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UNIVERSITÉ PARIS 13

Année 2018

UFR Lettres, Langues, Sciences Humaines et des Sociétés


École Doctorale Érasme
Laboratoire : Unité Transversale de Recherche Psychogenèse et Psychopathologie

N° attribué par la bibliothèque

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Thèse pour obtenir le grade de


DOCTEUR EN PSYCHOLOGIE DE L'UNIVERSITÉ PARIS 13
Présentée et soutenue publiquement par
Pierre DELLACA-MINOT
le 11 Décembre 2018

Approche clinique du décrochage scolaire à


l'adolescence :
étude de la dynamique activité-passivité dans
la relation de l'élève à ses enseignants

Directeur de thèse : Mr Jean-Yves CHAGNON

Membres du jury :

Mr Florian HOUSSIER
Professeur, Université Paris 13........................................................................................Président
Mme Claire METZ
Maître de conférences – HDR, Université de Strasbourg................................................Rapporteur
Mme Catherine WEISMANN-ARCACHE
Maître de conférences – HDR, Université de Rouen Normandie....................................Rapporteur
Mr André SIROTA
Professeur émérite, Université Paris Ouest Nanterre La Défense....................................Membre
Mr Jean-Yves CHAGNON
Professeur, Université Paris 13.........................................................................................Directeur
UNIVERSITÉ PARIS 13
Année 2018

UFR Lettres, Langues, Sciences Humaines et des Sociétés


École Doctorale Érasme
Laboratoire : Unité Transversale de Recherche Psychogenèse et Psychopathologie

N° attribué par la bibliothèque

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Thèse pour obtenir le grade de


DOCTEUR EN PSYCHOLOGIE DE L'UNIVERSITÉ PARIS 13
Présentée et soutenue publiquement par
Pierre DELLACA-MINOT
le 11 Décembre 2018

Approche clinique du décrochage scolaire à


l'adolescence :
étude de la dynamique activité-passivité dans
la relation de l'élève à ses enseignants

Directeur de thèse : Mr Jean-Yves CHAGNON

Membres du jury :

Mr Florian HOUSSIER
Professeur, Université Paris 13........................................................................................Président
Mme Claire METZ
Maître de conférences – HDR, Université de Strasbourg................................................Rapporteur
Mme Catherine WEISMANN-ARCACHE
Maître de conférences – HDR, Université de Rouen Normandie....................................Rapporteur
Mr André SIROTA
Professeur émérite, Université Paris Ouest Nanterre La Défense....................................Membre
Mr Jean-Yves CHAGNON
Professeur, Université Paris 13.........................................................................................Directeur
Résumé
Le décrochage scolaire est un processus impliquant des facteurs multiples dont la qualité de
la relation élève-enseignant n'est pas des moindres. Investir, ou simplement supporter, la
relation à l'enseignant en période adolescente ''ne va pas de soi'', notamment parce que cela
solliciterait un intense travail d'élaboration de la dynamique passivité-activité : passivité du
côté de l'être (dé)formé, affecté, séduit par l'autre enseignant et dépendant de celui-ci; et
activité du côté de l'emprise, de l'appropriation subjective et de la création adolescente. Nous
proposons dans la présente thèse d'étudier l'hypothèse selon laquelle l'adolescent inscrit dans
un processus de décrochage scolaire serait particulièrement en difficulté pour opérer ce
travail d'élaboration de la dynamique activité-passivité tant au niveau intrapsychique que
dans la relation intersubjective avec les enseignants. Dans cette perspective nous avons
rencontré 17 collégiens âgés de 13 à 16 ans inscrits pour la plupart dans des structures de
type classe relais. Nous nous sommes également entretenu avec deux enseignantes de classe
relais. Notre méthodologie de recherche combine plusieurs outils : l'entretien, les tests
projectifs du TAT et du Rorschach, le dessin et quelques observations in situ. Nous observons
que la majorité des sujets acceptent, voire investissent, la position passive sur les plans
interconnectés des affects (être affecté par l'autre) et de la dépendance dans le rapport à
l'enseignant. Ils semblent cependant tenir à préserver et cultiver la position active de celui qui
touche affectivement l'enseignant. La dynamique activité-passivité est marquée par un défaut
d'élaboration de la fantasmatique de séduction qui semble ressurgir sur la scène de la classe à
travers des conflits entre l'élève et l'enseignant. Nous discutons des enjeux de ces analyses
pour la pratique clinique et pédagogique auprès des adolescents et pré-adolescents inscrits
dans un processus de décrochage scolaire.

décrochage scolaire ; passivité ; activité ; séduction ; adolescence ; fantasme ; affect ;


dépendance ; relation élève-enseignant

1
Abstract

School dropout is a process that implies multiple factors, not the least of which is the quality of the
teacher-pupil relationship. To invest or to simply put up with this relationship with the teacher during
adolescence is not "obvious” at all, especially because it calls upon an intense work of elaboration of
the activity-passivity dynamics: passivity from the one who is (de)formed, affected, seduced by the
other (the teacher); and activity represented as grip, subjective appropriation and teenage creation.
Our purpose in the present thesis is to study the hypothesis according to which teenagers who drop
out from school cannot mentally elaborate the activity-passivity dynamics both on the intrapsychic
level and that of the intersubjective relationship with teachers. To do so, we met 17 high school
students from 13 to 16 years old registered in special classes for marginalized schoolchildren (called
“classes relais” in French). We also conducted interviews with two teachers operating in those special
classes. Our research method combines interviews, administering TAT and Rorschach’s projective
tests, drawings and few in situ observations. We notice that most of the participants accepted, even
invested the passive position from the perspective of both the interconnected affects (to be affected by
the other) and the dependency to the teacher. However, it seems that they want to keep and improve
the active position of the one who affectively touches the teacher. The activity-passivity dynamics is
marked by a lack of elaboration of the seduction fantasy that spring up in the classroom through
conflicts between pupils and teachers. These analyses are discussed in terms of the issues at stake for
the clinical and educational practice for adolescents and pre-adolescents in the process of dropout.

school dropout ; passivity ; activity ; seduction ; adolescence ; fantasy ; affect; dependency ;


teacher-pupil relationship

2
Remerciements :

Je remercie mon directeur de thèse Monsieur Jean-Yves Chagnon pour m'avoir si


justement soutenu et orienté dans mon cheminement de recherche au fil de ces six années de
doctorat.

Je remercie mes parents pour leurs relectures studieuses et laborieuses.

Je remercie ma compagne pour son soutien affectif et pour me raconter avec une
passion communicative son quotidien d'enseignante en maternelle, m'aidant ainsi à penser le
lien entre maternelle et collège, petite enfance et adolescence.

Je remercie tous les membres des équipes des trois classes relais ainsi que du CMPP
de Brétigny sur Orge pour m'avoir si bien accueilli et facilité la rencontre avec les jeunes.

Merci également aux principaux des collèges pour avoir autorisé mon intervention en
classe relais.

Je remercie particulièrement les deux enseignantes de classe relais qui ont bien voulu
s'entretenir avec nous pour parler de leur pratique ainsi que de leur vécu de la relation aux
élèves.

Un grand merci aux adolescents ayant participé à notre recherche pour avoir pris le
risque de la rencontre intersubjective et de l'expression personnelle autour d'une expérience
scolaire particulièrement sensible.

Merci à mon ami multilingue Prashant pour la traduction du résumé.

3
« Imaginez un horrible petit avorton, si petit que c'en était ridicule ; avec cela disgracieux,
sale, mal peigné, mal vêtu, sentant le ruisseau, et, pour que rien ne lui manquât,
affreusement bancal.
Jamais pareil élève, s'il est permis toutefois de donner à ça le nom d'élève, ne figura sur les
feuilles d'inscription de l'université. C'était à déshonorer un collège.
Pour ma part je l'avais pris en aversion ; et quand je le voyais, les jours de promenade, se
dandiner à la queue de la colonne avec la grâce d'un jeune canard, il me venait des envies
furieuses de le chasser à grands coups de botte pour le bonheur de ma division.
Bamban, - nous l'avions surnommé Bamban à cause de sa démarche plus qu'irrégulière -
Bamban était loin d'appartenir à une famille aristocratique. Cela se voyait sans peine à ses
manières, à ses façons de dire et surtout aux belles relations qu'il avait dans le pays. Tous les
gamins de Sarlande étaient ses amis. »

Alphonse Daudet, « Le Petit Chose » (la suite à la dernière page)

4
TABLE DES MATIÈRES

Résumé..................................................................................................................................................1
Abstract.................................................................................................................................................2
Remerciements :....................................................................................................................................3

INTRODUCTION..................................................................................................................10

PARTIE 1 : CADRE THÉORIQUE


Chapitre A. Le décrochage scolaire : vers une prise en compte de la dynamique activité-passivité
dans la relation entre élèves et enseignants .....................................................................................17
I. Le décrochage scolaire :...................................................................................................................17
1. Une définition et un phénomène à resituer dans son contexte socio-historique :........................17
2. Les élèves dits décrocheurs ou à risque de décrochage : des parcours différents mais pour la
majorité marqués par des difficultés en élémentaire :.....................................................................19
3. Le décrochage scolaire comme rupture avec la posture d'apprenant et rupture de contrat :........20
II. Décrochage scolaire et rupture telle qu'elle se joue dans la relation entre l'enseignant et l'élève.....26
1. Vers une prise en compte du transfert pour comprendre le vécu des adolescents décrocheurs
dans la relation aux enseignants :...................................................................................................26
2. Une brève définition du transfert mis en jeu dans la relation enseignant-élève :........................27
3. Une condition pour que se développe un transfert positif dans la relation enseignant-élève : le
''contrat pédagogique'' ?..................................................................................................................29
4. Transfert en panne et/ou transfert négatif dans la relation conflictuelle enseignant-élève : Une
identification impossible ?..............................................................................................................31
III Des changements difficilement intégrables lors du passage au collège :.........................................37
IV. Le décrochage scolaire envisagé sous l'angle d'une résistance au contrôle exercé par l'institution
scolaire et les enseignants :..................................................................................................................41
1. Contrôle scolaire, évitement et résistance : une partie qui se joue d'abord au niveau du corps
actif et/ou passif..............................................................................................................................41
2. (En)jeux d'emprises dans la relation aux professeurs et à l'institution scolaire :.........................47
V. Dynamique activité-passivité au cœur du débat dans le champ de l'éducation autour de la posture
d'élève :................................................................................................................................................51
Chapitre B. Passivité et activité selon une perspective psychanalytique :.....................................66
I. La passivité, la passivation et l'activité dans leur rapport à la pulsion :...........................................66
1. Passivité et activité : les deux facettes d'une même pièce pulsionnelle.......................................66
2. Pulsion messagère et passivation lorsque le message reste sans ''accusé de réception'' :............73

5
II. Un travail précoce de la passivité qui s'opère dans le jeu des positions entre activité et passivité,
entre enfant et adulte :.........................................................................................................................75
1. Développement de la passivité dans le cadre de la relation homosensuelle ou homosexuelle en
double :...........................................................................................................................................75
2. Jeu de positions active et passive dans le rapport à l'objet et à soi pris comme objet :................81
3. La séduction originaire et la séduction narcissique : entre passivité et activité de l'enfant :.......83
3.1. Séduction originaire et activité introjective de l'enfant :....................................................83
3.2. La séduction narcissique :..................................................................................................90
4. Activité et passivité mise en perspective du point de vue de l'expérience d'élève :.....................95
4.1. Apprentissages dans la relation élèves-enseignant : entre énigme, introjection et
appropriation subjective............................................................................................................95
4.2. Séduction narcissique dans la relation enseignant-élèves :................................................99
III. Passivité et activité dans les fantasmes :.....................................................................................101
1.Une définition du fantasme :.....................................................................................................102
2. Les fantasmes originaires :.......................................................................................................103
3. Fantasmatique éveillée par la position d'élève dans la relation à l'enseignant : ........................104
3.1. Mise en jeu des fantasmes originaires :............................................................................105
3.2. Fantasme d'incorporation :...............................................................................................108
3.3. Fantasme d'intrusion dans le ventre maternel et de son exploration :..............................109
3.4. Problématique de la forme dans la relation élève-enseignant et sa traduction dans le
fantasme :................................................................................................................................110
Chapitre C. Complémentarité ou affrontement des dimensions passive et active à l'adolescence :
quels retentissements sur la relation de l'élève avec ses enseignants ?.........................................112
I. Passivité et séduction par le corps génital :.....................................................................................113
II. Passivation, passivité et élaboration de la perte à l'adolescence :..................................................116
III. Passivité dans la rencontre du féminin à l'adolescence et activité réactionnelle défensive :.........118
IV. Création identitaire adolescente difficile comme voie de compréhension des difficultés dans la
relation à l'enseignant........................................................................................................................122
1. L'activité créatrice adolescente :...............................................................................................122
2. Création identitaire en panne et la solution du (sado?)masochisme en milieu scolaire :...........126
3. Le martyre adolescent et créativité en panne............................................................................128
CONCLUSION................................................................................................................................133

PARTIE 2 : MÉTHODOLOGIE
I. Problématique et hypothèses :........................................................................................................137
II. Terrain de recherche :....................................................................................................................138

6
1. Présentation générale des dispositifs''classe relais'' et CMPP :.................................................138
2. Présentation des classes relais fréquentées dans le cadre de notre recherche :..........................141
3. Notre intervention en classe relais :..........................................................................................143
III. Notre population d'étude :............................................................................................................143
IV. Le protocole de recherche et sa présentation aux élèves :............................................................146
V. Démarche d'investigation pour chacune des hypothèses :.............................................................148
VI. Présentation des outils :...............................................................................................................150
1. L'entretien semi-directif avec les adolescents :.........................................................................150
2. Le dessin :.................................................................................................................................152
3. Les entretiens avec les deux enseignantes :..............................................................................153
4. Les observations et les échanges informels avec les professionnels :.......................................155
5. Approche de la dynamique activité-passivité au TAT et au Rorschach :...................................156
5.1. Présentation des outils :...................................................................................................156
5.2. Pertinence du TAT et du Rorschach avec les adolescents:...............................................159
5.3. Investigation de la dynamique activité-passivité au T.A.T :.............................................159
5.3.1. Au niveau du fantasme :..........................................................................................159
5.3.2. Sur le plan des éprouvés :........................................................................................161
5.3.3. Sur le plan du rapport à la perte :.............................................................................162
5.4 Investigation de la dynamique activité-passivité au Rorschach :......................................163
5.4.1. Sur le plan du fantasme :.........................................................................................163
5.4.2. Sur le plan des éprouvés :........................................................................................164
5.4.3. Sur le plan du rapport à la perte et à la dépendance :...............................................166
VII. Les hypothèses opérationnelles :................................................................................................167

PARTIE 3 : RÉSULTATS
Chapitre A. Dynamique activité-passivité dans le champ des représentations et des fantasmes :
...........................................................................................................................................................171
I. La question de la séduction dans la relation enseignant-élève :......................................................171
II. La séduction aux épreuves projectives :........................................................................................176
1. Érotisation au TAT :..................................................................................................................176
2. Élaboration de la séduction et de la position passive au TAT :..................................................178
3. Le féminin au Rorschach :........................................................................................................182
III. Sur les traces du fantasme de séduction dans la relation aux enseignants :..................................184
IV. La fantasmatique sexuelle œdipienne, le féminin et la bisexualité psychique :............................202

7
1. Fantasmatique d'une position passive œdipienne et d'une relation homosexuelle mise en jeu dans
la relation à l'enseignant :.............................................................................................................202
2. Activité-passivité et féminin redouté, rejeté et désiré :.............................................................208
2.1. Rapport ambivalent au féminin érotisé :..........................................................................208
2.2. Rapport au féminin maternel :.........................................................................................212
2.3. Activité-passivité et questionnements autour du fantasme de bisexualité :......................215
Chapitre B. Dépendance-indépendance et activité-passivité :......................................................222
I. Forte demande affective dans la relation à des enseignants … destinés à être décevants ?.............222
II. Positions actives face à la passivité de l'attente et fantasmatique orale de la relation pédagogique :
...........................................................................................................................................................229
1. Fantasmatique orale dans la relation pédagogique :..................................................................229
2. L'auto-sabotage et la plainte garants d'une emprise face au risque de l'attente déçue :.............233
III. Incapacité à reconnaître et investir la dépendance dans la relation à l'enseignant chez quatre
sujets : quels liens avec la dynamique activité-passivité ?.................................................................237
IV. Passivité et activité en lien avec la perte aux tests projectifs :......................................................241
Chapitre C. Dynamique activité-passivité et transmission intergénérationnelle du savoir dans la
relation pédagogique :.....................................................................................................................248
I. Activité-passivité face au savoir et sa transmission : le fantasme d'auto-formation ?.....................248
II. Un processus d'identification intergénérationnel empêché par les enjeux d'emprise et la menace de
déformation :.....................................................................................................................................251
1. Approché à partir des tests projectifs :......................................................................................251
2. Approché à partir d'éléments tirés du discours des sujets :........................................................253
Chapitre D. De l'éprouvé à la créativité en milieu scolaire :........................................................256
I. Traitement des affects à partir des tests projectifs :........................................................................256
1. Les procédés de traitement de l'affect au TAT :........................................................................256
2. Comportements significatifs d'une menace de submersion par l'excitation :.............................260
3. Traitement des affects au Rorschach :.......................................................................................262
4. Un point sur les résultats par rapport au traitement des affects :...............................................264
II. Rapports aux affects et à l'excitation en fonction du discours des élèves :....................................265
III. Activité-passivité dans le rapport au corps propre et au corps de l'autre-enseignant : .................278
1. Le corps enjeux d'emprise (corps propre et corps de l'autre) :..................................................278
2. Enjeux d'évitement de la passivité dans le rapport à la voix de l'enseignant :...........................288
3. La sensation tactile : Toucher/être touché, former/être déformé :.............................................291
3.1 Explorations tactiles et remise en jeu du partage esthésique :...........................................291
3.2. Expériences tactiles parfois transgressives et activité de formation :...............................295

8
3.3. Désir de toucher l'autre affectivement :...........................................................................300
IV. Vers une créativité en milieu scolaire ?........................................................................................305
1. Des usages de l'acte dans une perspective de création subjectale et inter-subjectale :..............305
2. Du héros à la figure du martyr adolescent en passant par le masochisme :...............................311
3. Indices de scenarii masochistes agis ou fantasmés chez les sujets de notre recherche :............318
4. Symptômes de l'exclusion et de la stigmatisation à travers le discours des enseignantes de classe
relais :...........................................................................................................................................326
5. Investissement d'une création encadrée par l'adulte en milieu scolaire … et ailleurs :..............333
5.1. Demandes de débats et de discussions groupales encadrés par l'adulte :.........................333
5.2. Étayage sur la pratique artistique pour une expérience de création encadrée par l'adulte :
................................................................................................................................................343
Une étude de cas :............................................................................................................................348

PARTIE 4 : DISCUSSION DES RÉSULTATS


Chapitre A : Synthèse des résultats en fonction de chaque hypothèse ........................................365
Chapitre B : Éléments de réflexion tirés de nos résultats :...........................................................377
I. Les enseignants objets d'une forte demande de savoir … être passifs ?..........................................377
II. Narcissisme et sexualité :..............................................................................................................379
III. Régressions et langage de l'acte des pré-adolescents et adolescents : défense sclérosante et/ou
processus créatif ?..............................................................................................................................386
Chapitre C : Limites de la recherche.............................................................................................391
I. Sur le plan de l'orientation donnée à la recherche :.........................................................................391
1. Le choix difficile du concept de décrochage scolaire :.............................................................391
2. Dynamique activité-passivité, vaste question ... trop vaste ?....................................................393
3. Plusieurs dimensions importantes peu ou pas étudiées:............................................................393
II. Sur le plan méthodologique :........................................................................................................394
Chapitre D : Perspectives cliniques et pédagogiques :..................................................................395
I. Repenser la place du corps et de l'acte de l'élève dans le collège :.................................................395
II. Un travail autour de la sexualité :..................................................................................................398
III. Le psychodrame psychanalytique de groupe :.............................................................................401
IV. Les soins médiatisés en groupe :..................................................................................................403

CONCLUSION.....................................................................................................................406
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES.................................................................................411

9
INTRODUCTION

Le système scolaire français est aujourd'hui traversé par des interrogations et des
changements qui remettent en question certains de ses principes, son mode d'organisation et
les méthodes pédagogiques qui s'y déploient. Parmi les phénomènes contemporains qui
remettent en question l'école sur le fond (le sens, les valeurs) comme sur la forme (la
méthode), la problématique du décrochage scolaire tient une bonne place et témoigne, dans
une certaine mesure, de l'échec de l'ambition (également contemporaine) d'une école qui
conduirait tous les élèves à la réussite scolaire ou du moins à l'obtention d'un diplôme
qualifiant. Nous nous intéressons dans notre étude au décrochage scolaire considéré comme
un processus analysable d'un point de vue psychologique sans pour autant verser dans une
représentation de ce phénomène comme symptôme d'un processus pathologique.
Plusieurs auteurs (E. Diet, 2016, 2009 ; N. Catheline, 2017 ; M. Gauchet, M. C. Blais
et D. Ottavi, 2016) situent l'échec scolaire ainsi que le malaise qui touche les acteurs du
système scolaire (en premier lieu les enseignants) dans le contexte d'une « crise de la
transmission » (M. Gauchet et al., 2016) qui marque la société entière. Dans cette perspective
le décrochage scolaire peut être considéré comme le symptôme d'un processus empêché de
transmission intergénérationnelle du savoir scolaire. Or, la transmission au sein du système
scolaire opère avant tout, nous semble-t-il, à travers la relation humaine et plus
particulièrement à travers la relation entre l'(es) élève(s) et l(es) enseignant(s). Nous notons,
par ailleurs, que plusieurs études démontrent que la façon dont l'élève éprouve et se
représente la relation aux enseignants serait déterminante dans le processus de décrochage
scolaire (revue de littérature à ce sujet de M. Virat, 2015). Il nous semble donc intéressant
d'étudier cette relation enseigné(s)-enseignant(s) pour comprendre la problématique du
décrochage scolaire.
Nous choisissons d'aborder celle-ci selon une approche clinique d'inspiration
psychanalytique nous conduisant vers la prise en compte de la dimension intersubjective à
l’œuvre au sein de la relation. Nous considérons en effet que la situation d'enseignement met
en relation plusieurs sujets élèves et enseignants chacun marqué par une histoire particulière,
porteur d'une conflictualité interne singulière (conflictualité entre désir et défense, entre
instances de l'appareil psychique, entre différents mouvements pulsionnels) et inséré dans un
maillage d' « alliances inconscientes » (R. Kaës, 2009) unique qui lui garanti une place dans
la famille et la société. Nous parlerons donc de relation intersubjective dans la mesure où il
s'agit d'une rencontre qui engage la subjectivité de chacun et mobilise des processus

10
inconscients que sont notamment le transfert, l'identification et la projection, autant de
phénomènes psychiques que nous aborderons et qui constitueront des outils de
compréhension de la relation intersubjective.
Notre projet d'étudier la relation élève-enseignant se trouve renforcé par le constat
quotidien que nous faisons à travers l'exercice de notre métier de psychologue dans deux
centres médico psycho pédagogiques. Nous constatons en effet combien la relation à
l'enseignant est (encore) importante aux yeux des enfants et adolescents que nous rencontrons
et participe de l'investissement du champ scolaire. Nous observons que les enseignants sont
l'objet de demandes d'attention souvent excessives, sont la cible de forts mouvements
transférentiels et occupent une place de choix dans les discours de nos patients. Des
enseignants ou des personnages occupant cette fonction sont mis en scène dans les jeux voire
dans les scenarii fantasmatiques de nos patients. Nous supposons que cela n'est sans doute
pas sans lien avec la fonction de transmission intergénérationnelle du savoir qu'ils continuent
à incarner vis-à-vis des élèves d'aujourd'hui.
Au vu de ces éléments nous avons choisi d'aborder la problématique du décrochage
scolaire sous l'angle de la relation réelle et fantasmatique que le sujet pré-adolescent ou
adolescent entretient avec ses enseignants actuels et passés (toujours présents dans le
souvenir). Nous nous centrons sur les pré-adolescents et adolescents collégiens car le
décrochage scolaire se manifeste surtout à partir du collège bien que le processus de
décrochage couverait souvent dès l'élémentaire voire la maternelle (N. Catheline, 2012,
2010).
Le questionnement qui oriente notre étude pourrait être formulé ainsi : comment la
manière dont les pré-adolescents et adolescents éprouvent et se représentent la relation aux
enseignants, entre en jeu dans le processus de décrochage scolaire ?
Il s'agira de déterminer dans quelle problématique psychologique s'insère l'expérience
difficile, tumultueuse, du lien à l'enseignant qui contribuerait à conduire vers un évitement
et/ou un rejet de la transmission du savoir scolaire, et peut-être aussi, des valeurs attachées au
système éducatif. Il nous semble que cette démarche de recherche nous situe à la confluence
de la psychologie et des sciences de l'éducation dans la mesure où notre intérêt se porte sur
l'interaction entre le fonctionnement psychique individuel (relevant plus du domaine de la
psychologie) et les processus psychiques inconscients à l’œuvre dans la relation que le sujet
entretien avec les enseignants. Ce dernier aspect nous rapproche de plusieurs travaux
cliniques d'orientation psychanalytique conduits dans le champ des sciences de l'éducation et

11
dont nous nous sommes inspiré pour notre étude (J. Filloux, 1996 ; C. Blanchard-Laville,
2001 ; B. Pechberty, 1999 ; A. Sirota, 2007 ; J. Y. Rochex, 1998).
Notre projet de recherche implique donc d'étudier les processus psychiques qui
interviennent dans l'investissement de la relation au professeur en période adolescente.
Être élève en période pré-adolescente et adolescente dans cette institution qu'est le
collège ''ne va pas de soi''. En effet, cela implique un vaste travail d'élaboration sur les plans
psycho-affectifs et cognitifs qui permet de (re)trouver-créer une place d'élève qui puisse
intégrer des changements fondamentaux internes (éveil de la puberté, éveil de la pensée
hypothético-déductive piagécienne, exigence d'un travail de séparation-individuation) et
externes (changement d'environnement de l'école élémentaire au collège). Ce travail
d'élaboration d'un nouveau « soi-élève » (C. Blanchard-Laville, 2001) nous semble à intégrer
dans le champ plus vaste de la création identitaire adolescente. Dans la perspective d'une
articulation entre les processus impliqués, d'une part, dans le développement adolescent et,
d'autre part, dans l'investissement de la relation aux enseignants, nos lectures nous ont
conduit à repérer un élément commun important qui consiste en la mise en jeu de la
dialectique de l'activité et de la passivité en rapport avec la formation. Pour illustrer nos
propos il convient d'imaginer une dissociation artificielle entre adolescent et élève : nous
pourrions dire que chacun d'eux (l'adolescent et l'élève) est tenu de trouver un équilibre entre
être formé-déformé (position passive) par le changement pubertaire, par l'enseignant, et se
former et/ou s'approprier (position active) le changement et le savoir transmis.
Cela nous conduit vers la question de la mise en jeu de la dynamique activité-passivité
dans l'investissement de la relation à l'enseignant à l'adolescence.
A l'origine de notre intérêt pour cette thématique est un travail de recherche que nous
avons mené sous l'encadrement de monsieur Jean Yves Chagnon dans le cadre de notre
formation universitaire (Master 2 recherche) dont le sujet était l'élaboration de la passivité à
l'adolescence mise en lien avec le traitement des affects et le passage à l'acte. Nous avions
rencontré sept mineurs incarcérés et avons été marqué par le constat et le sentiment contre-
transférentiel que la relation à l'autre et, plus particulièrement la relation à certaines figures
adultes d'autorité mobilisait fortement une menace et une fantasmatique associées à la
position passive dans la relation à l'autre (être séduit, frappé, intrusé, dominé, etc...), position
vivement rejetée.
Nous intéressant plus tard au décrochage scolaire nous nous sommes demandé dans
quelle mesure ce rejet de la position passive pouvait être impliqué dans la relation difficile
entre l'élève et l'enseignant, participant éventuellement du processus de décrochage scolaire.

12
Ayant largement parcouru la littérature au sujet de la dynamique activité-passivité à
l'adolescence nous avons été sensible à la théorisation de Ph. Gutton (1991, 2008) qui nous
semble montrer que la création adolescente se déploie grâce à la complémentarité entre une
certaine passivité permettant d'accueillir le changement pubertaire qui entre toujours ''par
effraction'', et une certaine activité créatrice qui permet à l'adolescent de se positionner
comme acteur du changement en cours.
Le travail qui consisterait à trouver un équilibre entre activité et passivité se trouve
particulièrement mis en jeu par l'''être élève'' pris dans des enjeux de transmission
intergénérationnelle en période « pubertaire » (Ph. Gutton, 1991). En effet, pour être élève, le
sujet nouvellement pubère serait tenu de déployer une « réceptivité passive » « face à la
parole de l'autre, reçue comme source du plaisir de savoir » (J. P. Pinel, 2016, p43) mais
aussi, nous le supposons, développer une activité d'appropriation du savoir sans laquelle
l'expérience scolaire perdrait de son sens (J. Y. Rochex, 1998). Plus fondamentalement, d'un
point de vue psychanalytique, toute transmission intergénérationnelle supposerait une
complémentarité activité-passivité en ce qu'elle repose sur une modification imprévisible
désirée ou subie de l' « état psychique » du destinataire de la transmission (dimension
passive) qui fait l'objet, simultanément ou dans un ''après coup'', d'une activité d'appropriation
opérée par ce même destinataire de façon plus ou moins consciente. C'est du moins ce que
nous ''laissent entendre'' les propos de S. Freud au sujet de la transmission dans « Totem et
tabou » (1923). Freud se posant la question de savoir « de quels moyens une génération se
sert-elle pour transmettre ses états psychiques à la génération suivante ? » postule que la
« continuité de la vie psychique » entre les générations « est assurée en partie par l’hérédité
des dispositions psychiques, qui, pour devenir efficaces ont cependant besoin d'être stimulées
par certains événements de la vie individuelle. C'est ainsi qu'il faut interpréter le mot du
poète : « ce que tu as hérité de tes pères, acquiers-le pour le posséder » (1923/2001, p221-
222). Il nous semble que de ce point de vue, la transmission opérerait par acquisition-
possession (activité) d'un héritage de dispositions psychiques passivement reçu et qui
demande à être assimilé ou, autrement dit, pousse vers l'assimilation-appropriation
subjective.

Ces réflexions et recherches nous ont conduit à nous poser cette seconde question :
Est-ce-que les difficultés rencontrées dans la relation aux enseignants, par les
adolescents ou préadolescents à risque de décrochage scolaire, témoignent d'un défaut

13
d'équilibre entre activité et passivité au niveau intrapsychique (économie pulsionnelle,
fantasme, relation entre les objets internes) et intersubjectif (relation entre deux sujets) ?

Ce questionnement étayé sur la théorie psychanalytique résonne puissamment, nous


semble-t-il, avec les réflexions qui animent le débat dans le champ de l'éducation scolaire à
propos des méthodes pédagogiques à mettre en œuvre et à promouvoir. La tendance actuelle
serait, selon M. Gauchet, M. C. Blais et D. Ottavi (2016), à valoriser l'apprenant autonome
acteur de son savoir et dévaloriser la transmission intergénérationnelle assimilée à une
dissymétrie abusive entre un enseignant actif-autoritaire et un élève passif-soumis. Sur un
plan différent de compréhension, l'approche psychanalytique nous semble pouvoir montrer
une autre voie qui permette de dépasser cette opposition entre l'élève passif (dévalorisé) et
l'élève actif (valorisé à moins qu'il ne soit taxé d'hyper...actif), faisant apparaître plutôt une
complémentarité entre une certaine passivité et une certaine activité que nous tâcherons de
définir.

Afin de poser le cadre théorique de notre recherche, nous entreprendrons dans une
première partie de développer une conception du décrochage scolaire envisagé sous l'angle
d'un processus de rupture de la transmission qui se joue en premier lieu au sein de la relation
élève-enseignant. Dans cette perspective nous nous attacherons plus particulièrement à
démontrer que l'expérience de la relation aux enseignants au niveau du collège tend à
confronter certains élèves à une passivité vécue comme insupportable entraînant un
évitement et/ou un rejet de la relation à l'enseignant qui peut participer du processus de
décrochage scolaire. Ces réflexions nous conduiront à étudier les notions de passivité et
d'activité selon une approche psychanalytique et nous tenterons de mettre en évidence qu'une
telle approche peut se révéler précieuse pour comprendre l'expérience d'élève dans la relation
à l'enseignant. Pour terminer le développement du contexte théorique, nous analyserons
comment activité et passivité se dialectisent à l'adolescence et nous développerons l'idée
selon laquelle l'échec de cette dialectisation peut conduire vers des difficultés dans la relation
aux enseignants participant du processus de décrochage scolaire.
Dans une seconde partie, nous préciserons la problématique de notre recherche,
formulerons nos hypothèses et exposerons la méthodologie employée. Ceci, en prenant soin
de justifier le choix de notre méthodologie au vu de notre champ d'étude préalablement
défini.

14
Dans une troisième partie, nous exposerons les résultats et présenterons un cas
clinique.
Dans une quatrième et dernière partie, après avoir présenté une synthèse des résultats
en fonction de chacune des hypothèses, nous discuterons des implications de ces résultats
pour la théorie dans le champ de la psychologie clinique, et pour le développement de la
pratique clinique et éducative auprès des adolescents inscrits, ou qui risquent de s'inscrire,
dans un processus de décrochage scolaire.

15
16
PARTIE 1:
CADRE
THÉORIQUE
Chapitre A. Le décrochage scolaire : vers une prise en compte de la dynamique activité-
passivité dans la relation entre élèves et enseignants

I. Le décrochage scolaire :

1. Une définition et un phénomène à resituer dans son contexte socio-historique :

Le décrochage scolaire est un terme apparu en France dans les années 1990 désignant
un processus conduisant des élèves à sortir du système éducatif sans qualification ; les
définitions variant selon les pays quant à déterminer ce que l’on entend par « sans
qualification ». En Novembre 2014, le ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement
supérieur et de la recherche, présente un dossier « tous mobilisés pour vaincre le décrochage
scolaire. » dans lequel il définit le décrochage scolaire comme « un processus qui conduit
chaque année 140000 jeunes à quitter le système de formation initiale sans avoir obtenu une
formation équivalente au baccalauréat ou un diplôme à finalité professionnelle (Certificat
d’Aptitude Professionnelle , CAP ; Brevet d’Etudes Professionnelles, BEP) ». Le terme de
décrochage scolaire vient du Quebec, il est la traduction littérale de l'anglais « drop out ».
Selon P. Y. Bernard (2015) c'est en 2009, que l'appellation « décrochage scolaire » prend le
devant de la scène dans la politique éducative française et se substitue au terme « jeunes non
qualifiés ». Les actions et projets du haut commissariat à la jeunesse en 2009 contribuent
fortement à cette « mise à l'agenda » du décrochage scolaire et à l'expansion de ce terme dans
le champ éducatif .
Le décrochage scolaire est une problématique contemporaine qui se pose dans
différents pays et revêt une réalité plurielle bien reflétée par la diversité des termes employés
selon les « arrières plans culturels » : « démobilisation, désengagement scolaire,
déscolarisation mentale, abandon scolaire, décrocheurs actifs, décrocheurs passifs,
décrochage de motivation, de confort (Pain, 2012) » (R. Thibert, 2013, p3).
Le décrochage scolaire a été mis à l'agenda politique médiatique et social pour
différentes raisons qui ont trait à l'évolution du système scolaire et, plus largement, de la
société.
F. Dubet (2005) et R. Thibert (2013) observent que la déscolarisation précoce a
toujours existé. Dans les années 70, ils étaient 200000 élèves (contre 140000 en 2014) à
quitter le système scolaire avant l’obtention d’une formation qualifiante. Il convient donc de

17
se demander pourquoi la déscolarisation précoce est progressivement devenue un problème
sociétal entraînant une forte mobilisation des pouvoirs publics ?
Selon Ph. Meirieu (2005), l’exigence s’est faite plus forte, de démocratiser la
connaissance scolaire et de permettre l'accès pour tous à un bagage culturel minimal transmis
par l’école. Notre société serait « plus exigeante envers elle-même, plus déterminée à
démocratiser l’accès au savoir » (p200). L'objectif sociétal serait récent d’enseigner aux
élèves qui ne peuvent ou ne veulent pas apprendre ce qui implique une remise en cause des
modèles pédagogiques. « Enseigner à ceux qui veulent apprendre n’a jamais fait problème.
Enseigner aux autres est affaire de pédagogie » (Ph. Meirieu, 2005, p200).
P. Y. Bernard (2015) insiste sur le fait que les familles et les élèves des classes
populaires manifestent aujourd'hui des attentes beaucoup plus fortes en terme de
« scolarisation et de réussite scolaire » alors que « les études inachevées ont été longtemps
perçues dans les classes populaires comme une forme de destin social difficilement
évitable » (p40).
- F. Dubet (2005) souligne que depuis une trentaine d’années l’échec des élèves met de
plus en plus en cause la valeur de l’institution scolaire et celle du maître qui manquent à leur
mission de permettre à tout élève quelque soit son origine socio-culturelle d'accéder à la
réussite, ou du moins à l'adaptation scolaire. Sous un autre angle de vue et comme en écho à
cette remarque, E. Diet (2009) postule que dans un contexte de marchandisation du savoir
corrélatif d'un effritement des différences générationnelles, l'enseignant est de plus en plus
mis en position d'être au service du client-élève. De ce point de vue, l'échec scolaire de
l'enfant ou de l'adolescent peut donc être perçu comme une incompétence de l'enseignant à
satisfaire, intéresser le client-élève. En d'autres termes, échec à se rendre attractif.
Les auteurs (R. Thibert, 2013 ; P. Y. Bernard, 2015) s'accordent pour conclure que la
mobilisation publique contre le décrochage scolaire s’explique pour une grande part, par la
conjonction contemporaine du chômage des jeunes et de l’importance prise par l’obtention
d’un diplôme pour s’intégrer dans le marché du travail . « la question du décrochage révèle
d'abord l'importance prise par le diplôme dans la France contemporaine » (P. Y. Bernard,
2015, p40).
M. Esterle (2015) et P. Y. Bernard (2015) soulignent que le discours politique et le
traitement médiatique de la question du décrochage scolaire tendent à assimiler lutte contre le
décrochage scolaire et lutte contre la délinquance. Le décrochage tend à être présenté comme
un problème de sécurité intérieure, la rupture de scolarité étant perçue (et médiatisée) comme
« une forme d'insécurité urbaine » (P. Y. Bernard, 2015). M. Esterle (2015) note que

18
l'association entre décrochage scolaire et délinquance n'est pas « parfaitement démontrée »
par les études récentes. Elle nous invite à penser la complexité de la relation entre
décrochage et délinquance en sortant d'une association décrochage-délinquance trop
systématique. Par ailleurs, de son point de vue, « les enjeux du dérochage scolaire ne se
limitent pas tant s'en faut à la délinquance : difficulté accrue pour une bonne insertion
socioprofessionnelle, chômage ou précarité dans des emplois non qualifiés, dépression,
maternité à l'adolescence pour les jeunes filles, errance, font partie des conséquences du
décrochage » (2015, p48). Le traitement médiatique du décrochage scolaire contribue donc à
attirer l'attention de la société sur ce problème en le présentant comme un facteur d'insécurité.

Le décrochage scolaire désigne en fait une réalité plurielle caractérisée notamment par
des parcours scolaires et des comportements différents que plusieurs chercheurs ont tenté de
classer selon des profils distincts.

2. Les élèves dits décrocheurs ou à risque de décrochage : des parcours différents mais pour
la majorité marqués par des difficultés en élémentaire :

P. Y. Bernard (2011), s'inspirant de l'étude de Janosz et al. (2000), propose trois


dimensions pour comprendre et analyser les processus de décrochage scolaire d'élèves du
secondaire : la réussite des apprentissages scolaires, l'adaptation aux normes formelles et
informelles du milieu scolaire et l'engagement. Cette dernière dimension est présentée
comme la tendance à valoriser l'école, ses valeurs et les activités qui s'y déroulent. C'est aussi
l'investissement et la qualité des relations sociales au sein de l'institution scolaire.
À partir d'une investigation de ces trois dimensions par un questionnaire auprès
d'adolescents de seize ans en décrochage scolaire, P. Y. Bernard (2011) obtient des résultats
qui lui permettent d'identifier quatre profils d'élèves décrocheurs. Il distingue : les
« discrets » (31,20% de l'échantillon) qui mêlent « un fort engagement scolaire, un important
conformisme à l'institution, et une faible réussite scolaire » (2011, p88). Les « déconnectés »
(27,60%) caractérisés surtout par « l'importance des difficultés scolaires et le caractère
précoce de ces difficultés » (p88). Les « désengagés » (28,30%) qui présentent une
dynamique de décrochage marquée avant tout par un faible engagement. Les « rebelles »
(12,90%) dont le caractère dominant est « un rapport conflictuel aux règles scolaires. »
(p86), groupe constitué essentiellement de garçons (71%). Ces différents profils tendent à
rejoindre ceux identifiés par Janosz et al. (2000).

19
Des études montrent que la majorité des élèves décrocheurs a rencontré des difficultés
scolaires dès l'école élémentaire (E. Bautier, 2003 ; Douat, 2011), ceci sans pour autant
présenter un quotient intellectuel en dessous de la moyenne et être orienté vers un cursus
scolaire adapté (SEGPA, ULIS pour la France) à l'entrée au collège.
N. Catheline (2010) propose de différencier les parcours scolaires difficiles en
élémentaire des élèves décrocheurs au collège selon qu'ils sont caractérisés par :
les difficultés d'apprentissage aux origines diverses (troubles instrumentaux ou retard
mental)
« les troubles du comportement dès les premières années de scolarisation : agitation
difficultés attentionnelles, agressivité » (p870), transgression systématique des règles,
etc...
les phénomènes anxieux qui se manifestent exclusivement par de la somatisation (maux
de ventre, troubles du sommeil , etc)
Arrivés au collège il est difficile pour ces pré-adolescents de s'adapter au
fonctionnement institutionnel et de suivre les apprentissages. N. Catheline (2010) suggère
que ces pré-adolescents ont pu suivre en élémentaire en s'étayant sur la relation au professeur,
mais le collège ne permet pas qu'une telle relation d'étayage s'installe, notamment du fait de
la pluralité des professeurs et de l'autonomie attendue dans les apprentissages. Elle insiste sur
le fait que leur niveau d'acquisition scolaire est trop faible à l'entrée au collège et que cet
écart se creuse par la suite aboutissant à la rupture avec le système scolaire.
Il est important de noter que les garçons décrocheraient plus que les filles. J. L. Auduc
(2014) énonce le chiffre de deux garçons pour une fille. Cependant selon les chiffres de 2015
présents dans le dossier de la Direction de l’Évaluation de la Prospective et de la
Performance de 2017 intitulé « filles et garçons sur le chemin de l'égalité de l'école à
l'enseignement supérieur », la différence est beaucoup plus mesurée. 12% d'hommes contre
10% de femmes de 18-24 ans seraient « sortants précoces » en Europe, c'est à dire qu'ils
n'ont pas suivi de formation au cours des quatre semaines précédant l'enquête et n'ont pas
terminé avec succès un enseignement du second cycle de l'enseignement secondaire.

3. Le décrochage scolaire comme rupture avec la posture d'apprenant et rupture de contrat :

A l'instar de P. Goémé (2015) nous pouvons envisager le décrochage scolaire sous l'angle
d'une rupture à différents niveaux. Le sujet déscolarisé durablement et qui n'a pas eu accès à
un diplôme qualifiant est, d'une certaine manière, en rupture avec le système scolaire. C'est à

20
dire qu'il n'a plus accès à « un système organisé de transmission de connaissances, de
compétences » ni à une culture commune (P. Goémé, 2015, p114). La déscolarisation
implique également d'être privé d'un espace de socialisation entre pairs, encadré en partie par
les adultes. Être déscolarisé c'est expérimenter une autre temporalité qui était jusque là
rythmée par le collège et avant, l'école élémentaire et la maternelle. La déscolarisation
signifierait également rompre un contrat implicite avec l'entourage qui nourrit des attentes de
réussite scolaire et professionnelle pour l'adolescent. P. Goémé parle aussi d'une rupture avec
« la posture d'apprenant » et précise que « c'est sans doute cet aspect qui est le plus
dommageable » (2015, p114) .
Que serait donc une rupture avec « la posture d'apprenant » ?
Nous choisissons de définir la posture d'apprenant, comme une attitude de l'élève qui
répond aux attentes de l'institution scolaire dans laquelle il s'inscrit. Ph. Perrenoud (1994)
développe le concept de « métier d'élève » pour signifier qu'être élève c'est acquérir un
savoir-faire et un savoir-être qui « permettent de s'acquitter d'une tâche productive au sein
d'une organisation, avec ce que cela suppose de contrainte, de délais , de visibilité, de
respect des normes quant aux ressources à employer, aux techniques à mettre en œuvre, aux
autorités à consulter à chaque étape d'un travail. » (1994, p53).
Ph. Perrenoud propose de définir, avec un parti pris critique étayé, ce que serait « faire du
bon travail » en tant qu'élève dans notre système scolaire. « faire du bon travail à l'école
c'est faire un travail non rétribué, largement imposé, fragmenté – c'est à dire différentes
activités scolaires dans des domaines divers se succédant dans la journée de l'élève sans qu'un
lien de continuité puisse être dégagé entre ces activités – répétitif et constamment surveillé »
(1994, p62). Ces attentes feraient partie intégrante de ce que Ph. Perrenoud appelle « la
culture de l'organisation scolaire » et ne pas répondre à ces attentes implique donc un
blocage, une résistance ou un empêchement de transmission de cette culture.
La notion de contrat peut nous aider à envisager ce qui permet l'investissement du
métier d'élève garant d'une intégration à une place à part entière dans l'école. Il est possible
de considérer que l'adolescent qui joue correctement son rôle d'élève au sein de son
institution scolaire d'affiliation et au sein du système scolaire en général, a signé un contrat
implicite avec l'institution scolaire. Il est possible de concevoir l'investissement du « métier
d'élève » comme résultant de l'affiliation à un groupe et/ou une organisation de transmission
scolaire sur la base d'un contrat implicite. Nous choisissons de faire appel à la notion de
contrat narcissique pour comprendre les phénomènes d'affiliation ou de désaffiliation aux
institutions à vocation de transmission d'un savoir scolaire.

21
Le concept de contrat narcissique est introduit par P. Aulagnier (1975) puis repris et
remanié par R. Kaës dans son ouvrage « les alliances inconscientes » paru en 2009. Le
contrat narcissique correspond à la définition commune du contrat dans la mesure où il est un
accord entre plusieurs contractants définissant un lien fait d'obligations réciproques dans
lequel chacun trouve un intérêt particulier. Toute trahison ou tricherie par rapport aux termes
de l'accord initial implique une remise en cause ou une rupture du contrat. Le contrat
narcissique est un accord conclu entre l'individu et le groupe selon les termes qui garantissent
l'échange suivant : le groupe reconnaît et assure une place unique à l'individu au sein de
l'histoire et de l'organisation groupale, ceci à condition que l'individu puisse investir et
s'approprier cette place et respecte certaines règles qui fondent l'organisation du groupe. En
s'inscrivant dans la place qui lui est attribuée, l'individu est chargé de garantir la continuité de
la culture du groupe à travers les générations. Mais cette inscription n'est possible que si le
groupe investit narcissiquement le nouvel arrivant comme potentiel maillon solide de la
chaîne de transmission et non comme ''maillon faible''. Le contrat narcissique en inscrivant
chacun à une place différenciée fait respecter l'interdit de l'inceste, c'est la raison d'être
fondamentale de ce contrat selon P. Aulagnier (1975). L'interdit de l'inceste constitue la
condition pour que l'individu se constitue « comme sujet de la filiation » (R. Kaës, 2009,
p59). Cependant pour que cette filiation s'opère, R. Kaës (2009) et P. Aulagnier (1975)
soulignent que l'enfant doit être investi par ses parents, dans une certaine mesure, comme
« prolongement narcissique » (R. Kaës, 2009), ce qui renvoie à une certaine indifférenciation
dans la représentation des places de chacun, parents et enfant. Le contrat narcissique nous
semble donc la construction d'un subtil équilibre, qui permet qu'une certaine indifférenciation
des places s'installe dans la représentation de la relation parents-enfant, sans pour autant que
soit franchie la barrière de l'interdit de l'inceste.
R. Kaës souligne que le contrat narcissique est un contrat asymétrique dans la mesure
où « il précède le sujet et s'impose à lui, il ne peut qu'y adhérer ou s'y soustraire, s'y
structurer ou s'y aliéner. » (2009, p62). R. Kaës parle d'un « assujettissement narcissique aux
exigences de l'ensemble » (2009, p61). Nous comprenons la formulation d'assujettissement
narcissique comme une conformation de la construction identitaire du sujet à l'idéal du moi
prescrit et partagé par le groupe familial ou social.

R. Kaës (2009, p61) distingue trois types de contrats narcissiques :


- Le contrat narcissique originaire qui est un « contrat d'affiliation narcissique à
l'espèce humaine » fondé sur une identification initiale du moi à l'espèce humaine. Ce contrat

22
exige que l'individu soit investi par les autres de son entourage (parents, groupe, etc) comme
appartenant à l'espèce humaine et, en cela, participant de la fonction d'auto-conservation de
l'espèce et de l'individu.
- Le contrat narcissique primaire, contrat de filiation passé entre l'individu et son
groupe primaire familial assurant au sujet une place à part entière au sein de la famille, qui
exige et sollicite l'investissement mutuel du sujet et de sa famille, d'un rôle « non plus
seulement (de) maillon », mais de « serviteur », de « bénéficiaire » et d' « héritier de
l'ensemble ». Ce contrat permet à l'individu d'advenir comme sujet dans la mesure où il lui
assure une continuité et une différenciation de par la particularité de sa position dans
l'organisation familiale.
- R. Kaës (2009) postule qu'il faut adjoindre à ces deux types de contrats un troisième
qui serait le « contrat narcissique secondaire ». Il s'agit par ce dernier de désigner les
identifications qui lient le sujet à des groupes hors de la famille (groupe de pairs, institutions
diverses …). Le contrat narcissique secondaire s'étaye essentiellement sur l'identification aux
membres du groupe par laquelle le sujet assimile un aspect, une propriété ou un attribut
partagé par les membres du groupe et se transforme totalement ou partiellement sur le modèle
de celui-ci. Ces identifications ne sont opérantes que si le sujet lui-même est réciproquement
identifié par le groupe comme porteur de cette propriété commune aux membres du groupe.
Dans le cadre du contrat narcissique, ces identifications sont intégrées dans l'instance de
l'idéal du moi du sujet et participent ainsi de la construction d'un idéal du moi commun ou
groupal. Ces contrats permettent donc l'affiliation à des groupes hors de la famille. Ils
peuvent se situer dans une continuité mais aussi dans une opposition avec les deux types de
contrats précédents. Le sujet va donc devoir composer une complémentarité ou au moins une
cohabitation entre ces trois types de contrats narcissiques (originaire, primaire et secondaire)
qui permet de préserver voire de consolider un sentiment de continuité d'être.
R. Kaës (2011) étudiant les processus intra-psychiques et intersubjectifs mis en jeux
dans la formation, suggère que le contrat narcissique (secondaire) garantit l'affiliation à une
institution de formation. Le sujet, pour s'intégrer et être intégré dans une institution de
formation, est donc tenu de partager un idéal du moi groupal et se conformer à la place qui
lui est désignée au sein du groupe. Du point de vue narcissique le sujet y gagne une
reconnaissance (un investissement narcissique) par le groupe et de nouveaux repères
identificatoires. Il nous paraît possible de concevoir le décrochage scolaire comme une
désaffiliation à l'institution scolaire (système scolaire, collège) résultant d'une rupture ou
d'une menace de rupture du contrat narcissique qui fixe les termes de l'échange entre le sujet

23
et l'institution scolaire. Sans avoir recours au concept de contrat narcissique, certains auteurs
préfèrent parler de désaffiliation scolaire plutôt que de décrochage scolaire
(Broccolicchi,1998 ; R. Demerval & N. Cartierre, 2003) ou évoquent la désaffiliation scolaire
comme représentant une approche des processus en jeu dans le décrochage scolaire qui
implique de prendre en compte l'interaction entre différentes dimensions : « le
fonctionnement des institutions scolaires », « les traitements différenciés des élèves et
l'interaction des contextes scolaires, familiaux et locaux » (M. Esterle-Hedibel, 2006, p44).
Le travail sociologique de Mathias Millet et Daniel Thin (2005) met en lumière ce qui
fait rupture entre certains adolescents appartenant à « des catégories populaires » et
l'institution scolaire au niveau du collège. Ils ont rencontré vingt adolescents dits « en
situation de ruptures scolaires ». S’ils choisissent de parler de ruptures scolaires plutôt que de
déscolarisation ou de décrochage scolaire, c'est, entre autres, parce que, cette terminologie
« autorise la prise en compte du rejet réciproque » entre l'adolescent et l'institution (2005,
p9). Ils insistent sur le fait que des ruptures diverses entrent en jeu dans le rapport des
adolescents à l'institution scolaire : « les parcours de ruptures s'enracinent dans de multiples
ruptures, plus ou moins brutales ou progressives, tout à la fois avec les apprentissages
scolaires, avec les agents de la scolarisation, avec les règles et les normes scolaires. » (2005,
p9). Ils soulignent cependant que « même (les collégiens) les plus avancés dans un processus
de ruptures scolaire montrent par la forte ambivalence (du lien) qu'ils continuent de
manifester à l'égard de l'école, que la rupture avec l'école n'est jamais entièrement
consommée. » (2005, p10).
Dans cette optique le décrochage scolaire serait à envisager comme un parcours de
ruptures entre l'élève et l'institution de formation mais qui n'aboutit que rarement à un
décrochage complet du fait d'un lien ambivalent entre rejet et accrochage avec le système
scolaire.
M. Millet et D. Thin remarquent que la majorité des adolescents rencontrés présente
des difficultés d'apprentissage scolaire depuis l'élémentaire et que ces difficultés
« n'apparaissent jamais seulement comme une conséquence mais comme constitutif des
parcours de ruptures scolaires. » (2005, p105). M. Millet et D. Thin notent que tous les
collégiens en difficulté au niveau des apprentissages scolaires ne s'inscrivent pas dans un
parcours de ruptures scolaires ce qui semble indiquer que d'autres facteurs doivent être pris
en compte. Plusieurs auteurs (M. Millet & D. Thin, 2005 ; E. Douat, 2011) repèrent une
pratique langagière éloignée du langage attendu par le système scolaire qui témoigne d'une
certaine rupture avec la culture scolaire. Plus précisément, M. Millet et D. Thin, remarquent

24
que « le langage employé par les collégiens dans les entretiens relève souvent de ce que B.
Lahire appelle le langage oral-pratique, c'est à dire un langage fortement lié au contexte
d'énonciation et au contexte de référence des locuteurs et dont l'usage est ancré dans le
faire. » (2005, p132). Ils notent également que souvent les situations « sont mimées plus que
décrites » (2005, p133) oralement. Chez ces adolescents le corps serait donc plus mis à
contribution dans la communication avec l'autre. Plusieurs auteurs remarquent que les
adolescents décrocheurs ou sur le fil du décrochage scolaire tendent à se soustraire à la
« discipline du corps » (E. Douat, 2011) demandée et promue dans le champ scolaire (V.
Melin, 2016 ; B. Mabilon-Bonfils, 2009 ; E. Douat, 2011). Une grande part des adolescents
en décrochage scolaire manifeste une agitation en classe ou au contraire une grande passivité
en rupture avec la position attendue de l'élève attentif et mobilisé dans les apprentissages
scolaires. M. Millet et D. Thin évoquent une « propension à l'action » pour désigner une
tendance repérée chez l'ensemble des 20 collégiens rencontrés à se lancer dans l'exécution de
la tâche sans avoir pris le temps nécessaire de préparation, d'exercice et d'intégration de la
consigne scolaire. « Tout se passe comme si l'action ne pouvait être différée et devait être
mise en œuvre sans les détours et la distance qu'imposent justement la logique scolaire »
(2005, p148). Les élèves présentant un fort absentéisme (E. Douat, 2011) ou inscrits dans un
parcours de ruptures scolaires (M. Millet & D. Thin, 2005) manifestent donc un décalage par
rapport aux dispositions cognitives et comportementales attendues par l'institution scolaire. Il
est possible de considérer que ce décalage favorise, en même temps qu'il témoigne de, la
rupture avec l’institution scolaire et ses représentants.

Parmi les acteurs et représentants du système scolaire, ce sont logiquement les


enseignants qui seront particulièrement confrontés, au quotidien de la relation aux élèves, à
cette rupture par rapport à la posture d'élève attendue. Il semblerait par ailleurs, d'après
plusieurs études, que la qualité de la relation que l'élève entretient avec ses professeurs joue
un rôle majeur dans l'évolution du processus de décrochage scolaire.

Nous nous intéresserons donc à la façon dont cette rupture se joue dans la relation
élève-enseignant.

25
II. Décrochage scolaire et rupture telle qu'elle se joue dans la relation entre l'enseignant
et l'élève

1. Vers une prise en compte du transfert pour comprendre le vécu des adolescents
décrocheurs dans la relation aux enseignants :

Les adolescents inscrits dans un processus de décrochage scolaire portent souvent un


regard particulièrement critique sur les enseignants et la qualité de la relation avec eux (M.
Virat, 2015). Ainsi plusieurs études conduites en France auprès d'adolescents en décrochage
scolaire ou dans un parcours de ruptures scolaires mettent en évidence que les adolescents
expriment un sentiment d'exclusion, d'injustice et de rejet de la part des enseignants ( Bazard,
Bonnery & Martin, 1999 ; P. Y. Bernard & C. Michaud, 2014 ; C. Blaya, 2010). Une étude
longitudinale de S. Fallu et M. Janosz (2003) conduite au Quebec à partir d'une population de
cent trente quatre adolescents âgés de 12 à 18 ans dits à risque de décrochage scolaire,
consistait en deux évaluations à six mois d'intervalle: une première étape d'évaluation de la
relation enseignant-enseigné et une deuxième étape d'évaluation du risque de décrochage
scolaire six mois après à l'aide de questionnaires. Les résultats indiquaient qu'une relation
chaleureuse et peu conflictuelle diminue le risque de décrochage scolaire. Par ailleurs, les
élèves identifiés comme étant le plus à risque de décrochage scolaire semblaient être ceux qui
bénéficiaient le mieux d'un relation positive avec les professeurs. D'autres études vont dans
ce sens indiquant que l'impression d'entretenir avec son enseignant des relations chaleureuses
et de pouvoir compter sur son soutien empêche la motivation pour les apprentissages
scolaires de fléchir (K. R. Wentzel, 1999 ; J. L. Gurtner, I. Monard & P. Genoud, 2001).
Dans une perspective orientée par la psychanalyse, ces études ont le mérite, nous
semble-t-il, d'attirer l'attention sur l'importance d'établir un lien transférentiel positif dans la
relation entre l'élève, ou les élèves, et l'enseignant. Les résultats des différentes études qui
convergent pour souligner l'importance de l'instauration d'un lien de confiance et d'étayage
entre l'enseignant et l'élève (M. Virat, 2015) font écho au constat que fait A. Aichhorn, dans
un article paru en 1932. À partir de sa pratique de conseiller pédagogique dans le cadre de
« consultations pédagogiques à orientation psychanalytique » auprès d'enfants et
d'adolescents qui « manquent l'école, ne font pas leur devoir, ne travaillent pas en classe,
dérangent les autres pendant les cours », il constate déjà que « dans des centaines de cas »
lui et ses collègues ont « pu offrir une aide tout à fait suffisante, sans employer de recette
miracle, simplement en gagnant la confiance des enfants qui (leurs) étaient amenés. »

26
(1932/2003, p222). Il écrit : « Nous comprenions leurs peines et leurs soucis et nous leurs
offrions la possibilité d'exprimer leur besoin de tendresse insatisfait. » (1932/2003, p222).
Les travaux d'orientation analytique portant sur l'éducation scolaire (S. Freud, 1914 ; W.
Kuendig, 1927 ; H. Zulliger, 1930 ; M. Cifali, 1994 ; C. Blanchard-Laville, 2001 ; J. Filloux,
1996 ; Ph. Lacadée, 2013) reconnaissent et étudient la mise en jeu du transfert dans la
relation enseignant-élève(s), ainsi que l'influence du transfert sur la façon dont l'élève investit
les apprentissages scolaires.

2. Une brève définition du transfert mis en jeu dans la relation enseignant-élève :

Nous définissons le transfert, selon la proposition de J. Laplanche et J. B. Pontalis


(1988), comme l'actualisation de motions inconscientes (désirs, affects, fantasmes) à travers
la répétition d'expériences subjectives infantiles, qui survient dans un cadre relationnel
particulier et de façon privilégiée dans la cure analytique. Ces désirs et plus généralement
ces motions inconscientes ressurgissent avec pour le patient (et peut être pour l'analyste aussi
mais différemment) « un sentiment d'actualité marqué » (J. Laplanche & J. B. Pontalis, 1988,
p492). Elles sont rejouées dans la cure par l'intermédiaire d'un déplacement sur la personne
de l'analyste. Dans le transfert, le patient tend à assimiler inconsciemment l'analyste à une
imago (paternelle, maternelle, fraternelle) autorisant ainsi le déplacement (ou le transfert) et
la réactualisation des motions qui lui sont liées sur la personne de l'analyste. Freud
considère ce phénomène comme un outil précieux pour l'analyste qui lui permettra de
soutenir le patient dans l'accession à ses désirs refoulés, ceci, notamment, par l'interprétation
toujours délicate du transfert. Selon J. Laplanche et J. B. Pontalis, « lorsque Freud parle de
répétition dans le transfert des expériences du passé, des attitudes envers les parents, etc …
cette répétition ne doit pas être prise au sens réaliste qui limiterait l'actualisation à des
relations effectivement vécues ; d'une part ce qui est essentiellement transféré c'est la réalité
psychique, à savoir, au plus profond, le désir inconscient et les fantasmes connexes ; d'autre
part, les manifestations transférentielles ne sont pas des répétitions à la lettre, mais des
équivalents symboliques de ce qui est transféré. » (1988, p497). Freud distingue un transfert
positif charriant des sentiments tendres (amour, amitié, confiance ...) à l'égard de l'analyste et
un transfert négatif associé à des sentiments hostiles (haine, suspicion ...).
Selon Freud le transfert n'est manifestement pas étranger à ce qui se passe dans la
relation entre l'élève et l'enseignant. En témoigne son intervention en 1914 dans une
conférence à l'occasion du 50ème anniversaire de son ancien lycée. Il soutient dans son

27
discours, essentiellement à partir de sa propre expérience d'élève lycéen sur laquelle il revient
''après coup'', l'idée selon laquelle les enseignants (des hommes dans leur grande majorité)
font l'objet d'un transfert qui consiste pour les jeunes hommes adolescents à déplacer vers eux
les mouvements de haine et d'amour initialement dirigés vers les imagos parentales, et avant
tout l'imago paternelle. Freud insiste sur le déclin de l'imago paternelle du fait de sa
désidéalisation qui caractérise la période adolescente et postule : « nous transférions le
respect et les attentes que nous nourrissions à l'endroit du père omniscient de nos années
d'enfance et nous nous mettions à les traiter à l'instar de nos pères à la maison. Nous les
gratifions de l'ambivalence (de positions, des sentiments) acquise dans notre famille, et forts
de cette position, nous luttions avec eux comme nous étions habitués de lutter avec nos pairs
selon la chair » (S. Freud, 1914/2013, p210).
Les auteurs qui s'intéressent à la pédagogie sous un angle de vue psychanalytique,
s'interrogent sur l'utilisation que doit faire le professeur des mouvements transférentiels et
contre-transférentiels qui naissent dans sa relation avec les élèves. W. Kuendig (1927), dans
sa pratique d'enseignant des sciences naturelles, tentait de susciter un transfert positif avec
certains élèves qui désinvestissaient les apprentissages scolaires. Selon lui l'investissement du
cours, voire de la matière, passe par l'investissement de la personne du professeur à travers
les mouvements transférentiels positifs. Il est attentif également à préserver une distance
adaptée avec certains élèves lorsqu'il sent que le transfert est trop fortement positif. H.
Zulliger (1930) se référant aux travaux de S. Freud autour du groupe (essentiellement
« Totem et Tabou », 1923), émet l'idée que l'enseignant doit chercher à représenter pour les
élèves un guide, « un chef aimé de la horde fraternelle » (1930/2000, p117). L'enjeu est de
souder le groupe d'élèves autour d'un guide incarné par le professeur, et ainsi créer une
communauté favorable à un climat d'apprentissage. Nous voyons là une conception de la
pédagogie qui suppose de susciter un transfert à caractère groupal.
Plus récemment, des chercheurs exerçant dans le champ des sciences de l’éducation
(M. Cifali, 1994 ; C. Blanchard-Laville, 2001 ; J. Filloux, 1996) ont montré combien les
mouvements transférentiels participent de la relation entre l'enseignant et les élèves. C.
Blanchard-Laville (2001) suppose que le dispositif scolaire suscite l'émergence de
phénomènes transférentiels dans la mesure où il fait intervenir un adulte, l'enseignant,
positionné par l'institution scolaire comme représentant du savoir pour des enfants ou des
adolescents en position d'élève, c'est à dire dans l'attente (ou supposés dans l’attente) d'un
savoir. Cette attente de savoir n'étant, au fond, pas seulement l'attente d'un savoir scolaire.
Selon elle, si le professeur est mis en place de « sujet supposé savoir » par l'élève, alors il

28
sera susceptible d'être le destinataire de mouvements transférentiels marqués inévitablement
par l'ambivalence. Dans ces conditions l'élève va adresser à l'enseignant implicitement
« toute une série de demandes imaginaires ... façonnées, selon son mode à lui, par son passé
et, en particulier structurées selon le schéma prototypique de ses demandes anciennes aux
imagos parentales » (C. Blanchard-Laville, 2001, p150). Dans ses réflexions autour du
transfert, C. Blanchard-Laville, s'étaye sur le développement du concept de transfert proposé
par Lacan : selon lui « chaque fois que cette fonction (de sujet supposé savoir) peut être, pour
le sujet incarnée dans qui que ce soit, analyste ou pas, il en résulte … que le transfert est
d'ores et déjà fondé. » (In C. Blanchard-Laville, 2001, p150). Cette conception de la situation
transférentielle trouve un écho, une correspondance, nous semble-t-il, dans la conception du
« champ pédagogique » selon C. Rabant (1968). Ainsi, le champ pédagogique serait, selon
lui, « un espace constitué par l'intervention d'une fonction de savoir en tant qu'un pédagogue
la représente pour un (des) élève(s). » (1968/2000, p79). Selon C. Rabant (1968), il y a
pédagogie lorsque les désirs de l'enseignant entrent en correspondance avec ceux de l'élève
dans la situation d'enseignement. Le désir de savoir propre à l'élève va trouver une réponse
particulière chez l'enseignant en fonction de la façon dont celui-ci va soutenir cette fonction
de savoir, ou autrement dit, en fonction du rapport que l'enseignant entretient avec le savoir.
C. Blanchard-Laville (2001) insiste sur le fait que le rapport de l'enseignant au savoir va
déterminer le climat affectif instauré dans le groupe classe. L'avènement des phénomènes
transférentiels et contre-transférentiels sera déterminé par la rencontre ou la non-rencontre
entre les désirs inconscients de l'élève et ceux du professeur en rapport étroit avec la question
du savoir et de sa transmission. Il s'agira maintenant d'étudier comment les désirs de chacun
se croisent dans la relation entre l'enseignant et l'(les) élève(s). Pour ce faire, nous nous
étayerons essentiellement sur le modèle du ''contrat pédagogique'' proposé par J. Filloux
(1996).

3. Une condition pour que se développe un transfert positif dans la relation enseignant-élève :
le ''contrat pédagogique'' ?

J. Filloux (1996) propose de concevoir la relation pédagogique comme fondée sur un


contrat implicite noué autour d'un lien d'amour réciproque et d'identification mutuelle. Ce
contrat n'est possible qu'à condition que se crée l'illusion nécessaire d'une complémentarité
des positions respectives de l'élève et de l'enseignant. Ce contrat implicite aurait comme
fonction fondamentale de voiler dans une certaine mesure la répartition des places impliquant

29
une soumission des élèves et une domination du professeur. Cette répartition en terme de
dominant-dominé serait la résultante d'un premier contrat dont J. Filloux formule les termes
ainsi : l'enseignant est « là pour enseigner quelque chose » aux élèves et les élèves sont « là
pour apprendre quelque chose » (1996, p314). Selon cette configuration l'élève ne se
soumettra qu'à condition que l'enseignant lui apprenne quelque chose. Il s’agit donc en
principe d’un échange, mais, selon J. Filloux, une telle configuration dériverait
inévitablement vers un rapport de supérieur (enseignant détenteur du savoir à inculquer) à
inférieur (élève qui a « le devoir d'être enseigné ou éduqué ») qui tendrait à devenir une
relation dominant-dominé. Il y a dérive vers une relation où il n’est plus question d'échange,
mais d’inculcation d'un savoir scolaire qui n'admet pas le questionnement, positionnant
l’élève comme réceptacle. Ce premier contrat instituant un rapport de soumission-domination
doit être voilé sous peine de faire dériver la relation enseignant-enseignés vers une situation
intenable où l'enseignant se trouve isolé du groupe d'élève et impuissant en tentant de tenir sa
position de domination. Ceci aura pour effet, du côté des élèves, de susciter des
comportements de révolte, de guerre et/ou adopter la position de « victime » du dictateur
enseignant.
Pour éviter cette dérive tragique et notamment éviter de se confronter aux pulsions
agressives mises en jeu dans la relation pédagogique, enseignant et élèves substituent à ce
premier contrat un deuxième contrat implicite. Celui-ci consiste en un échange qui peut être
résumé ainsi : l'enseignant fait don de lui-même à travers la transmission du savoir ce qui
appelle en retour le don de soi de l'élève par la soumission. Ce nouveau contrat ne peut se
former que si se crée l'illusion d'une complémentarité des natures et des désirs entre
l'enseignant et l'enseigné qui suppose que le don de l'enseignant va forcément combler les
besoins de l'enseigné. Cette illusion repose sur un lien d'identification, qui consiste pour
l'élève à s'identifier à « l'image idéale de soi élève » que l'enseignant projette sur lui (J.
Filloux, 1996, p316) . De son côté, l'enseignant identifie lui aussi l'élève dans ce sens, ce qui
a pour effet de créer « l'illusion (partagée, dans une certaine mesure, entre l'élève et le
professeur) d'annuler la différence entre l'élève réel et l'élève prévu » (J. Filloux, 1996, p316)
par l’enseignant. L'enseignant va donc chercher à se faire aimer et susciter chez les élèves des
mouvements transférentiels chargés d'amour, mais cette entreprise n’est pas sans danger. En
effet, l'enseignant risque d’être débordé par les affects et les pulsions qui naissent dans la
relation aux élèves qui le mettent à cette place « d'objet d'identification et d'amour » et perdre
la bonne distance relationnelle propice à la transmission du savoir. Pour se prémunir du
débordement il tente de composer (composition théâtrale) et interpréter le rôle d’un

30
personnage séduisant qui attire à lui mouvements transférentiels identificatoires. L'enseignant
introduit ainsi une distance relationnelle en interposant entre lui et ses élèves un masque, une
mise en scène qui lui garantit un sentiment de maîtrise à minima sur ce qui se passe dans la
relation. Il pense « ce que vous allez aimer n'est qu'un leurre, un manteau d'Arlequin, un
simulacre d'objet. Ce transfert n'est qu'une arlequinade » (J. Filloux, 1996, p324). Il se
garantit également de ne trop s'aliéner dans une relation transférentielle dont il faudra qu'il se
détache inévitablement à la fin de l'année scolaire. Finalement la position de l'enseignant
serait proche de la manière dont Socrate fait fonction d'« éducateur » (M. Autiquet, 2000) :
« Socrate est un séducteur, un amoureux qui fait rendre contagieux son désir et inspirer
l'amour, mais l'amour devant lequel il se dérobe et qu'il ne peut satisfaire : il est décevant, et
c'est en cela, d'abord, qu'il est éducateur. » (p38).
Selon J. Filloux (1996), ce processus qui consiste à substituer à un contrat trop
marqué par la dissymétrie entre dominant et dominé, un autre contrat implicite basé sur
l'identification, la séduction et l'amour, est à l’œuvre dans toute relation professeur – élève.

Prenant en considération les études précitées qui semblent indiquer qu'un grand
nombre d'adolescents inscrits dans un processus de décrochage scolaire portent un jugement
négatif sur leurs professeurs, nous pouvons supposer qu'il est difficile pour de tels
adolescents de nouer une relation transférentielle positive avec les enseignants et s'inscrire
dans un ''contrat pédagogique''. En nous étayant sur cette modélisation du ''contrat
pédagogique'' proposé par J. Filloux (1996), il est possible de mettre du sens sur ce qui se
passe entre le professeur et l'adolescent en décrochage scolaire, lorsqu'une une relation
conflictuelle s'installe ou lorsqu'il y a un désinvestissement réciproque de la relation. Nous
verrons que les difficultés relationnelles pourraient survenir lorsque élève et professeur ne
peuvent s'inscrire dans une identification réciproque "suffisamment bonne".

4. Transfert en panne et/ou transfert négatif dans la relation conflictuelle enseignant-élève :


Une identification impossible ?

J. Filloux (1996), nous l'avons vu, mais aussi B. Pechberty (1999) insistent sur la
nécessité que s'installe un jeu identificatoire entre les élèves et l'enseignant pour que se crée
la relation pédagogique.

31
Dans l’optique d’étudier ce jeu (identificatoire) il convient de donner une première
définition de l’identification au sens psychanalytique du terme, notion que nous
développerons tout au long de notre travail théorique.
Il s’agit d’un « processus psychologique par lequel un sujet assimile un aspect, une
propriété, un attribut de l'autre et se transforme, totalement ou partiellement, sur le modèle
de celui-ci. La personnalité se constitue et se différencie par une série d'identifications. » (J.
Laplanche & J. B. Pontalis, 1988, p187). Freud « distingue trois modes d'identification :
a) comme forme originaire de lien affectif à l'objet. Il s'agit là d'une identification
préœdipienne marquée par la relation cannibalique d'emblée ambivalente.
b) comme substitut régressif d'un choix d'objet abandonné ;
c) en l'absence de tout investissement sexuel de l'autre, le sujet peut néanmoins s'identifier à
celui-ci dans la mesure où ils ont en commun un élément (désir d'être aimé par exemple) :
par déplacement c'est sur un autre point que se produira l'identification (identification
hystérique). » (J. Laplanche & J. B. Pontalis, 1988, p189)

Du côté de l'enseignant, le jeu identificatoire consisterait toujours, dans des mesures


variables selon les enseignants, à chercher inconsciemment à identifier les élèves à une
« image idéale de soi-élève » (J. Filloux, 1996). Selon B. Pechberty « dans sa façon d'aimer
sa discipline et de vouloir transmettre l'enseignant s'appuie sur des identifications
inconscientes : il a construit sur leurs bases des images idéales d'un enfant à éduquer, qu'il a
été ou désiré être » (1999, p32). Lorsque l'élève s'écarte significativement de cette « image
idéale d'un enfant à éduquer », par ce qu'il manifeste concrètement (attitude, comportement)
dans la relation à l'enseignant, alors l'enseignant le vit comme un empêchement d'accès à
minima à un sentiment ou une illusion nécessaire, de complétude narcissique, fruit d'une
jonction entre l'image idéale de soi-enseignant et l'image idéale de soi-élève. C’est dans ce
contexte que les difficultés relationnelles seraient susceptibles d’apparaître. Ces difficultés
proviennent du fait que « les identifications mutuelles ne soutiennent plus la transmission et
les apprentissages, (donc) la perte des repères envahit la situation éducative » (B. Pechberty,
1999, p33). B. Pechberty observe que l'enseignant a tendance à avoir recours, dans ces
situations, au mécanisme de défense du clivage, séparant ainsi « les dimensions
professionnelles et personnelles de la personnalité et les empêchant de communiquer. »
(1999, p30). Il remarque également deux réactions défensives typiques des enseignants : « le
repli et l'effacement de la personne de l'enseignant derrière le savoir disciplinaire ou le
recours dominant à l'affectif et au vécu qui envahit la pratique pédagogique. » (1999, p30).

32
Selon J. Y. Rochex (1998), c'est l'identification au professeur venant enrichir
l'instance de l'idéal du moi qui vient donner du sens à « l'expérience scolaire » et participe de
l'investissement de la relation pédagogique. Selon lui, l'élève s'identifie au professeur dans la
mesure où il perçoit que celui-ci est porteur d'une propriété qui, une fois assimilée par le biais
de l'identification, le rapprochera du modèle caractéristique de son idéal du moi. L'idéal du
moi est défini par J. Laplanche et J. B. Pontalis comme une « instance de la personnalité
résultant de la convergence du narcissisme (idéalisation du moi) et des identifications aux
parents, à leurs substituts et aux idéaux collectifs. » (1988, p183). Pour pouvoir s'identifier
au professeur il faudrait que l'élève perçoive plus ou moins consciemment une
correspondance entre son idéal du moi et le « scénario pédagogique » (C. Blanchard Laville,
2001) proposé par le professeur. Autrement dit la façon dont l'enseignant met en scène son
rapport au savoir ainsi que la nature de ses attentes à l'égard des élèves doivent raisonner avec
l'idéal du moi de l'élève. Dans ce cas, nous dirions qu'il y a identification, au sens de la
reconnaissance d'une ressemblance, dans la mesure où il y a partage d'idéaux communs. Les
situations conflictuelles surviennent quand ce que donne à voir et à entendre l'enseignant est
ressenti par l'élève comme trop distant de cette instance qui constitue « un modèle auquel le
sujet cherche à se conformer » (J. Laplanche & J. B. Pontalis, 1988, p184). L'élève serait
particulièrement susceptible de s'identifier à l'enseignant, lorsqu'il éprouve, à minima, un
sentiment d'amour (érotisé à des degrés divers) teinté d'idéalisation et mêlé au sentiment de
partager un « élément commun » (B. Pechberty, 1999) intervenant dans la constitution de
l'idéal du moi. Si nous nous basons sur l'identification « comme substitut régressif d'un choix
d'objet abandonné » (J. Laplanche & J. B. Pontalis, 1988, p187) nous pouvons émettre
l'hypothèse que l'élève qui s'identifie au professeur, l'a d'abord investi comme objet d'amour.
Dans un deuxième temps, l'élève renonce à l'enseignant comme objet d'amour et substitue à
cet amour une identification qui vient enrichir l'instance de l'idéal du moi. Nous retrouvons
encore ici la position socratique de l'éducateur qui attire à lui l'amour du disciple, donc le
séduit, pour ensuite le décevoir, favorisant ainsi l'identification. L'identification va donc
dépendre de l’attitude du professeur et surtout de sa réponse au désir voire à la demande
d’identification de l'élève. S'inspirant du travail de O. Mannoni (1985), J. Y. Rochex (1998)
suppose que le passage par une certaine "désidentification" élève-enseignant est nécessaire
pour que se réalise l’identification enrichissant l’idéal du moi. Il postule que l'élève doit
pouvoir percevoir que le trait qu’il désire emprunter à l’enseignant n’est actuellement pas
tout à fait accessible (c’est la désidentification), ceci tout en désirant et nourrissant la
certitude inconsciente qu'un jour, dans un futur proche ou lointain, l'identification sera

33
effective et complète. Cette combinaison des caractères d’inaccessibilité et d’espoir serait la
condition pour que l’identification se déplace du moi vers l’idéal du moi. Selon O. Mannoni
(1985), l'identification qui dans un premier temps est agissante au niveau de l'imaginaire - le
moi étant considéré dans une perspective lacanienne comme inscrit dans le registre de l'image
– passe, par le biais du processus de désidentification, dans le registre symbolique en
s'intégrant dans l'idéal du moi. Par cette opération l'identification acquiert une plus grande
force et stabilité, restant agissante quelque soit le contexte relationnel. J. Y. Rochex écrit que,
lorsque le processus de désidentification se déroule bien, l'identification peut intégrer la
formation de l'instance de l'idéal du moi et « s'émancipe, dès lors, de la relation d'objet (ici
relation enseignant-élève) à laquelle elle s'est substituée » (1998, p66). J. Y. Rochex écrit que
« L’activité dans laquelle se réalise l’identification initiale » peut se développer « tout en
étant promue à un registre de pertinence indépendant de la relation intersubjective dans
laquelle s’est nouée cette identification initiale » (1998, p69). Les identifications acquièrent
ainsi « une universalité qui permet au sujet d’exercer leur efficace dans d’autres activités,
d’autre situations, d’autres rapports intersubjectifs. » (p69). Ce type d'identification mise en
jeu dans la relation à certains professeurs, par l'empreinte qu'elle laisse sur l'idéal du moi,
jouerait durablement sur l'intensité et le mode d'investissement des activités scolaires et
notamment sur le sens que donne l'élève à l'expérience scolaire.
Pour que ce processus d'identification opère, l’attitude de l’enseignant est
déterminante, elle pourrait consister à se proposer comme modèle identificatoire toujours
inaccessible (ce qui implique une déception chez l'élève et sûrement aussi chez l'enseignant)
tout en laissant entendre aux élèves que le champ des possibles reste ouvert, ce qui leur
permet de nourrir l'espoir d'une identification et d’un accès futur au savoir qui leur échappe
pour l’instant. L'identification sera par contre empêchée si le professeur laisse par-exemple
entendre à l'élève qu'il ne pourra jamais lui ressembler. Dans un contexte d'échec scolaire cela
pourrait être : « tu ne pourras pas acquérir les compétences, la maîtrise scolaire qui me
caractérisent. ». Si l'élève perçoit une telle réponse négative à son désir d'identification, le
risque est qu'il abandonne l'identification et désinvestisse l'activité d'apprentissage et/ou qu'il
nourrisse à l'égard de l'enseignant un vif ressentiment facteur de conflit.

B. Pechberty (1999) soutient une autre conception du jeu identificatoire entre


professeur et élève(s), mais qui nous semble faire écho aux propositions de J. Y. Rochex
(1998). Selon B. Pechberty, pour que se construise un lien professeur-élève(s) favorable à la
transmission du savoir, il est nécessaire que l'enseignant occupe une « place d'adulte » aux

34
yeux des élèves se positionnant donc dans la différence des générations et soutenant cette
différence. Occuper une « place d'adulte » renvoie notamment à se référer à des modèles et
des valeurs susceptibles d'être associés au monde adulte. Se positionnant et étant positionné
par les élèves et l'institution scolaire à cette place d'adulte, l'enseignant remplirait de fait la
fonction d'« un pôle d'identification » qui « même effacé ou rejeté est latent et organisateur ».
B. Pechberty souligne que « cette place d'adulte est à la fois mythique et réelle pour les
partenaires du rapport pédagogique. Mythique car être adulte constitue un axe
d'identification et d'idéalisation jamais achevé pour l'enseignant comme pour les élèves.
Réelle car être adulte ouvre aux jeunes des expériences nouvelles : choix de vie sociaux et
affectifs » (1999, p32). Il ajoute que cette « possibilité de projection dans l'avenir », dans une
future position d'adulte (imaginons l'adolescent qui pense « quand je serais adulte »)
« renvoie inconsciemment les élèves au passage entre le moi-idéal et l'idéal du moi, vers
l'épreuve de réalité » (1999, p32).
Ainsi, J. Y. Rochex et B. Pechberty, chacun à leur manière, montrent qu'un certain
type d'identification au professeur enrichissant l'idéal du moi joue un rôle majeur dans
l'investissement des apprentissages scolaires et plus particulièrement dans l'investissement de
ce que nous pouvons appeler la relation pédagogique.
Au vu de ces analyses, il est possible de mettre du sens sur ce qui pose problème dans
la relation entre l'adolescent en décrochage scolaire et l'enseignant. Nous pourrions envisager
que l'adolescent par son attitude, sa position décalée par rapport aux attentes du système
scolaire s'écarte significativement de l'image idéale du soi-élève de l'enseignant et que, dans
ces conditions, le jeu d'identifications mutuelles est généralement plus difficile à construire. Il
s'agit peut-être aussi, au niveau psychique, d'un écart trop grand entre l'idéal du moi de l'élève
et ce qu'attendent de lui les professeurs et l'institution scolaire. C'est à dire que l'adolescent ne
pourrait reconnaître ce à quoi il aspire profondément (en rapport intime avec l'idéal du moi)
dans la position d'élève qu'exige de lui l'institution scolaire et les professeurs. Ainsi l'activité
scolaire et la posture d'élève au collège, en n'étant plus soutenue par l'idéal du moi, perd de
son sens pour l'adolescent. Dans ces conditions, il y a de fortes chances que les exigences
scolaires implicites et explicites soient ressenties par l'adolescent comme une tentative de lui
imposer une manière d'être trop éloignée voire en contradiction avec ce qu'il est, son identité
et ce à quoi son moi aspire idéalement. L'adolescent inscrit dans cette situation problématique
aura tendance à assimiler l''être élève'' à être changé contre son gré ou être déformé par
l'institution scolaire, et en premier lieu par ceux perçus comme les représentants directs ou les
exécutants du système scolaire, à savoir, les professeurs. Nous faisons ici particulièrement

35
référence aux adolescents collégiens évoqués par J. Y. Rochex (1998) qui vivent les
injonctions scolaires comme une injonction insupportable « que tout change ». Nous pouvons
supposer que ces adolescents seront plus susceptibles que les autres de vivre les interventions
des professeurs, leurs tentatives d'échanges et de faire respecter un cadre, comme des abus de
pouvoir ou des manœuvres séductrices visant à les manipuler pour les orienter vers une
attitude scolairement prescrite. Par ailleurs, nous avons vu que de nombreux enseignants en
difficulté avec certains élèves auraient effectivement recours à une certaine séduction ou à
une domination par la force, ce qui viendrait alimenter les soupçons de malveillance que
nourrit l'adolescent à l'égard des professeurs.
En somme, certains adolescents auraient tendance à assimiler la ''posture d'élève'' à la
menace d'une expérience de passivité insupportable dans la position (passive) d'être changé-
déformé, d'être dominé et d'être séduit, en premier lieu, par les professeurs.
Dans ces conditions, certains adolescents peuvent opter pour le rejet catégorique de la
posture d'élève et la résistance ''coûte que coûte'' au conformisme scolaire ce qui ne manque
pas de créer du conflit dans la relation à certains professeurs. Le risque pour l'élève et ses
professeurs est de tomber dans une spirale de guerre quotidienne aboutissant à une entente
plus ou moins tacite entre l'élève et certains de ses professeurs sur la base d'un rejet mutuel.
Dans le cas des adolescents en rupture scolaire, Millet et D. Thin (2005) observent que « les
conflits (avec les professeurs) montent généralement en puissance et s'enferment dans une
sorte de circularité » (p196) c'est dire que les sanctions des enseignants entraînent des
« représailles » de la part des élèves qui se trouvent, en retour, sanctionnés et ainsi de suite
selon une spirale négative. Cette relation peut aller jusqu'à une « connivence hostile ... au
sens où les protagonistes sont à peu près d'accord sur leur incompatibilité au point
d'anticiper les événements voire de les provoquer » (2005, p197). Les auteurs déduisent de
leurs observations que, sans être à l'origine des ruptures scolaires, la « cristallisation des
conflits et des hostilités » entre élèves et enseignants accélère le processus de rupture
scolaire.
Compte tenu de ces éléments, nous étudierons dans les deux prochains chapitres
comment la position d'élève au collège peut être perçue comme une position passive
insupportable par certains adolescents.

36
III Des changements difficilement intégrables lors du passage au collège :

Le passage au collège implique un changement d'environnement qui consiste


notamment dans l'anonymisation des bâtiments (E. M. Anderman & M. L. Maehr, 1994) par
rapport à l'élémentaire où les bâtiments sont décorés par les élèves qui s'approprient ainsi
d'avantage l'espace. Les bâtiments sont plus grands avec un nombre d'élèves et de classes
plus importants, les nouveaux élèves sont donc tenus de faire plus appel à leur sens de
l'orientation et de l'organisation pour ne pas se perdre dans l'espace scolaire et l'emploi du
temps. Sur le plan de la relation avec les camarades de classe, K. R. Wentzel (1992) repère
une augmentation de la rivalité et de la compétition. Ceci fait écho au discours du sociologue
F. Dubet (2009), qui présente le collège comme un lieu de compétition constante entre les uns
et les autres, stimulée par l'omniprésence des évaluations et des contrôles. Sur le plan de la
relation avec les parents, l'école élémentaire par rapport au collège communiquerait mieux et
plus continuellement avec les parents favorisant ainsi l'implication des parents dans la
scolarité de leur enfant (J. S. Eccles & R. D.Harold, 1993).
Un grand changement marque la relation à l'enseignant puisque les enseignants se
multiplient en fonction des matières étudiées. Ainsi N. Catheline relève que « en entrant en
sixième, les jeunes collégiens sont confrontés tout d'un coup à une multiplicité de matières,
enseignées par différents professeurs, avec des méthodes pédagogiques des plus diverses.
Cette petite révolution les oblige à passer rapidement d'une matière à l'autre sans transition.
Ils doivent donc apprendre à s'adapter à ces changements et faire preuve en même temps de
réactivité pour passer d'un style à l'autre. » (2016, p79). Le lien instauré avec l'enseignant(e)
de primaire serait donc différent dans la mesure où seul cette personne remplit la fonction de
transmission du savoir pendant une (parfois deux) années scolaires. Dans ce dispositif l'élève
est plus susceptible de trouver un étayage dans la relation à l'enseignant(e) étant donné
qu'élève et enseignant ont eu le temps d'apprendre à se connaître et s'adapter mutuellement
l'un à l'autre. Ce dispositif est selon W. Kuendig (1927) plus propice à l'émergence du
transfert, postulant que « plus le maître à l'occasion de s'occuper de ses élèves, plus la
connaissance réciproque progresse et donc aussi le transfert » (M. Cifali & J. Moll, 1985,
p168). Compte tenu de ce changement (et du changement propre à l'adolescence que nous
étudierons dans le dernier chapitre) il semble logique que les mouvements transférentiels en
jeu dans la relation élève(s)- enseignant(s) ne soient pas les mêmes en élémentaire et au
collège. En élémentaire l'enseignant(e) est le destinataire de prédilection des mouvements
transférentiels des élèves tandis qu'au collège ce serait plus la diffraction du transfert qui

37
serait en jeu. C'est ainsi que nous comprenons les propos de M. Cifali et J. Moll (1985)
résumant la conception de W. Kuendig (1927) concernant la mise en jeu du transfert dans la
relation enseignant-élève au niveau « des écoles moyennes – correspondant aux collèges et
lycées d'enseignement secondaire français - » (M. Cifali & J. Moll, 1985, p168)
comparativement à ce qui se joue à l'école primaire. Selon W. Kuendig (1927) le passage de
l'enseignant unique à l'école primaire à la configuration d'un enseignant par matière dans le
secondaire fait « éclater le caractère familial de la classe. » (M. Cifali & J. Moll, 1985,
p168). Il se produirait un « éclatement de la symbiose que formaient le maître unique et sa
classe relativement peu nombreuse » corrélé à « une sorte de morcellement où les élèves sont
contraints d'émietter leur capacité de transfert sur chacun de leurs nombreux maîtres, avec
qui ils passent bien moins de temps en cours » (M. Cifali & J. Moll, 1985, p168).
Au collège, l'élève doit être plus autonome dans ses activités scolaires, cela fait partie
des attentes de l'institution dont les enseignants se font le relais. R. Gasparini, O. Joly-
Rissoan et M. Dalud Vincent (2009) observent que le « terme d'autonomie est devenu
incontournable dans le discours des enseignants qui préfèrent ce terme à celui de discipline
(mot qui leur paraît trop dur et inadéquat aux pratiques actuelles) » (p94) souvent employé
sous forme de plainte pour désigner un manque de capacité à travailler sans l'aide de l'adulte
et un manque de responsabilité. Reprenant les travaux de B. Lahire (1995), ils soulignent que
l'autonomie « cristallise un ensemble de caractéristiques valorisées du point de vue
scolaire » (2009, p94) qui consiste essentiellement en deux types d'autodisciplines :
autodiscipline corporelle qui se manifeste dans tout un panel d'habitudes dans l'emploi de son
corps au collège « (savoir contenir ses désirs, se tenir, rester calme, parler d'une certaine
manière scolairement acceptable, lever le doigt avant de parler, adopter une posture
d'écoute, être ordonné...) et une autodiscipline mentale ( savoir faire un exercice tout seul,
sans l'aide du maître, sans poser de questions, savoir lire avec les yeux et résoudre par soi-
même un problème, savoir se débrouiller dans la réalisation d'un exercice scolaire avec les
seules consignes écrites ) » (B. Lahire, 1995, p50). Le terme d' autonomie employé dans le
jargon scolaire se définirait donc avant tout comme la bonne intégration d'une autodiscipline
caractéristique du "métier d'élève" au collège. L'élève autonome correspond à la figure de
l'élève "actif" valorisée par les normes éducatives actuelles. C'est l'élève « qui réfléchit et
découvre par lui-même, qui sait respecter les règles communes, et sait s'organiser et faire des
choix, voire même s'auto-évaluer. » (R. Gasparini et al. 2009, p94). Nous en déduisons qu'en
contre point, la figure de l'élève "passif" serait dévalorisée par le système scolaire et
renverrait au manque d'autonomie tel qu'il est défini dans le champ scolaire. Conformément à

38
la description de R. Gasparini et al. (2009), ce serait un élève perçu comme trop dépendant de
l'étayage de l'enseignant (étayage affectif, aide apportée pour les difficultés d'apprentissage,
rappel du cadre ou travail d'encadrement) et n'ayant pas intégré suffisamment l'autodiscipline
demandée et, d'un certain point de vue, « trop indépendant à l'égard des règles de vie
collective (élève indiscipliné) ou des savoirs enseignés (élève indifférent aux savoirs
scolaires). » (p94).
Plusieurs études montrent une baisse de la motivation pour les apprentissages
scolaires à mesure que l'enfant grandit (revue de littérature scientifique de A. Wigfield, J. S.
Eccles & D. Rodriguez, 1998 ; A. E. Gottfried, J. S. Fleming & A. W. Gottfried, 2001 ; J. L.
Gurtner, I. Monnard, P. Genoud, S. Volet & S. Järvelä, 2001 ). Les baisses les plus
importantes de la motivation pour le travail scolaire s'observent généralement autour de la
transition de l'école élémentaire à l'école secondaire (E. M. Anderman & M. L. Maehr, 1994 ;
J. L. Gurtner, A. Gulfi, I. Monnard & J. Schumacher, 2006), ceci serait lié notamment à une
baisse du sentiment de compétence dans le champ des apprentissages scolaires (A. Wigfield,
J. S. Eccles, K. S. Yoon, R. D. Harold, Arbreton A., C. Freedman-Doan & P. C. Blumenfeld,
1997). Le sentiment d'incompétence constitue selon les observations de N. Catheline une des
principales causes du « retrait scolaire » (2016, p171). Sont particulièrement exposés, un
grand nombre d'élèves en France (au moins 20% d'après ses sources) qui entreraient en
sixième sans maîtriser suffisamment la lecture (2016, p172). La plupart des éléments de
changement d'environnement, au passage de l'élémentaire au collège que nous avons
évoqués, pourraient constituer des facteurs de cette baisse de la motivation (J. L. Gurtner et
al., 2006). Concernant plus particulièrement la perception qu'ont les élèves du changement
qui s'opère dans la relation à l'enseignant entre l'élémentaire et le secondaire, J. L. Gurtner et
al. (2001) observent que les élèves qui perçoivent chez leurs enseignants du secondaire autant
de soutien et de sollicitude que chez leur enseignant de l'école élémentaire ne rapportent
pratiquement aucune baisse de motivation au passage du primaire au secondaire,
contrairement à leurs camarades qui perçoivent une différence significative dans le sens d'un
manque de soutien et d'attention de la part de leurs enseignants au secondaire. Nous avons vu
que les adolescents et pré-adolescents présentant un risque de décrochage scolaire semblent
particulièrement sensibles aux qualités d'attention et à la sollicitude des professeurs (J. S.
Fallu & M. Janosz, 2003) ce qui nous conduit à penser que ces sujets peuvent souffrir
particulièrement de la perte du mode de relation professeur-élève caractéristique de
l'élémentaire. À ce changement d'espace-temps et de configuration de la relation enseignant-
enseigné s'adjoignent les changements de l'adolescence qui modifient également le rapport

39
aux professeurs, à l'institution scolaire et à la position d'élève, ce que nous aborderons plus
particulièrement au dernier chapitre.
Une autre modification majeure serait un changement de la nature des opérations
cognitives mises en jeu dans les apprentissages au niveau du collège. N. Catheline (2001,
2016) souligne que les apprentissages, surtout à partir de la quatrième, font appel à la pensée
hypothético-déductive telle qu'elle est définie par J. Piaget. Le raisonnement hypothético-
déductif constitue une étape du développement cognitif du sujet qui apparaît généralement à
la préadolescence, vers onze-douze ans. Le sujet préadolescent devient normalement capable
d'effectuer des opérations cognitives qui lui permettent de raisonner à partir de concepts
abstraits, former des hypothèses et construire des relations logiques entre elles sans avoir
besoin d'en passer par une figuration concrète. O. Houdé et G. Leroux écrivent que à « onze-
douze ans : outre la puberté et ses aspects physiques, sexuels, il s'opère à l'adolescence une
sorte de « décrochage » de la pensée par rapport au réel. Désormais les traitements
quantitatifs (nombre) et qualitatifs (catégorisation) que réalise l'enfant portent moins sur des
objets concrets que sur des propositions logiques, des idées, des hypothèses – y compris,
voire surtout, dans le domaine des états mentaux et des sentiments attribués à autrui. C'est le
raisonnement dans toute la force du terme. » (2009, p197). N. Catheline et D. Marcelli
(2011) remarquent qu'un bon nombre d'adolescents se trouvent empêchés de développer cette
capacité cognitive nouvelle pour des raisons qui tiennent avant tout à une difficulté pour faire
face à certains enjeux fondamentaux de l'adolescence qui concernent essentiellement la
séparation-autonomisation, la sexualité et la créativité (voir dernier chapitre). Selon N.
Catheline (2012, 2016) la façon d'enseigner au collège passe exclusivement par ce qu'elle
appelle le ''verbo-conceptuel'' faisant référence ainsi à un mode d'enseignement par
transmission verbale et qui s'attache essentiellement à l'utilisation de concepts détachés d'une
expérience pratique. Elle observe que de nombreux adolescents se trouvent en difficulté face
à ce type d'enseignement ayant besoin d'en passer par l'expérimentation active pour
s'approprier le savoir scolaire. Elle insiste sur la disparité de l'accès à l'abstraction chez les
collégiens et relève que le collège se trouve en difficulté pour apporter une réponse adaptée à
cette hétérogénéité, si bien que les élèves qui n'accèdent pas suffisamment rapidement à
l'abstraction seraient « irrémédiablement exclus du système scolaire. » (N. Catheline, 2012,
p241).

Être élève au collège impliquerait un certain travail qui consiste notamment à :


- s'adapter à un nouvel espace associé à une nouvelle organisation du temps

40
- moins compter sur l'étayage affectif de l'enseignant et répondre aux attentes institutionnelles
en adoptant une attitude correspondant à la figure de l'élève autonome
- accéder (surtout à partir de la quatrième) aux opérations cognitives caractéristiques de la
pensée hypothético-déductive piagétienne.

L'adolescent inscrit dans un processus de décrochage scolaire semble présenter des


difficultés pour faire face à ce changement lors du passage au collège. Nous supposons que
ce changement tend à être perçu par ces adolescents comme imposé de l'extérieur et donc à
revêtir un caractère persécutif. Les propos de R. Gasparini et al. (2009) concernant plus
particulièrement le rapport difficile de certains pré-adolescents et adolescents à l'exigence
scolaire d'autonomie vont dans le sens de nos suppositions : « l'autonomie ne se pose pas
pour ces adolescents (ils font ici référence aux adolescents en rupture scolaire rencontrés par
D. Thin et M. Millet, 2005) en terme de choix à être autonome mais plutôt d'obligation à se
débrouiller seul pour anticiper, adopter un rythme en adéquation avec les exigences
scolaires » (p98).

Pour nombre d'adolescents en décrochage scolaire, la discipline corporelle scolaire


semble renvoyer à une passivité insupportable et contre laquelle ils se défendent quitte à être
exclus du cours ou du collège. Par ailleurs, au collège plus qu'en élémentaire le mode de
transmission, les activités d'apprentissage, passent par ce que N. Catheline appelle le verbo-
conceptuel et non plus par la manipulation, l'expérimentation concrète qui met plus en jeu le
corps. D'une certaine manière la posture d'apprenant au collège tend plus à mettre hors jeu le
corps dans l'activité d'apprentissage, comme l'a souligné D. Marcelli lors de son intervention
en Mars 2017 dans le colloque intitulé « garçons et filles face aux (troubles des)
apprentissages » organisé par l'association CLINAP (Clinique des Apprentissages).

IV. Le décrochage scolaire envisagé sous l'angle d'une résistance au contrôle exercé par
l'institution scolaire et les enseignants :

1. Contrôle scolaire, évitement et résistance : une partie qui se joue d'abord au niveau du
corps actif et/ou passif

41
N. Catheline (2012) identifie des adolescents qui préfèrent renoncer à utiliser leurs
nouvelles potentialités cognitives (éveil de la pensée hypothético-déductive), « c'est-à-dire
renoncer à penser pour sauvegarder leur lien infantile avec leurs parents » (p269). Le
développement d'une autonomie de pensée ainsi que l'érotisation ''pubertaire'' de la pensée
seraient ressentis par ces adolescents comme une menace excessive pesant sur le lien aux
parents ou plutôt aux imagos parentales. Parmi ces adolescents, qui représenteraient une
bonne part des adolescents en difficulté au niveau du collège et du lycée, elle distingue deux
catégories en fonction de la nature du lien entretenu aux parents et, plus largement, à l'adulte
chargé d'une fonction éducative. Elle distingue donc ceux où domine le « lien anxieux » et
ceux où prévaut le « lien d'opposition ». Cette dernière catégorie d'adolescents se caractérise
par des troubles du comportement en milieu scolaire. N. Catheline remarque que le mode de
transmission du savoir dominant au collège , le « verbo-conceptuel », éveillerait en eux un
sentiment de passivité insupportable contre lequel ils se défendent notamment par des
comportements transgressifs. Ces adolescents auraient tendance à assimiler le savoir scolaire
à « un rapport dominant-dominé qui devient tout à fait insupportable à l'adolescence du fait
de la soumission et de la dépendance à l'adulte que suscite cette situation. » (2012, p275-
276). Elle ajoute que « la dimension passive de l'apprentissage par le verbo-conceptuel leur
est insupportable » (2012, p276). Ces adolescents préfèrent faire d'abord l'expérience
concrète d'une activité, d'une matière scolaire plutôt que de l'aborder sous un angle théorique.
Ils peuvent s'intéresser à la théorie à condition « qu'elle vienne comme une confirmation de
leur expérience » (2012, p276). Elle observe que pour ce type de jeunes, « les filières
professionnelles fonctionnent parfaitement bien » (2012, p276).
Nous retrouvons cette prédominance de l'action dans l'abord du savoir, à travers la
description que font M. Millet et D. Thin (2005) des élèves en rupture scolaire, dans un
chapitre au titre évocateur : « être dans l'activité plus que dans le savoir ». Ils écrivent
qu'« une autre caractéristique commune aux collégiens les éloignent des logiques scolaires et
se manifeste par leur « propension à l'action ». Elle fonde pour partie le rejet des situations
scolaires imposant les postures passives d'écoute sur une chaise ». « Posture d'écoute
scolaire qui est à l'opposé de la mobilité et de l'action spontanée que privilégient les
collégiens » (2005, p148). Ces observations indiquent une indocilité de ces adolescents face à
la discipline corporelle scolaire associée à une passivité insupportable.
V. Melin (2016) évoquant le « corps décroché du décrocheur », ainsi que M. Millet,
D. Thin (2005) et E. Douat (2011) à travers leurs études sociologiques, remarquent, chacun à
leur façon, « des dispositions corporelles peu conformes à l'exigence scolaire. » (E. Douat,

42
2011). E. Douat observe que les élèves absentéistes supportent mal l'interdiction de sortir de
l'établissement scolaire, vécue comme un enfermement qui leur évoque le milieu carcéral.
Ainsi « à la question de savoir ce que leur évoque le collège, les trois quarts des élèves
répondent par le mot prison. » (2011, p87). Cette métaphore du milieu carcéral apparaît
également centrale, lorsque C. Dolignon (2015) propose à des adolescents en situation de
décrochage scolaire de dessiner ce qui leur vient à l'esprit à partir de cette question : « c'est
quoi pour toi l'école ? ». C. Dolignon (2015), constate que les adolescents qui associent
l'école à la prison tendent à faire jouer à l'enseignant le rôle du gardien, représentant direct de
l'institution, qui « gère les corps et les surveille ». Ainsi, pour ces adolescents, plus que pour
d'autres, l'école paraît représenter un lieu de privation des mouvements, de contrôle et de
surveillance des "faits et gestes", selon le modèle panoptique caractéristique du milieu
carcéral. B. Mabilon-Bonfils (2005), soutient que la configuration spatiale et architecturale
des collèges et lycées vise effectivement cette surveillance et cette gestion stricte de la
mobilité corporelle : « Citadelle fortifiée dont les entrées et les sorties sont réglementées,
l'établissement scolaire, est organisé autour d'un espace vide, la cour de récréation placée
au centre des bâtiments. À la fois lieu de circulation et de surveillance, elle est soumise au
regard panoptique tout en étant investie physiquement et affectivement par les élèves » (B.
Mabilon-Bonfils, 2005, p92). Elle souligne que la gestion de l'occupation des salles et la
notification précise des présences et des absences des élèves (mais aussi, on peut le supposer,
des autres acteurs du système scolaire tels que les enseignants) « sont les instruments par
excellence de la régulation scolaire » car ils permettent « d'annuler les répartitions
indécises, la disparition incontrôlée des individus, leurs circulation diffuse, leur coagulation
inutilisable » (p92).
A travers la domestication du corps par l'école, il s'agit de faire en sorte que
l'adolescent intériorise une discipline corporelle et « socialise » ainsi les manifestations
corporelles de ses mouvements affectifs et pulsionnels. L'objectif institutionnel serait de
« fabriquer l'identité d'un groupe, l'identité au groupe et former un corps supérieur aux
corps des identités personnelles : le corps social » (B. Mabilon-Bonfils & F. Durpaire, 2016,
p60). De ce point de vue, il y a bien une entreprise spécifique de formation à l'école, qui a un
rapport direct avec la formation voire le modelage des corps. Dans cette perspective, il serait
possible de concevoir l'absentéisme, l'agitation ou l'apathie qui caractérise une part
importante des adolescents dits décrocheurs comme une résistance à cette emprise scolaire
sur le corps à laquelle ils seraient particulièrement sensibles et qui se joue en premier lieu
dans la relation aux professeurs.

43
V. Melin (2016), Professeur au Micro Lycée de Sénart, ou MLS, « Lycée expérimental
dédié au raccrochage scolaire » (et par ailleurs agrégée de philosophie et chercheur en
science de l'éducation), observe que les jeunes accueillis se caractérisent par un rapport au
corps particulier. Elle remarque que chez ces jeunes « le corps et ses manifestations sont
omniprésents, parfois obsédants ». Elle se penche plus particulièrement sur ce que nous
pouvons désigner comme des manifestations d'apathie ou de résistance passive, lorsque le
jeune présente à l'enseignant « un corps dénué d'expressivité et installé dans l'inaction »
(p82). Mais plus que de l'apathie se serait de « s'absenter à soi-même » dont il s'agit pour ces
jeunes. Elle fait référence par ces termes à une tendance à « être là sans être là », à s'effacer
dans la relation à l'autre en désinvestissant le corps dans ce qu'il peut ressentir, exprimer et
renvoyer à l'autre de soi. Elle conçoit ceci comme un stratagème plus ou moins conscient,
« d'affirmation de la liberté », c'est à dire que ces jeunes « s'absentent à eux-même » pour
s'opposer à la visée normalisatrice (des attitudes, des postures) de la société représentée par le
dispositif scolaire (p83). Ces adolescents lui évoquent la symptomatologie et les mécanismes
de défenses caractéristiques des personnes présentant des troubles de l'alimentation telles que
rapportées par M. Corcos (2000) : « inhibition massive, ou au contraire discours facile loin
des affects, à but défensif ou en faux self, déni ou phobie de la vie psychique interne et des
émotions. Prévalence des conduites agies ou des plaintes et expressions somatiques. » (cité
par V. Melin, 2016, p85) . V. Melin (2016) observe également qu'une grande part des jeunes
manifestent une agitation constante en classe et ne supportent pas de rester enfermés dans la
classe le temps exigé normalement par l'institution scolaire. Au sein du Micro Lycée de
Sénart, un aménagement du dispositif pour ces élèves permet que s'organise « une sorte de va
et vient entre la classe et les lieux extérieurs » en périphérie de la classe, dans l'enceinte du
lycée. Elle précise que « cette situation est tellement commune dans les structures de
raccrochage qu'a été institué dans certaines d'entre elles la fonction de "professeur de
couloir", qui se tient dans ces espaces qu'on peut qualifier de transitionnels pour échanger
avec les jeunes fuyant la classe. » (V. Melin, 2016, p86). Elle observe également que ces
jeunes ne peuvent rester concentrés en classe que s'ils peuvent en parallèle effectuer une
activité qui ne demande pas trop d'effort cognitif, comme dessiner par exemple. Elle suppose
que ces jeunes, en conservant en classe une activité hors du champ scolaire (dessiner) et un
droit à l'échappatoire concret de la classe, se préservent du sentiment d'être assujettis au
''métier d'élève'' et évitent le sentiment « d'être résorbés dans le désir de l'enseignant ». Cette
présence – absence (s'absenter à soi-même, s'absenter de la classe) mise en jeu par ces
adolescents au sein de la classe et dans la relation à l'enseignant, n'est pas sans évoquer

44
l'oscillation entre absence et présence au sein de l'institution scolaire des élèves collégiens
absentéistes rencontrés par E. Douat (2011). Il constate que les élèves absentéistes continuent
à investir le scolaire malgré leurs absences régulières, c'est à dire qu'ils continuent à venir
dans certains cours souvent conduits par des professeurs qu'ils affectionnent particulièrement.
Ils ont le souci de « ne pas perdre le fil dans certains apprentissages » et se rendent au
collège pour développer et conserver les liens d'amitié qu'ils y ont noués.
A la lumière de ces observations, les élèves décrocheurs nous semblent investir une
position en entre deux, entre absence et présence dans le champ scolaire.
Les observations de V. Melin (2016) évoquent une passivité menaçante étroitement
liée à l'expérience et à la crainte de l'imposition d'une posture d'élève marquant le corps.
Passivité dont ces adolescents se défendent par des conduites visant la maîtrise active de leur
corps dans l'enceinte scolaire.
C. Pujade Renaud (1983), dans deux ouvrages intitulés « le corps de l'enseignant
dans la classe » et « le corps de l'élève dans la classe », a partir d'entretiens cliniques de
recherche et avec un regard orienté par la psychanalyse, étudie la façon dont les enseignants
et les élèves essentiellement lycéens, mettent en jeu leur corps dans le contexte de la classe.
Elle remarque que les élèves témoignent d'un vécu négatif de passivité dans la relation aux
professeurs associé à un sentiment d'être absent ou de s'absenter. L'absence prend d'abord le
sens d'une absence d'implication dans les apprentissages et dans la relation au professeur,
associée à un sentiment d'effacement en contraste d'un trop de présence du professeur. Ce
vécu serait étroitement lié à l'immobilité contrainte des élèves dans la classe et à un effet de
contraste. Les élèves se sentent d'autant plus absents et passifs qu'ils remarquent le contraste
entre leur position et celle de l'enseignant qui, lui, peut « envahir l'espace de la classe par sa
présence physique et verbale » (C. Pujade-Renaud, 1983, p15). En effet, l'enseignant,
contrairement à l'élève, peut se mouvoir dans la classe et porter un discours qui implique
l'adoption par l'élève d'une position d'écoute. Le sentiment d'absence serait accentué par cette
disposition des places (des corps) dans la classe, répandue dans les institutions scolaires, qui
a pour effet que les élèves ne voient des uns et des autres que leurs dos. Ne voir que les dos
de ses camarades, ne pas voir leur visage empêche la communication avec eux et tend à
« dissoudre le sujet dans un anonymat indifférencié » (C. Pujade-Renaud, 1983, p16). Le
regard de l'élève ne pouvant trouver un accrochage dans celui de ses camarades dont il ne
voit que les dos, s'orientera automatiquement vers le professeur ce qui nous semble favoriser
la mise en jeu, au niveau psychique, d'une relation plus duelle (entre l'élève et l'enseignant)
plutôt que groupale (entre le groupe d'élèves et l'enseignant).

45
L'enseignant exerce un contrôle direct de l'usage que font les élèves de leur corps dans
la classe : contrôle et surveillance de la posture physique, de la mobilité et de la parole de
l'élève. Il détermine la parole autorisée et interdite. L'enseignant détermine le placement des
élèves dans la classe en disposant les bureaux à sa guise et peut changer un élève de place s'il
le juge nécessaire. C. Pujade Renaud (1983) observe que les élèves accordent une grande
importance au fait de pouvoir choisir leur place dans l'espace de la classe, notamment pour le
sentiment de maîtrise à minima que cela leur procure. Tout comme les adolescents en
décrochage scolaire, mais dans une moindre mesure, il semble important de maintenir une
activité dans la classe hors du champ de ce qui est attendu par l'institution scolaire et désiré
par l'enseignant. Ce sont d'abord la rêverie (activité psychique) puis le dessin, des jeux
(comme le jeu du ''morpion'' par exemple) et les échanges illicites entre camarades. Ainsi
« on voit se profiler un réseau d'activités et d'échanges, une crypto-société organisée par les
élèves et qui leur permet sans doute de "survivre". » (C. Pujade-Renaud,1983, p19). L'enjeu
de ces activités serait notamment d'éviter le sentiment d'être dépossédé de son corps, « l'élève
semble dire à l'enseignant : « mon corps m'appartient » » (p59). Nous voyons là se profiler la
peur de ne plus s'appartenir, car possédé par la présence (le corps) professorale.
C. Pujade-Renaud (1983) observe que les enseignés peuvent éprouver un sentiment de
persécution qui s'origine pour une grande part dans le rapport au regard et à la voix du
professeur. En effet, les élèves rencontrés tendent à attribuer au professeur un regard de
surveillance, c'est à dire un regard à l’affût disposant d'un champ de vision panoptique et
cherchant à tout voir ou contrôler du regard. La particularité du rapport à la voix professorale
est « qu'il n'est pas possible d'établir un écran d'ordre matériel » (p16) pour se protéger de
son atteinte. Ces remarques l'incitent à penser qu'« a la limite l'élève serait toujours envahi
par quelque élément en provenance de l'enseignant : présence, regard, voix qui finissent
parfois par prendre une coloration persécutive » (p76). Cette configuration des places, entre
élève et professeur peut donc être vécue comme une dissymétrie entre une position active du
côté du professeur et une position passive du côté de l'élève, qui renvoie à une autre
dissymétrie en terme d'une présence-affirmation du professeur et d'une absence-effacement
de(s) l'élève(s).
Cependant, l'enseignant, de par sa position, prescrite par l'institution scolaire, qui se
veut d'une certaine manière au centre de l'attention des élèves, est susceptible de se sentir lui
aussi, et d'être réellement, persécuté par les élèves car il s'expose à leur regard et leur
jugement. Il semble donc que la dissymétrie actif (professeur) – passif (élève), bien qu'elle
soit présente et favorisée par le dispositif d'enseignement, doive être nuancée. C. Pujade-

46
Renaud, montre bien que, du côté de l'élève, la position passive (imaginaire ou réelle) de
persécuté par l'enseignant peut vite se retourner en position active de persécuteur. Un
exemple intéressant est celui du passage de la présence-absence subie à la présence-absence
infligée au professeur, stratégie dont on peut supposer la filiation avec celle des jeunes dits
décrocheurs qui consisterait à « s'absenter à soi-même » (V. Melin, 2016). En effet, un ou
des élèves peuvent opérer un retournement qui consiste à être silencieux et renvoyer au
professeur par leur attitude, et peut-être surtout par leur regard, le vide ou la défiance, voire la
haine. L'idée serait d'infliger au professeur l'impression que ses paroles, son discours,
tombent dans le vide de leur présence-absence. Les discours des enseignants recueillis par J.
Filloux (1996) et C. Pujade Renaud (1983) témoignent combien ils redoutent cette attitude
des élèves, dont ils parlent en terme de passivité voire d'opposition passive et qui les renvoie
peut-être, en dernière instance, à leur impuissance à les "animer".

Ces différentes observations sont, selon nous, à mettre en rapport avec la question de
l'emprise dans la relation entre l'adolescent et le professeur. Le décrochage scolaire pouvant
être conçu comme un moyen d'échapper à l'emprise réelle ou imaginaire du professeur et, par
extension, de l'institution scolaire sur le corps et le psychisme. P. Vallet (2003, 2011) et B.
Mabilon-Bonfils (2009) se sont penchées sur ce qui se joue en terme d'emprise dans la
relation entre formateur et personne en formation, entre enseignant et adolescent.

2. (En)jeux d'emprises dans la relation aux professeurs et à l'institution scolaire :

S'inspirant des travaux de R. Dorey (1981, 1992) sur la relation et le désir d'emprise,
ces deux auteures soutiennent l'hypothèse d'un désir d'emprise situé au cœur de toute
entreprise de transmission dans le cadre de « la relation formative » (P. Vallet, 2003) et de la
relation pédagogique (B. Mabilon-Bonfils, 2009).
Quand est-il de ce désir d'emprise ?
Il s'agit essentiellement du désir profond, qui nous traverserait tous, de neutraliser
voire annihiler le désir de l'autre et ainsi effacer tout sentiment d'altérité dans la relation
intersubjective « la visée étant de ramener l'autre à la fonction et au stade d'objet
entièrement assimilable » (R. Dorey, 1992, p1426). Selon R. Dorey la notion d'emprise ne
prend tout son sens qu'à travers sa mise en jeu dans la relation intersubjective, nous pourrions
dire que selon lui il n'y pas d'emprise qui ne soit intersubjective. Par conséquent, R. Dorey
parle plutôt de ''relation d'emprise''. S'inspirant des travaux de R. Dorey, P. Vallet (2003)

47
postule que l'emprise devrait être considérée comme « un mode particulier d'interaction
entre deux Moi, qui ne se réduit pas à l'activité d'une seule tendance mais correspond à un
agencement complexe de la relation à l'autre » (P. Vallet, 2003, p36).

R. Dorey distingue trois modalités d'emprise :


- la capture de l'autre
- l'action d'appropriation de l'autre par dépossession, essentiellement de son libre arbitre et de
son désir. Cette dernière configuration nous évoque cette remarque de M. Mannoni à propos
de l'enseignement scolaire : « dans l'enseignement le désir de savoir de l'élève se heurte au
désir du maître …. que l'élève sache » (1973, p37) ; l'élève étant ainsi dépossédé de son désir
de savoir par l'imposition du désir du maître de lui inculquer un savoir.
- l'impression d'une trace qui marque l'emprise qu'exerce l'un sur l'autre.

R. Dorey distingue deux formes principales de la relation d'emprise :


- la relation d'emprise perverse qui « s'exerce dans le registre érotique et où l'arme utilisée
est essentiellement la séduction entendue comme action de détournement et de conquête. Il
s'agit là de fasciner et capter l'autre en lui proposant un désir qui n'est que le reflet de son
propre désir. C'est une relation spéculaire, duelle et non médiatisée, qui capte l'autre dans un
jeu de miroir afin de le réduire à n'être plus qu'une image un reflet. L'autre est dépossédé ;
on lui assigne une place (de reflet fidèle...) et une empreinte indélébile qui peut même vouloir
s'imprimer sur le corps » (P. Vallet, 2003, p37) (il peut s'agir d'une marque d'appartenance ou
d'identification spéculaire au séducteur – par exemple : adopter la même apparence – ou une
marque de sévisse corporel dans le cadre d'une relation sadomasochiste). Le formateur qui
recourt à cette séduction perverse provoque de forts mouvements affectifs chez l'être en
formation, qu'il dénie et condamne par la suite, arrivant ainsi à jeter le trouble chez l'autre.
« un haut niveau d'affect souvent transparaît mais il est dénié : la séduction il sait ce que
c'est mais il n'en n'use pas bien entendu ! » (P. Vallet, 2003, p238)
- la relation d'emprise obsessionnelle qui s'exerce essentiellement à travers la domination par
la force. Il s'agit de contraindre l'autre en usant de son pouvoir de façon dictatoriale et
totalitaire. Cette modalité de l'emprise vise à annuler l'autre en tant que sujet, le détruire pour
pouvoir en faire un objet manipulable, corvéable à merci et peut-être aussi jetable après
utilisation et épuisement des ressources énergétiques. Dans cette perspective le formateur est
particulièrement attaché à la stricte observance du programme, l'application à la lettre des
« techniques du bien faire » (P. Vallet, 2003, p229) seules valables à ces yeux. Aucun espace

48
de réflexion personnelle, de débat et d'interrogation n'est laissé à l'être en formation qui doit
se conformer entièrement, rentrer dans le moule de la bonne forme sans faille incarnée par le
formateur lui-même. Chez ce type de formateur, le savoir est associé à la puissance « « en
sais-je assez ? En ai-je assez ? Suis-je assez puissant ? » sont au fond des questions qui
prédominent et laissent entrevoir un doute permanent à cet endroit. » (P. Vallet, 2003, p231).
Dans cette relation d'emprise obsessionnelle, tout ce qui est de l'ordre des mouvements
affectifs, l'agressivité surtout, et de la séduction, ne peut être pris en compte car faisant l'objet
d'un évitement ou d'un rejet dans un « hors champ, un ailleurs en dehors de soi » (P. Vallet,
2003, p232) et de l'espace de formation (l'espace classe par exemple).

P. Vallet traite ici de la relation entre formateur et l'être en formation, à partir


d'entretiens cliniques de recherche avec des formateurs au métier d'assistante sociale, mais
nous supposons tout comme B. Mabilon-Bonfils (2009) et B. Pechberty (2015) que la
relation d'emprise est à l’œuvre également dans la relation entre l'enseignant et l'élève.
B. Mabilon-Bonfils (2009) propose de considérer les comportements déviants des
adolescents par rapport aux normes scolaires comme des « modalités de résistance » à
l'emprise de l'institution scolaire. Elle fait état du nombre croissant d'adolescents porteurs de
valeurs, de représentations et d'habitus socio-familiaux « radicalement halogènes au système
scolaire » français. Elle prend pour exemple les adolescents dits en ''rupture scolaire''
rencontrés par M. Millet et D. Thin (2005), interprétant leur comportement déviant comme
une tentative de construire une identité qui échappe à la conformité attendue par l'institution
scolaire. Comme nous l'avons évoqué, pour nombre d'adolescents, se conformer aux attentes
du collège signifierait renoncer d'une certaine façon aux éléments socio-familiaux qui
participent de leur construction identitaire. B. Mabilon-Bonfils parle d'une opposition « des
logiques scolaires aux logiques identitaires des adolescents en quête d'identité, de
reconnaissance » (B. Mabilon-Bonfils, 2009, p455). Elle range parmi ces modalités de
résistance les comportements d'absentéisme dont elle relève l'augmentation et surtout la
diversification contemporaine : « il peut s'agir tour à tour de stratégies consuméristes, de
rituels ludiques, de défaut de socialisation scolaire et de quête concomitante de limites, de
perte de sens des apprentissages scolaires ... » (B. Mabilon-Bonfils, 2009, p456). Elle
distingue principalement un absentéisme « de confort » faisant ainsi référence aux
adolescents qui sélectionnent les cours où ils seront absents en fonction de divers critères,
surtout des critères d'utilité et d'efficacité (coefficient de la matière) pour passer en classe
supérieure ou pour la réussite aux examens. Il sont présentés comme des « consommateurs

49
d'école » qui « gèrent au jour le jour leurs absences perlées, dans les moments utiles à la
rentabilité de leurs performances scolaires immédiates » (B. Mabilon-Bonfils, 2009, p456).
Certains comportements absentéistes adolescents seraient aussi à comprendre comme une
forme d'expression de soi et plus particulièrement l'expression d'une révolte contre le système
scolaire. Elle remarque que ce sont souvent des adolescents qui n'ont pas suffisamment
intériorisé le « métier d'élève » essentiellement, selon elle, parce que « les normes familiales
sont concurrentielles voire antinomiques avec les normes scolaires » (B. Mabilon-Bonfils,
2009, p456). À cela se conjugue fréquemment une « perte de sens des apprentissages
scolaires » notamment parce que ces adolescents étant plus en situation d'échec scolaire, les
apprentissages deviennent étroitement associés à la souffrance narcissique. Dans cette
perspective s'absenter c'est protéger son estime de soi en évitant l'échec possible.
Il s'agit dans ces deux formes d'absentéisme de préserver une emprise à minima en
décidant de sa présence et son absence. Il s'agit d'une démarche active de composition d'un
rapport personnel à l'école qui permette de supporter l'emprise à l’œuvre dans le système
scolaire et éviter la souffrance narcissique. Nous pouvons supposer que la perte de sens des
apprentissages scolaires conduit logiquement ces adolescents à considérer l'école comme un
lieu de contrainte voire de corvées bien que l'école reste investie comme lieu de socialisation.

Nous l'avons vu, les enseignants exercent une emprise sur les corps des élèves et
tentent souvent, de façon plus ou moins tempérée, de séduire (B. Pechberty, 2015 ; J. Filloux,
1996 ; M. Cifali, 1994) leur public d'élèves. Les élèves en retour trouvent des moyens
d'échapper à l'emprise dans l'enceinte de la classe ou peuvent infliger une passivité
déstabilisante à l'enseignant. Il y a donc un jeu d'emprise dans la relation entre les élèves et
le professeur, jeu complexe sous-tendu par le désir d'emprise (position active) mais aussi le
désir d'être ou de se mettre sous l'emprise (position passive) séductrice ou autoritaire de
l'autre. Ainsi, C. Pujade-Renaud (1983) et J. Filloux (1996), nous semblent bien mettre en
évidence le caractère paradoxal des demandes implicites des enseignants et des élèves qui
mobilisent un jeu complexe des positions passives et actives en rapport avec l'emprise. Nous
reprendrons les mots de C. Pujade-Renaud qui nous semblent bien résumer ce dont il est
question : « l'enseignant enjoint à l'enseigné d'être présent, vivant, actif mais lui interdit
parole et mobilité ; cette contradiction amène l'enseignant à constamment simuler et séduire,
puis à craindre et à refréner tout risque de débordement, ou d'érotisation. De même l'élève
attend de l'enseignant une animation dynamisante mais résiste à une intrusion par trop
envahissante et captatrice. » (C. Pujade Renaud, 1983, p153). Dans le champ de la relation

50
formative P. Vallet attire notre attention sur « le désir de soumission de l'être en formation »
qui consiste dans le désir de se mettre sous la tutelle protectrice d'un maître à penser qui
épargne ainsi à l'élève de se confronter aux angoisses qui naissent dans toute démarche de
construction d'une pensée personnelle. Dans cette configuration du désir, l'être en formation
projette sur le formateur son désir de toute puissance entretenant ainsi une figure incarnée par
le formateur qui ne tombe pas sous le sceau de la castration. « Pour peu qu'il se donne
comme objet d'identification et d'amour, le pédagogue tend à renforcer encore ce recours à la
toute jouissance et à la projection dans une collusion où les deux parties vont trouver leur
compte … et où va encore s'accentuer chez l'être en formation l'élan de servitude ! » (P.
Vallet, 2003, p267).

Ces demandes, désirs et mouvements contradictoires liés aux positions passives et


actives dans la relation entre l'enseignant et l'élève nous semblent alimenter le débat dans
champ de l'éducation dont l'enjeu serait notamment de pouvoir répondre à certaines questions
comme celles-ci : comment mobiliser les élèves vers une position d'acteur dans les
apprentissages sans que l'activité de ceux-ci ne débordent le cadre scolaire ? Ou encore
comment l'enseignant peut-il les mobiliser sans tomber dans une séduction délétère qui risque
d'être vécue comme intrusive par les élèves ?
Il nous semble que les problématiques et les comportements des adolescents inscrits
dans un processus de décrochage scolaire interrogent particulièrement, autour de ces
questions, le système scolaire et ses acteurs adultes.

V. Dynamique activité-passivité au cœur du débat dans le champ de l'éducation autour


de la posture d'élève :

N. Catheline (2012) observe que depuis plus d'une dizaine d'années le débat dans le
champ de la pédagogie s'est cristallisé globalement autour de deux courants majeurs : les
tenants de la pédagogie de l'immanence et les tenants de la pédagogie de la rémanence.
Les premiers considèrent que l'enseignant doit « accoucher » la pensée de l'élève, c'est
à dire lui permettre de découvrir et d'exploiter une pensée voire un savoir déjà présent mais
dont il n'avait pas conscience. En quelque sorte l'enseignant révèle l'élève à lui-même. Cette
posture est proche de la maïeutique socratique dont nous avons vu qu'elle passe par la
séduction et le transfert amoureux. Dans cette perspective, l'enseignant qui accouche est peut-

51
être aussi celui qui féconde l'esprit de l'élève. Selon cette philosophie « rien ne peut se faire
en matière d'apprentissage sans une démarche active de l'élève » (Ph Meirieu, 1999, cité par
N. Catheline, 2012, p366).
Les seconds tendent à « considérer l'élève comme une cire vierge sur laquelle il
convient d'imprimer le savoir de l'adulte » (N. Catheline, 2012, p366). Cette conception
évoque le mythe de Pygmalion, l'enseignant serait le sculpteur démiurge qui met en forme la
matière brute que représente l'élève de façon à le conformer à un objet idéal qu'il souhaite
posséder. Il nous semble que selon cette approche l'élève est particulièrement passif car en
position d'être formé entièrement par l'enseignant.
Selon N. Catheline, la tendance générale chez les pédagogues actuels est plutôt à
concilier les deux approches selon une méthodologie et des objectifs qu'elle propose de
formuler ainsi :
. « l'adulte se doit d'apporter quelque chose qui soit extérieur à l'enfant (tout ne peut
pas, ne doit pas seulement venir de l'enfant). La manière de lui présenter doit faire l'objet de
recherches car il existe à l'évidence des stratégies meilleures que d'autres ;
. mais d'un autre côté, il convient de mettre l'enfant en condition pour qu'il reçoive cet
apprentissage ou du moins s'assurer qu'il est apte à s'intéresser à cette connaissance qui lui
est délivrée ;
. ensuite il faut allumer le moteur qui va permettre au système de fonctionner et faire
en sorte que ces deux trajectoires, celle du maître voulant donner quelque chose et celle de
l'élève qui accepte (ou désire) s'en saisir, puissent se rencontrer. Le cœur de la relation
pédagogique serait alors comme le cœur d'un réacteur, les moyens de mise à feu du
dispositif. » (2012, p367). Ces termes de « mise à feu » et de « réacteur » traduisent peut être
combien la rencontre, le choc ou la non-rencontre des désirs de l'enseignant et de(s) l'élève(s)
peut être explosive et peut allumer un feu qu'il faudra alimenter et laisser croître (la
curiosité ?) ou bien contenir ou éteindre (l'excitation, la violence, la haine).
Les théories récemment développées en psychologie de l'apprentissage et en
psychopédagogie ont fortement influencé cette nouvelle position du pédagogue en attirant
l'attention sur « la dissociation entre ce que le maître enseigne et ce que l'élève apprend »
(Ph. Perrenoud, 1994, p39). Il s'en suit qu'il ne suffit pas, pour qu'il y ait apprentissage, que le
maître énonce un discours face à des élèves disciplinés supposément à l'écoute. Selon ces
théories, l'apprentissage « dépendrait avant tout de l'activité de l'élève » « ce qui tend à
redéfinir le rôle du maître : de dispensateur du savoir, il deviendrait créateur de situations
d'apprentissage, organisateur du travail scolaire. De l'image d'un savoir transmis à travers

52
le discours magistral, on passe à l'image d'un savoir construit à travers une activité
disciplinée, un travail. » (Ph. Perrenoud, 1994, p39). Ph. Perrenoud parle ici du maître en
élémentaire mais ses propos peuvent, nous semble-t-il, s'appliquer aux enseignants du
secondaire.
Ph. Perrenoud (1994) note une différence entre les enseignants de l'élémentaire et les
enseignants du secondaire, faisant remarquer que les enseignants du secondaire ont plus
tendance à adopter une forme magistrale d'enseignement. Cette forme magistrale serait moins
présente en primaire pour la simple raison que « devant des enfants de 6 à 12 ans aucun
maître ne tient un discours vingt cinq à trente heures par semaine » (1994, p41). Concernant
les changements entre l'élémentaire et le collège il faudrait donc prendre en compte que le
pré-adolescent ou adolescent, pour s'adapter au collège, sera plus tenu d'adopter une position
d'élève dans une configuration d'enseignement de type magistral.
Selon Ph. Meirieu (2013), cette conception magistrale de la transmission du savoir est
encore très présente dans les institutions scolaires du secondaire (collège et lycée). S'inspirant
de la pensée de la philosophe et journaliste Hannah Arendt, Ph. Meirieu (2013) soutient l'idée
selon laquelle la tradition philosophique républicaine imprègne encore beaucoup
l'organisation de l'institution et la conception de l'enseignement dans le secondaire. Cette
tradition philosophique républicaine ne reconnaîtrait que l'enfance et l'âge adulte comme
étapes de la vie, avec, concernant l'éducation, une répartition tranchée des rôles : être éduqué
du côté de l'enfant et éduquer l'enfant du côté de l'adulte. Selon cette conception, ceux
considérés comme enfants - catégorie qui comprend les adolescents - « sont assujettis à la
décision d'adultes qui sont dans l'obligation de leur « présenter le monde » » (2013, p166).
Dans cette perspective, « l'institution scolaire (surtout aux niveaux du collège et du lycée) est
d'abord un outil pour séparer : séparer ceux qui instruisent et éduquent d'un côté, de ceux
qui doivent recevoir l'instruction et l'éducation, de l'autre » (2013, p166). Ph. Meirieu tend à
dénoncer ce qui lui semble être une séparation trop marquée et une assignation qui ne
garantissent pas un espace suffisant de liberté qui permettrait aux adolescents de trouver(-
créer) leur place à l'école. Ceci ferait le lit du malaise de nombreux adolescents dans l'école,
ainsi perçue par eux comme « une machinerie institutionnelle rigide sans lieu ni lien » (2013,
p168). Il suppose que cette configuration participe du phénomène de décrochage scolaire et
plus largement la présence-absence de « la grande majorité » des adolescents en cours,
« physiquement là tout en étant psychologiquement ailleurs » (2013, p168). Ph. Meirieu
plaide pour une refonte du statut d'élève dans le secondaire qui consisterait pour l'essentiel à
mobiliser les élèves dans une co-construction avec les acteurs adultes de l'institution, autour

53
de l'élaboration de réponses (jamais définitives) à la question : « comment mieux
apprendre ? » (2013, p176). Pour ce faire, il faudrait que l'institution aménage des espaces et
des temps où les élèves puissent échanger, construire avec les adultes et en premier lieu les
enseignants, autour des méthodes d'enseignement et de certains aspects de l'organisation
institutionnelle. Plus dans le détail, ce travail consisterait pour les élèves à avoir leur ''mot à
dire'' sur, notamment, « l'organisation des cours, la place respective des cours magistraux,
du travail individuel et de groupe, le rôle de la recherche documentaire, la formulation des
contrôles, etc. » (Ph. Meirieu, 2013, p174). Ainsi, à la position passive infantilisante de
l'élève qui tend à conduire les adolescents vers « le couple confortable : subir et râler »
(2013, p175), serait substituée une position active d'appropriation des apprentissages et de sa
position au sein de l'institution scolaire.
Ph. Meirieu défend également l'idée d'une école qui apprendrait à l'enfant et à
l'adolescent à s'installer dans un travail « d'écoute active » (2013, p177). Selon lui, l'écoute
est déjà en soi un travail, qui s'apprend : travail du côté de l'élève qui consiste à « dialoguer
intérieurement avec » (2013, p177) la parole de l'autre ainsi que recevoir et effectuer une
première digestion (métaphore digestive courante dans le champ de la transmission du savoir)
des informations. Mais nous dirons aussi travail, du côté de l'enseignant et de l'institution, de
création du cadre dans lequel puisse se déployer cette écoute. Il plaide également pour une
« « pédagogie du chef-d'oeuvre » systématique » c'est à dire des apprentissages à travers des
projets qui mobilisent les élèves dans une création dans laquelle ils peuvent se reconnaître et
dont ils peuvent « se revendiquer » auteurs.
Dans la perspective du statut d'élève défendu par Ph. Meirieu (2013), nous constatons
combien sa conception de l'élève actif est différente de celle de l'élève actif-autonome qui
imprégnerait l'idéologie scolaire et plus particulièrement dans le secondaire, selon l'analyse
de R. Gasparini et al. (2009). En effet, comme nous l'avons vu (p19), la représentation de
l'élève actif telle qu'elle transparaît dans le discours pédagogique ambiant renverrait surtout à
la figure de l'élève auto-discipliné n'ayant pas besoin du soutien des professeurs pour se
mettre au travail et réussir dans les apprentissages. Il nous semble que la conception de
l'élève adolescent actif selon Ph. Meirieu (2013) renvoie avant tout à l'activité d'appropriation
des apprentissages et de sa place dans l'institution, activité qui dépend fondamentalement de
l'étayage et du cadre proposé par les adultes acteurs du système scolaire.
Cette position peut faire écho, sous certains aspects, à la théorie de l'auto-
détermination dont s'inspire J. L Gurtner et al. (2006) pour émettre des recommandations
concernant la stratégie pédagogique à adopter pour mobiliser les adolescents dans les

54
apprentissages scolaires. Il s'agit selon eux pour l'enseignant de réussir à donner à ses élèves
« l'impression d'auto-détermination » c'est à dire l'impression d'avoir pu choisir eux-même
les activités et comment ils souhaitaient les faire.
Cette question de ''l'impression d'auto-détermination'' nous semble bien épineuse car il
convient de se demander si cette impression s'étaye sur un réel espace de décision dont
dispose l'élève et qui ne menace pas pour autant la dissymétrie nécessaire des places (adultes
professeurs / adolescents élèves) sur le plan du savoir et de la différence générationnelle ; ou
si cette impression d'auto-détermination est une illusion complète générant un sentiment de
toute-puissance. Illusion savamment tissée par le(s) professeur(s) qui confinerait donc à la
manipulation, et dont nous pouvons supposer qu'elle n’opérerait pas sans une bonne dose
d'un certain genre de séduction .
Certains chercheurs en psychologie et psychosociologie tels que E. Diet (2006, 2009)
et J. Arènes (2014) attirent notre attention sur ce qu'ils identifient comme une tendance
sociétale, et plus particulièrement dans le champ de l'éducation, à installer l'adolescent dans
une illusion « d'autoéducation » (J. Arènes, 2014) qui fait fi de la barrière générationnelle
entraînant des conséquences déplorables sur l’œuvre de transmission culturelle.
E. Diet (2006, 2009) à partir de sa pratique de formation des enseignants du premier
degré, de ses recherches, de ses échanges informels avec les enseignants et de sa
« collaboration » (2006, p98) avec le service médico-psychologique du rectorat de Paris,
observe un changement dans les valeurs et les figures idéales de l'élève et de l'enseignant
transmises par l'institution scolaire, plus généralement par la société. Ce changement va,
selon lui, dans le sens d'une conformité délétère à l'idéologie dominante consumériste et
individualiste néo-libérale qui se caractérise par la figure idéale de l'individu porteur d'une
« revendication narcissique de jouissance immédiate et sans limite » (2009, p44).
L'institution scolaire tendrait à positionner les enseignants comme « prestataires de service
avec obligation de résultat » (2006, p108) exigeant d'eux qu'ils négocient et justifient les
contenus et les modalités de leur enseignement avec les élèves et les parents, mis d'une
certaine manière en place de clients consommateurs d'éducation à satisfaire. Dans ce
contexte, la mission de l'école et de l'enseignant tend à être redéfinie et ceci s'actualiserait à
travers la promotion institutionnelle de nouvelles méthodes pédagogiques : « la technicité
professionnelle référée au discours de la science (didactique des disciplines, logiciels et
programmes d'apprentissage, grilles d'évaluation, QCM) vient s'imposer contre les
conceptions humanistes valorisant la parole et le lien formatif. » (E. Diet, 2006, p105). Dans
cette perspective, la pédagogie est réduite à l'application d'une méthodologie standardisée

55
déconnectée d'une visée de transmission intergénérationnelle. Cette pédagogie infiltrée par
l'idéologie néo-libérale propre à ce qu'il nomme la société hypermoderne, véhiculerait une
image idéale bien particulière de l'élève. Si nous devions en faire le portrait robot, nous
dirions que c'est un élève pour qui seul l'immédiateté de la satisfaction compte, donc qui vit
dans le présent (de la satisfaction) déconnecté du passé et de l'avenir, et pour qui l'école n'est
qu'un moyen d'obtenir le travail qu'il désire (vision utilitariste). Vivant dans l'immédiateté,
cet élève est donc « sans dette, ni tradition, l'apprenant, successeur anglo-saxon branché de
l'autistique enfant piagétien, (...) sensé construire seul ses savoirs sans relation à l'autre
(l'autre ascendant en particulier), aux autres ni à l'ensemble. » ce qui aurait pour effet
d'inciter l'adolescent à s'enliser « dans une fantasmatique d'auto-engendrement aussi
régressive que mortifère » (2009, p441). Les propos de E. Diet nous semblent ici faire écho à
ceux de J. Arènes (2014) qui postule que « notre époque serait caractérisée par une faille
dans le régime d'historicité : le futurisme (l'autorité du futur), ayant lui-même succédé à
l'autorité du passé, a laissé place à un présentisme flottant. » (p474), forme de vivre au
présent sans penser au passé et à l'avenir. B. Mabilon-Bonfils (2005) développe une
hypothèse similaire et nous explique d'un point de vue sociologique ce passage au
"présentisme". Selon elle, la crise économique avec son lot de chômage, dans un effet
conjugué avec « la déréliction des formes institutionnelles de socialisation » (dont la forme
scolaire), crée un contexte dans lequel il est plus difficile pour les adolescents apprenants
d'espérer dans un avenir heureux. Donc « s'il n'y a plus forcément de solution en ce qui
concerne l'avenir, la seule solution reste de vivre au présent. » (B. Mabilon-Bonfils, 2005,
p162). R. Kaës (2012) attire notre attention sur le changement de notre rapport au temps :
notre époque serait celle de l'excès de vitesse et de l'urgence au quotidien. Toujours pris dans
l'urgence de l'accomplissement de tâches diverses pour répondre aux injonctions de
productivité et de communication immédiates, l'individu est plongé dans un temps qui se
résume à l'immédiateté des enjeux présents ou à court terme. Les avancées technologiques
qui nous donnent les moyens d'aller plus vite participeraient d'une accélération du temps qui
pousse à l'inscription dans une vitesse permanente (vitesse des échanges, des transports,
instantanéité des informations, etc). Dans ce contexte, la lenteur tend à générer une forme de
sentiment dépressif que l'individu combat par l'accélération et l'immédiateté maniaque. R.
Kaës (2012) postule que ces transformations des temporalités ont des incidences sur la
transmission transgénérationnelle contribuant aux « troubles dans les transmissions ».
E. Diet (2006, 2009) et J. Arènes (2014) observent une tendance sociétale, qui sous
prétexte d'égalité démocratique, tend à abolir la différence générationnelle et la dissymétrie

56
des places entre adulte-enseignant et adolescent-élève. Selon eux, cette tendance infiltre le
projet éducatif et empêche l'adolescent de trouver un équilibre nécessaire entre « être à lui-
même sa propre fin » et être « le maillon d'une chaîne dans laquelle il est assujetti sans la
participation de sa volonté » (Freud, 1914/2017, p29).
Dans ce contexte sociétal d'annulation ou d'occultation des différences
générationnelles entraînant une confusion des places, et tenu de satisfaire le client élève,
l'enseignant peine logiquement à réaliser la transmission intergénérationnelle du savoir et à
faire fonction d'autorité. Comme E. Diet (2006, 2009), nous supposons que le déni des
différences générationnelles, lorsqu'il est à l’œuvre au sein de l'institution scolaire, participe
de la création de situations de rapprochement réel et/ou fantasmatique potentiellement
traumatiques entre enseignants et élèves adolescents. Du côté des adolescents, ces
rapprochements sont d'autant plus vécus comme intrusifs et déstructurants qu'ils peuvent être
perçus inconsciemment comme l'équivalent de la réalisation des désirs œdipiens ravivés à
cette période de la vie. Les enseignants doivent donc trouver un équilibre fragile, la bonne
distance, car « leur recherche de dialogue sera le plus souvent vécue comme séductrice et
intrusive, leur retrait défensif, leur réserve ou le simple maintien d'une position éducative
comme signe d'abandon ou de mépris » (E. Diet, 2009, p439). Délégitimés dans leur fonction
d'autorité par l'institution scolaire elle-même et tenus de donner l'impression aux élèves qu'ils
s'autodéterminent, les enseignants seraient poussés à avoir recours à une « séduction
démagogique » (E. Diet, 2006, p109) pour "tenir leur classe" ou mobiliser les élèves. Cette
séduction de type narcissique, vise à renvoyer à l'élève une image qui le maintient, dans une
certaine mesure, dans l'illusion d'une toute puissance infantile associée à l'auto-détermination.
Dans les faits, les enseignants souvent en difficulté pour trouver leur place dans la relation
avec les élèves, oscilleraient généralement « entre un copinage sans issue et un retrait
phobique du lien transmissif » qui prend de plus en plus la forme d' « un dressage
comportemental », ce qui implique du côté des adolescents-élèves un vécu de la relation à
l'enseignant qui les oblige à se situer « entre séduction et rejet » du lien (E. Diet, 2009, p439).
B. Mabilon-Bonfils (2005) identifie une crise de la transmission dans le champ
scolaire qui consiste dans la « rupture du pacte républicain ». Confronté à un public
particulièrement hétérogène du fait de la massification de l'entrée dans le secondaire, l'école
n'est plus en mesure d'opérer sa fonction unificatrice de formation des individus selon le
modèle de la citoyenneté. La figure prototypique du citoyen serait celle de « l'homme d'un
seul état, d'une seule foi (le républicanisme laïque et égalitaire), d'une seule idéologie : les
droits de l'homme. Le citoyen abstrait n'a ni âge, ni sexe, ni origine sociale, ni origine

57
ethnique. » (B. Mabilon-Bonfils, 2005, p142). Une des causes principales de l'échec de cette
acculturation scolaire, selon le modèle républicain, serait que l'école, avec la massification de
l'entrée des élèves au secondaire, est tenue d'accueillir un public bien plus hétérogène associé
logiquement à une variabilité plus grande dans la maîtrise du "métier d'élève"selon les
milieux d'origine et la polarisation de ces milieux par l'institution scolaire. À cela s'ajoute le
développement de nouvelles formes de lien communautaire entre jeunes et de nouveaux lieux
de socialisation « tels les groupes de pairs, les églises, les tribus, les médias ou encore
certains lieux de consommation » (2005, p155) produisant des « normes alternatives » qui
peuvent faire concurrence au mode de socialisation scolaire.
Plusieurs auteurs chercheurs dans le champ de la psychologie comme Ph. Lacadé
(2013) et N. Catheline (2016) et dans le champ de la philosophie (M-C Blais, M. Gauchet et
D. Ottavi, 2016) soulignent que le développement exponentiel de ce mode alternatif d'accès
au savoir, ou plutôt à l'information, que constitue internet, tend à remettre en cause
l'enseignant et plus largement l'institution scolaire dans leur fonction de transmission du
savoir. Un certain usage d'internet et certaines nouvelles technologies qui imprègnent
particulièrement les activités quotidiennes des adolescents sont susceptibles de leur donner
l'impression qu'ils peuvent se passer du lien de transmission professeur-élève pour accéder au
savoir. Ainsi « le professeur n'est plus le seul par qui le savoir arrive, d'où son sentiment de
ne plus servir qu'à tenter de cadrer l'incadrable. Sa place symbolique n'étant plus aussi
prégnante, l'élève estime ne plus avoir à en passer par lui, du coup il n'est plus respecté. »
(Ph. Lacadé, 2013, p79). Selon M. C Blais, M. Gauchet & D. Ottavi (2016) bien que
escamotée, voilée et déniée par la société et le système scolaire lui-même, l’œuvre de
transmission demeure agissante en sous-bassement de toute relation enseignant-enseigné et
de tout apprentissage. Ils écrivent ainsi que « apprendre, consiste toujours à se confronter à
une antériorité, à un domaine déjà là, avec ses titulaires, ses aînés, ses autorités vis-à-vis
desquels vous êtes un néophyte, un nouveau venu, en quelque manière un enfant. » (p100). Ils
définissent deux attitudes psychiques possibles par rapport à cette situation. « Le choix est
entre l'effraction et l'adoption : ou bien vous prenez le parti de vous faire tout seul, de vous
imposer par vous-même, ou bien vous cherchez à être reconnu par vos prédécesseurs et à
vous faire investir de la perpétuation de leur œuvre. » (p100). Nous pouvons considérer que
chaque élève est amené à se situer entre ces deux pôles. À la lumière de l'analyse des
différents auteurs cités nous pouvons considérer que les mouvements sociétaux actuels
tendent à déplacer le curseur vers un excès du pôle effraction au détriment du pôle adoption.

58
Il nous semble que cette crise de la transmission dans le champ scolaire associée à une
configuration problématique de la relation élève-professeur est à inscrire dans le contexte
plus global d'une crise de la transmission qui touche la société française (R. Kaës, 2012 ; J. P.
Pinel & G. Gaillard, 2013 ; E. Diet, 2009 ; M. C. Blais, M. Gauchet & D. Ottavi, 2016).
Selon E. Diet (2009), cette crise est liée aux effets conjugués de la propagation de l'idéologie
néo-libérale et de la déconstruction du modèle patriarcal de filiation « au profit d'une
parentalité opératoire soumise directement au pouvoir de l'état » devenu le « seul légitime de
juger du bien et de l'intérêt de l'enfant » (p434). J. Arènes note que la « culture
contemporaine » tend à fragiliser le lien de filiation au profit du lien contractuel par « lequel
des individus souverains s'associent suivant des règles conventionnelles ». Le contrat étant
selon lui, incompatible avec le lien de filiation : « le lien parent enfant n'est pas contractuel :
il est entendu qu'un adulte n'acquière pas un enfant par contrat . La problématique de la
filiation est marquée par une dissymétrie qui rend impossible le cadre contractuel, parce
qu'elle est affectée par une précédence temporelle qui entraîne une dette vis-à-vis des
parents, dette lestée du poids intergénérationnel. Mais cette évidence d'un lien à part en est
de moins en moins une : l'institution du lien de filiation se réduit de plus en plus à la volonté
parentale et à son vœu de validation par le socius » (2009, p465). Ceci aurait grandement
contribué à générer une incertitude chez les parents et plus généralement chez les adultes
porteurs d'une fonction de transmission (tels que les enseignants), incertitude quant à la
légitimité d'opérer une fonction de transmission et incertitude quant à savoir quoi transmettre
aux générations futures. Concernant la filiation, c'est la filiation instituée qui définit une place
à chacun dans la structuration familiale qui se trouve fragilisée au profit, selon J. Arènes, de
la « filiation narcissique » qui renvoie plus à l'investissement de l'enfant par les parents
comme prolongement narcissique.
Dans ce contexte, de nombreux adultes tendent à éviter d'opérer une fonction de
transmission pour ne pas être confronter à l'incertitude (que transmettre ? Suis-je légitime
pour transmettre ? Comment transmettre?) mais aussi, nous le supposons, pour éviter d'être
débordés par les désirs (d'accomplissement narcissique pour une grande part) mis en jeu dans
la transmission, désirs qui seraient aujourd'hui moins bien contenus, cadrés, par une filiation
instituée fragilisée quant à sa capacité à garantir un ordre symbolique et, en premier lieu, une
différence générationnelle. Dans la continuité de nos propos, J. Arènes (2009) suppose que
les discours qui prônent une pratique éducative inscrite dans la « symétrie
intergénérationnelle » associée à l'idée de « la démocratie des relations éducatives »,
constituent en fait « une formation réactionnelle contrebalançant difficilement la puissance

59
du désir d'enfant et du désir pour l'enfant » (p467). Sous couvert de démocratie, il s'agirait
donc, dans une certaine mesure, d'un évitement des désirs engagés dans la transmission.
L'évitement de la tâche de transmission qui prendrait donc bien souvent l'allure d'un vœu
d'égalité démocratique et d'autodétermination, empêchant les enseignants de se poser et se
proposer comme objet identificatoire adulte à la génération qui leurs succède. Selon J. Arènes
« la période de réorganisation qu'est l'adolescence est abordée, dans la culture
contemporaine, de plus en plus sur le modèle de l'expérimentation, prenant la place du
modèle antérieur de l'identification à la génération précédente » (2009, p472).
Nous retrouvons donc ici la question de l'identification impliquée au premier chef
dans l’œuvre de transmission intergénérationnelle. J. Y. Chagnon et F. Marty (2006)
soulignent combien est importante l'identification de l'enfant et de l'adolescent aux
ascendants, dans la mesure où elle forme et soutient le surmoi dans sa fonction de cadre qui
fixe une limite à la toute puissance. L'identification aux ascendants permet donc aux
adolescents d'accéder à la liberté, c'est à dire ne plus être gouverné par ses pulsions et
impulsions et pouvoir exercer sa « responsabilité personnelle » (nous le comprenons comme
se reconnaître et se revendiquer responsable de ses actes avec tout ce que cela implique à
terme quant à en assumer les conséquences).
La tâche de transmission intergénérationnelle reposant en partie sur l'identification,
nous pouvons considérer les difficultés relationnelles entre enseignants et adolescents inscrits
dans une dynamique de décrochage comme un processus d'identification en panne. Pour que
l'identification puisse opérer entre enseignant et élève, il ne suffit pas que l'enseignant assume
un rôle d'objet identificatoire, il faut aussi, du côté de l'élève, qu'il accepte voire désire
« l'effet de l'autre ascendant » en lui. S'identifier à la génération ascendante c'est,
particulièrement pour l'adolescent, prendre le risque d'être formé et déformé « parfois pour le
pire, le plus souvent pour le meilleur » (F. Marty & J. Y. Chagnon, 2006, p2). Dans cette
période de transformation de l'esthétique et des sensations du corps, vécue toujours à plus ou
moins grande intensité comme déformation d'une forme infantile de soi, l'entreprise nous
semble effectivement risquée (bien que quotidienne et nécessaire) de s'investir dans un lien
identificatoire dont on ne peut prévoir les effets de formation-déformation qu'il aura.
Processus d'identification formatrice-déformatrice aux professeurs déjà souligné par S. Freud
évoquant le rapport que lui et ses camarades entretenaient avec leurs professeurs de lycée
« Nous (…) étudiions leur caractère et formions ou déformions les nôtres sur ce modèle »
(1914/2013, p208). Accepter l'effet de l'autre ascendant en soi et d'être formé-déformé par le

60
processus identificatoire, nous semble faire parti d'un travail de la passivité particulièrement
mis en jeu dans la transmission du savoir entre élève et professeur.

Du débat dans le champ de l'éducation ainsi que du discours des acteurs adultes du
système scolaire, émergent plusieurs figures de l'élève actif ou passif. Les élèves en difficulté
au collège interrogent, plus qu'auparavant, dans une ancienne école plus élitiste, le
fonctionnement et les valeurs du système scolaire, ceci dans un contexte de crise de la
transmission. Les interrogations et le travail de réflexion des chercheurs et des praticiens dans
le champ de l'éducation s'orientent notamment vers la question de savoir : quelle doit être la
position de l'élève par rapport au savoir scolaire et dans la relation à l'enseignant ? ou quelle
place donner, proposer à l'élève pour qu'il apprenne ?
C'est dans les discours tentant d'apporter des réponses à ces questions que
transparaissent les couples actif-passif. Ainsi se dégage la figure de l'élève acteur de son
savoir qui nous semble se décliner principalement sous deux formes distinctes :
- l'élève autonome-actif qui s'autodétermine et s'autodiscipline, mettant ainsi hors jeu la
configuration d'une transmission intergénérationnelle et la fonction d'autorité de l'adulte,
plaçant l'enseignant dans un rôle d'accompagnateur opératoire (figure de l'enseignant
technicien-expert) ou séducteur (notion de séduction narcissique que nous abordons plus
loin) de l'élève vers une démarche active de construction de son savoir. Dans cette
perspective l'élève passif est, à l'opposé, celui qui n'est pas autonome manifestant sa
dépendance à l'égard de l'adulte, son besoin d'étayage, demande d'attention qui transparaît
particulièrement dans le discours critique des adolescents inscrits dans un parcours de rupture
ou de décrochage scolaire. L'élève passif est aussi celui qui donne à voir une absence de
mobilisation dans les apprentissages souvent interprétée en terme de résistance passive (le
terme de résistance faisant apparaître la démarche active qui sous-tend cette posture de
passivité).
- de cette figure de l'élève actif nous pouvons distinguer celle qui nous semble transparaître
dans le discours de chercheurs tel que Ph. Meirieu (2013) et qui se rapprocherait de la
conception de l'adolescence portée par Ph. Gutton et J. Bordet dans leur ouvrage
« adolescence et idéal démocratique » (2014). Selon Ph. Gutton et J. Bordet, une aspiration à
créer un vivre ensemble proche de l'idéal démocratique caractériserait les communautés
adolescentes. Concernant le champ scolaire, l'idée serait de proposer à travers un certain
mode d'enseignement, une certaine relation pédagogique et organisation de l'institution
scolaire, un espace de liberté créative à l'élève adolescent ou pré-adolescent. Faire vivre

61
l'institution scolaire comme un espace le plus démocratique possible où les élèves prennent
une part active dans la vie institutionnelle. Espace de « créativité encadrée » (Ph. Gutton,
2014) pour que l'élève trouve sa place dans ce système scolaire qui lui préexiste et caractérisé
par une culture - certains parlent de culture de l'écrit (B. Lahire, 1992) ou du verbo-
conceptuel (N. Catheline, 2016) -, qui pour un grand nombre d'élèves, se trouve éloignée de
leur culture ou de leur mode de socialisation familiale et/ou entre pairs. L'activité de création
est ici, pour une bonne part, identitaire ou identificatoire dans la mesure où il s'agit de
composer une continuité entre les différentes positions identificatoires caractéristiques des
contrats narcissiques primaires et secondaires mis en jeux. Ce n'est qu'à partir de ce travail
d' « intersignification » (J. Y. Rochex, 2009) que le collégien va mettre du sens sur ce qu'il
fait ou ne fait pas au sein de l'institution scolaire. Selon J. Y. Rochex (1998, 2009), il n'y a pas
d'activité d'apprentissage qui ne fasse l'objet d'une mise en sens. Le sens est, selon lui, le fruit
du rapport entre le mobile personnel de l'engagement du sujet dans l'activité et le résultat
immédiat attendu, « rapport du motif de l'activité au but immédiat de l'action » (J. Y. Rochex
citant Leontiev). Le sens serait « l'interface entre l'ici et maintenant de l'activité, son versant
objectif qui se donne à voir en termes d'actions et d'opérations, évaluables du point de vue de
leur efficacité et de leur efficience et son versant subjectif qui, lui, se dérobe non seulement
au regard de l'observateur, mais bien souvent à la conscience même du sujet et renvoie à tout
ce qui est constitutif de son rapport au monde (…), aux processus subjectifs de genèse et de
transformation de ce complexe de mobiles qu'est sa personnalité » (1998, p47). Le sens
renvoie au comment faire pour atteindre mon but ? Et au pourquoi (pourquoi suis-je engagé
dans cette formation ?) attaché au mobile subjectif de l'activité. Dans cette perspective, nous
considérons que l'élève est actif à partir du moment où il met du sens sur son activité au sein
de l'école, que ce sens soit positif ou négatif (par exemple : je suis obligé d'effectuer cette
corvée si je ne veux pas me faire punir). C'est la question de l'appropriation de ce qui est
transmis par les ascendants enseignants.
Dans la perspective d'une œuvre de transmission transgénérationnelle dans le champ
scolaire, l'objectif pédagogique principal serait de mettre en œuvre un enseignement qui
mette l'élève en place de « je héritier actif de ce qui lui a été transmis », actif car « ce dont il
hérite, il ne le possède que par une action dont il est l'auteur » (R. Kaës, 2012, p205). Par
son activité de mise en sens, d'appropriation, l'élève serait ainsi conforme au sujet de la
transmission que S. Freud définit par cette citation de Goethe : « ce que tu as hérité de tes
pères, afin de le posséder, acquiers-le . » (1923/2001, p221-222). Par contraste, nous
pourrions supposer que la passivité renvoie au non-sens ou autrement dit à une activité vide

62
de sens. Ainsi l'élève passif serait celui qui ne met pas de sens sur ce qu'il fait à l'école, qui
fait sans avoir une idée du pourquoi. D'une certaine manière l'activité est dévitalisée, l'élève
se rapprochant de la machine ou du robot. Selon cette conception la passivité serait donc
associée à une image négative de l'élève associée au manque d'autonomie, à l'opposition
passive, à l'élève machine, à la soumission, etc...
Cependant nous avons évoqué une autre passivité qui nous semble plus positive car
elle participe de la transmission intergénérationnelle entre l'enseignant et l'élève. Cette
passivité nous l'avons approchée en abordant : d'une part l'acceptation voire l'accueil de la
formation-déformation de soi, effet de l'identification à l'autre ascendant ; et d'autre part,
l'acceptation et l'investissement d'une séduction (tempérée) opérée par l'enseignant. En effet,
nous avons vu que selon plusieurs chercheurs orientés par la psychanalyse, dans le champ de
la pédagogie (J. Filloux, 1996 ; C. Pujade-Renaud, 1983 ; C. Blanchard-Laville, 2001 ;
Pechberty, 2015 ; M. Cifali, 1994) enseigner ne va pas sans une certaine séduction tempérée
visant à attirer l'attention de l'élève et créer une atmosphère sécurisante propice à
l'apprentissage. Dans ces conditions, accepter l'effet de l'autre ascendant en soi revient aussi à
accepter d'être séduit par le discours et « le corps de l'enseignant dans la classe » (gestuelle,
voix, regard, positionnement dans l'espace, etc...).
Plus généralement nous proposons de définir une certaine passivité de l'élève comme
l'acceptation et l'investissement des transformations internes à différents niveaux - de
l'identité, de l'état affectif, de l'excitation, de la cognition (accès à l'abstraction par exemple) -
qui naissent dans et par la relation à l'enseignant et qui opèrent hors du contrôle (actif) du
sujet.
A la lumière d'une telle définition de la passivité de l'élève dans la relation au
professeur, il nous semble que l'activité de l'élève qui consiste à chercher et construire « le
sens de l'expérience scolaire » (J. Y. Rochex, 1998) s'enrichit et s'élargit. Ainsi, dans la
perspective d'une mise en sens de son expérience scolaire, l'élève est tenu de donner sens à
ces transformations vécues passivement dans la relation à l'enseignant. Nous revenons ici à
la question de l'activité d'appropriation (appropriation d'une place dans l'institution, dans le
défilé des générations, appropriation d'une activité, d'une expérience), il s'agit ici pour l'élève
de s'approprier les transformations internes qui peuvent être considérées comme des effets
non maîtrisables de la relation à l'enseignant. Donner du sens, se représenter ces
transformations internes permettrait au sujet-élève de préserver le sentiment d'une maîtrise
ainsi que d'exercer un contrôle à minima sur ce qui ''se passe'', se transmet dans la relation à

63
l'enseignant. Cette activité participe ainsi du processus d'appropriation qui permet à l'élève de
se positionner comme acteur de ses apprentissages et investir le champ scolaire.

Nous supposons que pour pouvoir s'inscrire dans la transmission du savoir scolaire,
l'élève est tenu de trouver un équilibre entre une certaine passivité et une certaine activité. Il
doit pouvoir supporter d'être transformé par l'expérience de la relation à l'enseignant, c'est là
le versant passivité, et mettre en œuvre une appropriation subjective de ces transformations
internes, c'est le versant activité. La position d'élève mettrait donc particulièrement en jeu la
dialectique passivité-activité: entre être trans-formé et s'approprier ces transformations ou
entre être trans-formé et se transformer.
Cette façon de nous représenter la dialectique activité-passivité dans laquelle s'inscrit
l'élève est fortement inspirée de l'approche psychanalytique du couple activité-passivité et
particulièrement du travail de C. Chabert (1999) autour des notions d'activité et de passivité.
Selon la conception qu'elle propose, la passivité renvoie à « l'effet de l'autre en soi » c'est à
dire l'être affecté, excité et modifié par des stimuli internes (activité inconsciente en soi) et/ou
externes ; tandis que l'activité s'inscrit plus dans le registre de la maîtrise de l'exercice, et du
contrôle.
Nous avons en effet mis en évidence que la condition d'élève mobilise cette capacité à
accepter l'effet de l'autre ascendant enseignant en soi. Parmi ces effets nous avons
particulièrement étudié les effets de transformation de l'identité dus à l'identification, les
effets de séduction et les effets sur le corps de l'élève mobilisant particulièrement des enjeux
d'emprise. Tous ces effets sont autant de modifications internes ressenties par l'élève qui vont
mobiliser une activité d'appropriation subjective visant la maîtrise de ou simplement la
familiarisation avec ces ressentis.
Ce travail d'appropriation s'effectue par la représentation de ce qui s'est vécu dans la
relation à l'enseignant. Selon C. Chabert (2003) et M. Perron-Borelli (2001, 1999), c'est avant
tout l'activité fantasmatique qui va permettre de figurer « l'effet de l'autre en soi » et le
passage d'une position passive à active. Le travail d'appropriation de la passivité que doit
effectuer l'élève opérerait donc dans l'inconscient à travers le fantasme. C'est, nous semble -t-
il, la position de R. Kaës (1975) qui s'est particulièrement intéressé aux fantasmes mobilisés
dans la formation. Il propose « de définir une base nucléaire de la fantasmatique de la
formation ; cette base nucléaire est en rapport étroit avec l'activité formatrice-déformatrice
de la mère. L'énoncé typique de ce fantasme pourrait être : « on (dé) forme un enfant ». un
tel fantasme révèle la bipolarité et le conflit pulsionnel inhérent au désir de (se) former ; il

64
situe d'emblée l'enjeu de la formation dans l'infantile de l'être humain, dont l'inachèvement
psycho-physiologique le voue à la dépendance absolue vis-à-vis de l'univers maternel, à la
double angoisse d'être détruit ou de détruire, à la double jubilation de faire l'enfant et de
fabriquer un enfant (avec la mère ou le père). Une des manifestations typiques de ce
fantasme nucléaire est vérifiable dans le jeu des enfants construisant, dessinant, modelant
dans la glaise ou dans la plasticine, mettant en scène ou rêvant des petits êtres humains sur
lesquels, à l'instar de leur mère, il exercent leur désir de former et de détruire. » (1975/2007,
p4-5)
Cette fantasmatique de la formation analysée par R. Kaës vient étayer notre
proposition de considérer que l'élève est particulièrement confronté à un travail d'élaboration
des transformations induites par l'effet de l'autre ascendant en soi. Cette élaboration pour une
bonne part inconsciente, sollicite l'activité fantasmatique qui fait jouer les positions passives
et actives. Il est important de noter que selon la conception de R. Kaës, un certain type de jeu
(dessin, modelage) permet de mettre en scène l'activité fantasmatique participant ainsi de
l'élaboration des enjeux d'activité et de passivité dans la relation au formateur. Ce jeu permet,
comme dans le fantasme, de passer d'une position passive d'être formé-déformé voire détruit,
à une position active de former et/ou détruire. Les travaux de R. Kaës (1975, 2011) sur les
fantasmes de formation tendent donc à montrer que la relation de l'élève à l'enseignant
sollicite particulièrement un jeu de position passive et active qui trouve sa traduction au
niveau fantasmatique et au niveau du jeu.
La conceptualisation de C. Chabert autour de la passivité et de l'activité ainsi que le
travail de R. Kaës sur les fantasmes de formation nous paraissent donc précieux pour
appréhender ce jeu d'équilibriste entre passivité et activité qui met en jeu les éprouvés dans
la relation à l'autre suscitant un travail d'appropriation dans le fantasme et par le jeu créatif.
Il convient maintenant d'analyser de manière plus approfondie la nature des processus
psychologiques impliqués dans le développement de ce jeu entre passivité et activité dans la
relation à l'enseignant. Dans cette perspective, les travaux d'orientation psychanalytique nous
semblent être d'une bonne aide.

Nous avons montré que la qualité de la relation à l'enseignant joue un rôle


déterminant dans le processus qui va conduire le sujet adolescent ou le pré-adolescent à
investir l'école. Plusieurs travaux de recherche dans des champs différents des sciences
humaines (psychologie, sociologie, science de l'éducation) indiquent que la relation élève-
enseignant au niveau du collège mobilise particulièrement des enjeux qui concernent

65
l'activité et la passivité de l'élève dans la relation au professeur. Les débats particulièrement
vifs dans le champ de la pédagogie qui ont trait à la façon de faire sortir l'élève d'une certaine
passivité pour le positionner comme acteur de son savoir, semblent en témoigner.
L'expérience d'élève dans la relation à l'enseignant solliciterait de la part de l'élève un travail
particulier d'aménagement de la passivité et de l'activité, des positions passives et actives vis-
à-vis du professeur. Certains collégiens et particulièrement ceux identifiés comme à risque
de décrochage scolaire ou décrocheurs avérés, seraient particulièrement susceptibles de vivre
l'expérience d'élève au collège comme une expérience de passivité insupportable vis-à-vis
d'un professeur actif. Expérience insupportable d'être séduit, d'être déformé, changé du tout
au tout et d'être sous l'emprise de l'enseignant qui s'exerce d'abord sur le corps. Dans cette
perspective, le décrochage scolaire pourrait être considéré sous l'angle d'une fuite ou d'un
évitement de l'école qui confronte à des expériences insupportables de passivité dans la
relation à l'enseignant. C'est dans cette direction que va s'orienter notre réflexion. Dans cette
perspective il nous semble nécessaire de mieux définir ce que nous entendons par passivité et
activité, et de montrer comment notre conceptualisation de la dynamique activité-passivité
s'articule à l'expérience d'élève dans la relation au professeur, que cette expérience soit bonne
ou mauvaise. Nous aurons recours pour ce faire à l'approche psychanalytique des notions de
passivité et d'activité.
Nous aborderons dans un premier temps la dynamique activité-passivité dans son
rapport avec l'excitation et l'affect. Dans un deuxième temps nous nous intéresserons à la
dynamique activité-passivité telle qu'elle trouve à se figurer dans les fantasmes, notamment
ce que R. Kaës appelle la fantasmatique de la formation.

Chapitre B. Passivité et activité selon une perspective psychanalytique :

I. La passivité, la passivation et l'activité dans leur rapport à la pulsion :

1. Passivité et activité : les deux facettes d'une même pièce pulsionnelle

Dans le champ de la psychanalyse excitation et pulsion sont étroitement liées. Ainsi


selon la définition du « vocabulaire de la psychanalyse » de J. Laplanche et J. B. Pontalis la
pulsion trouve sa source dans l'excitation conçue comme « un état de tension » corporelle. La
pulsion serait à concevoir comme une poussée constante vers l'apaisement de l'excitation

66
voire vers l'extinction de tout état de tension. L'excitation pulsionnelle provient d'une zone
corporelle identifiée et investie par le sujet comme source d'excitation. La pulsion peut ainsi
se définir par sa source d'excitation orale, anale ou génitale qui correspond à une zone
corporelle d'où part l'excitation appelée zone érogène. La zone érogène désigne « toute
région du revêtement cutanéo-muqueux susceptible d'être le siège d'une excitation de type
sexuel » (J. Laplanche et J. B. Pontalis, 1988). La pulsion est également déterminée par son
but (par exemple le but de voir pour la pulsion scopique). Freud (1933) distingue des pulsions
à but actif et des pulsions à but passif, ces dernières ne doivent pas être confondues avec la
passivité car « une grande part d'activité peut être nécessaire pour imposer un but passif »
(Freud, 1933/2002, p155). Freud (1915) souligne que la pulsion est toujours active car elle
est essentiellement de l'énergie (fournie par l'excitation sexuelle) en mouvement à la
recherche de satisfaction. Cependant Freud évoque dans « pulsions et destins des pulsions »
(1915) l'éventualité du « retournement de la pulsion de l'activité en passivité » (1915/2012,
p90) qui s'opère par le retournement du mouvement pulsionnel sur la personne propre. Il
prend l'exemple du masochisme qu'il propose de considérer comme « un sadisme retourné
contre la personne propre » (1915/2012, p90). Freud distingue deux temps dans cette
opération de retournement pulsionnel :
1 – l'objet sadisé est remplacé par la personne propre et par conséquent le but pulsionnel actif
(exercer une emprise sadique) se transforme en but passif (être sadisé par l'autre)
2 – le sujet délègue son rôle sadique à « une personne étrangère » et prend du plaisir en
s'identifiant à cette personne mise en place d'agresseur sadique.
Nous pensons, tout comme A. Green (1999), que selon cette configuration, parler de
but passif est discutable puisque il s'agit en fin de compte de retrouver par l'intermédiaire de
l'identification à l'autre sadisant, le plaisir éprouvé dans la position active d'exercer son
sadisme sur autrui. « l'identification permet (ainsi) de jouir de toutes les positions » (p1590).
A. Green souligne qu'on « peut parler de satisfaction active par identification » (p1591). Le
masochisme correspond pour A. Green à ce qu'il appelle la passivité de jouissance qui fait
référence à « un mode de jouissance à but passif » activement recherché et provoqué dans la
relation à l'autre. Ce mode de jouissance a ceci de particulier, qu'il nécessite l'intervention de
l'autre « qu'il agisse en tant que séducteur (ou bourreau dans le cas du masochisme) ou qu'il
soit mis à cette place par la représentation » (1999, p1590).
Concernant l'excitation, P. Denis (1999) postule l'existence d'une excitation de base
indépendante des mouvements pulsionnels, « excitation sexuelle psychique spontanée, auto-
engendrée, indépendante des stimuli venant d'autrui et qui reste indifférenciée, flottante tant

67
que des voies d'investissement ne lui sont pas ouvertes » (p1581). Selon sa conception la
pulsion serait un vecteur qui canalise l'excitation vers un but premier, la satisfaction. Il y a
une première mise en forme, organisation du chaos de l'excitation de base par la pulsion.
Comme P. Denis nous distinguons « l'excitation flottante » et l'excitation pulsionnelle
(excitation vectorisée par la pulsion vers la satisfaction). Selon cette conception, lorsque la
pulsion ne peut plus opérer sa fonction de canal de l'excitation, le sujet est confronté au
débordement par l'excitation flottante, ce qui constitue une expérience de « passivité
traumatique » ou « passivation » caractérisée par le sentiment d'impuissance du sujet à
contenir l'excitation qui s'impose à lui. Le débordement de la capacité des pulsions à
vectoriser l'excitation vers une satisfaction correspondant à une zone érogène intervient dans
deux types de situations : lorsque le sujet est confronté à une sur-stimulation excitante ou
lorsqu'il est confronté au manque de satisfaction pulsionnelle de façon trop prolongé ou trop
précoce dans son développement. Dans ces deux situations l'état de tension excitationnelle
trop élevé déborde les capacités du sujet à se représenter ce qui se passe en lui, avec pour
conséquence le sentiment d'impuissance face à ce « corps étranger interne » (J. schaeffer,
2013) qui se manifeste avec fracas. A. Green (1999) attire notre attention sur le processus
traumatique lié au manque de satisfaction et à l'absence d'objet de la satisfaction. Il souligne
que le sujet confronté de façon trop intense et/ou trop prolongée au manque ne peut plus faire
suffisamment appel à la satisfaction hallucinatoire du désir pour pallier cette situation
autrement intenable. Le sentiment d'omnipotence s'en trouve atteint, c'est à dire le sentiment
vital d'avoir un pouvoir d'agir sur l'environnement et sur soi-même selon son désir. Il faut
d'ors et déjà noter que dans ces situations le débordement excitationnel passivant entraîne en
retour une forte activité nourrie par « l'énergie du désespoir » pour tenter de préserver un
sentiment d'omnipotence à minima. Ce dont nous parlons nous paraît bien imagé par A.
Green qui insistant sur le lien étroit entre passivité (au sens de passivation) et activité dit :
« comment ne pas oublier que la réduction à l'impuissance la plus complète (passivation) est
à l'origine de ce que l'on appelle l'énergie du désespoir ? ». Question qu'il adjoint à celle-ci :
« comment ne pas penser que le soldat en plein combat, mobilisant toutes les ressources de
son activité n'est pas hanté par l'éventualité de sa propre passivité imposée par l'action de
l'autre ? » (1999, p1592) . Cela nous incite à penser l'activité et la passivité comme les
facettes d'une « même pièce » (F. Poupart & G. Pirlot, 2014), l'une n'allant pas sans l'autre.
Concernant plus particulièrement la pulsion, C. Chabert (1999) et P. Denis (1997, 1999)
postulent, chacun à leur façon, une double dimension passive et active de la pulsion.

68
C. Chabert (1999, 2004) postule que les mouvements pulsionnels comportent une
dimension passive et active : « passive du côté de la sensation et de l'empreinte , de la
perception comme effet de stimulus interne ou externe; active du côté de la maîtrise et de
l'exercice du contrôle » (1999, p1446). Partant de ce postulat, la passivité renvoie en premier
lieu à la possibilité d'éprouver les sensations qui naissent dans la relation à l'autre et accepter
les transformations internes qui accompagnent ces sensations. Dans cette perspective,
l'excitation, être excité, constitue le premier signe de transformation interne à l’œuvre en
rapport avec « l'effet de l'autre en soi » (C. Chabert, 2004, p712). Cela se manifeste ou
s'éprouve d'abord sur un plan quantitatif : « l'effet de l'objet se repère dans une augmentation
de l'excitation » (C. Chabert, 2004, p712). Ainsi la passivité est définie par C. Chabert (2004)
à son niveau premier comme « l'être excité par l'autre ». Ceci signifie que la passivité
implique plus que l'activité, l'action de l'autre sur soi, qu'il soit autre différencié de soi ou
perçu comme double de soi dans une relation spéculaire. Nous en déduisons que l'activité
concerne davantage l'action de soi sur l'autre et plus généralement sur l'environnement. C.
Chabert, distingue une excitation provenant des stimuli externes et une excitation sexuelle
interne s'originant dans les mouvements pulsionnels. Excitations externes et internes se font
écho, s'alimentent l'une et l'autre. Il nous semble que C. Chabert désigne, plus que l'excitation
en elle-même, la perception de l'excitation. Perception des stimuli du monde extérieur et de
ceux provenant de l'inconscient qui « s'alimentent mutuellement, interagissent les unes sur
les autres » ayant « un pouvoir de transformation et donc de déformation » (2004, p706). Le
versant activité donc de maîtrise, d'exercice du contrôle inhérent au mouvement pulsionnel
nous semble abordé par C. Chabert dans son analyse de certains processus
psychopathologiques. Ainsi, dans le registre de la dépendance pathologique elle note le
surinvestissement de la perception externe ou « surinvestissement des surfaces sensibles »
visant la non reconnaissance, le non traitement des perceptions internes moins maîtrisables,
plus floues et plus imprévisibles. « enveloppes corporelles, image du corps, intensité du
visuel, appropriation de l'externe autant d'investissements périphériques qui tentent
d'oblitérer les impératifs des contraintes intérieures » (2004, p711-712). Le but d'un tel
surinvestissement serait avant tout de lutter contre l'excitation générée dans la relation à
l'autre, donc contre la passivité au sens de C. Chabert. L'effet recherché est de créer l'illusion
pour soi (peut être aussi pour l'autre) « du contrôle, de la maîtrise, du pouvoir sur les
mouvements pulsionnels » (2004, p712). Nous retrouvons donc là ce qui définit la dimension
active des mouvements pulsionnels et logiquement nous en déduisons que la pulsion contient

69
en elle-même une composante ou une dimension nommée par C. Chabert « activité » qui se
trouve chargée de maîtriser, de contrôler l'excitation pour se prémunir de la passivation.
P. Denis (1997, 1999) défend une conception différente du dualisme passivité-activité
en rapport avec la pulsion. Il propose d'envisager la pulsion comme composée de « deux
vecteurs distincts : l'investissement en emprise et l'investissement en satisfaction. » (1997,
p50). Il parle du formant d'emprise et du formant en satisfaction de la pulsion. Le formant
d'emprise de la pulsion canalise l'excitation de différentes sources pulsionnelles pour viser la
maîtrise de l'objet et des excitations internes par l'intermédiaire de « l'appareil d'emprise ».
Cet appareil peut être considéré comme l'ensemble des activités du sujet visant le contrôle
des objets externes et des excitations internes de façon à aboutir à la réalisation du but
pulsionnel et donc à la satisfaction. L'appareil d'emprise représente toutes les activités
psychiques et motrices du sujet qui organisent l'action sur le monde extérieur et sur son corps
propre et la réception des sensations et stimulations internes et externes. L'appareil d'emprise
dirige les opérations de mise en contact des éléments de l'extérieur (les objets) avec les zones
érogènes pour aboutir à la satisfaction du but pulsionnel. « L'emprise est ainsi la tentacule
qui relie le système de plaisir au monde extérieur » (1997, p107). Le registre de l'emprise
serait fortement mis en jeu dans la motricité et la musculature visant le contrôle de l'objet
externe, mais aussi dans l'activité attentionnelle portée vers les perceptions et l'identification
de stimuli externes et des sensations internes.
Ainsi, P. Denis (1997, 1999) ne place pas les sensations du côté de la dimension
passive de la pulsion comme le propose C. Chabert, mais plutôt du côté d'une activité de
« réception » des sensations et de « l'emprise exercée par autrui ». Il écrit que « recevoir est
une forme d'emprise … emprise en réception » qui implique « une attention plus centrée sur
le corps propre, une orientation plus narcissique » (1997, p55-56). La passivité évoquée par
C. Chabert renverrait donc plus selon P. Denis à une activité d'emprise en réception, une
forme « d'active passivité » (P. Denis, 1999) donc. Cependant C. Chabert (2014) a insisté
dans un écrit récent sur le fait qu'elle ne conçoit pas la passivité comme relevant seulement de
la « réceptivité , peu s'en faut» mais « mobilisée par l'excitation » (p1439). Il nous semble
que ce qu'elle signifie là est que l'excitation est fondamentalement imprévisible et les
modifications du psychisme qu'elle engendre également. La réception renvoie à une forme de
maîtrise, d'anticipation qui ne peut pas s'appliquer totalement à l'excitation. Nous supposons
que cela renvoie à cette possibilité de se sentir ou se percevoir étranger à soi-même car
traversé et modifié par un « corps étranger interne » (J. schaeffer, 2013), l'excitation
pulsionnelle.

70
M. et J. Cornut (1993), font l’hypothèse d’une passivité d’accueil qui ressemble fort à
l'emprise en réception de P. Denis, elle serait la « traduction du principe de constance
(homéostasie), qui en première ligne et en permanence, permettrait d’atténuer en la recevant
et l’accompagnant toute intrusion susceptible de menacer la cohésion narcissique du moi »
(p1536). Cependant à la différence de P. Denis, ils y voient un désinvestissement de l’appareil
d’emprise dépassé par la surcharge excitationnelle et l’énergie dépensée en emprise est
déplacée vers l’investissement du perceptif, du sensitif et de l’affectif permettant ainsi au
sujet d’éprouver, « toute la gamme qualitative des affects de la douleur la plus
...cauchemardesque au plaisir le plus riche » (p1539). La fonction de cette passivité serait
proche de celle du sommeil dans la mesure où il y a une mise hors jeu de l'emprise dans l'état
de sommeil qui laisse libre cours à la rêverie. Ils supposent que cet état de passivité serait,
tout comme le sommeil « habité par des rêves […] mais aurait l'avantage sur le sommeil de
pouvoir vivre pleinement le registre du sensible. C'est la liberté du rêve sans les
inconvénients du sommeil » (p1539). Cet accompagnement du ressenti et cette acceptation
d'un état proche de la rêverie permettraient d’atténuer « la percée intrusive » et peut être
d’accéder à une certaine forme de jouissance sexuelle de l'effraction qui relève d'une
expérience « de la perte de contrôle, (de) l'effacement des limites, (de) la pénétration » et
« la possession » par l'autre (J. Schaeffer, 1997/2013, p150). Mais cette passivité d'accueil,
M. et J. Cornut en ont bien souligné le caractère utopique, réservé à des êtres surnaturels. Les
humains ne peuvent se permettre qu'une passivité limitée, jamais totalement dèsintriquée
d'une dimension d'emprise à visée de maîtrise, ce qui nous renvoie à la dualité pulsionnelle
(passive-active notamment). Ils prennent l'exemple, pour illustrer cette dualité, de la réaction
du bébé aux premières excitations par la mère, relevant l'activité motrice du registre de
l'emprise qui suit ou accompagne ce que l'on peut supposer être un éprouvé de passivité en
rapport avec l'excitation-affectation, qui naît dans la relation à la mère.
P. Denis (1997, 1999) identifie lui aussi une dimension passive de la pulsion qui
caractérise le formant en satisfaction. P. Denis (1997) fait correspondre le formant en
satisfaction de la pulsion avec la tendance à trouver satisfaction par une voie qui ne prend pas
en compte la réalité externe ; cette voie étant principalement celle de l'hallucination de
satisfaction et du fantasme. P. Denis établit ainsi un parallèle entre le registre de la
satisfaction et le moi plaisir en opposition au moi réalité qui relèverait plus de l'emprise. Le
sujet dominé par le moi plaisir préférera la satisfaction fantasmatique plutôt qu'entreprendre
des actions visant à intervenir dans la réalité pour obtenir satisfaction. P. Denis suppose que
cette attitude est significative d'un « désinvestissement du formant d'emprise de la pulsion au

71
profit du fantasme et du système représentatif, le moi plaisir prenant le pas sur le moi
réalité » (1997, p79). La passivité est ce qui caractérise l'expérience de satisfaction dans la
mesure où le formant d'emprise est désinvesti car le but pulsionnel est atteint. Il y a donc un
relâchement de l'activité d'emprise au profit d'un investissement de l'expérience de
satisfaction, qui pourrait être définie comme une expérience de l'abaissement des tensions
associée à la réduction de l'activité psychique à son niveau le plus faible . P. Denis (1999)
propose d'ailleurs de définir la passivité sur un plan métapsychologique comme « l'état de
moindre activité du psychisme » (1999, p1581).

Au vu de ces différentes approches qui nous paraissent pertinentes pour traiter du


problème de la dynamique activité-passivité sur le plan pulsionnel, nous choisissons de
définir la passivité comme la possibilité de s'éprouver comme n'étant « pas maître en sa
demeure » (J. Schaeffer, 1997) mais traversé et modifié par des forces, sensations, des affects
qui laissent leur empreinte formatrice-déformatrice de soi et donnent le sentiment d'un
« corps étranger interne » - J. Schaeffer (1997) désigne ainsi la poussée pulsionnelle -
agissant et suscitant parfois des images, des représentations qui s'imposent à la conscience.
Cette expérience sera plus ou moins douloureuse ou jouissive, en fonction de la capacité du
sujet à désinvestir l'appareil d'emprise pour se laisser traverser-modifier par l'excitation
pulsionnelle ou non pulsionnalisée (excitation flottante), et peut-être aussi, laisser libre cours
à une forme de pensée hallucinatoire proche du rêve que P. Denis (1997) rattache au formant
satisfaction de la pulsion. Pour apprécier ou du moins supporter cette expérience de passivité,
nous supposons qu'il faut pouvoir en jouir, dans une certaine mesure, jouir de l’effraction par
de grandes quantités pulsionnelles inévitables débordant le système de pare-excitation. Nous
proposons de définir la passivité comme une capacité ou un processus permettant d’accueillir
le débordement pulsionnel effractif et d’en jouir, ce qui rejoint la définition que J. Schaeffer
(1997) donne du féminin (nous l'abordons au dernier chapitre) et la passivité d'accueil
proposée par J. et M. Cornut (1993).
Du côté de l'activité, nous choisissons de désigner tout ce qui entre dans le registre de
l'emprise selon P. Denis (1997), c'est à dire qui vise la maîtrise de l'objet et de l'excitation.
Emprise dirigée vers l'externe et l'interne.
Nous supposons que la passivité survient quand l'emprise en réception est débordée,
c'est à dire quand la centration sur les sensations à visée de maîtrise n'est plus opérante et
laisse place à un autre type de centration sur les sensations guidé par la passivité d'accueil et
pouvant conduire la jouissance de l'effraction pulsionnelle.

72
Nous souscrivons à l'hypothèse de C. Chabert (1999) qui postule que la passivité
implique plus que l'activité l'effet de l'autre sur le sujet au sens d'être excité-affecté par
l'autre, et en déduisons que l'activité implique plus que la passivité l'effet de soi sur l'objet et
plus largement sur l'environnement externe, ceci, dans une visée de maîtrise. Il faut préciser
que l'objet peut être soi ou le corps propre pris comme objet de l'activité d'emprise.
Tout comme semble le suggérer la théorie de C. Chabert (1999), nous pensons que la
passivité et l'activité en rapport avec la pulsion sont difficilement concevables sans prendre
en compte la relation d'objet.

2. Pulsion messagère et passivation lorsque le message reste sans ''accusé de réception'' :

A. Green (1993, 1999) et R. Roussillon (2008) postulent que la pulsion ne peut


trouver satisfaction voire ne peut exister que prise dans un certain échange avec l'objet
interne et/ou externe. Selon R. Roussillon la pulsion réalise une « fonction messagère » car
elle est un mouvement « en quête de reconnaissance » par un objet partiel ou total qui puisse
accueillir, interpréter et apporter une réponse à ce qui lui est adressé (2008, p7). La pulsion,
pour faire passer le message, emprunterait toutes les voies de communication disponibles :
langage verbal, de l'affect et de la ''représentation de chose'' mettant en jeu le langage du
corps.
R. Roussillon (2008), s'appuyant sur l’œuvre freudienne, prend soin de différencier la
décharge pulsionnelle de l'expérience de satisfaction pulsionnelle dans la relation à l'objet.
Dans le cas de la décharge l'objet est absent, tandis que la satisfaction pulsionnelle suppose la
réponse adéquate de l'objet. La décharge pulsionnelle sexuelle, sans objet pour la recevoir et
la partager, constitue une expérience potentiellement traumatique qui intervient selon S.
Freud (1895, 1896) dans la constitution des névroses dites actuelles. Décharge qui s'actualise
dans une certaine pratique de l'onanisme ou encore dans le coït interrompu. Selon R.
Roussillon, l'affect de plaisir accompagnant la satisfaction pulsionnelle ne peut advenir que
dans une rencontre suffisamment bonne avec l'autre. Plus qu'une décharge pure, la pulsion
serait à la fois à la recherche du plaisir et à la recherche de l'objet. Il ne pourrait y avoir de
plaisir sans objet. R. Roussillon postule que « la pulsion est chercheuse de plaisir en rapport
avec l'objet, dans l'objet et le rapport à celui-ci. » (2008, p7). La pulsion s'adresserait à la
fois à un objet externe et à la représentation interne de l'objet. Freud (1920/2014) évoque
ainsi clairement dans son texte « au-delà du principe de plaisir », un double mouvement
pulsionnel : l'un cheminant vers l'objet externe, l'autre rebroussant chemin vers l'objet interne

73
et le moi. Dans ces conditions, la satisfaction pulsionnelle dépendra de la concordance entre
l'objet interne et la réaction effective de l'objet externe. C'est la question de « l'accordage
entre l'objet interne et l'objet externe » (2008, p6). L'objet interne serait un objet déjà présent
sous la forme d'une attente implicite de satisfaction qui oriente le mouvement pulsionnel. A.
Green écrit ainsi que « l'excitation pulsionnelle ne se borne pas à produire une tension, à
réclamer une satisfaction, elle comprend, dans son expression, la sollicitation d'un objet
sensé, supposé lui donner les moyens de satisfaire ce qu'elle demande » (1999, p1595).
L'objet est selon A. Green « le révélateur des pulsions. Il ne les crée pas – et sans doute peut
t-on dire qu'il est créé par elles en partie – mais il est la condition de leur venue à
l'existence. Et c'est par cette existence que lui-même sera créé tout en étant déjà là. Telle est
l'explication de l'idée de Winnicott du trouver-créé. » (1993, p121)
Postulant, dans la lignée de ces auteurs, la valeur fondamentalement intersubjective de
la pulsion, nous supposons que les dimensions passives et actives du rapport du sujet à
l'excitation pulsionnelle ne peuvent se concevoir hors d'une réflexion sur les échanges entre
le sujet et « l'objet autre-sujet » (R. Roussillon, 2008). Dans cette optique nous reprenons la
définition de l'intersubjectivité proposée par R. Roussillon conçue comme « rencontre d'un
sujet animé de pulsion et d'une vie psychique inconsciente avec un objet qui est aussi un
autre-sujet et qui lui aussi est animé par une vie pulsionnelle dont une partie est
inconsciente» (2008, p2), cet objet autre-sujet échappant toujours à l'emprise totale de par son
altérité insaisissable.
L'enfant est donc cruellement confronté dès les premiers temps de vie à la submersion
par l'excitation non liée et à cette nécessité d'en passer par la réponse adéquate d'un objet
(d'abord objet partiel, proto-objet) pour ne pas mourir psychiquement. C’est en ce sens que
nous comprenons A. Green lorsqu’il écrit que « le moi est doublement passif par rapport à la
pulsion et par rapport à l’objet » (1999, p1595). Suivant en cela le point de vue de A. Green,
nous considérons que le nourrisson est dans une position de « passivité première qui tient à
la dépendance à l’égard de l’objet » (1999, p1595) . L’enfant fait l’expérience traumatique
(normale) de cette passivité originaire lorsqu'il a le sentiment que s'impose à lui une
submersion excitationnelle qui le confronte à son impuissance à maîtriser la crue, sans le
secours d'un objet extérieur qui aide à contenir. Green utilise le terme de passivation pour
désigner ces expériences, à différencier de la passivité qui renvoie plus à une jouissance en
position passive recherchée activement dans la relation à l’objet. Ces expériences de
passivation constituent des traumatismes narcissiques dans la mesure où elles apportent un
démenti à l’illusion d’omnipotence (normale) basé sur le sentiment narcissique d’« être à

74
l’origine ou du moins largement partie prenante de ce qui se produit en soi, voire de ce qui
se produit tout cours » (R. Roussillon, 2006), et confrontent à la sensation vive du manque
d'un objet contenant. Ces expériences susciteraient selon A. Green un état affectif extrême dit
de « passion narcissique » mêlant « amour et destructivité qui affectent d'un même souffle le
Moi et l'Objet » (1990, p197-198). Il s'agit de « passions au sens strict, c'est à dire des
amours qui font souffrir, au point de s'en défendre par un sacrifice aliénant. » (1990, p198).
Typiquement, de telles expériences de passivation sont provoquées soit par la frustration, soit
par un trop d'excitation externe qui se surajoute à l'excitation interne déjà vive de l'enfant. Le
premier objet excitant serait, selon Freud, la mère qui tout en prodiguant ses soins à l'enfant
l'excite et se positionne inexorablement comme « première séductrice » (A. Green, 1990,
p212) destinée à devenir « pour les deux sexes l'objet du premier et du plus puissant des
amours ; prototype de toutes les relations amoureuses ultérieures » (S. Freud, 1938-1940 cité
par A. Green, 1990, p213). Le nourrisson fait donc l'expérience d'une double passivation,
l'une interne et l'autre externe : « l'action de la pulsion, elle-même active « passivise » le sujet
qui la subit. Les soins maternels passivisent l'enfant. » (A. Green, 1990, p216).
Ce sera le rôle des premiers objets d’attachement que de suffisamment ménager le
sujet dans son illusion omnipotente d'agir sur tout ce qui se passe en interne et en externe,
tout en le familiarisant progressivement avec le sentiment inévitable d'être agi, pénétré et
chamboulé. Il s'agira pour l'enfant de trouver un équilibre entre activité au sens du sentiment
d'agir sur soi et sur le monde, et passivation au sens d'être agi ou agité par quelque chose
situé à l'extérieur et/ou par des forces obscures internes. Pour ce faire, il faut que l'enfant
puisse goûter au plaisir de la position passive. Ce sera le fruit d'un véritable travail de la
passivité, mené en étroite collaboration et ''connivence'' avec les premiers objets
d'attachement, qui permettra de conduire vers la jouissance en position passive d'être agi et
effracté par l'excitation et l'autre toujours imprévisibles.

II. Un travail précoce de la passivité qui s'opère dans le jeu des positions entre activité
et passivité, entre enfant et adulte :

1. Développement de la passivité dans le cadre de la relation homosensuelle ou homosexuelle


en double :

Nous commencerons par étudier ce travail de la passivité tel qu'il se dialectise avec le
registre de l'activité dans le cadre des relations précoces de l'enfant avec ses premiers objets

75
d'attachement et plus spécifiquement l'objet maternel. R. Roussillon (2011) développe un
point de vue original autour du « concept de maternel primaire » qui recouvre selon lui les
principales fonctions développementales de la mère dans la relation précoce à l’enfant.
Certaines de ces fonctions jettent une lumière intéressante sur la passivité telle que nous la
concevons, notamment dans son rapport à la pulsion et l'excitation.
L’une des tâches premières de la mère est d'instaurer avec l'enfant un certain genre de
« chorégraphie » des gestes et des sensations, « un ballet » d'ajustement corporel et
d'accordage affectif qui permette que s'installe une relation dite « homosexuelle en double »
(R. Roussillon, 2008). La mère se positionne ainsi aux yeux de l'enfant comme double qui
opère une fonction de miroir des sensations et des affects de l'enfant. Le double est « un autre
même, un semblable, un miroir de soi, mais c'est un autre, il n'y a pas de confusion entre soi
et le double. » (2008, p122). Un double doit être « suffisamment même » pour opérer sa
fonction réflexive, spéculaire et « suffisamment autre » pour ne pas tomber dans la confusion-
fusion déroutante et excitante. Dans le cadre du partage-accordage affectif premier, la mère
signifie inconsciemment à l'enfant qu'elle a sa façon propre de refléter ses états affectifs par
tout un ensemble de signes discrets (gestes, mimiques, voix, posture etc...) qui portent
indéniablement sa signature, son sceau. « Autrement dit le « miroir » maternel communique
au bébé qu'il « fait le miroir », qu'il « fait le double » » (2008, p201) introduisant ainsi une
distance voire un prémisse d'altérité.
Selon R. Roussillon la construction d'une telle configuration relationnelle en double
se fonde sur « deux niveaux intriqués mais néanmoins distincts : le premier niveau est celui
d'un partage esthésique, d'un ajustement et d'un partage de sensations corporelles et c'est là
qu'il peut être dit homosensuel ; le second niveau est celui d'un partage émotionnel, d'un
accordage affectif. » (2008, p122).
R. Roussillon (2008) emploie le terme de « partage esthésique » pour désigner cette
chorégraphie relationnelle première qui introduit progressivement l’enfant au plaisir de sentir
son propre corps à travers l’éventail des premières praxies et des sensations cénesthésiques et
Kinesthésiques ; expérience de centration sur son corps à travers le partage avec l’objet
primaire qui constituerait un prélude à l’auto-érotisme. Ce « partage esthésique » se fait par
un ajustement réciproque de la mère et l’enfant, ajustement avant tout des mimiques, des
gestes, des postures corporelles qui participe à construire une relation en double que
Roussillon (2008) nomme « homosexualité primaire ». R. Roussillon insiste sur le fait que
l’enfant et la mère n'utilisent pas le même registre de communication corporelle notamment
parce qu'il y a un écart entre le développement des habilités motrices de l'enfant et de la

76
mère. Il y a donc de fait une certaine dissymétrie qui ne fait cependant pas obstacle à la
formation d'une relation en double. R. Roussillon postule en effet, que chacun, la mère et
l'enfant, sont capables d'établir des correspondances entre leurs messages respectifs bien
qu'ils soient inscrits dans des modes communicationnels différents. Il y a selon lui, chez tout
être humain, et de façon particulièrement développée dans les premiers échanges mère-
enfant, une capacité de « transfert sensoriel amodal » qui permet « d'établir des
correspondances d'un sens à l'autre, d'un mouvement à l'autre, d'une perception sensorielle
au mouvement correspondant. » (2008, p123) et développer ainsi un échange en miroir
malgré la différence des registres de communication (verbal, gestuel, vocal). La mise en
scène de cette chorégraphie esthésique s'appuie sur les capacités d'imitation innées du bébé
qui se manifestent d'abord à travers l'imitation des mimiques du visage et permettent un
« dialogue mimétique » avec la mère. Le bébé serait également capable de « transposer les
rythmes entendus en rythmes vus ou en mouvements rythmiques » (2008, p124). C'est cette
transposition d'un mode à l'autre, d'un registre sensoriel à l'autre qui justifie le qualificatif
''amodal''.
Le partage esthésique en se développant conduit, selon Roussillon, au partage affectif
(ou accordage émotionnel) qui s’élabore toujours selon une relation en double. R. Roussillon
considère que l'affect est constitué d'une composante mêlant somatique et physiologique, et
d'une composante psychique. La composante somatique et physiologique s'observe à travers
des manifestations variées : battement du cœur qui s'accélère, flux sanguin qui se modifie,
poils qui se hérissent, la sudation augmente ou diminue etc; de ces manifestations nous
pouvons déduire que « l'affect met le corps en tension » (R. Roussillon, 2008, p175). Chaque
affect fait intervenir une composition de manifestations somatiques. L'affect sur son versant
psychique peut être défini comme ce qui informe le sujet de l'énergie pulsionnelle en
mouvement et de ses variations, ainsi que de la façon dont les mouvements pulsionnels sont
traités ou accueillis par l'appareil psychique. La mise sous tension du corps, versant
somatique de l'affect, fait pression sur l'appareil psychique pour être représentée ou du moins
traitée par celui-ci. L'appareil psychique est donc tenu de trouver ou créer des voies de
décharge et de canalisation de la tension affective ou s'en protéger par différentes mesures
défensives pour préserver une organisation psychique à minima lorsqu'il se trouve débordé.
Dans cette perspective de traitement de l'affect par l'appareil psychique, la représentation est
la première mobilisée. Elle s'accorde à l'affect pour signifier au sujet ce qui se trame en lui. R.
Roussillon écrit que « la représentation psychique donne la forme, l'affect donne le ton et la
valeur attachée par le sujet à la représentation » (2008, p179). L'affect remplit également

77
une fonction messagère en direction de l'objet, mobilisant la capacité de l'autre à partager
l'affect, nous pourrions dire à être en empathie.
Dans le cadre des relations précoces mère-enfant, l'enfant va développer sa capacité à
éprouver des affects par l'intermédiaire du reflet que lui renvoie la mère de ses états affectifs.
L'enfant ne pourra faire accéder l'affect à la représentation psychique que si celui-ci est
suffisamment bien partagé et réfléchi par l'objet maternel. Autrement dit, les affects de
l'enfant non reconnus ou disqualifiés par la mère ne pourront pas trouver une représentation
au sein de l'appareil psychique de l'enfant. Dans ce cas, l'affect reste purement somatique et
R. Roussillon postule qu'il reste inscrit dans une sorte de mémoire corporelle qui cherche une
représentance psychique. On peut parler dans ce cas d'affect inconscient. Ainsi « l'affect ne
dépend pas de l'objet, il résulte de l'organisation des réponses psychosomatiques, mais la
manière dont le sujet entre en relation avec lui dépend, elle, de la place qu'il prend dans la
relation à l'autre sujet. » (2008, p182). Dans des conditions suffisamment bonnes, l'enfant va
pouvoir donner une coloration subjective à cette mise en tension du corps, caractéristique de
l'affect et l'inscrire dans le registre qualitatif d'une expérience de plaisir ou de déplaisir, ce qui
constitue une première organisation psychique de l'affect. Cela va donc dépendre de la façon
dont l'objet maternel reconnaît et reflète l'éprouvé du bébé en terme d'expérience de plaisir ou
de déplaisir. Selon R. Roussillon, ce n'est que dans le plaisir partagé avec la mère ou son
substitut que le nourrisson va pouvoir, dans les premiers temps de sa vie, éprouver du plaisir.
L'affect de plaisir ne peut être éprouvé par le nourrisson que dans la condition où il est
suffisamment bien réfléchi par la mère. Le plaisir partagé participerait de la satisfaction
pulsionnelle et serait une condition nécessaire pour qu'elle survienne. Ainsi, les premières
expériences de satisfaction, ou, comme l'écrit R. Roussillon, « le fond de l'expérience de
satisfaction suppose la construction et la rencontre d'un objet double de soi. » (2008, p114) à
travers une expérience de plaisir partagé. R. Roussillon développe ainsi une
conceptualisation du processus développemental qui permet au sujet de se familiariser avec
les premiers affects que sont le plaisir et le déplaisir.
Le plaisir et le déplaisir peuvent être considérés comme des méta-affects dans la
mesure où ils qualifient les différentes expériences affectives et donc participent d'une
première organisation qualitative des états affectifs (Green, 2004 ; R. Roussillon, 2008).
Ainsi certaines peurs ou colères peuvent prendre une coloration plutôt plaisante ou bien tout à
fait déplaisante. Nous désignons par affect, toutes les expériences subjectives qui vont de
l'éprouvé affectif de base plaisir-déplaisir « proche d'une pure sensation quantitative au
départ » (R. Roussillon, 2008, p174), sensation de mise en tension et de décharge, aux

78
sentiments les plus complexes tels que la culpabilité, l'amertume, l'ennui, la nostalgie … qui
résultent d'une composition d'affects. A. Green (2004) et P. Aulagnier (1975), a partir de
conceptions théoriques différentes, émettent tous deux l'hypothèse que dans la préhistoire du
sujet, l'affect et la représentation ne sont pas distincts et forment des ensembles primitifs
représentation-affect qui, selon A. Green (2004) constituent les premiers « représentants
psychiques de la pulsion ». P. Aulagnier (1975) décrit un processus inscrit dans le champ de
« l'originaire » qui métabolise « l'éprouvé affectif en un pictogramme qui est,
indissociablement, représentation de l'affect et affect de la représentation » (1975/2003,
p77). Selon P. Aulagnier (1975), nous avons recours au registre de l'originaire donc au
pictogramme tout au long de notre vie pour représenter nos éprouvés sensoriels, ceci malgré
la place principale que sont amenés à prendre les processus secondaires dans le
fonctionnement psychique au cours du développement. Processus secondaires dont le
développement repose notamment sur la séparation entre affect et représentation. Nous
distinguons une tonalité affective de base qui participe de la formation de ce que nous
pourrions nommer le caractère ou l'humeur habituelle du sujet (joyeux, colérique, introverti,
etc...) et qui traduit une certaine constance de l'organisation psychique, « de l'investissement
affectif de soi et du monde ». Sur cette toile de fond affective, les différents affects vont faire
plus ou moins de vagues en fonction des charges pulsionnelles engagées en sous-bassement
et de leurs variations. Les affects menacent parfois de déchirer la toile au risque de perdre le
sentiment de continuité d'être. C'est le cas des affects que A. Green nomme « affects du ça » :
ce sont des affects qui ne trouvent pas de représentance (« a-représentatifs ») et sont
l'expression d'une surcharge et de la désorganisation du moi face à l'intensité de la pression
pulsionnelle (2004, p253-254). Cela nous évoque ce que R. Roussillon (2008) appelle la
« passion » - sans doute directement inspiré du travail sur la passion de A. Green (1990) - qui
correspond à des expériences traumatiques où l'affect envahit tout l'espace psychique et serait
l'expression affective d'une lutte désespérée et aveugle contre la reviviscence de passions
vécues dans la première relation à l'objet maternel. Dans le contexte des relations précoces, la
passion naît à des moments particuliers où la mère n'opère pas suffisamment bien sa fonction
qui consiste à partager l'expérience affective avec le bébé et refléter son état affectif (et lui
signifier qu'elle reflète).

R. Roussillon nous semble proposer une voie intéressante de compréhension de la


manière dont s'échafaude et se développe dans le cadre des premières expériences de vie du
nourrisson la dimension passive telle que nous l'entendons. Nous supposons, en effet, qu’à

79
travers cette familiarisation avec les sensations et les affects dans le partage avec l'objet
double de soi, l'enfant peut expérimenter progressivement l'être excité et affecté par l'autre
interne et externe, d'abord perçu comme un (ou une) autre double de soi.

R. Roussillon (2011) postule que, dès les premiers temps de la vie, le bébé nourrit des
attentes à l'égard de l'objet maternel, attentes qui concernent surtout la qualité des soins
étroitement liés à l'autoconservation. En fonction de ses attentes, l'enfant ébaucherait une
préconception de la mère sous forme d'une « hallucination primitive ». L'ajustement de la
mère à cette préconception sera déterminante pour le développement psycho-affectif de
l'enfant. La mère doit en effet pouvoir s’ajuster aux projections archaïques dont elle fait
l’objet, à la façon dont elle est préconçue par l’enfant, en acceptant « d’effacer un pan de son
altérité pour offrir un espace réceptif aux processus et aux élans du bébé » (2011, p1500) et
prendre plaisir dans cette position. Pour opérer sa fonction miroir, la mère doit donc se
laisser, dans une certaine mesure, modeler par les élans pulsionnels de l’enfant. Par cet
ajustement de la mère, l’enfant acquière une sécurité interne, une confiance de base en sa
capacité à agir sur le monde, incarné au départ par cet « objet malléable » maternel, de façon
à le conformer à ses attentes. R. Roussillon insiste sur le fait que la figure maternelle doit
pouvoir éprouver du plaisir dans cette position d’objet malléable (pour l’enfant) car si la mère
n'éprouve pas « un plaisir suffisant à être ainsi utilisée « impitoyablement », dit Winnicott,
l'élan pulsionnel bute sur un « objet plein », sans espace d'accueil » (2011, p 1501).
Les caractéristiques de l'objet malléable maternel sont bien rendues par des objets de
type pâte à modeler, qui se caractérisent par « une consistance spécifique (degré de dureté et
de malléabilité), indestructibilité, saisissabilité, transformabilité, sensibilité, disponibilité,
réversibilité, fidélité et constance. » (R. Roussillon, 2001, p183). Nous supposons que
l’enfant introjecte, en quelque sorte, progressivement, la capacité de jouissance passive de
l’objet maternel se faisant objet malléable. Ainsi, il pourra lui aussi se faire objet malléable
pour l'autre, c'est à dire, en premier lieu, être modifié par l'affectation et l'excitation que
l'autre suscite en lui et y prendre du plaisir sans tomber dans la désorganisation psychique.
Nous pensons que ce n’est qu’à ces conditions d'une fonction opérante de malléabilité
de l'objet maternel et de plaisir partagé dans une relation homosensuelle en double, que
l’enfant pourra à son tour accéder à la capacité de jouir de s’abandonner aux élans
pulsionnels de l’autre et à l’excitation qu’elle suscite. Nous supposons donc que ce plaisir à
se constituer comme objet malléable ou espace d'accueil pour l'autre peut se transmettre à
l'enfant et poser les bases d'accès à un plaisir de la passivité.

80
2. Jeu de positions active et passive dans le rapport à l'objet et à soi pris comme objet :

Dans le cadre de cette relation homosensuelle en double peut se déployer un jeu de


renversement des places qui permettrait d'expérimenter les positions passives et actives. R.
Roussillon (2008) s'appuie sur les observations de D. W. Winnicott qui note que s’établit
précocement un jeu de renversement des positions relationnelles entre l’enfant et l’objet
maternel, que nous pouvons désigner en terme de positions active et passive : ainsi l’enfant
tète le sein (position active) mais il présente également des parties de son corps à la mère
pour faire l’expérience d'« être tété, mangé » (D. W. Winnicott, cité par R. Roussillon, 2008,
p132) par la mère (position passive). Pour ce qui est de l’expérience de la tétée, R. Roussillon
(2008) suppose que l’enfant peut ressentir le plaisir de l’objet maternel à être tété car il
perçoit la stimulation de la zone érogène sein. Il identifierait ce plaisir de la mère à son plaisir
de téter lié à la stimulation de la zone érogène bouche. Nous voyons là le transfert d'un mode
de satisfaction à l'autre qui permet de penser la relation en terme d'identification spéculaire
amodale entre l'enfant et la mère. Cette identification amodale réciproque va induire un
renversement des positions dans la mesure où l'enfant va chercher à expérimenter à son tour
le plaisir d’être tété par l'objet maternel double de soi, plaisir qu'il a pressenti en tétant le sein
maternel. Mais il faut préciser que pour que l'enfant prenne plaisir dans la position passive
d'être tété il faut que la mère lui communique un certain plaisir à téter le doigt qu'il lui tend,
c'est à dire, comme nous l'avons déjà souligné, qu'il n'y a de plaisir que partagé. Les premiers
échanges entre la mère et l'enfant se caractérisent donc par un jeu de renversement des
positions ou des buts pulsionnels alternant entre forme passive et active.
Selon une approche différente mais qui nous semble complémentaire, B. Penot (1999)
postule qu’il s’établit précocement un échange entre la mère et l’enfant (avant que l’enfant
puisse établir une différenciation claire moi/non moi) où chacun se fait objet de l’autre
alternativement, il parle de « passivation mutuelle ». Dans cette relation tout l’éventail des
« se faire » se déploie : se faire manger, se faire regarder, se faire caresser, etc … . Le «se
faire », désigne « une recherche active d’une satisfaction passive » bien illustrée par le bébé
qui tend son doigt pour être tété. Selon B. Penot tout mouvement pulsionnel s’adresse à un
objet et tend vers une double satisfaction active/passive, ainsi nous pourrions dire que
l’enfant cherche à manger l’objet maternel (forme active) mais en parallèle à se faire nourrir
(ou être nourri) par l’objet maternel. S'étayant sur la conception lacannienne de la pulsion, il
suppose que dans la relation précoce à l'objet maternel, le mouvement pulsionnel suit une

81
trajectoire qui part de la zone érogène de l'enfant pour lui revenir en ayant fait un détour par
la réponse de l'objet maternel. La pulsion est ainsi conçue comme un moteur qui tourne, dont
le combustible est la libido et qui trouve sa source dans « la conjugaison » du soma (zone
érogène) avec « l'investissement de l'autre de l'interaction première ». Selon lui « cette
représentation circulaire de la trajectoire pulsionnelle, a le mérite de dépasser la question
insoluble de savoir ce qui doit être posé comme premier (de l'actif ou du passif, du regarder
ou de l'être regardé, du sadisme ou du masochisme) » (1999, p1499). Nous pouvons supposer
que la façon dont l’enfant va expérimenter l’éventail des « se faire objet » de la mère va
conditionner sa réaction face au sentiment de « se faire l’objet » d’une force qui le traverse, le
modifie et peut le déborder. Nous pouvons considérer le plaisir de la passivité (ou la capacité
d’accueil) face au débordement excitationnel comme un plaisir de « se faire l’objet » d’une
effraction-domination par un corps étranger interne, plaisir qui a pu être expérimenté dans la
relation précoce aux premières figures d’attachement.
Freud, dans « pulsions et destin des pulsions » (1915), nous semble défendre l'idée selon
laquelle l'enfant développe une activité qui consiste à se prendre soi-même pour objet (de
haine, de plaisir, d’amour, d'étude, d’attention, etc…) déterminante pour l'investissement de
la position passive dans la relation à l'autre. Selon Freud, durant une phase de « narcissisme
primaire », l’enfant s’inscrit dans des activités auto-érotiques se prenant soi, son corps divisé
en objets partiels, comme premier objet d’attention. Le développement de ces activités auto-
centrées (se regarder, se toucher, etc...) va lui permettre de s'envisager progressivement en
position d'objet vis-à-vis de l’autre (se faire regarder, se faire toucher). La logique de son
raisonnement pourrait se formuler ainsi, nous semble-t-il : il faut d'abord se prendre comme
objet avant de pouvoir s'envisager comme objet de l'autre.
Freud propose un schéma de la pulsion de regarder pour illustrer sa conception :
« a) Regarder soi-même un membre sexuel = membre sexuel regardé par sa personne propre
b) Regarder soi-même un objet étranger = Objet à soi regardé par une autre personne »
(1915/2012, p94)

Nous supposons que cela s’applique pour d’autres motions pulsionnelles - ex : pulsion
orale : je suce mon pouce / mon pouce est sucé par moi. Selon cette conception, ce n’est donc
qu’après avoir pu concevoir la position passive de ses objets partiels (exemple : le pouce en
position d’être mordu, regardé, manipulé par soi) tout en éprouvant du plaisir à travers une
activité auto-érotique, que l'enfant pourra s'envisager en position passive vis-à-vis d’un autre.
À la suite de R. Roussillon (2008), nous considérons que la capacité à se prendre pour objet

82
ou, autrement dit, l'acquisition d'une fonction réflexive, se construit dans la relation
homosexuelle (ou homosensuelle) en double avec « l'objet-autre sujet » maternel. C'est
l'intériorisation de la fonction réflexive de la mère et de la réversibilité des places (passive-
active) caractéristique du premier accordage avec l'objet-autre sujet maternel qui permettra au
sujet de se prendre pour objet et donc se faire objet passif sur lequel ''soi-même'' exerce une
activité.

Cependant, il faut souligner qu'au sein de cet accordage premier mère-enfant demeure un
mal-entendu, un écart qui fait énigme plus pour l'enfant que pour la mère, et qui participerait
fondamentalement au développement de la dynamique activité-passivité.

3. La séduction originaire et la séduction narcissique : entre passivité et activité de l'enfant :

3.1. Séduction originaire et activité introjective de l'enfant :

Selon R. Roussillon (2011), l'objet maternel remplit une fonction de « séductrice-


initiatrice », c’est-à-dire que la mère ou son substitut familiarise l’enfant avec l’excitation
arrivant par surprise et son élaboration dans l'après coup. Dans le champ psychanalytique,
Freud le premier, a évoqué ce que nous nommons à la suite de J. Laplanche (1990), une
« séduction précoce », désignant par là, l'action de la mère qui, à travers les premiers « soins
corporels » qu'elle prodigue affectueusement à l'enfant, « provoque », et peut-être même
« éveille », « dans les organes génitaux les premières sensations de plaisir » (Freud,
1933/2002, p162). R. Roussillon postule que s'opère, à travers ces premiers soins maternels
un véritable « entraînement » de l'enfant à tolérer des quantités de plus en plus grandes
d'excitation (2011, p 1502). R. Roussillon ne le précise pas dans son texte sur le « maternel
primaire » mais il nous semble que le terme d' ''entraînement'' peut ou doit être compris dans
les deux sens d'un entraînement qui aboutit au développement d'une capacité et de
l'entraînement au sens de se laisser entraîner par quelqu'un ou quelque chose, quelque-part.
Ce deuxième sens se trouve dans une correspondance étroite avec la racine sémantique du
mot séduction qui dans le français du XIIème siècle signifiait « emmener à l'écart, mettre à
part » (D. Marcelli, 2012, p178). C’est à travers le jeu « de surprise et de chatouille » (D.
Marcelli, 2012) que cet ''entraînement'' de l'enfant par la mère est le plus manifeste. Ces jeux
se déploient dès les trois premiers mois après la naissance et se développent particulièrement
entre six et quatorze/seize mois « précisément à cet âge où le bébé est si avide de

83
s'approprier l'attention de l'autre » (D. Marcelli, 2012, p173). La mère initie ces jeux à
certains moments privilégiés où elle sent ou croit que le bébé est disponible, suffisamment
disposé à se prêter à ce jeu particulier « de surprise et de tromperie ». Ici l'instigateur et le
metteur en scène du jeu est la mère qui stimule son enfant de façon répétitive, en lui faisant
des chatouilles par exemple, de façon à créer une anticipation (de la stimulation chatouille)
chez l'enfant. Une fois créé cet effet d'anticipation, elle crée la surprise en introduisant une
modification (de rythme, d'intensité dans les chatouilles) qui déjoue les anticipations de
l'enfant. La conclusion prototypique de ces séquences de jeu nous semble bien décrite par D.
Marcelli : sous l'effet de surprise « le bébé semble être saisi d'étonnement, paraît traverser
un état d'incertitude mais il regarde intensément le visage de sa mère et celui-ci sourit,
exprime le contentement et le plaisir, ce que confirme la maman qui d'une prosodie canaille
lui dit de nouveau : « je t'ai bien eu ! » … rapidement le bébé en redemande : il cherche du
regard sa mère, se trémousse et veut que le jeu continue : encore un tour ! » (2012, p172).
Dans ce type de jeu, la mère ou plus généralement l'adulte exerce une séduction sur l'enfant,
dans la mesure où il attire son attention et l'entraîne dans un jeu dont l'adulte maîtrise plus
que l'enfant les tenants et aboutissants et qui vise un certain plaisir partagé, dans l'intimité du
couple mère(adulte)-enfant. Nous supposons que ce type de situation implique une asymétrie
entre l'adulte séducteur-excitant (actif) et l'enfant séduit-excité (passif). Nous ajoutons que la
surprise ou être surpris par l'autre, nous semble se rapprocher le plus de la position passive
par excellence dans la mesure où la surprise ne peut se trouver intentionnellement mais ce
serait plutôt la surprise qui nous trouve. En effet il est difficile d'envisager une démarche
active qui viserait l'état d'être surpris étant donné que la surprise est par définition
imprévisible donc s'impose à nous sans crier-gare, elle n'est jamais là où on l'attend. Dans ce
genre de séquences de jeu mère-enfant, D. Marcelli observe que l'enfant manifeste une
certaine activité qui traduit son engagement dans la relation, relance le partage de plaisir
entre lui et sa mère et envoie des signaux qui pourraient signifier '' surprend moi encore ! .'' À
l'origine de ces jeux il y aurait, du côté de l'adulte objet maternel, le désir de jouir de posséder
et dominer l'enfant (D. Marcelli, 2012). Jouissance dont on peut supposer, comme J.
Laplanche et D. Marcelli, qu'elle est infiltrée du sexuel maternel. En effet, ces séquences
« par le moment d'engagement puis de montée tensionnelle, par la période de relative
incertitude sur le tempo ou le lieu du surgissement, par la surprise qui vient de l'autre et le
sentiment de s'être fait avoir et par l'embrassade heureuse qui clôt la séquence, la structure
de ces jeux ressemble fort à une « scène sexuelle » inconsciente pour la mère autant que pour
son bébé. » (D. Marcelli, 2012, p177).

84
La façon dont la mère frustre l’enfant, alterne la présence et l’absence, va également
participer à cet entraînement à l'excitation étant donné que l'excitation naît aussi de la
frustration.
J. Laplanche émet l'hypothèse qu' à travers les premiers échanges, les premiers soins,
l'enfant est livré à des messages de la mère et plus largement du monde adulte qui sont
infiltrés de motions sexuelles inconscientes. Il suppose que l'enfant perçoit quelque chose
d'étrange qui imprègne le plaisir de la mère et prend un caractère énigmatique, ce sont les
« signifiants énigmatiques » issus du sexuel inconscient maternel qui produisent un certain
effet de séduction sur l'enfant. Pour illustrer cette « situation fondamentale » qu'il nomme
« séduction originaire », J. Laplanche donne l'exemple prototypique du sein maternel conçu
par l'enfant comme premier objet émetteur de signifiants énigmatiques : « peut-on supposer
que cet investissement sexuel (du sein par la mère), qui peut être dit pervers au sens des trois
essais sur la sexualité, n'est pas aperçu, soupçonné par le nourrisson, comme source de cet
obscur questionnement : que me veut-il au-delà de m'allaiter, et après tout, pourquoi veut-il
m'allaiter ? » (1990, p125). Selon J. Laplanche cette énigme posée à l'enfant dont le ressort
est inconscient, « est séduction par elle-même ». Nous supposons donc que l'énigme n'est pas
sans rapport avec l'excitation de l'enfant par la mère et peut-être plus généralement de tout
individu dans la relation à l'autre. À travers les premiers échanges mère-enfant, la sexualité
génitale de la mère rencontre la sexualité infantile du bébé qui passe surtout dans un premier
temps par l’oralité. Ces deux types de sexualités présentent des correspondances qui
soutiennent la relation homosexuelle en double, mais restent fondamentalement
« hétéromorphes » (R. Roussillon, 2008). Il en résulte qu'une composante du plaisir éprouvé
par la mère reste fondamentalement énigmatique pour l'enfant. « d'autant plus énigmatique
d'ailleurs qu'elle possède à la fois quelque chose de semblable et aussi de radicalement
différent » (2008, p133). R. Roussillon souligne que cette part énigmatique caractérise
l'ensemble des expériences de plaisir et particulièrement le plaisir sexuel en tant qu'il
« renvoie au désir de l'objet » et donc à son caractère fondamentalement énigmatique. La
différence dans la nature du plaisir éprouvé entre l'enfant et sa mère introduit un écart et
implique un « malentendu » (R. Roussillon, 2008) car ces deux protagonistes qui ne parlent
pas la même langue du plaisir se bercent de l'illusion suffisamment bonne d'une identité au
sens d'identique. Selon C. Chabert (1999), c’est dans cet écart entre la langue de l'adulte
imprégnée de sexualité génitale et la langue de l’enfant, que réside ce qu’elle nomme « la
passivité originaire ». elle pose la question d'une passivité inaugurale qui pourrait être définie
comme le fait pour l’enfant de se voir imposé par l'adulte un écart qui excite par son caractère

85
énigmatique. Selon J. Laplanche cet écart réside avant tout dans le fait supposé que l'adulte, à
la différence du nourrisson, est clivé d'avec son inconscient c'est pour cela que l'enfant dans
sa relation à l'adulte a à faire avec une double inadéquation : « inadéquation des langages
(adulte-enfant), mais aussi et primordialement, inadéquation de l'adulte à l'objet-source qui
l'agit lui-même. » (1990, p129). Cette inadéquation de l'adulte à l'objet source qui ''l'agit'' est
né du refoulement, donc suivant en cela P. Aulagnier, nous pouvons supposer qu'il y a un
écart fondamental entre le langage du nourrisson et celui de la mère du fait de l’action du
refoulement sur le psychisme et l'attitude maternelle. Selon P. Aulagnier cet écart ne manque
pas de faire violence au nouveau né. Ainsi écrit elle « le phénomène de violence (primaire)
renvoie ici dans un premier lieu à la différence séparant un espace psychique celui de la
mère où l’action du refoulement a déjà eu lieu et l’organisation psychique propre à
l’infans. » (1975/2003, p38). Nous pouvons supposer que quelque chose fait violence à
l’enfant, confronté à un discours maternel qu’il n’est pas encore en mesure de décrypter et
destinataire d’une demande de la mère qu’il n’est pas en mesure de comprendre. Il est celui
« dont on attend une réponse qu’il n’est pas en son pouvoir de donner » (1975/2003, p37).
Cette violence serait donc, en premier lieu, l’ « effet de l’anticipation » de l’objet maternel,
confrontant l’enfant à un écart et à une impuissance à répondre. À l’extrême, lorsque
l’anticipation de l’adulte est trop envahissante, c’est la réification et ses conséquences
psychopathologiques qui menacent, car l’enfant qui doit se couler dans le moule des
projections anticipatrices de l’adulte se trouve réduit réellement et au niveau fantasmatique, à
l’état d’objet engendré, formaté, manipulé par l’adulte.
L'adulte parent tend toujours à voir en son enfant, l'enfant qu'il a été et aimerait avoir
été ou être, et cela est source de malentendu et de séduction. Selon J. Laplanche, l'adulte, du
fait de la correspondance inconsciente narcissique qu'il établit entre « l'infantile en lui » et
son enfant, « sera particulièrement déviant » (au sens de dévier l'enfant de sa route pour
l'entraîner sur un chemin qu'il n'aurait pas suivi naturellement) « porté à l'opération manquée
voire au symptôme, dans cette relation à cet autre lui-même » (1990, p103). J. Laplanche fait
surtout apparaître ici l'action de déviation séductrice de l'adulte sur l'enfant mais n'ouvre-t-il
pas la voie à une forme de séduction de l'adulte par l'enfant en montrant combien l'enfant
vient mobiliser chez l'adulte quelque chose de l'infantile en lui ?
D. Marcelli (2012) parle de « séduction ontologique », pour désigner cet effet
séducteur que le nourrisson, par sa seule présence, exerce sur « l'infantile de tout adulte ». Il
postule que du fait de sa condition même caractérisée par cette « profonde désaide » due à
son immaturité psycho-physiologique, le nouveau-né mobilise chez l'adulte un besoin de

86
protection qui éveille des mouvements inconscients et lève certains refoulements, faisant
surgir à la surface des affects et des représentations appartenant au champ de l'infantile. Cette
séduction ontologique si elle opère convenablement, c'est à dire si elle ne réactive pas en
excès des expériences traumatiques infantiles au sein du psychisme parental, constituera,
selon D. Marcelli, le ferment de cette disponibilité maternelle particulière, que nous
pourrions nommer à la suite de D. W. Winnicott (1956), « préoccupation maternelle
primaire ». Nous désignons par là cette aptitude de la mère ou de l'adulte qui en fait
fonction, de s'inscrire dans cette chorégraphie d'ajustement en double amodal (R. Roussillon,
2008) qui se développe sur fond d'aliénation réciproque mère-enfant, la mère étant
« psychiquement « possédée » par son bébé » (D. W. Winnicott, 1956).
La séduction originaire met en présence un séducteur actif, mais agi par son
inconscient, l'adulte, et un séduit passif l'enfant, « un déviateur et un dévié » (J. Laplanche,
1990). L'originaire, selon J. Laplanche, c'est en effet « un enfant dont les comportements
adaptatifs, existants mais imparfaits, débiles, sont tout prêts à se laisser dévier, et c'est un
adulte déviant, déviant par rapport à toute norme quant à la sexualité, et je dirai même
déviant par rapport à lui-même, dans son propre clivage. » (1990, p103). Tout en conservant
ce concept de séduction originaire avec cette répartition actif-adulte/passif-enfant, il nous
parait important d'y adjoindre la séduction ontologique qui nous semble donner à l'enfant une
place de ''séducteur malgré lui''. Nous supposons, avec D. Marcelli, que la séduction
originaire va se déployer en interaction avec, et en étayage sur, la séduction ontologique.
Par ailleurs, la séduction originaire caractérisée par la passivité de l'enfant va
mobiliser en retour chez celui-ci une activité forte et constante de « maîtrise et de
symbolisation » (J. Laplanche, 1990, p128) visant à traduire les messages énigmatiques ou du
moins contrôler l'excitation qu'ils génèrent. Cette activité n'atteint jamais complètement son
but et ce qui ne peut être traduit subit l'action du refoulement dit « originaire » formant « des
restes inconscients » (non traduits, non maîtrisés) « des fueros, disait Freud : ce que nous
nommons les « objets sources » de la pulsion» (J. Laplanche, 1990, p128). Ces traces
inconscientes non symbolisées n'auront de cesse de pousser vers la traduction par le sujet et
leur intégration dans le moi, c'est pour cela que « l'être humain est et ne cesse pas d'être un
être auto-traduisant et auto-théorisant » (J. Laplanche, 1990, p 127-128). La passivité de la
séduction originaire suscite donc en retour l'activité de traduction. Nous retrouvons ainsi cette
relation étroite entre passivité et activité conçues comme les deux versants d'une même pièce.
Les premières activités traductrices du nourrisson peuvent être approchées à travers le
concept d' ''appropriation subjective'' tel qu'il est développé par R. Roussillon (2008).

87
L'appropriation subjective est une activité du sujet qui vise à symboliser par le jeu les
expériences énigmatiques permettant ainsi d'atténuer leur caractère d'étrangeté et préserver
un sentiment de maîtrise face à l'excitation. Cette activité ne peut se déployer que sous
certaines conditions :
- il faut que l'excitation soit suffisamment réduite ou point trop débordante et menaçante pour
le psychisme. En effet, au-delà d'un certain seuil d'excitation, d'autres procédés seront
employés de l'ordre notamment, de la décharge, de la répression ou du refoulement pour
éviter le débordement excitationnel, autrement dit, la passivation.
- « Quand cette réduction (de l'excitation) est suffisante, une autre condition est que l'activité
de reprise (des expériences énigmatiques et excitantes) puisse s'effectuer dans un éprouver
subjectif de liberté » (2008, p59). « Le sentiment subjectif de liberté est nécessaire pour que
le sujet s'éprouve comme l'agent et le « sujet » de l'activité de symbolisation, c'est bien sûr
une précondition de l'appropriation subjective » (p60).
- il faut que l'enfant ait à sa disposition un certain type d'objet qui puisse remplir les fonctions
de médium malléable. Cet objet peut-être un autre sujet, dans ce cas le jeu peut être qualifié
d'intersubjectif, ou un objet inanimé présentant certaines caractéristiques qui se prêtent à la
fonction médium malléable (la pâte à modeler par exemple).
Quand ces conditions sont réunies l'enfant peut « lâcher-prise », terme qui renvoie
selon R. Roussillon à un état bien spécifique. Le lâcher-prise « consiste fondamentalement en
une levée des contrôles économiques et topiques, en un relâchement des différenciateurs
topiques, une perméabilité des membranes internes (ou enveloppes psychique) » (2008, p61).
Cette perméabilité des limites, corrélée à un relâchement de l'appareil d'emprise, fait que la
différence entre imaginaire et réalité, entre trouvé et créé, s'atténue, perd de son importance,
ce qui ouvre la voie au déploiement d'un certain type de jeu. L'enfant va jouer à manipuler et
modeler l'objet médium malléable dans le sens d'une figuration puis d'une symbolisation de
« la « chose » interne » énigmatique qui demande à être traduite. Par ce jeu l'enfant se
découvre et découvre le monde qui l'entoure, découverte de l'interne et découverte de
l'externe n'étant pas strictement différenciées. « Quand le jeu « réussit » son entreprise, il
s'accompagne souvent d'un affect spécifique, celui de la découverte de soi, l'affect de
jubilation » (2008, p61).
Cette activité d'appropriation subjective par le jeu nous semble présenter des
similitudes frappantes avec le processus d'introjection. Nous faisons référence ici au concept
d'introjection créé par S. Ferenczi en 1909 et au développement qu'en propose N. Abraham
et M. Torok par la suite (1987). Nous ne nous engagerons pas ici dans une définition

88
exhaustive de ce processus, mais il nous semble important de l'aborder, pour comprendre
l'activité spécifique que sollicite la passivité du nourrisson face à la séduction de
l'énigmatique porté par l'adulte. S. Ferenczi définit l'introjection « comme un mécanisme
permettant (au sujet) d'étendre au monde extérieur les intérêts primitivement auto-érotiques,
en incluant les objets du monde extérieur dans le Moi ». Par cette opération spécifique, le
monde externe devient donc plus familier et peut faire l'objet d'un investissement et d'un jeu
érotique. S. Ferenczi conçoit « tout amour objectal (ou tout transfert), aussi bien chez le sujet
normal que chez le névrosé … comme un élargissement du Moi, c'est à dire comme une
introjection ». Selon l'interprétation que N. Abraham et M. Torok (1987) font des écrits de S.
Ferenczi, il ne s'agit pas fondamentalement d'introjecter l'objet à proprement parler, mais
plutôt introjecter « l'ensemble des pulsions et de leurs vicissitudes dont l'objet (et plus
largement le monde extérieur) est l'à propos et le médiateur. L'introjection, selon Ferenczi,
réserve à l'objet - et à l'analyste en l’occurrence – un rôle de médiateur vers l'inconscient.
Opérant en va-et-vient « entre le narcissique et l'objectal », entre l'auto et l'hétéro-érotisme,
elle transforme les incitations pulsionnelles en désirs et fantasmes de désir et, par là, les
rend aptes à recevoir un nom et droit de cité et à se déployer dans le jeu objectal »
(1987/2009, p236). D'après cette définition de l'introjection, il nous semble que l'activité
d'appropriation subjective telle qu'elle est conçue par R. Roussillon (2008), participe de
l'introjection de par sa nature entre-deux (entre imaginaire et réalité, entre narcissique et
objectal) et la fonction de symbolisation des mouvements pulsionnels et affectifs qu'elle
remplit. L'introjection et le jeu d'appropriation subjective ont tous deux besoin, pour se
développer pleinement, du plaisir éprouvé avec ou en présence de l'objet, ainsi que du
relâchement de l'appareil d'emprise, laissant plus de marge à un se ''laisser faire'' par des
mouvements internes (pulsions, affects, processus inconscients caractéristiques du rêve)
encore obscurs. Ainsi P. Denis (1997) postule que l'introjection de l'objet s'opère lorsque le
sujet éprouve une pleine satisfaction dans la relation à l'objet, éprouvé qui s'accompagne
toujours selon lui d'un relâchement de l'emprise. Baignant dans la satisfaction, le sujet relâche
sa saisie perceptive de l'objet – P. Denis parle de désinvestissement du registre perceptif – et
laisse s'imprimer en lui des traces de l'expérience vécue auprès de ou avec l'objet. Ces traces
sont désignées par P. Denis comme le négatif de l'objet, « ce qui est gardé de la mère après
qu'elle a été négativée » (1997, p99).
Pour résumer nos réflexions à propos de l'activité traductrice mobilisée par la
séduction originaire, nous pouvons supposer que la séduction originaire, qui positionne
l'enfant dans une passivité fondamentale, suscite une activité particulière qui participe de

89
l'introjection de ces mouvements internes énigmatiques et permet la reprise d'une position
active de maîtrise. Cette activité est originale en ce qu'elle combine une dimension passive et
une dimension active. La dimension passive renvoie au ''lâcher-prise'' qui met le sujet dans
une certaine disposition à se laisser traverser par ses mouvements internes. La dimension
active nous semble consister en l'activité de mise en forme des mouvements internes à l'aide
d'objet remplissant une fonction d'objet médium malléable.

A côté et en interaction avec la séduction originaire, une autre séduction tout aussi
importante, moins dissymétrique, plus mutuelle, se développerait dans la relation entre
l'enfant et son premier objet d'attachement.

3.2. La séduction narcissique :

L'avancée des connaissances sur la psychologie du nourrisson, nous permet de


supposer qu'il s'implique activement dans un certain jeu de séduction avec l'adulte et plus
particulièrement avec la mère. Cette séduction nous semble se rapprocher de ce que P. C.
Racamier (1995) nomme la séduction narcissique et se développe dès les premiers regards
échangés. D. Marcelli (2012) observe ainsi, que l'enfant dès les premiers instants après la
naissance va chercher le regard de la mère. Ces deux regards se croisent, se captent, exerçant
une attraction réciproque. L'adulte percevrait dans le premier regard du bébé une attente « si
forte, si intense, tellement sans limite qu'elle en paraît folle. ». Le regard si spécifique du
bébé serait perçu par la mère comme une invitation à « entrer en lui ». D. Marcelli suppose
que cet effet d'invitation ou de « porte ouverte », est pour partie sous-tendu par la mydriase
(les pupilles dilatées) qui caractérise le regard du nourrisson. Pour preuve de l'effet séducteur
du regard du nouveau-né, D. Marcelli observe que tout adulte avance son visage
spontanément vers celui du bébé et place son propre regard à une distance d'environ 20-25cm
de ses yeux. Le regard de l'enfant déclenche et nourrit chez la mère « une rêverie » qui « en-
visage » l'enfant et D. Marcelli postule que l'enfant perçoit à travers ce premier échange de
regard cet investissement en rêverie par la mère, et ceci le séduit. Il y a dans ces échanges de
regards, une invitation mutuelle à la pénétration dans l'intime de l'autre : pénétration de la
mère dans le psychisme de l'enfant et pénétration de l'enfant dans la rêverie maternelle. Le
risque, mais aussi le plaisir tient, nous semble-t-il, au sentiment de se perdre dans l'autre.
Dans ces conditions, fermer les yeux permet de « reprendre ses esprits ». La captation
réciproque mère enfant participe de la création chez les deux partenaires d'un sentiment de

90
plénitude. Du côté du nourrisson, ce sentiment de plénitude est favorisé par l'immaturité de la
vision, surtout du réflexe accommodation. Du fait de cette immaturité première de la fonction
visuelle, l'enfant n'est pas encore en mesure d'analyser les objets en détail et tend donc à
« considérer » les choses dans leur globalité, ce que D. Marcelli désigne comme l'action
« pacifique » du regard. Cependant, avec la maturation de la fonction visuelle, l'enfant va
passer progressivement du regard à la vision « qui découpe et déconstruit », distingue,
s'éloignant, malgré lui, de cette plénitude du regard. La vision serait plutôt du côté de
l'emprise par l'activité de dissection, d'observation qui vise à « mieux saisir » mais « dans
l'instant même de cette saisie » elle « laisse échapper l'ensemble, fait perdre au regard cette
totalité bienveillante. Dans la vision il y a toujours un reliquat inaccessible, invisible,
« énigmatique » ! à l'opposé, le regard « comprend », prend ensemble les parties, il capte
l'intention, il partage avec l'autre : le regard est communion. » (2012, p58) Dans le regard il
y aurait donc un ''se laisser aller à communier'' et à se perdre dans l'autre que nous sommes
enclins à rapprocher de la passivité. Nous supposons une filiation étroite entre la communion
des regards telle qu' envisagée par D. Marcelli et la séduction narcissique telle que P. C.
Racamier l'a défini dans son ouvrage « l'inceste et l'incestuel » (1995).
Cette séduction se joue d'abord entre la mère et le nourrisson, elle est une « force
d'attraction » réciproque, relevant de l'instinct de conservation qui entraîne un processus qui
se déploie dans la relation duelle et « culmine dans la fascination » mutuelle. La visée de
cette séduction est de former et maintenir un « protofantasme » d'unisson et de toute
puissance. Il nous semble que les procédés d'ajustements réciproques dans une relation
homosexuelle ou homosensuelle en double participent de ce processus. À cette attraction
entretenue et cultivée de façon mutuelle, se combine une action centrifuge de répulsion
soutenue par les deux protagonistes, « visant à éloigner de ce cœur », cette communion,
« tout ce qui pourrait le disperser ». La dimension sexuelle du plaisir de la mère qui introduit
un écart énigmatique tend donc à être évacuée autant que faire ce peut. Le père est également
« de trop ; sa présence physique et sa présence imaginaire au cœur de la mère, si elle est
seulement subodorée, est repoussée. » (P. C. Racamier, 1995/2010, p7). Dans cette
configuration, la toute puissance renvoie à la formation d'un « fantasme-non-fantasme »
d'auto-engendrement qui caractérise ce que P. C. Racamier appelle l'antœdipe. C'est à dire,
que par ce procédé de séduction narcissique, la mère reflète à l'enfant une image qui lui
permet de se croire, se protofantasmer démiurge de soi, « engendreur de soi-même » mais
aussi, et c'est le revers de la médaille, réalisateur de son dès-engendrement. Ce que P. C.
Racamier appelle protofantasme ou fantasme-non-fantasme, est une production psychique

91
intermédiaire, entre le fantasme et la sensation, qui ne consiste pas en un scénario inconscient
avec des protagonistes distincts et ne peut être articulé à d'autres fantasmes. Il est
difficilement formulable en terme langagier, car il reste en deçà du dicible « proche de
l'éprouvé corporel, plus cénesthésique, moins représentable » que le fantasme proprement
dit. La séduction narcissique est mutuelle dans la mesure ou chacun tente d'attirer l'autre à soi
pour former une unité jamais totalement atteinte, « il s'agit d'établir une relation qui non
seulement soit exclusive, mais à l'écart du monde et de son train » (P. C. Racamier,
1995/2010, p5). Elle repose sur une attente symétrique (de l'enfant et de l'adulte) de
reconnaissance par et dans l'autre. Plus précisément, P. C. Racamier dit que chacun attend une
reconnaissance de soi, dans l'unité qu'il forme avec l'autre. Nous pouvons supposer que c'est
ce qui se joue dans le premier échange de regard entre la mère et l'enfant qui, selon
l'hypothèse de D. Marcelli (2012), fonde une première reconnaissance d'un investissement
mutuel, du rôle particulier et fondamental que l'un joue pour l'autre. « Pour la maman, cette
totale offrande du regard de son bébé, la remplit, la comble et l'instaure comme mère de ce
bébé avant même qu'il ait commencé à formuler la moindre demande. » (p55). D. Marcelli
parle d'un « double transfert de subjectivité de la mère vers le bébé quand celle-ci fait de ce
bébé un être humain à part entière et du bébé vers la mère quand le regard de celui-ci fait de
cette femme une mère, mais aussi double effet de séduction qui imprègne potentiellement la
relation mère-bébé et par delà celle-ci toute relation entre un adulte et un bébé ou un jeune
enfant. » (p56).
D. Marcelli a bien démontré que le bébé participe activement au jeu de la séduction
dans la relation duelle avec l'adulte. Le nourrisson a recours au regard mais aussi, un peu plus
tard dans le développement, au sourire pour attirer l'autre à soi. Le bébé repère vite que le
sourire est un attracteur puissant dont il apprend à se servir de façon de plus en plus fine.
Puis, il développe l'imitation sur un registre amodal (R. Roussillon, 2008) des mimiques du
visage, de la voix et des rythmes de l'adulte. D. Marcelli note que vers le neuvième mois,
l'enfant cherche manifestement à capter le regard d'autrui par tout un théâtralisme de
« l'expression affective exacerbée » qui communique un vaste panel d'émotions à travers les
mimiques du visage et les postures corporelles. Avec le développement de la motricité,
l'enfant sera de plus en plus ''casse-cou'' attirant ainsi à lui l'attention inquiète des adultes et
plus particulièrement des parents. Tout cela ne nous semble pas sans rapport avec la
séduction narcissique que l'on pourrait dire normale, dont P. C. Racamier souligne le
caractère mutuel et symétrique.

92
Mises en jeu dès les premiers instants d'existence du nourrisson, il y aurait donc deux
types de séduction : une séduction dite originaire qui implique dissymétrie entre un adulte
actif qui séduit-excite l'enfant-passif, et une séduction qui tend vers une symétrie, une
réciprocité des positionnements actifs-séducteurs et passifs-séduits, c'est la séduction
narcissique.
Parce que l'énigme du sexuel génital de l'adulte fait effraction et introduit un écart
dans l'entreprise d'unisson narcissique enfant-adulte, il nous semble qu'il faut concevoir la
séduction narcissique (P.C. Racamier) et la séduction originaire (J. Laplanche) comme deux
dimensions ou forces en interaction constante, avec lesquelles le sujet va devoir composer
''d'entrée de jeu'' et peut-être jusqu'à la fin de sa vie. Il nous semble que le regard condense
particulièrement ces deux dimensions de l'énigmatique (c'est la question « Quoi ! Qu'est-ce-
que t'as à me regarder?! » qui introduit la chanson ''petit frère'' du groupe de RAP marseillais
IAM) et du plaisir-déplaisir narcissique (quand être regardé équivaut à être reconnu par l'(es)
autre(s), ou le sentiment d'unisson narcissique qui gagne lorsqu'on se tient ''les yeux dans les
yeux'').
Cependant, après avoir insisté sur le regard, il nous semble important de ne pas
oublier la voix de la mère ou l'objet voix dont le lien avec la passivité du nourrisson nous
paraît bien mis en évidence par P. Aulagnier (1975). La voix des premières personnes en
charge des soins du nourrisson, et spécifiquement la voix de la mère, occupent selon nous,
une place toute particulière dans les premières expériences de passivité ou de passivation.
Nous pourrions dire que nous sommes passifs face à la voix de l’autre et surtout le nourrisson
qui reçoit des messages énigmatiques à travers cette voix première de la mère. Concrètement,
le nourrisson dans les premiers temps de la vie ne possède pas les aptitudes psychomotrices
nécessaires pour échapper à la voix de l’autre, c’est-à-dire, par exemple, se boucher les
oreilles avec les mains, fuir en courant, etc. L’appareil auditif n’étant pas pourvu d’un
système de fermeture « comparable à la clôture des paupières, des lèvres, ou au retrait
tactile que permet l’appareil musculaire » (P. Aulagnier, 1975/2003, p112), le nourrisson est,
dans une certaine mesure, passif car contraint de recevoir les sons de la voix de l’autre.
Selon P. Aulagnier (1975), cette impossibilité d’échappatoire et de protection face à la voix
de l’autre fait de « l’objet voix » l’instrument de persécution par excellence. Persécution qui
s’illustre bien dans la psychose (''entendre des voix''). Le potentiel persécuteur de l’objet voix
tient également au pouvoir qu’il exerce sur les affects de plaisir et déplaisir du nourrisson. En
effet, la mère manifeste par la voix, le plaisir qu’elle éprouve dans l’échange avec l’enfant.
Dans les expériences relationnelles, si la voix ne vient pas indiquer ou confirmer à l’enfant le

93
plaisir partagé par la mère, ce sont tous les plaisirs partiels qui s’en trouvent annulés (plaisir
de voir, d’avaler, de toucher …). Ainsi « le plaisir de voir ne peut aller de pair avec la
tonalité menaçante présente ou projetée sur la voix ». « Il en résulte que toute attente de
plaisir partiel va s’accompagner aussi de l’attente de l’objet de plaisir de la zone auditive,
attente d’une voix dont la présence assure qu’on n' a pas à craindre qu’elle fasse irruption
sous une forme qui interdira le plaisir présent en une autre zone (visuelle, bucale, …etc) et le
transformera en du déplaisir. » (P. Aulagnier, 1975, 2003, p113).

Après ce tour d'horizon de la dynamique activité-passivité dans son rapport avec


l'excitation, l'affect et la séduction, nous pouvons considérer que passivité et activité sont les
deux versants d'une même pièce. Nous rappelons que nous désignons par passivité la
possibilité de s'éprouver comme n'étant « pas maître en sa demeure » (J. Schaeffer, 1997)
mais traversé et modifié par des forces, sensations, des affects qui laissent leur empreinte
formatrice-déformatrice de soi et donnent le sentiment d'un « corps étranger interne » (J.
Schaeffer, 1997) agissant et suscitant parfois des images, des représentations qui s'imposent à
la conscience. C'est peut-être aussi, pouvoir laisser libre cours à une forme de pensée
hallucinatoire proche du rêve que P. Denis (1997) rattache au formant satisfaction de la
pulsion. Pour apprécier ou du moins supporter cette expérience de passivité, nous supposons
qu'il faut pouvoir en jouir, jouir de l’effraction « par de grandes quantités pulsionnelles
inévitables » (J. Schaeffer, 1997/2013, p49) débordant le système de pare-excitation. Nous
proposons de définir la passivité comme une capacité ou un processus permettant d’accueillir
le débordement pulsionnel effractif et d’en jouir, ce qui rejoint la définition du féminin selon
J. Scheaffer (1997) et la passivité d'accueil proposée par J. et M. Cornut (1993).
Du côté de l'activité, nous choisissons de désigner tout ce qui entre dans le registre de
l'emprise selon P. Denis (1997), c'est à dire qui vise la maîtrise de l'objet et de l'excitation.
Emprise dirigée vers l'externe et l'interne qui œuvre essentiellement par le biais de la
musculature (la motricité) et l'attention portée aux percepts et aux sensations internes. Nous
ajoutons, sur un autre registre, l'activité d'appropriation subjective participant du processus
d'introjection. Cette activité nous semble servir une visée d'emprise mais nécessite pour être
menée à bien, un « lâcher-prise » (R. Roussillon, 2008) qui sollicite, selon nous, la passivité.
Nous avons développé la conception selon laquelle le plaisir de l'effraction
pulsionnelle s'expérimente, se découvre et s'apprend dans les premiers échanges du
nourrisson avec la mère, à travers une chorégraphie relationnelle particulière dite
« homosexuelle en double » (R. Roussillon, 2008). Cet apprentissage de la dynamique

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activité-passivité se déploierait avec ses premiers objets d'attachement à travers le jeu de
renversement des positions passives et actives, entre faire et se faire. Cependant quelque
chose persiste à faire énigme dans ce bal à deux, énigme qui excite et gâche un peu la fête,
Nous postulons, à la suite de J. Laplanche (1990), que c'est la sexualité génitale maternelle
voilée aux yeux du nourrisson comme de la mère, qui fait énigme. Cette énigme produit un
écart et un effet de séduction. Elle met l'enfant en position passive en tant qu'il est récepteur
d'un message trop excitant qu'il est incapable de comprendre. Cette passivité éveille une
activité réactionnelle de symbolisation, dans la perspective d'une tentative toujours
renouvelée de traduction d'une expérience énigmatique. Dans cette perspective l'enfant aura
recours à un certain type de jeu participant de l' « appropriation subjective » (R. Roussillon,
2008) des expériences non-symbolisées, ou autrement dit, de l'introjection.
En parallèle de la séduction originaire une autre séduction opère, c'est la séduction
narcissique. Séduction mutuelle visant l'unité à travers la relation duelle.

Nous tenterons maintenant de mettre nos réflexions sur l'activité et la passivité en


perspective avec l'expérience d'élève dans la relation au professeur. Nous verrons que cette
expérience ne semble pas étrangère à l'activité introjective conçue comme réaction à une
expérience de passivité face à l'énigme. L'expérience d'élève mettrait également
particulièrement en jeu la séduction narcissique assurant une réponse au besoin de
reconnaissance de l'élève, mais aussi de l'enseignant.

4. Activité et passivité mise en perspective du point de vue de l'expérience d'élève :

4.1. Apprentissages dans la relation élèves-enseignant : entre énigme, introjection et


appropriation subjective

Les travaux de S. Boimare (1999) nous enseignent que apprendre pour un élève c'est
se confronter à l'inconnu, au non-familier et opérer une transformation de soi qui permet
d'intégrer la notion nouvelle à apprendre dans le champ du connu ou du familier. S. Boimare
décrit bien ce passage nécessaire par une zone d'incertitude corrélatif d'un certain travail de
changement ; il dit ainsi que les enfants apprenant sont tenus de « se dégager de leurs
propres représentations, de leurs propres images, auxquelles ils ont fait appel, comme cela
doit se faire, pour tenter de saisir le sens d'une notion nouvelle, pour accéder à une
opération mentale qu'ils ne connaissent pas. » (1999/2014, p28). B. Golse évoquant les

95
travaux de S. Boimare, parle d' « un temps de suspens, un temps de vulnérabilité entre le
moment où on lâche un temps soit peu ce que l'on sait et où on ne tient pas encore ce que l'on
cherche à acquérir. Temps intermédiaire où se réactive tout le jeu des pulsions partielles
mais qui joue comme une béance et qui confronte précisément le sujet à la relation
d'inconnu. » (2002, p 12). Il nous semble donc que la situation d'enseignement scolaire se
caractérise par un enseignant qui accompagne les élèves de l'inconnu vers la connaissance.
Pour cela, l'enseignant à typiquement recours à l'énigme, c'est à dire qu'il cherche à présenter
chaque notion nouvelle de manière à ce qu'elle produise chez l'enfant ou l'adolescent un effet
d'énigme. Ainsi S. Boimare évoque le « cheminement pédagogique classique qui consiste à
privilégier l'énigme, la recherche, le tâtonnement » (1999/2014, p23), procédé qui s'avère
inopérant avec certains enfants et adolescents minés par ce qu'il appelle « la peur
d'apprendre ».
Il nous semble donc que la position d'élève sollicite la passivité face à l'inconnu
énigmatique qui se trouve médiatisé par l'enseignant. Si l'élève est en mesure de se laisser
saisir et chambouler par l'inconnu énigmatique, et sans doute d'en éprouver un certain plaisir,
alors l'apprentissage est possible. Nous supposons que cette expérience particulière de
dessaisissement de ses représentations et de son fonctionnement, va solliciter en retour un
travail de transformation du non-familier (notion nouvelle) en familier (notion intégrée).
Ce travail nous semble proche de l'appropriation subjective (R. Roussillon, 2008) et
l'introjection (S. Ferenczy, 1909 ; N. Abraham et M. Torok, 1987) dont nous avons vu
qu'elles permettent le passage d'une position passive à une position active. Dans la
perspective d'une comparaison entre l'appropriation subjective et l'activité d'apprentissage, il
nous semble intéressant d'évoquer ce que le docteur E. Pikler appelait « l'activité libre
spontanée » du nourrisson, notion dont s'est directement inspiré R. Roussillon (2008).
E. Pikler -fondatrice en 1946 de la pouponnière Loczy à Budapest – désigne ainsi une
activité de jeu libre que le nourrisson met en œuvre dans « un espace adapté à ses besoins de
sécurité et d'exploration » (A. Tardos & M. David, 2012, p 96) et sous l'attention
bienveillante d'un adulte connu qui laisse l'enfant faire ses expériences et s'intéresse à ce qui
se passe (conscient de la valeur de ces premières expériences pour le développement de
l'enfant). M. David nous dit qu'il « existe entre eux (adulte et enfant) une relation à petite
distance, avec par moment des interactions visuelles ou des échanges de paroles ou de sons »
(2012, p96). Selon M. David et A. Tardos (2012) dans ces moments d'« activité libre
spontanée », l'enfant effectue ses premiers apprentissages par lui-même, à travers
l'exploration de son environnement et de son corps. R. Roussillon insiste plus sur la fonction

96
de symbolisation des expériences relationnelles précoces à travers le jeu libre. Il s'étaye pour
ce faire sur l'expérience de E. Pikler qui observe que les nourrissons à qui l'on permet de
déployer de telles activités s'avèrent plus résistants et résilients face aux traumatismes
précoces qui ont marqué leurs premiers moments de vie. « Tout semble se passer comme si la
liberté donnée au bébé de symboliser leur expérience augmentait la tolérance de ceux-ci à
des conditions imparfaites d'environnement. » (R. Roussillon, 2008, p 89).
Nous faisons un parallèle entre ces premières expériences d'apprentissage et de
symbolisation en présence de l'adulte et le travail d'élaboration que doit effectuer l'élève.
L'élève serait ainsi poussé à mettre du sens sur une énigme que lui pose l'enseignant et peut-
être aurait il besoin d'en passer par une activité proche de l'activité libre spontanée pour
intégrer des notions nouvelles. Pour résumer notre cheminement de pensée, nous supposons
que l'élève doit pouvoir supporter voire prendre plaisir à une certaine position passive dans la
confrontation à l'inconnu énigmatique et mobiliser en retour une activité proche de l'activité
d'appropriation subjective (R. Roussillon, 2008) qui participe du processus d'introjection. Il
nous semble ainsi, que l'apprentissage participe du mécanisme de l'introjection au sens de
Ferenczi (1909) en ce qu'il transforme de l'étranger-énigmatique-externe, en du familier-
interne plus maîtrisable ou prévisible. Le but de l'apprentissage pourrait être tout comme
l'introjection d'inclure « dans sa sphère d'intérêts une part aussi grande que possible du
monde extérieur, pour faire l'objet de fantasmes conscients ou inconscients. » (S. Ferenczi,
1909/2013, p100). Dans cette perspective, le but de l'apprentissage serait donc en dernière
instance de pouvoir inclure le monde dans notre vie fantasmatique (vaste programme que
nous trouvons réjouissant). Cela a le mérite de poser la question de l'ajustement, entre d'une
part, les intérêts, la fantasmatique interne des élèves, et d'autre part, la ''nourriture''
intellectuelle et affective que propose l'enseignant. La technique de médiation culturelle
qu'emploie S. Boimare nous paraît orientée par le souci de cet ajustement, dans la mesure où
il tente de proposer aux élèves un matériel culturel d'apprentissage qui fasse écho, qui ''parle''
à leur problématique interne imprégnée d'angoisses archaïques qui rendent insupportable la
situation d'apprentissage standard.
Dans tous les cas, l'introjection soutient l'investissement de la relation à
l'enseignant(e) par l'intermédiaire de l'identification. J. Filloux (1996) nous dit que
l'enseignant cherche à se donner comme un « bon objet à introjecter ». Nous avons vu qu'une
certaine identification mutuelle (Pechberty, 1999) entre professeur et élève est nécessaire
pour que se mette en œuvre la transmission du savoir dans une bonne ambiance de classe.
D'autres auteurs ont insisté sur ce point. A. Sirota, s'appuyant sur sa pratique d'analyste de

97
groupe auprès des enseignants insiste sur « la figure du professeur comme source
d'identification constructive » et parle de « crise » lorsque aucune « identification à l'autre
comme semblable n'apparaît possible ». Selon lui, « lorsque, dans une classe, aucune
identification n'est possible entre professeur et élève, nous sommes en plein « no man's
land », un terrain ou aucune loi commune ne vaut. » (2007, p313). Sur le plan de l'expérience
d'élève et de la dynamique activité-passivité, nous supposons que l'identification, permet à
l'élève de na pas ressentir l'enseignant comme trop étranger, lui évitant ainsi des angoisses
associées à la position passive (menace d'être intrusé, manipulé, etc...) en rapport avec un
certain type de questionnement que nous pourrions formuler en ces termes : « que me veut il
à m'enseigner ? ». Cette formulation n'est qu'une transposition du questionnement que J.
Laplanche propose d'attribuer au nourrisson confronté à l'énigme que lui pose la mère sans le
savoir en l'allaitant (érotiquement) : « que me veut-il (le sein) au-delà de m'allaiter, et, après
tout, pourquoi veut-il m'allaiter ? » (1990, p125).
Identification et introjection mettent directement en jeu l'accueil de l'effet de l'autre en
soi et les modifications qui en découlent. L'introjection donne lieu à une modification plus ou
moins importante du sujet en formation. Cette modification, ce changement, convoque la
dynamique activité-passivité entre se modifier (position active) et être modifié par la
transmission (position passive). La modification est opérée par l'élève en digérant le savoir et
l'expérience de sa transmission pour l'ajuster à sa problématique interne, sa sphère d'intérêt,
permettant l'inclusion dans le moi. Cette modification comporte une part d'imprévisible. C'est
à dire qu'il est difficile de maîtriser, de prévoir l'empreinte que laisse sur nous la transmission,
l'identification et l'introjection.

Si nous abordons l'introjection, il serait regrettable de ne pas évoquer son envers, la


projection. La projection s'inscrit clairement sur le versant de l'activité en ce qu'elle peut être
définie comme une expulsion de l'effet de l'autre en soi sur l'extérieur. L'autre désignant ici,
nous le rappelons, l'autre interne (pulsion, affect, produits de l'inconscient) et l'autre externe.
La projection peut se définir comme une « opération par laquelle le sujet expulse dans le
monde extérieur des pensées, affects, désirs qu'il méconnaît ou refuse en lui et qu'il attribue à
d'autres, personnes ou choses de son environnement. » (S. Ionescu, M. M. Jacquet & C.
Lhote, 2005, p228). Projection et introjection « fonctionnent généralement en synergie l'un
par rapport à l'autre. Tout déséquilibre en faveur de l'un au détriment de l'autre relève alors
de la pathologie. » (S. Ionescu, M. M. Jacquet & C. Lhote, 2005, p232). Dans le contexte de
la relation enseignant-élève(s), si le ou les élèves ont recours de façon excessive à ce

98
mécanisme de défense qu'est la projection, l'enseignant aura tendance à être perçu comme un
persécuteur, un objet malveillant à tenir à distance et/ou sous emprise. C'est donc une
atmosphère de paranoïa qui imprégnera la relation.
Le lien que nous faisons entre projection excessive (corrélative d'un défaut
d'introjection), climat paranoïaque et difficulté dans la relation élève-enseignant, trouve selon
nous un certain écho dans cette remarque de J. Chasseguet-Smirguel sur le rapport difficile
des paranoïaques à la position d'élève : « il est connu en psychiatrie classique que l'on
rencontre beaucoup d'autodidactes parmi les paranoïaques. Le fait de sauter par-dessus
l'état d'élève correspond bien à l'évitement de l'introjection du pénis paternel, la science qui
vient du maître étant assimilée au pénis du père qu'il s'agit de prendre en soi » (1966, p55). Il
ne s'agit pas ici de considérer les enfants et adolescents en difficulté pour être élève comme
des paranoïaques, mais plutôt de prendre en compte ce que les paranoïaques peuvent nous
apprendre sur les difficultés qu'un sujet-élève peut rencontrer dans l'investissement de la
relation au professeur. Ainsi, nous pouvons supposer qu'un élève (ou un enseignant ?) qui
aurait excessivement recours à la projection serait particulièrement susceptible d'éprouver la
transmission du savoir comme une introjection menaçante. Nous supposons que ce qui rend
l'introjection menaçante correspond notamment au retour du projeté qui menace de faire
intrusion. Le mauvais et l'étrangeté projetés sur l'enseignant doivent rester la propriété de
l'enseignant et ne pas faire retour vers l'élève ou les élèves (dans le cas d'une projection
groupale).

L'installation d'une bonne relation enseignant-enseigné(s) ne va donc pas de soi, elle


repose notamment sur une identification mutuelle qui prémunit d'une atmosphère
paranoïaque. Cette identification mutuelle s'appuie sur un certain type de séduction
tempérée et réciproque entre élèves et enseignants. Nous retrouvons ici la séduction
narcissique.

4.2. Séduction narcissique dans la relation enseignant-élèves :

Nous avons déjà évoqué ce type de séduction en nous étayant sur les réflexions de J.
Filloux (1996), il s'agit pour l'enseignant comme pour les élèves de créer l'illusion d'une unité
par un jeu d'accordage et de reflet dans lequel se trouve impliqué le « soi-élève » de
l'enseignant (B. Pechberty, 1999). Cette séduction s'apparente à ce que décrit M. Cifali dans
un chapitre intitulé « séduction obligée ». Elle écrit « comment s'y prend on pour séduire en

99
classe ? la recette semble invariable. ». Il s'agirait de donner ce que l'on croit être attendu par
l'autre et ainsi atténuer « ce qui pourrait venir en différence », se faire « semblable » à l'autre
ou aux autres (1994, p190-191). B. Pechberty (2015) postule que cette séduction est à
l’œuvre à chaque fois que les enseignants et les élèves « éprouvent une atmosphère familière
dans leurs échanges, rassurante, qui leur permet de travailler ensemble » (2015, p165).
Selon B. Pechberty (2015) la séduction narcissique assure à chacun (enseignant et élèves) le
sentiment d'une reconnaissance réciproque. Il nous semble important de souligner que le
besoin de reconnaissance n'est pas seulement du côté des élèves mais serait aussi fortement
présent chez les enseignants comme semble le montrer l'étude de O. Petiot et al. (2015). ils
ont conduit une enquête par questionnaire auprès de cent vingt enseignant(e)s du second
degré et leurs résultats indiquent que la plupart des émotions positives mentionnées par les
enseignants se rapporte à des manifestations de reconnaissance de la part des élèves.
Différents chercheurs dans le champ des sciences de l'éducation inscrits dans une orientation
psychanalytique (M. Cifali, 1994 ; C. Blanchard-Laville, 2002 ; J. Filloux, 1996 ; B.
Pechberty, 2015) reconnaissent qu'un certain type de séduction sollicitant particulièrement le
narcissisme, constitue un appui voire un préalable à la transmission du savoir entre
enseignant et élèves. Cependant lorsque la séduction narcissique devient trop enveloppante et
crée une bulle qui coupe enseignant et élève(s) d'avec le reste du monde, c'est la menace de
l'incestuel qui fait son entrée. Selon P. C. Racamier (1995), la séduction narcissique dérive
vers l'incestuel quand l'un des deux partenaires nourrit des attentes narcissiques excessives
qui ne lui permettent pas d'entendre et d’accueillir suffisamment les attentes de l'autre. Ainsi,
l'équilibre des attentes narcissiques de reconnaissance nécessaire à l'instauration d'une
séduction tempérée ne peut se construire ou est rompu. L'enjeu devient la manipulation de
l'un par l'autre dans le sens de ses aspirations narcissiques totalitaires. La balance actif-passif
se déséquilibre vers une configuration de la relation de type séducteur-manipulateur/séduit-
manipulé. Dans ces conditions, l'autonomie suffisante de chacun dans la relation ne peut se
développer et toute séparation est vécue comme une rupture des liens. L'atmosphère de
« tendresse », caractéristique de la séduction narcissique équilibrée, ne peut se déployer,
laissant place à une atmosphère d' « incestualité » caractérisée par :
l'effraction de l'un dans le corps et l'esprit de l'autre ; la disqualification de la loi, de la vérité
et de tout ce qui est externe à la bulle incestuelle ; une aspiration à l'hégémonie ; le recours à
la violence ; une relation duelle qui relève de la compression plus que de l'harmonie ; une
complicité plus qu'une connivence (P. C. Racamier, 1995/2010, p70).

100
A l'issue de cette brève mise en perspective de l'expérience d'élève du point de vue
de la dynamique activité-passivité, nous espérons avoir montré que la transmission du savoir
sollicite, du côté de l'élève, l'accueil de l'effet de l'autre ascendant en soi. La passivité au sens
de l'être affecté, excité par l'autre enseignant se trouve particulièrement mise en jeu dans la
confrontation à l'inconnu corrélatif de tout nouvel apprentissage ; ceci dans la mesure où
l'enseignant met l'élève en face d'une énigme qui remet en question sa logique et/ou ses
représentations. Le mécanisme de l'introjection du savoir et de l'objet enseignant serait
fortement mis à contribution pour transformer l'inconnu en familier. D'une certaine manière
nous pourrions dire que l'élève ''fait connaissance'' avec la notion nouvelle à intégrer. La
dissymétrie des places entre un enseignant qui sait, ou est mis en place de ''supposé savoir'' et
un élève non-sachant se trouve atténuée sous l'effet de l'identification mutuelle et de la
séduction narcissique qui réserve à chacun, professeur et élève(s), une place plus équitable
sur le plan des positions actives et passives. L'élève semble donc devoir trouver une voie
d'équilibre dans la relation à l'enseignant entre activité et passivité. Nous supposons que cet
équilibre est à retrouver, dans une certaine mesure, à chaque fois qu'il change d'enseignant.

Dans les précédents chapitres, nous avons proposé de considérer que la capacité à
faire jouer activité et passivité de façon suffisamment souple se construisait des les premiers
moments de la vie dans l'intersubjectivité et à travers l'expérience des séductions originaire et
narcissique. Ces expériences précoces ainsi que l'expérience d'élève sollicitent une activité
particulière de mise en représentation qui permettent la figuration de soi en position passive
ou active sur la scène fantasmatique. Selon C. Chabert (1999, 2003), M. Perron-Borelli
(1999, 2001) et J. Laplanche (1990) l'activité fantasmatique joue un rôle de premier ordre
dans l'élaboration des expériences précoces, notamment les expériences de séduction reprises
à travers les fantasmes dits ''originaires''. Selon R. Kaës (1975) l'activité fantasmatique est
également mise en jeu dans l'élaboration de l'expérience d'élève ou d' « être en formation » et
détermine l'investissement de la relation à l'enseignant. Il n'y aurait pas de possibilité
d'élaborer la dynamique activité-passivité sans les fantasmes qui permettent au sujet de faire
jouer et expérimenter en pensée les positions actives et passives dans la relation à l'autre.
C'est cette idée que nous développerons dans le prochain chapitre.

III. Passivité et activité dans les fantasmes :

101
1.Une définition du fantasme :

Le fantasme peut être défini comme un « scénario imaginaire » (J. B. Pontalis & J.
Laplanche, 1988) qui par l’intermédiaire d’une représentation d’action met en relation « le
sujet et l’objet de son désir » (M. Perron-Borelli, 2001). C’est une mise en scène « qui figure,
de façon plus ou moins déformée par les processus défensifs, l’accomplissement d’un désir
et, en dernier ressort d’un désir inconscient » (J. B. Pontalis & J. Laplanche, 1988, p152). Ce
désir peut être gouverné par des motions libidinales mais peut aussi s’orienter vers
l’agressivité ou la destructivité. M. Perron-Borelli souligne que certains fantasmes sont
dominés par la compulsion de répétition, ceux-ci viseraient plus l’élaboration d’expériences
traumatiques par une réactualisation répétitive dans la mise en scène fantasmatique, que
l’accomplissement d’un désir. Ce qui nous conduit à considérer le fantasme comme
participant d’un processus dont la finalité est à située « au-delà du principe de plaisir ». Le
fantasme peut prendre une forme duelle ou tierce, selon qu’il met en scène un ou deux objets
en rapport avec le sujet créateur du fantasme. Dans la forme duelle, le sujet participe à
l’action fantasmatique dans une relation directe avec l’objet, alors que dans la forme tierce le
sujet est spectateur de l’action qui se joue entre deux objets protagonistes de la scène.
M. Perron-Borelli (2001) pointe une fonction organisatrice du fantasme qui réside
principalement dans un travail du préconscient qui consiste à :
- mettre en représentation des mouvements pulsionnels et leur aménagement défensif
- élaborer la relation à l’autre, entre le sujet et ses objets d’attachement
- faire la médiation entre inconscient et conscient, imaginaire et réalité participant ainsi de la
construction d’un espace transitionnel.

M. Perron Borelli (2001) distingue trois types de fantasmes en fonction de leurs


niveaux d’organisation. Elle distingue « les fantasmes prototypiques », « les fantasmes
archaïques » et « les fantasmes originaires ». La définition que nous avons donné au
fantasme en début de chapitre correspond à la structure du fantasme dans sa forme la plus
aboutie désignée comme prototypique.
Les fantasmes dits archaïques apparaissent aux stades les plus précoces du
développement lorsque le moi n’est pas encore constitué. Ils consistent tout d’abord dans des
représentations d’action élémentaire (avaler, rejeter, partir …) ne faisant apparaître ni objet ni
sujet. Dans une forme plus élaborée les fantasmes représentent une action dirigée vers un

102
objet partiel d’abord (le sein, la bouche, etc..) puis total. Le sujet ne fait son apparition dans
la scène fantasmatique qu’à partir du moment où la différenciation moi/non moi est
suffisamment établie. M Perron-Borelli (2001) identifie un fantasme inaugural qui peut être
comparé au concept de pictogrammes proposé par P. Aulagnier (1975). Il s’agit du fantasme
d’incorporation de l’objet qui permettrait que se construisent les premières représentations
positives du lien à l’objet, étayées sur la figure d’un « objet bon à incorporer », prendre en
soi. Ce fantasme est corrélatif du fantasme de rejet. Ces deux fantasmes peuvent être
considérés comme constituant une base sur laquelle va se développer toute la dynamique
fantasmatique ultérieure.
Tout comme C. Chabert (1999) nous réservons une place particulière aux fantasmes
dits originaires dans la perspective d'une compréhension de l'élaboration de la dynamique
activité-passivité et activité-passivation.

2. Les fantasmes originaires :

Ces fantasmes présenteraient un caractère universel dans la mesure où nous pourrions


les retrouver dans les productions psychiques et le discours de tous les sujets quelque-soit
leur âge ou leur culture.
Selon J. B. Pontalis et J. Laplanche (1988), ces fantasmes sont une façon de construire
une représentation apportant une réponse à l’énigme des origines « origine du sujet »,
origine « du surgissement de la sexualité » et « origine de la différence des sexes » (p159).
Ainsi ces fantasmes répondraient en premier lieu au désir de connaissance qui peut trouver
son origine dans l’attraction séductrice de l’énigme (théorie de la séduction originaire de J.
Laplanche). S. Freud identifie essentiellement trois fantasmes originaires : fantasme de
séduction, fantasme de castration et de scène primitive (M. Perron-Borelli, 2001).
M. Perron Borelli (2001) postule que les fantasmes originaires ont pour fonction
essentielle de « symboliser les traumatismes fondamentaux que doit subir tout être humain »
(p109). Parmi ceux-ci, elle distingue la séduction maternelle précoce, l’exclusion du couple
parental et la découverte de la différence des sexes. Elle insiste particulièrement sur le rôle
des fantasmes originaires dans l’élaboration des « traumatismes narcissiques » (2001, p110)
associés aux expériences de pertes inéluctables marquant les relations précoces entre l’enfant
et ses premiers objets d’attachement. Selon cette conception, la création du fantasme
originaire serait une façon de mettre en forme des expériences traumatiques par une mise en
scène préconsciente. Celle-ci permet à l’enfant de rejouer la situation tragique en adoptant

103
des postions passives et actives selon un jeu de renversement des rôles. Ce travail du
fantasme permet ainsi à l’enfant d’élaborer progressivement, au fil de son développement,
l’expérience traumatique précoce de passivation.
Le fantasme de scène primitive tend à mettre l’enfant dans une position passive dans
la mesure où il se trouve exclu du couple parental et assiste impuissant au spectacle de la
« scène de rapport sexuel entre les parents » qui suscite en lui une excitation intrusive. Mais
lorsque la dynamique fantasmatique du sujet est suffisamment structurée et souple, le sujet
peut s’identifier à l’un des personnages du couple pour jouir d’une position passive ou active.
Selon Freud, la part active revient souvent au père dans une vision plutôt violente du coït
parental généralement représenté par l'enfant sur le mode d'une pénétration anale dans la
continuité des théories sexuelles infantiles (J. Laplanche & J-B. Pontalis, 1988, p 432).
M. Perron-Borelli (2001) souligne bien que la dynamique fantasmatique dans sa
forme aboutie, permet, par le jeu des identifications et des inversions de place entre le sujet et
l’objet, d’adopter des positions passives ou actives étroitement liées les unes aux autres par
leur potentialité de renversement. Au vu de ces réflexions, nous avons tendance à considérer
que l’enfant en tant que créateur du fantasme est fondamentalement actif, mais cette activité
fantasmatique lui permet de se familiariser avec la jouissance dans une position passive.
Dans le cas du fantasme de séduction, M. Perron-Borelli (2001) observe que le sujet
névrosé peut faire varier les positions en place de séducteur (actif) ou d’être séduit (passif).
C. Chabert (1999) constate que dans le fantasme de séduction, le sujet se met généralement
en position passive d’être victime de la séduction d’un autre incarnant une figure parentale
généralement paternelle. Le statut de victime de séduction permet au sujet d’assouvir ses
désirs œdipiens de relation d’amour avec la figure parentale, ceci tout en préservant son
innocence aux yeux du surmoi et aux yeux des autres. La logique de ce stratagème
inconscient peut se formuler ainsi « ce n’est pas moi qui le désire, c’est l’autre qui me
séduit » (C. Chabert, 1999, p1454-1455). C. Chabert souligne que cette mise en scène n’est
possible que si la passivité inhérente à l’excitation par l’autre est admise. Ce serait à partir de
« l’expérience de l’excitation liée à l’autre, de ce qu’elle engage en terme d’éprouvé et
d’affect » (1999, p1455) que se forme la voie qui conduit au fantasme de séduction.
Nous pouvons considérer les fantasmes de séduction et de scène primitive comme des
mises en forme symboliques, après coup, des premières expériences de passivité
caractéristiques de la séduction originaire (Laplanche, 1990) par la mère « séductrice-
initiatrice » (Roussillon, 2011). Le fantasme de la scène primitive traduit bien cette position
passive de l’enfant devant la dimension sexuelle énigmatique-excitante de la relation de

104
couple, et plus largement, devant la sexualité en général. Ce fantasme serait une tentative de
traduction qui au fur et à mesure du développement se complexifie allant « des
représentations les plus archaïques, impliquant surtout des relations duelles et/ou de objets
partiels » (M. Perron-Borelli, 2001, p108-109), à des représentations plus élaborées en ce
qu'elles mettent en scène des personnages bien distincts, permettant au sujet de s’identifier à
la figure féminine ou masculine du couple selon l’orientation de ses désirs. Les fantasmes
originaires évoluent donc dans leur organisation et leur contenu en fonction des différentes
phases du développement psycho-affectif du sujet telles qu'elles sont identifiées dans le
champ théorique psychanalytique, stades, oral, anal, phallique ou génital.

Après avoir abordé les fantasmes originaires et leur lien avec la dynamique activité-
passivité, nous projetons maintenant d'investiguer le champ plus spécifique des fantasmes
susceptibles d'être mobilisés par l'expérience d'élève dans la relation à l'enseignant.

3. Fantasmatique éveillée par la position d'élève dans la relation à l'enseignant :

3.1. Mise en jeu des fantasmes originaires :

N. Catheline constate que les élèves ont tendance à projeter sur l'enseignant les
conflits qui imprègnent leur relation avec les adultes investis dans l'environnement extra-
scolaire, « les parents au premier chef. » (2012, p369). Elle ajoute que « ce mouvement
devient de plus en plus net dès le collège au moment où le grand enfant accède à un
jugement personnel. Certains enseignants écopent ainsi d'une agressivité qui ne leur est pas
destinée en tant que personne mais en tant que représentant d'un parent, souvent idéalisé
mais absent par exemple, voire en tant que représentant de la société (ordre établi,
pouvoir). » (p370). Ces éléments indiquent selon nous que la relation à l'enseignant mobilise
chez l'élève une fantasmatique qui fait intervenir les figures parentales. C'est pourquoi nous
supposons que les fantasmes originaires (séduction, scène primitive, castration) sont
particulièrement mis en jeu dans la relation à l'enseignant.

Selon un point de vue différent, nous pouvons supposer que certains modes
d'investissement de l'enseignant comme « supposé savoir » (C. Blanchard-Laville, 2001) ne
manquent pas d'alimenter chez l'élève la curiosité infantile attachée aux grandes énigmes de
la vie qui sollicitent particulièrement les fantasmes originaires. L'enseignant serait ainsi

105
l'objet d'une de demande d'un certain savoir satisfaisant à la curiosité sexuelle infantile
toujours agissante en toile de fond, ce qui donne à la relation pédagogique un caractère
initiatique (voir paragraphe suivant). Nous supposons que c'est là une des fonctions des
fantasmes originaires que de donner droit de citer et nourrir cette curiosité sexuelle infantile
toujours bien vivante dans les profondeurs du psychisme et qui constituerait un moteur
puissant de l'investissement des apprentissages scolaires. En effet, selon Freud,
l'investissement de l'activité intellectuelle dans le champ scolaire est issue du déplacement de
la curiosité sexuelle infantile vers des centres d'intérêts culturellement valorisés. L'enfant
porté par une soif de connaissance concernant la chose sexuelle (énigme de la conception des
enfants, que se passe-t-il derrière la porte de la chambre des parents, etc...), sous l'effet
notamment de l'angoisse de castration, fait dériver les mouvements pulsionnels attachés à
cette curiosité vers un autre but et un autre objet, la curiosité intellectuelle socialement
valorisée. Ce changement opère par la sublimation : processus psychique qui fait dériver la
pulsion « de son objet et de son but (érotique ou agressif) primitifs, mais sans être refoulée »
(S. Ionescu, M-M. Jacquet & C. Lhote, 2005, p279).
Cela nous conduit vers la dimension initiatique de la relation pédagogique. J. Filloux
(1983) présente une conception du désir à l'origine de tout « rapport pédagogique » qui ne
manque pas de solliciter les fantasmes originaires. Selon elle, le rapport entre enseignant et
élève(s) a toujours à voir d'une certaine manière avec l'initiation qui met en jeu le « désir
d'engendrement : désir d'une procréation et désir de naissance » (1983, p18). Elle précise
qu' « il s'agit bien entendu d'une seconde naissance comme naissance à l'esprit et d'une
procréation seconde en tant que création culturelle. » (1983, p18). Fidèle en cela à la
maïeutique socratique conçue comme méthodologie pédagogique « de l'accouchement ».
Dans une perspective proche de celle de J. Filloux (1983), R. Kaës (1975) postule la présence
d'une dimension d'initiation sexuelle incluse dan toute démarche et désir de formation. Ainsi
écrit-il : « l'offre comme la demande de formation se réfèrent à la quête d'une solution et
d'une maîtrise – savoir et pouvoir être – concernant l'énigme de la fabrication des enfants, la
différence des sexes, de la vie et de la mort. C'est par là que la formation entretient des
rapports étroits avec l'initiation entendue comme initiation sexuelle et qu'elle mobilise les
fantasmes de séduction. » (1975/2007, p71). Comme pour justifier ses propos il ajoute « il
n'est pas rare d'entendre dire que telle expérience de formation a été vécue comme un
dépucelage » (R. Kaës, 1975/2007, p71).
Un autre fantasme qui s'inscrit directement dans la lignée du fantasme de séduction
nous semble susceptible d'être mis en jeu dans la relation entre enseignant et élève(s), c'est le

106
fantasme « un enfant est battu ». En effet, la position d'élève en classe implique
particulièrement de refréner certains désirs et comportements, ceci, notamment, parce qu'ils
exposent au risque de la sanction par l'enseignant. Cette menace de sanction qui plane,
associée au fait de voir d'autres élèves se faire sanctionner et réprimander ne manquerait pas,
selon nous, d'éveiller une fantasmatique proche de la forme prototypique « un enfant est
battu ».
Lorsque la dynamique fantasmatique est suffisamment structurée et que le sujet fille
ou garçon s’inscrit dans la problématique œdipienne, il peut faire appel au fantasme de
fustigation qui permet au sujet d’éprouver une jouissance passive à travers la réalisation du
souhait incestueux inconscient d’être aimé par le père en suivant l’équivalence inconsciente,
être aimé / être battu par le père.

Ce fantasme est le fruit de transformations successives schématiquement ordonnées


en trois phases (S. Freud, 1919/2011, p127-129) :
1. la première phase du fantasme met en scène un enfant battu par un adulte indéterminé
qui se révèle être, avec quelques investigations analytiques, le père de l’enfant.
L’enfant battu étant un enfant connu, haï dans un contexte de rivalité œdipienne,
souvent un des frères et sœurs. Freud note que l’on peut contester le terme de fantaisie
pour cette première phase. « il s’agit peut-être plutôt de souvenir de ces incidents
qu’on a vu de ses yeux ou de souvenirs de souhaits … ». La fustigation vient signifier
à l’enfant : « le père n’aime pas cet autre enfant, il n’aime que moi ».Cette pensée a le
don d’éveiller le sentiment de culpabilité associée à la relation incestueuse génitale
prohibée.
2. Dans la deuxième phase, sous l’effet du sentiment de culpabilité, l’enfant fille ou
garçon fait pénitence en se positionnant comme battu par le père, s’étayant sur une
logique que Freud formule ainsi : « non il ne t’aime pas car il te bat ». Il y a donc
transformation du sadisme de la première phase en masochisme. Le fantasme prend
cette forme masochiste sous l’effet du sentiment de culpabilité mais aussi (et peut-être
surtout) par la régression sur un mode sadique-anal du souhait incestueux d’être aimé
par le père. Le fantasme de cette deuxième phase est particulièrement sujet au
refoulement et n’est donc accessible qu’en étant reconstruit au travers de l’analyse.
Freud souligne qu’il est une « construction de l’analyse » accompagnée d’un « haut
degré » d'excitation sexuelle. Freud note que « cette phase est de toutes la plus

107
importante et la plus lourde de conséquence » pour le sujet et pour l’avancée de
l’analyse.
3. Dans la Troisième phase, le fantasme met en scène des enfants battus par un substitut
du père (professeur, éducateur, etc…), scène à laquelle l’enfant producteur du
fantasme, assiste en position de spectateur. L’enfant opère donc un déplacement en
attribuant son rôle à des enfants anonymes et le rôle du père à un de ses représentants
symboliques. Le fantasme, sous cette forme finale, a pour particularité d’être
accessible à la conscience tout en conservant une grande part de la charge d’excitation
sexuelle naissant de la deuxième phase refoulée. Cette troisième phase prend une
forme sadique mais en fin de compte la satisfaction est avant tout masochiste car
l’enfant s’identifie inconsciemment aux enfants battus par le substitut du père et
satisfait ainsi (par identification) le souhait incestueux d’être battu –aimé par le père.
Freud écrit que cette troisième phase « prend en charge l’investissement libidinal de
la part refoulée du fantasme, et avec lui aussi, la conscience de culpabilité attachée à
son contenu. ». En ce qui concerne le garçon, à partir de cette troisième phase il
attribut le rôle du père à la mère et l'énoncé fantasmatique devient « je suis battu par
la mère ».

Les fantasmes originaires (nous insistons surtout sur les fantasmes de séduction et de
scène primitive) sont donc mis en jeu dans la relation enseignant-élève(s), mais celle-ci
mobilise également toute une fantasmatique relative aux expériences relationnelles du
nourrisson avec l'adulte à des stades préœdipiens du développement. Il convient de les
appréhender pour comprendre la dynamique activité-passivité impliquée dans la relation à
l'enseignant, telle qu'elle trouve à s'élaborer dans le fantasme.

3.2. Fantasme d'incorporation :

Il est probable que l'apprentissage en tant que tâche consistant à s'approprier et


intérioriser des notions et opérations logiques nouvelles sollicite sur le plan fantasmatique
l'incorporation. L'incorporation désigne « un processus par lequel le sujet, sur un mode plus
ou moins fantasmatique, fait pénétrer et garde un objet à l'intérieur de son corps. » (J.
Laplanche & J. B. Pontalis, 1988, p200). Le terme d'incorporation fait aussi référence à un
mode de relation d'objet caractéristique du stade oral. L'incorporation intervient à l'origine
dans le développement du processus d'introjection. J. Laplanche et J. B. Pontalis identifient «

108
trois significations bien présentes dans l'incorporation : se donner un plaisir en faisant
pénétrer un objet en soi ; détruire cet objet ; s'assimiler les qualités de cet objet en le
conservant au dedans de soi. » (1988, p200) . Bien que l'oralité reste la voie royale de toute
incorporation, toutes les zones érogènes ainsi que certaines fonctions du corps sont
susceptibles d'être convoquées dans les fantasmes d'incorporation (incorporation anale,
visuelle, auditive, tactile). B. Gibello postule que ce qu'il nomme le « processus
d'incorporation » est impliqué dans les premiers apprentissages de l'enfant. Selon lui,
l'assimilation d'un nouvel objet à connaître opère selon un processus d'incorporation. Ainsi
écrit-il, « le processus d'incorporation orale du sein paraît être un cas particulier d'un
processus beaucoup plus général d'incorporation par les divers schèmes moteurs dont
dispose l'enfant pour assimiler divers objets qui attirent son attention. » (2009, p185).
Dans le contexte de la relation élève(s)-enseignant, nous supposons que l'objet à
incorporer pourra être aussi bien le savoir que l'enseignant lui-même. La position
d'enseignant ne manque pas d'éveiller des angoisses d'être dévoré par le groupe d'élève.
Angoisses qui peuvent faire émerger des pensées du type : « il faut que je les tiennent dès le
départ sinon je vais me faire bouffer. ». Enseignant et élèves peuvent être pris dans une
dynamique groupale délétère générée par un fantasme dont la configuration se rapprocherait
du mythe de la horde primitive (S. Freud, 1923) ; il risque alors de se former une coalition
des frères (élèves) pour tuer le père (enseignant) et l'incorporer oralement (le manger et le
digérer) de façon à assimiler ses qualités, plus particulièrement son savoir.
Selon N. Abraham et M. Torok (1987), si le fantasme d'incorporation entretient un
lien étroit avec le processus d'introjection, c'est surtout parce qu'il est le signe privilégié d'un
désir voire d'un besoin d'introjection inassouvi. Le fantasme d'incorporation viendrait en
place d'une introjection avortée. Si nous replaçons ceci dans la contexte de l'expérience
d'élève, le sujet peut avoir recours à ce fantasme lorsqu'il est confronté au manque
d'introjection d'une qualité de l'objet enseignant. À défaut d'introjecter il va fantasmer
l'incorporation d'une qualité de l'enseignant. Selon N. Abraham et M. Torok « reconnaître
dans le fantasme d'incorporation une manière de langage disant le désir d'introjecter c'est
accomplir un grand pas dans la cure analytique » (1987/2009, p239) ... peut-être aussi dans
la compréhension de la relation enseigné(s)-enseignant(s)

3.3. Fantasme d'intrusion dans le ventre maternel et de son exploration :

109
Mélanie Klein (1976) a mis en évidence que le développement intellectuel et affectif
de l'enfant dépend fondamentalement de la possibilité de désirer et fantasmer l'exploration de
l'intérieur du corps de la mère. Selon elle, ce désir est nourri par l'envie de posséder la mère,
donc la tenir sous emprise. Les enfants qui refouleraient trop tôt et/ou excessivement ce désir
seraient susceptibles d'être empêchés de développer une appétence pour l'exploration et la
compréhension du monde. Selon B. Golse « l'énigme du dedans de l'objet (maternel) fournit
probablement les racines prégénitales de l'ultérieure curiosité sexuelle » (2002, p10) qui
vient nourrir ensuite, après sublimation, la curiosité intellectuelle.
Cette source prégénitale de la curiosité sexuelle ne tarirait jamais vraiment et sa visée
nous semble bien rendue par l'expression ''savoir ce que l'autre a dans le ventre''. Cherchant à
montrer que le désir d'exploration du ventre maternel reste agissant tout au long de la vie, B.
Golse donne l'exemple familier des garçons en période œdipienne qui prennent (un malin)
« plaisir à démonter tous les objets qui leur passent entre les mains » (2009, p16).
En conséquence, nous supposons que lorsque l'enseignant est positionné par les élèves
comme détenteur d'un savoir attaché à ce qui fait profondément énigme pour eux, alors, cet
enseignant sera susceptible de faire l'objet de fantasmes liés au désir d'exploration et de
contrôle du ventre maternel.

3.4. Problématique de la forme dans la relation élève-enseignant et sa traduction dans


le fantasme :

R. Kaës s'est engagé, depuis les années 60, dans une étude des processus psychiques
opérant dans la formation et plus particulièrement l'étude des désirs et de la dynamique
fantasmatique en jeu dans la relation entre être(s) en formation et formateur. Ses réflexions
s'étayent sur sa propre expérience de formateur, et sur un travail continu de réflexion en
commun avec d'autres formateurs cliniciens intéressés par la dynamique de groupe d'un point
de vue psychanalytique. R. Kaës (1975) émet l'hypothèse selon laquelle toute formation
mobilise vivement une problématique autour de la forme qui trouve à se figurer dans le
fantasme qu'il nomme « on (dé)forme un enfant ». Selon lui, tout engagement dans une
formation (en tant que formateur ou être en formation) serait en partie sous-tendu par la quête
avant tout narcissique d'une bonne forme de soi. Cette bonne forme de soi, renvoie selon O.
Nicolle (2011) tout à la fois à un objectif à atteindre et à quelque chose d'irrémédiablement
perdu étroitement lié aux expériences précoces de la relation à l'objet maternel. Se former
c'est donc, dans une certaine mesure, chercher à retrouver et/ou reconstruire la forme de soi

110
idéalisée caractéristique du paradis perdu des origines. Par ailleurs, se former veut dire
accepter de changer donc de perdre certains éléments constitutifs de la forme de soi pour en
gagner d'autres, ce qui sollicite un travail de « deuil des formes de soi perdues » (R. Kaës,
2011, p26). La formation sollicite donc un certain travail d'élaboration de la perte mobilisant
des tendances antagonistes : réparer et détruire ; former, reformer ou déformer.
Plus fondamentalement, se former-déformer ou être formé-déformé engage
l'antagonisme pulsionnel entre « pulsions de mort (dé-former) et les pulsions de vie (former,
reformer...). » (2011, p10)
La relation entre être en formation et formateur implique un jeu de reflet des formes
qui fait écho selon nous à la relation « homosexuelle en double » (R. Roussillon, 2008) dans
l'originaire de la relation à la mère. Ainsi chacun, dans une certaine mesure, attend de l'autre
qu'il reflète un élan, une dynamique de formation qui va dans le sens d'une progression vers
une bonne forme de soi idéalisée. Ensemble, formateur et sujet en formation, « rêvent (ou
fantasment ?) la forme idéale » (Kaës, 2011, p12). Ce jeu de reflet particulièrement présent
au début de la formation pour créer une illusion narcissique atténuant le choc de la rencontre,
doit laisser suffisamment de place à la signification d'un écart entre les protagonistes sous
peine de dériver vers une relation spéculaire qui emprisonne plus qu'elle n'émancipe. Le
sujet en formation doit apprendre à reconnaître l'écart qui le sépare du formateur mais aussi
de la bonne forme qu'il cherche à atteindre. « le caractère irréductible de cet écart est le
moteur même du désir de formation, du travail qu'elle requiert et de l'illusion qu'elle
inaugure. » (R. Kaës, 1975/2007, p72). Cet écart se soutient de la référence à un tiers qui
trouve à s'incarner dans le respect « des règles qui régissent la situation formative » ainsi
que dans un certain rapport au savoir. « la référence à un savoir en constitution, disponible à
la démarche hypothétique , accessible au prix dont se paie la vérité est aussi une référence
tierce » (p72).
Selon R. Kaës, les personnes engagées dans une formation portent une demande qui
contient en elle un conflit entre désir de changer et désir de préserver sa forme intacte ou
crainte de perdre et de se perdre dans le changement. Il écrit que « dans le mouvement même
où la formation et d'abord dans le fantasme, est susceptible d'apaiser l'angoisse (de perte, de
changement), celle-ci ressurgit de sa source pour s'opposer à toute modification ressentie
alors comme atteinte narcissique et destruction de soi par l'autre » (1975/2007, p69). Il
ajoute que « cette liaison fondamentale de la demande de changement et de la crainte de
déformation est généralement escamotée dans la demande manifeste, mais elle apparaît
nettement dès que le processus formatif est en voie de s'engager. » (1975/2007, p69). Ce

111
conflit et les éprouvés qui l'accompagne viennent solliciter les expériences précoces du sujet
dans la relation à ses « premiers formateurs », et mobilise notamment la reviviscence et
l'élaboration du vécu du sujet étant nourrisson face à l'action « formatrice-déformatrice de la
mère ».
R. Kaës émet donc l'hypothèse que les conflits et éprouvés suscités par le processus
de formation trouvent à s'élaborer à travers une fantasmatique de la forme de soi et de l'autre.
Il propose en conséquence de synthétiser ces enjeux ''sous la forme'' essentielle d'une
configuration fantasmatique qu'il nomme « on (dé)forme un enfant ». Ce fantasme
directement inspiré du fantasme « on bat un enfant », présente selon lui un potentiel figuratif
très riche par la multiplicité et la permutabilité des formes qu'il peut engager. Ce fantasme est
ainsi « lisible comme un scénario à plusieurs personnages, dont les emplacements sont
permutables, dont l'action se développe sur le mode de la dramatisation des enjeux de désir
et de défense et qui admet un retournement des positions actives et passives du sujet et de
l'objet. » (2011, p9).

Chapitre C. Complémentarité ou affrontement des dimensions passive et active à


l'adolescence : quels retentissements sur la relation de l'élève avec ses enseignants ?

Passivité et adolescence sont étroitement liées dans la mesure où un changement


interne sur les plans physique et psychique s’impose au sujet qui arrive en période
d'adolescence. Des excitations et des pensées souvent coupables s’imposent à lui, si bien que
les adolescents expriment fréquemment cette impression d’un corps étranger interne qui les
agit ou les parasite – « ça me prend la tête ». Nous dirons que toujours, dans une certaine
mesure, la puberté et le pubertaire entrent par effraction dans « l’encore enfant » (Ph. Gutton,
1991) qu’est le sujet arrivant en âge d’adolescence. Le pubertaire serait défini comme
l’ensemble des transformations psychiques qui accompagnent la puberté. Ainsi « le mot
puberté est au corps ce que le pubertaire est à la psyché » (Ph. Gutton, 1991/2013). Tout
comme la puberté, le pubertaire est un passage obligé dans l’histoire de tout sujet. Ce
changement passivant pour le sujet mobilise en retour une forte activité pour se faire et se
croire acteur du changement en cours. L'enjeu serait de développer une créativité personnelle
et groupale qui donne le sentiment de se changer, se construire au lieu d'être changé, modelé
par des mouvements provenant de l'interne, ainsi que des injonctions parentales et sociaux-
culturelles identifiées comme externes.

112
Nous tenterons de rendre compte dans les chapitres suivants d'une dialectique entre :
d'une part, la passivité telle qu'elle est mobilisée par l'éprouvé des modifications internes
subies du fait de la puberté et du pubertaire ; et d'autre part, l'activité créatrice de l'adolescent
dont l'enjeu principal est de se positionner comme auteur-acteur du changement en cours. À
l'issue de cette étude de la dialectique passivité-activité à l'adolescence, mise en perspective
avec nos précédentes réflexions sur le décrochage scolaire et l'expérience d'élève ; nous
proposerons une lecture du processus de décrochage scolaire, envisagé sous l'angle d'un
certain rapport de l'adolescent aux enseignants qui participe d'une dynamique de rupture avec
le système scolaire.

I. Passivité et séduction par le corps génital :

La puberté amène la production accrue des hormones sexuelles ayant un effet direct
sur l’excitabilité qui situe l’orgasme génital au centre des plaisirs. L’enfant pubère observe,
assiste passivement à la transformation de son corps sous l’effet des phénomènes
endocriniens. Ce terrain biologique entraîne des modifications psychiques : les mouvements
pulsionnels acquièrent une force nouvelle et l’enfant voit son corps évoluer vers une forme
adulte, ce qui alimente et réveille les fantasmes incestueux et parricides œdipiens. Le sujet se
sent investi de potentialités physiques qui rendent possible la relation incestueuse. Ce réveil
fantasmatique et pulsionnel change la relation aux figures parentales : les objets parentaux
tendent à revêtir un caractère séducteur et persécuteur. Ceci est inévitable : « l’interprétation
violente, obligée, de l’éprouvé pubertaire est incestueuse » (Ph. Gutton, 1991/2013). Selon
Ph. Gutton (2006), « l’encore enfant » situe dans un premier temps ces éprouvés pubertaires
comme prenant leur source dans le corps, « corps génital » (car la satisfaction s’organise sous
le primat du génital) qui revêt, de fait, un caractère d’imprévisibilité, d’étrangeté et
d’ « extra-territorialité » (p51). Il écrit que « le corps génital et les objets qu’il investit
(expériences sexuelles et amoureuses) séduisent l’encore enfant, sorte d’auto-pédophilie. »
(2006, p51). Nous émettons l’hypothèse avec B. Golse (2013), que le sujet adolescent ou en
fin de pré-adolescence est confronté à la reviviscence de la séduction originaire dans la
rencontre avec le caractère énigmatique des éprouvés et représentations pubertaires excitantes
émergeant ''sans crier gare''. « Dans ce contexte c’est le corps de l’adolescent qui peut revêtir
lui-même, parfois, la fonction de signifiant énigmatique pour l’adolescent et ce ne sont plus,
alors, les soins maternels, mais ses propres fonctionnements corporels qui viennent réactiver

113
chez lui cette situation de séduction originaire » (2013, p51). Nous pourrions supposer que le
sujet expérimente à nouveau la position passive caractéristique de la séduction originaire qui
réside dans l’impuissance à traduire les messages énigmatiques provenant du corps. B. Golse
parle de « passivité traductrice » (2013, p50) pour qualifier cette impuissance à traduire.
L’adolescent va donc devoir se réapproprier ce corps nouveau, « corps génital » (Ph. Gutton,
1991) et, comme C. Chabert (2002) et Ph. Gutton (2006) le soulignent, ce travail nécessite
d’accepter la passivité dans une relation à un corps source d’affects et d’excitations
imprévisibles vecteurs d'énigme. Ph. Gutton écrit que « la passivation au corps génital
reflète l’acceptation de la situation pubertaire rendant l’introjection possible » (2006, p51).
Accepter l'expérience de passivité dans le rapport à un corps nouveau est la condition pour
que le sujet introjecte cet objet/corps, qui perd ainsi de son étrangeté et, peut-être plus
généralement, relance ou préserve une capacité d'introjection des expériences nouvelles.
Si, pour des raisons diverses, l'adolescent ne peut éprouver d'abord, puis figurer
ensuite (éprouvé et figuration en interaction) cette position passive d'être affecté-modifié par
quelque chose (objet non-identifié) qui vient de son corps, alors il sera susceptible d'avoir
recours à la haine de son corps et de l'autre. Pour éviter de haïr son corps et d'exercer une
emprise auto-destructrice sur lui, l'adolescent va préférentiellement haïr l'autre, en particulier
les parents et leur substituts (les enseignants sont susceptibles d'entrer dans cette catégorie).
De fait, il y a souvent « un balancement entre haine des objets parentaux (et de façon
régressive la mère) et haine de l'objet-corps » (2006, p52). La haine dévie naturellement vers
les figures parentales dans la mesure où les haïr permet de garder une bonne distance avec
eux, tout en les gardant près de soi comme ''meilleurs ennemis'', ce qui est une manière,
normalement temporaire, de résoudre la conflictualité inhérente à la dépendance dans la
relation aux figures parentales. Par ailleurs, les figures parentales bénéficient dans la majorité
des cas, de l'idéalisation inconsciente nécessaire pour être élus objets de haine préférés. « le
persécuteur a besoin d'une certaine idéalisation : pour être accusé encore faut-il qu'il le
mérite, que cela vaille le coût. Ainsi dit-on que l'objet de haine ne déçoit jamais. » (2006,
p53). Enfin la relation aux figures parentales, tout comme la relation au corps nouvellement
génital à l'adolescence est marquée par un enjeu autour de l'emprise. Dans ce contexte, la
haine selon Ph. Gutton est une façon de se défendre contre l'emprise potentielle de l'autre
objet parental et objet corps, car haïr c'est mettre une distance qui prémunit de l'intrusion
manipulatrice voire de l'indifférenciation. La haine est un affect courant chez les adolescents
qui n'est pas le signe d'un fonctionnement pathologique. C'est seulement lorsque la haine
semble verser dans la démesure qu'elle peut être interprétée comme signe pathognomonique

114
mis en perspective avec d'autres éléments de la personnalité et de l'histoire du sujet. La haine
repose sur le procédé de la projection, procédé défensif couramment usité par les adolescents
(A. Birraux, 2000).
Nous proposons de décrire le déroulement du processus projectif ainsi :
Ce qui est ressenti et perçu par l'adolescent comme une tentative d'emprise provenant
de son corps (emprise du corps sur le sujet), il le projette sur la ou les figures parentales de
telle manière que leur est attribuée une intention d'emprise sur lui et son corps. Une fois la
figure parentale investie de ces intentions d'emprise, il peut la haïr sans trop culpabiliser
puisque celle-ci est persécutrice. Il préserve ainsi son corps de la haine et de la violence qui
auraient dû être dirigées contre lui. Comme le souligne Ph. Gutton (2006), ce procédé est
souvent imparfait et une partie de la haine et de la violence reste souvent dirigée vers le
corps.
Ce procédé présente un inconvénient notable du fait que celui qui projette doit se
garder son ennemi à proximité, à portée de projection en quelque sorte, pour pouvoir évacuer
ses mouvements haineux au quotidien. Il est ainsi dépendant de son ennemi pour son bien-
être. Ce processus entre, nous semble-t-il, dans le cadre de ce que P. Aulagnier nomme « une
relation persécutive » qui s'installe lorsque « l'appel à un persécuteur hors-je et hors-corps,
à un persécuteur supposé occuper une place, un lieu dans la réalité extérieure est la dernière
manœuvre qui reste au je pour ne pas le rencontrer (le persécuteur) dans son propre corps,
pour se préserver du risque que ce soit entre lui et son corps qu'éclate un conflit mortifère
dont la destruction des deux serait alors l'inévitable résultat. » (1986, p319-320) Parmi les
persécuteurs tout désignés « supposé(s) occuper un place, un lieu dans la réalité extérieure »
et dans la société, les enseignants nous semblent des cibles privilégiés, du fait, notamment,
qu'ils sont susceptibles de faire l'objet de mouvement transférentiels ''pour le meilleur et pour
le pire''. Ainsi, comme l'ont souligné N. Catheline (2012) et S. Freud (1914), les adolescents
sont susceptibles de déplacer (transférer) sur la relation à certains enseignants, des désirs, des
mouvements d'amour et d'agressivité qui se jouent ou qui auraient dû se jouer dans la relation
avec leur parents. Par ailleurs, l'enjeu d'emprise particulièrement présent dans la relation
entre l'enseignant et les élèves au niveau du collège ne manquerait pas de favoriser
l'émergence d'une relation persécutive au sens de P. Aulagnier (1986).
Nos réflexions nous conduisent donc à supposer que la difficulté pour accepter,
accueillir l'effet du corps en soi, et ainsi éprouver le corps à l'adolescence, peut se manifester
entre-autre par des difficultés relationnelles avec certains enseignants. Il nous semble que

115
cette supposition tend à être étayée par les observations de V. Melin (2016) qui parle du
« corps décroché » des adolescents dits décrocheurs.

Nous avons évoqué la passivité sollicitée par le rapport au corps à l'adolescence, mais
une autre forme de passivité doit être abordée qui se trouve convoquée dans le travail
d’élaboration de la perte propre à l’adolescence : c’est cette « passivité première qui tient à la
dépendance à l’égard de l’objet » décrite par Green (1999) qui relève plutôt de ce qu'il
appelle la passivation.

II. Passivation, passivité et élaboration de la perte à l'adolescence :

A l’adolescence, le lien aux figures parentales faisant peser la menace de l’inceste,


elles ne peuvent plus jouer comme avant (la puberté-le pubertaire) leur rôle d’étayage du
narcissisme et du surmoi. Le sujet se trouve donc, dans une certaine mesure, dans une
situation de crise car il doit aller chercher des soutiens narcissiques auprès de personnes
moins marquées par la menace incestueuse. Nous pouvons dire, que s’impose au sujet un
remaniement de son étayage narcissique à un moment où il en a particulièrement besoin.
L'adolescent est donc tenu de déplacer son investissement libidinal vers d'autres figures que
les figures parentales et prendre effectivement de la distance vis-à-vis de ses parents, ceci
passe par un travail d'élaboration de la perte.
Tout adolescent se confronte à la perte du lien aux figures parentales tel qu'il s'était
tissé dans l'enfance et constitué dans la phase de latence: perte de l'étayage narcissique
parental de l'enfance, perte des espoirs inconscients de réalisation des vœux œdipiens, « perte
de l'idéal de toute puissance parentale » (M. Emmanuelli, C. Azoulay, 2009, p191).
Étroitement liée à cela, une autre perte marque le travail d'adolescence : la perte du corps
d'enfant concomitante à la nécessité d'opérer un choix de positionnement dans une identité
sexuée. Ces expériences de perte et le travail de séparation nécessaire, mettent à l'épreuve la
solidité et la fonction contenante des objets internes, éveillant à la fois l'angoisse de perdre
l'amour des parents et celle d'être abandonné par eux. Ces angoisses sont d'autant plus
prégnantes que les mouvements agressifs orientés vers les objets parentaux sont intenses et
les menacent de destruction. Ces expériences de pertes angoissantes entraînent la
reviviscence des expériences de pertes et de séparations ayant marqué les relations précoces
parents-enfant. Cette confrontation renouvelée à la perte met en jeu la capacité à s'éprouver

116
dépendant d'un étayage venant de l'autre et notamment des parents (dépendant de leur amour,
de leur soutien, de leur autorisation pour faire …). Nous supposons que « la passivité
première qui tient à la dépendance à l'égard de l'objet » (au sens de Green, 1999) se trouve
donc remise en avant de la scène adolescente. C. Chabert (2002) souligne que l'élaboration de
la perte nécessite une certaine passivité (ou un travail de la passivité) qui consiste notamment
dans l'accueil et la reconnaissance des affects dépressifs générés par la perte. Nous pouvons
en voir l'expression dans ces expériences de mal-être caractéristiques de l'adolescence que
sont « l'ennui, la morosité et l'humeur dépressive » (M. Emmanuelli et C. Azoulay, 2009).
A l'adolescence, la dépendance à l'égard de l'objet et son corollaire de passivité se
trouvent étroitement mêlées à la satisfaction pulsionnelle sous le primat du génital. En effet,
Ph. Gutton (1991) postule que la puberté amène avec elle l'espoir renouvelé d'une
complétude narcissique qui prendrait corps dans la relation sexuelle, et plus largement la
relation amoureuse. À l'adolescence, l’activité pulsionnelle réveillée induit une pression
accrue à la satisfaction sur un mode génital qui ne trouve son aboutissement que dans une
relation de partage du plaisir avec l’autre. Sur le plan du désir et du fantasme naît l’espoir
d’une complémentarité avant tout narcissique dans la relation à l’autre sexe, équivalent d’un
retour vers une complémentarité perdue de la relation entre l’enfant et son premier objet
d’attachement. L' « éprouvé » de l’excitation sexuelle dans ce nouveau corps pubère renvoie
le sujet à « la certitude d’une complémentarité » accessible. Ph. Gutton (1991) parle d’une
« unité narcissique originaire pubertaire » qui fait écho au « narcissisme originaire entre
mère et bébé » (1991, p35-36). Le sujet croit plus ou moins consciemment en la possibilité
d’une unité narcissique « résultant de l’intuition de l’autre sexe susceptible de combler le
manque » (1991, p36).

A partir de ces réflexions, nous pouvons postuler qu'à la puberté et tout au long de
l'adolescence, la dialectique passivité-activité est mise en jeu dans la travail de la perte,
surtout, nous semble-t-il, à travers le couple dépendance (passivité)/indépendance (activité).
Être dépendant c'est subir l'attente d'un autre qui nous délivrera d'une tension qui augmente à
mesure qu'on attend. Ce couple dépendance-indépendance, se trouve particulièrement mis en
jeu dans la création identitaire adolescente. En effet, l'adolescent a besoin de l'étayage de
l'autre pour se créer une identité, le regard de l'autre et l'identification aux pairs et aux
ascendant se révélant des appuis fondamentaux. Cependant dans le même temps, il doit
pouvoir suffisamment se sentir et se croire indépendant pour nourrir l'illusion nécessaire qu'il
est auteur-compositeur-interprète de lui-même (Ph. Gutton, 2008).

117
III. Passivité dans la rencontre du féminin à l'adolescence et activité réactionnelle
défensive :

À la puberté, les signes physiques du féminin apparaissent aux yeux des filles comme
des garçons avec la naissance des attributs féminins porteurs d'une puissance érotique
nouvelle. Selon J. Schaeffer, E. Kelly-Penot et R. de la Vega (2007), ces changements
corporels féminins mettent au devant de la scène le sexe féminin, le vagin. Cette entrée en
scène du sexe féminin contribue à éveiller pour les filles et les garçons des angoisses et des
fantasmes caractéristiques du féminin liés à « la pénétration du moi et du corps par un
étranger » porteur d'une excitation pulsionnelle. Une fantasmatique de la pénétration qui
prend préférentiellement la forme d'une pénétration par le pénis paternel. L'angoisse du
féminin chez le garçon prend de façon privilégiée « la forme d'une angoisse de pénétration
homosexuelle par le pénis du père », angoisse à l'origine du « refus du féminin » (J.
Schaeffer, 1997, p67) chez l'homme, selon Freud (1937). En effet, ce qui est perçu par
l'homme comme position passive vis-à-vis du père ou son substitut fait peser la menace de
castration donc est évité ou refusé. « Chez la fille, le fantasme «Un enfant est battu» Freud
(1919) témoigne de l’effraction de la figure du père dans l’Œdipe féminin et de l’appel à une
séduction pénétrante : le fantasme d’« être battue » par le père signifie régressivement et très
inconsciemment le désir d’«être pénétrée sexuellement» par lui. Fantasme de séduction
effractrice, témoignant de la nature masochiste du désir érotique féminin, qui resurgira
violemment à l’adolescence, avec toutes les défenses du Moi, et qui pourra mener, lors de la
rencontre avec un « amant de jouissance » (Schaeffer, 1997a), à l’extase féminine. » (J.
Schaeffer et al., 2007, p269-270). L'adolescent(e) face à l'irruption du féminin serait tenu(e)
d'effectuer un travail particulier d'élaboration qui passe par un lâcher prise du moi. Un travail
du moi qui « exige de sa structure anale qu'elle mette en œuvre sa fonction d'ouverture
(démission du fantasme de tout contrôler) » (J. Schaeffer, 1997/2013, p67). Elle note que
« c'est le travail le plus difficile » et que « la clinique nous oblige à dire qu'il est rarement
effectué » (p67).
Ce travail passe notamment par le développement d'un nouveau rapport au corps dont
nous avons vu qu'il est le premier séducteur à l'adolescence. J. Schaeffer et al. (2007)
soulignent que l'adolescent est tenu de développer une capacité à être séduit par ce nouveau
corps pubère et proposent de considérer que cette entreprise nécessite la mise en œuvre d'une
« autoséduction ». Elles désignent ainsi un processus qui consiste à entretenir avec l'autre

118
interne et externe un rapport de séduction au sein d'un espace transitionnel. Cet espace est dit
transitionnel dans la mesure où l'agent de la séduction est situé dans un lieu suffisamment
indéterminé entre l'interne et l'externe, entre soi et l'autre, donc entre séduire (position active)
l'autre et être séduit (position passive) par l'autre. « Ceci peut prendre la forme, bien connue
à cette période, d’une autoséduction à travers une personne considérée, indépendamment de
son sexe, comme un double faisant le lien entre une séduction interne, celle de la pulsion, et
une séduction externe, celle d’un étranger inquiétant. Il s’agit d’une sorte d ’objet-personne
transitionnel, qui peut être totalement abandonné par la suite, une fois que sa fonction de
double a produit son effet de passeur. La relation est homosexuée, plutôt qu’homosexuelle,
car elle vise à éviter la confrontation à la différence des sexes, trop angoissante. » (2007,
p270).
Selon F. Marty (2002), le refus de la passivité se trouve étroitement lié au refus du
féminin à l'adolescence et participe de « la difficulté que rencontrent garçon et fille dans le
processus de génitalisation » du corps et de la relation à l'autre. J. Y. Chagnon (2005) et F.
Marty (2002, 2009) se sont attachés à mettre en lumière et analyser la problématique des
adolescents pris dans une incapacité à tolérer et opérer ce travail du féminin et de la passivité.
Adolescents qui ne peuvent se défaire de représentations parentales et du corps sur un mode
phallique. La différence des sexes restant pour eux organisée selon un principe phallique de
possession : avoir ou ne pas avoir le phallus. Pour ce qui concerne les filles, « ce refus a des
conséquences encore plus nettes (que pour les garçons) car il les prive de l'identification
féminine en renforçant chez elles une identification virile, phallique qui leur donne le
sentiment de pouvoir rivaliser avec les garçons (donc de ne pas renoncer à avoir le pénis) et
ne pas renoncer à être toute entière sans manque » (2002, p69-70). F. Marty (2002) souligne
que ces adolescents, filles et garçons, « ne peuvent tolérer d'être influencés par des objets
dont ils n'auraient pas la maîtrise et risquent de se rigidifier dans une position (phallique)
qui leur barre l'accès à la génitalité et au processus d'adolescence » (p69).
F. Marty (2009), développe le concept de « paranoïa ordinaire » de l'adolescent(e)
qui nous semble pouvoir éclairer le processus de refus de la passivité et du féminin à
l'adolescence. Cet auteur désigne ainsi une configuration fréquente (d'où le qualificatif
ordinaire) de la problématique adolescente, qui consiste pour le sujet adolescent à investir la
relation au parent du même sexe, en vue de maintenir refoulés les désirs incestueux pour le
parent de l'autre sexe, et ainsi éviter l'angoisse de castration. Par l'investissement de la
relation au parent du même sexe, ces adolescents cherchent également à maintenir l'étayage
narcissique de la latence, garanti par l'identification au parent rival idéalisé. Finalement ils

119
souhaitent, d'une certaine manière, avoir recours une nouvelle fois à la solution trouvée au
sortir de l’Œdipe infantile, à savoir l'identification au parent rival. Le problème est que cette
relation d'identification homosexuelle se sexualise avec le pubertaire et tend à éveiller des
fantasmes passifs correspondant à l’œdipe inversé, surtout dans le cas des garçons. Au lieu de
désinvestir cette relation homosexuelle trop sexualisée, l'adolescent dénie avec force sa part
d'homosexualité latente et la projette avec une force proportionnelle sur l'extérieur.
L'extérieur, l'autre, revêtent donc un caractère particulièrement persécutant, car étant gratifiés
d'intention malsaine de pénétration-intrusion, qui prend souvent une tournure anale pour les
garçons. Pour les adolescents très inscrits dans cette paranoïa, une grande part de leur
attention sera tournée vers éviter ou dénoncer (avec jouissance ?) la position de « se faire
baiser » voire « enculer », « niquer ». Ces adolescents seront extrêmement sensibles à
l'expérience de confrontation au pouvoir adulte qui éveille l'excitation liée à la position
passive rejetée. J. Y. Chagnon et F. Houssier (2012), indiquent que le refus de la passivité
empêche l'adolescent d'adresser une demande (de soin, d'étayage, de transmission ...) car faire
appel à un tiers impliquerait un investissement transférentiel qui « met à l'épreuve la capacité
d'accepter une certaine forme de dépendance et de passivité à son égard. Tout au moins la
tolérance aux fantasmes de dépendance et de passivité » (p923). Ces adolescents restent donc
excessivement accrochés à une conception infantile narcissique-phallique du monde et d'eux-
même, ne sachant pas faire une place à la nouveauté pubertaire qui trouve normalement à se
figurer dans la représentation de la complémentarité des sexes.
Selon Ph Gutton (2008), les changements pubertaires conduisent inévitablement le
sujet vers un conflit interne dû à la confrontation entre « deux modèles théoriques qui se
distinguent et s'affrontent » (p95) : théorie du monisme phallique (un seul sexe phallique à
posséder, le sexe masculin) et la théorie de la différence des sexes qui puise sa force dans la
conviction d'une complémentarité possible masculin-féminin, « complémentarité d'abord
corporelle » (p96). La conception narcissique-phallique valorise ce qui relève du masculin
viril et oriente vers l'emprise dans la relation au monde et à soi-même. Cette conception se
trouve bousculée par le pubertaire, l'adolescent est donc poussé à assouplir sa position
phallique. Ce travail d'assouplissement n'est pas simple étant donné l'inégalité des forces en
jeu : « la première (force, valeur phallique) non seulement est dominante (dans le psychisme
du sujet mais aussi dans la société), mais veut dominer : elle est toute d'emprise. La seconde,
proche de sa source corporelle, est ineffable, intime, entre l'idéalisé et le brut, soignant
tendresse et sensualité, interactive au fond de l'enfant récemment pubère – artiste dirais-je. »

120
(Ph. Gutton, 2008, p96). Si cette souplesse ne peut être trouvée, c'est la configuration décrite
précédemment qui risque de se produire (narcissisme-phallique).

La passivité, entendue comme l'éprouvé de l'effet de l'autre en soi et la figuration


fantasmatique du sujet en position passive, se trouve donc mobilisée à la puberté par :
- les transformations corporelles vécues comme étrangeté en soi (et qui nécessite en retour
une activité de familiarisation que nous évoquerons plus avant)
- la problématique de la dépendance
- et la problématique du féminin

Certains adolescents se trouvent particulièrement en difficulté pour opérer ce travail


de la passivité qui va de l'éprouvé au fantasme (et réciproquement), du fait de leur ancrage
trop rigide dans un registre narcissique-phallique de la personnalité. Pour ces adolescents, le
recours à la projection semble la principale solution. Ils projettent sur ''certains autres''
secrètement idéalisés (cibles de prédilection) leur vécu d'emprise qui caractérise le rapport à
leur corps, ainsi que des intentions d'intrusions, reflets déformés de leurs fantasmes
homosexuels passifs.
Nous pensons que les enseignants peuvent entrer dans le club des objets privilégiés de
projection et donc de haine, ceci notamment parce que la relation enseignant-élève sollicite
particulièrement la capacité à accepter l'effet de l'autre (enseignant) en soi et met
inévitablement en jeu l'emprise et la séduction. Par ailleurs, le recours excessif à la projection
laisse peu de place à l'introjection de l'expérience scolaire, c'est à dire l'introjection de l'autre
interne (mouvements affectifs et pulsionnels activés lors de cette expérience) et de l'autre
externe (traits de l'objet enseignant, nouvelles notions à apprendre).
Voici proposée une lecture de ce qui peut conduire des adolescents ou pré-adolescents
à ne pas pouvoir accueillir le savoir d'un autre adulte, particulièrement dans le cadre scolaire.
Ils nous semble intéressant de l'envisager comme une dynamique délétère qui participe du
désinvestissement et/ou du rejet du système scolaire, conduisant certains vers le décrochage
scolaire.

Nous avons jusque là fortement insisté sur la dimension passive telle qu'elle se trouve
mise en jeu à l'adolescence, mais la lecture serait incomplète si nous n'abordions pas l'activité
créatrice de l'adolescent. Considérant que passivité et activité sont les deux faces d'une même
pièce, ces deux dimensions sont à envisager dans leur dialectique. Ainsi l'éprouvé des

121
changements pubertaire (passivité et passivation) est, ou devient, insupportable si une activité
créatrice de mise en forme (des éprouvés) ne peut se déployer.
En appui sur les réflexions suivantes, nous proposerons d'envisager le décrochage
scolaire comme le symptôme d'une activité créatrice adolescente empêchée.

IV. Création identitaire adolescente difficile comme voie de compréhension des


difficultés dans la relation à l'enseignant

1. L'activité créatrice adolescente :

Nous aurons essentiellement recours à la théorie élaborée par Ph. Gutton (1991, 2008)
pour étudier l'activité créatrice adolescente. Cet auteur nous dit que le sujet encore-enfant
confronté aux nouveaux éprouvés pubertaires va devoir mettre en forme la matière brute
constituée de sensations, de mouvements pulsionnels excitants et d'affects. Cette entreprise
de formation est identitaire dans la mesure où elle participe de la construction d'une identité
plus souple, moins menacée par la nouveauté pubertaire. Ainsi le sujet « saisi par l'informe,
voudrait voir (et faire) émerger une gestalt, une bonne forme de lui-même. » (Ph. Gutton,
2008, p78).
Pour mener (suffisamment) à bien cette tâche créatrice, l'adolescent va s'appuyer sur
son moi idéal, formation intrapsychique qui va lui fournir l'élan narcissique nécessaire et va
donner une orientation dans sa quête de forme identitaire. Le moi idéal est défini par Ph.
Gutton comme une instance fruit de l'union du narcissisme primaire et du ça, formée à partir
de l'identification à un objet idéalisé, « un bel objet ». Le moi idéal est reconnu dans la champ
de la psychanalyse comme porteur d' « un idéal de toute-puissance narcissique forgé sur le
modèle du narcissisme infantile » (J. Laplanche & J. B. Pontalis, 1988, p255).
Le moi idéal mis à contribution, fourni l'illusion narcissique nécessaire pour se lancer
dans l'aventure de la créativité. En effet, « pour « faire son adolescence », il faut tel
Prométhée, se croire hors du temps, sans finitude, porté par une conviction d'immortalité. »
(2008, p70). L'adolescent doit pouvoir suffisamment nourrir l'illusion qu'il peut se (re)créer
lui-même sans dépendre de l'apport et de l'étayage d'un autre. Le moi idéal orienterait
l'activité de mise en forme de l'adolescent vers la recherche de la « toute beauté ». La bonne
forme de soi est une belle forme. Cette belle forme de soi se situerait dans une filiation
directe avec l'éblouissement supposé du nouveau-né face à la beauté de l'objet maternel

122
(Meltzer, 1985). L'encore-enfant chercherait une réitération de cet éblouissement initial par la
création d'une belle forme de soi. L'atteinte éphémère du beau est d'abord validée par l'affect
spécifique qui l'accompagne. Le pendant de cet éblouissement et de cette quête de belle
forme serait ce questionnement lancinant « est-ce aussi beau à l'intérieur ? » (2008, p67).
L'activité créatrice adolescente opère selon une temporalité de l'éphémère. À peine la
belle forme a t-elle été trouvée-créée que déjà elle a disparu, s'est échappée et éveille le
sentiment de perte et de manque. Au début du processus de création identitaire, les formes de
soi sont multiples, correspondant à une saisie fragile des éprouvés du moment, mais
l'adolescent est amené progressivement à en faire la synthèse toujours inachevée. Il s'agit de
trouver une cohérence dans la galerie des autoportraits qu'il s'est créé tout en préservant une
mobilité de l'agencement identitaire. L'identité serait, plus que jamais à l'adolescence, « une
gestalt narcissique en mouvement » (Ph. Gutton, 2008, p111). Si l'agencement des formes de
soi est trop figé, pas assez mobile et modulable, l'adolescent est gagné par le sentiment de
laideur dans le rapport à lui-même ; « le souhait de « se poser » va avec la crainte de ne plus
pouvoir bouger, d'être figé avec la douleur de l'attente » (2008, p77).
La figuration de l'éprouvé se fait d'abord par le corps, c'est à dire par l'action (mise en
acte, passage à l'acte), le soin porté à l'apparence physique et plus largement le langage du
corps (langage non verbal). L'adolescent se familiarise ainsi avec son corps en
transformation. L'adolescent expose ses actes, son apparence et plus fondamentalement son
corps au jugement d'autrui. Peut-être plus que le jugement, c'est l'effet produit sur autrui qui
va déterminer en retour la beauté de la forme naissante. L'activité de mise en forme
identitaire passe en premier lieu par un certain travail de l'apparence. Il s'agit de trouver une
ou des apparences qui disent vrai, qui révèlent l'intime tout en le voilant suffisamment aux
yeux des autres et de soi-même. L'adolescent doit trouver le juste écart entre ce qu'il est, son
identité et le masque qu'il présente aux autres.
Les formes créées doivent répondre à certains critères d'idéalité, c'est à dire que
l'adolescent par sa création doit contenter à la fois l'idéal du moi, formation de l'infantile
dépassée par la nouveauté pubertaire, et les nouveaux objets idéaux qu'il s'est choisis et
forgés. Ainsi Ph. Gutton remarque que « à l'adolescence, la belle œuvre infantile est remise
en question par la nouveauté pulsionnelle qui effectue un travail de désidéalisation. …
L'adolescent se sent tiré à hue et à dia par les idéaux parentaux, les idéaux qu'il rencontre en
dehors de la famille et, surtout, les idéaux qu'il se construit en interprétant son
environnement » (2008, p86). Dans ce contexte de « crise des idéaux », le corps est utilisé
comme moyen d'expression des enjeux du conflit, mais fait aussi fonction de socle, de

123
surface limitante permettant de préserver une cohésion, une sécurité malgré la bataille
interne. « Le statut (adolescent) du corps en fait « un espace temps toujours assez là » … le
corps serait comme la terre mère, lieu et enjeu où se livre une guerre civile. » (2008, p94).
L'adolescent propose chacune de ses créations formelles aux « instances idéalisantes (idéal
du moi et surtout les nouveaux objets idéalisés) ... qui vont par l'esthésie de leur jugement,
les confirmer, les répudier, les modeler. » (2008, p108).
L'adolescent imite les nouveaux objets idéaux qu'il s'est trouvés-créés et souvent tend
à faire passer ces imitations pour ses créations propres, à ses yeux comme aux yeux des
autres. En effet, il est important pour lui de se croire à l'origine du processus créatif, auteur-
compositeur de soi-même. Dans cette perspective J-B Chapelier (2000, 2002) repère que le
fantasme d'auto-engendremnt (engendrement de soi-même par soi-même) est fréquent dans
les mises en scène groupales des adolescents. Concernant le recours à l'imitation, Ph. Gutton
parle d'une « esthétique mimétique » préalable à un réel processus d'identification. « avant la
géniale identification, l'imitation travailleuse » (J. Chasseguet-Smirgel, 1990 citée par Ph.
Gutton, 2008, p87). En étayage sur l'imitation, l'adolescent s'identifie, c'est à dire qu'il
introjecte des qualités des objets idéalisés, les intégrant dans son agencement identitaire. Par
un jeu d'identification, qui se déroule sur la scène de l'inconscient et dans l'intersubjectivité,
l'adolescent renforce ses assises narcissiques tout en adaptant son identité aux nouveaux
enjeux de l'adolescence. Au fur et à mesure de sa création identitaire, l'adolescent va élargir
son champ d'identification : c'est à dire qu'au début du voyage d'adolescence, le sujet cherche
en l'autre le reflet de lui-même rassurant (identification narcissique) face à la déstabilisation
pubertaire, et progressivement, lorsque ses assises narcissiques sont plus solides, il accède à
un type d'identification plus ouvert à l'altérité, à l'inconnu. Ainsi selon J. Y. Chagnon et F.
Marty, « la sortie du processus d'adolescence passe par la capacité de l'adolescent à se
défaire de l'attraction narcissique du même … pour devenir responsable de ses paroles de ses
pensées et de ses actes » (2006, p9). L'identification aux ascendants va avoir pour effet de
changer la nature de la question identitaire œdipienne : « qu'est-ce-qu'être un garçon ou une
fille ? » tend à devenir « qu'est-ce-que devenir un homme ou une femme ? » (E. Ortigues,
1999, cité par F. Marty & J. Y. Chagnon, 2006, p7) orientant de fait la création adolescente
vers l'avenir.
L'adolescent pour se créer doit donc en passer par une multitude d'emprunts
(emprunts par introjection) faits aux autres par le biais de l'identification. Nous supposons
que cela mobilise une capacité à s'éprouver dépendant de l'autre qui renvoie à la passivité,

124
mais aussi une aptitude à croire ou s'illusionner que la création en cours est indépendante de
l'apport des autres, ce qui permet de supporter la dépendance.

L'adolescent, à l'issue de ce travail créatif identitaire (qui se poursuit tout au long de la


vie avec une intensité moindre), peut nourrir le sentiment qu'il a trouvé une façon originale
d'être et de se présenter au monde, « une originalité (identitaire) partageable » (Ph. Gutton,
2008). Cette œuvre identitaire concilie des exigences contradictoires fondamentales :
appartenir (à une communauté sociétale, familiale) et s'appartenir (liberté individuelle,
indépendance) ; différenciations et similitudes ; nouveauté et continuité (filiation). L’œuvre
identitaire est aussi une histoire, « une légende personnelle » (Ph. Gutton, 2008) que
l'adolescent s'est construite pour s'approprier son passé, sa place dans la filiation et
finalement donner un sens à son existence.
Nous sommes en accord avec J. Y. Chagnon et F. Marty (2006) pour postuler que
cette originalité identitaire partageable trouve en premier lieu à s'exprimer à travers ''le
style''.
« Le style c'est la façon d'être de chacun, c'est l'expression de sa singularité. Le style
emprunte ses moyens d'expression à la communauté d'appartenance pour imprimer sa
marque en s'y dégageant ou en s'y conformant... » (2006, p9). Le style c'est aussi une façon
d'être reconnu par l'entourage à une place unique, originale. « le style peut être le travail
conscient pour se faire (une image). Mais au fond le style est surtout le résultat d'un travail
inconscient » (2006, p9)

La création identitaire a besoin d'un cadre dans lequel se déployer. Ce cadre est
constitué des lois qui régissent la société et des règles opérant au sein des institutions
fréquentées par l'adolescent, en premier lieu « l'école et la famille » (Ph. Gutton, 2008, p150).
Le cadre dépend également de la façon dont il est incarné par ceux qui sont chargés de le
faire respecter, principalement les adultes. L'adolescent se construit dans une certaine mesure
selon « une opposition dialectique avec l'emprise institutionnelle » (2008, p150), c'est à dire
que l'opposition lui permet d'affirmer une position identitaire, de se différencier et de se sentir
exister car être contre c'est déjà être et c'est aussi s'appuyer contre une surface limitante. Sans
limites l'adolescent est exposé à la confusion. Le cadre institue une place dans laquelle
l'adolescent est sommé de se mettre (place d'élève par exemple) et il reviendra à l'adolescent
de se l'approprier ou de la refuser. Cette place constitue un point d'encrage à partir duquel
l'adolescent peut créer une position originale. Le cadre rassure et assure l'adolescent par sa

125
constance et sa solidité, qui contraste avec l'inconstance de ses états émotionnels et la
fragilisation de ses repères.
Selon Ph. Gutton (2014) le cadre institué doit réserver des espaces, constituer des
aménagements dans les règles du jeu, pour que la créativité adolescente puisse se vivre et
éventuellement interroger le cadre en retour selon un processus démocratique. C'est avant
tout, selon lui, cette capacité du cadre à autoriser voire générer un questionnement constructif
participant d'une création commune qui « fait autorité ». « Son autorité n'est évidemment pas
synonyme de répression, mais la marque d'une « capacité d'instituer des formes vivantes »
(2014, p127).
Cette question du cadre de l'institution scolaire ou de la forme scolaire, nous avons vu
que les adolescents identifiés comme à risque de décrochage scolaire viennent
particulièrement la pointer.

Dans le prochain chapitre il s'agira d'envisager le décrochage scolaire comme


symptôme d'une créativité en panne. Nous étudierons ensuite dans quelle mesure la forme
scolaire proposée à ces adolescents peut participer d'un empêchement de la créativité et
comment elle se trouve interrogée par les adolescents eux-mêmes.

2. Création identitaire en panne et la solution du (sado?)masochisme en milieu scolaire :

N. Catheline (2001, 2011) et D. Marcelli (2011) supposent que la plupart des


difficultés rencontrées par les adolescents dans le champ scolaire « sont les marqueurs d'un
travail psychique de séparation qui n'arrive pas à se faire » (N. Catheline, 2001) et entrave la
création adolescente. L'entrée au collège constitue, nous l'avons vu, un changement de milieu
considérable qui sollicite d'avantage l'autonomie de l'élève, notamment, parce que l'enfant
peut moins compter sur l'étayage du transfert dans le cadre d'une relation plus proche et
constante avec un(e) enseignant(e). Ce changement, nous le supposons, ne manque pas de
mobiliser un travail de séparation et est susceptible de faire violence à des pré-adolescents
qui ont particulièrement besoin de l'étayage de l'adulte pour se confronter aux savoirs
scolaires. Dans ce contexte, la forme scolaire imposée à ces adolescents risque d'être vécue et
traitée sur le plan fantasmatique, comme une déformation (Kaës) ou autrement dit une
« injonction que tout change » (J. Y. Rochex, 1998). La chose empire en classe de quatrième,
car les savoirs transmis impliquent que l'élève accède à la pensée hypothético-déductive et ce
changement de mode de pensée logique met à l'épreuve les assises narcissiques des

126
adolescents. « Abandonner certains modes de pensée pour d'autres plus complexes, ébranle
le sentiment de complétude narcissique » (N. Catheline, 2001, p175).
Ces pré-adolescents et adolescents mis en difficultés sur le plan scolaire et inscrits
dans un travail de séparation difficile, doivent tout comme les autres, mettre en œuvre une
activité créative identitaire. Ils se trouvent souvent entravés dans leur capacité à créer
notamment parce que « pour oser montrer sa création, pour faire preuve de créativité, il ne
faut ni avoir (trop) honte de soi-même ni avoir (excessivement) peur du jugement des autres »
(N. Catheline & D. Marcelli, 2011, p149). Dans ces conditions d'un échec créatif, N.
Catheline et D. Marcelli constatent que l'auto-sabotage représente souvent une solution :
« quand à mesure que le temps passe, l'adolescent doit faire l'amer constat qu'il est
incapable de ce geste créateur … il lui reste alors l'inépuisable possibilité de l'auto-
sabotage » (2011, p149). Ce procédé conduit selon eux certains jeunes vers le décrochage
scolaire.

Cette remarque pose entre autres, nous semble-t-il, la question du recours adolescent
au masochisme (auto-sabotage) lorsque l'activité créative est en panne. Question qui n'est pas
vraiment approfondie par les auteurs dans leur ouvrage intitulé « ces adolescents qui évitent
de penser » (2011) et que nous allons tenter d'étudier brièvement.

J. B. Chapelier et C. Martha (2002) observent à travers les psychothérapies de groupe


d'adolescents, que ceux-ci ont particulièrement recours aux mises en scènes masochistes et
utilisent les différentes formes de masochismes définis par Freud (1924) : masochisme
érogène, masochisme moral et masochisme féminin. Selon Ph. Jeammet, les conduites
masochistes sont en premier lieu « un moyen de maîtriser une menace identitaire et de
dissolution du moi, par le pouvoir d'emprise que procure à ce moi fragilisé sa capacité de
reprendre un rôle actif et une maîtrise sur l'environnement par le recours toujours possible à
la douleur » (2000, p66).
Compte tenu de ces réflexions il nous semble intéressant d'envisager le décrochage
scolaire sous l'angle d'une conduite masochiste visant la maîtrise d'une excitation qui ne peut
être intégrée dans l'activité créative adolescente.
J. B. Chapelier et C. Martha (2002) constatent, dans le cadre des groupes
thérapeutiques, que les adolescents ont particulièrement recours à des mises en scène qui
relèvent du masochisme moral quand ils se sentent submergés par l'excitation et/ou quand
leur narcissisme est menacé. Les auteurs présentent le masochisme moral comme une

127
modalité d'évitement d'un sentiment de culpabilité devenu insupportable. Cet insupportable
proviendrait du fait que la culpabilité est ressentie par le sujet comme une soumission au
surmoi (surmoi dont la cruauté s'est accentuée du fait de la menace d'inceste et de parricide
accrue à l'adolescence) assimilée à une position sexuelle passive rejetée. Dans ces conditions,
le sujet va opter pour une érotisation de la culpabilité, ce qui lui permet de reprendre une
position active qui consiste en la recherche (active) de la punition, équivalent inconscient de
la relation sexuelle passive avec le père. Selon S. Freud (1924) le moi du sujet régresse vers
une resexualisation de la morale émanant du surmoi ce qui ravive le complexe d’œdipe.
Sur le plan de la dynamique activité-passivité, l'adolescent qui recourt au masochisme
moral, passe donc d'une position passive subissant les assauts du surmoi et de l'excitation
pulsionnelle, à une position active qui consiste à rechercher activement une position passive
masochiste, ce qui constitue un mode de traitement (faute de trouver le « geste créateur ») de
l'excitation pulsionnelle. La recherche de punition peut aller loin dans la destruction de soi
nous dit S. Freud : « pour provoquer cette punition par le représentant ultime des parents, le
masochiste doit faire ce qui est inopportun, agir contre ses intérêts, détruire les perspectives
qui s'ouvrent à lui dans le monde réél, et éventuellement annihiler sa propre existence
réelle. » (1924/2011, p183).
Ainsi, la conduite de certains adolescents qui se font exclure de multiples fois de
différents collèges, vont de conseil de discipline en conseil de discipline, pourrait, il nous
semble, être appréhendée du point de vue du recours au masochisme moral dans un contexte
de création identitaire en panne.
Cela pose la question du lien entre l'institution qui exclue et l'adolescent qui
chercherait à se faire exclure. N'y a-t-il pas une entente tacite entre institution et adolescent
pour donner forme à un scénario d'exclusion ?
Il nous paraît intéressant de proposer une compréhension de ce qui se joue dans
l'exclusion mutuelle entre institution scolaire et adolescent sous l'angle de la mise en scène
sacrificielle.

3. Le martyre adolescent et créativité en panne

F. Richard (2002) et Ph. Gutton (2011, 2014) chacun avec des approches différentes
et, nous semble-t-il, complémentaires, insistent sur la dimension sacrificielle de certains
comportements masochistes adolescents qu'ils mettent en perspective avec une problématique
sociétale.

128
F. Richard propose d’interpréter les actes masochistes adolescents comme « des
substituts déqualifiés de l'initiation traditionnelle ». Selon lui, tout un versant de la
symptomatologie adolescente « pas forcément pathologique », dont font partie les conduites
masochistes, « trahit, comme par défaut, une exigence d'organisation symbolique de la
relation d'objet, de la relation sociale et de la relation au monde » (2002, p23). La société
proposant moins qu'auparavant un cadre symbolique qui marque notamment le passage de
l'adolescence à l'âge adulte, les adolescents viendraient convoquer par leurs actes une
intervention sociétale qui présentifie un cadre symbolique sur lequel ils pourraient s'appuyer.
F. Richard propose de penser certaines conduites masochistes adolescentes comme un
« recours à l'acte » (plutôt que passage à l'acte) qui évite de glisser vers une fusion-
indifférenciation originaire et remplit une fonction identitaire dans la mesure où il permet
« l'auto-constitution de soi comme victime sacrificielle. ». Il décrit ainsi le scénario
fantasmatique sacrificiel qui sous-tend le recours à l'acte masochiste : « un fantasme
d'infanticide (cachant en fait l'agressivité parricide), débouchant finalement sur le triomphe
de l'enfant devenu héros (« ce plus jeune fils préféré de la mère », premier poète épique qui
se détache de la foule lors de l'émergence adolescente, dit Freud) » (2002, p25). Le recours à
l'acte masochiste (recherche de la punition, auto-agressivité) serait en premier lieu, une
tentative de reprendre une position active en réaction à la passivité traumatique de l'enfant
dans le fantasme de scène primitive. L'adolescent mettrait en scène par son acte l'enfant
exclu, « sacrifié » de la scène primitive. Ainsi écrit-il : « le sacrifié c'est aussi l'exclu, le
laissé pour compte, ne l'oublions pas. On se sacrifie (ou, à l'inverse on agresse) en réponse à
la violence et à l'obscénité des imagos parentales dans la scène primitive. » (2002, p26). Le
recours à l'acte masochiste sacrificiel serait également une tentative échouée de mettre en
forme, avec le concours de la société si possible (l'enseignant par exemple), un rituel
symbolique d'expiation de la culpabilité éveillée par le meurtre du père, mais c'est aussi une
façon voilée de tuer fantasmatiquement le père. « en effet du point de vue freudien,
structurellement, la violence dirigée contre la victime émissaire (ou contre soi-même dans
l'auto-sacrifice) le serait en fait contre la figure du père œdipien et, plus profondément,
contre celle du père narcissique tout puissant de la horde primitive » (2002, p28).
Ph. Gutton (2011) s'intéresse lui au phénomène du « martyre adolescent ». Il désigne
ainsi un certain type de masochisme typiquement adolescent, qui est une mise en scène en
externe (dans la réalité) du combat qui se joue d'abord au niveau intrapsychique (en interne)
entre des instances de l'infantile (idéal du moi, surmoi) excessivement rigides, et le désir de

129
création inspiré de la nouvelle conviction pubertaire idéalisée, avant tout, celle de la
différence-complémentarité des sexes.
L'adolescent martyr est tout accaparé par ce qu'il ressent et conçoit comme une guerre
d'emprise entre, d'une part, les idéaux de l'infantile (théorie phallique) qui lui semblent régner
dans le monde adulte et, d'autre part, l'idéal pubertaire pour lequel il veut être un défenseur
acharné, coûte que coûte. Selon Ph. Gutton, « la philosophie qui sous-tend le martyre
comporte une dénégation du génital en tant que source de plaisir … en transformant ce
dernier en affaire de pouvoir » (2011, p34). Cette configuration serait, selon Ph. Gutton,
l'expression d'une défense contre ce qu'il nomme « la dépression d'idéalité ».
L'adolescent martyr projette sur l'extérieur sa scène de guerre ou de supplice héroïque
interne. Il va donc avoir tendance à attribuer à certains adultes de son entourage « (parental,
éducatif) » le rôle du martyriseur inscrit dans le camp de l'infantile phallique et s’attribuera le
rôle de martyr meurtri parce que ses aspirations idéales (avant tout narcissiques) sont
disqualifiées et non-reconnues par l'autre. Pour prouver aux autres et à lui-même la
disqualification subie, il va utiliser l'attaque du corps « visible par l'autre » investie comme
un argument irréfutable (2011, p37) qui prouve, démontre sa révolte, et l'attaque dont il fait
l'objet. Il s'agit en premier lieu, par ce procédé, de recourir à « un auto-sabotage agi pour
plaider contre un sabotage subi ; martyr pour ne pas être victime » (2011, p37). Le fantasme
de martyr et sa mise en scène alimentent l'illusion narcissique de soi grandiose car le sujet est
seul contre tous, partant au combat malgré une défaite certaine et affichant un « même pas
mal ! » malgré les coups mortels reçus. Selon Ph. Gutton, « la scène du martyre » entre réel
et fantasme comprend « trois Autres : le martyriseur, le spectateur et le tiers » (2011, p43).
Les rôles de martyriseur et de martyr peuvent facilement s'inverser, « qui est martyr de qui ?
Voilà un thème souvent débattu en séance familiale. Renversement et succession de rôles. »
(2011, p43). Le spectateur s'apparenterait à « un sujet « idéalisé interne ou externe faisant
office de fonction paternelle et tenant lieu du phallus symbolique » » (J. McDougall, 1968,
citée par Ph. Gutton, 2011, p43). Le tiers est un sujet décalé par rapport aux enjeux d'emprise,
avec qui le dialogue est possible, personnage que Ph. Gutton nomme le « sujet parental de
transfert », mais l'adolescent n'a pas toujours à sa disposition une telle personne.

Ph. Gutton postule que la naissance de ce type de problématique adolescente dépend


fortement de la façon dont l'environnement adulte et sociétal va accueillir les aspirations
profondes de l'adolescent. Ainsi, écrit-il à propos des adolescents martyrs : « lorsque
l'environnement n'est pas suffisamment bon, l'adolescent souhaite le changer pour vivre sa

130
métamorphose et le voilà crispé dans son attente, trop à l'écart, bref jeté dans une nécessité
d'emprise » (2011, p43). Selon lui, les actes de révolte adolescents étroitement liés au
scénario du martyre, sont particulièrement susceptibles d'être une réaction à une institution et
plus largement à une politique qui n'entend pas, et n'accueille pas suffisamment les
aspirations « démocratiques » des adolescents (Ph Gutton, 2014, p147 et 177). Aspiration à
une créativité en groupe, « un vivre avec » dans une « communauté » détachée d'une structure
trop hiérarchisée.
Si nous déplaçons la problématique sur le terrain de l'école, du collège plus
particulièrement, nous nous demandons ce qu'il en est de la capacité de ce type d'institution
scolaire à accueillir la métamorphose adolescente telle qu'elle se présente aujourd'hui, avec
ses enjeux de créativité identitaire et de recherche (parfois masochiste) d'un symbolique
sociétal ?
« Selon Rosalto, le sacrifice serait une façon de traiter la culpabilité individuelle
mais aussi collective en l'assignant à des causes et des objets précis et localisables » (F.
Richard, 2002, p27) remplissant la fonction de ''bouc émissaire''. Le sacrifice intervient ainsi
pour canaliser la violence individuelle et sociétale.
L'institution scolaire en excluant l'élève adolescent ou pré-adolescent, ne participe t-
elle pas parfois ou souvent d'un scénario sacrificiel bancal ? Alimentant peut-être ainsi, les
tendances masochistes de certains adolescents qui chercheraient activement à ''se faire
décrocher''. Nous reprenons ainsi les termes employés par N. Catheline qui propose de
distinguer « ceux qui décrochent d'eux-mêmes et quittent l'école » et ceux qui « se font
décrocher » (2017, p41) .

A la puberté, la dialectique activité-passivité se déploie en rapport avec des


changements corporels et psychiques qui passivisent le sujet encore-enfant, requérant sa
capacité à éprouver l'effet de l'autre en soi (passivité) en interaction et interdépendance avec
la possibilité de créer des « formes de soi émues » (Ph. Gutton, 2008) et de les agencer en une
gestalt identitaire. À la puberté et tout au long de l'adolescence, la dialectique passivité-
activité est mise en jeu dans la travail de la perte, surtout, nous semble-t-il, à travers le couple
dépendance-indépendance. Nous remarquons une nouvelle fois que passivité et activité ''font
la paire'' : l'activité créative puise sa matière première dans l'éprouvé (passivité et
passivation) et sans la créativité l'éprouvé est vécu comme un corps étranger interne qu'il
s'agit d'expulser par projection (paranoïa ordinaire) et contrôler en maintenant une emprise
rigide sur soi et sur l'autre.

131
Nous avons tenté de montrer que la problématique du décrochage scolaire et les
difficultés relationnelles avec les enseignants peuvent être interprétées comme
symptomatologique d'une dialectique passivité-activité entravée.

Nous pouvons distinguer deux profils d'adolescents :


- les adolescents qui restent campés sur une position narcissique-phallique, rejetant la
passivité, ceci, d'autant plus qu'ils la désirent secrètement (position passive érotisée dans la
relation à une figure paternelle). Ces adolescents ont tendance à développer une « paranoïa
ordinaire » associée à des conduites dont la visée est essentiellement l'emprise sur soi et sur
l'autre.
- les adolescents qui ont recours au masochisme dont nous avons relevé trois formes : le
masochisme moral, le scénario sacrificiel et la scène du martyre. Quelque soit la forme, le
recours au masochisme permet aux adolescents de reprendre ou préserver une position active
mise à mal par l'échec de l'activité créative identitaire. Le masochisme moral vise à éviter la
passivation face à l'excitation débordante et la soumission au surmoi. Le martyre adolescent
lutte contre l'effondrement dépressif. Le recours à l'acte masochiste sacrificiel permet d'éviter
la reviviscence de la position passive traumatique de l'enfant dans le fantasme de scène
primitive.

132
CONCLUSION

Le décrochage scolaire peut être conçu comme un processus de rupture qui met en jeu
l'équilibre que le sujet-élève doit trouver entre les contrats narcissiques primaires (filiation) et
secondaires (affiliation). Ce processus de décrochage s'actualiserait en premier lieu dans la
relation de l'élève aux enseignants. Nous avons mis en évidence que les enseignants sont
souvent l'objet d'une forte attente de la part des élèves et peut-être surtout de la part des
élèves à risque de décrochage scolaire. C'est donc sous l'angle de la relation réelle et
fantasmatique que l'élève entretient avec l'enseignant, que nous avons choisi d'approcher la
problématique du décrochage scolaire au niveau du collège. Nous nous intéressons plus
précisément à la difficulté éprouvée par certains élèves pour investir ou supporter la relation
pédagogique élève-enseignant.
Plusieurs auteurs insistent sur le rôle de l'identification (A. Sirota, 2007 ; B.
Pechberty, 1999 ; J. Y. Rochex, 1998 ; J. Filloux, 1996) et du transfert (J. Filloux, 1996 ; C.
Blanchard-Laville, 2001) dans la construction d'une relation pédagogique. B. Pechberty
(1999) et J. Y. Rochex (1998) insistent particulièrement sur l'importance de l'identification
intergénérationnelle élève-enseignant qui alimente l'idéal du moi. Nous supposons que dans
le cas de nombre d'élèves présentant un risque de décrochage, ce processus identificatoire est
empêché, ce qui crée des difficultés dans la relation aux enseignants. Ceci est dû à plusieurs
facteurs qui ont en commun, nous semble-t-il, l'éprouvé insupportable de la passivation qui
émerge et est mis en jeu dans la relation aux enseignants. Nous faisons ici référence à
l'angoisse :
- d'être changé, déformé, du fait notamment des nouvelles injonctions en terme de ''savoir
être'' (autonome, savoir passer de la relation au maître de l'élémentaire à la diffraction des
transferts au collège, etc...) et de la confrontation à de nouveaux savoirs qui demande une
certaine remise en question de la vision du monde.
- d'être sous l'emprise de l'enseignant et plus généralement de l'institution scolaire qui trouve
à s'exprimer sur la scène de la relation à l'enseignant à travers des enjeux d'emprise sur le
corps propre et sur le corps de l'autre.
- d'être confronté à l'impuissance face à l'échec des tentatives d'acquisitions scolaires lorsque
trop de retards ont été accumulés en élémentaire.
Nous supposons que dans un tel contexte, l'identification à l'enseignant revêt un
caractère menaçant en ce qu'elle implique de se laisser former-déformer par elle
(l'identification à l'ascendant), ce qui ne manquerait pas d'éveiller l'angoisse de passivation.

133
A partir de ces éléments la question pourrait être : comment passer de la passivation à
la passivité (acceptation et plaisir de la passivité) dans la relation à l'enseignant ?
Nous avons mis en évidence que la question du positionnement actif ou passif de
l'élève dans la relation à l'enseignant fait l'objet d'un débat de longue date dans le champ de la
pédagogie. Ce débat serait à situer dans le contexte socio-culturel contemporain d'une crise
de la transmission qui touche l'école en tant qu'institution de transmission du savoir. Plusieurs
auteurs (E. Diet, 2009, 2013 ; J. Arènes, 2014 ; M-C. Blais, M. Gauchet, D. Ottavi, 2016 ; N.
Catheline, 2017) défendent l'idée selon laquelle la dimension de transmission
intergénérationnelle qui imprègne la relation enseignant-élève tend aujourd'hui à être rejetée
ou refoulée; ceci, au profit de la dissémination d'une vision de l'élève apprenant autonome-
actif détachée des enjeux de la transmission intergénérationnelle. Un tel contexte ne nous
semble pas favorable à la pensée d'une complémentarité entre passivité et activité de l'élève,
tendant plutôt à opposer activité valorisée et passivité dévalorisée du côté de l'excessive
dépendance et soumission.
C'est pour trouver une issue à ce dilemme et répondre à la question énoncée plus haut
(comment passer de la passivation à la passivité dans la relation à l'enseignant ?) que nous
nous sommes tournés vers l'étude de la dynamique activité-passivité selon une approche
psychanalytique.
Nous avons pu découvrir que l'activité et la passivité sont les deux faces d'une même
pièce pulsionnelle. L'une, l'activité, du côté de la mise en jeu de l'appareil d'emprise ; l'autre,
la passivité du côté de la déprise autorisant l'être excité, affecté, surpris, échappant à l'emprise
de l'anticipation.
Nous avons proposé de penser que l'équilibre entre activité et passivité se construit,
s'apprend, dès les premiers échanges entre l'enfant et la mère ou son substitut. Cet
apprentissage en passerait par la relation homosexuelle en double, le partage esthésique et
affectif (Roussillon, 2008) ainsi que par les séductions originaire (J. Laplanche, 1990) et
narcissique (P. C. Racamier, 1995). Au fur et à mesure du développement psycho-affectif, le
jeu de l'activité et de la passivité dans le rapport à la pulsion et à l'objet trouve de plus en plus
à s'élaborer et se figurer sur la scène du fantasme. Les fantasmes dits originaires jouant un
rôle de premier ordre dans ce processus. La plupart de ces éléments constitutifs de la
dynamique activité-passivité et de son développement, nous les retrouvons mis en jeux dans
la relation à l'enseignant, telle qu'elle est théorisée par plusieurs auteurs d'inspiration
analytique (S. Boimare, 2014; A. Sirota, 2007 ; B. Pechberty, 2015 ; J. Filloux, 1983, 1996 ;
R. Kaës, 1975, 2011). Nous insistons particulièrement sur la prise en compte du rôle des

134
séductions narcissique, originaire et œdipienne et des fantasmes qui leurs sont affiliés, dans la
construction de la relation pédagogique. Nous étayant sur les travaux de R. Kaës (1975,
2011), nous supposons que la relation pédagogique mobilise une fantasmatique spécifique
qui tend fondamentalement à s'organiser sur le mode du fantasme « on (dé)forme un
enfant » ; ce qui implique l'élaboration de la position passive pour être élève (accepter et
désirer être (dé)formé par l'enseignant et le savoir transmis).
Ces questions de la forme, de la dé-formation et de l'informe se posent avec une
importance nouvelle en période pubertaire et adolescente. Le travail créatif identitaire
adolescent va notamment consister à créer une bonne forme de soi qui remplisse les
conditions d'une originalité partageable. Ce travail nécessite de trouver une complémentarité
passivité-activité, entre, d'une part, la passivité de l'éprouvé du côté de l'être affecté par l'autre
interne et externe, et d'autre part, l'activité de mise en forme de la matière brute de l'éprouvé.
Cette activité met en jeu l'appareil d'emprise visant la maîtrise des éprouvés et du corps, et en
passe par la création d’œuvres esthétiques à valeur hautement narcissique.
A partir de ces éléments, nous choisissons d'envisager la problématique du
décrochage scolaire au collège, comme le symptôme d'une difficulté pour trouver une
complémentarité entre passivité et activité en période pubertaire. Nous proposons de
distinguer deux problématiques adolescentes qui se caractériseraient notamment par la lutte
contre la passivité et la passivation. Il s'agit des adolescents et pré-adolescents inscrits dans
une problématique narcissique-phallique pour qui la position d'élève tendrait à éveiller une
fantasmatique passive érotisée insupportable et donc rejetée. Il s'agit également de sujets qui
recourent au masochisme dans la relation aux enseignants de façon à reprendre ou préserver
une position active mise à mal par l'échec de l'activité créative identitaire.
En conséquence, nous suggérons que le décrochage scolaire au niveau du collège serait, dans
de nombreux cas, l'expression d'une lutte contre la passivité et la passivation trop éveillée par
l'expérience d'élève dans la relation à l'enseignant.

135
136
PARTIE 2:
MÉTHODOLOGIE
I. Problématique et hypothèses :

Notre démarche de recherche s'origine dans ce questionnement qui constitue la


problématique de notre étude :
Est-ce-que la façon dont les adolescents se représentent et éprouvent la relation aux
enseignants entre en jeu dans le processus de décrochage scolaire ? Et si oui, en quoi les
problématiques psychologiques des adolescents qui présentent un risque de décrochage au
niveau du collège, influencent ce vécu et la construction de ces représentations attachées à la
relation aux enseignants ?

Après consultation de la littérature traitant du lien entre la relation à l'enseignant et la


façon dont le sujet investit le champ scolaire ; nous relevons que de nombreuses études dans
le domaine des sciences de l'éducation, diverses sur le plan de la méthodologie et de
l'orientation théorique, indiquent que la qualité de la relation aux enseignants joue un rôle
important dans le processus d'investissement ou de désinvestissement de la scolarité. Selon
une conception orientée par la psychanalyse, l'investissement de la scolarité est soutenu entre
autres par des mouvements identificatoires et transférentiels positifs dans la relation
intersubjective aux enseignants.
Pour se développer, ces mouvements solliciteraient un certain jeu entre activité et
passivité sur différents plans :
- la dynamique activité-passivité en rapport avec l'excitation et l'affect
- les positions actives et passives dans le fantasme
- l'activité et la passivité de l'élève dans la relation à l'enseignant

Cela nous a amené à nous intéresser au décrochage scolaire sous l'angle d'une
difficulté d'élaboration d'une complémentarité suffisamment bonne entre activité et passivité
dans la relation intersubjective à l'enseignant, et plus largement, dans la relation à l'autre
interne/externe.
Il nous est apparu que les oppositions (passives ou actives), les conflits récurrents
dans la relation aux enseignants au niveau du collège peuvent souvent être interprétés du côté
de l'élève (comme, peut-être, du côté de l'enseignant ou de l'institution) comme une tentative
d'évitement et/ou de lutte contre une passivité insupportable.

A partir de ces réflexions nous avons défini deux hypothèses de recherche.

137
Hypothèses :

Hypothèse 1 :
pour un grand nombre d'adolescents de collège à risque de décrochage scolaire, la relation
pédagogique est saturée par des expériences et des fantasmes de passivité-passivation à
l’égard de l’enseignant

Hypothèse 2 :
l'expérience de passivité insoutenable qui caractérise le vécu d'élève dans la relation au
professeur dépend de la façon dont ces adolescents s'inscrivent dans la dynamique
pulsionnelle et fantasmatique activité-passivité. Cette dynamique se caractérise par le
surinvestissement de l'activité au détriment de la passivité qui a une incidence néfaste sur la
réceptivité (de l'enseignement) et l'identification (à l'enseignant).

II. Terrain de recherche :

1. Présentation générale des dispositifs''classe relais'' et CMPP :

Tous les adolescents, qui constituent notre groupe de sujets, nous les avons rencontrés
dans des structures nommées ''classes relais''. Tous, exceptée une adolescente, Selma, que
nous avons rencontrée dans un Centre Médico Psycho Pédagogique.
Les CMPP sont des centres de consultation pour enfants et adolescents dans les quels
est mis en œuvre un travail en équipe pluridisciplinaire (psychologue, psychiatre,
psychomotricien, orthophoniste, psychopédagogue, assistante sociale). Nous avons pris
contact avec ce CMPP en vue de rencontrer des sujets pour notre recherche et le médecin
directeur, intéressé par notre recherche, nous a proposé de rencontrer Selma après en avoir
discuter avec elle et obtenu son accord ainsi que celui de ses parents.

Les classes relais sont des dispositifs de l’éducation nationale qui, dans le texte de la
dernière circulaire interministérielle éducation nationale et justice (n°2014-037 du
28.03.2014), sont présentés comme des acteurs a part entière de la lutte contre le décrochage
scolaire.

138
Les premières classes relais ont été créées dans les années 90 dans un contexte
sociétal de préoccupation par rapport à la violence des jeunes, et particulièrement, la violence
en milieu scolaire. À cette période « les plans antiviolence se succèdent : à chaque nouveau
ministère de l’Éducation correspond un nouveau plan » (M. A. Hugon et J. Pain, 2001, p82).
Ces dispositifs naissent d'une réflexion commune entre éducation nationale et justice, initiée
en partie du fait de la pression des demandes des équipes enseignantes qui exprimaient leur
désarroi face aux agissements de certains élèves pluri-exclus et/ou absentéistes. Les
premières classes relais ont donc initialement été pensées dans le cadre d'un travail sur les
deux champs de l'éducation et de la justice dans un but affiché de prévention de la violence
en milieu scolaire. C'est pourquoi, les premières classes relais accueillaient essentiellement
des jeunes soumis à l'obligation scolaire et sous mesure judiciaire. Elles s'inscrivaient dans un
partenariat étroit avec la Protection judicaire de la jeunesse. Assez vite, les classes relais se
sont ouvertes à un public plus large, sortant du champ d'intervention de la justice. Aujourd'hui
certaines classes relais ont une mission spécifique d'accueil des adolescents sous mesure de
justice et d'autres accueillent un public plus diversifié. La Protection Judiciaire de la
Jeunesse reste dans tous les cas un interlocuteur privilégié des classes relais.
Aujourd'hui, ces dispositifs sont destinés à accueillir des élèves collégiens de
cinquième, quatrième et troisième relevant de l'obligation scolaire et repérés par les différents
professionnels de leur établissement scolaire (et parfois aussi les services sociaux et/ou de la
protection judiciaire de la jeunesse) comme inscrits « dans un processus de rejet de
l'institution scolaire et des apprentissages en risque de marginalisation sociale ou de
déscolarisation : absentéisme non justifié, problèmes de comportement aboutissant à des
exclusions temporaires ou définitives d’établissements successifs, mais aussi extrême
passivité dans les apprentissages instaurant un processus d’échec et d’abandon. » (circulaire
n°2014-037). Cette définition du public accueilli a peu changé depuis la circulaire
interministérielle éducation/justice du 12 Juin 1998 (M-A. Hugon &. J. Pain, 2001, p83-84).
Les recherches statistiques réalisées par la Direction de l’Évaluation, de la Prospective
et de la Performance (DEPP) parues en 2008 (note d'information du ministère de l'éducation
nationale n°8. 13 mars) peuvent nous donner un aperçu du public accueilli en classe relais.
Ce sont des élèves généralement âgés de 13 à 15 ans, principalement des garçons (78%), qui
accusent un retard scolaire global dans leur majorité (80% des élèves accueillis en classe et
ateliers relais) et ce retard est évalué en moyenne à 1an et 7 mois. Par ailleurs, deux tiers des
élèves accueillis ne sont ni déscolarisés, ni absentéistes, les motifs de l'orientation en classe
relais seraient donc à chercher ailleurs. Pour notre part, nous constatons une forte présence de

139
motifs liés à des comportements jugés trop perturbateurs qui prennent la forme d'agitation,
de comportements agressifs et d'opposition passive. Enfin, pour finir ce tour d'horizon
statistique, 41% des élèves de classe relais font l'objet d'une mesure éducative ce qui indique
la forte fréquence des difficultés socio-familiales. Parmi ces mesures éducatives, seulement
5% seraient des mesures pénales. Nous avons effectivement constaté dans les trois classes
relais fréquentées qu'un grand nombre d'élèves bénéficiaient d'un suivi socio-éducatif.

L'objectif du travail dans des dispositifs de type classe relais est principalement de
« permettre une démarche de réinvestissement dans les apprentissages et favoriser la
maîtrise du socle commun de connaissances, de compétences et de culture ainsi que
l’appropriation des règles de la vie sociale et scolaire. Ils visent le retour réussi de l’élève
dans des formations de droit commun. » (circulaire n°2014-037).
Chaque classe relais est rattachée à un collège et accueille des élèves provenant de
différents collèges dans un secteur géographique délimité. Elles accueillent un effectif de 12
jeunes au maximum et 6 jeunes minimum, pour des sessions de 7 semaines renouvelables sur
une période ne devant pas excéder une année scolaire. Ces structures sont sensées intervenir
auprès d'élèves « qui ont bénéficié au préalable de toutes les possibilités de prise en charge
prévues par les dispositifs d’aide et de soutien existant au sein de l’établissement »
(circulaire n°2014-037) scolaire d'origine. Elles interviennent donc en quelque-sorte ''en
dernier recours''. L'admission en classe relais se fait en concertation avec le jeune et sa
famille. L'accord des responsables légaux est obligatoire.
Les équipes de classe relais se composent généralement :
d'un enseignant présent à plein temps, souvent professeur des écoles (anciennement
instituteurs) ayant une expérience de la pédagogie auprès d'un public en difficulté ; d'un
éducateur des services sociaux ou judiciaires (Protection Judiciaire de la Jeunesse) présent
sur un temps partiel ; et d'un adulte présent à plein temps qui aide à encadrer les élèves, à
mettre en place les activités et soutient les élèves dans l'investissement de ces activités. Cette
fonction est désignée ''adulte relais'' au sein des trois classes relais que nous avons
fréquentées. Les ''adultes relais'' ne bénéficient pas d'une formation particulière correspondant
à leur mission, leur formation varie en fonction des exigences des établissements qui les
emploient.
Les classes relais proposent aux élèves un soutien individualisé qui fait entrecroiser le
pédagogique et l'éducatif. Les professionnels cherchent avec chaque jeune à définir un projet
qui puisse le mobiliser vers l'investissement des apprentissages dans le cursus scolaire

140
standard ou dans un cursus plus professionnalisant. Le travail avec les familles des élèves est
important et c'est en grande partie le rôle de l'éducateur de tisser une alliance avec la famille
et/ou travailler l'implication des parents dans le soutien du jeune vers l'investissement de la
scolarité. Le travail éducatif semble aussi consister, d'après nos observations, à soutenir les
adolescents dans leur démarche de formation et leur apprendre à vivre, travailler et échanger
en groupe. L'éducateur fait le lien entre la classe relais et les services socio-éducatifs externes
(les Centres d'Information et d'Orientation par exemples). Les classes relais travaillent autant
que possible en coordination avec l'établissement d'origine de l'adolescent, notamment dans
les moments importants que sont l'admission en classe relais et le retour dans le collège
d'origine. L'équipe de la classe relais, l'établissement d'origine et le jeune mettent
fréquemment en place un emploi du temps adapté, alternant entre présence en classe relais
certains jours de la semaine, et présence dans le collège d'origine le reste du temps. Celui-ci
peut varier dans le temps. Dans la perspective d'une découverte du milieu professionnel ou
dans le cadre d'un projet de formation professionnelle précis, des stages peuvent être mis en
place.
Les études du DEPP de 2009-2010 parues dans la note d'information du 12 Juillet
2014 du ministère de l'éducation nationale, montrent que les enseignants de classes relais
proposent généralement une pédagogie plus individualisée, c'est à dire plus adaptée au
rythme et aux difficultés scolaires et, nous ajouterons, non scolaires (socio-familiale,
psychologiques, etc...) de chacun des élèves. Cette pédagogie est généralement différente de
la forme scolaire de transmission dite magistrale, encore la plus répandue en milieu scolaire
au niveau du collège. Ces études évoquent « des modalités d'enseignement plus actives » c'est
à dire que les enseignants de classe relais ont plus souvent recours à la « mise en activité »
des élèves, autour d'une tâche à effectuer en individuel ou en groupe et au « cours dialogué »
qui prend la forme d'un échange avec l'enseignant de type questions-réponses. Les
enseignants emploient plutôt des formes d'évaluation alternatives, qui pour une grande part
sont regroupées dans la catégorie « formes d'évaluation active », désignant ainsi différentes
méthodes qui visent toutes à impliquer l'élève dans l'activité d'évaluation de son travail. Les
résultats de ces études reflètent ce que nous avons observé sur le terrain.

2. Présentation des classes relais fréquentées dans le cadre de notre recherche :

L'équipe de chaque classe relais est composée d'une enseignante présente à plein
temps, d'une éducatrice du conseil général présente deux jours par semaine et d'un adulte

141
relais présent quasiment à plein temps. D'après les professionnels de ces classes relais, les
élèves accueillis ont entre 13 et 16 ans. Plusieurs professionnels remarquent que les classes
relais accueillent des adolescents de plus en plus jeunes, certains arrivant dès la sixième. Les
élèves accueillis ne sont pas sous mesure de justice mais un certain nombre font partie de
familles qui bénéficient d'une aide éducative, ou présentent des problématiques familiales
(violence, précarité) qui pourraient justifier la mise en place d'une aide sociale et/ou
éducative. La plupart vivent dans un milieu familial modeste sur le plan financier. Les
professionnels identifient deux profils majeurs sur le plan des difficultés scolaires : les
absentéistes et les adolescents qui vont à l'école mais ne s'inscrivent pas dans le travail
demandé.
La structure du bâtiment de chaque classe relais, permet une différenciation des
espaces selon le type d'activité mise en œuvre et, nous dirions, le type de relation mis en jeu.
Nous avons identifié 3 à 4 espaces délimités par des murs avec des points de passage entre
chacun d'eux.
Au sein de chacune des classes relais, il y a :
- un espace classe qui occupe plus ou moins de superficie (un peu moins de la moitié pour
deux classes relais et plus de la moitié pour une),
- un espace où les élèves font des activités plus ludiques ou artistiques, et où se déploie un
autre mode d'échange entre l'adulte (enseignante, éducatrice, adulte relais) et les élèves, un
échange plus spontané et familier. C'est aussi, dans deux classes relais, un espace où soit
l'éducatrice, soit l'adulte relais, peuvent travailler et échanger en relation duelle avec un
élève. C'est donc un lieu où l'adolescent peut d'avantage se confier à l'adulte, jouer et tisser
une relation d'étayage dans l'échange avec l'adulte.
- un espace bureau qui, dans deux classes relais, nous semblait essentiellement utilisé pour
communiquer avec l'extérieur (par téléphone et par internet), remplir des tâches
administratives et comme espace de rangement.
- un espace cuisine présent dans deux classes relais. La cuisine étant une activité souvent
appréciée par les adolescents accueillis, d'après les enseignantes et les éducatrices de classe
relais.

Il nous semble que la présence de trois adultes occupant des fonctions et des espaces
différents au sein de la classe relais, permet aux adolescents de déployer différentes facettes
de leurs problématiques, des transferts différents (paternel, maternel, narcissique, etc...) et
travailler différents aspects de leurs difficultés (cognitive, narcissique, socio-familiale, etc...)

142
en fonction de l'adulte avec lequel ils sont en relation et de l'espace dans lequel l'échange se
déroule.
Une des classes relais présente une implantation spatiale particulière dans son
établissement scolaire de rattachement. En effet, cette classe est située à l'écart du bâtiment
du collège de rattachement, séparée par une grille de celui-ci, avec une jonction par un
portail. Les deux autres sont intégrées à l'enceinte du bâtiment de leur collège de
rattachement.
La question de l'intégration des classes relais et des élèves de classe relais au sein des
établissements de rattachement est un sujet qui s'est révélé problématique dans les trois
classes relais. Nous aborderons cet aspect ultérieurement dans l'analyse des résultats.

3. Notre intervention en classe relais :

Parmi les trois classes relais, nous en avons surtout fréquenté deux sur une période de
vingt et un mois, répartie sur trois ans. Nous sommes intervenus en classe relais
essentiellement en vue de nous entretenir avec les adolescents. Nous rencontrions les
adolescents soit dans un bureau situé dans l'enceinte de la classe relais, soit dans une pièce
(bureau ou salle de réunion) située dans les bâtiments du collège auquel est rattachée la classe
relais. Généralement, nous restions un peu en classe relais avant et après nous être entretenus
avec l'adolescent, ce qui nous a donné l'occasion d'échanger avec les professionnels à propos
des élèves de classe relais et de différentes problématiques qui se posent dans le travail avec
eux. Pendant ces temps d'entre deux, c'est à dire entre notre arrivée en classe relais et le
moment de l'entretien, ou entre la fin de l'entretien et notre départ de classe relais, nous avons
pu, en plus d'échanger avec les professionnels, observer certaines scènes qui nous ont
semblées riches en enseignement, notamment, sur le plan de la compréhension de la
problématique des élèves et de leur relation aux adultes. Il nous est arrivé de participer avec
les élèves à un jeu de UNO ainsi qu'à une séance d'activité autour du cirque, animée par un
intervenant extérieur.

III. Notre population d'étude :

 D'un point de vue général :

143
Nous avons rencontré 17 sujets, 4 filles et 13 garçons, âgés de 13 ans à 16ans. Six de
ces sujets sont âgés de 13 ans (Kevin,Aymeric, Helder, Naïma, Hans et Dorian), cinq de 14
ans (Aurélien, Sinan, Oscar, Imen et Idir), quatre de 15 ans (Ibrahim, Ophélia, Édouard et
Georges) et deux de 16 ans (Selma et Yassin).
Selon un axe développemental, la majorité des sujets se situent dans une zone entre la
préadolescence et l'adolescence, au démarrage de la maturation pubertaire qui d'après le
« grand dictionnaire de la psychologie » (1999) se situe vers 11-12 ans. Il existe une
variation chronologique fille/garçon de l'entrée en puberté : entre 8 et 13 ans chez la fille et
entre 10 et 15 ans chez le garçon (J-P Dommergues, 2010).

 sur le plan des difficultés scolaires :

A la lumière des informations recueillies au cours des entretiens avec les sujets et de
nos échanges avec les enseignantes de classe relais, nous observons que pour la grande
majorité des sujets (15) ce sont les comportements jugés comme excessivement perturbateurs
en classe qui dominent le tableau. Pour les deux autres sujets (Idir et Selma) c'est
l'absentéisme qui est la manifestation principale.
Les comportements jugés perturbateurs varient dans leurs formes en fonction des
élèves. Il nous semble que dans la majorité des cas (au moins 10) c'est le rapport conflictuel
avec les professeurs et avec les règles en classe qui passe au devant de la scène. Pour les
autres sujets, ce qui domine, c'est plutôt l'agitation associée à des difficultés de concentration
sans intention manifeste d'opposition aux règles ou aux professeurs. Les manifestations
d'opposition balancent entre les deux registres de l'opposition passive et active. L'opposition
passive désigne des comportements caractérisés par l'évitement, la présence non participante,
la présence sans matériels. L'opposition active désigne plus des comportements qui consistent
à exprimer clairement, sans détour, verbalement et corporellement, un refus des règles en
classe, de l'activité proposée et/ou des injonctions de l'enseignant. Parmi ces 15 sujets, 5
présentent en plus d'un comportement jugé perturbateur, une pratique de l'absentéisme qui
entre dans le champ de ce que nous pourrions appeler un absentéisme ''à la carte'' ou sélectif.
C'est à dire qu'ils choisissent les cours, voire les demi-journées où ils s'absentent selon
différents critères (l'humeur du moment, la relation difficile avec certains professeurs ou
certaines matières, etc...) certains restent ou retournent chez eux, d'autres restent dans
l'établissement scolaire sans pour autant être en cours.

144
Les deux sujets (Idir et Selma) dont le problème dominant est l'absentéisme ne sont
pas non plus exempts de difficultés de comportements en classe. Idir peut ainsi manifester
une forte opposition passive et Selma a particulièrement tendance à bavarder en classe.
Sur le plan de la typologie du décrochage scolaire proposée par P. Y. Bernard (2011)
ou M. Janosz (2000) le profil comportemental de 16 sujets orientés en classe relais,
correspond plutôt aux « rebelles » (P. Y. Bernard) ou « désadaptés » (M. Janosz) bien qu'il
comporte une certaine forme de désengagement qui les apparentent aussi à la typologie des
désengagés (Janosz et Bernard) dans une moindre mesure. Selma se démarque de ce profil
par une symptomatologie qui évoque plus la phobie scolaire, toutefois, nous verrons que son
comportement ainsi que certains traits de son fonctionnement psychique s'apparentent à ceux
manifestés par le reste du groupe des sujets. Selma est la seule de notre groupe qui ne
fréquente plus du tout l'école. Les autres sujets ne sont pas inscrits dans un décrochage aussi
manifeste étant donné qu'ils continuent à aller au collège de façon régulière. Ils peuvent
cependant être considérés comme à risque de décrochage scolaire dans la mesure où ils
risquent de rompre durablement avec le système scolaire parce qu'ils ne parviennent pas à s'y
intégrer, du fait de leur comportement inacceptable (dans un cadre scolaire standard), et
sûrement aussi, d'un retard accumulé sur le plan des acquisitions scolaires. Nous n'avons pas
évalué l'effectivité du retard scolaire chez nos sujets de recherche mais nous savons que le
retard scolaire global ou partiel caractérise les difficultés de la plupart des adolescents reçus
dans les trois classes relais fréquentées. Ces jeunes cumulent plusieurs facteurs de risques
reconnus du décrochage scolaire (P. Potvin, 2015) à savoir : des problèmes de comportement,
des retards sur le plan des apprentissages, des relations perçues comme mauvaises avec les
professeurs.

 Sur le plan socio-familial :


La plupart des sujets vivent dans un milieu familial modeste. Par ailleurs, le chômage
touche les familles d'au moins 5 sujets. 10 sujets ont des parents séparés et 8 vivent en
résidence principale chez leur mère.
7 sujets (au minimum) sont enfants de parents qui sont nés et ont vécu dans un pays
étranger (les Comores, Algérie, Côte d'Ivoire, Maroc, Turquie, Cap Vert, Congo) puis ont
migré en France à l'âge adulte. Parmi eux, 2 sujets sont eux-même nés à l'étranger et ont
migré en France, l'un à l'âge de 6ans (Ibrahim) et l'autre à 10 ans (Helder).
Deux sujets ont perdu l'un de leur parents : Hans (13 ans) a perdu sa mère, décédée
d'un cancer quand il avait 9 ans et Kevin (13 ans) a perdu son père quand il avait 11 ans.

145
Deux sujets (Selma et Oscar) ont un frère atteint d'une maladie mentale handicapante.

 Sur le plan de la santé physique :


Idir, Kevin et Hans sont asthmatiques.
Yassine a déclaré vers 12 ans une maladie de Berger, maladie auto immune qui
provoque l'inflammation chronique du rein et peut se manifester par de la fatigue et des
douleurs lombaires au quotidien. Il n'existe pas de traitement spécifique pour cette maladie
mais seulement des traitements symptomatiques. Elle nécessite un suivi médical régulier.
Idir souffre d'hypotension orthostatique qui provoque une chute de la pression
artérielle lors du passage de la position allongée à la position debout qui se traduit par une
sensation de malaise.

 Sur le plan psychopathologique :


Selma présente des symptômes phobiques et est sujette aux crises d'angoisse. Idir est
diagnostiqué Hyperactif depuis l'âge de 6 ans environ. Aymeric a été hospitalisé en
psychiatrie suite à une fugue vers l'âge de 9 ans.

IV. Le protocole de recherche et sa présentation aux élèves :

Notre protocole méthodologique se déroule généralement en trois temps :

1). Une première rencontre en individuel avec un sujet dans l'enceinte du collège.
Lors de ce premier entretien nous commençons par réexpliquer au sujet le cadre de notre
intervention (que nous avions au préalable présenté devant toute la classe) puis par recueillir
quelques informations d'ordre général sur le sujet (structure familiale, santé, loisirs). Dans un
deuxième temps nous demandons au sujet : « essayez de me parler de comment ça se passait
avec vos professeurs depuis le plus loin que vous vous souveniez jusqu'à aujourd'hui. ».
Parfois nous présentions la consigne de manière plus interactive « nous allons essayer de
discuter de comment ça se passait ... ». Souvent, il fallait les soutenir pour qu'ils commencent
à parler par des questions du type « est-ce-que vous avez des souvenirs de l'école
élémentaire ? ».
2). Un deuxième entretien plus directif où nous nous appuyons sur un guide
d'entretien à partir de questions préparées à l'avance. À la fin de l'entretien nous demandons à

146
l'adolescent de dessiner à partir des questions « qu'est-ce-qu'un élève pour vous ? »et
« qu'est-ce-qu'un enseignant pour vous ? »
3). Lors de la deuxième ou troisième rencontre nous faisons passer un test de
personnalité. Le test projectif du TAT (Thématique Apperception Test)
4). nous avons fait passer le Rorschach à 6 sujets.

Nous avons présenté notre recherche généralement dans l'''espace classe'' de la classe
relais, devant l'ensemble des élèves et l'enseignante. Nous nous sommes présenté comme
chercheur dans le domaine de la psychologie, conduisant une étude visant à comprendre
pourquoi les relations entre un élève de collège et certains de ses professeurs peuvent devenir
compliquées ? Mais aussi qu'est ce qui peut favoriser de bonnes relations entre les élèves et
les professeurs ?
Après avoir présenté notre objet de recherche, nous exposions notre protocole
méthodologique, leur donnant ainsi un aperçu de ce qui les attendait s'ils se portaient
volontaires pour participer à notre recherche. Nous les prévenions que nous n'allions pas leur
poser de questions trop personnelles sur leur histoire mais resterions bien focalisé dans nos
questions sur la relation aux enseignants, espérant ainsi les rassurer quant à d'éventuelles
angoisses par rapport à des questions vécues comme intrusives. Nous leur expliquions que
leur participation est anonyme et que ce qui se dirait dans les entretiens resterait confidentiel,
c'est à dire, notamment, que rien de ce qu'ils nous confiaient en entretien ne serait transmis
aux professionnels de la classe relais. Nous expliquions ensuite la finalité de notre recherche,
insistant surtout sur le fait que nous espérions aider par notre recherche à ce que professeurs
et élèves travaillent mieux ensemble. Les élèves se sont toujours montrés à l'écoute de nos
propos et il y en avait souvent plusieurs pour poser des questions après notre intervention ou
souhaitant faire des commentaires (jamais désobligeants).
Après notre présentation, nous distribuions aux élèves intéressés les documents
destinés aux parents, à savoir : une lettre d'information sur notre démarche de recherche et un
document d'autorisation à faire signer par les parents. Sur la lettre d'information, nous
proposions aux parents de les tenir informés des résultats de notre recherche mais aucun ne
nous a contacté en ce sens.

147
V. Démarche d'investigation pour chacune des hypothèses :

• Rappel de l'hypothèse 1 :
pour un grand nombre d'adolescents de collège à risque de décrochage scolaire, la relation
pédagogique est saturée par des expériences et des fantasmes de passivité-passivation à
l’égard de l’enseignant

• Investigation de l'hypothèse 1 :
Conformément à la conception psychanalytique de la passivité soutenue et développée
par S. Freud (1937), C. Chabert (1999), A. Green (1999) et J. Schaeffer (1997) puis, dans
une perspective plus étroitement reliée à la relation enseignant-enseigné, avec les apports de
R. Kaës (1975, 2011) sur la relation être en formation-formateur, C. Pujade-Renaud (1983)
sur le corps de l'élève dans la classe, puis P. Vallet (2003) et B. Mabilon-Bonfils (2009)
concernant la dimension de l'emprise ; nous définissons la passivité de l'élève dans la relation
à l'enseignant comme tout à la fois l'expérience de, et l'aptitude à :
- être affecté et excité par l'autre enseignant, avec une attention particulière portée à l'être
séduit
- se vivre et se représenter comme dépendant de l'autre enseignant
- être formé-déformé, marqué et touché (psychiquement et physiquement) par l'enseignant
- dans une certaine mesure, être sous l'emprise de l'enseignant, notamment au niveau du corps
(élève positionné par l'enseignant dans la classe, recadré par l'enseignant par rapport à son
attitude, etc...).
Nous serons donc attentif à investiguer ces quatre dimensions pour déterminer
comment l'élève vit, élabore, et réagit à, la passivité dans la relation aux enseignants.

Nous aurons, pour ce faire, recours à plusieurs méthodes de recherche :


- l'entretien semi-directif
- le dessin
- deux entretiens avec deux enseignantes de classe relais

Deux sujets ont refusé de dessiner, ces refus sont interprétés et intégrés comme des
éléments à prendre en compte dans notre recherche.

148
Nous comptons par ailleurs utiliser le matériel recueilli à travers nos échanges
informels avec les professionnels et nos observations des adolescents en classe relais.

• Rappel de l'hypothèse 2 :
l'expérience de passivité insoutenable qui caractérise le vécu d'élève dans la relation
au professeur dépend de la façon dont ces adolescents s'inscrivent dans la dynamique
pulsionnelle et fantasmatique activité-passivité. Cette dynamique se caractérise par le
surinvestissement de l'activité au détriment de la passivité qui a une incidence néfaste sur la
réceptivité (de l'enseignement) et l'identification (à l'enseignant).

• Investigation de l'hypothèse 2 :

Nous nous plaçons à trois niveaux pour déterminer la dynamique actif-passif :

• le niveau du fantasme :
Nous nous centrerons sur le fantasme de séduction et chercherons à travers leurs
discours et les tests projectifs quelles positions active et/ou passive ils tendent à occuper dans
leurs scenarii fantasmatiques.
• Le niveau des éprouvés :
c'est le rapport des adolescents à leurs sensations qui nous intéresse ici. Nous tentons
de savoir si les adolescents sont en mesure d'être séduits par les sensations pubertaires
nouvelles. C'est à dire ne pas trop les nier et les projeter sur l'extérieur (« c'est eux qui sentent
ça », « c'est eux qui s'excitent » …) ainsi qu'éprouver et exprimer de l'intérêt pour ces
sensations véhiculant de l'énigmatique ou du « corps étranger interne ».
• Le niveau de la perte et de la dépendance :
Acceptation des éprouvés liés à la perte et la dépendance qui renvoient à la passivité
et au travail actif de séparation, de deuil et d'autonomisation propre à l'adolescence. Équilibre
des positions entre être abandonné et prendre l'initiative de partir ou de prendre ses distances.
Ce qui implique des retournements passif-actif - exemple : partir pour ne pas être abandonné
- . Le travail de deuil nécessitant une confiance en son activité créative, qui nourrit l'illusion
d'une création de soi par soi-même loin d'une dépendance à ce que peut transmettre le monde
adulte.

149
Pour aborder ces trois dimensions nous avons recours aux tests projectifs du TAT et
du Rorschach : 12 adolescents ont passé le TAT, 5 adolescents ont passé le Rorschach dont 4
ont également passé le TAT.
Nous avons jugé que la passation systématique conjointe du TAT et du Rorschach
pour chaque adolescent était trop lourde à mettre en œuvre. Nous avons préféré avoir plutôt
recours au TAT car celui-ci permettrait, plus que le Rorschach, d'accéder à la dynamique
fantasmatique du sujet.

VI. Présentation des outils :

1. L'entretien semi-directif avec les adolescents :

La méthodologie d'entretien que nous avons employée peut-être dite semi-directive


dans la mesure où nous avons préparé un guide de questions élaborées à partir de notre
définition de la passivité de l'élève dans la relation à l'enseignant (K. Chaharaoui, H. Bénony,
2003, p143). Nous avons élaboré ces questions en vue d'investiguer le rapport de chaque
adolescent à la passivité particulière de l'élève dans la relation au professeur, mais aussi en
vue d'étudier comment, pour chaque adolescent, le rapport à la passivité (au sens
psychanalytique) participe de l'investissement ou du désinvestissement de la relation à
l'enseignant.
Nous avons pris de grandes libertés par rapport à l'utilisation de ce guide d'entretien,
l'utilisant différemment en fonction des adolescents rencontrés. En effet, la plupart du temps
nous ne posions pas toutes les questions préparées estimant que le sujet avait été abordé
spontanément par l'adolescent. Notre priorité était de favoriser l'association libre, donc nous
laissions les adolescents déployer leur discours et intervenions dans l'idée de relancer la
dynamique d'association. Cependant, certaines questions nous semblaient devoir être posées
si elle n'étaient pas abordées spontanément, comme par exemple, celle de la différence entre
élève et professeur. En effet, nous supposons que cette différence est particulièrement
susceptible d'être ressentie et interprétée sur le mode d'une dissymétrie entre un enseignant
actif et un ou des élèves passifs.
Avec quelques adolescents peu loquaces paraissant particulièrement réticents à se
prêter au jeu (dangereux) de l'association libre, nous avons plus souvent eu recours au guide

150
d'entretien comme point de repère et d'étayage pour développer un échange et stimuler la
pensée (la nôtre comme celle de l'adolescent) autour de notre thème de recherche.

Les entretiens se déroulaient généralement sur deux entrevues et selon un certain


ordre qui peut se résumer ainsi :
Après avoir présenté une nouvelle fois brièvement les enjeux de notre recherche (la
première présentation s'étant effectuée devant les élèves en classe) et précisé en quelle
position nous intervenons, nous procédons tout d'abord au recueil de certaines informations
concernant : la structure familiale, la profession et l'âge des parents, la santé physique
(maladie) et les activités et centres d'intérêts des adolescents. Après cette première étape,
nous demandons à chaque adolescent de s'exprimer à partir de cette consigne : « essayez de
me dire comment ça se passait avec vos enseignants depuis le plus loin que vous vous
souveniez jusqu'à aujourd'hui ». Nous les prévenons généralement que nous insisterons plus
sur la relation aux enseignants de collège. Parfois, le récit de l'adolescent autour de la relation
aux professeurs s'engage dans la continuité de l'échange initié dans la première phase de
recueil d'informations. À ce moment-là, nous préférons ne pas formuler la consigne de
manière à respecter le fil de la pensée des adolescents, ce qui ne nous empêche pas d'aborder
l'histoire de ses relations aux professeurs. À la deuxième entrevue nous posons les questions
que l'adolescent n'a pas abordées spontanément dans son récit et qui font partie de notre guide
d'entretien. Nous faisons également part à l'adolescent de questionnements qui nous sont
venus lors de la première entrevue et qu'il nous parait intéressant de traiter au regard de notre
thématique de recherche.

Nous avons choisi la prise de note comme mode de recueil des données. Ce choix a
essentiellement été déterminé par le fait que nous nous sentons plus à l'aise avec cette
méthode, sûrement en grande partie parce que c'est cette méthode que nous utilisons au
quotidien de notre pratique de psychologue clinicien en CMPP lors des premières rencontres
avec les enfants, les adolescents et leur parents. À posteriori, nous pensons que
l'enregistrement au dictaphone aurait été préférable dans un souci d'objectivité des données et
d'analyse plus détaillée du matériel (meilleure prise en compte des moments de silence, des
hésitations, des procédés du discours, par exemple) comme le préconise M-F Castarède
(1983, p126). Cependant, bien que l'entretien ne soit pas enregistré, cela « ne l'empêche pas
d'être à la source d'informations majeures sur le fonctionnement psychologique du sujet et de
son mode d'interaction avec autrui. » (K. Chahraoui & H. Bénony, 2003, p145). Il nous

151
semble que la pratique des consultations à visée d'évaluation et/ou thérapeutique du
psychologue clinicien dans laquelle il n'est en général pas question d'enregistrement au
dictaphone, vient largement confirmer ce point de vue.

2. Le dessin :

Le choix d'utiliser le dessin est principalement inspiré du travail de C. Dolignon


(2015, 2010) dans le champ de la recherche en sciences de l'éducation, qui utilise le dessin
pour étudier la représentation que se font de l'école les adolescents en difficulté scolaire et
inscrits dans un processus de décrochage scolaire. Elle leur demande de dessiner à partir de la
question : « c'est quoi pour toi l'école ? ». Cette auteure constate que le dessin est une voie
d'accès intéressante aux vécus affectifs des adolescents en milieu scolaire. J. P. Pourtois et H.
Desmet (1997) dans leur ouvrage traitant de l' « Épistémologie et (de) l'instrumentation en
sciences humaines » mentionnent « le dessin d'une situation de vie » (p148) présenté comme
une « méthode projective » intéressante à utiliser dans un cadre de recherche en sciences
humaines. Ils donnent l'exemple d'une recherche pour laquelle ils ont élaboré une épreuve
intitulée « le dessin de la classe ». Nous ne détaillerons pas ici la méthodologie employée
mais préciserons simplement qu'il s'agissait de demander à des enfants de faire deux dessins :
dessiner une classe d'une part et dessiner leur classe rêvée d'autre part. Cette épreuve du
« dessin de la classe » s'est avérée une bonne méthode pour accéder à « l'organisation
dynamique des images mentales, les sentiments et attitudes du sujet » par rapport au
« concept classe » (p150).
D'autres auteurs dans le champ des sciences de l'éducation et de la psychologie, ont
utilisé le dessin avec des adolescents pour étudier les représentations et sentiments associés à
des pratiques scolaires (E. Lemaires, 2012 ; J. Couronnée, 2016) et des pratiques alimentaires
(S. D'Amore, 2007 ; L. Savoie-Zajc, 2005).
Le dessin est beaucoup utilisé dans le champ de la psychologie clinique, surtout la
clinique infantile, dans des visées d'évaluation et thérapeutique. Parmi les techniques les plus
utilisées dans une visée diagnostique nous pourrions citer le « dessin d'une personne » conçu
par K. A. Machower (1949) comme un test projectif (A. Abraham, 1985) et le dessin de la
famille (L. Corman, 1990).
Plusieurs études anglophones dans le champ de la psychologie tendent à valider certaines
utilisations du dessin comme des outils diagnostics (K. M. Johnson, 2004 ; J. P. Fowler & A.
M. Arlon, 2002 ; R. Flanagan & R. W. Motta, 2007 ; M. M. Ritnour, M. Bovingdon, C.

152
Knutsen, A. Roy, J. Hoshino, & K. M. Johnson, 2015 ; L. Goldner, A. Abir & S. C. Sachar,
2016). Le dessin d'une personne serait particulièrement utile pour avoir accès à la dynamique
émotionnelle du sujet (E. M. Kopitz, 1968). La tâche de dessin d'un personnage expressif
permettrait d'évaluer la capacité de l'enfant à comprendre les émotions (C. Brechet, D. Picard
& R. Blady, 2009 ; C. Brechet, R. Blady & D. Picard, 2007). Ainsi le rapport du sujet à ses
émotions semble particulièrement mis en jeu par le dessin.
Sur un versant plus psychanalytique, le dessin est pour l'enfant une voie privilégiée de
l'expression des fantasmes (F. Dolto & J. D. Nasio, 1987) et met en jeu la constitution des
enveloppes psychiques et de l'image du corps (A. Anzieu, L. Barbey, J. Bernard-Nez & S.
Daymas, 1996 ; A. Karray, D. Derivois, L. Brolles & I. Wexler-Buzaglo, 2017). Le concept
d'enveloppes psychiques est élaboré par D. Anzieu et désigne ce que construit le sujet comme
limites pour forger un contenant délimitant la vie interne et ce qui provient de l'externe. Ces
enveloppes remplissent un rôle de protection contre les attaques internes et externes mais
aussi une fonction « d'interface, de lien, de filtrage, de communications mais aussi de
transformation des liens dedans/dehors » (A. Karray et al., 2017, p92). D'après A. Anzieu et
al. (1996) le dessin met particulièrement en jeu la symbolisation du rapport
contenu/contenant.
Le dessin nous est donc apparu, d'une part, comme un bon moyen d'investiguer les
représentations inconscientes et les fantasmes mobilisés dans la relation aux enseignants et,
d'autre part, comme apportant des éléments pour étudier la dynamique actif-passif sur le plan
du rapport aux affects et au corps.
Nous demandons à chaque adolescent de dessiner à partir des questions : « qu'est-ce-
qu'un élève pour vous ? » et « qu'est-ce-qu'un professeur pour vous ? »
Les adolescents ont le choix entre faire un dessin qui traite des deux questions ou bien
deux dessins sur deux feuilles différentes qui correspondent chacun à l'une des questions.
Nous demandons après réalisation aux adolescents de commenter leur dessin, s'ils ne le font
pas spontanément.

3. Les entretiens avec les deux enseignantes :

Nous avons souhaité nous entretenir avec les enseignantes des classes relais en
individuel, de manière à ce qu'elles puissent nous faire part de leurs observations concernant
les jeunes de ces classes, et de leur vécu dans la relation avec eux. L'objectif est uniquement
de nous étayer sur leurs observations et leur vécu pour mieux appréhender la problématique

153
des adolescents accueillis en classe relais, et plus particulièrement, la dynamique actif-passif
que les adolescents ont tendance à mettre en jeu dans la relation aux enseignants. Nous ne
cherchons pas à évaluer le rôle joué par l'enseignant dans la dynamique relationnelle et le
processus de décrochage scolaire, ceci bien que nous soyons conscient que les enseignants
jouent un rôle dans la façon dont les adolescents investissent l'école. Mais ceci n'est pas
l'objet de notre recherche. Nous restons centrés sur l'évaluation de la dynamique actif-passif
qui caractérise le fonctionnement psychique des adolescents et son influence sur la relation
aux enseignants.
A travers la dimension du vécu relationnel, nous cherchons à avoir accès au vécu
contre-transférentiel des enseignants dans le rapport aux élèves. Nous avons pu constater que
selon la majorité des auteurs d'orientation analytique qui se sont penchés sur la relation élèves
-enseignant, cette relation n'est pas exempte de mouvements transféro-contretransférentiels.
À partir de la définition du contre-transfert dans le cadre analytique à savoir : « ensemble des
réactions inconscientes de l'analyste à la personne de l'analysé et plus particulièrement au
transfert de celui-ci » (J. Laplanche & J. B. Pontalis, 1988, p103) nous pourrions définir le
contre-transfert de l'enseignant comme l'ensemble de ses réactions inconscientes à la
personne de l'élève et du groupe d'élèves (ou groupe classe) et plus particulièrement au
transfert de ceux-ci.
Notre démarche serait proche de la logique du psychologue clinicien ou du
psychanalyste qui par l'analyse de son contre-transfert cherche entre autres à mieux
appréhender la problématique de son patient. C'est l'une des utilisations du contre-transfert
identifiée par J. Laplanche et J. B. Pontalis (1988) : « se guider pour l'interprétation même,
sur ses propres réactions contre-transférentielles, souvent assimilées dans cette perspective
aux émotions ressenties » (p103). Nous cherchons donc à accéder aux émotions et sentiments
des enseignantes qui naissent dans la relation aux élèves et qui peuvent être assimilés à des
réactions inconscientes. Nous supposons que la dimension du contre-transfert des
enseignantes de classe relais, et plus largement du vécu relationnel mis en perspective avec le
discours des adolescents sur leurs enseignants, peut nous apporter des éléments cliniques
précieux pour comprendre la problématique des adolescents et leur rapport aux professeurs.
Nous avons choisi de commencer chaque entrevue en leur demandant ce qu'elles
observaient, au niveau du comportement des élèves en classe et dans la relation avec elles,
pour dans un deuxième temps, nous saisir de leurs associations d'idées et les relancer dans le
sens d'une approche de leur vécu dans la relation avec les adolescents. Il nous a semblé plus
pertinent de ne pas aborder leur vécu relationnel dès le début de l'entretien, pour ne pas leur

154
paraître intrusif et induire un mouvement de fermeture. L'idée était donc de les accompagner
d'une position d'observateur distancié, qui nous semblait plus rassurante pour commencer,
vers une position plus participante qui implique plus la mise en jeu de l'intime.
Durant ces entretiens nous sommes intervenu essentiellement sous forme de relance à
partir des dires des enseignantes. Notre démarche était de relancer les enseignantes en
fonction de sujets abordés spontanément par elles et qu'il nous semblait intéressant
d'approfondir pour notre recherche. En ce sens, nous prenions une part active dans
l'orientation de l'entretien. Nous avons tenté de trouver une position d'équilibre entre
favoriser une dynamique d'association libre qui nous semble la seule voie pour s'approcher
des phénomènes inconscients (hormis l'approche par les tests projectifs) et des interventions
de notre part pour orienter l'entretien vers des sujets qu'il nous semblait intéressant
d'approfondir.
Nous nous sommes entretenu une fois avec chaque enseignante pendant environ une
heure. Nous avons enregistré chaque entretien sur dictaphone. Le choix d'enregistrer a été
déterminé par un souci d'efficacité, dans la mesure où nous ne savions pas s'il y aurait
d'autres occasions pour aménager un temps d'entretien de recherche avec ces deux
enseignantes volontaires. Dans ces conditions, un recueil des données sur le mode prise de
notes, nous semblait prendre trop de temps.

4. Les observations et les échanges informels avec les professionnels :

Nous avons recueilli des observations lors de nos passages en classe relais. Nous
avons pris des notes pour retranscrire certaines scènes de vie au sein de la classe relais qui
nous semblaient intéressantes pour notre recherche. Ces scènes se déroulaient généralement à
des moments où les adolescents n'étaient pas sur un temps de travail en classe proprement dit,
c'est à dire des moments de jeu prévus dans l'organisation de la journée ou sur des temps
libres encadrés par les adultes. Ce sont des moments durant lesquels les adolescents peuvent
discuter et s'occuper comme il leur plaît, ceci, avec une surveillance présente mais plus
relâchée et discrète des adultes. Par les termes ''temps libres'' nous désignons également des
temps qui peuvent relever de ce que R. Roussillon (1987) nomme l'interstice ou l'interstitiel
notamment : le moment d'aller en récréation (sans y être encore), ou bien l'accueil le matin de
certains adolescents arrivés en retard en classe. R. Roussillon (1987) désigne ainsi des lieux
et des temps interstitiels au sein de toute institution, dans lesquels se déploient des activités
non formalisées entre les différents acteurs de l'institution. Ce sont donc des temps de

155
l'imprévisible, qui laissent plus de marge de liberté par rapport au cadre. Selon lui les
personnes seront susceptibles d'investir ces interstices comme des temps de création et
d'expression personnelle qui prennent souvent l'allure d'une « décharge émotionnelle » (R.
Rousillon, 1995, p131). Ainsi, l'expression des affects dans le groupe serait particulièrement
mobilisée dans ces espaces-temps interstitiels (P. Fustier, 2012, p93). A. Kérivel (2015), a
recours au concept d'interstice tel que défini par R. Roussillon, dans le cadre de sa recherche
sociologique sur les phénomènes de violence entre jeunes pendant les « temps libres » dans le
champ de l'animation. Elle présente les « temps libres » comme des interstices, « zones de
décompression nécessaire » avant de ré-endosser un rôle social. Elle constate que ces temps
libres sont caractérisés par l'apparition de « violences et d'accidents », mais aussi (ce qui
attire moins l'attention) « des pleurs et des confidences » (p122).
La méthode de l'observation ne fait pas, à proprement parler, partie de notre
méthodologie de recherche. Notre démarche était plutôt de nous saisir des événements qui se
présentaient à nous lorsque nous étions présent en classe relais et qui pouvaient nous apporter
des éléments de compréhension des problématiques des jeunes accueillis.
Nous avons également eu des échanges non prévus, non formalisés avec les
professionnels de la classe relais que nous comptons exploiter dans le cadre de notre
recherche.

5. Approche de la dynamique activité-passivité au TAT et au Rorschach :

5.1. Présentation des outils :

• le Thématique Apperception Test (T.A.T)


C'est un test créé en 1943 par H. A. Murray pour évaluer la personnalité. Le sujet doit
imaginer et raconter une histoire en s'inspirant d'une image plus ou moins figurative qui lui
est présentée. V. Shentoub, R. Debray, F. Brelet-Foulard, M. Boekolt et C. Chabert (entourée
de l'équipe de recherche de l'université Paris V) ont contribué par la suite et jusqu'à nos jours,
à développer cet outil dans une perspective clinique orientée par la psychanalyse.
L'hypothèse au fondement de leur approche du TAT est que les planches de ce test réactivent
« des conflits essentiels » propre à « la condition humaine » tels qu'ils ont été mis en
évidence par les « travaux de Freud et de ses successeurs » (F. Brelet-Foulard & C. Chabert,
2003, p38). Parmi les conflits réactivés, ceux qui caractérisent le complexe d’œdipe
occuperaient la place principale au TAT : ainsi « toutes les planches où sont présents des

156
personnages se réfèrent à la différence des générations et/ou la différence des sexes : la
reconnaissance de ces différences s'offre comme condition effective d'accès à l'élaboration
d'une problématique œdipienne structurante » (C. Chabert et F. Brelet-Foulard, 2003, p38).
Cependant, C. Chabert et F. Brelet-Foulard (2003) mettent en évidence par leur étude du
contenu latent des planches, combien le TAT sollicite, outre le complexe d’œdipe, la
problématique de la perte d'objet et la représentation de soi.
Le matériel du test se compose de 15 planches, certaines variant selon le sexe du
sujet : 1, 2, 3BM, 4, 5, 10, 11, 12BG, 13B, 19 et 16 proposées aux garçons et au filles ; 6GF,
7GF et 9GF, proposées aux filles ; 6BM, 7BM et 8BM proposées aux garçons. La planche
13MF a cette particularité qu'elle est destinée aux adultes et aux adolescents (M. Emmanuelli
et C. Azoulay, 2009). Les planches 11, 19 et 16 ne renvoient pas à des objets concrets bien
définis. La planche 16 est blanche, le sujet est donc enjoint à raconter une histoire sans
support perceptif.
En vue de déterminer les procédés psychologiques auxquels ont recours les
adolescents durant la passation, nous utilisons la feuille de dépouillement présentée dans
l'ouvrage « nouveau manuel du TAT » réalisé par C. Chabert et F. Brelet (2003).

• le Rorschach :
Inventé par Herman Rorschach en 1920, c'est un test projectif destiné à évaluer la
personnalité. Il se compose de 10 planches sur lesquelles figurent des tâches d'encre
différentes les unes des autres tout en présentant des similitudes. Elles sont toutes ordonnées
selon une répartition symétrique de part et d'autre d'un axe central vertical. Elles se
différencient selon leur forme, leur caractère unitaire, entier, massif, coloré ou organisé selon
une répartition bilatérale marquée. Il est demandé à la personne testée de dire pour chaque
planche à quoi cela lui fait penser, qu'est-ce-qu'elle imagine à partir de ces images (C.
Chabert, 1997, p23) ou autrement formulé par N. Rausch de Traubenberg : « qu'est-ce-que
cela pourrait être ? ».
Selon les psychologues projectivistes orientés par la psychanalyse, chacune des
planches du Rorschach est susceptible de confronter le sujet à certaines problématiques
fondamentales du développement psycho-affectif de chaque être humain (angoisse de
castration, séparation, perte, différence des sexes, construction de l'identité, etc...). Ainsi
chaque planche renvoie à un contenu latent différent qui vient faire écho à la problématique
du sujet, et mobilise celui-ci dans un travail particulier de symbolisation des affects et des
représentations inconscientes et imaginaires qui se trouvent sollicitées en lui, par la planche.

157
Le sujet est ainsi amené à devoir trouver un équilibre, un aménagement entre d'une
part une prise en compte de la réalité perceptive pour ne pas fournir une réponse aberrante sur
le plan formel, ceci, tout en diffusant d'autre part, dans sa réponse, ses représentations
imaginaires qu'il projette sur la tâche d'encre qui lui est présentée. C. Chabert reprenant les
termes de N. Rauche de Traubenberg, écrit qu'il y a dans cette situation des « interférences
perceptives et projectives », signifiant ainsi le travail difficile d'élaboration entre perception
adaptée et projection que doit opérer le sujet. Ceci est le lot commun des épreuves
projectives, mais le Rorschach a cette particularité de condenser particulièrement cette
problématique d'interférence percept-projection, notamment parce que c'est un matériel non
figuratif. Ce caractère non figuratif favorise particulièrement la projection de l'imaginaire et
demande en même temps un effort perceptif plus soutenu. Cherchant à mieux spécifier ce
travail d'aménagement entre réalité perceptive et imaginaire, C. Chabert (1997) postule que
ce test sollicite particulièrement « l'aire transitionnelle ». C'est un concept introduit par
Winnicott (1975) qui désigne l'élaboration d'une aire de jeu dans l'entre-deux , « à mi-chemin
entre le réel et l'imaginaire, et dont l'accès suppose l'acceptation du paradoxe, de la double
appartenance interne-externe » (C. Chabert, 1997, p12). En cela, le Rorschach vient
particulièrement mettre à l'épreuve la limite édifiée par le sujet entre l'interne et l'externe, le
moi et le non-moi. Sont ainsi sollicitées les « enveloppes psychiques » (D. Anzieu, 1984)
dans leur fonction de délimitation et d'interface entre l'interne et l'externe. P. Roman (2015)
souscrit à cette hypothèse et développe d'autres perspectives de compréhension. S'étayant sur
les travaux de S. Freud sur le rêve, il postule notamment que le test du Rorschach mobilise la
régression du sujet vers un fonctionnement de pensée proche de celui du rêve. Cette
régression particulière permet la projection des représentations internes sur la planche,
projection qu'il compare à celle qu'opère le rêveur selon Freud (1917). Ainsi le rêveur
projetterait ses revendications inconscientes internes sur une scène externe rêvée mais
ressentie comme une expérience vécue (P. Roman, 2015). Le Rorschach solliciterait donc un
relâchement de l'emprise dans la perspective d'une « régression topique » caractéristique du
rêve - « régression du conscient à l'inconscient, en terme de première topique ou du Moi au
Ça en terme de deuxième topique » (P. Roman, 2015, p26). Cette régression se trouve
« accompagnée par les mouvements défensifs à même de garantir une suffisante intégrité des
instances de la psyché au travers de cette traversée » (p26) que constitue la passation du
Rorschach.
C. Chabert (1997) et P. Roman (2015) s'accordent également pour présenter ce test
comme un objet remplissant une fonction de tiers qui fait médiation dans la relation entre le

158
clinicien et le consultant ou le chercheur et le sujet. Ainsi la situation test « comprend trois
termes : le sujet, le test et le clinicien. la médiation va s'établir entre les personnes à travers
la médiation d'un objet tiers qui ne trouve sens que dans l'expression de l'un et l'écoute de
l'autre à travers un échange chaque fois spécifique et particulier. » (C. Chabert, 1997, p8-9).

5.2. Pertinence du TAT et du Rorschach avec les adolescents:

L'ouvrage de M. Emmanuelli et C. Azoulay « pratique des épreuves projectives à


l'adolescence » (2009) ainsi que les nombreuses recherches qui emploient le TAT et/ou le
Rorschach auprès d'une population adolescente, démontrent la pertinence de ces outils pour
approcher les problématiques psycho-affectives des adolescents. Ces deux tests sont souvent
utilisés de façon conjointe car l'un et l'autre se complètent pour donner accès à différentes
dimensions de la problématique du sujet. Ainsi les procédés d'élaboration mentale demandés
ne sont pas les mêmes pour chacun des tests : le Rorschach sollicite une tâche de figuration
tandis que le TAT sollicite plus la mise en récit ; « le Rorschach met à l'épreuve les limites
dedans/dehors, révélant les troubles identitaires sollicitant fortement le narcissisme » (M.
Emmanuelli & C. Azoulay, 2009, p3), tandis que « le TAT inscrit essentiellement ses
sollicitations dans le champ œdipien » (p3). Ces outils et l'utilisation psychanalytique qui en
est faite se sont révélés particulièrement aptes à retranscrire le travail psychique propre à la
période adolescente accompagnée de ses manifestations particulières. Ainsi, ces deux tests
font apparaître des procédés psychiques qui, hors du contexte adolescent, pourraient paraître
comme des signes pathologiques, mais qui en réalité traduisent le travail psychique
caractéristique de l'adolescence. Ces procédés entrent dans le champ de ce que M.
Emmanuelli et C. Azoulay (2009) nomment « les variations du normal » à l'adolescence,
désignant ainsi : « la réactivité marquée, la proximité pulsionnelle, l'intensité des
problématiques, les variations de niveaux de fonctionnement, la manifestation du narcissisme
exacerbé qui sont à entendre comme les signes de la santé psychique lorsqu'ils sont
accompagnés d'une souplesse psychique traduisant l'existence du refoulement, la richesse du
système défensif, l'ouverture de la scène psychique. » (2009, p3).

5.3. Investigation de la dynamique activité-passivité au T.A.T :

5.3.1. Au niveau du fantasme :

159
Les études de V. Shentoub et R. Debray (V. Shentoub & R. Debray, 1969 ; V.
Shentoub & R. Debray, 1970-1971a ; V. Shentoub, 1972-1973 ; V. Shentoub, 1990) sur les
processus psychologiques en jeu dans la passation du TAT ont conduit à considérer ce test
comme un test projectif dans la mesure où il sollicite la projection sur le matériel de
fantasmes inconscients. Ces auteures émettent l'hypothèse que le fantasme est ce qui motive
et permet la production de l'histoire au TAT : « sans la fantaisie sous-jacente réactivée par le
stimulus, porteuse, elle de désir et de défense, il n'y aurait pas de réalité, comme dirait
Lagache, ni d'histoire au TAT. » (1970-1971a, p898). Le TAT sollicite donc particulièrement
le rapport du sujet à sa vie fantasmatique. Le sujet qui se prête à la passation du TAT doit
donc opérer un aménagement entre réalité externe et fantasme pour produire une histoire
accessible à la compréhension d'autrui. Cette exercice est bien explicité par C. Chabert et F.
Brelet-Foulard (2003) : « devant telle ou telle sollicitation fantasmatique (la sollicitation
latente de la planche), la réponse/histoire, à travers sa forme, son contenu et leurs relations
dynamiques réciproques, traduit l'aménagement que le sujet se propose dans sa vie
fantasmatique, pour qu'elle devienne communicable à l'autre. » (p12).

Nous supposons donc que le TAT est un outil précieux pour investiguer la dynamique
actif-passif qui caractérise les fantasmes des adolescents.

Les fantasmes originaires que sont les fantasmes de castration, de séduction et le


fantasme de la scène primitive sont particulièrement sollicités par le TAT. Nous étayant sur
l'identification des sollicitations latentes des planches proposées par C. Chabert et F. Brelet-
Foulard (2003) nous distinguons certaines planches qui avivent particulièrement le fantasme
de séduction.
Le fantasme de séduction serait plus susceptible d'être activé aux planches 5, 7BM et
6GF :
La planche 5 donne à voir (et à interpréter) « une femme d'âge moyen, la main sur la
poignée de la porte, regardant à l'intérieur d'une pièce. » au niveau latent, c'est, entre autres,
« la figure de la mère apparaissant à la fois séductrice et interdictrice » qui risque d'être mise
en jeu. Dans la majorité des cas elle renvoie « à une image féminine/maternelle qui pénètre et
regarde » (C. Chabert et F. Brelet-Foulard, 2003, p46)
La planche 7 BM donne à voir deux hommes (dont on ne voit que les têtes) près l'un
de l'autre. L'un est manifestement plus âgé que l'autre. Le plus âgé est positionné légèrement
au dessus du plus jeune. Au niveau latent c'est le rapprochement père-fils qui est convoqué et

160
peut raviver les désirs homosexuels caractéristiques de l’œdipe négatif. Dans ce contexte, le
fantasme de séduction nous semble plus particulièrement susceptible d'être avivé chez le
garçon.
La planche 6 GF qui présente une jeune femme assise au premier plan, se retournant
vers un homme qui se penche sur elle, renvoie, au niveau latent, « à une relation
hétérosexuelle dans l'opposition conflictuelle entre désir et défense. Dans un contexte
œdipien, cette planche convoque les fantasmes de séduction de type hystérique : c'est
l'homme plus âgé (le père ou son substitut) qui est l'agent séducteur » (2003, p47).

5.3.2. Sur le plan des éprouvés :

Le TAT est également précieux pour évaluer la dynamique activité-passivité sur le


plan du rapport aux éprouvés d'excitation et d'affects. Nous étayant sur la distinction entre
passivité et activité que propose C. Chabert : passivité du côté de l'être affecté, excité par
l'autre, et l'activité du côté de l'emprise, du contrôle et de l'action sur l'objet. Nous seront
donc attentif à analyser à travers les réponses au TAT la façon dont les adolescents élaborent
les mouvements affectifs et l'excitation, et déceler les signes d'un recours excessif à des
procédés du registre de l'emprise.
C. Chabert (2004, 2011) s'est particulièrement penché sur la question de la dynamique
activité-passivité qui caractérise le fonctionnement des sujets inscrits dans une organisation
limite et narcissique de la personnalité. Ses observations nous permettent d'identifier au TAT
les signes d'un surinvestissement de l'emprise, du contrôle au détriment de l'être affecté,
excité par l'autre interne/externe. C. Chabert observe chez ces sujets, un surinvestissement du
percept externe, « des surfaces sensibles » (2011, p89) qui tend et vise à barrer l'accès aux
perceptions internes, ce dont témoigne l'absence d'expression fantasmatique et affective. Le
contrôle de, et par, l'externe permet de nourrir l'illusion précaire du contrôle des mouvements
internes qui font ainsi l'objet de contention plus que de contenance. La domination du registre
de l'emprise se manifeste par un surinvestissement de l'appréhension visuelle du percept.
« surinvestissement du visuel » pour « étouffer toute forme d'expression d'affect et surtout de
leur sens » (C. Chabert, 2011, p93). Il s'agit ici de contrôler par la vision, de ''tenir à l’œil''
dans une optique de surveillance (de ce qui peut surgir inopinément) et d'agrippement au
percept. Ceci a bien été exprimé par F. Neau (2002, 2005) a partir de la clinique projective
auprès d'auteurs d'agressions sexuelles. Elle repère au TAT, une tendance à l' « emprise
visuelle qui revêt une triple fonction défensive : elle protège le sujet de la violence du voir

161
(G. Bonnet, 1996) à laquelle le matériel le soumet, elle le protège de la différenciation à
laquelle la consigne avec son exigence narrative l'enjoint, mais elle le protège aussi de la
menace suscitée par la perte de la perception de l'objet. » (2005, p 53).
P. Denis (2001) constate lui aussi un lien entre emprise et difficulté d'élaboration des
affects, lien qu'il se propose d'expliquer en ayant recours au concept de répression. Il suppose
que le recours à la répression des affects favoriserait des émergences d'excitation
déstructurantes qui seront traitées sur le mode de l'emprise « c'est à dire essentiellement par
la mise en jeu de la motricité et le recours à des sensations provoquées » (p33). Le lien entre
répression et recours à l'agir se trouve confirmé par les observations de J. Y. Chagnon et A.
Cohen de Lara (2012) tirées d' épreuves projectives auprès d'enfants inscrits dans des
« pathologies de l'agir ». Ces auteurs évoquent la pulsion d'emprise particulièrement mise en
jeu dans ces problématiques et qui expliquerait en partie le recours à l'agir agressif. D'après
leurs observations, ces enfants tentent de maîtriser l'excitation libidinale particulièrement
menaçante en exerçant un contrôle agressif sur l'objet, l'agir agressif servant ainsi finalement
une visée d'emprise sur l'excitation libidinale.
Nous proposons donc d'être attentif à la dimension de l'agir au service de l'emprise tel
qu'il peut s'exprimer dans le comportement et les histoires des adolescents. F. Neau (2005)
proposait de considérer au Rorschach comme signe du fort investissement de la position
active, le nombre élevé de réponses kinesthésiques figurant des gestes qui renvoient à la
« maîtrise musculaire, l'appareil d'emprise » (p62). Nous inspirant de cette proposition, nous
seront attentif à repérer dans leurs histoires, les actions qui peuvent évoquer l'investissement
d'un agir qui renvoie à l'emprise sur soi, l'autre et l'environnement.

5.3.3. Sur le plan du rapport à la perte :

Plusieurs planches au TAT sont reconnues par C. Chabert et F. Brelet-Foulard (2003)


et plus récemment par d'autres chercheurs (A. V. Mazoyer, 2012 ; M. Guinard, 2016 ; F. D.
Camps, 2016) comme sollicitant directement l'élaboration de la perte : se sont les planches
3BM, 12BG, 13B et 16.
Nous considérons que le travail d'élaboration de la perte sollicite sur le plan de la
dynamique activité-passivité, un équilibre entre la passivité qui permet d'éprouver la douleur
de la perte (être affecté par), et l'activité particulière sollicitée par l'élaboration de la perte à
l'adolescence (activité créatrice, procédés divers de lutte contre la dépression). Sur le plan du
fantasme nous pouvons supposer que l'adolescent doit pouvoir se représenter, se penser dans

162
une ambivalence des positions, entre position passive (être abandonné, être exclu) et active
(partir, abandonner, exclure, s'exclure). Nous retrouvons ici la proximité avec le jeu de la
bobine qui permet à l'enfant d'opérer un retournement de la position passive ( être abandonné
par la mère) en position active (maîtrise sur le plan fantasmatique des allers et venues de la
mère représentée par l'objet projeté et ramené vers soi).

5.4 Investigation de la dynamique activité-passivité au Rorschach :

5.4.1. Sur le plan du fantasme :

Le Rorschach est reconnu comme sollicitant particulièrement la représentation de soi,


du fait de la structuration symétrique des planches et de son caractère non-figuratif qui met
plus en jeu la limite interne-externe. Il solliciterait donc d'avantage la représentation du corps.
Les fantasmes mobilisés devraient donc être d'une facture plus narcissique, c'est à dire
impliquant : les représentations fantasmatiques qui mettent en jeu les limites interne-externe ;
les relations spéculaires qui font écho aux expériences développementales précoces du sujet ;
le rapport au corps et l'identité sexuée.
Notre démarche de recherche est d'analyser la dynamique actif-passif au niveau des
fantasmes originaires, et plus particulièrement, le fantasme de séduction. Il nous semble que
ces fantasmes sont plus mobilisés au TAT ou en tout cas plus facilement analysables à partir
des protocoles de TAT. Le caractère plus figuratif des planches et les personnages représentés
favoriserait plus qu'au Rorschach une mise en scène des relations d'objets internes mises en
jeu dans les fantasmes. C'est pourquoi nous avons choisi de privilégier la passation du TAT,
étant bien conscient que la passation conjointe des deux tests est préférable.
Cependant, le Rorschach nous fournit tout de même des éléments précieux dans
l'abord de la dynamique du fantasme de séduction. Ce fantasme, nous l'avons vu, sollicite
fortement la différence des positions passive-séduit/active-séducteur (souvent assimilée à un
personnage phallique). Les planches qui sollicitent fortement cette différence feront donc
l'objet d'une attention particulière dans notre analyse des protocoles. Celle qui solliciterait le
plus la dynamique actif-passif serait la planche VI « mettant en jeu le mouvement pénétrant
(partie supérieure du stimulus en plein) et pénétré (partie inférieure, en creux). (P. Roman,
2015, p210 ». Deux études vont particulièrement dans le sens de la validation du contenu
latent de cette planche. M. Dollander et A. Lenoir (2003) emploient cette planche comme
principal indicateur de la difficulté d'accès à la position passive chez dix sujets insomniaques.

163
Leurs résultats de recherche ainsi que leur pratique clinique auprès des sujets insomniaques,
indiquent que cette planche mobilise fortement l'angoisse liée à la position passive chez ces
sujets. J. Y. Chagnon et A. Cohen de Lara (2012) observent chez les enfants inscrits dans le
champs des « pathologies de l'agir », de « vives réactions » à cette planche VI « qui signent
l'intensité de l'impact des sollicitations sexuelles sur le fonctionnement psychique » (p100).
Nous pouvons supposer que ces enfants, chez qui la pulsion d'emprise serait particulièrement
agissante (p101-102), sont mis à mal par la dimension passive (être pénétré, et peut-être aussi
écrasés ou mis à plat, étant donné la réponse cotée banale : peau d'animal) sollicité par cette
planche et/ou particulièrement excités par une représentation sexualisée caractérisée par la
répartition actif-phallique-pénétrant/passif-castré-pénétré.
Certaines planches mettent particulièrement en jeu l'investissement d'une position
passive ou active. Ainsi, au niveau de la dynamique fantasmatique du sujet, la planche IV est
susceptible de faire écho à la position active-phallique (et paternelle dans un contexte plutôt
névrotique) et la planche VII est susceptible de faire écho à une dimension maternelle et/ou
féminine (P. Roman, 2015). N. Rausch de Traubenberg (1970-90) postule que cette planche
VII « pousse le sujet à se situer par rapport au sexe féminin, à l'image féminine ou à l'image
maternelle » (citée par C. Chabert, 1997, p54). Sachant que l'élaboration du féminin à
l'adolescence sollicite fortement la position passive sur le plan fantasmatique, nous en
concluons que cette planche est susceptible de nous renseigner sur le rapport des adolescents
à la position passive fantasmatique.

5.4.2. Sur le plan des éprouvés :

Le Rorschach nous permet d'approcher la dynamique activité-passivité selon une


conception basée sur la définition que propose C. Chabert (1999, 2004) de la répartition
activité-passivité dans le rapport aux affects et à l'excitation pulsionnelle. D'un côté, la
passivité qui correspond à l'être affecté, excité par un « stimulus externe ou interne » (2004,
p710) et d'un autre, l'activité qui s'inscrit dans le champ de « l'exercice du contrôle et de la
maîtrise » (p710).
P. Roman (2015) nous indique les signes, au Rorschach des enfants et des adolescents, d'un
surinvestissement du contrôle. Il se manifeste par le recours exacerbé à des « modes
d'appréhension rigides (surinvestissement des réponses globales par exemple, détaillage
obsessionnel des planches, ruptures perceptives avec les (G), recours à des réponses de
détails oligophrènes sous-tendues par un processus de censure, intellectualisation …) ou au

164
travers de références appuyées à ce qui fonde le stimulus, dans sa matérialité et son
origine. » (p200). Le contrôle se manifeste également « au plan de l'élaboration des
représentations par une délimitation marquée à l'excès des contours des représentations »
(p200). Il donne, pour illustrer, l'exemple de sujets qui tracent le contour de la figure projetée
avec leur doigt. Le contrôle s'exprime par le recours à la motricité face à l'excitation suscitée
par la planche. Le mode d'engagement de l'adolescent dans le dispositif même de l'épreuve va
aussi nous renseigner sur son investissement du contrôle. Ainsi les commentaires qu'il fait sur
l'épreuve, les planches ou le clinicien, seront à prendre en compte pour évaluer sa propension
à désirer contrôler la situation et la relation au clinicien-chercheur.
Selon l'analyse de C. Chabert (2004, 2011) le surinvestissement de l'activité, dans le
cadre des fonctionnements limite et narcissique, et plus spécifiquement à l'adolescence, se
manifeste par un accrochage aux surfaces sensibles et aux percepts. Nous supposons que cela
est susceptible de se manifester par un sur-investissement des limites au Rorschach qui se
traduit notamment par une forte présence de réponses « peau ». Les réponses « peau » sont
toutes celles « dont le contenu se réfère à une enveloppe ou à un contenant » qui « évoque
une surface limitante entre dedans et dehors » (C. Chabert, 1998, p98). Pour évaluer cela,
nous aurons recours à la cotation des contenus élaborée par S. Fisher et S. E. Cleveland
(1958, 1970), « cotation barrière et pénétration » (voir en annexes la synthèse de cette
cotation proposée par P. Roman, 2015). Elle a été élaborée et développée en vue d'évaluer la
qualité des limites des représentations de patients somatiques et, par la suite, les cliniciens
français d'orientation analytiques (D. Anzieu, 1974 ; C. Chabert, 1998 ; M. Emmanuelli et C.
Azoulay, 2009) se sont appropriés cette cotation comme un outil d'évaluation de la qualité
des enveloppes psychiques.
Trois cotations sont possibles :
''barrière'' (B) correspond à ce que C. Chabert (1998) appelle des ''réponses peau'' ;
''pénétration'' (P) désigne les réponses qui évoquent « une effraction des limites (exemple :
une irruption volcanique, la radiographie d'un corps, un fantôme ...) » ; Barrière/pénétration
(BP) désigne la réponse qui « met en jeu un double mouvement entre contenance et
effraction ( exemple : un avion qui explose en vol, une maison délabrée …) » (P. Roman,
2015, p157).
Pour une bonne utilisation de cet outil auprès d'adolescents, il faut prendre en compte
les observations de M. Emmanuelli (1994) qui constate que les scores Barrière/pénétration
s'élèvent considérablement à l'adolescence en comparaison des normes établies par Fisher et
Cleveland (4B>2P).

165
Le rapport aux affects et à l'excitation, au sens de ''l'être affecté, excité par'', se
manifestera particulièrement à travers l'analyse du rapport à la sensorialité des planches, c'est
à dire la couleur, l'estompage et le clair-obscur. Les réponses sensorielles témoignent en
premier lieu, selon les projectivistes d'inspiration analytique, de « l'investissement du
matériel projectif dans le registre de l'affectivité. » traduisant « une forme de perméabilité du
psychisme à des modalités sensibles dans le rapport au monde environnant » (P. Roman,
2015, p133). Le surinvestissement de l'activité se manifesterait plutôt par l'imperméabilité
affective ainsi que par la décharge et/ou le contrôle de l'excitation concomitante à l'affect à
travers la motricité. L'investissement de la motricité à visée d'emprise peut se manifester par
des réponses incluant des Kinesthésies qui évoquent « l'appareil d'emprise » (F. Neau, 2005)
et par la gestuelle du sujet pendant la passation.

5.4.3. Sur le plan du rapport à la perte et à la dépendance :

Comme le notent M. Emmanuelli et C. Azoulay (2009) « au Rorschach, il est très


rare de trouver des représentations directes de la perte d'objet car le matériel ne s'y prête
pas contrairement au TAT » (p201). Cependant une analyse fine et globale du protocole de
Rorschach permet de mettre en évidence les indices d'un travail en cours d'élaboration de la
perte à l'adolescence.
Nous nous référons aux indices proposés par M. Emmanuelli et C. Azoulay (2009,
p205) pour évaluer la qualité de l'élaboration de la perte aux épreuves projectives des
adolescents. Elles proposent de considérer, dans cette perspective, les principaux signes
« d'évolution vers le dépassement de la position dépressive » que sont :
- « l'accès à l'ambivalence des sentiments témoignant de l'intégration d'un objet total à la
fois bon et mauvais et de l'intrication des mouvements pulsionnels agressifs et libidinaux ;
- la liaison entre affects et représentations ;
- la sensibilité à la perte objectale et/ou narcissique, la tonalité affective dépressive et/ou
l'évocation d'une situation dépressive rendant compte de la reconnaissance d'un vécu interne
de perte ;
- l'utilisation des modalités défensives en tant qu'indices de lutte contre la dépression
révélant les ressources psychiques mises en place par le sujet pour négocier la souffrance
dépressive. » (p205-206).

166
Plus spécifiquement, la dynamique activité-passivité dans le rapport à la perte pourra
être approchée à partir de l'étude de l'appréhension du blanc (espaces blancs dans les
planches). Selon P. Roman (2015) les modalités de construction des réponses à partir du
blanc nous renseignent sur l'élaboration de la position dépressive. L'espace blanc renvoie,
plus ou moins selon la problématique du sujet, au vide et au manque, confrontant
inévitablement au traitement de la perte. Nous serons attentif aux procédés défensifs rendant
compte d'une tentative de maîtrise des affects et des représentations qui surgissent en réaction
à l'espace blanc. P. Roman inscrit dans ce registre « les réponses globales-blanc ». Ce sont
des réponses qui englobent le fond blanc et l'engramme qui se détache sur le fond et « l'enjeu
de ce type de réponse semble être celui d'une saisie totale du stimulus, dans une forme de
maîtrise » (2015, p94).
La planche X en tant que dernière planche du protocole signifie la fin de la passation
et souvent la séparation prochaine d'avec le clinicien. Cette planche est donc susceptible
d'éveiller l'angoisse de séparation. Nous serons donc particulièrement attentif aux procédés
défensifs utilisés à cette planche.

VII. Les hypothèses opérationnelles :

• Hypothèse opérationnelle 1 :
À partir des informations recueillies selon plusieurs procédés méthodologiques
- entretiens avec les adolescents, dessins, entretiens avec deux enseignantes de classe-relais,
observations et échanges informels - nous nous attendons à observer une difficulté
particulière pour :
a) être affecté et excité par l'autre enseignant, avec une attention particulière portée à l'être
séduit.
b) s'éprouver et se représenter comme dépendant de l'autre enseignant
c) être formé-déformé par le biais de l'identification à l'enseignant
d) être sous l'emprise (normale) de l'enseignant, notamment au niveau du corps (élève
positionné par l'enseignant dans la classe, recadré par l'enseignant par rapport à son attitude,
interdit de sortir, etc...).

167
• Hypothèse opérationnelle 2 :
Nous nous attendons à observer aux tests projectifs :
a) une tendance à rejeter ou éviter la position passive fantasmatique et plutôt investir une
position active, c'est à dire, séduire plutôt qu'être séduit. La position active dans le fantasme
de séduction peut aussi prendre la forme masochiste d'un appel à la fustigation par l'adulte.
Ceci s'observera essentiellement à travers les récits au TAT.
Au Rorschach le rejet de la position passive et l'investissement d'une position active
au niveau fantasmatique peut transparaître dans les réponses et réactions aux planches II, IV,
VI (spécialement) et VII.

b) l'investissement, face à la perte et la dépendance, d'une position active visant


exclusivement l'emprise, ce qui se traduira :
- au TAT par une identification à des personnages qui abandonnent au lieu d'être abandonnés
ou pallient activement à la perte et à la solitude en ayant recours à des procédés à visée
d'emprise (sur soi, sur le matériel, sur le clinicien).
- au Rorschach, par un traitement particulier des espaces blancs traduisant une visée de
maîtrise. Le recours à des défenses de l'ordre de l'emprise à la planche X.
- au TAT comme au Rorschach par l'évitement ou la répression des affects associés à la perte
et à la dépendance.

c) une tendance à surinvestir le percept et le visuel au détriment de l'expression affective


qui se traduira :
- au TAT, par un faible recours à certains procédés de la série Labilité que sont les
expressions d'affects (B1-3), les affects forts ou exagérés (B2-2), la mise en avant d'affects au
service du refoulement des représentations (B3-1) et l'érotisation des relations (B3-2). Nous
observerons un fort investissement de l'activité de voir manifesté par le sujet ou attribué aux
personnages de ses histoires. Ceci, associé à de nombreux procédés de type CF-1 (accent
porté sur le quotidien, le factuel, le faire), CN-4 (insistance sur les limites et les contours et
sur les qualités sensorielles) et CL-2 (appui sur le percept et ou le sensoriel).
- au Rorschach, par les indices d'un surinvestissement du contrôle et l'élévation au dessus de
la normale du nombre de réponses ''peau '' proportionnellement au nombre de réponses
''pénétration''. Associé à cela, nous constaterons au Rorschach, une faible prise en compte des
éléments sensoriels des planches (couleurs, estompage, clair-obscur).

168
d) un fort recours à l'agir à visée d'emprise se manifestera à travers leur comportement
durant la passation des tests, ainsi que par le recours à des figurations au Rorschach et des
récits au TAT qui mettent en scène des agirs évoquant « l'appareil d'emprise » (prendre,
grimper, attraper, etc.).

Nous nous étayerons également sur les entretiens avec les adolescents et les deux
enseignantes de classe relais pour déterminer dans quelles dynamiques activité-passivité
s'inscrivent les adolescents. Nous nous appuierons aussi sur nos observations des
comportements des adolescents en classe et sur nos échanges avec les professionnels des
classes relais (éducatrice, adultes relais, enseignantes).
Nous nous attendons à ce que les éléments cliniques recueillis à travers ces différentes
voies d'investigation (entretiens, échanges informels et observations in situ) fassent apparaître
que la majorité des adolescents sont inscrits dans une dynamique activité-passivité
caractérisée par le rejet de la passivité associé a un surinvestissement de l'activité sur le
versant de l'emprise.

Nous choisissons de ne pas traiter les hypothèses 1 et 2 séparément, mais plutôt


conjointement dans la mesure où rejet de la passivité et position passive dans la relation à
l'enseignant nous semble relever tout deux de la dynamique activité-passivité dans laquelle
s'inscrit l'adolescent. Nous allons donc éclairer l'expérience relationnelle exprimée par les
adolescents, à la lumière de ce que nous pouvons déduire de la dynamique activité-passivité
qui caractérise leur fonctionnement psychique. Nous souhaitons que notre analyse prenne la
forme d'un aller-retour constant entre d'une part, le vécu et la représentation de la relation à
l'enseignant, et d'autre part, l'analyse de la dynamique activité-passivité mise en jeu.

169
170
PARTIE 3:
RÉSULTATS
Nous proposons quatre champs d'investigation de la dynamique activité-passivité sur
les plans de l'intrapsychique et de la relation inersubjective aux enseignants.

Ces quatre champs d'investigation sont :


A- les représentations et les fantasmes
B- la problématique de la dépendance
C- la transmission et l'identification intergénérationnelle
D- le trajet qui va de la passivité de l'éprouvé à l'activité créative ... en passant par le corps

La présentation de nos résultats s'organisera selon ces quatre champs d'investigation.

Chapitre A. Dynamique activité-passivité dans le champ des représentations et des


fantasmes :

I. La question de la séduction dans la relation enseignant-élève :

Presque aucun des adolescents rencontrés ne fait part de l'expérience d'être séduit,
captivé par un discours et une attitude de l'enseignant qui attise la curiosité vers le savoir
scolaire. Est absente de leur discours une représentation qui mettrait en scène un élève passif
captivé ou seulement intéressé par un enseignant en position active qui les abreuve de son
savoir. Aucun adolescent ne relie la qualité de la prestation d'un professeur avec le fait d'être
intéressé par le savoir transmis. L'intérêt pour certaines matières est en général dissocié de
l'action du professeur, c'est à dire, que c'est la matière en elle-même qui les intéresse, peu
importe le professeur chargé de la transmettre. Nous ne trouvons a priori pas de trace dans le
discours des sujets d'une dissymétrie actif-passif selon la répartition séducteur-enseignant /
séduit-élève(s).
Cependant, un bon nombre d'adolescents nous disent plus ou moins explicitement par
le discours ou par le dessin, que l'effort qu'ils vont fournir pour s'inscrire dans le travail
scolaire et le respect des règles, va dépendre de certaines qualités de l'enseignant auxquelles
ils sont sensibles. Ce sont avant tout des qualités d'écoute, d'attention et, pour un certain
nombre de sujets s'ajoute à cela l'attente d'une capacité à installer dans la relation avec eux
et/ou le groupe classe, une atmosphère empreinte d'une certaine familiarité.

171
Ainsi, au moins neuf sujets (Édouard, Yassine, Helder, Naïma, Hans, Oscar, Idir,
Selma, Ibrahim) reconnaissent avoir été touchés, marqués par certains professeurs qui les ont
aidés et/ou qui leur ont donné le sentiment d'être écoutés. Trois sujets (Selma, Aymeric et
Aurélien) réalisent un dessin qui indiquent une attente d'écoute et d'attention privilégiée.
Selma, Idir et Yassine disent avoir particulièrement investi des enseignants qui
faisaient preuve d'une écoute et d'un soutien équitable pour tous les élèves.
Édouard se souvient d'une maîtresse de CE2 particulièrement investie, dont il dit
« elle trouvait que j'étais intéressant et que je posais pas mal de questions » et dit qu'il a
arrêté de fournir des efforts sur le plan scolaire au niveau du collège notamment, parce qu'il
avait le sentiment que ses efforts n'étaient pas reconnus par les professeurs - « les profs ils
disaient rien, donc ça m'a soûlé » -. Édouard dit ne pas travailler scolairement quand il
n'aime pas le professeur. Ainsi, l'enseignant est tenu de se faire aimer (donc séduire) s'il
souhaite qu’Édouard fasse des efforts, se faire aimer passerait entre autres par signifier à
Édouard qu'il est « intéressant » et reconnaître les efforts fournis.
Oscar signifie bien qu'il s'investit comme élève auprès d'un enseignant, à condition
qu'il lui donne l'impression d'être heureux d'enseigner au groupe d'élèves dont il fait partie.
Nous avons tendance à interpréter ceci comme une attente que l'enseignant montre qu'il aime
être en relation avec les élèves (et peut-être avec lui particulièrement). Ainsi selon Oscar
l'enseignant « doit montrer qu'il n'est pas là juste pour faire son travail et rentrer chez lui », il
doit « enseigner dans la bonne humeur » et ajoute « si vous montrez que vous n'êtes pas
énervé, les élèves vont pas chercher à vous énerver en retour ». Il donne l'exemple d'une
professeure principale qui lui semblait énervée sans raison apparente commentant « je sais
pas si elle se levait mal le matin mais ... ». Oscar nous dit qu'en réaction à cette mauvaise
humeur ressentie, il avait tendance « à faire des blagues » qui avaient le don d'énerver cette
professeure « encore plus ». Oscar est particulièrement sensible à (et questionné par)
« l'humeur des professeurs » : « je pense que l'humeur des professeurs c'est en rapport avec
leur matière (?) peut être qu'il y a des profs qui sont énervés parce que leur cours est
ennuyant ». Il nous dit que son principal problème de comportement est qu'il fait des
« blagues » en classe et que ça énerve les enseignants la plupart du temps. Il semble que les
professeurs les plus investis seront ceux qui se montreront, d'une certaine manière, séduits
par ses blagues. Ainsi les professeurs les plus investis par lui seraient ceux dits ''cool'' parce
qu'ils « rigolent » souvent.
Ibrahim reconnaît avoir investi particulièrement la relation à des enseignantes qui ont
été sensibles à ses difficultés et ont procédé à des aménagement spécifiques pour le soutenir

172
dans sa scolarité. Il a apprécié des enseignant(e)s qui lui semblaient accorder une attention
équitable à chacun des élèves et manifester un intérêt pour les pensées et vécus exprimés par
les élèves.
Naïma nous dit qu'elle attend de ses professeurs une compréhension de ses difficultés
scolaires.
Hans nous parle d'une professeure des écoles particulièrement investie parce qu'« elle
était beaucoup là pour moi, on parlait beaucoup ».
Helder nous dit que l'enseignante qui lui a laissé le souvenir le plus positif est son
enseignante de UP2A (Unité Pédagogique pour Élèves Allophones Arrivants) qui devait
l'initier à la langue française suite à son arrivée en France vers l'âge de 10-11ans. Il souligne
notamment qu'elle était toujours à l'écoute - « elle nous écoute toujours ».
Plusieurs dessins sont révélateurs de cette attente d'écoute et d'étayage parfois peu
formulée dans le discours mais exprimée à travers le dessin. Aurélien dessine un élève et un
professeur qui se serrent la main à la fin du cours. Le professeur dit à l'élève « c'est bien
continue » et l'élève répond « merci ». Selma dessine un enseignant doté d'une grande oreille
en train d'écouter un élève. Aymeric dessine un enseignant de mathématiques qui a gardé un
élève en retenue et lui demande « tu veux de l'aide ? », et Aymeric précise « ce n'est pas
parce que un prof met en retenue que ça veut dire qu'il est méchant (le professeur). ».
Aurélien et Aymeric n'ont pas pu exprimer par le discours leur investissement d'une figure
enseignante à l'écoute et étayante mais se saisissent du dessin pour manifester leur attente
d'un étayage dans la relation duelle enseignant-élève.

D'après le discours des élèves, ainsi que celui des deux enseignantes de classe relais, il
semble que les pré-adolescents et adolescents accueillis en classe relais tendent à faire des
efforts à condition d'aimer la personne enseignante, se sentir aimé ou au minimum investi
comme quelqu'un qui a des capacités et en qui on peut avoir confiance. Ainsi Madame B
nous dit que ce type de propos se retrouve systématiquement chez les élèves de classe relais :
« Je l'aime ou je la hais, j'aime tel(le) prof donc je travaille pour lui ou elle, je le hais donc je
ne ferais rien dans sa matière. » (ligne 100-105). Selon Madame K, la plupart des élèves de
classe relais ont besoin de se sentir reconnus et de sentir que l'enseignant leur fait confiance :
« la plupart ils essayent de combler les lacunes sans être trop courageux mais surtout qu'on
leur donne à nouveau confiance. Ils ont envie de gagner la confiance, ils ont envie de
montrer qu'ils peuvent faire quelque chose comme les autres. » (ligne 503-505).

173
Le discours des sujets révélant une attente d'un enseignant attentif et à l'écoute, ainsi
que le discours des deux enseignantes de classe relais, tend à nous faire penser que
l'investissement des sujets dans les apprentissages va dépendre du sentiment d'être écouté et
d'être l'objet de l'attention bienveillante de l'enseignant. Il nous semble que se dessine une
certaine logique de l'investissement de la relation au professeur et du travail scolaire régie par
un principe du ''donnant-donnant''. Nous pourrions formuler cette logique ainsi : « si le
professeur satisfait à mon besoin d'attention, d'être écouté et soutenu, je suis attentif et je
l'écoute en retour ».
A partir de ces observations, il semble que onze sujets peuvent investir et formuler
plus ou moins explicitement une certaine expérience de séduction dans la relation
pédagogique, qui est avant tout séduction par les qualités d'écoute, d'attention et de soutien
du professeur. Ces expériences et représentations de la relation pédagogique positive, voire
idéale, se caractériseraient par une attention et un investissement réciproque entre les
partenaires (élève(s) et enseignant) de la relation pédagogique, ce qui tend à nous conduire
vers une représentation de la scène de séduction (pédagogique) plus symétrique, plus
interactive, où se joue plus une ''inter-séduction'', une inter-action entre l'un et l'autre. Ces
adolescents seraient donc plus susceptibles d'être sensibles à une séduction narcissique moins
dissymétrique, plus mutuelle, où chacun élève et professeur reflète à l'autre qu'il est digne
d'attention et d'affection.
Ces adolescents solliciteraient particulièrement l'enseignant dans sa capacité à mettre
en œuvre une certaine séduction qui pourrait s'apparenter à ce que M. Cifali (1994) décrit et
qui consiste à « être proche des désirs de l'autre, lui procurer ce qu'il attend, ne pas le
heurter, lui retourner ce qu'il espère. Cela signifie que l'on s'efforce de donner ce que l'on
croit être attendu, que l'on gomme ce qui pourrait venir en différence. Savoir dès lors qui est
l'autre et ce qu'il veut puis correspondre à cette image telle est l'un des trucs. » (p190-191).

Selma, Édouard, Hans, Oscar, Helder et Ibrahim, chacun à leur façon, expriment
clairement une demande de familiarité dans la relation aux enseignants. Familiarité avec
l'enseignant qui rigole (Hans, Oscar), fait des blagues (Selma, Oscar) discute, débat avec les
élèves (Ibrahim). Helder dit sa nostalgie des enseignants de l'école élémentaire qu'il avait
lorsqu'il habitait au Cap Vert et qui l'invitaient chez eux, dans leur maison. Ibrahim est
également nostalgique d'une certaine familiarité dans la relation aux enseignants
d'élémentaire en Algérie. Dans les cas d'Helder et Ibrahim, la recherche de familiarité prend
donc des accents de paradis perdus (mais tout de même recherchés). Édouard n'exprime pas

174
vraiment à travers son discours un désir de familiarité, cependant nous constatons qu'il a une
forte tendance à faire des blagues en classe manifestement destinées à faire rire l'enseignante,
pendant les temps de cours ou à des moments que nous pourrions dire informels.
L'enseignante se montre souvent ''bon public'' installant ainsi une familiarité dans la relation.
C'est aussi le cas, nous semble-t-il de la relation entre Ibrahim et l'enseignante de classe
relais. Nous avons vu que l'installation d'une atmosphère familière dans la relation
enseignant-enseignés est selon B. Pechberty (2015), étroitement dépendante de la possibilité
d'instaurer une séduction narcissique « créative » ouverte à la « reconnaissance réciproque
des différences et des places de chacun » (2015, p165).
Ces derniers éléments viennent renforcer l'hypothèse de la recherche d'une séduction
plus inscrite du côté de la séduction narcissique, et nous avons vu que sur le plan de la
dynamique activité-passivité, la séduction narcissique se caractérise par une activité mutuelle
la distinguant des séductions originaire et œdipienne plus dissymétriques, dans la mesure où
l'un est actif (séducteur) et l'autre passif (séduit).
Nos observations corroborent les résultats de Janosz et al. (2000) qui constatent que les
élèves à risque de décrochage scolaire sont particulièrement sensibles à la bienveillance et à
l'attention des professeurs. Nos résultats vont également dans le sens de ce qu'observent C.
Blanchard-Laville (2001) et B. Pechberty (2015), à savoir que la séduction narcissique
tempérée est fortement impliquée dans l'instauration d'un bon climat relationnel et groupal
favorable à l'enseignement. Il s'agirait entre-autres par la séduction narcissique, d' « amortir
la disparité et soutenir l'échange entre deux personnes qu'unit une ressemblance profonde et
que sépare une énorme différence. » (P. C. Racamier, 1995/2010, p7).

Six sujets (Imen, Ophélia, Dorian, Kevin, Georges, Sinan) n'expriment a priori, ni
dans le contenu manifeste de leur discours, ni dans le dessin, la moindre trace de
l'investissement d'une quelconque séduction (narcissique ou œdipienne) dans la relation aux
enseignants de collège et de l'élémentaire.

Nous observons donc que les sujets ne semblent pas sensibles à ce qui est du ressort
d'une séduction dissymétrique plus œdipienne et plus inscrite dans la génitalité dans le cadre
de la relation à l'enseignant. En effet, nous n'identifions aucune trace de la configuration
génitale du scénario fantasmatique de séduction propre à la relation enseignant-enseigné, qui
positionne d'une certaine manière l'enseignant comme fécondant l'esprit de l'élève par
l'intermédiaire de la transmission du savoir, produisant un effet de révélation, de

175
« dépucelage » (Kaës, 1975). En somme, n'apparaît pas a priori dans leur discours la
dimension initiatique de la relation pédagogique qui repose sur un « désir d'engendrement :
désir d'une procréation et désir d'une naissance » (J. Filloux, 1983, p18) et met en scène une
complémentarité (un accouplement ?) entre un enseignant-initiateur et un élève-initié.
La majorité des sujets de notre recherche s'inscrivent peut-être de façon excessive
dans la séduction narcissique avec les enseignants au détriment d'autres types de séductions
(originaire, œdipienne, initiatique) qui laissent plus d'espace à la différence des places
(reposant notamment sur la différence des générations) et à la dissymétrie actif/passif.
Nous pouvons nous demander si l'absence de trace de séduction initiatique, dans le
discours des élèves, ne traduit pas un mouvement défensif contre la position passive de
l'adolescent dans le fantasme de séduction éveillé par la relation élève-enseignant.
Les épreuves projectives peuvent nous apporter des éléments de réponse.

II. La séduction aux épreuves projectives :

1. Érotisation au TAT :

Nous observons tout d'abord que dans la majorité des cas, les relations mises en scène
au TAT sont dénuées d'érotisation. Ce qui est de l'ordre du sexuel ne peut trouver une voie
d'expression. Nous supposons que la dimension érotique désignant le lien d'amour sexualisé
dans la relation à l'autre et plus particulièrement de la relation à l'adulte est difficilement
élaborable pour la plupart des adolescents, faisant l'objet d'une répression ou d'un
refoulement drastique. Ainsi, à la planche 4 qui représente un couple homme-femme, le lien
d'amour dans le couple est difficilement évoqué spontanément, ou, s'il est évoqué
spontanément, ne peut être développé à travers la construction d'un scénario. Cela va de la
tendance au refus après avoir reconnu le statut de couple formé par les personnages (Idir et
Hans) - exemple : Idir : « c'est un couple et … j'sais pas. Elle me dit rien cette image. (?)
j'sais pas ils regardent quelque chose » -, à des réponses où le lien de couple n'est pas
reconnu, ou du moins mentionné spontanément (Aymeric, Édouard et Sinan), avec des
réponses mettant en scène une femme qui tente de retenir l'homme, mais sans mentionner
aucun affect qui viendrait souligner l'attachement de cette femme à cet homme (Georges,
Selma, Imen).

176
La thématique sexuelle et le lien d'amour homme-femme sollicité par la planche 13 MF fait
l'objet d'un évitement. Dans trois cas (Aymeric, Sinan, Édouard) le scénario présente un
homme qui part au travail sans réelle prise en compte de la femme allongée torse dénudé en
arrière plan. Dans trois autres cas (Georges, Imen et Naïma) c'est un scénario de meurtre sans
expression d'un lien de couple entre les personnages. Idir manifeste comme à la planche 4
une tendance au refus après avoir reconnu un lien de couple entre l'homme et la femme :
« déjà y a un homme et une femme. J'dirais qu'ils sont chez eux (et il conclut après un long
temps de latence) ça me dit rien. ». Chez Selma la préoccupation par rapport au sexuel dans
le couple transparaît, mais fait l'objet d'une forte inhibition qui se manifeste par des
hésitations et des interruptions dans le fil du discours : « une dame, un monsieur. La meuf soit
elle dort...(elle s' interrompt et son attention se tourne vers l'homme) il cache sa tête. Soit il
est fatigué, il vient de se réveiller avec la dame soit … (elle s'interrompt et je la relance) c'est
bizarre parce qu'il n'y a qu'une place dans le lit donc il n'a pas pu dormir avec elle (?) Soit il
a vu quelque chose qu'il ne voulait pas voir. ».
Les réponses fournies à la planche 10 qui représente deux personnes enlacées
suggèrent un rapport difficile des adolescents à la sexualité. Plusieurs adolescents parlent de
deux personnes qui se font « un câlin » (Naïma, Idir, Édouard) mais ne précisent pas le lien
qui unit ces deux personnes, lien d'amour ou de tendresse, lien conjugal ou amical et en
restent à ce simple constat sans pouvoir construire un scénario. Sinan évoque simplement
« deux personnes en train de parler et qui dorment ensemble ». Ce manque de précision peut
signifier combien la représentation du rapproché physique éveille des motions pulsionnelles
difficiles à élaborer. L'imprécision porte aussi sur le sexe des protagonistes pour quatre
adolescents (Idir, Édouard, Aymeric, Sinan). Oscar qui est un de ceux qui, nous semble-t-il,
peut le mieux élaborer les pulsions sexuelles, manifeste pourtant par sa réponse combien la
représentation du rapproché physique entre homme et femme est associée à une menace
narcissique de dissolution des corps : « j'sais pas (?) j'vois rien là ! (?) un Monsieur et je
pense une dame (?) en fait on dirait qu'il sont en train de se décomposer (ah ! Oui?) y a des
bouts de corps qui disparaissent . Ils disparaissent comme ça (il désigne les parties sombres
de l'image)». Aymeric insiste sur ce qu'il perçoit comme une absence de bouche des
personnages : « deux personnes, on dirait elles n'ont pas de bouche (vraiment ?) lui il n'a
vraiment pas de bouche !». Il nous semble que l'absence de bouche vient dire, entre autres
choses, qu'Aymeric évite d'aborder la thématique sexuelle et plus largement la relation de
proximité intime à l'autre en ayant recours à une défense archaïque d'amputation de la
bouche. Sa réponse fait écho à une phrase à laquelle il a souvent recours dans la relation aux

177
autres élèves : il dit souvent « ta bouche ! » pour signifier à l'autre camarade de se taire. Il
aurait également dit à un professeur « ferme ta bouche ». Georges et Helder voient dans cette
image une relation tendre parent-enfant (mère-fils pour Georges et père-fils pour Helder).
Leurs réponses viennent signifier le désir d'une relation de proximité étayante à une figure
parentale qui n'en demeure pas moins incestueuse en cette période particulière qu'est
l'adolescence.
Dans ces conditions d'une difficulté manifeste à élaborer l'érotisme qui s'infiltre dans
la relation à l'autre, comment le fantasme de séduction, dans la relation à l'adulte susceptible
d'incarner une figure parentale, peut-il être accueilli et élaboré ?
Les protocoles de TAT là encore nous donnent des éléments de réponse.

2. Élaboration de la séduction et de la position passive au TAT :

Le fantasme de séduction dans sa version génitale étant étroitement lié à la position


passive vis-à-vis du père, nous supposons que la figuration au TAT d'une position passive
dans la relation au père est le signe d'une possibilité d'élaboration du fantasme de séduction.
Nous avons donc analysé principalement les signes d'une possible élaboration d'une position
passive dans la relation à une figure paternelle. Pour ce faire nous nous sommes centré sur les
réponses à la planche 7BM pour les garçons et à la planche 6GF pour les filles (nous avons
fait passer la planche 6GF à certains garçons aussi).
Nous observons chez cinq sujets, quatre garçons et une fille, l'évitement d'une
position passive et l'adoption d'une position active dans la relation à une figure masculine
susceptible d'incarner une figure paternelle.

• Réponses des quatre garçons à la planche planches 7BM :


Aymeric : « Ça me fait penser quand il y a eu les attentats et qu'il y a un homme venu dire à
François Hollande qu'il y avait des attentats. » (F. Hollande est le personnage le plus jeune à
droite). Ici les positions de pouvoir tendent à être inversées dans la mesure où le personnage
situé en position inférieure sur le plan spatial (et sur le plan des générations) joue le rôle du
président. La différence des générations n'est pas figurée dans cette réponse.
Hans : « Deux hommes peut-être en train de parler, de penser, de réfléchir (?) peut-
être qu'ils parlent de femmes. ». Les deux hommes sont actifs (activité de penser, parler ,
réfléchir) et la différence des générations n'est pas figurée.

178
Sinan : « Là je sais pas. Peut-être qu'ils sont en train de parler d'une histoire, d'une
affaire (?) ils ont eu un vol et ils font un plan pour essayer d'arrêter la personne. ». Les deux
hommes sont actifs, tournés vers un objectif commun : attraper le voleur. Il n'y à pas de
différence des générations.
Georges : « Deux vieux hommes qui se parlent. Ils sont pensifs (a quoi pensent-ils ?)
ils pensent quelque chose que je ne pourrais pas voir là dedans. ». Il n'y à pas de différence
des générations signifiée. Les deux hommes sont inscrits dans la même activité (penser).
Georges manifeste ce qui peut être interprété comme une tentative échouée d'emprise par le
voir (voir ce qu'ils pensent).

• Réponse de Hans à la planche 6GF :


« Une femme en train de disputer son mari, peut-être parce que il fume trop. ». Nous
observons une inversion des positions passives et actives dans la mesure où cette planche
sollicite une configuration relationnelle de séduction où l'homme est actif (séducteur) et la
femme plutôt en position passive (séduite, choquée).

• Rapport de Selma à la séduction selon ses scenarii au TAT :


Selma répond ceci à la planche 6GF « Un monsieur et une dame qui se parlent. Ça se
voit que c'est des riches, après rien de spécial. ». La dimension de la séduction n'est donc pas
reconnue et les deux personnages sont actifs (parlent). Cependant certains signes trahissent
peut-être une forte fantasmatique passive dans la relation homme-femme à travers ses
scenarii aux planches 5 et 8BM. Planche 5 : « Une vieille. On dirait que elle surveille
quelque chose ou quelqu-un. Elle a l'air inquiète. Elle surveille quelqu'un ou a peur que
quelqu'un rentre chez elle. ». Ici, ce serait l'angoisse qu'un étranger s'introduise chez elle qui
s'exprimerait. Il s'agirait donc d'une angoisse d'intrusion par l'étranger qui implique une
surveillance anxieuse. Planche 8BM : « Un enfant , on dirait qu'il a une arme à la main,
mais derrière il y a des gens qui font quelque chose à une dame. On dirait que … je sais pas
si il va la tuer (?) on dirait qu'il est plus en train de la libérer en fait. J'sais pas en fait,
j'arrive pas à voir. ». Une des particularités notables de ce scénario est que Selma voit une
dame là où il s'agit manifestement d'un homme représenté en position couchée et torse nu sur
l'image. Nous en déduisons que c'est la force du fantasme qui a conduit Selma à modifier
l'identité sexuée du personnage en faisant fi de la réalité perceptive (c'est un homme), et ce
fantasme semble bien mettre en scène des hommes « qui font quelque chose à une dame ».

179
Selma serait donc fortement travaillée par une fantasmatique passive érotisée mais celle-ci
reste difficilement élaborable et mobilise des défenses rigides qui tendent à la faire taire
plutôt que de trouver des compromis. Nous sommes donc plutôt dans l'emprise active laissant
peu de place à l'élaboration de la passivité sur le plan du fantasme de séduction.

• quatre sujets, trois garçons et une fille, peuvent figurer la position passive dans la
relation à une figure paternelle :
Idir : « Un vieux Monsieur et un jeune homme. Le jeune homme a l'air déprimé ou je
sais pas et le vieux monsieur le regarde avec un sourire. (?) le vieux monsieur lui a fait une
blague et le jeune homme ça ne lui a pas plu. ». Nous observons une dissymétrie des
positions entre un vieux monsieur actif qui fait une blague et un jeune homme passif car
déprimé, subissant l'effet de la mauvaise blague. Cependant, Idir semble particulièrement mis
à mal par la problématique de la séduction sollicitée à la planche 6GF : « Le Monsieur
derrière, il demande quelque chose à la dame. La dame le regarde bizarrement et elle a un
truc bizarre, quelque chose qui est tombé (?) sur sa poitrine, un bout de fromage sur sa
poitrine. (que se passe-t-il?) ils discutent. ». La problématique de la séduction œdipienne ne
peut être abordée et induit une régression vers l'oralité « un bout de fromage » dans la relation
à un objet partiel maternel érotique « sa poitrine ».
Oscar nous raconte ceci à la planche 7BM : « C'est deux monsieur. Il y a celui du bas
on dirait qu'il est un peu blasé, comme si lui [personnage de gauche] il lui demandait de
faire un choix. Euh … un choix... (?) un choix décisif dans sa vie. » La différence actif-passif
s'exprime à travers la différence haut/ bas du positionnement des personnages. Celui du haut
(personne manifestement plus âgée) impose un choix à l'autre personne identifiée comme
« celui du bas ».
Helder, planche 7BM : « Lui c'est un professeur avec une cravate et lui c'est un élève.
On dirait qu'il lui donne des conseils. Il lui dit « calme toi pour la prochaine fois, le prochain
cours » » ; la différence des positions actif-passif est signifiée à travers la différence entre le
professeur (avec cravate) qui donne des conseils et l'élève qui les reçoit.
Naïma nous raconte à la planche 6GF : « On dirait que c'est un homme qui a dit à la
femme quelque chose de choquant et la femme comprend pas, et l'homme, ça a l'air de lui
faire plaisir ce qu'il a dit à la femme. ». La différence actif-passif caractéristique du fantasme
de séduction prend ici la forme d'une dissymétrie entre un homme choquant et une femme
choquée.

180
Dans le cas de Imen et Ophélia, la séduction semble faire peser la menace d'une
position traumatique d'être dominée-intrusée par l'autre plutôt masculin. La crudité des
représentations mises en jeu nous évoque la version mélancolique du fantasme de séduction
féminin telle que l'a décrit C. Chabert (1999, 2011).
Imen peut, à la planche 6GF, verbaliser les éprouvés de la femme en situation d'être
affectée mais ne peut pas relier ces affects avec la représentation d'une action de l'homme sur
la femme. Planche 6GF : « Une dame surprise, choquée (?) c'est tout [long temps de latence
avant de retourner l'image] ». Imen présente aux planches 3 et 13MF des scenarii mettant en
scène la femme en position d'être violentée. Planche 3 : « On dirait une personne triste (?)
peut-être qu'on l'a frappée. » ; planche 13MF : « Un monsieur qui vient de se lever et une
dame allongée qui dort. On dirait un peu qu'elle est morte (?) peut-être qu'il l'a violée ou
tuée. ». Au vu de ces réponses, nous supposons que la représentation de la femme violentée,
intrusée est susceptible d'imprégner le scénario fantasmatique de la séduction.
Ophélia présente des réponses aux planches 2 et 3 qui renvoient à une image de la
femme violentée et dominée. Planche 2 : « Ça fait penser à euh... à l'époque dans la
campagne avec des femmes qui font tout le ménage et tout ça. Comme des esclaves ( et
l'homme?) j' saurais pas dire. » ; planche 3 « Une femme triste, j'sais pas, qui a été battue,
frappée et c'est tout ce que j'pourrais dire ».
Les réponses données par ces deux sujets présentant la femme sous domination et
violentée peuvent être le signe d'un fantasme masochiste particulièrement à l’œuvre, à
concevoir comme une forme détournée du fantasme de séduction par une figure paternelle.
C'est le fantasme un enfant est battu qui serait mis en jeu, permettant qu'opère l'équivalence
inconsciente entre être battu et être coïté par le père. Dans la version mélancolique du
fantasme de l'enfant est battu, le sujet reste bloqué à la deuxième phase « le père me bat » ne
parvenant pas à opérer le refoulement et le déplacement des éléments de cette représentation
pour construire et investir un scénario fantasmatique moins frontalement incestueux qui met
en scène un substitut du père battant des enfants. C. Chabert écrit que « la seconde phase,
inconsciente, construction de l’analyse, surgit chez elles (des adolescentes présentant des
troubles thymiques sévères) sur le devant de la scène, s’imposant comme «réelle» et
emportant avec elle la conviction tenace d’avoir séduit le père, en déclenchant une violence
aussi sidérante qu’inattendue. » (2011, p37). Dans l'éventualité où Imen et Ophélia seraient
porteuses d'une version mélancolique du fantasme de séduction, elles se positionneraient sur
un versant plutôt actif (séduire le père) que passif (être séduites par le père). L'objectif de
cette configuration fantasmatique aurait pour objectif principal nous dit C. Chabert

181
l'évitement de la passivité : « C'est l'impossible confrontation à la passivité qui engage la
version mélancolique du fantasme de séduction. » (2011, p38).
Nous verrons plus loin que certains éléments symptomatiques concernant notamment
le rapport aux affects et au corps peuvent corroborer l'hypothèse d'une problématique
dépressive forte pour Ophélia (voir p272-273).

Édouard est un cas particulier dans la mesure où il peut représenter la relation père-
fils à la planche 7BM, mais cette relation tend à être évitée et mobilise un procédé de l'ordre
de l'emprise par le recours à une scène banale du quotidien (banalisation) et factuelle, côté
CF-1. Ainsi nous raconte-t-il planche 7BM : « C'est le père de lui. Le père dit « eh ! Tu
pourras me ramener un baguette ce soir ? parce que j'en ai pas pris » et il dit « ok ! ». ».
Ainsi père et fils paraissent sur le point de se séparer et il nous semble que le fils est
implicitement mis en position active d'aller chercher la baguette oubliée par le (ou manquant
au) père. Nous rappelons qu'Édouard est inscrit dans un stage de boulangerie-pâtisserie.

Nous compléterons notre investigation de la fantasmatique de la séduction au TAT par


un abord du féminin à travers les protocoles de Rorschach. Cela nous semble indispensable
dans la mesure où l'élaboration du féminin conditionne la possibilité d'un rapport
suffisamment apaisé à la position passive œdipienne.

3. Le féminin au Rorschach :

6 sujets (Aurélien, Sinan, Selma, Idir, Oscar et Naïma) ont passé le Rorschach. Parmi
ces sujets, 5 (Aurélien, Selma, Idir, Naïma et Oscar) semblent particulièrement mis à mal par
la dimension du féminin sollicitée à la planche VII.
Aurélien tente de soutenir une figure féminine par idéalisation « deux personnes, deux
femmes qui volent avec les cheveux en l'air et les bras derrières, avec une robe. » mais
finalement l'idéalisation laisse place à la chute « elles tombent de quelque chose ». Selma
exprime un fort mouvement de rejet « cette tache elle est bizarre. Elle veut rien dire ! Je
comprend rien de ça ! ». Idir tente de contourner la menace de castration éveillée par la
planche par le recours à une image d'attribut phallique féminin imposant - « j'dirai un gros
collier » - puis par une forme globale qui vient couvrir le vide de l'espace blanc - « une
grenouille ». Oscar représente par sa réponse l'effet d'effraction que produit la sollicitation
latente de la planche « c'est quoi déjà les … j'crois c'est des hippocampes avec de la fumée

182
qui sort de leur tête. ». Naïma semble dévitaliser le féminin par une image minérale qui fait
bloc « Trois pierres collées et au milieu il y a quelqu'un », cependant ce ''quelqu'un'' au milieu
fait peut-être signe d'une ouverture possible.

Selma réagit vivement à la sollicitation latente phallique de la planche IV. Selma y


voit une « tempête » sur l'axe central de la tache. Elle retrouvera cette impression de
« tempête » éveillée par l'axe central de la planche VI. Nous pouvons interpréter ces réponses
comme les signes d'une intense excitation sexuelle éveillée par une fantasmatique qui fait
intervenir une figure phallique et met en jeu les positions active et passive.

Nous concluons de notre analyse des protocoles de TAT, que la majorité des sujets
sont difficilement en mesure d'assumer et de faire avec l'érotisme qui peut s'infiltrer dans la
relation avec l'adulte, ceci, bien qu'ils manifestent une demande de proximité dans la relation
à l'enseignant. Nous constatons que 5 sujets tendent à éviter la position passive vis-à-vis
d'une figure masculine voire paternelle en attribuant aux personnages une position active et
abolissant la différence générationnelle. Ajouté à cela, nous émettons l'hypothèse que pour
deux filles (Imen et Ophélia) la position passive vis-à-vis d'un homme tend à être associée à
la domination violente de la femme, ce qui nous évoque la version mélancolique du fantasme
de séduction visant un rejet ou un évitement de la passivité.
Au Rorschach nous constatons principalement que le féminin sollicité à la planche
VII est difficilement ou pas élaborable et génère de forts mouvements défensifs (idéalisation,
rejet, dévitalisation, compensation narcissique-phallique)

Nos résultats vont donc dans le sens d'une position passive érotisée difficilement
élaborable associée assez fréquemment au besoin de préserver une position active dans la
relation à une figure masculine.
Bien que la séduction érotique œdipienne (père-fils ou père-fille) soit a priori absente
du discours des sujets, les réponses au TAT et au Rorschach indiquent qu'elle mobilise des
représentations et surtout des mouvements défensifs particulièrement forts. Cela nous conduit
à considérer quelles formes prennent les fantasmes de séductions, et plus largement la
fantasmatique sexuelle et les mouvements défensifs afférents, dans la relation à l'enseignant.

183
III. Sur les traces du fantasme de séduction dans la relation aux enseignants :

Les deux enseignantes de classes relais interviewées abordant spontanément la


question de l'interdit du toucher dans la relation enseignant-élève(s) peuvent nous mettre sur
la piste d'une menace particulièrement vive attachée au fantasme de séduction. Elles
remarquent en effet que les élèves ne supportent pas d'être touchés par les enseignants alors
qu'entre eux ils sont très tactiles. Tendance à se toucher entre eux dans l'enceinte de la classe
relais que nous avons pu également constater lors de nos passages.
Madame K, après avoir insisté sur la grande proximité physique entre élèves
manifeste en classe relais, nous dit ainsi : « Alors que vous, en tant qu'adulte, si vous les
effleurez c'est insupportable. Quoi que cette année, beaucoup moins. Mais je vois avec Mr G
(adulte relais) l'année dernière avec Kevin, ça s'est, ça a été compliqué avec Mr G parce que
le Kevin il lui avait donné un surnom et moi je ne savais pas ce que ça voulait dire, Gotchi.
En plus ils étaient en révolte contre Mr G, cette année il le fait moins mais il arrêtait pas de
les toucher (il est vrai que nous avons constaté que Mr G était assez tactile avec les élèves),
de les titiller comme ça et eux ne supportaient pas. » (L557-562). Madame K nous dit que
cette année 2016-2017 est la première année où elle a pu toucher certains élèves : « Moi c'est
la première année que j'ai pu, sans le faire exprès, toucher une élève ou un élève. Mais
toucher sur le bras ou quelque chose comme ça. Ou le secouer un petit peu et lui dire « tu
vas arrêter de parler ». C'est la première fois cette année. Les autres années je sentais qu'il
ne fallait absolument pas les approcher, le moindre touché, la moindre ….[Réaction
épidermique ?]voilà, c'est insupportable, insupportable ! Donc il y a des problèmes liés à
l'éducation, à la culture et d'autres problèmes que … on ne peut pas identifier. Mais il y a des
problèmes liés à la culture. Le fait déjà d'être une femme quand ce sont des garçons dans
certaines cultures, être touché par une femme c'est comme être sali quoi. On ne donne pas
une poignée de main à un homme ou à une femme dans certaines cultures. Bref quand je sens
qu'il y a des choses comme ça j'essaye de pas avoir trop de proximité. » (L663-673).
Madame B observe également cette intolérance au toucher, commençant par nous en
donner une illustration à travers un exemple, qui montre que le fait d'être touché par l'adulte
(incarnant une fonction d'autorité dans l'enceinte de l'école) peut être associé sur le plan de la
représentation, et peut-être sur le plan du fantasme, à une effraction sexualisée. « on a une
élève, au mois de janvier, elle est sortie de la classe et euh! est passée par dessus les grilles.
Elle est partie. Et en se retournant vers l'adulte relais qui la suivait, elle a dit « tu me
touches, je porte plainte pour viol ! ». Donc il l'a regardée monter à la grille et il était

184
rassuré quand il l'a vue arriver de l'autre côté ( la grille de ce collège est particulièrement
haute ). [cette question du toucher, c'est …] Ah ! C'est permanent chez eux hein.! C'est
permanent. « Ne me touchez pas ! » et par contre ils ne s'interdisent pas effectivement de …
[de se toucher entre-eux ?] alors se toucher entre-eux, alors là c'est énorme ! Par contre il y
en a deux qui m'ont empoigné le poignet quand ,j'écrivais au tableau, et qui voulaient me
pousser, qui m'ont pris la main comme ça. Je leur ai dit mais « vous vous rendez compte.
Vous ne pouvez pas vous permettre de faire ça, c'est pas possible. » « ben quoi !? » (elle imite
l'élève qui répond avec un air ahuri) ben euh … « vous ne pouvez pas toucher des adultes. ça
n'est pas possible ! » « vous devez reculer ». Souvent je leur dis, « vous devez être à une
distance, euh, qui rend agréable la communication » (L469-482).
D'après le discours des deux enseignantes, et d'après nos observations du
comportement des élèves en classe, les adolescents et pré-adolescents reçus en classes relais
manifesteraient une forte tendance à se toucher entre eux, voire à toucher l'enseignante mais,
d'après les enseignantes, ne toléreraient pas d'être touchés par l'enseignant, et plus largement
par l'adulte, au sein de la classe. Cette attitude peut signifier, selon nous, un investissement de
la position active de toucher et un rejet de la position passive d'être touché par l'adulte
incarnant une certaine fonction d'autorité. Nous approfondirons cette question du toucher
dans le chapitre concernant l'affect et l'excitation. Ce qui nous intéresse ici est ce que cela
révèle sur le plan de la dynamique activité-passivité dans la fantasmatique sexuelle et
notamment le fantasme de séduction.
André Sirota (2002) propose de considérer l'interdit du toucher brandi par certains
élèves comme une défense contre des fantasmes incestueux et/ou contre des résurgences
d'expériences relevant de ce que P. C. Racamier appelle l'incestuel (1995). Il écrit « ainsi
peut-on comprendre l'interdit du toucher qu'un élève brandit pour culpabiliser un professeur
qui le saisit calmement par le bras, dans le but d'attirer son attention et lui rappeler une
règle de bonne conduite que l'élève est en train de transgresser. Notre hypothèse est que si
cet interdit est interposé, c'est que le sujet craint à son insu la répétition d'une scène
familiale incestuelle sinon incestueuse, fantasmée ou mise en acte, passée ou actuelle,
redoutée ou exigée par la pulsion de mort et son principe de répétition. En classe, l'interdit
du toucher excipé peut être le signe de l'envahissement de la circulation fantasmatique
inconsciente du groupe-classe par le fantasme d'englobement incestuel d'un ou plusieurs
élèves. » Et il ajoute « dans cette occurrence les professeurs sont mis dans l'impossibilité de
transmettre quelque chose à leurs élèves ou de les rendre sensibles aux objets de savoir, de
les introduire au travail culturel. Les élèves sont mis dans l'impossibilité d'êtres touchés par

185
un autre et d'en apprendre quelque chose, de crainte par exemple d'être traités de « lèche-
cul », c'est-à-dire de victime complice de l'adulte fantasmé comme séducteur, pédophile et
incestueux. » (2002, p151)
A travers le discours des sujets, il nous semble que l'enseignant est souvent convoqué
dans des scènes imaginaires et/ou réelles qui ressemblent fort à des fantasmes de séduction, à
ceci près que l'excitation et le désir amoureux sont remplacés par l'excitation et le désir
haineux. Le principe régissant ces scènes pourrait être formulé ainsi : « ce n'est pas moi qui
désire l'agresser et suis excité, c'est lui qui m'excite et provoque ma colère » ou « ce n'est pas
moi qui éveille chez lui le désir agressif, c'est lui qui m'en veut sans raison ». Formulations
inspirées de celles proposées par C. Chabert (1999) pour décrire la logique régissant le
fantasme de séduction dans sa version hystérique « ce n'est pas moi qui le désire, c'est l'autre
qui me séduit » (p1454-1455) ou « ce n'est pas moi qui le séduit, c'est l'autre qui me désire »
(2012, p35).
Certains semblent guetter dans leur quotidien d'élève, les signes de mauvaises
intentions ou de mauvais sentiments à leur égard de la part des professeurs. Nous supposons
que cela a à voir avec ce que F. Marty (2009) nomme la paranoïa ordinaire de l'adolescent et
qui se trouve étroitement reliée au fantasme de séduction en position passive pour le garçon
et la fille.
Sinan nous dit que lui et deux amis, qui formaient un groupe soudé depuis la
maternelle, étaient insolents envers les professeurs de collège en réaction à des propos qu'ils
estimaient avilissants « ils croyaient qu'on était leur chien ». Il donne l'exemple d'un
enseignant qui ordonne en criant : « va chercher le truc ! » et lui de répondre « non, j'vais
pas le chercher ». Ce qui transparaît dans son discours c'est un clivage entre, d'un côté le
groupe d'élève, où il n'existe aucune tension parce que « on se connaissait tous au collège »,
et, de l'autre, les professeurs avec qui, dans la majorité des cas, les relations sont difficiles.
Ainsi, la tension, selon cette logique, vient de l'inconnu situé dans, et incarné par, le groupe
des enseignants décrits comme peu respectueux et les abandonnant à leurs difficultés
scolaires. Sinan reconnaît tout de même que lorsqu'il était en classe avec ses deux amis
d'enfance, ils avaient tendance à faire « n'importe quoi », ce qui ne manquait certainement
pas d'exciter la colère de l'enseignant. Nous pouvons supposer qu'un certain procédé est ou
était à l’œuvre qui consiste à exciter la volonté d'emprise et de domination chez le professeur
pour mieux la dénoncer par la suite et positionner le professeur comme étranger au groupe,
incarnation de l'étranger en soi.

186
Naïma nous fait part de l'impression que les professeurs ne sont là que pour l'
« énerver », l' « enfoncer ». « Ils attendent qu'un truc aille pas bien pour faire un rapport et
une commission éducative », « si y'a quelque chose qui se passe mal, ça va retomber sur
moi ». Elle fait un dessin dans cette lignée qui représente un enseignant qui lui dit de se taire
alors que d'autres filles parlent à côté d'elle. Elle se positionne ainsi comme objet de
persécution privilégié de l'enseignant parmi le groupe de filles. Naïma nous dit que
l'instauration d'une bonne relation avec l'enseignant dépend avant tout de la première
rencontre. En réponse à notre question : y a-t-il des professeurs qui vous ont marqué en
négatif comme en positif ? Elle nous dit qu'elle a été marquée par la rencontre avec un
professeur de mathématiques en cinquième avec qui la relation fut particulièrement
conflictuelle par la suite. « j'étais nouvelle (dans l'établissement) en fait j'sais pas c'était quoi
son but mais en fait il m'a menacé avec une règle et après ça n'a jamais été ». Nous pouvons
supposer que cette érection phallique du professeur dans le cadre d'une première rencontre va
stimuler l'envie chez Naïma d'installer, avec la participation de l'enseignant, une relation
persécuteur-phallique/ persécutée équivalent d'une relation séducteur-pallique/ séduite. Ne
faut-il pas voir dans cette scène, une séduction traumatique qui a effectivement marqué
Naïma par la résonance trouvée au sein d'un fantasme de séduction empreint de violence
phallique, peut-être, insuffisamment refoulé ?
Oscar dit à demi-mot chercher à déceler chez les professeurs leur état d'énervement,
leur humeur. Si un certains état d'énervement est identifié il va chercher à l' « énerver encore
plus » en faisant des « blagues » qui ne font rire que ses camarades. Il formule clairement la
logique de sa démarche « si vous montrez que vous n'êtes pas énervé, les élèves vont pas
chercher à vous énerver en retour. » Oscar tend donc à situer l'excitation chez le professeur
plus qu'en lui-même, recherche puis dénonce cette excitation coléreuse de l'enseignant.
L'autre-enseignant excité est donc placé par Oscar comme celui qui éveille le désir chez
l'élève d'exciter « encore plus » l'enseignant en retour. L'élève est donc préservé dans son
innocence, et le coupable reste le professeur excité-excitant le désir d'excitation dans la
relation duelle (élève-enseignant) ou groupale (groupe classe-enseignant). L'attachement à
une certaine image d'innocence s'exprime notamment dans le discours par une tendance à
présenter ses blagues comme partant d'une bonne intention de mettre l'enseignant de bonne
humeur. Ainsi parlant d'une professeure principale de français qu'il a eu en sixième et en
troisième : « vu qu'elle est de mauvaise humeur, moi j'aime bien faire des blagues (?) pour
qu'elle (ne) soit plus énervée » il ne met pas la négation ce qui prête à confusion mais cela
voulait dire, sur le plan conscient, qu'il tente ainsi d'adoucir l'humeur de l'enseignante.

187
Lorsque nous lui demandons si ça marche il nous dit : « ça marche pas, ça l'énerve encore
plus ». Ainsi ses blagues partent d'une bonne intention mais produisent l'effet inverse. Dans
le courant de l'entretien, Oscar assumera de plus en plus clairement l'intentionnalité de sa
démarche et de son désir d'énerver le professeur par ses blagues.
Hans tend à présenter les enseignants dans une position de domination totalitaire par
rapport aux élèves : « c'est les profs qui ont le pouvoir » répond-t-il à notre question
concernant la différence entre professeur et élève. Il dit aussi « l'élève n'a pas son mot à dire.
Des fois quand je veux dire un truc les profs veulent pas, j'sais pas comment expliquer ».
Hans dit avoir été accusé à tort par deux enseignantes d'avoir manifesté un comportement et
tenu des propos sexualisés transgressifs, en CM2 et en sixième. Il aurait été accusé par son
enseignante de CM2 de s'être « masturbé en classe » et d'avoir demandé « comment on
doigte une fille ? » il manifeste son indignation en réaction à l'évocation de ce souvenir « je
suis pas un obsédé du sexe et c'est dégueulasse ! ». Cette enseignante de CM2 est présentée
comme une personne dépravée – « bourrée à la remise des livrets » et fumant du cannabis -
et « bête ». Il précise que son père était du même avis que lui au moins par rapport au fait
qu'elle était bête et qu'elle fumait du cannabis. Ainsi un scénario réel et/ou fantasmatique se
dessine, caractérisé par la relation entre une enseignante dépravée qui attribue ses pensées d'
« obsédé(e) du sexe » et un élève victime innocente défendue par son père. En sixième, une
enseignante de technologie l'aurait accusé de l'avoir traitée de « pute », ce qu'il nie. C'est
après avoir été accusé, à tord ou à raison, d'avoir insulté cette enseignante à deux reprises que
Hans s'est fait renvoyer de son établissement. À partir de ces deux scènes, et si nous
envisageons la possibilité que Hans ait réellement tenu de tels propos outrageants, nous
pouvons supposer que Hans dénie tout d'abord les propos tenus puis soutient qu'ils n'existent
que dans la pensée malsaine de certaines enseignantes élues comme figures persécutrices.
Les procédés impliqués seraient la dénégation de ses propos et des pensées afférentes, ensuite
la projection (sur l'enseignante), puis la victimisation. Ces scenarii nous semblent présenter
une similitude avec les scenarii de séduction traumatique par un adulte pervers sexuel –
l'''obsédé du sexe'' ou ''la pute'' - qui tente de dévoyer l'enfant pur et innocent. Hans ne reste
pas passif face à ces accusations mais se révolte contre la persécutrice enseignante.
Ibrahim soutient que c'est toujours de la faute des professeurs s'il s'énerve. « un élève
peut jamais s'énerver tout seul comme ça à part si il a des problèmes psychologiques. Si tu
t'énerves c'est que le prof t'a bien poussé à bout. Moi quand j'm'énerve c'est le prof. ». Le
corps professoral tend à être comparé à la « police ». Les cris des professeurs et les injustices
exciteraient sa colère qui une fois lancée peut l'amener vers des agissements et des sensations

188
inconnues, c'est du moins comme cela que nous comprenons la description de son état
d'énervement en présence du professeur lorsqu'il a atteint son paroxysme « moi j'vais loin !
J'vais loin ! Comment dire, j'suis dans le tur-fu (futur en verlan) genre j'peux insulter sa
mère. ». Donc, le professeur est clairement positionné comme persécuteur qui éveille
l'excitation colérique et peut conduire Ibrahim hors de lui, « loin » dans un espace-temps où il
est possible de transgresser l'interdit, et où « tur-fu » et passé se rejoignent. Nous repérons un
lapsus qui peut être révélateur d'un attachement particulier à cette position de victime
d'injustice dans la relation au professeur-persécuteur excitant. À un moment donné de
l'entretien, Ibrahim, lancé dans une critique illustrée et argumentée des enseignants, parle à
plusieurs reprises et avec véhémence de « manque d'injustice » (au lieu de manque de
justice), nous attirons son attention sur son lapsus constatant qu'il ne s'en aperçoit pas.
Édouard nous dit constater que de nombreux professeurs s'énervent particulièrement
en réaction à son comportement d'opposition passive qui consiste notamment à ne pas
travailler, « dormir », se « braquer pendant une semaine », confronter l'enseignant à un
mutisme à toute épreuve et rendre copie blanche. Édouard constate donc que les enseignants
mais aussi les directeurs d'établissement (directeur de l'école primaire et principal du collège)
tendent à s'irriter plus ou moins fortement en sa présence. Cependant, il n'évoque ni ne
reconnaît chez lui aucune intention de les énerver, il se positionne ainsi d'une certaine
manière comme innocent. Il tend à taxer de « fou » les enseignants qui s'énervent ou sont trop
sévères et qu'il a le moins appréciés. Cette nervosité folle attribuée aux enseignants contraste
avec le fait qu'il dit ne jamais s'énerver. « j'm'énerve pas c'est bizarre ». Une scène vécue en
CM2 l'aurait particulièrement marqué : le directeur de son école élémentaire dont il dit qu'il
était « fou » l'aurait secoué physiquement en disant « mais tu vas arrêter quand !? ». et il
précisera plus tard « en plus il puait de la bouche ». Édouard tend à présenter les enseignants
comme des tortionnaires (il dessine un élève en train de se faire fouetté par un enseignant)
qui ont tous les pouvoirs. « les élèves doivent juste travailler et se taire » « Le professeur a
pas de règles il fait ce qu'il veut. Dans tous les cas c'est le prof qui a raison ». Édouard
semble nourrir un scénario selon lequel il serait un enfant innocent exposé à l'excitation folle,
incompréhensible de l'autre adulte enseignant tout puissant. Cependant, à la différence
d'Ibrahim par exemple, il reste indifférent à l'excitation de l'autre-adulte ou seulement
intrigué, voire un peu choqué, mais l'excitation de l'autre adulte ne semble pas le gagner.
Nous pouvons supposer qu'Édouard, un peu à la manière de l'hystérique, excite la colère de
l'autre et son désir d'emprise et y répond par « une belle indifférence » (C. Chabert & B.

189
Verdon, 2008, p167) et un étonnement (comme s'il n' était pour rien dans cette affaire) le
préservant dans son innocence.
Georges « répond » aux professeurs jusqu'à l'exclusion du cours quand il a
l'impression que l'enseignant se croit « au dessus » de lui. Georges éprouve manifestement un
certain plaisir à rejouer avec certains enseignants un conflit dont l'enjeu est d'échapper à la
position d'être « en dessous ». Ainsi il dit « j'en profitais pour être insolent » avec les
professeurs où le conflit était avéré. Georges semble éviter de répondre au désir de l'autre
adulte et supporte difficilement que lui soit imposé un travail (scolaire ou pas) par l'adulte.
Nous en déduisons que l'enjeu d'emprise est au premier plan dans la relation à l'enseignant et
occulte toute possibilité d'élaboration de la séduction. Cependant l'enjeu « au dessus » / « en
dessous » a sans doute à voir avec la dissymétrie activité-passivité et, pour ce qui concerne le
fantasme de séduction, la dissymétrie séducteur/séduit. D'une certaine manière, Georges
séduit l'enseignant dans la mesure où il l'entraîne, il l'attire vers un jeu d'emprise dont il est
expert. Il nous semble plus probable que Georges soutient une configuration du fantasme de
séduction, dans laquelle il tient une place active de séducteur excitant le désir d'emprise de
l'autre parental.
Aurélien tend à se décrire comme ayant été la cible privilégiée des critiques des
enseignants concernant son comportement. Aurélien reconnaît en lui une colère sourde qui ne
demande qu'à s'exprimer en réaction aux cris des enseignants et aux remarques perçues
comme irrespectueuses. Donc, il ne met pas complètement l'enseignant en position de
persécuteur, reconnaissant que les conflits fréquents avec les professeurs sont en partie dus à
un état de mauvaise humeur qu'il ne s'explique pas. Aurélien semble doublement passif face à
sa colère sourde et face à certains professeurs persécutants. L'activité vient en réaction à la
persécution ressentie et puise sa source dans cette colère toujours présente en fond. Sur le
plan fantasmatique, nous pouvons supposer que l'autre interne (colère diffuse) et l'autre
externe (persécution et excitation professorale) allient leur force pour exciter l'élève qui tente
par la suite d'échapper à la passivité. Aurélien tend donc à présenter ses comportements
perturbateurs comme des réactions à l'offense et l'excitation subies provenant de l'interne et
de l'externe.
Selma est manifestement séduite par des enseignants hommes dotés d'une certaine
force physique (professeur de sport) et/ou d'une certaine carrure (grande taille, « il faisait
2m ») ou encore d'une certaine froideur intimidante - « Il était froid. On avait peur » -. Selon
son discours, ce qui lui plaît chez ces enseignants c'est surtout leur calme, leur qualité
d'écoute et d'étayage. Ce qu'elle apprécie également c'est que la différence des générations

190
soit atténuée dans la relation à un enseignant qui a des « délire de jeunes » ou qu'elle estime
jeune de par son âge. Par ailleurs, nous observons au test du Rorschach une forte excitation
face à la dimension phallique des planche IV et VI. Cette excitation rend sûrement compte du
fait que les figures phalliques sur le plan fantasmatique attisent le feu pulsionnel. Ce qui
nous permet de supposer que l'investissement des enseignants ''hommes forts'' trouve entre
autres, sa source dans les désirs sexuels inconscients dirigés vers de telles figures masculines.
Désirs d'autant plus refoulés qu'ils sont excitants. En somme, il se pourrait bien que la
demande d'être aimée tendrement par un homme fort enseignant recouvre le désir menaçant
d'être séduite érotiquement par une figure masculine phallique. Nous observons un contraste
entre l'absence d'excitation apparente dans la relation aux enseignants hommes porteurs
d'attributs phalliques et la forte excitation qui transparaît face aux sollicitations des planches
phalliques du Rorschach. Tout se passe comme si les mouvements pulsionnels afférents au
fantasme de séduction ne marquaient aucunement la relation aux hommes enseignants qui
reste inscrite dans un registre de tendresse désérotisée contenante. Il est possible que les
affects et représentations associés au fantasme de séduction soient fortement réprimés, ce qui
permet l'abrasion de l'érotisme, et participe de la formation du symptôme de phobie scolaire
qui a motivé sa consultation au CMPP.
Helder présente des propos qui suggèrent une tendance à vouloir ou désirer se
positionner comme acteur d'une scène de séduction incestueuse d'une figure paternelle ou
maternelle. Ainsi en dessinant un enseignant (avec cravate et abdominaux) et après nous
avoir dit qu'il va représenter cet enseignant en train d'écrire et un « élève qui dort » (''il faut se
méfier de l'eau qui dort''), il nous dit subrepticement et à voix basse « et il y a son élève qui le
demande en mariage » puis passe tout de suite à une autre idée de scénario comme pour
effacer les propos tenus à mi-voix. Finalement, le professeur dit aux élèves « allez les
enfants, allez manger » puis il dessine les plateaux de cantine. Nous assistons donc au
déplacement du désir sexuel génital vers l'oralité associée à l'enfance. À la planche 13 MF du
TAT, il nous expose une nouvelle fois à de tels propos renvoyant cette fois-ci à l'inceste avec
la mère : « Un homme qui vient de coucher avec une femme et vient de se réveiller le matin et
il dit « oh ! putain qu'est-ce-que j'ai fait ». On dirait que soit il est fatigué, soit il a honte.
Peut-être c'est sa mère (dit-il à voix basse). Vous ne l'écrivez pas ça ! ». Cette dimension
incestueuse ne transparaît pas vraiment dans son discours sur la relation qu'il entretient avec
les enseignants de collège. Cependant, son agitation (symptôme principal) en cours trouve
sans doute à se nourrir de l'excitation générée par la fantasmatique incestueuse susceptible
d'être éveillée et mise en jeu dans la relation à l'enseignant.

191
Ophélia n'évoque pas d'expérience relationnelle positive avec un ou une enseignante
de collège. Selon elle, à partir du passage en sixième, presque tous les professeurs étaient
« sévères » dans leur notation et par rapport aux retards. Elle nous dit qu'ils avaient tous les
mêmes réactions par rapport à ses difficultés scolaires lui disant qu'il fallait « faire plus
d'efforts », mais ses efforts restent vains d'après elle « ça change pas, même si je fais plus
d'efforts ». Ophélia tend à présenter ses difficultés scolaires comme une incapacité de
compréhension, une tare, fruit de la fatalité contre laquelle elle ne peut rien « j'ai jamais
compris, quand on me donne un truc pas facile à faire, j'comprends pas, j'arrive pas à
comprendre; même si on m'explique. ». Quand elle ne comprend pas en cours et/ou que
l'enseignant « parle longtemps » elle « part en absence », « dans la lune ». Ces partances en
absence, dans la lune, semblent implicitement comparées au sommeil dont les autres
enseignants essayent de la tirer en vain, ainsi, dit -elle « ils me réveillaient et tout mais ça ne
changeait pas vraiment ». Nous avons eu un aperçu de ce sommeil lorsqu'une fois nous
sommes allés la trouver en classe pour lui proposer de nous entretenir avec elle. Elle était
affalée sur son bureau, sa tête entre les bras croisés et sa longue et belle chevelure se
répandait sur le surface du bureau. Elle nous a finalement suivi, visiblement ''à contre cœur''.
Nous nous demandons si Ophélia ne met pas, par son attitude, l'enseignant en position de
tenter de la réveiller tel le prince dans la belle au bois dormant. Mais cette entreprise relève
de l'impossible, elle se réveille un peu peut-être mais retombe inexorablement, au moins en
milieu scolaire, dans le sommeil d'allure dépressive. Pendant les entretiens nous ressentons
l'envie de l'étayer, de l'animer et d'aller à l'encontre de ce que nous percevons comme un
fatalisme. Nous avons l'impression qu'elle ''porte tout le poids du monde sur ses épaules''.
Il nous semble qu'Ophélia tend à éveiller chez l'autre adulte enseignant un désir
d'étayage revivifiant mais dans le même temps elle semble éviter massivement tout
investissement de la relation aux enseignants, et plus particulièrement, les enseignants
hommes (et plus généralement les adultes hommes). L'évitement de la relation passe par le
déni de l'existence d'un regard de l'adulte porté sur elle. Elle nous dit ainsi que le regard des
autres élèves la « stressent », et ce stress empire au point qu'elle soit régulièrement absente du
collège à partir de la quatrième. Lorsque nous lui demandons comment elle réagit au regard
de l'enseignant, elle nous répond : « y a pas vraiment de regard en fait, j'arrive pas à
expliquer plus » puis lorsque nous la relançons sur ce sujet lors du deuxième entretien « j'sais
qu'y aura pas de regard d'adulte pour moi mais que des regards d'élèves ». Le regard des
enseignants est donc dénié jusque dans son existence et, en contrepoint, seul le regard
angoissant des élèves existe. Nous supposons que cette absence du regard enseignant est le

192
résultat d'un déni qui porte sur les enjeux affectifs, pulsionnels et fantasmatiques de la
relation à l'enseignant. Il semblerait que la relation à un enseignant homme soit plus
angoissante. Ophélia dit ainsi qu'elle est moins en confiance avec les hommes enseignants
parce qu'elle est plus habituée aux femmes enseignantes, du fait qu'elle n'a eu que des
enseignantes femmes en primaire. Nous ajoutons qu'Ophélia n'a pas vu son père depuis au
moins 10 ans et que sa mère vit en couple avec une femme. Il est fort probable que ce malaise
dans la relation à un adulte homme ait joué un rôle dans le fait qu'Ophélia souhaite
interrompre sa participation à la recherche. Elle nous a dit qu'elle souhaitait interrompre sa
participation lors du deuxième entretien après la passation de 5 planches du TAT. Ophélia
présente aux planches 2 et 3 du TAT des réponses qui mettent en scène des personnages de
femmes subissant ou ayant subi l'emprise violente d'un personnage dont nous pouvons
supposer qu'il est un homme. Planche 2 : « Ça fait penser à euh... à l'époque dans la
campagne avec des femmes qui font tout le ménage et tout ça. Comme des esclaves ( et
l'homme?) j' saurais pas dire. » et planche 3 : « Une femme triste, j'sais pas, qui a été battue,
frappée et c'est tout ce que j'pourrais dire ». D'après ces différentes données nous supposons
que le regard de l'enseignant homme vient faire peser une menace d'emprise violente. Il est
fort probable que les séductions originaire, œdipienne ou narcissique qui passent par
l'échange des regards dans la relation enseignant-élève soient associées à des représentations,
une fantasmatique et un vécu (et un désir ?) d'être sous emprise.

Parmi les 11 cas que nous avons évoqués (Sinan, Naïma, Georges, Ibrahim, Hans,
Aurélien, Oscar, Édouard, Selma, Helder et Ophélia) nous identifions un groupe de sept
sujets qui ont tendance à avoir recours à un scénario proche du fantasme de séduction dans sa
version hystérique. Ce scénario consiste à attribuer à certains ou à l'ensemble des enseignants
une part active de persécuteur excitant justifiant la révolte de l'élève face à l'outrage ressenti.
Selon ce scénario, l'élève en passe donc par une position passive d'être excité, outré, choqué,
et dans un deuxième temps, reprend une position active par la révolte et la confrontation qui
se termine souvent dans la réalité par l'exclusion de la classe. Il nous semble que peuvent être
inclus dans ce groupe : Sinan, Naïma, Ibrahim, Hans, Oscar et, dans une moindre mesure,
Georges et Aurélien.
Édouard attribue la position d'être excité et énervé à l'autre enseignant tandis qu'il
tend à dénier tout mouvement de colère en lui. Il semble bien y avoir projection sur l'autre
enseignant d'une colère et d'une excitation qu'il ne peut accepter ou traiter en interne. Nous y
voyons une certaine similitude avec le scénario de séduction hystérique dans la mesure où

193
Édouard par son discours met en scène un élève innocent sur lequel se déchaîne un adulte
excité. Mais la différence avec le scénario des sept sujets évoqués plus hauts est grande, étant
donné qu'Édouard reste impassible face à l'adulte mis en place de persécuteur, comme si
l'excitation et la colère de l'autre ne pouvait avoir un effet de contagion, Édouard restant
totalement imperméable selon ses dires.

Nous retrouvons dans le discours de ces sujets (Sinan, Naïma, Ibrahim, Hans, Oscar,
Georges, Aurélien, Édouard) des éléments qui permettent de supposer qu'ils mettent en œuvre
un certain type de procédé dans la relation aux enseignants, apparenté à la séduction
hystérique telle qu'elle est définie par J. Schaeffer (1997), à ceci près, que l'érotisation de la
relation semble absente. J. Schaeffer écrit que « l'hystérique séduit comme un enfant séduit
un adulte, en toute « innocence », pour se défendre d'une séduction qu'il ressent toujours
imminente et qu'il provoque. Cette érotisation est donc anticipatrice et permet le contrôle de
l'objet. Le partenaire réel est concerné, peut ressentir ce dont il est l'objet, et même y réagir
en manifestant son désir, que l'hystérique subira alors comme une surprise, un attentat et un
viol. » (1997/2013, p226). Pour ce qui concerne les huit sujets mentionnés, il s'agirait plutôt
d'exciter en toute innocence la colère de l'autre enseignant adulte de façon à contrôler l'objet-
enseignant menaçant (car potentiellement excitant), et ainsi se défendre d'une position
passive insupportable dans la relation à l'autre interne (pulsion) et externe (l'enseignant).
L'enseignant serait plus ou moins inconsciemment convié à manifester sa colère et sa
nervosité, manifestation que l'adolescent « subira alors comme une surprise, un attentat »
voire « un viol. ». Sur le plan de la dynamique activité-passivité, ces adolescents-élèves
tendent à être actifs suscitant l'excitation du professeur tout en préservant sur le plan du
fantasme et du discours une position de victime innocente passive face à l'enseignant mis en
place de persécuteur. Le stratagème pourrait avoir pour visée, dans la même logique que
l'hystérique, l'évitement d'une position de passivité subie, remplacée par une passivité
activement recherchée, provoquée et anticipée.
Selon un point de vue différent, nous pouvons supposer que le comportement des ces
adolescents relève dans une certaine mesure d'un processus d' « insanisation » participant de
ce que Ph. Gutton appelle « la folie pubertaire » (1991). Celle-ci repose sur une conviction
folle d'une complémentarité incestueuse partagée entre l'adolescent et l'un des parents. Dans
ce contexte, « grâce à la pseudo certitude (de complémentarité incestueuse) donnée sans
réserve par l'objet (parental) du désir, l'instance surmoïque est contournée. Le principe de
réalité est paradoxalement maintenu et le désir du sujet n'est pas forclos car celui par lequel

194
la honte survient n'est pas l'adolescent mais l'autre parental, figurant le séducteur sans foi ni
loi. » (1991, p182). Nous nous demandons si certains enseignants ne tendent pas à jouer le
rôle du « séducteur sans foi ni loi » dans le cadre d'une « folie pubertaire ». Dans une telle
perspective, les comportements des sujets rencontrés peuvent être compris comme une
stratégie d'insanisation qui consiste dans « un effort pour rendre l'autre fou, c'est à dire
incapable d'associer, imposé d'agir. » (1991, p183) endossant le rôle du persécuteur-
séducteur.

Selma, Helder et Ophélia présentent chacun un positionnement particulier vis-à-vis de


la séduction et du fantasme de séduction :
- Selma peut se présenter comme séduite par des enseignants ''hommes forts'' mais c'est un
scénario de séduction désérotisé à valence plutôt narcissique (le professeur étaye, rassure et
écoute).
- Helder tend à se positionner au moins dans le fantasme comme acteur de la séduction. C'est
lui qui séduit l'adulte enseignant homme ou femme susceptible d'être un substitut parental.
- Ophélia manifeste un évitement de la séduction, et plus largement, de la relation à
l'enseignant, tout en éveillant chez l'enseignant un désir de l'étayer, d'être celui ou celle qui la
sortira de son sommeil. L'évitement de la séduction dans la relation à l'enseignant est
sûrement lié à la menace d'être sous l'emprise violente d'un autre plutôt masculin.

En ce qui concerne Yassine, Imen, Kevin, Dorian et Aymeric, le passage à l'acte


agressif verbal ou physique, subi et agi, prend le devant de la scène dans leur discours sur la
relation aux enseignants et leurs difficultés scolaires.
Yassine et Imen manifestent un mouvement dépressif qui semble participer d'un
désintérêt global pour les objets externes et un retrait de la relation à l'autre.

Yassine tend à dire que l'élève n'est pas investi par l'enseignant et se présente lui-
même comme investissant peu la relation à l'autre. Ainsi, quand nous lui demandons ce qu'il
pense que les professeurs attendent de lui, il nous répond « rien, parce qu'ils ont leur paye.
Un prof m'a dit une fois qu'on travaille ou pas ils ont leur paye à la fin du mois. Ça change
rien. » et à la fin de l'entretien il nous dit comme pour résumer sa problématique « j'suis dans
mon monde en fait, j'fais pas attention aux autres. ». Yassine entre donc, d'après son discours,
dans un rapport d'indifférence mutuelle avec la plupart des enseignants. Dans un tel contexte,
le fantasme de séduction peut difficilement se déployer et s'exprimer. Ce désinvestissement

195
semble être le signe d'un mouvement dépressif qui se caractérise notamment par un
sentiment d'impuissance face aux apprentissages et de désintérêt pour le savoir. « même
quand je suis concentré, j'ai des mauvaises notes et quand je connais pas je peux rien faire ».
« la culture j'aime bien. Quand j'avais rien à faire, j'me cultivais un peu. Je regardais des
cartes (géographiques) ou des documentaires. Quand j'étais en cinquième et en sixième,
j'aimais bien lire. Maintenant y a rien qui m' intéresse. ». Dans le cadre des entretiens,
Yassine manifeste une certaine lenteur, une apathie qui peut évoquer la dépression. Il semble
un peu comme absent ou pas vraiment présent à la relation. Les enseignantes de classe relais
ont une impression similaire à la nôtre, impression qu'il est ''ailleurs'' qui éveille un sentiment
d'étrangeté. Il semble donc y avoir une rupture du lien à l'autre qui rend difficile le recours à
la séduction et au fantasme de séduction.
La difficulté relationnelle avec les enseignants est particulièrement associée à des
souvenirs de confrontation physique. Ainsi, en réponse à notre question : « quels sont les
professeurs avec lesquels la relation à été le plus difficile ? » Il évoque une relation
conflictuelle avec un enseignant de SEGPA, qu'il aimait bien pourtant, - « j'm'embrouillais
avec le prof physiquement. Mais c'était un bon prof. » - et une enseignante de Science et Vie
de la Terre « détestée » qui lui aurait jeté son feutre dans l’œil. Il nous semble que, dans une
certaine mesure, l'agir remplace ou couvre l'expression et l'élaboration du lien affectif et
fantasmatique au professeur. Si Yassine n'a pas vraiment tendance à attribuer à l'autre
enseignant une fonction de séducteur-persécuteur caractéristique du fantasme de séduction,
cela peut aussi s'expliquer par le fait qu'il semble plus capable d'assumer sa responsabilité
dans l'émergence des conflits avec les professeurs, et peut mettre du sens sur ses difficultés
relationnelles avec les enseignants à partir de son histoire. Yassine nous explique ainsi, d'une
façon un peu mécanique, désaffectivée, comment les difficultés avec les professeurs
survenaient selon un engrenage dans lequel chacun avait sa part de responsabilité. Il nous dit
« j'aimais pas les cours. En fait je comprenais pas et comme j'comprenais pas j'parlais,
j'm'ennuyais et j'parlais », ce qui ne pouvait être accepté par les enseignants, et certains
d'entre eux réagissaient en tenant des propos perçus comme irrespectueux par Yassine. C'est
dans ce type de situation qu'il réagissait par l'agression verbale défensive - « des fois
j'insultais les profs quand ils commençaient à me parler mal (c'est à dire?) « tais toi ! » ou
« dégage ! » » - se faisait exclure de la classe, puis sortait en claquant la porte. Selon
Yassine, ses difficultés relationnelles avec les enseignants sont liées à un changement
d'établissement scolaire et un déménagement mal vécus. Yassine a déménagé de la banlieue
de Lyon à la région parisienne il y a un peu plus d'un an, et nous dit « j'voulais pas venir ici ».

196
Il dit que son nouveau lieu de vie est « bizarre » et insiste sur le fait qu'il est en terrain
inconnu « j'connais personne ». À son arrivée en région parisienne, Yassine est allé vivre
chez un oncle avec sa mère tandis que ses deux sœurs cadettes sont allées habiter chez un
autre membre de la famille résidant lui aussi en région parisienne, ceci, le temps de trouver
un appartement. Il semble donc que le déménagement s'est fait dans l'urgence, sans que la
mère ait eu le temps de trouver un appartement. Yassine parle d' « un déménagement d'un
coup, comme ça ». Yassine explique ainsi l'insolence dans la relation aux enseignants : « si
j'étais insolent avant, c'était que j'étais séparé de mes petites sœurs. ». Lorsque nous le
rencontrons Yassine est sur le point d'emménager avec sa famille en appartement toujours
dans la région parisienne et voit ses sœurs plus régulièrement qu'auparavant. Il évoque un
vécu difficile de rentrée scolaire dans son nouveau collège « j'étais mal, seul et j' connaissais
personne. », « j'étais seul et ça m'énervait un peu » et ajoute « j'ai pas envie de m'intégrer
ici ». Yassine présente donc une capacité à, et un désir de, mettre du sens sur ses difficultés
rencontrés dans le champ scolaire en faisant du lien avec ses expériences de vie. Cette
caractéristique positive semble moins présente chez les autres sujets rencontrés. Nous
supposons, en conséquence, que Yassine est plus en capacité d'élaborer ses conflits internes
qu'un certain nombre de sujets rencontrés et a, de ce fait, moins recours à la projection sur
l'autre adulte enseignant. Ceci lui permet d'assumer d'avantage la responsabilité de ses actes
et de moins avoir besoin d'entretenir une fantasmatique de persécution-excitation par l'autre
adulte enseignant. La dimension dépressive peut être considérée comme une réaction saine
face à une situation particulièrement difficile sur les plans familial et scolaire, signe d'une
capacité à éprouver la perte sans avoir trop recours à la projection sur l'autre enseignant mis
en place de persécuteur.
Cependant nous constatons aussi un défaut d'investissement et/ou un évitement de la
relation à l'autre inquiétant, qui permet difficilement le déploiement d'une séduction (génitale
et/ou narcissique) dans la relation à l'enseignant, soutenant l'investissement des
apprentissages. Le dessin rend compte de ce désinvestissement : les personnages (un élève et
un enseignant) réduits à l'état de silhouettes fantomatiques et le bureau de l'élève qui semble
flotter dans l'air sans ancrage au sol.

Imen ne manifeste pas d'investissement particulier de la relation aux professeurs et


présente elle aussi un manque d'intérêt pour le savoir ou plus largement pour le monde qui
l'entoure. Ainsi, nous dit-elle qu'elle ne s'intéresse à rien en particulier lorsque nous lui
posons la question. Imen nous présente un visage fermé, tend à éviter notre regard et répond

197
de façon très restrictive à nos questions. Elle rend compte de ses difficultés avec les
professeurs d'une façon mécanique, désaffectivée sur un registre similaire au discours de
Yassine, mais en plus restrictif. Elle nous dit qu'elle était insolente avec la plupart des
professeurs et c'est ce qui a motivé son arrivée en classe relais et décrit ainsi l'engrenage
délétère : « j'bavardais, ils criaient et j'répondais ». Nous constatons que l'aspect purement
mécanique et restrictif de cette présentation semble laisser peu de place à l'expression et au
déploiement de la séduction et de la fantasmatique qui l'accompagne dans la relation à
l'enseignant.

Dans le discours de Dorian et Kevin, c'est l'agir qui domine totalement la scène, dans
la mesure où l'enjeu des difficultés dans la relation aux enseignants semble se résumer à
agresser physiquement ou verbalement et être agressé physiquement ou verbalement par
l'enseignant. Kevin évoque ainsi une succession de faits violents et d'agir qui ont émaillé son
vécu scolaire surtout à l'école élémentaire : Il nous dit qu'une professeure en CE2 le frappait
avec un petit bâton sur la tempe et lui tirait les oreilles ; une enseignante en CM2 l'aurait sorti
manu militari de la classe - « elle m'avait traîné jusque dans le couloir et avait refermé la
porte » - ; il aurait, en CM1, à plusieurs reprises, refermé la porte à clef derrière
l'enseignante, ce qui le laissait libre d'usurper la place de celle-ci - « c'est moi qui faisais
cours » - nous dit-il ; et il aurait « mis une balayette » à la directrice de l'école qui
l' « engueulait ». Nous sommes sceptiques quant à la véracité de ses propos. Il nous semble
que le fantasme chez Kevin entretient une relation étroite avec l'agir et tend à se traduire
exclusivement dans l'agir et non par le langage. Ainsi son discours est émaillé d'agissements
qui semblent relever à la fois de la réalité et du fantasme. Nous avons été spectateur d'une
mise en acte de sa part qui va dans le sens de notre hypothèse : nous étions en train de
présenter notre démarche de recherche en classe relais devant Kevin et d'autres élèves.
Lorsque nous avons révélé que nous étions psychologue, Kevin s'est précipité devant nous,
s'est couché parterre et a fait mine d'être un patient en psychanalyse, c'est du moins comme
cela que nous avons interprété son acte. Ainsi il nous semble qu'à peine le fantasme naît-il
dans son esprit qu'il doit être mis en acte. Une autre scène vient étayer notre propos : Kevin
tentait sans succès de débloquer la table de ping-pong pour la déplier complètement et ainsi
pouvoir jouer, nous sommes intervenu et avons débloqué le mécanisme, ce à quoi Kévin a
réagi en disant « vous êtes un magicien ! ». Ainsi notre action, anodine en soi, semble avoir
immédiatement trouvé écho dans la vie fantasmatique de Kévin qui a ressenti le besoin de
s'exclamer. En ce qui concerne la séduction dans la relation à l'enseignant, nous concluons de

198
nos observations que si une certaine séduction peut se déployer, elle risque fort de susciter
une fantasmatique générant automatiquement une mise en acte problématique sur la scène de
la classe.

Nous nous sommes peu entretenu avec Dorian parce qu'il a souhaité interrompre
l'entretien prétextant que nous posions toujours les mêmes questions. Nous avons repéré
cependant que l'image menaçante d'un enseignant violent semble bien présente à son esprit.
Ainsi il dit que « au collège les prof font trop les malins » et lorsque nous lui demandons ce
qu'il entend par là il nous parle uniquement d'un enseignant qui frappait les élèves deux ans
avant l'entrée de Dorian au collège. Cet enseignant aurait tenté d'étrangler un élève. Nous
supposons donc que le professeur tend à être mis en place de persécuteur potentiel. La
position d'être séduit par l'enseignant est remplacée ou occultée par la position d'être frappé
par un adulte, plutôt un homme.

Aymeric ne manifeste pas clairement à travers son discours sur la relation aux
enseignants, une configuration relationnelle intégrant la problématique de la séduction sur un
versant œdipien. Certains indices peuvent toutefois être interprétés en relation avec sa
réponse à la planche 10 du TAT, permettant d'éclairer notre compréhension sur la façon dont
Aymeric traite l'excitation sexuelle et l'érotisme qui peut s'infiltrer dans la relation au
professeur. Il semble en effet qu'Aymeric se sente menacé par, et fait une fixation sur, la
bouche, ou l'objet ''bouche'' de l'enseignant quand celui-ci élève la voix. Mais plus largement
la bouche de l'autre semble faire l'objet d'une agressivité particulière visant à la réduire au
silence. Ainsi Aymeric nous dit que « quand les profs me crient dessus, devant tout le monde,
après, moi je répond c'est pas vous qui donnez les règles. Ferme ta bouche ! (à chaque fois
vous répondez ça ?) toujours. ». Nous remarquons également qu'Aymeric dit beaucoup « ta
bouche ! » à ses camarades pour leur dire de se taire, pendant une partie de UNO
particulièrement tendue (les parties de UNO classe relais nous semblent souvent tendues). La
réponse à la planche 10 du TAT fait également apparaître cette centration sur la bouche
« Deux personnages on dirait, ont pas de bouche (vraiment?) lui [personnage du haut] n'a
vraiment pas de bouche. ». Ici, Aymeric s'appuie sur les parties sombres de la planche qui
effectivement tendent à rendre les bouches des personnages invisibles. Il semble que
l'absence de visibilité de la bouche viennent faire écho à son désir d'annihiler la bouche de
l'autre excessivement troublante. Nous supposons qu'Aymeric en désignant une absence de
bouche chez au moins l'un des personnages évite le traitement des sollicitations latentes de la

199
planche, à savoir : « l'expression des désirs dans le couple ». La logique pourrait être « pas
de bouches, pas de baisers donc par d'excitation débordante ». Donc, lorsqu'Aymeric dit « ta
bouche ! » ou « ferme ta bouche ! » il est fort probable que cela signifie, entre autres, qu'il
tente ainsi d'éteindre le feu du désir sexuel et/ou agressif. Sur le plan de la séduction, la
bouche de l'autre tend peut-être à représenter pour Aymeric l'objet partiel séducteur-
persécuteur à tenir sous emprise.

Il nous semble que dans les cas de Yassine, Imen, Kevin, Dorian et Aymeric le
passage à l'acte verbal ou physique est au devant de la scène de la relation à l'enseignant, il
s'inscrit dans une guerre dont l'enjeu principal est d'exercer une emprise sur l'autre enseignant
et/ou d'éviter de subir l'emprise violente de l'autre. Ces enjeux d'emprise ont directement à
voir avec le corps de l'enseignant (bouche de l'enseignant, enseignant frappé, confrontation
physique enseignant-élève) et de l'élève (élève frappé, étranglé, auquel on impose le silence).
Le passage à l'acte agi ou subi tend à remplacer la relation affective et court-circuiterait
l'expression et l'élaboration des fantasmes mis en jeu dans la relation à l'enseignant.

Nous ne repérons pas d'indice dans le discours d'Idir qui nous permette d'émettre une
hypothèse sur son rapport à la séduction dans la relation à l'enseignant. Nous remarquons
cependant qu'Idir dit avoir été marqué en bien par son expérience relationnelle avec deux
enseignants hommes qui lui ont apporté leur aide. Un enseignant de physique-chimie en
cinquième qui l'a « aidé » et à propos duquel il précise « on se parle encore quand on se
croise »; un enseignant de français en sixième qui a mis en place de « l'aide aux devoirs ».
Cette reconnaissance de l'étayage apporté par un enseignant homme indique, selon nous, qu'il
n'est pas menacé outre mesure par la position passive dans la relation à une figure masculine
susceptible de remplir la fonction de substitut paternel. Peut-être qu'Idir entretient un rapport
suffisamment apaisé avec son fantasme de séduction pour supporter de, voire demander à,
être aidé par une figure masculine paternelle.

Notre objectif a été dans ce chapitre d'analyser, selon une approche psychanalytique,
la dynamique activité-passivité mise en jeu dans le champ de la séduction entre les sujets et
leurs enseignants.

À l'issue de cette analyse nous pouvons distinguer trois groupes de sujets :

200
• huit sujets (Sinan, Naïma, Ibrahim, Hans, Oscar et, dans une moindre mesure,
Georges, Aurélien et Édouard) qui auraient recours à un procédé qui peut s'apparenter
à la séduction hystérique consistant à exciter en toute innocence l'autre enseignant
pour ensuite lui donner la place de persécuteur sans foi ni loi. Sur le plan de la
dynamique activité-passivité, le positionnement est plutôt actif dans la mesure où ils
cherchent activement la mise en scène d'une position passive dans la relation à
l'enseignant et que l'enjeu de tout ceci serait, notamment, le contrôle de l'objet-
enseignant menaçant.
• cinq sujets (Yassine, Imen, Aymeric, Kevin, Dorian) qui semblent remplacer les
positions active et passive dans le fantasme de séduction par les positions de frapper
et être frappé, ou tenir l'autre sous emprise par un rapport de force physique et/ ou
verbal et être sous l'emprise violente de l'autre. Sur le plan de la dynamique activité-
passivité, ils sont menacés par des représentations ou des fantasmes d'être sous
l'emprise violente de l'enseignant et réagissent par le passage à l'acte lorsque la
menace se fait trop sentir.
• quatre sujets (Ophélia, Helder, Selma et Idir) qui semblent présenter chacun des
positionnements différents par rapport à la séduction dans la relation enseignant-
élève.

D'après nos analyses, les difficultés dans la relation à l'enseignant peuvent donc se
comprendre comme un évitement de la position passive d'être séduit.
En effet, il s'agit pour le premier groupe de mettre en scène dans l'enceinte de la classe
et à travers le discours, une excitation-persécution par l'adulte. Nous dirons que, plutôt que
subir la séduction, ils cherchent à la mettre en scène. Il s'agit pour le deuxième groupe de se
maintenir hors de la menace d'une position passive d'être sous l'emprise violente de l'autre
enseignant ; menace qui tend à infiltrer ou remplacer sur le plan fantasmatique, la position
passive d'être séduit.
Helder, qui fait partie du troisième groupe, semble investir dans une certaine mesure
une position active de séducteur incestueux des figures parentales. Pour lui aussi la position
passive semble donc à éviter.

Dans la perspective d'une analyse de la dynamique activité-passivité telle qu'elle se


joue dans la relation à l'enseignant il nous semble indispensable d'aborder les fantasmes

201
œdipiens relatifs aux formes du complexe d’œdipe inversée chez le garçon (amour
homosexuel pour le père et haine de la mère considérée comme rivale) et positive chez la fille
(amour dirigé vers le père et haine envers la mère rivale). Ces fantasmes ne manquent pas de
mettre en jeu le fantasme de séduction dans sa version hystérique qui « assure à l'autre, au
père ou à son substitut la place d'un séducteur actif, agent pervers d'un traumatisme dans
lequel la participation du sujet, c'est à dire la part de désir qui lui revient et la provocation
excitante qu'il implique, est refoulée » (C. Chabert, 2012, p35). Ces fantasmes participent du
travail du féminin dans les deux sexes tel qu'il est défini par J. Schaeffer (1997) qui consiste
en un travail particulier du moi visant à accroître la capacité du moi et du corps à se laisser
pénétrer par un étranger, porteur de l'effraction pulsionnelle. Il s'agit, nous semble-t-il, de
pouvoir accueillir et figurer l'étranger en soi, tâche qui devient impérieuse en période
pubertaire. Pour ce faire, un certain travail du moi est nécessaire qui « exige de sa structure
anale qu'elle mette en œuvre sa fonction d'ouverture (démission du fantasme de tout
contrôler). » (J. Schaeffer, 1997/2013, p67).

Il s'agira donc dans le prochain chapitre d'investiguer la dynamique activité-passivité


dans la fantasmatique sexuelle œdipienne et dans le travail du féminin. Nous nous
attacherons a détecter la mise en jeu de cette dynamique dans la relation à l'enseignant.

IV. La fantasmatique sexuelle œdipienne, le féminin et la bisexualité psychique :

1. Fantasmatique d'une position passive œdipienne et d'une relation homosexuelle mise en jeu
dans la relation à l'enseignant :

Nous avons observé qu'un bon nombre d'adolescents, au moins 10 ( Sinan, Naïma,
Ibrahim, Hans, Oscar, Georges, Aurélien, Édouard, Dorian et Ophélia) expriment un
sentiment de persécution dans la relation à l'enseignant ou semblent provoquer et/ou guetter
le moindre signe d'une velléité persécutrice de la part de l'enseignant. Il est possible
d'interpréter cette dimension de persécution comme le signe de ce que F. Marty (2009) a
nommé la paranoïa ordinaire de l'adolescent. Dans le cas des garçons, cette paranoïa serait
entre autres le signe d'une lutte « contre l'homosexualité latente ». Dans le cas des filles, c'est
la menace d'être sous l'emprise violente d'un homme qui semble dominer le tableau. Cette
dimension de l'emprise relève peut-être d'une conception phallique de la relation à l'autre

202
caractérisée par des enjeux de domination, d'emprise et par la menace d'une position passive
qui renvoie à l'intrusion anale.

Les propos de 4 adolescent(e)s dont 2 filles indiquent qu'ils sont travaillés par la
représentation menaçante et excitante de l'homosexualité masculine dans la relation à
l'enseignant homme :

Naïma dit à son professeur de mathématiques de cinquième, « ferme ta gueule sale


pédé » et se fait renvoyer du collège par la suite. Ce professeur de mathématiques avec
lequel, dès le début de l'année, elle ne s'est pas entendu, aurait menacé d'appeler sa mère pour
l'informer de son comportement jugé perturbateur ce qui aurait provoqué cette réaction de sa
part. Nous savons que Naïma a une relation difficile avec sa mère et avec une de ses grandes
sœurs. La menace du professeur de mathématiques d'appeler la mère fait écho à la réponse de
Naïma planche 16 du TAT : « une petite fille qui rentre chez elle, elle sort de l'école et en
rentrant chez elle, sa mère est pas contente, du coup, la petite fille ressort et décide de sortir
avec ses amis et voilà. (pourquoi la mère n'est pas contente?) parce que l'école de la petite
fille a appelé. ». À l'image 10 du TAT, elle identifie « deux hommes qui se font un câlin ». Il
semble donc que la relation homosexuelle masculine soit l'objet d'un investissement
inconscient particulier. Naïma emploie souvent l'expression ''sur moi'' pour dire qu'elle a
apprécié ou mal vécu l'attention que lui accorde l'enseignant. Ainsi parle t-elle d'une
enseignante d'Anglais en terme positif : « elle était tout le temps sur moi en train d'essayer
de me faire comprendre » et précise « il y en a ils sont sur moi pour m'aider et d'autres sur
moi pas pour m'aider ». Il semble donc que la représentation de soi comme en dessous dans
une relation de proximité positive ou négative avec l'enseignant(e) imprègne fortement le
psychisme de Naïma. Nous supposons que cette dissymétrie dessus (enseignant)/ dessous
(Naïma) est sous-tendue par, ou est susceptible d'éveiller, une fantasmatique sexuelle en
position passive. C'est la position passive vis-à-vis d'un homme à la voix grave qui serait la
plus insupportable pour elle : « pour moi quand un professeur a une voix grave et qu'il
hausse le ton, ça va m'énerver et moi aussi j'vais commencer à parler fort. ». La position
passive féminine semble difficile à élaborer d'après sa réponse à la planche VII du
Rorschach : « Trois pierres collées et au milieu il y a quelqu'un ». Elle abrase le pulsionnel
par le recours au bloc de pierres mais ce « quelqu'un » au milieu témoigne peut-être d'une
possibilité d'ouverture. Au TAT la position féminine nous semble mieux assumée à travers
notamment la représentation de la femme choquée par l'homme planche 6GF.

203
Nous pouvons donc supposer que Naïma est au prise avec une menace d'être dominée
qui, sur le plan fantasmatique, tendrait plus à être associée à une relation homosexuelle
masculine qu'à une relation hétéro-sexuelle.

Ibrahim nous dit que les professeurs qui crient l'énervent parce que, dans son quartier,
ceux qui crient sont ceux qui se font frapper. « généralement les élèves comme moi, on aime
pas les profs qui crient trop. Si il est dans la rue, si il crie, il va se faire taper. ». Il dit cela
pour étayer sa thèse selon laquelle « si tu t'énerves c'est que le prof t'a bien poussé à bout ».
Nous supposons donc que ce qui excite sa colère c'est l'idée ou l'impression que l'enseignant
désire exciter chez l'autre le désir de le frapper. Il est possible qu'Ibrahim attribue aux
enseignants, peut-être surtout aux hommes qui crient, ses propres désirs de position passive
d'être frappé par un autre homme. La scène de l'enseignant frappé et dominé par l'élève que
nous fait entrevoir Ibrahim témoignerait à la fois de son désir de frapper l'autre adulte-
enseignant et d'être frappé par lui et permettrait peut-être de jouir des deux positions (frapper
et être frappé dans la relation à l'autre). Nous supposons que,tout comme le fantasme « un
enfant est battu », cette scène, que nous pourrions nommer « un enseignant est battu (par
l'élève) », est à mettre en lien avec le désir voilé d'une relation d'amour incestueuse avec une
figure parentale paternelle susceptible d'être incarnée par l'enseignant, suivant l'équivalence
inconsciente battre/être battu, coïter/ être coïté. Ibrahim compare les enseignants à « la
police » et les élèves à des « esclaves ». D'après son discours, d'une certaine manière, les
élèves-esclaves sont susceptibles de subir les violences policières des enseignants. Les
figures de l'enseignant et de l'élève viennent donc condenser des positions contradictoires,
l'enseignant étant à la fois le policier qui frappe et celui qui désire se faire frapper. L'élève
étant à la fois l'esclave et le persécuteur potentiel dont l'agressivité est excitée par les cris de
l'enseignant.
Yassine entretenait une relation conflictuelle avec un professeur d'anglais en
quatrième. Il nous dit : « j'm'ennuyais et je l'insultais (comment réagissait-il ?) des fois il
comprenait pas et des fois il me virait. J'm'en foutais, je sortais et je l'insultais ». Yassine
l'insultait en langue arabe parfois, c'est pour cela que son professeur ne comprenait pas
toujours. Cependant, il s'est trouvé qu'un jour une dame présente en cours d'anglais pour
soutenir certains élèves en difficulté a compris les insultes proférées par Yassine en arabe et a
« balancé ». Il s'en est suivi l'exclusion du collège. Yassine nous dit « c'est à cause d'elle que
je me suis fait virer ». Cette dame aurait, selon Yassine, fait une traduction de ses propos qui
en exagérait la gravité « elle a remixé mes propos » nous dit-il. Selon Yassine ce professeur

204
d'anglais manifestait sciemment une certaine féminité liée à une homosexualité supposée :
« il avait des manières bizarres (?) J'sais pas on dirait il faisait comme une femme. J'crois
qu'il est gai. Il le montrait un peu. Des trucs un peu (?) comment il parlait. Moi j' rigolais,
je m'en foutais. ». Il semble donc, que les difficulté relationnelles avec ce professeur soient en
partie liées à son homosexualité supposée générant un sentiment d'étrangeté. Yassine dit par
ailleurs qu'il a eu des altercations physiques avec un professeur de SEGPA.
« j'm'embrouillais avec le professeur physiquement. Mais j'l'aimais bien, c'était un bon
prof. ». Cette recherche de contact physique avec un enseignant aimé, conjointe au sentiment
d'étrangeté et au conflit dans la relation à un professeur perçu comme « gai », nous fait nous
demander dans quelle mesure Yassine est porteur de désirs homosexuels refoulés qui trouvent
à s'exprimer dans le conflit avec certaines figures masculines.

Selma nous dit avoir été l'objet de persécution d'un enseignant de mathématiques qui
avait du mal à se faire écouter : « il arrêtait pas de me saouler. Tout le monde parlait mais
c'est tout le temps moi qui prenait ». Cet enseignant est décrit comme peu patient et ayant une
fois dit à Selma dans un accès d'agacement « ça va pas rentrer dans ta tête ! ». D'après Selma
« il parlait comme une fille. Il criait comme une fille. » et elle exprime son interrogation
quant à l'orientation sexuelle voire l'identité sexuée de cet enseignant : « j'pense que c'est pas
une fille, qu'il est pas gai mais ... ». quelque chose qui renvoie à l'incertitude quant à
l'orientation sexuelle de l'enseignant et au soupçon d'un désir homosexuel semble favoriser le
rejet du professeur. Nous constatons que Selma paraît prise dans une contradiction
concernant l’investissement d'une identité féminine ou masculine, ainsi elle dit ne pas aimer
« les délires de filles » et préférer la compagnie des garçons alors que, concrètement, elle est
la plupart du temps avec des femmes (sa voisine, ses cousines) et des filles (ses copines).
Comme pour nous signifier qu'elle s'identifie plutôt aux garçons « footeux » de sa classe , elle
dit qu' « elle aime le foot » mais ajoute dans un deuxième temps « j'aime le foot mais je ne
sais pas jouer ».
D'après les protocoles de TAT et de Rorschach, Selma est particulièrement travaillée
par la question du féminin au sens de J. Schaeffer (1997), féminin qui fait l'objet d'un rejet,
mais est peut-être aussi, objet de désir angoissant. Au TAT, cela se manifeste à la planche 5 -
« Une vieille. On dirait que elle surveille quelque chose ou quelqu-un. Elle a l'air inquiète.
Elle surveille quelqu'un ou a peur que quelqu'un rentre chez elle. » - la peur de l'intrusion
d'un inconnu chez elle fait directement écho selon nous à l'angoisse du féminin. À la planche
8BM : « Un enfant , on dirait qu'il a une arme à la main, mais derrière il y a des gens qui

205
font quelque chose à une dame. On dirait que … je sais pas si il va la tuer (?) on dirait qu'il
est plus en train de la libérer en fait. J'sais pas en fait, j'arrive pas à voir. ». Selma identifie
comme « dame » un personnage clairement de sexe masculin. Ainsi nous pouvons supposer
que la puissance du fantasme ou du désir que « des gens » fassent « quelque chose à une
dame » la conduit à ignorer dans une certaine mesure la réalité perceptive et percevoir une
dame là où elle devrait percevoir un homme. Cette position passive vis-à-vis « des gens » et
finalement vis-à-vis d'un homme désigné par la troisième personne du singulier « il », Selma
ne sait pas si ça « va la tuer » ou « la libérer ».
Nous observons que Selma exprime un fort mouvement de rejet et d'emprise face à la
planche VII du Rorschach qui sollicite l'élaboration du féminin. Elle se saisit de la planche,
alors qu'elle ne l'avait pas fait avec les autres. Elle la tourne dans différents sens. Et dit « c'est
bizarre. Ça me fait penser à rien en fait. La pause d'un chien (?) quand il se lève comme ça
[elle mime la posture du chien] et une tête ». Le mouvement de rejet devient plus évident à
l'enquête : « Cette tache elle est bizarre. Elle veut rien dire ! Je comprend rien de ça ! ».
Nous nous demandons dans quelle mesure l'aversion pour ce professeur de
mathématiques soupçonné d'homosexualité ne traduit pas à la fois un rejet de l'incertitude
dans laquelle elle se trouve quant à son identité sexuée et un rejet du féminin.

Trois sujets, Yassine, Naïma et Selma semblent particulièrement sensibles aux signes
et représentations d'une homosexualité de l'enseignant. Ibrahim semble fantasmer le plaisir
d'être battu chez les enseignants qui crient. Ces signes et représentations tendent à exciter leur
colère et/ou leur désir d'établir une relation conflictuelle avec l'enseignant supposé porteur
d'un désir de position passive érotisée dans la relation à l'autre. Nous en déduisons que ces
quatre sujets garçons et filles sont particulièrement travaillés par des désirs et fantasmes
mettant en scène une homosexualité masculine dans la relation à une figure paternelle.
L'investissement particulier du conflit avec l'enseignant supposé homosexuel, chez les
garçons comme chez les filles, peut être compris comme le combat contre l'angoisse d'être
pénétré par voie anale, voire comme une tentative de pénétrer l'autre substitut paternel plutôt
que d'être pénétré dans le cadre d'une fantasmatique homosexuelle. L'enjeu serait d'être le
dominant dans la scène homosexuelle de pénétration anale. Nous pouvons nous demander si
la sensibilité particulière des adolescents à cette question du plaisir pris par l'enseignant en
position passive ne fait pas écho à la vivacité de leur propres désirs qui mettent en jeu la
passivité vis-à-vis d'un autre masculin.

206
Concernant l'homosexualité, Madame K, enseignante en classe relais, observe que les
adolescents accueillis amènent souvent spontanément cette question de l'homosexualité et de
son traitement sociétal. Elle remarque que dans le cadre d'un débat en classe, les élèves
expriment la plupart du temps des idées de sanctions répressives de l'homosexualité par la
société : «Ils sont dans la punition. Euh!... ce qui est curieux parce que eux, quand on veut
leur appliquer des punitions, ils crient toujours à l'injustice et au scandale. Mais eux sont …
[pour les autres ils sont dans la punition ?] Ça peut être, quand ils ressentent de l'injustice,
ils peuvent demander de rétablir des sanctions. Mais c'est surtout pour les gens en général.
Alors ils ont des idées toutes faites. Par exemple sur l'homosexualité. Alors là c'est … ils sont
redoutables ! [C'est à dire.] Ah ! ben c'est à dire que ils demanderaient, c'est tout juste s'ils
ne demanderaient pas la peine de mort, pour l'homosexualité. Donc quand on a parlé du
mariage pour tous,etc... alors là c'était terrible, terrible ! [C'est un sujet qui revient souvent
l'homosexualité ?] Euh ! l'homosexualité les tracasse, oui. Ça les tracasse et pour eux c'est
quelque chose d'infâme, de contre nature. Et ben Gérôme me dit l'autre jour, ben « madame
vous voyez bien ! Vous voyez ! Prenez un lion, le lion il va chercher une lionne, il va pas
chercher un autre lion. Vous voyez bien que ce n'est pas normal si un homme va chercher un
autre homme. C'est pas normal. Parce que le lion lui va pas le faire. Donc vous voyez bien
que si c'est pas normal, il faut pas laisser faire. ». donc je lui dis « qu'est-ce-que tu
proposes ? ». Alors là des solutions vraiment radicales. Mais il n'est pas le seul. Il y a même
eu une grande discussion, on a eu de grandes discussions, ça s'est fini, je les ai accompagnés
à la cantine exceptionnellement. Il y avait justement une fille qui disait donc « moi, j'ai des
camarades filles qui sont homosexuelles, c'est quand même mes camarades ». Donc y a eu
des discussions. Est ce que c'est moins pire quand c'est des filles ou quand c'est des
garçons ? Mais pour eux, oui c'est quelque chose d'inadmissible. Ils ne comprennent pas que
la société soit aussi laxiste. » (L260-284).

Ces remarques vont dans le sens des résultats de la recherche psycho-sociologique de


P. Mercader et N. Carbonne (2014) qui observent que les collégiens garçons sont soumis au
sein du collège, à des injonctions de virilité qui semblent corrélées du côté des filles à une
injonction de voiler leur féminité, leur identité sexuée « puisque c'est leur sexe même qui les
fait « putes » » (P. Mercader & N. Carbonne, 2014, p 136). P. Mercader et N. Carbonne
observent que « les recherches sur les violences scolaires en général ... nous montrent un
univers parfois désespérant, surtout quand on les envisage sous l’angle du genre. Ce système

207
adolescent, en effet, est marqué par la menace du viol, le harcèlement sexuel, le clivage des
femmes et la contrainte à être un « vrai homme » pour les garçons. » (2014, p136).
Les élèves de classe relais, manifestent dans la relation à madame K une demande de
débattre autour de la question de l'homosexualité masculine et féminine ne serait-ce que pour
conforter une position virile aux yeux des autres (enseignante et élèves). Par leur demande et
leur discours sur les difficultés dans la relation aux enseignants, ces adolescents ou pré-
adolescents ont le mérite, nous semble-t-il, d'attirer notre attention sur un travail de la
passivité dans la relation à l'autre plutôt masculin nécessaire mais difficile à mettre en œuvre.

Certains sujets semblent osciller entre désir et résistance vis-à-vis d'une position
passive dans la relation à un homme possible substitut d'une figure paternelle. D'autres
hésitent manifestement entre une identité et un positionnement fantasmatique féminin et
masculin.

2. Activité-passivité et féminin redouté, rejeté et désiré :

2.1. Rapport ambivalent au féminin érotisé :

Dans les cas de Imen, Édouard, Idir et Georges nous identifions certains éléments qui
indiquent un conflit entre désir d'une, et la résistance à la, position passive dans la relation à
une figure masculine.

Imen fait un dessin qui laisse supposer qu'elle désire occuper une place de domination
dans la relation aux garçons. Elle dessine une enseignante de français qui dit « Silence ! » à
deux garçons. L'enseignante et les deux élèves garçons sont dessinés sur deux feuilles à part.
Nous observons un contraste entre le dessin de l'enseignante et le dessin des deux garçons :
- au niveau du positionnement sur la feuille, l'enseignante étant positionnée en haut sur un
axe central et les deux garçons plutôt en haut à gauche.
- nous notons surtout que le corps de l'enseignante est plus grand, plus complet, avec des
contours mieux dessinés que ceux des garçons. Les garçons sont grossièrement dessinés et
nous font l'effet de silhouettes vagues amputées de leurs mains et de leurs pieds.
L'enseignante est munie de talons qui peuvent être considérés comme des attributs phalliques.
- la parole de l'enseignante est explicite et prend plus d'espace sur la feuille tandis que celle
des élèves garçons est réduite à un vague « bla bla »

208
Nous pouvons supposer qu'Imen nourrit le désir de prendre une position phallique de
domination castratrice sur les garçons, qui passe notamment par leur imposer le silence et les
amputer de quelques membres forts utiles, mains et pieds. Elle semble ainsi bien prise dans
une conception de la différence des sexes, relevant du phallique-châtrée, et peut-être résolue à
reconquérir, par la domination des garçons, le phallus qui lui a été ravi dans l'enfance. Dans
le cadre des entretiens Imen parle peu, elle nous présente un visage fermé qui contribue
sûrement à créer la crainte que nous avons éprouvée d'éveiller sa colère en posant trop de
questions ou des questions trop intrusives. D'une certaine manière peut-être nous réduit-elle
un peu au ''silence'' (à l'instar de l'enseignante sur le dessin). La réponse d'Imen à la planche
10 du TAT vient cependant relativiser cette position rigide phallique, à laquelle elle semble
tenir, pour nous laisser entrevoir un plaisir secret dans la relation de proximité avec un
homme admettant une position passive féminine : « On dirait que le monsieur chuchote à
l'oreille de la dame. ». Ici la dame est en position de réception des mots chuchotés à l'oreille
par l'homme qui n'est plus tenu de faire silence.
Imen oscillerait donc entre une position castratrice-phallique et une position réceptrice
(par l'oreille des mots et de la voix de l'homme) dans la relation au garçon ou à l'homme. Il
nous semble cependant que c'est la position castratrice-phallique qui est au devant de la
scène.
Édouard met en acte devant nous ce qui pourrait s'apparenter à la mise en scène avec
le concours de l'adulte homme d'un fantasme de séduction. En effet, nous avons assisté à une
scène dans la classe relais où Édouard se tenait couché avec sa capuche sur la tête devant
l'adulte relais, refusant de bouger pour sortir en récréation, dans une attitude que nous
pourrions appeler d'opposition passive. Dans cette situation l'adulte homme, s'il se laissait
aller au passage à l'acte, aurait été enjoint à jouer le rôle de l'agresseur de l'adolescent couché
devant lui en le forçant manu militari à sortir de la classe relais pour aller en récréation. Nous
ne pouvons éviter l'idée d'une mise en scène fantasmatique d'une position passive érotisée
dans la relation à un homme adulte. Cependant, cette mise en scène présente ceci de
particulier que Édouard ne témoigne aucune émotion et c'est l'autre adulte qui s'excite devant
son impassibilité. Édouard par son comportement, tend à solliciter activement l'intrusion par
l'adulte homme. Il s'agit donc d'une position passive activement recherchée et provoquée. Il
faut préciser que la relation était particulièrement conflictuelle avec cet adulte relais chargé
notamment de soutenir Édouard dans l'écriture de son rapport de stage. Édouard développait
une opposition passive particulièrement tenace dans la relation à cette personne. Il y a donc à

209
la fois refus d’obéir et appel à la fustigation équivalent d'une position passive dans la relation
à une figure paternelle.
Idir dénonce le fait qu'un enseignant de mathématiques « vraiment méchant » en
cinquième et quatrième favorisait les filles au détriment des garçons. Il nous dit que cet
enseignant « parlait qu'avec les filles et les filles avaient rien », c'est à dire pas de punitions.
Il ajoute que cela a marqué certains de ses amis : « j'ai des copains qui en parlent toujours ».
Nous pouvons supposer qu'Idir envie la relation privilégiée réelle ou fantasmatique que les
filles entretiennent avec le professeur de mathématiques. Une bonne part de sa plainte par
rapport aux enseignants est axée sur le fait que la plupart d'entre-eux font des préférences,
n'accordant leur attention qu'aux élèves « qui font le plus d'efforts ». Nous pouvons faire
l'hypothèse qu'Idir, dans une certaine mesure, s'inscrit fantasmatiquement dans une rivalité
fraternelle vis-à-vis des autres élèves, dont l'enjeu est d'obtenir l'attention, voire l'amour de
l'adulte substitut parental. Cette hypothèse se trouve renforcée par le fait que nous observons
une tendance forte chez Idir à employer le terme « frère » pour s'adresser à ses camarades en
classe relais. Dans le cas du professeur de mathématiques qui favoriserait les filles, nous
pouvons envisager qu'Idir fantasme une relation de proximité père-fille désirée par lui et qui
éveille de la jalousie. Cette jalousie pourrait être sous-tendue par un désir d'une position
passive féminine vis-à-vis d'une figure paternelle.

Georges tend particulièrement à s'inscrire dans une conception et un vécu de la


relation à l'enseignant marqués par un enjeu de pouvoir. Il nous dit répondre coûte que coûte
à l'enseignant, ne pas se calmer quand l'enseignant « se croit au dessus » de lui. L'idée d'une
dissymétrie dessus-enseignant/ dessous-élève lui serait difficilement supportable. Georges
semble donc se représenter la différence de pouvoir à travers la dissymétrie dessus/ dessous.
Par ailleurs, Georges fait un dessin (en réponse à la question : qu'est-ce-qu'un enseignant pour
vous ?) qui révèle bien combien il associe la position d'élève à l'être dominé dans un système
de hiérarchie des pouvoirs ou des emprises. Ainsi à travers un dessin schématique, il dépeint
une relation hiérarchique qui suit un sens unique descendant, du haut vers le bas de l'échelle
hiérarchique. En haut de l'échelle est positionné le couple homo-sexué de « chefs
d'établissement ». Au milieu de l'échelle se trouve le « professeur » exécutant les ordres des
chefs d'établissement. En bas de l'échelle, sont figurés deux élèves qui reçoivent le travail
donné par l'enseignant. La dissymétrie des places est signifiée par la différence de taille des
personnages. L'enseignant étant plus petit que les chefs d'établissement et les élèves plus
petits que l'enseignant.

210
Cette représentation du système scolaire selon une domination des enjeux d'emprise,
ajoutée à cet investissement spécifique de la différence dessus/ dessous dans la relation aux
enseignants, nous renvoie à l'inscription dans une conception phallique « toute d'emprise »
(Ph. Gutton, 2008, p97) de la différence des sexes et des générations, qui tient
essentiellement à la possession du pouvoir, de la puissance. Selon Ph. Gutton les adolescents
excessivement inscrits dans une philosophie phallique restent fixés érotiquement à une
représentation d'un parent ou du couple parental comme porteur des attributs phalliques, et
plus particulièrement, d'un pénis investi d'une valeur phallique. Il est possible que le couple
de chefs d'établissements figuré sur le dessin de Georges entretienne un lien étroit avec des
figures parentales phalliques. Nous pouvons supposer que Georges reste trop fixé à une
enfance « dominée par l'érotique liée au parent porteur phallique (soumission-opposition) »
(Ph. Gutton, 1991, p117) ce qui aurait pour effet que la soumission à l'enseignant soit
susceptible de constituer l'équivalent d'une position passive érotisée incestueuse. Étant donné
l'excitation qui semble gagner George lorsqu'il est confronté à la représentation de la
différence dessus-enseignant / dessous-élève, nous pouvons supposer que celle-ci fait écho à
un fantasme érotique incestueux mettant en jeu les positions active et passive dans la relation
à une figure parentale. L'enjeu serait pour Georges soit d'éviter la position passive érotisée,
soit de ''prendre le dessus'' et ainsi être actif vis-à-vis d'un enseignant passif.
Sur le plan fantasmatique il n'est pas sûr que l'enseignant soit assimilé à une figure
parentale, ce serait, d'après son dessin, plutôt le cas du couple de chefs d'établissement.
L'enseignant semble plutôt dans un entre-deux entre les chefs d'établissement et les élèves. Il
nous paraît intéressant d'envisager l'hypothèse selon laquelle l'enseignant sur le plan
fantasmatique tend à jouer le rôle de frère, peut-être de grand frère, plus proche et à la solde
des figures parentales (chefs d'établissement) qui le mettent en place de dominer les frères-
élèves. F. Houssier qui s'intéresse à la violence dans la relation fraternelle, écrit que selon P.
L. Assoun « le couple fraternel » est « fondé sur des scenarii imaginaires mettant en scènes
des couples d'opposés ; parmi ceux-ci le couple dominant-dominé. » (2002, p145). Ce serait
donc la position passive érotisée de dominé vis-à-vis du frère (ou de la sœur ?) enseignant qui
serait à éviter. Réussir à être dominant dans la relation au frère-enseignant permettrait peut-
être aussi de monter dans l'échelle des pouvoirs et se rapprocher ainsi des parents-chefs
d'établissement.

211
2.2. Rapport au féminin maternel :

Aurélien manifeste par son discours un rapport aux filles difficile et nous évoque dans
une certaine mesure une ''guerre des sexes''. Ces difficultés semblent en lien avec un féminin
maternel d'autant plus désiré qu'il est menaçant. Aurélien nous dit avoir été en conflit avec
des filles et victime d' « un complot » de filles, en sixième, qui l'ont accusé de les avoir
« giflées et insultées ». Suite à cette accusation il aurait été changé de classe ; il nous dit qu'à
partir de ce changement de classe vécu comme une injustice il serait devenu « très violent ».
Nous savons qu'une des raisons de son orientation en classe relais est qu'il a violenté une
fille, il lui a mis un coup de tête. Ces éléments laissent penser que quelque chose lui est
insupportable chez les personnes de son âge, de sexe féminin et fait peser une menace dont il
se défend par l'agir violent. Nous supposons que cela a à voir avec la menace de castration
associée au féminin mais aussi avec le fantasme menaçant d'un retour au ventre maternel.
Nous constatons en effet au Rorschach une forte présence de la représentation de la castration
d'un membre du corps qui entraîne en retour une compensation immédiate par surévaluation
des autres membres : planches IV - (à l'enquête) « des petits bras (castration), des gros pieds
et une grosse queue (compensation phallique) » -, VI « la France en plus grand », IX « un
animal sans bras (castration) , avec un gros corps et une grosse tête (compensation). ». Le
fantasme de castration semble donc prégnant dans la problématique d'Aurélien et nécessite le
recours constant à une compensation sans doute pour préserver un narcissisme blessé. Dans
ce contexte, le rapport conflictuel aux filles peut se comprendre comme une mise à distance
du féminin châtré visant à affermir une position virile phallique pour compenser un sentiment
de castration excessivement pesant (et qui le rapproche du féminin châtré).
Nous observons au Rorschach que la castration sollicitée à la planche II éveille en lui
un désir ou un besoin de compensation orale immédiat, que nous pouvons rapprocher d'un
fantasme d'incorporation – planche II : il sourit et donne une réponse presque immédiatement
après présentation de la planche « deux cuisses de poulet » - ce mouvement est suivi à la
planche III d'une représentation d'un enfant dans le ventre de sa mère caractérisé par la
perméabilité des limites internes-externes - « une échographie » et à l'enquête « Le bébé là »
(détail inférieur central). D'après ces éléments nous pouvons supposer que la confrontation à
la castration éveille un fort désir de retour au ventre maternel, en relation étroite avec la
satisfaction orale. Le retour au ventre maternel est selon J. Cournut (2001) le quatrième
fantasme originaire qui vient nourrir chez l'homme une secrète et puissante envie à l'égard
des femmes. Cette envie serait en dernière instance à l'origine de la peur que les hommes ont

212
des femmes. Envie de se laisser aller à une passivité particulière dans la relation à une figure
maternelle, « s'abandonner, bienheureux, sur le sein d'une toute jeune femme fût-ce au prix
de la mort » et il précise que « cette envie pourtant est pleine de risques » car :
- « la bonne passivité à ne plus bouger devient mortelle.
- le masochisme est inépuisable ; gardien de la vie dans une certaine mesure, passé un
certain seuil il vire à la destruction de soi.
- Quand la peur de la castration ... ne fonctionne pas (ou plus) comme angoisse-signal, elle
est, reste (et redevient?) terreur d'être mutilé, tel un Narcisse amputé qui perd son image et
sa vie.
- Quand la séparation d'avec l'objet maternel n'est pas médiatisée par un complexe qui
sacrifie une partie pour sauver le tout, la relation est à plein canal symbiotique ; l'amour
entier peut s'y épanouir, la haine aussi et se transmettre. » (J. Cournut, 2001/2015, p125)

Le comportement violent d'Aurélien avec les filles peut donc être envisagé sous
l'angle d'une défense active contre une passivité menaçante liée au fantasme de retour au
ventre maternel. Par l'agir violent Aurélien met à distance, fait taire cette envie
particulièrement vivace d'une passivité dans la relation duelle à une figure maternelle.
Aurélien nous dit que la relation a été particulièrement conflictuelle avec une enseignante de
français qui lui en voulait particulièrement - « tout le temps c'était moi » - saisissant la
moindre occasion pour le réprimander. Cette enseignante avait tendance à tenir des propos
irrespectueux vis-à-vis de lui et des autres élèves. Aurélien illustre ce manque de respect par
cet exemple : « la prof de français m'a dit pauvre gars et moi j'ai dit pauvre femme ». Par cet
exemple, Aurélien nous montre qu'il tend à se représenter le conflit avec cette professeure
comme une persécution et une haine réciproque qui porte spécifiquement sur l'identité sexuée
de chacun des protagonistes, ceci dans le cadre d'une relation homme-femme qui se veut
essentiellement duelle et peu distanciée (le manque de respect et le caractère familier des
propos sont synonymes d'un manque ou d'une perte de distance dans la relation entre
enseignante et élève). Nous pouvons supposer qu'Aurélien cherche, ou a cherché, à mettre en
scène, au moins dans la relation à cette enseignante et peut-être plus largement dans la
relation aux filles, une fantasmatique de guerre des sexes qui lui permet d'affermir une
position virile face à un sentiment pesant de castration, ceci, tout en gardant à portée de haine
(une proximité duelle haineuse) l'objet féminin, d'autant plus haï qu'il est secrètement envié et
désiré. L'amour réciproque désiré se trouve remplacé par la haine réciproque. Ainsi peut être
faut-il entendre sous la dévalorisation mutuelle (pauvre gars/ pauvre femme), le désir inverse

213
d'une valorisation mutuelle, une séduction narcissique (riche, beau gars / riche, belle femme)
dans la relation homme-femme et/ou dans la relation du garçon à sa mère.
Les réponses d'Aurélien planche IV et VII indiquent qu'il tente de préserver une
figure masculine phallique (paternelle?) contre les assauts de la castration et, dans le même
temps, de maintenir sans succès une figure féminine maternelle hors d'atteinte d'un risque de
chute ou d'effondrement. Ainsi à la planche VII il évoque dans un premier temps « deux
personnes, deux femmes qui volent avec les cheveux en l'air et les bras derrières, avec une
robe. » puis à l'enquête finalement elles ne volent pas « elles tombent de quelque chose. ».
Nous supposons donc qu'Aurélien s'inscrit dans une lutte contre la passivité associée à
la castration et à une fantasmatique liée au féminin-maternel. Il semble inscrit dans une lutte
pour soutenir le masculin particulièrement menacé de castration et une figure maternelle
menacée de chute.
Sinan semble aux prises avec une femme mère phallique castratrice qui suscite
soumission ou révolte et désir de vol. Ainsi à la planche 6 BM c'est une figure féminine-
masculine entre mère et patron qui réprimande le fils-employé qui est mise en scène : « Un
monsieur en train de parler à son patron (son patron?) j'sais pas si c'est une dame ou un
monsieur. Ou c'est sa mère peut-être (qu'est-ce-qu'ils se disent?) j'sais pas je pense qu'elle lui
fait la morale. ». Nous pouvons supposer que Sinan fait intervenir le patron-mère comme
figure surmoïque venant punir les désirs coupables parricides sollicités par cette planche. La
mère-patron serait dans une certaine mesure incarnée par certaines professeures principales
avec qui il a eu des relations conflictuelles. Sinan dit avoir eu l'impression partagée avec
d'autres élèves qu'ils étaient traités et considérés comme « leur chien ». Fantasmatiquement
Sinan nourrit peut-être une représentation de révolte du groupe de fils-employés contre une
mère-patron. Il nous semble que Sinan utilise au TAT les figures de l'élève, du travailleur, du
voleur et du patron (et peut-être du chien et du loup au Rorschach) pour remplacer la question
de la différence des sexes (et des générations). Ainsi, à la planche 2 c'est la différence entre
travailleur et élève qui prévaut et, spontanément, aucune mention n'est faite d'homme et de
femme : « Des élèves qui ont la chance d'aller à l'école et d'autres en train de travailler. Je
suis pas sûr. (quel est le lien entre les personnages ?) peut-être c'est leurs parents. Les
parents sont au travail et la fille va à l'école ». À la planche 6BM, la différence mère-fils
tend à être remplacée par la différence employé-patron. Le travail recouvre toute élaboration
de la relation de couple planche 13MF : « un homme qui se réveille pour aller au travail. Je
vois que ça. ». Deux figures principales émergent dans le protocole de TAT : le travailleur et
le voleur qui intervient planche 7BM - « Là je sais pas. Peut-être qu'ils sont en train de

214
parler d'une histoire, d'une affaire (?) ils ont eu un vol et ils font un plan pour essayer
d'arrêter la personne. » - et 16 - « Une personne qui avait besoin d'argent et volait des
choses et les revendait pour se faire de l'argent. Des voitures, des objets de valeur, colliers,
bracelets, des arrachés de téléphones, des trucs comme ça. (et à la fin?) à la fin, il a fait son
argent et il a arrêté. ». Nous supposons que ces deux figures du travailleur et du voleur
correspondent à deux positionnements différents vis-à-vis des figures parentales et peut-être
plus particulièrement vis-à-vis d'une figure maternelle phallique castratrice. Une position
plutôt passive de soumission du côté du travailleur et une position plutôt active correspondant
à l'action de voler (au sens de dérober) et peut-être de se révolter. La question se pose selon
nous de savoir quelle correspondance il y a entre ces deux figures et la différence féminin-
masculin.
L'image du loup est convoquée à l'introduction de la passation du Rorschach –
planche I : « un loup »- et à sa conclusion – dernière réponse de la planche X : « on dirait des
loups » -. À la planche X nous avons l'impression que l'image « des loups » est mise à
contribution comme pour faire contrepoint à la réponse « des chiens » et nous avons en tête
l'impression formulée par Sinan d'avoir été traité comme « un chien » par certains
enseignants. Selon la disposition spatiale des taches sur la planche, chiens et loups se font
face et sont séparés par la tache rose qui pourrait faire office de ligne de démarcation. Nous
nous risquons à supposer que la différence travailleur-voleur trouve une certaine
correspondance dans la différence ''entre chien et loup''.

2.3. Activité-passivité et questionnements autour du fantasme de bisexualité :

Helder, ainsi que Hans dans une moindre mesure, manifestent une ambiguïté sur le
plan de l'identité sexuée, qui pourrait être sous-tendue par un fantasme de bisexualité
permettant de jouir des deux positions active et passive dans la relation à l'autre, et peut-être
plus particulièrement dans la relation à un adulte enseignant homme.

Hans nous semble travaillé par la question de l'homosexualité et la représentation de


la ''pute''. Il nous rapporte ainsi spontanément que dans le bus des adolescents l'ont interpellé
comme ceci : « wesh petit pédé ça va ? Tu parles bien avec ta coupe de femme ». Hans
souligne qu'il aurait répondu respectueusement à cette provocation : il aurait répondu
« arrêtez » au lieu de « t'es qui toi ?!» précisant « je les respecte. ». Hans nous semble au
niveau de l'apparence physique assez efféminé, si bien que l'on peut se méprendre sur son

215
identité sexuée au premier abord et sa coupe de cheveux y est effectivement pour quelque
chose. Hans nous rapporte une dispute avec un élève de classe relais qui renvoie à l'image de
soi en prostituée, qui peut-être le préoccupe, le hante particulièrement. Il nous dit que l'élève
lui demandait un blanco sèchement : « un blanco ben j'ai pas (et l'autre élève répond) vas-y,
fais pas ta pute ! donne moi ton blanco. ». Cette anecdote fait écho au fait que Hans ait été
accusé par son enseignante de technologie de l'avoir traité de « pute », ce qu'il nie. Si l'on en
croit les accusations dont il a fait l'objet par son enseignante de CM2 (accusé d'avoir
demandé « comment on doigte une fille ? »), le corps féminin érotique, le sexe féminin, fait
l'objet d'une certaine curiosité empreinte d'agressivité, mise en jeu dans la relation à certaines
enseignantes sur lesquelles serait projetée l'image de la pute. L'attention portée à la femme
peut transparaître à la planche 10 du TAT malgré une forte inhibition : « Deux hommes peut-
être en train de parler, de penser, de réfléchir (?) peut-être qu'ils parlent de femmes. ». Cette
réponse nous donne l'impression que derrière le surinvestissement masculin de l'actif (parler,
penser, réfléchir) se cache un intérêt pour les femmes. Peut-être l'image de la femme suscite
t-elle un surcroît défensif d'activité masculine destinée à contre-investir une passivité
féminine ?
L'image de la pute contraste avec l'image maternelle très présente dans le discours de
Hans. Nous rappelons que Hans a perdu sa mère à 9 ans décédée d'un triple cancer du rectum,
du poumon et le troisième indéterminé. Sa mère a vécu trois ans avec le cancer. Hans nous dit
qu'en sixième il se bagarrait souvent surtout en réaction à l'insulte « nique ta mère ! »
insupportable pour lui. L'image de la mère surgirait de façon insupportable quand les
enseignants lui semblent autoritaires suscitant des problèmes de comportement. Ainsi dit-il :
« mon problème c'est que j'arrive pas à ce qu'on me donne des ordres. J'ai l'impression qu'ils
se prennent pour ma mère. ». Ainsi l'image de la mère et de la pute semblent se côtoyer dans
la relation aux enseignants, faisant parfois effraction et nécessitant le passage à l'acte au
moins verbal. Sur le plan des identifications bisexuées qui nous intéressent ici, il convient
selon nous, de se demander si Hans traduit, par son apparence physique et ses propos, une
identité sexuée qui oscille particulièrement entre masculin et féminin, du fait de forts
mouvements d'identification à la mère (mêlés à de forts mouvements d'agressivité), dans un
cadre d'élaboration difficile de la perte en période pré-adolescente. Hans semble exprimer un
clivage entre le féminin érotique (la pute) et le féminin maternel qui le travaille
particulièrement. Sur le plan de la dynamique activité-passivité, Hans serait actif (agitation,
passage à l'acte, projection) et recourrait à la projection sur l'enseignante, entre-autres, pour
contrer ses fantasmes passifs féminin particulièrement puissants, du fait notamment d'une

216
identification à l'objet maternel perdu. Le rôle de la putain est soit endossé
fantasmatiquement par certaines enseignantes, soit endossé par lui, mais doit rester à l'écart
de l'objet maternel.

Helder tend à jouer avec les deux formes du complexe d'œdipe, positive et inversée,
mettant en scène toujours furtivement une relation incestueuse avec père et mère,
accompagnée d'un plaisir à peine voilé qui tient notamment, nous en avons le sentiment, à la
réaction de surprise suscitée chez l'autre (nous chercheur en l’occurrence). En témoignent ses
propos déjà évoqués, accompagnant la réalisation du dessin mettant en scène un élève qui
« demande en mariage » l'enseignant homme, ainsi que la réponse à la planche 13MF du TAT
mettant en scène un inceste fils-mère. Dans les deux scenarii l'enfant est particulièrement
actif vis-à-vis du parent ou de son substitut (l'enseignant). Helder, à la planche 16, donne une
réponse particulièrement riche sur le plan symbolique, bien que peu secondarisée, restant,
nous semble-t-il, excessivement proche des fantasmes incestueux et de castration. L'histoire
qu'il nous conte planche 16 témoigne bien de ce qu'Helder investit particulièrement un jeu
d'oscillations entre féminin et masculin dans le cadre des fantasmes œdipiens. Ainsi nous
raconte t-il cette histoire : il était une fois « Un petit moustique qui était le roi des moustiques
parce que son père s'est fait écraser par son ennemi juré Jean-Pierre. Et un jour, il est allé en
Alaska pour rencontrer le maître Piqûre et demande au maître des piqûres de lui apprendre
une technique pour transmettre une maladie qui tue en plus de 40 secondes. Technique qu'il
veut tester sur Jean-Pierre. Un mois plus tard, Philippe (le roi des moustiques) avait grossi.
Deux mois plus tard Philippe était gros. Un mois plus tard, il réfléchit : « pourquoi je suis
venu ici ? » Deux mois plus tard Philippe dit « Ah ouai ! Je suis venu ici pour apprendre la
piqûre. ». Un mois après il va chez lui pour prendre à manger. Quatre jours plus tard, il
reviendra pour s'entraîner avec le maître des piqûres. Philippe à la fin va se faire tuer (dit
comme en aparté). Un mois plus tard, il n'avait plus de nourriture et il s'est dit « ah merde
j'ai fait que manger et maintenant il est temps de s'entraîner avec le maître des piqûres ». le
maître des piqûres s'appelait Azize Peter Pan. Et un mois plus tard, il a appris la technique
de la piqûre mortelle et quand il rentra chez lui, sa femme avait couché avec Mamadou et ils
ont fait 50 enfants. Philippe a tué sa femme. Il décida d'aller chez Jean-Pierre et retrouva
Jean-Pierre en train de manger des merguez et là il décida de se cacher et manger une petite
merguez. Jean-Pierre remarque Philippe et Philippe passe à l'attaque, fonce tout droit vers
Jean-Pierre (Helder fait un mouvement de haut en bas avec le bras pour montrer la
trajectoire de Philippe qui fond sur son ennemi) et Philippe essaya de l'affaiblir et Jean-

217
Pierre a compris ce que voulait faire Philippe. Il met une grosse claque à Philippe et il tombe
par terre. Philippe allait mourir bientôt, il perdait beaucoup de sang. Et là, il dit « nique ta
mère ! ». »
Constatant que Philippe commence à grossir quand il arrive en Alaska chez le maître
des piqûres, nous supposons que le grossissement de Philippe est en partie sous-tendu par un
fantasme d'être engrossé par ce maître bien particulier, le « maître des piqûres » « Aziz Peter
Pan ». Cette grossesse qui dure des mois viendrait remplir le vide laissé par la perte du père
et du pays natal (quitté pour aller en Alaska) et serait aussi une façon de s'approprier le savoir
du maître par incorporation et/ou fécondation. Ce savoir procurant une puissance phallique
qui, Philippe l'espère, permettra de terrasser Jean-Pierre celui qui a tué le père phallique par
écrasement. Il nous semble que Philippe, dans un deuxième temps, reprend une position virile
phallique, une fois qu'il a appris « la technique de la piqûre mortelle », tuant la femme
traîtresse, incarnant son désir d'être fécondé et plein d'enfant, et se lançant dans la
confrontation finale avec Jean-Pierre.
Nous observons, par ailleurs, qu'Helder manifeste au dessin une grande indécision
quant au choix de dessiner un élève fille ou un garçon et une incertitude par rapport à la
manière de dessiner une élève fille et une enseignante. Helder fait un dessin à partir de la
« question qu'est-ce-qu'un élève pour vous ? ». Il dessine tout d'abord un élève garçon qui
lève la main dans le coin bas gauche de la feuille et tente ensuite de dessiner une élève fille
dans le coin opposé (bas droit) de la feuille. Pour ce faire, il dessine un corps qui nous semble
plutôt masculin, caractérisé notamment par une bosse suggestive entre les jambes, présente
dans le dessin de l'élève garçon. Il colorie la bouche en rouge précisant que c'est du rouge à
lèvres puis change d'avis disant « non en fait ça va être un mec » et finalement continue à
tenter de dessiner une fille. Il rencontre des difficultés pour dessiner la chevelure féminine et
émet un commentaire critique sur cette chevelure : « on dirait elle a un hot-dog sur la tête.
Wesh ! ». Nous rappelons qu' un hot-dog est un type de sandwich composé d'un pain allongé
chaud fourré d'une saucisse cuite. L'élève désigné comme fille nous semble plus proche du
garçon que de la fille, nous évoquant un être androgyne, une fille avec un sexe d'homme
représenté par la pointe entre les jambes (ou la saucisse du hot-dog sur la tête ?). Dans son
dessin, Helder représente une enseignante avec une jupe et du rouge à lèvres et il nous
demande s'il a le droit de la dessiner ainsi. Il énumère les différentes parties du corps de
l'enseignante en la dessinant. Les dessins des personnages sont de mauvaise qualité,
interrogeant l'image du corps. Nous notons par ailleurs au TAT, planche 13 MF, qu'Helder
manifeste clairement, sous couvert de rigolade, un désir de mutation des sexes ou

218
d'androgynie et une attention portée aux attributs masculin et féminin : « Un mec qui
travaille trop. Il est en costard (?) il a une cravate et les cheveux … et la femme, on dirait
c'est elle le mec. Elle est nue, elle a les seins à l'air. C'est pas bien ça ! (dit ça en souriant). »
Helder se plaint que dans sa classe de quatrième « les filles quand elles parlent n'ont
rien du tout », c'est à dire pas de punitions. Nous pourrions supposer, comme pour Idir,
qu'Helder envie la position de fille dans la relation aux enseignants et fantasme une relation
privilégiée filles-enseignants. Cette hypothèse se trouve étayée par deux réponses au TAT :
Planche 7BM « Lui c'est un professeur avec une cravate et lui c'est un élève. On dirait qu'il
lui donne des conseils. Il lui dit « calme toi pour la prochaine fois, le prochain cours » » et
planche 10 : « Un père qui félicite son enfant ». Nous observons également qu'Helder semble
particulièrement investir la relation parents-fille témoignant peut-être d'une forte
identification à la fille dans la relation aux parents. Ainsi planche 5 : « Ça je sais pas (soutien
de notre part). On dirait qu'elle ouvre une chambre et elle regarde si sa fille révise ou pas.
En fait ça parle que de révision ! » et planche 6BM : « Une femme triste. Le Monsieur est
triste, on dirait que sa fille est morte. ». Le jeu des positions (au dessin et au TAT) et
l'incertitude entre féminin et masculin (dans le dessin) nous conduisent à interpréter cette
dernière remarque d'Helder concernant la relation filles-enseignants, comme le signe d'une
jalousie envers les filles, trouvant son origine dans la blessure narcissique de ne pouvoir jouir
des deux positions féminine et masculine. Il convient de se demander si Helder n'est pas resté
excessivement attaché à la bisexualité infantile. Nous faisons ici référence aux écrits de Ph.
Gutton (1991) qui, citant M. Laufer (1983), souligne que « certains enfants vivent
inconsciemment avec le fantasme que leur corps n'est ni mâle ni femelle, mais l'un et l'autre,
fantasme qui permet d'assurer leur désir homosexuel incestueux et de s'en défendre en même
temps. Une telle distorsion peut être assumée par l'enfant œdipien ou dans la période de
latence. Mais au cours de l'adolescence, lorsque le corps de l'adolescent devient
physiquement sexué, il se peut que pour lui, la seule façon de conserver sa défense (de se
défendre encore) d'être homme ou femme soit une cassure du monde extérieur, plus
précisément du corps dans lequel la puberté progresse. » (M. Laufer, 1983, p17)
Sans pour autant parler de cassure, il semble bien qu'Helder soit attaché à une image
de soi enfant dans la relation à l'enseignant (et peut-être à son corps), en témoigne son
discours sur ses difficultés de comportement en classe : « Quand un prof est derrière moi, je
me concentre. Quand il part je redeviens petit. ». Il convient de se demander si effectivement
son comportement ne traduit pas un attachement au désir de redevenir ou rester « petit » et
fantasmatiquement bisexué.

219
Après avoir passé en revue les travaux psychanalytiques sur le fantasme de
bisexualité, R. Kaës note que « tous les auteurs que j'ai consultés reprennent cette position
de Freud que le fantasme bisexuel est une défense du narcissisme contre l'angoisse de
castration, devant les désirs homosexuels et hétérosexuels interdits. » (2008, p74). Il reprend
principalement les thèses de J. Mac Dougall (1973) a propos du fantasme de bisexualité, qui
nous semblent intéressantes pour comprendre la problématique de Hans et Helder. D'après
cette auteure « une triple valeur » s'attacherait « au fantasme de bisexualité : celle
nostalgique de l'unité défaite (figure nostalgique d'une unité originaire réinventée comme
bisexuée) ; celle défensive contre l'angoisse de castration ; celle réparatrice, de la blessure
d'être « une moitié seulement de la chose sexuelle » (Mac Dougall, 1973). » (R. Kaës, 2008,
p73). L'unité défaite peut se trouver au premier plan dans les problématiques de ces deux pré-
adolescents (Hans et Helder) dans la mesure où Hans a perdu sa mère lorsqu'il avait 9 ans et
Helder a connu l'exil. Parti du Cap vert lorsqu'il avait 10 ans, il manifeste une certaine
nostalgie de la relation familière qu'il entretenait avec les enseignants du Cap Vert. Dans son
cas nous parlerions d'une perte de l'unité avec la terre mère.

Sur le plan de la dynamique activité-passivité dans le fantasme, ces deux sujets


désireraient inconsciemment jouir des positions passive et active, tantôt s'identifiant à la mère
pénétrée dans la relation érotique au père, tantôt au père pénétrant dans la relation érotique à
la mère. Cette possibilité d'être père et mère passerait par le fantasme d'un corps bisexué ou
ambisexué.
Il nous semble que l'attachement à une forme infantile de soi ambisexuée ne
concernerait pas seulement Helder et Hans mais pourrait caractériser la problématique
d'autres sujets de notre groupe. Nous observons en effet les signes d'un attachement à une
forme infantile de soi à travers les réponses de plusieurs sujets (Édouard, d'Aymeric,
Aurélien, Selma, Oscar, Idir) aux tests projectifs. Édouard donne à voir à la planche 3 du
TAT, une régression vers la « position fœtale » qui constitue selon nous une forme de défense
contre la perte. Oscar évite de traiter la question adolescente de l'identité sexuée sollicitée à
la planche III du Rorschach en ayant recours à l'image du « petit enfant » : « [rires] ˅ qu'est-
ce -que c'est que ça ?! On dirait des gens. On dirait un petit enfant mais c'est que là. On
dirait deux petits enfants » et à l'enquête il dit « les têtes de deux enfants ( det inf centraux) ».
Il manifeste tout de même le fait qu'il est intrigué par la partie de la tache qui suscite
particulièrement la question de l'identité sexuée. Ainsi, il montre la moitié inférieure de la
planche et nous dit « ça je sais pas ce que c'est ». Aurélien a également recours à l'image du

220
bébé à la planche III du Rorschach. Selma a recours à l'image d'une tête d'enfant dans un
contexte de rejet du féminin sollicité à la planche VII. Elle nous dit à l'enquête « cette tache
elle est bizarre. Elle veut rien dire ! Je comprend rien de ça ! » puis ajoute « Une tête
d'enfant (det supérieur latéral) mais à l'envers (c'est à dire tournée vers l'arrière par rapport au
buste) ». Aymeric nous compte l'histoire d'une chienne protégeant ses chiots planche 16 du
TAT, ce qui dénote, nous semble-t-il, un fort attachement à l' image d'enfant dans une certaine
relation à la mère. Idir donne une réponse planche 6GF qui nous évoque un désir de retour au
sein maternel face à la menace que fait peser la thématique de la séduction homme-femme
particulièrement sollicitée à cette planche. « Le Monsieur derrière, il demande quelque chose
à la dame. La dame le regarde bizarrement et elle a un truc bizarre, quelque chose qui est
tombé (?) sur sa poitrine, un bout de fromage sur sa poitrine. (que se passe t-il?) ils
discutent. ». Une autre hypothèse pourrait être que la séduction homme-femme renvoie
directement Idir à une expérience de séduction plus précoce (séduction maternelle) dans la
relation au sein de la mère. Naïma met en scène une « petite fille » à la planche 16 du TAT.
Nous pouvons peut-être faire entrer la réponse de Georges planche 10 dans cette catégorie
d'une régression vers, ou d'un attachement à, une forme infantile de soi: « Une mère et son
enfant. La mère fait un bisou sur le front du fils et … c'est tout ».
Ces régressions vers une forme infantile semblent être destinées, dans un bon nombre
de cas, à maintenir l'illusion de n'être pas concerné par certaines questions amenées par les
changements pubertaires et peuvent favoriser le maintien d'une bisexualité infantile.

Après avoir abordé les questions de la dynamique activité-passivité dans la


fantasmatique sexuelle telle qu'elle transparaît à travers le discours des sujets et dans les
projectifs ; nous relevons un faisceaux d'éléments indiquant que la majorité des sujets semble
au prise avec une fantasmatique sexuelle passive particulièrement vive et difficilement
élaborable qui s'actualise dans la relation aux enseignants.

221
Chapitre B. Dépendance-indépendance et activité-passivité :

I. Forte demande affective dans la relation à des enseignants … destinés à être


décevants ?

Nous avons constaté qu'au moins dix sujets (Yassine, Aymeric, Aurélien, Édouard,
Selma, Helder, Ibrahim, Idir, Naïma, Oscar, Sinan) rencontrés manifestent des demandes
d'être aidés, compris, reconnus, écoutés, regardés voire aimés par les enseignants. Par la
formulation d'une demande de soutien, ces sujets montreraient ainsi qu'ils sont capables
d'éprouver et élaborer la passivité nécessaire pour toute formulation de demande. Nous
rappelons en effet que « demander implique de faire appel à un tiers » (ici l'enseignant) ,
« dont l’investissement transférentiel met à l’épreuve la capacité d’accepter une certaine
forme de dépendance et de passivité à son égard, tout au moins la tolérance aux fantasmes
de dépendance et de passivité. » (J. Y. Chagnon & F. Houssier, 2012, p923). Cependant, nous
constatons que six sujets tendent à présenter les enseignants comme ne satisfaisant pas à leur
demande et, selon leurs discours, cette insatisfaction joue un rôle dans le fait qu'ils
désinvestissent le champ scolaire. D'une certaine manière l'enseignant déçoit les attentes. Il
est objet décevant laissant l'élève dans le dénuement. Ce sont les enseignants qui ne
« calculent pas » qu'ils font des efforts, sont en difficulté sur l'apprentissage d'une notion ou
qu'ils lèvent la main pour demander de l'aide. Naïma nous dit ainsi : « quand je vois que je
fais des efforts et que le prof voit pas que je fais des efforts, ben en fait j'ai pas envie ». Elle
définit le bon professeur comme ceci : « quelqu'un qui me comprend. Après moi, j'dis pas
j'suis parfaite. Quelqu'un qui comprend mes difficultés... qui remarque mes efforts. ». Ibrahim
nous dit que certains professeurs, une minorité, « sont bien parce qu'ils comprennent la vie
difficile que les gens ils ont ». Édouard nous dit « je faisais des efforts et les profs ils disaient
rien donc ça m'a saoulé ». Yassine dit attendre d'un professeur qu'il l'aide, lui donne la parole
et nous dit qu'en quatrième (année où il s'est fait exclure du collège) « des fois je comprenais
rien et on m'aidait pas. Quand je demandais de l'aide ils croyaient que j'étais pas sérieux et
du coup on m'aidait pas. ». Il présente les enseignants comme indifférents aux difficultés des
élèves. Ainsi nous dit-il que les enseignants ne se préoccupent pas de savoir si les élèves
travaillent ou pas parce que dans tout les cas « ils ont leurs payes » à la fin du mois. Sinan dit
qu'au collège « les profs nous aident pas », « on se débrouille quand on y arrive pas » ce qui
serait moins le cas à l'école élémentaire où les enseignants seraient plus disponibles. Idir se
plaint que les enseignants « souvent … mettent au fond de la classe » les élèves qui comme

222
lui manifestent à un moment donné des difficultés d'apprentissage et un désinvestissement
des activités scolaires. Il relève que « l'attention des profs souvent s'oriente vers ceux qui font
le plus d'efforts », se situant lui implicitement dans le groupe de ceux qui font peu d'efforts.

La question se pose de savoir si ce sont les enseignants qui ne sont pas assez attentifs,
ou si ce sont ces adolescents qui en demandent trop, dans le contexte d'une relation
enseignant-élève au collège.
Les enseignantes de classe relais remarquent une certaine avidité de la demande
d'attention chez les adolescents inscrits en classe relais, associée à une recherche de proximité
avec l'adulte dans le cadre d'une relation duelle ou en petit groupe. Madame K remarque que
leur comportement en groupe et en individuel diffère du tout au tout : « [Il y a une différence
entre leur comportement en groupe et en individuel ?] Rien à voir ! C'est pas les mêmes.
C'est d'autres élèves. En groupe, ils ont tendance à être insolents, euh, à être paresseux, à
être bruyants, enfin tous les défauts et les travers de l'élève de classe relais qu'on peut
imaginer. Dès que vous les prenez en individuel, même en groupe de 2, jusqu'à 2 c'est
d'autres élèves. » (ligne 78-83). Selon Madame K la demande d'attention est rarement
formulée clairement par les élèves, mais cette demande se manifeste entre autres, par leur
changement de comportement quand elle peut leur accorder une attention particulière. «[en
fait, elle (nous parlons de Naïma) et peut-être les autres, ils ne demandent pas ça (la relation
duelle, plus d'attention) ils ne demandent pas ça ...explicitement] Ils ne le demandent pas,
non. Mais on voit que quand on leur apporte, qu'ils changent complètement. Enfin elle
(Naïma) elle l'a verbalisé quand elle a vu les autres arriver mais sinon, ils ne le demandent
pas. Mais on s'en rend compte, que quand on arrive à travailler, en général, hein!?... »
(L155-159). La demande d'attention et de proximité relationnelle semble éprouvée par les
deux enseignantes selon un mouvement que nous pourrions nommer contre-transférentiel.
Madame K dit son impression que ces élèves, surtout les plus jeunes (entre 11 et 13 ans), ont
besoin qu'on s'occupe d'eux individuellement. Elle tente de répondre à ce besoin ou cette
demande implicite tout en gardant une distance relationnelle suffisamment bonne. « [Et donc
dans le quotidien de la relation avec les élèves, au niveau plus affectif, quels sentiments vous
traversent le plus fréquemment dans la relation avec eux ou quels sentiments vous traversent
ou vous submergent aussi des fois ?] Moi je me sens assez proche d'eux et ils peuvent avoir
de véritables élans de générosité...il y a, comment dirai-je ? Une certaine gentillesse comme
dans une famille. J' crois que c'est le fait qu'on vive toute la journée ensemble. Ça crée des
liens presque personnels même si moi, euh ! alors ils veulent toujours connaître des choses,

223
où j'habite, si j'ai des enfants, si j'ai un mari etc... Bon je leur dis le minimum toujours parce
que je veux pas rentrer dans ce jeu là. Mais bon, je leur ai dis par exemple, oui j'ai des
enfants, j'ai des petits enfants. J' habite …., bon, ça ils le savent, mais bon. Je veux pas
rentrer dans d'autres modes plus personnels parce que c'est pas, on a pas à le faire en tant
qu'enseignant et puis ça peut être quand même très très dangereux. [Du coup vous sentez que
si vous ouvriez un peu plus ils s'engouffreraient dans quelque chose quoi ?] Oui, oui,oui, oui.
Je pense qu'ils ont besoin de ce lien pour montrer qu'en fin de compte ils sont pas si terribles
que ça quoi... quelque-fois vous avez des gamins qui sont vraiment, qui ont l'air compliqués
et quand vous instaurez une relation un peu étroite. Pas forcément personnelle mais étroite,
rapprochée, euh, ça libère plein de choses chez eux et vous voyez des facettes comme ça
qui...qu'ils laissent sortir de leur personnalité, des facettes de gentillesse, de serviabilité,
d'envie de réussir, d'envie de réussir, parce que en fin de compte « on s'en fout ! » « l'école on
s'en fout ! » etc... Puis au bout du compte ben ils ont envie d'avoir des bonnes notes, ils ont
envie de réussir, ils ont envie ben qu'on les aime, ils ont envie qu'on ait confiance en eux, etc.
Mais quand vous voyez les dossiers ou quand vous les recevez, vous avez l'impression mais
qu'ils sont monstrueux quoi. Et ils peuvent être monstrueux parce que quand ils font tout leur
''pataquesse'' là, c'est assez désagréable. Mais c'est fini quand on les prend tout seul.» (L420-
460).
Madame B ressent également le besoin de proximité et d'attention présent chez ces
adolescents mais semble, plus que Madame K, éviter la relation duelle ; ceci, dans l'objectif
de rendre les élèves moins dépendants de la relation à l'enseignant mais aussi en vue de se
protéger d'une trop grande proximité affective. Elle s'appuie sur les fonctions de l'éducateur
et de l'adulte relais qui peuvent d'avantage se permettre de répondre à la demande implicite
ou explicite de proximité relationnelle afin de fonder une alliance constructive avec les
élèves.
La séquence suivante de notre entretien semble bien traduire son positionnement :
« est-ce-qu'ils peuvent être dans l'affectif assez vite avec vous, hormis la violence ?
non.! Alors c'est sûrement ma personnalité aussi mais moi j'ai tout ce qu'il me faut dans ma
vie privée [rire] donc je n'ai pas besoin d'avoir des enfants supplémentaires euh! en plus j'ai
des cheveux blancs donc de toute façon déjà, j'suis suspecte » (L281-284) et plus loin elle
nous dit « moi j'suis pas du tout dans la relation » (p295) et développe, que selon elle, ''être
dans l'affectif'' est un obstacle à l'apprentissage en s'étayant sur le constat des difficultés
rencontrées par ses collègues, l'éducatrice et l'adulte relais lorsqu'ils veulent « faire
travailler » les élèves. « Après il est arrivé à plusieurs reprises, pas rarement que euh, ma

224
collègue éducatrice et mon collègue adulte relais soient tous les deux dans la salle de classe
et à essayer de les faire travailler sur un truc très précis. Ils ont jamais réussi. [Mm] Parce
que ils sont dans l'affectif avec l'adulte relais et dans l'accompagnement un peu plus distancé
mais affectueux , j'dirais, avec l'éducatrice. » (L299-304). Mais cet investissement affectif
différent selon les acteurs est un atout selon elle, en témoigne la séquence qui suit
« [d'accord. En fait ils se saisissent un peu des différents] … oui, oui [des différents rôles].
On a des personnalités différentes et ils investissent aussi les rôles qui sont différents. Et c'est
vrai que moi j'ai pas tellement envie de rentrer dans le côté, euh, confidence par exemple.
[Mm et si vous vous laissiez aller, ça pourrait faire ça ?] ah oui! parce que l'adulte relais et
l'éducatrice ont énormément de confidences. C'est tout l'intérêt d'être à trois en classe relais
dans la mesure où l'éducatrice a déjà pu faire par exemple des informations préoccupantes
suite à des choses déposées par mes élèves, euh, en discutant à bâton rompu. Donc c'est
important. Mais moi je pense que je ne suis pas dans cette relation avec les élèves parce que
déjà c'est pas ma formation. J'aurai du mal à savoir quoi en faire. Euh, à savoir comment
réagir, quel conseil euh ! et puis moi je suis en permanence sur les apprentissages donc on a
pas beaucoup de moments duels » (L305-317).
Madame B a l'impression que la plupart des adolescents ont manqué de quelque chose
dans la première relation aux parents, au moins au niveau de la maternelle si ce n'est plus
précocement. Cette impression s'est forgée, nous semble-t-il, à partir de son contre-transfert
mis en lien avec un solide bagage théorique sur le plan du développement psycho-affectif du
sujet, et sûrement avec son expérience d'enseignement en milieu spécialisé et auprès des
petits de maternelle. « Ah ! je, alors là je pense qu'en matière d'immaturité il y a ce qu'il
faut ! Parce qu'ils n'ont pas eu, comment dire. Je pense que ce sont des enfants, soit qui n'ont
pas eu, soit qui ont oublié que euh... tout ce qu'on fait quand on est petit avec sa maman
quoi. On fait de la patouille, on fait de la pâte à sel, on fait, on prépare des gâteaux » (L225-
228). Madame B a l'impression que les élèves ont « manqué de câlins », impression qui
prend valeur de vérité lorsqu'elle est confirmée par les commentaires d'un surveillant
concernant un élève diagnostiqué TDAH (trouble de l'attention avec hyperactivité). « Donc
il y a un surveillant qui est entré une fois dans la classe. Donc élève soupçonné d'être euh...
d'avoir un TDAH, le surveillant l'interpelle et lui dit « oh ! mais toi t'as manqué de câlins ! ».
Et là je me suis dit effectivement ils ont du manqué de câlins à un moment donné » (L239-
242). C'est le sentiment d'un manque d'amour qui est exprimé en fin d'entretien comme pour
résumer la problématique d'un grand nombre d'adolescents et pré-adolescents reçus en classe
relais : « Ben de toute façon la relation elle est ambiguë, la relation à l'adulte, parce que eux,

225
ce qu'ils cherchent c'est être aimés. Bon, ils cherchent pas au bon endroit par ce qu'il
faudrait qu'ils soient aimés chez eux. C'est ... pour certains, enfin c'est la que ça pêche. Bon
voilà, on peut pas instaurer ce genre de … en tout cas moi je pense qu'il faut vraiment que je
leur apprenne à travailler quelque soit l'adulte qui est là, et à comprendre aussi qu'ils
doivent s'adapter à l'environnement. » (L641-645).
Madame B tente tout de même de répondre à sa façon à ce qu'elle perçoit comme un
''manque de câlins'' étant petit. Dans cette perspective, elle confectionne ce qu'elle appelle un
''berlingot'' qui est une sorte de doudou bleu en forme conique de consistance molle et doux
au toucher, dont l'un des angles se termine par une ficelle. Cet objet a la forme de la friandise
appelée berlingot. Madame B : « je me suis dit effectivement ils ont du manqué de câlin à un
moment donné, et euh …, comment je fais parce que j'ai pas d'argent pour acheter des balles
anti-stress comme on en avait fabriqué en Décembre avec de la farine et que ça avait explosé
au CIO dans les poches des gamins. Ils faisaient ça vachement bien ! Mais [rire]
[ils le faisaient un peu trop bien]. mauvais système. Et surtout le côté câlin, parce que des
balles anti-stress en plastique faites avec des ballons de baudruche remplis de farine, il n'y a
pas le côté câlin. Donc j'ai fabriqué des berlingots en polaire, remplis de kapok, et je leur ai
expliqué un par un, euh... en restant très discrète que « bon ben voilà ! J'ai fait ça pour vous,
vous pouvez faire comme ça » - elle me montre, manipule le ''berlingot''- « et puis si vous
êtes vraiment fatigués, posez votre tête dessus. Vous l'attachez, il y a une étiquette avec votre
nom. Vous l'attachez là. Ça reste. Pas le droit de faire Thierry La Fronde. » Ça ils ne
connaissent pas mais pour moi c'est une référence. « voilà ! Vous faites des truc intelligents
avec. Je vous le prête, ce n'est pas à vous et vous ne faites pas de bêtise avec sinon c'est
retiré. » Donc euh , donc là en fait. J'sais pas si vous avez déjà vu des enfants sur des
peluches, des petits, ils grattent la couture.[oui] et ils voient en général que l'étiquette. Eh
ben là c'est, y a un trou ! [elle nous montre le berlingot abîmé] il faut juste que je répare
hein ! Cette recherche de petits enfants qui ont deux ans quoi. [mais ils l'investissent cet objet
?] ah ben tous. Tous. Sauf que là, j'en ai deux à réparer. Ils se les piquent donc là on fait une
petite pause parce qu'ils se les piquent. [ils ne sont pas défensifs par rapport à l'idée que ça
pourrait faire, que ils seraient des bébés ou des choses comme ça ?] non, pas du tout. Non,
j'ai commencé ça à la session précédente. Sur le groupe de 10, il y en a 9 qui l'avaient
demandé. Y en a deux qui ont fait une grosse colère parce que je leur avait dit non. Non, je
vous l'ai prêté, vous ne repartez pas avec. Euh... les 5 qui sont revenus de la session
précédente étaient super contents de voir qu'ils étaient bien là, que je les avais lavé pendant
les vacances. Qu'ils retrouvaient leur étiquette, leur ficelle, leur truc. Et les autres (c'est à

226
dire les élèves de la session en cours qui n'étaient pas présents à la session précédente) ont
redemandé. Y'en a trois qui n'ont pas demandé. là sur les 10, y en a 7 qui ont demandé. C'est
un réel besoin, c'est pour ça que je pense, alors bon, la classe relais c'est pas fait pour faire
du coucouning. [Oui!?] mais n'empêche qu'il y en a que ça calme. [mm] Et je pense
qu'effectivement il y a des besoins qui n'ont pas été assouvis dans la petite enfance et moi
faut bien que je combatte des moments d'agitation et de violence et ça pour moi, c'est un
outil. » (L241-278).

Le fait que les adolescents et pré-adolescents de classe relais puissent investir cet
objet confectionné par l'enseignante, témoigne, nous semble-t-il, d'une capacité à supporter la
régression à une position de dépendance, à accepter ce que leur apporte l'adulte enseignant et
qui répond à des besoins affectifs fondamentaux. La confection de cet objet a permis à
l'enseignante de répondre à ce qu'elle ressent comme un manque d'amour, tout en se
préservant d'une proximité affective jugée délétère dans la relation aux élèves. En ce sens,
l'objet berlingot joue le rôle de médiateur, dans la mesure où il sert d'objet tiers remplissant la
fonction de médiation entre la demande implicite d'attention, d'amour, et certainement le
besoin d'emprise des élèves (la manipulation du ''berlingot'' permet également d'exercer une
emprise), et la réponse de l'enseignante à cette demande.

Madame B note également que lors de certaines activités extra-scolaires, les élèves
montrent clairement une tendance à s'appuyer sur l'adulte lorsqu'ils sont confrontés à une
situation nouvelle angoissante. Ses observations tendent selon nous à montrer qu'un bon
nombre d'adolescents et de pré-adolescents préservent cette capacité d'avoir recours à l'aide
de l'adulte.
Madame B : « alors quelque chose qui m'aide moi dans la relation à l'élève, c'est...on
va faire des séances d'équitation une fois par semaine et la majorité des élèves, parce qu'il y
en a très très peu qui ont déjà pratiqué l'équitation. Quelques un ont déjà approché des
chevaux ou sont montés sur des poneys mais très très peu l'ont vraiment pratiqué et du coup,
là ils ont réellement besoin de l'adulte ! mais euh, à tenir la main hein ! « vous me lâchez
pas ! Vous me lâchez pas ! » [d'accord] donc, et là du coup je quitte le masque de professeur.
Et c'est vraiment du premier pied (a la relecture nous ne comprenons pas cette expression)
parce qu'ils ont peur des chiens. Donc dans les centres équestres, il y a toujours des chiens.
En l'occurrence là des labradors [ils ont tous peur des chiens ?!] Alors ils ont tous peur des
labradors. Et on a eu, alors, messieurs les psychologues. On a eu un promeneur, une fois, qui

227
n'avait pas le droit de rentrer dans le centre équestre mais qui faisait de la provocation avec
un rottweiler sans laisse, sans muselière et euh … les gamins sont sortis du mini bus et l'ont
agressé en rigolant. Agressé le chien en rigolant, en l'interpellant etc. Donc nous on était très
très ... préoccupés de l'avenir immédiat parce qu'on a pensé que le chien allait leur sauter
dessus. Alors bon le maître l'a embarqué, l'a emporté et tout de suite après c'était la première
séance pour ce groupe. Tout de suite après, les labradors sont sortis et là les gamins ont
poussé des hurlements, voulaient rentrer dans le mini bus. En fait les élèves qu'on a sont
majoritairement issus de cités où il y a des rottweillers. Ça ne leur pose aucun problème, ils
n'imaginent pas qu'ils vont se faire sauter à la gorge. Par contre les labradors bonhommes
mais on peu pas faire plus euh, patauds. Eh ben ça, ça les rend hystériques. Et on l'a vu sur
trois groupes différents. [et dans ce moment-là, il s'appuient sur l'adulte ou pas ?] Voilà !
Voilà. Alors ils ont une façon de s'appuyer qui est charmante, c'est à dire qu'ils se cachent
derrière et ils poussent l'adulte. Pour que l'adulte aille se faire bouffer (rire franc de Mme
B) [D'accord] Sauf moi, ils ne me poussent pas quand même, mais bon. C'est marrant. Bon
voilà, c'est drôle. Mais ça c'est un bon moyen pour moi en tout cas de leur montrer que l'aide
elle est vraiment partout. » (L507-533). Ce désir de montrer aux élèves que « l'aide est
vraiment partout » se retrouve aussi dans le discours de Madame K, nous semble-t-il, ceci
dans la mesure où elle voudrait manifestement pouvoir s'occuper de chacun des élèves
individuellement. Le désir et le fantasme d'une aide de tous les instants et en tout lieu,
présent en filigrane dans leur discours, vient témoigner selon nous combien les élèves font
ressentir aux enseignantes, une attente démesurée qui ne peut pas forcément se dire. Les
enseignantes semblent faire l'objet de forts mouvements transférentiels qui génèrent des
mouvements contre-transférentiels particulièrement forts.
A la lumière des discours des sujets rencontrés, élèves et enseignantes, nous pouvons
supposer que les adolescents et pré-adolescents collégiens, à risque de décrochage scolaire,
peuvent se reconnaître dépendants des enseignants pour apprendre et présenter une forte
demande d'étayage dans la relation à l'enseignant. Cependant, certains éléments laissent à
penser que cette demande est difficile voire impossible à satisfaire. L'enseignant, surtout dans
un contexte standard d'enseignement, serait dans une certaine mesure condamné à être
décevant face à une demande impossible à satisfaire. Madame B a peut-être trouvé une
parade en proposant l'objet berlingot (nous reviendrons sur ce point).

Sur le plan de la dynamique activité-passivité, c'est la passivité associée à l'attente


dans la relation à l'enseignant qui nous semble problématique. En effet, étant établi que bon

228
nombre d'adolescents reçus en classe relais manifestent une forte attente affective vis-à-vis
des enseignantes, la question se pose de savoir comment ils supportent la passivité inhérente
à la frustration consubstantielle de l'attente dans la relation à l'enseignant ?

II. Positions actives face à la passivité de l'attente et fantasmatique orale de la relation


pédagogique :

1. Fantasmatique orale dans la relation pédagogique :

Les deux enseignantes relèvent que les élèves de classe relais partagent difficilement
avec les autres l'attention de l'enseignante. Ils auraient facilement tendance à exprimer et/ou
ressentir un sentiment d'injustice dénonçant une répartition inéquitable de l'attention de
l'enseignante en fonction des élèves. Le discours des deux enseignantes dresse dans une
certaine mesure le tableau d'une compétition et d'une rivalité entre élèves pour obtenir
l'attention de l'enseignante. Accepter que l'enseignante ne soit pas toujours disponible quand
ils le désirent et qu'elle dispense son attention aux autres élèves semble difficilement
supportable. C'est la passivité inhérente à l'attente en situation de dépendance vis-à-vis de
l'enseignante qui nous semble mise en jeu. Les élèves ne restent pas passifs mais s'insurgent,
''crient à l'injustice'', face au ressenti du manque dans la relation à l'enseignante qui peut être
perçu comme une exclusion, un abandon.
Nous pouvons supposer que cette rivalité pour l'attention de l'enseignante est à mettre
en relation avec le sentiment d'envie dans le cadre d'une fantasmatique orale de la formation.
Les discours des enseignantes nous portent à croire que les pré-adolescents et adolescents
inscrits en classe relais sont avides d'attention de la part de l'enseignant. Cette avidité n'est
pas sans nous évoquer la fantasmatique orale mobilisée dans la formation selon la conception
de R. Kaës (1975). R. Kaës définit l'avidité comme, essentiellement, « le désir de posséder
l'objet, soit le sein dont le nourrisson veut vider le contenu : son comportement est celui de
l'exploitation maximale de tout ce dont il peut tirer jouissance sans entrave ni limite.
L'avidité s'accroît de l'angoisse d'être privé et d'être incapable d'aimer. Une telle conduite,
l'angoisse qui la sous-tend ne sont pas rares dans la quête avide de la formation ; le
formateur est alors une figure fantasmée retenant pour elle la nourriture et l'amour. Ce
soupçon que la mère garde pour elle et en elle ce qu'elle a de bon » ou qu'elle le réserve pour
un autre élève « est à la base du sentiment de l'envie » (1975/2007, p33). Lorsque ce
sentiment émerge il ne s'agit plus seulement de posséder : « il s'agit de détruire ou de

229
détériorer l'objet de la jouissance, d'attaquer le sein et le corps maternel - ce qu'ils portent
en eux – et d'y déposer de mauvais objets » (1975/2007, p33).
Dans cette perspective une observation de Madame K peut être significative de
l'expression du manque affectif que certains élèves de classe relais tenteraient de compenser
par incorporation orale. Madame K observe que « la nourriture pour vous (lapsus ?) euh !
pour eux c'est quelque chose de très important. Euh ! il y a des élèves, comme Hédi par
exemple, qui ne font rien ! Qui ne veulent faire que de la cuisine parce qu'on mange après. Et
c'est une bagarre avec eux, euh, ils arrivent (en classe) ils n'ont rien pour travailler dans
leur sac de classe mais c'est rempli de gâteaux, de bonbons et de bouteilles de soda. Et ils
sortent en récréation, ce qui est complètement interdit, avec des bouteilles mais des
bouteilles d'un litre ou d'un litre et demi, de soda et des poches entières. C'est pas maman qui
a mis un pain au chocolat dans un petit cellophane …[mais c'est les parents qui donnent ça,
ou c'est eux qui vont se l'acheter ?] Mais ils font pire que ça ! Les parents donnent l'argent et
ils vont se l'acheter. Mais c'est incroyable, parce que ils (les parents) ne vérifient pas les sac.
Donc Youssef, ce matin, il n'avait rien pour travailler. Il n'ont pas de stylo, ils n'ont pas de
gomme, ils n'ont pas de trousse pour travailler. Ils n'ont pas de feuilles. Voilà, il viennent les
mains dans les poches. [Ils ont des provisions quoi.] Mais ils ont des provisions. La plupart,
la plupart. Là, Gérôme, alors lui c'est énorme ! Euh ! tous, tous à peu près, sauf Irvin, parce
que, il ne doit pas avoir beaucoup d'argent à la maison. Voilà, ils vont à Aldi (super marché),
ils s'achètent de la nourriture. Ils arrivent le matin, ils ont la bouche pleine ! déjà. La
première chose que je fais le matin, c'est bonbon poubelle, chewing-gum poubelle, etc. Ils
arrivent la bouche pleine ! » (L108-125). Cette dernière remarque nous évoque une
défaillance du travail d'expérimentation du « vide de la bouche » dans la relation avec les
premiers objets d'attachement qui permettrait au sujet de s'inscrire selon l'expression de N.
Abraham et M. Torok (1987) dans une « communauté de bouches vides ». Nous pourrions
nous demander s'il ne s'agit pas pour ces pré-adolescents et adolescents, dans une certaine
mesure, de réaliser une communauté inverse à savoir : « une communauté de bouches
pleines ». Cette communauté favoriserait le procédé d'incorporation au détriment de
l'introjection qui se fonde sur l'expérience du langage partagé, venant pallier le vide de la
bouche en figurant par ce biais (le langage) la présence de l'objet désiré (1987/2009, p262-
263).
Nous observons dans chacune des trois classes relais l'importance prise par l'activité
cuisine, chacune des deux enseignantes interviewées reconnaît que la cuisine est une activité
particulièrement investie par les élèves. La plupart des jeunes semblent donc particulièrement

230
apprécier les ''plaisirs de la bouche'' inscrits dans la sphère de l'oralité. Une éducatrice a pu
nous dire en parlant des élèves de classe relais, « il faut les nourrir ».
Plusieurs sujets de notre recherche semblent pris dans une demande marquée du sceau
de l'oralité adressée à l'adulte :
Helder dessine ainsi un enseignant qui dit aux élèves « allé les enfants, allez
manger. ». Par ailleurs, Helder dit clairement qu'il s'agite quand il n'y a pas un adulte à côté
de lui, ce qui suggère que cette agitation est destinée, entre autres, à attirer l'attention de
l'adulte.
Édouard est inscrit dans une formation de boulanger qu'il semble particulièrement
investir (même si tout investissement de formation semble pour Édouard fortement
ambivalent). Un matin il nous propose des chips en guise de petit déjeuner. Nous refusons les
chips et il nous propose ensuite des gaufres. Estimant, devant son insistance, qu'il tient à nous
offrir quelque chose à manger, nous acceptons les gaufres bien que n'ayant pas faim. Nous
nourrir semble donc particulièrement important pour lui, peut-être en écho à une
fantasmatique orale particulièrement vive.
L'enseignante d'une des classes relais que nous appellerons Madame G dit d'Ibrahim
qu'il a toujours faim et présente un comportement qui lui évoque des caprices de petit garçon.
C'est donc la représentation d'un petit garçon qui réclame continuellement nourriture et soin à
sa maman qui s'impose à nous.
Une éducatrice nous dit a propos d'Ophélia qu'elle demande souvent à être nourrie ou
se nourrir en classe relais.
Aymeric a tendance à dire « ferme ta bouche ! » ou « ta bouche ! » aux enseignants et
aux autres élèves, pointant lui aussi à sa manière, nous semble-t-il, la question de l'oralité.
Nous rappelons la réponse d'Aymeric à la planche 10 du TAT : « Deux personnages on dirait,
ont pas de bouche (vraiment?) lui [personnage du haut] n'a vraiment pas de bouche. ». La
question se pose de savoir s'il s'agit pour lui de se prémunir contre une pulsion orale
menaçante et les angoisses afférentes. Par son dessin et son récit planche 16 du TAT il
exprime par ailleurs une forte demande d'étayage adressée à l'adulte.
Sinan évoque une coalition des élèves soudés contre les enseignants et plus
particulièrement une coalition avec deux camarades et amis avec lesquels ils forment un trio
depuis la maternelle. Lui et ses deux camarades se sont ligués plus spécifiquement contre une
enseignante d'histoire, professeur principale en sixième, présentée comme autoritaire, peu
respectueuse des élèves, indifférente à leurs difficultés et « qui faisait que crier sur » lui et
ses deux camarades. Cette confrontation entre le trio d'amis et les professeurs,

231
particulièrement une professeure principale, évoque une scène de formation d'un groupe
fraternel contre la figure de l'enseignant qui viendrait incarner une mauvaise mère délaissant
ses enfants et, peut-être aussi, le père de la horde primitive autoritaire et violent. Nous
pouvons supposer que l'enseignant est l'objet de forts mouvements d'envie et donc
d'agressivité orale qui naissent en réaction au sentiment partagé, au sein du groupe de pairs,
d'une demande affective non satisfaite. La figure du chien qui s'impose à Sinan - « ils (les
enseignants) croyaient qu'on était leurs chiens »- signe peut être aussi la présence d'une
fantasmatique orale de dévoration quand les chiens se retournent contre leur maître ou se
transforment en loup (figures du loup particulièrement présente au Rorschach). Il s'agissait
donc d'une révolte contre un pouvoir totalitaire qu'incarnaient la plupart des enseignants de
collège aux yeux de Sinan, et peut-être aussi de ses deux camarades. Ceci nous évoque le
mythe de la horde primitive par lequel Freud théorise ce qui est à l'origine du rapport civilisé
entre les hommes reposant sur trois interdits organisateurs : interdit de l'inceste, interdit du
meurtre et interdit du cannibalisme. Freud propose un mythe selon lequel les premiers
hommes formaient une horde qui était sous la domination d'un Père archaïque, un père hors la
loi commune et partagée. Maître de la loi, il est hors castration et il fait régner l'incestuel dans
la relation avec ses filles comme avec ses fils. Possesseur de toutes les femmes, ce Père fait
obstacle à la satisfaction sexuelle de ses fils en leurs imposant l'abstinence. Un jour,
l'ensemble des fils se ligue contre le père, ils le tuent et le mange. Freud nous dit que « par
l'acte de consommer le Père, ils accomplissaient leur identification avec lui et chacun
s'appropriait une partie de sa force. ». La pulsion orale et le processus d'incorporation sont
donc là encore mis en jeu. Il nous semble plausible de considérer que Sinan et ses deux
camarades soutenaient un scénario fantasmatique groupal semblable à celui de la horde
primitive dans leur confrontation aux enseignants en cinquième et en sixième. En quatrième,
Sinan a changé d'établissement et s'est trouvé séparé de ses deux compères. Il dit aujourd'hui
que le fait d'avoir été séparé d'eux lui a permis de mieux investir la relation aux enseignants
et aux apprentissages scolaires. Les comportements d'oppositions ont toutefois perduré
toujours selon une configuration groupale (Sinan ne dit jamais ''je'' lorsqu'il parle de la
relation aux enseignants mais toujours ''on'' ou ''nous'') dans la relation à une enseignante
d'anglais, encore une professeur principale. Cependant, celle-ci a su résister aux attaques sans
avoir recours à l'exclusion de l'établissement. Aujourd'hui, Sinan dit sa reconnaissance envers
cette enseignante et postule que c'est grâce au fait qu'elle lui ait accordé plusieurs « dernières
chances » qu'il a fini par être moins dans le conflit avec les professeurs. « elle nous a laissé
beaucoup de chances. Elle disait que c'était la dernière fois sinon c'était le conseil de

232
discipline. Elle nous a donné 3 ou 4 dernières chances et après c'est comme ça qu'on s'est
calmé. ».
Il nous semble donc que Sinan s'inscrivait plutôt dans une relation à l'enseignant
marquée par la haine et la plainte fortement nourries par une fantasmatique groupale. Les
enjeux d'emprise, de pouvoir, étant au premier plan, ceci laissait peu de place à un éprouvé et
une représentation de la passivité de l'attente dans la relation à l'enseignant. Sinan paraît avoir
évolué vers une position moins conflictuelle, notamment grâce au lien qu'il a tissé avec une
professeure principale qui a su résister aux mouvements d'envie destructeurs sans doute mis
en jeu dans la relation. Sinan semblait donc particulièrement dépendant de l'étayage d'un
objet, possible figure parentale, qui sache résister aux attaques et conserver un lien avec lui
malgré tout. Nous voyons là une bonne évolution de ce qui au départ pouvait être appelé,
selon les termes de Ph. Jeammet (2007), une « dépendance pathogène » dans la relation aux
enseignants.

2. L'auto-sabotage et la plainte garants d'une emprise face au risque de l'attente déçue :

Les deux enseignantes observent chez un grand nombre d'élèves reçus en classe relais
une forme d'auto-sabotage que nous pouvons interpréter comme une façon de fuir le
sentiment de la dépendance et la proximité dans la relation au professeur. Lors d'un échange
informel Madame K nous dit qu'elle a remarqué que souvent les élèves sabotent leur travail
après que l'adulte (l'enseignant, l'éducatrice ou l'adulte relais) les ait complimentés. Madame
B évoque un comportement qui, selon nous, peut relever de la même problématique : « A
plusieurs reprises j'ai eu des élèves, des élèves différents qui ont dit « oh ! mais c'est la
première fois que j'retiens un truc depuis 4 ans ! » ou « ah ! mais j'suis capable de m'en
souvenir », alors, points de suspensions, et qui, du coup, le lendemain lâchent l'affaire parce
que la réussite c'est pas dans leur cabas quoi. [D'accord ] Je pense qu'ils ont une idée
d’inaccessibilité de la réussite. C'est pas clair ? [si euh … après avoir verbalisé l'idée qu'ils
pourraient réussir] voilà, après avoir constaté eux-même qu'ils avaient réussi, en fait ils
lâchent prise dès le lendemain. C'est extrêmement compliqué j'ai l'impression la relation à …
[la réussite] à la réussite et à … [oui ?] à croire à un avenir modifiable. Parce qu'en fait, ça,
ça a un rapport avec le ressenti du prof euh... ce sont des élèves qui sont, à un moment
donné, définis comme des mauvais élèves soit dans leur acquisition des savoirs, soit dans
leur comportement. » (L34-52). Nous supposons que certains élèves sont partagés entre
plaisir et sentiment d'une menace lorsque l'enseignante souligne leur réussite scolaire. Cette

233
menace serait liée au sentiment et à la représentation d'une dépendance et d'une proximité
insupportable. L'auto-sabotage pourrait être un moyen de rétablir une position d'être en
échec, qui permet d'éviter la conformation au désir de l'enseignant que l'élève réussisse sur le
plan scolaire. L'enseignant en les complimentant les confronte peut-être, dans une certaine
mesure, à leur manque d'amour et de reconnaissance dans le cadre d'une relation plutôt
duelle.
L'auto-sabotage peut ainsi être conçu comme une façon de préserver une
indépendance et une maîtrise dans la relation à l'enseignant (et peut-être plus largement dans
la relation à l'autre) qui fait l'objet plus ou moins inconsciemment d'une demande affective
particulièrement forte.
Une belle illustration de cet auto-sabotage nous semble donnée par le comportement
de Georges tel qu'il est rapporté par une éducatrice de classe relais. Elle nous dit que dans le
cadre d'un atelier de création d'objets à partir de morceaux de faïence, Georges avait
confectionné un cœur constitué d'une mosaïque de couleurs. L'éducatrice lui a exprimé
qu'elle trouvait ce cœur particulièrement beau et Georges, peu de temps après cette remarque
élogieuse, a repeint son cœur en vert kaki. Nous supposons que Georges s'est trouvé menacé
narcissiquement par l'idée d'attendre de l'autre adulte un regard bienveillant. Le sabotage de
son œuvre viendrait dans une certaine mesure signifier à l'adulte, ''je n'attends rien de toi''. Le
choix de confectionner un "joli cœur" est en lui-même un démenti à l'apparente
autosuffisance et froideur de Georges. Selon l''éducatrice de classe relais Georges ne peut
supporter « vouloir avec l'adulte » c'est à dire que « quand l'adulte veut il ne veut pas ». Nous
pouvons interpréter cette remarque comme le signe que Georges est particulièrement attaché
(coûte que coûte) à une indépendance et une différenciation par rapport au désir de l'adulte.
L'éducatrice nous rapporte qu'Aurélien présente également une certaine froideur face
aux compliments de l'adulte sur son travail. Elle nous conte cette anecdote : dans le cadre de
l'activité à médiation artistique proposée par la classe relais, Aurélien a peint avec un autre
élève un tableau. Ce tableau fut exposé dans la principale ville du département dans le cadre
d'une exposition de tableaux réalisés en classes relais à partir d'une thématique particulière.
Aurélien présent lors de l'exposition du tableau s'est fait complimenté par un adulte homme
occupant une fonction importante dans la vie politique de la ville. L'éducatrice, étant présente
à ce moment-là, a observé qu'Aurélien est resté de marbre face à ces compliments et a
présenté, un instant après, un comportement perturbateur, lui qui est plutôt sage d'habitude. Il
est possible, selon nous, d'interpréter ce comportement comme une reprise active par auto-
sabotage (le comportement jugé perturbateur) face à la menace d'une dépendance dans la

234
relation à l'adulte incarnant une certaine fonction d'autorité prestigieuse. Cette attitude
contraste avec le dessin qu'il fait (en réponse à la question : qu'est-ce-qu'un enseignant pour
vous?) représentant un enseignant de mathématiques qui complimente un élève à la fin du
cours. Aurélien manifeste donc, par le dessin dans le cadre de l'entretien de recherche, une
attente d'étayage par l'enseignant, mais les observations de l'éducatrice semblent indiquer
qu'il a des difficultés pour accueillir les compliments de certains adultes incarnant une
fonction d'autorité.
Il nous semble qu'une certaine difficulté à supporter l'attente d'un étayage de
l'enseignant se retrouve dans les propos d'Aurélien, qui nous dit avec son style expéditif que
quand l'enseignant diffère la réponse à sa demande d'explication, il refuse l'aide de
l'enseignant « est-ce-qu'il vous arrive de demander de l'aide à l'enseignant quand vous ne
comprenez pas ? Oui mais quand il dit après ou à la fin du cours ben moi j'y vais pas. ».
Naïma a l'impression que lorsqu'elle demande de l'aide elle ennuie les enseignants et
ralentit le groupe classe. « j' demande pas quand je comprend pas, sauf en classe relais. Les
profs surtout, des fois, quand c'est moi, quand je demande, surtout les profs de maths, ils
soufflent et j'ai l'impression de ralentir tout le monde. ». Dans ces conditions, s'exclure ou
faire en sorte de se faire exclure peut être considéré comme une façon de reprendre une
position active face à la perte ou la menace de perte. Il nous semble notamment que Naïma
est prise dans ce genre de problématique. Madame K est l'enseignante de Naïma en classe
relais, elle observe ceci : « je vois Naïma qui était là quand il y avait 4 élèves, qui
s'épanouissait complètement parce qu' il y avait peu d'élève et que je travaillais
individuellement avec chacun des élèves . Euh... quand ils sont arrivés à être 12, c'était plus
pareil. Elle me l'a dit qu' elle regrettait que c'était plus pareil et c'est parti en vrille
immédiatement. C'est à dire fugue. [Ah, oui]. Elle est parti en fugue quand même pas mal de
temps donc elle venait plus ici et elle ne revenait plus chez sa mère non plus. Elle était en
fugue carrément. Elle a été retrouvée par le commissariat hein!. Ce sont des informations
que j'ai eu par une fille du collège qu'elle connaissait. Euh !… alors on la voyait, elle était
signalée à tel endroit, tel endroit, notamment sur les quais de gare. Mais personne n'arrivait
à la faire revenir chez elle. J' pense que le fait qu' on … quand elle est arrivée ici, ses défauts
qu'elle avait dans son collège, ont complètement disparu parce qu' on s'est occupé d'elle
individuellement et, pour elle, c'était ce qu'elle attendait. Ça n'avait pas été identifié comme
ça, mais ça a été une révélation. Tout ce qui avait été signalé comme des problèmes de
comportement … avait disparu. » (L140-154). Nous supposons que la fugue de Naïma est
liée à bien d'autres facteurs que simplement le fait que Madame K soit moins disponible pour

235
elle, notamment des conflits dans la relation à la mère et à une grande sœur. Cependant, cette
impression et représentation de Madame K selon laquelle Naïma s'est exclue de la classe
relais parce qu'elle n'était pas assez disponible pour elle, nous supposons qu'elle est l'effet
direct (contre-transférentiel ?) d'un mouvement, chez Naïma, qui consiste à rompre le lien
plutôt que de supporter le manque d'attention associé à l'attente insupportable. Ce point de
vue se voit confirmé par sa réponse à la planche 10 du TAT.

Sur le plan de la dynamique activité-passivité, il nous semble que, par leur discours, la
plupart des sujets rencontrés peuvent se reconnaître dépendants d'une aide de l'enseignant,
mais qu'éprouver l'attente de l'étayage par celui-ci est une autre histoire. En effet, attendre
que l'enseignant réponde à leur demande d'abord affective semble difficilement supportable
pour eux, ce que confirme le discours des enseignantes et le comportement de certains sujets
rencontrés. Nous supposons que l'implication dans une relation conflictuelle avec l'enseignant
survient pour contre investir une passivité insupportable de l'attente et/ou un risque d'attente
déçue.
La dynamique activité-passivité, en lien avec la dépendance qui se dessine à travers
les discours des sujets et des deux enseignantes, nous évoque ce que Ph. Jeammet (2007)
décrit en terme de dépendance « pathogène ». « Pathogène car elle risque d’enfermer
l’enfant puis l’adolescent dans un engrenage dangereux, celui de cette triade pathogène :
l’insécurité interne génère la dépendance au monde perceptif environnant qui, à son tour,
génère le besoin de contrôler cet environnement dont l’enfant dépend. Or, on ne contrôle pas
l’environnement dont on dépend par le plaisir partagé, mais par la mise en place d’une
relation fondée sur l’insatisfaction dont les plaintes, les caprices puis les conduites
d’opposition et d’auto-sabotage des potentialités du sujet sont les moyens d’expression
privilégiés. Par l’insatisfaction, le sujet oblige l’entourage à s’occuper de lui et en même
temps il lui échappe et sauvegarde son autonomie, puisqu’il le met en échec en un cycle sans
fin. Il évite ainsi l’angoisse d’abandon et l’angoisse de la fusion ou d’ intrusion. » (2007,
p76). Ces enfants et ces adolescents se défendent ainsi contre une passivité menaçante sur le
plan narcissique, étroitement liée, selon Ph. Jeammet, à l'attente. Ainsi écrit-il « La
confrontation à la passivité est volontiers ressentie, quand elle n’est pas choisie par l’être
humain et plus spécifiquement l’adolescent, comme une menace, car elle met en cause son
sentiment de continuité et d’unité, fruit de la progressive maîtrise de ses moyens et de ses
acquis. À l’adolescence, les sources de cette passivité sont doubles et se renforcent l’une
l’autre : passivité du Moi face aux transformations pubertaires dont le corps est l’objet et qui

236
s’imposent à lui; passivité liée à la situation d’attente à l’égard des adultes, mais aussi des
futurs objets d’investissements, tant affectifs que professionnels, ainsi que du statut social à
venir. » (2007, p77). Concernant les sujets de notre recherche qui manifestent une demande
d'attention et d'écoute, mais se plaignent ou dénoncent l'incapacité des enseignants à répondre
à leur demande, la question se pose, selon nous, de savoir s'ils n'investissent pas dans une
certaine mesure une position d'éternel insatisfait, visant à une emprise sur les enseignants et
permettant notamment d'éviter la passivité de l'attente. Selon cette conception, la plainte des
élèves, vis-à-vis de la majorité des enseignants désignés comme insatisfaisants, participerait
d'une stratégie d'emprise relationnelle dans un cadre de dépendance nocive voire pathogène.

Certains sujets se différencient de la majorité en cela qu'ils n'expriment aucune attente


ni aucune plainte vis-à-vis des enseignants. Il s'agit d'Imen, Kevin, Ophélia et Georges. Il
convient de tenter d'étudier les soubassements psychologiques de cette non attente affichée
sur le plan de la dynamique activité-passivité.

III. Incapacité à reconnaître et investir la dépendance dans la relation à l'enseignant


chez quatre sujets : quels liens avec la dynamique activité-passivité ?

D'après le discours et les dessins d'Imen, Kevin et Georges, ce sont les enjeux de
domination, d'emprise violente, qui prévalent dans la relation ne laissant pas de place à
l'investissement d'une relation d'étayage enseigné-enseignant et à la reconnaissance d'une
dépendance. Nous rappelons qu'Imen en reste à une description factuelle de la relation avec
ses enseignants de collège. Le dessin qu'elle réalise représente une enseignante de français
devant le tableau de classe qui ordonne « silence ! » à deux élèves garçons. Élèves et
enseignante n'étant pas dessinés sur la même feuille comme s'il fallait les mettre à distance
(c'est aussi une distance nous semble-t-il entre féminin phallique et masculin dévalorisé).
Imen dit ne rien attendre des enseignants et ne pas savoir ce que les élèves attendent des
professeurs. Elle évite donc de traiter cette question de l'attente réciproque dans la relation à
l'adulte enseignant.
Kevin porte un discours marqué par la confrontation souvent physique avec les
enseignants de l'école élémentaire. Au collège, le seul enseignant qu'il dit avoir apprécié est
un enseignant de technologie qui l'a défendu lors d'un conseil de discipline en quatrième. Son

237
discours semble laisser peu de place à l'élaboration et l'expression d'une quelconque attente
dans la relation à l'enseignant.
Georges à la question : qu'est-ce-que vous attendez des professeurs ? Répond « j'
attends rien. C'est pas à cause d'eux que je suis là (en classe relais). ». Nous interprétons
cette réponse comme le signe d'une difficulté pour élaborer l'attente dans la relation à
l'enseignant, associée au rejet ou au déni d'une éventuelle influence des enseignants sur son
parcours de vie, qui l'a conduit en classe relais. Le seul enseignant investi est un enseignant
de mathématiques en sixième qui laissait aux élèves le choix de travailler ou pas, en leur
demandant, s'ils ne souhaitaient pas travailler d'aller « au fond de la classe ». Georges serait
donc attaché à une certaine liberté de choisir de se mobiliser ou pas dans les activités
scolaires et donc à une certaine indépendance vis-à-vis du désir (supposé) de l'enseignant que
l'élève s'implique dans les apprentissages.
Ophélia se dit invisible aux yeux des enseignants. Il nous semble qu'elle se protège
ainsi de relation angoissante à l'enseignant (plus particulièrement l'enseignant homme).
D'après son discours, il n'y aurait donc pas d'attente formulable d'une quelconque aide ou
attention bienveillante provenant de l'enseignant, dans la mesure où elle pose comme
préalable qu'elle n'existe pas à leurs yeux. Cependant les discours de l'enseignante madame K
et de l'éducatrice de classe relais à propos d'Ophélia viennent nuancer le discours d'Ophélia et
nos observations, sinon totalement les remettre en question. Selon Madame K, Ophélia était
en « manque de reconnaissance et d'amour » et s'inscrivait dans une « quête » toujours
inassouvie d'amour, ce qui la rendait vulnérable car prête à tout pour avoir le sentiment d'être
aimée. Elle explique cette quête d'amour par un environnement carencé, une mère peu
présente pour elle et un père absent, et par la perte de son grand père (maternel ou paternel ?)
juste avant l'orientation en classe relais, Grand père qui aurait été pour Ophélia une
« référence de cet amour » (L611-625). Nous déduisons entre autres de ces propos,
qu'Ophélia a pu développer une demande d'étayage adressée aux adultes de la classe relais,
demande entendue, à laquelle enseignante et éducatrice ont répondu chacune à leur façon.
L'éducatrice a pu nous faire part du travail qu'elle conduisait, visant à soutenir Ophélia pour
qu'elle se soumette moins au désir de l'autre, et affirme plus son propre désir et sa volonté.
Dans cette perspective, l'éducatrice a félicité Ophélia d'avoir pu nous signifier son refus de
poursuivre sa participation à notre recherche. Ceci étant considéré par l'éducatrice comme un
acte positif d'affirmation de soi face à notre désir qu'elle continue jusqu'à la fin du protocole
de recherche. La question reste selon nous posée de connaître le sens de ce refus. S'agissait-il
d'un refus ou d'une fuite ?

238
D'après les observations de l'éducatrice et nos observations du comportement
d'Ophélia en classe et en entretien individuel, il nous semble qu'elle a besoin de l'étayage de
l'autre pour soutenir un tonus corporel à minima. Du moins, elle éveille en nous le désir de la
soutenir pour qu'elle ''se tienne mieux'' moins avachie, moins voûtée. Ce désir semble partagé
par l'éducatrice qui se demande « comment ça se fait qu'elle soit si voûtée, si couchée ? » et
suppose que c'est parce que son milieu familial n'est pas assez soutenant « il n'y a aucune
ossature à la maison ». Nous en déduisons qu'elle se sent appelée à faire fonction d'ossature
pour cette adolescente. Sur le plan de la dépendance, nous pouvons supposer qu'Ophélia
s'inscrit, au moins en classe relais, dans une position de dépendance vis-à-vis de l'autre, qui
est chargé de faire fonction d'ossature, soutenant une posture corporelle plus dynamique, de
la porter. L'éducatrice observe qu'Ophélia avait souvent faim et réclamait à manger. Ophélia
présente un léger embonpoint et nous dit que dans sa famille du côté maternel il y a « un peu
d'obésité » lorsque nous investiguons ce qu'il en est de sa santé. La question se pose d'une
dépendance dans la relation à l'autre qui passe par le nourrissage. D'après l'éducatrice Ophélia
demandait souvent à la fin de la journée de classe « est-ce-que je peux rester ? » c'est à dire
jusqu'au départ des adultes de la classe relais. L'éducatrice y voit un besoin d'avoir une
compagnie et de discuter. Elle ne semble plaisanter qu'à moitié quand elle nous dit qu'Ophélia
aurait passé ses week-end à la classe relais si elle avait pu. Nous rappelons qu'Ophélia vivrait
seule dans l'appartement de sa mère. Dans ce cadre carencé, la demande de rester en
compagnie des adultes de classe relais peut être entendue comme un moyen de pallier une
solitude pesante et bien réelle au quotidien.
Sur le plan de l'activité et de la passivité, les discours de l'enseignante et de
l'éducatrice tendraient donc à présenter Ophélia comme excessivement passive, trop
dépendante et influençable car soumise au désir de l'autre, et nourrissant une attente avide et
continue d'amour et d'attention. L'enjeu du travail avec elle semblait être de répondre à sa
demande d'affection, d'attention et de reconnaissance, tout en la mobilisant vers
l'investissement d'une position plus active, plus autonome dans la relation à l'autre ; c'est à
dire, plus apte à faire entendre son désir, sa volonté, et se positionner comme actrice de son
devenir. Ophélia semble en capacité de supporter la passivité inhérente à la dépendance dans
la relation à l'adulte enseignante femme, mais nous nous demandons si elle est capable de
supporter cette passivité dans la relation à un adulte homme. En effet, nous avons constaté au
TAT qu'Ophélia semble porteuse d'une fantasmatique assez crue de soumission de la femme
(femme battue, femme esclave) dans la relation à l'homme. À la planche 2, le personnage
masculin fait l'objet d'une censure qui ne lui permet pas de l'inclure dans sa réponse, ceci

239
malgré nos sollicitations. Par ailleurs, après la passation de quelques planches du TAT,
Ophélia qui était déjà réticente à nous suivre, a finalement signifié sa décision d'arrêter sa
participation à la recherche, ceci sans pouvoir ou vouloir justifier cette décision. Elle dit elle-
même qu'elle est plus à l'aise avec les enseignantes femmes que les enseignants hommes.
C'est la question de son rapport à la figure paternelle qui nous semble devoir être posée. Nous
savons qu'Ophélia n'a pas revu son père depuis l'âge de 4-5ans et qu'elle n'a pas de nouvelles
de lui depuis. Père qui d'après l'éducatrice ne l'aurait pas reconnue administrativement.
L'éducatrice nous dit qu'une AED (aide éducative à domicile) a été mise en place pour,
notamment, « travailler la question du père » avec lequel Ophélia aurait réussi à reprendre
contact, d'après Madame K.
Nous supposons qu'Ophélia est moins en capacité de supporter la dépendance dans la
relation à un enseignant homme, du fait que cette dépendance est susceptible d'éveiller une
fantasmatique passive menaçante et/ou peut-être des résurgences traumatiques (passivation).
La question du traumatisme se pose en effet, selon nous, au vu de certains éléments
biographiques dont nous avons eu connaissance par l'enseignante et l'éducatrice.
Nous observons donc un grand décalage entre le discours d'Ophélia sur sa relation
avec les enseignants de collège et les discours de l'enseignante, de l'éducatrice à propos de la
relation qu'elles entretiennent avec elle. En effet, Ophélia n'exprime aucun besoin ou aucune
demande d'amour, d'attention, tandis que Madame K et l'éducatrice perçoivent l'intensité du
manque, de la demande d'affection qui émane de l'attitude d'Ophélia, mais aussi de ce qu'elle
a pu leur confier au travers d'échanges verbaux. Une des explications possibles de ce
décalage est que la classe relais permet que se noue un lien différent enseignante-élèves dont
Ophélia semble avoir su se saisir. Ainsi la demande affective qu'elle n'a pu déployer au sein
d'une relation enseignant-élève standard, elle a pu la développer au sein de la relation avec
l'enseignante et l'éducatrice de la classe relais. Nous en déduisons qu'Ophélia ne peut
développer une demande d'étayage dans la relation à l'adulte que sous certaines conditions
qui tiennent notamment à la disponibilité de l'adulte pour elle. Dans des conditions standards
d'enseignement elle risque effectivement d'avoir l'impression qu'il n'y a « pas de regard »
étayant de l'enseignant et sans ce sentiment d'un regard bienveillant elle ne peut se mobiliser.
Son rapport au regard de l'autre serait ambivalent à la fois menaçant, réconfortant et
nourrissant. Nous pouvons supposer que les enseignants sont bien l'objet d'une forte attente
de la part d'Ophélia, mais, dans des conditions standards d'enseignement, elle préfère annuler
l'éventualité d'une attention de l'enseignant pour elle, plutôt que d'éprouver une attente

240
toujours déçue, corrélative d'une passivité insupportable dans la relation à l'autre adulte
enseignant.

A l'issue de nos réflexions tirées du discours des sujets de notre étude, plusieurs
questions se posent à nous, qui concernent au premier chef la dynamique activité-passivité
dans son lien à la dépendance dans la relation à l'autre. Parmi ces questions nous choisissons
d'en formuler quelques-unes qui nous semblent pouvoir être éclairées par les protocoles de
tests projectifs. Nous nous demandons notamment si le discours négatif sous forme de plainte
à l'encontre des enseignants que tiennent bon nombre de sujets n'est pas à inscrire dans un
processus d'emprise relationnelle. Il s'agirait de maintenir l'enseignant prisonnier d'un statut
d'objet décevant (non suffisamment attentif, aimant, trop distant) toujours à porté de main ou
plutôt ... de plainte. La dépendance pathogène peut être abordée sous l'angle d'un processus
d'élaboration de la perte et de séparation-individuation défaillant. En conséquence, qu'en est-
il de la façon dont les sujets élaborent la perte ? Ceci abordé selon le prisme de la dynamique
activité-passivité.
Dans cette perspective nous définissons la passivité comme la possibilité d'être affecté
par la perte, la solitude, et éprouver la passivité de l'attente d'un autre étayant. L'activité
renvoie à la visée d'emprise normale ou pathogène sur l'autre et sur soi pour faire face à la
perte.
Encore une fois l'analyse des protocoles de tests projectifs nous apportera des
éléments de réponse.

IV. Passivité et activité en lien avec la perte aux tests projectifs :

Les sujets sont dans leur ensemble fortement interpellés par les problématiques de la
perte, de la séparation et de la solitude, telles qu'elles se trouvent mises en jeu au TAT et au
Rorschach.
Sur le plan de la dynamique activité-passivité, nous pouvons distinguer trois profils :
 neuf sujets qui se trouvent en difficulté pour élaborer la perte et ont recours à des procédés
du registre de l'emprise et à l'incorporation orale pour éviter la passivation.
 trois sujets qui reconnaissent la situation de solitude et tentent activement de faire face.

241
 un sujet qui peut exprimer un éprouvé face à la perte mais se trouve incapable de le lier à
une représentation.

Au sein du premier groupe nous incluons: Édouard, Georges, Hans, Helder, Sinan, Selma,
Idir, Aurélien et Aymeric :
Édouard réagit vivement à la planche 3 par une régression vers une « position fœtale »
qui permet de pallier l'angoisse de perte. Il faut que nous le soutenions pour qu'il puisse
mettre du sens sur l'éprouvé de tristesse : « il s'est fait quitter par sa meuf. ». La confrontation
à la perte entraîne donc une régression vers le ventre de la mère, qui sans doute se trouve
associée à des fantasmes d'incorporation orale, dont nous pouvons déceler l'activité aux
planches 5 - la mère qui appelle Édouard « À table ! on mange des coquillettes. »- et 7BM –
le fils chargé d'aller chercher la baguette -. À la planche 13 B, Édouard se trouve en difficulté
face à la problématique de la solitude, il tend à réprimer les affects et s'appuie sur le percept
pour faire tenir un cadre menacé. - « C'est un mec assis il a pas de chaussures (?) c'est un
clochard, c'est ça. (?) y a rien (?) c'est un mec assis, y a pas de porte. Y a un clou à gauche
[temps de latence] il est environ 14h et voilà. » Hormis à la planche 2, aucun affect ne peut
colorer les représentations de la perte aux planches 6BM, 8BM et 11. Édouard tend donc à
isoler (isolation entre affects et représentation) et/ou réprimer les affects.
Georges ne peut exprimer d'affect en lien avec la perte et la solitude aux planches 3 et
6BM. Il s'appuie sur le percept pour soutenir un cadre menacé à la planche 13B « C'est un
petit enfant qui est à sa porte. Une maison en bois ancien. C'est bien fait parce que je vois
une ombre et je ne sais pas c'est quoi. J'dirai qu'il est énervé. ».
Hans fournit une réponse très restrictive à la planche 13B qui figure le garçon en
position active de penser au lieu d'éprouver « Un petit garçon en train de penser dans une
sorte de grange et il est pied nu. ». L'élaboration de la perte est évitée planche 6BM « là,
j'sais pas ».
Helder présente manifestement des difficultés pour traiter la problématique de la
solitude à la planche 13B et il a recours à la gestuelle (mime) pour pallier le manque de
mots : « Un monsieur qui est petit. Un enfant, un petit enfant assis devant une porte en bois,
une cabane (?) on dirait qu'il est triste comme ça (il mime la posture de l'enfant) ». La
sensibilité à la solitude se retrouve à la planche 12BG - « Un lac et un bateau dessus un tronc
d'arbre (?) un bateau échoué tout seul sur le lac. ». Dans cette perspective, la désinhibition
d'Helder associée à des propos sexualisés peut être interprétée comme le signe d'une défense
maniaque contre la perte mise en jeu face à la séparation et à la castration. Helder manifeste

242
lui aussi une fantasmatique d'incorporation orale à la planche 16 qui peut constituer une
défense signant un défaut d'introjection de l'objet perdu. En effet dans l'histoire fort riche de
la planche 16, le héros Philippe part en Alaska pour recevoir l'enseignement du maître des
piqûres. Pendant plusieurs mois Philippe ne fait que manger et grossit, ce que nous
interprétons comme une compensation du vide laissé par séparation d'avec la terre natale par
incorporation orale (on peut également y voir un fantasme d'enfantement par le maître).
Sinan se trouve en difficulté pour verbaliser des affects liés à la perte et à la solitude.
À la planche 3 c'est la fatigue du travailleur qui remplace l'affect dépressif et la représentation
de la perte. : « Elle est fatiguée (?) elle a trop travaillé. ». L'activité de travailler semble ainsi
venir par une sorte d'activisme, empêcher l'éprouver dépressif d'émerger. À la planche 13B il
donne une réponse très restrictive : « Un petit garçon qui attend quelqu'un (il attend?)
dehors. ». Il semble avoir recours au vol pour pallier l'expérience de perte (perte de l'étayage
sur l'image, fin prochaine de la passation) convoquée par la planche 16. Nous postulons que
les figures du travailleur et du voleur particulièrement présentes dans ses réponses, sont
toutes deux convoquées pour éviter la passivation face à la perte en soutenant une position
active (voler, travailler) qui évite de penser le manque. Nous notons à travers l'analyse du
Rorschach que la figure du loup semble importante pour Sinan et nous pouvons supposer
qu'elle entre dans une certaine correspondance avec la figure du voleur au TAT. Le loup
viendrait peut-être signifier une fantasmatique orale qui entretiendrait un lien étroit avec le
désir de voler. La fantasmatique orale est peut-être particulièrement mobilisée pour faire face
à la perte tout comme le vol à la planche 16. Dans le cas de Sinan, l'une des raisons du conflit
avec les enseignants était possiblement une tendance à désirer s'emparer de l'objet enseignant
par dévoration et vol pour éviter d'éprouver la perte et la passivité de l'attente dans la relation
à l'autre.
Selma représente à minima la réaction dépressive face à la perte à la planche 3, ne
peut pas lier l'affect de tristesse à une représentation, et dit d'une certaine manière son besoin
de s'appuyer sur le percept (la vision) pour élaborer une histoire. « Une dame triste qui
pleure, on ne la voit pas. ». Selma peut exprimer cependant la recherche d'un étayage dans la
relation de proximité à une figure masculine planche 10. « Un homme et je sais pas si c'est
un homme ou une femme. À droite ça doit être sa femme. Donc soit il la rassure, soit … ça se
voit qu'il la rassure, en plus ils ferment les yeux. », fermer les yeux, ne plus voir semble être
le signe que la femme se sent en sécurité. Lorsqu'elle ne dispose plus d'un étayage figuratif à
la planche 16 Selma a recours à un scénario que nous pourrions nommer narcissique-
phallique en ce qu'il se caractérise par un retrait narcissique (Selma parle à la première

243
personne du singulier) dans une position de toute puissance. « Je me vois aux Seychelles avec
des esclaves à mes pieds, en train de me faire bronzer (?) c'est tout. ». La perte de l'étayage
sur le percept suscite donc un mouvement défensif sous la forme d'un fantasme d'emprise.
Idir manifeste une grande inhibition aux planches sollicitant l'élaboration de la perte
et de la solitude, ne laissant transparaître pratiquement aucun affect et ne permettant pas
d'élaborer une représentation. À la planche 3 l'affect est minimisé puis anesthésié - Euh … je
pense que c'est un garçon, j'sais pas trop, qui est assis par terre avachi sur le canapé ou le
siège et il boude ou il dort - ; et à la planche 13B c'est la sensation qui prévaut sur l'affect -
Un petit garçon qui est devant une cabane, j'pense. On dirait qu'il a froid (?) il attend (?) ses
parents, des amis ou sinon rien d'autre -. Ainsi le sommeil (planche 3) et la centration sur la
sensation (planche 13B) peuvent constituer une modalité d'emprise associée à la répression
des éprouvés éveillés par la perte. Idir trahit un désir de satisfaction orale dans la relation
érotique avec une figure féminine à la planche 6GF par la perception d'un « bout de fromage
sur la poitrine » de la femme. Cette tendance à la régression vers une satisfaction orale face à
une planche qui sollicite l'élaboration de la séduction dans le couple homme-femme dénote,
nous semble-t-il, une difficulté pour se défaire d'un désir de proximité érotique avec une
figure maternelle nourricière. Le travail d'élaboration de la perte et de séparation vis-à-vis de
l'objet maternel semble donc difficile. Idir manifeste clairement au Rorschach un besoin de
couvrir l'espace blanc aux planches III et VII par des réponses de mauvaise qualité formelle.
Ce procédé vise, nous le supposons, à apaiser l'angoisse de perte, l'espace blanc étant vécu
comme un vide et un manque intolérable. Ces réponses correspondent aux « réponses
globales-blanc » telles que définies par P. Roman (2015, p94) visant une maîtrise à tout prix à
travers une saisie totale du stimulus. La sensibilité d'Idir à la perte trouve à s'exprimer
planche X par des réponses qui témoignent d'un travail plutôt créatif visant à conjurer la perte
éveillée par la fin de la passation. « En rose je dirais c'est, comment dire … deux pays
rattachés par des animaux qui se tiennent la main. Et après je dirais qu'il y a des animaux
qui sautent un peu partout. Il y a un oiseau en orange. un visage un peu bizarre, mais c'est
un visage. » Le recours au visage en dernière instance traduit sans doute une tendance à
couvrir l'espace blanc et peut être aussi un appel au visage de la mère des premières
expériences relationnelles.
Dans le cas d'Aurélien la problématique de la dépendance est étroitement reliée à la
castration. Ainsi la menace de castration suscite des fantasmes d'incorporation orale et éveille
un besoin de régresser vers la position de nourrisson dans un contenant maternel. C'est du
moins comme ceci que nous interprétons la succession des réponses aux planche II et III du

244
Rorschach : planche II : « deux cuisses de poulet » et planche III : « une échographie ». En
contre point de cette figuration de mouvement régressif vers le ventre maternel, nous
observons un mouvement tout aussi fort de mise à distance des affects mobilisés par la
rencontre avec la planche pastel VIII. « Un logo à plusieurs couleurs (?) le logo d'un jeu
(quel jeu ?) Assassin's creed. » Ici la figure de l'assassin semble convoquée comme « logo »,
masque visant à mettre à distance et voiler les affects. Ainsi Aurélien peut être pris dans une
forte quête affective d'un contenant maternel, quête dont il se défend par une mise à distance
à l'aide d'un masque-logo phallique (l'assassin). Nous supposons qu'Aurélien a recours au
masque pour préserver la limite entre soi et autrui. Plus qu'un masque, l'assassin est peut être,
dans une certaine mesure, une figure d'identification. Les passages à l'acte violents d'Aurélien
au sein du collège peuvent être ainsi compris comme une mise à distance de l'autre, visant
l'emprise sur un désir de régression qui émerge face à la menace de castration. La régression
dans la relation à l'autre doit être évitée car elle menace les limites du moi et confronte à la
passivation en position de dépendance totale (le nourrisson totalement dépendant des soins et
du contenant maternel). Aurélien nous dit avoir préféré la planche II, justifiant ceci par ces
mots : « c'est l'image où j'ai le plus vite pensé à quelque chose ». Ainsi l'image des cuisses de
poulet serait vite venue colmater la brèche de la castration, et Aurélien en aurait éprouvé un
certain plaisir, ou soulagement exprimé spontanément par un sourire amusé à la vue de la
planche II. Nous supposons donc qu'Aurélien supporte difficilement la castration mise en jeu
dans toute expérience d'apprentissage (supporter de ne pas savoir, de ne pas comprendre) et
que l'enseignant peut être la cible d'une forte agressivité et avidité orale visant à pallier le
manque dans l'instant (''tout de suite-maintenant'').
Aymeric manifeste une activité qui peut être inscrite dans le registre de l'emprise à la
planche 13B et à la planche 1. C'est l'activité de travailler, de penser qui domine à la planche
1 ne laissant filtrer aucun affect. « Il travaille. Il réfléchit (a quoi?) au travail, à ce qu'il
fait ». À la planche 13B, affects et représentations sont réprimés et il s'appuie sur les limites,
sur le cadre pour garder sous emprise les éprouvés non élaborés menaçant le narcissisme.
Malgré nos sollicitations, Aymeric fige sa pensée grâce à un procédé ''d'arrêt sur image'' :
« un petit devant une porte, il y a du bois autour et c'est tout (?) il se fait prendre en photo.
[Aymeric a mis sa capuche, nous avons l'impression qu'il se cache avec] ». Cependant malgré
ses difficultés pour mettre en représentation le vécu de perte et de solitude, Aymeric peut
convoquer à la planche 16 une figure maternelle protectrice : « il était une fois une chienne
qui venait d'accoucher plein de chiots et la chienne voulait pas qu'on touche à ses chiots.
Enfin elle veut bien, mais elle veut qu'on fasse très attention, c'est tout. ». Cette figure

245
maternelle nous semble, dans une certaine mesure, contraster avec la figure féminine de la
planche 3 qui n'arrive pas à se protéger elle-même: « une dame qui n'est pas bien. On dirait
qu'elle a trop bu et se tient sur un banc. ». Nous observons donc chez Aymeric cette
dimension régressive qui transparaît dans les protocoles d'au moins cinq sujets (Édouard,
Aurélien, Helder, Georges, Idir). Cette réponse à la planche trois pose également la question
du recours à l'incorporation orale (boire de l'alcool avec excès) pour pallier la solitude et au
défaut d'introjection d'un objet fiable.
Imen tend à avoir recours à l'emprise dans la mesure où elle cache ou remplace
l'éprouvé de la solitude par l'activité (penser, regarder). Cependant, avec notre étayage elle
peut verbaliser les affects éveillés par la solitude et la perte mais ne peut pas les lier à une
représentation. Planche 13B : « Un petit garçon assis devant sa maison qui regarde quelque
chose ou pense (comment se sent-il ?) on dirait qu'il est un peu énervé et triste en même
temps. ». Il y a isolation entre l'affect éveillé par la perte et la représentation, ce qui se
manifeste particulièrement planche 16 par une réponse qui prend la forme d'une pure
verbalisation d'affect proche du ressenti de l'enfant à la planche 13B : « De la tristesse, de la
colère (une personne qui serait en colère, triste. Pourquoi ?) je sais pas. ». Après la passation
du TAT, dans la perspective de mettre du sens sur cet éprouvé de tristesse et de colère mêlés,
nous demandons à Imen si elle est triste de quitter la classe relais, elle répond « un peu » en
baissant la tête (la session d'Imen en classe relais arrivait à sa fin, c'est pourquoi nous avons
formulé cette interprétation).
Deux sujets, Oscar et Naïma, montrent par leurs réponses au TAT un désir de
surmonter l'épreuve de la solitude et de la séparation par leur propre moyen, ou du moins,
sans avoir recours à l'aide de l'adulte. Oscar manifeste une forte sensibilité à la dimension
dépressive de la planche 3 : « Je pense que la dame est en train de pleurer. Elle se suicide
mais arrête au dernier moment et s'est mis à pleurer. ». Nous pouvons interpréter cette
séquence comme un premier mouvement d'emprise face à l'affect dépressif (se suicider) qui
laisse finalement place à la passivité, laisser l'affect venir et couler les larmes. Oscar peut
s'identifier à la dame, planche 4, qui réclame selon lui de l'attention de la part de son mari.
« C'est un couple, la femme demande l'attention de … en fait le monsieur il regarde quelque
part d'autre, il s'intéresse pas à sa femme et sa femme elle le regarde avec un regard qui
aimerait que son mari il s'intéresse à elle, qu'il la regarde et lui il est préoccupé par quelque
chose d'autre. ». Oscar semble donc en capacité d'élaborer le vécu lié à la perte et la
dépendance, mais il semble également attaché à une certaine indépendance. Ainsi il met en
scène une femme qui quitte son village à la planche 2 « On dirait c'est triste. On dirait

246
qu'elle quitte son village, qu'elle va partir. » et, à la planche 13B, un enfant qui refuse
l'exploitation et d'une certaine manière se révolte contre la domination adulte « C'est une
grotte ? (ça pourrait.) je sais pas (l'important c'est ce que vous vous pensez et …) c'est un
enfant. Moi je pense que c'est un enfant à l'entrée d'une mine et il ne veut plus travailler. ».
Naïma, tend à éviter la verbalisation des affects associés à la perte et la solitude mais
insiste sur la mobilisation active de l'enfant pour faire face à la situation. Il s'agit de tenter de
s'en sortir seul ou avec l'aide de ses camarades. Ainsi planche 13B : « Un petit qui ne vit pas
dans de très bonnes conditions, il a l'air de penser (?) À qu'est-ce-qu'il va faire. Qu'est-ce-
qu'il peut faire. On dirait, il s'en sort comme il peut. » et planche 16 « une petite fille qui
rentre chez elle, elle sort de l'école et en rentrant chez elle, sa mère est pas contente, du coup,
la petite fille ressort et décide de sortir avec ses amis et voilà. (pourquoi la mère n'est pas
contente ?) Parce que l'école de la petite fille a appelé. ». Nous constatons donc une volonté
de faire face seule, ou avec ses amis, ainsi qu'une tendance à se séparer de la mère (position
active) plutôt que d'être exclue par elle ou subir son mécontentement (passivation). Ce désir
d'indépendance contraste avec le mouvement régressif et la dépendance que suggère le terme
« petite fille ».
Naïma, Selma et Imen, manifestent toutes trois à la planche 7GF un désir de mise à
distance de la mère. Naïma : « Une fille triste. Sa mère essaye de comprendre qu'est-ce-qu'il
y a mais la petite fille ne veut pas parler avec sa mère. » ; Selma « Une enfant avec sa mère.
On dirait qu'elle lui lit une histoire et on dirait que sa fille s'en fiche. » ; et Imen « La mère
parle à sa fille et la fille écoute pas. Elle est concentrée sur quelque chose d'autre. (sur
quoi ?) dehors. ». Il y aurait un réel désir d'émancipation du giron maternel, d'une certaine
manière, une prise active d'indépendance sous forme de rupture du lien à la mère, associée à
une curiosité pour l'extérieur et à une recherche d'étayage en dehors de la sphère maternelle.
Pour Selma cette quête d'étayage sera peut-être recherchée dans la relation de proximité avec
une figure masculine, ce dont témoignerait sa réponse à la planche 10 : « Un homme et je sais
pas si c'est un homme ou une femme. À droite ça doit être sa femme. Donc soit il la rassure
soit … ça se voit qu'il la rassure, en plus ils ferment les yeux. ». Naïma compterait plutôt sur
ses amis (voir sa réponse planche 16). Par contre Imen semble assez démunie pour mettre en
scène au TAT la recherche d'un étayage à l'extérieur.
Aymeric tend, lui aussi, à mettre en scène planche 6BM une prise de distance par
rapport à la mère : « [Aymeric se cache les yeux avec ses mains et nous attendons un certain
temps avant de le resolliciter] l'homme on dirait qu'il a quelque chose dans les mains (?) il
part de chez lui (?) il va partir de chez la dame (la dame ?) ça peut être sa mère. ». Nous

247
savons qu'Aymeric a été séparé de sa mère lorsqu'il avait 8-9 ans dans un cadre de violence
familiale. Il réside maintenant chez son père. Cette réponse traduit peut-être un besoin de se
positionner comme actif pour éviter le traumatisme de la séparation subie, selon la logique
partir (position active) plutôt qu'être abandonné (passivité traumatique).
10 sujets (Imen, Aymeric, Édouard, Hans, Helder, Aurélien, Sinan, Selma, Idir et
Georges) manifestent donc aux projectifs de forts mouvements d'emprise face à la solitude et
à la perte qui les menacent particulièrement. Cependant, la plupart peuvent exprimer un désir
d'étayage dans la relation duelle à travers les projectifs, le dessin et leurs discours sur la
relation aux professeurs. Ainsi le fort recours à l'emprise gênerait mais n'empêcherait pas
totalement l'expression d'une demande d'étayage, plus ou moins voilée dans la relation à
l'autre. Dans le contexte de la relation à l'enseignant de collège, nous nous demandons si
l'autre enseignant est en mesure de répondre à leur demande d'étayage, qui semble souvent
empreinte d'une certaine avidité orale. Nous supposons que ces adolescents ont recours à des
procédés entrant dans le registre de l'emprise (répression des affects, recours à l'agir, appui
sur la sensation, sur le percept, opposition passive), à partir du moment où cette demande,
profonde, exigeante, souvent voilée, d'étayage ne peut être satisfaite ou menace de ne pas
l'être.

Nous considérons que cette problématique de la dépendance/indépendance est mise en


jeu dans la transmission intergénérationnelle. Nous pourrions parler d'une interdépendance
entre les générations. Nous tenterons donc maintenant d'analyser comment nos sujets se
positionnent comme élève-descendant inscrit dans la chaîne des générations, vis-à-vis du
savoir transmis par les enseignants-ascendants. L'enjeu du prochaine chapitre sera de
déterminer leur positionnement entre activité et passivité dans le rapport à la transmission
intergénérationnelle mobilisant la question de l'identification.

Chapitre C. Dynamique activité-passivité et transmission intergénérationnelle du savoir


dans la relation pédagogique :

I. Activité-passivité face au savoir et sa transmission : le fantasme d'auto-formation ?

La fantasmatique de Édouard, Georges, et dans une moindre mesure, Idir, pourrait être
marquée par ce que R. Kaës (1975) appelle le fantasme « d'auto-formation » :

248
Édouard tend à positionner l'enseignant dans une fonction qui consiste à lui rappeler
un savoir déjà là en lui dans une partie obscure de sa mémoire. Quand nous lui demandons ce
que lui ont appris les enseignants, il semble embarrassé pour répondre à notre question et dit
« c'est comme si je le savais déjà et en fait ils me l'on juste rappelé », il ajoute « moi je sais
tout avant tout le monde » et ne semble pas plaisanter en disant cela. Il termine sa réflexion
par l'expression d'une incertitude « je sais pas si ils m'ont vraiment appris quelque chose …
j'sais pas ». D'après son discours, il n'y a donc pas vraiment transmission intergénérationnelle
du savoir, mais plutôt révélation par l'enseignant d'un savoir inconscient de l'élève. Édouard
dit ne pas écouter la parole de l'enseignant de manière consciente mais évoque une écoute
inconsciente. Il nous dit « mon conscient n'écoute pas mais mon inconscient écoute »
manifestement satisfait de cette formulation. Nous en déduisons qu'Édouard accepte
difficilement l'idée que le savoir puisse provenir de l'enseignant et la dimension passive qui
en découle. Dimension passive de réception d'un savoir associé à une dissymétrie actif-
enseignant / passif-élève.
Georges dénie tout intérêt porté à la personne du professeur et à son discours : « j'me
fais pas d'idée (sur les professeurs) j'm'en fous ». Mais il peut dire qu'il s'intéresse aux
mathématiques et à l'histoire. C'est la matière qui l'intéresse et le professeur ne joue aucun
rôle dans le fait que ce soit intéressant ou pas. Il dit que les professeurs ne lui ont « rien
appris » et ajoute qu'il a appris des choses tout seul en regardant des documentaires. Il y a
donc un déni et/ou un refus du lien de transmission professeur-élève associé à une légère
tendance à se présenter comme autodidacte. À partir de la question : qu'est-ce-qu'un élève
pour vous ? Il dessine sous forme schématique, un élève qui travaille à la maison et cela le
conduit à la « réussite » (noté textuellement sur le dessin). Nous retrouvons là sa tendance à
se positionner comme autodidacte et rejeter ou ne pas supporter la nécessité de s'inscrire dans
une transmission du savoir du professeur vers l'élève.
Idir a pu nous dire qu'il a de nombreux livres chez lui « pour apprendre » à propos
notamment de « l'histoire » et du « corps humain ». Il nous dit qu'il peut passer du temps à
lire ces livres avec une certaine avidité, en lisant plusieurs en peu de temps. L'expression qui
nous vient à l'esprit est qu'il « dévore les livres ». Nous constatons au TAT, planche 2, que
l'amour des livres peut remplir une fonction particulière pour Idir. Planche 2 : « Au premier
plan, une dame qui aime les livres parce qu'elle en a dans la main. Derrière elle, il y a un
homme avec son cheval qui fait son champ. La dame j'sais pas on dirait qu'elle regarde le
ciel ou elle prie (y a t-il un lien entre ces personnes ?) soit ils habitent ensemble, soit ils sont
de la même famille. L'homme et la femme au deuxième plan, c'est les parents de la fille au

249
premier plan. ». Dans cette réponse l'amour des livres semble permettre d'éviter de traiter la
question de la relation aux figures parentales. L'amour des livres peut être considéré comme
un mode de compensation plutôt oral qui permet de pallier le manque généré par la mise à
distance des figures parentales. Nous notons une certaine avidité dans son rapport aux jeux
vidéos, il nous dit en effet qu'il peut passer une journée dans sa chambre à jouer à la console.
Il est adepte des jeux In Real Life (IRL), et de Grand Theft Auto (GTA). Idir a présenté un
fort absentéisme en quatrième - il a calculé la somme des heures de cours manqués et cela
ferait environ deux mois d'absence - et dit que, pendant ces temps d'absence, il s'occupait
essentiellement à jouer aux jeux vidéo bien installé sur son lit. Ce discours d'Idir nous laisse
à penser qu'il peut dans une certaine mesure se satisfaire d'une vie en autarcie dans laquelle il
n'est pas nécessaire d'en passer par la relation à l'autre pour se construire (excepté une forme
de lien aux autres par les jeux en réseaux), la nourriture psychique provenant essentiellement
du monde virtuel, et l'acquisition d'un savoir scolaire s'effectuant par la lecture avide de
nombreux livres qui sont à sa disposition.

Ces trois sujets (Édouard, Georges et Idir) semblent avoir tendance à nourrir l'idée
selon laquelle ils peuvent acquérir et posséder un savoir scolaire sans en passer par une
transmission intergénérationnelle élève-enseignant. Le discours d'Édouard serait plus guidé
par l'idée d'un savoir déjà-là indépendamment de la transmission intergénérationnelle. Les
discours de Georges et Idir renvoient plus à l'idée d'une acquisition autodidacte du savoir en
autarcie (seul chez soi).
Ces discours nous évoquent ce que R. Kaës nomme le fantasme d'autoformation qui
apparaîtrait « très fréquemment dans les fantasmes des adolescents » (1975/2007, p17). La
logique de ce fantasme consiste à considérer que la formation s'effectue de façon autarcique
en puisant en soi le savoir déjà là. Dans ce contexte, « la formation n'émerge pas comme
processus, devenir, genèse : elle est déjà faite, ou elle n'est à parfaire que selon l'exigence
d'un modèle intangible, absolu. La formation se réduit en une unique, définitive et
perpétuelle auto-mutation. ». Il s'agit de ne pas être dépendant et ne pas être en dette vis-à-vis
de la génération précédente et entretenir l'« idéal auto-érotique » de « ne rien devoir à
personne qu'à soi » (1975/2007, p20). Nous rappelons que ce fantasme remplit plusieurs
fonctions : défense contre la scène primitive, « occultation de la place du sujet dans le désir
des parents, méconnaissance du vagin et du pénis » et « protection contre l'angoisse de
castration » (1975/2007, p17). Ce fantasme permettrait selon R. Kaës (1975) de mettre du
sens sur les comportements de certains adolescents qui refusent tout examen, toute sanction à

250
l'école, et à l'université ressenties comme une intolérable blessure narcissique autant que
scandale d'être « réduit », dans la chaîne des générations, à une position relative. Il précise
que « ce refus » (de l'examen, de la sanction et plus profondément de l'inscription dans la
transmission intergénérationnelle) entraîne en retour (de bâton) l'angoisse d'avoir perdu tout
repère d'identification, que l'adolescent va tenter d'apaiser par « la demande pressante d'un
jugement, d'un passage, d'une initiation » qui fassent fonction de repères symboliques
garants de « l'échange social ».

II. Un processus d'identification intergénérationnel empêché par les enjeux d'emprise et


la menace de déformation :

1. Approché à partir des tests projectifs :

Nous constatons au TAT que la différence des générations est peu mise en scène aux
planches qui la sollicite particulièrement. Nous pensons aux planches 6BM et 7BM pour les
garçons, et à la planche 7GF pour les filles (F. Brelet-Foulard & C. Chabert, 2003). La
planche 2 sollicite également la différence des générations pour les deux sexes en ce qu'elle
convoque la triangulation œdipienne, ceci, bien que la différence des générations entre les
trois personnages ne soit pas manifeste.
Nous observons que Hans ne reconnaît pas la triangulation à la planche 2, évite de
répondre à la planche 6BM et n'évoque pas de différence des générations à la planche 7BM
Aymeric ne reconnaît pas la triangulation à la planche 2. Il ne reconnaît la différence
des générations entre les deux personnages de la planche 6BM, qu'après sollicitation de notre
part. Il semble remplacer la différence des générations à la planche 7BM par un rapport de
hiérarchie inversée quant à l'ordre vertical suggéré par la planche. Il y a en effet mise en
scène du rapport entre le président François Hollande (l'homme plus jeune) et une personne
possiblement à son service (homme plus âgé et surplombant légèrement l'autre homme).
Oscar ne reconnaît pas explicitement la triangulation à la planche 2, bien que nous
puissions supposer qu'elle est présente en filigrane derrière la mise en scène d'une dame qui
quitte son village, qui pourrait représenter le travail de séparation vis-à-vis de la sphère
familiale, et de séparation d'avec les figures parentales de l'enfance. Il reconnaît la différence
des générations à la planche 6BM. Il ne reconnaît pas la différence des générations à la

251
planche 7BM qu'il semble reportée sur une différence haut-bas : « C'est deux monsieur. Il y a
celui du bas on dirait qu'il est un peu blasé... ».
Georges ne reconnaît pas du tout de triangulation à la planche 2, ni de lien entre les
personnages. Il reconnaît la différence des générations à la planche 6BM. Il ne la reconnaît
pas à la planche 7BM présentant les deux personnages comme « deux vieux hommes ».
Sinan dans un premier temps, à la planche 2, tend à situer les trois personnages sur le
même plan générationnel, mentionnant toutefois une différence qui consiste à distinguer les
« élèves qui ont la chance d'aller à l'école » et ceux « en train de travailler ». Il perçoit une
configuration triangulaire avec notre sollicitation quand nous posons la question du lien entre
les personnages. À la planche 6 BM la différence des générations est dans un premier temps
remplacée par une différence employé-patron. Elle n'apparaît que suite à une réaction de
surprise interrogative de notre part « son patron !? ». Par cette réaction de notre part,
insuffisamment contrôlée selon nous, nous avons sans doute un peu forcé Sinan à s'interroger
sur l'identité du personnage d'abord désigné comme « patron ». « Un monsieur en train de
parler à son patron (son patron !?) j'sais pas si c'est une dame ou un monsieur. Ou c'est sa
mère peut-être. ». Ici les deux différences, celle des sexes et celle des générations, sont tout
d'abord voilées ou évitées, non reconnues explicitement. À la planche 7BM il n'est fait
mention d'aucune distinction entre les deux personnages.
Imen et Ophélia, à la planche 2, ne reconnaissent pas la triangulation œdipienne et la
différence des générations n'est pas évoquée.
Ophélia, semble surtout centrée sur la différence entre dominants-soumis qui peut être
est corrélée dans son esprit avec la différence homme-femme. Planche 2 : « Ça fait penser à
euh... à l'époque dans la campagne avec des femmes qui font tout le ménage et tout ça.
Comme des esclaves ( et l'homme ?) j' saurais pas dire. ». Cependant la possibilité de faire
référence à une époque ancienne signe peut-être un possible appui sur une temporalité qui
intègre la différence des générations.

Nous constatons qu' au moins sept sujets (Hans, Georges, Imen, Ophélia, Aymeric,
Sinan et Oscar) sur les onze ayant passé le TAT, semblent en difficulté pour figurer la
différence des générations dans leurs réponses.
Nous observons donc à travers les réponses d'Aymeric, Sinan, Oscar et Ophélia la
mise en scène d'une différence qui semble plus reposer sur une hiérarchie de pouvoir (le
président François Hollande, les femmes esclaves, la différence entre celui en haut et celui en
bas, l'employé et la patron) que sur une différence des générations. Nous nous demandons

252
dans quelle mesure la différence de pouvoir ou d'emprise entre en concurrence avec, ou gêne,
l'accès à l'intégration et l'élaboration d'une différence des générations.

Selma, qui peut évoquer la différence des générations au TAT, semble aussi entretenir,
de façon forte, la représentation d'une différence basée sur des critères de pouvoir associés à
des attributs narcissiques. Elle évoque ainsi à la planche 2 une fille moins âgée et « plus
soignée » que l'autre personnage féminin. Elle ne peut reconnaître de lien entre la fille plus
jeune et les autres personnages. À la planche 16 elle se met en scène dans une position de
maître « avec des esclaves à » ses « pieds ». La réponse à la planche 6GF semble articulée à
la représentation de la différence selon la classe sociale (riche/pauvre) : « ça se voit que c'est
des riches ».

2. Approché à partir d'éléments tirés du discours des sujets :

Différents éléments du discours des sujets permettent de supposer que les enjeux
d'emprise tendent à occulter ou remplacer les différences générationnelles dans la relation
aux enseignants
En effet, dans nombre de cas, les discours des sujets à propos de la relation aux
enseignants, font apparaître des enjeux d'emprise particulièrement forts, à travers les
représentations d'un ou des élèves sous le pouvoir d'un ou des enseignants, ou inscrit dans
une rébellion vis-à-vis d'un ou des enseignants qui tente(nt) d'exercer un pouvoir de façon
autoritaire et arbitraire. Nous nous demandons si les sujets entretiennent une représentation
de différence adulte-enseignant/adolescent-élève sur un versant d'emprise (différence
dominant-dominé) qui tend à concurrencer excessivement, voire remplacer une
représentation de la relation étayée sur la différence des générations.
Georges, comme nous l'avons déjà fait remarquer, représente par son dessin l'élève en
bas de l'échelle hiérarchique et nous dit « répondre » aux enseignants quand ceux-ci se
croient « au dessus » de lui.
Naïma, parlant de sa relation aux professeurs, dit que certains enseignants étaient
« sur » elle. La représentation de la différence dessus-enseignant/dessous-élève est donc
convoquée pour penser sa relation aux enseignants. Cependant, être dessous l'enseignant n'est
pas forcément associé à des expériences négatives. Ainsi, nous dit-elle qu' une enseignante
d'anglais qui l'a particulièrement aidée était « tout le temps sur » elle « en train d'essayer de »
lui « faire comprendre ». Naïma différencie les enseignants qui sont sur elle pour l'aider et

253
ceux qui sont sur elle pour l' « enfoncer ». Elle nous dit son « impression » que la majorité
des enseignants « sont là juste pour » l' « enfoncer ». Sa façon de justifier cette impression
d'être enfoncée renvoie nous semble-t-il à la différence dessus-enseignant/dessous-élève,
dominant-dominé. Ainsi nous dit-elle que « si il y a quelque chose qui se passe mal ça va
retomber sur moi. Si il y a un prof qui va me taper et moi aussi je vais le taper, ça va
retomber sur moi. ». La thématique de la violence vient donc se combiner à la question de
l'emprise des enseignants « sur » elle.
Pour Imen l'enjeu et le désir de pouvoir nous semble se révéler à travers son dessin
d'une professeure de français munie d'attributs éventuellement phalliques (chaussures à talon)
qui ordonne « silence ! » aux élèves (garçons) bien plus petits en taille.
Sinan nous dit l'impression partagée au sein de son groupe d'amis que les enseignants
les traitaient comme des « chiens ».
Ibrahim compare la position d'élève à la condition d'esclave en évoquant un des ses
camarades qui aurait dit « on dirait on est des esclaves ». Il dit aussi « les profs pour nous
c'est comme la police, on peut rien faire avec eux ». Ibrahim remet d'une certaine manière en
question la différence générationnelle entre enseignant et élève. Il se lance dans une
dénonciation de la croyance selon laquelle les enseignants, parce que plus âgés et souvent
plus grands en taille, seraient plus forts physiquement que les élèves. Il nous parle d'un jeune
de son quartier capable de battre des personnes plus âgées et plus grandes en taille. Ibrahim
dit investir la relation aux adultes dont il a le sentiment qu'ils lui ressemblent, les différences
générationnelles s'estompant. Son discours nous fait penser à la recherche d'un adulte qui
fasse office de grand frère (voir étude de cas). Il est possible d'après ces éléments qu'Ibrahim
supporte difficilement la différence des générations sur le plan de la transmission du savoir.
Le désir d'effacement de la différence sur le plan du savoir peut s'exprimer à travers les
propos d'Ibrahim concernant les mathématiques : « je sais que je suis très bon en maths. Je
peux devenir prof de math. Je pourrais devenir plus fort que certains profs de math. ». Il situe
donc d’emblée la possession du savoir en mathématiques dans une rivalité ou une
compétition vis-à-vis des enseignants où il s'agit d'être le « plus fort ».
Hans nous dit : « mon problème c'est que j'arrive pas à ce qu'on me donne des
ordres ». Recevoir des ordres de la part des enseignants éveillerait en lui « l'impression »
insupportable « qu' ils se prennent » pour sa mère décédée quand il avait 9 ans. Hans, en
réponse à notre question concernant la différence entre enseignant et élève, nous dit que les
enseignants ont le pouvoir. Il dit aussi que l'élève « n'a pas son mot à dire ». Hans évoquant
son expérience de CM2 nous dit que les élèves « ont pris le pouvoir » précisant que c'était

254
selon lui « du grand n'importe quoi ! ». Ainsi la question du pouvoir semble centrale dans son
vécu et sa représentation de la relation aux enseignants. La position d'élève renvoyant plutôt à
la soumission et à la castration de la parole.
Édouard pose directement la question de l'emprise dans la relation enseignant-élève
par son discours et ses dessins. En réponse à la question: qu'est-ce-qu'un enseignant pour
vous ? Il dessine un professeur seul à son bureau muni d'un livre et qui dit aux élèves
« travaillez et taisez vous ! ». En réponse à la question: qu'est-ce-qu'un élève pour vous? il
dessine un élève obligé de pousser une grosse pierre, fouetté par un enseignant qui prend
manifestement plaisir (sourit) dans sa position de tortionnaire. Nous constatons que dans ce
dessin la différence des générations n'est pas signifiée. Selon cette figuration, la différence
enseignant-élève reposerait donc essentiellement sur le couple tortionnaire-victime, ou
maître-esclave, et non pas sur la différence des générations.
Comme nous l'avons déjà fait remarquer, le discours de Kévin est marqué par la
confrontation violente avec les professeurs, ce qui nous renvoie à des enjeux d'emprise
violente prédominants dans son vécu et sa représentation de la relation aux enseignants.

Dans un tel contexte d'une relation élève-enseignant et d'une fantasmatique infiltrées


par des enjeux d'emprise, la menace qui pèse sur un grand nombre de sujets nous semble
entrer en correspondance avec une angoisse de dé-formation identitaire corrélative de
l'investissement d'une position d'élève. Car investir une position, une attitude d'élève c'est
risquer d'être un esclave (Selma, Ibrahim, Édouard), le maillon d'un système hiérarchique en
bas de l'échelle (Georges), un être réduit au silence dans la relation à des enseignants tout
puissants (Imen, Hans), être un chien dans la relation à son maître (Sinan), ou encore être en
dessous d'un enseignant qui ''enfonce'' (Naïma).

Dans une telle configuration, nous supposons que l'identification intergénérationnelle


mise en jeu dans la transmission scolaire du savoir se trouve empêchée de se déployer pour
au moins la moitié des sujets rencontrés.

Cependant, il nous semble que quelques sujets, surtout Édouard et Ibrahim, peuvent
rendre compte à travers leur discours d'une certaine identification dans la relation à certains
enseignants. Il s'agit d'une identification qui semble faire un peu oublier la différence des
générations dans la relation à l'adulte, et semble reposer fortement sur la reconnaissance
d'une ressemblance.

255
Ainsi, Édouard répondant à la question : est-ce-que la relation à un enseignant vous a
changé ? Nous parle de son stage actuel en pâtisserie qui se passe bien et évoque
spontanément le pâtissier qui l'encadre en le présentant comme quelqu'un qui « a les
connaissances pour faire prof mais n'a pas les diplômes ». Nous supposons un mouvement
d'identification à cette personne qui a acquis une connaissance ''hors des sentiers battus'' de
la trajectoire scolaire. Cette remarque concernant ce que nous pourrions appeler son ''Maître
de stage'', précède l'expression de son rapport au savoir et à la transmission scolaire selon ces
termes : « c'est comme se je le savais déjà et en fait ils (les enseignants) me l'ont juste
rappelé ». Nous observons donc une certaine filiation entre le maître de stage et l'élève sur
plan du rapport au savoir scolaire (savoir acquis ou déjà là sans en passer par une validation
ou une transmission scolaire).
En ce qui concerne Ibrahim nous développons cette question de l'identification aux
enseignants et plus généralement à l'adulte plus loin (voir étude de cas p345)

Chapitre D. De l'éprouvé à la créativité en milieu scolaire :

I. Traitement des affects à partir des tests projectifs :

1. Les procédés de traitement de l'affect au TAT :

tableau récapitulatif des procédés de traitement


de l'affect au TAT
Procédés de type labile Procédés d'évitement
B1-3, B2-2, B3-1, B3-2 CF-1, CN-4, CL-2

Georges 2x B1-3 3xCL-2, 3xCF-1

Édouard 1x B1-3 5xCF1, 2xCL2, 1xCN- 4

256
Sinan 7xCF-1

Idir 2x B1-3 5x CF-1

Aymeric 5x CF-1, 1x CN-4, 1x CL-2

Selma 4x B1-3, 1x B3-1 3x CL-2, 1x CF-1

Naïma 2x B1-3 3x CL-2, 1x CF-1

Hans 4x B1-3 4x CF-1

Imen 5x B1-3 2x CF-1

Oscar 6x B1-3, 1x B3-1

Helder 4x B1-3

Nous observons que cinq sujets (Georges, Édouard, Sinan, Idir, Aymeric) sur onze ont
particulièrement recours aux procédés d'évitement, essentiellement les procédés CF-1 définis
comme « accent porté sur le quotidien, le factuel, le faire – référence plaquée à la réalité
externe- ».
Selma et Naïma semblent surinvestir la perception visuelle mais plus largement c'est
la question du voir, regarder et de l'être regardée, vue qui semble particulièrement les
préoccuper.
Dans le protocole de Selma nous repérons des signes de cette préoccupation aux
planches 2 « elle surveille quelque chose », planche 3 « on la voit pas » (CL-2), planche 8
« j'arrive pas à voir » (CL-2), planche 6GF « ça se voit que c'est des riches », planche 10
« ça se voit qu'il la rassure » (CL-2), planche 13MF « il a vu quelque chose qu'il ne voulait
pas voir » et planche 16 « je me vois aux Seychelles ».

257
Dans le protocole de Naïma nous en observons des signes à la planche 2 « ils voient
quelque chose arriver », planche 4 « une dame qui voit un homme mais l'homme on dirait
qu'il ne la voit pas », planche 7GF « elles voient quelque chose », « elle lui dit mais elle, elle
voit pas. ». Nous avons côté CL-2 ses remarques sur le percept planche 5 « derrière elle c'est
sombre », planche 13MF « l'image derrière est sombre alors qu'on dirait que c'est pas
sombre » et sa remarque qui signe une tentative de déterminer par la perception le sexe des
personnages de la planche 10 « deux personnes mais j'arrive pas à voir si c'est une femme ou
un homme ».
Nous relevons l'importance du voir, du regarder dans quatre autres protocoles
(Georges, Idir, Imen, Hans) à travers une activité de regarder ou voir, attribuée aux
personnages qui vient souvent remplacer l'éprouver et/ou la représentation. Ainsi, par
exemple, Imen insiste à la planche 2, sur l'activité de regarder de la jeune fille au premier
plan, sans pouvoir préciser ce qu'elle regarde, ni ce qu'elle éprouve, comme si l'activité de
regarder se suffisait à elle-même et/ou avait une valeur défensive destinée à abraser l'affect.
« Au premier plan, on dirait qu'elle regarde quelque chose. Il y a une dame enceinte et un
monsieur qui tient un cheval. (ils se connaissent?) le monsieur et la dame, pas les trois. (et la
fille au premier plan?) elle est en train de regarder quelque chose. ». Idir donne un bon
exemple de cette utilisation défensive du regard à planche 4 « C'est un couple et je sais pas,
elle me dit rien cette image (?) j'sais pas ils regardent quelque chose. ».
Hans et Georges semblent avoir recours à l'activité de regarder en combinaison avec
celle de penser dans une visée d'abrasion de l'affect, donc une visée d'emprise répressive.
Ainsi Hans à la planche 2 : « une campagnarde avec des gens autour, peut-être en train de
faire la guerre, j'sais pas. Elle est en train de regarder quelque chose. Elle pense. », Georges
à la planche 7BM « Deux vieux hommes qui se parlent. Ils sont pensifs (a quoi pensent-ils ?)
ils pensent quelque chose que je ne pourrais pas voir là dedans. ». La réponse d'Idir à la
planche 1 nous semble du même ordre, combinant le penser et le voir à visée défensive, voire
abrasive : « Un enfant qui lit quelque chose, il apprend, il se concentre. Ça se voit qu'il a du
mal et c'est tout (vous ne voyez pas un objet?) un livre, une table ou j'sais pas. »
Attribuer aux personnages une activité de penser, de réflexion (souvent associée à
l'idée de travail) servirait donc souvent l'emprise répressive. C'est la cas d'Aymeric planche
1 : « il travaille, il réfléchit (à quoi?) au travail, à ce qu'il fait » ; Imen planche 13B :« Un
petit garçon assis devant sa maison qui regarde quelque chose ou pense ». Hans a
particulièrement recours à ce procédé, planche 1 :« Un élève qui bouche ses oreilles, avec un
violon devant lui. Peut-être pour être dans le calme, essayer de comprendre des choses,

258
essayer de penser à une musique qu'il peut jouer. (l'élève est en classe?) non », planche 4 :
« Une dame et son mari. Je sais pas ce qu'ils font, à quoi ils pensent. », planche 7BM :
« Deux hommes peut-être en train de parler, de penser, de réfléchir (?) peut-être qu'ils
parlent de femmes. », et planche 13B : « Un petit garçon en train de penser dans une sorte de
grange et il est pied nu. ».

Le fort investissement du visible (voir, se voir, être vu) qui s'exprime surtout dans les
protocoles de Selma, Naïma et dans une moindre mesure dans les protocoles de Georges, Idir,
Hans et Imen, peut se trouver éclairé par les propos de C. Chabert sur le « surinvestissement
du visible » (2011, p92-93) caractéristique des « problématiques narcissiques ». « l'addiction
à « être vu » pourrait rendre compte du noyau commun de toutes les problématiques
narcissiques dans leur rapport à l'autre : une spécularité qui maintient l'investissement de la
surface (au détriment de la profondeur) et protège ainsi de toute forme d'intrusion ; encore
que, dans certains cas, l'extrême érotisation du regard bascule dans une quasi-projection de
la pénétration par l'autre. En contrepoint... le surinvestissemnt du visuel pourrait avoir
comme fonction première d'étouffer toute forme d'expression d'affects et surtout de leur
sens : ainsi les liaisons causales susceptibles de connecter les affects et les représentations
sont implacablement étouffées par un mutisme qui frappe et le langage et les messages qu'il
est susceptible de porter. » (2011, p92-93).
Nous relevons que six sujets (Imen, Idir, Hans, Georges, Édouard, Selma) du groupe
se trouvent particulièrement mis en difficulté par la planche 16, étant tenus d'inventer une
histoire, sans pouvoir s'appuyer sur une perception visuelle (la planche est blanche et c'est la
dernière du protocole, donc elle clôt la passation). Cette observation peut indiquer un
surinvestissement du percept externe, corrélatif d'un évitement et d'un défaut d'investissement
des perceptions et représentations internes. Idir et Hans sont dans l'incapacité de donner une
réponse ou évitent cette situation. Georges essaye mais n'arrive pas à décrocher du percept
blanc : « C'est une toile de peinture et y a rien dessus, je sais pas quoi raconter (elle est où
cette toile ?) dans la neige. ». Imen verbalise des affects déconnectés de tout scénario : « De
la tristesse, de la colère (une personne qui serait en colère, triste. Pourquoi ?) je sais pas. ».
Édouard manifeste son incapacité à se prêter à ce genre d'exercice en donnant une réponse
qui montre, selon nous, son agrippement à une spécularité dont il n'arrive et/ou ne veut pas se
détacher pour construire une pensée autonome, moins dépendante d'un jeu de reflet
narcissique. « C'est un bureau. Un mec assis sur une chaise avec son manteau parce que il a
froid. Il fait un test de TAT et … là, il est à la dernière planche et il doit raconter une histoire.

259
Et il raconte que c'est un mec assis sur une chaise qui fait un test de TAT et … là, c'est la
dernière planche et il doit raconter une histoire et il raconte que … [il commente] c'est un
truc qui finit jamais en fait. ». On peut difficilement dire mieux l'agrippement spéculaire qui
fait impasse à la mobilité créative de la pensée et permet d'éviter la question de la fin, donc
de la mort, la perte, la castration - « c'est un truc qui finit jamais en fait » -. Selma manifeste
un repli narcissique associé à un fantasme de maîtrise à forte teneur auto-érotique : « Je me
vois aux Seychelles avec des esclaves à mes pieds, en train de me faire bronzer (?) c'est
tout. ». L'idée de « se faire bronzer » renvoie selon nous à l'auto-érotisme à visée d'emprise,
l'idée étant, ''je me fais du bien sans avoir besoin de l'intervention de l'autre'' ; mais peut-être,
en sous-bassement et simultanément, met-elle le soleil (qui fait bronzer) en place de
partenaire sexuel.

Nous observons d'après les indicateurs choisis figurant dans le tableau, qu'Imen,
Helder et Oscar se distinguent des autres sujets dans la mesure où ils semblent plus en
capacité de verbaliser des affects et les attribuer aux personnages, et ont moins recours aux
procédés d'évitement.
Imen manifeste tout de même des difficultés pour lier représentation et affect, bien
que nous constations qu'avec notre soutien, elle se montre un peu plus capable de faire la
liaison. Imen soit exprime un affect sans représentation, soit à l'inverse une représentation
sans affect; ce dernier cas de figure relevant du procédé d'isolation (côté A3-4 au TAT).

2. Comportements significatifs d'une menace de submersion par l'excitation :

Helder et Oscar manifestent globalement une bonne capacité à verbaliser les affects et
les lier à des représentations. Cependant, nous observons qu'ils sont susceptibles d'être
submergés par l'excitation, entraînant une désinhibition et/ou un recours à l'agir à visée
d'emprise qui prend la forme d'une agitation motrice et, plus largement, d'un langage du corps
; comme si l'envers de cette capacité à verbaliser des affects et les lier à des représentations
était la submersion excitationnelle et l'agitation.
Dans la cas d'Oscar, la combinaison excitation-agitation se manifeste surtout durant la
passation du Rorschach.
Nous observons en effet qu'Oscar manipule beaucoup les planches du Rorschach et
exprime au début de la passation un fort mouvement de rejet vis-à-vis du test - «Ça veut rien
dire ! », « C'est n'importe quoi ça ! ». La réponse d'Oscar à la planche X du Rorschach nous

260
laisse penser que la passation du Rorschach éveille en lui une forte charge d'excitation qui lui
donne l'envie de fuir cette situation insupportable et de l'évacuer par la motricité. « Ça je
sais, c'est plein d'animaux qui essayent de prendre la fuite. Ils courent, ils courent, ils
courent. Quand je dis des animaux, c'est peut-être des extraterrestres. Ça ressemble pas à
des animaux. ». La scène qui a suivi la passation du Rorschach est venue confirmer
l'hypothèse d'un besoin de fuite et de décharge de l'excitation par la motricité. En effet, juste à
la fin de la passation, le portable de l'éducatrice de classe relais sonne dans le bureau où nous
conduisons l'entretien et Oscar se saisit de l'occasion, du moins c'est notre impression, pour
s'éclipser; il prend le portable de l'éducatrice, ouvre la porte et l'appelle. Puis, positionné entre
le bureau et le couloir, il nous demande si notre entrevue est terminée et s'il peut partir pour
lui amener son portable. Nous l'autorisons à partir. Cette sortie fait, selon nous, directement
écho à la dernière réponse de la planche X du Rorschach. Après la passation du Rorschach et
une fois sorti de la salle d'entretien, Oscar semble particulièrement agité comme s'il avait de
l'excitation à décharger. Il fait des petits mouvements du corps que nous pouvons assimiler à
de la danse et à des impulsions gestuelles, et, soudainement, sans crier gare, il agresse
physiquement un camarade en lui donnant une série de coups de poings dans l'épaule et un
coup de pied. Cette agression est extrêmement brève et le camarade attaqué semble plus
surpris qu'énervé. L'éducatrice qui a assisté à la scène est également surprise. Cette agression
nous donne l'impression d'une décharge aveugle momentanée qui n'a pas vraiment valeur
d'agression mais qui est plus un jeu violent avec l'autre. Elle se passe dans un espace donnant
sur les toilettes où l'on se lave les mains, quelques minutes avant que les élèves n'aillent à la
cantine.

Pour ce qui concerne Helder, nous avons constaté sa désinhibition au TAT qui se
traduit par des propos incestueux à la planche 13MF accompagnés d'un humour un peu
débridé et absurde. « Un homme qui vient de coucher avec une femme et vient de se réveiller
le matin et il dit « oh ! putain qu'est-ce-que j'ai fait ». On dirait que soit il est fatigué, soit il a
honte. Peut-être c'est sa mère (dit -il à voix basse). Vous ne l'écrivez pas ça ! Il y a un
bouquin juste à côté. Il y a un petit cadre à la façon marseillaise (parle avec l'accent
marseillais). Un mec qui travaille trop. Il est en costard (?) il a une cravate et les cheveux …
et la femme, on dirait c'est elle le mec. Elle est nue, elle a les seins à l'air. C'est pas bien ça !
(dit ça en souriant). ». Sa réponse à la planche 16, ''magistrale'' par la richesse des
potentialités symboliques qu'elle semble contenir (et en ce qu'elle traite du thème de la

261
relation au maître), traduit aussi la vive excitation qui tente d'être canalisée par l'historisation.
Helder dit lui-même que l'agitation est la principale source de ses difficultés en classe.

Il faut noter que l'excitation semble gagner Oscar et Helder surtout aux dernières
planches de la passation (du Rorschach pour Oscar et du TAT pour Helder) ce qui peut
signifier que l'excitation est le signe d'une défense maniaque contre la séparation et/ou la
castration. La réponse très fournie d'Helder peut être conçue comme une façon de remplir
l'espace blanc de la planche 16 qui fait peser la menace du vide, d'ailleurs nous constatons
que le héros de l'histoire manifeste un fort besoin d'avoir le ventre plein de nourriture et de
bébés issus de la relation au « maître des piqûres » ou à « Mamadou ».
Nous notons qu'Édouard se saisit de chacune des planches du TAT et la repose quand
il a fini de répondre. De plus, il garde son manteau pendant toute la passation prétextant qu'il
a froid. Ceci peut être interprété comme une mise à distance défensive du test et une
recherche d'emprise par la préhension. Le fait qu'il garde son manteau, ajouté à la nature
spéculaire de sa réponse à la planche 16 peuvent être interprétés comme un surinvestissement
défensif de la surface limitante protégeant de l'intrusion de l'autre en soi. Ce qui nous renvoie
à la description de C. Chabert (2011) d'« une spécularité qui maintient l'investissement de la
surface (au détriment de la profondeur) et protège ainsi de toute forme d'intrusion » (p93).
Aymeric semble extrêmement fatigué pendant la passation du TAT et manifeste des
moments d'absence où il reste à fixer la planche du regard, si bien que nous devons le
solliciter pour continuer la passation. Il met ses mains sur les yeux (Pl 6BM) et met sa
capuche vers la fin de la passation, si bien que nous ne voyons plus ses yeux. Nous pouvons
supposer que ce comportement est une façon de maîtriser l'excitation, en évitant de regarder
et en s'absentant physiquement (sommeil) et psychiquement.

3. Traitement des affects au Rorschach :

Parmi les six sujets ayant passé le Rorschach :


 deux présentent un nombre élevé de réponses côtés Barrière (Idir 4B/0P ; Aurélien 5B/1P)
 Selma présente un nombre élevé de réponses côtés Pénétration (5P/0B)
 les six sujets n'utilisent quasiment pas les éléments sensoriels dans la construction de leurs
réponses et s'ils les intègrent c'est souvent dans des modalités défensives inhibant la pensée.

262
Aurélien par sa réponse à la planche VIII, nous laisse penser qu'il peut réagir
violemment pour préserver une maîtrise face à certains affects vécus comme une menace.
Ainsi la confrontation aux couleurs pastels semblent éveiller le besoin d'une mise à distance
en ayant recours à la figure de l'assassin. « Un logo à plusieurs couleurs (?) le logo d'un jeu
(quel jeu?) Assassin's creed. ».
Nous remarquons que Naïma figure des kinesthésies (la plupart, de bonne qualité
formelle) seulement aux planches colorées, excepté à la planche X, comme si la couleur
éveillait automatiquement chez elle un besoin de mouvement ou de figuration de mouvement.
Planche II : « deux ours qui se tirent enfin qui se battent » ; planche III : « deux personnes
qui portent quelque chose » ; planche VIII : « Deux animaux, là en rose, qui essayent de
monter quelque chose » ; planche IX : « un insecte et au milieu on dirait quelque chose que
les insectes veulent attraper. ». Ceci nous laisse supposer que Naïma a particulièrement
recours au mouvement du corps ou à la représentation du mouvement (ce qui n'est pas la
même chose), pour traiter la charge affective et d'excitation véhiculée par la couleur. Les
gestes de tirer, porter, monter, attraper, se battre renvoient, selon nous, au registre de
l'emprise.

Le comportement d'Oscar pendant et après la passation (décrit plus haut) renvoie


également au recours au mouvement à visée d'emprise sur l'excitation.

Le protocole de Rorscach de Selma indique qu'elle est susceptible de se sentir


submergée, pénétrée (fort score de pénétration : 5P/0B) par une excitation incontrôlable
éveillée par des représentations de figures phalliques (planche IV et VI) et du féminin
(planche VII). Planche IV : « Je vois pas. Une tempête, non ? » ; planche VI : « Elle
ressemble un peu à l'autre (Pl IV), on dirait une tempête au centre. » ; à la planche VII, c'est
une forte réaction de rejet, d'emprise et la dévitalisation par la figuration d'un chien qui prend
la pose (ou qui ''fait le beau'' ?) : « [elle se saisit de la planche, alors qu'elle ne l'avait pas
fait avec les autres. Elle la tourne dans différents sens] c'est bizarre. Ça me fait penser à rien
en fait. La pose d'un chien (?) quand il se lève comme ça [elle mime la posture du chien] » et
à l'enquête « cette tache elle est bizarre. Elle veut rien dire ! Je comprend rien de ça ! ». C'est
donc plus un échec de l'emprise qu'elle donne à voir. Emprise que pourtant elle tente
rigidement et fortement de mettre en œuvre, mais sans réel succès. Ses réponses aux planches
pastels sont très restrictives, témoignant, entre autres, de sa difficulté pour élaborer les affects
et de sa tendance à les réprimer. Selma semble osciller entre répression de l'affect et

263
submersion par l'affect et l'excitation. Cependant la réponse à la planche II, particulièrement,
témoigne selon nous, par son caractère complexe et symbolique, d'une capacité d'élaboration
de l'affect préservée : « un cœur. C'est le même cœur qui est là mais séparé. (c'est un ou deux
cœurs ?) un cœur. » et à l'enquête « On dirait qu'il (le cœur) revient là mais séparément. ».

4. Un point sur les résultats par rapport au traitement des affects :

A partir des critères choisis pour l'analyse du traitement des affects aux projectifs nous
observons que :
- cinq sujets (Georges, Idir, Édouard, Sinan et Aymeric) sur onze ont particulièrement recours
à des procédés d'évitement.
- trois sujets (Selma, Naïma et Georges) ont particulièrement recours à des procédés CL-2
(appui sur le percept et/ou le sensoriel).
- six sujets (Georges, Naïma, Selma, Idir, Hans et Imen) tendent à attribuer aux personnages
des activités de voir, mais aussi (et souvent en association) des activités de penser, réfléchir,
qui participent de modalités défensives empêchant d'éprouver et représenter (le voir et le
penser des personnages masque et/ou abrase l'éprouvé).
- six sujets (Idir, Édouard, Selma, Hans, Georges, et Imen) paraissent particulièrement
dépendants du percept pour penser, dans la mesure où ils sont mis en difficulté pour inventer
une histoire lorsqu'ils ne disposent plus de l'appui du percept à la planche 16.
- nous observons, comme attendu au Rorschach, une faible prise en compte des éléments
sensoriels.

Il semble bien y avoir un mouvement d'emprise visant la répression des affects qui
marque les protocoles de TAT et de Rorschach d'au moins huit sujets sur douze (Naïma,
Georges, Idir, Hans, Aymeric, Édouard, Sinan et Aurélien). Cependant nous n'observons pas
de surinvestissement de la perception et de l'agir (excepté Oscar au Rorschach) durant la
passation des tests, comme nous l'avions supposé. L'activité de voir semble particulièrement
investie par un bon nombre de sujets dans une visée d'emprise sur les éprouvés et la
représentation.

Au cours des entretiens avec les sujets nous constatons qu'ils peuvent nous signifier ce
qu'il ressentent en termes positifs et négatifs dans la relation aux enseignants. Ils expriment
également fortement une quête affective (demande d'attention, d'être compris, etc...). Il ne

264
s’agirait donc pas de sujets coupés de leurs émotions, loin de là. La plupart des sujets peuvent
dire combien ils sont, ou ont été affectés, marqués ou excités par l'enseignant ou une situation
scolaire. Ceci dénote un accès possible à la dimension passive des mouvements pulsionnels
« du côté de la sensation de l'empreinte, de la perception comme « effet » du stimulus externe
ou interne » (C. Chabert, 2011, p89). Cependant, plusieurs sujets rendent comptent à travers
leur discours d'une excitation et d'affects négatifs irrépressibles qui surgissent dans le
contexte scolaire sur lesquels il leur est difficile de mettre du sens. Ces éprouvés négatifs
reconnus et exprimés dans le cadre des entretiens, nous pouvons les ranger dans deux
catégories :
- il y a les éprouvés dont ils ne peuvent déterminer l'origine. C'est une irritation, une
excitation diffuse qui semble en deçà de la représentation.
- il y a les éprouvés négatifs qui seraient causés par les enseignants.

Il convient d'étayer ce point de vue par des exemples que nous tirerons de leurs
discours et de nos observations.

II. Rapports aux affects et à l'excitation en fonction du discours des élèves :

Georges, Imen, Helder et Sinan (dans une moindre mesure) évoquent une excitation
débordante dont ils ne peuvent déterminer l'origine. Dans ces conditions les enseignants
peuvent soit augmenter l'excitation, soit être convoqués dans une fonction de contenance ou
de contention. Ces quatre sujets se présentent donc d'une certaine manière comme passifs vis-
à-vis d'une excitation provenant d'une altérité interne.
Georges nous fait part du sentiment de quelque chose d'insupportable dans le fait de
voir des professeurs ou d'entendre certains professeurs. Ce quelque chose d'insupportable il
n'arrive pas vraiment à l'identifier, comme si c'était en deçà de la représentation. « les voir, ils
me parlent (les professeurs de sixième), je supporte pas ». Il nous fait part également d'une
sorte de fatalité, qui fait, qu'au bout de deux semaines après la rentrée des classes, il n'est plus
calme « souvent j'suis calme deux semaines et après ... ». Georges peut donc se dire et se
sentir excité à la fois par la simple présence de certains enseignants et par une force interne
qui l'empêche d'être calme. Il semble par contre plus difficile pour lui d'exprimer des affects
qui caractériseraient sa relation aux enseignants. En effet, Georges ne rend nullement compte
d'un quelconque investissement affectif de la relation aux enseignants de collège ou de l'école

265
élémentaire. Nous en déduisons qu'il serait plus facile pour lui de se dire et se sentir excité
par l'enseignant que de se dire et se sentir affecté par celui-ci. Les affects semblent évacués
de la relation aux enseignants et seule reste l'excitation, à travers la problématique d'être
calme ou pas calme en classe. Georges n'exprime aucune attente affective vis-à-vis des
enseignants et suppose que les enseignants n'attendent rien de lui hormis de rester calme. En
effet, selon Georges, les seules intentions des enseignants à son égard serait de le « calmer ».
il nous semble donc que Georges tend à réduire le professeur à une fonction calmante (calmer
l'excitation) qui relève plus de la contention, donc de l'emprise, que de la contenance,
puisqu'elle exclut l'affect de la relation. Ceci laisse supposer qu'à défaut de pouvoir se calmer
seul, il délègue à l'autre professeur la fonction de le calmer, c'est à dire abaisser l'excitation
menaçante.
Imen nous dit qu'elle a choisi d'aller en classe relais pour se « calmer ». Il y aurait
donc une excitation présente en toile de fond à propos de laquelle elle ne peut pas nous dire
grand chose et qui participerait des conflits avec les enseignants. Cette excitation semble
mêlée à des éléments qui évoquent un mouvement dépressif. Elle nous dit en effet que rien ne
l'intéresse et qu'elle a « tout lâché » sur le plan des apprentissages. Ceci nous évoque sa
réponse à la planche 16 du TAT où s'entremêlent colère et tristesse, sans pouvoir relier ces
affects à une représentation. « De la tristesse, de la colère (une personne qui serait en colère,
triste. Pourquoi ?) je sais pas. ». Tout comme pour Georges mais dans une moindre mesure,
la relation aux enseignants semble désaffectivée.
Helder nous dit qu'il a besoin de la présence d'un adulte à côté de lui pour ne pas
s'agiter. Il se reconnaît donc agi par une excitation irrépressible bien visible au TAT.
L'enseignant étant convoqué comme présence étayante pour pallier le débordement
pulsionnel.
Sinan semble avoir été pris dans une excitation de groupe partagée avec ses deux amis
de longue date. Ainsi nous dit-il que, s'il n'avait pas été séparé de ses deux amis, il serait resté
en proie à quelque chose de l'ordre de l'informe qui pourrait désigner une excitation de
groupe à l'état brut, non symbolisée ou symbolisable, donc non mise en forme. Sinan évoque
le fait qu'en CM1 et CM2 lui et ses deux amis se ''relâchaient'' le dernier trimestre – « au
début de l'année ça se passait bien et au dernier trimestre on se relâchait (c'est à dire ?) on
sortait des trucs hors sujets ». Cette relâche inexorable du troisième trimestre qui les conduit
à « sortir des trucs hors sujets », est peut-être à relier à une relâche de la contention ou de la
contenance de l'excitation qui déborde et fait dériver vers du « hors sujet », du « n'importe

266
quoi ». Dans une certaine mesure, Sinan dit avoir été agi par une force non représentable liée
à un phénomène groupal.
Yassine, Aurélien, Aymeric et Hans évoquent un état affectif qui semble peu
identifiable mais présent en toile de fond et qui les rend particulièrement irritables. Dans une
certaine mesure eux aussi se présentent comme agis par une force obscure excitante.
Yassine nous fait part de son sentiment d'être dans un environnement « bizarre »
depuis qu'il a déménagé de la région lyonnaise, ne pouvant préciser ce qu'il entend par
bizarre. Il nous dit qu'il sort peu de chez lui à cause de ce sentiment d'étrangeté projeté sur
son environnement de vie. Par ailleurs il constate que, depuis qu'il a intégré le collège, il est
plus calme, mais quand il s' « énerve c'est pire qu'avant », c'est à dire que la colère est plus
forte et plus difficile à apaiser une fois qu'elle est déclenchée. Yassine s'est fait renvoyer de
la classe relais suite à une altercation avec un autre élève de classe relais également renvoyé.
Nous avons retrouvé Yassine par la suite dans une autre classe relais et avons brièvement
parlé de cette altercation avec lui. Yassine nous dit « il m'a tapé en traître et après on s'est
tapé. Quand on s'est battu ils n'ont pas séparé moi et Samir, ils m'ont surtout séparé moi
(c'est à dire que Yassine était toujours dans le combat alors que Samir avait cessé de se
battre). J'étais plus en moi en fait. J'ai pris un couteau et j'ai failli … j'sais pas. ».
L'éducatrice de classe relais nous a confirmé que Yassine semblait hors de lui. Cette
éducatrice nous rapporte que Yassine s'en est pris au mobilier de la classe après avoir été
séparé de l'autre élève. Elle nous dit qu'il ne semblait pas l'entendre. Il a fini par se calmer
tout seul.
Aurélien nous dit qu'il était souvent de « mauvaise humeur » et était « violent »
surtout en cinquième (plusieurs exclusions temporaires de l'établissement à cause
d'altercations ou d'agressions physiques sur d'autres élèves). Il dit que quand il était de
mauvaise humeur il perturbait le cours. Les enseignants semblaient habitués à ce manque de
disponibilité pour les apprentissages scolaires dans la mesure où Aurélien dit : « ils (les
enseignants) savent que je vais pas écouter, donc ils disent directement vas t’asseoir là-bas
(c'est à dire au fond de la classe). » ce qui semble convenir à Aurélien. Nous supposons donc
qu'Aurélien est au prise avec une colère, une irritabilité peu élaborée qui est susceptible de
favoriser le passage à l'acte violent et le conflit dans la relation aux enseignants.
Aymeric nous parle d'une nervosité de base qui entraîne l'altercation physique avec les
autres élèves. Il nous décrit ainsi la spirale qui conduit au conflit : « des élèves disent quelque
chose que j'aime pas. Ça m'énerve et j'essaye de lui expliquer et il s'en fiche et ça m'énerve
encore plus. ». Il nous dit également « j'ai été viré de mon collège parce que je me battais

267
beaucoup et quand je m'énervais, ils avaient du mal à me stopper ». Il nous dit « En CM1 j'ai
commencé à m'énerver. Je m'énervais vite. ». Aymeric peut nous faire part de ce qui selon lui
expliquerait ses altercations avec les autres élèves et sa nervosité en CM1; il nous dit :
« comme j'ai vu ma mère beaucoup de fois se faire taper... » (par son compagnon, beau-père
d'Aymeric). Le conflit avec les autres élèves continue lors de son deuxième CM2 après un
changement d'établissement scolaire, parce que nous dit-il « les gens, enfin les élèves
voulaient que me battre ». Il y a donc dès la primaire un ancrage de la violence en milieu
scolaire, qui fait écho et se surajoute à la violence dans le milieu familial. Dans ces
conditions nous pouvons supposer que la nervosité, la colère et les altercations physiques
viennent signifier la lutte contre la reviviscence de l'expérience traumatique d'enfant passif
témoin des violences conjugales. Ce type de processus visant le renversement de la
passivation en position active d'emprise, serait fréquent chez les sujets ayant été témoins de
violences conjugales dans l'enfance (L. Razon & C. Metz, 2011). Il s'agirait d'une certaine
manière de guetter et d'éviter la passivation traumatique de la victime en se lançant (''à corps
perdu'') dans le combat avec l'autre potentiel persécuteur. Aymeric peut nous faire part des
pensées irrépressibles qui le hantent et viennent alimenter la colère et le conflit. Il nous dit
ainsi que lorsqu'un enseignant lui « crie dessus devant tout le monde » il ne peut pas
s'empêcher d'imaginer que les autres élèves médisent de lui - « j'imagine qu'après qu'on
(l'enseignant) me crie dessus on (les élèves) dirait quelque chose sur moi ». Nous constatons
donc qu'Aymeric dit d'une certaine manière être agi (donc passif) par des affects et pensées
irrépressibles.
Hans se dit lui aussi pris par une colère incontrôlable dans certaines situations qui
éveillent la représentation insupportable d'une attaque contre la figure maternelle (nous
rappelons que la mère de Hans est décédée quand il avait 9-10ans). Ainsi nous dit-il, qu'il se
bagarrait beaucoup en sixième parce qu'il ne supportait pas les « nique ta mère ! » et nous dit
« mon problème c'est que j'arrive pas à ce qu'on me donne des ordres parce que j'ai
l'impression qu'ils (les enseignants, les adultes) se prennent pour ma mère ». Ces
représentations et affects incontrôlables seraient donc d'après lui à la source des conflits avec
les enseignants.
Selma, dans la mesure où elle dit être sujette à une angoisse irrépressible à l'origine de
ce qu'elle désigne comme une phobie scolaire, reconnaît d'une certaine manière être aux
prises avec des affects et une excitation qui peuvent la submerger. Nous avons constaté
particulièrement au Rorschach à travers des réponses « tempêtes » que Selma semble
effectivement avoir à faire avec une excitation difficilement élaborable.

268
Georges, Imen, Aymeric, Yassine, Aurélien, Sinan, Helder, Hans et Selma se disent
donc agités par une force interne qui les affecte, les passivise. Il s'agit d'une excitation, d'une
colère, d'une nervosité, d'une angoisse (Selma) associées ou pas à des représentations qui
s'imposent à eux dans certaines situations. Nous en déduisons que ces sujets peuvent se
reconnaître affectés négativement par des stimuli internes, et ont donc pu développer à
minima la dimension passive des mouvements pulsionnels telle qu'elle est définie par C.
Chabert (1999). Ils reconnaissent également que l'autre enseignant ou élève peut les énerver
ou les apaiser et, excepté Georges et Imen, ils peuvent dire avoir été touchés, marqués
négativement ou positivement par certains enseignants. Ils nous disent donc que leur état
d'excitation dans la classe va dépendre à la fois de leur état interne et des stimuli externes
provenant de l'enseignant et/ou des autres élèves. Dans les cas de Georges et Imen, il semble
plus facile de se dire, voire se sentir excité par l'enseignant qu'affecté (touché affectivement).
Nous pouvons supposer que l'excitation dans la relation aux enseignants tend à prendre la
place des affects qui ne peuvent être accueillis et élaborés ou, autrement dit, que les affects
qui ne peuvent être éprouvés se transforment en excitation. Dans ces conditions l'enjeu
principal de la relation à l'enseignant devient de se calmer ou d'être calmé.

A travers les discours d'Ibrahim, Naïma et Oscar, ce sont essentiellement les


enseignants qui sont désignés comme les ''fauteurs de troubles'', comme agents excitants et
irritants. Ils sont donc passifs (excités, affectés) vis-à-vis d'un enseignant actif (excitant,
énervant). Nous en déduisons que l'excitation et les affects de haine en interne sont
difficilement reconnus et projetés de façon privilégiée sur les enseignants selon la logique
« l'enseignant me hait donc je le hais en retour » ou « se n'est pas moi qui m'excite mais c'est
l'enseignant qui m'excite ». Pour ces trois sujets être affecté-excité par l'autre externe
(l'enseignant) serait donc plus supportable que d'être affecté-excité par l'autre interne (le ça,
l'inconscient). Dans une perspective différente, Selma pourrait également avoir
particulièrement recours à la projection qui serait à l'origine du symptôme phobique (phobie
scolaire, phobie des transports) bien ancré dans son organisation psychique.
Selon le discours d'Oscar, c'est lorsque l'enseignant est de mauvaise humeur que lui
prend l'envie de « faire des blagues », c'est à dire faire rire ses camarades et l'enseignant si
possible. Oscar ne reconnaît pas vraiment une excitabilité interne mais c'est plutôt l'autre
enseignant de mauvaise humeur qui stimule l'excitation. Nous avons pourtant relevé dans son
attitude au Rorschach une gestion difficile de l'excitation qui se traduit par de l'agitation et
des positions de prestance. Une excitabilité interne semble donc présente mais peu reconnue.

269
Naïma nous dit qu'elle est en classe relais parce qu'elle s' « énerve vite avec les
profs ». et quand nous lui demandons ce qu'est selon elle le rôle de l'enseignant, elle nous
répond : « Des fois j'ai l'impression que les profs ne servent qu' à m'énerver. J'ai toujours
l'impression qu'ils ne sont là pour rien en fait. J'ai l'impression qu'ils sont là juste pour
m'enfoncer. ». Naîma tend donc à présenter les professeurs comme étant à la source de son
énervement dans le cadre scolaire, associé à la représentation de s'enfoncer ou de se faire
enfoncer. L'enfoncement nous renvoie à la chute dépressive, l'enseignant étant dans une
certaine mesure désigné comme responsable de cette chute (celui qui enfonce). Mais elle peut
reconnaître tout de même à minima que cet énervement relève d'une « impression » c'est à
dire d'une représentation et d'un éprouvé subjectif.
Ibrahim soutient l'idée selon laquelle « un élève peut jamais s'énerver tout seul
comme ça à part si il a des problèmes psychologiques. Si tu t'énerves c'est que le prof t'a bien
poussé à bout. Moi quand je m'énerve c'est la faute du prof. ». Cette position de principe
transparaît tout au long de son discours sur sa relation aux enseignants. Ibrahim désigne donc
bien les enseignants comme les premiers stimulateurs de l'énervement donc d'une certaine
excitation en classe. Nous pouvons supposer qu'Ibrahim prend la figure enseignante comme
objet de projection privilégié, ce qui lui permet de soutenir une affirmation du type « ce n'est
pas moi c'est l'autre » et ainsi de ne pas traiter ce qui pourrait être de l'ordre « des problèmes
psychologiques ».
Selma présente des symptômes qui relèvent de la phobie scolaire diagnostiquée ainsi
par la psychiatre du CMPP dans lequel elle est prise en charge depuis 2 ans lorsque nous la
rencontrons. Selma est déscolarisée depuis au moins deux ans, ce qui indique que le
symptôme de phobie scolaire semble s'être installé dans une forme de chronicité. Elle s'est
appropriée ce terme de phobie scolaire pour désigner son trouble. Concernant notre approche
théorico-clinique de ce trouble, nous sommes particulièrement sensibles aux travaux de A.
Birraux (2014, 1999) pour qui la phobie scolaire à l'adolescence est le signe d'une difficulté
pour faire face au changement pubertaire, difficulté qui s'enracine avant tout dans une
fragilité narcissique. Selon elle, tout phobie est d'essence projective, c'est à dire qu'elle résulte
en premier lieu d'une déportation sur l'externe de la ''mauvaiseté'' interne qui ne peut être
élaborée et reconnue. Dans le cadre de la phobie scolaire l'adolescent ou le pré-adolescent
transforme par l'intermédiaire de la projection, « son environnement scolaire en objet
persécuteur ». Il s'agit « d'exporter à l'extérieur du sujet les menaces et les angoisses
ressenties dans la quotidienneté d'une pratique telle que l'école » (A. Tassel, 2017, p46).
Nous pouvons donc supposer que Selma a, ou a eu, particulièrement recours à la projection

270
sur l'école pour éviter de se confronter aux éprouvés pubertaires et aux remaniements qu'ils
impliquent. La question se pose de savoir si les enseignants constituent, ou ont constitué, eux
aussi, un objet de projection qui participe de la représentation angoissante attachée à
l'environnement scolaire. Selma nous dit qu'aujourd'hui elle se rend compte qu'elle était
« trop sévère avec les professeurs. ». « Un s'énerve trop facilement, un ne sait pas faire
cours » nous dit-elle pour illustrer son état d'esprit de l'époque. Nous en déduisons que la
projection sur l'enseignant a pu jouer un rôle dans la constitution de la phobie scolaire.

Idir, Édouard et Ophélia manifestent plutôt une anesthésie de l'excitation et des


affects, à travers leurs discours, qui peut être conçue comme une forme de répression (des
affects et de l'excitation) étayée sur le surinvestissement du sommeil dans un environnement
familier (la chambre), voire le surinvestissement du ralentissement psychomoteur propre au
mouvement dépressif.
Idir décrit des comportements de relâchement des efforts scolaire à l'entrée au collège,
qui nous évoquent un mouvement dépressif accompagné d'opposition passive. Il nous dit,
qu'au début de son année de sixième, il était « content » parce qu'il appréciait « qu'on change
de prof à chaque fois » mais l'investissement des apprentissages scolaires semble avoir chuté
« des fois je travaillais pas. J'avais pas envie. J'voulais rien faire. Les mauvaises notes, j'en
avais rien à faire. ». Il lui arrivait souvent en sixième de na pas sortir son stylo et de ne pas
écrire. Il ne peut pas nous dire grand chose de son état affectif à cette période là. Il nous dit
tout de même que « il y avait beaucoup de problème à l'intérieur du collège. Ça m'a saoulé ».
Nous constatons que cette description de son comportement n'est pas vraiment accompagnée
d'une nomination d'affects correspondant, excepté à travers l'expression bien adolescente
« « ça m'a saoulé ». En 4ème, Idir aurait raté l'équivalent de 2 mois de cours. Il nous dit :
« j'restais chez moi et je dormais ». Cette attirance pour le sommeil, sa chambre avec son lit
et sa console de jeu, serait encore bien présente, ainsi nous dit-il clairement : « j'aime pas
aller au collège, préférerais rester dans mon lit. Rester dans ma chambre à jouer à la
console. ». Il nous semble que là encore Idir ne mentionne pas d'affects, de sentiments (de
vide, de colère, etc...) qui expliqueraient son comportement. Nous nous demandons si le
sommeil et la réclusion dans la chambre ne sont pas destinés à anesthésier l'affect et
l'excitation. Cette impression d'un manque d'affect dans son discours résonne puissamment
avec ses réponses aux planches 3 et 13B du TAT. À la planche 3 l'affect dépressif tend à être
remplacé par le sommeil, la posture corporelle d'avachissement ; et à la planche 13B l'accent
est mis sur la sensation, à défaut de pouvoir exprimer, nous le supposons, l'affect éveillé par

271
la représentation de la perte, de la solitude de l'enfant. Nous rappelons qu'Idir a été
diagnostiqué Hyperactif en fin de grande section de maternelle, il semble avoir accepté et
intégré ce diagnostic comme un élément de sa personnalité, voire de son identité. À travers
son discours, nous observons un contraste entre son comportement en classe en élémentaire,
qui évoque une grande agitation en même temps qu'une fantasmatique maniaque - « j'étais
partout », nous dit-il -, et le relâchement, l'apathie qui l'aurait gagné à partir de la sixième.
Dans une certaine mesure le contraste perdure dans le comportement qu'il décrit au collège.
Ainsi nous dit-il qu'il « lève tout le temps la main » en classe, ce qui dénote une forte
mobilisation et une certaine excitation à travers l'image du doigt tout le temps dressé, de la
main tout le temps levée. Mais il évoque en même temps son désir de rester dans son lit
devant un écran. Ce contraste se retrouve dans le dessin : en effet il dessine sur des feuilles à
part un enseignant et un élève. L'élève lève la main et répond à la question de l'enseignant qui
demande combien font 2x2. Nous intervenons pour demander s'il n'y a qu'un élève dans la
classe puis Idir réagit en dessinant trois autres élèves. L'un est en train de dormir la tête entre
les bras, les deux autres étant en train de discuter du match d'hier. Nous relevons donc cette
oscillation entre des comportements différents en classe, qui peuvent être considérés comme
des façons différentes de gérer l'excitation, et les affects oscillant entre : endormissement
(anesthésie), agitation scolairement valorisée en levant « tout le temps la main » et
transgression par le bavardage en classe.
Si nous combinons nos observations tirées du discours et des projectifs (Rorschach et
TAT) nous pouvons supposer qu'Idir élabore difficilement l'excitation pulsionnelle et les
affects dans la mesure ou il navigue entre une surexcitation et une anesthésie affective. La
configuration serait celle-ci : menace de débordement par l'affect et l'excitation d'un côté et
répression par l'endormissement de l'autre.
Idir à la fin d'un entretien qui précédait une période de vacances scolaires fait une
remarque qui nous évoque une forme de dépressivité adolescente. Nous entendons en bruit
de fond les élèves excités de quitter le collège pour être en vacances (élèves qui dévalent les
escaliers en courant, cris, etc …). Idir nous dit alors spontanément, qu'en sixième et en
cinquième, il était, comme ces élèves, excité, et exprimait son excitation, sa joie d'être en
vacances. Il nous dit maintenant être « content et pas content » parce qu'il sait que les
vacances vont passer trop vite. Il dit que pendant les vacances il va se « reposer ». Une
désillusion associée à une certaine fatigue aurait donc remplacé l'excitation joyeuse portée
par les illusions de la jeunesse. Peut-être peut on y voir un travail de maturation en train de se
dérouler vers une meilleure intégration des éléments (affects et représentations) dépressifs ?

272
Édouard semble éprouver des difficultés pour se reconnaître excité et affecté dans la
relation à l'autre. Lorsque nous demandons à Édouard : « est-ce-qu'une fois un enseignant
vous a fait perdre le contrôle de vous même ? Vous a particulièrement énervé ? », il répond
« je m'énerve pas. C'est bizarre », ce que nous interprétons comme une difficulté pour
intégrer les affects agressifs dans la relation à l'autre. Édouard tend à présenter une relation
aux enseignants où ce sont eux qui s'énervent, lui restant impassible. Il décrit ainsi la
configuration typique de son problème relationnel avec les enseignants : « en fait je dors
mais ça les saoule ». Si nous nous intéressons à l'excitation et les affects circulant dans la
relation à l'enseignant, nous nous représentons donc, d'un côté un élève en état d'anesthésie
affective et excitationnel puisqu'il dort, et de l'autre côté l'enseignant ''saoulé'' d'énervement
(affect agressif et excitation). Édouard dit investir particulièrement le sommeil, le lit, la
chambre et la console de jeu (dans la chambre) depuis longtemps. Il nous dit : « l'année
dernière j'ai beaucoup séché les cours. Je reste chez moi, je dors. Je me couche tard donc je
dors beaucoup. Je suis tout le temps dans mon lit depuis toujours. ». La question se pose de
savoir si cet investissement du sommeil, du lit et de l'écran ne sont pas, entre autres, une
façon d'éviter d'être affecté et excité par les stimuli, les changements internes et externes
propres à la période adolescente. Nous avons observé au TAT qu'Édouard a recours au
fantasme de la position fœtale lorsqu'il est confronté à la problématique de la perte à l'image
3. Par conséquent, nous supposons que dormir, rester dans son lit, serait dans son cas à mettre
en lien avec cette fantasmatique de la régression vers une position fœtale. Il s'agirait peut-être
de maintenir l'illusion qu'il est encore dans le ventre de la mère, c'est du moins comme cela
que nous avons tendance à entendre « je suis tout le temps dans mon lit depuis toujours. »
Édouard peut tout de même dire à demi-mot que certains enseignants l'ont agacé, ce qui
témoigne d'un accès à minima à l'éprouvé d'une colère dans la relation à l'enseignant.
Il a tendance à désigner les enseignants avec lesquels il ne s'est pas entendu comme
« fous » et « bizarres ». Il nous dit en effet que toutes ses « profs d'histoire étaient des
folles », le directeur de son école élémentaire était « fou », une enseignante d'anglais
également, une enseignante de musique faisait « une dépression » selon lui et un enseignant
de SVT parle avec une voix « assez bizarre ». Nous pouvons supposer que l'étrangeté interne
qui pose la question de la folie tend à être projetée sur les figures enseignantes, peut-être
surtout des femmes (les enseignants hommes sont décrits comme « moins stricts »). Nous
émettons l'hypothèse selon laquelle Édouard a particulièrement recours à la projection, sur
l'autre enseignant, de ce qu'il ne peut élaborer en interne, l'excitation, les affects agressifs

273
vecteurs d'un sentiment d'étrangeté, étrangeté également projetée sur les enseignants. La
passivité qui consiste dans l'être affecté, excité par l'autre interne/externe semble donc
difficile à développer. Édouard se dévalorise beaucoup lors d'un entretien parce qu'il se rend
compte qu'il a oublié les clés de son domicile « j'suis un cas sos' (expression qui signifie cas
social), j'suis con ». Cette dévalorisation de soi signifie peut-être qu'Édouard est confronté à
des affects dépressifs forts qui peuvent le submerger au quotidien. Ces affects semblent plus
facilement exprimables que ceux qui traduiraient l'excitation et l'agressivité. Édouard dit ne
s'intéresser et ne s'impliquer que dans les apprentissages qui présentent pour lui une finalité
concrète - « les trucs qui me servent à rien ça me saoul du coup je fais pas » -. Il nous dit
également qu'il aime les mathématiques mais uniquement lorsqu'il apprend « des choses qui
servent à quelque chose dans la vie de tout les jours ». Il nous donne un exemple en
comparant les équations présentées comme inutiles, et les opérations mathématiques de base,
utiles car elles lui serviraient dans son stage de pâtisserie à calculer les proportions en
fonction du nombre de parts prévues. Cette centration sur un ''savoir utile'', car directement et
concrètement applicable dans son quotidien, nous donne l'impression d'un ''savoir froid'', c'est
à dire non soutenu par un investissement affectif, mais plutôt par un calcul ''à froid'', contrôlé,
de ce qu'il va pouvoir ''en tirer'' comme bénéfice concret. La relation à l'enseignant et la
transmission du savoir se voient donc dans une certaine mesure dévitalisées, excessivement
détachées de leur dimension affective. Le discours d'Édouard va donc plutôt dans le sens d'un
surinvestissement de l'emprise vis-à-vis des affects et de l'excitation dans la relation à
l'enseignant.
Ophélia peut exprimer des affects positifs qui ont marqué sa relation aux enseignants
de l'élémentaire. Elle nous fait part également de sa peur du regard des autres élèves.
Cependant, la relation aux enseignants semble perdre de sa teneur affective à partir du
collège. Ainsi nous dit-elle, qu'il n'y a pas de regard des enseignants pour elle comme s'ils ne
lui portaient aucune attention. Ce sentiment de non regard ou de vide de regard, est un
sentiment diffus, Ophélia se trouvant en difficulté pour nous expliquer ce qu'elle entend par
là. Le sentiment de vide relationnel se retrouve dans son dessin qui met en scène des
personnages sans visages, un rond vide à la place du visage, chacun des personnages (un
élève et un enseignant) est seul sur deux feuilles séparées. Par son discours Ophélia nous
transmet également la représentation d'une mémoire des apprentissages scolaires qui se vide
d'une année sur l'autre. Ainsi nous dit-elle, que lorsqu'elle passe à la classe supérieure
(passages en cinquième,quatrième puis troisième) elle oublie systématiquement ce qu'elle a
appris l'année précédente. Ce vide nous le supposons peut s'inscrire dans une organisation

274
dépressive. Nous observons, à travers son discours sur la scolarité et sa posture corporelle en
entretien, et en classe, un abattement qui nous évoque le ralentissement psychomoteur
dépressif. Ophélia nous dit qu'elle tend à s'endormir en classe, les paroles des enseignants
ayant un effet soporifique – « si le prof parle longtemps je pars vite en absence » -, nous
constatons qu'elle est souvent positionnée en classe relais la tête dans les bras croisés sur le
bureau et qu'elle se tient voûtée. Nous percevons une sorte de fatalité dans son discours sur
ses difficultés scolaires, qui, associée à son abattement physique, nous donne envie de l'aider
voire de la remuer pour lui insuffler du tonus psychique et musculaire. « Je suis dans la lune
parce que l'école c'était pas pour moi. J'ai jamais aimé l'école parce que je suis pas doué.
Même si j'écoutais je comprenais pas. » ou bien « ça ne change pas même si je fais plus
d'effort ». Nous sommes confronté, dans une certaine mesure, à un vide d'affect, car
l'abattement qu'elle nous fait ressentir n'est pas accompagné de l'expression d'affects de
tristesse et/ou de colère. Cette absence de certains affects et ce qui semble être un
ralentissement psychomoteur contraste avec la force évocatrice des scenarii qu'elle nous
propose au TAT, surtout aux planches 2 et 3, qui mettent en scène des femmes esclaves et
battues. Nous rappelons qu'Ophélia n'est pas allée plus loin que la planche 5 ce que nous
pouvons interpréter comme un malaise et un évitement devant la force des émergences
fantasmatiques (et/ou traumatiques?). La question se pose selon nous de savoir si Ophélia ne
s'inscrit pas dans un fonctionnement caractéristique de ce que Solange Carton (2011) nomme
« les dépressions sans émotions ». L'hypothèse étant celle-ci : Ophélia surinvestirait le
ralentissement psychomoteur « dans l'objectif d'éteindre l'affectivité voire de servir de
contre-investissement aux scenarii fantasmatiques inconscients qui cherchent à s'activer ».
« surinvestissement du manque d'énergie, de la fatigue aussi bien psychique que corporelle
(qui) aurait pour objectif, et pour effet, au même niveau élémentaire, d'éteindre l'émotion,
d'abraser la réactivité émotionnelle » (Solange Carton, 2011, p69). De ce point de vue, le
sujet se forge une certaine représentation du ralentissement psychomoteur qui vise
l'anesthésie émotionnelle influant sur la capacité du sujet à identifier et exprimer des
émotions. Cependant « la « « désémotionnalisation » est une pseudo-désaffection car l'objet
est encore là, en dépit de tous les efforts du sujet pour le perdre de vue ». « Le discours ne
semble ignorer ce qui l'anime que pour mieux conserver en secret les affects et l'objet. »
(2011, p70-71).
L'importance que semble prendre la question du regard dans sa problématique (peur
du regard des autres élèves, pas de regard de la part des enseignants, et peut-être aussi,
posture corporelle particulière qu'elle donne à voir) associée à cette désaffection apparente

275
nous évoque une nouvelle fois ce que C. Chabert (2011) écrit a propos du « surinvestissement
du visible et donc du regard » qui caractérise le rapport à l'autre dans « les problématiques
narcissiques ». Elle note que « dans certains cas, l'extrême érotisation du regard bascule
dans une quasi-projection de la pénétration par l'autre. En contrepoint, … le
surinvestissement du visuel pourrait avoir comme fonction première d'étouffer toute forme
d'expression d'affect et surtout de leur sens. » (p92-93). Il ne s'agit pas de postuler qu'Ophélia
s'inscrit dans une problématique narcissique, mais d'envisager le lien possible entre la
question du regard et la désaffection qu'elle nous fait ressentir. Le discours de l'enseignante
de classe relais sur Ophélia nous laisse penser qu'elle n'est pas enfermée dans une clôture
narcissique dans la mesure où Ophélia semble pouvoir se confier à elle et manifester un
investissement affectif de la relation.
Il est difficile d'émettre des hypothèses quant à la façon dont Kevin et Dorian traitent
les affects et l'excitation, étant donné que nous n'avons pu les rencontrer qu'une fois en
entretien. Nous constatons toutefois que Kevin présente par son discours une relation aux
enseignants dénuée d'émotion, centrée sur l'agir, la confrontation physique (fait une
« balayette » à la directrice) ou le châtiment corporel (battu avec un petit bâton, gifle,
expulsion manu militari de la classe). L'acte semble remplacer l'affect et l'émotion, au moins
dans la relation à l'enseignant. Par ailleurs, l'agitation motrice est manifeste à travers son
comportement en entretien (il a besoin de s'occuper les mains, manipule les objets sur le
bureau) et en classe relais, ce qui peut témoigner d'une excitation interne débordante. Kevin
s'inscrirait donc plutôt du côté d'une emprise par l'agir dans son rapport à l'affect et
l'excitation.

Il ressort de nos analyses du rapport aux affects et à l'excitation à partir du discours


des sujets, que la majorité d'entre eux peuvent se reconnaître excités et/ou affectés
positivement et négativement par un autre interne (force obscure interne) et/ou externe
(l'enseignant). La majorité des sujets aurait donc accès à minima à une certaine passivité qui
consiste « d'abord (à) admettre que l'action de l'objet a un effet de modification sur le moi du
sujet. Le corollaire en est la reconnaissance de ces transformations internes, notamment
dans leur traduction la plus perceptible au départ, c'est à dire en terme d'intensité, donc
quantitativement : l'effet de l'objet se repère dans une augmentation de l'excitation » (C.
Chabert, 2011, p90). Deux sujets, Georges et Imen, semblent figés dans cette reconnaissance
exclusivement quantitative de l'effet de l'autre en soi. C'est à dire qu'ils ne reconnaissent

276
l'effet de l'objet enseignant qu'en terme d'augmentation ou d'abaissement de l'excitation, sans
pouvoir accéder à un éprouvé plus qualitatif, en terme d'affects identifiés et verbalisés.
Trois sujets (Naïma, Oscar, Ibrahim) ont tendance à désigner l'enseignant comme
l'agent excitant-irritant ne reconnaissant pas en eux un autre interne (inconscient, ça) qui les
excite et les affecte négativement. Nous en déduisons qu'il est plus facile pour eux de se
reconnaître passifs vis-à-vis d'un autre externe (enseignant) que d'un autre interne. Cela va
dans le sens d'un défaut d'élaboration de la passivité dans le rapport à ce qui les anime, les
agit en interne, associé à un recours au procédé défensif de la projection. La figure de
l'enseignant agent excitant-irritant est également fortement présente dans les discours de
Georges, Hans, Aurélien et Sinan, comme nous avons pu le remarquer dans la chapitre
traitant du fantasme de séduction. Leur discours fait apparaître que la submersion affective et
excitationnelle provient d'une combinaison entre l'influence de l'autre interne (l'inconscient)
et l'influence de l'autre externe (enseignant).
Trois sujets (Édouard, Idir et Ophélia), semblent tenter d'anesthésier l'excitation
provenant de l'interne et de l'externe par un sur investissement de l'ennui, du sommeil voire
du ralentissement psychomoteur dépressif.
La majorité des sujets ne semblent donc pas coupés de leur vie affective mais nous
disent tous à leur manière, à demi-mot, qu'ils vivent des expériences de passivation en rapport
avec des affects diffus, ainsi que des excitations qui les submergent, ceci associé ou non à
des représentations irrépressibles (exceptés Édouard, qui dit ne jamais s'énerver, et Idir qui
n'évoque aucun débordement émotionnel ou excitationnel). Ces débordements, nous le
supposons, sont le signe d'un défaut d'élaboration des affects et de la psycho-sexualité bien
visible aux tests projectifs. Face au débordement qui menace, les modalités de l'emprise sont
employées à défaut de symbolisation de ce qui les anime en interne. Ainsi nous observons
que huit sujets sur les douze ayant passé des tests projectifs, ont particulièrement recours aux
procédés d'emprise dans le rapport aux affects et à l'excitation.

Le corps en tant que source de ces éprouvés nouveaux, non élaborables et


énigmatiques, vecteurs d'expériences de passivation, risque de faire figure de séducteur-
persécuteur pour ces sujets,. Nous étudierons dans le prochain chapitre la dynamique activité-
passivité dialectisée avec le rapport au corps (corps propre et corps de l'autre) tel qu'il
transparaît dans le discours.

277
III. Activité-passivité dans le rapport au corps propre et au corps de l'autre-enseignant :

1. Le corps enjeux d'emprise (corps propre et corps de l'autre) :

Plusieurs signes provenant du discours et du comportement des sujets peuvent être


interprétés comme une tentatives de préserver une emprise sur leur corps.
Trois sujets (Naïma, Georges, Imen) insistent sur le fait qu'il tiennent à choisir leur
place dans la classe (au fond, devant, etc …). Naïma nous dit que les conflits avec les
enseignants naissaient souvent à partir de problèmes de placements dans la classe, choisis par
l'enseignant et non désirés par elle.
Les enseignants sont présentés par plusieurs élèves dans une position d'emprise sur le
corps de l'élève qui passe avant tout par le contrôle de la prise de parole :
Édouard fait deux dessins : un enseignant qui force un élève à pousser un boulet en le
fouettant et un enseignant qui ordonne « travaillez et taisez vous ! ». Imen dessine une
enseignante qui dit « silence ! ». Hans décrit la position d'élève comme privé de parole.
Naïma met en scène dans son dessin un enseignant qui lui ordonne de se taire en la tutoyant :
« Naïma tu te tais ! ».
L'enseignant serait donc celui qui exerce une emprise sur la parole de l'élève. Dans
ces conditions, nous pouvons supposer que ''répondre'' à l'enseignant, avoir le dernier mot, est
une façon de ne pas être sous emprise en défendant une liberté qui est en partie une liberté
corporelle de la voix. Il s'agit de ne pas se taire. Naïma nous rapporte une anecdote qui nous
évoque un désir ou un besoin d'expression émotionnelle par le cri, réprimé par l'enseignant :
« en basket (cours de sport) quand je marquais des buts ben je criais et ils (des élèves) l'ont
dit et le prof m'a collé ».
Ibrahim, nous l'avons vu, est attaché à l'exercice d'une parole libre en classe dans le
cadre de débats ou de discussions entre les élèves et l'enseignant. Nous supposons que ceci
peut être sous-tendu par l'attachement à une certaine liberté du corps, qui dénote par rapport à
la forme scolaire standard.

Quatre sujets semblent particulièrement attachés à une certaine liberté transgressive


du corps dans l'enceinte de l'école :
Ibrahim met en scène, par le dessin, des élèves qui entrent dans la classe, deux élèves
sont déjà assis mais la majorité (8) sont debout et une partie d'entre-eux (3 élèves) tiennent

278
des propos légèrement transgressifs - « moi je me tire », « hé ! Vas y bouges ! » « TG ! » (c'est
à dire ''ta gueule !'') . Les élèves debout sont désignés comme étant « encore dehors », ceci
bien qu'ils soient figurés à l'intérieur de la classe. Nous en déduisons que le fait d'être debout,
associé ou pas à des propos transgressifs par rapport à la norme scolaire qui évoquent le
mouvement du corps (« bouges », « tire »), permet à Ibrahim de les situer dans un entre deux,
dehors tout en étant dans la classe, absents et à la fois présents. Nous supposons, que par ce
dessin, Ibrahim signifie son désir d'investir une certaine liberté du corps, qui lui permet de se
situer dans un entre deux entre intégration dans la classe et investissement d'un ailleurs. Il
s'agit probablement entre autres d'échapper à l'emprise scolaire sur le corps.
Kevin nous parle d'une « cachette secrète » dans son ancien collège que lui seul et
quelques camarades connaissaient. Il nous dit avoir découvert cette ''cachette'' lorsqu'un ami
a fait un trou dans le mur en se battant contre un autre élève. Kevin précise que cette cachette
était même inconnue des adultes qui ont construit le collège et affirme qu' « on pouvait y
rentrer au moins à mille ! ». Ce récit certainement un peu ou complètement fabulé ou
enjolivé, traduirait selon nous le désir de Kévin d'échapper à l'emprise scolaire tout en restant
dans l'enceinte du collège. Il nous fait part dans une certaine mesure de son désir d'illimité
dans l'enceinte de l'établissement par l'évocation de la capacité d'accueil énorme - « au moins
mille » élèves – de ce contenant secret. Échapper à l'emprise est associée à des activités
physiques interdites telles que jouer à se battre. Nous savons que la dimension corporelle est
fortement mise en jeu dans son discours sur la relation aux professeurs, présentée
exclusivement sous l'angle de la confrontation physique.
Aymeric nous dit qu'il erre dans les couloirs du collège pendant les heures de cours. Il
dit : « j'vais dans les couloirs, j'me balade dans tous les couloirs et des fois j'ai envie de
m'évader » ce qui peut se concevoir comme le signe d'un attachement à une liberté de se
mouvoir dans l'espace scolaire et d'en sortir.
Nous supposons qu'Aymeric et Kévin nous font part, d'une certaine manière, de leur
désir d'introduire, au sein même de l'établissement scolaire, des expériences solitaires ou
partagées hors cadre, qui sont une façon de s'approprier les lieux, d'apposer sa marque à
l'espace scolaire. Ces expériences leurs permettraient d'éprouver et se représenter un entre-
deux caractérisé par le sentiment de s' « évader » tout en restant dans l'enceinte scolaire.
Cette démarche de faire sien un espace ressenti comme étranger, voire hostile, pourrait être
considérée comme l'exportation sur la scène scolaire d'un besoin de s'approprier un corps lui-
même ressenti comme étranger, voire hostile. Il s'agit, peut-être, de se faire intrus dans
l'enceinte de l'école, en entrant et errant dans des lieux formellement ou implicitement

279
interdits (cachette secrète, couloirs), pour se défendre contre et/ou compenser le sentiment
d'être intrusé par les éprouvés pubertaires en provenance du corps. Nous nous inspirons ici
directement d'une des hypothèses défendue par A. Maurin (2010, 2014) dans ses travaux
traitant de l'investissement adolescent des espaces et des temps dits informels dans les
institutions éducatives. Elle émet l'hypothèse selon laquelle « C’est en se constituant comme
intrus dans l’environnement que l’adolescent transfère cette figure de l’intrus, comme intrus
à sa propre topique psychique. La figure de l’intrus apparaît dans tous les moments où un
sujet est confronté au remaniement de la scène corporelle, première scène de rencontre avec
l’autre, première scène de marquage social du sujet et premier lieu sans doute de
délinquance. C’est en fonction du rapport à l’intrus que le sujet va instituer son rapport
d’intimité. Ainsi les fantasmes d’intrusion peuvent être forts dans des établissements
scolaires vécus comme enfermant sans être protecteurs. » (2014, p763). Sur le plan de la
dynamique activité-passivité nous pouvons supposer qu'Aymeric et Kevin font intrusion par
leur présence non autorisée (pas là où ils devraient être) dans certains espaces de
l'établissement scolaire, de manière à compenser et traduire l' expérience d'être intrusés par
les éprouvés et les fantasmes qui les mettent en position passive (passivation et passivité).
Nous remarquons par ailleurs que Kevin et Aymeric manifestent un désir d'emprise
sur le corps de l'enseignant et plus largement le corps de l'autre. Kevin semble ainsi, de par
son discours, centré sur des enjeux relationnels d'emprise violente, qui passe d'une certaine
manière par ''le corps à corps'' à travers des confrontations physiques avec les enseignants ou
des fustigations par les enseignants. Aymeric nous dit avoir souvent recours à cette formule -
« ferme ta bouche ! » - lorsqu'un enseignant fait des remarques sur son comportement. Nous
constatons par ailleurs qu'il utilise beaucoup l'expression « ta bouche ! » pour dire à ses
camarades de se taire. Nous pouvons y voir une centration sur la bouche pris comme objet
d'emprise.
En réponse à notre question à propos de ses loisirs, Kevin nous dit faire du sport selon
un rythme et une intensité qui nous semble exceptionnelle ... et douteuse. Nous nous
demandons encore s'il ne fabule pas. Il nous dit en effet qu'il fait du foot tous les jours, et que,
depuis le CE2, il se lève à 5 heures tous les matins pour faire un footing de 2 heures. Ceci
nous paraît d'autant plus extraordinaire qu'il nous dit être asthmatique depuis sa naissance et
qu'il a été hospitalisé une semaine l'année dernière suite à une crise d'asthme. Nous
entendons, en tout cas, dans ses propos, une fantasmatique d'emprise sur le corps à travers
l'effort physique quotidien, qui permettrait de repousser et connaître les limites de son corps,
mais aussi faire taire les éprouvés en se vidant par dépense énergétique. Nous observons par

280
ailleurs, qu'il est particulièrement agité en classe relais, cette agitation excessive a constitué la
cause principale du choix de l'enseignante de ne pas renouveler la présence de Kevin en
classe relais pour une deuxième session. Pourtant, il est rare que l'enseignante ne propose pas
une deuxième session voire une troisième lorsqu'elle juge cela nécessaire. Il manifeste
également une certaine agitation motrice en entretien, accompagnée de l'expression verbale
d'une exaspération « c'est fini là ?! ». En classe, son agitation est associée à ce que nous
ressentons comme une désinhibition. Nous rappelons par exemple, que lorsque nous avons
dit que nous étions psychologue lors de notre première rencontre avec les élèves (5-6 élèves
debout positionnés vers le fond de la classe) dans l'espace classe, Kevin s'est détaché du
groupe d'élèves et, en un instant qui nous a paru furtif et surréaliste, il s'est allongé devant
nous (comme un patient en analyse avons nous pensé sur le moment) puis a rejoint le groupe
d'élève prestement. Ce comportement a fait rire les élèves ainsi que l'enseignante. Nous
observons également, qu'il est dans une grande proximité physique avec une fille dans
l'enceinte de la classe relais, fille qui, elle aussi, manifeste une grande agitation. Ils se jettent
dans les bras l'un de l'autre dans l'enceinte de la classe. Ils ne semblent pas former un couple
d'amoureux, mais s'excitent l'un et l'autre, alimentant ainsi une sorte d'agitation enfantine et
érotisée qui nous évoque une élation maniaque à deux. Ce comportement en duo ne nous
paraît pas dénué d'une certaine dimension chorégraphique.
Plusieurs éléments caractérisant son comportement et son discours nous évoquent une
défense maniaque antidépressive. Ces éléments sont : ses propos concernant son activité
sportive intense, son agitation en classe et en entretien, sa désinhibition, ainsi que sa tendance
à exagérer voire fabuler certaines situations. Nous faisons allusion ici à ses propos concernant
la cachette secrète qui, telle qu'il nous la présente, possède une capacité d'accueil
exponentielle; - « on pouvait y rentrer au moins à mille ! » -. Nous rappelons également son
enthousiasme, lorsque nous débloquons la table de ping-pong, traduit par cette phrase « vous
êtes un magicien ! » ce qui nous donne l'impression d'être momentanément pris comme objet
d'idéalisation. Nous pensons que Kevin désire ardemment introduire de la magie dans le
quotidien et peut-être en particulier le quotidien scolaire. Dans cette perspective, la
suractivité ou le fantasme de suractivité sportive serait une façon d'échapper aux ''temps
morts''. Comme le postulent S. Proia, Y. Morhain et J. P. Martineau (2006) à propos de la
suractivité sportive hypomaniaque il s'agirait « d'échapper à la confrontation psychique du
temps présent (épreuve du réel) et du passé (nostalgie) car ressentis trop proches du temps
suspendu synonyme de dépression. Ce n'est pas tant la passion pour une discipline sportive
particulière qui pousserait le sujet sportif à la suractivité que la fuite de la réalité intérieure

281
vers la réalité extérieure. » (p162-163). Ainsi à partir des propos de Kevin nous nous
représentons des journées pleines (''à ras bord'') qui commencent dès l'aube par le footing, se
poursuivent par le temps scolaire émaillé de conflits avec les enseignants et se terminent par
du foot. Kevin se positionnerait donc plutôt vers une emprise rigide sur les affects dépressifs
à travers des procédés d'emprise sur et par le corps.
Ophélia semble attachée à refuser toute activité sportive au moins dans le cadre
scolaire. Elle nous dit « j'ai toujours détesté le sport. Quand j'ai pas envie de courir, j'ai pas
envie de courir ! ». Elle nous parle, sans vraiment approfondir, d'une course d'orientation
qu'elle aurait mal vécue en sixième, qui serait venue alimenter son aversion pour le sport.
Nous relevons son désir de courir lorsqu'elle en a envie, qui montre, selon nous, un
investissement de la maîtrise de son corps. Ainsi ses efforts physiques ne doivent pas être
déterminés par la volonté et le désir d'un autre, fût-il enseignant de sport, mais par sa propre
volonté ou « envie ».
Yassine nous paraît un peu au ralenti sur le plan de son énonciation verbale et le
timbre de sa voix est assez monocorde. Yassine nous donne l'impression de ne pas être
vraiment présent à la relation, cette impression semble partagée par l'enseignante et
l'éducatrice de classe relais. Elles nous disent qu'elles le trouvent insaisissable, un peu ''dans
son monde'' pourrions nous dire, paraphrasant ainsi les propos de Yassine lui-même. Il nous
dit en effet « j'suis dans mon monde en fait je porte pas d'attention aux autres » ou aussi
« j'ai pas envie de m'intégrer ici » (dans ce nouveau lieu de vie qu'il n'a pas choisi). Sa
présentation et ces propos, qui pointent un évitement de relation à l'autre, entrent en
contradiction avec le fait qu'il peut se confier à nous, nous faisant part des ses sentiments, de
ses préoccupations et évoquant son histoire. Yassine sort parfois de son « monde », de sa
lenteur, pour entrer dans des confrontations physiques violentes avec d'autres élèves.
L'expression « il faut se méfier de l'eau qui dort » lui conviendrait bien nous semble-t-il. Cela
nous permet d'émettre l'hypothèse selon laquelle Yassine oscille entre deux modalités
défensives dans la relation à l'autre. Il a recours au retrait de la relation, pour s'isoler dans
son monde, et dans certaines conditions il a recours au passage à l'acte hétéroagressif. Le
ralentissement moteur que nous percevons participe peut-être d'un mouvement d'isolement
relationnel désiré. Dans ce cas il s'agirait de garder le corps au ralenti pour se préserver des
affects et excitations naissant dans le rapport à l'autre. La logique de ce procédé pourrait être
de tenir son propre corps sous une emprise dévitalisante pour garder l'autre à distance. Le
recours à l'acte hétéroagressif semble correspondre à des moments où il submergé par un
affect et une excitation non identifiés, il est agi (passivation) plus qu'il n'agit. Lors de

282
l'altercation qui a causé son renvoi de la classe relais, il nous dit qu'il était dans un état
second. D'une certaine manière il était passif face à une impulsion violente dépersonnalisante,
« j'étais plus en moi » nous dit-il. Selon l'enseignante qui était présente Yassine aurait dit « je
vais tuer quelqu'un ! » et parlait encore de « planter » l'adolescent avec lequel il s'était battu
quelques heures après l'altercation. Ces éléments nous évoquent ce que C. Balier (2006) a
nommé le recours à l'acte : il désigne ainsi les agir violents qui visent avant tout à « faire
disparaître l'objet menaçant la continuité narcissique ». Il parle en cela d' « une visée
meurtrière » (2006, p169). Le sujet lorsqu'il a recours à l'acte est souvent dans un état de
dépersonnalisation, ce qui pourrait correspondre au vécu de Yassine. Dans une perspective
différente, mais proche de celle de C. Balier, J. Y. Chagnon (2013) propose de penser le
recours à l'acte comme un tentative de « dominer, écraser ou tuer » les « parties de soi non
subjectivées » incarnées momentanément par la victime. Il s'agit donc, par ce genre d'acte, de
retrouver une emprise sur soi et sur l'autre, face à la menace de passivation, en rapport avec la
reviviscence d'expériences traumatiques (parties de soi non subjectivées) menaçant la
continuité narcissique. Concernant son avenir professionnel Yassine nous fait part de son
désir de suivre une formation militaire pour devenir « garde du corps ». Son rêve serait d'être
garde du corps d'un « rappeur » célèbre « dans des pays comme la Belgique ou la Suisse ».
Nous pouvons interpréter ces propos comme l'expression d'un fantasme d'emprise sur le
corps, son corps et celui de l'autre (un autre prestigieux, le rappeur célèbre).
Nous rappelons que Yassine souffre de la maladie de Berger qui a été diagnostiquée
lorsqu'il avait 12ans. Il nous dit avoir été hospitalisé trois mois à cause de cette maladie, et la
seule conséquence qu'il évoque est qu'il doit éviter le sel dans son alimentation. La maladie
de Berger, également appelée glomérulonéphrite à dépôts mésangiaux d'igA, est une maladie
auto-imune atteignant les reins. Nous supposons qu'il doit éviter le sodium pour préserver ses
reins. Cette expérience nouvelle de la maladie à l'adolescence n'a sans doute pas manqué de
participer à la constitution d'un certain rapport au corps qui nous semble marqué par le désir
d'emprise.
Aurélien a présenté des comportements hétéro-agressifs envers d'autres élèves dans
l'enceinte du collège alors qu' en classe relais son comportement est exemplaire. Il se montre
sage et concentré dans les activités. Aucune altercation physique ne nous est signalée. Nous
sommes toutefois interpellé en entretien par son visage qui nous semble inexpressif et fermé,
ceci associé à un discours laconique. A la première tentative de réinclusion dans son collège
d'origine il a agressé une nouvelle fois un élève. Les données du Rorschach nous ont permis
d'émettre l'hypothèse que le passage à l'acte hétéro-agressif, dans son cas, remplit entre autres

283
une fonction d'emprise sur la relation à l'autre. Il s'agit de mettre à distance certains affects
qui naissent dans la relation à l'autre, et réaffirmer une position phallique menacée,
représentée au Rorschach par la figure de l'assassin planche VIII. Nous avons vu qu' avant
d'être orienté en classe relais, sa violence et sa haine se sont dirigées préférentiellement vers
des filles, ce que nous avons interprété comme une défense contre l'angoisse de castration et
contre l'angoisse de passivation, associée au fantasme de retour au ventre maternel. Il
tenterait donc de se protéger par l'emprise violente sur le corps de l'autre et peut-être plus
particulièrement sur le corps féminin.
Helder délègue en quelque sorte à l'enseignant une fonction apaisante sur son corps en
nous disant qu'il lui faut un enseignant derrière lui pour ne pas s'agiter et rester concentré –
« quand le prof est derrière moi je me concentre » -. Il nous dit que son corps agit
indépendamment de sa volonté par cette phrase: « c'est comme si ta tête elle veut mais ton
corps veut pas » se concentrer et écouter en classe. Cette excitation du corps s'accompagne
manifestement d'une excitation psychique. Ainsi, nous avons observé, au TAT et à travers le
dessin, une désinhibition qui se traduit notamment par des représentations ouvertement
incestueuses, qui lui procurent manifestement un certain plaisir et l'excitent. Nous
remarquons également au dessin les signes d'une représentation du corps ambivalente sur le
plan de l'identité sexuée, peut-être marquée par le fantasme de bisexualité. La question d'une
défense maniaque contre la dépression se pose selon nous. Helder nous met sur cette voie
interprétative lorsqu'il nous dit « j' fais un peu le con pour que les autres rigolent parce que
j'aime pas voir les gens malheureux. ». Helder se reconnaît donc volontiers passif vis-à-vis de
son corps ; mais à travers cette excitation psychomotrice ne s'agit-il pas d'éviter une autre
passivité inhérente au mouvement dépressif, selon un procédé d'emprise défensive semblable
au cas de Kevin ?
Oscar, nous l'avons vu, manifeste une agitation motrice dans le cadre de la passation
du Rorschach et semble particulièrement agité juste après la passation. Nous observons ainsi
qu'il frappe un autre élève par surprise et fait des mouvements d'une manière qui nous semble
compulsive. Oscar serait donc susceptible d'être débordé par l'excitation dans certaines
situations et aurait recours à l'emprise par l'agir face à la menace de débordement. Sur le plan
du comportement en classe relais, d'après l'éducatrice et l'adulte relais, Oscar était très calme
lors d'une première période (1 à 2 mois) quand il était seul en classe relais. Lorsque les
autres élèves sont arrivés, ce qui faisait un groupe de 8-9 élèves, Oscar est devenu plus agité.
Mais d'après l'adulte relais le comportement d'Oscar a vraiment changé lorsque Naïma (seule

284
fille du groupe d'élèves) est arrivée en classe relais. Nous avons assisté à un bref échange fort
intéressant entre l'adulte relais et Oscar au sujet de son changement de comportement.
La scène se passe sur un temps de récréation, dans l'espace classe de la classe relais;
étaient présents Oscar, l'adulte relais et nous. L'adulte relais, un homme d'une cinquantaine
d'année, assis sur une chaise, dit (ordonne?) à Oscar « assied toi là! », il cherche
manifestement à ce qu'Oscar s'assoie à côté de lui pour lui parler. Après avoir répété plusieurs
fois cette injonction, Oscar s'assoit finalement. L'adulte lui dit alors qu'il ne reconnaît plus
l'Oscar qui était si sage quelques semaines auparavant jusqu'à ce que le nouveau groupe
d'élèves n'intègre la classe relais. Il lui dit « tu as changé » et Oscar répond « c'est vous qui
avez changé ». Les effets de changement que produisent en lui l'arrivée des autres élèves, en
terme d'excitabilité notamment, semblent donc difficiles à reconnaître pour Oscar et projetés
sur l'autre (c'est pas moi c'est vous qui avez changé). L'agitation motrice d'Oscar serait une
façon de garder le contrôle face à un changement interne (augmentation de l'excitation) qui
ne peut être suffisamment élaboré, accueilli et reconnu.
Idir semble exprimer par son dessin le désir d'une diversité de comportements
possibles de l'élève au sein de la classe, en figurant des attitudes contrastées de quatre élèves.
Il dessine en premier un élève qui répond avec empressement à la question de l'enseignant en
levant la main. Nous avons l'impression qu'il compte s'arrêter là, alors nous lui demandons
« il n'y a qu'un élève dans la classe ? », puis il dessine un élève en train de dormir affalé sur
son bureau qui, par un effet de perspective, semble un peu à l'écart et ajoute également deux
élèves qui discutent du match de foot de la veille, l'un étant retourné vers son camarade de
derrière. Idir exprime peut-être ainsi un désir de liberté d'attitude corporelle et verbale dans
l'enceinte de la classe.
Hans nous fait part du sentiment de n'être « qu'un enfant comme dans une peau
d'adulte ». Cette réflexion vient signifier selon nous la disjonction qu'il vit entre son
psychisme et son corps qui évolue. L'image de la peau d'adulte nous renvoie à la question de
l'enveloppe telle qu'elle est remise en jeu face à l'avènement du pubertaire et de la puberté.
L'enjeu pourrait être pour Hans de (re)trouver une continuité suffisante entre l'''encore enfant''
qu'il se sent être à l'intérieur et la peau qui enveloppe cet encore enfant. Nous nous
représentons un enfant passif face au changement touchant à son enveloppe vécue comme
étrangère et d'une autre génération (adulte). Dans ces conditions, il s'agirait notamment de se
réapproprier cette peau en changement et trouver une transition entre l'enfant et l'adulte en
investissant un temps intermédiaire que nous pourrions appeler adolescence. Cette réflexion
Hans, nous en fait part spontanément comme en association à ses propos concernant sa

285
réaction au ton de la voix des professeurs . Il nous dit « ça dépend tu ton, comment dire, si ils
disent gentiment ou sur un ton sec... J' suis qu'un enfant et comme dans une peau d'adulte. ».
Nous en déduisons que les questions du ton de la voix, de la façon de parler de l'enseignant et
la question de l'enveloppe sont peut-être en étroite relation dans la pensée et le vécu de Hans.
La voix et la parole sur un ton sec de l'enseignant fait peut-être effraction touchant l'enfant
derrière la peau adulte.
Idir, Édouard, Ophélia, Yassine et Aymeric donnent chacun à voir et à entendre par
leur voix et/ou leur discours, un corps ensommeillé. Ainsi, il arrive souvent à Aymeric de
s'endormir en classe, d'après l'enseignante et l'éducatrice. Pendant la passation du TAT nous
avons l'impression qu'il va s'endormir. Yassine manifeste une certaine lenteur motrice et sa
voix semble fatiguée. Idir, Édouard et Ophélia présentent des signes dans ce même registre
dont nous avons déjà fait mention (voir p268-272). L'endormissement ou l'ensommeillement
du corps pourrait constituer une modalité d'emprise sur le corps lui-même, afin de contrôler
l'excitation provenant des stimuli internes et externes. La passivité du corps viserait, servirait
en fait une activité d'emprise et non une passivité-réceptive. Ces comportements nous
évoquent la fonction de « l'ennui » à l'adolescence telle qu'elle est exposée par A. Maria
Nicolo et L. Accetti (2017). Elles différencient un ennui plutôt normal et un ennui
pathologique. L'ennui normal correspond à une forme de mise en attente « Lorsque le corps
se transforme trop rapidement, ... manière de prendre du temps, en contenant le trop
d’excitation. » Selon elles « Seuls les adolescents qui parviennent à tolérer l’attente avant de
trouver la réponse à la question fatidique : « Qui suis-je ? » et qui sont en mesure d’accepter
leurs doutes et leur sentiment d’incomplétude pourront donner un sens à leur vie. Le cercle
vicieux qui alimente l’ennui à l’adolescence est l’indice de la difficulté à créer ce lieu pour
sentir et signifier, un lieu pour se penser soi-même ; mais, en même temps, il représente une
pause, voire même un écran contre la tempête de stimuli propre à cet âge. Lorsque la
création de cet espace échoue, l’adolescent ne peut pas se poser des questions, si ce n’est
rapidement, en leur donnant une réponse immédiate. Le choix des différentes solutions
dépendra, évidemment, des caractéristiques de la personnalité de l’adolescent, mais aussi de
la nature de l’environnement qui l’entoure » (p979). L'ennui est désigné comme pathologique
lorsqu'il sert exclusivement « d’évitement en étouffant la charge pulsionnelle liée au désir au
travers d’une baisse de l’intérêt et d’un désinvestissement de la relation entre le sujet et les
objets internes et externes. Cette forme d’ennui est celle que Fenichel (1934) et Greenson
(1953) définissaient comme une forme agitée, qui s’exprime par le fait d’être constamment
en quête de quelque chose. Dans ce cas, ce n’est pas le désir qui disparaît, mais l’objet et le

286
but du désir. Alors que le patient affirme qu’il n’y a rien dans son esprit, nous découvrons
qu’il a eu une pensée ou un sentiment, ou un fantasme quel qu’il soit qui a vite été rejeté.
Pour Fenichel, celui-ci est lié à un conflit psychosexuel, en général de nature sadico-anale,
et il est le résultat de la répression d’impulsions inacceptables par le surmoi qui le laisse
dans un état de tension. Cette mesure de sécurité s’alourdit d’une manœuvre restrictive
supplémentaire : outre les contenus inacceptables, tout ce qui les accompagne et qui leur est
associé est également éloigné et isolé (pensées, fantasmes, souvenirs et dérivés qui ramènent
les affects à la mémoire). Une partie du monde psychique liée à ces contenus est éloignée de
la conscience et exclue par refoulement, clivage ou dissociation. Il ne reste alors qu’un seul
phénomène visible par soi-même et par les autres : l’ennui. » (p979-980).

Deux sujets semblent investir le vêtement comme une protection dans la relation
duelle dans le cadre des entretiens de recherche. Édouard n'enlève pas son manteau et
Aymeric met sa capuche pendant la passation du TAT.

Nous avons constaté que plusieurs sujets (Naïma, Ibrahim, Georges, Imen, Kevin,
Aymeric et Ophélia) semblent particulièrement attachés à préserver et défendre une liberté du
corps dans l'enceinte de l'espace scolaire, et souvent dénoncer l'emprise ou la volonté
d'emprise des enseignants sur leurs corps (enseignants qui veulent faire taire, sont tout le
temps ''sur'' eux, l'enseignant qui voudrait obliger Ophélia à faire du sport). Cette liberté du
corps en passe par la décision du placement spatial dans la classe et parfois (ou peut-être
souvent) par l'adoption d'un comportement hors cadre, en décalage par rapport à la forme
scolaire : combat dans la cachette secrète pour Kevin , errance dans les couloirs pour
Aymeric , agitation à l'intérieur de la classe sur le dessin d'Ibrahim. Les corps apparemment
endormis d'Ophélia, Aymeric, Édouard, Idir et Yassine, peuvent être considérés également
comme signes de l''investissement d'une liberté corporelle échappant à la forme scolaire, à
l'opposé de l'attendu d'un élève qui soit actif-autonome dans le rapport aux apprentissages.
Plusieurs sujets nous semblent faire un certain usage du corps visant avant tout
l'emprise sur soi et sur l'autre. Il s'agit de l'agitation motrice pouvant entrer dans le cadre
d'une défense maniaque (Kevin, Helder) ou servant une visée d'emprise sur l'excitation
débordante (Oscar). Il s'agit du recours à l'acte ou du passage à l'acte hétéro-agressif
(Aymeric, Yassine, Aurélien). Nous nous demandons également si le sommeil, le
ralentissement moteur voire psycho-moteur que donnent à voir et à entendre (par leurs
discours) Ophélia, Édouard, Aymeric, Idir et dans une moindre mesure Yassine, ne peuvent

287
être considérés comme des modalités d'emprise visant la mise en sommeil de l'excitation et
des affects.
Ces différents éléments concernant le rapport au corps de soi et de l'autre concourent
selon nous à soutenir l'hypothèse selon laquelle un des enjeux particulièrement important
pour au moins une bonne moitié des sujets est de protéger, au sein de l'espace scolaire (et
peut-être ailleurs), son corps contre l'éventuelle emprise d'un autre externe (ici l'enseignant)
et/ou interne (affects, excitation). La menace d'une position passive d'être sous emprise
pèserait donc particulièrement dans le quotidien de l'expérience scolaire et serait susceptible
de mobiliser des comportements visant la préservation d'une position active du côté de la
maîtrise, du contrôle dans le rapport au corps propre.

Certains éléments, se rapportant au corps de l'enseignant, semblent particulièrement


susceptibles de créer ou raviver des expériences de passivation, contre lesquelles la majorité
des sujets se défendent en ayant recours à des procédés de l'ordre de l'emprise; il s'agit de la
voix et du regard de l'enseignant.

2. Enjeux d'évitement de la passivité dans le rapport à la voix de l'enseignant :

La majorité des sujets disent entrer en conflit avec les enseignants lorsque ceux-ci leur
crient dessus (Naïma, Aurélien, Aymeric, Sinan, Ibrahim, Imen, Oscar) où leur parlent sur un
certain ton (Hans, Yassine, Selma) ou avec un certain timbre de voix (Édouard).
Naïma nous dit « pour moi quand le prof a une voix grave et qu'il hausse le ton, ça va
m'énerver et moi aussi j'vais commencer à parler fort. ».
Oscar nous dit répondre aux enseignants qui crient sur toute la classe. Il était
particulièrement « énervé » par une enseignante de Science et Vie de la Terre qui selon lui
criait sur les élèves s'ils faisaient une erreur ; « avec elle on peut pas rater quelque chose. Si
on rate directement elle va crier. On peut faire des erreurs quand même ! ». Selon lui, lorsque
cette enseignante criait « on l'entendait jusqu'au bout du couloir ». Il nous décrit sa réaction
lorsqu'un enseignant lui crie dessus « j'm'énerve. J'vais pas aller jusqu'à être insolent. J'vais
vouloir mettre fin à la discussion. J'vais dire « ok c'est bon » ».
Nous rappelons les propos d'Ibrahim par rapport aux cris des enseignants :
« généralement les élèves comme moi, on aime pas trop les profs qui crient trop. Si il
(l'enseignant) est dans la rue, et si il crie, il va se faire taper. ». Les cris des enseignants
tendraient donc à être interprétés comme des appels à se faire frapper.

288
En ce qui concerne Aymeric nous supposons que sa tendance à dire « ferme ta
bouche » aux enseignants évoque une intolérance particulière à la voix de l'enseignant.
Imen nous rapporte que les enseignants ont tendance à crier en réponse à ses
comportements transgressifs en classe (essentiellement du bavardage), ceci depuis le CM1.
Elle nous dit que les enseignants de CM1 et CM2 « criaient et mettaient des rapports ». Elle
décrit un scénario répétitif prototypique de ses difficultés avec les enseignants, dans lequel
les cris de l'enseignant prennent une place centrale « je bavardais, ils criaient et je
répondais ».
Aurélien nous dit qu'il travaillait moins avec les enseignants qui « criaient tout le
temps ». Il dit également « dès qu'on me cherchait je me calmais pas même si on disait de me
calmer. ». Nous pouvons supposer que se faire crier dessus pas un enseignant doit être
difficilement supportable pour Aurélien, éveiller une excitation difficile à calmer. Selon lui, il
se faisait crier dessus au quotidien par la majorité des enseignants, excepté des enseignants
d'histoire-géographie, de sport et d'art-plastique.
Sinan nous parle d'une professeure principale de sixième qui criait beaucoup sur lui et
ses deux amis d'enfance, - « elle faisait que crier sur nous » - avec laquelle ils étaient en
conflit. Il nous dit ne pas avoir de problèmes avec les enseignants de quatrième de son nouvel
établissement scolaire parce qu'ils « parlent calmement ici ». Il semble donc attaché à ce que
les enseignants lui parle calmement et respectueusement, ceci, même s'il lui arrive de
transgresser les règles en classe.
Hans nous dit qu'il réagira par l'opposition face à un enseignant qui lui parle sur « un
ton sec ».
Selma nous dit que la relation était plus difficile avec un enseignant de
mathématiques. Elle n'aimait pas cet enseignant, notamment parce qu'elle avait l'impression
qu' « il criait comme une fille », de plus il criait souvent.
Yassine insultait particulièrement un enseignant d'anglais (ce qui a été à l'origine de
son exclusion de l'établissement), qui nous dit-il, avait « des manières bizarres » « comme
une femme. J'crois qu'il est gai et il le montrait un peu (comment il le montrait?) à sa
manière de parler. Moi j' rigolais j'm'en foutais. » Nous pouvons supposer qu'ici, la voix de
l'enseignant participe de la représentation de celui-ci comme gai, ce qui vient éveiller une
haine à l'origine des insultes.
Édouard nous dit « il y a des gens que j'aime pas parce que j'aime pas leur voix ». Il
nous donne l'exemple du directeur de son école élémentaire et ajoute « en plus il puait de la
bouche ». Ce directeur lui aurait crié dessus à plusieurs reprises, ceci dans une proximité

289
physique qui lui aurait permis de sentir son haleine. Il nous dit également qu'il n'aime pas son
enseignant de science et vie de la terre notamment parce qu' « il parle fort, a une voix assez
bizarre et répète les choses trois fois ».
À partir de ces propos, nous remarquons que les élèves tendent à présenter leur
comportement d'opposition active ou passive comme une réaction aux cris ou au caractère
étrange de la voix de l'enseignant. Sur le plan de la dynamique activité-passivité il s'agirait
peut-être de ne pas rester passif face au potentiel persécutant de la voix enseignante. Nous
avons vu que l'objet voix est particulièrement susceptible de revêtir un caractère persécutant
dans la relation à l'autre. En effet, selon P. Aulagnier (1975) les premières expériences du
sentiment de persécution par un autre naissent dans la relation à l'objet voix maternel. Le
déplaisir éprouvé dans la relation à l'objet voix maternel est interprété par l'enfant comme
étant causé par le désir de l'Autre. Elle fait remarquer que la voix, le plaisir auditif
conditionne tous les autres plaisirs des sens dans la relation primaire à l'Autre. « toute attente
de plaisir va s'accompagner aussi de l'attente de plaisir de la zone auditive, attente d'une
voix dont la présence assure qu'on a pas à craindre qu'elle fasse irruption sous une forme qui
interdira le plaisir présent en une autre zone et le transformera en du déplaisir » (1975/2003,
p113). La question se pose de savoir si les sujets ne sont pas particulièrement en attente d'une
voix enseignante qui sache rester calme, posée même dans les situations les plus extrêmes.
Nous supposons à la suite de C. Blanchard-Laville (2001, p223-227) que la relation
pédagogique entre enseignant et élève se fonde en partie sur une enveloppe sonore
contenante qui fait, selon nous, écho (peut-être encore en plus en période adolescente) à la
première expérience du « bain mélodique » maternel (D. Anzieu, 1976) et d'accordage vocal
intersubjectif dans le « partage esthésique » (R. Roussillon, 2008) ayant participé à la
constitution de l'enveloppe du sujet dans la relation aux premiers objets d'attachement. Dans
cette perspective les cris de l'enseignant font intrusion dans la mesure où ils traduisent une
perte de distance relationnelle, l'enseignant étant ''hors de lui'' se rapproche dangereusement
de l'élève incriminé. Les cris de l'enseignant font irruption et intrusion dans l'ambiance
sonore propre à une relation enseignant-élèves, ou ne permettent pas que se constitue
l'ambiance sonore suffisamment contenante et enveloppante.
Nous supposons que la voix perçue comme criante ou étrange, bizarre de l'enseignant
fait aussi, et peut-être surtout, intrusion, en ce qu'elle éveille, vivifie des désirs et fantasmes
inconscients puissants rejetés, réprimés ou refoulés qui menacent d'entrer par effraction dans
le moi. Nous avons ainsi proposé l'interprétation selon laquelle la voix de l'enseignant
masculin ferait dangereusement écho aux fantasmes en position passive de certains sujets.

290
Les cris de l'enseignant éveilleraient chez Ibrahim et Naïma des fantasmes masochistes (voir
p316).
Il se peut, par ailleurs, que la voix enseignante prenne un caractère insupportable en
ce qu'elle entre excessivement en résonance avec la dimension acoustique du surmoi ou
autrement dit la ''grosse voix'' surmoïque de chaque sujet. Freud a en effet insisté sur les
fondements acoustiques de l'instance qu'il nomme le surmoi dont le « rôle est assimilable à
celui d'un juge ou d'un censeur à l'égard du moi. » (J. Laplanche & J. B. Pontalis, 1988,
p471). Il propose d'envisager les fondements du surmoi comme une intériorisation de la voix
paternelle, la grosse voix de « ce père de l'enfance, tout puissant, omniscient, parfait (qui)
lorsqu'il est incorporé à l'enfant, devient une force psychique interne que nous appelons en
psychanalyse Idéal du Moi ou Surmoi. » (1923/1967). Ainsi écrit-il dans le Moi et le Ça :
«Étant donné le rôle que nous avons assigné aux traces verbales inconscientes qui existent
dans le Moi, on peut se demander si le Surmoi, lorsqu’il est inconscient, ne se compose pas
de ces traces verbales ou de quelque chose d’analogue. Notre réponse à cette question sera
modeste et réservée: nous dirons notamment que si le Surmoi ne peut renier ses origines
acoustiques, que s’il est vrai qu’il forme une partie du Moi et que ces représentations
verbales (notions, abstractions) sont plutôt de nature à le rendre accessible à la conscience,
il est également vrai que l’énergie de fixation inhérente à ces contenus du Surmoi provient,
non des perceptions auditives, de l’enseignement ou de la lecture, mais de sources ayant leur
siège dans le Ça» (1923/1967, p226).

Dans ces conditions les comportements d'opposition des sujets peuvent être compris
comme une défense contre l'intrusion par la voix enseignante en se barricadant derrière une
opposition passive, en se confrontant physiquement à l'enseignant ou en couvrant la voix
intrusive par sa propre voix.

3. La sensation tactile : Toucher/être touché, former/être déformé :

3.1 Explorations tactiles et remise en jeu du partage esthésique :

Les sujets n'évoquent pas directement la question du toucher entre élèves et


professeurs si ce n'est à travers des scènes de confrontation physique élève-professeur.
Cependant les deux enseignantes interviewées abordent ce sujet, nous faisant remarquer que
les élèves inscrits en classe relais ne supportent pas d'être touchés par l'enseignant et par

291
contre se touchent beaucoup entre-eux. À partir de nos observations, il nous a effectivement
semblé que les élèves étaient très tactiles entre-eux selon différents modes : en se frappant,
luttant au corps à corps, s'étreignant ou jouant à des jeux, chacun se touchant (se titille)
alternativement. Une enseignante note également que les élèves ont tendance à la toucher à
certains moments, ne sachant pas garder une distance physique correcte dans la relation. Sur
le plan de la dynamique activité-passivité nous supposons qu'ils prennent plaisir à jouer avec
l'alternance des positions active-toucher l'autre, et passive-être touché par l'autre.
Peut-être se rejoue t-il une expérience de l'ordre du partage esthésique mais cette fois
dans la relation aux pairs. Nous rappelons que le partage esthésique est un concept introduit
par R. Roussillon (2008) pour traduire les processus en jeu dans la relation précoce entre
l'enfant et sa mère. Se déploierait une relation dite homosexuelle en double qui par une
certaine chorégraphie en duo basée sur des jeux de miroirs (déformants), des ajustements
mimo-gesto-posturaux réciproques, permet à l'enfant de se familiariser avec ses sensations et
excitations. Dans ce ballet à deux le toucher prend sans doute une place importante. Le
partage esthésique dans le cadre de la relation homosexuelle en double se caractérise par
l'alternance des positions passives et actives (manger/être manger, voir/être vu, exciter/être
excité, etc...) dans la relation à la mère. Nous avons proposé l'idée selon laquelle l'enfant
pouvait développer dans de telles conditions un suffisamment juste équilibre entre passivité
(capacité et plaisir à être excité et affecté) et activité (maîtrise de soi et de l'autre, activité de
création).
Les jeux de toucher des pré-adolescents et adolescents (dans l'enceinte et hors de
l'enceinte de la classe et de l'école) peuvent selon nous être considérés comme une
actualisation de procédés qui s'étayent sur, et rejouent, les expériences de partage esthésique
de l'enfance. Le partenaire de jeu qui n'est plus la mère mais le camarade serait investi sur un
mode proche de la relation dite homosexuelle en double. Par ces jeux il s'agirait avant tout de
se réapproprier un corps en changement, notamment une enveloppe corporelle devenue plus
excitable et reconfigurer les enveloppes psychiques mises à mal. Du point de vue de I. Melo
(2006, 2011) les changements pubertaires remettent toujours au travail les traces laissées par
le partage esthésique initial, constitutives du narcissisme primaire (narcissisme garant de
l'unité et de l'unicité du sujet). Ainsi écrit-il « J’aime à penser que ce partage esthésique et
cet accordage émotionnel s’engrangent dans le corps, constituent le corps, conceptualisé
comme instance, et fondement charnel de la subjectivité, mais surtout s’inscrivent comme les
traces corporelles des identifications primaires, du narcissisme primaire. À ce titre, ces
traces doivent se remanier profondément à l’adolescence en raison des transformations

292
pubertaires du corps et de l’avènement de la génitalité au sein des relations d’objet. Le sujet
change et les identifications primaires se précarisent. Le risque d’un effondrement
narcissique résultant d’un retour traumatique de la « scène originaire » est d’autant plus
présent que les parents, de par la sexualisation de leur imago, ne peuvent plus remplir le rôle
de miroir primaire, qu’au prix d’un clivage entre objet narcissique et objet sexuel. Mais c’est
surtout vers les autres objets que l’adolescent va se tourner pour une remise en jeu de ses
identifications primaires. Le ballet de l’homosexualité primaire en double va alors se rejouer,
avec des amis, avec des adultes choisis, et, lorsqu’une entreprise thérapeutique est
nécessaire, avec son psychanalyste. » (2006, p276). Il se pourrait que bon nombre de sujets
reçus en classe relais éprouvent de façon particulièrement vive, le besoin de rejouer avec
leurs camarades le partage esthésique initial pour faire face à des changements pubertaires
difficilement assimilables.
Nous n'avons pas observé nos sujets pour voir s'ils investissaient particulièrement la
relation tactile aux autres. Nous avons, tout de même, pu remarquer qu'Helder et Hans
avaient tendance à s'amuser, à se toucher l'un et l'autre dans l'enceinte de la classe relais
pendant des temps informels (pause, récréation). Nous avons déjà fait remarquer que Kevin
semblait entretenir une relation très tactile avec une fille, élève en classe relais.

Les propos de Madame B renvoient directement à ce plaisir, voire ce besoin, de


(ré)expérimenter la sensation tactile mais cette fois-ci dans le rapport à des objets inanimés
présentant certaines qualités de malléabilité, ceci dans un cadre contenant garanti par l'adulte,
(enseignant et/ou éducateur) favorisant peut-être une certaine régression (encadrée) vers la
reviviscence d'expériences primitives .
Ces propos de Madame B sont venus spontanément en association à une remarque
que nous avons émise. Nous lui avons fait part de notre impression que les comportements
qu'elle nous décrivait nous paraissaient témoigner d'une immaturité chez ces adolescents et
pré-adolescents. Le terme d'immaturité semble avoir fortement fait écho à son expérience
relationnelle et au travail réalisé avec ces élèves autour « de la patouille ». Voici ce qui s'est
dit : « [oui, c'est assez immature comme comportement.]
Ah ! Je ... alors là ! je pense qu'en matière d'immaturité il y a ce qu'il faut ! Parce qu'ils n'ont
pas eu, comment dire. Je pense que ce sont des enfants, soit qui n'ont pas eu, soit qui ont
oublié que euh... tout ce qu'on fait quand on est petit avec sa maman quoi. On fait de la
patouille, on fait de la pâte à sel, on fait, on prépare des gâteaux. Donc, nous on les emmène
une fois par semaine, enfin une fois par semaine... On a un atelier de pâtisserie à la MJC d'à

293
côté où ils choisissent des recettes. On fait de la proportionnalité pour savoir combien il en
faudra à partir d'une recette de 4 pour en faire pour 25, et ils les fabriquent le jeudi après-
midi pour distribution aux élèves de primaire qui vont faire l'aide aux devoirs à la MJC.
Donc c'est pas pour eux. Alors et le moment de la patouille, hein, j'prends pas la cuillère je
vais mettre mes mains dedans ! Hein, c'est des sensations de petit, ce sont des besoins de
petit, ce sont des choses qui n'ont pas été réglées quand ils étaient petits. » (L224-234).
Nous avons remarqué que l'investissement de l'activité pâtisserie se retrouve dans
chacune des trois classes relais. L'autre enseignante, Madame K, relève également que la
cuisine est une activité (et peut-être un lieu) fortement investie par les élèves mais à la
différence de Madame B elle insiste moins sur la dimension tactile (la patouille) et plus sur la
dimension orale. « la nourriture pour vous (lapsus ?) euh... pour eux c'est quelque chose de
très important. Euh … il y a des élèves, comme Hédi par exemple, qui ne font rien ! Qui ne
veulent faire que de la cuisine parce qu'on mange après. » (L108-109).
Madame B, en réaction à cette intuition de quelque chose qui n'a « pas été réglé »
dans l'enfance, et qui concerne en premier lieu l'expérience tactile en compagnie de la mère,
décide de confectionner une sorte de ''doudou'' qu'elle nomme « berlingot », qui possède
comme propriété notable d'être malléable, c'est à dire qu'il peut être déformé dans une
certaine mesure, et sa forme initiale ne représente pas un objet en particulier, si bien que
chacun peut y voir, y projeter ce qu'il désire. Nous dirions en cela qu'il est malléable
physiquement et psychiquement. Par ailleurs, c'est un objet doux, assez résistant et pourvu
d'une ficelle (on peut donc l'attacher, le suspendre, le balancer). Voici comment elle leur a
présenté cet objet : « je leur ai expliqué un par un, euh... en restant très discrète que « bon
ben voilà ! J'ai fait ça pour vous, vous pouvez faire comme ça » - elle nous montre, manipule
le ''berlingot''- « et puis si vous êtes vraiment fatigués, posez votre tête dessus. Vous
l'attachez, il y a une étiquette avec votre nom. Vous l'attachez là. Ça reste. Pas le droit de
faire Thierry La Fronde. » Ça ils ne connaissent pas mais pour moi c'est une référence.
« Voilà ! Vous faites des truc intelligents avec. Je vous le prête, ce n'est pas à vous et vous ne
faites pas de bêtise avec sinon c'est retiré. » » (L225-234). D'après les observations de
Madame B la plupart des élèves investissent fortement cet objet mais d'une manière
particulière qui lui évoque le comportement de petits enfants. « Donc euh, donc là en fait.
J'sais pas si vous avez déjà vu des enfants sur des peluches, des petits, ils grattent la couture.
[oui] et ils vont en général toucher que l'étiquette. Eh ben là c'est, y a un trou ! [elle nous
montre le berlingot abîmé] il faut juste que je répare hein ! C'est une recherche de petits
enfants qui ont deux ans quoi. [mais ils l'investissent cet objet ?] ah ben tous. Tous. Sauf que

294
là, j'en ai deux à réparer. Ils se les piquent, donc là on fait une petite pause parce qu'ils se les
piquent. » (L254-261).

Le goût prononcé des élèves pour « la patouille » et l'investissement des ''berlingots''


peut témoigner d'un besoin de remettre au travail le processus d'expérimentation des
sensations, la création d'un espace transitionnel dans lequel puisse se déployer les premières
formes de symbolisation (symbolisation primaire) dans le rapport à ce que R. Roussillon
(2008) nomme l'objet médium-malléable.

3.2. Expériences tactiles parfois transgressives et activité de formation :

Nous envisageons le pétrissage manuel de la pâte et la manipulation du ''berlingot''


comme une mise en jeu du rapport à l'informe, dans la mesure où ces activités seraient autant
de façons d'imprimer une forme sur une matière informe, façons de ''donner forme'' à
l'informe sans oublier la perspective finale, dans le cas de la pâtisserie, d'en faire un objet bon
à consommer oralement par soi et par d'autres. Nous y voyons un parallèle avec le travail de
l'adolescent et du pré-adolescent qui, saisi par l'informe des changements pubertaires est tenu
de pouvoir créer une bonne forme de soi à partir de la matière brute fantasmatique et
pulsionnelle. Nous envisageons également le parallèle avec la problématique de la formation
logiquement mise en jeu dans le milieu scolaire : nous nous demandons si l'investissement
particulier de la patouille ne traduit pas un désir de préserver ou de reprendre une position
active de formateur, plutôt que d'être formé ou d'être en formation. Dans ce cas, le plaisir
d'imprimer une forme sur une pâte molle ou un ''berlingot'' serait, entre autres, lié à
l'assouvissement d'un besoin d'emprise destiné à contre-investir la menace d'être formé-
déformé par la transmission scolaire. Nous rappelons que pour R. Kaës, « une des
manifestations typiques » du « fantasme nucléaire » de la formation « on (dé) forme un
enfant », « est vérifiable dans le jeu des enfants construisant, dessinant, modelant dans la
glaise ou dans la plastine » pour « à l'instar de leur mère exercer leur désir de former et de
détruire » (1975/2007, p5).
Les sujets de notre recherche n'évoquent pas un goût particulier pour le modelage de
l'informe dans le cadre d'activités cuisines ou autres. Cependant nous avons vu que plusieurs
expriment, chacun à leur manière, un désir d'échapper à la forme scolaire et/ou de la mettre à
l'épreuve pour en tester la souplesse, l'élasticité et la fermeté, ceci notamment par un certain
usage du corps. Plusieurs expriment le désir de prendre une part active dans la formation par

295
la réalisation d'exposés en petit groupe (Selma), la participation à des débats avec
l'enseignant (Ibrahim) ou simplement en s'impliquant dans l'échange en demandant souvent la
parole en classe (Idir). Naïma nous dit aimer les pédagogies qui favorisent la participation
orale. Lorsque nous lui demandons ce qu'il attendrait des enseignants, Helder nous répond
entre-autres qu'il souhaiterait que « une fois par semaine on puisse faire des jeux dans la
classe ». L'idée de jouer entre élèves, et avec les enseignants, va selon nous dans le sens de la
promotion d'une relation pédagogique moins marquée par la dissymétrie actif-enseignant /
passif-élève. Nous avons, par ailleurs, remarqué que la majorité des sujets disent investir
des enseignants à l'écoute, attentifs, compréhensifs, donc qui peuvent se laisser toucher, voire
modeler, par ce que les élèves expriment faisant ainsi preuve d'une passivité d'accueil. Nous
supposons que la plupart des élèves attendent d'une certaine manière que l'enseignant soit
selon l'expression familière, ''une bonne pâte'' (à former, à manger). Ces différents éléments
témoignent, nous semble-t-il, d'un désir de ne pas se conformer passivement au moule
proposé-imposé par l'établissement scolaire, mais y imprimer sa marque et donc le déformer
dans une certaine mesure. Il s'agit également de participer à sa formation (se former) et
d'éviter le sentiment d'être formé-déformé.

Nous savons que l'exercice du toucher et de la préhension sont des voies privilégiées
de la pulsion d'emprise. Sur le plan de la dynamique activité-passivité, l'enjeu des jeux
tactiles entre pairs pourrait donc être avant tout d'expérimenter l'alternance des positions
d'exercer une emprise sur l'autre et d'être sous emprise de l'autre. L'investissement de la
patouille et du ''berlingot'' peut également être envisagé sous l'angle de l'exercice de
l'emprise. Selon Ph. Jeammet (2014) « la quête de sensation » à l'adolescence constitue « une
réponse possible à l'impuissance » devant, notamment, le débordement émotionnel; « ces
réponses (les différents modes de recours à la sensation) ont un effet positif sur l’image de
soi, parce qu’elles donnent au sujet le sentiment de redevenir acteur de sa vie, d’échapper à
l’impuissance et de renforcer une identité incertaine, voire mise en péril. Qu’est-ce qui est
susceptible de susciter une telle adhésion à ces réponses, quelles qu’elles soient ? À mon
sens, le point commun se situe toujours dans le défaut de ressources internes de sécurisation
et sa conséquence principale : la nécessité de développer une relation d’emprise et de se
cramponner à des éléments perceptivo-moteurs de la réalité externe ou à une conviction
interne. La sécurité que le sujet n’a pas, il la trouve dans l’effet de soulagement apporté par
le comportement actif qui lui redonne une position d’agent de sa vie. » (p702).

296
Nous nous demandons également si les adolescents et pré-adolescents reçus en classe
relais ont besoin de rejouer quelque chose qui concerne l'interdit du toucher tel qu'il est défini
par D. Anzieu (1984). C'est un interdit duel en ce qu'il « concerne à la fois la pulsion sexuelle
et la pulsion agressive ». Il propose une formulation de cet interdit sous la forme d'un
ensemble de commandements : « ne touche pas les objets inanimés que tu pourrais casser ou
qui pourraient te faire du mal ; n'exerce pas une force excessive sur les parties du corps
fragiles et vites douloureuses du corps des autres personnes et plus généralement des êtres
vivants (cet interdit vise à protéger l'enfant de l'agressivité, la sienne et celle des autres). Ne
touche pas avec insistance sur ton corps, sur le corps des autres, les zones sensibles au
plaisir, car tu serais débordé par une excitation que tu n'es pas en état de comprendre et de
satisfaire (cet interdit vise à protéger l'enfant de la sexualité, de la sienne, celle des autres) ;
dans les deux cas l'interdit du toucher met en garde contre la démesure de l'excitation et sa
conséquence, le déferlement de la pulsion. » (1984/2007, p176). Une autre dualité caractérise
l'interdit du toucher en cela qu'il « est à double face, une face tournée vers le dehors » qui
s'étaye sur les proscriptions de l'entourage concernant le toucher, et « une face tournée vers
la réalité interne » dans laquelle l'interdit trouve son origine. La face interne de l'interdit du
toucher correspond au « besoin pour l'appareil psychique de se différencier » et d'ainsi
constituer « une frontière, une interface entre le Moi et le Ça. ». L'interdit du toucher
viendrait également soutenir la frontière entre le dedans et le dehors. Il « sépare la région du
familier et la région de l'étranger » et en cela participe de la constitution d'une enveloppe qui
délimite les espaces. Il nous semble que par leur comportement les adolescents et pré-
adolescents expérimentent la transgression de l'interdit du toucher dans la relation à l'autre,
mais cet autre ne doit pas être un adulte, d'autant plus un ou une enseignante. Selon D.
Anzieu « l'interdit œdipien inverse les données de l'interdit du toucher : ce qui est familier au
sens premier de familial, devient dangereux par rapport au double investissement pulsionnel,
d'amour et de haine : le danger est celui jumelé de l'inceste et du parricide (ou du
fratricide) ; le prix à payer est l'angoisse de castration. » (1984/2007, p178). D. Anzieu nous
parle également de « l'interdit secondaire du toucher qui s'applique à la pulsion d'emprise :
on ne peut pas toucher à tout, s'emparer de tout, être le maître de tout. » (1984/2007, p180).
Prenant en compte ces réflexions à propos de l'interdit du toucher, notre hypothèse serait que
le toucher de l'enseignant est trop assimilé inconsciemment à un scénario incestueux passif
œdipien, c'est pour cela que l'être touché (position passive) par l'enseignant est insupportable.
Par contre, toucher l'enseignant (en position active sur un versant d'emprise) semble plus
supportable d'après le discours d'une des enseignantes de classe relais.

297
Nous relevons des signes indiquant que le toucher mêlé à des enjeux d'emprise, dans
la relation à l'autre, prend une place importante dans le discours et le comportement de
plusieurs de nos sujets.
Hans attire notre attention sur la question de la transgression du toucher dans la
relation enseignant-élève. Il nous dit : « un enseignant (de collège) m'a giflé et j'lui ai dit
mon père n'a jamais levé la main sur moi alors c'est pas toi qui peut le faire. ». Ainsi la
transgression du toucher (à visée d'emprise) par l'enseignant semble directement faire écho à
la transgression du toucher par le père dans l'esprit de Hans.
Oscar frappe un de ses camarades dans l'enceinte de la classe relais sur un temps
informel (juste avant d'aller à la cantine), tout de suite après la passation du Rorschach qui
semble l'avoir particulièrement excitée. Le toucher violent semble donc avoir un effet
d'apaisement de l'excitation à ce moment-là. Il n'avait a priori aucune raison de le frapper et
nous avons été surpris de son comportement. Il ne l'a pas frappé fort, nous semble-t-il, mais
de façon assez fulgurante et par surprise, l'enjeu n'étant pas de lui faire mal mais peut-être
bien de le toucher assez violemment pour éprouver une limite menacée par le débordement
excitationnel. Le camarade objet de cette attaque a semblé surpris mais n'a pas réagi par une
contre attaque, n'a pas exprimé de douleur et ne s'en est pas offusqué. Le comportement
d'Oscar nous a semblé relever à la fois de la décharge motrice et du jeu, ou d'une tentative de
jeu tactile avec (ou au détriment de) l'autre.
Nous relevons que plusieurs sujets (Yassine, Ibrahim, Naïma, Kevin) disent s'être
confrontés physiquement à des enseignants, ce qui peut être considéré comme un type de
transgression réelle ou fantasmée de l'interdit du toucher, marqué par des enjeux d'emprise
sur l'autre.
Naïma nous décrit la scène ainsi : son enseignant de mathématiques de cinquième lui
ordonne de sortir de la classe excédé par son comportement. Elle refuse dans un premier
temps de sortir puis, devant l'insistance de l'enseignant, elle accepte finalement de sortir de
classe. Elle ajoute que l'enseignant a jeté au sol son matériel scolaire (celui de Naïma) posé
sur son bureau. Après être sortie, Naïma revient en classe pour aller chercher un stylo, nous
dit-elle. L'enseignant empêche Naïma de rentrer dans la classe en bloquant la porte
physiquement (avec le poids de son corps). Naïma nous dit : « il (l'enseignant) a forcé la
porte pour pas que j'ouvre ». D'après sa description nous avons plutôt l'impression que c'est
elle qui tente de ''forcer la porte'' malgré l'opposition physique de l'enseignant. Elle nous dit
avoir réussi à ouvrir la porte, mais l'enseignant aurait « poussé » Naïma, puis refermé la porte
derrière elle. Naïma va d'une certaine manière à l'affrontement physique avec cet enseignant

298
(et réciproquement !) en insistant pour ouvrir la porte; cependant il nous semble que c'est
plutôt l'enseignant qui est dans la transgression en poussant Naïma hors de la classe.
Yassine a été orienté en SEGPA au niveau de la cinquième; il y est resté quelques
mois puis est revenu dans un cursus standard parce que, nous dit-il, « le niveau était trop
bas » en SEGPA. Il nous dit « j'm'embrouillais physiquement avec le prof (de SEGPA) » et
ajoute « mais c'était un bon prof, j'l'aimais bien ». Ici le contact physique recèle sûrement des
enjeux d'emprise, associés à cette idée de s'extraire d'un ''niveau trop bas'' par la confrontation
avec un homme enseignant, mais révèle peut-être aussi un désir de contact physique avec un
homme apprécié et possible substitut d'une figure parentale.
Ibrahim nous décrit son altercation avec un enseignant d'éducation physique et
sportive. Ibrahim nous dit s'être insurgé contre l'enseignant parce que celui-ci aurait jeté un
objet en bois ayant frôlé une élève qui a crié. L'enseignant aurait demandé à Ibrahim
« pourquoi tu me tutoies ? » puis l'a touché avec la main et Ibrahim a réagi en le saisissant
par le col. L'altercation n'est pas allée plus loin dans la confrontation physique. Ici la
première transgression du toucher vient de l'enseignant, Ibrahim réagit vivement, et un cran
au dessus, en saisissant fermement l'enseignant par le col comme s'il voulait ''en découdre''.
Kevin évoque plusieurs faits de confrontation physique avec les enseignants mais ne
décrit pas vraiment les circonstances du passage à l'acte et l'objet du conflit.
Il nous semble donc que ces quatre sujets sont, ou ont pu être à un moment donné de
leur parcours scolaire, particulièrement susceptibles d'''aller au contact'' avec certains
enseignants dans le cadre de situations conflictuelles.
Ces comportements posent selon nous la question du désir et/ou du besoin de toucher
et d'être touché par l'enseignant. L'expérience du toucher remplirait diverses fonctions tout à
la fois d'emprise, de mise en acte des contenus fantasmatiques et de satisfaction des désirs
(désir œdipiens de rapprochement incestueux avec la figure paternelle ou désir régressif d'un
corps à corps avec la figure maternelle par exemple) liés au contact physique avec certains
enseignants. Nous relevons, au TAT et au dessin, des indices indiquant un désir d'être dans un
échange tactile avec des adultes incarnant des figures parentales ou enseignantes.
Aurélien dessine un enseignant et un élève qui se serrent la main avant de se séparer.
Édouard dessine avec une excitation manifeste un enseignant qui fouette un élève, ce
qui peut être conçu comme la mise en scène d'un plaisir tactile (le toucher du fouet sur la
peau) masochiste dans la relation à l'enseignant. Nous avons vu qu'Édouard peut mobiliser
particulièrement chez l'adulte l'envie de le secouer (voir les chapitres sur le fantasme de
séduction dans la relation enseignant-élève et sur le traitement des affects).

299
Nous avons pu relever dans les protocoles de projectifs des sujets, les signes d'un fort
désir de régression vers l'inclusion dans un contenant maternel ou vers la relation duelle avec
une figure maternelle (voir p217-218). Dans ces conditions peut-être est-il difficile pour
nombre d'entre eux de respecter l'interdit du toucher.
Nous observons à la planche 10 du TAT (elle présente deux personnages non
différenciés sur le plan des générations, dans une communication tactile associée à une
grande proximité physique) qu'Helder et Georges manifestent un désir de proximité avec une
figure parentale : le père pour Helder et la mère pour Georges. Cette proximité en passe par la
communication tactile. L'interdit du toucher ne semble donc ici pas suffisamment remplir sa
fonction de mise à distance du ou des parents pour soutenir l'interdit de l'inceste.

3.3. Désir de toucher l'autre affectivement :

Le désir de toucher l'enseignant et plus largement l'adulte au sein de l'école nous


semble également mis en jeu sur le versant des affects et de l'excitation. Il s'agirait de toucher
au sens d'affecter, d'exciter ou de sidérer l'autre enseignant (et plus largement l'adulte) par
l'effet de surprise, le « n'importe quoi » (Sinan), les propos transgressifs et la mise en acte des
fantasmes dans l'espace classe. Il s'agit, peut-être aussi, de faire vivre à l'enseignant
l'expérience de l'informe et de l'intrusion par l'autre interne, à laquelle ils sont confrontés (et
se confrontent) au quotidien. Pour ce faire, le langage du corps est fortement mis à
contribution.
Nous pensons à notre saisissement en observant la scène d'Édouard qui se couche
devant l'adulte relais pour ne pas aller en récréation. Nous avons également été surpris et saisi
par le comportement de Kevin lorsqu'il s'est allongé devant nous en réaction au terme de
psychologue. Nous pensons à Ibrahim qui nous dit avoir fait irruption dans la salle d'une
enseignante de SVT pendant qu'elle donnait son cours pour lui adresser des reproches -
« vous êtes une faux cul ! » lui aurait-il dit – et repartir sans laisser à l'enseignante le temps de
répondre. Nous pouvons imaginer l'effet de sidération provoqué chez l'enseignante (et les
élèves).
Nous pensons à Oscar positionné à l'entrée de la classe qui, sur un temps interstitiel
(la récréation), devant nous et Naïma, fait des mouvements qui ressemblent fort au coït. Nous
pouvons nous demander s'il ne s'agit pas, entre autres, de choquer l'adulte que nous sommes
par ce comportement (et choquer Naïma également).

300
Helder vise certainement à provoquer une réaction de saisissement chez nous en
tenant des propos qui font allusion à une relation amoureuse maître-élève et une relation
incestueuse mère-fils. Nous rappelons qu'il évoque subrepticement lors du dessin un élève
qui demande l'enseignant en mariage. Au TAT, à la planche 13MF, il évoque, encore
furtivement, la possibilité d'une relation incestueuse mère-fils. La scène finale de son récit à
la planche 16 du TAT montre cette tendance à avoir recours à des propos évoquant l'inceste
dans une visée d'attaque de l'adulte. Ainsi Philippe lance à Jean Pierre (celui qui a tué son
père) dans un dernier sursaut avant de mourir (et avant de terminer la passation du TAT) :
« nique ta mère ! ».
Yassine dit partir de la classe en claquant la porte lorsqu'il est exclu par l'enseignant.
Aymeric devant nous et un camarade, pendant un temps informel, s'installe derrière le
bureau de l'enseignante de classe relais et énonce « appelez moi maître ! ». Nous pouvons
supposer que cette mise en scène nous est en partie adressée visant à provoquer chez nous
une réaction émotionnelle, nous toucher.
Deux sujets manifestent clairement le désir de ''mettre de l'huile sur le feu'' de
l'agacement du professeur. Georges nous dit ainsi « j'en profitais pour être insolent » lorsque
la relation était problématique avec un enseignant. Oscar nous fait part de son désir d'énerver
« encore plus » les enseignants qui lui paraissent agacés.
Certains sujets tenteraient également de faire rire les enseignants. C'est le cas d'Oscar
qui nous dit faire, en classe, « des blagues » appréciées par certains enseignants (surtout des
enseignants d'arts plastiques). Ce peut être le cas d'Helder qui nous dit « j'fais un peu le con
(en classe) pour qu'ils rigolent parce que j'aime pas voir les gens malheureux ». Nous
observons également qu'Édouard fait souvent rire l'enseignante de classe relais par ses
remarques (contrairement à l'éducatrice et l'adulte relais qu'il tend plutôt à exaspérer).

Dans l'optique de resituer nos observations dans le cadre de la dynamique activité-


passivité, il nous semble que les sujets de notre recherche sont particulièrement susceptibles
de s'inscrire dans une exploration active intensive des sensations tactiles dans la relation à
l'autre et aux objets. La majorité de nos sujets semblent chercher à toucher physiquement
et/ou émotionnellement les enseignants, provoquer un saisissement par la colère, le rire, la
surprise, etc... Ils se positionnent ou tentent de se positionner ainsi dans le rôle actif de celui
qui affecte (infecte?) l'autre adulte. Nous retrouvons ce positionnement actif (de l'élève qui
touche affectivement l'autre adulte) à travers des phénomènes groupaux susceptibles de
mettre l'adulte dans un état de submersion excitationnel ou autrement dit ''hors de lui''.

301
Ainsi, dans le cadre de moments partagés avec les élèves de classe relais nous avons
eu quelques fois l'impression d'être confronté à une excitation et une agitation de groupe qui
ne trouvait pas à se fixer et s'unifier dans une forme stable. Notre vécu de ces scènes
groupales nous évoque le phénomène de « contagion émotionnelle » tel que décrit et étudié
par D. Toubert-Duffort (2007) à partir d'une expérience clinique (elle est psychologue
clinicienne) auprès d'enseignants et de groupes d'élèves inscrits dans un parcours scolaire
adapté (classe pour l'inclusion scolaire, classe à l'hôpital). La contagion émotionnelle désigne
un phénomène groupal caractérisé par « des co-excitations internes et des co-excitations
mutuelles importantes (qui) se produisent, s’entretiennent, dans un jeu complexe de
projections et d’identifications réciproques. La pluralité dans la situation de groupe induit
des expériences, au moins passagères, de débordement et de mise en faillite de la capacité à
associer stimulations excitatrices et représentations. L’adolescent, l’enfant, souvent même
l’adulte peuvent se sentir débordés. Des manifestations d’agitation, voire des actes de
violence désordonnés, « insensés », signent dans ce cas la rupture du pare-excitations. Le
groupe se met alors à fonctionner comme un organisme instable, indifférencié, au sein
duquel les limites individuelles deviennent imprécises. » (2007, p105).
Ceci correspond assez bien nous semble-t-il à notre expériences de certaines scènes
groupales en classe relais qui ont pu nous donner l'impression d'un groupe indéterminé,
informe ou chaotique. Nous faisons référence à des scènes de jeu en groupe sur des temps
institutionnels dédiés aux activités ludiques. Nous avons ainsi assisté puis participé à des jeux
de UNO dans deux classe relais au cours desquels nous avons ressenti une tension, une
excitation groupale, chaque élève se ''titillant'', s'invectivant mutuellement dans une
atmosphère ludique mais dont nous nous demandions à chaque instant si elle ne pouvait pas
virer vers l'affrontement verbal et physique. Nous pensons également à une partie de
Monopoli durant laquelle les élèves (un groupe de 4-5 élèves) étaient tous particulièrement
excités (sauf Édouard dont nous rappelons qu'il dit ne jamais s'énerver) nous donnant
l'impression d'une cacophonie mêlant cris, insultes, tricheries et propos dépréciatifs à la
limite de l'irrespect dirigés vers l'adulte relais qui encadrait le groupe. Pendant cette partie un
élève donnait particulièrement de la voix pour exprimer son mécontentement concernant le
déroulement du jeu. Ses cris faisaient effraction et étaient difficilement supportables pour
nous. Nous avons observé après le temps de jeu que cet élève agressait physiquement d'autres
élèves au sein de la classe relais. Il a notamment donné un fort coup de pied dans vélo de
Édouard qui tenait son vélo par le guidon et a failli faire tomber un camarade en tentant de lui
faire ''une balayette''. Un autre élève, pendant la partie de Monopoli, s'est levé plusieurs fois

302
de sa chaise pour effectuer des gesticulations qui nous ont paru peu sensées et comporter une
part d'obscénité provocatrice. Nous admirions le calme olympien de l'adulte relais qui ne
semblait pas se laisser emporter par la vague d'excitation et d'agitation et soutenait fermement
et avec bienveillance le respect des règles du jeu et la poursuite du jeu.
Une autre scène groupale nous a particulièrement marqué. Il s'agit d'un contexte
particulier parce que la classe relais a été délocalisée temporairement dans une autre pièce de
l'établissement scolaire, ceci pour des raisons également particulières. Nous apprenons en
effet en arrivant sur les lieux que cette délocalisation est principalement due au fait que
l'agent d'entretien de l'établissement scolaire ne fait plus le ménage dans la classe relais
depuis presque un an pour des motifs qui nous sont restés obscures. Les élèves semblent au
courant de cela car ; ayant interrogé un élève à ce sujet, il nous répond : « on a déménagé
parce qu'en bas c'est sale, ils ne font pas le ménage » (nous reviendrons sur cette question). Il
faut préciser que c'est le dernier jour avant les vacances d'Avril. Le sujet que nous comptions
rencontrer ce jour là n'est finalement pas disponible pour l'entretien et l'enseignante a
manifestement oublié notre venue en classe relais, ce qui n'est pas dans son habitude. Il y a
une dizaine d'élèves positionnés de telle façon dans la classe que cela nous donne
l'impression qu'ils sont éparpillés. Nous choisissons de rester à l'intérieur de l'espace classe et
d'observer. Nous sommes d’emblée marqué par le brouhaha et l'intensité inhabituelle de
l'agitation qui règne dans la classe. Un élève s'enfuie de la classe et l'enseignante part le
chercher laissant les élèves seuls avec nous et l'adulte relais (qui est une femme). Un autre
élève sort de la classe par la suite puis revient dans la classe. Un élève s'empare du téléphone
portable de l'enseignante devant l'adulte relais qui lui fait reposer. L'adulte relais sort de la
classe, semble-t-il pour aller voir l'enseignante qui ne revient toujours pas. Nous restons donc
seul avec les élèves. Un élève s'empare à nouveau du téléphone portable de l'enseignante le
manipule et le passe à un autre qui le manipule également, l'excitation est à son comble, puis
ils reposent le portable lorsque l'adulte relais revient après une brève absence. Sinan dénonce
les deux commanditaires de la transgression puis s'énerve voyant qu'aucun d'eux ne veut
avouer sa faute. Devant l'enseignante (revenu entre temps dans la classe) et l'adulte relais,
Sinan saisit violemment l'élève incriminé par le colle comme pour lui faire avouer sa faute
sous peine de recevoir une correction. Nous assistons médusé au revirement de
positionnement de Sinan qui quelques temps avant était manifestement tout excité par la
transgression dont il se faisait presque le complice et qui maintenant se fait pourfendeur de
l'élève ayant fauté. L'élève avoue finalement sa faute puis est séparé de ses camarades, isolé
dans le coin de la classe. N'acceptant pas cette mise à l'écart, cet élève semble hors de lui, il

303
donne un coup de pied dans une chaise puis répète à plusieurs reprise cette expression « sur
la tête de mon grand père ... » en début de phrase. Après cet épisode et le passage de la
récréation l'ambiance nous semble se calmer, être plus sympathique et propice à l'échange.
Cependant l'excitation et l'agitation corporelle demeurent dans ce qui nous semble être une
atmosphère d'échange et de libre expression verbale et corporelle, implicitement autorisée par
les adultes garants du cadre. Par exemple, un élève spontanément se lève, danse et chante
dans la classe sans y avoir été invité explicitement par l'adulte. Un autre se lève, pousse des
cris et fait plusieurs imitations (imitation de ce qui nous semble être un handicapé mental
sévère, imitation d'un oiseau criant fort et volant). Ibrahim se lève et semble faire le tour des
objets entreposés au fond de la classe sans que les adultes lui disent de se rasseoir (Il y a en
effet au fond de la classe plusieurs objets entreposés dont les productions d'art plastique d'une
autre classe). Vers la fin du temps de classe (donc peut de temps avant de partir en vacance)
trois élèves (dont Ibrahim) miment une scène d'arrestation musclée d'une individu par des
officiers de police au fort accent marseillais. Malgré l'agitation une discussion a pu se
dérouler entre adultes (dont nous-même) et élèves autour de différents thèmes : la conduite
automobile et le permis de conduire dans différents pays ; les destinations pendant les
vacances qui débouche sur un échange autour de la ville de Marseille ; l'émission télévisée
Koh Lanta ; les pays que chacun préfère.
Pour traduire cette expérience nous pourrions dire que nous avons eu l'impression
d'être entré dans une zone groupale de turbulence dont nous ne sommes sorti vraiment qu'à la
fin de du temps de classe. Nous associons cette expérience au phénomène de contagion
émotionnelle qui donne l'impression d'une forme groupale instable fait d'une pluralité (de
mises en scène, d'agissements, d'attitudes) qui ne se laissent pas unifier en une forme globale.

Ces observations nous conduisent à supposer que plusieurs sujets de notre recherche,
par certains propos, agirs individuels ou groupaux, plus ou moins inscrits dans le symbolique,
ont tendance à confronter l'enseignant, plus largement l'adulte, au pulsionnel et aux fantasmes
qui les animent, et faire ainsi irruption dans la scène (la forme) scolaire, mettre le trouble, le
chahut ou plus familièrement ''foutre le bordel''. Il s'agirait de confronter l'autre à, ou partager
avec lui, l'expérience de l'informe, de l'inquiétante étrangeté et du débordement. Nous
supposons que l'agitation et l'excitation débridée en groupe dans l'enceinte de la classe
autrement appelée le ''chahut'', peut se concevoir comme une expérience groupale de la
déliaison. Selon la conception de J. P. Matot (2011), la déliaison serait à la fois une force
(opposée et complémentaire à la liaison), un processus et une expérience qui tend vers la

304
perte de sens par chamboulement et rupture des liens (entre affects et représentations, entre
représentations, etc.) qui garantissent une certaine cohésion du fonctionnement et de l'identité
du sujet. Selon J. P. Matot (2011) « la liaison correspond à la recherche de sens mais aussi
de maîtrise, de contrôle, face à l’insécurité que suscite la confrontation à l’inconnu : elle est
au fondement de la croyance, ce « besoin de croire » qui caractérise l’humanité. La déliaison
met en œuvre un processus inverse qui, en défaisant ce qui a été lié précédemment, restitue
une part de liberté qui rend possible l’intégration de la nouveauté, de la surprise, du
changement, et l’instauration de nouvelles liaisons introjectives : la déliaison est ce qui sous-
tend la curiosité, le doute, les capacités adaptatives. ». (p182-183) J. P. Matot (2011) défend
donc l'idée selon laquelle l'expérience de déliaison en période adolescente comporte une
potentialité créative nécessaire en ce qu'elle permet de délier pour relier autrement. J. B.
Chapelier constate d'ailleurs à travers sa pratique des groupes psychothérapeutiques que
« l'excitation (déliée des représentations) induit un chaos, un désorganisation momentanée
du groupe, nécessaire pour que reprenne une activité fantasmatique, à savoir : l'expression
des pulsions et les désirs sous-jacents, alors même que des jeux organisés (et ritualisés)
pétrifiaient le groupe dans une position défensive. » (2011, p67). Il conviendrait donc de se
demander si certains chahuts groupaux en milieu scolaire et agissements individuels
transgressifs (par rapport à la règle de l'établissement) ne relèvent pas d'une déliaison
soutenant un processus créatif adolescent.

IV. Vers une créativité en milieu scolaire ?

1. Des usages de l'acte dans une perspective de création subjectale et inter-subjectale :

Nous constatons chez la plupart de nos sujets un goût certain de la mise en scène de
soi dans l'espace classe par le geste ou par une alliance du geste et de la parole, le plus
souvent à travers des comportements transgressifs ou plus généralement hors-cadre. Nous
avons déjà relevé différents actes qui ne peuvent laisser indifférent et sont manifestement
adressés à des spectateurs adultes et/ou élèves.
Selon Ph. Gutton (2008) « se créer » en période pubertaire et adolescente « c'est
d'abord paraître ». Il se pourrait que la scène scolaire mobilise particulièrement pour nos
sujets l'enjeu du paraître par la mise en scène agie. Ph. Gutton écrit que « se présenter aux
regards est une initiative soumise aux affres et aux joies de la procréation : on se voit éclore,

305
et non seulement jaillir, poindre, mais aussi « maintenir la forme, vaille que vaille. Cette
émergence a une dimension essentiellement active, issue de la double passivation infantile et
pubertaire. » (2008, p102). Ph. Gutton (2008) suppose que cette démarche de se présenter est
principalement sous-tendue par un fantasme d'auto-engendrement.
Il postule que « la création se bloque » lorsque « l'ambivalence de la montrance »
(entre révéler et voiler, entre exhibitionnisme, honte, inhibition et pudeur) « cède le pas aux
extrêmes ordalique de l'autosacrifice : il n'y a rien à voir, c'est la grisaille de la morosité ou,
alors, c'est l'inverse, il y a trop à voir, et c'est l'agitation, l'instabilité des apparences. »
(2008, p105). Les sujets de notre étude semblent particulièrement osciller entre ces deux
positions, ce qui témoignerait donc d'une création subjectale difficile mais qui nous paraît
tout de même au travail.
Les scènes agies, avec parfois ou souvent la complicité plus ou moins tacite d'autres
élèves et/ou de l'enseignant, nous évoquent ce que Ph. Gutton nomme scène pubertaire en ce
qu'elles semblent des « pensées en actes et en figures » qui impliquent un tiers (1991, p58).
Le conflit ou la connivence mis en scène avec certains enseignants nous semblent être
interprétables comme des scènes pubertaires permettant de jouer puis, éventuellement,
d'élaborer, les fantasmes incestueux et parricides, et plus largement la nouvelle configuration
des liens aux objets parentaux.
Ces actes, ces agissements en ce qu'ils ne manquent pas de causer le trouble chez
l'adulte, l'exciter ou l'attendrir peuvent être conçus comme une manière de séduire l'adulte
potentiel représentant d'une figure parentale. En ce sens il s'agit d'une reprise autrement, cette
fois-ci en position active (de séducteur, d'intrus), de la scène primitive infantile. Ce qui est
également une caractéristique des scènes pubertaires.

Il convient de rapporter quelques scènes, quelques propos, déjà abordés pour la


plupart, qui rendent compte de ce que nous avançons :
Sinan exprime, par son comportement au sein de la classe, son ambivalence entre un
rôle de voleur et de bras armé punitif de l'enseignante. Ambivalence de positionnement que
nous retrouvons au TAT entre l'investissement des figures du travailleur, du voleur et de celui
qui poursuit le voleur. Nous rappelons les faits qui se passent en classe devant nos yeux :
Sinan manifeste son excitation complice lorsqu'un des élèves à côté de lui s'empare du
téléphone portable de l'enseignante, puis dans un deuxième temps, lorsque l'enseignante
cherche le coupable de l'infraction, il dénonce l'élève. Manifestement très irrité par
l'insistance de l'élève incriminé à nier les faits, il saisit l'élève par le col et le menace en

306
quelque sorte de lui ''donner une correction'' s'il n'avoue pas sa faute. Sa réponse à la planche
16 du TAT indique que le vol agi ou fantasmé participe d'une création (invention d'un
scénario) qui permet de pallier la perte mise en jeu par cette planche. Il y a donc création de
rôles différents qu'il nous semble difficile d'intégrer dans une composition identitaire globale
et qui mettent particulièrement en jeu l'agir et la symbolisation par l'acte.
Édouard met certainement en scène une fantasmatique passive masochiste en se
couchant devant l'adulte relais qui lui demande de sortir en récréation. Il est possible que
Kevin en fasse de même en se couchant devant nous lorsque nous nous présentons comme
psychologue chercheur.
Nous avons assisté à une scène où Ibrahim s'égratigne volontairement le bout du doigt
en classe avec des ciseaux, puis demande à l'enseignante de le soigner. Celle-ci ne semble pas
surprise de son acte puis va lui chercher un pansement (nous ne nous souvenons plus si elle
lui met elle-même le pansement).
Aymeric exprime sa représentation de la position enseignante par cette mise en scène :
il se pose sur la chaise de l'enseignante en son absence et dit « appelle moi maître ! » à un
autre élève. Par la suite l'autre élève fait de même et dit « je vais tester votre QI ! ».
Helder nous dit clairement qu'il fait le pitre en classe parce qu'il n'aime pas que « les
autres soient malheureux ». Il se crée ainsi un rôle, une identité d'amuseur publique ou d'anti
dépresseur qui en passe par la mise en scène agie au sein de la classe. Par ailleurs son récit à
la planche 16 est marqué par une grande diversité d'actes à valence symbolique : remplissage
boulimique suite au départ de la terre natale, meurtre de l'amante qui lui ''a fait des enfants
dans le dos'', tentative de meurtre sur celui qui a tué le père et clôture de l'enchaînement des
actes par cette phrase finale « nique ta mère ! » qui peut également nous semble-t-il être
considéré comme un acte verbal.
Sur un temps informel, Oscar positionné dans l'encadrement de la porte d'entrée dans
l'espace classe (donc d'une certaine manière entre deux espaces), fait devant nous et Naïma,
des mouvements romantiques (mime les battements du cœur) adressés à Naïma, qui reste
impassible, puis, un instant (quelques secondes) après, fait des mouvements suggestifs qui
semblent mimer le coït et paraissent plus compulsifs et moins adressés que les mouvements
précédents (Naïma toujours impassible).
Nous pouvons également considérer l'endormissement feint d'Ophélia, la tête dans ses
bras croisés, avachie sur son bureau, lorsque nous allons la voir pour lui proposer de
poursuivre l'entretien, comme un langage qui passe par la posture corporelle et non dénué
d'une certaine mise en scène de soi au sein de la classe.

307
Le comportement de Naïma lors de notre première rencontre dans la cour du collège
peut être perçu comme une sorte d'acte qui témoigne d'un désir d'entrer en contact avec
l'autre adulte homme, d'une certaine manière, de ''prendre les devants''. La scène est celle-ci :
nous entrons dans la cour du collège pendant la récréation et nous nous dirigeons vers la
classe relais. Nous croisons un groupe de 4-5 filles et parmi elles une fille entreprend de nous
dire un « bonjour » auquel nous répondons. Cette fille était Naïma, nous ne nous étions
jamais rencontrés auparavant et nous ne savions pas qu'elle était en classe relais. Cette façon
de se présenter à nous et d'entrer en contact nous semble après coup cohérente avec la façon
dont elle s'est engagée dans la participation à notre étude, engagement sans hésitation et
ferme. Cette scène de la rencontre dans la cour peut être considérée comme une mise en
scène dont Naïma est l'instigatrice et l'actrice principale, avec les spectatrices que sont ses
camarades.
L'acte est prégnant dans ses récits aux planches 12BG et 16 du TAT témoignant d'un
positionnement actif face à la problématique de la perte et de la séparation. Nous avons émis
l'hypothèse que le récit à la planche 16 exprime un procédé de retournement passif-actif qui
consiste à décider de sortir de l'environnement maternel plutôt que d'en être exclue, « mère
est pas contente, du coup, la petite fille ressort et décide de sortir avec ses amis et voilà. ».
Aurélien par ses actes hétéro- agressifs envers d'autres élèves témoigne peut-être d'un
désir de présenter aux autres le masque de l'assassin mais pas de n'importe quel assassin. En
effet, le « logo » du jeu vidéo « assassin's creed » est convoqué au Rorschach semble-t-il
pour couvrir l'émergence d'affects en réaction aux couleurs pastel de la planche VIII. Nous
avons par ailleurs l'impression en entretien, que son visage reste impassible, comme fermé à
l'expression émotionnelle. Après quelques recherches sur le jeu vidéo Assassin's creed, nous
pensons que le héros assassin du jeu peut être utilisé comme un support, un média intéressant
pour la construction identificatoire de l'adolescent. D'après Wikipédia le scénario initial du
jeu est celui-ci : « L'histoire est axée sur Desmond Miles qui revit les actions de son ancêtre
à l'aide d'une machine nommée « Animus ». Son aïeul Altaïr est un assassin d'élite agissant
en terre sainte à l'époque de la troisième croisade. Tombé en disgrâce, Altaïr doit exécuter
plusieurs missions pour regagner son rang dans sa communauté. Le joueur contrôle
librement le héros dans quatre villes (Damas, Jérusalem, Acre et Masyaf) à la recherche de
ses cibles. La secte ou société secrète des Assassins présentée dans le jeu est librement
inspirée des maigres traces historiques laissées par les Nizârites (une communauté chiite),
ainsi que par des récits de fiction comme le roman Alamut ». Les assassins forment une
communauté secrète dont les agissements sont régis par « trois principes que se doivent

308
d'appliquer les membres de l'organisation en toutes circonstances : « Jamais l'épée ne
versera le sang d'un innocent », « L'assassin doit ne faire qu'un avec la foule » et « Les actes
ne doivent jamais compromettre la fraternité ». Depuis le premier jeu sortie en 2008 d'autres
sont apparus, dont le dernier opus sorti en 2017 intitulé « Assassin's creed origins ». Compte
tenu du potentiel identificatoire que nous semble contenir ce jeu, il nous paraît intéressant de
penser les actes hétéro-agressifs d'Aurélien comme symbolisant un mouvement
identificatoire à une certaine figure de l'assassin, et non uniquement comme une décharge
visant l'écrasement de l'autre interne et externe, de façon à rétablir l'homéostasie narcissique.
Nous savons par ailleurs qu'Aurélien fait du hip-hop depuis 4 ans et que ses parents étaient
danseurs dans leur pays d'origine, en Côte d'Ivoire. Les parents âgés de 35ans (mère) et 39
ans (père) ne vivent plus de la danse maintenant, Aurélien nous dit qu'ils sont en formation
sans plus de précisions. Nous nous demandons si les parents ont pu continuer à exercer leur
profession de danseur suite à leur migration en France. L'investissement solide de la danse
hip-hop par Aurélien serait la marque de la transmission transgénérationnelle d'un goût pour
l'expression de soi par le corps en mouvement. Nous pouvons donc supposer un
investissement particulier de la symbolique de l'acte chez Aurélien.

Par ces différentes mises en scène qui procèdent d'une certaine utilisation de l'acte, les
sujets nous semblent réaliser quelque chose se rapprochant de l’œuvre du créateur selon la
définition de B. Chouvier : « le créateur est celui qui sait construire un objet capable à la
fois de révéler une vérité psychique et de provoquer un choc esthétique. Cela signifie que le
créateur a quelque chose de plus que le commun des mortels, quelque chose susceptible de
créer chez l'autre un effet de saisissement. Le créateur peut provoquer de l'enthousiasme, il
peut engendrer des objets de vénération, dans la mesure où il a en lui le pouvoir de l'excès.
Le pouvoir d'aller jusqu'à l'hybris, cette forme de folie inspirée que les grecs attribuaient à
Dyonisos. » (1998, p133). Expression d'une vérité psychique, provocation d'un choc
esthétique et excès, voire hybris, nous semblent se retrouver dans certaines des mises en
scène des sujets au sein de l'école.
La plupart des agressions verbales ou physiques (par Hans, Ibrahim, Aurélien,
Yassine, Naïma, Aymeric, Sinan, Kevin) des enseignants et, plus largement, des
comportements transgressifs en classe (Helder, Oscar, Édouard, Georges, Ophélia, Imen)
pourraient également entrer dans le cadre de ce que F. Houssier nomme le recours à l'acte,
ceci pour deux raisons principales :

309
- les actes de nos sujets semblent être l'expression de scenarii fantasmatiques (voir la partie
concernant la dynamique activité-passivité dans les fantasmes au TAT et dans la relation
enseignant-élève) difficiles à mettre en mots. Difficulté que nous constatons notamment à
travers la passation des projectifs. Dans ces conditions « l'acte sert de support
représentationnel aux conflits psychiques qui, à ne pouvoir être mis en mots, retournent au
langage moteur pour trouver une issue » (F. Houssier, 2015, p187).
- ces actes comportent indéniablement une dimension d'appel à l'autre (être vu, être entendu,
voire reconnu dans ses difficultés, ses désirs, ses capacités) et au traitement par
l'environnement (fonction tierce de l'institution scolaire, contenance, être calmé). C'est une
« forme de message adressé à l'environnement familial comme social » (F. Houssier, 2015,
p186).

Le recours à l'acte constituerait « un moyen de créer un événement intériorisable


lorsque le traitement psychique du conflit a échoué. » (2015, p187). C'est une manière de
convoquer l'environnement ''à la rescousse'', dans une fonction de contenance, au sens de
préservation des limites du moi et mise en mots de la fantasmatique et des éprouvés. Il
appelle à un travail de l'après coup qui permettra de resituer l'acte et son accueil par
l'environnement dans la continuité de l'histoire du sujet. Ce travail nous semble en cours chez
les sujets qui auraient recours à l'acte, car nous observons que, pour la majorité d'entre eux,
ils peuvent mettre des mots et du sens sur leurs actes ''après coup'', les intégrant ainsi dans
une logique globale permettant de développer un discours cohérent sur eux-même et leur
histoire.
Il nous semble que les sujets tendent à intégrer les actes transgressifs et agressifs
commis dans l'enceinte scolaire, dans des scenarii qui peuvent être qualifiés d'héroïques selon
la définition que propose Ph. Gutton (2013) du héros adolescent. Sur le plan de la dynamique
activité-passivité, si nous synthétisons différents éléments caractéristiques du discours de
plusieurs sujets, il s'agirait de se raconter (et peut-être souvent un peu de ''se la raconter''
selon l'expression anciennement adolescente) comme acteur principal d'une opposition au
pouvoir adulte scolaire, qui chercherait à le tenir sous une emprise passivante totalitaire, dans
un système scolaire excessivement hiérarchisé, excluant l'expression personnelle libre et
spontanée. Ces récits flirtent, nous semble-t-il, avec une identification du côté du martyr, de
la victime de l'oppression, de l'indifférence des adultes enseignants et du système scolaire.

310
2. Du héros à la figure du martyr adolescent en passant par le masochisme :

Nous nous demandons si plusieurs conduites des sujets de notre étude ne pourraient
pas rentrer dans le cadre de « la clinique de l'exploit » (Ph. Gutton, 2013); clinique qui
apparaîtrait au devant de la scène lorsque l'écart, entre l'infantile interne (du sujet)/externe (de
la société) et le pubertaire, est ressenti comme trop grand, alors« le regard phallique sociétal
se fait dès lors méconnaissant, hostile ». C'est, selon nous, une façon de concevoir la plainte
des sujets vis-à-vis de l'école et des enseignants, du côté d'une communication impossible,
d'une indifférence, voire d'une malveillance du corps professoral et du système scolaire. Dans
cette situation deux grandes voies peuvent êtres choisies : soit la lutte héroïque, soit la voie
du martyre. En sachant que les revirements sont fréquents entre ces deux voies. « Le «
revirement » de l’exploit est toujours présent dans la conduite héroïque. C’est le martyre, soit
la souffrance « susceptible de provoquer la mort », que le héros serait prêt à endurer pour le
témoignage pubertaire qu’il défend. ». « Le héros lui ne se laisse pas faire. Nié, il affirme,
solide du fait de « sa vertu supérieure », sa subjectalisation en cours, sa compétence. »
(2013, p293). « La subjectalisation se dresse devant le politique accusé a minima de la
refuser, la répudier, a maxima de la mettre « au ban », l’écraser, la déqualifier. Là où
certains se couchent, renoncent à leur métamorphose, se désubjectalisent, le héros se dresse.
Il affirme sa volonté créatrice « délinquante » (lorsqu’on le plaque) afin d’être « malgré tout
» reconnu par le regard phallique qui le juge. » (2013, p293).
Certains de nos sujets nous semblent plus du côté du martyr et d'autres du héros.
Dans le groupe des héroïques nous incluons Georges, Aurélien, Oscar, Sinan, Ibrahim,
Édouard, Helder, Naïma et Yassine.
Georges nourrit manifestement un scénario d'opposition à un système scolaire dominé
par la hiérarchisation des places (voir son dessin), l'élève étant en bas de l'échelle
hiérarchique. Lors des confrontations verbales avec les enseignants il tient à avoir le dernier
mot, c'est ce qu'il appelle « répondre » à l'enseignant. À ce propos Ph. Gutton cite R. Barthes
(1977) « qu’est-ce qu’un héros ? Celui qui a la dernière réplique » (2013, p297). Par ailleurs
lorsque l'enseignant l'exclut, il ne se laisse pas exclure si facilement, tentant de rester en
classe, accroché à sa place malgré la sentence de l'exclusion prononcée par l'enseignant.
Aurélien nous dit répondre aux enseignants qui le « cherchent », coûte que coûte.
« Dès qu'on me cherchait je me calmais pas, même si on me disait de me calmer. » Il se
présente comme ayant du répondant, pouvant se défendre verbalement lorsqu'il est attaqué.
Ainsi le seul exemple qu'il nous donne d'un manque de respect dans la relation à l'enseignant

311
est celui-ci « ma prof de français m'a dit pauvre gars et moi je lui ai dit pauvre femme. ».
Ceci nous semble être une scène héroïque dans un cadre de guerre des sexes (voir p209-210).
La figure du héros nous semble également mise en jeu dans l'identification potentielle au
héros du jeu Assassin's Creed.
Nous distinguons, dans les discours d'Oscar, Sinan et Ibrahim, la mise en scène de la
défense héroïque d'une communauté adolescente contre le pouvoir adulte malveillant, car
chargé en excès d'une volonté (et d'une fonction?) d'emprise, incarnée par certains
enseignants voire le corps enseignant en son entier. « Cette clinique (de l'exploit) nous
apprend que le discours (et bien des actions) d’un adolescent ne devrait pas être considéré
comme solitaire, il est porte-parole d’une communauté. Héroïque devant l’adultité, dans sa
définition socio-politique, l’adolescence n’est pas isolée, elle est considérée ou admirée (plus
qu’aimée) par les pairs dont elle est supposée porter les idéaux, étayage du « monde » de
l’intergénérationnel. À la guerre comme à la guerre ! Autre définition d’ailleurs du héros : «
celle d’un personnage principal dans une œuvre » (n’est-ce pas un bénéfice premier du
psychodrame?). Le héros ne défend ni sa cause ni celle des autres, mais celle d’une
communauté de pensées, lieu de liens devant le monde des adultes, leurs pouvoirs politiques
institutionnalisés et idéologisés; sa conviction intime requiert ces soutiens citoyens. Il est
chargé exceptionnellement de cette mission au sein d’une communauté d’amis, et au-dessus
d’elle : intersubjectalité et intersubjectivité intriquées. Il n’a pas de pouvoir particulier, il est
le représentant élu et lui est déléguée une fameuse autorité. » (2013, p295-296).
Oscar, lors de notre première entrevue, nous dit ainsi que lorsqu'il s'engage dans une
confrontation avec l'enseignant c'est pour défendre le groupe classe insulté ou injustement
critiqué. Il prend l'exemple de l'enseignant qui dit « c'est une classe perturbatrice ! » et/ou
crie « sur tout le monde » alors que seulement un élève a transgressé la règle. Il se lance dans
une critique d'une enseignante qui selon lui reportait sa mauvaise humeur, passait ses nerfs en
quelque sorte, sur le groupe classe: « comme elle est de mauvaise humeur c'est nous, on
prend ». La référence au nous et l'utilisation du ''on'' sont fortement présents dans son
discours, désignant ainsi, nous semble-t-il, la communauté des élèves, ceci sans pour autant
effacer l'énonciation à la première personne du singulier ''je''.
Ibrahim dit d'une certaine manière son affiliation à un certain groupe d'élèves en
conflit ouvert avec les enseignants, mis sur le même plan que le rapport conflictuel à la police
ou autrement dit ''les forces de l'ordre''. Voici quelques phrases particulièrement parlantes :
« généralement les élèves comme moi, on aime pas les profs qui crient trop. Si il est dans la
rue (c'est à dire dans la cité où réside Ibrahim), si il crie il va se faire taper », « nous on

312
dirait on a pas le droit à la parole », « les profs pour nous c'est comme si c'était la police, on
peut rien faire avec eux. ».
Sinan et deux amis de longue date (depuis la maternelle) étaient en conflit avec les
enseignants, particulièrement en cinquième, les conflits se sont un peu apaisés en quatrième,
suite au changement d'établissement scolaire associé à la séparation d'avec ses deux amis, qui
sont partis dans d'autres établissements. Sinan n'utilise quasiment pas la première personne
du singulier, il utilise exclusivement le ''on'' et un peu le ''nous'' surtout pour désigner lui et
ses deux amis. Comme si toutes ses expériences relationnelles avec les enseignants, en
élémentaire et au collège, avaient été vécues dans le groupe restreint d'amis ne laissant
émerger aucune individualité. Voici plusieurs exemples d'utilisation du ''on'' et du ''nous'' :
« au collège on se débrouille quand on n'y arrive pas » « au collège les profs nous aident
pas » « au dernier trimestre on se relâchait ». « parfois c'est dur on lâche l'affaire, on
comprend rien du tout » et « ils (les enseignants de cinquième) croyaient qu'on était leur
chien pour faire les trucs et nous on parlait vulgairement comme eux. ». Nous avons vu
précédemment qu'en cinquième surtout, semble s'être établi aux yeux de Sinan un clivage
entre d'un côté, les enseignants représentant l'étranger chargé d'une intention d'emprise
avilissante , de l'autre, l'ensemble des élèves du collège formant un groupe où règne le
familier et l'absence de tension. Ainsi nous dit-il « en cinquième y avait qu'avec les profs que
c'était difficile. On (les élèves) se connaissait tous au collège donc il n'y avait pas de
tension ». Sinan a toujours vécu dans la même commune. Certains indices nous laissent
supposer une forte affiliation à une certaine communauté de jeunes qui se définit par son
ancrage dans cet espace nommé cité ou quartier. Ainsi, au commencement du premier
entretien, Sinan nous parle des tensions existant entre la commune d'où il vient et la cité dans
laquelle est située la classe relais, ce qui a pu lui poser problème pour son adaptation dans
l'établissement scolaire. Nous assistons également à une scène où Sinan, après avoir menacé
physiquement un autre élève qui ne bronche pas, attaque celui-ci verbalement en critiquant la
ville dont il est originaire, comme pour lui donner le ''coup de grâce'', « ça vient d' Athis-
Mons et ça fait le malin ! ». Le message implicite peut être formulé ainsi, nous semble-t-il,
« je viens d'une cité plus prestigieuse que la tienne. Alors ne fais pas le malin. ». Exerçant
depuis plusieurs années en tant que psychologue en Essonne nous confirmons
qu'effectivement, la commune où réside Sinan bénéficie d'un triste prestige en rapport avec la
délinquance.
L'idée d'une appartenance à une certaine communauté transparaît également dans le
discours d'Idir. Ce serait la communauté des élèves mis au fond de la classe par les

313
enseignants, communauté opprimée mais surtout délaissée parce qu'elle ne fait pas assez
« d'efforts». Il nous dit ainsi:« l'attention des enseignants s'oriente vers ceux qui font le plus
d'efforts », « souvent ils nous mettent au fond de la classe ». Idir n'évoque pas de
confrontation directe avec les enseignants au nom de la défense de cette communauté
d'élèves délaissée, mise à l'écart. Nous en déduisons qu'il se situe plutôt du côté de la victime
de l'indifférence enseignante et non du héros dans la rébellion.
La question du rapport entre les enseignants et la communauté de pairs à laquelle
Sinan se sent appartenir semble fortement imprégner la représentation qu'il se fait de la
relation aux enseignants. En cinquième, nous pouvons considérer que, de son point de vue, il
y avait un conflit intergénérationnel dont l'un des enjeux était de défendre l'honneur de la
communauté d'élèves face aux attaques avilissantes des enseignants étrangers.
Nous nous demandons si, à travers les discours de Yassine, Naïma, Helder et Édouard,
transparaît une certaine figure du héros plus solitaire, moins communautaire, tenu de faire
son chemin seul dans un environnement hostile, dans une certaine mesure seul contre tous.
Nous retrouvons dans leur discours certains éléments qui vont dans le sens des propos de J.J.
Rassial qui constate que de nombreux adolescents s'identifient au « héros solitaire, isolé
voire abandonné, sans famille et qui tire sa force d'ailleurs que de son éducation » (1996,
p210).
Yassine semble seul, dans un environnement hostile, dans la mesure où il dit que son
lieu de vie est « bizarre », qu'il ne connaissait personne à son arrivée (nous rappelons qu'il a
déménagé contre son gré de la région Lyonnaise depuis un an quand nous le rencontrons) et
ne souhaite pas s' « intégrer ici ». Il ajoute: « avec ma mère on peut pas communiquer. J'
partage rien avec ma mère comme les enfants normaux. ». Yassine se présente par ailleurs
comme un élève qui peut entrer dans la confrontation physique avec l'enseignant lorsque se
pose trop directement la question de l'inégalité de pouvoir entre lui et l'enseignant. Il nous dit
qu'il s'est confronté physiquement à plusieurs reprises avec un enseignant en SEGPA (qu'il
affectionnait pourtant) parce que le « niveau était trop bas », il désigne ainsi le niveau
scolaire, mais nous supposons que la question du niveau renvoie aussi à ne pas être en
dessous de l'enseignant homme. Lorsque nous abordons la question de la différence de
pouvoir entre élève et enseignants, Yassine dit que pour lui il n'y a pas de différence et
associe spontanément sur la thématique de la confrontation physique, ajoutant:« j'aime pas
réagir physiquement avec les professeurs ». Ainsi la question de l'inégalité de pouvoir éveille
la représentation de la confrontation physique qui a peut-être à voir avec un scénario
héroïque.

314
Dans une certaine mesure Naïma se décrit comme en lutte contre la plupart des
enseignants, dont l'intention, voire la fonction, serait de l' « enfoncer » en faisant un
« rapport à la commission éducative » à la moindre incartade. Elle nous dit également que la
majorité des enseignants ne la comprennent pas et ne cherchent pas à la comprendre. Elle
nous dépeint donc la figure du héros luttant seul contre tous et incompris. Si nous nous
référons à sa réponse planche 16 du TAT, Naïma semble s'identifier à la «petite fille » qui,
face au rejet de l'école et de la mère, prend les devants et décide de partir et s'entourer de ses
amis (position active) plutôt que de supporter l'exclusion combinée de la famille et de l'école
(position passive). Nous savons par le biais de l'enseignante de classe relais que Naïma a
fugué plusieurs fois de chez sa grande sœur et de chez sa mère. Le récit à cette planche 16 du
TAT se trouve donc directement connecté à la réalité du recours à l'acte de Naïma. Bien que
plutôt seule dans son combat réel et fantasmé contre l'adultité enseignante, Naïma semble
pouvoir faire appel à une communauté d'amis d'après son récit planche 16.
Édouard, par son discours et son dessin, tend à désigner l'enseignant comme
l'oppresseur sadique de l'élève (dessin de l'enseignant souriant qui fouette l'élève). Le
professeur est celui qui n' « a pas de règle » qui « fait ce qu'il veut ». « dans tous les cas c'est
le prof qui a raison ». Les élèves « doivent juste travailler et se taire ». Par ailleurs « les
profs attendent qu' on (les élèves) soit parfait. Travailler tout le temps, écouter tout le
temps ... ». Édouard se positionne clairement dans la résistance vis-à-vis de l'oppression par
les enseignants dans un système scolaire inégalitaire. Il se présente au préalable comme
porteur d'une hostilité de principe vis-à-vis des enseignants « ben déjà j'aime pas les profs. ».
Son arme principale est l'opposition passive qui a le don de faire sortir l'enseignant de ses
gonds, lui faire perdre la maîtrise de lui-même. Il se vante notamment de pouvoir « rester
braqué toute une semaine » dans la relation à un enseignant qui l'a accusé injustement.
Édouard se démarque ainsi de la communauté des élèves soumis et opprimés. Nous avons vu
qu'Édouard accepte difficilement l'idée d'une transmission intergénérationnelle du savoir,
nourrissant l'illusion d'un savoir déjà là, que les enseignants lui ont « juste rappelé »
(l'enseignant de ce point de vue est-il proche de Socrate ou de l'analyste ?).
Helder nous évoque la figure héroïque uniquement à travers son récit à la planche 16
(mais quel récit !) du TAT qui met en scène un héros de haute lignée (roi des moustiques), qui
s'engage dans un parcours initiatique, qui en passe par l'enseignement du « maître des
piqûres », ceci, dans le but de venger la mort de son père. L'histoire finit tragiquement par la
mort du héros, qui combat jusqu'au dernier moment, confrontant l'autre à l'incestuel par une
ultime attaque verbale « nique ta mère ! », le blessant ainsi sans doute à vie. Ce « nique ta

315
mère ! » peut aussi être considéré comme une sorte de malédiction jetée avant de mourir.
Nous pouvons émettre l'hypothèse selon laquelle Helder nourrit un scénario héroïque dans
lequel le héros confronte l'autre adulte (l'adultité) aux désirs incestueux présents en chacun,
produisant ainsi, chez l'adulte, un choc. Cette hypothèse nous semble corroborée par les
propos d'Helder commentant son dessin : « y' a son élève qui le (l'enseignant) demande en
mariage » ou par son récit à la planche 13 MF «Un homme qui vient de coucher avec une
femme et vient de se réveiller le matin et il dit « oh ! putain qu'est-ce-que j'ai fait ». On dirait
que soit il est fatigué, soit il a honte. Peut-être c'est sa mère (dit-il à voix basse). Vous ne
l'écrivez pas ça ! ». La visée serait entre-autres de nous choquer, nous adulte, en nous
confrontant à l'inceste.

Nous supposons donc que ces sujets mettent en jeu dans leurs relations conflictuelles
avec les enseignants des scenarii de confrontation héroïque à l'adultité, mais c'est un jeu
dangereux qui se termine par l'exclusion du héros, de la classe ou de l'établissement. En ce
sens, ce sont des scenarii tragiques qui empêchent l'adaptation scolaire. Ils s'identifieraient à
des héros au destin tragique, semblables aux héros des pièces de Sophocle, « voué à l’échec,
il termine sa vie dans la solitude, en exil. pourtant, c’est étrangement ainsi qu’il réalise son
destin. ». L'histoire d'œdipe en est une figure paradigmatique. Selon J. Lacan « […] le héros,
tout un chacun qui, dans l’acte, s’engage seul, est voué à cette destinée de n’être enfin que le
déchet de sa propre entreprise » (1967-1968, p186). S'inspirant de la théorie lacanienne, L.
Carrive postule que la trajectoire héroïque renvoie chacun à « l'apprentissage d'une solitude
primordiale dans l'action » (2013, p435). La question se pose selon nous de savoir si un bon
nombre de sujets ne mettent pas en jeu, à travers le comportement en classe dans la relation à
l'enseignant, une forme d'expérience de la solitude difficilement élaborable autrement. Nous
avons ainsi pu remarquer, à travers les projectifs, que la majorité des sujets peuvent
difficilement élaborer et faire face à la perte et la solitude.
Mettre en scène l'exclusion du héros avec l'aide de l'enseignant et parfois de
l'institution scolaire, pourrait être l'un des enjeux de bon nombre des comportements d' au
moins la moitié des sujets de notre recherche ( Naïma, Yassine, Ibrahim, Édouard, Sinan,
Oscar, Helder, Aurélien, Georges). Il s'agirait donc de prendre une position active dans le
rapport à la perte en créant soi-même les conditions de l'exclusion héroïque. Cette position
flirte logiquement avec celle du martyr, si bien qu'il est difficile pour nous de savoir si les
sujets de notre recherche sont plus du côté du martyr (voir définition dans le dernier chapitre
de la partie théorique) ou du héros adolescent selon les définitions que propose Ph. Gutton de

316
ces deux notions. Nous rappelons que selon Ph. Gutton « la philosophie qui sous-tend le
martyre comporte une dénégation du génital en tant que source de plaisir … en transformant
ce dernier en affaire de pouvoir » (2011, p34), bataille entre phillisophie pubertaire et
philosophie adulte dont l'enjeu devient exclusivement l'obtention du pouvoir ou la résistance
au pouvoir adulte.
Nous l'avons vu, la question du pouvoir que les enseignants ont sur les élèves nous
semble bien au premier plan dans le discours, les fantasmes et les comportements d'au moins
la moitié de nos sujets; pouvoir totalitaire ou qui se veut totalitaire de l'enseignant (Sinan,
Édouard, Ibrahim, Georges, Hans). L'enseignant est exclusivement présenté dans une
fonction et un désir d'emprise sur la parole et le corps de l'élève (Kevin, Imen, Ibrahim,
Naïma, Édouard, Georges). Nous pouvons supposer que, dans le cas de Selma, le retrait vers
des enjeux narcissiques de pouvoir sur l'autre prédomine lorsqu'elle se trouve confrontée à
l'expérience de la perte. Ainsi à la planche 16 du TAT qui sollicite particulièrement
l'expérience de la perte, elle se met en scène en position de maîtrise : « Je me vois aux
Seychelles avec des esclaves à mes pieds, en train de me faire bronzer (?) c'est tout. ». Nous
supposons que ce retrait narcissique vers l'emprise a du se jouer dans la relation aux
enseignants et aux apprentissages scolaires.
Nous ne pouvons affirmer que ces adolescents et pré-adolescents présentent une
tendance à la « dénégation du génital en tant que source de plaisir » (Ph. Gutton, 2011),
cependant nous constatons que le travail adolescent du passage à l'objet génital semble
difficile à opérer et que le plaisir érotique dans la relation à l'autre (séduction) transparaît très
peu dans leur discours et leur récit au TAT. Selon F. Marty le passage à l'objet génital opère
selon deux mouvements, sur deux axes, narcissique et objectale, qui se croisent : « d'une part
mouvement d'appropriation de son corps pubère et, d'autre part, mouvement de déplacement
de l'investissement libidinal du proto-objet (objet incestueux qui lui est familier) à l'objet
porteur de complémentarité (objet d'amour non incestueux et extra-familial, objet autre qui,
lui est « étranger ») » (2002, p59). Pour la majorité de nos sujets ce passage nous semble
difficile, dans la mesure où ils manifestent des difficultés à mettre en mots les affects (ce qui
rend difficile l'appropriation du corps), à élaborer la fantasmatique œdipienne et se confronter
à la perte.
S'exclure ou se faire exclure de la classe ou de l'établissement scolaire pourrait donc
être interprété comme un engagement dans la voie du martyre, au moins dans le champ
scolaire (martyre scolaire?), reliée à la tendance à entrevoir excessivement la relation à
l'enseignant sous l'angle des enjeux de pouvoir. Nous rappelons, avec Ph. Gutton, que le

317
martyr est éminemment actif, dans la mesure où il recourt à l'auto-sabotage agi pour
témoigner et s'insurger contre ce monde adulte interne/externe (adultité), qui cherche à
l'écraser en lui infligeant des blessures qui le mutileront (mutilation de ses idéaux pubertaires
notamment) et le rendront docile; il s'agit ainsi d' « un auto-sabotage agi pour plaider contre
un sabotage subi ; martyre pour ne pas être victime » (2011, p37).
Étant donné les difficultés manifestes pour accéder à la position dépressive chez la
plupart de nos sujets, ainsi que leur fort besoin d'étayage en relation duelle avec l'adulte, il
nous semble intéressant de penser l'auto-sabotage éventuel dans son articulation avec la
problématique de la dépendance. Ph. Jeammet a particulièrement étudié la question. Il
désigne l'auto-sabotage adolescent comme l'expression de mécanismes de défense primaires
que sont le retournement contre soi et le renversement en son contraire. Le retournement
contre soi ouvre selon lui « tout le champ du masochisme » et constitue un moyen de
conserver le lien à l'objet (Ph. Jeammet, 2000, p54). Il postule que « grâce au recours à des
mécanismes de défense aussi archaïques que le retournement contre soi et le renversement
dans son contraire, la conduite masochique offre toujours au moi la possibilité ou l'illusion
de se délivrer de l'emprise de l'objet et de reprendre une position active de maîtrise là où il se
sentait menacé de débordement et de reddition passive à l'objet. » (2000, p58) « Le
retournement masochique de l'investissement d'objet insatisfaisant (nous pensons aux
enseignants accusés d'être indifférents, de ne pas les comprendre, ainsi que la faible tolérance
à l'attente d'une réponse satisfaisante de l'objet constatée par les deux enseignantes de classe
relais) est une des façons de se délivrer de l'influence de l'objet en le récupérant en quelque
sorte. Il protège le moi des aléas de cette relation dans un premier temps mais peut le
menacer dans un second temps si le système se referme trop sur lui-même. » (2000, p59-60).

3. Indices de scenarii masochistes agis ou fantasmés chez les sujets de notre recherche :

Nous trouvons des traces d'une fantasmatique masochiste dans le discours, le dessin et
les agissements de quelques sujets de notre recherche, ceci, associé dans plusieurs cas à la
position passive dans la relation à un homme. Dans cette perspective la scène masochiste
constituerait pour plusieurs sujets un substitut de la relation passive érotisée avec le père dans
la lignée du fantasme « un enfant est battu ».
Ibrahim nous fait part du fait que les enseignants qui crient éveillent en lui la
représentation d'une scène qui se passerait dans son quartier, où un individu, en criant, irrite
son entourage et se fait agresser physiquement en conséquence. Ibrahim semble proche de

318
transférer sur les enseignants qui crient un désir masochiste d'être frappé par les élèves,
scénario que nous proposons de formuler par les termes « on bat un enseignant ». Nous
constatons par ailleurs qu'Ibrahim a commis des délits à l'extérieur de l'établissement scolaire,
qui peuvent être interprétés comme une sorte d'appel à la punition, sous-tendu par un certain
type de masochisme (voir étude de cas).
Édouard manifeste clairement par son dessin une fantasmatique sadomasochiste
(élève fouetté par l'enseignant souriant). Nous notons par ailleurs qu'il excelle dans l'aptitude
à énerver l'enseignant par son opposition passive et sa nonchalance. Nous rappelons la scène
où il se tient couché et muet devant l'adulte relais qui lui demande de sortir en récréation.
Le discours de Kevin est dominé par les situations où il s'est fait frappé ou exclure
manu militari de cours. Nous rappelons qu'il s'est couché devant nous en classe sous les yeux
de l'enseignante et des élèves.
En ce qui concerne Naïma, certains indices permettent d'émettre l'hypothèse du
masochisme comme substitut d'une satisfaction sexuelle en position passive dans la relation à
un homme. Nous remarquons qu'elle serait plus susceptible d'entrer dans la confrontation et
se faire exclure par des enseignants hommes à grosse voix grave. En réponse à notre question
(quels enseignants vous ont le plus marqué en bien ou en mal durant votre parcours scolaire
au collège ? ) ,elle évoque un enseignant de mathématiques en cinquième avec qui la relation
était particulièrement difficile. Elle nous rapporte cette scène : « j'étais nouvelle (dans
l'établissement et dans la classe). En fait j'sais pas c'était quoi son but mais en fait il m'a
menacé avec une règle et après ça a jamais été avec lui. ». Nous pouvons supposer que cette
érection phallique de l'enseignant dès la première rencontre est venue exciter le masochisme
de Naïma qui se traduit par des conduites transgressives en classe entraînant punitions et
exclusions. Naïma présente par ailleurs des signes, au TAT et dans son discours, d'un
investissement inconscient particulièrement fort de fantasmes concernant l'homosexualité
masculine (voir p200).
Selma semble elle aussi particulièrement préoccupée par l'homosexualité masculine
(voir p202). Selma donne un récit à la planche 8BM du TAT qui nous évoque une scène
sadomasochiste. Nous rappelons que la planche 8BM renvoie sur le plan latent « à une scène
d'agressivité ouverte confrontant des hommes adultes et un adolescent, en position
contrastées active/passive » (C. Chabert & F. Brulet-Foulard, 2003, p46). Voici ce qu'elle
raconte : « Un enfant , on dirait qu'il a une arme à la main, mais derrière il y a des gens qui
font quelque chose à une dame. On dirait que … je sais pas si il va la tuer (?) on dirait qu'il
est plus en train de la libérer en fait. J'sais pas en fait, j'arrive pas à voir. ». De par cette

319
configuration, mettant en présence un ou des hommes qui font quelque chose à une femme et
un enfant, nous pouvons légitimement émettre l'hypothèse de la figuration d'une scène
primitive à forte dimension sadomasochiste. L'hésitation exprimée, quant à savoir si l'homme
va libérer ou tuer la femme, renvoie selon nous au conflit intense qui se joue en interne chez
Selma, entre angoisse de mort et désir d'une libération par l'homme, qui implique une
certaine expérience masochiste. Nous pensons au masochisme féminin (J. Schaeffer, 1997).
Nous rappelons que le mouvement projectif à l’œuvre est tellement fort que Selma désigne
comme « dame » un personnage qui est manifestement un homme torse nu.
Yassine nous dit avoir entretenu une relation particulièrement conflictuelle avec un
enseignant qu'il suspectait d'être homosexuel et de le montrer (voir p202). Nous pouvons
donc émettre l'hypothèse d'une conduite masochiste (se faire exclure, punir) comme substitut
d'une relation homosexuelle passive à cet enseignant. Le masochisme se manifeste
éventuellement aussi dans son cas par une auto-exclusion assumée de la relation aux autres :
« j'suis dans mon monde, je porte pas attention aux autres ».
Hans présente les signes d'une fantasmatique masochiste qui prend plusieurs formes:
- La forme d'une scène potentiellement masochiste où il se trouve en position de victime dans
la relation à un adulte pervers (voir p185).
- La forme d'une identification inconsciente à la figure de la « pute » (voir p213).
Imen et Ophélia présentent au TAT des représentations crues de la femme molestée,
asservie (Ophélia) ou violée (Imen), ce qui permet d'envisager une fantasmatique masochiste
particulièrement vive ou un vécu traumatique. Ces deux éventualités (le masochisme ou le
traumatisme) ne s'excluent pas l'une et l'autre, et peuvent se trouver conjointement impliquées
dans la formation de ces récits au TAT.
Georges nous dit se confronter aux enseignants dont il perçoit qu'ils se croient « au
dessus » de lui. Les exclusions et les punitions répétées participent peut-être d'un scénario
masochiste consistant à se retrouver ''en dessous'' de l'enseignant en colère excité par son
effronterie, dans une grande proximité haineuse, ceci, après avoir livré une bataille héroïque.
Nous rappelons par ailleurs les propos de l'éducatrice de classe relais qui constate chez
Georges une tendance à détruire ses productions lorsqu'il est complimenté par l'adulte. Cette
éducatrice nous fait part de son impression que Georges est dans l'incapacité de désirer avec
l'adulte. C'est à dire, qu'il ne peut s'inscrire dans une communauté de désir avec l'adulte. Nous
voyons là se profiler le masochisme articulé à la problématique de la dépendance décrite par
Ph. Jeammet (2007). Georges tenterait par l'auto-sabotage de garder un sentiment d'emprise
sur la relation à l'autre, menacé par la dépendance et la proximité de désir avec l'adulte.

320
Sinan donne des récits au TAT qui laissent entendre que le masochisme occupe une
place importante dans son fonctionnement psychique. À l'image 3BM, l'épuisement du
travailleur remplace l'évocation de la perte et l'élaboration de la culpabilité œdipienne. Nous
pouvons faire l'hypothèse d'un procédé masochiste qui consiste à s'épuiser dans l'effort
laborieux plutôt que de ressentir et exprimer culpabilité et perte. Cet épuisement du
travailleur peut aussi être conçu comme une forme implicite de sacrifice pour le patron dans
le cadre d'une relation hiérarchique. À l'image 6BM, Sinan évoque une relation patron-
employé qui se transforme finalement en une relation d' une mère (d'abord désignée comme
patron) qui « fait la morale » à son fils. Là encore, il est possible qu'un certain masochisme
s'exprime sous la forme d'un appel à la punition par une figure maternelle et/ou par le patron,
sanctionnant le fantasme de parricide mobilisé par l'image. Une nouvelle fois, le masochisme
remplacerait la représentation ainsi que l'éprouvé de la perte et de la culpabilité. L'évocation
de passages à l'acte délictueux aux images 7BM et surtout à l'image 16, pose la question du
rapport entre transgression et appel à la punition.

Le couple transgression-punition/exclusion semble particulièrement mis en jeu dans la


relation aux enseignants et/ou dans la représentation de cette relation construite et investie
par la majorité des sujets (Selma, Édouard, Hans, Georges, Naïma, Ibrahim, Sinan, Kevin,
Aurélien, Imen, Oscar, Helder, Yassine, Idir) . Selon certains indices, ce couple transgression-
punition/exclusion serait susceptible d'être mis en lien avec une fantasmatique passive
œdipienne (être coïté par le père phallique œdipien) et/ou homosexuelle masculine, au moins
dans les cas d'Édouard, Hans, Naïma, Ibrahim, Kevin, Imen, Yassine, Selma et Georges.
Il n'est donc pas exclu de supposer que, pour un bon nombre de sujets, la punition par
l'enseignant soit recherchée et fasse l'objet d'une certaine érotisation. Ces observations vont
dans le sens de ce que constatent J. B. Chapelier et C. Matha (2002) à travers leur pratique
des groupes thérapeutiques avec les adolescents. Selon eux « chez l'adolescent, l'opposition
violente aux adultes cherche souvent la punition avec une resexualisation de la relation
œdipienne (de façon inconsciente et détournée) » (p89), le procédé psychique en jeu étant
celui du masochisme moral (voir p126-127). Nous rappelons que, selon J. B. Chapelier et C.
Matha (2002), l'un des motifs principaux de l'adolescent qui recourt au masochisme moral est
de passer d'une position passive de soumission au surmoi à une position active d'appel à la
punition par le surmoi et ses représentants externes, punition devenue source de satisfaction
masochiste. « l'adolescent refuse la culpabilité car elle le soumet au surmoi, ainsi, le plus
souvent il opte pour une érotisation de celle-ci qui lui redonne une position active. Il y a

321
donc là le choix d'une solution perverse pour répondre à la difficulté névrotique à laquelle
l'adolescent est confronté. » (2002, p91).

Nous supposons donc qu'au moins la moitié des sujets ont particulièrement recours à
des procédés masochistes, plutôt de l'ordre du masochisme moral, ceci peut-être
spécifiquement dans le cadre de la relation réelle et fantasmatique aux enseignants.

Nos observations vont dans le sens de l'hypothèse d'un recours au masochisme visant
à préserver une position active à différents niveaux :
- préservation d'un sentiment d'emprise dans la relation à l'autre (Ph. Jeammet, 2000, 2007),
évitant la passivation et la passivité attachée à la perte et à la dépendance.
- position active sous la forme d'un appel à la punition érotisée selon le procédé du
masochisme moral, évitant la soumission passive au surmoi.
- le masochisme serait aussi un mode de liaison de l'excitation (J. B. Chapelier & C. Matha,
2002), évitant ainsi le débordement (passivation) excitationnel qui semble particulièrement
menacer les sujets de notre recherche (voir le chapitre sur le traitement des affects et de
l'excitation).

Resituant le masochisme supposé de ces sujets dans le cadre de la relation à


l'enseignant, il convient, selon nous, de se demander en quoi l'attitude de l'enseignant et plus
largement de l'institution scolaire peut favoriser la mise en scène au sein de l'école de scenarii
sadomasochistes. Si le scénario masochiste du sujet se fonde sur la relation à un objet
persécuteur enseignant, nous nous demandons dans quelle mesure l'enseignant et l'institution
scolaire participent à la mise en scène.
J. Y. Chagnon (2017) attire notre attention sur le sadomasochisme qui, imprégnant
trop la relation élève-professeur, peut participer au processus de décrochage scolaire. Selon
cet auteur, les chercheurs en sciences de l'éducation s'inspirant de la théorie analytique, dans
la perspective d'une étude du processus de décrochage scolaire, « rendront compte des modes
relationnels sadomasochistes et haineux aboutissant à un désinvestissement réciproque, à un
désengagement, lui-même susceptible d'aboutir à une rupture agie/subie. » (2017, p14).
Il décrit ainsi la spirale qui conduit vers le sadomasochisme et la haine : l'élève
« confronté malgré ses efforts (scolaires) à ses lacunes et insuffisances et aux affects qui en
découlent, doit s'organiser pour ne pas se déprimer : fréquemment il le fait en niant sa
propre incapacité et en accusant l'hostilité de l'institution scolaire, solution qui ouvre vers la

322
valorisation par la relation aux pairs , l'agitation et l'opposition à la forme scolaire et aux
enseignants devenus des persécuteurs. » (2017, p18). La relation sadomasochiste élève-
enseignant constituerait donc, au moins pour l'élève, un mode défensif contre la déprime en
milieu scolaire.
Les études de P. Merle (2002, 2003, 2005) sur le pratique de l'humiliation de l'élève
par les enseignants en France posent, selon nous, la question du sadisme comme mode
d'emprise ordinaire de l'enseignant sur les élèves qui, peut-être, ne manquerait pas de stimuler
en retour le masochisme de certains élèves particulièrement excitables. N. Catheline (2017)
souligne d'ailleurs la pertinence de ces études restées, selon elle, trop peu connues. P. Merle
s'intéresse à « l'expérience subjective de l'élève » approchée à partir de « témoignages écrits »
d'un grand nombre d'étudiants (2002) ou de collégiens (2003) sur leur relation avec les
enseignants. Selon lui le recours contemporain à l'humiliation est le symptôme d'une crise au
sein de l'école qui « tient finalement à une difficulté, voire une impossibilité, de « dresser »
(E. Durkheim, 1925) les élèves selon une conception traditionnelle de l'ordre scolaire et à la
perte de légitimité de la règle et de la loi censées assurer la régulation des relations maître-
élèves. » (P. Merle, 2009, p99).
Selon la définition de P. Merle « l'humiliation, sanction diffuse constitue « un fait du
prince » : elle relève de l'arbitraire du maître, elle constitue une modalité de disgrâce ».
Dans ces conditions d'exercice du pouvoir « les sujets n'obéissent pas au règlement mais au
chef, et celui-ci peut librement montrer une inclination ou une aversion personnelle. » (2009,
p100). Il s'agit donc d'un exercice du pouvoir (et de la soumission) qui ne se réfère pas à un
tiers (la loi, le règlement institutionnel, etc...) mais s'origine et se concentre dans la personne
même de l'enseignant. Dans un contexte de crise de la transmission (voir p54-59) et des
principes de l'école républicaine (sous l'effet du néo libéralisme notamment), nous supposons
que l'appui sur, et la référence à, un tiers organisateur du lien entre les générations est devenu
plus difficile pour les enseignants et les élèves. Dans ce contexte le risque nous semble plus
grand d'une dérive vers une pratique enseignante de l'emprise auto-référencée (qui ne se
réfère qu'à soi-même), dont l'humiliation serait un des visages.
A. Sirota (2007) à partir de sa longue expérience « d’analyste auprès d’équipes
éducatives et d’enseignement en établissement scolaire ou dans des groupes de formation
Balint (1957) pour des personnels de l’éducation nationale », suggère l'existence d'un lien
direct entre l'humiliation en milieu scolaire et l'absence d'un espace-temps pour penser en
groupe, autour de la dimension institutionnelle et de ce qui se joue dans les relations
intersubjectives au sein de l'école. Il écrit ainsi que « ne pouvant faire l’objet d’un travail de

323
parole, ce qui reste impensé est passé sous silence (Rouchy, 1978, 1998). Ce qui est ainsi
maintenu méconnu ou objet d’un pacte dénégatif favorise la formation de poches
d’intoxication dans le lien (Kaës, 1987b). Trop souvent, les dispositions imaginées ou
simplement agies pour répondre aux épisodes critiques restent du registre du faire pour faire,
de l’immédiateté estimée nécessaire pour sauver la face, ou ne sont qu’une contre attaque
réactionnelle où l’on cherche à humilier autrui (Sirota, 1999). » (2007, p149).
A. Maurin (2014) et E. Douat (2016) insistent, chacun selon des approches
différentes, sur le recours excessif, selon eux, à l'exclusion dans le système scolaire français
actuel : exclusion de l'établissement, exclusion de cours, exclusion dans des institutions
considérées par les auteurs comme un peu à la marge du système scolaire (ils prennent
l'exemple des classes relais). A. Maurin qui observe la récurrence de « ce type de réponse –
quasi systématique face à la violence de certains sujets – de la part de l’institution, c’est-à-
dire de la part des autres, des adultes », émet l'hypothèse selon laquelle « c’est le corps des
adolescents qui devient le vecteur de la sanction » scolaire. « Cette sanction vise le plus
souvent leur propre violence mais aussi une forme de sensorialité mal considérée par les
adultes-éducateurs et, en particulier, peut-être celle qui s’articule au fait de se mouvoir, en ce
que le mouvement est bien souvent relégué à l’expression de l’agitation ou de l’excitation
sans que ne soit appréhendée sa dimension kinesthésique et proprioceptive. Or, le corps en
mouvement est un corps dont l’érogénéité n’est pas simplement fixée à une zone ou à un type
de sensation mais bien diffuse et diffusée : alliant motilité, mobilité et intentionnalité. C’est-
à-dire que la motricité est un support privilégié à l’expression pulsionnelle mais aussi aux
processus de dégagement de celle-ci et en particulier à la sublimation. » (2014, p760). Ceci
fait directement écho à nos observations qui établissent que la majorité des sujets de notre
recherche recourent particulièrement à la sensorialité (toucher), aux langages du corps (corps
en mouvement ou corps ensommeillé) et de l'acte, souvent dans une mise en scène alliant le
geste et la parole. Se pose alors la question de savoir comment l'institution scolaire est
capable d'accueillir et de cadrer l'activité de création des sujets qui mettent particulièrement
(mais pas exclusivement) à contribution le langage du corps, les expériences sensorielles et
convoquent la réponse de l'adulte.
Compte tenu de ces observations concernant l'humiliation et l'exclusion, nous nous
demandons s'il n'y a pas au sein de l'institution scolaire et de la relation enseignant-élève
contemporaines, un terreau particulièrement favorable au fleurissement de scenarii
adolescents héroïques ou de martyre. Scenarii qui semblent imprégner le discours de bon
nombre des sujets de notre recherche.

324
Ph. Gutton et J. Bordet (2014) insistent par ailleurs sur le fait que ces scenarii sont
particulièrement susceptibles de se développer dans un contexte institutionnel et sociétal de
méconnaissance, voire de disqualification par les adultes des aspirations personnelles et
communautaires des adolescents. Selon eux, les institutions chargées de l'éducation scolaire
des adolescents participent de la transmission d'une représentation excessivement stéréotypée
de l'adolescent et de l'adolescence à laquelle les adolescents sont tenus de se conformer (Ph.
Gutton et J. Bordet, 2014, p153-154). Un tel contexte institutionnel favoriserait l'apparition
de certaines pathologies adolescentes toutes liées au défaut de développement d'une activité
créative identitaire et subjectale adolescente. Quand le poids des stéréotypes uniformisants se
fait trop lourd pour l'adolescent celui-ci s'orienterait principalement vers trois profils de
développement psycho-social présentés par J. Bordet comme « trois modèles
anthropologiques » : « 1) l'adolescence repliée dans le renoncement, la victimisation et la
précarité » « 2) l'adolescence héroïque, révoltée » « 3) l'adolescence prise dans les mailles et
les affres de la conformité » (2014, p148).
Les sujets de notre recherche nous semblent correspondre plutôt aux deux premiers
profils avec une dominance pour le deuxième. Par leur attitude ils mettent l'institution
scolaire face à de nombreuses questions difficiles, formulées ainsi par Ph. Gutton :
« comment l'adolescent conçu comme élève peut faire son adolescence au mieux ou au pire ?
Comment la vie scolaire se doit-elle de méconnaître pour la contenir de façon obligée
institutionnellement la spontanéité participative et quand (en particulier dans les
orientations et les échecs) doit-elle la reconnaître ? Quand et comment une certaine remise
en cause des schémas de l'organisation et de l'évaluation de la compétence est-elle
souhaitable lors des difficultés d'adaptation scolaire ? Comment le temps protocolaire
s'impose-t-il aux temps subjectaux ? Comment le « on » institutionnel méconnaît-il le
« nous » adolescent et en quels temps ce système nécessaire ne marche-t-il pas, etc. ? »
(2014, p153).

Ces différentes réflexions nous conduisent vers l'abord de la relation entre l'institution
scolaire et les sujets de notre recherche pré-adolescents et adolescents. Le recours à
l'exclusion de la classe ou de l'établissement pose la question du processus qui peut mener
vers un accord tacite pour une exclusion mutuelle, conduisant vers la conclusion
communément admise que ''l'école ce n'est pas pour moi (fréquemment énoncé par les
élèves) /lui (énoncé implicitement par l'institution ?)''. M. Millet et D. Thin (2005) observent
un mouvement de rejet réciproque à l’œuvre entre adolescents inscrits en classe relais et

325
institution scolaire qui s'exprime en premier lieu dans le rapport enseignants/élèves. Rejet
réciproque « des collégiens par l'institution scolaire et de l'école par les collégiens, dans une
sorte d'hostilité partagée » (2005, p197). Compte tenu de ce que nous repérons dans le
discours des sujets, il nous semble important d'envisager la dynamique sadomasochiste qui
peut participer de la mise en place d'une telle exclusion mutuelle. Le sentiment d'être exclus
(exclusion au fond de la classe, exclusion du champ de la parole, pas entendu) ou abandonné
à son sort (celui de l'échec scolaire) est prégnant dans le discours des sujets.

Dans l'éventualité où les sujets de notre recherche feraient effectivement l'objet d'une
exclusion de la part de l'institution, qui se joue en premier lieu dans la relation à l'enseignant ;
nous pouvons considérer que leurs comportements transgressifs entrent dans une certaine
mesure dans le registre de la révolte héroïque contre l'exclusion et l'oppression. Sur le plan de
la dynamique activité-passivité, l'exclusion par l'institution favoriserait le procédé psychique
selon lequel il s'agit d'être en position active de héros, martyr, ou de celui qui réussit dans
l'échec (auto-sabotage), plutôt qu'en position passive de subir l'exclusion institutionnelle et la
mise en échec qui en découle. Se faire exclure plutôt qu'être exclu.
A travers le discours des deux enseignantes de classe relais nous repérons des
éléments qui évoquent directement et indirectement l'exclusion, et la stigmatisation des
élèves inscrits en classe relais, par l'institution scolaire. C'est également l'institution classe
relais elle-même qui nous semble parfois ''mise au banc'' du système éducatif.

4. Symptômes de l'exclusion et de la stigmatisation à travers le discours des enseignantes de


classe relais :

Les deux enseignantes Madame B et Madame K nous font part de leur sentiment que
les élèves de classe relais font l'objet d'un traitement discriminatoire et stigmatisant de la part
de l'institution scolaire et de ses acteurs adultes.
Selon Madame B, bien souvent les sujets inscrits en classe relais arrivent déjà
marqués profondément par « l'écriteau mauvais élève » qui tendrait à dériver vers le
qualificatif « mauvaise personne », ce qui les empêche de « croire à un avenir modifiable ».
Certains acteurs de l'institution scolaire participeraient de cet étiquetage sclérosant. Madame
B nous dit ceci : « C'est extrêmement compliqué j'ai l'impression la relation à …[la réussite]
à la réussite et à … [oui ?] à croire à un avenir modifiable. Parce qu'en fait, ça a un rapport
avec le ressenti du prof. Euh... ! ce sont des élèves qui sont à un moment donné définis

326
comme des mauvais élèves soit dans leur acquisition des savoirs, soit dans leur
comportement. En fait s'ils sont mauvais au niveau des savoirs, ils vont s'agiter parce qu'ils
vont s'ennuyer ou avoir peur de s'y mettre quoi. Donc ils s'agitent, donc on mélange le
travail que produit l'élève à la personnalité de l'élève et ça c'est difficile parce que après ils
ont cet écriteau mauvais élève, mauvaise personne, et pour donner raison à l'adulte ils vont
montrer l'éventail de leurs capacités entre guillemet dite mauvaises quoi. » (L46-57).
Dans la continuité de cette remarque, elle nous dit également repérer une tendance de
certains enseignants à accuser les élèves en difficulté sur le plan des apprentissages et du
comportement, de le faire « exprès ». Selon cette conception il ne tiendrait donc qu'au bon
vouloir de l'élève de changer. Madame B : « Voilà donc euh ... le sentiment d'être mauvais ils
l'ont en général depuis longtemps et il peut être aussi lié à l'administration parce que c'est
des élèves qui ont souvent eu affaire à des sanctions. Donc mauvais va de pair au niveau du
comportement et du travail. La notion aussi de « il fait exprès », donc il n'y a pas de recul de
la part des enseignants des collèges d'origine. [ah oui ?] « Il le fait exprès ». donc euh, c'est
attribuer bien peu de chance pour modifier la situation. » (L76).
Elle nous fait part de son sentiment que les élèves de classe relais sont sous la
pression d'une attente forte de la part du collège d'origine porteur d'un « discours … qui
enfonce » : « disons qu'ils sont tellement attendus par les élèves et par les profs. Ils sont
tellement attendus. Donc « tu vois on t'a offert des trucs et ça marche pas, tu reprends le
même comportement » enfin vous voyez le … discours récurrent qui enfonce, que c'est très
très difficile de rester la tête hors de l'eau quoi. » (L418-421).
Madame K évoque une tendance à cataloguer les élèves inscrits en classe relais
comme « irrécupérables » et ces élèves nourriraient une forte attente qu'on les considère
autrement. « J' pense que ça vient du fait aussi que beaucoup de nos élèves, comme ils ont
des problèmes scolaires et comme ils ont des problèmes de comportement, ils sont souvent
exclus de classe ou ils sont souvent mis de côté. Parce que c'est des irrécupérables et on va
pas perdre du temps avec des irrécupérables et on va s'occuper de ceux avec qui on a une
chance de faire aboutir quelque chose. Donc quand ils viennent ici ben ils attendent que ça
change et qu' on les reconnaissent avec leurs qualités, parce qu' ils estiment qu'ils ont des
qualités. Ils ne s'estiment pas complètement mauvais, la seule chose qu'ils veulent c'est le
montrer. » (L492-498).
Madame K et Madame B remarquent toutes deux que les élèves de classe relais sont
traités de façon discriminante au sein de l'établissement scolaire d'accueil (établissement dans
lequel est intégré la classe relais), ce qui nous donne le sentiment qu'ils font l'objet d'une

327
exclusion institutionnelle qui ne dit pas son nom, ceci au sein même de l'établissement qui est
censé les accueillir. Au-delà des élèves c'est le projet même de classe relais qui nous semble
mis à mal par le fonctionnement institutionnel de ces établissements scolaires.
Madame K nous apprend que les élèves de classes relais sont parfois intégrés dans des
classes, disons standards, pour suivre certains cours (surtout des cours de sport) au sein de
l'établissement scolaire d'accueil. Dans le cadre d'un échange informel, elle nous fait part du
sentiment que les enseignants sont moins indulgents avec les élèves inscrits en classe relais
qu'avec les autres élèves. La moindre transgression de la règle serait prétexte à les exclure du
cours et les renvoyer en classe relais. Madame K remarque ainsi qu' elle a dû insister pendant
6-7ans pour que les élèves de classe relais puissent aller en récréation en même temps que les
autres élèves . Selon Madame K, aucune raison claire n'a jamais été formulée pour justifier ce
décalage et, d'une certaine manière, cette exclusion des élèves et de la classe relais elle-même
de ce temps commun de partage récréatif. Lorsque nous lui demandons pourquoi ce décalage
des récréations, elle nous répond : « c'était une habitude comme ça, on fonctionnait comme
ça. Moi quand je suis arrivée, ça fonctionnait comme ça. La plupart des classes relais
fonctionnaient comme ça. Euh.. et puis pas beaucoup se posaient de questions. Après on a
commencé à se poser des questions et certains établissements on trouvé normal que les
élèves (de classes relais) aillent avec les autres élèves en récréation et d'autres
établissements ont dit non. C'était le cas du nôtre, euh.. ! Donc moi pendant plusieurs années
j'ai essayé de convaincre. J'ai fini par convaincre un principal. » (L30-35). Madame K a
donc finalement obtenu gain de cause, mais elle souligne que cet acquis reste fragile et à
défendre, car il lui semble que certains adultes attendent la moindre occasion pour réclamer
l'exclusion des élèves de classe relais du temps commun de récréation. Elle évoque « une
épée de Damoclès » suspendue au dessus de la tête des élèves de classe relais. Voici la
situation telle qu'elle en parle : « On a fait des essais (de récréation commune) mais dès qu'il
y avait un problème. Si vous voulez, il y a toujours des problèmes avec les élèves ! Même les
élèves qui ne sont pas de classe relais ! Y a des bagarres, il y a des conflits, il y a des
mauvais comportements. Même avec les élèves qui sont pas en classe relais. Mais les élèves
qui ne sont pas en classe relais, on va leur faire un rapport et cætera, mais on ne va pas dire
ils n'iront plus en récréation avec les autres. Euh … mais nous, c'est arrivé, il y a très peu de
temps. Il y a eu un conflit de balle. Euh soit disant, c'est certainement vrai d'ailleurs, nos
élèves avaient pris la balle à d'autres élèves. Bon, des élèves de sixième, et ils avaient
d'abord joué pour pas leur redonner, puis ils l'avaient jetée et un élève inconnu après avait
pris la balle et on retrouvait plus la balle. La menace qui est venue immédiatement par la

328
surveillante, c'est puisque c'est comme ça, ils ne vont plus avoir le droit d'aller en cours de
récréation. On va leur interdire. C'est illégal d'interdire à des enfants... de pas avoir de
récréation. On nous dit « ben oui, c'est illégal, mais si vous les mettez tout seul » (en
récréation). Oui sauf qu'on est pas dans un zoo ![Oui] Hein ! Sauf qu'on est pas dans un
zoo ! Euh ! bon c'est pas. J'ai anticipé tout de suite la situation. J'ai parlé avec des élèves et
la situation est revenue dans l'ordre. Mais il y a toujours cette épée de Damoclès. » (L35-50).
Madame K constate que nombreux sont les élèves de classe relais qui préféreraient
rester en classe pendant la récréation, ce qui nous conduit à nous demander si ce
comportement ne traduit pas une tendance à s'auto-exclure de ce temps commun institué.
« [J'ai repéré que pendant les récréations il y avait euh … ! Pas mal d'élèves qui … comment
dire... préféraient rester en classe ou …] Oui, oui, ils cherchent toujours, alors encore là, on
est en période pratiquement d'été maintenant. Enfin on a un temps d'été. Euh … c'est moins
fréquent, mais en période hivernale, alors là c'est systématique ! Ils ne veulent pas quitter la
classe ! Mais même à cette période, vous avez vu là ils sont rentrés, il y en a un il m'a dit
« ben moi j' préfère me mettre au travail plutôt que d'aller en récréation ». Ça j'ai pas encore
réussi à comprendre pourquoi. L'hiver je comprend. Ils n'ont pas envie de se faire mouiller,
on a l'impression qu'ils sont en sucre. Euh … le froid ils ne le supportent pas. Tous les autres
élèves, ça ne leur pose aucun problème, et les nôtres, c'est pour eux … insupportable.
Insupportable ! Donc euh... et je comprend pas pourquoi. Donc on a beaucoup qui veulent ...
alors ils proposent de faire des jeux, ils proposent de faire du ping pong (il y une table de
ping pong dans la classe relais), il y en a même qui iront jusqu'à proposer de finir leur
travail ! [D'accord] Voilà, oui, mais c'est fréquent. C'est très fréquent. Mais beaucoup plus
en période hivernale qu'à cette période là. » (L58-72). Le discours de Madame K rend
compte d'une inscription fragile des élèves de classe relais dans ce temps institutionnel de la
récréation. Cette inscription fragile peut être considérée comme la résultante d'une réciprocité
entre exclusion par l'institution (l'établissement scolaire d'accueil) et tendance à l'auto-
exclusion des élèves.
Nous retrouvons cette problématique de la récréation à l'occasion d'un échange informel avec
Madame B qui fait suite à l'entretien enregistré. Nous abordons le sujet du rapport de la
classe relais et des élèves de celle-ci avec la direction de l'établissement. Nous n'entrerons pas
dans les détails, mais Madame B fait état de rapports très problématiques et nous fait
clairement part de son sentiment que la classe relais ainsi que les élèves qui y sont inscrits
font l'objet d'un rejet de la part de la direction. Elle nous dit qu'elle ne sait pas si la classe
relais va pouvoir perdurer dans cet établissement.

329
Concernant le temps de récréation, la direction de l'établissement a décidé de décaler
les horaires de récréation des élèves inscrits en classe relais, ceci, sans fournir de raisons
claires d'après madame B.
Madame B et madame K évoquent chacune une certaine organisation institutionnelle
qui tend à exclure les élèves du temps commun du repas de midi et de l'espace commun
attaché à ce temps.
Madame B nous dit que les élèves de classe relais sont isolés spatialement pendant le
temps de cantine, ne pouvant se joindre aux autres élèves, et payent le repas plus cher . Elle
nous dit que les familles qui bien souvent ont peu de revenus, payent le prix du repas d'un
adulte. Madame B a dénoncé ce traitement jugé discriminatoire auprès de sa hiérarchie.
Madame K note que les élèves de classe relais n'ont pas de carte de cantine et doivent
se présenter systématiquement à la cantine accompagnés de l'adulte relais. En association
avec ce constat elle parle de stigmatisation : « c'était, il y avait un peu de stigmatisation. Faut
reconnaître. Un groupe qui arrive euh.. même encore maintenant quand ils arrivent avec une
personne identifiée... et qui fait en plus que de la surveillance (elle parle de l'adulte relais).
Euh... parce que avant on pouvait dire qu'on partageait quelque chose ensemble. On
discutait avec eux et cætera y avait un côté convivial … maintenant y a plus du tout de côté
convivial on arrive c'est purement administratif, c'est pour qu'ils aient un plateau euh.. et
après l'adulte relais enfin le CUI s'assoit à côté et puis de temps en temps pousse un cri
quand ils se comportent mal quoi. Voilà bon, c'est vrai que ça peut gêner certains élèves et
ils peuvent avoir l'impression qu'ils sont mis à l'index, qu'ils sont stigmatisés. Ce qui n'est
pas complètement faux. Mais comme je vous disais, avant les élèves ne pouvaient pas aller
en cour de récréation avec les autres. » (L15-24).
Dans le cadre d'un échange informel, Madame K remarque par ailleurs que les élèves
de classe relais ne sont pas inscrits dans la liste des élèves de l'établissement d'accueil et n'ont
pas de carnet de correspondance. Cela n'a pas toujours été le cas et a fait suite, selon elle, à la
réduction de la durée d'une session d'accompagnement en classe relais. Lorsque la session a
été réduite à sept semaines, la direction de l'établissement a choisi de ne plus inscrire les
élèves de classe relais dans la liste des élèves de l'établissement. Elle a tendance à penser que
l'institution les considèrent comme « de passage » au sein de l'établissement, donc non sujets
à être inscrits officiellement au sein de l'établissement.
Nous relevons un autre point qui pose problème dans deux des trois classe relais que
nous avons fréquentées, c'est la question de l'entretien et de la propreté des locaux.

330
Dans le cadre d'un échange informel, Madame K se plaint du fait que le ménage n'est
pas fait comme il se devrait dans la classe relais. L'agent d'entretien ne laverait que le sol, ne
s'occupant pas de nettoyer les tables et vider la poubelle. Ce serait bien souvent Madame K
qui s'occuperait de ces quelques tâches ménagères. Madame K nous dit que pendant 2 ans
l'agent d'entretien a refusé de faire le ménage dans la classe relais sans que la direction de
l'établissement n'intervienne. Elle ne peut pas nous expliquer la raison de ce refus.
Dans une autre classe relais, cela fait plus d'un an que l'agent d'entretien refuse de
faire le ménage et nous n'avons pas pu connaître les raisons de cette situation éminemment
problématique. L'enseignante et l'éducatrice de classe relais reprochent à la direction de
l'établissement leur immobilisme. Après plusieurs mois sans passage de l'agent d'entretien,
l'enseignante et l'éducatrice décident de ne plus pallier son absence en arrêtant de laver le sol,
estimant que ce serait cautionner une situation intolérable et que ce n'est pas là leur fonction.
Nous constatons la dégradation de la propreté du sol au fur et à mesure de nos passages. La
situation en arrive même à ce que l'insalubrité des locaux motive un déplacement de la classe
dans une autre pièce de l'établissement manifestement pas adaptée pour le bon déroulement
du travail en classe relais. Nous avons déjà rapporté cette scène où la classe nous a semblé
particulièrement agitée par rapport à l'ambiance habituelle et les élèves peu enclins à se
mettre au travail (voir p300-301). La réponse est claire lorsque nous demandons à un élève
pourquoi ils ont changé de local : « parce qu'en bas c'est sale, ils ne font pas le ménage ». Le
droit à des locaux propres qui touche directement, nous semble-t-il, à la dignité humaine, ne
serait donc plus garanti par l'institution étant donné qu'aucune solution n'a pu être trouvée ou
cherchée pour remédier au refus des agents d'entretien d'exercer leur fonction dans l'espace
de la classe relais. Perdant l'appui du cadre institutionnel sur ce point, les professionnels
tentent de trouver des solutions par eux-mêmes, nous avons le sentiment qu'ils se
''débrouillent'' comme ils peuvent.
Nous supposons que cette situation est propice au sentiment, partagé par les élèves et
les professionnels de la classe relais, d'être exclus dans une zone de non-droit (droit à la
propreté), aménagée au sein même de l'établissement. Dans ce cas nous pourrions peut-être
parler d'exclus de l'intérieur. Nous supposons également que la saleté des locaux favorise
l'identification des jeunes du côté du rebut du système scolaire ou de la société, il s'agira alors
de bien jouer son rôle de ''sale gosse'' ; cela favoriserait aussi la résignation ou, à l'opposé, la
révolte justifiée contre l'institution qui les traitent ainsi. Toutes ces orientations engageraient
un (c)ancrage identitaire des jeunes du côté de l'exclus, ancrage partagé dans une certaine

331
mesure par les adultes, car exerçant dans une structure (la classe relais) maltraitée ou
déconsidérée.
Madame K et madame B constatent chacune que l'orientation en classe relais est
souvent présentée au jeune comme la seule alternative à l'exclusion de l'établissement. De ce
point de vue nous pouvons considérer que l'élève a peu ou pas de choix, et que cette
orientation constitue d'emblée aux yeux du jeune, comme des adultes, un moyen-terme, un
entre deux implicite entre exclusion de l'établissement et maintien dans le champ scolaire.
Madame K nous dit que le retour d'un élève en classe relais, après un essai de
raccrochage échoué dans son établissement scolaire d'origine, lui est souvent présenté
comme la seule alternative à l'exclusion du système scolaire. Elle nous dit ainsi : « Ils ont
envie d'être comme les autres de pouvoir réintégrer une classe comme les autres. Ça marche
pas toujours parce que nous souvent on nous rappelle (les collèges rappellent après une
session en classe relais), « est-ce-que vous nous le reprendriez ? C'est ça ou c'est
l'exclusion. » » (L504-508). Madame B note qu' assez fréquemment l'orientation en classe
relais est directement présentée comme une sanction par l'établissement scolaire de l'élève, ce
qui aurait, selon elle, un effet délétère sur la possibilité de s'intégrer, se saisir du travail et du
cadre proposé par la classe relais. « Il y en a pour qui dans le dossier de candidature, euh ,
les sanctions par rapport à l'élève sont notifiées « sanction : classe relais » [sanction classe
relais ! D'accord] Donc certains arrivent. Euh … ! pour tous, leur discours c'est « on m'a
forcé à venir ». Donc moi je répond c'est embêtant parce que vous avez signé que vous étiez
d'accord et en plus vous avez mis une phrase sur vos motivations. Donc en général il y a
majoritairement un petit sourire gêné, et il y en a quand même un bon tiers pour dire « ah !
oui mais on m'a forcé, on m'a dicté la phrase ». et je pense que pour certains c'est une
réalité. Donc ces élèves là pour eux c'est très difficile de s'intégrer, de … s'emparer en fait du
dispositif de classe relais pour mieux aller, parce que de toutes façons ils sont déjà mis à
part.» (L374-383).
La question que pose ces remarques est celle de l'utilisation néfaste de la classe relais
comme espace d'exclusion à la marge du système scolaire, exclusivement et explicitement
associé à la sanction du trouble à l'ordre scolaire.
Cette question fait écho au point de vue de plusieurs auteurs dans le champ des
sciences sociales (A. Maurin, 2014 ; G. Longhi, 2011 ; D. Thin et M. Millet, 2003) selon
lequel l'orientation en classe relais participe souvent d'une forme d'exclusion de l'intérieur,
dans le cadre d'« un traitement institutionnel du désordre scolaire » (D. Thin et M. Millet,
2003). G. Longhi parle de « relégation scolaire » des décrocheurs (2011, p182). D. Thin et

332
M. Millet (2003) estiment que les classe relais remplissent plus une fonction de
« déscolarisation encadrée » que de raccrochage scolaire. A. Maurin évoque l' « exclusion en
relais » (2014, p759) comme une des modalités d'exclusion du système scolaire.
Nos différentes observations tirées du discours des élèves et des deux enseignantes
concourent à rendre plausible l'hypothèse selon laquelle il existerait une tendance à
l'exclusion réciproque entre certains adolescents ou pré-adolescents et l'institution scolaire.
Nous supposons qu'un tel phénomène se joue d'abord dans la relation aux enseignants. Nous
supposons également que de telles conditions compromettent la création identitaire
adolescente dans la mesure où l'affiliation à l'institution scolaire ne constitue plus ou pas
suffisamment un étayage pour cette création. Nous notons cependant certains indices qui
indiquent que les sujets de notre recherche, et plus généralement les élèves de classe relais,
peuvent et désirent s'investir dans des activités avec l'adulte dans un cadre scolaire qui nous
semble mobiliser la création subjectale. Le dispositif classe relais bien investi par la majorité
des sujets rencontrés nous semble permettre à une telle activité de se déployer.

5. Investissement d'une création encadrée par l'adulte en milieu scolaire … et ailleurs :

5.1. Demandes de débats et de discussions groupales encadrés par l'adulte :

Ibrahim, nous l'avons vu, aime les cours d'un enseignant de technologie qui, avant de
commencer chaque cours, propose un temps de discussion autour de certains thèmes
d'actualité. Nous relevons par ailleurs, dans le discours de plusieurs sujets, la demande d'un
échange plus spontané, moins formalisé avec l'enseignant dans lequel on peut se permettre de
« blaguer ». Nous avons relevé, dans la forme pédagogique en classe relais, l'utilisation du
débat d'idées ou de discussion, encadré par l'enseignant, où chaque élève peut laisser libre
cours à ses associations, à partir d'un thème proposé par l'enseignant la plupart du temps,
parfois par les élèves. Nous avons assisté et participé à un échange de ce type en classe relais
au cours duquel Sinan et Ibrahim ont livré des éléments un peu personnels qui concernaient
leur vie hors de l'école.
Voici la séquence de l'échange telle que nous avons pu la retranscrire partiellement :
La scène se passe après la récréation de l'après midi.
Initialement plusieurs élèves parlent de scooter puis de courses poursuites avec la
police. Ibrahim se vante d'avoir déjà conduit plusieurs fois des voitures et serait même déjà
passé devant le collège au volant d'une voiture. L'enseignante réagit en disant que si une

333
certaine personne X (nous pensons qu'il s'agit d'un médiateur de quartier ou d'un éducateur)
le savait, il serait fortement réprimandé. L'enseignante tente d'orienter la discussion vers le
permis de conduire. Ibrahim remarque que le permis de conduire algérien n'est pas valable en
France et que ce serait le cas de la plupart des diplômes obtenus en Algérie. Il prend
l'exemple du diplôme de médecin. L'enseignante critique avec bienveillance la façon de
conduire en Algérie et dit trouver normal que les personnes venant d'Algérie doivent repasser
le permis de conduire.
Sinan associe en parlant de l'absence de signalisation routière dans la région de
Turquie dont ses parents sont originaires. Il en vient à dire que, pour lui, la Turquie est
troisième dans son classement des plus beaux pays du monde. Nous demandons quels sont
les deux premiers. Il répond l'Inde en premier parce qu'il aurait vu des images sur google qui
l'auraient fortement impressionné, et ne peut pas dire quel pays est à la deuxième place.
L'enseignante et les élèves parlent de Marseille. Sinan dit que sa grand mère vit la-bas
depuis quelques mois et qu'elle est déjà confrontée à un problème d'infiltration d'eau dans son
nouveau logement. Il pense que son père qui travaille dans le bâtiment va pouvoir remédier à
ce problème pendant ses jours de congés. Sinan en vient à dire que son père parle mieux
français que sa mère mais que celle-ci fait de gros progrès. Nous n'avons pas pu noter selon
quel déroulement associatif Sinan est parvenu à ce sujet.
La discussion dérive vers l'émission de télé réalité Koh Lanta. L'enseignante évoque
une scène où une cabane ayant été mal construite manque de s'effondrer sur une femme
participante sauvée in-extremis par l'intervention d'un homme. Sinan demande ce que
gagnent les vainqueurs, et en réponse certains élèves énoncent une somme d'argent. Sinan dit
que son père devrait s'inscrire. Nous lui demandons s'il pense que son père peut gagner à ce
jeu parce qu'il est bon constructeur (il travaille dans le bâtiment) et bricoleur. Sinan
acquiesce. Son idée serait, entre autres, nous semble-t-il, que son père serait capable de
construire des cabanes solides, qui ne s’effondreront pas sur les participants faisant partie de
son équipe.
Nous nous sommes centré sur les interventions de Sinan, d'Ibrahim et de l'enseignante
dans la discussion de groupe mais d'autres élèves ont participé à l'échange. Nous n'avons pas
pu garder en mémoire les interventions de ces derniers, c'est pourquoi ils ne figurent pas dans
notre retranscription des échanges. L'atmosphère de l'échange nous a semblé proche de
l'association libre en groupe. Certains élèves n'intervenaient pas dans l'échange, semblant se
mettre à l'écart du groupe, en ne prêtant, a priori, pas attention à ce qui se disait . Ils se
mettaient à l'écart d'une certaine manière par leur positionnement spatial, au fond de la classe.

334
Sinan et Ibrahim manifestent donc une appétence pour un certain type d'activité
groupale, encadré par l'adulte dans l'espace scolaire, qui nous évoque l'association libre à
partir d'une pratique de la parole en groupe.
Nous avons pu constater à partir de nos interventions en classe relais pour présenter
notre recherche, que les élèves exprimaient un désir d'échanger avec nous autour du sens de
notre démarche, et de différents thèmes comme notre fonction de psychologue, notre statut
d'étudiant et notre parcours scolaire. Ils manifestaient ainsi un fort désir de faire
connaissance. Nous faisons un lien entre ces échanges en situation groupale et un éventuel
désir de s'inscrire dans un débat de groupe dans la relation à un adulte.
Voici les différentes remarques et questions posées au cours de plusieurs
interventions :
• Intervention 1 :
un élève A exprime sa croyance démentie par notre présentation qu'un chercheur en
psychologie est un philosophe. Sa définition du philosophe renvoie plutôt au métier
d'archéologue nous semble-t-il. Un autre élève B nous demande si, étant donné que nous nous
présentons comme étudiant, nous ne devrions pas être en cours. En réaction à cette remarque
nous précisons que nous exerçons par ailleurs le métier de psychologue en CMPP et en
milieu carcéral . L'élève B réagit en disant que si nous le rencontrons plus tard en prison,
nous serons son avocat. L'enseignante précise que nous sommes psychologue et non avocat.
Nous demandons s'ils ont des questions. Un élève C nous demande si nous aimions le collège
et un autre nous demande si nous étions en réussite sur le plan des apprentissages et quelle
moyenne nous avions. L'élève B conclut cet échange en disant « et maintenant vous êtes
riches ». Nous lui répondons : « pas particulièrement mais je fais un travail qui me plaît ».
Des élèves nous demandent combien nous gagnons en terme de salaire et l'enseignante
détourne la conversation vers le sujet du salaire des enseignants.
• Intervention 2 :
une élève dit voir dans notre démarche une façon détournée, insidieuse de leur faire
rencontrer un psychologue. Nous tentons de la rassurer. La discussion s'oriente vers la
question de la recherche et du chercheur. Un élève nous demande si nous avons déjà trouvé
quelque chose à l'issue de notre recherche. Nous répondons que nous n'avons pas encore
rencontré suffisamment de sujets. Un autre élève dit qu'il nous imagine chercheur dans une
grotte donc plus du côté de la spéléologie. Un autre élève réagit vivement en disant « en fait
on est des cobayes. ». Nous répondons en insistant sur le fait qu'ils ont le choix de refuser ou

335
d'accepter de participer à la recherche et que cela peut constituer une expérience intéressante
pour eux.
• Intervention 3 :
un élève nous fait cette remarque suite à notre présentation, « vous êtes vieux pour
être étudiant ! ». Nous sommes amené à dire que nous souhaitons être chercheur, et un élève
nous demande ce que c'est qu'être chercheur. Un élève nous demande si nous faisons passer
des tests de QI. En réaction, un autre élève exprime l'opinion selon laquelle il n'y a pas de
surdoué dans cette classe. L'enseignante et nous-même soulignons qu'il arrive fréquemment
que les élèves identifiés comme surdoués rencontrent des difficultés scolaires. Un élève en
plaisantant, nous semble-t-il, dit qu'il pense être surdoué. Un élève nous demande si nous
allons écrire un livre et, si nous écrivons un article, dans quel journal il sera publié.
• Intervention 4 :
après présentation de notre recherche un échange se lance autour du ''bonjour''.
L'enseignante souligne que le simple fait de dire bonjour aux enseignants pourrait améliorer
leur relation avec eux. Un élève D insiste sur le fait que les enseignants ne disent jamais
bonjour, approuvé en cela par deux autres élèves. Le même élève D dit « et si on aime pas
l'école. ». Il nous semble que l'élève D tente ainsi de faire passer le message que ses
difficultés scolaires se résument au fait qu'il n'aime pas l'école. Ce même élève D nous dit
que quand il lève la main les enseignants ne font pas attention à lui, ne l'interrogent pas. Un
élève demande s'il va retrouver les mêmes enseignants quand il réintégrera son établissement
de rattachement l'année prochaine. Il pense que si c'est le cas, les relations problématiques
vont se répéter. Une élève F nous dit « en fait vous étiez comme nous. », « vous aimiez pas
les profs .». En réponse à cette remarque, nous disons que notre relation avec les enseignants
au collège n'a pas toujours été facile et nous tentons d'expliquer ce qui est venu nourrir notre
intérêt pour ce sujet de recherche. Un élève H demande si nous sommes payé pour faire notre
recherche et nous demande si nous serons riche à l'issue de notre travail. Nous répondons que
la finalité de notre étude est de pouvoir faire de la recherche dans le domaine de la
psychologie. Un élève T demande si nous allons écrire un livre. Nous lui répondons que nous
allons effectivement produire un écrit. Nous sommes amené à dire que nous sommes
psychologue et l'élève F dit « j'aime pas les psychologues ! » puis ajoute « vous je vous aime
bien. Vous êtes un bon mais j'aime pas les psychologues ! ». Un élève réagit en disant « on
est pas fou ! ». L'élève F nous demande si nous rencontrons un psychologue. Nous répondons
que nous rencontrons régulièrement un psychologue notamment pour parler de notre

336
pratique. L'élève F en tire la déduction que si chaque psychologue se fait suivre par un
psychologue cela crée une chaîne qui n'en finit pas (il y a le psychologue du psychologue lui-
même psychologue d'un autre psychologue, ainsi de suite). Nous notons que le même type de
question de savoir si nous nous faisons suivre par un psychologue nous a été posé par un
autre élève dans une autre classe relais.

Toutes nos interventions en classe relais pour présenter notre recherche n'ont pas
débouché sur des échanges aussi riches, mais ces quelques situations témoignent, nous
semble-t-il, du désir de nombreux élèves accueillis en classe relais d'échanger verbalement
avec l'adulte à partir d'un thème proposé.
Madame K (enseignante) constate un engouement des élèves de classe relais pour le
débat en situation groupale et aménage en conséquence un temps de débat chaque matin.
« [Est ce que les élèves de classe relais ont des demandes comme ça de travailler des trucs
ou de faire des débats ?] Oui, oui. Euh ben, je ne l'ai pas fait beaucoup cette année mais les
autres années tous les matins quand ils arrivent pour les poser un petit peu. Parce que
souvent ils arrivent un peu en vrac soit parce qu'ils n'ont pas beaucoup dormi la nuit parce
qu' ils sont restés sur les jeux, ou au téléphone ou devant l'ordinateur, et cætera. Ou alors ils
se sont déjà pris la tête dans le train avec un contrôleur parce qu'ils n'avaient pas de titre de
transport ou avec leurs parents. Enfin ils arrivent déjà avec un bagage de problèmes, donc
plutôt qu'ils continuent de s'énerver, donc on se pose et on prend un fait, qu'est-ce-qu'il s'est
passé dans l'actualité. Est- ce -que vous avez regardé les actualités? alors ça peut être
quelque chose de sportif, ça peut être quelque chose de politique. Donc on en discute, c'est
assez intéressant d'écouter tout ce qu'ils pensent. » (L249-259).
Madame K s'inscrirait ainsi dans la continuité des pratiques pédagogiques d'un bon
nombre d'enseignants de classe relais qui selon les études de la DEPP – Direction de
l’Évaluation, de la Prospective et de la Performance - (2014, 2013) donnent une place
centrale au dialogue dans leur méthode pédagogique. D'après les résultats de leur étude
publiée en 2013, au moins 166 enseignants sur 601 interrogés par voie de questionnaire
accordent une place importante au dialogue dans leur pratique pédagogique auprès des élèves
accueillis en classes relais. Parmi eux, 71 enseignants défendent le point de vue selon lequel
« Le dialogue, le cours dialogué, les échanges et/ou la participation orale des élèves
activement sollicitée par l’enseignant sont souvent liés à la mise en confiance des élèves, à
leur valorisation et au maintien de leur intérêt » (2013, p110).

337
Plusieurs éléments de nos résultats indiquent que les sujets recherchent un échange
avec l'adulte marqué par le déploiement d'une parole libre, et d'une réelle écoute de la part de
l'adulte, dans un cadre groupal …mais aussi dans le cadre de la relation duelle.

Plusieurs sujets semblent pouvoir investir et être demandeurs d'un échange constructif
dans la relation duelle avec l'adulte. Naïma, comme nous l'avons montré précédemment (voir
p305), prend d'une certaine manière les devants dans la prise de contact avec nous, en nous
disant « bonjour » dans la cour de récréation. Elle se montre volontaire dans sa participation
à la recherche et livre des choses personnelles, mais de façon adaptée dans le cadre des
entretiens de recherche. Elle nous confie ainsi, lors de la troisième rencontre, qu'elle vit
actuellement chez sa tante (c'est en fait la cousine du père et la « meilleur amie » de sa mère).
Elle nous dit que cela fait plus d'un an qu'elle n'a plus de nouvelles de son père. Elle nous
confie avoir fait une fugue l'année dernière. Elle résidait chez une des ses grandes sœurs
pendant que sa mère était en voyage aux Comores (sa mère est d'origine comorienne et son
père d'origine mahoraise). Elle a fugué parce que sa sœur la frappait et aurait porté plainte à
la police sur les conseils de ses frères. Elle a finalement résidé trois mois chez un de ses
frères jusqu'à la fin de l'année scolaire. Naïma, en nous confiant ceci, témoigne peut-être de
son désir de bénéficier d'un espace où elle puisse raconter son histoire et déployer une parole
libre, dans le cadre de la relation duelle avec un adulte à l'écoute. Madame K note que Naïma
a su verbaliser une demande de relation plus individualisée avec elle, ceci non sans mal. Mais
cette possibilité de verbalisation d'une demande de relation duelle avec l'adulte la
distinguerait des autres élèves qui, tout en manifestant par leur comportement qu'ils ont
besoin de l'attention exclusive de l'adulte, seraient incapables de formuler ce type de
demande. Voici ses propos déjà rapportés précédemment « [Et est-ce-qu'ils demandent de la
relation individuelle ou est-ce-qu'ils n'ont pas cette demande ?] Oui, euh ... oui, ils
demandent de la relation individuelle. Et il y a même là, je vois Naïma qui était là quand il y
avait 4 élèves, qui s'épanouissait complètement parce qu' il y avait peu d'élèves et que je
travaillais individuellement avec chacun des élèves . Euh... quand ils sont arrivés à être 12,
c'était plus pareil. Elle me l'a dit qu' elle regrettait, que c'était plus pareil et c'est parti en
vrille immédiatement. C'est à dire fugue. [Ah ! Oui.] Elle est parti en fugue quand même pas
mal de temps, donc elle venait plus ici et elle ne revenait plus chez sa mère non plus. Elle
était en fugue carrément. Elle a été retrouvé par le commissariat hein ! Ce sont des
informations que j'ai eu par une fille du collège qu'elle connaissait. Euh … alors on la voyait
elle était signalée à tel endroit, tel endroit, notamment sur les quais de gare. Mais personne

338
n'arrivait à la faire revenir chez elle. J'pense que le fait que on … quand elle est arrivée ici,
ses défauts qu'elle avait dans son collège ont complètement disparu parce qu' on s'est occupé
d'elle individuellement et, pour elle, c'était ce qu'elle attendait. Ça n'avait pas été identifié
comme ça, mais ça a été une révélation. Tout ce qui avait été signalé comme des problèmes
de comportement … avait disparu. [en fait, elle et peut-être les autres, ils ne demandent pas
ça (la relation duelle, plus d'attention) ils ne demandent pas ça ...explicitement] Ils ne le
demandent pas, non. Mais on voit que quand on leur apporte, qu'ils changent complètement.
Enfin elle, elle l'a verbalisé quand elle a vu les autres arriver mais sinon, ils ne le demandent
pas. » (L 139-157).
Nous observons que cinq sujets Hans, Idir, Édouard, Ophélia et Selma sont inscrits
dans un suivi psychologique depuis plusieurs années. Cela témoigne peut-être d'une
possibilité d'investir un espace de parole en relation duelle avec un adulte.
Les observations de Madame B vont dans ce sens, soulignant que les élèves accueillis
en classe relais se confient beaucoup dans le cadre de la relation duelle avec l'adulte relais ou
l'éducatrice. « l'adulte relais et l'éducatrice ont énormément de confidences. C'est tout
l'intérêt d'être à trois en classe relais dans la mesure où l'éducatrice a déjà pu faire par
exemple des informations préoccupantes suite à des choses déposées par mes élèves, euh
… en discutant à bâton rompu. » (L309-312).
Ces différentes observations concourent à soutenir l'hypothèse selon laquelle un bon
nombre de nos sujets peuvent et souhaitent déployer une parole personnelle, adressée à un
adulte soit dans le cadre de l'association libre en groupe, soit dans le cadre de la relation
duelle.

Le point commun entre ces différentes réflexions à propos de l'activité créative des
jeunes, encadrée et étayée par l'adulte au sein du système scolaire, pourrait être le désir et
l'objectif partagé par l'enseignant et l(es)'élève(s), l(es)'adulte et le(s) jeune(s), de parvenir à
ce que chaque élève puisse mieux composer une position subjective à l'école, plus en
harmonie avec ses milieux de vie, ses groupes d'affiliation et de filiation (famille) extra-
scolaire. Il nous semble en effet que les débats d'idées, les discussions de groupe ainsi que les
échanges en relation duelle proposés par les adultes des classes relais, sont autant d'occasions
pour les élèves d'importer sur la scène scolaire un vécu, des préoccupations et un savoir, issus
d'expériences dans des milieux extra-scolaire, qui participent de la construction
identificatoire des adolescents et de leur problématique. Nous pensons à Sinan, qui en vient à
exprimer devant le groupe classe ses réflexions concernant ses parents et leur pays d'origine.

339
Nous pensons également à Ibrahim qui évoque ses exploits transgressifs (conduite d'une
voiture sans permis) dans sa cité.
L'expérience du stage professionnel que permet la classe relais peut favoriser, nous
semble-t-il, l'assouplissement du clivage que sont susceptibles de ressentir les adolescents en
rupture scolaire entre le monde de l'école et le monde extra-scolaire (D. Thin et M. Millet,
2005 ; J. Y. Rochex, 2009). Ainsi le travail en classe relais autour des stages permettrait à
l'adolescent (ainsi qu'aux adultes) de tisser des liens, construire des ponts et remettre du jeu
entre monde professionnel et institution scolaire, entre le ''soi élève'' et le soi investi dans des
activités hors de l'institution scolaire.
Il est possible que de nombreux sujets de notre recherche aient particulièrement
besoin de mettre en jeu, de façon créative dans la relation aux adultes de l'institution scolaire,
le lien entre l'institution scolaire et les autres groupes d'affiliation et de filiation, milieux
extra-scolaires dans lesquels ils s'inscrivent; besoin auquel les enseignants de classe relais
tentent de répondre par la mise en œuvre de méthodologies pédagogiques spécifiques.
L'enjeu de ces différentes activités scolaires encadrées par l'adulte serait, entre autres, de
soutenir chaque élève dans l'élaboration d'une « intersignification », concept qui désigne « la
nécessité et le pouvoir du sujet de négocier entre l’enfant (ou l’adolescent) et l’élève qui
coexistent en lui et de signifier ce qu’il fait ou projette dans un domaine de son existence
(l'école par exemple) à partir du sens que prennent ses actes dans d’autres domaines
d’expérience (la famille, le groupe de pair, etc.) » (J. Y. Rochex, 2009, p28). Par
l'intersignification le sujet joue ainsi « de la pluralité de ses assujettissements pour s’en
déprendre et s’en émanciper, de manière toujours partielle », ce qui participerait du
processus de subjectivation ou autrement dit de la « création subjectale » (Ph. Gutton, 2014).
Dans le cadre du travail en classe relais, plusieurs sujets de notre recherche semblent
désireux d'élaborer cette intersignification et interdépendance entre leurs différents espaces
d'identification. Dans cette perspective, nous considérons que le travail de lien entre la classe
relais et l'établissement de rattachement (à l'origine de l'orientation en classe relais) participe
de cette élaboration. Lorsque classe relais et établissements de rattachement travaillent de
concert, c'est à dire lorsque l'orientation en classe relais n'est pas une exclusion pure et
simple, et que des liens entre établissement de rattachement et classe relais peuvent être
développés, l'élève en rupture scolaire ou à risque de décrochage a alors la possibilité de se
réapproprier autrement sa « posture d'élève » (V. Melin, 2011). Cette réappropriation en passe
par le jeu créatif de l'intersignifiance, entre les expériences d'élève en classe relais et au sein

340
de l'établissement scolaire de rattachement, soutenue par la collaboration entre les acteurs
(adultes) de ces deux institutions.
Madame B fait le constat de l'importance pour les élèves de maintenir et développer
pendant toute la durée de la session en classe relais un lien solide avec l'établissement
scolaire de rattachement. Ainsi nous dit-elle : « souvent ceux pour qui ça fonctionne le mieux
c'est quand il y a un vrai lien avec le collège (de rattachement). Par exemple les deux qui
s'investissent beaucoup là, ils ont cours le mercredi matin au collège dans leur classe et ils
doivent passer le lundi soir et le jeudi soir pour récupérer ce qui s'est passé dans les trois
disciplines du mercredi matin pour préparer le mercredi suivant. [D'accord] Donc ils passent
le soir au collège, ils récupèrent les documents, les photocopies de cours qu'on prépare en
classe, et comme ça ils sont prêts pour le mercredi donc c'est du travail pour les CPE, pour
les professeurs principaux, pour les professeurs, mais cela a un impact vraiment très positif
et ces élèves là vont être en augmentation de réintégration dans leur classe et ils ont
demandé tout les deux à faire une troisième session (une session en classe relais est de 7
semaines). Les élèves qui n'ont aucun lien avec leur collège ça se passe très mal en classe
relais, ça c'est systématique. » (L358-369). Ce discours nous semble plus ou moins partagé
par l'ensemble des professionnels de classe relais que nous avons rencontrés.
Ce constat va dans le sens de l'hypothèse selon laquelle un grand nombre
d'adolescents accueillis en classe relais peuvent développer une inscription subjective moins
problématique dans l'institution scolaire si les conditions institutionnelles les soutiennent en
ce sens. Nous pouvons supposer que c'est le cas de plusieurs des sujets rencontrés dans le
cadre de notre recherche.
Malheureusement, les études de la DEPP (2014, 2013) montrent que « de nombreux
enseignants déplorent le peu de relations qui existent entre le dispositif (classe relais) et les
collèges d’origine. Ces derniers délèguent trop souvent la prise en charge de leurs élèves, et
ne se considèrent pas assez comme partie prenante de leur réintégration dans le collège
unique. Or, pour que le séjour en dispositif soit bénéfique à chaque élève, il faut que les deux
équipes définissent ensemble les objectifs à assigner à son séjour, et collaborent à l’obtention
de ces objectifs (par exemple, définissent ensemble le travail à proposer à l’élève durant son
séjour…) » (2014, p5).

Nous le constatons donc, les adolescents et pré-adolescents, dont font partie nos
sujets, qui témoignent par leur comportement d'un mouvement de rupture avec le système
scolaire, poussent ce système et ses acteurs, en premier lieu les enseignants, à trouver-créer

341
des alternatives pédagogiques et institutionnelles. Nous observons que plusieurs sujets
peuvent se (re)mobiliser dans un processus créatif lorsque s'assouplissent les frontières entre
intra et extra-scolaire. La classe relais pourrait, nous semble-t-il, être considérée comme un
intermédiaire entre ces deux espaces. Il y a chez nombre d'entre eux le désir d'un échange
verbal avec l'adulte en groupe ou en individuel, qui témoigne, supposons nous, d'une possible
inscription dans une activité créative étayée et encadrée par l'adulte et l'institution scolaire.
Ces observations vont dans le sens de ce que plusieurs auteurs dans le champ des
sciences de l'éducation constatent, à partir d'approches théoriques et méthodologiques
différentes (V. Melin, 2011, 2016 ; F. Bruno, C. Felix & F. Saujat, 2015, 2017). Ils insistent
sur la nécessité de sortir de la forme scolaire standard pour travailler avec les sujets à risque
de décrochage scolaire ou décrocheurs. F. Bruno et al. (2017), a partir de l'analyse de
plusieurs études employant des méthodologies d'observation de l'activité d'enseignement,
dressent le portrait type de ce que pourrait être un enseignant ''efficace''. « D’après les
auteurs, les professeurs qui luttent efficacement contre le DS (décrochage scolaire) se
caractérisent par des méthodes pédagogiques alternatives (Jahnukainen & Helander, 2007),
plus « actives et coopératives » (Hugon, 2003). Ils multiplieraient les interactions
personnelles avec les élèves (Broccolichi & Ben Ayed, 1999; Miller, 2006) et offriraient un
environnement de classe favorisant l’autonomie, encourageant le sentiment d’auto-
détermination et de compétence des élèves (Hardre & Reeve, 2003). Ils parviendraient à
relier les enseignements aux situations de la vie courante de ces derniers, à leur contexte
personnel, familial et social, tout en les valorisant et en les responsabilisant (Hugon, 2003 ;
Miller, 2006). Les pédagogies alternatives de ces enseignants « efficaces » se traduiraient
aussi par un regard porté sur les élèves, des appréciations et verdicts bienveillants
permettant une aide au plus près de leurs besoins et l’arrêt du cercle vicieux de l’échec (Ben
Ayed, 1998 ; Hugon & Pain, 2006). » (F. Bruno & al., 2017). V. Melin (2011) insiste sur
l'importance de mettre en œuvre une pédagogie qui donne une place aux savoirs informels et
permette des les articuler à la forme scolaire.
Nous nous demandons si l'efficience de ces pédagogies ne tient pas en partie au fait
qu'elles laissent plus de champ libre à un processus créatif adolescent qui ne trouve plus à se
développer dans le cadre d'une forme scolaire standard.

Du côté des activités pédagogiques mobilisant la créativité adolescente, plusieurs


indices nous conduisent à penser qu' un bon nombre de sujets de notre recherche sont

342
particulièrement susceptibles de se saisir d'un étayage sur l'expression artistique et certains
supports culturels associés aux arts.

5.2. Étayage sur la pratique artistique pour une expérience de création encadrée par
l'adulte :

Nous relevons chez quatre sujets (Hans, Oscar, Aurélien et Édouard) les signes d'un
certain investissement de la pratique de l'expression artistique ou à médiation artistique.
Hans nous parle de son implication récente (depuis 2 mois) dans un « atelier dessin »
dans un lieu nommé « maison des arts ». Il formule ainsi le principe de cet atelier : « elle
(l'animatrice de l'atelier) nous fait exprimer des choses qu'on ressent sur des dessins ». Il
donne un exemple d'activité expliquant que l'animatrice leur a proposé d'exprimer
picturalement les sentiments éprouvés en réaction aux attentats du 13 Novembre 2015
(attentats particulièrement meurtriers du 13 Novembre 2015 perpétrés sur Paris et sa proche
banlieue). Il nous dit que « chacun devait mettre plein de peinture sur une grande toile ».
Hans dit apprécier particulièrement cet atelier. En contre point nous remarquons que Hans est
le seul sujet qui a refusé de dessiner à partir des questions : qu'est-ce-qu'un enseignant pour
vous ? Et qu'est-ce-qu'un élève pour vous ? Son rapport à l'expression par le dessin semble
donc ambivalent. S'exprimer par le dessin serait plus facile dans le cadre d'un atelier dessin
que dans le cadre que nous lui proposons, caractérisé notamment par la relation duelle.
Oscar évoque son engouement pour les cours d'art plastique au collège. Il nous fait
part de son sentiment que tous ses enseignants d'art plastique « sont très cools » parce qu'ils
« rigolent toujours ». Il se souvient avoir aimé confectionner des étoiles en carton, qu'ils ont
ensuite accrochées au plafond de la salle de cours d'art plastique. Nous pouvons supposer que
la pratique d'une activité artistique encadrée par l'adulte favorise, dans le cas d'Oscar,
l'investissement de la relation à l'enseignant.
Aurélien, d'après les adultes de classe relais, se serait particulièrement impliqué dans
la peinture d'un tableau qui fut ensuite exposé dans le cadre d'un projet rassemblant plusieurs
classes relais de la région. L'éducatrice remarque cependant, que lors de l'exposition,
Aurélien n'a manifesté aucun sentiment de joie ou de reconnaissance lorsqu'il a été
complimenté par une personne occupant une fonction importante dans le département. Il est
''resté de marbre''. Madame K nous raconte cependant qu'Aurélien, revenant dans la classe
relais environ deux ans après (suite à une énième exclusion d'un établissement solaire), a pu
manifester combien il était touché que son œuvre soit toujours affichée dans la classe relais,

343
plusieurs années après son passage. Voici ce qu'elle en dit : « si on parle d'Aurélien par
exemple, j'ai revu Aurélien cette année. Pour une raison très simple, c'est qu'il s'est fait
encore exclure d'un collège, un énième collège et il a atterri ici. Dans notre collège.
[d'accord, ok] Donc la première chose qu'il a fait, c'est venir me voir et quand il est arrivé, il
a vu le tableau. Ah !!! il a été scotché ! D'abord parce qu'il redécouvrait ce tableau, donc
« oh ! Madame mais qu'est-ce-qu'il est beau ! » et cætera. Il a reparlé de cette période. Et là,
il a embelli cette période, en fait avec une véritable nostalgie et il était fier de ce qu'il avait
fait avec ses deux camarades. Parce qu'ils l'avaient fait à trois. Donc il en était extrêmement
fier et là les compliments il les acceptait, mais y avait un recul de deux ans. Euh … donc lui
il avait pris de la maturité et puis c'était plus vraiment lui qui l'avait fait. C'était lui d'avant.
[Lui d'y a deux ans] Voilà, c'était l'enfant qu'il était. Donc il y avait un certain recul, et ce
qui est amusant c'est qu'il a demandé à retourner en classe relais, le collège a refait un
dossier classe relais. Mais le collège ne voulait pas qu'il soit chez nous. Donc il avait été
affecté chez nous mais le principal a fait une intervention pour qu'il aille dans une autre
classe et il a été a la classe de…. Mais lui voulait revenir ici parce qu'en fin de compte, le fait
que j'ai affiché ce tableau comme étant quelque chose … à l'honneur quoi. Ça l'a valorisé et
ça lui a donné confiance en lui. Donc il a demandé à revenir ici comme si c'était un peu une
potion magique quoi. Alors que, ben, il est très compliqué. » (L190-209).
Conscient de toutes les questions importantes sur le plan clinique qui naissent à la
lecture de ce passage, nous nous centrerons sur la question qui nous préoccupe à savoir : la
possibilité pour Aurélien de s'inscrire dans une activité créative avec l'adulte et quels sont les
enjeux profonds de cette activité. Aurélien a pu s'engager dans et conduire à son terme une
activité de co-création d'une œuvre picturale avec deux autres élèves et l'enseignante, ceci
dans le cadre plus global d'un projet soutenu par l'institution scolaire et le département.
Cependant la réaction d'Aurélien face à son œuvre deux ans après, nous permet de supposer
qu'il ne croyait pas vraiment que cette œuvre, fruit d'un travail en commun, puisse persister
dans le temps et dans l'institution scolaire, et surtout, soit l'objet d'un investissement durable
(solide) de la part de Madame K. Aurélien constatant que l’œuvre est toujours là, affichée et,
en quelque sorte, ''mise à l'honneur'' dans l'enceinte de la classe relais peut (enfin!) exprimer
et ressentir le sentiment qu'il y a là quelque chose de beau, dont il est co-créateur. Sentiment
sans doute partagé avec madame K et qui tient en grande partie, nous le supposons, à la
découverte d'un objet et d'un attachement à l'objet, qui perdure malgré son absence, mais
aussi malgré la répétition des ruptures (concrétisées par des exclusions) dans son rapport à
l'école. Nous en déduisons qu'Aurélien est porteur du désir de créer, avec ses pairs (nous

344
rappelons qu'il fait du hip-hop depuis 4 ans et que ses parents étaient danseurs en Côte
d'Ivoire) et avec l'adulte, une œuvre; mais celle-ci semble vouée à disparaître ou ''tomber aux
oubliettes''. Cette hypothèse se trouve renforcée par sa réponse à la planche VII du Rorschach
qui évoque un mouvement en deux temps : d'abord idéalisation de personnages féminins dont
nous pouvons supposer un rapport étroit avec la figure maternelle, « deux personnes, deux
femmes qui volent avec les cheveux en l'air et les bras derrières, avec une robe. »; ensuite à
l'enquête, c'est la chute qui s'impose finalement, « (elles volent ?) elles tombent de quelque
chose ». Compte tenu des ces différents éléments de réflexion, nous supposons qu'Aurélien
est susceptible de se saisir d'un travail créatif avec l'adulte dans le cadre scolaire étayé sur
une pratique artistique. Ceci, à condition que ce travail permette de mettre en jeu la question
de la permanence de l’œuvre produite. Permanence concrète d'un objet externe, mais surtout
permanence interne du lien affectif partagé (entre élève et enseignant) dans la relation à
l’œuvre et du souvenir de sa co-construction. Il nous semble malheureux que le collège n'ait
pas accédé à la demande d'Aurélien de réintégrer la classe relais alors que semblait se
développer un transfert positif dans la relation à Madame K, qui aurait peut-être contribué à
interrompre le défilé des exclusions scolaires.
Dans le cas d'Édouard, nous pourrions peut-être faire un parallèle entre la création
artistique et son rapport à la boulangerie-pâtisserie. En effet, Édouard tient à nous montrer
avec son téléphone portable ses productions de pâtisseries que nous trouvons d'ailleurs fort
bien faites. Nous avons l'impression qu'Édouard entretient un lien à ses productions qui
pourrait peut-être être comparé au rapport de l'artiste à son œuvre. Comme l'artiste, Édouard
convoque le regard de l'autre, peut-être surtout le regard de l'adulte, sur sa création fortement
investie narcissiquement. Cette activité de création d'Édouard est donc encadrée et soutenue
par plusieurs adultes et, peut-être, en premier lieu, par son ''maître de stage'' avec lequel il
semble entretenir une bonne relation notamment basée sur un lien identificatoire fort.
Nous supposons donc que ces quatre sujets (Édouard, Hans, Aurélien et Oscar) sont
en mesure de, et désirent, s'engager dans un processus créatif avec l'adulte par l'intermédiaire
d'une pratique artistique dans un cadre scolaire.
Nous serions enclin à élargir cette hypothèse à d'autres sujets de notre recherche
pensant qu'une bonne partie de notre groupe d'étude (dont font partie les quatre sujets
évoqués précédemment) pourrait investir une pratique artistique où seraient mis en jeu la
gestualité, la sensation, et une alliance entre la parole et le geste. Nous avons en effet identifié
des éléments qui suggèrent un certain goût pour la mise en scène de soi au sein de la classe
par l'agir ou la posture physique souvent alliés à la parole. Nous nous sommes risqué à faire

345
un parallèle avec la démarche de l'artiste qui tente de provoquer un choc esthétique chez
l'autre, le confrontant à des dimensions inconnues ou qu'il refusait jusqu'à lors de prendre en
compte, produisant un effet d'inquiétante étrangeté.
La pratique de Madame B auprès des élèves de classe relais vient étayer cette
hypothèse. En effet, elle constate que parmi les activités les plus investies par les élèves de
classe relais figure en bonne place l'activité qu'elle nomme ''l'atelier d'impro'' :
« l'atelier d'impro, alors c'est pas un atelier d'impro professionnel hein! mais ils
aiment beaucoup euh... parce que les conditions sont claires, parce que c'est toujours dans
du positif, parce qu'on a jamais le droit de dire non. Parce qu'on a pas le droit de se moquer,
parce qu'il faut se taire, faut écouter les consignes. Et en fait si on fait tout ça c'est
facilitateur. [Le cadre est facilitateur, c'est ce que vous voulez dire ?] Le cadre, l'ensemble
des consignes facilite le travail de chacun. Mais ils le voient, ils le sentent tout de suite ça.
C'est un peu comme au centre équestre, s'ils ont bien écouté la consigne, euh... tout se passe
bien. [et du coup, là vous avez un autre positionnement dans ces... matches d'impro ou …
euh ! matches d'impro, non.] Alors on arrive pas au match d'impro. hein ! Après ça dépend
des groupes, y a des groupes avec qui on a vraiment fait des trucs, franchement qui étaient,
euh !.. Du niveau match d'impro de collégiens quoi. [d'accord, ok] Parce qu'il y a des gamins
qui sont … qui ont plein de qualités dans la communication verbale et l'imagination aussi.
Euh !… moi j'suis avec eux, ils ont le droit de me tutoyer, ils ont le droit de m'appeler par
mon prénom parce qu'on est dans l'atelier d'impro et dès qu'on en est sorti c'est terminé. [Ils
arrivent à passer d'une façon d'être avec vous à une autre façon ?]. Ouai, parce que c'est
qu'ici. [c'est bien, ça!]. ouai, ouai, ouai. [enfin, qu'ils arrivent à cette souplesse là. ]. c'est
pour ça j'pense que ça … non c'est des choses qui passent pas mal, mais bon moi je reste
quand même celle qui parle avec le collège, qui envoie les bilans, qui cafte quoi ! » (L614-
639).
L'activité préférée des élèves serait la percussion corporelle à l'aide des
''boomwhackers'', qui sont des tubes faits de plastique fin (issu du recyclage), de différentes
couleurs, produisant chacun une note de musique différente lorsqu'ils sont percutés. Ils
peuvent être frappés sur toute surface doté d'une consistance suffisante et sont donc souvent
employés pour des percussions sur la surface corporelle. Madame B nous dit à propos de
cette activité : « j'pense aussi que ce qui remporte le tout c'est les ''boomwhackers'' (elle se
lève pour chercher le matériel pédagogique en question) en fait ce sont des percussions
corporelles [d'accord] chaque tube a une note différente, et à 4 (élèves), c'est quand même
des élèves qui n'arrivent pas à faire la gamme avant 10 minutes, quoi, d'entraînement,

346
tellement ils sont agités, perdus. Mais bon ils adorent ça. Ça c'est vraiment réclamé de façon
systématique. » (L608-614).
Nous avons vu que les sujets de notre étude sont particulièrement susceptibles, tout
comme les élèves de Madame B, d'être perdus dans le rapport à leur corps, car il (leur corps)
produit des sensations et des émotions fortes (des notes émotionnelles?) qui restent
excessivement campées dans l'indicible, l'impossible à faire entrer dans le langage verbal.
Les langages du corps et de l'acte sont, dans ces conditions, logiquement mis à contribution
avec un certain talent voire un talent certain.

347
Une étude de cas :

Ibrahim (14 ans) :

Nous avons choisi le cas d'Ibrahim parce qu'il a su se saisir de ce temps de parole que
nous lui proposions pour déployer un discours riche, manifestant ainsi clairement son désir de
partager avec nous son expérience d'élève en élémentaire et surtout au collège. Nous avons
eu le sentiment qu'il souhaitait presque faire passer un message par notre intermédiaire
concernant sa conception de ce que devrait être et ne pas être la relation élève-enseignant.
Forte implication donc, qui, d'une certaine manière, nous a séduit. Ce qu'il nous raconte de
son parcours scolaire, ainsi que de l'histoire et la nature de sa relation aux enseignants,
combine différents éléments qui caractérisent l'expérience et la problématique de plusieurs
des sujets que nous avons rencontrés.
Du point de vue de la problématique subjective d'Ibrahim, nous retrouvons :
- le recours au masochisme moral mis en jeu dans la relation conflictuelle avec l'enseignant et
qui peut être considéré comme une forme d'évitement de la position passive érotisée sollicitée
par l'expérience d'élève.
- la difficulté pour accepter la différence des générations dans la relation enseignant-élève, et
plus largement adulte-adolescent, notamment parce qu'elle est trop associée à une dissymétrie
actif-enseignant/passif-élève.
- une forte demande, et un investissement possible, de l'étayage narcissique par l'adulte-
enseignant dans un contexte relationnel marqué par le sentiment de familiarité et le
développement d'une inter-activité, sollicitant la capacité de l'enseignant à se laisser toucher-
affecté voire séduire par Ibrahim.
Ces trois éléments nous permettent de penser que Ibrahim est assez représentatif des
sujets de notre recherche. Cette étude de cas nous permettra de proposer une articulation de
ces différents éléments dégageant ainsi un tableau clinique cohérent qui peut nous aider à
mieux envisager la problématique du décrochage scolaire. A l'occasion de cette étude de cas
nous aborderons des éléments importants sur lesquels nous nous sommes jusque-là peu
attardé. Il s'agit notamment:
- de l'influence qu'exerce le vécu d'élève en période de latence (en école élémentaire) sur le
déroulement du collège par la suite

348
- de la dimension interculturelle mise en jeu dans le rapport aux enseignants et à l'école
- du rôle de l'affiliation au groupe de pairs avec sa dimension fraternelle.

Ibrahim est le troisième enfant d'une fratrie de quatre (trois frères de 25 ans, 21 ans et
8 ans). Sa mère exerce le métier d'agent d'entretien et son père est actuellement sans emploi
après avoir effectué plusieurs métiers : entretien des rails, ramassage de feuilles, éboueur.
Ibrahim est né en Algérie et est arrivé en France dans le département de l'Essonne, à l'âge de
6 ans. L'arrivée fut manifestement un choc, quelque chose de non préparé : « quand je suis
venu ici, je savais même pas que j'étais en France ! » nous dit-t-il. Son père est né en France
et a des racines algériennes et sa mère est née en Algérie. Pendant les deux ans qui ont suivi
son arrivée en France, Ibrahim a déménagé deux fois ,dans des cités et villes différentes de
l'Essonne. Nous remarquons qu'Ibrahim donne le nom des cités, sans préciser le nom de la
ville correspondante, comme si l'entité ''ville'' avait peu d'existence pour lui.
Ibrahim se montre à l'aise en entretien, n' hésitant pas à regarder dans les yeux quand
nous lui posons une question, ou à certains moments de son discours comme pour mieux faire
passer son message. Ibrahim est costaud avec une certaine rondeur qui nous évoque l'image
d'un beau bébé. Il fait un peu pataud dans sa façon de se tenir,observation partagée avec
l'éducatrice de classe relais qui a l'impression qu'il est « maladroit avec son corps », surtout
lorsqu'elle l'observe en activité sportive. L'éducatrice en arrive à se demander comment
Ibrahim a été stimulé par son entourage sur le plan de l'activité corporelle, de son plus jeune
âge jusqu'à son entrée à l'école. Ibrahim manifeste un réel désir de parler de sa relation à
l'école, aux professeurs et aux adultes de l'entourage extra-familial plus généralement. Il
développe spontanément des argumentations. Il semble surtout parler au nom d'un « nous »,
se positionnant donc d'une certaine manière en porte-parole d'un groupe de jeunes, plus
particulièrement les jeunes de son quartier. Il nous semble aussi être un bon conteur d'histoire
… à sa façon.

Ibrahim aime le foot. Il fait du foot en salle avec le collège et du foot en club. Il dit
dans un premier temps qu'il n'a pas de problème de santé mais ajoute, avec notre étayage,
qu'en 2011, il a fait une chute depuis le toit du théâtre de quartier et s'en est tiré avec une
scoliose. Il serait allé chercher un ballon sur le toit et se serait un peu trop penché. La scène
reste un peu floue pour nous. Avant cette chute, il allait fréquemment au théâtre avec sa
famille, mais depuis il n'y va plus. Malgré nos sollicitations il ne fait pas de lien de sens entre
cette chute et l'arrêt de sa fréquentation du théâtre.

349
Il fréquente assidûment la maison de quartier « j'suis toujours à la maison de
quartier ». Nous nous saisissons de ce que nous percevons comme un investissement majeur
de cet espace '' maison de quartier'' pour tenter d'investiguer la relation à l'adulte dans ce
cadre-là. Ibrahim commence par dire « les adultes, ils sont comme nous » et développe « y en
a ils ont une belle vie, mais ils sont comme nous ». Que veut dire « une belle vie » ? nous ne
l'avons pas approfondi, mais cette formulation nous donne l'impression d'un « nous » qui par
effet de contraste aurait ''une vie laide''. Ibrahim poursuit son discours sur les adultes de la
maison de quartier avec une certaine ferveur « on est tous égaux ! Y a pas de j'suis adulte tu
me dois un truc ». Nous constatons donc qu'Ibrahim en vient tout de suite au vif du sujet de
notre travail en abordant les questions fondamentales de la différence des générations et de la
transmission de la dette entre les générations. Ibrahim investirait la maison de quartier
justement parce que ces questions ne se poseraient pas dans cet espace- là organisé selon une
horizontalité totale « tous égaux » associée à un « ils sont comme nous » qui peut évoquer le
fantasme d'une gémellité fraternelle de groupe. Comme nous l'avons vu, l’œuvre de
transmission est conditionnée par la reconnaissance d'une différence générationnelle et d'une
dette. Ibrahim semble se positionner, d'une certaine façon, dans une dénégation, ou un refus
de ces dimensions (et non un déni) et dans la recherche d'un espace où il peut s'alléger de ces
questions peut-être trop lourdes à porter pour lui. Ibrahim insiste sur le fait que nombre des
adultes de la maison de quartier ont connu des difficultés scolaires comme « eux », c'est à
dire comme le groupe auquel il se réfère.
Ibrahim dit avoir commencé l'école à 3-4 ans dans un village d'Algérie. Il manifeste
une certaine nostalgie de la relation aux professeurs telle qu'elle se déployait dans son pays
d'origine et commence par souligner la différence entre l'école algérienne et l'école française.
Il dit qu'en Algérie, collège et primaire étaient dans le même établissement, et, par rapport
aux professeurs, il insiste tout d'abord sur cette différence : « là-bas ils tapent et ici en
France non ». Il n'exprime aucune désapprobation par rapport aux châtiments corporels qui
seraient pratiqués par les professeurs algériens. D'après ses souvenirs les professeurs en
Algérie « avaient deux images » : une image en classe et une autre image à l'extérieur de la
classe. Ibrahim a l'impression qu'à l'extérieur de la classe, mais toujours dans l'établissement
scolaire, les professeurs se comportaient « comme s'ils étaient chez eux » c'est à dire « Ils
rigolent … quand ils sont à la cantine, on peut les tutoyer ». Ibrahim oscille entre l'emploi du
présent et du passé pour évoquer ces souvenirs, ce qui est peut être le signe d'un rapport au
temps particulier ou d'un temps qui s'est arrêté associé à une expérience de migration (ou

350
d'exil, étant donné qu'il n'a pas vraiment choisi de partir étant enfant) douloureuse. Nous
entendons la nostalgie et nous retrouvons la demande d'un certain échange avec l'adulte, un
échange plus réciproque, moins distancié dans un cadre non plus scolaire mais qui lui donne
l'impression d'être invité chez les professeurs « chez eux ». Il faut préciser que cette demande
s'adresse à des adultes qui, en qualité de professeurs, sont porteurs d'une fonction de
transmission du savoir. On peut y voir le fantasme d'un cadre plutôt familial où l'élève est
positionné comme s'il faisait partie de la famille des professeurs, qui vient en complément du
« comme s'ils étaient chez eux ». Dans la même veine, Ibrahim ajoute « quand venait la fin
des cours, à l'extérieur on se parlait normal. ». À cela s'ajoute le fait que son professeur de
CP était un oncle à lui dont il dit « il me tapait et je rigolais ». Le souvenir de cet oncle
professeur est donc spontanément associé au châtiment physique entraînant ce qui nous
semble être une réaction maniaque (même pas mal!) qui tourne en dérision le châtiment de
cet adulte-professeur et oncle.
Ibrahim termine son CP en France. A le demande de l'école, il redouble son CP.
Ibrahim dit ne pas avoir compris ce redoublement et avoir exprimé son opposition à cette
décision « j'étais pas d'accord avec eux. Les maths j'y arrivais c'était un truc de fou ! Et
j'avais un accent. Comme j'avais un accent, les profs ils ne comprenaient pas et on m'a fait
redoubler. » Ibrahim aurait demandé à ses parents de changer d'école après le CP. Nous
sommes interpellé par le fait qu' Ibrahim se présente comme acteur, s'opposant à la décision
de l'école et demandant à ses parents de changer d'école, alors qu'il n'avait que 6-7 ans. Cette
position précoce d'active contestation dans le rapport à l'école se confirme, lorsqu'il nous dit
qu'ils avaient tendance, lui et sa bande de « potes », à contester les notes que leur donnait
l'enseignante de CE2. Ce qui n'empêche pas que cette enseignante soit qualifiée de
« vraiment sympa ». Ibrahim insiste sur l'importance que prend pour lui dès la primaire
l'investissement du groupe d'amis et le fait d'être ensemble soudés dans l'espace classe.
« dans toutes les classes je suis tout le temps avec mes potes ». Ainsi se dessine dans le
discours d' Ibrahim une solidarité de groupe autour de la contestation du jugement professoral
par rapport à la notation. Il nous dit qu'ils demandaient souvent à l'enseignante « comment ça
se fait que vous baissez nos notes ? » Ibrahim dénonce ainsi une certaine discrimination de
son groupe d'appartenance qui passe par la notation que lui et les siens avaient tendance à
contester. Tentant de nous expliquer ce qui, selon lui, dysfonctionnait dans la façon de noter
de cette enseignante, il nous dit qu'elle notait mieux les élèves qui écrivaient plus de phrases
dans un souci de répondre de façon la plus « détaillée » possible à la question posée. Alors
que lui et ses « potes » ne ''faisaient pas dans le détail'' en quelque sorte, ils allaient droit au

351
but. Il critique ainsi l'importance que cette enseignante accordait à ce qui lui semblait être des
détails superflus. Il donne l'exemple d'une « fille vraiment intelligente » qui répond en « cinq
phrases » là où lui répond en deux phrases estimant que c'est suffisant et conclut sur ces
mots : « c'est son problème si elle veut détailler, elle a qu'a détailler ! ». Nous repérons dans
ces propos l'opposition qu'il tend à faire entre d'un côté la fille vraiment intelligente qui
obtient les faveurs de la maîtresse, et de l'autre, lui et son groupe de potes qui ne brillent pas
par leur intelligence en milieu scolaire. Cela nous donne entre-autres le sentiment d'une
dévalorisation de soi et de son groupe d'appartenance dans la mesure où ils sont rangés plutôt
du côté de ceux qui ne sont pas « vraiment intelligents » et n'ont pas « la belle vie ».
En CE1, sa professeure l'a marqué en bien par l'aide qu'elle lui a apportée « j'me
rappellerai toujours d'elle ». Cette professeure l'aidait lui et deux autres enfants dans des
séances en petit groupe et a conseillé une prise en charge en orthophonie. Ibrahim dit qu'après
cette année de CE1 et un an d'orthophonie « j'savais parler français ». Le fait qu'il puisse
exprimer spontanément cette reconnaissance vis à vis de cette professeure vient signifier qu'il
peut reconnaître les affects ou au moins les affects tendres.
Après avoir dit que dans son établissement scolaire il y avait des professeurs qui
« étaient trop dans une mauvaise mentalité », il nous raconte ce qu'il a vécu en CM2, comme
pour illustrer ses dires. Ibrahim nous parle d'une configuration relationnelle problématique
entre son enseignante de CM2 et une élève qui se trouvait être la fille de l'enseignante. Il
critique la façon dont cette enseignante se comportait vis-à-vis de sa fille-élève, soulignant
l'ambiguïté de sa position, son manque d'autorité avec elle et le fait qu'elle bénéficiait d'un
traitement de faveur. Il commence par dire « la prof, j'l'aimais pas parce que déjà, il y avait
sa fille dans la classe. ». Il souligne que « elle (l'enseignante) lui criait dessus, mais jamais
elle lui faisait la morale » contrairement aux autres élèves et ajoute « quand elle
(l'enseignante) lisait Emile Zola, sa fille était trop agitée. ». Par ailleurs, cette fille avait un
comportement étrange fortement dérangeant : « Elle faisait des trucs bizarres (la fille). Elle
touchait nos parties intimes. Elle nous touchait et en plus elle disait des trucs de fou. Il y a
un jour j'suis pas venu pendant deux semaines (a cause de cette fille apparemment). On lui
donnait des claques mais elle n'arrêtait pas. Il y a une personne elle n'est pas venue pendant
deux mois. Même il y avait des gens qui n'étaient pas dans la classe qui se plaignaient d'elle.
Même les surveillants ils en avaient marre. Cette fille avait pas d'amis, même les intellos en
avaient marre d'elle. Elle touchait les parties intimes des filles aussi ! De toute façon dans
cette classe, tout le monde se rappellera de ça. ». Pendant la récréation cette fille allait voir
les garçons, en sachant qu'elle allait se faire rejeter, voire frapper, Ibrahim insiste sur le côté

352
''suicidaire'' de son comportement, on pourrait dire qu' ''elle se jetait dans la gueule du loup ou
plutôt des loups'', ce qu' Ibrahim tente d'illustrer ainsi « si y a genre des renois et des arabes
énervés. Elle va venir au milieu. Elle s'en fout! ». En réaction à cette phrase nous formulons
la déduction suivante « donc ce n'était ni une arabe, ni une noire » et Ibrahim répond « elle,
c'était une polonaise ». Cette scène prend ainsi une dimension interculturelle dans laquelle
Ibrahim semble naviguer avec aisance.
La maîtresse de CM2, et mère de la fille en question, aurait dit un jour « moi je ne
confond pas la classe et chez moi » et la fille aurait répondu « ben si maman. ». Puis la
maîtresse-mère serait sortie de classe avec son élève-fille. Ibrahim décrit la réaction du
groupe face à cette scène « on se regardait tous. Ça rigolait pas ! ». Cette expérience que
nous conte Ibrahim fait étrangement écho au comportement « comme s'ils étaient chez eux »
dans l'école qui caractériserait le comportement des professeurs en Algérie, d'après les
souvenirs d'Ibrahim. Nous repérons en effet que les expériences d'élève avec cette
enseignante de CM2 et avec les enseignants en Algérie présentent une similitude en ce
qu'elles se caractérisent toutes les deux par une certaine indifférenciation entre espace
familial privé et espace public scolaire. Dans un cas, cette indifférenciation est vécue comme
quelque chose de positif (relation chaleureuse avec les enseignants d'Algérie) et dans l'autre
cas elle semble être vécue comme la transgression d'un tabou qui met mal à l'aise l'ensemble
du groupe classe.
Dans cette expérience que nous décrit Ibrahim, l'indifférenciation touche aussi
directement au domaine de la sexualité dans la mesure où cette fille fait effraction dans
l'intimité sexuelle de ses camarades. Nous pourrions parler également d'une activité sexuelle
indifférenciée en ce qu'elle s'adresse tout autant aux garçons qu'aux filles.
Nous pouvons supposer que ce qui participe du malaise d'Ibrahim face à cette
situation est la confusion qu'elle introduit entre la relation mère-fille et la relation maîtresse-
élève. Cette confusion équivaut à une transgression d'un certain interdit garant de la
différenciation des espaces scolaires et familiaux. Nous supposons que cette confusion, ainsi
que le comportement particulier de cette fille sur le plan de la sexualité, favorisent la mise en
jeu non suffisamment voilée de la fantasmatique incestueuse dans la relation maître-élève, ce
qui crée le malaise.
Certains élèves, dont Ibrahim, auraient essayé de discuter du comportement
problématique de cette fille avec la maîtresse, puis la directrice, sans résultat et sans avoir le
sentiment d'être compris... excepté quand ils sont allés discuter avec les « surveillants ».
Ainsi nous dit-il : « on a parlé avec elle (la professeure en question), la directrice, mais c'est

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tout le temps les surveillants qui nous comprennent. Si les surveillants ils disent qu'on a tort
ou qu'on a pas tort (en fonction de cette réponse) on va parler ou on va pas parler» (''parler''
équivaut ici à protester, nous semble-t-il). Nous faisons un parallèle entre l'investissement de
la relation aux surveillants et l'investissement de la relation aux animateurs de la maison de
quartier car ce sont des adultes généralement plus jeunes que les professeurs et qui ne sont
pas inscrits institutionnellement dans une fonction de transmission des savoirs. D'après le
discours d' Ibrahim, l'autorité et le jugement seraient plus facilement acceptés provenant d'un
adulte hors de la fonction professorale et qui lui donne le sentiment d'une compréhension.
Nous en déduisons que, lorsque la dissymétrie des places sur le plan générationnel et de la
détention du savoir est moins marquée, Ibrahim tend à avoir plus le sentiment d'être compris,
écouté, et accepte peut-être plus facilement une fonction d'autorité adulte.
Ces adultes manifestement investis positivement que sont les animateurs de la maison
de quartier et les surveillants de l'école élémentaire (Ibrahim emploi le terme ''surveillants''
mais il nous semble qu'en école élémentaire ce sont plutôt des animateurs) nous évoquent la
figure du grand frère par leur position de semblable et d'intermédiaire entre deux générations.
Pour continuer le parallèle avec la famille, nous pourrions émettre l'hypothèse que les
enseignants sont plus du côté de figures parentales contestées avec lesquelles la
communication est difficile.
Le discours d’Ibrahim sur son expérience d'élève en école élémentaire fait apparaître
un certain nombre d'éléments qui caractériseront son rapport aux enseignants et aux
apprentissages au niveau du collège. Nous repérons ainsi une certaine continuité entre les
expériences de l'école élémentaire et du collège, en ce qu'elles sont toutes deux marquées par
des tendances à :
- chercher dans la relation à l'enseignant une certaine familiarité et un étayage sur le plan
narcissique.
- Investir des figures adultes dans l'entre deux des générations et des cultures.
- Investir le groupe de pairs dans une relation conflictuelle avec les enseignants
- un goût pour l'indifférenciation (des générations, de l'interne et de l'externe, du champ
familial et du champ scolaire) dans la relation aux enseignants qui flirte, nous semble-t-il,
avec l'incestuel. En école élémentaire l'indifférenciation a plutôt été vécue passivement en ce
qu'elle était imposée de l'extérieur, tandis qu'au collège elle semble plutôt recherchée
activement posant la question des aménagements pervers et du retournement de la passivité-
passivation (de l'enfance) en activité à l'adolescence.

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Nous rappelons qu'élève en école élémentaire, Ibrahim fait potentiellement
l'expérience de subir l'indifférenciation entre le familial et le scolaire lorsque l'oncle devient
l'enseignant qui frappe et lorsque Ibrahim assiste médusé au conflit entre la maîtresse-mère et
l'élève-fille. Nous supposons qu'il subit, dans une certaine mesure, l'expérience de la
dédifférenciation lorsque la fille lui touche ses parties génitales, constatant, de plus, qu'elle
fait cela de façon indifférenciée pour les filles et les garçons.
D'après son discours, la relation aux enseignants et à l'école semble avoir été
tumultueuse dès l'entrée en école élémentaire, ce qui n'a pas dû favoriser le travail spécifique
de la latence. Nous nous interrogeons sur la qualité du travail de la latence, dans la mesure où
la conflictualité du rapport aux enseignants et à l'école pourrait traduire une externalisation
des conflits internes trop vifs, sur la scène de l'école. Par ailleurs, plusieurs événements ont
pu perturber le déroulement de la latence : nous pensons à l'expérience de l'exil, la chute
depuis le toit du théâtre (sorte de ''coup de théâtre'') et ce qu'il dit avoir vécu en CM2 où se
mêlent effraction sexuelle et indifférenciation entre familial et scolaire.
L'expérience de l'école élémentaire et plus largement la période de latence semblent
donc poser les jalons d'un rapport problématique, ou autrement dit ''pas simple'' (complexe),
aux enseignants et au champ scolaire en périodes pré-adolescente et adolescente.

De son discours sur la relation avec les enseignants au niveau du collège se détachent
essentiellement deux figures enseignantes. Il y a d'un côté une majorité d'enseignants qui
excitent sa colère par leurs cris insupportables et sont assimilés à la « police » et à des
esclavagistes , et de l'autre côté, une minorité d'enseignants qui proposent un cadre
pédagogique différent, laissant plus de marge à l'échange et la composition avec l'élève. Il
nous semble que ce sont des enseignants qui par leur positionnement font exister aux yeux
d'Ibrahim un entre deux pays, générations, entre intérieur et extérieur à l'école.

Dans le cadre de la relation conflictuelle avec les enseignants ce serait donc souvent
les cris des enseignants qui déclencheraient le conflit. Voici les propos d'Ibrahim à ce sujet :
« généralement les élèves comme moi on aime pas les profs qui crient trop. Si il (l'enseignant)
est dans la rue, si il crie, il va se faire taper. Nous on dirait on a pas le droit à la parole » et il
cite un élève qui aurait fait la remarque suivante : « on dirait on est des esclaves ! ». Il ajoute
« les profs pour nous c'est comme si c'était la police on peut rien faire avec eux ». Les cris de
l'enseignant semblent donc tout à la fois éveiller une fantasmatique sadomasochiste
susceptible d'entraîner le recours à l'acte, favoriser une confusion dommageable entre

355
l'espace scolaire et l'espace du quartier, et générer la représentation d'une dissymétrie
insupportable entre un enseignant tout puissant qui ''donne de la voix'' et des élèves qui n'ont
pas droit à la parole.
Nous déduisons de son discours que l'enseignant qui élève la voix est susceptible de
recevoir la projection de ses fantasmes masochistes, les cris de l'enseignant étant associés au
désir de se faire taper (fantasme ''on bat un enseignant'' ?). Du fait de ce mouvement projectif,
la différence entre l'enseignant et Ibrahim s'amenuise puisque l'enseignant tend à incarner
une sorte de double, lui renvoyant par effet de miroir inversé ses propres désirs
sadomasochistes. L'enseignant est appelé à jouer le rôle de l'étranger, pourtant familier (en ce
qu'il est porteur des fantasmes du sujet), vecteur du trouble interne qui se manifeste par une
excitation débordante associée à des représentations étranges faisant irruption dans la psyché
d'Ibrahim (représentation de l'enseignant qui cherche à se faire taper). La dédifférenciation
soi/enseignant excitante en contexte conflictuel peut être signifiée par ce lapsus d'Ibrahim
nous disant « ils ont le pouvoir en nous » au lieu de ''sur nous'' révélant ainsi quelque chose
de l'ordre de l'intrusion (sans doute sexualisée) du pouvoir enseignant « dans » l'élève.
L'investissement de l'enseignant comme un double persécutant faisant peser la menace
d'intrusion nous évoque le travail de F. Houssier (2002, 2002) autour de la relation
conflictuelle à la figure fraternelle à l'adolescence. Le frère faisant office de surface de
projection, constitue un double menaçant ainsi qu'un intrus faisant obstacle à la complétude
narcissique avec la mère. Il est possible que l'enseignant joue, dans une certaine mesure, ce
rôle de frère ennemi. En identifiant l'enseignant comme le ''fauteur de trouble'', Ibrahim se
dédouane de toute culpabilité et surtout évite la menace narcissique qu'implique la
reconnaissance d'une fragilité psychologique. Ainsi nous dit-t-il : « un élève peut jamais
s'énerver tout seul comme ça, à part si il a des problèmes psychologiques. Si tu t'énerves
c'est que le prof t'as bien poussé à bout. Moi quand je m'énerve c'est le prof. ». Après avoir
désigné l'enseignant comme coupable, il peut admettre que parfois il perd le contrôle de lui-
même, faisant sans doute l'expérience d'une certaine inquiétante étrangeté. « moi j'vais loin !
moi j'vais loin ! Comment dire ? J'suis dans le turfu, genre je peux insulter sa mère ! ». Nous
retrouvons ici l'indifférenciation, sur le plan cette fois-ci temporel (le ''turfu''), qui entraîne la
transgression d'un interdit fondamental par l'insulte de la mère de l'enseignant. Nous pouvons
imaginer que cette insulte implique un rapport sexuel incestueux avec la mère par exemple :
''nique ta mère'' ou ''ta mère la pute''.
L'hypothèse d'une fantasmatique masochiste mise en jeu dans la relation conflictuelle
avec les enseignants tend à être consolidée par le lapsus que nous avons déjà noté : Ibrahim

356
insistant à plusieurs reprise sur « le manque d'injustice » au lieu de dire « le manque de
justice » et il faut que nous reprenions pour qu'il cesse, montrant peut-être ainsi une certaine
insistance du désir inconscient de jouer le rôle de la victime d'injustice dans un scénario
sadomasochiste. Nous avons par ailleurs assisté à des échanges entre Ibrahim et les adultes de
classe relais nous apprenant qu' Ibrahim peut avoir des agissements hors de l'espace scolaire
proche de la délinquance, qui tendent à poser la question du masochisme moral. Nous avons
ainsi appris qu'Ibrahim avait eu des ennuis avec la police parce que positionné devant l'entrée
du collège, il manipulait au vu et au su des personnes présentes un pistolet, qui s'est révélé
être un faux (pistolet à bille). Nous supposons qu'Ibrahim était bien conscient du risque qu'il
prenait d'une intervention policière quand il agissait ainsi. Il dit devant nous, à l'enseignante
et l'éducatrice de classe relais que ce pistolet il l'a volé sur un marché. D'après l'enseignante
de classe relais, Ibrahim n'en serait pas à son premier ''coup d'éclat'' sur ce registre de la
transgression entraînant l'intervention des ''forces de l'ordre''. Comme le discours d’Ibrahim le
laisse entendre il tendrait à s'inscrire dans un rapport conflictuel avec la police, qui comporte
peut-être une dimension de masochisme moral caractérisé par le recherche de la punition.
Le masochisme, la transgression et la remise en cause insistante de la différence des
générations posent tout de même la question des aménagements pervers à l'adolescence.
Les conduites d’Ibrahim dans la relation aux enseignants peuvent relever
d'aménagements pervers en ce qu'ils servent un déni des différences entre les générations,
entre familial et scolaire propice à l'accomplissement de désirs incestueux.
Nous avons ainsi assisté à une scène en classe relais qui nous a un peu dérangé et
surpris : Ibrahim s'entaille légèrement le bout du doigt avec des ciseaux de façon
manifestement intentionnelle, puis interpelle l'enseignante en lui montrant son ''bobo''. Celle-
ci va chercher des pansements dans la pharmacie comme si elle avait l'habitude de ce genre
d'attitude de la part d’Ibrahim. Au vu de cette scène il nous semble qu'Ibrahim entretient avec
le concours de l'enseignante une certaine confusion entre l'enseignante et la mère soignant
l'enfant. L'enseignante nous dira d'ailleurs à propos d'Ibrahim sur le ton de la plaisanterie :
« j'ai l'impression que c'est mon enfant mais dès qu'il a des ennuis avec la police je dis que
ce n'est pas le mien ». Nous entendons dans cette phrase, un transfert maternel très fort que
cette enseignante peut mettre en mots, préservant ainsi (par la verbalisation) une certaine
lucidité sur les mouvements transférentiels en jeu dans sa relation avec Ibrahim. Nous nous
demandons s'il ne se joue pas entre Ibrahim et cette enseignante, une mise en scène
transgressive visant le déni des différences entre la mère et l'enseignante, l'élève et l'enfant. Il
s'agirait aussi d'un scénario qui met en scène une relation privilégiée mère-enfant aux

357
potentialités incestueuses (du fait que l'enfant se trouve être un adolescent), devant un public
qui est constitué par le groupe d'élève.
La mise en scène de soi dans une relation de proximité avec l'enseignante devant un
public d'élèves transparaît également dans une autre anecdote que nous conte Ibrahim : se
sentant trahi par une enseignante parce qu'il découvre qu'elle l’a critiqué ''derrière son dos''
alors qu'il lui faisait confiance et comptait beaucoup sur elle, Ibrahim fait irruption dans la
classe et traite cette enseignante de ' « faut-cul' » devant les élèves. Cette scène traduit bien,
nous semble-t-il, la difficulté pour trouver la bonne distance dans la relation à l'enseignante
porteuse de fortes attentes d'étayage narcissique.
Par ces conduites transgressives ou non-conformes dans la relation à l'enseignant
Ibrahim tend à effacer les limites générationnelles et la différence élève-enseignant. Peut-être
tente-t-il ainsi de prendre une part active dans la scène primitive et dans la fantasmatique de
séduction, là où enfant il était spectateur-passif, notamment, assistant impuissant la relation
« bizarre » entre l'enseignante de CM2 et sa fille, et subissant les claques de son oncle-
enseignant en Algérie. Le spectateur-passif est ici incarné par l'ensemble des autres élèves qui
assistent médusés à la scène de conflit et/ou de confusion des places (mère-enseignante) dans
la relation entre Ibrahim et l'enseignant femme ou homme.
Le rapport conflictuel aux enseignants tend à être présenté par Ibrahim sous l'angle
d'une confrontation du quotidien dont l'un des enjeux principaux est de démontrer aux
enseignants (et peut être à ''la face du monde'') que l'élève rivalise de force avec l'enseignant,
malgré la différence d'âge et de taille. « les profs ils croient qu'ils ont une force plus
importante que les élèves. L'âge ça veut rien dire et même la taille !». Ces propos tendent à
signifier selon nous une tendance à refuser la différence élève/enseignant, notamment la
différence des générations, en la réduisant à une question de force physique. La rivalité et la
différence dans la relation à l'enseignant prennent ainsi une allure phallique en ce que l'enjeu
devient la puissance et l'emprise physique sur l'autre. Il tend à attribuer aux enseignants un
désir d'emprise, exercée sur une communauté adolescente à laquelle il dit appartenir et qu'il
compte défendre ''coûte que coûte'' contre l'oppresseur. S'insurger contre l'enseignant qui crie
ne relève donc pas que d'un scénario sadomasochiste mais serait aussi, et peut-être surtout,
dans l'esprit d'Ibrahim une façon de défendre une identité groupale. Il défend ainsi un « droit
à la parole » et se rebelle contre ce qu'il assimile à de l'esclavage (révolte des esclaves contre
les maîtres). Il nous montre dès le début de notre entretien qu'il s'insurge également contre la
dette entre les générations (« y a pas de j'suis adulte tu me dois un truc »).

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Il s'agirait par ces conduites non conformes et transgressives d'affirmer héroïquement
une parole originale adolescente, individuelle et groupale, contre une certaine communauté
adulte-enseignante du côté d'un « regard phallique sociétal » disqualifiant (Ph. Gutton,
2013). Ainsi nous reviennent les propos de Ph. Gutton sur le positionnement héroïque à
l'adolescence. « La subjectalisation (adolescente) se dresse devant le politique accusé a
minima de la refuser, la répudier, a maxima de la mettre « au ban », l’écraser, la déqualifier.
Là où certains se couchent, renoncent à leur métamorphose, se désubjectalisent, le héros se
dresse. Il affirme sa volonté créatrice « délinquante » (lorsqu’on le plaque) afin d’être «
malgré tout » reconnu par le regard phallique qui le juge. transgresse-t-il ? Il n’entre pas
pour autant dans la nosographie intitulée « délinquance juvénile » mais plutôt «
psychopathie » au sens que lui donna G. Diatkine. Sans doute utilise-t-il certains processus
paranoïaques et pervers, tels qu’ils nous sont déjà apparus nécessaires à l’ordinaire, pour
bien faire son adolescence. Telle est la clinique de l’exploit, en notre langage, conduite à
risques, conduite excessive » (2013, p293-294).
Ibrahim semble bien inscrit dans une construction identitaire dans laquelle le regard
des enseignants joue un grand rôle. Il tend manifestement à chercher dans le regard des
enseignants la reconnaissance d'une place singulière de sujet inscrit dans une collectivité
familiale, institutionnelle, etc... Nous relevons par exemple qu'il se dit particulièrement
sensible à la façon dont les enseignants le situent par rapport à son grand frère (6-7 ans de
plus que lui), qui est passé par le même établissement scolaire et présentait, lui aussi, un
comportement particulièrement indiscipliné au collège. De son grand frère, il nous dit : « il
était plus pire que moi ! ». Il évoque un enseignant d'éducation physique et sportive qui
confondait souvent son prénom et celui de son grand frère au moment de faire l'appel, ce qui
avait le don de l'énerver. Cet enseignant critiquait ouvertement son frère devant lui et lui
parlait trop fréquemment à son goût de ce grand frère. N'en pouvant plus, il lui aurait dit un
jour : « j'm'en fou c'est ta vie, mon frère c'est mon frère, et moi c'est moi ! », et ajoute « il me
lâchait pas depuis ce jour-là ». Ibrahim entre un jour dans la confrontation physique avec cet
enseignant (il le saisit par le col) et s'ensuit un conseil de discipline.
Il cite également une remarque particulièrement appréciée formulée par son
enseignant de technologie (personne qui semble très investie affectivement) a propos du lien
entre lui et son grand frère : « vous deux vous vous ressemblez pas du tout, mais vous avez le
même caractère » et ajoute pour préciser « on a la même façon de parler ». Ainsi Ibrahim
serait-t-il à la recherche d'un discours adulte sur le lien à son grand frère, qui reconnaisse et
mette en mot le lien identificatoire complexe qu'il entretient avec son frère, conjuguant

359
dissemblance totale (vous vous ressemblez pas du tout) et ressemblance profonde (même
caractère). Cette ressemblance fraternelle, en ce qu'elle tient à la « façon de parler »
révélatrice du « caractère », est donc du côté du langage porteur d'une vérité intime et non
pas de l'apparence.
Le lien fraternel joue certainement un grand rôle dans le fort investissement d'une
communauté adolescente dont il tend à se faire le porte-parole. Ibrahim tend en effet à parler
au nom d'un « nous » qui semble désigner un ensemble de jeunes vivant dans le même
quartier et entretenant un rapport difficile avec l'école et peut-être aussi avec la police.
D'après son discours, nous pouvons émettre l'hypothèse que le groupe classe peut être pour
lui le théâtre d'une mise en jeu des rivalités et jalousies fraternelles, l'enseignant jouant le rôle
du parent injuste. En effet, Ibrahim accuse les enseignants de ne pas traiter équitablement les
élèves qui se positionnent au fond de la classe (dont il fait partie) et ceux du devant,
dénonçant une « injustice ». Les élèves du devant auraient le droit de parler fort,
contrairement aux élèves du fond. Il semble bien qu'Ibrahim élabore ce que nous pourrions
appeler son « complexe fraternel » dans l'espace scolaire, à travers la relation aux pairs et aux
enseignants. R. Kaës souligne qu'à l'école, le sujet « fait l'expérience d'être confronté à des
pairs, semblables et différents, et à des situations qui mobilisent les structures et les
harmoniques du complexe fraternel, sans pour autant en reproduire exactement tous les
caractères et tous les enjeux. Ce déplacement se traduit par le passage des liens de filiation
aux liens d'affiliation. » (2008, p195).
Il nous faut maintenant revenir sur la remarque d'Ibrahim, à propos des adultes qui
travaillent dans la maison de quartier, qui nous oriente vers l'investissement d'une figure de
grand frère. Il dit « les adultes sont comme nous ». Il s'agit encore, nous semble-t-il, d'une
formulation contradictoire (tout comme la remarque de l'enseignant de technologie à propos
du lien à son grand frère) qui convient bien à Ibrahim en ce qu'elle réussit à traduire le lien
identificatoire complexe entre ressemblance et dissemblance qu'il cherche à nouer dans la
relation à l'adulte. Ressemblance parce qu'ils sont « comme nous » et dissemblance parce
qu'ils sont reconnus « adultes » appartenant donc à une autre génération. Nous émettons
l'hypothèse selon laquelle Ibrahim cherche à investir l'adulte sur un mode similaire au grand
frère, ce qui lui permet d'éviter un peu la reconnaissance de la différence générationnelle avec
son lot de castration et de dette transgénérationnelle à assumer.
Plus largement, Ibrahim semble chercher dans la relation à l'adulte la composition
d'un ''entre deux'' que favoriserait la figure du grand frère adulte. Un entre deux qui
permettrait la conciliation entre des tendances et des éléments identitaire différents, à la

360
''croisée de chemins'' entre affiliation au groupe fraternel et affiliation à l'institution scolaire,
entre Algérie et France, entre enfance et adolescence, etc... Si l'enseignant de technologie est
particulièrement investi c'est en parti parce qu'il permet à Ibrahim de construire un lien entre
l'Algérie et la France. Ainsi, lorsque nous lui demandons quelles matières il préfère, il
répond : « la technologie j'suis obligé d'en parler parce que le prof je l'aime trop. Il me fait
penser aux profs que j'ai eu au bled. ». Nous supposons que suite à une expérience d'exil de
l'Algérie vers la France potentiellement traumatique lorsqu'il avait 5-6ans, Ibrahim tente
d'élaborer dans l'après coup pubertaire cette expérience et tisser des liens renouvelés à son
pays d'origine. Cet enseignant a demandé à Ibrahim de continuer à venir participer à ses cours
malgré son orientation en classe relais, l'attachement est donc réciproque. Cet enseignant
soutient donc particulièrement l’œuvre identitaire de liaison créative (lien interculturel, lien
fraternel, lien d'attachement et identificatoire à une figure adulte).
Toujours dans cette perspective de l'entre deux, Ibrahim évoque un « prof d'histoire »
qui de par sa façon de parler lui donne le sentiment d'un positionnement intermédiaire entre
ressemblance et dissemblance, entre appartenance à la communauté fraternelle et distinction :
« en classe il nous parle sérieusement ... en fait, c'est comme si il était notre pote. ». Ibrahim
évoque son impression que cet enseignant utilise les même mots que lui mais sans jamais
dériver vers la vulgarité, ce qui, par-contre, lui arrive fréquemment. Ibrahim nous dit : « des
fois il dit des trucs directs, juste pour calmer » l'élève indiscipliné et rencontre l'élève à la fin
du cours se préoccupant de savoir s'il n'a pas été blessé par ses paroles ''directes''. Cette figure
enseignante réussit donc entre autres, selon Ibrahim, à concilier le sérieux et le parler ''pote'',
et semble investie pour cela.
Ibrahim exprime sa reconnaissance envers son enseignante d'histoire de 6ème et
5ème, pour l'aménagement du cadre qu'elle a su créer et proposer, et dont il a pu se saisir.
L'enseignante lui a proposé de passer ses contrôles d'histoire dans la maison de quartier sous
l'encadrement d'un adulte intervenant de la maison de quartier, ceci au lieu de les faire en
classe. Cette enseignante se serait aperçu qu'Ibrahim réussissait mieux les devoirs à faire à la
maison - Ibrahim nous parle d'un devoir pour lequel il aurait obtenu la note de 18/20 - et a
donc proposé cet aménagement. Cela a duré un an. Ibrahim se dit reconnaissant de la
confiance que lui accordée cette enseignante en l'autorisant à faire ses contrôles en dehors de
sa surveillance. Ce dispositif nous évoque encore l'entre deux en ce qu'il permet la
constitution d'un espace intermédiaire entre école et maison de quartier, ou entre espace
interne à l'école et espace externe d'affiliation. Nous supposons que cette enseignante a
répondu par ce dispositif à l'ambivalence qui caractérise le positionnement d'élève d'Ibrahim.

361
Positionnement peu confortable entre présence et absence, interne et externe à l'institution
scolaire. Cette forte ambivalence est bien traduite par le commentaire qu'Ibrahim fait de son
dessin. Comme nous l'avons déjà fait remarqué, Ibrahim dit que les élèves qu'il représente sur
son dessin, debouts et parlant entre eux sont « encore dehors » alors qu'ils sont
manifestement dans l'enceinte de la classe. Il maintient ainsi un flou entre l'interne et l'externe
à la classe, ce qui peut renvoyer au besoin d'un espace intermédiaire qui autorise
l'indéterminé, malgré le risque de l'indifférenciation excessive des espaces éveillant l'angoisse
d'une perte des limites (interne/externe, moi/non moi).
Ibrahim semble avoir particulièrement investi ces trois enseignants (enseignant de
technologie et les deux enseignants d'histoire) en raison de leur capacité à incarner et mettre
en œuvre une fonction de médiation. Il est possible que ces enseignants constituent pour
Ibrahim des modèles identificatoires dans la mesure où il désire ardemment acquérir,
introjecter cette aisance à créer -et naviguer sur un espace intermédiaire, ceci, sans être exclu
de l'institution scolaire pour cause de transgression d'un interdit ou d'une limite.
Il est intéressant de noter qu'Ibrahim dit être « tout le temps avec la médiation de la
ville », insistant sur l'idée que son lien étroit avec le service de médiation lui confère un
certain réseau d'influences qui l'a protégé jusqu'ici contre les exclusions de son collège. Il se
vante même d'avoir été convoqué quatre fois en conseil de discipline et jamais renvoyé. Au-
delà de cette dimension de (contre)pouvoir qu'il met en avant, l'investissement fort du service
médiation de la ville peut signifier avant tout un projet de mettre en œuvre une fonction
médiatrice au service du lien constructif entre les habitants de la ville. La définition du
médiateur affichée sur le site de la ville en question fait bien apparaître cette fonction de
médiation au service de la communauté (voir annexes).
Ibrahim paraît donc cultiver et rechercher un espace de médiation, dans l'entre deux,
lui permettant sans doute d'échapper à toute détermination trop rigide qui viendrait le figer. Il
nous semble en effet se maintenir dans une indétermination et une instabilité des places qui
flirte dangereusement avec la transgression et l'indifférenciation. Dans ces conditions, le
rapport de confrontation directe avec l'autorité scolaire ou policière lui permet peut-être
d'éprouver une limite différenciatrice, visant à apaiser l'angoisse de l'indifférenciation.
L'expérience de l'indéterminé ou de l'informe, lorsqu'elle se produit dans un cadre
contenant, comporte une dimension positive en ce qu'elle génère un sentiment subjectif de
liberté propice à l'engagement dans une activité créatrice et dans une dynamique de jeu (D.W.
Winnicott, 1971 ; R. Roussillon, 2008). R. Roussillon insiste bien sur le fait que le sentiment
subjectif de liberté « est nécessaire pour que le sujet s'éprouve comme l'agent et le sujet de

362
l'activité de symbolisation, » c'est là « une précondition de l'appropriation subjective » (2008,
p60). Ainsi, par la recherche d'une expérience de l'indéterminé partagée avec l'enseignant en
milieu scolaire, Ibrahim cherche peut-être à introduire plus de jeu dans son collège (et peut-
être aussi dans sa ville par son action au service de médiation), de façon à s'aménager,
trouver-créer, une place d'élève moins conflictuelle. Nous remarquons qu'Ibrahim est
demandeur de participer à des discussions de groupe encadrées par l'enseignant de
technologie. Cet enseignant laisserait un temps de parole libre au début de chacun de ses
cours, durant lequel, comme l'exprime Ibrahim : « on peut parler d'un sujet qui a rien à voir
avec la techno. ». C'est un temps introductif autorisant une suspension du travail scolaire
proprement dit. « On part pas direct au travail. » nous dit Ibrahim. Le fait qu'Ibrahim puisse
se saisir de ce temps de discussion de groupe tend selon nous à montrer qu'il est demandeur
d'une activité créative groupale en milieu scolaire, qui met en jeu l'association libre et laisse
place à l'indéterminé, l'imprévu (pas de sujet de discussion déterminé à l'avance ou prévu
dans les programmes scolaires).
Pour terminer nos réflexions, nous citerons une remarque qu'Ibrahim émet en classe
relais en réaction à un exercice de géométrie qui, manifestement, l'exaspère. Il dit à peu près
ceci : « c'est des gens qui n'ont rien à faire qui ont inventé ça ! Mettre un triangle dans un
rond, ça sert à quoi ? »
Ibrahim interroge ainsi, nous semble-t-il, la nature des désirs des sujets à l'origine de
l'invention d'une science si énigmatique, puisqu'elle se préoccupe de savoir comment mettre
un triangle dans un rond. Il s'agit ici plus de vouloir percer le mystère de l'origine et du désir
de l'inventeur que d'acquérir et d'appliquer un savoir scolaire. Ibrahim manifeste en quelque
sorte le désir de connaître les « gens qui ont inventé ça » pour pouvoir mettre du sens sur son
activité. Par sa remarque spontanée il interpelle à sa façon l'enseignante de classe relais,
cherchant à ce qu'elle lui apporte une réponse ou l'aide à trouver sa réponse. Nous ne nous
rappelons malheureusement pas de la réponse de l'enseignante. Nous nous demandons si cette
remarque ne témoigne pas d'une activité créative d'appropriation subjective du savoir scolaire
qui demande à être soutenue par l(es)'enseignant(s). Peut-être s'agirait-t-il au fond, avec l'aide
de l'adulte, de ''faire connaissance'' (connait-sens, co-naissance) avec la géométrie et ses
inventeurs pour réduire son caractère d'étrangeté sclérosant ?
Ibrahim s'inscrit donc bien, selon nous, dans un processus créatif adolescent qui
viserait tout d'abord sur le plan scolaire à trouver une position d'acteur à part entière dans
l'école et plus particulièrement dans la relation aux enseignants. Questionnant les savoirs,
s'impliquant avec l'adulte lorsque c'est possible dans l'aménagement du cadre et la réflexion

363
de groupe, et cherchant à jouer avec, ou au détriment de, l'enseignant (nous pensons
notamment au petit jeu risqué de la mère soignante et de l'enfant qui semble s'établir entre lui
et l'enseignante de classe relais). Il tente selon nous de trouver-créer en milieu scolaire un
espace que nous pourrions appeler transitionnel en ce qu'il met en suspend le problème, peut-
être encore trop difficile à résoudre, de son appartenance ou de son extériorité à l'institution
scolaire. Pour « faire son adolescence héroïquement », il a sans doute excessivement recours
à des procédés pervers (surtout le masochisme) et à la projection qui instille une atmosphère
de paranoïa ordinaire dans la relation à l'enseignant. Il s'insurge contre, plus qu'il ne dénie, la
différence des générations et la transmission de la dette qui l'accompagne. Ces procédés, ce
mouvement insurrectionnel, ainsi que sa recherche d'un espace et d'une fonction de médiation
fragilise les limites moi/non moi entraînant en retour, nous le supposons, une recherche de
différenciation dans la confrontation avec l'autorité adulte. La relation aux enseignants est
susceptible d'éveiller une fantasmatique sexuelle vive ou qui flirt avec l'incestuel dans
laquelle Ibrahim tient à occuper une place active (acteur dans la scène primitive, séducteur,
provocateur de la punition érotiquement investie). Cette fantasmatique tend à être mise en
acte sur la scène de la classe avec la participation requise de l'enseignant.

364
PARTIE 4:
DISCUSSION
DES RÉSULTATS
Chapitre A : Synthèse des résultats en fonction de chaque hypothèse

Rappel de l'Hypothèse 1 :
Pour un grand nombre d'adolescents de collège à risque de décrochage scolaire, la
relation pédagogique est saturée par des expériences et des fantasmes de passivité-passivation
à l’égard de l’enseignant

Hypothèse opérationnelle 1 :
À partir des informations recueillies selon plusieurs procédés méthodologiques –
entretiens avec les adolescents, dessins, entretiens avec deux enseignantes de classe-relais,
observations et échanges informels - nous nous attendons à observer une difficulté
particulière pour :
a) être affecté et excité par l'autre enseignant, avec une attention particulière portée à l'être
séduit.
b) s'éprouver et se représenter comme dépendant de l'autre enseignant
c) être formé-déformé par le biais de l'identification à l'enseignant.
d) être sous l'emprise (normale) de l'enseignant, notamment au niveau du corps (élève
positionné par l'enseignant dans la classe, recadré par l'enseignant par rapport à son attitude,
interdit de sortir, etc...).

Hypothèse 1 a) :
La majorité des sujets ne semble pas éprouver de difficulté majeure pour accepter
d'être affecté par les enseignants. Nous constatons en effet qu'ils peuvent nous dire avoir noué
des liens affectifs forts avec certains enseignants durant leur parcours scolaire. Ils nous font
part de leurs sentiments tant négatifs que positifs naissant dans la relation aux enseignants.
Nous notons des signes d'une forte émotivité et excitabilité qui se manifesteraient peut-être
particulièrement dans la relation aux enseignants. Il semble difficile, pour la majorité des
sujets, d'identifier l'origine des affects et excitations rangés du côté du déplaisir, et qui
naissent dans la relation à certains ou la majorité des professeurs. Certains sont ainsi exposés
à des affects et excitations débordants dont ils reconnaissent la provenance interne, mais dont
ils n'arrivent pas à identifier la cause. C'est à dire que quelque chose, qu'ils situent à l'intérieur
d'eux-même, les affecte, les excite, mais ils n'arrivent pas à déterminer ce qu'est cette chose ni
d'où elle provient. L'autre tendance que nous observons est de désigner l'enseignant comme le
''fauteur de trouble'' affectif et excitationnel. Il nous semble que la majorité des sujets tendent,

365
par des mises en scène et des recours à l'acte, à faire éprouver des émotions fortes aux
enseignants. En somme, ils peuvent être affectés (passivité) par l'enseignant, mais il semble
important pour eux d'affecter fortement (activité) certains enseignants, les choquer, les
surprendre, les énerver, les toucher positivement ou négativement.
Sur le plan de la séduction, la dimension passive de ''l'être séduit'' semble s'effacer au
profit de ce qui serait plus de l'ordre d'une inter-séduction atténuant ou annulant la différence
actif-séducteur-enseignant/ passif-séduit-élève. Ils demandent en effet que l'enseignant soit à
l'écoute, les comprenne, les reconnaisse, ce qui nous conduit plutôt vers la séduction
narcissique, en tant qu'elle permet que se développe une reconnaissance mutuelle et une
certaine familiarité, dans la relation élève-enseignant. Nous nous interrogeons en
conséquence sur l'absence dans leur discours d'une séduction plus asymétrique, mettant en
jeu les séductions originaire (par l'énigme que pose l'enseignant) et/ou œdipienne qui
participent de l'investissement de la transmission du savoir scolaire sur le mode de l'initiation.
Dans les scenarii de séduction que les sujets nous laissent entrevoir, il manque, selon nous,
une place pour le tiers séducteur incarné par l'enseignant et/ou le savoir, et/ou la séduction
par l'écart, qui motiveraient l'engagement vers la transmission scolaire intergénérationnelle
du savoir. Nous rappelons que C. Chabert (1999) propose de nommer « passivité originaire »,
l'expérience que fait l'enfant de l'écart entre son langage et celui de l'adulte imprégné de
sexualité génitale. R. Kaës parle de l'écart nécessaire entre la demande et l'offre de formation.
« c'est à repérer l'écart qui le sépare de son projet que le sujet peut se constituer dans sa
subjectivité et se former. Le caractère irréductible de cet écart est le moteur même du désir
de formation, du travail qu'elle requiert, de l'illusion qui l'inaugure. C'est aussi à maintenir
l'écart entre la demande de l'être en formation et l'offre du formateur, contre l'illusion
fusionnelle d'une coïncidence parfaite, que fonctionne le processus de formation. »
(1975/2007, p72).
Nous en concluons que la position passive d'être séduit par l'enseignant mis en place
d'adulte est a priori difficile à investir pour les sujets, voire à éviter, et ne joue pas de rôle
particulier dans l'investissement des apprentissages.

Hypothèse 1 b) :
Cette hypothèse tend à être infirmée dans la mesure où une majorité de sujets peuvent
formuler une demande impliquant la reconnaissance d'une certaine dépendance. Demande
d'être aidé, compris et de bénéficier de l'attention bienveillante de l'enseignant. La question se
pose de savoir si les enseignants peuvent se permettre de répondre à cette demande, qui nous

366
semble relever d'une certaine avidité relationnelle et affective. Plusieurs indices tirés de
différentes sources (discours de certains élèves et des deux enseignantes, scènes auxquelles
nous avons assisté, tests projectifs) nous permettent d'émettre l'hypothèse que les élèves sont
en difficulté pour éprouver l'attente que l'autre adulte-enseignant réponde à leur demande.
Face à la passivité de l'attente un bon nombre de sujets présenteraient des réactions (haine de
l'objet frustrant, agitation, auto-sabotage) qui peuvent être considérées comme autant de
façons de reprendre une position active dans la relation à l'autre.

Hypothèse 1 c) :
Au moins huit sujets tendent à associer la position d'élève au collège à une forme de
soumission avilissante dans la relation à une figure enseignante autoritaire et/ou persécutrice.
Dans ces conditions investir la place d'élève ferait peser la menace d'être transformé en :
esclave (Selma, Ibrahim, Édouard), maillon d'un système hiérarchique en bas de l'échelle
(Georges), un être réduit au silence dans la relation à des enseignants tout puissants (Imen,
Hans), un chien dans la relation à son maître (Sinan), ou un élève en dessous d'un enseignant
qui ''enfonce'' (Naïma).
La différence enseignant-élève semble donc plus relever d'une différence dominant-
dominé que d'une différence intergénérationnelle. Nous relevons par ailleurs au TAT que pour
sept sujets la différence des générations apparaît peu et tend à être remplacée par une
différence dominant-dominé.
Nous pouvons supposer que les enseignants ont pu jouer ou jouent encore le rôle de
surfaces de projections, qui en font des objets de haine rangés du côté de l'étranger. Nous
savons que la projection, lorsqu'elle est trop intense, empêche l'introjection médiatisée par la
relation à l'autre. L'identification à l'enseignant tendrait donc à être bloquée. Ce qui nous
semble ici empêché de se déployer, c'est une identification constructive qui permette à l'élève
d'éprouver le sentiment que l'enseignant est, dans une certaine mesure, son semblable. C'est
cette Identification enseignants-élèves sur laquelle insiste A. Sirota (2007) relevant que
lorsqu'elle est absente c'est « la crise » dans la classe comme dans l'école. « la notion de crise
dont il est question ici correspond à celle que Gérard Mendel a élaboré dans ses travaux et
qui s'applique aux situations où les protagonistes d'une relation potentielle éprouvent le
sentiment qu'aucune communication n'est possible, qu'il n'y a pas de terrain commun pour se
rencontrer, pour discuter ou pour disputer des points de vue. ». La crise intervient
lorsqu' « aucune identification à l'autre comme semblable n'apparaît possible » (2007, p313).
Dans un tel contexte l'enseignant incarnerait l'étranger qui, nous le supposons, fait

367
directement écho au sentiment d'étrangeté qu'éprouve le sujet adolescent dans le rapport à son
corps et à ses éprouvés.
Nous notons cependant qu'un bon nombre de sujets expriment plus ou moins
explicitement une demande de discuter et de débattre avec l'adulte en relation duelle et/ou en
situation groupale. Ceci est corroboré par le discours des enseignantes et notre expérience de
l'échange avec eux en situation groupale. Peut-être peut t-on y voir une demande de relancer
une identification à l'adulte enseignant en panne ? (re)Trouver-créer « un terrain commun
pour se rencontrer » (A. Sirota, 2007, p313). Reste à savoir comment l'institution scolaire
peut entendre et répondre à cette hypothétique demande.
Les stages en milieu professionnel semblent également l'occasion pour certains de
développer une identification dans la relation duelle à un ''maître de stage''.
Il nous semble que la majorité des sujets exige de l'enseignant un travail et une
souplesse identificatoire particulièrement importants, ceci pour trois raisons :
- étant donné leur demande que les enseignants les comprennent, les reconnaissent, les
soutiennent. Répondre à cette demande impliquerait du côté de l'enseignant de pouvoir
s'identifier à chaque élève individuellement dans une perspective d'écoute et de
compréhension.
- face aux difficultés et aux comportement des sujets l'enseignant est sans doute amené à
remettre en question ou douter de certaines dimensions de son identité professionnelle
enseignante.
- dans la relation à ces sujets l'enseignant serait particulièrement mis à l'épreuve dans sa
capacité à accueillir l'indéterminé, l'informe. En effet, nous avons vu que les sujets sont
susceptibles de confronter l'adulte à l'éprouvé de l'informe, par différents comportements
mettant en jeu le corps agité (chahut groupal, recours à l'acte, mises en scène éphémères et
propos transgressifs). Sur le plan de l'identité cela impliquerait du côté de l'enseignant une
possibilité d'éprouver l'informe sans se sentir menacé outre mesure de confusion et
désorganisation des repères identificatoires (perte ou dilution d'une bonne forme de soi).
L'enseignant serait donc particulièrement sollicité par nos sujets dans sa capacité à se
laisser dé-former par l'élève, par le biais de l'identification ou lorsqu'il se trouve confronté à
l'expérience de l'informe. L'aménagement de la forme scolaire, auquel procèdent les
enseignantes des classes relais, par la mise en œuvre de méthodologies pédagogiques
alternatives, pourrait témoigner de la transformation de l'identité enseignante que le travail
avec ces élèves implique.

368
Hypothèse 1 d) :
Nous constatons qu'au moins sept sujets (Imen, Kevin, Naïma, Édouard, Ibrahim,
Georges et Sinan), ont -ou ont pu avoir- tendance à attribuer aux enseignants un désir et/ou
une fonction exclusivement centrés sur la domination totalitaire des élèves, parfois empreinte
de sadisme (l'enseignant qui fouette dessiné par Édouard, l'enseignant qui saisit la moindre
occasion pour « enfoncer » l'élève, évoqué par Naïma). Parmi les sujets qui dénoncent une
volonté d'emprise excessive du côté des enseignants, plusieurs disent se révolter et entrer en
résistance passive ou active contre la domination enseignante. Ce mouvement de résistance
trouve à s'intégrer dans ce qui nous semble être des scenarii adolescents de lutte héroïque
contre le pouvoir adulte. Pour un grand nombre de sujets, la domination de l'enseignant sur
l'élève met en jeu l'emprise sur le corps principalement à travers la privation de l'exercice de
la voix, l'exclusion hors de la classe du corps agité adolescent et le placement forcé de l'élève
dans la classe. La problématique de l'emprise semble imprégner plus largement la relation des
sujets avec l'institution scolaire. Plusieurs éléments tirés du discours des enseignantes nous
laissent penser que l'institution scolaire participe de cette dynamique d'emprise, en pratiquant
une exclusion et une stigmatisation qui ne dit pas son nom. Exclusion qui pourrait être, en
premier lieu, exclusion du corps agité adolescent ou pré-adolescent.
Au moins sept sujets (Naïma, Ibrahim, Georges, Imen, Kevin, Aymeric et Ophélia)
expriment, par leur discours ou par leur dessin, un désir particulièrement vif de préserver et
développer une liberté du corps au sein de la classe et de l'école de différentes manières : le
choix de son placement dans la classe, le choix de rester ou sortir de la classe, l'errance dans
les couloirs, l'occupation transgressive de lieux cachés dans l'enceinte de l'école et refus de
faire du sport. Nous avons proposé par ailleurs d'interpréter la passivité du corps affichée par
plusieurs sujets (Ophélia, Aymeric, Édouard, Idir et Yassin) comme une forme de résistance à
la discipline corporelle scolaire.
Les comportements transgressifs de bon nombre de sujets peuvent aussi être
interprétés comme une façon de préserver un sentiment de maîtrise de soi face à la voix de
l'enseignant (les cris, la grosse voix masculine, la voix de l'homosexuel) qui fait intrusion et
excite.
Plusieurs sujets semblent particulièrement mobiliser leur corps dans une visée
d'expression personnelle, voire de création. L'investissement d'une certaine liberté expressive
du corps en milieu scolaire se trouve corroboré par le discours des enseignantes et nos
observations. Les enseignantes et nous-même observons en effet une tendance à investir les
activités créatives pédagogiques qui mettent en jeu la sensorialité et le langage du corps.

369
L'expérience du toucher prend peut-être la place la plus importante dans le désir
d'exploration sensorielle des élèves inscrits en classe relais. Les enseignantes relèvent que
l'expérience d'être touché physiquement par l'enseignant constitue une menace forte pour la
plupart des élèves. Ce qui pourrait notamment être mis en jeu à travers l'expérience négative
du toucher en position passive, c'est le sentiment d'être sous l'emprise de l'enseignant qui
saisit et excite le corps et la psyché.
Compte tenue de ces différents éléments, il nous semble que les sujets de notre
recherche et, plus généralement, les élèves inscrits dans un processus de rupture avec l'école
au niveau du collège, sont susceptibles de vivre comme une emprise abusive la discipline
scolaire du corps, que les enseignants sont chargés de faire respecter.

Retour sur l'Hypothèse 1 :


L'hypothèse théorique 1 est partiellement validée dans la mesure où seules les
hypothèses opérationnelles 1c et 1d tendent clairement à être confirmées. L'hypothèse
opérationnelle 1a n'est pas validée, cependant nous notons une tendance à l'évitement d'une
position passive d'être séduit dans la cadre de la relation pédagogique. L'hypothèse
opérationnelle 1b n'est pas validée, mais nous observons des signes d'une difficulté pour
supporter la passivité associée à l'attente dans la relation à l'enseignant.

Rappel de l'Hypothèse 2 :
L'expérience de passivité insoutenable qui caractérise le vécu d'élève dans la relation
au professeur dépend de la façon dont ces adolescents s'inscrivent dans la dynamique
pulsionnelle et fantasmatique activité-passivité. Cette dynamique se caractérise par le
surinvestissement de l'activité au détriment de la passivité qui a une incidence néfaste sur la
réceptivité (de l'enseignement) et l'identification (à l'enseignant).

hypothèses opérationnelle 2 :

Nous nous attendons à observer aux tests projectifs :

370
a) Une tendance à rejeter ou éviter la position passive fantasmatique et plutôt investir une
position active, c'est à dire, séduire plutôt qu'être séduit. La position active dans le fantasme
de séduction peut aussi prendre la forme masochiste d'un appel à la fustigation par l'adulte.
Ceci s'observera essentiellement à travers les récits au TAT.
Au Rorschach le rejet de la position passive et l'investissement d'une position active
au niveau fantasmatique peut transparaître dans les réponses et réactions aux planches II, IV,
VI (spécialement) et VII.

b) L'investissement, face à la perte et la dépendance, d'une position active visant


exclusivement l'emprise, ce qui se traduira :
Au TAT par une identification à des personnages qui abandonnent au lieu d'être abandonnés
ou pallient activement à la perte et la solitude en ayant recours à des procédés à visée
d'emprise (sur soi, sur le matériel, sur le clinicien).
Au Rorschach, par un traitement particulier des espaces blancs traduisant une visée de
maîtrise. Le recours à des défenses de l'ordre de l'emprise à la planche X.
Au TAT comme au Rorschach l'évitement ou la répression des affects associés à la perte et à
la dépendance.

c) une tendance à surinvestir le percept, le visuel et l'agir au détriment de l'expression


affective qui se traduira :
Au TAT, par un faible recours aux procédés de série Labilité et plus particulièrement
des expressions d'affects (B1-3), des affects forts ou exagérés (B2-2), de la mise en avant
d'affects au service du refoulement des représentations (B3-1) et de l'érotisation des relations
(B3-2). Nous observerons un fort investissement de l'activité de voir manifesté par le sujet ou
attribué aux personnages de ses histoires. Ceci associé à de nombreux procédés de type CF-1
(accent porté sur le quotidien, le factuel, le faire), CN-4 (insistance sur les limites, les
contours et sur les qualités sensorielles) et CL-2 (appui sur le percept et ou le sensoriel).
Au Rorschach, par les indices d'un surinvestissement du contrôle et l'élévation au
dessus de la normale du nombre de réponses ''peau '' proportionnellement au nombre de
réponses ''pénétration''. Associé à cela nous constaterons au Rorschach, une faible prise en
compte des éléments sensoriels des planches (couleurs, estompage, clair-obscur).
Un fort recours à l'agir à visée d'emprise se manifestera à travers leur comportement
durant la passation des tests, ainsi que par le recours à des figurations au Rorschach et des

371
récits au TAT qui mettent en scène des agirs évoquant « l'appareil d'emprise » (prendre,
grimper, attraper, etc.).

Nous nous étayerons également sur les entretiens avec les adolescents et les deux
enseignantes de classe relais pour déterminer dans quelles dynamiques activité-passivité
s'inscrivent les adolescents. Nous nous appuierons aussi sur nos observations des
comportements des adolescents en classe et sur nos échanges avec les professionnels des
classes relais (éducatrice, adultes relais, enseignantes).
Nous nous attendons à ce que les éléments cliniques recueillis à travers ces différentes
voies d'investigation (entretiens, échanges informels et observations in situ) fassent apparaître
que la majorité des adolescents sont inscrits dans une dynamique activité-passivité
caractérisée par le rejet de la passivité associé a un surinvestissement de l'activité sur le
versant de l'emprise.

Hypothèse 2 a :
A partir de notre analyse des protocoles de TAT nous observons que la majorité des 11
sujets (ayant passé le TAT) sont difficilement en mesure d'assumer et de faire avec l'érotisme
qui peut s'infiltrer dans la relation avec l'adulte. Nous constatons que 5 sujets tendent à éviter
la position passive vis-à-vis d'une figure masculine voire paternelle en attribuant aux
personnages une position active et abolissant la différence générationnelle. Ajouté à cela,
nous constatons que pour deux filles (Imen et Ophélia) la position passive vis-à-vis d'un
homme tend à être associée à la domination violente de la femme, représentation qui nous
évoque la version mélancolique du fantasme de séduction visant un rejet ou un évitement de
la passivité.
A partir du protocole de Rorschach d'Aurélien, nous supposons qu'il se débat contre la
régression vers une position passive de retour au ventre maternel.
Les protocoles de Rorschach indiquent un abord difficile du féminin.
Nous relevons des indices à travers le discours des sujets qui permettent de supposer
que la fantasmatique passive érotisée est mise en jeu dans la relation conflictuelle avec
certains enseignants :
Sur le plan du fantasme de séduction, l'enseignant occuperait sur la scène
fantasmatique de plusieurs sujets la place du séducteur-persécuteur. Nous constatons en effet
que 8 sujets (Sinan, Naïma, Ibrahim, Hans, Oscar et, dans une moindre mesure, Georges,
Aurélien et Édouard) semblent avoir recours à un procédé qui peut s'apparenter à la séduction

372
hystérique, consistant à exciter en toute innocence l'autre enseignant pour ensuite lui donner
la place de persécuteur sans foi ni loi. Sur le plan de la dynamique activité-passivité, le
positionnement est plutôt actif dans la mesure où ils cherchent activement la mise en scène
d'une position passive dans la relation à l'enseignant.
Après avoir abordé les questions de la dynamique activité-passivité dans la
fantasmatique sexuelle telle qu'elle transparaît à travers le discours des sujets et dans les
projectifs ; nous avons observé des éléments indiquant que la majorité des sujets semblent
aux prises avec une fantasmatique sexuelle passive particulièrement vive et difficilement
élaborable, qui s'actualise dans la relation aux enseignants. Cette fantasmatique mettrait en
jeu les questions du féminin érotique (Georges, Idir, Édouard, Imen), maternel (Aurélien,
Sinan), de la bisexualité fantasmée (Hans, Helder) et de l'homosexualité masculine (Naïma,
Ibrahim, Yassine, Selma).
-Questionnement autour d'une fantasmatique sadomasochiste :
Nous posons la question d'une érotisation de la punition selon le processus du
masochisme moral. Le couple transgression-punition/exclusion serait susceptible d'être mis
en lien avec une fantasmatique passive œdipienne (être coïté par le père phallique œdipien)
et/ou homosexuelle masculine au moins dans les cas d'Édouard, Hans, Naïma, Ibrahim,
Kevin, Imen, Yassine, Selma et Georges. Nous étayant sur le discours des élèves et des
enseignantes ainsi que sur la littérature scientifique, nous suggérons que certains enseignants
et surtout le système scolaire sont susceptibles de participer au développement d'une
fantasmatique sadomasochiste délétère jouant un rôle dans la rupture des sujets avec l'école.

L'hypothèse 2.a tend donc à être validée dans la mesure où :


au moins la moitié des adolescent(e)s tendent à éviter, la représentation au TAT d'une
position passive dans la relation à une figure masculine et un bon nombre soutiennent une
position active qui fait fi des différences générationnelles dans le cadre de la relation à une
figure masculine paternelle.
le féminin fait l'objet d'un mouvement d'emprise au Rorschach
Un bon nombre de sujets auraient recours, dans la relation à l'enseignant, à une forme de
procédé hystérique ou au masochisme moral, se caractérisant plutôt par une position active de
mise en scène de la séduction ou de recherche de punition (masochisme moral).

373
Hypothèse 2 b :
L'hypothèse 2 b tend à être validée dans la mesure où, dans la majorité des cas, les
éprouvés associés à la solitude et à la perte font l'objet d'une emprise visant à réprimer plutôt
qu'à élaborer les éprouvés. Par ailleurs, les deux sujets qui paraissent en mesure d'éprouver la
solitude et la perte semblent tenir à une certaine indépendance dans la manière de faire face à
ces épreuves. Nous constatons donc deux types d'activité mobilisés face à la problématique
de la perte : d'une part, l'activité d'emprise visant la répression et/ou le déni du vécu de perte ;
d'autre part l'activité qui, à partir d'une prise en compte des difficultés, va participer d'une
émancipation, de prise d'indépendance vis a vis d'un environnement jugé défaillant ou
malveillant.

Hypothèse 2 c :
L'hypothèse 2 c n'est que partiellement validée. Il semble bien y avoir un mouvement
d'emprise visant la répression des affects qui marque les protocoles de TAT et de Rorschach
d'au moins 8 sujets sur 12 (Naïma, Georges, Idir, Hans, Aymeric, Édouard, Sinan et
Aurélien); cependant nous n'observons pas de surinvestissement de la perception et de l'agir
(excepté Oscar au Rorschach) durant la passation des tests, comme nous l'avions supposé.
L'activité de voir semble tout de même particulièrement investie par un bon nombre de sujets
dans une visée d'emprise sur les éprouvés et la représentation, mais cela ne transparaît pas
exclusivement à travers le surinvestissement du percept au TAT et au Rorschach.

Nous constatons que le mode de traitement des affects et de l'excitation transparaît


également à travers le discours des sujets sur la relation aux enseignants. Il convient donc de
compléter les données provenant des tests projectifs par les éléments tirés du discours des
sujets.
Il ressort de nos analyses du rapport aux affects et à l'excitation à partir du discours
des sujets, que la majorité d'entre eux peuvent se reconnaître excités et/ou affectés
positivement et négativement par un autre interne (force obscure interne) et/ou externe
(l'enseignant). La majorité des sujets aurait donc accès à minima à une certaine passivité qui
consiste « d'abord (à) admettre que l'action de l'objet a un effet de modification sur le moi du
sujet. Le corollaire en est la reconnaissance de ces transformations internes, notamment
dans leur traduction la plus perceptible au départ, c'est à dire en terme d'intensité, donc
quantitativement : l'effet de l'objet se repère dans une augmentation de l'excitation » (C.
Chabert, 2011, p90). Deux sujets, Georges et Imen, semblent figés dans cette reconnaissance

374
exclusivement quantitative de l'effet de l'autre en soi. C'est à dire qu'ils ne reconnaissent
l'effet de l'objet enseignant qu'en terme d'augmentation ou d'abaissement de l'excitation, sans
pouvoir accéder à un éprouvé plus qualitatif en terme d'affects identifiés et verbalisés.
Trois sujets (Naïma, Oscar, Ibrahim) ont tendance à désigner l'enseignant comme
l'agent excitant-irritant ne reconnaissant pas en eux un autre interne (inconscient, ça) qui les
excite et les affecte négativement. Nous en déduisons qu'il est plus facile pour eux de se
reconnaître passif vis-à-vis d'un autre externe (enseignant) que d'un autre interne. Cela va
dans le sens d'un défaut d'élaboration de la passivité dans le rapport à ce qui les anime, les
agit en interne, associé à un recours au procédé défensif de la projection . La figure de
l'enseignant agent excitant-irritant est également fortement présente dans les discours de
Georges, Hans, Aurélien et Sinan. Leur discours fait apparaître que la submersion affective et
excitationnelle provient d'une combinaison entre l'influence de l'autre interne (l'inconscient)
et l'influence de l'autre externe (enseignant).Trois sujets (Édouard, Idir et Ophélia), semblent
tenter d'anesthésier l'excitation provenant de l'interne et de l'externe par un sur investissement
de l'ennui, du sommeil, voire du ralentissement psychomoteur dépressif.
La majorité des sujets ne semblent donc pas coupés de leur vie affective, mais nous
disent tous à leur manière, à demi mot, qu'ils vivent des expériences de passivation en rapport
avec des affects diffus ainsi que des excitations qui les submergent, ceci, associé ou non à des
représentations irrépressibles (exceptés Édouard qui dit ne jamais s'énerver et Idir qui
n'évoque aucun débordement émotionnel ou excitationnel). Ces débordements, nous le
supposons, sont le signe d'un défaut d'élaboration des affects et de la psycho-sexualité, bien
visible aux tests projectifs.
Cette difficulté dans la mise en représentation des affects et de la fantasmatique
psycho-sexuelle favorise le recours à la projection (ce qui de l'interne ne peut être traité est
projeté sur l'extérieur) dans la relation à l'autre et plus particulièrement dans la relation à
l'enseignant. Une fois l'enseignant transformé en objet de haine, ce sont les enjeux d'emprise
qui vont dominer la relation élève-enseignant.
L'emprise sur les affects et l'excitation débordante se déploie également à travers un
certain usage du corps sous forme d'agirs et, peut-être, de ralentissement moteur.
Plusieurs sujets nous semblent ainsi faire un certain usage du corps visant avant tout
l'emprise sur soi et sur l'autre. Il s'agit de l'agitation motrice pouvant entrer dans le cadre
d'une défense maniaque (Kevin, Helder) ou servant une visée d'emprise sur l'excitation
débordante (Oscar). Il s'agit du recours à l'acte ou du passage à l'acte hétéro-agressif
(Aymeric, Yassine, Aurélien). Nous nous demandons également si le sommeil, le

375
ralentissement moteur voire psycho-moteur que donnent à voir et à entendre (par leurs
discours) Ophélia, Édouard, Aymeric, Idir et dans une moindre mesure Yassine, ne peut être
considéré comme une modalité d'emprise visant la mise en sommeil de l'excitation et des
affects.
Nous observons toutefois que la plupart des sujets peuvent développer une forme
d'expression personnelle dans la relation à l'autre, qui met en jeu le langage du corps. Il s'agit
de recours à l'acte et de mises en scène individuelles ou groupales, bien souvent
transgressives (par rapport à la règle scolaire), alliant la gestuelle et la parole. L'autre adulte,
surtout l'enseignant, est sollicité dans sa capacité à recevoir ces agissements, mettre des mots
sur ce qui se passe et préserver le cadre. Cette forme d'expression peut constituer une
première étape vers la symbolisation des mouvements affectifs et pulsionnels. Elle semble
participer de la création de scenarii héroïques adolescents centrés sur le conflit avec les
enseignants.
Plusieurs éléments issus du discours des élèves, des enseignantes et de nos
observations indiquent que les sujets de notre recherche et, plus généralement, les élèves
inscrits en classe relais, sont demandeurs et peuvent se saisir d'un espace d'expression libre en
groupe et/ ou en individuel encadré par un adulte, au sein de l'institution scolaire.
Nous déduisons de ces dernières observations qu'un bon nombre de sujets, bien que
mettant en œuvre des procédés rigides qui empêchent l'élaboration et l'expression des affects,
restent ouverts malgré tout à une relation groupale ou individuelle avec l'adulte, dans laquelle
puisse se déployer un partage et une élaboration des éprouvés soutenant la création pubertaire
ou adolescente en cours.

Retour sur l'hypothèse 2 :

Compte tenu des résultats obtenus pour chaque hypothèse opérationnelle, l'hypothèse
théorique 2 tend à être validée. Ainsi, nous observons bien une tendance des sujets à s'inscrire
dans une dynamique qui se caractérise par le surinvestissement de l'activité au détriment de la
passivité, qui semble avoir une incidence néfaste sur la réceptivité (du savoir transmis) et
l'identification (à l'enseignant).

376
Chapitre B : Éléments de réflexion tirés de nos résultats :

Dans cette partie nous mettrons en évidence les principaux enseignements que nous
tirons de notre recherche ainsi que les questionnements soulevés par celle-ci.

I. Les enseignants objets d'une forte demande de savoir … être passifs ?

Nous l'avons constaté, une majorité de sujets portent un discours qui révèle une forte
attente que les enseignants soient à l'écoute et attentifs à ce qu'ils peuvent exprimer. Attente
qu'ils laissent un espace à la parole de chacun des élèves. Cela nous renvoie à la capacité
d'accueil de l'enseignant du côté de l'être affecté et du désir de se faire toucher
(affectivement), pénétrer, voire féconder par les interventions des élèves.
Par ailleurs, un bon nombre de sujets disent apprécier les enseignants qui leur donnent
le sentiment d'une familiarité dans la relation. Pour que s'installe cette familiarité, nous
supposons que l'enseignant doit pouvoir s'identifier à ses élèves. C'est une identification qui
permet de faire communauté à partir d'une ressemblance, un point commun. Un grand
nombre de nos sujets solliciteraient donc particulièrement chez l'enseignant la possibilité de
se laisser transformer par l'identification aux élèves. Il s'agit donc d'une identification de
l'ascendant vers les « descendants ». Être attentif à chacun des élèves met en jeu également
l'empathie, qui peut être considérée comme une forme d'identification permettant de s'adapter
autant que faire ce peut à chacun des élèves à partir d'un partage des éprouvés.
Nous avons également repéré qu'une majorité de sujets cherchent à provoquer chez
les enseignants des réactions affectives fortes souvent liées à l'effet de surprise.
Nous concluons de ces observations que l'enseignant est fortement sollicité par nos
sujets dans sa souplesse identificatoire et son accès à une passivité en rapport avec l'éprouvé.
Cela nous évoque la notion d'objet médium malléable qui occupe une place
importante dans notre approche théorique de la dynamique activité-passivité. La plupart des
sujets de notre recherche solliciteraient particulièrement l'enseignant dans une fonction
d'objet médium malléable qui permette, dans une certaine mesure, le déploiement de l'illusion
du trouvé-créé dans la relation pédagogique. Nous rappelons les éléments principaux
constitutifs de cet objet selon R. Roussillon (2001) : « consistance spécifique (degré de
« dureté » et de malléabilité), indestructibilité, saisissabilité, transformabilité, sensibilité,
disponibilité, réversibilité, fidélité et constance. » (p183).

377
De nombreux sujets semblent particulièrement susceptibles d'être débordés sur le plan
affectif et de l'excitation pulsionnelle. Nous pouvons donc supposer qu'ils mettent les qualités
de malléabilité des enseignants à contribution (et à l'épreuve) de façon à pouvoir symboliser
ce qui les déborde.
Sur le plan plus spécifique de la dynamique activité-passivité, peut-être qu'un bon
nombre de sujets demandent à rejouer avec les enseignants un partage des éprouvés en
relation duelle et, plus particulièrement, un plaisir de la passivité. L'enjeu serait d'introjecter
les qualités de malléabilité de l'adulte (apprentissage de la malléabilité) pour mieux faire face
au changement pubertaire. Dans cette perspective, il serait important que l'enseignant puisse
communiquer, transmettre à ses élèves un plaisir de la passivité en se laissant séduire, affecter
et transformer par ce qu'ils expriment verbalement et non-verbalement. Quelque chose des
premiers échanges mère-bébé se rejouerait donc dans la relation pédagogique.
A. Aichhorn faisait déjà l'éloge en 1925, d'une certaine passivité permettant de nouer
un lien éducatif constructif avec l'adolescent basé sur un transfert positif. Il défendait en effet
l'idée selon laquelle l'éducateur ou psychopédagogue dès la première rencontre avec « le
jeune carencé qui se trouve en conflit ouvert avec l'environnement » (1925/2005, p109) doit
lui faire sentir qu'il comprend sa révolte et son sentiment, voire qu'il approuve son
comportement. Cette attitude sollicite selon nous un travail de la passivité mobilisé par
l'identification au jeune. Toujours dans le cadre de la première rencontre avec l'adolescent, A.
Aichhorn tente de le surprendre en devenant « passif ». Il écrit : « si je pouvais vous
expliquer en un mot mon comportement à partir du moment où le jeune a perçu en moi un
fragment d'activité, je dirais que je deviens passif et d'autant plus passif que le jeune carencé
attend une attaque de ma part. Son absence le laisse étonné, puis incertain, d'un coup il ne
sait plus s'orienter et sent, plus qu'il ne le reconnaît, que je ne suis pas l'adulte, l'autorité à
combattre, mais son allié compréhensif. » (1925/2005, p114). Se pose la question de la
possibilité et de la pertinence de développer une pratique similaire dans le cadre de la relation
enseignant-élèves.
Le discours des sujets et des deux enseignantes de classes relais nous laissent à penser
que lorsque les enseignants ne répondent pas suffisamment à cette demande exigeante de
malléabilité, ils risquent fort d'incarner la figure de celui qui abandonne et/ou de l'étranger
autoritaire-phallique contre lequel il s'agira de se révolter activement ou passivement. J. P.
Pinel et G. Gaillard (2012), Ph. Gutton et J. Bordet (2014) observent, par ailleurs, qu'il est
fréquent que les adultes œuvrant dans le champ éducatif réagissent excessivement sur le
mode de l'emprise phallique face aux sujets qui leur ''posent problème''. Ainsi J. P. Pinel et G.

378
Gaillard (2012) relèvent que « la défense la plus immédiate et la plus courante est celle
d’une érection phallique – érection d’une position héroïque, d’un « Savoir » fétichisé, en une
confusion entre paternel, masculin et phallique, qui obstrue tout accès au féminin. » (p115).
Lorsque s'impose cette configuration relationnelle, notre recherche semble indiquer
que c'est la différence dominant-dominé érotisée qui tend à remplacer les autres différences
fondamentales : des sexes et des générations. C'est donc la menace de passivation qui pèse du
côté de l'élève comme de l'enseignant. Plusieurs indices indiquent que cette menace ne
manque pas de charrier avec elle une fantasmatique sadomasochiste et homosexuelle
générant une excitation et des agirs problématiques sur la scène scolaire.

II. Narcissisme et sexualité :

Le changement pubertaire implique une reviviscence des désirs et fantasmes


incestueux, ainsi qu'une poussée plus forte des motions sexuelles qui menacent le narcissisme
de l'''encore enfant'' à plus d'un titre :
- il est confronté à des éprouvés d'excitation pulsionnelle qui éveillent le sentiment qu'il n'est
plus « maître en sa demeure ».
- les figures parentales deviennent inquiétantes du fait de la menace incestueuse qu'elles
représentent. Le sujet peut donc moins compter sur elles comme support narcissique.

Plusieurs éléments nous permettent de penser que pour la plupart de nos sujets,
narcissisme et sexualité entrent particulièrement en conflit.
Nous observons aux tests projectifs que la majorité des sujets éprouvent des
difficultés pour élaborer la fantasmatique sexuelle : soit parce qu'ils ont recours à l'inhibition
voire à la répression des affects, et des représentations érotisées ; soit (plus rarement) parce
qu'ils sont débordés par des fantasmes et une excitation sexuelle trop débridés. La
fantasmatique et l'excitation sexuelle, du fait de son manque d'élaboration, seraient donc
particulièrement susceptibles de constituer des menaces pour le narcissisme.
Le conflit entre narcissisme et sexualité s'exprime selon nous à travers le discours des
sujets qui renvoie à un clivage entre deux figures enseignantes : l'une positive sur le versant
de l'étayage narcissique et l'autre négative du côté du séducteur persécutant.

379
Il nous semble intéressant d'aborder la conflictualité entre narcissisme et sexualité
sous l'angle du rapport entre la séduction narcissique et les autres séductions plus sexuelles
que sont la séduction œdipienne et originaire.
Nos observations tendent à montrer qu'une majorité de sujets investissent
particulièrement la séduction narcissique dans la relation à l'enseignant, ceci, semble-t-il, au
détriment de séductions plus infiltrées de sexualité objectale et plus marquées par la
différence des sexes et des générations.
Cela va dans le sens de la théorie développée par P. C. Racamier (1995) qui postule un
rapport fondamental de « concurrence » entre « attractions » « narcissique et sexuelle » ce
qui implique logiquement que plus la séduction narcissique se développe, moins les
séductions sexuelles seront agissantes. Selon lui « la relation narcissique entre naturellement
en concurrence avec les forces sexuelles qui poussent naturellement l'individu à se déprendre
de sa propre substance » (1995/2010, p8). La séduction narcissique se fonde sur un rejet de
« l'excitation sexuelle et sensorielle » et du « monde objectal » associé au « spectre de la
séparation ».
Nous supposons que la dimension sexuelle de la relation à l'enseignant et plus
largement à l'adulte, excessivement rejetée et insuffisamment élaborée fait retour sur la scène
scolaire, à travers la relation teintée de masochisme à l'enseignant, perçu comme persécuteur
excitant. Nous dirions que la sexualité, difficilement élaborable, joue les ''éléments
perturbateurs'' (pour reprendre une expression en vogue pour désigner les élèves
indisciplinés) dans la relation pédagogique et, plus largement, dans le rapport à l'école.
Il suffit de procéder à un bref rappel de nos observations pour étayer nos propos.
Nous observons en effet que :
- Selma, Naïma et Yassine sont susceptibles d'être irrités et excités par l'homosexualité qu'ils
perçoivent ou qu'ils fantasment chez l'enseignant homme. Nous avons relevé les propos de
Madame K qui constate que les élèves de classes relais sont particulièrement préoccupés par
l'homosexualité.
- Ibrahim dit que lui et les siens (la communauté formée par certains élèves dans une relation
plutôt conflictuelle avec l'école) ont tendance à être énervés par les enseignants qui semblent
chercher à être molestés en provoquant par leur cris insupportables la violence des élèves. Ce
que nous interprétons comme une excitation par le fantasme que nous pourrions appeler « un
enseignant est battu ».
- Kevin et Édouard mettent en acte ce qui semble être une position passive érotisée et
masochiste dans la relation à l'adulte, ceci dans l'enceinte de la classe. Édouard se couche

380
devant l'adulte relais qui lui intime de sortir en récréation et Kévin se couche devant nous
quand nous disons que nous sommes psychologue. Plus largement nous avons vu que la
question du masochisme se pose pour un bon nombre de sujets et prend souvent l'allure de
scenarii héroïques ou martyres.
- Helder met en scène par le dessin un élève garçon qui demande son enseignant homme en
mariage. Il exprime également une grande ambivalence par rapport à l'identité sexuée.
- Hans et Ibrahim disent avoir vécu une expérience scolaire potentiellement traumatique en
CM2 qui est en rapport direct avec la sexualité. Hans dit avoir été accusé à tort par son
enseignante de CM2 de s'être « masturbé en classe » et d'avoir demandé « comment on
doigte une fille ? » et manifeste en entretien son indignation en réaction à l'évocation de ce
souvenir « je suis pas un obsédé du sexe et c'est dégueulasse ! ». Il sera,au collège, accusé
d'avoir traité à plusieurs reprises une enseignante de « pute ». Ibrahim dit avoir subi des
attouchement sexuels, comme plusieurs de ses camarades, par une fille en CM2 qui se
trouvait être la fille de la maîtresse. Il dénonce la relation étrange entre l'enseignante et sa
fille-élève et surtout l'impunité des agissements sexuellement déviants de cette fille.
- Plusieurs élèves (Aurélien, Idir, Helder et Imen) attirent notre attention sur le rapport entre
filles et garçons au sein de la classe. Idir et Helder dénoncent le fait que les filles
bénéficieraient d'un traitement de faveur de la part de certains, ou de la majorité des
enseignants. Aurélien et Imen semblent engagés, de façon ambivalente, dans une guerre des
sexes qui peut compliquer la relation aux enseignants.
- Nous gardons également à l'esprit les propos de l'adulte de classe relais qui juge qu'Oscar
n'est plus le même (beaucoup plus excité) depuis qu'une fille (Naïma) a intégré la classe
relais. Nous constatons qu'Oscar ne semble en effet pas indifférent aux charmes de Naïma
(scène déjà décrite où Oscar mime les battements du cœur adressant manifestement cela à
Naïma)
- Ophélia dit être particulièrement mal à l'aise avec les enseignants hommes, ce que nous
avons tendance à interpréter, à partir des quelques réponses au TAT, comme le signe d'une
forte angoisse face à une fantasmatique sexuelle passive, peut-être mêlée à un vécu
traumatique.
- Les deux enseignantes de classes relais nous font part du sentiment que les élèves sont
particulièrement intolérants à être touchés physiquement par l'enseignant. Cela contraste avec
le fait qu'ils se touchent beaucoup entre eux, et auraient tendance à transgresser l'interdit du
toucher dans la relation à l'enseignant de différentes façons (la confrontation physique par
exemple). Nous supposons que cette forte réactivité à « l'être touché » par l'enseignant et

381
plus largement l'adulte, est en partie sous-tendue par l'excitation sexuelle menaçante éveillée
par le touché en position passive vis-à-vis de l'adulte

Cela nous engage à penser la mise en jeu de la sexualité dans la relation


problématique de l'élève à ses enseignants.
Au vu de nos résultats, il nous semble que la relation devient problématique lorsque
surgissent et s'installent, au devant de la scène de la classe réelle et fantasmée, les enjeux de
domination/ soumission-opposition vecteurs d'une forte excitation chez une grande partie des
sujets que nous avons rencontrés. Dans ce contexte, l'enseignant tend à être mis en position
de toute puissance, ou présenté comme cherchant à asseoir un pouvoir totalitaire et arbitraire.
Nous pensons que l'excitation des sujets trouve en partie sa source dans une certaine
fantasmatique sexuelle étroitement liée à ces enjeux de domination/soumission-opposition.
Nous avons relevé des indices d'une fantasmatique masochiste qui serait souvent mise en acte
dans la relation aux enseignants convoqués à la place du persécuteur. C'est aussi la question
de la position érotique passive rejetée et désirée dans la relation à une figure enseignante
dotée d'une puissance phallique menaçante.
Nous étayant sur les travaux de Ph. Gutton (1991, 2014), nous proposons de penser
que ces relations conflictuelles avec des enseignants pourraient être le signe d'un défaut de
désinvestissement du parent phallique en période pubertaire. Ainsi pour ''faire son
adolescence'' il serait important de pouvoir se déprendre suffisamment de la « fascination »
pour l'érotisme phallique attaché au pénis parental (pénis phallique dont le porteur est
souvent le père mais qui peut aussi être attribué à la mère). Ph. Gutton parle de
« déphalliciser le pénis ».
Il distingue deux cas de figure par rapport au travail de déphallicisation pubertaire :
« premier cas: l'intégration de la question du phallus est suffisamment bonne pour l'identité
de l'enfant. Le pubertaire n'en repose pas la question
deuxième cas: l'enfance est dominée par l'érotique lié au parent porteur phallique
(soumission-opposition). Le pubertaire est une étape bien intéressante en faveur d'un certain
dégagement. Déphalliciser le pénis est d'abord déphalliciser le pénis parental. » (1991,
p117)
Une bonne partie des sujets de notre recherche pourrait être dans le deuxième cas,
ayant tendance à rejouer dans la relation aux enseignants la soumission-opposition à une
figure parentale porteuse d'attributs phalliques. Selon une telle configuration, et considérant
que la logique phallique exclut la prise en compte du sexe féminin, c'est l'homosexualité qui

382
prévaudrait dans la fantasmatique sexuelle. Homosexualité dite « secondaire » qui s'adresse
« au rival estimé phallique » et « marque une fixation érotique aux représentations désignées
par l'enfant comme phalliques, pourvues du pénis » (1991, p119). Nous avons vu que
l'homosexualité masculine semble particulièrement préoccuper au moins trois sujets. La
question reste posée des éventuels fantasmes et conduites masochistes considérés comme des
formes détournées de satisfactions homosexuelles passives dans la relation à une figure
parentale phallique. Nous faisons référence à l'équivalence inconsciente entre être battu et
coïté par le père qui caractérise la fantasme « on bat un enfant ».
Si une grande partie des sujets de notre étude est prise dans une telle fantasmatique
phallique de la relation enseignant-élève, il est logique que la position d'élève qui consisterait
à se laisser pénétrer et féconder par la parole de l'enseignant soit difficilement supportable, à
éviter ou rejeter. Cette position serait en effet excessivement excitante et ferait peut-être peser
la menace d'une destruction par la puissance de pénétration phallique enseignante. Cela
pourrait constituer une explication de l'absence dans le discours des sujets de l'investissement
d'une position passive d'être séduit par le discours de l'enseignant qui transmet le savoir. Nous
rappelons qu'ils semblent plutôt séduits par l'écoute de l'enseignant qui leur apporte une
reconnaissance et un sentiment de familiarité. Dans un climat relationnel marqué par des
enjeux de soumission-opposition et de domination potentiellement affiliés à une
fantasmatique phallique, ceci associé à un rapport difficile à la sexualité du côté de la
répression et du débordement, il est logique que l'identification entre l'élève et les enseignants
ait du mal à se développer.
L'identification intergénérationnelle à l'enseignant, qui vient alimenter l'idéal du moi,
serait nécessaire à l'investissement de la transmission scolaire (B. Pechberty, 1999 ; J. Y.
Rochex, 1998). Ce type d'identification concerne au premier chef la composition entre
narcissisme et sexualité. En effet l'identification à l'enseignant vient nourrir le narcissisme et
se base sur l'introjection qui sollicite une fantasmatique sexuelle d'incorporation. Nous
pouvons ainsi parler d'incorporation orale, anale et peut-être génitale.
Selon M. Fain et P. Marty (1959) et J. Chasseguet-Smirguel (1990) l'identification aux
objets constitutive de l'idéal du moi mobilise la « pulsion homosexuelle » et donc
l' « acceptation de la position passive » (J. Chasseguet-Smirguel, 1990, p90). La façon dont
M. Fain et P. Marty (1959) expliquent les impasses de ce processus identificatoire dans le
cadre de la cure analytique nous évoque nos observations et hypothèses concernant la
problématique des sujets de notre étude. Selon eux, l'identification à l'analyste est empêchée
lorsqu'il est l'objet de projections agressives trop intenses et trop assimilé à une figure dotée

383
d'une puissance phallique. Dans ces conditions le patient ne peut développer la réceptivité
homosexuelle anale nécessaire à l'établissement d'un transfert narcissique positif. En effet,
l'incorporation anale fait trop courir le risque d'une destruction par la puissance phallique de
l'analyste décuplée par les projections agressives du patient. Ils postulent que dans le
déroulement apaisé d'une cure analytique, les « acquisitions anales » (ce terme d'acquisition
nous évoque les apprentissages scolaires) de l'analysant évoluent de paire avec la diminution
des projections sur l'analyste.
Comme en écho à ces réflexions, nous constatons que plusieurs sujets de notre étude
sont susceptibles de projeter sur certains ou l'ensemble des enseignants des représentations et
affects particulièrement négatifs, qui contribueraient à former la représentation d'une figure
malveillante dotée d'une (toute) puissance phallique. Nous constatons également que
l'homosexualité et la position passive érotisée semblent mises en jeu dans leur comportement
problématique avec les enseignants.
M. Fain et P. Marty (1959) postulent que les difficultés pour développer une
réceptivité passive dans le cadre de la cure psychanalytique sont à relier à une difficulté plus
globale pour recevoir l'amour dans la relation à l'autre. Pour des raisons qui tiennent
essentiellement à un trouble de l'apport narcissique développé dans le cadre des premiers
échanges avec les objets, le couple activité-passivité se trouverait durablement et
excessivement mis en conflit. Selon eux, le sujet porteur de cette excessive conflictualité
activité-passivité « accepte d'être aimé à distance de l'objet pour ce qu'il fait (valorisation de
la position active du faire) et non à proximité pour ce qu'il est (évitement de la réceptivité
passive de l'apport narcissique). » (1959, p614). Nous retrouvons dans cette dernière
remarque une caractéristique de la méthode pédagogique employée en classe relais qui
implique particulièrement, nous semble-t-il, une valorisation du ''faire'' (faire seul ou avec les
autres des pâtisseries, des productions artistiques, des exposés, des rapports de stage, des
exercices). Les stages professionnels proposés en classe relais mobilisent sûrement aussi le
désir et la capacité du sujet de recevoir à distance l'amour de l'objet (le maître de stage) pour
ce qu'il a fait (le travail effectué, la qualité de la production).
Ces dernières réflexions nous conduisent à nous demander si bon nombre de sujets
accueillis en classes relais tendent à investir le ''faire'' comme une sorte de médiateur
permettant « d'accepter d'être aimé à distance de l'objet » enseignant. La question serait
également de savoir si cette médiation du faire vise à éviter (pour l'élève mais aussi pour
l'enseignant) la fantasmatique homosexuelle passive inhérente au processus identificatoire
enrichissant l'idéal du moi mise en évidence par M. Fain et P. Marty (1959).

384
Par leurs comportements et certains propos outrageux un bon nombre de sujets
mettent donc en jeu la sexualité non représentable dans la relation à l'enseignant. Nous
pouvons également supposer qu'ils mettent ainsi en lumière la dimension sexuelle latente
impliquée dans toute relation pédagogique. Se pose la question de la réponse de
l'environnement scolaire à leur attitude et plus particulièrement la réponse des enseignants.
Nous nous demandons : dans quelle mesure les enseignants et l'institution scolaire
participent d'une répression excessive de l'expression personnelle entretenant un lien plus ou
moins étroit avec la sexualité ? Dans quelle mesure évitent-ils la transmission
intergénérationnelle infiltrée de sexualité (initiation sexuelle, séduction par l'énigme du
sexuel) au profit d'une séduction et identification narcissique moins asymétrique et visant
selon P. C. Racamier (1995) l'extinction du pulsionnel ?
A travers le discours des enseignantes, surtout, mais aussi des sujets élèves, nous
avons identifié les indices d'une tendance à ostraciser et stigmatiser les élèves de classes
relais et les structures classes relais elles même, tout en les maintenant à l'intérieur du
système scolaire. Cela nous rapproche de la perspective dénoncée par A. Maurin (2014) de
l « exclusion en relais » et nous semble entretenir une certaine relation avec l'idée de
« décrochage de l'intérieur » (J. Y. Chagnon, 2017) en ce sens que le processus d'exclusion se
développe dans l'espace interne du système scolaire voire de l'établissement scolaire.
Nous nous posons la question de savoir si ces éléments ne sont pas révélateurs d'une
dynamique institutionnelle qui vise à exclure la sexualité et le corps agité du jeune qui la
vectorise ?
Nous nous retrouvons ainsi logiquement ramené aux réflexions de S. Freud (1930)
autour du rapport entre civilisation et sexualité. Nous revient particulièrement ce qu'il écrit
dans « malaise dans la civilisation » : « la civilisation se comporte envers la sexualité comme
une tribu ou une couche de la population qui en a soumis une autre à son exploitation. La
peur du soulèvement de l'opprimé porte à prendre de sévères mesures de précaution. Notre
civilisation occidentale européenne marque une apogée de cette évolution. Il est parfaitement
légitime qu'elle s'attache à réprouver la vie sexuelle infantile, car elle n'a aucune chance de
freiner les grand désirs sexuels de l'adulte si elle n'a pas déjà préparé le terrain dans
l'enfance. Mais il n'est en rien justifiable que la société civilisée aille jusqu'à nier ces
phénomènes aisément constatables et même frappants. » (1930/2010, p106).
La plupart des sujets ont dû effectivement ''frapper'' (au sens de marquer
affectivement) les enseignants par leur mise en acte ou recours à l'acte, et nous pouvons
même supposer que c'était là leur objectif. Lorsque la ''frappe'' que constitue l'éveil de la

385
sexualité ne peut être suffisamment accueillie et élaborée psychiquement ni par le sujet-élève,
ni par l'enseignant et l'institution scolaire, peut-être cela ouvre-t-il la voie au sadomasochisme
ordinaire dans la relation enseignant-élève. Dans ces conditions, la dichotomie actif-
oppresseur / passif-opprimé tend à dominer la représentation que ce fait l'élève de la relation
entre les élèves et les enseignants.

III. Régressions et langage de l'acte des pré-adolescents et adolescents : défense


sclérosante et/ou processus créatif ?

Nos résultats indiquent que une bonne part des sujets manifestent des mouvements de
retour vers une relation de proximité à un objet maternel et/ou vers la figure de l'enfant ou du
petit enfant. Nous identifions en effet plusieurs mouvements de retour :
- au ventre maternel exprimé par Édouard à la planche 3 du TAT et par Aurélien à la planche
III du Rorschach ;
- vers le sein maternel et la prédominance d'une satisfaction orale manifesté par Idir (planche
6GF du TAT), Helder (planche 16 du TAT) et par Édouard (planche 5) ;
- vers la figure du « petit enfant » (Oscar, planche III du Rorschach), de la « petite fille »
(Naïma, planche 16 du TAT).
- vers la relation de soin et nourrissage du petit enfant par la mère à travers la relation entre
Ibrahim et l'enseignante de classe relais.
- vers la protection et l'amour maternel dans la cadre d'une relation de proximité figuré par
Georges à la planche 10 du TAT et par Aymeric à la planche 16 du TAT.

Nous interprétons ces éléments comme autant de manifestations de mouvements


régressifs remplissant des fonctions différentes.
Dans la perspective d'un étude de ces mouvements chez nos sujets, il convient tout
d'abord de faire un petit ''retour'' sur la notion de régression. Nous nous étayons sur les
travaux de A. Freud (1968) qui, ayant particulièrement étudié cette question de la régression,
distingue régression pulsionnelle et régression du moi.
La régression pulsionnelle désigne un retour vers des phases antérieures du
développement pulsionnel et libidinal entraînant des modifications qui concernent la
représentation d'objet, les contenus fantasmatiques, le but et le mode de satisfaction

386
pulsionnel. Seulement une seule comme l'ensemble de ces dimensions qui peuvent être
modifiées par la régression pulsionnelle.
La régression du moi relève plutôt d'une détérioration des processus secondaires régis
par le principe de réalité au profit des processus primaire régis par le principe de plaisir. Cette
régression se caractérise par un retour « de modes primitifs d'expression et de représentation
à la place des modes actuels » (A. Freud, 1968, p75).
Les mouvements régressifs que manifestent les sujets de notre recherche nous
semblent plus relever de la régression pulsionnelle en ce qu'ils signifient un retour vers des
positions pré-œdipiennes ou pré-génitales (phase de latence). Ils recourent la plupart du
temps à la régression dans une visée de protection contre l'angoisse éveillée par la sexualité
mais aussi la séparation. Il s'agit souvent nous semble-t-il, face à l'angoisse, de revenir « à
des modes archaïques de protection et de réconfort tels qu'ils les avaient connus dans la
relation avec leur mère au cours des phases symbiotiques et pré-œdipiennes » (A. Freud,
1968, p 85).
La régression pulsionnelle et moïque n'intervient pas qu'a un niveau individuel mais
peut également caractériser un phénomène groupal. Ors, nous avons pu assister en classe
relais à des moments de forte excitation groupale qui se traduisait, et était entretenue, par des
jeux de toucher voire de frappe, un niveau sonore élevé des échanges verbaux et des mises en
scènes brèves et spontanées individuelles ou groupales. A. Freud donne justement l'exemple
de régressions groupales qu'elle a vécu en tant qu'élève de terminale, ceci, dans le but de nous
conter sa « première rencontre » avec les manifestations de la régression du moi. « je me
rappelle très nettement que j'appartenais à une classe de terminale qui était surmenée en
raison d'un emploi du temps où se succédait une série de cours ardus, sans interruption
suffisante entre eux. Au commencement de la matinée, nous étions toutes remarquablement
raisonnables et attentives, mais ceci se gâtait invariablement après cinq ou six heures de
cours. Les paroles les plus innocentes prononcées par n'importe qui, produisaient alors un
déchaînement de fou rire et une conduite désordonnée. Les professeurs hommes qui avaient
la malchance d'hériter de la classe, à ce moment-là, qualifiaient avec indignation la bande
entière de « troupeau d'oies stupides ». » (1968, p81). Notre expérience d'adulte assistant
(impuissant) à l'excitation groupale de ces jeunes a sans doute fait naître en nous une
représentation proche de celle d' ''un groupe stupide'', mais il nous semble, ''après coup'', qu'il
s'agissait plus du sentiment de quelque chose d'absurde et d'insaisissable.
Les travaux de P. Denis (2011) autour de « la bêtise » en périodes pré-adolescente et
adolescente peuvent nous éclairer sur le lien entre la régression individuelle ou groupale et ce

387
sentiment de stupidité. P. Denis définit la bêtise comme un fonctionnement psychique
individuel ou groupal (il parle de « fonctionnement bête ») basé sur une régression de la
pensée et de l'investissement libidinal vers des thématiques pré-génitales (le plus souvent
anales) produisant et entretenant une certaine excitation. Cette excitation est dite antisexuelle
(au sens où elle est déliée de la sexualité génitale) fixée sur « un mode maniaque mineur »
(2011, p156). Il s'agit d'une excitation destinée à abolir le fantasme et la pensée, favorisant
donc effectivement une certaine « bêtise » qui souvent ne manque pas d'irriter l'adulte. P.
Denis considère la bêtise comme un aménagement défensif normal du sujet en réaction à la
« peur du changement » adolescent sur les plans sexuels et identificatoires. Il désigne ainsi la
bêtise comme « un frein nécessaire et un procédé de régulation par rapport au
changement. » (2011, p155).
La bêtise permet au pré-adolescent ou à l'adolescent de préserver, dans une certaine
mesure, l'illusion d'être resté un enfant, quitte, pour cela, à faire ''le bêta'', ''l'enfant terrible''
ou le ''sale gosse''.
Au vu de la difficulté manifeste de bon nombre de sujets dans leur rapport à la
sexualité, nous nous demandons si la régression ne participe pas d'un mouvement défensif
excessif empêchant l'élaboration des changements pubertaires sur le plan sexuel.
Cependant nous envisageons un versant positif à la régression en période pré-
adolescente ou adolescente, dans la mesure où elle participerait, sous certaines conditions, du
bon déroulement du processus adolescent. Selon P. Blos (1974) les pré-adolescents et
adolescents sont amenés à vivre une régression moïque et pulsionnelle les conduisant vers
une reviviscence de certaines expériences de la petite enfance. Il insiste notamment sur l'idée
que l'engagement dans le processus adolescent va dépendre de la possibilité du sujet de
revivre une passivité et une dépendance (« dependency needs and passive wishes » (1974,
p200) qui caractérise la relation à la mère préœdipienne. F. Houssier dans son analyse de
l’œuvre de P. Blos écrit que « la régression constitue un moyen psychique de retrouver un
contact émotionnel avec les passions de la petite enfance, vécu qui conditionne la possibilité
de les désinvestir. » (2010, p61). Cette phrase nous semble bien résumer les enjeux de la
régression dans la pensée de P. Blos. Il s'agit donc en quelque sorte de régresser vers, mais
sûrement aussi se ressourcer à, la petite enfance pour pouvoir ''aller de l'avant''. Dans la
perspective d'un développement de cette régression positive pour le processus adolescent, le
sujet a notamment recours au « langage de l'action » (F. Houssier, 2012). L'acte est ici
considéré par P. Blos comme une manière de raviver les expériences traumatiques et conflits
infantiles en les posant et les imposant sur la scène de l'environnement (scolaire par exemple)

388
investi comme « un espace intermédiaire entre le sujet et les figures parentales » (F.
Houssier, 2012, p337). Selon cette conception l'acte a une valeur élaborative en soi dans la
mesure où il constitue « un temps de remémoration qui restitue le passé traumatique résiduel
faisant office d'opération de synthèse entre passé et présent : il constitue un procédé
homéostasique représentant une voie du souvenir (Lock, 1997) » (F. Houssier, 2010, p61).
Nous constatons à travers notre étude que une majorité de sujets ont tendance à
utiliser des procédés du type ''recours à l'acte'' (F. Houssier, 2008) et à créer des mises en
scène de soi (avec la participation bon gré mal gré de l'enseignant) qui entremêlent l'acte et la
parole, ceci, dans l'enceinte de la classe et de l'école. Nous avons tendance à estimer que ces
manifestations comportementales peuvent s'inscrire dans le registre du langage de l'action à
l'adolescence. Dans ce contexte, l'enseignant est convoqué à plusieurs places : celui qui
excite, le fauteur de trouble ou celui qui contient sur le mode de la contenance ou de la
contention. Le point commun entre ces positions pourrait être sa fonction « d'environnement
intermédiaire entre le sujet et les figures parentales ». Il nous semble que les scenarii agis
comportent une potentialité créative qui dépendrait fortement de la réponse de
l'environnement pour se réaliser. R. Roussillon (2008) insiste bien sur le fait que le l'acte pour
opérer véritablement une fonction de langage dépend fortement du sens, que l'objet à qui il
s'adresse, lui confère. « La réaction ou la réponse de l'objet sont nécessaires à son
intégration signifiante » (p33). En cela « c'est un langage qui plus que tout autre est à
interpréter » (p33) par l'autre ou les autres. Dans une perspective qui nous semble proche de
celle de P. Blos, R. Roussillon soutient que le langage de l'acte et le langage mimo-gesto
posturale sont employés, particulièrement à l'adolescence, pour tenter de traduire et élaborer
les expériences fondamentales du sujet ayant précédé « l'apparition de l'appareil de
langage ».
Plusieurs éléments tirés du discours des enseignantes tendent à étayer l'hypothèse d'un
désir et d'une capacité régressive des élèves accueillis en classe relais qui participerait d'un
processus créatif et passerait préférentiellement par le langage de l'acte et du corps.
Nous retenons avant tout la belle histoire que nous conte madame B en évoquant
comment lui est venue l'idée de confectionner une sorte de doudou nommé ''berlingot'', pour
chaque élève et comment cet objet a été investi. Cette idée a germé dans l'esprit de Madame
B en réaction au sentiment que les élèves avaient manqué, dans la petite enfance, de
« câlins » et d'expériences sensorielles d'apprentissage encadrées par des adultes, figures
d'attachement. Cela nous a surpris que les élèves de la classe relais ne rejettent pas cet objet
parce qu'il les renverrait du côté d'une représentation d'eux-même comme immature, du côté

389
du ''bébé''. Cet objet fut au contraire apparemment très investi. Nous avons émis l'hypothèse
qu'il était investi par la plupart des élèves sur le mode de l'objet médium malléable (R.
Roussillon). Les propos des enseignantes montrent un goût pour les expériences sensorielles
gustatives et tactiles particulièrement mises en jeu dans les activités cuisines.
Cette capacité à régresser puis mettre en forme l'expérience régressive (mise en forme
à travers les récits au TAT par exemple) serait aux fondement de toute activité créative selon
plusieurs chercheurs cliniciens d'orientation analytique tels que R. Roussillon (1998) et J. B.
Chapelier (2011). Selon R. Roussillon l'activité créatrice puiserait sa source dans les traces
vives des expériences précoces du sujet dans la relation au premier objet d'attachement
maternel. Il écrit en effet que « la relation avec la mère, la trace que celle-ci inscrit à
l'intérieur, est la première matière à symboliser et pour symboliser, cela même si certains
modèles de symbolisation seront acquis à partir de l'identification au père et à la manière
dont le père s’accommode lui-même de ce travail, même si ce dernier fournit lui aussi
certaines des conditions de possibilité de son avènement. Elle est la muse à partir de laquelle
la poussée créatrice prend sens, celle qui, autant du dehors que du dedans, contraint le
travail créatif, l'exige par son existence séparée. » (1998, p171). J. B. Chapelier (2011, p56-
57) s'inspirant des travaux de D. Anzieux (1974), développe une réflexion sur le lien entre le
« chaos » et la « créativité » et postule que la création puise sa source dans une expérience
régressive de désaisissement de soi « mobilisant des fantasmes très archaïques ». Il constate
notamment à travers sa pratique des groupes psychothérapeutiques que « l'excitation (déliée
des représentations) induit un chaos, un désorganisation momentanée du groupe, nécessaire
pour que reprenne une activité fantasmatique, à savoir : l'expression des pulsions et les
désirs sous-jacents, alors même que des jeux organisés (et ritualisés) pétrifiaient le groupe
dans une position défensive. » (2011, p67).
Ces différents éléments nous conduisent à supposer que bon nombre de pré-
adolescents et adolescents en grande difficulté au niveau du collège désirent rejouer dans
l'enceinte de l'école, avec les pairs et sous l'encadrement adulte, par la médiation de certains
objets, quelque chose qui a à voir avec les expériences précoces de la relation avec les objets
primaires et avec des formes primitives de symbolisation. Dans cette perspective, ils
semblent pouvoir s'étayer sur une certaine capacité à régresser ouvrant vers l'élaboration avec
le soutien de l'adulte et du groupe, élaboration qui comporterait souvent une dimension
transgressive. Ils semblent pouvoir, et peut-être désirer, ré-expérimenter la position passive
de dépendance du petit enfant dans la relation à l'objet primaire. Cependant cette régression
semble comporter une forte dimension défensive qui gêne excessivement l'élaboration des

390
changements caractéristiques du pubertaire et de l'adolescence, particulièrement en ce qui
concerne l'accès à la sexualité génitale et le travail de séparation. En somme il nous semble
que le comportement, et peut-être le fonctionnement psychique, de ces sujets préadolescents
et adolescents présentent ceci de particulier qu'il est difficile de distinguer ce qui est de
l'ordre du défensif du côté de la répression et de l'emprise (P. Denis, 2001), de ce qui relève
d'un mouvement potentiellement créatif, individuel ou groupal.

Nous nous posons la question de savoir si il s'agit d'une régression qui ouvre la voie à
l'élaboration de l'histoire infantile pré-œdipienne, ceci tout en fermant trop l'accès à
l'élaboration de la nouveauté pubertaire ?
Peut-être que cette forte ambivalence des mouvements régressifs entre vertu
d'élaboration du préœdipien et défense excessive, serait une particularité du fonctionnement
de bon nombre de pré-adolescents et adolescents présentant des risques de décrochage
scolaire au collège.Une voie intéressante nous semble proposée par M. Boulbi et J. C. Elbez
(2010) qui relèvent ces deux dimensions défensive et élaborative de la sensorimotricité à
l'adolescence. Elles observent que dans le travail thérapeutique avec les adolescents (mais
aussi avec d'autres publics), « il paraît fécond d'utiliser la sensorimotricité défensive comme
élément d'appel à la mémorisation et à la représentation. » (2010, p 239).

Chapitre C : Limites de la recherche

I. Sur le plan de l'orientation donnée à la recherche :

1. Le choix difficile du concept de décrochage scolaire :


Nous avons longuement hésité avant de recourir au concept de décrochage scolaire
pour plusieurs raisons qui tiennent essentiellement en trois points.
Parcourant la littérature nous nous sommes rendu compte que le décrochage scolaire
recouvrait une réalité plurielle sur le plan des parcours scolaires, des typologies de
décrocheurs, des problématiques psychologiques et des facteurs en jeu, à l'articulation des
champs socio-culturels, économiques, politiques et psychologiques. Devant ce constat nous
nous sommes demandé si le décrochage scolaire ne témoignait pas d'une tentative peu
fructueuse de rassembler sous une même bannière des réalités et des processus hétérogènes
qui gagneraient plutôt à être différenciés les uns des autres.

391
Plusieurs auteurs utilisent d'autres termes pour aborder la problématique de la
déscolarisation à l'adolescence, développant des approches qui nous paraissent originales et
pertinentes. Ainsi certains préfèrent parler de désaffiliation scolaire (R. Demerval, N.
Cartierre & N. Coulon, 2003), de ruptures scolaires (Millet M. et Thin D., 2005) de refus
scolaire (A. Birraux, 1999), de refus de l'école (G. Brandibas, 2007) ou encore de
désarrimage (L. Gavarini, 2016). Il n'a donc pas été évident de choisir l'approche et le terme à
privilégier.
L'autre grand doute qui demeure est de savoir si nous pouvons considérer que les
sujets rencontrés dans le cadre de notre étude sont bien inscrits dans un processus de
décrochage scolaire. Il nous apparaît que la seule chose suffisamment certaine est qu'ils
présentent des signes montrant un risque de décrochage scolaire au collège.
Ces différents éléments font que nous nous retrouvons, dans une certaine mesure,
dans les propos de L. Gavarini (2016) qui, chargée d'une recherche « sur la question du
décrochage scolaire », critique « le terme labile de décrochage scolaire qui dit tout et rien et
qui entretient un flou sur les multiples modalités par lesquelles les collégiennes et collégiens
peuvent à la suite de processus complexes, se rapporter négativement à la chose scolaire,
jusqu’à la désaffecter. Décrochent-ils ? Sont-ils décrochés ? Ont-ils jamais été accrochés ?
Ces questions se sont imposées à nous sous cette forme dès nos premiers contacts avec le
terrain de la grande difficulté scolaire. » (p21).
Cependant, bien que portant un regard critique sur ce concept de décrochage scolaire,
il nous semble qu'un processus de décrochage scolaire peut être dégagé qui transcende
suffisamment la pluralité des situations, des parcours et des problématiques. Nous avons opté
pour une approche, peut-être un peu en dehors des ''sentiers battus'', qui consiste à envisager
le décrochage scolaire sous l'angle d'un processus de rupture du contrat narcissique
d'affiliation avec le système ou l'établissement scolaire. Rupture qui se jouerait en premier
lieu dans la relation aux enseignants. Cette approche est inspirée des travaux de R. Kaës sur
le contrat narcissique (2009), et plus particulièrement, dans le cadre des réflexions autour du
contrat narcissique qui lie l'être en formation, le formateur et l'institution formatrice (2011).
Nous avons également été fortement influencé par les travaux de M. Millet et D. Thin (2005)
qui insistent sur la question de la rupture mutuelle entre élèves et enseignants, élèves et
institution scolaire.

392
2. Dynamique activité-passivité, vaste question ... trop vaste ?

Nous avons tenté dans notre partie théorique de construire une représentation
suffisamment claire et large de la dynamique activité-passivité selon une perspective
psychanalytique. Dans cette entreprise nous nous sommes vite aperçu que les notions
d'activité et passivité étaient impliquées dans un champ théorique extrêmement vaste,
transcendant différentes dimensions fondamentales de la théorie psychanalytique (pulsions,
affects, séduction, fantasmes, féminin, etc.). Il nous a paru pertinent d'approcher la
dynamique activité-passivité dans un cadre étendu composé de différentes dimensions que
sont : les dynamiques pulsionnelles, affectives et fantasmatiques ainsi que dans le champ de
la dépendance. Prenant soin de resituer l'ensemble dans le cadre des enjeux du pubertaire et
de l'adolescence.
Nous avons tendance à penser, après coup, que tenter d'aborder toutes ces dimensions
de la dynamique activité-passivité était un travail peut-être un peu trop ambitieux et trop
large. Peut-être aurions nous dû circonscrire plus étroitement notre champ d'investigation et
nous centrer sur l'une des dimensions (excitation-affect, fantasme ou dépendance). Cela nous
aurait permis d'analyser plus en profondeur la dynamique activité-passivité dans un secteur
du fonctionnement psychique des sujets et de la relation aux enseignants.

3. Plusieurs dimensions importantes peu ou pas étudiées:

Nous avons opté pour une approche de la configuration relationnelle entre l'élève et
ses enseignants qui prend peu en compte la dimension groupale (groupe classe, groupe de
pairs, groupes de filiation et d'affiliation) et institutionnelle. Nous avons pourtant conscience
que les dynamiques de groupe et institutionnelle jouent un rôle de premier ordre dans la
relation élève-enseignant. Nous avons, par ailleurs, pu constater que la plupart des sujets
amènent spontanément dans leur discours, le rapport au groupe. La question du groupe est
également et logiquement très présente dans le discours des enseignantes. Nous supposons
par ailleurs que la dynamique activité-passivité ne manque pas de se déployer à un niveau
groupal, notamment au niveau des fantasmes groupaux. Cependant, prendre en compte la
question du groupe et de l'institution nous a paru élargir de façon exponentielle notre champ
d'investigation théorique et clinique. Nous avons pu toutefois aborder légèrement ces
dimensions à travers l'analyse des résultats et dans la partie théorique. Nous avons pu
évoquer notamment : la régression groupale vers la déliaison, l'informe, le travail de

393
composition identitaire entre les différents groupes d'affiliation, la défense héroïque du
groupe attaqué par l'adulte-enseignant, la question du sacrifice et de l'exclusion par
l'institution.
Nous avons appris que le processus de décrochage scolaire commence bien souvent
dès l'école élémentaire. De plus, la plupart des sujets nous ont dit avoir présenté des
difficultés de comportement et/ou d'apprentissage dès l'école élémentaire. Plusieurs ont vécu
sur cette période de l'école élémentaire des événements potentiellement traumatiques. En
choisissant d'axer notre étude surtout sur la période du collège, nous nous sommes
certainement privé d'éléments importants reliés à la période de l'élémentaire qui nous auraient
permis de mieux comprendre les difficultés dans la relation aux enseignants et à l'école.
Ayant constaté que bon nombre de sujets avaient vécu des événements et situations
potentiellement traumatiques (exil, perte d'un parent, découverte d'une maladie, placement,
violence familiale), il aurait été intéressant d'étudier de manière plus approfondie l'influence
de ces événements sur la dynamique activité-passivité caractéristique de leur fonctionnement
psychique et de leur relation aux enseignants.

Nous avons défini une dialectique constructive entre la passivité permettant un


investissement de l'effraction par l'éprouvé pubertaire et l'activité créatrice identitaire
adolescente. En effet, nous supposons que l'éprouvé pubertaire nouveau toujours intrusif doit
pouvoir être ressenti (passivité réceptrice) et que ce ressenti constitue ensuite la matière
neuve avec laquelle le sujet peut créer. Il nous semble que nous avons un peu délaissé l'étude
du versant activité créative. Nous avons peu étudié, à travers les entretiens et les projectifs;
cette question de savoir dans quelle mesure les sujets sont impliqués dans une dynamique
créative qui permettrait l'appropriation subjective. Appropriation subjective des éprouvés, des
changements, et plus particulièrement, des savoirs scolaires et de la position d'élève.

II. Sur le plan méthodologique :

A travers la conduite des entretiens de recherche nous avons éprouvé des difficultés
pour aborder les différentes dimensions de la dynamique activité-passivité telles que nous les
avons définies, ceci d'autant plus que certains sujets n'ont pu nous rencontrer qu' une ou deux
fois.

394
La dimension du fantasme nous a paru la plus problématique dans la mesure où nous
nous sommes souvent demandé quelle était la valeur de notre interprétation en terme de
fantasme, du discours et des comportements relatés par les jeunes. Nous nous sommes
demandé (et nous demandons toujours) s'il était possible d'accéder à la vie fantasmatique d'un
sujet par le biais d'entretiens de recherche. Nous espérons avoir été suffisamment prudent
dans nos interprétations. Le doute nous a souvent taraudé quant à savoir si ce que nous
interprétions sur le versant du fantasme n'était pas en fait une pure réalité. Nous avons par
exemple pu parler de fantasme de persécution ou masochiste, mais il nous a fallu envisager
l'éventualité que la persécution par les enseignants et l'institution soit bien réelle.
Nous aurions aimé bénéficier d'un temps exploratoire qui nous aurait permis de
rencontrer des sujets en vue, notamment, d'élaborer une technique d'entretien plus adaptée
pour aborder la dynamique activité-passivité telle qu'elle se joue dans la relation aux
enseignants. C'est dans ce but que nous avons élaboré un guide d'entretien mais nous l'avons
modifié au fur et a mesure des rencontres avec les sujets.
Il aurait été intéressant de comparer les résultats de notre groupe de sujets avec un
groupe témoin composé de collégiens qui ne présentent aucun signe de risque de décrochage
scolaire. Cela aurait permis, nous semble-t-il, de mieux déterminer la spécificité du mode
d'investissement de la relation à l'enseignant chez les sujets présentant des risques de
décrochage scolaire.
Il aurait été préférable de faire passer conjointement les deux tests projectifs TAT et
Rorschach à l'ensemble des sujets. Ces deux tests sollicitent chacun des dimensions
différentes du fonctionnement psychique, leur utilisation conjointe permet donc de construire
une représentation plus globale et complexe de la problématique du sujet. Malheureusement,
cela ne s'est pas avéré possible pour des raisons pratiques.

Chapitre D : Perspectives cliniques et pédagogiques :

I. Repenser la place du corps et de l'acte de l'élève dans le collège :

Nous constatons que les sujets de notre recherche investissent particulièrement le


langage du corps et de l'action au moins au sein de l'école. Nos observations in situ ainsi que
le discours des enseignantes vont dans ce sens. Se pose donc la question, selon nous, de la
capacité du système scolaire à proposer des espaces-temps et des méthodes pédagogiques qui

395
laissent une marge de manœuvre un peu plus large pour le corps en mouvement, l'expression
par le corps et l'acte mêlé à la parole.
Nous avons vu que la discipline corporelle scolaire est susceptible d'être vécue par
nombre de sujets comme une emprise insupportable sur le corps, favorisant les projections
agressives sur l'enseignant et l'inscription dans une présence-absence de résistance qui peut se
manifester par un corps dévitalisé, l'esprit ailleurs ou endolori.
D.Marcelli (2017) dénonce le manque de place faite au corps de l'enfant et de
l'adolescent dans la configuration actuelle du dispositif pédagogique en vigueur dans l'école
républicaine. « l'école républicaine s'adresse à la tête de l'élève laquelle et lequel est
censé(e)s n'être (naître) sans corps ni sexe ! À l'école on est assis on reste immobile
(relativement). Position de passivité. » (p54). Il prend l'exemple d'une scène dans le film
« demain » se déroulant dans une école de Finlande pour suggérer que d'autres formes de
pédagogies existent qui permettent une plus grande liberté du corps de l'élève dans la classe.
« le film demain montre des enfants 8/9 ans a peu près : ils vont et viennent, sont allongés
par terre pour lire ou écrire, déambulent en lisant ... » (p55). Ayant regardé cette scène du
film nous tenons à préciser qu'il y a plusieurs adultes encadrant dans la classe et que le
nombre d'élèves semble peu élevé (environ une vingtaine) en comparaison des effectifs
moyens dans les classes françaises.
D. Marcelli explique que la possibilité d' « être pénétré par la parole du maître » tout
en restant immobile ne va pas de soi. Nous considérons que la mobilité transgressive de
l'élève est, entre autres, une façon de préserver une emprise face à la pénétration ou la
menace de pénétration par la parole du maître. Notre question pourrait se formuler ainsi :
comment être excité par la pénétration effective ou potentielle de la parole enseignante ...
sans pouvoir bouger !? Nous constatons d'ailleurs que les dispositifs éducatifs accueillants
spécifiquement des adolescents en situation de décrochage scolaire tendent à aménager et
penser autrement la ''forme scolaire'' de façon à permettre une plus grande liberté de
mouvement (V. Melin, 2016, 2011; Pirone, F., & Rayou, P., 2012).
Nos résultats tendent à indiquer qu' une bonne part des sujets en grande difficulté au
collège seraient susceptibles de s'impliquer dans des activités créatives et d'apprentissages qui
mettent en jeu l'expression corporelle et la sensorialité. Les collèges gagneraient donc peut-
être à proposer, à ces sujets, des groupes encadrés par l'adulte, dans lesquels puisse se
développer une activité créatrice qui mette en jeu l'exploration sensorielle, l'expression par le
corps et l'action. Nous pensons par exemple aux activités cuisine, théâtre ou cirque proposées

396
dans les classes relais que nous avons fréquentées. Nous pensons plus généralement aux
activités de médiations sur lesquelles nous reviendrons plus loin.
Nous supposons que les collégiens investissant particulièrement l'expression par le
corps, le recours ou la mise en acte, seront spécifiquement sensibles au langage du corps de
l'enseignant. Dans le cadre de notre recherche, nous avons surtout remarqué que bon nombre
de sujets se plaignent des cris des enseignants et de certains types de voix d'enseignant. Nous
avons également insisté sur la question du toucher, laissant entrevoir une forte conflictualité
entre désir de toucher (position active) l'enseignant et menace d'être touché (position passive)
par l'enseignant. Plusieurs études attirent notre attention sur le rôle de la communication non-
verbale de l'enseignant dans la création d'une relation pédagogique de qualité (M. Boizumault
& G. Cogérino, 2012, 2015 ; D. Forest, 2008 ; J-F. Moulin, 2004 ; V. Bourhis, 2014 ; C.
Pujade-Renaud, 1983). Il faudrait peut-être que les enseignants soient particulièrement
attentifs à cette dimension non-verbale de la communication dans le travail avec les élèves en
grande difficulté au collège.
Un grand nombre de sujets ont commis au sein de la classe des actes jugés (ressentis
comme) transgressifs par les enseignants entraînant souvent l'exclusion de la classe ou du
collège. Nous étayant sur la conception du « recours à l'acte » développée par F. Houssier
(2008, 2015) ainsi que sur les réflexions de R. Roussillon (2008) autour de l' « acte
messager », nous considérons que ces actes sont bien souvent porteurs d'un message adressé
à l'environnement, à recevoir, interpréter et mettre en mots. Nous supposons donc qu'il serait
important que l'institution scolaire aménage, en son sein, un espace-temps de parole et de
réflexion, qui permettrait de revenir sur les circonstances du recours à l'acte de l'élève et de
la réaction de l'enseignant, de façon à aider l'élève comme le ou les enseignants à mettre du
sens sur ce qui s'est produit. L'enjeu immédiat serait notamment d'éviter que ne se chronicise
une spirale relationnelle négative marquée par la répétition des mêmes actes et des mêmes
réactions infructueuses du ou des enseignants. L'idéal serait, nous semble-t-il, que l'élève
puisse remettre ses actes en perspective avec son histoire ou, tout du moins, son parcours
scolaire.
Ce travail pourrait certainement prendre plusieurs formes.
Nous pensons aux groupes d'analyse des pratiques professionnelles destinés aux
enseignants. La pertinence et la nécessité de ce type de travail sont défendues par plusieurs
auteurs (C. Blanchard-Laville, 2011 ; A. Sirota, 2007, 2007 ; A. Maurin & B. Pechberty,
2017). Pourquoi ne pas imaginer des groupes d'analyse des pratiques à destination des élèves
collégiens en difficulté, qui prendraient certainement une forme un peu différente, sollicitant

397
peut-être d'avantage les langages du corps et de l'acte (des temps de jeux psychodramatiques
par exemple). Nous citerons également le travail mené depuis 2006 au sein de ''l'accueil
scolaire Torcy'' situé dans le dix-huitième arrondissement de Paris, qui reçoit des élèves
exclus temporairement de leur collège. Un des aspects du travail mené auprès de ces jeunes
est d'aider l'adolescent à transformer ce temps d'exclusion en temps d'accueil (par l'institution
''accueil scolaire Torcy'') et de réflexion personnelle. Le positionnement des professionnels
inscrit dans le champ éducatif est avant tout « axé sur l'écoute de l'adolescent pour entendre
ce qu'il a compris de la sanction, comment il vit cette situation et quelle réponse adaptée il
pourrait inventer. » (N. Dufrenoy & E. Core, 2012, p56). L’un des objectif principaux est
« de permettre à chaque élève exclus de faire le point sur son trajet scolaire. En tant
qu’expérience de la limite, l’exclusion, si et seulement si elle est posée comme structuration
du sujet par rapport à ses passages à l’acte, et non comme rejet de sa personne, peut
permettre une césure, offrant un décalage à chacun, l’adolescent, la famille, les
professionnels. Pour Annick Eschapasse, l’objectif essentiel est de permettre à chaque
participant se trouvant en situation d’exclusion de réamorcer une autre relation à lui-même
et à l’autre, une autre relation au savoir,et la (ré)inscription dans un projet. » (N. Dufrenoy
& E. Core, 2012, p57).

II. Un travail autour de la sexualité :

Au vu de l'analyse des tests projectifs, nous constatons qu'une grande part des sujets
sont particulièrement en difficulté pour élaborer une fantasmatique sexuelle, qui semble faire
l'objet d'une excessive répression ou, lorsqu'elle peut être exprimée par certains, les menace
de dissolution des limites du moi, les confronte à une surcharge d'excitation et à des
représentations incestueuses (les déborde en somme). Nous avons émis l'hypothèse selon
laquelle la sexualité non élaborée faisait retour sur la scène de la classe dans le conflit avec
l'enseignant.
Il nous semble important que les enseignants puissent prendre en compte la dimension
sexuelle impliquée dans le comportement de ces jeunes et plus largement dans toute œuvre de
transmission intergénérationnelle du savoir. Si le sexuel ne peut pas être pensé par les acteurs
adultes du collège il nous semble qu'ils leur sera plus difficile de trouver la réponse adéquate
face aux comportements transgressifs de ces adolescents. Nous pourrions prendre l'exemple
des enjeux autour du toucher dans la relation élève-enseignant et nous demander : comment

398
un enseignant peut-il comprendre qu'il est insupportable à bon nombre d'élèves en difficulté
d'être touché par l'enseignant, sans prendre en compte la sexualité pubertaire ?
Par ailleurs, au vu de nos résultats nous pensons qu'il serait intéressant que les
enseignants de collège puissent se familiariser notamment avec la problématique du
masochisme en période pubertaire pour comprendre et éviter la spirale conflictuelle
enseignant-élève. Nous incluons en effet le (sado-)masochisme dans la dimension du sexuel
qui imprègne la relation élève- enseignant.
Nous supposons que dans un contexte scolaire où la sexualité resterait impensée et
réprimée (impensé et répression ''font la paire''), l'exclusion des éléments perturbateurs de la
classe ou de l'établissement risquerait de devenir le seule réponse possible, visant à mettre à
distance et tenir sous silence la sexualité débordante mise en jeu dans les comportements
jugés perturbateurs.
L. Gavarani et I. Pirones (2015) à travers leurs recherches dans le domaine des
sciences de l'éducation et de la formation, traitant notamment du décrochage scolaire,
constatent que l'environnement éducatif actuel n'est point propice au développement d'une
telle prise en compte de la dimension sexuelle impliquée dans la relation élève(s)-
enseignant(s) et le rapport au savoir. Selon ces auteures, au sein du système éducatif actuel,
tend à se propager un « savoir sur l'enfant blanchi de tout sexuel » (2015, p115) soutenu par
une certaine orientation de la recherche dans les domaines de l'éducation et de la psychologie.
En effet, l’enfant serait « de plus en plus traité comme une affaire biologique, que ce soit du
point de vue neuroscientifique, cognitiviste, comportementaliste ou génétique. » (2015, p115).
« L’enfant freudien caractérisé par une économie pulsionnelle de nature sexuelle »
constituerait « une sorte d’impensable dans le monde éducatif actuel, comme il le fut lorsque
Freud en donna les premières assises théoriques. » (2015, p115).
Les résultats de notre étude soutiennent pourtant, à contre courant de la tendance
actuelle, la pertinence du développement d'une recherche clinique d'inspiration
psychanalytique dans le champ de l'éducation, en ce qu'elle souligne l'importance du rôle de
l'élaboration de l'excitation pulsionnelle et de la fantasmatique sexuelle pour l'investissement
de la transmission intergénérationnelle des savoirs scolaires.
Nos résultats plaident en faveur d'une approche clinique du décrochage scolaire telle
que définie par J. Y. Chagnon (2017), en ce qu'elle donne une place centrale à l'étude du
traitement de l'excitation pulsionnelle. Ainsi tentant de répondre à la question de savoir
« comment peuvent se situer la psychologie clinique et la psychopathologie clinique par
rapport à cette problématique du décrochage scolaire et aux différentes approches » (2017,

399
p17) de celle-ci ? J. Y. Chagnon définit une recherche clinique d'orientation psychanalytique
en prenant soin de la situer par rapport à l'orientation cognitiviste. L'objectif fondamental
d'une telle recherche serait, selon lui, de produire « une théorie du fonctionnement de
l'appareil psychique conçu comme un appareil à traiter l'excitation, là où la théorie cognitive
produit une théorie de l'appareil psychique conçu comme un appareil à traiter l'information :
notre différence tient à l'accent mis sur l'investissement pulsionnel et le traitement des
affects. » (2017, p19).
A travers leur comportement en classe et leur discours, une bonne partie des
adolescents expriment, nous semblent-il, leur difficulté à élaborer la sexualité en période
pubertaire. Ils confrontent également dans une certaine mesure les enseignants à leur
fantasmatique sexuelle mise en acte. Nous savons par ailleurs que la curiosité sexuelle plus
ou moins sublimée, participe pleinement de l'investissement du savoir dans le champ scolaire
et ailleurs. Les sujets en difficulté avec la mise en mot et la représentation de la dynamique
sexuelle seraient donc excessivement privés d'un des moteurs (la curiosité sexuelle) de
l'investissement des apprentissages scolaires. Une fois cela posé, il nous semblerait donc
intéressant que l'institution scolaire puisse proposer à ces sujets des espaces de parole autour
de la sexualité encadrés et animés par l'adulte, pour relancer une pensée sur et de la sexualité.
L'école apparaîtrait ainsi moins comme un espace d'exclusion du sexuel et du corps
adolescent ou pubère.
Nous pensons à des espaces de parole au sein de l'établissement scolaire qui seraient
plutôt animés par un tiers extérieur, dans lesquels puisse se développer un échange qui parte
des préoccupations des adolescents et/ou des associations d'idées de chaque élève par rapport
à des thèmes proposés par l'adulte. La visée de ces groupes de parole ne serait donc pas
d'éduquer à la sexualité mais plutôt permettre aux sujets d'établir un pont entre leurs
préoccupations, leur fantasmatique personnelle, le savoir et la représentation scolaire sur la
sexualité. Il s'agirait de tenter d'aider le sujet à passer de la mise en acte à la mise en mots du
sexuel. Ces groupes viseraient une véritable rencontre respectueuse et conflictuelle (une
bonne conflictualité, celle qui permet le débat) entre le savoir scientifique scolaire sur la
sexualité et le savoir du sujet. Ce savoir du sujet étant formé par l'expérience personnelle, les
fantasmes, les représentations culturelles et familiales, les théories sexuelles infantiles et
pubertaires, et marqué par des processus défensifs (inhibition, déni, idéalisation, etc...). Nous
sommes confortés dans l'idée d'un groupe de parole autour de la sexualité par le constat que
fait Madame K d'une appétence particulière des élèves de classe relais pour le débat en
groupe autour de l'homosexualité. Dans un bel article, F. Landoeuer et S. Pesce (2011)

400
tendent à montrer que les élèves accueillis en classe relais sont susceptibles de s'impliquer
dans un projet pédagogique centré sur la question des origines. La sexualité et la question de
l'origine sont étroitement mêlées ne serait-ce qu'à travers la question de savoir ''comment fait-
on les bébés ?''.
Il existe déjà des dispositifs d'éducation à la sexualité dans le système scolaire.
Cependant L. Gavarini (2016) constate que la sexualité est surtout abordée au collège à
travers les cours de science et vie de la terre, le programme d'enseignement mettant l'accent
sur les compétences à acquérir. Nous avons tendance à la rejoindre dans sa critique de cette
orientation pédagogique et éducative visant plus l'inculcation de compétences que
l'appropriation subjective d'un savoir scientifique sur la sexualité. Elle écrit ainsi « que
rabattre l’apprentissage de connaissances scientifiques sur l’acquisition de « compétences »
relève d’une politique très actuelle qui minore les savoirs et la formation de la pensée, au
profit de l’inculcation de comportements et de normes relationnelles. Il ne s’agit pas
simplement d’une évolution des programmes scolaires, mais d’une transformation radicale
du rapport au savoir, si ce n’est du savoir lui-même. » (2016, p28). Elle souligne que « en
matière de sexualité, savoir scolaire et savoir du Sujet ne coïncident pas, les énoncés
scientifiques de la biologie ne résonnent pas avec les questions relatives à la sexualité telles
que les formule un adolescent en tant que Sujet d’énonciation aux prises avec ces questions.»
(2016, p29). Elle propose dans son article d'étudier l'hypothèse selon laquelle existerait un
écart et un manque de coïncidence particulièrement prononcé entre le savoir scolaire sur la
sexualité et le savoir des sujets ''désarrimés'' de l'école au niveau du collège. Ces jeunes
resteraient plus accrochés que les autres à leur théories sexuelles infantiles ''ne voulant rien
savoir'' des connaissances scientifiques sur la sexualité transmises par l'enseignante de SVT.

III. Le psychodrame psychanalytique de groupe :

Nous avons constaté que plusieurs sujets de notre recherche présentent un certain goût
pour la mise en scène de soi dans la classe, qui en passe souvent par des comportements
individuels ou groupaux non-conformes à l'attitude de(s) l'élève(s) attendue. Nous supposons
que ces comportements sont favorisés par la situation groupale (groupe classe). En effet,
d'après le discours des deux enseignantes de classe relais ces agissements émergent surtout en
situation groupale et non en relation duelle. Elles observent une grande différence entre le
comportement des élèves en situation groupale et en relation duelle avec l'adulte.

401
Ces mises en scène de soi dans le groupe classe mettent en jeu le croisement des
langages de l'acte, du corps et de la parole. Selon nous, ces agissements peuvent être
considérés comme une tentative de figuration des fantasmes éveillés par l'expérience d'élève
dans le groupe classe, et une tentative de liaison de l'excitation générée par cette expérience.
Ces mises en acte ou recours à l'acte témoignent plus largement, nous le supposons, de
difficultés pour élaborer la fantasmatique et l'excitation sexuelle.
Ces observations nous conduisent à penser qu' une bonne partie des sujets seraient
susceptibles de se saisir d'un dispositif de psychothérapie de groupe du type psychodrame
psychanalytique de groupe. De par sa configuration groupale et accès sur la dynamique de
groupe, ce dispositif permettrait de travailler à l'élaboration des fantasmes individuels et
groupaux qui sont susceptibles d'émerger lorsque le sujet est dans un groupe et, plus
particulièrement, en position d'élève dans le groupe classe. Dans cette perspective, les sujets
pourraient s'étayer sur leur goût et leur savoir faire concernant la mise en scène par
l’entremêlement des langages de l'acte, du corps et de la parole. En effet, par le jeu proche du
jeu théâtral et le temps de parole qui vise une reprise après coup de ce qui s'est passé dans le
jeu, le psychodrame sollicite ces différentes dimensions du langage (F. Houssier, 2014). La
méthode employée pour ces groupes pourrait être proche de celle utilisée par R. Kaës visant
l'élaboration de « situations cliniques difficiles » rencontrées par les praticiens du
psychodrame. Il s'agirait plutôt, avec les pré-adolescents et adolescents en difficulté scolaire,
d'élaborer des ''situations scolaires difficiles''. R. Kaës décrit ainsi le déroulement d'une
séance : « les participants sont invités à relater une situation clinique qui leur est parue
particulièrement difficile à vivre et à élaborer, puis à jouer non pas directement un des cas
relatés, mais en partant d'un thème de jeu qu'ils auront inventé, qui leur sera venu à l'esprit
ici et maintenant. Une fois le thème retenu, il est joué dans l'espace réservé au jeu
psychodramatique, puis les participants sont invités à parler de la scène qu'ils ont jouée ou
dont ils ont été spectateurs. Le détour par le jeu va solliciter l'invention imaginaire, et non la
dramatisation directe du cas. Il oblige les participants à décoller de la situation clinique
exposée, souvent vécue et relatée avec un effet traumatique intense. » (2003, p75).
A. Sirota (2007) emploie une technique proche de celle-ci, nous semble-t-il, dans
l'animation de certains groupes d'analyse professionnelle avec les enseignants. Donc,
pourquoi pas avec les élèves ?
Ayant parcouru la littérature scientifique, nous n'avons pas connaissance d'un
dispositif thérapeutique de type psychodrame psychanalytique de groupe qui serait destiné
spécifiquement à des adolescents et pré-adolescents présentant un risque de décrochage

402
scolaire ou ayant décroché. Cette technique est cependant largement utilisée avec les
adolescents dans différentes institutions de soin psychique (CMPP, CMP, CATTP, etc.). Nous
relevons tout de même un grand nombre de dispositifs destinés à des sujets en difficulté
scolaire, qui s'apparentent au psychodrame en ce qu'ils s'appuient sur le jeu théâtral en
groupe. Il s'agit de groupes à médiation théâtrale qui comportent une dimension
thérapeutique. Nous pouvons prendre l'exemple de l'atelier théâtre du Mirco Lycée de Sénart
destiné à des élèves décrocheurs qui vise à « faciliter l’accès des élèves à la présence à soi et
à leur corps pour remédier, entre autres, aux perturbations de l'attention et de la
concentration constatées en classe. » (V. Melin, 2016, p84). Nous observons que la ''drama-
thérapy'' (terme américain pour désigner la médiation thérapeutique par le théâtre) est utilisée
au Canada pour l'accompagnement d'adolescents ayant connu la migration ou l'exil et
présentant des difficultés scolaires (C. Rousseau, M. Gauthier, L. Lacroix, A. Néomé, M.
Benoit, A. Moran, M. V. Rojas & D. Bourassa, 2005 ; I. Moneta & C. Rouseau, 2015). Nous
pensons également à l'atelier théâtral proposé aux collégiens orientés vers l'accueil scolaire
Torcy animé par des intervenants externes issus de la compagnie du ''théâtre de l'opprimé''
(N. Dufrenoy & E. Core, 2012).
Ces différentes activités relèvent de la médiation artistique, à différencier du
psychodrame. Plusieurs études tendent à montrer que ce type d'activité conduite auprès
d'adolescents en difficulté scolaire, est approprié pour soutenir leur construction identitaire et
l'élaboration d'un rapport moins problématique à l'école (A. Maurin, 2010, 2015 ; I. Pirone,
2010). Parmi les différentes activités de médiation, nous nous intéressons particulièrement à
la conception de la « médiation thérapeutique en groupe » présentée par D. Marcelli et N.
Catheline (2011).

IV. Les soins médiatisés en groupe :

Une majorité de sujets sont confrontés à une excitation et des mouvements affectifs
qui les débordent, peut-être particulièrement dans un contexte de classe. Une bonne part de
ces sujets confronte les enseignants au débordement et à l'éprouvé de l'informe ou du non-
conforme. Ce procédé pourrait relever du retournement passif-actif qui consiste à déborder
l'autre enseignant (position active) plutôt qu'être débordé par l'autre étranger interne (position
passive, passivation). D'une certaine manière les sujets font reposer sur l'enseignant et le
cadre institutionnel la fonction d'accueil de l'excitation tout en demandant fortement, nous

403
l'avons constaté, une reconnaissance et une attention de tous les instants. Ils montrent ainsi
que ce qui leur fait défaut concerne à la fois le traitement de l'excitation, de l'affect, et le
narcissisme.
Nous avons émis l'hypothèse que l'enseignant tend à être convoqué par ces sujets dans
une fonction d'objet medium malléable en ce qu'il doit faire preuve de souplesse et de
continuité. Cela tend à montrer qu'une majorité de sujets sont en difficulté pour faire face
aux changements propres à la période pubertaire, dans la mesure où ils recourent à un fort
étayage sur l'environnement adulte. Lorsque ces sujets ont le sentiment que cet étayage vient
à manquer, la réaction risque d'être faite de conflit et/ou de repli narcissique.
L'enjeu serait d'aider ces pré-adolescents et adolescents, qui témoignent de
potentialités créatives de par leur parole et leurs actes, à relancer le processus créatif qui
semble grippé (pour des raisons propres à chacun) ou difficile à se déployer en milieu
scolaire.
N. Catheline et D. Marcelli (2011) ont développé une pratique et une théorie du soin
psychique avec médiation qui nous semble pouvoir répondre aux enjeux développementaux
auxquels sont confrontés les sujets de notre recherche. À l'accueil thérapeutique de jour pour
adolescents ''Mosaïque'' du centre hospitalier Henri-Laborit à Poitier, ils ont élaboré une
pratique de soin spécifique pour les adolescents très en difficulté sur le plan scolaire dont la
problématique psychologique se caractérise par un évitement de la pensée. Ils proposent un
travail psychothérapeutique essentiellement basé sur ce qu'ils nomment ''les soins médiatisés
en groupe''. Ce sont des groupes formés par deux co-thérapeutes et un groupe de 5-6
adolescents dans lesquels se déploient différents types d'activités (sport, théâtre, écriture,
conte, etc.) qui ont toutes pour particularité d'être centrées sur l'utilisation d'objets de
médiation. L'objet créé ou en cours de création fait fonction de médiateur dans le mesure où
(comme son nom l'indique) il médiatise la relation de l'adolescent aux autres du groupe.
L'objectif de ces groupes est de créer dans la relation intersubjective, une aire transitionnelle
propice à la création subjectale et à l'appropriation subjective des états internes. Ce sont des
groupes ouverts, c'est à dire que les participants peuvent sortir ou intégrer le groupe en cours
d'année. Nous n'insisterons que sur certains points de ce dispositif qui semblent fortement
résonner avec ce que nous avons pu percevoir de la problématique des sujets.
Ce dispositif pourrait apporter une réponse satisfaisante à la possible demande des
sujets implicitement adressée aux enseignants, concernant la malléabilité de l'adulte et du
cadre qui permet l'accueil de l'excitation pulsionnelle et des mouvements affectifs débordants.
Ainsi, dans la médiation telle qu'elle est conçue par D. Marcelli et N. Catheline, le soignant

404
doit pouvoir adopter une attitude « correspondant à celle d'une patience accueillante, une
patience en réserve prête à recevoir n'importe quoi, c'est à dire prête à reconnaître sans
jugement préconçu la pertinence de tout ce que le patient déverse ; en revanche le soignant
peut et même doit, très progressivement, très prudemment, « réfléchir » une préconception,
une pensée éveillée en lui par ce n'importe quoi puis offerte au patient qui peut l'accepter,
(ou) la rejeter » (2011, p130). Le soignant doit cultiver un art de l'effacement de sa propre
subjectivité pour laisser advenir l'expression subjective individuelle ou groupale des patients.
Lorsque l'adulte développe cette attitude dans le contexte de la médiation, il peut alors
accueillir, avec accusé de réception, ce qui au premier abord pourrait sembler du n'importe
quoi et, par un jeu de réflexion, renvoyer à l'adolescent ou au groupe d'adolescent que ce
geste à une valeur créative et procède d'une intention désirante profonde. Ce jeu de réflexion
a besoin pour s'installer d'un objet médiateur communément investi par les membres du
groupe adolescents et adultes. C'est cette attention conjointe portée vers le média qui garantit,
au moins dans un premier temps, la cohésion de groupe et soutient la construction d'une
atmosphère que nous pouvons qualifier d'aire transitionnelle, dans la mesure où il n'y a plus
lieu de chercher à distinguer ce qui vient de soi de ce qui vient de l'autre, distinguer le trouvé
et le créé. Il y a là une approche psycho-thérapeutique susceptible de répondre au besoin de
reconnaissance qui nous semble transparaître dans le discours des sujets de notre recherche.
Nous appuyant sur les réflexions développées par Philippe Gutton autour du pubertaire et de
l'adolescence, nous supposons qu'il s'agit surtout de la reconnaissance partagée par le sujet et
son environnement (ici les co-thérapeutes et les autres participants) d'une capacité à créer et
co-créer « une originalité partageable » (Ph. Gutton, 2008) et une mise en sens de leurs états
internes qui deviennent, de fait, moins menaçants.
Les sujets de notre recherche témoignent, nous semble-t-il, par leur comportement qui
pose problème à l'école, de leur difficulté pour trouver-créer une place originale d'élève au
sein du système scolaire. Il nous semble difficile d'intégrer ou maintenir ces préa-dolescents
et adolescents dans un parcours scolaire sans que l'institution scolaire ne déploie plus de
créativité dans l'accueil de ces élèves. Celle-ci nous semble en germe dans les classes relais
que nous avons fréquentées, mais peut-être non suffisamment reconnue et soutenue.

405
CONCLUSION

Nous sommes, dans notre pratique de psychologue clinicien en CMPP, régulièrement


exposé à des demandes émanant de l'école, de prise en charge et de diagnostic pour des
enfants et des adolescents, qui nous sont préalablement présentés comme porteurs, ou
suspectés, de troubles divers et variés (trouble du comportement, trouble de l'attention avec
ou sans hyperactivité, trouble des apprentissages, etc.) directement tirés, nous semble-t-il, de
la sémiologie descriptive du DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorder).
Dans ce contexte, nous partageons le sentiment avec plusieurs collègues, et sans doute avec
plusieurs chercheurs dans le domaine de la psychologie (J. Y. Chagnon, 2014 ; T. Garcia-
Fons, 2006) et des sciences de l'éducation (E. Diet, 2004), d'être confronté à une
intensification de la demande scolaire (et sociétale) en terme de troubles à prendre en charge
(souvent selon la méthodologie plus rééducative que thérapeutique prédéfinie, sensée être
adaptée au trouble) et à diagnostiquer. Face à ce phénomène pour le moins … troublant, il
nous semble que le risque est grand de réduire excessivement l'enfant ou l'adolescent à son
trouble, nous dirions plutôt son symptôme, oubliant derrière le trouble, le sujet et
l'intersubjectivité à l’œuvre. Nous nous demandons si cette prégnance et prolifération des
troubles (dans une optique DSM) dans le domaine de la pédagogie et du soin psychologique
ne traduit pas une forme d'activisme (visible autant par la multiplication des types de troubles
que par l'étiquetage à tout va) symptôme d'un trouble plus profond, d'une autre nature celui-
là, que la société, et plus particulièrement l'école, ne sont pour l'instant pas en mesure de
penser, ni panser. Il nous paraît donc que les acteurs de l'école sont en difficulté pour penser
les dimensions subjective et intersubjective impliquées dans les difficultés scolaires des
enfants et adolescents. Les travaux de recherche de A. Sirota (2007) et E.Diet.(2006, 2016)
tirés de leur expérience clinique dans l'animation de groupe d'analyse des pratiques en
institution éducative, tendent à en faire le constat préoccupant.
Cela étant posé, nous considérons que notre étude peut être une façon de réagir à cette
situation que nous jugeons inquiétante en mettant au centre de nos réflexions l'idée selon
laquelle les difficultés de l'enfant et de l'adolescent qui s'expriment dans le champ scolaire,
sont aussi, et peut-être avant tout, une histoire de rencontre entre un ou des sujets-élèves et un
ou des sujets-enseignants chargés d'une fonction de transmission. Cette rencontre, nous le
constatons au quotidien en séance, et notre étude le montre, charrie des mouvements
identificatoires et transférentiels forts. C'est aussi une rencontre entre un sujet et une

406
institution dont l'enseignant est un des représentants. Nous avons donc choisi d'aborder la
difficulté scolaire, et plus particulièrement le processus de décrochage scolaire, sous l'angle
d'une rencontre intersubjective problématique entre certains adolescents ou pré-adolescents et
leurs enseignants.
Nous inspirant des travaux de R. Kaës (1975, 2009, 2011) sur la dynamique
fantasmatique impliquée dans la formation et sur son travail autour de la notion de contrat
narcissique, nous avons postulé que cette rencontre met fondamentalement en jeu la
dynamique activité-passivité. La configuration de la relation élève-enseignant impliquant une
différence, toute relative, mais tout de même présente, entre une position d'enseignant
sollicitant plus la dimension active de transmetteur, formateur et séducteur d'un côté, et une
position d'élève sollicitant plus la dimension passive du côté de la réception (du savoir
transmis), de l'être formé-déformé et de l'être séduit. Cette différence, nous le supposons,
serait insupportable si la séduction narcissique plus mutuelle, plus dans le registre de l'''inter-
activité'', ne venait pas l'adoucir en atténuant la dimension d'emprise dont nous avons vu
qu'elle semble inévitable (P. Vallet, 2003, 2011 ; B. Mabilon-Bonfils, 2009). Nous avons
développé la position consistant à envisager le travail de l'élève, mais également le processus
adolescent, comme la recherche d'un certain équilibre entre passivité et activité conçues
comme deux facettes d'une même pièce : la passivité du côté de la réception (de la
transmission par l'adulte, de l'affect, de l'excitation et de l'emprise de l'autre sur soi) et
l'activité du côté de la création et de l'appropriation subjective, mais aussi de l'emprise sur
l'autre interne/externe. À travers notre démarche de recherche nous avons constaté que,
comme en écho à nos réflexions autour de la dynamique activité-passivité, les élèves dits
décrocheurs mobilisent beaucoup les chercheurs et les acteurs du système éducatif autour de
la question de la position active ou passive de l'élève. La question la plus récurrente nous
semblant être : comment rendre l'élève acteur de ses apprentissages ?
Nos réflexions nous ont orienté vers l'investigation de l'hypothèse selon laquelle les
adolescents identifiés comme à risque de décrochage sont particulièrement en difficulté pour
élaborer la dimension passive mise en jeu dans la relation à l'enseignant sollicitant
essentiellement l'être affecté-excité, l'être séduit (C. Chabert, 1999) et la passivité de la
dépendance (A. Green, 1999). Nous avons postulé que cette difficulté dépend de la façon
dont ces adolescents s'inscrivent dans la dynamique activité-passivité aux niveaux pulsionnel
et fantasmatique. Cette dynamique se caractérisant par le surinvestissement de l'activité au
détriment de la passivité qui a une incidence néfaste sur la réceptivité (de l'enseignement) et
l'identification (à l'enseignant).

407
Il ressort de nos investigations que les sujets de notre recherche peuvent être affectés,
touchés (affectivement mais pas physiquement) positivement ou négativement par
l'enseignant. Ils peuvent investir affectivement la relation et même de manière
particulièrement intense. Mais ils semblent également attachés à soutenir une position active
en marquant, touchant l'autre enseignant affectivement (et parfois physiquement) par des
paroles et des agirs spontanés souvent légèrement, et parfois franchement, hors cadre. Nous
en déduisons que ces adolescents sont peut-être plus soucieux que les autres de construire et
maintenir une affectation mutuelle (inter-affectation?) dans la relation aux enseignants. Nous
avons également remarqué que la plupart des sujets sont aux prises avec des affects et des
excitations débordantes susceptibles de trouver une voie d'expression à travers le langage du
corps et de l'acte. Ce débordement n'est pas sans lien avec la sexualité, et plus
particulièrement, la fantasmatique de séduction. Nous constatons en effet que la
fantasmatique œdipienne de la séduction est difficilement élaborable et supportable, ce qui
semble avoir une incidence directe sur la relation aux enseignants. Cette fantasmatique non
suffisamment symbolisée semble ressurgir de façon inopinée dans la relation aux enseignants
et semer le trouble. Elle prendrait la forme de scenarii masochistes souvent héroïques (au
sens de Ph. Gutton, 2013) mis en acte avec la participation bon gré mal gré de l'enseignant.
Par le recours au masochisme le sujet se met en position active puisqu'il cherche activement
l'exclusion, la punition aux niveaux de la réalité et du fantasme.
Nous observons donc des éléments indiquant une difficulté pour élaborer et admettre
la position passive dans le fantasme de séduction et plus largement dans la fantasmatique
sexuelle, et supposons que cela les empêche d'investir une position de réception du savoir de
l'autre-adulte-enseignant. Le plaisir de la réception d'un savoir provenant de l'enseignant est
en effet absent de leurs discours et semble s'effacer derrière le plaisir et le besoin d'être
entendu, vu, compris, valorisé par l'enseignant.
Nous observons donc une demande claire d'un étayage narcissique par l'enseignant
qui montre qu'une majorité des sujets peuvent s'envisager dépendants de l'enseignant donc,
d'une certaine manière, dans une position de passivité. Cependant éprouver l'attente que
l'enseignant réponde à leur demande forte d'étayage semble peu supportable.
Nous avons développé l'idée selon laquelle cette demande de reconnaissance, ainsi
que le désir de toucher l'enseignant sur le plan affectif, témoignent d'un mouvement régressif
adolescent visant notamment à ré-expérimenter et ainsi ré-élaborer les expériences précoces
de la relation au premier objet d'attachement maternel investi d'une fonction d'objet médium
malléable. Ceci, nous le supposons, dans une atmosphère fortement marquée par la séduction

408
narcissique qui crée le sentiment d'une certaine familiarité, suffisamment à l'abri du sexuel
pour ne pas être menaçante, et reposant sur un jeu d'identification qui permet de se
reconnaître semblable à l'autre et atténue l’asymétrie actif-enseignant/passif-élève. Un bon
nombre d'adolescents identifiés comme à risque de décrochage scolaire au collège auraient
peut-être particulièrement besoin que se mette en place ce type d'atmosphère pour pouvoir
supporter et investir la position d'élève.
Notre étude tend à montrer que lorsque l'enseignant ne peut répondre suffisamment à
la demande d'étayage narcissique, de familiarité et de malléabilité qui lui est adressée (sur un
mode verbal et/ou non verbal) il est alors susceptible d'être appelé à incarner la figure de
l'étranger malveillant, persécuteur, agent excitant de la colère. Pour comprendre ce
phénomène nous avons mis au travail la conception selon laquelle l'élève confronté à une
excitation sexuelle débordante tend à projeter l'agent excitant interne (le « corps étranger
interne ») sur l'objet externe enseignant situant ainsi à l'extérieur le ''fauteur de trouble''. À ce
moment-là les enjeux d'emprise prennent le devant de la scène pédagogique.
Compte tenu de ces réflexions ils nous paraît intéressant d'étudier dans de futures
recherches l'hypothèse qui consisterait à postuler que les adolescents à risque de décrochage
scolaire ont particulièrement besoin d'instaurer une séduction narcissique dans la relation à
l'enseignant de façon à mettre à distance le sexuel excessivement menaçant et susceptible de
''jeter le trouble'' dans la relation pédagogique.
Ainsi narcissisme et sexualité ne semblent pas faire bon ménage dans le
fonctionnement psychique des sujets de notre recherche.
De ce point de vue, notre étude aura au moins eu le mérite de rappeler que l'un des
éternels ''éléments perturbateurs'' de l'homéostasie narcissique et de la relation intersubjective
élève(s)-enseignant(s), est la sexualité énigmatique et donc séductrice.

409
Suite et fin de citation :

« Le plus risible, c'est qu'évidemment on l'avait fait très beau ce jour-là, avant de me
l'envoyer. Sa tête, mieux peignée qu'à l'ordinaire, était encore roide de pommade, et le nœud
de cravate avait je ne sais quoi qui sentait les doigts maternels. Mais il y à tant de ruisseaux
avant d'arriver au collège !...
Bamban s'était roulé dans tous.
Quand je le vis prendre son rang parmi les autres, paisible et souriant comme si de rien
n'était, j'eus un mouvement d'horreur et d'indignation.
Je lui criai : « Va-t'en ! »
Bamban pensa que je plaisantais et continua de sourire. Il se croyait très beau ce jour là !
Je lui criai de nouveau : « Va-t'en ! va-t'en ! » Il me regarda d'un air triste et soumis, son œil
suppliait ; mais je fus inexorable et la division s'ébranla le laissant seul, immobile au milieu
de la rue.
Je me croyais délivré de lui pour toute la journée, lorsqu'au sortir de la ville des rires et des
chuchotements à mon arrière garde me firent tourner la tête.
A quatre ou cinq pas derrière nous, Bamban suivait la promenade gravement.
Cet enragé-là arriva à la Prairie presque en même temps que nous. Seulement il était pâle
de fatigue et tirait la jambe à faire pitié.
Il avait une petite blouse fanée, à carreaux rouges, la blouse du petit Chose au collège de
Lyon.
Je la reconnus tout de suite, cette blouse, et dans moi-même je me disais : « Misérable, tu
n'as pas honte ? Mais c'est toi, c'est toi le petit Chose que tu t'amuses à martyriser ainsi. » Et
plein de larmes intérieures, je me mis à aimer de tout mon cœur ce pauvre déshérité.
À partir de ce jour, Bamban devint mon ami. J'appris sur son compte des choses
attendrissantes ... »

Alphonse Daudet, « Le Petit Chose » (1868)

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Blumenfeld, P. C. (1997). Changes in children’s competence beliefs and subjective task

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Winnicott, D. W. (1975). Jeu et réalité, l’espace potentiel. Paris: Gallimard.

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et psychanalyse (p. 116-119). Paris: PUF, 2000.

435
ANNEXES
Table des matières

ANNEXE I.1. Protocole de Rorschach d'Aurélien................................................................3


ANNEXE I.2. Deux dessins de Aurélien...................................................................................5
ANNEXE II.1. Protocole de TAT d'Aymeric.........................................................................7
ANNEXE II.2 : Dessin d'Aymeric.............................................................................................9
ANNEXE III.1. Protocole de TAT d'Édouard.....................................................................10
ANNEXE III.2. Deux dessins d'Édouard.................................................................................12
ANNEXE IV. 1. Protocole de TAT de Georges....................................................................14
ANNEXE IV.2. Deux dessins de Georges...............................................................................15
ANNEXE V. 1. Protocole de TAT d'Hans.............................................................................17
ANNEXE VI. 1. Protocole de TAT d'Helder........................................................................18
ANNEXE VI. 2. Deux dessins d'Helder..................................................................................20
ANNEXE VII. 1. Protocole de TAT d'Idir...........................................................................22
ANNEXE VII. 2. Protocole de Rorschach d'Idir......................................................................24
ANNEXE VII. 3. Deux dessins d'Idir......................................................................................26
ANNEXE VIII. 1. Protocole de TAT d'Imen........................................................................28
ANNEXE VIII. 2. Deux dessins d'Imen..................................................................................29
ANNEXE IX.1. Protocole de TAT de Naïma.......................................................................31
ANNEXE IX.2 : Protocole de Rorschach de Naïma................................................................33
ANNEXE X. 1. Protocole de TAT (interrompu) d'Ophélia................................................35
ANNEXE X. 2. Deux Dessins d'Ophélia ................................................................................36
ANNEXE XI.1. Protocole de TAT d'Oscar...........................................................................38
ANNEXE XI.2. Protocole de Rorschach d'Oscar....................................................................40
ANNEXE XII.1. Protocole de TAT de Selma.......................................................................43
ANNEXE XII.2. Protocole de Rorschach de Selma................................................................45
ANNEXE XII.3. Deux dessins de Selma.................................................................................47
ANNEXE XIII.1. Protocole de TAT de Sinan......................................................................49
ANNEXE XIII.2. Protocole de Rorschach de Sinan................................................................50
ANNEXE XIII.3. Dessin de Sinan...........................................................................................51
ANNEXE XIV Dessin d'Ibrahim..........................................................................................52
ANNEXE XV Dessin de Yassine............................................................................................53
ANNEXE XVI Entretien avec Madame B...........................................................................55

1
ANNEXE XVII Entretien avec Madame K.........................................................................68
ANNEXE XVIII Guide d'entretien..........................................................................................81
ANNEXE XIX Cotation Barrière/Pénétration.........................................................................83
ANNEXE XX La figure du médiateur évoquée dans l'étude de cas........................................84

2
ANNEXE I.1. Protocole de Rorschach d'Aurélien

I
1 Un avion avec des fenêtres. (G)bl F+ Obj,
Barrière
2 Un hélicoptère en bas Dd F- Obj, Barrière

II
3 ˅ Deux cuisses de poulet [il D F+ Ad 2
sourit]
III
4 Une échographie Le bébé là DF-H,Anat,
Pénétration
IV
5 Un monstre, un géant Des petits bras, des gros G F+ (H)
pieds et une grosse queue
V
6 ˅˄ Un oiseau G F+ A

7 Un dinosaure G F+/- A

VI
8 ˅˄˅ La France en plus grand D F+/- Géo, Barrière

VII
9 Deux personnes, deux femmes (elles volent?) Elles G K H2, Barrière
qui volent avec les cheveux en tombent de quelque chose
l'air et les bras derrières, avec
une robe.
VIII
10 Un logo à plusieurs couleurs (?) G FC- Symbole,
Le logo d'un jeu (quel jeu?) Barrière
Assassin's creed.

11 Un animal qui monte sur un truc G ka A, reflet


et après il y a le reflet dans l'eau

IX
12 ˅ Un animal sans bras, avec un G F +/- A
gros corps et une grosse tête.

X
13 Des oiseaux D F+ A

14 Des araignées D F+ A

15 Des poussins D F+ A

3
16 ˅ Des plantes Dd F+ Bot

Planche préférée : la planche II parce que « c'est l'image où j'ai le plus vite pensé à quelque
chose »

score barrière/pénétration : 5/1

4
ANNEXE I.2. Deux dessins de Aurélien

5
6
ANNEXE II.1. Protocole de TAT d'Aymeric

Pl 1 Il travaille. Il réfléchit (à quoi?) Au travail, à ce qu'il fait


CF-1
Pl 2 Un homme et deux femmes. Un cheval (?) [grand temps de latence durant
lequel il reste le regard fixé sur la planche]

Pl 3 Une dame qui n'est pas bien. On dirait qu'elle a trop bu et se tient sur un
banc.

Pl 4 [grand temps de latence au bout duquel nous lui demandons : qu'est-ce-que


vous voyez?] Une femme qui tient un homme dans ses bras.

Pl 5 Une femme qui rentre chez elle d'une soirée.


CF-1
Pl 6BM [Aymeric se cache les yeux avec ses mains et nous attendons un certain
temps avant de le resolliciter] L'homme on dirait qu'il a quelque chose dans
les mains. (?) Il part de chez lui. (?) Il va partir de chez la dame. (dame?) Ça
peut être sa mère.

Pl 7BM Ça me fait penser quand il y a eu les attentats et qu'il y a un homme venu


dire à François Hollande qu'il y avait des attentats. [F. Hollande est le
personnage le plus jeune à droite]

Pl 8BM J'vois une personne. J'sais pas si c'est un homme ou une femme. Et derrière
CF-1 quelqu'un opère une autre personne. (?) Peut-être que c'est quelqu'un que la
personne [personnage au premier plan] connaît.

Pl 10 Deux personnages on dirait, ont pas de bouche (vraiment?) Lui [personnage


CL-2 du haut] n'a vraiment pas de bouche.

Pl 11 Une cascade d'eau et des oiseaux on dirait. À gauche on dirait qu'il y a un


dragon.

Pl 12 Un arbre avec de l'herbe, un lac et un canoë, j'sais pas c'est quoi. Des gens
CF-1 sont partis se balader.

Pl 13MF Un homme qui se réveille avec une femme à côté et s'habille comme pour
CF-1 aller au travail.

Pl 13B Un petit devant une porte, il y a du bois autour et c'est tout (?) Il se fait
CN-4 prendre en photo. [Aymeric a mis sa capuche, nous avons l'impression qu'il
se cache avec.]

Pl 19 [Il reste bloqué, nous lui proposons de passer à la suivante après un long
temps de latence]

Pl 16 Il était une fois une chienne qui venait d'accoucher plein de chiots et la
chienne voulait pas qu'on touche à ses chiots. Enfin elle veut bien, mais elle

7
veut qu'on fasse très attention, c'est tout.

8
ANNEXE II.2 : Dessin d'Aymeric

9
ANNEXE III.1. Protocole de TAT d'Édouard

Comportement : Pendant toute la passation, Édouard garde son manteau sous prétexte qu'il a
froid. Il se saisit de chacune des planches et la repose quand il donne sa réponse.

Pl 1 Un mec en cours qui se fait chier.

Pl 2 Le mec fait son champ. La fille va en cours [temps de latence] [il souffle] y a
CF-1 rien. (Est-ce-qu'il y a un lien entre les personnages?) La mère, le père, la fille
et là-bas c'est le fils.

Pl 3 [petit rire] Position fœtale! [Se saisit de l'image et un petit temps s'écoule
après cette exclamation] Il est en train de pleurer, il a fait tomber ses clés. (?)
Il s'est fait quitter par sa meuf.

Pl 4 [petit rire et temps de latence] Lui il veut frapper quelqu'un et elle, elle le
retient et... ben c'est tout.

Pl 5 Moi je suis là et là c'est ma mère, elle vient dans ma chambre et dit : « À


CF-1 table ! On mange des coquillettes. », et moi je dis : « Attends, j'finis ma
partie ».

Pl 6BM En fait, ça c'est la mère de lui et le père de lui et le mec de elle, il est mort.

Pl 7BM C'est le père de lui. Le père dit : « Eh ! Tu pourras me ramener une baguette
CF-1 ce soir ? Parce que j'en ai pas pris » et il dit « ok ! ».

Pl 8BM Alors eux deux veulent couper lui parce qu'ils font du trafic d'organes. Lui
c'est le fils de lui. Il va prendre le fusil qui est là et il va tuer les deux. Son
père va quand-même mourir et c'est fini.

Pl 10 C'est juste deux gens et ils font un câlin.


CF-1
Pl 11 Un mec qui a des moutons. Il y a un éboulement, les moutons courent et ils
étaient deux en fait à la base [deux mecs], y en a un dessous les cailloux et le
mec qui pousse les moutons il marche et il s'en va.

Pl 12BG En fait c'était un moment, tellement il pleuvait, il y avait trop d'eau et le


bateau est poussé, et pfuit !, l'eau est descendue et le bateau s'est retrouvé
sous l'arbre.

Pl 13MF [temps de latence] C'est un mec qui se lève et va travailler, voilà (?) y a une
CF-1 meuf, elle dort.

Pl 13B C'est un mec assis il a pas de chaussures (?) C'est un clochard, c'est ça. (?) Y
CN-4, CL-2 a rien (?) C'est un mec assis, y a pas de porte. Y a un clou à gauche. [temps de
latence] Il est environ 14h et voilà.

Pl 19 C'est une maison dans les nuages.

10
Pl 16 C'est un bureau. Un mec assis sur une chaise avec son manteau parce qu'il a
CF-1, CL-2 froid. Il fait un test de TAT et… là, il est à la dernière planche et il doit
raconter une histoire. Et il raconte que c'est un mec assis sur une chaise qui
fait un test de TAT et… là, c'est la dernière planche et il doit raconter une
histoire et il raconte que… [il commente] C'est un truc qui finit jamais en fait.

11
ANNEXE III.2. Deux dessins d'Édouard

12
13
ANNEXE IV. 1. Protocole de TAT de Georges

Pl 1 L'enfant a eu un cadeau, un violon. C'est pas vraiment ce qu'il aurait attendu


CF-1, B1-3 je pense.

Pl 2 Une femme enceinte près d'un champ. Une femme avec des livres. Un
homme avec un cheval. Ils sont dans la campagne. J'saurais pas quoi dire
dessus. La femme enceinte regarde le ciel. (Y a t-il un lien entre ces
personnes?) Pas pour moi.

Pl 3 Une personne triste sur un banc

Pl 4 Un couple. L'homme veut partir, la femme le retient.


CF-1
Pl 5 Une vieille femme qui entre dans une pièce pour voir si tout va bien. (est-ce-
que tout va bien?) De son expression, je dirais que non.

Pl 6BM Une vielle femme et un homme au chevet d'une femme qui va mourir. Il tient
son chapeau à la main.

Pl 7BM Deux vieux hommes qui se parlent. Ils sont pensifs (à quoi pensent t-ils ?)
CL-2 Ils pensent quelque chose que je ne pourrai pas voir là dedans.

Pl 8BM Bizarre! Une femme qui dirige ces personnes là et cette personne ouvre le
ventre à cette personne. Ça on pourrait dire que c'est un fusil.

Pl 10 Une mère et son enfant. La mère fait un bisou sur le front du fils et… c'est
tout.

Pl 11 J'dirais que il y a eu une avalanche et sont en train de nettoyer l'avalanche.


C'est quoi ? (Certains y voient un dragon) Je pense que c'est lui qui a
déclenché l'avalanche.

Pl 12BG Une barque à côté d'un ruisseau au milieu d'une forêt.


CF-1
Pl 13MF C'est un homme et une femme. La femme est morte. J'dirais que l'homme l'a
tuée mais n'a pas fait exprès.

Pl 13B C'est un petit enfant qui est à sa porte. Une maison en bois ancien. C'est bien
CL-2, CN-4 fait parce que je vois une ombre et je ne sais pas c'est quoi. J'dirais qu'il est
B1-3 énervé.

Pl 19 [Il souffle] Une maison dans un endroit où il y a de la neige. Une tempête de


neige. Je dirais qu'il y a aussi une tempête de ciel. Je dirais que tout est
déformé, ça fait mieux comme ça. (?) Il y a une maison mais c'est déformé,
surtout le ciel.

Pl 16 C'est une toile de peinture et y a rien dessus, je sais pas quoi raconter (elle
CL-2 est où cette toile ?) Dans la neige.

14
ANNEXE IV.2. Deux dessins de Georges

15
16
ANNEXE V. 1. Protocole de TAT d'Hans

Pl 1 Un élève qui bouche ses oreilles, avec un violon devant lui. Peut-être pour
être dans le calme, essayer de comprendre des choses, essayer de penser à une
musique qu'il peut jouer. (L'élève est en classe?) Non

Pl 2 Une campagnarde avec des gens autour, peut-être en train de faire la guerre,
B1-3 j'sais pas. Elle est en train de regarder quelque chose. Elle pense. (et les autres
personnages?) On dirait que les autres l'ignorent. On dirait qu'elle est triste.

Pl 3 Ça me fait penser à une dame qui se cache parce qu'elle a peur ou elle est
B1-3 triste. Il y a personne autour.

Pl 4 Une dame et son mari. Je sais pas ce qu'ils font, à quoi ils pensent.

Pl 5 Une dame qui regarde dans son salon, dans sa cuisine, je sais pas. Peut-être
CF-1, B1-3 qu'elle a entendu du bruit ou elle a peur. Je sais pas.

Pl 6BM Là, j'sais pas.

Pl 6GF Une femme en train de disputer son mari, peut-être parce que il fume trop.
CF-1
Pl 7BM Deux hommes peut-être en train de parler, de penser, de réfléchir (?) peut-être
CF-1 qu'ils parlent de femmes.

Pl 8BM Deux hommes ou une dame en train de tuer quelqu'un. Opérer ou tuer, entre
les deux.

Pl 10 Deux adultes mari et femme, en train de faire des bisous et des câlins.

Pl 11 Là je vois un monstre, des hommes j'crois en train de se battre avec un animal


sur une montagne, avec une falaise et des cascades d'eau.

Pl 12BG Une barque en dessous d'un arbre (?) J'sais pas parce que elle est toute seule
B1-3 la barque, il y a personne.

Pl 13MF Il y a un homme qui est triste parce que sa femme est morte ou fatiguée ou
malade, du coup il est triste.

Pl 19 Une maison (?) Des nuages noir et gris et de la neige aussi par terre et sur le
toit.

Pl 13B Un petit garçon en train de penser dans une sorte de grange et il est pied nu.
CF-1

Pl 16 J'pense à rien.

17
ANNEXE VI. 1. Protocole de TAT d'Helder

Pl 1 Un garçon qui révise ses cours. Il apprend. On dirait qu'il en a marre. On


B1-3 dirait qu'il est obligé.

Pl 2 Une famille pauvre qui habite dans une ferme. La mère est enceinte . Le
père s'occupe d'un animal et la fille qui révise, ou elle part à l'école ou elle
revient de l'école... avec des bouquins à la main. Il y un champ et une ferme.

Pl 3 Je sais pas ce qu'elle fait, soit elle est en train de pleurer… j' crois qu'elle a
B1-3 pas eu une bonne note ou a redoublé et elle est triste.

Pl 4 C'est chelou ! Un garçon et une fille. Deux filles. Il y a une fille assise
derrière. On dirait que l'homme s'en va et la femme le tient et il y a une
femme en arrière-plan.je crois qu'elle est habillée mais, c'est pas sûre. Il y a
l'homme on dirait il s'en fout de la femme.

Pl 5 Ça je sais pas (soutien de notre part). On dirait qu'elle ouvre une chambre et
B1-3 elle regarde si sa fille révise ou pas. En fait ça parle que de révision !

Pl 6BM Une femme triste. Le monsieur est triste, on dirait que sa fille est morte.

Pl 7BM Lui c'est un professeur avec une cravate et lui c'est un élève. On dirait qu'il
lui donne des conseils. Il lui dit : « calme toi pour la prochaine fois, le
prochain cours »

Pl 8BM Ah! C'est plus des révisions! C'est un homme ou une femme? (m'interpelle).
C'est une personne. On dirait qu'elle est en train de faire un stage de
chirurgie et il y a deux hommes qui opèrent un patient de sexe masculin. Il y
a une fenêtre derrière. Il y a une lumière qui illumine les trois hommes (?)
Elle illumine tout le monde sauf le patient.

Pl 10 Un père qui félicite son enfant

Pl 11 Des hommes qui poussent un tronc d'arbre ou soit des aigles. Un pont avec
une rivière qui tombe.

Pl 12BG Un lac et un bateau dessus un tronc d'arbre (?) Un bateau échoué tout seul
sur le lac.

Pl 13MF Un homme qui vient de coucher avec une femme et vient de se réveiller le
B1-3 matin et il dit : « Oh ! putain qu'est ce que j'ai fait ! ». On dirait que soit il
est fatigué, soit il a honte. Peut-être c'est sa mère (dit-t-il à voix basse). Vous
ne l'écrivez pas ça! Il y a un bouquin juste à côté. Il y a un petit cadre à la
façon marseillaise (parle avec l'accent marseillais). Un mec qui travaille
trop. Il est en costard (?) Il a une cravate et les cheveux… et la femme, on
dirait c'est elle le mec. Elle est nue, elle a les seins à l'air. C'est pas bien ça !
(dit ça en souriant).

18
Pl 13B Un monsieur qui est petit. Un enfant, un petit enfant assis devant une porte
en bois, une cabane (?) On dirait qu'il est triste comme ça (il mime la posture
de l'enfant).

Pl 19 Une maison. Non on dirait une tarte. C'est une maison avec une cheminée.
On dirait qu'il y a beaucoup de fumée. On dirait qu'elle est sur la neige. Il y a
de la neige dessus et autour de la maison. On dirait qu'ils sont en Alaska.

Pl 16 Un petit moustique qui était le roi des moustiques parce que son père s'est
fait écraser par son ennemi juré Jean-Pierre. Et un jour, il est allé en Alaska
pour rencontrer le maître Piqûre et demande au maître des piqûres de lui
apprendre une technique pour transmettre une maladie qui tue en plus de 40
secondes. Technique qu'il veut tester sur Jean-Pierre. Un mois plus tard,
Philippe (le roi des moustiques) avait grossi. Deux mois plus tard Philippe
était gros. Un mois plus tard, il réfléchit : « pourquoi je suis venu ici ? »
Deux mois plus tard Philippe dit : « Ah ouais ! Je suis venu ici pour
apprendre la piqûre. ». Un mois après il va chez lui pour prendre à manger.
Quatre jours plus tard, il reviendra pour s'entraîner avec le maître des
piqûres. Philippe à la fin va se faire tuer (dit comme en aparté). Un mois
plus tard, il n'avait plus de nourriture et il s'est dit : « Ah! Merde! J'ai fait
que manger et maintenant il est temps de s'entraîner avec le maître des
piqûres ». Le maître des piqûres s'appelait Aziz Peter Pan. Et un mois plus
tard, il a appris la technique de la piqûre mortelle et quand il rentra chez lui,
sa femme avait couché avec Mamadou et ils ont fait 50 enfants. Philippe a
tué sa femme. Il décida d'aller chez Jean-Pierre et retrouva Jean-Pierre en
train de manger des merguez et là, il décida de se cacher et manger une
petite merguez. Jean-Pierre remarque Philippe et Philippe passe à l'attaque,
fonce tout droit vers Jean-Pierre (Helder fait un mouvement de haut en bas
avec le bras pour montrer la trajectoire de Philippe) et Philippe essaya de
l'affaiblir et Jean-Pierre a compris ce que voulait faire Philippe. Il met une
grosse claque à Philippe et il tombe par terre. Philippe allait mourir bientôt,
il perdait beaucoup de sang. Et là, il dit : « nique ta mère! ».

19
ANNEXE VI. 2. Deux dessins d'Helder

20
21
ANNEXE VII. 1. Protocole de TAT d'Idir

Pl 1 Un enfant qui lit quelque chose, il apprend, il se concentre. Ça se voit qu'il a


CF-1 du mal et c'est tout. (vous ne voyez pas un objet?) Un livre, une table ou
j'sais pas.

Pl 2 Au premier plan, une dame qui aime les livres parce qu'elle en a dans la
B1-3 main. Derrière elle, il y a un homme avec son cheval qui fait son champ. La
dame j'sais pas on dirait qu'elle regarde le ciel ou elle prie. (y a-t-il un lien
entre ces personnes ?) Soit ils habitent ensemble, soit ils sont de la même
famille. L'homme et la femme au deuxième plan c'est les parents de la fille
au premier plan.

Pl 3 Euh !… je pense que c'est un garçon, j'sais pas trop, qui est assis par terre
avachi sur le canapé ou le siège et il boude ou il dort.

Pl 4 C'est un couple et je sais pas, elle me dit rien cette image (?) J'sais pas ils
regardent quelque chose.

Pl 5 J'pense que c'est une femme, peut-être qu'elle a vu quelque chose, une
CF-1 lumière restée allumée (?) elle a dû entendre ou voir quelque chose ou elle
cherche quelqu'un.

Pl 6GF Le monsieur derrière, il demande quelque chose à la dame. La dame le


CF-1 regarde bizarrement et elle a un truc bizarre, quelque chose qui est tombé (?)
Sur sa poitrine, un bout de fromage sur sa poitrine. (que se passe-t-il?) Ils
discutent.

Pl 6BM Une vieille dame et un jeune homme. Le jeune homme a l'air assez triste, il
tient quelque chose, un chapeau. Une vieille dame regarde. (?) Je pense qu'il
serait en deuil ou a assisté à un enterrement.

Pl 7BM Un vieux monsieur et un jeune homme. Le jeune homme a l'air déprimé ou


B1-3 je sais pas et le vieux monsieur le regarde avec un sourire. (?) Le vieux
monsieur lui a fait une blague et le jeune homme ça ne lui a pas plu.

Pl 8BM On dirait qu'elle tient un couteau ou je sais pas. Il y a une femme au premier
plan, on dirait qu'elle tient une arme et il y a quelqu'un qui est sur une table
(?) Moi j'dirais qu'il a dû se faire couper le bras.

Pl 10 Deux personnes se font un câlin après je sais pas si… je pense c'est des
gens, ils se font un câlin (?) J'sais pas si c'est un homme et une femme ou si
c'est deux hommes.

Pl 11 [Long temps de latence] J'sais pas trop… on dirait, j'sais pas si c'est des
animaux ou des hommes qui chassent quelque chose. Ils sont sur un pont ou
un truc comme ça. J'sais pas y en a un qui est sur un pont et il y a un groupe
qui chasse et qui n'a pas encore traversé.

22
Pl 12BG Là il y a un arbre à côté d'un fleuve. Il y a une barque. J'pense que c'est dans
CF-1 une forêt. (?) Quelqu'un a posé sa barque et est parti.

Pl 13MF Déjà il y a un homme et une femme, j'dirais qu'ils sont chez eux [long temps
de latence] ça me dit rien.

Pl 13B Un petit garçon qui est devant une cabane, j'pense. On dirait qu'il a froid (?)
CF-1 Il attend (?) Ses parents, des amis ou sinon rien d'autre.

Pl 19 [Grand temps de latence] C'est un sous-marin et il est sur l'eau en fait


comment dire… sur l'eau. Derrière on dirait qu'il y a un fantôme et sinon…
un oiseau en fond, enfin non c'est pas trop un oiseau mais c'est un pingouin,
il est allongé [me montre].

Pl 16 Je sais pas.

23
ANNEXE VII. 2. Protocole de Rorschach d'Idir.

I
1 [long temps de latence] Un G F- A
animal marin que j'ai déjà vu
qui est tout plat. J'ai oublié son
nom mais je dirais que ça
ressemble à ça.
2 Au milieu c'est genre Gz K H,(H) barrière
quelqu'un, une danseuse dans
une robe et il y a des fées qui
la portent.
II
3 ˂˅˄˃ [long temps de latence] D F+ A2
Peut-être deux gros lapins aux
oreilles très courtes.

III
4 Le cou d'une personne avec un G F- Hd, obj
nœud papillon ici.

5 ˅ Une grenouille. Gbl F- A

6 ˅ Ou un animal à cornes. Gbl F- A

IV
7 ˅ [long temps de latence]˄ Refus
Je sais pas du tout.
V
8 Une chauve-souris. G F+ A

VI
9 La forme allongée en haut de G F+ Obj, Symb
l'image me fait penser à une
sorte de totem que j'ai vue
dans un musée.

10 Et la partie du bas, la carte Une partie d'un pays D F+/- Géo Barrière
d'un pays. (quel pays?) Le canada
VII
11 ˅˄ J'dirais un gros collier. G F+ Obj Barrière

12 Une grenouille, c'est tout. Gbl F- A

VIII
13 Deux animaux, je dirais un D F+ A amputé (sans
lion par exemple, sans crinière crinière)

14 Au centre, deux drapeaux, D F+ Obj 2, Symb

24
15 ˅ avec un papillon, D F+ A

16 ˄ une sorte d'aigle D F+ A

IX
17 ˅ L'image me fait penser à une G F- H Barrière
fille. En haut de l'image il y a
sa tête et ses cheveux et en bas
ce serait ses gros habits.
X
18 En rose je dirais c'est, Gz ka Géo 2, A
comment dire … deux pays
rattachés par des animaux qui
se tiennent la main.
19 Et après je dirais qu'il y a des Dd ka A
animaux qui sautent un peu
partout.
20 Il y a un oiseau en orange. [il rajoute à l'enquête:] D F+ A
21 ˃˅ Un visage un peu bizarre, un hippocampe D F- Hd
mais c'est un visage.

Score Barrière/ Pénétration : 4/0

25
ANNEXE VII. 3. Deux dessins d'Idir.

26
27
ANNEXE VIII. 1. Protocole de TAT d'Imen

Pl 1 Il s'ennuie. (À quoi pense-t-il ?) Il voudrait jouer de la guitare.


B1-3
Pl 2 Au premier plan, on dirait qu'elle regarde quelque chose. Il y a une dame
CF-1 enceinte et un monsieur qui tient un cheval. (Ils se connaissent?) Le monsieur
et la dame, pas les trois. (Et la fille au premier plan?) Elle est en train de
regarder quelque chose.

Pl 3 On dirait une personne triste (?) Peut-être qu'on l'a frappée. [Elle reste à fixer
l'image et nous intervenons pour proposer de passer à l'image suivante.]

Pl 4 Un couple, le monsieur est énervé et la dame le retient. (Énervé ?) Contre une


B1-3 personne.

Pl 5 On dirait une dame qui cherche quelqu'un. (Qui ?) Son enfant.

Pl 6GF Une dame surprise, choquée (?) c'est tout [long temps de latence avant de
B1-3 retourner l'image.]

Pl 7GF La mère parle à sa fille et la fille écoute pas. Elle est concentrée sur quelque
chose d'autre. (Sur quoi?) Dehors.

Pl 8BM Un monsieur en train d'ouvrir le corps d'un autre. On dirait, il fait ça derrière
le dos de lui. (Lui ?) On dirait il est contre ce que les autres font.

Pl 9GF On dirait que la dame derrière l'arbre surveille l'autre (?) la soupçonne de
B1-3 quelque chose, c'est tout.

Pl 10 On dirait que le monsieur chuchote à l'oreille de la dame.

Pl 11 Un monstre qui course des personnes.

Pl 12BG Un bateau s'est échoué quelque part. (Est-ce-qu'il y avait des personnes
dedans ?) Peut-être qu'il y avait des personnes et elles ont eu quelque chose.

Pl 13MF Un monsieur qui vient de se lever et une dame allongée qui dort. On dirait un
peu qu'elle est morte (?) peut-être qu'il l'a violée ou tuée.

Pl 13B Un petit garçon assis devant sa maison qui regarde quelque chose ou pense.
CF-1 (Comment se sent t-il ?) On dirait qu'il est un peu énervé et triste en même
temps.

Pl 19 On dirait une maison et qu'il y a de la neige et c'est tout.

Pl 16 De la tristesse, de la colère. (Une personne qui serait en colère, triste.


Pourquoi ?) Je sais pas.
[Juste après la passation, nous lui demandons si elle est triste de quitter la
classe relais, elle répond « un peu » en baissant la tête.]

28
ANNEXE VIII. 2. Deux dessins d'Imen

29
30
ANNEXE IX.1. Protocole de TAT de Naïma

Pl 1 C'est un élève, je sais pas ce qu'il a dans la main. J'sais pas on dirait le
CF-1 téléphone. Il est en train de réviser et c'est tout. (Comment il se sent?) On dirait
il est pas souriant.

Pl 2 Ça me fait penser à avant [c'est à dire un époque ancienne]. Une dame avec des
livres. Une femme enceinte. On dirait des paysans. On dirait elle sort de
l'école. On dirait ils attendent quelque chose ou ils voient quelque chose
arriver. (Tous?) Non enfin si mais ils ne voient pas la même chose. (Y a-t-il un
lien entre eux?) Elle c'est la mère de elle [la fille au premier plan] et lui c'est le
mari de la maman.

Pl 3 Quelqu'un de triste qui euh... a perdu quelque chose, qui n'a plus envie de rien
B1-3 faire.

Pl 4 Une dame qui voit un homme mais l'homme on dirait qu'il ne la voit pas.

Pl 5 Ben une dame qui voit quelque chose mais a peur ou n'a pas envie d'y aller.
B1-3, CL-2 Derrière elle c'est sombre.

Pl 6GF On dirait que c'est un homme qui a dit à la femme quelque chose de choquant
et la femme comprend pas, et l'homme ça a l'air de lui faire plaisir, ce qu'il a
dit à la femme.

Pl 7GF Une fille triste. Sa mère essaye de comprendre qu'est-ce-qu'il y a mais la petite
B1-3 fille ne veut pas parler avec sa mère.

Pl 9GF Elles voient quelque chose. On dirait, elles sont dans une rivière (?) Il y a un
truc qui est arrivé à elle [femme au second plan], Elle lui dit mais elle [femme
au premier plan] elle ne voit pas.

Pl 8BM Quelqu'un en train de se faire tuer. Cette dame là, elle sait mais c'est elle qui a
B1-3 eu l'idée, du coup, elle est contente. Et après les deux autres hommes sont en
train de tuer un autre homme. (?) Je pense qu'ils ont été payé pour faire ça.

Pl 10 Deux personnes, mais je n'arrive pas à voir si c'est une femme ou un homme
CL-2, CF-1 mais on dirait deux hommes. Ils se font un câlin.

Pl 11 On dirait qu'il y a des pierres en train de se détruire. On dirait qu'il y a des gens
en train de tomber. C'est tout.

Pl 12BG Un bateau abandonné, des arbres, il faisait beau. On dirait il y a de l'eau. Il y a


le reflet d'un arbre sur l'eau. Il y a de l'herbe. On dirait c'est le printemps.

Pl 13B Un petit qui ne vit pas dans de très bonnes conditions, il a l'air de penser (?) À
qu'est-ce-qu'il va faire. Qu'est-ce-qu'il peut faire. On dirait, il s'en sort comme
il peut.

31
Pl 13MF Un monsieur qui vient de tuer quelqu'un, mais il est en train de penser aux
CL-2 conséquences, euh… l'image derrière est sombre alors que devant ce n'est pas
sombre. [Elle reste fixée sur l'image, et au bout d'un petit moment nous
proposons de passer à la planche suivante]

Pl 19 Ça me fait penser à une maison. Il y a des formes sombres… claires. On ne


dirait pas qu'elle est habitée la maison. Les formes du dessin ça me fait penser
à des monstres, des trucs comme ça. [elle nous montre les formes au dessus de
la maison]

Pl 16 Une petite fille qui rentre chez elle, elle sort de l'école et en rentrant chez elle,
sa mère est pas contente, du coup, la petite fille ressort et décide de sortir avec
ses amis et voilà. (Pourquoi la mère n'est pas contente?) Parce que l'école de la
petite fille a appelé.

32
ANNEXE IX.2 : Protocole de Rorschach de Naïma

Comportement : Elle ne touche pas les planches.

I
1 Une chauve-souris G F+ A

2 ou un papillon G F+ A

II
3 Deux ours qui se tirent enfin G ka A2
qui se battent

III
4 Deux personnes qui portent D K H2
quelque chose

IV
5 Un monstre Il a l'air méchant et il est G F+ (H)
grand. Il a trois jambes et
deux mains
V
6 Un papillon G F+ A

VI
7 En haut ça me fait penser à un D F+ A
insecte.

8 En bas ça me fait penser à un D F+/- (A)


monstre avec deux bras, deux
têtes et deux pieds.
VII
9 Trois pierres collées et au Gz F +/- H
milieu il y a quelqu'un
VIII
10 Deux animaux, là en rose, qui Dd ka A2
essayent de monter quelque
chose

IX
11 Un insecte et au milieu on Dd ka A
dirait quelque chose que les
insectes veulent attraper.
X
12 Un papillon mais pas toute la D F+ A
tache. En fait ça forme un
13 papillon les taches mais on D F+ A
dirait il y a plusieurs papillons.
Planche préférée : la planche X par ce qu'il y a « beaucoup de couleurs »
Score barrière/ pénétration : 0/0

33
ANNEXE IX.3. Dessin de Naïma

34
ANNEXE X. 1. Protocole de TAT (interrompu) d'Ophélia

Comportement : Ophélia se tient assez voûté et semble éviter notre regard.

Pl 1 C'est un étudiant violoniste qui a l'air, j'sais pas, déçu, pas content (?) peut-
être parce qu'il ne sait pas jouer du violon.

Pl 2 Ça fait penser à euh... à l'époque dans la campagne avec des femmes qui
font tout le ménage et tout ça. Comme des esclaves. (Et l'homme?) J'saurais
pas dire.

Pl 3 Une femme triste, j'sais pas, qui a été battue, frappée et c'est tout ce que
j'pourrais dire

Pl 4 J'sais pas une femme accrochée à son homme qui a l'air pressée de partir.
C'est tout.

Pl 5 Une vieille femme qui a l'air fâchée, contrariée (?) Elle regarde dans la
pièce après je sais pas.

[Ophélia, manifestement mal à l'aise, dit ne pas souhaiter continuer, sans


justifier son choix d'arrêter. Nous la remercions pour sa participation.]

35
ANNEXE X. 2. Deux Dessins d'Ophélia

36
37
ANNEXE XI.1. Protocole de TAT d'Oscar.

Pl 1 C'est un petit qui aime le son du violon. On dirait qu'il essaye de se connecter
B1-3 avec le violon (?) faire qu'un avec le violon.

Pl 2 Iil saisit la planche] C'est une dame dans le désert (elle n'est pas toute seule)
B1-3 Elle est avec un homme avec un cheval et une dame enceinte. On dirait c'est
triste. On dirait qu'elle quitte son village, qu'elle va partir.

Pl 3 Je pense que la dame est en train de pleurer. Elle se suicide mais arrête au
dernier moment et s'est mise à pleurer.

Pl 4 C'est un couple, la femme demande l'attention de … en fait le monsieur il


B1-3 regarde quelque part d'autre, il s'intéresse pas à sa femme et sa femme elle le
regarde avec un regard qui aimerait que son mari il s'intéresse à elle, qu'il la
regarde et lui il est préoccupé par quelque chose d'autre.

Pl 5 C'est une dame elle fait assez énervée, comme si elle avait vu un étranger
B3-1 dans sa maison.
B1-3
Pl 6GF C'est une dame qui est assise et derrière elle, y a un monsieur. Et la dame elle
a l'air d'être choquée de voir le monsieur en fait. Elle est choquée de voir le
monsieur.

C'est toutes les feuilles là ! [il désigne la pile des planches du TAT posée sur
le bureau] (non, non, c'est pas toutes les feuilles.) [nous lui désignons les
planches restantes pour la passation] Toutes celles-là ! là ! Pff. (bon, là il n'y
en a pas beaucoup.) J'dois toutes les faire ? (euh... on peut en enlever
quelques-unes) Je suis fatigué. [finalement nous avons enlevé seulement la
planche 19].

Pl 6BM [long temps de latence] Y a pas grand chose à expliquer. [long temps de
B1-3 latence] (Qu'est ce qui pourrait se passer?) On dirait que c'est sa mère et ils
sont tristes, déçus, je ne sais pas pourquoi.

Pl 7BM C'est deux monsieurs. Il y a celui du bas on dirait qu'il est un peu blasé,
B1-3 comme si lui [personnage de gauche] il lui demandait de faire un choix. Euh
… un choix... (?) Un choix décisif dans sa vie.

Pl 8BM Je pense que c'est des méchants. Ils veulent prendre quelque chose dans le
corps du monsieur. Peut-être un rein ou un truc comme ça et ça c'est la dame
de la police… et elle va essayer de les empêcher.

Pl 10 J'sais pas.[il lève la tête, nous regarde et nous avons le sentiment qu'il attend
une aide de notre part] (Je ne peux pas vous aider … enfin, si un petit peu
mais …) Je vois rien là ! (Ben vous voyez déjà …). Un monsieur et je pense
une dame. (Oui, alors, quelle serait l'histoire?) En fait on dirait qu'ils sont en
train de se décomposer (carrément!) Ils disparaissent comme ça. [il désigne
des parties sombres de la planche] Il y a des bouts de leurs corps qui

38
disparaissent.

Pl 11 C'est une falaise, c'est une route dans les … Ah ! Mais c'est un dragon ça ?!
[semble attendre une approbation de notre part] (On pourrait imaginer que
s'en est un) C'est une montagne. On peut voir qu'il y a une route, qu'il y a un
trou où il y a un dragon qui s'infiltre et on peut voir que là, y a un monsieur
qui se bat avec des taureaux. (Est-ce-qu'il y a un lien entre toutes ces choses?)
non

Pl 12BG C'est un arbre au bord de la mer et à côté de l'arbre, il y a un petit bateau qui,
je pense, est sorti de l'eau et qui est … avec la marée [il fait un mouvement de
poussée avec bras et mains pour désigner la marée qui pousse le bateau sur la
rive. Il fait ceci en nous regardant comme s'il attendait que nous traduisions
ses gestes en mots] (D'accord, avec la marée il est allé s'échouer sur la rive.)
Voilà.

Pl 13 MF Un monsieur et une dame, euh !... C'est comme dans les films ! [il dit cela
avec le sourire et nous avons l'impression qu'il est particulièrement
enthousiasmé par l'idée de scénario qui vient de naître] Je pense qu'ils se sont
rencontrés en boîte, ils étaient bourrés, après ils sont allés chez le monsieur et
quand il s'est réveillé, il avait mal à la tête et il savait pas c'était qui la dame.

Pl 13B C'est une grotte ? (Ça pourrait) Je sais pas (L'important c'est ce que vous vous
pensez et …) C'est un enfant. Moi je pense que c'est un enfant à l'entrée d'une
mine et il ne veut plus travailler.

Pl 16 (Alors ça c'est une planche spéciale, c'est vous qui racontez ce que vous
voulez.) Pas d'image, pas d'histoire monsieur. (Ben si justement, c'est fait
exprès. C'est comme si bon, vous aviez un stylo et que vous deviez écrire une
histoire. Donc là vous n'avez pas de stylo, donc c'est avec votre parole, vos
mots que j'attends que vous racontiez une histoire) J'invente une histoire
comme ça ! (Oui, comme ça. Comme ça vous vient). Euh !... C'est l'histoire
d'un jeune, il aimait pas l'école mais il aimait vraiment le foot et il voulait en
faire son métier. Du coup, il joue au foot, il va dans les centres de formation
et pour être footballeur il faut avoir des bonnes notes. Du coup, il a été obligé
de travailler à l'école, il a tout fait pour réussir et finalement il a réussi. Il a eu
de bonnes notes et après il a intégré le centre de formation et voilà. (C'est une
belle histoire et qui se finit bien en plus.)

39
ANNEXE XI.2. Protocole de Rorschach d'Oscar

Comportement : Il manipule beaucoup les planches et se saisit de chacune sauf de la planche


IX qu'il touche du bout des doigts, comme s'il appréhendait quelque chose et qu'il avait
besoin de mettre de la distance. Il parle parfois fort, augmentant soudainement le son de sa
voix, ce qui provoque chez nous un effet de surprise et d'effraction, assez désagréable. Nous
sentons chez lui une excitation qui se traduit dans ces oscillations de voix soudaines.
Juste à la fin de la passation, le portable de l'éducatrice de classe relais sonne dans le bureau
où nous conduisons l'entretien et Oscar se saisit de l'occasion, du moins c'est notre
impression, pour s'éclipser. En effet, il prend le portable de l'éducatrice, ouvre la porte et
l'appelle. Puis, positionné entre le bureau et le couloir, il nous demande si notre entrevue est
terminée et s'il peut partir pour lui amener son portable. Nous l'autorisons à partir. Cette sortie
fait, selon nous, directement écho à la dernière réponse de la planche X du Rorschach.
Après la passation du Rorschach et une fois sorti de la salle d'entretien, Oscar semble
particulièrement agité comme s'il avait de l'excitation à décharger. Il fait des petits
mouvements du corps que nous pouvons assimiler à de la danse et à des impulsions
gestuelles, et, soudainement, sans crier gare, il agresse physiquement un camarade en lui
donnant une série de coups de poings dans l'épaule et un coup de pied. Cette agression est
extrêmement brève et le camarade attaqué semble plus surpris qu'énervé. L'éducatrice qui a
assisté à la scène est également surprise. Cette agression nous donne l'impression d'une
décharge aveugle momentanée qui n'a pas vraiment valeur d'agression mais qui est plus un
jeu violent avec l'autre. Cette brève agression se passe dans un espace donnant sur les
toilettes, quelques minutes avant que les élèves n'aillent à la cantine.

I
1 Ça veut rien dire ! Un monstre La tête du monstre, là les G F+/- (Hd)
yeux, il a quatre yeux (det
blancs). Le nez, la
bouche, les cornes et les
joues.
2 une chauve-souris Elle a quatre yeux elle G F- A
aussi
3 une citrouille [parle fort en disant cela] G F+ Obj

II
4 ˅ ˃ ˄ C'est dans quel sens ? D F+ A2, Symétrie,
C'est n'importe quoi ça ! Ah oui ! C'est que la partie noire. choc
[fort volume sonore de la voix] Moi je pense que c'est un
C'est deux ours comme ça .[il ours mais vu que c'est
mime] C'est tout. C'est symétrique, ça fait deux
symétrique ? (Oui) ours.

III
5 [rires] ˅ Qu'est ce que c'est que D F- Hd2
ça ?
On dirait des gens. Les têtes de deux enfants
On dirait un petit enfant mais c'est ( det inf centraux)
que là. On dirait deux petits
enfants et

40
6 là en haut c'est deux canards. [il montre la moitié D F+/- A2
[rires] inférieure de la planche]
Ça je sais pas ce que
c'est.

IV
7 ˅˄˅ Un aigle [Il mime la posture de G F+ A
l'aigle]

V
8 Un papillon Les papillons ont des G F+ A
antennes toujours comme
ça.

VI
9 Un dragon ? Je sais pas un dragon. La tête et y a ses ailes au G F+ (Ad), choc
Il est dur ! dessus de ses pattes.
J'pense que la tache elle
continue [c'est à dire qu'il
pense qu'on ne voit
qu'une partie du corps du
dragon. Le reste du corps
n'étant pas figuré sur la
planche]

VII
10 ˅ C'est quoi déjà les … J'crois c'est Un hippocampe avec de G F- A, fumée
des hippocampes avec de la fumée la fumée, c'est tout. pénétration
qui sort de leurs têtes.

VIII
11 Eux je les ai vu les deux là mais D F+ A, Ban
j'ai oublié comment ça s'appelle.
peut-être une panthère.

12 Ah ! Il y a des lions D F- A

13 [il tourne plusieurs fois la planche] Mis tout rassemblé, ça G F+ Obj


Ça me fait penser à un bateau me fait penser à un
bateau.
IX
14 [Il touche la planche du bout des Le truc orange ça me fait Refus
doigts alors qu'il n'hésitait pas à se penser à la forme de la
saisir de toutes les planches Guadeloupe.
précédentes. Il la fait tourner, en la
faisant glisser sur le bureau du bout
des doigts. Après un long temps de
latence, il dit] Je sais pas.

41
15 Ça je sais, c'est plein d'animaux qui La sortie est ici Gz ka (A)
essayent de prendre la fuite. Ils pénétration (fuite par
courent, ils courent, ils courent. la porte de sortie)
Quand je dis des animaux, c'est
peut-être des extraterrestres. Ça
ressemble pas à des animaux.

La planche préférée : la planche I « parce que ça ressemble à une citrouille et à un dragon »


score barrière/pénétration :0/2

42
ANNEXE XII.1. Protocole de TAT de Selma

Pl 1 Un enfant, on dirait qu'il en a marre, il est plus fatigué qu'il en a marre. C'est
B1-3 un instrument, il ne veut pas jouer du violon ou il est fatigué d'en jouer.

Pl 2 Une fille, elle n'a pas l'air âgée. Elle a l'air inquiète. Après elle, elle est
B3-1 enceinte mais je sais pas ce qu'elle fait, elle se repose, elle a les yeux fermés.
On dirait qu'ils travaillent tous sauf elle [fille au premier plan]. Elle [la fille au
premier plan] a l'air plus soignée que elle. Il y a un homme torse nu avec son
cheval. Ils ont des chevaux. Je sais pas. (Est-ce-qu'il y a un lien entre les
personnages?) La fille au premier plan n'a pas de lien avec les autres. Elle
surveille quelque chose.

Pl 3 Une dame triste qui pleure, on ne la voit pas.


CF-1, CL-2
B1-3

Pl 4 Un couple, la dame essayerait de l'empêcher de partir je pense, ou à faire


quelque chose et on dirait que lui dit non.

Pl 5 Une vieille. On dirait qu'elle surveille quelque chose ou quelqu-un. Elle a l'air
B1-3 inquiète. Elle surveille quelqu'un ou a peur que quelqu'un rentre chez elle.

Pl 6GF Un monsieur et une dame qui se parlent. Ça se voit que c'est des riches, après
CF-1 rien de spécial.

Pl 7GF Une enfant avec sa mère. On dirait qu'elle lui lit une histoire et on dirait que
sa fille s'en fiche.

Pl 8BM Un enfant, on dirait qu'il a une arme à la main, mais derrière il y a des gens
CL-2 qui font quelque chose à une dame. On dirait que… je sais pas si il va la tuer
(?) on dirait qu'il est plus en train de la libérer en fait. J'sais pas en fait, j'arrive
pas à voir.

Pl 9GF Deux filles, belles, en robe de soirée, elles sont pressées je dirais …
(Pressées?) D'aller en soirée. Mais on dirait que elle, à l'arrière plan, se méfie
de quelque chose. Elle, elle voit pas, elle. (?) Elle a des habits dans la main.
Elle est déjà coiffée mais pas habillée. Peut-être qu'elle n'a pas le droit d'y
aller.

Pl 10 Un homme et je sais pas si c'est un homme ou une femme. À droite ça doit


CL-2, B1-3 être sa femme. Donc soit il la rassure soit … ça se voit qu'il la rassure, en plus
ils ferment les yeux.

Pl 11 Un gros cailloux. On dirait un euh... on dirait une cascade, c'est bizarre parce
que il y a de l'eau, là il y a des cailloux et là il y a quelque chose. La guerre.
C'est quoi ça ? On dirait un animal.

Pl 12BG Une forêt, un arbre, une barque.

43
Pl 13MF Une dame, un monsieur. La meuf, soit elle dort … il cache sa tête... soit il est
fatigué, il vient de se réveiller avec la dame soit … (?) C'est bizarre parce que
il n'y a qu'une place dans le lit de la dame, donc il n'a pas dormi avec elle (?)
soit il a vu quelque chose qu'il ne voulait pas voir.

Pl 19 On dirait un sous-marin. Là c'est l'eau. En haut c'est des vagues. À moins qu'il
soit déjà sous l'eau.

Pl 16 Je me vois aux Seychelles avec des esclaves à mes pieds, en train de me faire
bronzer (?) C'est tout.

44
ANNEXE XII.2. Protocole de Rorschach de Selma

I
1 Une tête d'un animal, le renard Gbl F+ Ad

II
2 Un cœur. C'est le même cœur qui est On dirait qu'il (le DD FC- Anat,
là mais séparé. (c'est un ou deux cœur) revient là mais Symétrie pénétration
cœurs ?) Un cœur. séparément. (première
version du cœur unifié
= det rouge inférieur ;
deuxième version du
cœur divisé = les deux
det rouges supérieurs)

III
3 C'est bizarre. Une personne, en fait là, On dirait pas un être DD F- (H), Bot, Choc
mais on dirait [elle rapproche son humain. C'est le haut
visage de la planche comme pour d'une personne
mieux voir] que là c'est une branche. (moitié supérieure
noire), mais là c'est
une branche (moitié
inférieure)
IV
4 Je vois pas. Une tempête, non ? Impression de Dd E Frag,
profondeur (axe pénétration
central)
V
5 On dirait des pinces de euh.. un truc GCont F- (A),
qui si il pince on peut mourir ...un agression
scorpion. Et on dirait la forme d'un
papillon. Là c'est la tête. Un papillon
qui peut nous tuer.
VI
6 Elle ressemble un peu à l'autre (Pl IV), (axe central sans les D F- frag, pénétration
on dirait une tempête au centre. extrémités supérieure
et inférieure de la
tache).
C'est une tempête plus
calme (que la tempête
de la Pl IV). (?) C'est
la forme.
VII
7 [Elle se saisit de la planche, alors Cette tache elle est D ka A, choc
qu'elle ne l'avait pas fait avec les bizarre. Elle veut rien
autres. Elle la tourne dans différents dire ! Je comprend
sens] C'est bizarre. Ça me fait penser à rien de ça !
rien en fait.
La pose d'un chien (?) Quand il se

45
lève comme ça [elle mime la posture
du chien]
8 et une tête Une tête d'enfant mais D F+ Hd
à l'envers (c'est à dire
tournée vers l'arrière
par rapport au buste)

VIII
9 C'est beau ça ! (?) C'est pas sombre, D F+ A, choc
c'est bien fait.
Un animal, un puma

IX
10 [Se saisit de la planche] du feu tout en D C Élément,
haut pénétration

X
11 une fleur D FC+ Bot
12 des feuilles D FC+ Bot

Score Barrière/Pénétration : 0/4

46
ANNEXE XII.3. Deux dessins de Selma

47
48
ANNEXE XIII.1. Protocole de TAT de Sinan

Pl 1 Un élève en train de réfléchir. Il ne comprend pas les exercices et il essaye de


comprendre.

Pl 2 Des élèves qui ont la chance d'aller à l'école et d'autres en train de travailler.
CF-1 Je suis pas sûr. (Y a-t-il un lien entre les personnages ?) Peut-être c'est leur
parents. Les parents sont au travail et la fille va à l'école.

Pl 3 Elle est fatiguée (?) Elle a trop travaillé.


CF-1
Pl 4 Ça j'sais pas. (?) L'homme est énervé et la femme retient l'homme pour que
ça n'aille pas trop loin. (Y a-t-il un lien entre eux?) Peut-être qu'ils sont
mariés.

Pl 5 Peut-être qu'elle est en train de vérifier (?) qu'il n'y a personne dans la salle.
CF-1
Pl 6BM Un monsieur en train de parler à son patron. (son patron !?) J'sais pas si c'est
CF-1 une dame ou un monsieur. Ou c'est sa mère peut-être (qu'est-ce-qu'ils se
disent?) J'sais pas je pense qu'elle lui fait la morale.

Pl 7BM Là je sais pas. Peut-être qu'ils sont en train de parler d'une histoire, d'une
affaire. (?) Ils ont eu un vol et ils font un plan pour essayer d'arrêter la
personne.

Pl 6GF Un homme qui parle à une femme. Ben j'sais pas, il est tombé amoureux
d'elle et il lui parle pour euh... j'sais pas

Pl 8BM Deux personnes en train de planter l'autre personne. (?) Après j'sais pas, elle
guette [la personne au premier plan].

Pl 10 Deux personnes en train de se parler ou qui dorment ensemble vu qu'il fait


CF-1 noir et qu'elles ont les yeux fermés.

Pl 11 Ça se passe dans les montagnes, je vois que ça.

Pl 12BG Une image de la nature. Un bateau, c'est tout. (?) Peut-être qu'ils l'ont
abandonné. C'est cassé ici donc … [il pointe du doigt la barque]

Pl 13 MF Un homme qui se réveille pour aller au travail. Je vois que ça.


CF-1
Pl 19 Un animal est sur le toit d'une maison après je sais pas.

Pl 13B Un petit garçon qui attend quelqu'un. (Il attend?) Dehors.


CF-1
Pl 16 Une personne qui avait besoin d'argent et volait des choses et les revendait
pour se faire de l'argent. Des voitures, des objets de valeur, colliers, bracelets,
des arrachés de téléphones, des trucs comme ça. (Et à la fin?) À la fin, il a
fait son argent et il a arrêté.

49
ANNEXE XIII.2. Protocole de Rorschach de Sinan

I
1 Un loup Une tête de loup. G F+ Ad

II
2 ˅ Un animal qui saigne Gbl F- A, sang

III
3 Des personnes qui sont en DKH
train de tenir quelque chose.

IV
4 Un arbre après rien. G F+ Bot

V
5 Un animal qui vole, une G ka A
chauve souris.
VI
6 La peau d'un animal étalée sur G F+ Ad, Ban
le sol.
VII
7 Une écharpe. C'est la forme. G F+ Obj, Barrière

VIII
8 Des animaux en train de On dirait un lion et G ka A, Bot
monter sur un arbre, un truc l'arbre il faut
comme ça. l'imaginer.
IX
9 ˅ Une plante. D FC – Bot

X
Plusieurs animaux de plusieurs
races.
10 Des serpents D F+ A

11 des chiens, D F+ A
12 des crabes, D F+ A
13 on dirait des loups. D F+ A

Planche préférée : planche X « parce qu'il y a plusieurs animaux et c'est une planche où on
comprend, enfin on comprend un peu. »

score barrière/ pénétration : 1/0

50
ANNEXE XIII.3. Dessin de Sinan

51
ANNEXE XIV Dessin d'Ibrahim

52
ANNEXE XV Dessin de Yassine

53
54
ANNEXE XIV
Entretien avec Madame B

Nous n'avons pas allumé le dictaphone dès le début de l'entretien avec Madame B.
5
Nous commençons par lui demander ce qu'elle observe sur le plan du comportement. Elle nous dit
que, lors de l'entretien d'accueil des élèves en classe relais et durant la première semaine de la
session, les adolescents généralement se montrent sages « tout va bien ». Elle dit qu'il y a « une
petite période de tranquillité » et la deuxième semaine ils font « une démonstration de ce qu'ils
savent faire ». Elle désigne ainsi un ''savoir faire'' qui relève plutôt d'un comportement perturbateur 10
en classe.
Nous commençons la retranscription de l'entretien à ce stade.

Madame B : Je pense que l'enseignant conserve quelque soit la personne l'image de mauvaise objet.
De celui ou celle qui l'a conspué, qui l'a rabaissé et qui ne lui fait pas confiance. C'est vrai que pour 15
eux l'enseignant c'est celui qui note. Or moi je ne note pas et je leur demande énormément de
s'auto-évaluer, mais avec des grilles de suivi, et ça c'est très très difficile pour eux et du coup...
Difficile de voir que euh!.. l'expression « ouais, ouais! je sais. mais non mais ça je le sais » n'est
pas suivi d'une réussite ensuite au moment de la restitution. Et en fait, euh … c'est difficile je
pense, pour ces adolescents, et d'être en réussite et d'être en difficulté, parce que, quand ils sont en 20
réussite ça leur prouve qu' ils peuvent effectivement mettre en place des compétences pour
progresser, et du coup ça va leur demander des efforts, donc il va falloir qu'ils s'y mettent, parce
qu'on en a des preuves et sur des choses simples... Par exemple, moi je leur demande chaque jour
de choisir leur devoir pour le lendemain, sachant que ce ne sont que des devoirs de restitutions et ce
que je leur demande c'est de préparer en classe le document qu'ils vont avoir dans la poche pour le 25
sortir dans le bus et l'apprendre par cœur. Ça ne doit être dans la consigne que du par cœur. Or table
d'addition et de multiplication ça oblige à synthétiser quelque chose.
Alors, c'est quoi des devoirs de restitution ?
C'est j'apprends, je mémorise et le lendemain je restitue. J'écris ce que j'ai appris par cœur. Mais,
euh !… tout ça, en fait, ça les implique, parce que c'est eux qui choisissent; et quand ils disent 30
« ben je sais pas » euh … « ben vous avez corrigé ». « Combien de réponses correctes étaient
attendues ? » « combien vous en avez faites ? » « ah ben je sais pas ». « Sur quoi vous avez
travaillé ». « Ah ben c'était comme ça dans ma tête ». « Non vous savez la consigne, c'est je
prépare un document ». et, tout ça, ça les renvoie à leur responsabilité d'élève en fait, parce que
c'est pas difficile. Ça peut être cinq mots, mais il faut que ce soit cinq définitions. 35
D'accord
Donc euh... ils sont... ça les met devant ce qu'ils ne font pas, et ça c'est un peu compliqué. Après,
quand on montre comment on peut avancer... à plusieurs reprise j'ai eu des élèves, des élèves
différents qui ont dit « oh mais c'est la première fois que j'retiens un truc depuis 4 ans ! » ou « ah
mais j'suis capable de m'en souvenir », alors, points de suspension, et qui, du coup, le lendemain 40
lâchent l'affaire parce que la réussite c'est pas dans leur cabas quoi.
D'accord !
Je pense qu'ils ont une idée d’inaccessibilité de la réussite. C'est pas clair ?
Si! euh … après avoir verbalisé l'idée qu'ils pourraient réussir
Voilà, après avoir constaté eux-même qu'ils avaient réussi, en fait ils lâchent prise dès le lendemain. 45
C'est extrêmement compliqué j'ai l'impression la relation à …
La réussite
À la réussite et à …
Oui ?
À croire à un avenir modifiable. Parce qu'en fait, ça a un rapport avec le ressenti du prof euh... ce 50
sont des élèves qui sont à un moment donné définis comme des mauvais élèves, soit dans leur
acquisition des savoirs, soit dans leur comportement. En fait, si ils sont mauvais au niveau des

55
savoirs, ils vont s'agiter parce qu'ils vont s'ennuyer ou avoir peur de s'y mettre quoi. Ils s'agitent,
donc on mélange le travail que produit l'élève à la personnalité de l'élève, et ça c'est difficile parce
55 que après ils ont cet écriteau mauvais élève, mauvais. Mauvaise personne, et, pour donner raison à
l'adulte, ils vont montrer l'éventail de leurs capacités, entre guillemets, dites mauvaises, quoi.
Mais cet écriteau de mauvais élève est-ce-que quand vous les recevez, on va dire durant les
premiers entretiens, est-ce-que vous ressentez ça, comment vous l'observez ou est-ce-que …
Alors moi je pose aucune question sur euh!...
60 Ou est-ce-que c'est l'établissement qui vous l'envoie qui vous fait ressentir ça ?
Alors vous savez on a un PPRE Projet Personnalisé de Réussite Educative dans lequel il doit y
avoir des observations positives et des observations négatives et les objectifs. Des objectifs
éducatifs et des objectifs scolaires enfin pédagogiques. Donc on a quand même par exemple l'élève
que je soupçonne d'avoir un TDAH, lui, c'est la première fois, il n'a aucun point fort. Il n'a que des
65 points faibles. Or c'est un élève que l'on met ici en inclusion, ici en EPS, et les professeurs d'EPS
sont dithyrambiques.
D'accord...
Sur sa posture au milieu apparemment d'un … c'est un élève qui participe voilà excellemment au
milieu d'un groupe classe qui est très problématique. Voilà donc euh ... le sentiment d'être mauvais
70 ils l'ont en général depuis longtemps, et il peut être aussi lié à l'administration, parce que c'est des
élèves qui ont souvent eu affaire à des sanctions. Donc mauvais va de paire au niveau du
comportement et du travail. La notion aussi de « il fait exprès », donc il n'y a pas de recul de la part
des enseignants des collèges d'origine.
Ah oui ?
75 « Il le fait exprès », donc euh c'est attribuer bien peu de chance pour modifier la situation. Donc
quand ils arrivent ici, moi je leur dis qu' on est à leur disposition. Qu'on est là pour les aider, mais
qu'à un moment donné c'est eux qui peuvent faire en sorte de s'aider eux-mêmes, et c'est là où c'est
difficile, quand ils se rendent compte qu'en fait ils ont à leur disposition des outils euh... des adultes
dont ils ne s'emparent pas, et, s' ils ne s'en emparent pas, ça devient violent dans la classe relais;
80 donc ils peuvent aussi être dans le reproche. C'est à dire qu'ils vont reprocher... alors après c'est de
la psychologie de l'adolescent, c'est pas moi le psy.
Vous êtes confrontée à ça de toute façon, donc …
Mais, euh!.. le côté j'vais voir jusqu'où elle va tenir la prof, jusqu'où j' peux aller pour qu'elle
tienne. Donc, moi, ma … ma réserve personnelle [ petit rire ] ma défense personnelle c'est... euh !
85 … la violence physique. À partir du moment où il y a des gamins qui se tapent dessus ou euh !…
un geste de menace sur moi par exemple, c'est terminé. Enfin je demande à ce que l'élève soit
sanctionné voire exclus définitivement. Après, dans le langage, ils ont énormément de gros mots,
d'insultes ou tutoiement. Moi je vouvoie les élèves, ça me permet d'avoir une distance par rapport à
eux puis ça me permet de jouer quand ils me disent euh, mais « vous me parler qu'à moi ! » « mais
90 non vous ça s'adresse à toute la classe. » Pirouette, je m' défends, je me protège comme je peux et
euh... qu'est-ce-que je voulais vous dire? euh oui, le problème du langage c'est que euh.. leur
langage est souvent définitif ,un... euh!... « c'est de la merde, tu me fais chier !» ou euh … et à
chaque fois je leur renvoie que ça, mais ça on sait déjà, que c'est des scènes qui existent dans leur
quotidien.
95 Mais ils vous vouvoient ou vous tutoient en général ?
Quand ils sont en colère oui. C'est des marques de colère. Bon après, ça peut être volontaire ou pas
parce qu'ils sont partis dans une spirale infernale de colère du coup ils tutoient tout et n'importe
quoi enfin, y compris la porte.
[ Nous rions ]
100 Mais il y a quand même la démarche : j'te tutoie parce que tu ne vaux rien. donc euh, le fait que
moi je les vouvoie ça me permet d'avoir de la distance, mais ça leur montre aussi qu'on peu
travailler en ayant de la distance et le discours euh!.. Je l'aime ou je la hais, j'aime tel(le) prof donc
je travaille pour lui ou elle je le hais donc je ne ferai rien dans sa matière
Ça c'est quelque chose qui …

56
C'est récurrent 105
Oui ?
Ah, oui! oui! c'est systématique ! C'est des jeunes qui ont beaucoup de blessures, des blessures
narcissiques à la pelle, euh!.. mais aussi, du coup, ils ont des émotions qui peuvent être exacerbées.
Très sensibles à juste un regard ou un geste. Il m'a pas parlé depuis une heure, c'est parce qu'il
m'aime plus, enfin vous voyez c'est … ça peut être les extrêmes euh … 110
Ils vous font des reproches par rapport à l'attention ? Vous n'êtes pas assez attentive ?
Non, le plus souvent quand ils font des colères, moi je leur dit « mais vous vous parlez à vous
même là. Moi j'ai rien fait. Il ne s'est rien passé ce matin en rapport avec ça. » vous avez euh … et
puis ce phénomène de violence là « vous le savez tous », pour les autres (élèves) c'est « oh ouais ! »
c'est le gros spectacle quoi, c'est génial (d'assister à une scène de violence). 115
Oui ?..
J'dis « ok mais tout le monde peut le faire ça » et du coup j'essaye, je fais un gros travail sur moi-
même de surtout pas rentrer dans le jeu de « mais taisez-vous ! », « mais asseyez-vous ! » « vous
dites n'importe quoi ! » ou « vous sortez ! ». Mais juste « vous vous rendez compte que ça tout le
monde l'a déjà entendu », « ça n'a aucun rapport ». Donc « vous reprenez votre travail » et ce que 120
je leur dis c'est que ... il y a toujours un moment où ils vont venir s'excuser, j'dis « ben ok et ça va
changer quoi ». Euh et là je leur dis « pour moi les excuses en fait c'est juste voir que vous ne
recommencez pas, ou voir que vous vous retenez ou que vous utilisez bien les possibilités » …
« est- ce-que je peux me calmer de l'autre côté (dans un autre espace de la classe relais), est-ce-
que je peux boire un verre d'eau, ça va me calmer, vous voyez ». Donc à chaque fois je les renvoie à 125
leur responsabilité. C'est … je pense que c'est difficile pour eux. Et il y a aussi les élèves qui
viennent me voir en me disant « mais pourquoi vous vous laissez parler, insulter comme ça ? » Et
donc je leur dis « mais c'est pas à moi qu'ils parlent c'est à eux et même si je les sanctionne qu'est-
ce-qu'il va se passer ? qu'est-ce-qu'il faut comme sanction ? » vu qu'à chaque fois c'est exclusion
puis exclusion définitive. Je dis « d'accord donc tel élève est en cinquième, tel élève est en 130
troisième, exclusion définitive. Qu'est-ce-qu'ils vont devenir ? » « Ah ben il vont changer de
collège » « oui, alors par exemple en ce moment au mois de mai il n'y a plus d'exclusion définitive,
hein! il y a des directives académiques. Les collèges ne font pas ça. Ça veut dire que l'élève va
rester chez lui ne va pas préparer son brevet, ne va pas préparer ses désirs de formations, ne va
avoir aucun contact au collège. euh! est-ce-que c'est vraiment enviable ? Est-ce-qu'ici on est pas 135
vraiment en classe relais pour avoir une deuxième chance ? » Ça au bout d'un moment ils finissent
par le dire même avant que je le prononce moi de dire « oui! Mais, bon, euh …j'ai une deuxième
chance » C'est à dire donc certains ont un recul et réfléchissent. Le terme de ''deuxième chance'' ça
les marque, je dirais.
D'accord ! 140
Bon ben, après la jeune fille avec qui j'étais au téléphone euh !… non (fait un commentaire sur sa
difficulté à formuler sa phrase) la jeune fille dont je parlais au téléphone avec sa maman euh!, elle
est dans la violence systématique. Elle a des problèmes personnels qui sont monumentaux, mais ce
qu'il y a c'est qu'elle est tout le temps dans la violence verbale et tout le temps en essayant de
fédérer les autres contre la prof. Donc là j'ai appelé l'assistante sociale et j'ai appelé la maman 145
après, en disant que, ben... soit elle comprend son intérêt à être en classe relais, soit elle arrête ça
parce que moi je peux pas gérer le fait qu'elle soit dans la manipulation du groupe contre le prof.
Comment ça se manifeste cette tentative de fédérer les autres ?
Oh ben c'est « non mais t'as vu. non mais elle est folle celle-là ! » et du coup quand ils sont
interpellés de cette façon là « ah, ouais! Ouais! T'as raison! T'as raison ! » Et puis ça monte ! C'est 150
simple hein?.. mais tous ne le font pas
Est-ce-qu'il y en a qui vous défendent, même si vous n'avez pas besoin d'être défendue , mais qui
prennent cette position là ?
C'est ça, c'est ça (dit cela pour confirmer mon changement de formulation). C'est ça qui est
compliqué, c'est que ceux qui interviennent en disant « Mais ferme ta gueule ! Mais t'as pas à 155
parler comme ça aux autres » là, moi je leur dis... euh !.. je suis d'accord avec l'idée mais c'est pas à

57
vous de le dire et ces termes là ne sont pas les bons, ne sont pas possibles ici. Moi je reste toujours
sur la qualité du vocabulaire, justement pour être euh …
Oui! Ce n'est pas le même langage
160 Pour me protéger aussi moi, pour ne pas rentrer dans l'escalade des sentiments négatifs agressifs
quoi.. hein!. Moi je pars du principe qu'il ou elle ne va pas bien, donc il dit n'importe quoi, enfin
des choses qu'on a pas à entendre là. Ça ne regarde que lui, ça ne nous regarde pas nous. Mais, le
problème de cette jeune fille c'est effectivement qu'à chaque fois elle fédère le groupe sur elle,
groupe qui ne demande que ça, parce que du coup on peut s'arrêter de travailler, mais c'est
165 exactement ce qui se passe en classe. Mais cette jeune fille elle n'est pas passée à la violence
physique, ni sur les élèves, ni sur les... mais euh !… cette jeune fille s'est permis d'avoir un geste de
caresse sur un des adultes de la classe. Elle a essayé de nous manipuler, de nous monter les uns
contre les autres en venant me voir pour me dire donc qu'un de mes collègues était furieux parce
que je ne me faisais pas du tout respecter. C'était une conversation très tranquille, très posée
170 d'adulte dans le mini bus et ma collègue éducatrice ne nous a absolument pas entendues, alors
qu'on était sur la même banquette et euh... vraiment c'était important qu'elle me dise que grâce à ce
collègue qui leur donnait des punitions, qui leur faisait faire des lignes le midi et qui leur interdisait
des activités précises qu'ils adoraient. Ben, comme, ils ou elles respectaient cet adulte là et que, de
temps en temps, ils me respectaient un peu plus moi. Mais que mon collègue était très très énervé
175 parce que je ne faisais jamais rien pour me faire respecter.
Mm, d'accord...
Voilà donc tentative de manipulation, monter des adultes les uns contre les autres ce qui pour une
jeune fille de 13 ans est quand même fort. Hein !
Oui, inquiétant?..
180 Alors moi j'suis pas là pour m'inquiéter. Hein. euh ... éventuellement me préoccuper
Oui, oui...
Mais comme ça avec toutes les difficultés de la jeune fille qui nous a raconté des horreurs sur ce
qui lui serait arrivé, qui ne sont pas réelles. Enfin qui ne sont pas validées par la réalité de ses
parents en tout cas. Qui, après nous avoir embarqué dans des histoires de maladie et autres...bref!
185 c'est quelqu'un qui est très très compliqué et qui est entrain de... euh!... de tout essayer pour démolir
le…
Le cadre?
Le cadre, mais de façon beaucoup trop importante et du coup on réfléchit à une sanction, au moins
à une exclusion provisoire parce que c'est pas possible. Ça empêche tout groupe, tout
190 fonctionnement du groupe.
D'accord...
Dès le début et il n'y pas de baisse, il n'y a pas de modification (rire un peu nerveux) et elle
n'entend rien. Donc nous on ne peut pas l'aider et elle est entrain de nous détruire donc euh... voilà!
Est-ce-qu' ils vous adressent des demandes, de façon explicite ou implicite ? Vous parliez du fait
195 que parfois ils étaient énervés parce qu'ils avaient le sentiment qu'on était pas assez attentif à eux.
Sur l'attention non. Ils me reprochent de tout le temps être sur leur dos.
Ah bon !..
Ouais! parce qu'en fait moi je mets en place avec eux des outils de suivi. C'est eux qui doivent
suivre leur travail et ils cochent ou ils indiquent si ils peuvent le faire ou pas le faire, du coup, ben
200 j'leur demande des comptes sur ces outils là. Et à chaque fois, ben « vous aviez pas compris? Ben
je vous réexplique »; et ça ils ne supportent pas parce qu'à chaque fois ça les remet devant ce qu'ils
doivent faire. Donc moi ils sont assez dans le reproche que je sois tout le temps sur leur dos.
D'accord, ils ne vous adressent pas des demandes euh …
Quelles demandes ? Qu'est-ce-que vous essayez de me faire dire ? (dit ça en souriant)
205 Des demandes d'activités.
Alors il peut y avoir des demandes. Par exemple, moi j'ai toujours l'emploi du temps de la journée
qui est sur le tableau, donc ils peuvent toujours le voir, donc, ça, c'est récurant; c'est « quel jour on
est ? ». « regardez c'est au tableau » « quelle heure est t-il ? » « ben regardez il y a la pendule » et

58
ça c'est... ils sont dans une dépendance de petit en fait, parce qu'ils sont adolescents et ils font
comme des tout petits et du coup … - petit rire – je les renvoie sur ce qui est à leur disposition. 210
Qu'est-ce-que je peux vous dire ? Sinon, ben! quand il y a une activité qui ..
Ils demandent souvent la date?
Ah oui ! Ah oui! ça peut être trois fois dans la journée, et elle est écrite en lettre et en abrégé, en
chiffre, donc tout est disponible. Pour ceux qui ne savent pas lire l'heure il y a l'explication autour
de la pendule, enfin bon c'est … euh … et ils redemandent tous les jours pour toutes les activités 215
dites rituelles. Par exemple, ils ont un petit carnet d'écrivain où je donne un début de phrase en
essayant d'être toujours positive. Par exemple:« si j'étais président » ou « si c'était les vacances
toute l'année, je » et puis ils doivent compléter. Bon! ben ça euh!… à partir du moment où le sujet
est écrit au tableau ils peuvent commencer; donc, euh!.. il y en a toujours qui demandent « c'est
quel sujet ? » (question formulée rapidement et sèchement) « c'est pas écrit. Donc vous attendez. » 220
« on fait pas le carnet aujourd'hui ? » « ben c'est écrit, donc vous allez le faire. Il y a le sujet
aussi » enfin bref. Ils ont toujours besoin, j'y pense parce que là c'est le mardi. Mohamed, il y a
EPS à 14h, c'est écrit sur le tableau et il va le demander trois fois dans la journée.
Ce n'est pas parce que c'est quelque-chose qu'il aime beaucoup ? C'est pas lié à ça ?..
Peut-être oui! mais du coup ma réponse c'est euh... c'est noté au tableau hein. 225
Oui, c'est assez immature comme comportement.
Ah! je... alors là, je pense qu'en matière d'immaturité il y a ce qu'il faut ! Parce qu'ils n'ont pas eu,
comment dire...je pense que ce sont des enfants, soit qui n'ont pas eu, soit qui ont oublié que euh...
tout ce qu'on fait quand on est petit avec sa maman quoi. On fait de la patouille, on fait de la pâte à
sel, on fait... on prépare des gâteaux; donc, nous on les emmène une fois par semaine, enfin une 230
fois par semaine... On a un atelier de pâtisserie à la MJC d'à côté où ils choisissent des recettes. On
fait de la proportionnalité pour savoir combien il en faudra à partir d'une recette de 4 pour en faire
pour 25, et ils les fabriquent le jeudi après-midi pour distribution aux élèves de primaire qui vont
faire l'aide aux devoirs à la MJC. Donc c'est pas pour eux. Alors et le moment de la patouille, hein!
j'prends pas la cuiller, je vais mettre mes mains dedans! Hein, c'est des sensations de petit, ce sont 235
des besoins de petit, ce sont des choses qui n'ont pas été réglées quand ils étaient petits. Je leur ai
fabriqué leur euh … -elle se lève pour aller chercher le matériel pédagogique dont elle veut me
parler- j'sais pas si vous laissez votre euh... (elle désigne le dictaphone demandant si je le laisse
allumé bien qu'elle s'éloigne physiquement)
Si, si! 240
Je leur ai fabriqué ça. Donc il y a un surveillant qui est entré une fois dans la classe. Donc l'élève
soupçonné d'être euh... d'avoir un TDAH, le surveillant l'interpelle et lui dit « Oh mais toi t'as
manqué de câlins ! ». Et là je me suis dit effectivement ils ont dû manqué de câlins à un moment
donné, et euh …, comment je fais parce que j'ai pas d'argent pour acheter des balles anti-stress,
comme on en avait fabriqué en décembre avec de la farine et que ça avait explosé au CIO dans les 245
poches des gamins. Ils faisaient ça vachement bien ! Mais (rire)
Ils le faisaient un peu trop bien...
Mauvais système. Et surtout le côté câlin, parce que des balles anti-stress en plastique faites avec
des ballons de baudruche remplis de farine, il n'y a pas le côté câlin. Donc j'ai fabriqué des
berlingots en polaire, remplis de kapok, et je leur ai expliqué un par un, euh... en restant très 250
discrète que « bon ben voilà ! J'ai fait ça pour vous, vous pouvez faire comme ça » - elle me
montre, manipule le ''berlingot''- « et puis si vous êtes vraiment fatigués, posez votre tête dessus.
Vous l'attachez, il y a une étiquette avec votre nom. Vous l'attachez là. Ça reste. Pas le droit de
faire Thierry La Fronde. » Ça ils ne connaissent pas, mais pour moi c'est une référence. « Voilà !
Vous faites des trucs intelligents avec. Je vous le prête, ce n'est pas à vous et vous ne faites pas de 255
bêtise avec sinon c'est retiré. » Donc euh!.., donc là en fait...j'sais pas si vous avez déjà vu des
enfants sur des peluches, des petits, ils grattent la couture
Oui!
Et ils vont utiliser en général que l'étiquette. Eh ben là c'est, y a un trou ! [elle me montre le
berlingot abîmé] il faut juste que je répare hein ! Cette recherche de petits enfants qui ont deux ans 260

59
quoi.
Mais ils l'investissent cet objet ?
Ah! ben tous. Tous. Sauf que là, j'en ai deux à réparer. Ils se les piquent, donc là on fait une petite
pause parce qu'ils se les piquent.
265 Ils ne sont pas défensifs par rapport à l'idée que ça pourrait renvoyer, qu'ils seraient des bébés ?
Non, pas du tout. Non, j'ai commencé ça à la session précédente. Sur le groupe de dix, il y en a
neuf qui l'avaient demandé. Y en a deux qui ont fait une grosse colère parce que je leur avait dit
non. Non, je vous l'ai prêté, vous ne repartez pas avec. Euh!.. les cinq qui sont revenus, de la
session précédente, étaient super contents de voir qu'ils étaient bien là, que je les avais lavés
270 pendant les vacances. Qu'ils retrouvaient leur étiquette, leur ficelle, leur truc. Et les autres (c'est à
dire les élèves de la session en cours qui n'étaient pas présents à la session précédente) ont
redemandé. Y'en a trois qui n'ont pas demandé; là, sur les dix, y en a sept qui ont demandé. C'est un
réel besoin, c'est pour ça que je pense... alors bon, la classe relais c'est pas fait pour faire du
cocooning
275 Oui!?..
Mais n'empêche qu'il y en a que ça calme.
Mm !
Et je pense qu'effectivement il y a des besoins qui n'ont pas été assouvis dans la petite enfance, et
moi, faut bien que je combatte des moments d'agitation et de violence, et ça pour moi, c'est un
280 outil.
D'accord!
Il n'y a pas de moquerie.
Est-ce-qu'ils peuvent être dans l'affectif assez vite avec vous hormis la violence ?
Non. Alors c'est sûrement ma personnalité aussi, mais moi j'ai tout ce qu'il me faut dans ma vie
285 privée (rire), donc je n'ai pas besoin d'avoir des enfants supplémentaires; euh! en plus j'ai des
cheveux blancs donc de toute façon déjà, j'suis suspecte
Ah bon !?..
Ah oui, oui, oui! Oui, je ne peux aimer que la musique classique.
D'accord...
290 Donc la musique des cons hein. Je euh … alors , ça, ça a été un point marquant, euh!... personne ne
m'a soupçonné de voter Marine Le Pen. Je leur ai bien expliqué que, en étant fonctionnaire j'avais
l'obligation de retenue, de discrétion sur le sujet, mais ça ils étaient tous d'accord pour dire que ce
n'était pas possible, que je vote Marie Le Pen. C'est rigolo !
D'accord...
295 Euh … j'vous dirais pas que je l'ai pris comme un compliment, mais je l'ai quand-même pris
comme un compliment. J'leur ai pas dit, mais bon ça, ça montre une certaine … appréciation. Pour
moi c'est une certaine … par contre moi, je suis pas du tout dans la relation …
Ça veut dire qu'ils vous ont posé la question ? Pour qui vous alliez voter?
Ah oui! Et heu ... les méchants votent Marine Le Pen pour eux. Donc voilà, je pense que je ne suis
300 pas classée dans les méchants; par contre, le fait d'être celle qui apporte, ben, l'obligation scolaire,
ça, ça leur est difficilement supportable. Après il est arrivé à plusieurs reprises, pas rarement, que
euh … ma collègue éducatrice et mon collègue adulte relais soient tous les deux dans la salle de
classe et à essayer de les faire travailler sur une truc très précis. Ils ont jamais réussi.
Mm
305 Parce que ils sont dans l'affectif avec l'adulte relais et dans l'accompagnement un peu plus distancé,
mais affectueux , j'dirais, avec l'éducatrice.
D'accord. En fait ils se saisissent un peu des différents …
Oui, oui
Des différents rôles.
310 On a des personnalités différentes et ils investissent aussi les rôles qui sont différents. Et c'est vrai
que moi j'ai pas tellement envie de rentrer dans le côté euh... confidence, par exemple .
Mm! Et si vous vous laissiez aller, ça pourrait faire ...?

60
Ah oui! parce que l'adulte relais et l'éducatrice ont énormément de confidences. C'est tout l'intérêt
d'être à trois en classe relais dans la mesure où l'éducatrice a déjà pu faire par exemple des
informations préoccupantes suite à des choses déposées par mes élèves, euh!.. en discutant à bâton 315
rompu. Donc c'est important. Mais moi je pense que je ne suis pas dans cette relation avec les
élèves parce que. déjà c'est pas ma formation. J'aurais du mal à savoir quoi en faire. Euh! … à
savoir comment réagir, quel conseil euh... et puis moi je suis en permanence sur les apprentissages
donc euh! … on a pas beaucoup de moment duels, si ce n'est quand on essaye de … depuis ce
matin j'ai pas encore réussi. Tous les week-end j'envoie un bilan hebdomadaire fait sur chaque 320
élève, au collège (d'origine du jeune) et à la famille. Et j'essaye en début de semaine de le lire avec
l'élève pour qu'on soit d'accord. Ça vous intéresse de voir ?
Oui!
(Elle se lève pour aller chercher le document en question) Donc chaque colonne est une semaine
différente et on indique... donc ça, c'est la colonne de samedi, de la semaine dernière, et puis 325
j'indique ce qui va être fait sur les semaines suivantes. Donc ce qui est important c'est qu'il y a le
bilan personnel de l'élève. Il dit ce qu'il pense et il prend des engagements ... plus ou moins (rires).
Euh, nous..., moi je donne le programme de la semaine, et puis l'attitude vis-à-vis du travail et vis-
à-vis des autres.
D'accord. Comment ils … donc ça ils le voient ? 330
Oui! Alors ils le reçoivent à la maison tous les week-end et j'essaye, en début de semaine, de lire
avec eux, euh... pour qu'on puisse faire un petit retour sur... voilà, vous vous étiez engagés à telle et
telle chose, qu'est-ce-que vous en pensez est-ce-que c'était pas trop euh, c'était pas visé trop haut ou
euh … ou trop bas ou, euh!..
Et ces moments là, ça se passe comment ces moments de reprise? 335
Oh! Boh! Ils sont d'accord avec tout. Il y a pas de soucis
Ah! D'accord...
Parce qu'en fait euh... y a pas du tout de soucis, parce qu'en fait leur bilan personnel c'est vraiment
les mots qu'ils utilisent eux. Ils écrivent, moi je recopie c'est tout, hein!. Euh... et moi je leur dis
« mais moi je mets juste ce que vous écrivez et c'est juste si vous avez écrit avec une faute 340
d'orthographe, je la gère, mais j'écris ce que vous voulez ». Donc il y en a qui écrivent que ce qu'on
voudrait entendre, ce qu'on voudrait lire. « tout va bien » (rires) c'est une façon d'échapper à
l'introspection hein.
C'est fréquent ça, le tout va bien ?
J'ai pas fait de statistiques, j'peux pas vous dire. 345
Oui...
Après c'est plus des élèves qui ne veulent pas se livrer euh!... voilà.
C'est sur quelle case le tout va bien ?
Ah! Ça peut être là. Par exemple là, « le travail a été facile le professeur m'aide », ça c'est un
gamin qui veut pas de problème quoi. Il met ça, ça fait plaisir à tout le monde et on en parle plus 350
(rire). Mais c'est un gamin qui ne s'investit pas du tout. D'accord? Il fait ce qu'on lui dit de faire et
après il se croise les bras, on est dans le ...voilà. (nous continuons à feuilleter les feuilles de bilan
hebdomadaires des élèves) il y a de tout hein ! Alors … qu'est ce qui serait intéressant ?
Au niveau de l'attitude, il y en a qui ne s'investissent pas du tout. Il y en a…Il y a un peu de tout ou
… 355
Oh il y a de tout. Il y en a pour qui c'est une révélation. Euh au niveau de l'organisation du travail
par exemple, apprendre une leçon. J'y pense parce que là, il y en a deux dans la classe qui sont
devenus très performants pour, par exemple, faire une carte mentale à partir d'une leçon. En fait
c'est synthétiser les éléments les plus importants pour pouvoir justement les retenir. Donc euh, bon
ça ça a été une révélation. Ils sont hyper dedans, ils sont … ça c'est bien. Il y' en a qui…souvent, 360
ceux pour qui ça fonctionne le mieux c'est quand il y a un vrai lien avec le collège. Par exemple les
deux qui s'investissent beaucoup, là, ils ont cours le mercredi matin au collège dans leur classe et
ils doivent passer le lundi soir et le jeudi soir, pour récupérer ce qui s'est passé dans les trois
disciplines du mercredi matin pour préparer le mercredi suivant.

61
365 D'accord!
Donc ils passent le soir au collège, ils récupèrent les documents, les photocopies de cours qu'on
prépare en classe et, comme ça, ils sont prêts pour le mercredi, donc c'est du travail pour les CPE,
pour les professeurs principaux, pour les professeurs, mais ça a un impact vraiment très positif, et
ces élèves là vont être en augmentation de réintégration dans leur classe; ils ont demandé tous les
370 deux à faire une troisième session (une session en classe relais est de 7 semaines ). Les élèves qui
n'ont aucun lien avec leur collège ça se passe très mal en classe relais, ça c'est systématique.
Mais il y en a qui arrivent après avoir été exclus de leur collège ?
Alors là, on n'en a pas. On en a qui sont en suspension de conseil de discipline. Ça veut dire que si
ils reviennent dans leur collège et qu'il y a la moindre bêtise c'est conseil de discipline.
375 D'accord!
Il y en a pour qui dans le dossier de candidature, euh!.. les sanctions par rapport à l'élève sont
notifiées « sanction : classe relais »
Sanction classe relais! D'accord!..
Donc certains arrivent euh!… pour tous, leur discours c'est « on m'a forcé à venir ». Donc moi je
380 réponds «C'est embêtant parce que vous avez signé que vous étiez d'accord et en plus vous avez
mis une phrase sur vos motivations.» Donc en général il y a majoritairement un petit sourire gêné,
et il y en a quand même un bon tiers pour dire « ah oui mais on m'a forcé, on m'a dicté la phrase ».
et je pense que pour certains c'est une réalité. Donc ces élèves là pour eux c'est très difficile de
s'intégrer, de … s'emparer en fait du dispositif de classe relais pour mieux aller, parce que, de
385 toutes façons, ils sont déjà mis à part. Euh!.. pour ceux qui ne peuvent pas revenir c'est encore plus
dur de voir ceux qui préparent leur retour ou leur réintégration du mercredi, parce que le mardi on
fait le point, on dit « bon vous avez cours demain en classe donc vous avez bien votre manuel, vous
l'avez préparé, euh!.. les exercices qu'on a fait ensemble vous les avez pour les donner à vos
profs ». Enfin bon! Et, du coup, ceux qui n'ont aucun lien avec leur collège, c'est une nouvelle
390 claque quoi. Et ça se traduit par « ah ! Les pauvres et moi je fais la grasse matinée demain » mais
c'est ... poignant !
Mm! D'accord! Et du coup ceux qui s'emparent bien de la classe relais, ça se ressent dans la
relation avec vous ?
Oui, ah oui! Oui, parce que ... qu'il y a des … voilà parce qu'on essaye de faire le point quand ils
395 sont réintégrés « ben qu'est-ce-que vous avez fait mercredi ? ou un autre jour de la semaine ?
Qu'est-ce-qu'il s'est dit ? » Ils voient qu'on communique énormément par messagerie avec les
équipes des collèges d'origine. Tout le monde est au courant de tout. Euh … et ça les valorise aussi
parce que nous ce qu'on essaye de faire ce sont des bilans qui sont valorisants; c'est à dire euh!...
Finalement il n'y a pas une réelle... enfin ils ne sont pas vraiment exclus de leur collège ?..
400 Ben! ceux qui sont toujours en lien avec leur collège,non! Ils ne sont pas dans l'exclusion. Nous ce
qu'on essaye d'expliquer aux collèges c'est que il n'y a pas disparition dans ces cas là. C'est à dire
que l'élève est visible pendant six semaines parce qu'on le voit de temps en temps venir soit en
cours, soit dans l'établissement. C'est important parce que la disparition, après, elle est difficile à
surmonter après, au retour. Et les bilans ils permettent de montrer qu'il y a des progrès. On va les
405 chercher des fois là où il n'y en a pas (des progrès) hein!..Aussi. Mais, heu!..Juste pour essayer de
montrer qu'on peut effectivement changer son image. Parce que c'est ça qui est difficile pour les
élèves au retour à leur collège. C'est d'abandonner l'image de trublion, de provocateur et d'ouvrir
leur sac, leur trousse et leur cerveau. Ça, ça peut être compliqué et on a des retours de collèges qui
disent euh!..Ben, d'ailleurs nous on a de plus en plus de collèges qui nous en renvoient des
410 nouveaux…enfin les mêmes collèges nous renvoient des élèves. Je pense que c'est parce qu'ils en
sont satisfaits
Et est-ce-que vous avez l'impression qu'ils commencent à abandonner cette image en classe relais,
cette image de trublion ?
Alors euh... les élèves ?
415 Oui
Il y a des rechutes ! C'est pas facile, parce que c'est un challenge énorme hein?..C'est…parce que la

62
facilité c'est de remettre le déguisement, le nez rouge qu'on avait avant. On se conforte dans une
image qu'on avait …
Il y a un côté déguisement quoi ?..
Enfin…c'est peut être pas un terme adéquat mais… 420
Enfin, si...
Disons qu'ils sont tellement attendus par les élèves et par les profs. Ils sont tellement attendus.
Donc « tu vois on t'a offert des trucs et ça marche pas tu reprends le même comportement »; enfin
vous voyez le … discours récurrent qui enfonce, que c'est très très difficile de rester la tête hors de
l'eau, quoi!. Après il y a effectivement des adultes qui sont extrêmement bienveillants, chez les 425
CPE, chez les profs, des ... vraiment... nous on les voit trois fois sur une session. Donc rendez-vous
d'accueil, un bilan intermédiaire et rendez-vous de fin de session, même si elle est reconduite. On
se voit trois fois chaque fois, et on voit les élèves qui vont avoir des chances de s'en sortir, grâce
aussi à la bienveillance des adultes qui les entourent. Ça, ça se travaille, la bienveillance
Oui!...Alors vous disiez qu'il y avait la première semaine où la plupart étaient euh... 430
De bon petits, de bon petits élèves oui. Oui, oui!
Oui! ensuite il y a la deuxième semaine où ils se révèlent un peu …
Voilà et après, ben ça dépend. Après on a le rendez-vous intermédiaire, et ça c'est bien, parce que ça
permet de faire un petit point sur « vous avez pris des engagements pour venir en classe relais, il y
a les objectifs du PPRE (Projet Personnalisé de Réussite Éducative). Qu'est-ce-que vous élèves 435
vous avez mis en place pour progresser ? ». et là en général on a un grand blanc. Donc on essaye
de repartir pour la période suivante en disant que, voilà, « on peut vous aider ». Pour qu'ils se
rendent compte que nous on est pas dans la sanction, on est juste là pour dire, ben: « vous voyez
vous ne vous en êtes pas emparé pour l'instant, mais y a toujours du temps. Allez-y, nous on est
toujours disponible, on est toujours là. » 440
Oui !..
Et ça, ça les déstabilise un petit peu parce qu'en fait ils sont toujours dans le … « de toute façon on
m'aime pas, on me dit que je suis nul, donc on m'aidera pas quoi » ça les déstabilise, ça … et de la
même façon ...
Une sorte de fatalité ? 445
Ah ben oui! Qui est confortable aussi, même si elle est dramatique. C'est destructeur hein?!..Mais
c'est confortable, ça évite de se remettre en question. Ça évite de faire des efforts.
Oui, oui!..
Alors bizarrement, euh, personne n'arrive en retard ici; euh... et moi à l'entretien d'accueil j'explique
que les retards non justifiés sont rattrapés le jour même ainsi que les refus de travail. 450
Ça veut dire quoi un retard rattrapé ?
C'est à dire si ils sont arrivés à 9h30, moi j'ai préparé du travail pour que ça commence à 9h. Donc,
au lieu de partir à 16h, ben! ils partiront à 16h30.
D'accord!
Pas pour faire des lignes, ni pour balayer la classe mais pour faire le travail en tête à tête, ce qui est 455
quand même plus confortable. J'explique, dès le départ, que je suis pas payée pour faire ces heures
là.
Ils acceptent de travailler en tête à tête ?
Oui!, alors, si ils sont deux c'est compliqué. Ils passent toujours la moitié du temps à dire « j'ai pas
demandé à rester ! j'ai autre chose à faire ! », voilà. Puis au bout d'un moment ils s'y mettent parce 460
que j'essaye de rester dans.. voilà! l'objectif qui est du travail, qu'il n'y ait pas de l'observation
négative sur leur comportement « allez-y on s'y met moi j'suis là pour vous, y a pas de soucis ».
mais ils ont, ils ont totalement besoin d'être rassurés et je pense que c'est ça aussi qui force … après
moi j'aurai besoin aussi d'un regard pour me dire non mais là t'exagères parce que t'attends que ça
vienne mais y a un moment faut s'y mettre. Enfin faut imposer des choses, mais ce qui y a c'est que 465
j'ai imposé à la jeune fille ce matin de changer de place et euh … elle m'a fait ça hein (lève la main
comme pour mettre une claque) tout en me disant que ce n'était pas ce que je croyais mais, elle ne
l'a pas fait. Elle a tenu tête à l'adulte relais donc euh... effectivement n'importe qui à partir du

63
moment où on a pas de … moyen coercitif. Euh … !
470 Oui, on ne peut pas forcer physiquement quelqu'un …
On a une élève, au mois de janvier, qui est sortie de la classe et euh...est passée par dessus les
grilles. Elle est partie. Et en se retournant vers l'adulte relais qui la suivait, elle a dit tu me touches,
je porte plainte pour viol. Donc il l'a regardé monter à la grille et il était rassuré quand il l'a vue
arriver de l'autre côté (la grille de ce collège est particulièrement haute).
475 Cette question du toucher, c'est …
Ah! C'est permanent chez eux, hein! C'est permanent. « Ne me touchez pas ! » et par contre ils ne
s'interdisent pas effectivement de …
De se toucher entre-eux ?
Alors se toucher entre eux, alors là c'est énorme! Par contre il y en a deux qui m'ont empoigné le
480 poignet, j'écrivais au tableau, et qui voulaient me pousser, qui m'ont pris la main comme ça. Je leur
ai dit mais «vous vous rendez compte. Vous ne pouvez pas vous permettre de faire ça, c'est pas
possible.» «ben quoi !?» (elle imite l'élève qui répond avec un air ahuri) ben euh …! «vous ne
pouvez pas toucher des adultes; ça n'est pas possible !» « vous devez reculer ». Souvent je leur dis,
«vous devez être à une distance, euh..., qui rend agréable la communication».
485 La distance aussi c'est quelque-chose à travailler ?
Ah! Oui. La distance, le regard. Moi j'ai, souvent...au début, il y a des élèves qui me disent, souvent
en début de session, qui me disent «ah mais pourquoi vous me regardez ?». Je dis «ben parce que
vous êtes élève et que je suis entrain de parler à tous les élèves». Parce que la question du regard
est un outil d'agression entre eux, et ils ne se rendent même pas compte qu' on ne peut pas
490 reprocher ça à un adulte. Enfin, on n'est pas dans le même mode de communication. Nous adultes,
profs au sein d'un collège, on va pas provoquer une bagarre par le regard. Nous on est dans la
communication verbale. On est là pour euh...!, les apprentissages.
Mais en même temps ils font ce qu'il faut pour être regardés aussi par leur comportement ?
Ah oui ! Oui, ben oui, parce que ça permet de savoir qu'on existe toujours. C'est pour ça que je
495 pense qu'il y a beaucoup d'éléments, qui sont liés à une petite enfance, qui les ont laissés frustrés,
quoi! Que ça soit euh..., l'objet transitionnel, la manipulation, les sensations manuelles à travers la
pâtisserie. Là il y a eu une forte demande de peinture donc je leur ai dit « d'accord mais qu'est-ce-
qu'on fait ? Vous me dites et moi je fais une séance ». Ben! Ça leur a pas plu du tout parce que eux
ce qu'ils veulent c'est faire de la patouille.
500 Moi j'ai repéré que sur les différentes classes relais il y a des activités qui reviennent souvent. Alors
la cuisine, voilà …
Oui, alors la cuisine c'est vraiment bien parce qu'il y a plein d'éléments pédagogiques dedans. Lire
une recette, suivre une consigne, les règles d'hygiène et de sécurité bien sûr. Nous on est dans une
cuisine semi-professionnelle, donc il y a quand même des fours qui ont une autre tête, des
505 frigidaires qui ont une autre tête, des robinets qui fonctionnement avec des coudes ou des pieds.
Donc ça a un petit côté marrant aussi, mais ce qu'il y a, c'est que ce n'est que deux élèves en même
temps.
Ok, bon (nous commençons à penser à clore l'entretien)
Sinon, nous on est euh...! alors quelque-chose qui m'aide moi dans la relation à l'élève, c'est...on va
510 faire des séances d'équitation une fois par semaine et la majorité des élèves... parce qu'il y en a très
très peu qui ont déjà pratiqué l'équitation. Quelques uns ont déjà approché des chevaux ou sont
montés sur des poneys, mais très très peu l'on vraiment pratiquée, et du coup, là ils ont réellement
besoin de l'adulte ! Mais euh, à tenir la main hein ! « vous me lâchez pas ! Vous me lâchez pas ! »
D'accord!
515 Donc, et là du coup, je quitte le masque de professeur. Et c'est vraiment du premier pied (à la
relecture nous ne comprenons pas cette expression)...parce qu'ils ont peur des chiens. Donc dans les
centres équestres, il y a toujours des chiens. En l'occurrence là des labradors
Ils ont tous peur des chiens ?!
Alors ils ont tous peur des labradors. Et on a eu, alors, messieurs les psychologues... On a eu un
520 promeneur, une fois, qui n'avait pas le droit de rentrer dans le centre équestre, mais qui faisait de la

64
provocation avec un rottweiler sans laisse, sans muselière et euh…! Les gamins sont sortis du mini
bus et l'ont agressé en rigolant. Agressé le chien en rigolant, en l'interpellant et cætera. Donc nous
on était très très...préoccupé de l'avenir immédiat, parce qu'on a pensé que le chien allait leur sauter
dessus. Alors bon le maître l'a embarqué, l'a emporté et tout de suite après c'était la première séance
pour ce groupe. Tout de suite après, les labradors sont sortis et là les gamins ont poussé des 525
hurlements, voulaient rentrer dans le mini bus. En fait les élèves qu'on a sont majoritairement issus
de cités où il y a des rottweillers. Ça ne leur pose aucun problème, ils n'imaginent pas qu'ils vont se
faire sauter à la gorge. Par contre les labradors, bonhommes, mais on peu pas faire plus euh..,
patauds. Eh ben ça, ça les rend hystériques. Et on l'a vu sur trois groupes différents.
Et dans ce moment là, ils s'appuient sur l'adulte ou pas ? 530
Voilà ! Voilà. Alors ils ont une façon de s'appuyer qui est charmante, c'est à dire qu'ils se cachent
derrière et ils poussent l'adulte. Pour que l'adulte aille se faire bouffer (rire franc de Mme B)
D'accord...
Sauf moi, ils ne me poussent pas quand même mais bon. C'est marrant. Bon voilà, c'est drôle. Mais
ça c'est un bon moyen pour moi, en tout cas de leur montrer que l'aide elle est vraiment partout. 535
Mm, oui ...
Et l'aide aussi je leur explique que les rendez-vous à 8h du matin, le mercredi matin quand je ne
travaille pas et cætera, je le fais parce que c'est pour eux. Et du coup il y a…moi je fais la
différence quand…ils se rendent compte qu'il y a un investissement de l'adulte. Toutes les semaines
je leur imprime un relevé sur pronote. Pronote ? Vous connaissez ? 540
Oui, oui!
Donc ils ne savent majoritairement pas utiliser pronote. Donc moi je fais des copier coller, je leur
imprime des résumés pronote pour la semaine. Tout ce qui est fait pour eux ils se rendent compte
que c'est pour eux. Ils se rendent compte que c'est fait pour les aider et du coup... C'est pour ça que
souvent je fais facilement la part des choses entre l'énervement et la grossièreté ou l'insolence, qui 545
est à mettre sur le compte de leur week-end qui a été difficile ou quelque-chose qui ne leur a pas
convenu et du coup euh..je trouve qu'ils ne sont pas euh... j'pense qu'ils sont conscients de ce qui
est fait ici pour eux. Et dans le fait aussi qu'on reçoit beaucoup d'intervenants, on fait pas mal de
sorties. Et à chaque fois on fait quelque chose en lien avec la sortie, soit avant, soit après, pour les
amener à réfléchir. Ben oui! On ne sort pas pour sortir. Euh! On fait des trucs euh...et souvent ils 550
sont dans le reproche parce que ça les oblige à réfléchir.
Est-ce qu'il y a des choses que vous faites pour eux que ensuite ils … qu'ils … comment dire... je
ne sais pas exactement, mais peut-être que vous faites des choses pour eux. Vous leur dites que c'est
pour eux et puis vous leur donnez et ensuite ils le dégradent. Ou pas du tout. Est-ce-qu'il y a des
choses que vous faites pour eux qu'ils attaquent par la suite ? 555
Non!
Non ?
Euh... non, j'ai déjà vu des documents envoyés par les profs que je leur imprime et que je leur
donne qui sont dans la poubelle, mais les documents, là, non. Pas ceux que moi je leur prépare.
C'est bien! (rire) (nous avons l'impression qu'elle s'aperçoit en le disant que les documents qu'elle 560
leur prépare sont préservés. Elle exprime sa satisfaction). Non, non, mais de toute façon ils le
voient quand même qu'il y a une attention qui est réelle. Il y a le fait aussi que tous les matins et
tous les soirs tout le monde se serre la main. Je serre la main à chacun. Je leur dis bonjour, je fais
euh... un point, et quoi qu'il se soit passé dans la journée, de toute façon c'est en se serrant la main
(formulation particulière qui laisserait presque entendre que tout ce qui est fait c'est en se serrant la 565
main). Et il y a eu euh … par le passé euh... par exemple, je pense à une jeune fille qui était très
très violente qui a fini par être exclue parce qu'elle a envoyé une table sur quelqu'un. Enfin bon,
c'était, c'était plus possible. Et elle, une fois, s'était faufilée pour partir sans me serrer la main. Et
donc le lendemain matin elle a refusé de me serrer la main pour la deuxième fois, et donc on s'est
parlé. Mais je lui ai dit mais «vous savez à quoi ça sert de se serrer la main ? Ben se serrer la main 570
ça sert à montrer qu'on a pas d'arme dans la main». C'est l'origine, de base. « et quand on tape
dans le dos c'est pour vérifier qu'il n'y a pas d'arme dans le dos non plus »

65
Je savais que trinquer c'était sensé être pour vérifier qu'il n'y a pas de poison dans son verre...
Voilà se serrer la main c'est ça, à la base et ici c'est pour se dire que tout ce qui s'est passé avant, ça
575 n'a pas d'importance. Voilà c'est fait, on peut réfléchir dessus mais ce qui est important c'est qu'on
se quitte et la prochaine fois qu'on se voit on redémarrera bien. Et euh..en fait c'est arrivé très peu
souvent qu'ils utilisent ce côté…qu'ils essayent ce petit chantage là, «je t'emmerde, j'te salue pas,
j'te serre pas ta main, j'me casse»
Oui, ils respectent ça...
580 Oui, oui c'est pour ça que j'pense que voilà!...Il y a beaucoup de choses qu'ils apprécient, dont ils
voient euh...et d'ailleurs ça surprend beaucoup les profs de me voir serrer la main à des élèves.
C'est pas possible quand on a une classe de trente, hein !
Oui, oui!
Enfin surtout quand on change de groupe classe toutes les heures. Mais euh … c'est des choses
585 comme ça qui font qu'effectivement, ils ne me détruisent pas...Il y a des promesses, là y'en a une
qui m'a dit: «si, si! j'vais lui faire des yeux à mon berlingot », parce que je leur ai dit voilà c'est
pour vous, c'est prêté, c'est lavé et après ça sert à d'autres.
Ça s'appelle un berlingot ?
Alors moi j'appelle ça un berlingot, j'vais pas appeler ça un doudou, quoi !
590 D'accord, oui. Là ça serait trop euh...
C'est la forme d'un berlingot.
D'accord (rire de nous deux)
Mais et votre sujet c'était … ?
C'était la relation...la représentation qu'ils se font de leur professeur et l'incidence que ça a sur leur
595 relation avec eux. (en réaction à ce que nous disons, elle fait une mimique du visage particulière
que nous interprétons comme le sentiment de ne pas avoir bien répondu à nos attentes, c'est pour
cela que nous nous sentons obligés de préciser que ce qu'elle nous dit a tout à fait répondu à nos
attentes)
Mais bon tout ce que vous me dites, voilà, ça me parle de tout ça hein.
600 Après, moi ce que j'essaye de leur faire comprendre c'est que c'est pas parce que on aime pas un
prof qu'il ne faut pas travailler, parce que effectivement le prof ça va pas lui changer sa vie, quoi!
Que par contre eux leur vie peut changer effectivement, ça c'est un peu moins…parce que…tout le
monde est dans l'affectif. Enfin, ce qu'on essaye de leur dire c'est qu'effectivement on peut plus ou
moins apprécier les gens avec qui on travaille, mais on doit travailler ensemble, et le fait d'avoir
605 beaucoup d'intervenants ou de sorties dans le monde du travail, ça permet à chaque fois de leur
montrer que...ben, ou on choisit pas ses collègues mais on travaille ensemble. On peut avoir des
vues différentes mais on se casse pas la figure. On essaye d'échanger d'avoir des arguments. et...
Des activités qu'ils investissent le plus. Est-ce-qu'il y a un certain genre d'activité qu'ils investissent
plus?
610 Alors l'équitation, ça ils le font beaucoup. L'atelier d'impro, ils font beaucoup aussi, et euh... j'pense
aussi que ce qui remporte le tout c'est les ''boomwhackers'' (elle se lève pour chercher le matériel
pédagogique en question) en fait ce sont des percutions corporelles
D'accord...
Chaque tube a une note différente et à quatre élèves...c'est quand même des élèves qui n'arrivent
615 pas à faire la gamme avant dix minutes quoi d'entraînement, tellement ils sont agités, perdus. Mais
bon ils adorent ça. Ça, c'est vraiment réclamé de façon systématique. Et l'atelier d'impro, alors c'est
pas un atelier d'impro professionnel, hein! mais ils aiment beaucoup euh... parce que les conditions
sont claires, parce que c'est toujours dans du positif, parce qu'on a jamais le droit de dire non...
Parce qu'on a pas le droit de se moquer, parce qu'il faut se taire, faut écouter les consignes. Et en
620 fait, si on fait tout ça c'est facilitateur.
Le cadre est facilitateur, c'est ce que vous vous voulez dire ?
Le cadre, l'ensemble des consignes facilite le travail de chacun. Mais ils le voient, ils le sentent tout
de suite ça. C'est un peu comme au centre équestre, si ils ont bien écouté la consigne, euh...tout se
passe bien.

66
Et du coup, là vous avez un autre positionnement dans ces...matchs d'impro ou…euh! Matchs 625
d'impro, non...
Alors on arrive pas au match d'impro, hein! Après ça dépend des groupes, y a des groupes avec qui
on a vraiment fait des trucs, franchement qui étaient euh... du niveau match d'impro de collégiens
quoi!
D'accord, ok! 630
Parce qu'il y a des gamins qui sont…qui ont plein de qualités dans la communication verbale et
l'imagination aussi. Euh … moi j'suis avec eux, ils ont le droit de me tutoyer, ils ont le droit de
m'appeler par mon prénom parce qu'on est dans l'atelier d'impro et dès qu'on en est sorti c'est
terminé.
Ils arrivent à passer d'une façon d'être avec vous à une autre façon ? 635
Ouais, parce que c'est qu'ici.
C'est bien, ça!
Ouais, ouais, ouais!
Enfin qu'ils arrivent à cette souplesse là.
C'est pour ça j'pense que ça…non c'est des choses qui passent pas mal, mais bon moi je reste quand 640
même celle qui parle avec le collège, qui envoie les bilans, qui cafte quoi !
Et en même temps vous dites que c'est important quand ils sentent qu'il y a un lien avec le collège.
Ben de toute façon la relation elle est ambiguë, la relation à l'adulte, parce que eux, ce qu'ils
cherchent c'est être aimés. Bon, ils cherchent pas au bon endroit, parce qu'il faudrait qu'ils soient
aimés chez eux. C'est...pour certains, enfin c'est la que ça pêche. Bon voilà, on peut pas instaurer ce 645
genre de…en tout cas moi je pense qu'il faut vraiment que je leur apprenne à travailler quelque soit
l'adulte qui est là, et à comprendre aussi qu'ils doivent s'adapter à l'environnement. Et on a de plus
en plus de problèmes en stage à cause de ça, parce qu'ils ne veulent pas s'adapter. Ils estiment que
si ils ont un coup de fil à passer, ils peuvent le passer sur le lieu de l'atelier, de la boutique ou autre,
et que personne n'a rien à leur dire; et ça c'est compliqué. Et par contre, ou euh... quand même, ce 650
qui est marquant c'est que là on en est quand même à la deuxième jeune fille absentéiste. On a eu
une jeune fille qui n'est pas du tout venue à une session, qui est venue à la deuxième. Et là on en a
une qui était vraiment bien là à la première session et qui là est absentéiste. Sinon globalement ils
se tapent des trajets euh... de fou et ils sont là à l'heure ! C'est marquant, mais je crois que c'est
globalement dans toutes les classes relais euh...toutes mes...tous mes collègues disent la même 655
chose
Ils sont à peu près à l'heure. Oui...
Ben nous, c'est à l'heure. De toute façon ils savent que moi je suis intraitable. Enfin c'est le
minimum, ils restent le soir et les parents trouvent ça génial, à la réunion d'accueil ils disent « oh,
mais ça c'est bien ! » (le système de faire rester les élèves le soir en fonction de leur retard le 660
matin), les profs disent « ben oui vous pouvez le faire vous ». Ben je le fais parce que je veux bien,
hein! Non mais...bon, c'est ingérable dans un collège. Mais heu…moi de toute façon on change pas
de classe, donc ils sont là.
Bon ben … je pense que … je vous remercie.
665

67
ANNEXE XV
Entretien avec Madame K

De manière informelle nous discutons des adultes relais avec madame K, qui spontanément
5 a souhaité aborder le sujet, et nous nous sommes saisis de l'occasion pour mieux comprendre ce
qu'est un ''adulte relais''. Nous en arrivons à aborder le sujet de la cantine en lien avec l'évolution de
la fonction d'adulte relais dans cet établissement scolaire spécifiquement. Madame nous dit que les
élèves de classe relais, n'ayant pas de cartes de cantine comme les autres élèves de l'établissement,
sont tenus de se présenter avec l'adulte relais à la cantine chaque midi. Elle déplore le fait que
10 maintenant, l'adulte relais ne déjeune plus avec les élèves le midi, ni l'éducatrice. Elle regrette que
ce temps du midi n'ait « plus de sens au niveau éducatif » étant donné l'absence d'adulte encadrant à
leur côté. Nous proposons à Madame K de commencer l'entretien proprement dit à ce moment de
notre échange.

15 Madame K : C'était... il y avait un peu de stigmatisation. Faut reconnaître. Un groupe qui arrive
euh...Même encore maintenant quand ils arrivent avec une personne identifiée... et qui fait en plus
que de la surveillance (elle parle de l'adulte relais). Euh…parce que avant on pouvait dire qu'on
partageait quelque chose ensemble. On discutait avec eux et cætera, y avait un côté convivial…
maintenant y a plus du tout de côté convivial, on arrive c'est purement administratif, c'est pour qu'ils
20 aient un plateau euh…et après l'adulte relais, enfin le CUI, s'assoit à côté et puis, de temps en
temps, pousse un cri quand ils se comportent mal quoi. Voilà! Bon, c'est vrai que ça peut gêner
certains élèves et ils peuvent avoir l'impression qu'ils sont mis à l'index, qu'ils sont stigmatisés. Ce
qui n'est pas complètement faux. Mais, comme je vous disais, avant les élèves ne pouvaient pas
aller en cour de récréation avec les autres. Ils pouvaient aller en récréation, mais en décalé. C'est à
25 dire qu'ils se retrouvaient à une dizaine dans la cour et que donc c'était extrêmement perturbant pour
eux, parce que pour eux, la cours de récréation, elle a du sens que si ils sont nombreux. Ils jouent
enfin ils …
Et la hiérarchie, enfin le principal, il disait clairement que c'était parce qu'il ne voulait pas qu'il y ait
de problème ?
30 Alors non, c'était une habitude comme ça, on fonctionnait comme ça. Moi quand je suis arrivée, ça
fonctionnait comme ça. La plupart des classes relais fonctionnaient comme ça. Euh...et puis pas
beaucoup se posaient de questions. Après on a commencé à se poser des questions et certains
établissements ont trouvé normal que les élèves (de classes relais) aillent avec les autres élèves en
récréation et d'autres établissements ont dit non. C'était le cas du notre, euh...donc moi pendant
35 plusieurs années j'ai essayé de convaincre. J'ai fini par convaincre un principal. On a fait des essais
mais dès qu'il y avait un problème... Si vous voulez, il y a toujours des problèmes avec les élèves !
Même les élèves qui ne sont pas de classe relais ! Y a des bagarres, il y a des conflits, il y a des
mauvais comportements. Même avec les élèves qui sont pas en classe relais. Mais les élèves qui ne
sont pas en classe relais, on va leur faire un rapport et cætera, mais on ne va pas dire ils n'iront plus
40 en récréation avec les autres. Euh!…mais nous, c'est arrivé, il y a très peu de temps. Il y a eu un
conflit de balle. Euh…soit disant, c'est certainement vrai d'ailleurs, nos élèves avaient pris la balle
d'autres élèves. Bon, des élèves de sixième, et ils avaient d'abord joué pour pas leur redonner et puis
ils l'avaient jetée, et un élève inconnu après avait pris la balle et on retrouvait plus la balle. La
menace qui est venue immédiatement par la surveillante, c'est puisque c'est comme ça ils ne vont
45 plus avoir le droit à aller en cours de récréation. On va leur interdire. C'est illégal d'interdire à des
enfants d'aller en récréation. On nous dit ben oui, c'est illégal, mais si vous les mettez tout seul (en
récréation)...Oui sauf qu'on est pas dans un zoo !
Oui
Hein ! Sauf qu'on est pas dans un zoo ! Euh, bon c'est pas. J'ai anticipé tout de suite la situation. J'ai
50 parlé avec des élèves et la situation est revenue dans l'ordre. Mais il y a toujours cette épée de
Damoclès. Maintenant c'est intégré, ils sont en récréation le matin, en même temps que les autres, et
après la cantine, en même temps que les autres. Euh... il n'y a que l'après-midi où ils ne vont pas en

68
récréation, mais ça c'est une décision de ma part, c'est parce que comme ils terminent à quatre heure
moins le quart, ce qui est relativement tôt. Euh... si il y a une récréation qui coupe avec le... quand il
y a une récréation en plus on perd du temps pour reprendre les choses en ordre parce que, bon! Ben, 55
c'est la population de classe relais qui est comme ça. Donc il n'y a pas récréation l'après-midi, mais
ils ont les autres récréations avec les autres élèves.
J'ai repéré que pendant les récréations il y avait euh…pas mal d'élèves qui…comment
dire...préféraient rester en classe ou …
Oui, oui, ils cherchent toujours, alors... encore là, on est en période pratiquement d'été maintenant. 60
Enfin on a un temps d'été. Euh...c'est moins fréquent, mais en période hivernale, alors là c'est
systématique. Ils ne veulent pas quitter la classe ! Mais même à cette période, vous avez vu, là ils
sont rentrés, il y en a un il m'a dit: ben moi j' préfère me mettre au travail plutôt que d'aller en
récréation. Ça j'ai pas encore réussi à comprendre pourquoi. L'hiver je comprends. Ils n'ont pas
envie de se faire mouiller, on a l'impression qu'ils sont en sucre. Euh!…le froid ils ne le supportent 65
pas. Tous les autres élèves, ça ne leur pose aucun problème, et les nôtres, c'est pour eux…
insupportable. Insupportable ! Donc euh...et je comprends pas pourquoi. Donc on en a beaucoup qui
veulent...alors ils proposent de faire des jeux, ils proposent de faire du ping-pong (il y une table de
ping-pong dans la classe relais), il y en a même qui iront jusqu'à proposer de finir leur travail !
D'accord! 70
Voilà, oui, mais c'est fréquent. C'est très fréquent. Mais beaucoup plus en période hivernale qu'à
cette période là.
C'est des moments du coup où ils sont plus calmes ?... Ou pas du tout ?
Pas forcément, non. De toute façon en classe relais dès que vous dépassez sept élèves vous n'arrivez
pas à avoir euh...une classe studieuse. On a eu cette année une classe studieuse, les trois quarts de 75
l'année. Cette dernière session on en a 11, c'est une catastrophe. On devait en avoir 12 hein !
D'accord !
Il y en a un qui n'a pas voulu venir.
Il y a une différence entre leur comportement en groupe et en individuel ?
Rien à voir ! C'est pas les mêmes. C'est d'autres élèves. En groupe, ils ont tendance à être insolents, 80
euh...à être paresseux, à être bruyants, enfin tous les défauts et les travers de l'élève de classe relais
qu'on peut imaginer. Dès que vous les prenez en individuel, même en groupe de 2, jusqu'à 2 c'est
d'autres élèves. Tout de suite ils recherchent la complicité, l'affect. Euh...tout de suite ils
s'investissent. Alors, il y a des exceptions, Hédi par exemple vous pouvez être en individuel avec
lui, il est tellement paresseux ! 85
Hedi ?
C'est celui qui est là depuis très, très longtemps (c'est à dire au moins 3 sessions de 7 semaines).
Euh! …
J'vais pas dire un petit black, ils sont tous black.
Mais il n'est pas là en ce moment ? 90
Non, il est malade depuis 2 jours. Euh, bon! En dehors de lui tous les autres euh..peut-être Samir
aussi, tous les deux sont de cinquième. Euh...mais les autres, vous les prenez en individuel, tout
spécialement les filles, euh... là, ils travaillent super bien ! Même si ils ont des difficultés, ils
s'investissent tout de suite dans leur travail...et ils deviennent des élèves très agréables ! Ils
deviennent très agréables ! Jamais en individuel, un élève sera insultant euh...méprisant. Euh...par 95
contre, ben là y en a un que j'ai exclu hier. J' lui ai dit « demain je ne veux pas te voir ! ». Euh, il
s'est super mal comporté, Salim. Alors que c'est pas un des plus durs. Mais hier il a été extrêmement
pénible et il nous a cassé la journée tout le temps. Euh…il a eu une attitude extrêmement sexiste,
méprisante à l'égard des filles et cætera...alors, c'était de la provocation. Mais néanmoins, même de
la provocation je ne peux pas l'accepter. J' lui ai dit « écoute euh ça suffit, demain, j'veux pas te voir, 100
tu restes chez toi. ». « j'veux pas de toi ! », mais bon, en fin de compte euh!...ça lui fait…il est plutôt
content quoi.

Oui, c'est l'impression que vous avez eu, quand vous lui avez dit ça.

69
105 Oui, enfin non. Il était vexé, je pense qu'il était vexé. Il était d'autant plus vexé que ben il savait
qu’il restait toutes les tartes aux fraises à manger (tartes aux fraises faites pendant l'atelier cuisine).
(Petit rire de notre part).
Parce que la nourriture pour vous euh...pour eux, c'est quelque chose de très important. Euh…il y a
des élèves, comme Hédi par exemple, qui ne font rien ! Qui ne veulent faire que de la cuisine parce
110 qu'on mange après. Et c'est une bagarre avec eux, euh! Ils arrivent (en classe) ils n'ont rien pour
travailler dans leur sac de classe mais c'est rempli de gâteaux, de bonbons et de bouteilles de soda.
Et ils sortent en récréation, ce qui est complètement interdit, avec des bouteilles mais des bouteilles
d'un litre ou d'un litre et demi, de soda et des poches entières. C'est pas maman qui a mis un pain au
chocolat dans un petit cellophane…
115 Mais c'est les parents qui donnent ça, ou c'est eux qui vont se l'acheter ?
Mais ils font pire que ça ! Les parents donnent l'argent et ils vont se l'acheter. Mais c'est incroyable,
parce que ils (les parents) ne vérifient pas les sacs. Donc Youssef, ce matin, il n'avait rien pour
travailler. Ils n'ont pas de stylo, ils n'ont pas de gomme, ils n'ont pas de trousse pour travailler. Ils
n'ont pas de feuilles. Voilà, ils viennent les mains dans les poches.
120 Ils ont des provisions quoi.
Mais ils ont des provisions. La plupart, la plupart. Là Gérôme, alors lui c'est énorme ! Euh tous,
tous à peu près, sauf Irvin, parce que, il ne doit pas avoir beaucoup d'argent à la maison. Voilà, ils
vont à Aldi (super marché), ils s'achètent de la nourriture. Ils arrivent le matin, ils ont la bouche
pleine déjà ! La première chose que je fais le matin, c'est bonbon poubelle, chewing-gum poubelle,
125 et cætera. Ils arrivent la bouche pleine.
Une fois c'était Édouard, c'est ça ?
Édouard, oui.
Edouard qui m'avait proposé des chips le matin.
Et pourtant Édouard…
130 Pourtant maintenant, il s'est mis de l'autre côté ( nous l'avions rencontré l'année précédente et il s'est
inscrit dans un CAP de boulanger pâtissier). C'est lui qui fait à manger.
Voilà et Édouard est issu d'une famille euh...une famille plutôt classe moyenne. J'crois que les deux
parents étaient fonctionnaires, lui territorial, elle d'état, je crois. Euh...la sœur était très très bien, très
impliquée.
135 Oui, elle faisait des études de psycho.
Voilà, et Édouard avait quand même des travers de…un petit peu différent...mais avait quand même
des travers des élèves de classe relais. Donc on voit quand même que l'éducation n'arrive pas à
stopper certains comportements.
Est-ce-qu'ils demandent de la relation individuelle ou est ce qu'ils n'ont pas cette demande ?
140 Oui, euh...oui, ils demandent de la relation individuelle. Et il y a même, là je vois Naïma qui était là
quand il y avait quatre élèves, qui s'épanouissait complètement parce que il y avait peu d'élèves et
que je travaillais individuellement avec chacun des élèves. Euh...quand ils sont arrivés à être douze,
c'était plus pareil. Elle me l'a dit qu'elle regrettait, que c'était plus pareil, et c'est parti en vrille
immédiatement. C'est à dire fugue.
145 Ah, oui.
Elle est partie en fugue quand même pas mal de temps, donc elle venait plus ici et elle ne revenait
plus chez sa mère non plus. Elle était en fugue carrément. Elle a été retrouvée par le commissariat
hein ! Ce sont des informations que j'ai eues par une fille du collège qu'elle connaissait. Euh…alors
on la voyait, elle était signalée à tel endroit, tel endroit, notamment sur les quais de gare. Mais
150 personne n'arrivait à la faire revenir chez elle. J' pense que le fait que on…quand elle est arrivée ici,
ses défauts qu'elle avait dans son collège ont complètement disparu parce qu'on s'est occupé d'elle
individuellement et, pour elle, c'était ce qu'elle attendait. Ça n'avait pas été identifié comme ça, mais
ça a été une révélation. Tout ce qui avait été signalé comme des problèmes de comportement…avait
disparu.
155 En fait, elle, et peut-être les autres, ils ne demandent pas ça (la relation duelle, plus d'attention) ils
ne demandent pas ça ...explicitement.

70
Ils ne le demandent pas, non. Mais on voit que quand on leur apporte, qu'ils changent
complètement. Enfin, elle, elle l'a verbalisé quand elle a vu les autres arriver mais sinon, ils ne le
demandent pas. Mais on se rend compte que, quand on arrive à travailler, en général, hein. Parce
que j'ai eu quelques élèves ça ne fonctionnait pas. Notamment l'année dernière avec Phillippe, j'sais 160
pas si vous avez connu un Aurélien.
Si, c'est celui qui a fait la peinture là-bas
Non, ça c'est un autre Aurélien. Non là c'était un Aurélien, bon faut dire que le pauvre, il portait
beaucoup sur ses épaules. Son père était décédé d'une overdose, sa mère était décédée d'une
maladie. Euh...il avait 13 ans, 12-13 ans, donc il était orphelin complètement. Une amie de sa mère 165
qui était également sa marraine, avait promis à sa mère qui savait qu'elle était condamnée, qu'elle
s'occuperait de son fils. Donc elle s'en occupait mais elle était complètement dépassée. Donc
comme il faisait que des bêtises, elle lui avait supprimé les clés. Donc il attendait qu'elle rentre du
travail le soir. Enfin bon, c'était très compliqué, il était extrêmement pénible, faut le reconnaître.
Tout le monde demandait à ce qu'elle quitte son immeuble parce que les gens ne supportaient plus le 170
gamin. Donc il portait tout sur ses épaules et il était extrêmement pénible, et lui, même le travail en
individuel, au contraire, il le refusait. La relation individuelle il la refusait. C'était comme un danger
pour lui. J'pense que de découvrir sa fragilité... D'ailleurs quand il est parti, il s'est confié à une
élève de la classe qui est venue me le redire et en gros ça voulait dire que il ne comprenait pas, lui-
même, ses accès de colère et ses refus d'aide, ses refus de proximité avec l'adulte. Il ne comprenait 175
pas pourquoi, mais c'était plus fort que lui, ça le submergeait. Il avait conscience que c'était un
problème, mais il ne comprenait pas pourquoi il était comme ça. À un moment il était seul, alors
faut dire que c'est compliqué quand vous avez qu'un seul élève. Au début de l'année, il était tout
seul, j'ai jamais pu véritablement travailler avec lui. Ça lui pesait complètement d'être seul. Alors
qu'il y en a d'autres, actuellement on est onze, qui voudraient être seuls. Il y a aussi des 180
contradictions qui font partie de leurs problèmes.
Euh!.. je sais plus maintenant ce que je voulais dire. Euh!.. oui, concernant l'autre Aurélien. Alors il
y avait un truc qui m'avait un peu interpellé, c'était déjà le fait qu'il change beaucoup de
comportement par rapport au dossier (dossier sur l'élève transmis par l'établissement scolaire
d'origine), apparemment il y avait eu des violences envers des filles. Et aussi, c'était l'éducatrice qui 185
m'avait dit ça, c'était le jour de l'exposition (exposition de peintures d'élèves de classe relais dans un
local associatif dans une grande ville de la banlieue parisienne) il avait été assez froid dans sa façon
de réagir aux compliments qu'on lui avait fait sur sa peinture. Voilà, c'était un peu... je me disais ;
comment ils réagissent aux compliments qu'on peut leur faire sur leur travail ?
Ça dépend parce que si vous voulez, si on parle d Aurélien par exemple, j'ai revu Aurélien cette 190
année. Pour une raison très simple, c'est qu'il s'est fait encore exclure d'un collège, un énième
collège et il a atterri ici. Dans notre collège
D'accord!..
Donc la première chose qu'il a fait, c'est venir me voir et quand il est arrivé, il a vu le tableau. Ah !!!
il a été scotché ! D'abord parce qu' il redécouvrait ce tableau, donc « oh ! Madame mais qu'est ce 195
qu'il est beau ! » Et cætera. Il a reparlé de cette période. Et là, il a embelli cette période, en fait avec
une véritable nostalgie et il était fier de ce qu'il avait fait avec ses deux camarades. Parce qu'ils
l'avaient fait à trois. Donc il en était extrêmement fier, et là les compliments il les acceptait, mais y
avait un recul de deux ans. Euh!…donc, lui, il avait pris de la maturité, et puis c'était plus vraiment
lui qui l'avait fait. C'était lui d'avant. 200
Lui d'il y a deux ans...
Voilà!, c'était l'enfant qu'il était. Donc, il avait un certain recul, et, ce qui est amusant, c'est qu'il a
demandé à retourner en classe relais. Donc le collège a refait un dossier classe relais. Mais le
collège ne voulait pas qu'il soit chez nous. Donc il avait été affecté chez nous mais le principal a fait
une intervention pour qu'il aille dans un autre classe et il a été à la classe de… (une classe dans 205
laquelle nous sommes intervenus). Mais lui voulait revenir ici parce que, en fin de compte, le fait
que j'ai affiché ce tableau comme étant quelque chose … à l'honneur quoi. Ça l'a valorisé et ça lui a
donné confiance en lui. Donc il a demandé à revenir ici comme si c'était un peu une potion magique

71
quoi. Alors que, ben, il est très compliqué. Donc, je lui ai posé la question. « Aurélien, tu veux
210 revenir chez nous, mais comment ça se passe pour toi maintenant ? ». « ben voilà, j'ai des
difficultés pour travailler mais le comportement ça va ». Ce qui était complètement faux.
Ils acceptent tous qu'on dise qu'ils ont des difficultés scolaires, mais les problèmes de
comportement, c'est beaucoup plus difficile à accepter pour eux. Quand on fait les entretiens
d'accueil on leur demande toujours, alors « pourquoi tu viens chez nous ? Qu'est ce qui a fait que tu
215 arrives chez nous ? ». Euh!, l'absentéisme, ils vont vous dire. « J'travaille pas assez, j'ai des
difficultés ». Voilà, ils vont vous dire ça assez facilement. Puis ben vous vous avez le dossier et puis
vous savez ce qu'il y a dans le dossier. Donc « c'est tout ? » vous êtes obligé de les solliciter. Ils
vont dire ben « oui j'ai pu avoir un problème avec des profs », avec mes camarades mais ça a du
mal à sortir comme si c'était un peu honteux pour eux. Alors pas tous. Y en a qui affichent ça
220 comme un fait de guerre, comme...
Ils ne sont pas si fiers que ça de leur comportement
Y en a si, ils mettent ça en avant, mais pas tous, pas tous. La plupart en entretien d'accueil, ils
parlent d'abord de leurs difficultés scolaires, de leur manque d'intérêt et faut les resolliciter pour
avoir les problèmes de comportement. Pareil pour les conseils de discipline et les exclusions, ils ne
225 le disent pas volontairement.
Est-ce-qu'ils ont, la plupart, des vrais difficultés scolaires ?
Oui mais...pas par manque d'intelligence. Parce que ils ont décroché depuis un certain temps, ou ils
peuvent avoir quand même quelques difficultés de compréhension et les choses se sont accumulées
au fil du temps. Donc ce qui était un petit problème au départ et ben, d'années en années, c'est
230 devenu une grosse lacune quoi!. Mais il y en a qui sont surprenants. Jérôme par exemple, qui est
complètement caractériel, donc lui qui relève de la psychologie ou de la psychiatrie hein!,
complètement, est un garçon étonnant, d'une curiosité fantastique. Il s'intéresse à plein de choses. Il
a des intérêts quelque fois d'adulte. Il s'intéresse à la politique, il s'intéresse à l'histoire, il s'intéresse
à la géographie, il s'intéresse à la littérature. Il s'intéresse pas spécialement au travail scolaire en tant
235 que tel, mais beaucoup de culture, beaucoup de culture. Ben! je crois que je vous l'avais dit; un jour
on était allé faire les courses en face à Aldi, parce que je les embête toujours pour aller faire les
courses, mais là on y était allé à pied; donc là on discutait et d'un seul coup il me dit « madame vous
pourriez nous faire un cours sur l'affaire Dreyfus ? ». Ou alors il me parle politique. L'autre jour il a
voulu lancer un débat sur la peine de mort. C'est un peu radical son histoire de peine de mort.
240 Voilà! parce que lui, tous à la guillotine, « à la française ! », m'a-t-il dit.
D'accord.
« à la française »! Je lui dis « c'est quoi à la française ? » Couic ! La guillotine. J'lui dis, « moi tu
vois j'suis un peu plus modérée que toi ». Je pense que la peine de mort c'est pas dissuasif pour les
autres, et puis c'est plutôt barbare, donc, euh!... enfin! mais vous ne trouvez pas normal quand
245 même. Donc il, bon, c'était un véritable discours philosophique. J'dis mais attend là c'est, c'est ''œil
pour œil, dent pour dent''. On est dans l'ancien testament dans ce que tu es en train de me dire, la
société elle a évolué quand même depuis. « Oui mais, non, justement c'est pour ça que ça va mal. »
donc voilà on a eu des grandes grandes discussions. Mais il est très très intéressant.
Est-ce-que les élèves de classe relais ont des demandes comme ça de travailler des « trucs » ou de
250 faire des débats ?
Oui, oui. Euh! ben, je ne l'ai pas fait beaucoup cette année mais les autres années tous les matins
quand ils arrivent, pour les poser un petit peu. Parce que souvent ils arrivent un peu en vrac, soit
parce que ils n'ont pas beaucoup dormi la nuit parce qu' ils sont restés sur les jeux, ou au téléphone,
ou devant l'ordinateur, et cætera. Ou alors ils se sont déjà pris la tête dans le train avec un contrôleur
255 parce qu'ils n'avaient pas de titre de transport ou avec leurs parents. Enfin ils arrivent déjà avec un
bagage de problèmes, donc plutôt qu'ils continuent de s'énerver, donc on se pose et on prend un
fait : qu'est ce qu'il s'est passé dans l'actualité. Est-ce-que vous avez regardé les actualités? Alors ça
peut être quelque chose de sportif, ça peut être quelque chose de politique. Donc on en discute, c'est
assez intéressant d'écouter tout ce qu'ils pensent. Ils sont moins ouvert que les adultes, ils sont très
260 intransigeants. Ils sont dans la punition. Euh!.. ce qui est curieux parce que, eux, quand on veut leur

72
appliquer des punitions ils crient toujours à l'injustice et au scandale. Mais eux sont …
Pour les autres, ils sont dans la punition ?
Ah ben pour
Pas pour leur camarade de classe par contre, si ?
Ça peut être, quand ils ressentent de l'injustice, il peuvent demander de rétablir des sanctions. Mais 265
c'est surtout pour les gens en général. Alors ils ont des idées toutes faites. Par exemple sur
l'homosexualité. Alors là c'est… ils sont redoutables !
C'est à dire.
Ah! ben, c'est à dire que ils demanderaient... c'est tout juste si ils ne demanderaient pas la peine de
mort pour l'homosexualité. Donc quand on a parlé du mariage pour tous et cætera, alors là c'était 270
terrible, terrible !
C'est un sujet qui revient souvent l'homosexualité ?
Euh! l'homosexualité les tracasse, oui. Ça les tracasse et pour eux c'est quelque chose d'infâme, de
contre nature. Et ben Jérôme me dit l'autre jour, ben « madame vous voyez bien ! Vous voyez !
Prenez un lion, le lion il va chercher une lionne, il va pas chercher un autre lion. Vous voyez bien 275
que ce n'est pas normal si un homme va chercher un autre homme. C'est pas normal. Parce que le
lion lui va pas le faire. Donc vous voyez bien que si c'est pas normal. Il faut pas laisser faire. ».
donc je lui dis « qu'est-ce-que tu proposes ? ». Alors là des solutions vraiment radicales. Mais il
n'est pas le seul. Il y a même eu une grande discussion, on a eu de grandes discussions, ça c'est fini,
je les ai accompagnés à la cantine exceptionnellement. Il y avait justement une fille qui disait donc 280
« moi, j'ai des camarades filles qui sont homosexuelles, c'est quand même mes camarades ». Donc
y a eu des discussions. Est-ce-que c'est moins pire quand c'est des filles ou c'est des garçons ? Mais
pour eux oui c'est quelque-chose d'inadmissible. Ils ne comprennent pas que la société soit aussi
laxiste. Mais pour d'autres choses aussi, pour plein de choses. L'autre fois on a eu une discussion
parce que Naïma est arrivée en djellaba. Alors elle arrive en djellaba, un turban, euh!... des 285
tatouages au henné partout, bon c'était le ramadan quand même. Donc on téléphone à notre
principal pour dire « qu'est ce qu'on fait ? » « elle n'a pas droit de sortir en récréation. », bon
d'accord. Donc les autres, « ah, elle a pas le droit de sortir en récréation » et le débat s'enclenche.
Alors le débat porte sur quoi : « c'est injuste ! on a le droit de s'habiller comme on veut ». je dis
« oui, mais vous êtes dans un établissement publique, laïque et donc les marques de religion ne sont 290
pas autorisées » donc « ah ouais ! mais vous préférez les filles qui viennent en mini jupes. ça c'est
scandaleux madame ! ». Donc il y a eu un grand débat. Alors parmi tous les élèves qu'un seul
d'origine française, tous les autres viennent d'Afrique ou d'Afrique du Nord. Tous ne sont pas
musulmans mais sur l'homosexualité qu'ils soient musulmans ou pas musulmans...
Ils se retrouvent unis 295
Ils se retrouvent, par contre hier, on a eu un débat, c'était sur quoi … sur l'abattage des animaux.
En tout cas, il n'y a pas besoin de trop les pousser pour qu'il y ait une dynamique de débat, quoi?..
Ah non!, alors là. Le problème c'est que ils ne sont pas ouverts euh!...
Ils ne sont pas ouverts à ce que vous pouvez …
Non, mais ils ne sont pas ouverts aux autres. Pas à ce que je leur propose moi, parce qu' ils partent 300
assez volontiers dans le débat, c'est pas un souci. Mais, oui! ils sont très intransigeants, très durs et
il faut de la représaille. Il faut de la sanction, il faut de la représaille. Pour eux, ils fonctionnent
comme ça. Je sais pas si c'est spécifique aux classes relais ou si c'est pareil avec tous les élèves de
collège, je sais pas. Si c'est une période dans leur vie, comme ça. Peut-être aussi, peut-être que les
autres élèves de collège ont ce côté. C'est pour ça qu'on fait des interventions (auprès des élèves de 305
collège) pour qu'ils soient un peu plus acceptant des autres et de leurs différences. Ils acceptent pas
les différences en fait, très très peu. C'est … mais bon on arrive à débattre quand même. Hier c'était
sur... comme on faisait atelier cuisine. On faisait des légumes et il y avait des lardons. Celui qui
n'était pas musulman il a fait avec lardons, celui qui était musulman, il a fait sans lardons. Et un
moment il y en a un qui me dit «est-ce-que c'est du hallal ?». Je dis non moi je n'achète pas du 310
hallal. Ici il n'y a pas de hallal qui est servi dans l'établissement. Oui mais c'est pas normal, le hallal
c'est mieux et cætera. C'est de la meilleure viande et tout. Je dis non, « non t'as rien compris, le

73
hallal c'est une façon de tuer les animaux c'est pas une façon de les élever ». Donc on a discuté sur
l'abattage des animaux et je me suis rendu compte qu'ils n'y connaissaient rien du tout. Souvent ils
315 ont des idées toutes faites, ils ne connaissent pas.
Bon ça c'est pour ...
C'est pour tout le monde
C'est pour tout le monde oui, et donc le sentiment d'injustice, c'est fréquent qu'ils l'expriment ?
C'est fréquent oui. Mais ils peuvent en jouer. Hier ils m'ont cassé mon balai tout neuf,
320 volontairement parce qu' il a fallu vraiment y mettre de la force pour le casser. Euh! immédiatement
ils m'ont dit « c'est Irvin. », sachant qu'Irvin était parti chez le médecin, donc il ne pouvait pas se
défendre. Donc ce matin je remets l'histoire du balai « qui a cassé le balai ? si personne ne se
dénonce,quand je recevrais les parents, je demanderais à chaque parent 1 euro pour racheter un
balai ». Irvin était là « mais madame, j'ai jamais cassé le balai » mais comme il est très menteur, on
325 ne savait pas trop. Et, en fin de compte, celui qui l'avait cassé c'était Salim, il était allé s'en vanter à
d'autres. Et donc c'est lui qui...j'sais plus pourquoi je vous disais ça,
C'est par rapport au sentiment d'injustice
Voilà et donc Irvin était offusqué ! Offusqué ! Alors il ment tout le temps. Il a été pris en flagrant
délit de mensonges, mais des gros mensonges, des mensonges énormes. Il m'a fait quand même une
330 lettre signée par sa mère où il me demande à ne pas venir à l'école pendant deux jours parce que ses
grand-parents, qu'il n'a pas vus depuis trois ans, viennent chez lui et cætera, et il me demande ma
compréhension, ma complaisance. Enfin il a fait une lettre d'adulte. En fait il est allé sur internet
récupérer un modèle et à la fin il met... Euh! parce que en même temps il y' avait pour le stage...
enfin la soi-disant mère, enfin … (interruption par un appel téléphonique).
335 En fait ces enfants, ils attendent tellement de vous qu'ils ont un côté attachant.
Vous voyez le sentiment d'injustice au fait qu'ils attendent beaucoup de choses ? Parce qu'ils sont
déçus …
Alors ils peuvent avoir un sentiment d'injustice uniquement parce que j'ai interrogé deux fois l'un et
pas l'autre. Ou interrogé trop souvent lui qui se trouve en difficulté, ça marche dans les deux sens.
340 Donc le sentiment d'injustice, ça peut être pour des petites choses. Ça peut être, bon y en a un qui
fait des propositions, j'retiens pas la proposition, il a un sentiment d'injustice. Pour des choses sans
importance. Oui, la justice pour eux est extrêmement importante, alors qu'ils sont toujours à essayer
de ne pas la respecter. Oui, il sont remplis de contradictions.
Oui, oui. Euh... et vous disiez que… qu'y avait une différence entre ceux qui arrivent jeunes et ceux
345 qui sont « âgés ».
C'est pas le même comportement, c'est beaucoup plus difficile de travailler avec ceux qui sont plus
jeunes. D'abord ils ne voient pas l'intérêt de la classe relais, ils le ressentent beaucoup plus comme
une sanction, comme une exclusion. Alors que les quatrièmes, troisièmes, surtout les troisièmes, ils
savent qu' il y a un enjeu d'orientation et cætera, et qu' on peut les aider. Donc ils l'acceptent
350 beaucoup mieux. Les cinquièmes, ben, on les coupe de leurs copains et cætera, et c'est, même si il
peut y avoir des élèves qui se comportent autrement, c'est général. Mais, là par exemple, Hedi (en
cinquième) ne veut pas retourner dans son collège. Je n'arrive pas à m'en débarrasser, j'ai demandé à
le garder la dernière session encore, avec de l'inclusion dans son collège, dans son propre intérêt,
parce que sinon, il va être en quatrième l'année prochaine, il va débarquer. Parce qu'il est arrivé là
355 (classe relais) par conseil de discipline, donc il n'est jamais allé dans son collège parce que c'est son
ancien collège qui a fait le dossier. Donc il est arrivé là (au collège de rattachement de la classe
relais) et immédiatement il est venu chez nous. Donc on fait de l'inclusion le mercredi matin mais je
sais qu'une fois sur deux il n'y va pas. Ça veut dire qu'en septembre il va arriver complètement
perdu. Donc j'ai dit la dernière session il faut qu'on fasse de l'inclusion. Donc c'est facilité parce
360 qu'il a juste la cour à traverser. Donc on choisit une matière par exemple ou deux et il va poursuivre
ses matières dans son collège. Ben j'ai pas réussi encore à l'envoyer, on n'y parvient pas, parce qu' il
ne veut pas y aller d'abord, il pleure. Il pleure dans la classe pour ne pas y aller!
D'accord!
Ah oui ! C'est épouvantable ! Il ne veut pas aller dans son collège... et le collège n'a pas trop envie

74
de le récupérer non plus. Donc il est toujours là. Bon, là il est malade depuis hier, il était malade 365
mardi et sa mère a téléphoné en disant qu'il était malade; donc il est malade depuis deux jours mais
sinon, il arrive le matin à l'heure, il n'est jamais absent ! Jamais. Il est tout le temps là ! Il ne veut
rien faire, que de la cuisine. Mais il est tout le temps là. Et il ne veut pas aller dans son collège; mais
il en pleure pour ne pas aller dans son collège, et on a pas d'autres choix que de le renvoyer dans
son collège. Parce qu' il a douze ans et demi, il a douze ans même, il n'a pas treize ans. Donc il est 370
bien obligé de retourner dans son collège.
Et dans la relation avec vous, quand ils sont jeunes ou plus âgés ce n'est pas la même chose ?
Si il y a des choses qui se ressemblent, c'est comment ils abordent la classe relais, comment ils la
ressentent. Quand ils sont en sixième, cinquième ils le ressentent beaucoup plus comme une
exclusion de leur classe. Quand ils sont en troisième ils se rendent compte qu'il y a des enjeux, qu'il 375
faut le faire, que c'est le dernier moment pour le faire. Donc ils acceptent plus facilement. Et ils ont
une histoire souvent compliquée, une scolarité chaotique. Alors que quand ils sont en sixième,
cinquième ils n'ont pas encore cette conscience là.
Ils n'arrivent pas avec une scolarité compliquée en élémentaire ?
Alors ça, c'est le sujet. On a jamais les dossiers de l'élémentaire. Donc quand on les écoute c'est dès 380
qu'ils sont arrivés en sixième que tout a commencé. Les familles aussi, hein!. C'était... tout allait
bien. Alors y en a qui disent: non! ça n'allait déjà pas bien en élémentaire, en primaire. Ça n'a fait
que se renforcer, et y en à d'autres: « non c'est venu d'un seul coup comme ça ». Alors quelquefois
c'est vrai.
Généralement dans leurs discours, les familles disent qu'il n'avait pas de problème en élémentaire ? 385
Oui en général. Alors quelquefois c'est vrai, le collège est tellement différent, dans son organisation,
de l'école primaire. L'école primaire ils sont quand même très portés, entourés. Les familles
encadrées. Ils arrivent en collège, on leur demande d'avoir de l'autonomie, c'est complètement
différent.
Sur le plan de l'autonomie vous trouvez? Enfin, bon, ils ne sont pas très autonomes ? Ça dépend 390
pour quoi en fait, non ?
Ils ne sont pas autonomes pour le travail scolaire, ils sont autonomes pour le reste. Notamment pour
les transports, ce sont des gamins... ils sont très très mobiles. Ils vont partout, ils connaissent la
région très très bien. Puis ils connaissent plein de gens! Ils connaissent plein d'élèves et cætera
parce que comme ils sont très mobiles. Ils ont une forme d'autonomie euh!.. pratique pour leur vie 395
personnelle. Mais autonomes dans le travail scolaire, ça c'est autre chose.
Et dans les stages ?
Dans les stages, c'est tout blanc ou tout noir. Quelquefois ça se passe très bien et les employeurs
sont très satisfaits, mais quand ça ne se passe pas bien c'est catastrophique. Irvin qui est là, il a déjà
fait deux ou trois stages, il n'y en a qu'un qui s'est passé à peu près bien. 400
Pourquoi catastrophique ?
Ben déjà, le premier stage, il a quitté le stage avant la fin au prétexte qu' il y avait une fille qui, elle
n'était pas en stage, était une employée et ne faisait pas son travail. Donc il ne voyait pas lui
pourquoi il ferait quelque chose, il resterait à faire son stage alors qu'il y a une employée qui ne fait
pas son travail. On retrouve le sentiment d'injustice là. Alors je lui ai dit bon « si t'as un élève qui en 405
classe dort sur sa table, tu ne vas pas demander à dormir sous prétexte qu'il y en a un qui dort. Ben
là c'est pareil ». Mais n'empêche que pour lui c'était révoltant. Et puis le deuxième stage, il n'a plus
voulu continuer, mais de toute façon l'employeur ne voulait pas le garder parce qu' il a vu à la
caméra qu'il lui volait des jus de fruit. Alors lui il dit « mais non, je n'ai pas volé des jus de fruit, j'ai
pris des jus de fruit périmés ». Qui a raison, qui a tord, n'empêche que l'employeur n'en veut plus. 410
Le vol en classe relais, soit des suspicions de vol, soit des vols qui se passent vraiment. Est-ce-que
c'est dans l'atmosphère ?
Alors en classe relais et à l'extérieur. Ils en parlent oui, oui ils en parlent. Ils parlent quelquefois
d'eux-mêmes ou de certaines personnes qui sont dans cela. Oui, oui, ils en parlent. Et puis en classe
relais on s'est déjà fait voler. Ils se volent entre eux. Si il y en a un qui laisse sa trousse, le 415
lendemain il n'y a plus rien. Un peu comme une prise de guerre.

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Et du coup quand ils se volent entre eux, après ils viennent vous voir, ou ils règlent ça entre eux ?
Ben des fois nous on met notre grain de sel pour essayer de récupérer des choses mais ils nient
toujours tout. C'est jamais eux.
420 Et donc, dans le quotidien de la relation avec les élèves, au niveau plus affectif, quels sentiments
vous traversent le plus fréquemment dans la relation avec eux, ou quels sentiments vous traversent
ou vous submergent aussi des fois ?
Moi je me sens assez proche d'eux et ils peuvent avoir de véritables élans de générosité. Bon par
exemple hier, y en a deux qui sont revenus. Je les ai raccompagné à la grille parce que j'étais toute
425 seule, après qu'ils aient mangé leur tarte aux fraises. Et il restait plein de chose à faire, plein de
travail. Ils en étaient conscients, mais je pouvais pas les garder. Donc ils sont partis déjà plus tard. Il
y en a deux qui sont revenus après que je les ai raccompagnés pour me dire madame, « si vous
voulez on peut venir vous aider ». Donc ils ont, par moment, des moments de générosité comme ça
de gentillesse. Ou alors ils vont me proposer de m'aider pour pas que je me fatigue et cætera, bon.
430 Oui, il y a, comment dirai-je?.. une certaine gentillesse comme dans une famille. J' crois que c'est le
fait qu'on vive toute la journée ensemble. Ça crée des liens presque personnels, même si moi euh...
alors ils veulent toujours connaître des choses, où j'habite, si j'ai des enfants, si j'ai un mari et
cætera. Bon je leur dis le minimum toujours parce que je veux pas rentrer dans ce jeu là. Mais bon
je leur ai dis par exemple, oui j'ai des enfants, j'ai des petits enfants. J' habite …., bon ça ils le
435 savent mais bon je veux pas rentrer dans d'autres modes plus personnels parce que c'est pas, on a
pas à le faire en tant qu'enseignant et puis ça peut être quand même très très dangereux.
Du coup vous sentez que, si vous ouvriez un peu plus, ils s'engouffreraient dans quelque chose
quoi ?
Oui, oui,oui, oui. Je pense qu'ils ont besoin de ce lien pour montrer qu'en fin de compte ils sont pas
440 si terribles que ça, quoi. Je crois qu'ils ont envie de montrer que leur réputation est très surfaite et
c'est souvent le cas d'ailleurs. Je vois Sandra, quand vous regardez le dossier de Sandra vous vous
dites « zut! On va pas rigoler tous les jours. ». Quand elle est arrivée ici pour l'entretien d'accueil,
complètement fermée! L'ennemi! elle avait en face d'elle l'ennemi. Elle refuse de signer le
règlement de la classe, refus. Elle dit mais « moi je donnerai jamais mon téléphone portable, je
445 refuse de signer ». Donc moi je reste sur ma position, je lui dis:« ben écoute si tu refuses de signer
le règlement, on peut pas te prendre. Donc moi je te donne trois jours pour réfléchir. Si dans trois
jours tu ne donnes pas de réponse ou que tu es toujours sur la même position, on ne te prend pas. ».
deux jours après elle nous appelait pour nous dire, « j'accepte de donner mon téléphone potable »
parce que ça bloquait sur ça. Elle a toujours donné son téléphone portable alors que d'autres qui ont
450 signé, ne respectaient pas, c'était une bagarre. Elle, elle n'a pas signé le règlement et elle fait tout ce
qu'on lui demande, elle respecte tout. Donc quelquefois vous avez des gamins qui sont vraiment,
qui ont l'air, compliqués, et quand vous instaurez une relation un peu étroite, pas forcément
personnelle mais étroite, rapprochée euh... ça libère plein de choses chez eux; et vous voyez des
facettes comme ça qui, qu'ils laissent sortir de leur personnalité, des facettes de gentillesse, de
455 serviabilité, d'envie de réussir, parce qu'en fin de compte « on s'en fout ! » « l'école on s'en fout ! »
et cætera. Puis au bout du compte ben ils ont envie d'avoir des bonnes notes, ils ont envie de réussir,
ils ont envie... ben qu'on les aime, ils ont envie qu'on ait confiance en eux, et cætera. Mais quand
vous voyez les dossiers ou quand vous les recevez, vous avez l'impression...mais qu'ils sont
monstrueux, quoi!. Et ils peuvent être monstrueux parce que quand ils font tout leur ''pataquès'' là,
460 c'est assez désagréable. Mais c'est fini quand on les prend tout seul.
Eh oui!.
Terminé, on voudrait pouvoir les isoler à chaque fois, leur parler. Quand ils sentent qu'ils ont gagné
la confiance de l'adulte, alors là c'est des crèmes, je dis bien des crèmes! Mais quand ils sentent
qu'ils n'ont pas encore la confiance de l'adulte, on est vraiment l'ennemi.
465 Et vous ressentez ça, que vous êtes l'ennemie?
Ah! ben oui, ils vous font toutes les vacheries possibles, sans arrêt, des petits trucs mesquins. Euh,
là, Salim, hier, il a fait fort quand même, il a cassé le balai et il est allé sur le bureau où il y avait
une boîte de 2000 agrafes quand même, et les agrafes, il y en avait partout dans la classe. Pour

76
enquiquiner, là c'était uniquement pour enquiquiner. C'est parce que je pense qu'il a l'impression de
pas avoir trouvé sa place et il a raison parce que je ne me suis pas occupé de lui. Du coup il se 470
débrouille pour vous le faire ressentir quoi.
Je suis certaine. Pourquoi je ne me suis pas occupé de lui? parce que je l'ai confié à monsieur G
(l'adulte relais). Je me suis arrangé pour le faire travailler tout seul quand il y a monsieur G, et à
aucun moment je me suis assise à côté de lui et j'ai voulu travailler avec lui. Parce que j'ai mis la
priorité sur les troisièmes et lui est en cinquième. Donc vous voyez, de toute façon lui c'est retour 475
collège. Donc comme j'ai pas le temps pour tout le monde…
Mais ça doit être à chaque session ce sentiment de ne pas pouvoir s'occuper de tout le monde.
Oui mais, on a pas toujours des petits comme ça. Quand ils sont plus grands, on peut tabler
d'avantage sur leur autonomie. Mais là en cinquième ils ne sont pas du tout autonomes. Ils ne savent
pas organiser leur travail, ils ne savent rien faire tout seul. Et bizarrement j'ai dit « je n'en peux plus! 480
tu ne me parles pas comme ça! » il me tutoyait, il me parlait mal. « sinon j'appelle ton père ». j'ai
appelé son père, il était en récré. Le père me dit ben « vous me rappelez quand il est rentré de récré,
je vais lui parler ». Il a parlé avec son père, il est revenu en classe, il était différent. J'suis pas sûre
que c'est seulement la peur de son père. C'est qu'en fin de compte, le fait que j'ai téléphoné à son
père, même si c'était pour une sanction quelque part, je m'étais occupé de lui, personnellement. Et 485
donc ça créait une relation qui se ressentait pas avant. Donc lundi il va falloir que je m'occupe de lui
parce que sinon il va me pourrir la vie. Parce qu'il a une capacité …
Donc en gros l'ennemi c'est celui qui ne s'occupe pas d'eux finalement?..
Ah oui!, ils ont besoin qu'on s'occupe d'eux, oui.
Mais ça n'a pas de limite cette demande. C'est une demande sans fond un peu non ? 490
Ça peut être une demande sans fond, puis il y en a ça peut être à un moment donné puis après ils se
reconstruisent. J'pense que ça vient du fait aussi que beaucoup de nos élèves, comme ils ont des
problèmes scolaires et comme ils ont des problèmes de comportement, ils sont souvent exclus de
classe ou ils sont souvent mis de côté. Parce que c'est des irrécupérables et on va pas perdre du
temps avec des irrécupérables... on va s'occuper de ceux avec qui on a une chance de faire aboutir 495
quelque chose. Donc, quand ils viennent ici, ben ils attendent que ça change et qu'on les reconnaisse
avec leurs qualités, parce qu'ils estiment qu'ils ont des qualités. Ils ne s'estiment pas complètement
mauvais, la seule chose qu'ils veulent c'est le montrer.
Donc oui ils montrent qu'ils ont des attentes quand même envers la classe relais, ils n'arrivent pas
sans attentes ? 500
Il y en a qui sont dans le déni de tout. Y en a on peut pas travailler, on peut pas communiquer. Ils
rejettent tout. J'ai vu des élèves rester six semaines à ne rien faire. Arrivés et repartir dans le même
état sans rien faire, simplement en envoyant des insultes et tout. Mais la plupart ils essayent de
combler les lacunes sans être trop courageux mais surtout qu'on leur donne à nouveau confiance. Ils
ont envie de gagner la confiance, ils ont envie de montrer qu'ils peuvent faire quelque chose comme 505
les autres. Ils ont envie d'être comme les autres de pouvoir réintégrer une classe comme les autres.
Ça marche pas toujours parce que nous souvent on nous rappelle (les collèges rappellent après une
session en classe relais), « est-ce-que vous nous le reprendriez ? C'est ça ou c'est l'exclusion. »
Justement au niveau de l'exclusion. Est-ce-qu'il y a des choses qui peuvent faire qu'il sont exclus de
classe relais ? C'est quoi la limite en fait ? 510
Elle est loin la limite. Mais j'ai déjà demandé, de mémoire, deux ou trois conseils de discipline, je
sais plus. Deux, sûr! Le premier c'était une fille, moi je n'avais pas vraiment de problème avec elle,
mais elle était extrêmement violente avec les autres. Elle tapait, elle faisait partie d'un gang de filles.
Une fille magnifique, haïtienne, très belle fille, très sportive et un jour elle a envoyé un gamin à
l'hôpital. Alors déjà, elle a commencé ici. C'était un petit merdeux, mais ce qu'elle a fait était pas 515
normal. On était à l'atelier cuisine et on mangeait tous ensemble et à l'époque on habitait déjà à
l'extérieur. Elle, il y a un gamin qui était à côté de moi qui lui dit « ah t'es amoureuse » d'untel et
tout. Elle a pas apprécié elle a pris sa fourchette, elle lui a planté sous l’œil. Donc ça c'était une
première alerte, donc j'ai fait un rapport d'incident. Quelques jours après, ça c'était passé compliqué
dans la journée avec les autres. J'étais en train d'appeler sa mère au téléphone pour lui dire. Les 520

77
élèves étaient partis. Elle prenait le bus scolaire. Pour lui dire, ces violences ça peut devenir
dangereux. Faudrait voir ce qu'on peut faire et tout et tout. Mais sa mère me disait: « mais je ne
reconnais pas ma fille dans ce que vous me dites. Ma fille n'est pas comme ça » tatati tatata... et
pendant qu'on se disait ça elle était dans le bus scolaire et elle a attrapé un petit de sixième de
525 SEGPA et elle l'a tapé avec une telle violence, la tête le long de la vitre du bus que le gamin a perdu
connaissance et il a fallu appeler les pompiers et il est parti à l'hôpital. Donc à l'époque les élèves
étaient inscrits dans notre collège. Donc j'ai demandé un conseil de discipline. Et le deuxième c'est
celui qui m'avait volé mon téléphone. Alors là c'est l'autre méthode, c'est à dire ils sont toujours
inscrits dans leur collège. Et le conseil de discipline a eu lieu dans son collège et il a été exclu
530 définitivement aussi.
Et l'année dernière, je pensais que Kevin avait été exclu ?
Non il n'a pas été exclu, mais il n'a pas été renouvelé. Parce que c'est à dire que, quand j'ai des
élèves comme ça, je ne suis pas maso hein, je les renvoie dans leur collège. De toute façon, quand
on a un élève comme ça, il casse complètement le groupe. Donc je les garde assez longtemps les
535 élèves quand ils le souhaitent. Donc quand on fait les bilans je demande aux familles est-ce que
vous voulez qu'il reste ou qu'il retourne dans son collège et cætera. Et si la famille dit: « non non
moi je veux qu'il retourne dans son collège. » je n'insiste pas, je demande un retour collège. Si les
familles préfèrent qu'il reste et que l'élève veut rester aussi, ben je propose à ce qu'il reste et on
continue à travailler. Mais y en a à qui je demande même pas, Kevin euh... bon Kevin c'était un peu
540 spécial, le père travaillait beaucoup, il travaillait dans le bâtiment et il s'occupait beaucoup de son
fils, la maman était sourde-muette et le papa était complètement dépassé et je pense qu'il avait un
problème Kevin. Il était hyperactif ce gamin, il avait quelque chose. C'était pas un méchant gamin,
mais c'était un gamin... mais ça devait être épouvantable de vivre avec lui. Elle arrêtait pas, elle
arrêtait jamais, jamais, jamais.
545 Il ou elle, c'est il
Il oui mais Laure qui était avec lui tout le temps, alors elle c'était, elle insultait son père. Les parents
étaient séparés. La mère n'en voulait plus elle l'avait renvoyée chez son père. Le père adorait sa fille
mais essayait de cadrer les choses [ nous passons cette partie de l'entretien où Madame K nous
décrit la problématique de cette élève sur le plan familial. Pour ce qui concerne son comportement
550 en classe, Laure avait un comportement trop sexualisé avec les garçons et affabulait souvent par
rapport à ses expériences de vie à l'extérieur et dans sa famille.] et donc Kévin était avec elle. C'était
sa copine, enfin sa copine de classe.
J'ai été marqué par la proximité physique. Enfin déjà je trouve qu'ils ont beaucoup tendance à se
toucher.
555 Ah alors là! alors là oui, c'était Laure, Laure elle était tout le temps à vouloir s’asseoir sur les
genoux des garçons, il y avait vraiment une relation d'hyper proximité. Elle en excitait pas mal. Non
non! il y avait des moments un peu difficiles. Alors que vous en tant qu'adulte si vous les effleuriez
c'est insupportable. Quoi que cette année, beaucoup moins. Mais je vois avec Mr G (adulte relais)
l'année dernière avec Kevin, ça s'est... ça a été compliqué avec Mr G, parce que le Kevin il lui avait
560 donné un surnom et moi je ne savais pas ce que ça voulait dire, Gotchi. En plus ils étaient en
révolte contre Mr G; cette année il le fait moins, mais il arrêtait pas de les toucher, de les titiller
comme ça et eux ne supportaient pas. [nous passons sur l'anecdote, mais il nous semble important
de retenir que les élèves n'aiment le contact physique avec l'adulte.] Moi c'était avec la gamine là,
Laure, un jour on s'était disputé du fait de son attitude et elle m'avait traitée de sale vieille, enfin bon
565 et cætera. Ça avait été assez horrible. Bon elle ne m'en veut pas et puis moi je ne lui en veut pas non
plus parce que elle est venue elle était contente de me voir (lors d'une visite de Laure dans la classe
relais).
Oui, oui. Oui c'est souvent comme ça de toute façon enfin …
L'année dernière on a eu des élèves beaucoup plus compliqués que cette année. Il n'y avait pas que
570 Kevin, il y en avait d'autres qui étaient compliqués. Mais Kevin était particulièrement agité. Et
pourquoi vous vous rappelez de lui ?
Euh ! Ben, déjà parce que je voulais savoir comment il s'appelait, parce que je pensais que c'était

78
Warren mais en fait c'était Kevin.
Warren c'est cette année
Voilà et euh ! Parce que j'avais en mémoire qu'il avait été exclus de la classe relais et en fait non il 575
n'a pas été renouvelé. Et en fait c'est pour ça que je me demandais … je pensais que c'était un cas à
part, vu que je pensais qu'il avait été exclu. Puis je l'avais rencontré une fois et je le trouvais aussi
extrêmement agité même en individuel.
Même en individuel
Et dans une grande proximité avec la fille aussi (Laure). 580
Mais Laure elle pouvait être dans la grande proximité avec plein de garçons à la fois et elle ne
pensait qu'à ça puisqu'elle allait sur internet pour ça et elle partait le week-end pour ça. Ça vraiment
la titillait quoi. Et les garçons qui sont moins matures, ben au début...euh ! pour eux c'était de la
gentillesse, de l'affection. Ça ne leur déplaisait pas parce que ça les mettait en valeur et à la fin ils se
faisaient quand même, oui, un peu piéger dans cette affaire, parce qu'elle était assez envahissante. 585
Est-ce-que c'est un problème de relation avec son père ? Elle avait une relation avec son père ''je
t'aime, je te déteste''. Mais très… poussée, très loin. Ça allait jusqu'à de la violence... euh ! Elle est
allée quand même jusqu'à la police pour déposer plainte contre son père. Alors pas pour des
problèmes sexuels d'attouchement ou quoi que ce soit. Non, non, c'était des problèmes autres parce
qu'un jour il a dû ne pas lui ouvrir parce qu' elle avait fait le mur et au retour il a voulu lui donner 590
une leçon. Avec sa sœur, qui n'était pas la même qu'elle. Hein! Elle sont allées déposer plainte à la
police. Elle pouvait aller très très loin.
Oui, certains essayent de détourner la loi …
Y en a qui savent très très bien faire ça. Y en a qui savent très très bien. Il y en a même qui me
disent quelquefois, « vous savez madame, vous nous faites pas peur. Vous savez, quand on va en 595
garde à vue on a même pas peur des policiers alors de vous ». On a moins d'élèves comme ça
puisque maintenant il y a des classes spécifiques pour les élèves PJJ. Mais avant ils étaient
mélangés. Mais moi curieusement c'était ceux que je préférais parce que ils avaient fait des bêtises,
et ils en faisaient toujours pour certains, et ils avaient pas l'intention d'arrêter pour d'autres,mais
quand on leur parlait, on pouvait leur parler cash quoi. Ils savaient ce que ça voulait dire. Et le 600
risque de retourner là où ils étaient, ils savaient qu'il ne fallait pas jouer avec ça. Donc, voilà, on se
comprenait. Avec des gamins comme Salim ou Hédi, qui sont en cinquième, c'est les sales gosses
qui pourrissent la vie de de tout le monde et on a pas de prise. Moi j'aimais bien mes repris de
justice. (rire de Madame K)
Oui ils sont passés par une représentation concrète de la loi quoi. 605
Ben voilà, voilà. On en a eu qui étaient chez nous, qui partaient à Fleury (établissement pénitencier)
qui revenaient, d'autres qui partaient en centre éducatif fermé, d'autres qui partaient en séjour de
rupture, etc... donc c'est des choses, quand ils ont passé plusieurs mois en séjour de rupture, au fin
fond de l'Afrique sans téléphone portable, sans rien, ils ont pas envie d'y retourner.
[nous parlons ensuite d'une élève en particulier, Ophélia, que nous avons rencontrée pour notre 610
recherche et qui a arrêté sa participation avant la fin du protocole de recherche. Nous retranscrivons
certains éléments du discours de Madame K à propos d'Ophélia en faisant attention de ne pas trop
dévoiler l'histoire personnelle de cette adolescente]. Ophélia avait besoin d'amour; or elle ne
trouvait pas d'amour suffisamment auprès de sa mère. Sa mère qui était lesbienne, qui vivait avec
une femme et cette femme ne supportait pas de vivre avec Ophélia. Elle ne supportait pas 615
qu'Ophélia soit là. Elle ressentait comme une concurrence. Donc la mère n'avait pas trouvé mieux
que de partir habiter chez elle et de laisser Ophélia toute seule à 15 ans. […] Ophélia était en
manque de reconnaissance, d'amour et se mettait en danger parce que, dès qu'il y avait un garçon
qui lui disait qu'elle était belle, qu'il l'aimait ou je ne sais trop quoi, ben forcément elle le croyait et
elle pouvait se mettre en danger dans ces conditions. Donc on faisait un gros travail avec elle, on 620
parlait beaucoup avec elle de tout ça pour lui expliquer. Et comme elle avait ce manque d'amour.
Son grand-père c'était la seule personne, c'était une référence de cet amour. Or son grand-père était
décédé juste avant qu'Ophélia vienne chez nous.
Grand-père maternel ?

79
625 C'est possible, c'est possible, je ne sais plus et donc elle voulait retrouver ce qu'elle avait vécu; c'est
la raison pour laquelle, moi j'en suis convaincue, elle s'est orientée pour travailler, faire des stages
dans les maisons de retraite pour retrouver dans les personnes âgées un peu de son grand-père. C'est
vrai que ça se passait très très bien et qu'elle était très appréciée et qu'elle voulait s'orienter là
dessus. [...] [Madame K associe avec une réflexion sur le positionnement qu'elle prend dans la
630 relation avec les élèves dans certaines situations spécifiques comme celle de Ophélia]
Parfois on est amené à remplir des missions qui ne sont pas franchement les nôtres, mais je pense
que cette proximité dans la durée, dans le temps avec les élèves nous invite à regarder l'élève
autrement que comme un élève. On le regarde aussi comme un individu qui a besoin d'aide. Et là
c'est vrai que là, volontairement, des enfants comme Ophélia, je vais au-delà de mon travail
635 d'enseignante. J'essaye de les aider en utilisant mes connaissances, même quitte à me fâcher avec
des connaissances en leur envoyant des élèves complètement tordus. Mais, bon! je le fais parce que
je me dis, pfff! c'est leur dernière chance quoi. Mais il y a des moments où il faut être très très
vigilant, parce que là on a eu un problème [ Madame K évoque une situation où l'adulte relais aurait
trop pris parti pour le père d'un élève par rapport à la mère, dans un contexte de conflit entre les
640 parents.] On a pas à prendre position ni pour le père, ni pour la mère. On est là pour l'intérêt de
l'enfant mais pas du tout pour essayer de démêler des problèmes de couple. On est pas le planning
familial, on est pas psy et on est même pas assistante sociale. Donc on peut essayer d'écouter pour
soulager. Moi je le fais, il y a des parents qui me téléphonent tard le soir parce qu'ils ont des
problèmes, ils sont un peu perdus. Je les écoute mais jamais je me permettrai de dire: mais
645 « madame votre mari il faut le quitter » quoi. Moi, en tant qu'enseignante, je sais que je vais au-delà
de la mission d'enseignante et j'essaye simplement de pas, de ne pas apporter de l'eau au moulin
dans les conflits; et puis d'écouter les élèves mais jamais prendre position contre les parents non
plus, ou vice versa. Mais bon Ophélia c'était pour qu'elle s'en sorte au niveau de… alors sans jamais
porter de jugement de moral vis-à-vis de sa mère. Mais qu'elle s'en sorte, c'est à dire qu'elle ait une
650 orientation, qu'elle ait un établissement scolaire. Parce que c'était spécifique ce qu'elle voulait faire.
Donc, des élèves comme ça, on est obligé de s'investir un peu plus avant parce que il faut trouver
des solutions, des points de chute. Ces gamins là il faut un travail plus dans la proximité, plus
spécifique, parce que c'est atypique leur souhait, leur parcours. Donc il faut sortir un peu de sa
mission mais en étant très vigilant. D'abord pour éviter d'avoir des problèmes. C'est ce que j'ai dit à
655 Mr G l'autre jour, il a pris une élève dans la salle tout seul au bout. Moi j'étais dans le jardin avec un
groupe. J'lui avais laissé un deuxième groupe. Il avait laissé le groupe dans la classe. Et il s'était
isolé dans la salle d'à côté avec une élève qui voulait lui parler des problèmes avec sa mère. Je lui ai
dit « vous n'avez pas à faire ça ». Si elle dit par exemple que vous avez eu un comportement, même
ambigu, vous vous retrouvez au tribunal. Donc il faut être vigilant, ça peut déraper très très vite, ne
660 serait-ce que pour se rendre intéressante ou pour se venger de quelque chose, parce que y en a
quand même pour qui c'est pas toujours bien calé les choses hein.
Oui puis dès qu'ils sont touchés par l'adulte aussi, ils se sentent vite …
Alors ça ils ne supportent pas. Moi c'est la première année que j'ai pu, sans le faire exprès, toucher
une élève ou un élève. Mais toucher sur le bras ou quelque-chose comme ça. Ou le secouer un petit
665 peu et lui dire « tu vas arrêter de parler ». C'est la première fois cette année. Les autres années je
sentais qu'il ne fallait absolument pas les approcher, le moindre toucher, la moindre ….
Réaction épidermique
Voilà, c'est insupportable, insupportable ! Donc il y a des problèmes liés à l'éducation, à la culture et
d'autres problèmes que… on ne peut pas identifier. Mais il y a des problèmes liés à la culture. Le
670 fait déjà d'être une femme quand ce sont des garçons dans certaines cultures, être touché par une
femme c'est comme être sali quoi. On ne donne pas une poignée de main à un homme ou à une
femme dans certaines cultures. Bref quand je sens qu'il y a des choses comme ça j'essaye de pas
avoir trop de proximité. Mais cette année non ils n'étaient pas comme ça cette année mais c'est le
hasard, on ne sait pas pourquoi des années, c'est le hasard.
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ANNEXE XVI
Guide d'entretien

Sont notées en gras les dimensions que nous souhaitons aborder par nos questions.

Nous essayons d’étudier la manière dont l’élève accueille les émotions et l’excitation
ressenties dans la relation à l’enseignant:
Certains enseignants vous ont -ils marqué en bien ou en mal ?
Est-ce-que vous avez déjà perdu le contrôle de vous-même en classe ? Comment a réagi
l’enseignant ? Dans quel contexte êtes-vous calme ou pas calme (excité ou pas) en classe ?
Nous abordons plus particulièrement le sentiment d’être captivé par le discours du
professeur :
Qu’est-ce-qui peut vous captiver chez un enseignant ?
Comment les professeurs s’y prennent-ils pour susciter votre intérêt ? Les enseignants
cherchent-ils à vous intéresser ? Si oui, comment et dans quel but ?
Nous abordons l’effet du corps du professeur sur l’élève, surtout le regard, la voix et la
gestuelle :
Est-ce-qu’il y a des professeurs qui vous regardent mal ou bien ?
La voix du professeur, est-ce important pour vous ? Que veut dire écouter le professeur ?
La façon dont le professeur bouge dans la classe est-ce important pour vous ?
Nous essayons de voir comment l’adolescent fait avec l’idée d’être changé, influencé par
l’enseignant dans son développement, son comportement :
Est-ce-qu’un enseignant peut changer quelque chose en vous ? Ou a changé quelque chose
dans votre façon de voir en général, la vie, la société, votre conception de l’école, de
l’avenir ?
Que vous ont appris les professeurs ?
Nous essayons de déterminer si l’élève supporte d’être dépendant de l’enseignant pour
apprendre :
Qu’attendez-vous des professeurs ? Et eux qu’attendent-ils de vous ?
Vous arrive-t-il de demander de l’aide au professeur ?
Est-ce-que vous apprenez tout seul (en autodidacte) ? Comment ?
Quel est le rôle du professeur dans la création d’une bonne ambiance de classe ?
Nous abordons le respect des règles dans la relation à l’enseignant :
Quelles sont les règles à respecter en classe ? Comment les respectez-vous ? Comment les
enseignants les font-ils respecter ?
L’enseignant peut-il vous imposer des choses ? Quelles choses ? Et pourquoi ?
Est-ce-que le professeur de son côté doit ou peut subir ou supporter des choses ?
Qu’est-ce-qu’un élève modèle selon vous ?
Nous étudions comment les élèves conçoivent la différence des places entre l’élève et
l’enseignant :
Qu’est-ce-qui différencie un élève et un enseignant ?
Quel pouvoir a l’élève ? Quel pouvoir a l’enseignant ?
Nous évaluons comment l’adolescent réagit à l’idée d’une proximité affective avec
l’enseignant :
Appréciez-vous les enseignants proches de leurs élèves ? Attentifs à leurs difficultés, leurs
besoins ?
Nous tentons de savoir si les adolescents se positionnent comme des élèves actifs ou
passifs :
Pendant le cours, est-ce-que vous êtes plutôt spectateur ou acteur ? Qu’est-ce-qu’un élève
qui participe en classe ? Quand est-ce-que vous prenez la parole ?

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Nous leurs demandons d’évoquer leurs expériences de rentrée des classes au collège. Et
donc de première rencontre avec des professeurs.

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ANNEXE XVII Cotation Barrière/Pénétration

Tirée de l'ouvrage de P. Roman, « Le Rorschach en clinique de l'enfant et de l'adolescent »


(2015, p158)

Synthèse 8 – Cotation Barrière et Pénétration

Principaux critères de cotation des réponses Barrière et Pénétration


(d'après S. Fisher & S. E. Cleveland, 1958, 1970)

Cotation Barrière (B)

• Les références aux vêtements et à tout ce qui est attaché au corps (robe, bracelets)
• Les références aux constructions, immeubles, espaces délimités (maison, pont, ville, terrain
de football)
• Les références aux véhicules (voiture, avion)
• Les références à tout ce qui contient, couvre ou enveloppe (sac, nappe, écran...)
• Les références à des êtres possédant des qualités d'enveloppe particulières (poilu...) ainsi
qu'un certain nombre d'animaux contenus dans une liste (chat, taupe, léopard...)
• Les références à des animaux possédant une structure protectrice (crabe, escargot, tortue...)
• Les références à des formations naturelles ou géographiques délimitées (volcan, île...)

Cotation Pénétration (P)

• Les références à des faits de dislocation, pénétration, destruction de tout objet ou de tout être
vivant (autopsie, chien écrasé, fleur fanée...)
• Les références aux ouvertures du corps ou à des actions entraînant une ouverture (anus,
narine, vomissement...)
• Les références à des perceptions impliquant le franchissement des frontières (rayon X, robe
transparente...)
• Les références à des mouvements d'entrée ou de sortie (porte, aspiration de réacteur...)
• Les références à des phénomènes naturels d'expulsion (geyser, éruption volcanique...)
• Les références à des images insubstantielles, vagues dans leur délimitation (fantôme,
ombre...)

Rappel :

Les critères ci-dessus constituent le cadre général à partir duquel chaque clinicien est invité à
établir sa propre cotation.
Une réponse est cotée B ou P lorsqu'un élément de celle-ci répond à l'un des critères ci-
dessus ; si deux éléments renvoyant à une cotation B d'une part et P d'autre part coexistent
dans la réponse, la réponse sera cotée BP.

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ANNEXE XVIII La figure du médiateur évoquée dans l'étude de cas

Nous rappelons qu'Ibrahim dit beaucoup investir le service médiation de sa ville et nous
avons émis l'hypothèse selon laquelle cet investissement s'inscrit dans la perspective d'une
recherche d'une fonction médiatrice et d'un entre deux qui caractérise sa problématique
personnelle. Le ''médiateur'' tel qu'il est présenté sur le site internet de la ville où réside
Ibrahim nous semble susceptible d'incarner une fonction médiatrice (idéale?) destinée à
résoudre ou apaiser les conflits. Il s'agit d'une résolution des conflits dans la ville qui peut
faire écho chez Ibrahim au développement d'une fonction médiatrice pour résoudre ses
conflits interne (dans sa ville intérieure pourrait-on dire).

Voici comment est présenté le rôle de médiateur sur le site internet de la ville en question :

Faire appel aux médiateurs


Une difficulté ? Un conflit du quotidien ? Besoin d’un soutien ponctuel ? Faites appel aux
médiateurs de la Ville, présents dans tous nos quartiers.
Les médiateurs sillonnent l’ensemble des quartiers de la ville du lundi au samedi de 13h à
20h. Ils interviennent auprès des habitants, rencontrent du public, aident les personnes
isolées et/ou en difficulté. Ils assurent un rôle d’écoute, d’information, d’orientation et de
dialogue. Ils interviennent souvent dans le cadre des conflits de voisinage (tapages diurnes et
nocturnes, différends familiaux, occupation de halls d’immeubles, dégradations, etc.) en
orientant les personnes vers les services compétents ou en proposant des médiations afin
d’apaiser les conflits. Ils assurent une présence préventive sur les quartiers, luttent contre les
incivilités, notamment aux abords des établissements scolaires aux heures des sorties de
classe. À ce sujet, ils participent à des projets avec les collèges tout au long de l’année et
assurent des liens avec la jeunesse et les familles. Ils garantissent parfois une veille
technique portant sur le bon état des espaces publics et des parties communes des immeubles
d’habitation. À ce titre, ils informent sans délai les bailleurs et les services municipaux de
leurs constatations, pour intervention.

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