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3.

L’appropriation de l’espace habité


Comment l’habiter s’exprime et se matérialise de manière
concrète ? Ce sont les différentes formes d’appropriation du lieu
qui concrétise l’inscription des modes d’habiter dans la réalité.

3.1. Dimensions psychologique et culturelle de l’appropriation

L’appropriation de l’espace habité désigne une relation


complexe entre l’homme, l’espace qui l’abrite et les objets qui
l’entourent. Les recherches ethnologiques montrent jusqu’à quel
point la distribution1 des personnes, des groupes familiaux ou
communautaires et des objets dans les lieux habités renseigne,
matériellement et symboliquement, sur la société observée par
les chercheurs.

Cette présence de l’usager dans son univers habité se traduit


par un certain nombre d’actions que Nicole Haumont2 résume :
« L’appropriation de l’espace désigne l’ensemble des pratiques qui
confère à un espace limité les qualités d’un lieu personnel ou
collectif. Cet ensemble de pratiques permet d’identifier le lieu ; ce
lieu permet d’engendrer des pratiques …, l’appropriation de
l’espace repose sur une symbolisation de la vie sociale qui
s’effectue à travers l’habitat ».

Par exemple, le plan d’une maison montre comment les


différentes pratiques et fonctions sociales s’inscrivent dans ce lieu
particulier. Lorsqu’ils décrivent la maison traditionnelle
algérienne, Susan NOWEIR et Jean-Charles DEPAULE3 dégagent
les « axes spatio-symboliques » qui la structurent depuis la skifa
jusqu’aux pièces intimes en passant par la chicane, la cour, etc.
1
Rappel : Dans son ouvrage, « Anthropologie de l’espace », Marion SEGAUD distingue
quatre universaux dans le rapport Homme/espace : fonder, habiter, distribuer et
transformer. L’appropriation est présente dans ses quatre actes.
2
Nicole Haumont, l’habitat Pavillonnaire, Paris, 1966. (Réédité récemment).
3
Susan NOWEIR, Jean-Charles DEPAULE, La maison et son usage, Revue Architecture,
Mouvement, Continuité n°48, 1978. Rappel important: ce texte a été distribué et il
est nécessaire de le lire et de faire le plan de la maison décrite à partir de cette
lecture.
Cours n°2 (suite)MADANI Mohamed, l’habiter : un fait anthropologique
Une lecture avisée montre un système d’oppositions :
public/privé, caché/montré, sale/propre, sacré/profane, etc.

Ainsi, chacun des habitants va aménager sa chambre comme lieu


de sa vie intime tout en participant à la vie collective de sa famille
dans le séjour ou la cuisine. Le salon représente une sorte
d’ouverture sur les « autres », un réceptacle du monde extérieur
(BIT EDDIAF). Comme on le constate, nous intervenons sur le lieu
pour lui donner une forme particulière, mais ce dernier nous dicte
une manière d’être et des comportements (propreté, respect de
l’intimité des autres, réception des invités selon les traditions,
etc.).

On le sait : pour arriver à un degré de perfection aussi


important (exemple : l’habitat vernaculaire au sahara) dans
l’appropriation de son lieu de vie, l’habitant doit développer des
compétences avérées pour atteindre son but : exercer une
maîtrise et une emprise sur son « territoire ». A travers clô ture,
marquages et aménagements, l’appropriation est le moyen qui
permet à l’usager de contrô ler son habitat.

Ainsi, l’appropriation représente le mode opératoire qui ouvre


pour l’acteur-habitant la possibilité d’habiter selon ses besoins,
désirs et imaginaire dans son « nid ». Pour désigner cet
investissement matériel (physique), affectif et intellectuel de
l’homme dans son espace, les socio-psychologues ont développé la
notion de « territorialité ».

DONC :

L’APPROPRIATION DE L’HABITAT EXPRIME UNE DOUBLE DIMENSION :


INDIVIDUELLE ET CULTURELLE. DANS CE DOUBLE MOUVEMENT, LE
CACHET PERSONNEL ET COLLECTIF (LE GROUPE FAMILIAL) DE L’ACTEUR-
HABITANT S’INSCRIT DANS LE LIEU HABITÉ

APPROPRIATION APPROPRIATION
INDIVIDUELLE SOCIALE
MAITRISE DU MAÎTRISE DES CODES
CORPS CULTURELS ET DES
NORMES SOCIALES
FIGURE 2 : La
dialectique de l’individuel et
du collectif dans l’appropriation de l’espace habité

Par la suite, avec l’écoulement du temps et l’expérience vécue,


l’habitant va développer des liens affectifs (familiarité et
mémoire) et cognitifs (connaissance des données spatiales) avec
son nid, construisant son chez-soi. Antre de sécurité, d’intimité et
de refuge. Un ordre à soi4.

On peut dire, ici, que la logique d’appropriation représente un


langage spatial différent de celui des concepteurs (logique savante
formelle de fabrication de l’espace). Ce langage spatial, silencieux
mais significatif, nécessite d’être décrypté par l’enquête
ethnographique (enquête de terrain des anthropologues)5.

Il est utile de préciser que l’usager est dans une situation de


désappropriation lorsque le choix et les décisions liés à
4
Pour de plus amples développements de ce passage, voir Mohamed MADANI, 1997,
L’habiter : contrainte ou liberté ? Une recherche sur la maison individuelle oranaise,
Revue Insaniyat n°2, Oran, CRASC.
5
Voir à ce propos la démarche de l’ethno-architecte Hassan Fethi. Le prochain cours
développera cette dimension en présentant la méthode ethno-architecturale qui permet
justement de mieux connaître le langage spatial véhiculé par les habitants lors de
l’appropriation du lieu habité.
l’appropriation de son lieu de vie ne lui appartiennent pas. C’est le
cas notamment du logement imposé 6. Sous la contrainte, l’habitant
essayera d’adapter par la ré-appropriation ce logement, souvent
sans y parvenir.

En effet, la nature juridique (si on est par exemple locataire), le


caractère de l’espace physique (structure métallique par
exemple. Voir «  batimat talian »7 à Oran) ou encore les conflits et
les pressions de la cohabitation peuvent empêcher l’habitant de
parvenir à son but. Après l’échec de l’expérience de l’adaptation, la
réappropriation passera par le départ vers un autre type
d’habitation ou vers un autre quartier. Ici, on pourra aménager un
lieu propice à soi, un espace qu’on peut s’approprier et où il fait
bon vivre.

4. Appréhender les modes d’habiter : la méthode


ethnoarchitecutrale
De nombreux architectes (Hassan Fethi, Daniel Pinson,etc.)
estiment nécessaire de connaître les modes d’habiter avant
d’élaborer le projet architectural. Dans ce sens, la mise en œuvre
de la méthode ethno-architecturale représente une démarche
féconde.

4.1. La méthode ethno-architecturale


6
Pour beaucoup d’algériens, l’appartement s’apparente à un pis-aller, un faute de mieux
auquel il faut s’accommoder pour un temps donné en attendant de trouver autre chose
ailleurs (fuite vers la maison individuelle). Dans ce dernier cas, la réappropriation sera
possible, surtout si c’est l’habitant qui dirige le projet de construction par lui-même. Voir
M.MADANI, op.cit.
7
Expression utilisée par les usagers des bâ timents construits par les italiens à HAI Ess
Séddikia (Oran Est).

Cours n°2 (suite1) : l’habiter : un fait anthropologique (Madani Mohamed)


Suite2(prochainement) : la méthode ethnoarchitecturale
La finalité de cette méthode est de dégager à partir de
l’observation des formes architecturales de l’espace habité les
représentations et les pratiques sociales et culturelles qui y sont
inscrites.
Le texte de Pierre Bourdieu « La maison kabyle ou le monde
renversé » 8 montre de manière détaillée comment les habitants
ont inscrit dans leur univers habité les marques de leurs
croyances, pratiques quotidiennes et symboles dominants.
A ce titre, l’auteur mobilise les techniques du relevé
architectural et du croquis pour décrire l’organisation de
l’espace intérieur de la maison. Cette description permet
d’observer la répartition des micro-espaces et de découvrir des
couples d’oppositions : humain/ animal, féminin/masculin,
haut/bas, éclairé/sombre, sec/humide, etc.

Exercice : lisez le texte de P. Bourdieu et faites l’inventaire


des différentes caractéristiques sociales, culturelles,
symboliques et rituelles relevées par l’auteur dans l’espace
de la maison kabyle.

Ensuite, une attention est portée au mobilier, aux objets et à


leurs usages. La technique du relevé ethno-architectural permet
de faire l’inventaire de l’ensemble des biens matériels et des
signes symboliques observés dans l’espace domestique. A ce stade
de la recherche, la prise de photographies et le film
ethnographique complètent ce dispositif d’observation de
l’univers domestique et des supports de la vie quotidienne
( objets, fonctions, couleurs, aménagement intérieur, etc.) qui s’y
trouvent.
Ces éléments représentent des « marqueurs » d’un mode de vie
aujourd’hui pratiquement disparu. Certains de ces objets anciens
(par exemple, les ustensiles de préparation culinaires et le couvert
traditionnel pour prendre les repas ) restent, dans certaines
8
Ce texte a été distribué. Il convient de le lire attentivement et d’en dégager le contenu
et la méthode utilisée par l’auteur pour rendre compte de la configuration spatiale et
socioculturelle de la maison traditionnelle kabyle.
familles, comme « souvenir », reliques d’un monde détruit par la
modernisation et que les jeunes générations ne connaissent pas.

Ce travail de découverte par la méthode ethno-architecturale


s’intéresse de très près aux désignations et au langage utilisés
par les habitants pour nommer les sous-espaces, les objets et les
inscriptions symboliques. De ce point de vue, une autre technique
est introduite par le chercheur : l’entretien avec les usagers qui
décrivent l’espace habité avec leur propre vocabulaire.
Ce langage véhicule un sens que l’enquête doit analyser et
décrypter. L’architecte devrait comprendre et accéder à ce dernier
par l’écoute et la communication avec les principaux concernés
par l’acte de construction. D’où le crédo de Hassan FETHI :
« Construire avec le Peuple »9 !

De nombreuses recherches dans le monde ont utilisé la


méthode ethno-architecturale qui conjugue entre elles différentes
formes d’observation avec les relevés architectural et ethno-
architectural, les entretiens et les techniques de prise de
photographies en vue d’enregistrer des « instantanés » (Daniel
PINSON) de la vie quotidienne.

Partant de là , on peut dire que cette méthode constitue un


dispositif efficace qui permet d’informer les architectes et les
chercheurs sur les usages sociaux et culturels de l’espace habité.
Les riches matériaux ainsi recueillis ne peuvent manquer
d’orienter qualitativement le projet architectural.

LA METHODE ETHNO-ARCHITECTURALE

RELEVÉ
ARCHITECTURAL RELEVÉ ETHNO-
ARCHITECTURAL

9
C’est le titre du livre publié par l’architecte égyptien avec la maison d’édition Sinbad.
 



L’OBSERVATION
L’ENTRETIEN

MÉ THODE
ETHNO-ARCHITECTURALE



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