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Gaston Bachelard (1950) La dialectique de la durée 22

coopération. Il y a des intuitions à la base de nos concepts : ces intui-


tions sont troubles - à tort on les croit naturelles et riches. Il y a des
intuitions dans la mise en rapport de nos concepts : ces intuitions, es-
sentiellement secondes, sont plus claires - à tort on les croit factices et
pauvres. Faisons rapidement la psychologie d'un esprit scientifique
tourmenté par l'idée du vide. Il a lu la longue histoire des doctrines du
vide ; il pratique la difficile technique du vide, toujours anxieux des
possibilités d'une micro-fuite ; il sait, sans doute, combien captieuse
est la notion du vide puisque, subitement, au moment où il pensait
pouvoir définir le vide de matière, il vient de voir ce vide habité par la
radiation. Il est donc mieux préparé que personne à comprendre une
théorie qui voudrait que le vide à un point de vue particulier soit au-
tomatiquement le plein à un autre point de vue. Mais il ne se contente
pas de cet automatisme. Il pressent un problème nouveau : il cherche
ou il cherchera à atteindre le vide à deux points de vue réunis ; il ten-
tera d'écarter et la matière et la radiation. Dès lors, son concept de vi-
de s'enrichit, se diversifie et par cela même s'éclaircit. Car aucun sa-
vant ne revendiquera pour ses idées expérimentales une clarté a prio-
ri. Il est aussi prudent que le philosophe intuitionniste. Il a la même
patience. Et voici d'ailleurs tout ce qu'il faut pour les réconcilier dans
une même estime : comme le dit justement M. Bergson, une intuition
philosophique demande une contemplation longuement [11] poursui-
vie. Cette contemplation difficile, qui doit être apprise et qui pourrait
sans doute être enseignée, n'est pas loin d'être une méthode discursive
d'intuition. C'est tout ce qu'il nous faut pour nous autoriser à adjoin-
dre, comme primordiale, la psychologie de l'éclaircissement des no-
tions à la définition logique de ces notions. Dès lors, l'équilibre s'éta-
blit entre la conceptualisation réciproque du vide et du plein et nous
pouvons, non pas comme points de départ, mais comme facteurs de
résumés, équilibrer les deux concepts contraires du plein et du vide.
C'est naturellement la même corrélation détaillée, discursive, qui
s'établit entre l'être et le néant quand on veut bien vivre l'oscillation
dialectique de la réalisation et de l'anéantissement. Si nous préten-
dions nous appuyer sur une dialectique logique, sur une dialectique
immédiate, en prenant tout de suite l'être et le néant comme des cho-
ses toutes faites, nous tomberions sous les coups de la critique berg-
sonienne. En effet, il y a un manque si choquant d'équilibre entre les
deux notions prises comme substituts de deux réalités ! N'éclate-t-il

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