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REDEVANCES SYMBOLIQUES ET RÉSISTANCE PAYSANNE AU MOYEN

ÂGE
À propos du procès de Berthet de Lessart (1423)

Vincent Corriol
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Association d'histoire des sociétés rurales | « Histoire & Sociétés Rurales »

2012/1 Vol. 37 | pages 15 à 42


ISSN 1254-728x
ISBN 9782753520981
Article disponible en ligne à l'adresse :
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Redevances symboliques et résistance paysanne au Moyen Âge
À propos du procès de Berthet de Lessart (1423)
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Vincent Corriol

Maître de conférences en histoire médiévale


Université du Maine, Creaah, umr 6566
La Prêcherie. 167, Chemin de la Montjoie
72190 Sargé-les-Le Mans
Courriel : <vincent.corriol@univ-lemans.fr>

Résumé : Dans la diversité des redevances ressortissant du prélèvement seigneurial, on peut


distinguer des rentes, tel le chevage, les gélines ou certaines corvées, dont l’aspect symbolique
semble largement l’emporter sur leur valeur économique apparente. Cette valeur symbolique
et emblématique de la redevance seigneuriale participe pleinement de l’expression d’une
domination seigneuriale. Le procès de Berthet de Lessard, paysan relevant des terres du
monastère de Saint-Oyend de Joux/Saint-Claude (Jura) en 1422-1423, permet de lever
le voile sur les pratiques seigneuriales et les formes souterraines de la résistance paysanne.
Parce qu’il concerne une redevance symbolique, il constitue un cas emblématique pris très
au sérieux par les autorités seigneuriales. Il témoigne d’une lutte sourde qui oppose deux
conceptions de la redevance et de la relation seigneuriale, distinguant une libre acceptation
de la tutelle seigneuriale d’une contrainte imposée par le droit.
Mots clés : Cens, corvée, dominium seigneurial, économie seigneuriale, expression et matérialisation
de la dépendance et de la domination, gélines, prélèvement seigneurial, redevances symboliques,
servage, taille.

L
’analyse des redevances versées par les paysans à leur seigneur
prend parfois l’allure d’un inventaire à la Prévert, souvent
souligné par les historiens. Si certaines, telles la taille ou
le cens, ressortent classiquement de la relation seigneuriale ou de
l’exploitation des terres, les redevances d’ordre symbolique viennent
toujours s’interposer et susciter la curiosité des chercheurs, des étudiants
et du public. Résumer ces redevances à leur irrationalité économique
serait se méprendre lourdement sur leur nature et leur signification : leur
fréquence souligne précisément leur importance. Marc Bloch lui-même
ne s’y était pas trompé : en faisant du chevage l’un des marqueurs de la

Histoire et Sociétés Rurales, n° 37, 1er semestre 2012, p. 15-42.


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servitude médiévale, il attirait l’attention sur l’aspect emblématique de


ce qui, au-delà des restrictions sur le mariage ou l’héritage, distingue
celui sur qui pèse la condition servile :
« en dépit de son faible montant, sa périodicité lui donnait un grand prix
[…]. Quiconque y était régulièrement soumis, par là-même s’avouait serf et
astreint aux autres obligations de cet état […]. Cette valeur recognitive du
chevage ne s’explique, cela va de soi, que parce qu’il passait pour le signe, par
excellence, de la servitude 1. »
Versement annuel et ritualisé de quelques deniers, le chevage, en
raison de sa modestie, constitue un versement éminemment symbolique,
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qui différencie celui qui le doit de ceux qui en sont exemptés.
La redevance seigneuriale : valeur symbolique et économique
L’exemple de la corvée
Ces redevances d’ordre symbolique ont été mises en avant dans l’expression
de la domination seigneuriale, avec raison. Une redevance peut être définie
comme symbolique à partir du moment où le rituel, le geste et la nature de
l’objet qui fait l’objet du versement prennent le pas sur sa valeur économique
apparente et sa justification contractuelle. Si la taille ou le cens sont légitimés
par la protection seigneuriale ou la concession de la terre, le chevage apparaît
comme l’expression d’une domination ou d’une dépendance, selon l’angle
abordé. Le poids de la redevance symbolique devient alors inversement
proportionnel à son importance économique ou financière et la rend
hautement signifiante, non seulement pour l’historien, mais aussi pour
les contemporains, pour qui elle revêt alors un caractère discriminant. Les
contributeurs du recueil Calculs et rationalités dans la seigneurie médiévale : les
conversions de redevances entre xie et xve siècles 2 l’ont bien souligné :
« La logique du prélèvement échappe ainsi en apparence à celle du marché
et à la règle de “maximisation” des profits, parce qu’elle entre en contradiction
avec les nécessités sociales nées de la situation seigneuriale. Le prélèvement ne
fait pas que rémunérer un service. Il est aussi la marque d’une domination »,
écrit ainsi Laurent Feller, reprenant les remarques déjà énoncées par
Georges Duby au sujet des possessions des Hospitaliers en Provence 3.
Ce caractère emblématique réside précisément dans cette distorsion
entre un rapport économique faible ou peu évident et la contrainte du
versement. Celui-ci peut alors être d’autant plus durement ressenti que la
nécessité du prélèvement n’apparaît plus très clairement aux yeux de ceux

     1. Bloch, 1933.


     2. Feller, 2009.
     3. Ibid., p. 24 ; Duby, 1979, p. 20-60.

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qui y sont soumis. Julien Demade a ainsi montré que la remise en cause et
la contestation de la corvée en Haute Allemagne à la fin du Moyen Âge ne
provient pas de son poids, finalement relativement léger, mais au contraire
de son caractère symbolique et arbitraire. Si la corvée a souvent été décrite
comme un élément discriminant et, par là, constitutif du statut servile, celle-
ci ne devient réellement humiliante qu’à partir du moment où elle perd sa
valeur économique pour ne conserver qu’un caractère coercitif. Réduite à
quelques journées annuelles, la corvée ne sert qu’à rappeler périodiquement
le lien hiérarchique qui unit certains paysans à leur seigneur, soulignant d’une
façon vite présentée comme humiliante la sujétion. C’est en se raréfiant qu’elle
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devient un marqueur de la domination seigneuriale sur le travail paysan, lui
conférant cette dimension essentielle, à la fois symbolique, en raison du poids
relatif de la lourdeur des obligations serviles, et infériorisant, en raison de son
aspect contraignant sur les tenanciers. Elle devient d’autant plus lourde et mal
ressentie qu’elle n’est non seulement plus exigée de tous, mais que son utilité
économique n’est plus évidente aux yeux de ceux qui doivent l’effectuer :
« ses formes concrètes disent la domination : c’est et ce n’est qu’au moment
où le seigneur la demande qu’on la fournit et c’est sous surveillance qu’on
l’effectue ». L’absence de spécification d’une date où elle doit être effectuée
distingue la corvée de toutes les autres redevances seigneuriales, dont les dates
de versement et les modalités de prestation sont toujours soigneusement
précisées et codifiées, exprimant « la sujétion du corvéable à la libre volonté
du seigneur » 4. L’arbitraire seigneurial ne s’exprime plus ici par un montant
à verser indéfini, comme pour une taille « a merci », mais par le caractère
imprévisible de la réquisition. C’est alors l’inutilité d’une redevance en
apparence peu rentable qui devient insupportable, à partir du moment où elle
est maintenue par la contrainte, sans autre raison apparente que son caractère
évidemment discriminant.
Le symbole contre l’économie
Une lecture strictement économique du prélèvement seigneurial, si elle
conserve toute son acuité, prive l’historien de cette dimension essentielle. Un
prélèvement minime peut être bien plus durement ressenti et mal accepté qu’un
prélèvement autrement plus lourd, mais dont la justification ne souffre guère
de protestations, ou dont la contrepartie justifie aux yeux des communautés
rurales l’importance. C’est le cas notamment des droits de concession de la
terre ou d’accès à des espaces ou des ressources particulières, pour lesquels les
communautés rurales peuvent verser des montants considérables. On voit par
exemple, à partir des xiiie et xive siècles, les communautés rurales des Alpes du
     4. Demade, 2002, p. 337-363.

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Nord consentir à verser des droits d’entrée très élevés à leurs seigneurs pour
acquérir la libre jouissance et l’usage des alpages d’altitude, où elles possédaient
déjà parfois des droits d’usage étendus 5. Ces mêmes communautés sont
pleinement conscientes de la nature symbolique de ces redevances. La
négociation que mènent les paysans du village de Longchaumois avec leur
seigneur, l’abbé du monastère de Saint-Oyend-de-Joux / Saint-Claude, en
1298-1301, en est un exemple. En 1298, l’abbé Étienne de Villars conclut un
premier accord avec les hommes taillables de la paroisse de Longchaumois,
leur accordant l’exemption de certains droits seigneuriaux 6. Plus que la rente
elle-même, c’est l’assiette de la perception qui est remise en cause ; et l’abbé
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lui-même admet avoir du mal à prélever des rentes dont l’assiette fantaisiste
était source de troubles et de contestations 7. Ces redevances abolies sont
regroupées sous le terme générique de « services », servitia, voire sous celui de
« taille », taillia, qui cache mal la diversité des rentes, dans les termes et dans
les modes de perception. On retrouve pêle-mêle des corvées (« charrein » ou
charrois), des redevances seigneuriales (« mareschain », « hublis » 8), versées
en espèce ou en nature (« en jarbes, en aveyna, en deniers »). Les redevances
énumérées dans le texte restent d’un montant modeste et très disparate selon
les tenanciers. Elles varient de 2 à 5 deniers genevois pour les versements
en espèces, de 1 à 3 setiers et demi d’avoine pour les versements en nature,
certains combinant les deux. Humbertus Tornerii et les siens doivent 5 deniers,
plus 3 florins de services (nom local du cens) et 3 bichets d’avoine, quand
Perronetus de Media Villa doit un demi setier d’avoine, comme Richertus
Bocardi ; Perronetus de Campis doit 2 deniers, Romanetus de Dives et les siens 4
deniers ; soit au total 23,5 deniers de genevois, 3 bichets et 1,5 setier d’avoine 9.
En remerciement de cette exemption, les hommes de Longchaumois versent à
l’abbé la somme considérable de 300 livres viennoises.

     5. Carrier, 2004, p. 221-239 et Mouthon, 2001, p. 9-25.


     6. Arch. dép. Jura, 2H 706.
     7. Ibid. : «  Predicta omnia servitia levari non poterant sine magno studio et maximo impedi-
mento et labore dictorum hominorum propter sui tenuitatem et minuitatem, cum ad solutionem
unius denarii unus decem aut viginti homines tenerentur et quatuor aut quinque ad solutionem
unius. »
     8. Le terme de « mareschein », que l’on retrouve parfois à Saint-Claude sous la forme « mares-
chacies », est une déformation probable de « mareschaucie » (du latin marescalia ou marescalcia),
taxe parfois appelée « gîte des chevaux ». Il s’agit d’une redevance féodale due pour l’entretien des
chevaux, sous la forme de réquisition de foin et/ou d’avoine pour les gens d’armes du seigneur.
Les « hublis » proviendraient peut-être des oublies, redevance sur les tenures paysannes, fixe, mais
toujours distinguée du cens.
     9. Le setier est la plus petite mesure de capacité des grains : au xviiie siècle, elle est équivalente à
Saint-Claude à 22 litres. On ne connaît pas précisément l’équivalence entre le bichet et le setier ;
certaines mentions laissent penser que les deux mesures sont très proches : Grappin, 1782, p. 134.

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L’accord constitue une véritable remise à plat des perceptions seigneuriales.


Différentes rentes, pas toujours bien identifiées, dont les taux de perception
varient d’un contribuable à l’autre, pour des rapports finalement assez maigres
pour le seigneur, sont purement et simplement annulées. Pour le seigneur,
l’avantage immédiat est de lui procurer de l’argent frais, tout en établissant
des relations sinon cordiales, du moins détendues avec une communauté.
Le montant de la somme versée par la communauté, sans commune mesure
avec la très faible valeur de la rente, témoigne d’une surprenante capacité de
mobilisation de capitaux de la part de communautés rurales montagnardes
relativement jeunes : située à 900 m d’altitude, celle de Longchaumois n’est
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attestée qu’à partir de 1245. Son importance, 300 livres viennoises, révèle
surtout la très grande valeur que la communauté attache à ces redevances.
La communauté est prête à payer au prix fort l’exemption d’une charge
dont la faiblesse des montants individuels permet de douter qu’elle pénalisait
fortement les économies familiales. Ce premier accord est d’ailleurs renégocié
trois ans plus tard : la communauté, qui a perdu le précieux document,
demande la confection d’un nouvel exemplaire, que l’abbé ne consent à
accorder qu’après un nouveau versement de 60 livres viennoises 10. Là encore,
la communauté est prête à payer à un tarif exorbitant le document certifiant
son exemption.
Les redevances symboliques dans l’économie seigneuriale
Si les montants perçus demeurent symboliques, de l’ordre de quelques
deniers, l’importance de la somme versée par la communauté exclut de n’y voir
qu’une redevance marginale ou anecdotique. Pour symboliques qu’elles soient,
ces redevances occupent d’ailleurs une place considérable dans le prélèvement
seigneurial. Le Liber Aureus, qui récapitule l’ensemble des droits des abbés de
Saint-Claude, en livre un aperçu. Ce document rédigé au début du xive siècle,
présente, dans les villages soumis à la seigneurie de l’abbé, la liste des redevances
dues par les paysans dépendants de la mense abbatiale 11. Le document distingue
deux grands systèmes d’imposition, répartissant les villages en deux catégories :
certains sont dits « taillables », et le taux d’imposition n’est alors pas précisé. Les
autres sont dits « a la cense », et un taux unique d’imposition existe alors pour
tout le village. Les deux systèmes s’opposent strictement et ne se recoupent
jamais. Ils représentent 48 des 49 villages cités dans le Livre d’Or, à stricte

     10. « Qua lictera confecta super hoc tempore supradicto est totaliter abolita ; ideo dicti abbas et
conventus dicti hominibus et eorum heredibus coram dicto jurato nostro premissam libertatem
presentibus innovarunt, pro quam novationem predicti homines et sui liberalitate dederunt dicto
abbati et conventui sexaginta libras bonorum viennensium » : Arch. dép. Jura, 2H 706.
     11. Pour une présentation générale du Livre d’Or et ses problèmes d’interprétation, voir Corriol,
2009, p. 81-113.

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parité : 24 villages sont dits « a la cense », 24 sont taillables. La taille désigne
sans guère d’ambiguïté la taille seigneuriale ; elle est habituellement prélevée par
foyer. Son taux ou son montant n’est jamais spécifié. Le terme de « cense » ne
désigne pas ici un loyer de la terre, un cens au sens habituel du terme, désigné
à Saint-Claude par le terme de « service » (servys ou servicium). Cette « cense »
n’est assise sur aucune possession foncière et n’entretient aucun rapport avec la
terre. Il s’agit au contraire d’une imposition sur un taux unique, une sorte de
capitation, qui se paie généralement par « homme qui peut faire journal » ou
par foyer, ce qui revient au même. Son taux peut varier d’un village à l’autre :
à Moirans, il est de 1 setier de blé, moitié froment et avoine, et 3 deniers
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genevois par feu ; à cette base, il faut ajouter 4 deniers genevois « pour celui
qui met bœuf a la charrue » 12. À Garde-Chemin, il est d’un quartal d’avoine et
un de froment et de 16 deniers tournois par maix. Toutefois, un taux unique
s’impose dans 20 des 24 villages dits « a la cense » : 2 setiers de froment et 12
deniers genevois « par homme rendant journal », auxquels il faut ajouter deux
setiers de froment par « bœuf de la saison d’automne », dit aussi par « bœuf a
charrue », terme désignant les trains d’attelage. Cette part modulable est donc
conçue comme un complément variable en fonction du capital en bétail des
exploitants, la possession d’un train d’attelage étant réservée aux exploitations
les plus aisées. La part fixe de la « cense » peut être réduite de moitié pour les
exploitations tenues par une femme veuve ou par des orphelins, à moins qu’ils
ne possèdent eux aussi des bœufs à charrue. On le voit par exemple dans le
village de Jeurre : « item la femme veuve doit un setier de froment et six deniers
genevois ; et si la femme veuve a bœuf elle doit un quartal de froment et xii
deniers genevois » 13.
À côté de cette imposition principale, toujours placée en tête de la liste,
sont mentionnées diverses redevances, dont le détail varie d’un village à l’autre.
Les corvées, fréquemment citées, restent légères. Les plus courantes sont les
corvées de labour ou de fenaison. Elles consistent, pour un possesseur de train
de labour, en deux journées de labours en automne et autant au printemps,
chaque homme devant aussi une journée de travail. À ces corvées de labour,
il faut ajouter des corvées aux champs : pour celui qui sait faucher, un jour
de fauche et un jour de fenaison, ceux ne sachant faucher étant astreints à
deux jours de fenaison. Ces corvées sont donc relativement légères : pour un
homme possédant une charrue et sachant faucher, il faut compter huit jours
par an, le minimum exigible étant de quatre jours :

     12. « Chacun feu (fuef ) un sestier moitié froment moitié avoine et trois deniers genevois, et cil
qui met bœuf a charrue quatre deniers genevois et se ils sont plusieurs en un hostal et soient partys
chacun le doit » : Livre d’Or, Arch. dép. Jura, 2H 157.
     13. Ibid.

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Redevances symboliques et résistance paysanne au Moyen Âge 

« Item chacune charrue deux journees en automne, item chacun hom un


journal ; de prime voine chacune charrue deux journaux et chacun hom un
journal ; chacun qui seait seier un journal de seier et qui ne scait seier deux
journaux pour fener et le se toux même un journal pour fener 14. »
On retrouve fréquemment aussi des charrois, le plus souvent abonnés :
« item le charroir que la ville de cinquetral doit, qui monte a xxvi sols de
Geneve c’est a sçavoir en may xiii sols et en automne xiii sols ». Mais les
charrois ne sont pas systématiquement abonnés. Le recueil des reconnaissances
de la seigneurie du Châtillonnais, dépendant du monastère de Saint-Claude,
établit pour les années 1429-1438 les obligations des hommes du village de
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La Rixouse. Ceux-ci reconnaissent devoir, en plus des corvées de fauche sur
les prés seigneuriaux, une corvée de charroi consistant à ramener le vin du
seigneur de leur vigne de Perrigny jusqu’à leur maison-forte de la Rixouse ; soit
un trajet de près de 60 km à travers la montagne jurassienne, qui représente
à n’en pas douter une charge considérable 15. Sur ce point, la situation
sanclaudienne ne s’illustre guère par son originalité : corvées de labour, de
fenaison et de charroi sont aussi les plus fréquentes à la même époque dans
le Bassin parisien ou les pays germaniques. Julien Demade signale ainsi qu’en
Allemagne du sud, les corvées les plus fréquemment demandées sont celles de
labour, de foin et de moisson,
«  soit les activités agricoles essentielles, qui ouvrent et closent le cycle
productif et donc permettent de signifier métonymiquement le contrôle de
toutes les activités agricoles intermédiaires, et donc finalement de l’ensemble
du cycle agricole 16. »
Viennent enfin les diverses redevances, comme les gélines, versées par
tous les foyers à « Carmantran », la « gerbe saint Ouyan », prélevées sur tous
les foyers de la seigneurie abbatiale, ou la « gerbe saint Romain », prélevée
dans les villages dépendant du prieuré du même nom. On retrouve dans la
prévôté de Valfin, les charrois, « mareschacies » et « hublis », qui avaient été
supprimés à Longchaumois dès 1298 ; elles n’apparaissent d’ailleurs pas dans
la rubrique consacrée à cette dernière prévôté. Enfin, certains particuliers
nommément cités doivent des redevances particulières : à Moirans, Perrez
Doubiez doit « deux coupes de vin et deux pains », et « une épaule de porc
sil le tue » ; Chastel Catheret est lui aussi tenu au versement de « deux coupes

     14. Livre d’Or, Arch. dép. Jura, 2H 157.


     15. « Tenentur debent se jurare anno quolibet ad secandum seu falcandum, fenandum et recolli-
gendum fena pratorum dictorum nobilium Andrea, Anthoni, Johannis et Georgii de Castellione
et suorum excrescendum apud Reyssosam, necnon etiam ad eundum quesitum et chareandum
eorumdem domicellorum et suorum vinum tempore consueto apud Perrigniacum et Perrigniaco
apud Royssosam » : Reconnaissance de Humbert dou Poys, Arch. dép. Jura, 2H 629, f°59v.
     16. Brunel, 2002, p. 271-290, et Demade, 2002, p. 356.

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 Vincent Corriol

de vin et deux pains ». À Vouglans (prévôté de Martigna), tous les tenanciers


sont astreints au versement d’une redevance annuelle fixe qui s’élève, selon les
cas, entre 6 deniers et 10 sols genevois (moyenne : 3 sols), sauf « Mar et luy
personnier » qui doivent « une cope de vin et le pain de cinq mangeurs ». Dans
la prévôté de Montcuselle, « chacun feu doit une espoigne pour le chien » 17 ;
et « sil fait bacon doit une aiste » 18.
Ce type de redevance, variable d’un village à l’autre, voire d’un foyer à
l’autre, appartient à la sphère des prélèvements symboliques, c’est-à-dire de
prélèvements dont la valeur emblématique semble l’emporter sur la valeur
économique. La géline en est l’exemple le plus fréquent, et pas seulement dans
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les terres du monastère jurassien. La fréquence des versements de poules ou
d’œufs, voire de fractions de ceux-ci, illustre bien ce caractère, ce que souligne
Julien Demade :
« Les gélines me semblent d’ailleurs avoir une importance symbolique bien plus
grande que celle des corvées, ne serait-ce que par ce que, par opposition à ces
dernières, elles n’ont d’importance que symbolique, et non pas aussi pratique 19. »
Cette dernière remarque doit cependant être nuancée : si l’aspect
emblématique l’emporte nettement, la rentabilité économique d’une telle
redevance ne me semble pas devoir être négligée. Le versement annuel
d’une poule ne constitue pas, à première vue, une ponction de nature à
déstabiliser une économie familiale, ni à apporter fortune et prospérité
au seigneur qui en bénéficie. Toutefois, le versement à une date précise
de plusieurs centaines de poules, dont on imagine qu’elles n’étaient le
plus souvent pas amenées telles quelles au monastère, mais converties
en monnaie, constitue à l’arrivée du processus une somme qui, si elle
n’est pas considérable, n’en est pas négligeable pour autant 20. Le même
raisonnement peut être appliqué au versement des gerbes. Le prélèvement
d’une gerbe destinée au saint patron du monastère (la gerbe saint Ouyan)
ou du prieuré dédié au fondateur du monastère (la gerbe saint Romain)
ne constitue pas un prélèvement colossal sur une moisson, par ailleurs
soumise à la dîme prélevée par la même institution. Mais l’apport total

     17. Selon Marcel Lachiver (Lachiver, 1997), les termes espogne ou espoigne, attestés du
Morvan à la Savoie, désignent de petits pains ronds ou des galettes préparées pour des festivités.
On retrouve aujourd’hui ce terme dans les patois lyonnais ou dauphinois (les « pognes »). La rede-
vance semble ici désigner une redevance en pain due pour les chiens du seigneur, que l’on retrouve
parfois en Franche-Comté : Delsalle, 2004.
     18. Sic. Je n’ai pas réussi à identifier le terme « aiste ». Il est possible qu’il s’agisse d’une déforma-
tion d’un mot incompris lors de la copie ; plusieurs exemples semblent montrer que le notaire qui
a recopié le Livre d’Or au xviiie siècle n’avait qu’une connaissance imparfaite de la paléographie
médiévale et n’a pas su déchiffrer tous les termes.
     19. Demade, 2009, p. 36.
     20. Cf. Carrier, 2009, p. 145-166.

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Redevances symboliques et résistance paysanne au Moyen Âge 

final vient grossir des rentrées en céréales pourtant déjà importantes, en


même temps qu’elle rappelle la révérence et la soumission dues aux saints
patrons protecteurs. Il convient donc de distinguer l’aspect économique
de ces redevances symboliques selon que l’on se place du côté de celui qui
la verse ou de celui qui la reçoit. Daniel Pichot a ainsi pu montrer que
les cens en argent de l’ouest de la France, s’ils n’étaient pas d’un montant
individuel considérable, pouvaient cependant constituer par leur cumul des
rentrées d’argent importantes pour les seigneurs bénéficiaires 21. Symbole
de la sujétion ou de la domination pour celui qui la verse, la redevance
peut revêtir une importance économique non négligeable pour le seigneur
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qui la collecte sur plusieurs centaines d’individus ou de foyers. Le fait
que l’aspect économique ne soit pas premier ne signifie pas qu’il soit
complètement absent. Et la même remarque peut être faite au sujet des
corvées. La prestation annuelle de quelques journées de travail sur les terres
seigneuriales exigées au titre de la corvée peut sembler a priori légère ; elle
peut cependant désorganiser une exploitation en privant la cellule familiale
d’une paire de bras au moment précis où celle-ci peut en avoir besoin. À
l’inverse, l’arrivée sur les terres seigneuriales de plusieurs dizaines de paires
de bras, réparties sur les quelques dizaines de jours où celles-ci nécessitent
le plus de main-d’œuvre, représentent un apport non négligeable, même
s’il ne dispense pas d’embaucher des travailleurs journaliers, notamment
pour les tâches techniques les plus spécialisées. Cette économie est toutefois
très largement atténuée par les rémunérations symboliques des corvéables
sous forme de repas, généralement décrits, lorsque c’est le cas, comme très
abondants :
« en rémunérant de façon exceptionnelle, le seigneur impose aux corvéables
la signification exceptionnelle de l’activité qui a été la leur […] le seigneur ne
donne beaucoup que pour imposer l’idée qu’il a reçu beaucoup 22. »
Fraude et résistance paysanne :
le procès de Berthet de Lessard
Parmi ces prélèvements d’ordre symbolique, le versement d’un droit
sur l’abattage des porcs est spécifié dans le Livre d’Or pour la prévôté de
Montcuselle. Ce droit de prélèvement seigneurial sur l’abattage des animaux,
souvent évoqué dans les chartes de franchise, n’est pas rare. Dans celle
que l’abbé Eudes de Vaudrey, commanditaire du Livre d’Or, accorde à la
communauté des bourgeois de Saint-Claude en 1310, le seigneur se réserve
la langue des bovins et les rognons ou l’échine des porcs qui seraient abattus
     21. Pichot, 2009, p. 121-144.
     22. Demade, 2002, p. 362.

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 Vincent Corriol

et vendus dans la ville 23. Là encore, les préoccupations économiques, au sens


contemporain du terme, ne sont pas absentes. Ce type de redevances participe
aussi à la fourniture de la table seigneuriale. Mais l’aspect symbolique de la
redevance est évident : en prélevant les morceaux considérés comme les plus
fins sur les bêtes abattues par les bouchers, le seigneur exprime sa prééminence
et son droit arbitraire de prélèvement sur les hommes et leurs activités. Et
les contemporains ne s’y trompaient guère  : la fraude, la résistance ou la
dissimulation lors du versement de ces redevances impopulaires est une
dimension à intégrer pour rendre compte de l’ensemble des significations
de ce type de redevance. À ce titre, le procès qui, en 1422-1423, oppose
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Berthet de Lessard à son seigneur, Claude de Dortans, seigneur du Villard,
est exemplaire.
La corvée et le jambon
Le 17 mars 1423 comparaît devant la cour de justice des abbés de Saint-
Claude Berthet, fils de Jean, habitant le village de Lessard, accusé par son
seigneur direct, Claude de Dortans, écuyer, seigneur et prévôt du Villard pour
le compte du monastère, d’avoir refusé d’effectuer les corvées accoutumées
l’année passée. L’audience se déroule à Moirans, siège de la justice abbatiale,
devant François Humbert, écuyer, gouverneur général au temporel de la terre
de Saint-Oyend de Joux au nom de l’abbé, François de Metz, alors absent.
L’attitude de Berthet semble pour le moins surprenante, et les raisons de son
refus ne sont jamais clairement explicitées : pourquoi refuser d’effectuer des
corvées que tous les témoins interrogés lors du procès inscrivent pourtant dans
une pratique coutumière dûment attestée ? Consignant les interrogatoires
des témoins, le registre du procès permet de lever le voile sur les pratiques
quotidiennes de la fiscalité seigneuriale.
Claude de Dortans, seigneur du Villard, se plaint donc de ce que Berthet,
du village de Lessard, a refusé de lui verser certaines redevances coutumières
dues à lui en raison de l’office de la prévôté du Villard dont il est le détenteur :
« entre les aultres choses sont appartenan audit Claude a cause de ladicte
prevostez et a accoustumé avoir sur tous les hommes manans résidans en
ladicte prevosté ung chascun an une corvée dhomme, douze deniers genevois,
deux fors pour ledit Claude ou son commis a recepvoir les tailles, […] et une
jambon de porc de tous ceux qui font baccon ung chascun an 24. »

     23. « Item debemus habere de bovus linguas, de porcis lumbos quotiens contingerit occidere et
vendere pro maiori parte in villa Sancti Eugendi, illis exceptis quos predecessores nostri voluerunt
esse immunes » : Arch. dép. Jura, 2H 342. Le pluriel lumbi peut désigner indifféremment les reins
ou l’échine.
     24. Arch. dép. Jura, 2H 438. Les actes du procès ne sont conservés que sous la forme d’une copie
du xviie siècle, par ailleurs en mauvais état.

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Redevances symboliques et résistance paysanne au Moyen Âge 

Il s’agit donc d’une redevance composée d’une « corvée d’homme », soit,


selon la terminologie locale, une journée annuelle de corvée, à laquelle
s’ajoute une redevance en espèce (12 deniers genevois et deux fors 25), ainsi
que le versement d’un jambon pour tous ceux qui élèveraient et tueraient un
porc dans l’année. Ce type de redevance composite est attesté dans les terres
du monastère sous des formes voisines depuis le xiiie siècle. En 1236, un
accord intervenant entre les frères de Dramelay mentionne que dans un des
manses, objet de la discorde, le monastère prélève un « service » (servicium)
s’élevant à deux émines de blé, 12 deniers, deux pains et une épaule de porc
si un porc est élevé et nourri dans le manse concerné 26.
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Pour tirer au clair l’affaire opposant Berthet à son seigneur direct, deux
notaires sont désignés par le juge pour recueillir les dépositions des témoins.
25 témoins sont interrogés, selon un mémoire en 9 articles élaboré en amont.
Tous confirment le caractère coutumier de la redevance, et aucun ne semble
venir en aide à Berthet ni justifier ou expliquer les raisons de son refus.
Plusieurs témoins expliquent même avoir vu Berthet effectuer la corvée ou
payer son jambon les années précédentes. L’un, Jean du Pré, semble même
le charger lorsqu’il affirme que « puisque ledit Berthet ne luy voulu rendre
la corvée et payer la chambon il semble quil despouillie ledit Claude ». La
solidarité des villageois ne paraît ici guère de mise.
Les réponses des témoins interrogés permettent cependant d’apporter
quelques précisions sur cette redevance. Plusieurs expliquent qu’en échange
du prélèvement d’un jambon, le prévôt doit entretenir à sa charge un verrat :
« Jean Hugon […] dit que […] pour ladicte jambe ledit prevost debvoit
tenir un verrat » ; « Johan du Prel […] dict et despose […] que chascun chefs
dhostel luy doibt une chamba qui faict bacon dez le jarret en amont et que
pour tenir chamba lo prevost doibt tenir un verrat pour les proudhommes 27. »
La précision est d’importance : élever un verrat, qui n’a de valeur que
vivant, n’est guère rentable pour les paysans, qui préfèrent sans doute élever
une truie et recourir au verrat seigneurial. Le versement du jambon apparaît
alors comme une contrepartie, voire un dédommagement, versé au prévôt,
en échange du droit de visite des truies au verrat, tout autant qu’une forme
abusive de prélèvement seigneurial.

     25. Le terme de « fors », parfois maladroitement orthographié « fois » dans la copie, recouvre très
certainement ici le fors savoyard, monnaie équivalente à 2 deniers, dont l’usage est attesté à Saint-
Claude au xve siècle.
     26. « In eo manso ecclesia Sancti Eugendi habet servicium ii eminaut et xii denarios et ii panes
et unam espallam porci nudam si in casallo nutritus fuerit » : Arch. dép. Jura, 2H 1154.
     27. Ibid., 2H 438.

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 Vincent Corriol

Plusieurs témoins précisent aussi ce qu’on entend par jambon, preuve


que la chose n’est pas aussi évidente qu’elle pourrait en avoir l’air, et
nécessite une soigneuse codification pour limiter la fraude des paysans
et les exigences seigneuriales : le jambon s’entend la cuisse entière, « dez
le jarret en amont ». Les quelques témoins du village de Septmoncel, lui
aussi ressortissant de la prévôté du Villard, précisent même que le jambon
s’entend « sans ongletaz », ce que l’on peut comprendre par « sans le pied ».
Il s’agit bien d’une rente symbolique. Le morceau prélevé n’est pas choisi
au hasard : il s’agit du meilleur morceau de la bête, celle dont le versement
exprime le plus pleinement la domination seigneuriale sur les hommes,
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sur leur bétail, sur ce qu’ils mangent ou plutôt ce qu’ils ne mangeront pas.
Mais là non plus il ne faudrait pas sous-estimer la valeur économique du
prélèvement, la rente servant aussi à alimenter les celliers seigneuriaux.
Ces précisions sur le jambon, qui seul fait l’objet de descriptions précises et
semble focaliser l’attention des juges et des témoins, à l’inverse de la corvée ou
des 12 deniers, nous livrent indirectement une indication sur l’objet exact du
délit ; ce que deux témoignages confirment. Deux témoins viennent en effet
préciser que l’année précédente, Berthet a élevé et tué un porc, et qu’il a bien
apporté son jambon à la dame du Villard, mais que celle-ci l’a refusé par ce
qu’il était « trop petit » ou « mal fait ». Jean Vuaz explique
« quil lui a vehu rendre un journal a fener par corvée ainsy que on disoit et
a sa femme par plusieurs fois et a veu que ledit Berthet a payé une fois ladite
chambon mais pour ce quelle estoit petite on la luy tourna ».
Et Renaud du Parchier raconte « que Jehan filz dudit Berthet porta à la
dame du Villars la chambe mais elle ne la voulu prandre car estoit mal faite et
la retourna et entreposa chez luy qui parle. »
On notera tout d’abord que la redevance est rendable, et non quérable ;
l’aspect emblématique du versement, qui oblige le paysan à se déplacer
jusqu’à la demeure seigneuriale pour verser sa redevance est ainsi souligné
par la contrainte qu’il imprime sur le corps même des paysans. Le détail
est d’importance. Les deux témoins lèvent surtout le voile sur la nature
profonde du délit, que l’on pourrait définir comme une tentative caractérisée
de fraude paysanne. Berthet s’est bien acquitté de ses obligations, mais le
jambon, « trop petit », « mal fait », n’a pas été accepté par le seigneur ; on
soupçonne que l’état pitoyable de l’objet du délit a été la cause du refus.
À titre de preuve conservatoire, le jambon litigieux a été entreposé chez
l’un des témoins, dont on comprend alors qu’il peut difficilement s’abriter
derrière une prudente neutralité, à l’instar de la plupart des autres témoins.
Pour Berthet, l’affaire est entendue, et il s’est alors sans doute estimé quitte,
s’étant acquitté de ses obligations. Son seigneur en revanche n’est pas du

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Redevances symboliques et résistance paysanne au Moyen Âge 

même avis : le jambon ayant été refusé, la redevance n’a pas été versée et
Berthet continue d’en être redevable.
On comprend mieux alors l’importance de l’affaire. En apparence, elle
pourrait sembler anecdotique : un versement minime, une tentative de fraude
qui tourne court et le retour de bâton seigneurial. Il n’en est rien : le cas est
emblématique et pourrait constituer un précédent dangereux. Parce qu’il
concerne précisément un prélèvement symbolique, le préjudice n’est pas tant
économique ou financier que symbolique. Il constitue une atteinte directe
aux prérogatives et à la dignité seigneuriales. Potentiellement, c’est toute la
légitimité du prélèvement seigneurial qui est remise en cause par la position
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de Berthet. L’affaire est d’ailleurs prise très au sérieux et implique la machine
judiciaire seigneuriale jusque dans ses plus hautes instances.
Condamné par le premier niveau de la justice seigneuriale à verser trois
écus d’or au soleil et à effectuer la corvée, l’accusé a refusé de s’exécuter.
Berthet est alors traîné devant la juridiction supérieure, et l’affaire est
portée devant la justice abbatiale, la seigneurie du Villard, essentiellement
composée de la prévôté du lieu, relevant de la seigneurie du monastère.
La procédure est d’abord confiée à deux religieux de l’abbaye, Antoine de
Châtillon et Philibert de Cornon. Tous deux sont des spécialistes du droit
et de la justice, ainsi que des personnages éminents de l’établissement,
agissant parfois pour le compte de l’abbé, représentant quelquefois le
monastère à l’extérieur. Philibert de Cornon est l’aumônier du monastère,
attesté à cette fonction de 1414 à 1449. En 1427, il est vicaire général
au spirituel et au temporel pour l’abbé François de Metz, alors en
déplacement. Antoine de Châtillon est un personnage expérimenté ; on
sait qu’en 1429, il est alors âgé de 70 ans. Lui aussi est un personnage
éminent de l’administration judiciaire du monastère. En 1392-1393,
c’est lui qui est chargé de représenter l’abbaye devant la cour de justice
comtale savoyarde à Chambéry, lors des procès qui ont opposé les paysans
jurassiens du monastère aux communautés savoyardes lémaniques pour
l’usage et la gestion des forêts et des alpages des Monts Jura. Il poursuit
une carrière dans le monastère : prieur de Divonne et châtelain de Saint-
Cergue pour le compte du monastère en 1402, il continue à œuvrer
en matière judiciaire. En 1430, il rend une sentence arbitrale entre
ses cousins, les frères Georges et Anthoine de Châtillon, au sujet de la
seigneurie du même nom, relevant des terres du monastère. Deux ans
avant d’intervenir dans le procès de Berthet de Lessard, il a déjà siégé
aux côtés de Philibert de Cornon, pour trancher un litige qui opposait
le monastère à la puissante famille locale de Dortans, au sujet des dîmes
du lieu.

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 Vincent Corriol

Le procès d’une histoire somme toute banale de ce qui est considéré


comme une tentative de fraude à l’impôt n’est donc pas confiée à n’importe
qui. Les deux juges désignés sont d’éminents juristes, rompus aux
procédures longues et délicates. Ils refusent pourtant de trancher l’affaire
et se désistent, sans que l’on puisse connaître les raisons exactes de ce
désistement : estiment-ils que l’affaire ne mérite pas leur considération ou,
au contraire, que celle-ci doit être tranchée par les plus hautes instances ?
Toujours est-il que, devant leur refus, l’affaire est renvoyée devant la cour
de l’abbé, degré ultime de la justice locale. C’est François Humbert, agent
et représentant de l’autorité abbatiale qui, au nom de l’abbé, va mener la
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procédure. Pour diriger les interrogatoires, il choisit deux notaires, Jean
Janin et Jean Charnage, tous deux issus des deux grandes familles de juristes
proche de la familia de l’abbé ; l’importance des personnages prouve là
encore que l’affaire est décidément prise très au sérieux.

Versements coutumiers, versements contraints


Le procès de Berthet de Lessard nous dévoile donc une tentative avortée
de dissimulation et de résistance paysanne d’autant plus intéressante que ces
témoignages sont rares : le succès de la fraude résidant dans sa discrétion,
seuls les échecs nous sont parvenus. En révélant les rapports de force et les
tentatives pour, sinon les inverser, tout du moins les rendre moins inégaux,
elle éclaire sous un jour nouveau les relations qui unissent les paysans à
leur seigneur et les résistances quotidiennes, souterraines, à la domination
seigneuriale. On touche ici à la délicate question de la résistance paysanne et
de l’acceptation de la tutelle seigneuriale. Si les mouvements de contestation
ont souvent attiré l’attention des chercheurs 28, la dissimulation, la
résistance passive sont souvent restées dans l’ombre, en raison de leur
nécessaire discrétion. Ces « armes des faibles », pour reprendre l’expression
de l’anthropologue James Scott, constituent pourtant, pour l’auteur, la
part la plus importante de l’opposition paysanne et constituent un élément
important de la relation seigneuriale 29. Face à l’oppression, dissimulations,
fraudes et petits larcins constituent autant de formes souterraines de
résistance, détournées mais quotidiennes. Ne nécessitant ni organisation
particulière, ni concertation, elles ne suscitent pas de confrontation
violente avec le maître. Cette dissimulation, parce que souterraine, est la
plus difficile à observer. Leur efficacité provient de leur dissimulation et de
leur souplesse, modulables en fonction des circonstances. Si James Scott

     28. Voir Mollat et Wolff, 1970 ; Neveux, 1997 ; Blickle, 1998.


     29. Voir Scott, 1985, 1987, et 1990.

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Redevances symboliques et résistance paysanne au Moyen Âge 

arrive parfaitement à en révéler les mécanismes dans la société villageoise


contemporaine qu’il étudie, cette résistance passive est, pour l’historien du
Moyen Âge, très difficile à vérifier, sauf à l’occasion d’un procès similaire
à celui de Berthet de Lessard. Mais elle constitue, à n’en pas douter, un
moyen efficace de compenser ou contourner indirectement les exactions
seigneuriales imposées.
Le geste de mauvaise volonté de Berthet de Lessard relève de cette
résistance passive. Mais il incarne aussi une forme plus profonde de
contestation de la domination seigneuriale. Le soin mis à rappeler la tutelle
seigneuriale est d’autant plus grand qu’il s’agit d’une redevance symbolique,
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dont l’importance emblématique est inversement proportionnelle à la
valeur économique. Et personne ne s’y trompe : ni les seigneurs, qui
mettent en marche toute la machine judiciaire pour rétablir leur droit ; ni
les paysans, dont les déclarations prudentes laissent cependant présager un
certain attentisme non dénué d’intérêt.
L’attitude des témoins interrogés révèle d’ailleurs cette opposition à des
prélèvements dont la légitimité est indirectement remise en cause. 10 des
25 témoins interrogés, sans contester la redevance, déclarent cependant ne
rien savoir des deux fors demandés, en des termes qui ne laissent guère de
doute. Huit affirment n’avoir jamais payé ou vu payer ces fameux deux fors :
« Johan du Prel… scait bien que il est vray excepté des deux fors quil ne
vu oncques payer » ; « Estienne Banoset […] dict que bien a vehu payer la
corvée la chamba et la dozena en la ville de Sepmoncel et que des deux fors
les at vehu payer aux uns et aux aultres non que quand a luy il ne les paya
oncques 30. »
Deux vont même plus loin, allant jusqu’à contester la légitimité de ces
deux fors. Renaud du Parchier explique qu’il a ouï dire que les deux fors
sont un prélèvement abusif, le prévôt usant ici de sa position de force pour
extorquer aux paysans une redevance indue : « Regnaud du Parchier […] dict
quil at plusiours fois ouy dire que le prevost leur faisoit tort de prandre de
deux fors. » Le second, Pierre Fornier, explique que les deux fors ne relèvent
pas de la redevance seigneuriale, mais qu’on les doit « par courtoisie » : « Pierre
Fornier dict et despose par son seremen […] quil ne scait si on luy doibt les
deux fors car il dict quil sont par courtoisie. » Le statut particulier de Renaud
du Parchier, qui semble appartenir à l’élite du village, lui permet sans doute
une plus grande liberté de ton. C’est chez lui que le jambon litigieux a été
déposé et il intervient ici finalement comme un homme des confiance des
deux parties, un intermédiaire entre la strate seigneuriale et la strate paysanne.

     30. Arch. dép. Jura, 2H 438.

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 Vincent Corriol

Cette dernière précision semble établir une distinction, subtile mais


nette, entre ce que l’on doit verser et ce qu’il est conseillé de verser. Doit-
on y voir un de ces exemples du « terrorisme seigneurial » souvent mis
en avant, une exaction indue prélevée par des agents du seigneur un peu
trop rapaces et abusant de leur position ou, au contraire, une tentative
subtile des paysans de contester une redevance par ailleurs plutôt floue,
ces différentes hypothèses ne s’excluant pas mutuellement  ? Il semble
cependant que Pierre Fornier exprime ici une distinction fondamentale
entre des obligations qui seraient dues par devoir et d’autres «  par
courtoisie  ». Il est suivi en cela par neuf autres témoins, qui établissent
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et reprennent cette distinction entre des obligations dues « par devoir  »
(ex debito) ou par coutume. Six d’entre eux ne parlent que de Berthet,
déclarant ne pas savoir s’il doit la corvée de coutume ou par obligation.
Jean Vuaz et Renaud du Parchier, décidément très contestataires, déclarent
par exemple tous les deux ne pas savoir si Berthet, qu’ils certifient tous
deux avoir vu accomplir sa corvée, le doit « par debvoir ou non ». Jehan
Vion, Guillaume Berard, Hugo Mollinys, dont les interrogatoires sont
retranscrits en latin, déclarent tous les trois avoir vu Berthet ou l’un des
siens accomplir la corvée, sans savoir si cela a été effectué « par devoir ou
non » 31. Jean Vion va même plus loin, déclarant que, s’il a vu à plusieurs
reprises des particuliers effectuer la corvée ou livrer des jambons, il ne
sait pas si l’obligation porte sur tous les tenanciers de la prévôté ou non,
ni si ceux qui l’ont fait l’ont fait par obligation ou non, laissant la porte
ouverte à d’éventuelles exemptions 32. Jean Mathieu, Pierre Vincent et
Jean Hugon soulignent de leur côté l’aspect coutumier du prélèvement :
« ainsy lont accoustumé de faire à Sepmoncel, ne scait si cest par debvoir
mais tout son temps lont aussy accoustumé  » ; « ainsy est user tous le
temps de sa memoire et lon a payé ne (scait) si par debvoir ou non » ; « ne
scait si lon doibt les choses par luy desposé ou non par debvoir mais on
a usé ladite usance. »
Il ne s’agit évidemment pas d’une argutie juridique ou d’une quelconque
rouerie paysanne. Nous sommes ici au cœur de la relation seigneuriale et
de la légitimité du prélèvement. Cette question des redevances obligatoires
ou coutumières définit la nature même de la relation et l’existence du

     31. « Tamen nescit si hoc dat ex debito », « nescit si (dat) ex debito vel non » ; « tamen nescit si
erat ex debito » : Arch. dép. Jura, 2H 438.
     32. « Joannes Vion […] dicit se tantum scire quod ipse […] vidit anno quolibet quod plures de
dicta prepositura venebant et redebant corvatam pro dicto Glaudio sed nescit si omnes veniebant.
Item quod etiam vidit sibi ipsi Glaudio apportare plures tibias porci sed tamen nescit si omnes
faciebant corvatae et nescit si omnes tenebant tibiam et si faciebant omnes corvatam nec etiam scit
si dictae tibiaae tradebant ex debita vel non et si debeant corvatam vel nescit » : ibid.

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Redevances symboliques et résistance paysanne au Moyen Âge 

prélèvement. Obligatoire, la redevance n’est que contrainte, rappelant la


soumission étroite et non discutable des paysans au pouvoir seigneurial ;
coutumière, elle est un accord tacite, de gré à gré, la contrepartie librement
consentie de la protection seigneuriale.
Tutelle seigneuriale et contestation paysanne
Les distinctions établies par les témoins replacent l’affaire dans un
contexte plus général. Le refus de Berthet de payer sa redevance s’inscrit
dans cette dialectique de l’obligatoire et du coutumier. Dans le premier
cas, il est indéniablement en tort. En revanche, dans la seconde hypothèse,
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le refus du seigneur de percevoir le jambon offert, quand bien même
serait-il dans un piteux état, légitime la position de Berthet, qui ne se sent
visiblement plus tenu de payer ou de verser un autre jambon. L’affaire
touche donc au plus profond de la justification du prélèvement seigneurial,
expliquant l’attention portée à l’affaire par toute la société seigneuriale
locale. Cette ambiguïté entre travail imposé et aide volontaire, déjà notée
et analysée par Isabel Alfonso, revêt une grande importance aux yeux des
paysans, qui distinguent soigneusement obligation de travail, vécue comme
humiliante, et contribution volontaire, service rendu volontairement et de
plein gré à titre de faveur visiblement plus valorisé. Il ne faut évidemment
pas se leurrer sur la réalité du libre choix :
« Ce dernier mot ne semble s’appliquer qu’au comportement des puissants
faisant preuve de générosité et de miséricorde, vertus qui en faisaient de bons
seigneurs et justifiaient ainsi les services et les redevances exigées. Non que
les paysans aient été dupes de cette façon de présenter les choses, de cette
rhétorique du savoir-faire et de la générosité du seigneur, de cette réciprocité
servant à justifier l’exigence des services. Ce que les textes nous montrent,
c’est comment ils pouvaient l’utiliser en leur faveur pour limiter la volonté
arbitraire du seigneur, améliorer leur condition de dépendance 33. »
Le contexte sanclaudien inscrit ces revendications dans la phase terminale
du mouvement de durcissement des conditions socio-juridiques, qui voit
le statut servile s’imposer définitivement à l’ensemble des paysans du
monastère dans la seconde moitié du xive siècle 34. C’est en effet dans
les années 1350-1380 que le statut servile se met en forme et devient la
condition habituelle des tenanciers, définie par une coutume de la terre qui
s’oppose de plus en plus nettement à la coutume de la ville définie comme
libre. Symbole de l’aboutissement de ce mouvement, l’apparition des
premiers affranchissements individuels dans les années 1370-1380 consacre

     33. Alfonso, 2002, p. 309.


     34. Voir Corriol, 2009.

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 Vincent Corriol

l’établissement d’une frontière entre deux conditions suffisamment tranchées


pour que l’on ne puisse passer de l’une à l’autre sans la sanction seigneuriale.
Le mouvement est cependant progressif, les actes d’affranchissement et les
conditions d’accession au statut privilégié ne trouvant leur forme définitive
et normalisée qu’à partir des années 1400-1420. Il n’est d’ailleurs absolument
pas innocent que le seul témoin qui se déclare exempté de la corvée soit un
témoin « franc » : « item Pierre Vuillo dict quil est franc et ne doibt rien » ;
Hugo Mollynis précise lui aussi que seuls les taillables sont tenus de verser les
redevances incriminées 35. Il semble donc que l’on puisse établir un lien direct
entre ces conditions de dépendance, dont la formalisation est assez récente
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pour que les paysans en aient conscience, et la contestation de l’obligation
du paiement de la redevance. Catherine Letouzey avait noté elle aussi ce lien
entre l’attention portée au choix des mots et la formalisation des conditions
socio-juridiques : dans les domaines anglais de l’abbaye de la Trinité de Caen,
les corvées dues « par coutume » (de consuetudine) ou « par amour » (de amore)
peuvent souligner des types de tenures et, partant, des degré de dépendance
divers, dont la signification, symbolique ou non, revêt aux yeux des paysans
une très grande importance, dans un contexte où les statuts tendent à se faire
plus rigides 36. On peut établir un constat similaire avec le procès de Berthet
de Lessard. Finalement, ce que les paysans contestent, ce n’est peut-être pas
tant telle ou telle redevance, mais le caractère obligatoire et contraint de
celle-ci, qui contrevient avec le mythe originel du choix librement consenti
d’un versement en échange de la protection. S’exprime ici la nostalgie d’un
système social où les tenanciers ne seraient pas simplement les sujets d’un bon
vouloir, qui subiraient de manière contrainte et sans possibilité d’expression
ou de contestation des évolutions décidées unilatéralement par le seigneur,
mais bien les acteurs d’un système social où le versement librement consenti
des prestations seigneuriales n’est que la contrepartie des obligations de
protection du seigneur, justifiant ainsi sa position éminente. On peut noter
d’ailleurs l’évolution contemporaine de l’usage que le pouvoir seigneurial fait
du vocable de sujet. Très rarement employé par les abbés de Saint-Claude
et leur chancellerie, il est au contraire d’usage courant dès le milieu du xive
siècle dans les autres chancelleries pour désigner les hommes du monastère.
On le retrouve par exemple en 1356 (archevêché de Lyon), 1360 (chancellerie
impériale) ou 1364 (chancellerie de Jean de Chalon-Arlay). La chancellerie
abbatiale ne l’emploie qu’en 1310, dans la charte octroyée aux bourgeois de

     35. « Hugo Mollynis, de Coyrières dicit onmes articulos supra scriptos esse veros […] et semper
fuit publicum et notorium, in totam predictam preposituram quod omnes a dicta prepositura
tailliabiles ad omnis premissa tenebatur » : Arch. dép. Jura, 2H 438.
     36. Letouzey, 2009, p. 73-108.

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Redevances symboliques et résistance paysanne au Moyen Âge 

Saint-Claude, puis en 1434, dans un procès qui oppose le monastère aux


Dortans, et à nouveau en 1451, dans le règlement interdisant la vente des
biens de mainmorte à des non mainmortables, édicté par l’abbé Étienne
Fauquier. À partir du milieu du xve siècle en revanche, il devient d’usage
fréquent, entérinant le changement de perspective intervenu entre le pouvoir
seigneurial et ses tenanciers.

*
La tentative de Berthet tourne court ; et il est finalement contraint à verser
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non seulement la corvée de l’année en cours, mais aussi celle de l’année
précédente qui faisait l’objet du litige. Ce procès et le soin mis à le rédiger et à
le conserver permettent de lever le voile sur les mécanismes de légitimation et
d’acceptation du prélèvement seigneurial. Le fait que ce procès ait été recopié
au xviie siècle, alors même que l’affaire était entendue depuis longtemps,
prouve suffisamment l’importance qu’on lui attribue encore, plus de deux
siècles après sa conclusion.
Si la fraude fait naturellement partie du système, celui-ci n’est pas
fondamentalement remis en cause, tant que les paysans gardent l’impression
que celui-ci conserve une légitimité, ou qu’ils pourraient jouer un rôle dans
son maintien ou son évolution. À partir du moment où ils ne subissent que
la contrainte, la dégradation de leur statut qui en découle est d’autant plus
vivement ressentie qu’elle s’accompagne d’une formalisation juridique précise.
Le caractère symbolique de la prestation ici en question est parfaitement
compris et ressenti par toutes les parties en présence. C’est précisément parce
que cette redevance est un symbole que l’attitude de Berthet est symbolique
elle aussi, emblème de paysans qui n’entendent pas se laisser dicter des
évolutions sans réagir.

Bibliographie
Alfonso, Isabel, « La contestation paysanne face aux exigences de travail seigneuriales en
Castille et Léon. Les formes et leur signification symbolique », in Bourin et Martinez-Sopena,
2002, vol. 1, p. 291-320.
Bloch, Marc, « Liberté et servitude personnelle au Moyen Âge, particulièrement en France :
contribution à une étude des Classes » (1933), repris in Mélanges historiques, 2 vol., Paris, 1963,
vol. 1, p. 286-355.
Bourin, Monique et Martinez-Sopena, Pascual (dir.), Pour une Anthropologie du prélèvement
seigneurial dans les campagnes de l’occident médiéval (xie-xive siècle), 2 vol. (vol. 1 : Réalités et
représentations paysannes, Paris, 2002 ; vol. 2 : Les Mots, les temps les lieux, Paris, 2007).
Brunel, Ghislain, « La France des corvées. Vocabulaire et pistes de recherche », in Bourin et
Martinez-Sopena (éd.), 2002, vol. 1, p. 271-290.

Histoire et Sociétés Rurales, n° 37, 1er semestre 12, p. 15-42.

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 Vincent Corriol

Carrier, Nicolas, « Le rachat des redevances en nature en Dauphiné et en Savoie à la fin du
Moyen Âge, d’après les venditiones des comptes de châtellenie (xiiie-xve siècle) », in Feller (dir.),
2009, p. 145-166 ;
—, « Les moines et la montagne en Savoie du Nord (xie-xve siècle) », Montagnes médiévales
(Actes du xxxive congrès de la shmesp, Chambéry 2003), Paris, 2004, p. 221-239.
Corriol, Vincent, Les Serfs de Saint-Claude. Étude sur la condition servile au Moyen Âge,
Rennes, pur, 2009.
Delsalle, Paul, Lexique pour l’étude de la Franche-Comté à l’époque des Habsbourg (1493-1674),
Besançon, 2004.
Demade, Julien « Les “corvées” en Haute-Allemagne. Du rapport de production au symbole
de domination (xie-xive siècles) », in Bourin et Martinez-Sopena (éd.), 2002, vol. 1, p. 337-363 ;
—, « Le paiement par conversion des redevances seigneuriales dans un village franconien au
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xve siècle », in Feller (dir.), 2009, p. 27-54.
Duby, Georges, « La seigneurie et l’économie paysanne, Alpes du sud, 1338 », in Hommes et
structures du Moyen Âge, vol. ii, Seigneurs et paysans, Paris, 1979, rééd. 1988, p. 20-60.
Dunod de Charnage, François-Ignace, Traité de la mainmorte et des retraits, Paris, 1733.
Feller, Laurent (dir.), Calculs et rationalités dans la seigneurie médiévale  : les conversions de
redevances entre xie et xve siècles, Paris, Publications de la Sorbonne, 2009 ;
—, « Les conversions de redevances. Pour une problématique des revenus seigneuriaux », in
Id. (dir.), 2009, p. 5-25.
Grappin (Dom), Pierre-Philippe, Recherches sur les anciennes monnoies du Comté de Bourgogne
avec quelques observations sur les poids et mesures autrefois en usage dans la même province, Besançon
et Paris, 1782.
Lachiver, Marcel, Le Dictionnaire du monde rural. Les mots du passé, Paris, 1997.
Letouzey, Catherine, « Entre Angleterre et Normandie : la politique de conversion des
redevances de l’abbaye de la Trinité de Caen (xiie-xiiie siècle) », in Feller (dir.), 2009, p. 73-108.
Mouthon, Fabrice, « Moines et paysans sur les alpages de Savoie (xie-xiiie siècle) : mythe et
réalité », Cahiers d’histoire, 46, 1, 2001, p. 9-25.
Pichot, Daniel, « Cens de l’ouest, cens en argent (xie-xiiie siècle) », in Feller (dir.), 2009,
p. 121-144.
Scott, James, « Resistance without protest and without organisation : peasant opposition to
the islamic Zakat and the christian tithe », Comparative studies in society and history, 29, 1987,
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Scott, James, Domination and the arts of resistance hidden transcripts, New Haven, 1990 ;
—, Weapons of the weak. Everyday forms of peasant resistance, Londres / New Haven, 1985.

Annexe

Procès entre Claude de Dortans, seigneur du Villard et prévôt de Saint-Sauveur,


et Berthet de Lessard, au sujet corvées dues à cause de la prévôté (1423)
Arch. dép. Jura, série H, sous-série 2H, Fonds de l’abbaye de Saint-Claude, cote 2H 438.
2 cahiers papier, respectivement 6 et 14 folios.
Le procès n’est conservé que par une copie sur papier réalisée au xviie siècle, aujourd’hui en assez
mauvais état. Les termes dont le rendu ou la lecture sont problématiques ont été mis entre parenthèses.
Les lacunes illisibles dans le texte ont été signalées avec le signe « […] ». Les pièces du procès et les
témoignages n’ont pas été repris en intégralité ; seuls les plus intéressants dans la perspective de cet
article ont été retranscrits.

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Redevances symboliques et résistance paysanne au Moyen Âge 

F
rançois Humbert, escuyer, gouverneur general au temporel de la Terre Saint
Ouyan pour reverend pere en Dieu et seigneur Monseigneur François, par la
grace de dieu abbé du monastere de Saint Ouyan de Joux, en son absence,
faisons scavoir a tous qui ces presentes lectres verront que lan de nostre seigneur couran
mille quattre cen vingt trois et le vingt septiesme jour du mois de mars, au lieu de 5
Moyren, se comparurent et presenterent par devant moy en jugemen noble homme
Claude de Dorten, escuyer, acten, dune part, et Berthet de Lessard de laultre part ; et
fust faict demande par devan moy par ledit Claude, actent, a lencontre dudit Berthet,
rée, en laquelle demande ledit Claude, acten, disoit et affermoit que iceluy Claude,
acten, est prevost de Villars, a des droitz, seignorie et retenuz appertenans a ladicte 10
prevosté et estoit par ledit temps dont ci devant est faicte mencion, pour tel tenu, porté
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et repputé ; et que entre les aultres choses sont appartenan audit Claude a cause de
ladicte prevostez et a accoustumé avoir sur tous les hommes manans residans en ladicte
prevosté ung chascun an une corvée dhomme, douze deniers genevois, deux fors pour
ledit Claude ou son commis a recepvoir les tailles et pour (esfacier) ladicte taille et une 15
jambon de porc de tous ceux qui font baccon ung chascun an ; et que iceluy Claude
tant par luy que ses predecesseurs prevosts dudit Villars dont il a charge en ceste partie,
a usé de bonne et paisible saisine et possession ; et aussy doibvent lever et percepvoir
d’ung chascun homme manan et habitant en ladite prevosté les corvées, deniers, fors,
et jambes de porc dont dessus est faicte mencion a iceluy Claude a cause de ladicte 20
prevosté dont a jouy et usé ça en arrière paysiblement continuellement par tant de
temps quil nest memoire dhomme du commencemen ne du contraire  ; et encour
faict de […] ne juremen jusques a la spoliation dont cy apprès est faicte mention et
ne ledit Berthet, rée, est manan, habitant et demeurant au lieu de Lezart quest […] de
la prevostez dudit Villard et par ce doibt et est tenu ledit Berthet de payer et faire les 25
choses dessusdictes audit Claude a cause de sadicte prevostez ; et ledit Claude prevost
que dessus aussy estant et faisan possession aussy debvoir lever et percepvoir dung
chascun habitant manant et residant en la prevostez les choses dessusdictes.
Et […] pour l’année mil quatre cent vingt deux dernierempent passée et que
ladicte corvée a esté commandée en temps opportun audit Berthet (rée) et que iceluy 30
Berthet a esté commandé ladite corvée par ledit Claude, niant et refusant de faire
ladicte corvée et de payer les choses dessusdictes pour lannée mille quattre cen vingt
trois indehuement et faussement en despouillant ledit Claude prevost dessusdict de
sadicte saisine possession et estoit entendu iceluy despouillé a tort et sans cause ; et en
oultre disoit ledict acteur que ledit Berthet, rée, a faict bacon en ladicte année derniere 35
passée mille quattre cen vingt trois et estoit que par ce que dict en apparu clairement
ledit Claude prevost que dessuz avoir esté despouillé et despossessioné de sadicte
saisine et possession par negation et refuz dudit Berthet des choses dessusdictes.
Et pourquoy touchant ledit Claude prevost que dessus, actent, alencontre dudit
Berthet et tout aultres pour luy dependant comparoissant et demandoit evoqueroit 40
que par moy et ma sentence diffinitive fussent dict et dioit, declaire, prononce et
sententionne ledit Claude avoir esté despouillé et despossessioné de sadicte saisine

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 Vincent Corriol

et possession par le refus et denegation faicte par ledit rée en ladicte année mille
quattre cen vingt trois de faire ladicte corvée et payer lesdictes choses dessusdictes,
45 en condampnant ledit Berthet a remectre et restituer ledit acteur en sadicte saisine
et possession ou aussy comme pour les interestz et dommaiges dudit Claude quil at
constituez pour la denegation et reffuz induehement faicte par ledit rée a rendre et
payer audit Claude trois escuz dor solué leal taux.
[suivent les articles de procédure]
50 […] Et renoncean lesdites parties en cause demandant lesdits droict desquelles
parties apporte ce comparoissantes a certain jour par devant moy et icelles parties
ensemble leurs procez et a cause dessusdictes en lestat quelle estoit remis pour
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certaine requeste par devant Messeigneurs et saiges Messire Anthoine de Chastillion
et Philibert de Cornon, vicaires de mondit seigneur, pour cognoistre et terminer
55 ladite cause et assigner journée auxdictes parties a certain jour lors suyvan pour
devant messeigneurs lesdits vicaires en tel estat duquel estat ouyr droit en ladite cause
auquel jour lesdites parties se comparurent par devant nosdits seigneurs les vicaires,
lesquelx vicaires lont occupez de plusieurs besougnes touchant le faict de mondit
seigneur et de leglise ne peurent oyr ne cognoistre de ladicte cause mais remirent
60 et renvoyerent lesdites parties ensemble leur procez et leurdite cause par devant
moys en tel estat sans y rien changer et moy commetant par leur lectres patantes la
cognoissances de ladicte cause et assignerent journée esdites parties a certains jour
lors suyvan par devant moy a proceder selon raison.
Auquel jour se comparurent lesdites parties par devant moy et mirent en nostre
65 main ledit procez, esquelles parties fust journée par moy assignées a certain jour lors
suyvan a ouyr droit comme devant ; auquel jour que fust le mardi dix septiesme jour
de juillet lan mille quattre cen vingt trois se comparurent et presenterent en jugemen
par devant moy lesdites parties audit lieu de Moiren cest assavoir Joan Girod, de
Moiren, clerc, procureur par nom de procureur dudit Claude, actent, escuyer  ;
70 Johan, fils dudit Berthet de Lessar, pour et au nom dudit Berthet de Lessar, son père,
daultre part ; lesquelles parties demandoient droit a illec estre dict et faict par moy et
sur ladite cause ; et moy ledit François gouverneure et commissaire que dessus estan
pour ce tribunal, consideré les merites de ladicte cause […] diligemment regarder par
moy les actes et procez de ladite cause, les dépositions desdits tesmoings produittes et
75 examinez pour la partie dudit acteur et lectre exhibées par ledit rée et aultres choses
que a ce de droit faisoient ; et consideré lesquelles ont mehu moy comparu du conseil
de plusieurs saiges en droit invoquant le nom de nostre seigneur, et faisant le signe
de la croix, disant in nomine patris filii et spiritus sancti 37 ; a dict et avoit prononcé et
declaré et par ma sentence diffinitive et par ces presentes dict, prononce et declaire
80 que veu et attendu ledit acteur avoit bien et souffisamment prouvé son intention
alencontre dudit Berthet de Lessar, rés, et les tiltres produits par ledit Berthet contre
lesdit acteur ny pouvoir non debvoir nuyre audit acteur esdites causes par luy
demandées audit rée ; et pour ce jay condampner et condampne par ces presentes
     37. Ici se trouve une croix insérée dans le texte.

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Redevances symboliques et résistance paysanne au Moyen Âge 

ledit Berthet, rée, pour luy et ses hoirs manans et residans en la prevosté dudit Villars
a rendre payer et faire doresnavant audit Claude acteur et a ses successeurs prevosts 85
du Villar chacun an perpetuellement une corvée dhomme, douze deniers genevois
et deux fors et, pour chacune année qui fera baccon, une chambe de porc pour la
cause contenues en ladite demande dudit acteur  ; et auxi pour les arreages de la
saison mille quattre cen vingt trois dernierement passée une corvée dhomme, douze
deniers genevois, deux fors, une chambe de porc et aux despens dudit acteur faictes 90
demeuran en ladite cause desquelx jay reservé a moy la taux.
Donné a Moyren judicialement en presence desdites parties comparoissantes
comme dessus soubz le scel rond de Mondit seigneur ledit mardi dix septiesme jour
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de juillet lan mille quattre cen vingt trois, presens Joan […] 38 de Moyren, Pierre
Champellan de Martignia et Claude (Basset) de la Rexouse tesmoinfs a ce appellez 95
et specialement requis et demandez.
Ainsy signé G. et scellé dun scel a simple queue du parchemin pendant.
Et au bas en marge […] par ledit monsieur le gouverneur.
[Suit la copie des lettres de commission de François Humbert, «  gouverneur
general en la temporalité de la terre de Saint Ouyan pour reverend pere en Dieu et 100
Seigneur Monseigneur l’abbé de Saint Ouyan de Joux », chargé de mener l’enquête].
Par devant nous noble homme et saige François Humbert gouverneur général de
la Terre Saint Ouyan pour très reverend pere en dieu et seigneur Monseigneur l’abbé
de Saint Ouyan de Joux, dict et propose noble homme Claude Dortens, escuyer,
prevost du Villars, actent, alencontre de Berthet de Lessar, rés, lesdicts faictz et chose 105
suyvantes :
Premierement dit que ledit Claude est prevost dudit lieu de Villars a des droictz
seigneuriaux et nobles appartenant a ladicte prevostey et estoit et par le temps dont
cy apprès sera faicte mention et pour tel tenu, porté et reputé ;
Item que entre les aultres choses appartenant audit Claude a cause de sadicte 110
prevostey, ledit Claude, a cause dicelle prevostey, a accoustumé davoir sur tous les
habitants hommes manans et residans en sadicte prevostey ung chascun an une
corvée dhommes, douze deniers genevois, deux fors pour ledit Claude ou son
commis a recepvoir les tailles et pour (esfacier) lesdictes tailles et une chambon de
porc de tous ceux qui font baccon ung chascun an. 115
Item que ledit Claude tant pour luy que ses predecesseurs prevostz dudit Villars
dont il a cause en ceste partie ont estez en bonne et paisible saisine et possession
ou auxi davoir lever et prendre ung chascun homme habitant et manant en ladicte
prevostey les corvées, deniers, fors et chambe de porc et pour y estre mention.
Item que ledit Claude et ses predecesseurs prevostz dudit Villars dont il a cause 120
en ceste partie ont ça en arriere jouy et usé paisiblement et continuellement davoir
et percepvoir ung chascun an des habitans et manans en sadicte prevostey lesdictes
corvées, deniers, fors et chambes de porc par tant de temps et pour tant de temps

     38. Le prénom est suivi d’un blanc, vraisemblablement pour « Girod », nom du notaire.

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 Vincent Corriol

quil nest memoire du commencement ny du contraire, a droict faire ledit Claude


125 mesmement jusques a la spoliation dont cy apprès sera faicte mention.
Item que ledit Berthet, rée, est manan habitant et demeuran au lieu de Lessar qui
est et (meut) de la prevostey dudit Villars et par ce debvoit et estoit tenu de payer et
faire les choses dessusdictes audit Claude a cause de sa prevostey.
Item et que ledit Claude prevost que dessus ainsy estant en saisine et possession ou
130 auxi davoir lever et percevoir desdits habitans manans et residans en ladicte prevostey
et […] pour lannée mille quattre cen vingt deux dernier passée et que ladicte corvée
a esté commandée par temps opportun audit Berthet, rée, et que ledit Berthet a esté
requis et interpellé suffisamment par ledit Claude, actent, comme accoustumé estoit
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ledit Berthet, rée, a esté desnoiant et refusant de faire ladicte corvée mille quattre
135 cen vingt trois indehument et frauduleusement et despoliant ledit Claude prevost de
sadicte saisine et possession ou auxi (et encore refuser) iceluy dispolier a tort et sans
cause et raison de payer les choses dessusdictes pour ladicte année.
Item que ledit Berthet a faict en ladicte année dernière passée mil iiiic xx iii
bacon.
140 Item de par ce que dessus se voit puis apprès clairement ledit Claude prevost que
dessus avoir esté despolié et despossessionné de sadicte saisine et possession ou aussy
par la negation et reffuz dudit Berthet des choses dessusdictes.
Item pour les choses dessusdictes et chascunes delles sont vrayes, notoires et
manifestes, et controler chascune delles […] voye et (fame) publicque renommées
145 audit lieu de Villars et lieux circonvoisins et les at confessés par plusieurs fois ledit rée
estre vrayes et confession a luy (prejudiciables).
Pourquoy conclud ledit Claude, prevost que dessus, actent, alencontre dudit
rée et tous a aultres pour luy legitimement comparoissant, demandant et requerans
a vous mondit seigneur le gouverneur et par vous en vostre sentence diffinitive et
150 bon jugemen soit dict a droict, declairé, prononcé, sententié ledit Claude avoir esté
dispolié et despossessionné de sadicte saisine et possession ou aussy par lo reffus et
denegation que ledit rée a faicte en ladicte cause de lan quattre cen vingt trois dernier
passé de faire ladicte corvée, de payer la chose dessusdictes en comdampnant ledit
rée a remectre et restituer ledit Claude en sadicte saisine et possession ou aussy pour
155 interestz et dommaiges dudit Claude quil a soubstituez pour ladicte denegation et
reffus par luy faict a sa coulpe (damnable) a payer et randre audit Claude trois escuz
dor soluée courant taxation sil conserve les choses dessusdictes estre veritables que
aussy soit dict et sil lor nye ledit Claude souffrant de prouver et suffisamment baillant
jour de ce quil poura (preouver) sans luy astraindre a aulcune superflu probation
160 protestation de croistre munir a moitié et meillour forme ceste presente demande si
(besoing) fait demandant despens implorant droit et justice en tour ce que […] et
sera de droict a ce implorant.
Lan de nostre seigneur mille quattre cen vingt quatre et le second jour du mois
de May auquel jour furent produictes a (Moyren) par devant nous, Jean Janin et
165 Jean Charnage, de Saint Oyan, clercs, notaires, commissaires députez par François

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Redevances symboliques et résistance paysanne au Moyen Âge 

Humbert, gouverneur en la Terre de Saint Oyan, pour noble homme Claude de


Dortens en la cause pendante par devant ledit gouverneur entre ledit Claude,
dune part, et Berthet de Lessar, daultre part, les personnes si sequentes, lesquelles
personnes ont juré par leur serement sur saints Evangilles, present ledit Berthet, de
dire et desposez verité sur ledit article a nous baillez par ledit Claude sur le débat 170
estant entre lesdictes parties par devant ledit gouverneur, lesquelx articles ont estez
lutz audit Berthet ausquelx a respondu et dit par son serement que lon luy at tout
lut que rien ne doibt audit Claude singulièrement il na voulu respondre (fors) a sa
(donneur) et response généale disant que rien ne luy doibt.
Et premièrement Pierre Vincent, de la Perrousaz, dage de bonne mémoire de L. 175
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ans ; sur le premier article interrogé dit et respond ledit article estre vray. Interrogé
comme il le scait, dit que Regnaud de Dortans, oncle dudit Claude au temps quil
vivoit, estoit prevost du Villars et apprès deces dudit Regnaud ledit Claude a succedé
es (seignorie) et prevostey dudit Regnaud comme ses (nepveux) et hoirs. Supra
secundo articulo dicti dicit que ainsy est user tous le temps de sa memoire et lon a 180
payé ne (scait) si par debvoir ou non. Sur le tiers article interrogé dict et despose que
en ladicte prevostey il a (usé) et aussy use comme (contenuz) audit article, (excepte)
que de deux fors pour (lequel) ne scait (rien). Sur le quarte article dict que lidit article
est vraye excepté de deux fors pour […]. Sur le 5 article dict et despose que ledit
Berthet demeure et riere ladicte prevostey du Villars mais il ne scait sil a accoustumé 185
de payer ou non. Sur le 6 ne scait rien. Sur le 7 ne scait rien. Sur le 8 ne scait rien.
Sur lo 9 dit que fame commune est en toute ladite prevostey de les choses desquelles
il a confessé scavoir. Ne scait si ledit articles confesse oncques les choses estant audit
article sur la voye et fame dict la voye et fame que veritable de ce quil a desposé. Signé
J Charnage, J Janin. 190
Item Jean Hugon, du Marestz do ladicte prevostey et (seigneurie), interrogé sur
ledit debat, dict et despose sur le premier article en tout et par tout comme ledit
Pierre Vincent premier tesmoin et agé (videlicet) de bonne mémoire de xxx ans
ou envyron. Sur le second article dict et despose que bien at accousutmé de payer
audit prevost tous les ans une jambe port et quil lo fault dez la jarret dune […] une 195
corvée dhomme et xii deniers et des deux fors ne scait rien et ne scait si lon doibt
les choses par luy desposé ou non par debvoir mais on a use ladite usance. Sur le tier
article dict et despose quil que parle a li aultre de ladicte prevosté lan ainsy user de
payer tous les ans ainsy quil la ouy dire et la ainsy use. Item sur lo quart article dit
quil la use sur luy et ainsy quil la desposé et sur les aultres ainsy quil lat oui dire et 200
no scait si oncques en fust (debat) et pour ladicte jambe ledit prevost debvoit tenir
un verrat. Sur le cinquième dit que ledit Berthet demeure a Lessar qui (gi) de ladicte
prevostey, no scait de les choses contenues en ledit article ou non bien (vehu) ledit
Berthet et sa femme par plusieurs fois qui audit nom du prevost du Villars ne scait si
est par debvoir ou non. Sur le vième article no scait rien. Item sur lo viième article 205
dict et despose que il qui parle que hat de ceste saison encloz […] auquel lieu avoit
trois baconne desquelx ledit Berthet en y avoir un porc par avis que lesdits […]. Sur

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 Vincent Corriol

le 8ème article no scait rien. Sur le dernier articles dict que la fame est ainsy quil a
desposé et dict (par devant). signé Joan Charnage et Jo Jan.
210 Item Pierre Arlier, habitants de Lessar, de la bonne mémoire de (70) ans, dict et
despose sur le premier article interrogé que ledit article estre veritable. Sur le 2ème
article dict et despose ledit article estre vray ainsy la luy a payé audit prevost tous lo
temps de sa memoire, et dict quil lat ainsy user et aultres excepté audit Berthet ; a
dict que bien a vehu lo filz dudit Berthet rendre sa corvée audit prevost par espace
215 de deux ans. Item sur le tier article dict ledit article estre vray excepté dudit Berthet.
Sur lo 4 article dit ledit article estre veritable et ainsy en a usé excepté dudit Berthet.
Sur lo 5 article dit que Berthet demeure a Lessar comme il qui parle et nest pas
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(place) franc […] il qui parle qui tiens la moytie du (maix) de Lessar. Sur le 6ème
article interrogé dict et despose que il ne est present quand ledit Claude a requis ledit
220 Berthet et est (jehune) selon ce quil est contenu audit article. Sur lo 7ème article dict
quil at oui dire que ledit Berthet a faict bacon a Saint Oyan. Sur le 8ème no scait
rien. Sur la voix et fame dict estre veritable. Signé J Charnagii, Jo Jan.
Item (Johan) du Prel en laige de soixante et de bonne mémoire de 50, dict et
despose le premier article estre vray et par ainsy est tenu publiquement estre prevost
225 du Villars il a luy appartenoit les droictz de la prevostey. Item sur le second article
dict luy tant […] que il scait bien que il est vray excepté des deux fors quil ne vu
oncques payer et que chascun chefs dhostel luy doibt une chamba qui faict bacon
dez le jarret en amont et que pour tenir chamba lo prevost doibt tenir un verrat pour
les proudhommes et que il at comme aussi payé ung chascun an et les aultres sans
230 (contredit). Item sur lo 3 article dit et despose comme dessus la desposé, excepté
que lon ne doibt pour lesdits deux fors  39. Item sur le 4 article dit que ledit Claude
la ainsy user comme audit article est contenu et quil a user rendre […] sa corvée et
payer la chamba a Regnaud de Dortens comme prevost du Villars par plusieurs fois
de la (dozena) et des deux fors rien nen scait. Et aussy audit Claude par plusieurs
235 aussy. Item sur le cinquieme dict […] que ledit Berthet est residant a Lessar et dict
quil doibt la chamba et courvée comme les aultres selon ce qui luy semble quil a veu
aussy payer la chamboa et rendre la corvée par plusieurs fois et rendu […] ung. Item
pour le vième dict ledit article estre vray quil a aussy veut user tout le temps de sa
memoire. Item sur le viième dict quil est vray quil a fait bacon. Item sur le viii article
240 dict que puisque ledit Berthet ne luy voulu rendre la corvée et payer la chambon il
semble quil despouillie ledit Claude. Item sur le 9ème dict quil est veritable quil est
vray et fame publique des choses quil a déposé. Signé Jo Charnage et Jo Jan.
[Suivent 9 autres témoignages]
Item lan que dessus a la vème journée dudit moix de may ledit Claude a produict
245 les tesmoins juramen lesquelx ont jurez par leurs sarements singulierement et
veritablement exprimez presentement ledit Berthet que […] faict ledit sarement de

     39. Dans le texte, on lit fois ; l’ambiguité entre fors et fois provient sans doute de ce que le scribe
qui a recopié le texte au xviie siècle n’a pas compris l’expression.

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Redevances symboliques et résistance paysanne au Moyen Âge 

jurer verité sur lesdits articles que dessus et sur ung chascun diceux ont desposé par
la maniere que sensuyt :
[le premier témoignage est presque illisible]
Jean (Vuaz) dict et despose lo i article estre vray que arriere lo tient en […] comme 250
devanciers. Item sur le second article dict quil a demeuré au Villars environ 30 ans
et que par celuy temps il a vehu payé ledit tribut comme lo chambat, la corvée, la
douzeina, des deux fois rien ne scait, et ce par tous ceux de la prevostey excepté
ceux du (Parchier) et du Marreschet et que de Berthet dict quil lui a vehu rendre un
journal a fener par corvée ainsy que on disoit et a sa femme par plusieurs fois et a 255
veu que ledit Berthet a payé une fois ladit chambon mais pour ce quelle estoit petite
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on la luy tourna mais il ne scait sil la doibt ny la corvée ny le demeurant. Item lo tier
et quart articles dict estre vray quil est ainsy (bien usiter) lespace de trente ans sans
contredicts par toux de ladicte prevostey excepté ceux quil at excepté et lo (gentil).
Item sur lo 5 dict que ledit Berthet demeure a Lessar sur ladicte prevostey mais il ne 260
scait sil doibt rien, on ly a veu (venir) rendre et a sa femme corvée ou journal mais
il ne scait (si) par debvoir on non. Item du vieme article rien ne scait ny aussy sur lo
viieme et viiieme. Item sur le 9 il est voix et fama de telles choses publicques commil
a desposé. Signé Jo. Charnagii, Jo. Jan.
Item Regnaud du Parchier dict par son serement lo premier article estre vray. 265
Item sur lo second dict que par lespace de quatre ans il a rendu ledit tribut pour
ledit Claude et a tousiours ouy dire et vehu que lesdits demeurans dudit Villar ont
accoustumé et aussy user et lever sadicte tribut comme courvée, la dozena et deux
fois pour (espacier) et la chambaz payer chascun an qui faisoit porc, et dict quilat
plusiours fois ouy dire que le prevost leur faisoit tort de prandre de deux fors. Item 270
lo tier dict estre vray par […] quil y at (veu). Item lo quart croid estre vray. Item
sur le cinquieme dict que ledit Berthet demeure a Lessar qui est de ladicte prevostey
mais il ne scait si ledit Berthet le doibt ou non par debvoir. Item du VIème rien ne
scait fors ce quil a dict. Item le VIIème dit estre vray et que (Jehan) filz dudit Berthet
porta a la dame du Villars la chambe mais elle ne la voulu prandre car estoit mal faite 275
et la retourna et (entreposa) chez luy qui parle. Item sur le 8ème rien ne scait. Item
sur lo 9ème dict quil est voy et fama de ce quil despose. Signé Jo. Charnagii, Jo. Jan.
Item Estienne (Banoset) de bonne mémoire de 40 ans dict le premier article estre
vray. Item du second dict que bien a vehu payer la corvée la chamba et la dozena en
la ville de Sepmoncel et que des deux fois les at vehu payer aux uns et aux aultres 280
non que quand a luy il ne les paya oncques et aussy la chamba estoit sans (ongletaz)
et qui faict bacon le paye aultrement non et que de Berthet et des aultres de sur le
Villars rien ne scait. Item sur le tier sen rapport a ce quil en a dict. Item sur le quart
et scait comme dessus. Sur le 5 dict que bien scait que Berthet demeure a Lessar et
que Lessar est de ladicte prevostey et du demeurant rien ne scait. Item sur les aultres 285
articles 5, 6, 7, 8 sen rapporte a ce quil en a dict. item sur lo 9eme dict estre véritable.
Signé Jo. Charnagii, Jo. Jan.
[Suivent encore 8 autres témoignages. La sentence finale n’a pas été conservée].

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 Vincent Corriol

Abstract : Among the various fees making up seignorial levies, there were some, such
as chevage, gelinage, or certain kinds of corvées, the symbolic dimension of which was
seemingly much more important than their perceived economic value. This symbolic
and emblematic content of the seignorial fees was an integral part of the expression of
seignorial domination. The 1422-23 trial of Berthet de Lessard, a peasant belonging to the
landholdings of the Saint-Oyend de Joud/Saint-Claude monastery in the Jura, provides us
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with an opportunity to bring to light both seignorial practice and hidden strategies of peasant
resistance. This trial revolved around a symbolic fee, and therefore was an emblematic case,
which seignorial local authorities treated with the utmost concern. The event bore witness to
a muted struggle between two opposite views of seignorial fees and the seignorial relationship,
seen either as a free acceptance of seignorial tutelage or as a legally-based constraint..
Keywords : Rents, corvée, seignorial dominium, seignorial economy, expressing and materializing
dependency and domination, gelinage, seignorial levies, symbolic fees, serfdom, tallage.
Resumen : Podemos distinguir, en la diversidad de los tributos señoriales, algunos, como las
gallinas o algunas sernas, cuyo aspecto simbólico parece prevalecer sobre su valor económico
aparente. Este valor simbólico y emblemático de los derechos señoriales participa plenamente
de la expresión de la dominación señorial. El pleito de Berthet de Lessard, campesino en las
tierras del monasterio de Saint-Oyend de Joux/Saint-Claude (Jura), permite sacar a luz las
prácticas señoriles y las formas subterráneas de la resistencia campesina. Tratándose de un
tributo simbólico, constituye un caso emblemático tomado muy en serio por las autoridades
señoriles. Es el testimonio de una lucha sorda que opone dos concepciones del tributo y de
las relaciones señoriales, entre una libre aceptación de la autoridad del señor y una obligación
impuesta por el derecho.
Palabras clave : Censo, serna, dominium señorial, economía señorial, expresión y materialización de
la dependencia y de la dominación, gallinas, detracción señorial tributos simbólicos, servidumbre, talla.

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