxes énumérés par
la convention sont « gelés » à la date de la signature de la convention, en
dépit de toutes les modifications législatives ou réglementaires susceptibles
d'intervenir ultérieurement, la liste de ces impôts et taxes est longue (30).
Fréquemment, les impôts et taxes qui portent sur les dividendes et intérêts

(28) Dans la limite où la somme des bénéfices imposables est inférieure au montant des
investissements prévus et réalisés.
(29) A l'exception des investissements consistant en achats de matériel d'occasion ou des
bénéfices provenant de fonds pour le renouvellement de l'outillage et du matériel.
(30) II en est ainsi pour la Société Africaine de Raffinage, la C.A.P.A., la Société
Industrielle d'engrais, les phosphates de Taïba, la Société textile sénégalaise, la société « Sotiba-
Simpafric », soit la quasi-totalité des entreprises conventionnées. En l'absence d'un régime
fiscal stabilisé, les conventions d'établissement ont un contenu proche de celui des décrets
d'agrément prioritaire, et de ce fait, les investisseurs se contentent du régime de l'agrément.
666 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE

distribués aux porteurs d'actions, de parts ou d'obligations sont également


stabilisés; cette distinction va au-delà du seul aménagement de la rentabilité
de l'entreprise, elle confère des avantages personnels aux investisseurs.
Les garanties d'ordre économique sont importantes car lorsqu'elles
existent elles confèrent un statut à l'entreprise qui réalise un investissement et en
font une entreprise protégée, à des degrés variables (31) . L'exiguïté du
marché, à la suite de la balkanisation politique et économique de l'ancienne AOF,
en est la cause première. Les modalités de ces garanties varient selon le type
d'entreprise considérée, mais généralement elles ouvrent en priorité le marché
intérieur aux produits de l'entreprise, et déterminent des prix de vente qui
assurent une marge bénéficiaire certaine pour l'entreprise.
Le tableau suivant comporte quelques indications en ce sens, portant sur
trois entreprises conventionnées.

Marché Approvisionnement Prix

Société Africaine Marché intérieur Produits Calcul du prix


de Raffinage y compris du sous-sol national, des produits raffinés
trole) les ravitaillements pétrole payable selon
(D. 14.4.1962) .... aériens et portuaires en francs leur valeur CAF
(ou traitement et les frais
rable pour le pétrole que supporterait
ne provenant pas un importateur.
de la zone franc).
Compagnie Marché national Calcul du prix
caine de Produits et marché en fonction
alimentaires des Etats voisins de la marge
cre) de fabrication
(D. 25.5.1964) .... (limite: 30 000 tonnes) . définie
dans une annexe
à la Convention
Société industrielle Conforme Tarifs préférentiels Prix révisable
d'Engrais aux besoins de transport en fonction
(D. 30.7.1964) ... du Sénégal ferroviaire. des prix français
avec garantie du prix de revient
d'écoulement au Sénégal puis,
d'un certain tonnage. par avenant ultérieur,
fixation d'un prix
de vente garanti
(et, éventuellement,
indemnité
du Gouvernement).

(31) En pratique, un aspect de cette protection tient à ce qu'un accord d'assistance


technique est conclu, au moment de la constitution d'une société de droit local, entre ladite société
et une grande entreprise (souvent française) dont la première constitue une filiale, ou dans
laquelle celle-ci dispose d'une participation majoritaire. Exemple : l'accord commercial et
d'assistance technique qui lie la Société Berliet à Berliet-Sénégal porte sur les droits et
techniques de fabrication, l'organisation commerciale, la formation professionnelle et les prix
des matériels et pièces de rechange.
LES CONVENTIONS D'ÉTABLISSEMENT SENEGAL -ENTREPRISES 667

A ces dispositions, il convient d'ajouter que de nombreux produits


nationaux sont protégés par des quotas d'importation fixés chaque année par le
gouvernement depuis que la Convention de Yaounde a amené la suppression
des licences d'importation exigées pour les produits des Etats de la C.E.E.,
autres que la France. Il en est ainsi, par exemple, pour les camions Berliet
et l'usine de montage de Dakar couvre environ 85 % du marché intérieur
(d'où fixation de quotas à 10 ou 15 % des besoins du marché) , ce qui ne va
pas sans provoquer des difficultés avec certains exportateurs européens.
Cette protection, très caractéristique des difficultés de l'industrie dans les
pays sous-développés, connaît une limite, d'ordre légal, contenue dans
l'article 36 du Code des investissements : l'Etat ne peut s'engager à décharger
l'entreprise des pertes, charges ou manques à gagner dus à l'évolution de la
technique ou de la conjoncture, à des facteurs naturels ou propres à
l'entreprise. Cette disposition peut s'avérer utile dans la mesure où l'Etat risquerait
de s'engager par un quasi-contrat, par suite d'un défaut d'études
préliminaires, à soutenir pendant plusieurs années la production d'une entreprise
non rentable. Elle marque une limite objective à la protection des
entreprises conventionnées.

III. — La nature juridique des conventions d'établissement

Le problème de la nature juridique des conventions d'établissement a été


discuté en 1967 par les participants au colloque sur les investissements et
le développement économique du Tiers Monde (32). Il semble difficile de lui
donner une réponse tranchée. L'expérience sénégalaise en la matière permet
de faire quelques constatations, et principalement de montrer que les
conventions d'établissement contiennent à la fois des éléments d'ordre interne et des
éléments d'ordre international.
Avant l'indépendance du Sénégal, les conventions de longue durée
accordées par le territoire étaient assimilées par une fraction de la doctrine à des
contrats administratifs d'un type particulier, assez proches du système de la
concession. Mais cette qualification de droit interne correspondait mal au
régime juridique des conventions de longue durée parce que l'Etat renonçait
à exercer son pouvoir de modification unilatérale du contrat et même
s'engageait, par le jeu des clauses de stabilisation, à ne pas appliquer aux
entreprises conventionnées toutes les dispositions législatives ou réglementaires
susceptibles d'aggraver leur situation. Pour ces raisons, et avec l'indépendance
du territoire, il n'est plus possible de considérer que les conventions
d'établissement sont une catégorie spéciale de contrats administratifs sénégalais.
(32) M. Pauxêre : art. préc, p. 128 et Kahn, p. 380 (Clunet, 1965) .
668 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE

A l'inverse, on pouvait y voir une catégorie particulière de traités


internationaux par laquelle un Etat et une personne privée étrangère, placés sur
un pied d'égalité, s'obligent mutuellement. Puisque traditionnellement, un
accord entre un Etat et une personne étrangère est fondé sur une loi
nationale, il fallait admettre, dans ce cas, une extension dans le droit international
de la qualité de sujet aux personnes privées qui contractent un
investissement dans un Etat étranger, évolution parallèle à celle qui affecte les
mécanismes de protection internationale des droits de l'homme (et qui permet à
un individu de saisir directement certains organes internationaux de contrôle) .
Mais cette analogie est contestable et la référence au droit international
public trop large. En l'espèce, l'expérience sénégalaise suggère une solution
plus nuancée.
Les conventions d'établissement comportent des éléments de droit interne.
En premier lieu, le contenu des conventions, s'il est librement négocié, ne
peut être étendu au-delà des limites fixées par une loi interne sénégalaise,
le Code des Investissements; le Code a permis d'élaborer une série de
conventions-type, de structure identique, portant application des principales
dispositions de la loi. Sur le plan interne, un recours juridictionnel est
théoriquement ouvert contre tout décret d'approbation d'une convention
d'établissement dont les ternies iraient à l' encontre du Code (sauf à étendre au décret
d'approbation la notion d'actes de gouvernement). De plus en certains cas,
nous avons vu que l'entreprise conventionnée est, en outre, agréée en qualité
d'entreprise prioritaire; il convient dans ce cas de relever ceux des
avantages qu'elle tire d'un acte unilatéral de l'administration (33) .
En second lieu, si le caractère consensuel de la convention
d'établissement est certain (et la signature d'un avenant provisoire permet à
l'investisseur d'entreprendre certaines opérations juridiques et financières), il
convient de noter que, dans tous les cas, les conventions d'établissement sont
formellement conclues entre l'Etat et une société de droit local ayant son
siège social à Dakar; si les rapports entre associés (34) sont régis par le droit
local, et si les conditions d'exercice de son activité sont soumises à une
réglementation nationale, on peut également penser que la société a la
nationalité sénégalaise, en l'absence de toute codification législative (35) ou de
précédents jurisprudentiels consacrant la théorie du contrôle. Nous avons vu que
le Code des investissements précise que la détention de capitaux par des
ressortissants étrangers n'influe pas sur la nationalité de la société.

(33) La question ne présente pas un intérêt pratique évident puisque les avantages
de l'agrément prioritaire sont confirmés par la convention mais elle montre la proximité des
deux régimes institués par le Code.
(34) La Banque Nationale de Développement, société nationale, prend parfois des
participations pour le compte de l'Etat sénégalais (ex. Berliet-Sénégal) .
(35) Sur le seul plan fiscal, la convention fiscale franco-sénégalaise stipule que « le
domicile des personnes morales est au lieu du siège social statutaire » (J.O.R.S., 14.12.1968).
LES CONVENTIONS D'ÉTABLISSEMENT SENEGAL-ENTREPRISES 669

Les conventions d'établissement comprennent cependant des éléments


de droit international non négligeables. Les conventions d'établissement
ouvrent, en effet, aux investisseurs étrangers un ensemble de droits à un
traitement international, sans compter ceux qu'ils tirent des conventions
inter- étatiques en vigueur (36), qu'il s'agisse d'une personne de nationalité
étrangère ou d'une entreprise — qui serait une société de droit local — créée
ou contrôlée par des ressortissants étrangers. L'un de ces droits consiste à
transférer librement capitaux et revenus en dehors du Sénégal; chaque
convention d'établissement étend cette garantie aux fonds appartenant à
la société sénégalaise co- signataire et aux capitaux et revenus appartenant en
propre à des non-résidents au sens de la réglementation des changes, c'est-
à-dire aux actionnaires étrangers (personnes physiques et morales) de la
société conventionnée.
Un deuxième aspect du droit au traitement international tient à
l'inclusion dans les conventions d'établissement de clauses d'arbitrage; en droit
sénégalais aucune disposition n'interdit à l'Etat de compromettre, bien que
la tradition du droit public français soit en sens contraire. Chaque convention
d'établissement détermine les modalités de la procédure d'arbitrage,
conformément à l'article 37 du Code des investissements. Depuis 1962, la technique
de l'arbitrage a évolué. Les premières conventions instituaient un arbitrage
« ad hoc »; la désignation des arbitres ou d'un troisième arbitre pouvait être
demandée soit au Président de la Cour de Justice des Communautés
Européennes, soit au Président de la C.I.J.; les arbitres devaient se prononcer sur
la base de la convention et de l'équité.
Ultérieurement, quelques conventions firent référence à un rapport de
la Cour Suprême sur l'arbitrage, réduisant ainsi le droit au traitement
international de l'entreprise conventionnée. A la suite du dépôt des instruments
de ratification de la Convention pour le Règlement des Différends relatifs
aux investissements entre Etats et Ressortissants d'autres Etats, par le
Sénégal, le 21 avril 1967, les plus récentes conventions d'établissement renvoient
à la convention générale établie par la B.I.R.D., en précisant que le
Gouvernement du Sénégal considère comme remplie la condition de nationalité
prescrite par l'article 25. Ainsi une société de droit local, contrôlée par des
ressortissants étrangers, a droit au traitement international puisqu'elle est, en
l'espèce, réputée étrangère (37) et le consentement des parties a le caractère
d'un engagement international. Conformément à la Convention inter- étatique,
les parties renoncent à l'application de la règle de l'épuisement des recours
internes et l'Etat étranger, dont le ressortissant bénéficie du règlement
arbitral, renonce à exercer sa protection diplomatique.

(36) Pour les investisseurs français, la Convention d'Etablissement de 1960 et le traité


créant l'Union Monétaire Ouest-Africaine, en date du 12 mai 1962 et les accords de
coopération entre les pays membres de l'U.M.O.A. et la France.
(37) Le Gouvernement français a ratifié la Convention B.I.R.D., le 21 août 1967.
670 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE

En résumé, les conventions d'établissement apparaissent comme des actes


mixtes faisant place à la fois au droit interne (constitution de la société, règles
générales gouvernant son activité) et au droit international (en ce qui
concerne les litiges qui découlent de l'investissement et le droit des
investisseurs à un traitement international (38) . Encore faut-il noter l'imbrication
des règles du droit international public et des règles de droit international
privé; seul le développement d'un contentieux de l'investissement, encore
inexistant, pourrait élargir l'analyse.

**
*

S'il est aisé de conclure, en ce qui concerne le Sénégal, étant donné le


faible nombre de conventions d'établissement, il est difficile d'extrapoler de
telles conclusions à l'ensemble des conventions d'établissement conclues par
les Etats africains.
Sur le plan de la technique rédactionnelle et du contenu, le Code des
Investissements doit être amélioré; il n'est pas assez précis sur certains points.
La notion d'extension d'activité est peu claire et une confusion peut s'établir
entre les installations nouvelles et le renouvellement de matériel. De même,
la durée des périodes d'exonération ou de stabilisation n'est pas associée à la
durée de l'amortissement; en pratique, quels que soient la rentabilité de
l'investissement ou le secteur choisi, chaque investisseur demande l'application
des avantages déjà accordés et les conventions d'établissement s'inspirent trop
étroitement de celles déjà publiées. La convention d'établissement perd ainsi
de sa souplesse.
Sur le plan économique et financier, les conventions d'établissement
s'appliquent quelquefois à des entreprises qui ne seraient pas rentables sans
l'octroi des avantages qui y sont inclus, l'Etat fait alors les frais de
l'industrialisation (et il perd les recettes budgétaires que l'importation de produits
lui procurerait) ; dans certains cas, la convention d'établissement est inutile
(sauf son aspect psychologique et moral) et l'entreprise pourrait se contenter
d'un agrément prioritaire. Cependant les conventions d'établissement sont un
instrument utile de politique économique et d'incitation à l'investissement
à condition qu'elles soient manipulées de façon différenciée selon le type
d'investissement projeté.
Sur le plan de la théorie juridique, l'expérience sénégalaise des
conventions d'établissement confirme la difficulté précédemment évoquée de les
qualifier et le développement d'une branche nouvelle du droit international
économique, le droit des investissements, encore mal connue.

(38) L'article 42 de la Convention élaborée par la B.I.R.D., précise que « faute d'accord
entre les parties, le Tribunal arbitral applique le droit de l'Etat contractant partie au différend
ainsi que les principes du droit international en la matière ».

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