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L’auteur remercie, tout particulièrement,

les Professeurs Alexia Autenne (UCL) et Nicolas Thirion (ULg)


pour leur lecture attentive du présent ouvrage
ainsi que pour leur grande disponibilité
et les précieux conseils qui lui ont été prodigués 1

1 Cet ouvrage est l’objet d’une recherche réalisée avec le support du 6e plan cadre européen pour la recherche
et le développement (projet REFGOV CIT3-2005-51320) et du Programme Pôles d’attraction interuniversi-
taire (PAI) – État belge – Politique scientifique fédérale (BELSPO).
PRÉFACE

PRÉFACE

Ce qu’il est désormais convenu d’appeler «l’affaire Fortis» constitue l’une de ces
sagas qui, par-delà leurs implications économiques et financières parfois drama-
tiques, tiennent lieu de pain bénit pour les juristes intéressés au droit des affaires.
La complexité et la diversité des problèmes, l’intrication des différentes questions
soulevées, la multiplicité des branches du droit concernées, la pluralité des sys-
tèmes juridiques (nationaux et européen) impliqués : tout cela a permis à certains
des plus éminents experts de l’art juridique d’utiliser les ressources presque infi-
nies de leur virtuosité.
Parmi les thèmes juridico-économiques évoqués à cette occasion, il en est un que
la structure institutionnelle du groupe Fortis a remis au goût du jour : celui des
groupes de sociétés. Il s’agit certes là d’une antienne qui, dans un passé pas si loin-
tain, occupa régulièrement le devant de la scène mais qui avait eu tendance, ces
dernières années, à s’effacer quelque peu. C’est peu dire que la contribution de M.
Frédéric Magnus est de nature à renverser cette tendance, tant il est vrai que, intri-
gué par les soubresauts de l’affaire susdite, celui-ci a remis l’ouvrage sur le métier
avec une remarquable rigueur. En effet, l’ambition de l’ouvrage que le lecteur a
entre les mains consiste rien moins qu’à faire le point sur les aspects juridiques du
phénomène économique des groupes de sociétés, non seulement à la lumière du
droit belge des sociétés, mais aussi à l’aune du droit de l’Union européenne et de
certains droits étrangers, convoqués pour les besoins – et les bienfaits – de l’ana-
lyse comparative.
L’angle d’attaque adopté présente du reste l’incontestable avantage de lier les
questions les plus pratiques à une institution fondamentale de notre système juri-
dique, mais ô combien disputée sous l’angle théorique : la personnalité juridique.
C’est qu’en effet, la difficulté essentielle réside dans cette apparente aporie : le
droit proclame la personnalité juridique distincte des sociétés composant le
groupe mais, dans le même temps, s’efforce d’atteindre, par-delà ces entités juri-
diquement séparées, la substance même de l’entreprise que forme le groupe.
C’est, au fond, de l’adéquation entre techniques juridiques et réalités écono-
miques qu’il est une fois encore ici question. M. Magnus a ainsi choisi de privi-
légier une perspective intellectuellement exaltante mais particulièrement diffi-
cile.
«Les groupes de sociétés existent, je les ai rencontrés» : paraphrasant André Fros-
sard, M. Magnus aurait pu d’emblée s’exprimer de la sorte. C’est en effet à une des-
cription des principales techniques de concentration entre entreprises que l’auteur
s’attache d’emblée, soucieux d’appuyer sa démonstration sur des faits incontes-

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F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS)

tables 2. Parmi ces différents mécanismes, la constitution d’un groupe de sociétés


occupe une place de choix en tant qu’elle permet à l’actionnaire de contrôle de la
société faîtière de maîtriser l’ensemble de l’activité de l’entreprise avec une mise
de départ (relativement) limitée. Face à un phénomène économique d’une telle
ampleur, les agents du système juridique (législateur et juges, en particulier) ne
pouvaient rester longtemps indifférents. C’est la raison pour laquelle un certain
nombre de règles et de principes ont émergé à la surface du discours juridique, afin
d’appréhender certains aspects de cette tendance lourde de certains systèmes éco-
nomiques. Les groupes de sociétés, en fait et en droit : tel est, en somme, l’objet de
la première partie de l’ouvrage.
Mais c’est pour mieux préparer les développements de la seconde partie, quanti-
tativement la plus importante. Le constat de l’existence de groupes de sociétés et
de leur prise en considération consécutive par des dispositions éparses du droit
économique ne doit-il pas, en effet, conduire à se demander si les personnalités
juridiques distinctes des sociétés qui les composent ne devraient pas céder au
profit de mécanismes davantage en phase avec la substance économique abritée
derrière cette pluralité d’entités en principe étanches, soit le groupe proprement
dit? La raison de ce souci affirmé de dépasser les apparences juridiques pour
mieux atteindre la réalité économique? En dernière instance, démontre M.
Magnus, une telle préoccupation s’explique par la volonté de protéger les intérêts
de ceux qui sont engagés dans une quelconque relation avec l’une ou l’autre
société du groupe.
La décision (ou la suite de décisions) qui a conduit à la création d’un groupe
s’accompagne il est vrai du souci du (ou des) actionnaire(s) de contrôle de la société
mère de mener, à travers la diversité des personnalités juridiques en cause, une
véritable politique d’ensemble, susceptible, le cas échéant, d’emporter des inci-
dences très différentes d’une société à l’autre : sacrifice d’une filiale au profit d’une
autre, transferts d’actifs ou de substance, flux financiers divers, etc. Or, cette
conséquence inéluctable d’une politique conçue pour les besoins du groupe tout
entier risque d’emblée de contredire certains des mécanismes les plus éprouvés du
droit des sociétés et, d’abord, cette idée, très largement reçue dans les droits conti-
nentaux, qu’une société doit en principe être gérée dans son intérêt (le fameux et
évanescent «intérêt social») et non dans celui d’une entité ou d’un ensemble dif-
férent (du moins, partiellement différent). Intérêt de groupe v. intérêt social : tel
semble être alors le dilemme fondamental auquel se trouve confronté le droit posi-
tif.

2 Le travail de M. Magnus témoigne d’ailleurs du souci constant d’être en prise avec les faits concrets, afin
d’éviter toute spéculation purement abstraite et de concentrer ainsi l’attention sur des questions qui, pour être
pratiques, n’en présentent pas moins des difficultés théoriques parfois redoutables.

10 LARCIER
PRÉFACE

Toutefois, cette première difficulté en fait immédiatement surgir une autre : c’est
qu’autour de chaque société du groupe, se sont agrégées diverses catégories d’inté-
rêts, à l’égard desquelles l’intégration de chaque structure sociétaire au sein d’un
ensemble plus vaste peut emporter des conséquences dommageables ou, à tout le
moins, contestables. Si, pour reprendre les notions traditionnelles de l’économie
politique, on analyse chaque entreprise comme une combinaison de deux facteurs
de production – le capital et le travail -, il convient en effet de se demander si les
apporteurs de l’un ou de l’autre ne devraient pas à leur tour être prémunis contre
les incidences excessivement négatives qu’une politique de groupe pourrait
emporter sur leur situation. C’est aussi bien le cas des actionnaires et créanciers
(apporteurs de capital), d’une part, que des salariés (apporteurs de travail), d’autre
part. Ici aussi, il s’agit de garantir que les nécessités d’une politique de groupe
n’obèrent trop radicalement le sort des parties prenantes aux sociétés qui le com-
posent.
Dans ces différentes hypothèses, la question centrale est, en dernière instance,
celle de la préservation de l’équilibre entre les différents intérêts en présence : afin
d’atteindre cet objectif, de très nombreuses ressources du raisonnement juridique
peuvent certes être utilisées mais, fondamentalement, la débat s’articule chaque
fois autour de l’alternative étanchéité / corrosion des personnalités juridiques dis-
tinctes. Tout le propos de M. Magnus consiste à montrer comment, à la recherche
du dosage le plus adéquat entre les intérêts en cause, un système juridique est
amené à jouer simultanément sur ces deux tableaux, d’apparence contradictoires.
Pour ce faire, il dresse non seulement un bilan tout à la fois descriptif et critique
du droit belge mais n’hésite pas à braconner sur les terres de droits étrangers
(essentiellement, les droits français, allemand et américain) ou du droit européen
afin d’éclairer davantage, grâce aux vertus de l’approche comparative, les enjeux
de la matière. Dans cette perspective, il offre au lecteur un panorama tout à la fois
global et synthétique des principales difficultés posées par le phénomène des
groupes de sociétés sous l’angle du droit des sociétés – tâche bien nécessaire après
les soubresauts d’une affaire et, plus largement, d’une crise économique et finan-
cière qui auront de nouveau mis sur le devant de la scène les difficultés particu-
lières soulevées par la gestion des groupes.
Le résultat est, nous semble-t-il, à la hauteur des espérances : dans un style clair
et didactique, M. Magnus affronte, impavide, les multiples questions liées à l’objet
de sa recherche et formule un état des lieux (parfois même, des propositions de
réforme) qui permettra assurément au juriste amené à traiter tel ou tel problème
abordé dans l’ouvrage à y trouver de quoi nourrir d’abondance sa réflexion. C’est
ainsi à la fois un plaisir et un honneur pour nous d’avoir encadré la recherche de
M. Magnus et d’en livrer ainsi les fruits au public, tant il est agréable de constater

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F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS)

que se vérifie parfois l’adage selon lequel la valeur n’attend pas le nombre des
années.
Alexia AUTENNE
Chercheuse qualifiée au FNRS,
Chargée de cours à l’UCL et à l’ULB
Nicolas THIRION
Professeur ordinaire à l’Université de Liège
Chargé de cours invité à l’UCL

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INTRODUCTION

INTRODUCTION

Les groupes de sociétés, généralement décrits comme des entités composées de


«plusieurs entreprises ou sociétés juridiquement indépendantes mais économi-
quement unies» 3, sont devenus, depuis de nombreuses années, des acteurs incon-
tournables du paysage économique. Face aux importants enjeux concurrentiels et
en raison de l’ouverture progressive du marché, de nombreuses sociétés se sont,
en effet, vues contraintes de s’organiser sous forme de groupe afin d’atteindre,
ensemble, une taille critique apte à assurer la pérennité de leurs activités. Cette
technique de concentration permet à plusieurs sociétés, de dimensions variables
et aux activités complémentaires, de poursuivre une destinée économique com-
mune.
Aux yeux des tiers, le groupe de sociétés a pour caractéristique de se présenter
sous les traits d’une «entreprise» 4, à savoir une unité organisationnelle durable
qui exerce une activité économique. Contrairement aux relations entre sociétés
indépendantes, une véritable synergie se dessine fréquemment entre sociétés d’un
même groupe. Ce groupe offre alors une image harmonieuse et unitaire de son
existence, lui permettant ainsi de faire profiter la totalité des sociétés qui le com-
posent du bénéfice de sa réputation, de son crédit et de sa marque.
En cela, l’«entreprise» est différente de la «société». Une société est une entité
juridique définie et organisée par le droit alors que l’entreprise constitue, quant à
elle, un vocable permettant de désigner un opérateur économique, sans acception
juridique particulière 5. L’entreprise peut, ainsi, être considérée comme «un agen-
cement dynamique et durable d’hommes, de moyens techniques et de capitaux,
organisés en vue de l’exercice d’une activité économique» 6.
Traditionnellement, la société est perçue comme le support qui permet de faire
naître l’entreprise à la vie juridique 7. Si ce postulat peut se comprendre pour les
sociétés isolées, celui-ci est plus difficilement transposable à la situation des
groupes, dans la mesure où les diverses sociétés se partagent souvent entre elles
les branches des activités de la même entreprise. Or, le groupe ne bénéficiant pas

3 A. PETITPIERRE-SAUVAIN, Droit des sociétés et groupes de sociétés, Genève, Georg, 1972, p. 1.


4 J. PAILLUSSEAU, «La notion de groupe de sociétés et d’entreprises en droit des activités économiques», D.,
2003, n° 34, p. 2348.
5 Nous constaterons infra que la notion d’entreprise est, toutefois, utilisée dans d’autres branches du droit,
moyennant des acceptions fort divergentes.
6 Voy. Comm. Bruxelles, 27 novembre 1984, J.T., 1984, p. 721.
7 Voy. J. PAILLUSSEAU, «Les fondements du droit moderne des sociétés», Jurisclasseur permanent, 1984, I,
n° 3148; M. DESPAX, L’entreprise et le droit, Paris, L.G.D.J., 1957, p. 103 : «L’entreprise trouve son expres-
sion juridique dans la société».

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F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

d’une existence juridique, l’entreprise qu’il constitue est dépourvue de toute


expression juridique.
Au-delà de la perception du groupe dans ses relations avec l’extérieur, la cohésion
existante entre les différentes sociétés a également de nombreuses répercussions
au niveau de l’organisation de la gestion interne de celui-ci. Les différentes socié-
tés étant parties intégrantes d’une même collectivité 8, ces dernières sont, en effet,
influencées par les directives de la société de tête qui, en raison de sa hiérarchie
et de ses pouvoirs, dispose de la vision la plus complète du groupe. Procédant du
souci de préserver cette collectivité, cette société, couramment qualifiée de
« société mère », bénéficie d’un pouvoir d’injonction sur ses filiales qui leur
impose de privilégier, bien souvent, la satisfaction des besoins du groupe au détri-
ment des intérêts purement individuels.
L’importance accordée aux groupes dans la pratique contraste, toutefois, avec
l’absence d’organisation d’un régime juridique complet et cohérent. Sous réserve
de quelques mesures spécifiques, le droit des sociétés ne reconnaît, en effet, pas
le caractère unitaire des groupes. Dès lors, chaque société est traitée de façon
individuelle sur la base de sa propre personnalité juridique, sans considération de
son appartenance à un ensemble plus vaste.
En d’autres termes et comme le souligne M. Robé, «la technique du groupe de
sociétés permet ainsi de rassembler dans une organisation unique – dans une
seule et même entreprise – les diverses activités organisées autour de chacune
des sociétés du groupe » 9 . Les groupes de sociétés ne disposent donc pas, à
l’inverse des sociétés qui le composent, d’une personnalité juridique propre, leur
conférant la qualité de sujet de droit titulaire de droits et d’obligations.
Partant, l’articulation des relations au sein du groupe peut être comparée à une
organisation familiale de type matriarcal, composée d’une pluralité de personnes
dotées d’un patrimoine propre ainsi que d’une indépendance juridique, dont
l’autonomie est limitée par le contrôle exercé par une «mater familias» (la société
mère) qui surveille et coordonne les agissements dans l’intérêt familial, et au sein
de laquelle certaines opérations peuvent être réalisées à des conditions plus avan-
tageuses qu’entre étrangers (telles que des donations ou des aides financières).
Cette contradiction entre, d’une part, la gestion effective des groupes (qui s’effec-
tue au travers d’une politique globale et rationnelle) et, d’autre part, l’existence
d’une réglementation basée sur la reconnaissance de l’indépendance juridique
des sociétés, n’est pas sans poser de nombreuses difficultés résultant du défaut
d’adaptation du droit aux réalités économiques.

8 La collectivité doit, ici, être entendue par l’ensemble que forment les sociétés en raison de leur apparte-
nance au même groupe.
9 J.-P. ROBÉ, L’entreprise et le droit, Paris, PUF, 1999, p. 36.

14 LARCIER
INTRODUCTION

À cet égard, la crise financière que nous avons traversée récemment, et plus par-
ticulièrement les soubresauts liés au démantèlement du groupe Fortis, ont mis en
exergue les limites inhérentes à cette approche que l’on pourrait qualifier
d’«individualisante» 10. Les décisions prises au sein d’un groupe sont, en effet,
fondées sur des préoccupations non comparables à celles des sociétés isolées. En
raison des liens d’interdépendance qui unissent les différentes sociétés, les rela-
tions intragroupes se caractérisent par une solidarité qui peut aboutir, dans cer-
taines circonstances, à l’appauvrissement d’une société au nom du bien-être col-
lectif. Ainsi, lorsqu’une société essentielle à la santé générale du groupe éprouve
des difficultés financières à poursuivre utilement ses activités, il sera générale-
ment fait appel à l’assistance d’une autre société du groupe pour y remédier
(exemples : prêt sans intérêts, abandon de créances, vente de produits à un prix
sous-évalué, mise à disposition de travailleurs, etc.). Bien que ces comportements,
d’apparence altruiste, soient généralement économiquement justifiés au nom de
l’existence ou de la survie du groupe, ceux-ci présentent l’inconvénient de léser,
potentiellement, les parties dont les droits sont liés uniquement à la société
appauvrie. Surviennent alors des conflits d’intérêts entre le groupe (qui entend
profiter des aides consenties par la société qui s’appauvrit) et les parties pre-
nantes de la société appauvrie (qui doivent supporter une diminution de la consis-
tance de cette société au profit de sociétés dans lesquelles elles ne sont pas direc-
tement impliquées). Dans le cadre de l’affaire Fortis, il avait ainsi été question
d’apprécier la légalité de cessions d’actifs décidées par une filiale dans la mesure
où, notamment, le prix de ces cessions paraissait avoir été bradé, au détriment de
l’intérêt des actionnaires des holdings de tête 11.
L’évolution du marché doit passer par la sécurisation des intérêts de ceux qui y
participent ou qui contribuent à son développement. Or, en l’absence d’aménage-
ments légaux tenant compte des particularités – transferts de bénéfices et autres
glissements d’actifs – résultant des relations intragroupes, il subsiste un risque de
ne pouvoir satisfaire pleinement à ces exigences. Une vigilance particulière paraît
donc devoir être accordée à l’implication du droit positif dans la protection de ces
acteurs économiques et, plus particulièrement, celle des actionnaires minori-
taires, des créanciers ainsi que des travailleurs.
À cet égard, l’utilisation de l’appellation «droit des groupes» fait traditionnelle-
ment référence à l’ensemble des règles qui traitent des difficultés résultant du
décalage entre, d’une part, l’unité organisationnelle d’un groupe et, d’autre part,

10 T. TILQUIN et V. SIMONART, Traité des sociétés, t. 3, Bruxelles, Kluwer, 2005, p. 173.


11 Voy. Comm. Bruxelles, 18 novembre 2008, R.D.C., 2008, pp. 902 et s.; D.B.F., 2008, pp. 387 et s.;
Bruxelles, 12 décembre 2008, J.L.M.B., 2009, pp. 388 et s.; D.B.F., 2008, pp. 399 et s.; J.T., 2009, pp. 62
et s.

LARCIER 15
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

son morcellement en une mosaïque de sociétés autonomes. Tenant compte des


conséquences inhérentes à la «vulnérabilité» des sociétés contrôlées, ce droit des
groupes a pour objectif de tendre vers une amélioration de la situation de ces
dernières ainsi que des parties prenantes, tout en autorisant entre sociétés appar-
entées des opérations qui seraient illégales sans ce lien 12.
À partir du constat selon lequel le droit des sociétés est fondé sur une appréhen-
sion individuelle des entités juridiques, la présente contribution a pour principal
objectif l’évaluation critique du régime juridique des groupes de sociétés en droit
belge. Il s’agira ainsi, en d’autres termes, d’examiner dans quelle mesure le droit
des sociétés parvient à appréhender la réalité économique des groupes. Pour ce
faire, l’exposé se divisera en deux parties principales qui auront trait, d’une part,
à la reconnaissance juridique des groupes de sociétés et, d’autre part, à la protec-
tion des intérêts catégoriels au regard des modes spécifiques d’organisation des
groupes. Malgré le fait que la matière des groupes de sociétés est particulièrement
marquée par le sceau de l’extranéité – les activités de la plupart des groupes se
déployant, en pratique, bien au-delà des seules frontières nationales – l’examen
se cantonnera, à quelques exceptions près, à la législation belge. Il s’agira, dès
lors, d’apprécier les initiatives nationales apportées en réponse aux préoccupa-
tions des groupes qui s’établissent, pour totalité ou pour partie, sur le territoire
belge. Certains éléments de droit comparé seront, toutefois, avancés sporadique-
ment lorsqu’ils s’avéreront utiles pour alimenter la réflexion.
Sur la question de la reconnaissance des groupes (PREMIÈRE PARTIE), la contribu-
tion portera, tout d’abord, sur une brève description empirique des groupes. Cette
analyse permettra, principalement, de mettre en exergue les principales formes de
concentration de sociétés que connaît la pratique. Nous constaterons, à cet égard,
que, parmi ces dernières, certaines ne peuvent être considérées comme de vérita-
bles «groupes» au sens du droit des sociétés. Il nous paraît, dès lors, utile de pré-
ciser, dès à présent, que c’est la notion de «groupe», telle qu’entendue en droit
des sociétés, qui délimitera le champ des formes de concentration visées dans la
suite de notre analyse. L’objectif n’est, en effet, pas d’accorder un examen exhaus-
tif à l’ensemble des situations où plusieurs sociétés se rassemblent en vue de
poursuivre un but ou une activité économique commune mais de se concentrer
principalement sur les groupes appréhendés comme tels par le droit des sociétés.
Dans la mesure où elles sont étrangères aux questions relatives à la mise en place
d’un véritable régime juridique des groupes, nous n’aborderons également pas les
quelques mesures spécifiques du Code des sociétés (ci-après C. soc.) – telles que
celles relatives aux régimes des participations croisées, des augmentations de
capital ou des rachats d’actions propres – visant principalement à prévenir les

12 J.-P. ROBÉ, op. cit., p. 36.

16 LARCIER
INTRODUCTION

fraudes à la loi causées par l’interposition de personnes au sein d’un groupe 13.
Nous constaterons, par ailleurs, qu’à travers le prisme de la réalité économique,
les différentes branches du droit adoptent une approche sensiblement différente –
tantôt fondée sur l’unité, tantôt fondée sur la disparité – pour l’appréhension des
groupes. Nous mettrons également en évidence la manière dont les groupes de
sociétés sont reconnus au travers de plusieurs disciplines juridiques, issues du
droit belge, du droit de l’Union européenne ainsi que, brièvement, du droit des
sociétés allemand et français (Chapitre 1er). Sur la base d’une évolution d’origine
essentiellement prétorienne, nous montrerons, en outre, que le droit des sociétés
n’est pas resté insensible à la situation des groupes. L’application stricte de
l’autonomie juridique a, en effet, été remise partiellement en cause à la faveur de
la défense d’un «intérêt de groupe». Cette notion d’intérêt de groupe conduira à
s’interroger brièvement sur les différentes conceptions de l’intérêt social, propre à
chaque société, et à apercevoir les limites qui peuvent y être apportées lorsque la
société fait partie d’un groupe (Chapitre 2).
Nous examinerons, enfin, dans quelle mesure les intérêts catégoriels sont protégés
lorsque des avantages intragroupes sont octroyés par la société à laquelle ils sont
liés (DEUXIÈME PARTIE). À l’instar de ce qui sera évoqué concernant l’intérêt de
groupe, cette question présentera l’avantage d’examiner comment le droit peut
parvenir à s’adapter aux réalités économiques ou à en tenir compte à travers ses
instruments existants. Notons que l’analyse n’aura aucunement pour objet de
remettre en cause la réalité économique des groupes et, partant, l’assistance que
se portent les sociétés du groupe. Bien au contraire, nous estimons que cette
assistance doit être encouragée dès lors qu’elle permet aux groupes d’assurer effi-
cacement leur pérennité en évitant, notamment, les conséquences dramatiques de
l’effet «boule de neige» que pourrait avoir la réputation d’une société en faillite
sur l’ensemble du groupe. Il conviendra, néanmoins, de jauger la capacité de la
réglementation à faire minimalement droit à la protection des intérêts catégoriels
susceptibles d’être affectés par la poursuite des seules exigences du groupe. À cet
égard, nous insisterons, à l’aune des enseignements tirés de l’intérêt de groupe,
sur les difficultés liées au principe de l’autonomie juridique, ainsi que sur les
éventuelles adaptations qui pourraient y être intégrées.
À cette fin, nous avons dégagé quatre questions principales qui nous ont paru
mériter une attention privilégiée. Ces questions ont trait à la nécessité de protéger
certains intérêts particuliers dont les sacrifices sont souvent acceptés comme
« dommages collatéraux », justifiés par l’accomplissement de la stratégie du
groupe :

13 P. VAN OMMESLAGHE, «Rapport général», in Droits et devoirs des sociétés mères et de leurs filiales, Anvers,
Kluwer, 1985, pp. 65-66.

LARCIER 17
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

- la protection de la société (Chapitre 1er) par l’instauration d’une réglementa-


tion spécifique aux groupes de sociétés (réglementation des conflits
d’intérêts);
- la protection des actionnaires minoritaires (Chapitre 2) :
• de la société mère (contre les décisions des organes de gestion des filiales)
d’une part;
• de la filiale (contre les décisions prises dans l’intérêt du groupe) d’autre
part;
- la protection des créanciers (Chapitre 3) :
• de la société mère (en cas de transfert de substance vers une filiale), d’une
part;
• de la filiale (contre les décisions prises dans l’intérêt du groupe), d’autre
part;
- la protection des travailleurs (Chapitre 4) face aux décisions du groupe.
L’issue de cet examen nous permettra de circonscrire plus aisément l’étendue du
«droit des groupes» en droit belge des sociétés.
À titre indicatif, même si la doctrine cite généralement la législation sur les
conflits d’intérêts (art. 524 et 529 C. soc.) comme prémices d’un véritable droit
des groupes, nous n’aborderons pas en détail la procédure mise en place par cette
réglementation 14. Lors de l’examen de cette matière, abordée dans le chapitre
consacré à la «protection de la société», nous mettrons, en effet, principalement
l’accent sur les particularités du régime par rapport à la prise en compte juridique
de la réalité des groupes. Ceci nous permettra de constater que la législation sur
les conflits d’intérêts cristallise de façon symptomatique la nécessité d’avoir
recours, dans certaines circonstances, à la corrosion de la personnalité juridique
des sociétés d’un groupe en vue de garantir la sauvegarde d’intérêts particuliers.

14 Comme nous le verrons, de nombreuses doctrines se sont déjà consacrées à cette matière.

18 LARCIER
PREMIÈRE PARTIE

LES GROUPES DE SOCIÉTÉS


ET LE DROIT
LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LE DROIT

La concentration de plusieurs sociétés peut être le résultat d’une multitude de


préoccupations et se présenter sous les formes les plus variées. Nous amorcerons,
dès lors, la présente analyse par une description factuelle et typologique des prin-
cipales formes de groupes de sociétés issues de la pratique. Nous examinerons,
ensuite, dans quelle mesure le droit parvient à appréhender la situation des
groupes de sociétés à travers l’analyse d’une série d’approches juridiques, natio-
nales et internationales, déterminées (droit belge des sociétés, autres branches du
droit belge, droit de l’Union européenne et droit étranger). Nous analyserons,
enfin, la notion prétorienne d’«intérêt de groupe», afin de mesurer l’aptitude de
cette notion à constituer la variable pivot d’un droit plus général des groupes.

LARCIER 21
RÉALITÉ FACTUELLE ET CONSÉQUENCES JURIDIQUES

CHAPITRE 1
LES GROUPES DE SOCIÉTÉS :
RÉALITÉ FACTUELLE
ET CONSÉQUENCES JURIDIQUES

SECTION 1
APPROCHE FACTUELLE DES GROUPES

§1. – Les groupes comme manifestation de l’actionnariat de contrôle


La Belgique, comme d’ailleurs les régimes d’inspiration civiliste, a vocation à atti-
rer la constitution de groupes de sociétés sur son territoire. Elle se caractérise, en
effet, par un modèle de concentration de l’actionnariat qui a pour conséquence de
favoriser l’influence du contrôle de l’actionnaire de référence (modèle «insider/
control oriented») 15. Cet accroissement de l’influence actionnariale aboutit à favo-
riser l’émergence des groupes de sociétés, qui constituent l’un des modes privilé-
giés d’organisation de l’actionnaire de contrôle. Le groupe de sociétés présente, en
effet, l’avantage de permettre aux actionnaires principaux de la société mère, qui
sont généralement des familles ou des holdings, de conserver leur contrôle sur
l’ensemble des sociétés, sans pour autant exclure toute participation financière
d’investisseurs extérieurs dans le capital social. L’existence des groupes de socié-
tés en Belgique peut également s’expliquer, historiquement, par le démantèlement
des banques mixtes à la suite de la réforme bancaire de 1935. Cette réforme, qui
visait principalement à interdire aux banques de détenir des actions de sociétés
non financières, a, en effet, eu pour conséquence de soustraire aux établissements
bancaires les participations financières détenues dans ces sociétés pour les cen-
traliser au sein de sociétés holdings indépendantes 16.
À cet égard, une étude, arrêtée au 30 avril 2009, réalisée par ING auprès de cent
trente sociétés belges cotées sur Euronext Brussels, aboutit à la conclusion que
l’« actionnaire de référence demeure plus que jamais incontournable ». Cette

15 A. AUTENNE, «Le droit des offres publiques d’achat : Éléments d’analyse économique néo-
institutionnaliste», in La réforme de la réglementation sur les offres publiques d’acquisition, Waterloo, Kluwer,
2007, pp. 352-353; B. DEFFAINS et J.-D. GUIGOU, «L’économie du droit», R.E.P., 2002/6, vol. 112, p. 799;
T. BIEBUYCK, A. CHAPELLE et A. SZAFARZ, «Les leviers de contrôle des actionnaires majoritaires», Document
de travail DULBEA – Research Series, 2005, n° 5, p. 5; Voy. F. BARCA et M. BECHT, The Control of Corporate
Europe, USA, Oxford University Press, 2001, 358 pp. ; M. BECHT et C. MAYER, « Corporate control in
Europe», R.E.P., 2002/4, vol. 112, pp. 471-498.
16 A. CHAPELLE, Corporate Governance en Belgique : l’effet des pyramides, Bruxelles, Éd. de l’Université de
Bruxelles, 2001, p. 49.

LARCIER 23
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

étude a, en effet, permis d’établir que le plus grand actionnaire direct des sociétés
examinées contrôle en moyenne 35,4% du capital 17. Cette tendance est égale-
ment confirmée par d’autres statistiques récentes. Il a ainsi été constaté que parmi
les cent plus grandes sociétés disposant d’un siège social en Région wallonne
(hors banques et assurances), plus de 90% d’entre elles dépendent d’un action-
naire majoritaire 18. Des études françaises indiquent, par ailleurs, que parmi les
cent vingt sociétés françaises comprises dans l’indice SBF 120 de la bourse de
Paris, soixante d’entre elles sont soumises à un actionnariat concentré et que,
depuis 1979, le nombre de groupes a été multiplié par trente 19. Ces statistiques
démontrent l’importance de l’impact économique des groupes ainsi que l’impré-
gnation de la tendance à l’actionnariat dominant.
Cette concentration de l’actionnariat a des répercussions substantielles quant à
l’identification du véritable détenteur du pouvoir de décision au sein des groupes.
En effet, lorsque l’actionnariat est détenu par un nombre restreint de personnes,
ces dernières forment un bloc de contrôle qui leur permet de verrouiller leur pou-
voir dans le processus décisionnel de la société 20. Ce modèle actionnarial peut
alors avoir des conséquences néfastes sur la situation des actionnaires minori-
taires lorsqu’ils se retrouvent confrontés à un actionnaire majoritaire qui poursuit,
le cas échéant avec l’aide des organes de gestion, des objectifs individuels. À cet
égard, cette situation peut paraître d’autant plus préoccupante lorsqu’on constate,
à la lecture de certains auteurs, que les pays à forte concentration actionnariale
accordent généralement, de façon assez paradoxale, un faible degré de protection
juridique aux actionnaires minoritaires 21.
Les groupes sont, toutefois, moins présents dans les pays de common law, qui se
distinguent par un actionnariat dispersé entre un nombre important de petits por-

17 J. VAN WATERSCHOOT, «L’actionnariat bruxellois aux couleurs d’AB InBev», ING Bulletin, juillet 2009,
n° 2426, p. 8.
18 Voy. A. HELDENBERGH et M. CROQUET, «Les pôles de décision dans le tissu économique wallon», Courr.
hebd. du CRISP, 2010/13, n° 2058, 44 pp.; F. MORIN, G. KURGAN, D. LUYTEN et V. DE COOREBYTER, «Les
groupes d’entreprises et la décision politique», Courr. hebd. du CRISP, 2009, n° 2011, 43 pp.
19 V. DE MARGERIE, «Organisation de la gouvernance et stratégie d’entreprise : état des lieux des 120 pre-
mières sociétés françaises cotées», Rev. man. et avenir, 2008/3, n° 17, p. 72 ; C. PICART, « La place des
groupes dans le tissu productif : d’une croissance extensive à une croissance intensive», Les nouvelles fron-
tières du travail subordonné, Paris, La Découverte, 2006, p. 156.
20 Une position prépondérante dans le contrôle des droits de vote permet, en effet, de nommer la majorité des
administrateurs, de dominer les assemblées générales des actionnaires et d’exercer une influence dominante
sur l’ensemble des décisions à prendre.
21 Voy. études réalisées par R. LA PORTA, F. LOPEZ-DE-SILANES, A. SHLEIFER et R. VISHNY : «Legal Determi-
nants of External Finance», Journal of Finance, 1997, vol. 52, n° 3, pp. 1131-1150; «Law and Finance»,
Journal of Political Economy, 1998, vol. 106, n° 6, pp. 1113-1152; « Corporate Ownership Around the
World», Journal of Finance, vol. 54, n° 2, pp. 471-517; «Investor Protection and Corporate Governance»,
Journal of Financial Economics, 2000, vol. 58, pp. 3-27.

24 LARCIER
RÉALITÉ FACTUELLE ET CONSÉQUENCES JURIDIQUES

teurs (modèle «outsider/arms length») 22. La dilution du capital a, en effet, pour


conséquence de creuser un profond fossé entre la propriété du capital et le pou-
voir dans la société dans la mesure où, à défaut de concertation suffisante entre
les petits actionnaires, le contrôle est confié principalement au management. Le
pouvoir actionnarial, qui favorise la constitution des groupes par le maintien du
contrôle entre les mains des propriétaires de capital social, est ainsi remplacé par
l’indépendance du pouvoir managérial (dont l’attention est essentiellement accor-
dée à l’importance des rémunérations ainsi qu’aux investissements destinés à
accroître la taille et la réputation de la société). Selon plusieurs auteurs, ces pays
disposent, contrairement aux pays de l’Europe continentale, d’un environnement
juridique fort protecteur des petits investisseurs 23. De la sorte, la concentration de
l’actionnariat paraît être, en principe, inversement corrélée au degré de protection
des minoritaires 24.

§2. – Typologie des principales formes de concentration de sociétés


L’émergence d’un groupe peut prendre une multitude de formes en fonction des
impératifs économiques et juridiques poursuivis. Sans entreprendre une descrip-
tion exhaustive des différents modes de constitution des groupes, nous avons jugé

22 Pour l’examen d’une étude classiquement jugée comme référence en la matière, voy. A. BERLE et G. MEANS,
The Modern Corporation and private property, New-York, Macmillan, 1932 ; pour un bref examen de cet
ouvrage, voy. A. AUTENNE, loc. cit., pp. 353-355. Certaines études ont ainsi permis de constater que le seuil
de participation d’un actionnaire ne dépasse pas 10% au Royaume-Uni et 5% aux États-Unis (T. BIEBUYCK,
A. CHAPELLE et A. SZAFARZ, loc. cit., p. 5).
23 A. DYCK et L. ZINGALES, «Private Benefits of control : An International Comparison», Journal of Finance,
2004, vol. 59, n° 2, p. 537; Y. BOZEC, «Concentration de l’actionnariat, séparation des droits de vote et des
droits de propriété et gestion des bénéfices : Une étude empirique canadienne », Revue canadienne des
sciences de l’administration, vol. 25, n° 1, p. 68.
24 Sur cette question, voy. H. ALMEIDA et D. WOLFENZON, «A Theory of Pyramidal Ownership and Family
Business Groups», Journal of Finance, vol. 61, n° 6, pp. 2637-2680. Notons, toutefois, qu’il peut difficile-
ment être émis de jugement de valeur au départ de ce seul constat. Une certaine doctrine, initiée principale-
ment par M. Roe, tend, en effet, à soutenir qu’aucun de ces deux modèles ne peut invoquer sa supériorité sur
le second. Selon ces auteurs, chaque modèle constitue une réponse au cadre juridique et aux choix poli-
tiques propres au pays dans lequel il s’insère. Ainsi, la concentration de l’actionnariat dans les pays de
l’Europe continentale serait une réaction des actionnaires qui, souhaitant compenser l’absence de garanties
juridiques suffisantes à leur égard, ont entendu accroître leur pouvoir par la constitution de blocs de
contrôle. De même, la fragmentation de l’actionnariat dans les pays de Common law résulterait de la
confiance des actionnaires à l’égard des mécanismes de protection élaborés en leur faveur. L’efficience de
chaque modèle est donc tributaire de l’environnement qui l’entoure et se caractérise par la réduction des
coûts d’agence qu’elle permet de réaliser (voy. M. ROE, Strong Managers, Weak Owners – The Political Roots
of American Corporate Finance, Princeton, Princeton university press, 1994, 324 pp.; M. ROE, Political
Determinants of Corporate Governance – Political Context, Corporate Impact, Oxford, Oxford University
Press, 2003, 231 pp.; A. AUTENNE, loc. cit., pp. 356-358).

LARCIER 25
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

utile d’établir, dans les lignes qui suivent, une brève description des formes les
plus courantes de concentration de sociétés 25.
À cet égard, un groupe de sociétés peut, tout d’abord, résulter du pouvoir de
contrôle qu’exerce une société (la société mère) sur une autre (la société filiale) en
raison des participations qu’elle détient dans le capital de cette dernière. Cette
organisation structurelle hiérarchisée correspond à la conception traditionnelle
des groupes dits «verticaux» 26. Outre l’existence d’un lien de participation, les
différentes sociétés du groupe adoptent généralement une politique commune dic-
tée par la société de tête. Poussée dans ses extrêmes, cette catégorie de groupe
peut se présenter sous la forme d’une pyramide de sociétés, c’est-à-dire à travers
des participations en cascade dans les différentes sociétés. Cette structure de
groupe se caractérise par «une chaîne de contrôle plus ou moins longue s’exerçant
par le biais de plusieurs sociétés holding » 27 . À travers cette construction,
l’actionnaire majoritaire de la société de tête conserve le contrôle sur la totalité
des sociétés grâce à un investissement global relativement réduit, dès lors que des
actionnaires minoritaires apportent du capital pour les sociétés situées à chaque
niveau de la chaîne 28. Toutefois, certains groupes peuvent également découler
d’acquisitions successives de participations dans diverses sociétés sans qu’une
politique de coordination entre les activités soit organisée. Dans cette hypothèse,
la concentration des sociétés est uniquement motivée par des objectifs purement
financiers 29. Afin d’étendre son influence sur l’ensemble du groupe, la société

25 Pour une classification et une description plus détaillée des différentes formes de groupe, voy. C. CHAMPAUD,
Le pouvoir de concentration de la société par actions, Paris, Sirey, 1962, pp. 209-236.
26 Cette constatation est telle que la Belgique est parfois qualifiée de «pays de la filialisation». Voy. E. DE
KEULENEER, Het land der filialen. Autonome beslissingscentra en contrôle over deze autonomie. Een Belgische
drama, Roeselare, Roularta, 1997. Pour une enquête relative, notamment, aux causes de formation des
groupes en Belgique, voy. B. MICHAUX, «Les groupes de sociétés en Belgique – synthèse d’une enquête
d’information», in Les groupes de sociétés, Commission droit et vie des affaires – XXVe séminaire, Liège,
Faculté de droit de l’Université de Liège, 1973, pp. 301-357.
27 Rapport du Groupe de haut niveau d’experts en droit des sociétés, Un cadre réglementaire moderne pour le
droit européen des sociétés, 4 novembre 2002, p. 114 ; téléchargeable sur http://ec.europa.eu/
internal_market/company.
28 Le Groupe de haut niveau d’experts en droit des sociétés relève, à titre illustratif, que «si les actionnaires
finals possèdent 50% à chaque niveau dans une cascade de six sociétés, y compris la société de niveau infé-
rieur, il suffit à l’investisseur final de détenir l’équivalent de 1,56% de l’investissement total dans le capital
de la société de dernier rang pour disposer d’un contrôle intégral sur l’ensemble de la chaîne » (ibidem,
p. 115). Dans son rapport, le groupe d’experts a fait part d’une certaine méfiance à l’encontre de ces formes
de structuration de groupes en raison de la faiblesse de la position des actionnaires minoritaires des filiales
et de préoccupations plus générales tenant au manque de transparence et à l’inexistence de moyens pour
contester le contrôle. Pour un examen de ces structures pyramidales, voy. A. CHAPELLE, op. cit., pp. 75-97.
29 À cet égard, le législateur belge a prévu, sous l’influence européenne, une obligation de notification à la
CBFA des détentions de participation dépassant certains seuils; voy. loi du 2 mai 2007 relative à la publi-
cité des participations importantes dans des émetteurs dont les actions sont admises à la négociation sur un
marché réglementé et portant des dispositions diverses et l’A.R. du 14 février 2008 relatif à la publicité des

26 LARCIER
RÉALITÉ FACTUELLE ET CONSÉQUENCES JURIDIQUES

mère exerce le pouvoir reconnu aux actionnaires de nommer ou révoquer les


administrateurs 30 , lui permettant ainsi de choisir – parmi les membres des
organes de gestion des filiales – des personnes partageant ses opinions. Complé-
mentairement, d’autres méthodes sont employées par la pratique afin de répercu-
ter sur les filiales les objectifs de la société de tête 31.
La constitution d’un groupe peut, en outre, s’inscrire dans le cadre de conventions
ou de clauses statutaires visant à soumettre plusieurs sociétés à une seule et
même direction 32 . Une telle organisation aboutit alors à la constitution d’un
groupe dit «horizontal», plus connu sous le vocable de consortium 33. Générale-
ment, la centralisation de la gestion au sein de cette catégorie de groupe est coor-
donnée par la mise en place, entre les sociétés, d’organes extrastatutaires dont la
composition est plus ou moins paritaire 34.
L’origine d’un groupe peut également résulter de la décentralisation d’une struc-
ture unitaire. Le recours à la décentralisation peut, en effet, présenter des avan-
tages, tant au niveau de l’organisation interne de l’entreprise (précisions accrues
quant à la division des tâches, optimisation de l’allocation des ressources ainsi
qu’une meilleure répartition des responsabilités) qu’en termes de stratégie de
marché (le morcellement de la gestion et la segmentation des risques favorisent la
rapidité des prises de décision et accroissent, en conséquence, la faculté du
groupe à réagir aux perturbations) 35.

participations importantes; pour une description du régime; B. FERON, M. BERLINGIN, «Les nouvelles obliga-
tions en matière de publicité des participations importantes», Cah. jur., 2008, liv. 3, pp. 62-76.
30 Art. 518, §§2 et 3 pour la S.A.
31 Il en est ainsi, par exemple, lorsqu’une politique de groupe, menée au niveau de la société mère, veille à
répartir les budgets en fonction du respect, par les filiales, d’objectifs opérationnels préalablement définis.
Pour un aperçu de différents moyens permettant à une société mère d’imposer sa volonté au groupe, voy.
E. WYMEERSCH, «L’organisation du pouvoir dans les groupes de sociétés», in L’organisation du pouvoir dans
la société anonyme, Bruxelles, Bruylant, 2004, pp. 221-225; l’auteur précise, à cet égard, que «la traduction
de la volonté du groupe dans les actes des différentes entités du groupe s’opère à travers les méandres d’un
processus de pilotage qui est considérablement plus complexe que le simple exercice du droit de vote à
l’assemblée générale».
32 J.-M. NELISSEN GRADE, «Les aménagements statutaires et contractuels», in L’organisation du pouvoir dans la
société anonyme, Bruxelles, Bruylant, 2004, pp. 272-273; T. TILQUIN, «La gouvernance d’entreprise et les
groupes de sociétés», in Les relations intragroupes, Bruxelles, Bruylant, 2004, p. 66; T. TILQUIN et V. SIMO-
NART, op. cit., p. 169 les références citées.
33 L’article 10 du C. soc. précise qu’il y a consortium «lorsqu’une société et une ou plusieurs autres sociétés de
droit belge ou étranger, qui ne sont ni filiales les unes des autres, ni filiales d’une même société, sont pla-
cées sous une direction unique». Cette disposition prévoit, en outre, des conditions permettant de présumer,
de façon réfragable ou irréfragable, l’existence d’un consortium. Voy. à cet égard, H. OLIVIER, «Art. 10 C.
soc.», in Commentaire systématique du «nouveau» Code des sociétés, Waterloo, Kluwer, 2001, p. 4.
34 J.-M. NELISSEN GRADE, loc. cit., p. 273; C. TIMMERMANS, «Les comptes consolidés dans la CEE», R.D.I.D.C.,
1977, p. 347.
35 A. Jacquemin précise ainsi que «la forme multidivisionnelle se présente comme une heureuse combinaison
de décentralisation et de concentration. Les divisions opérationnelles jouissent d’une large autonomie et

LARCIER 27
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

Comme nous pouvons le constater, ces différents modes de concentration de


sociétés répondent à la volonté de soumettre une pluralité de sociétés à une seule
et même direction. Cependant, l’assujettissement à une direction unique peut par-
fois être étranger à certaines formes de concentrations.
Il en va ainsi pour l’«entreprise en réseau», au sein de laquelle des sociétés indé-
pendantes mettent en place une politique de coordination de leurs activités sur
une base consensuelle, sans être soumises à une même autorité hiérarchique.
L’émergence de telles collaborations résulte principalement de la prise de
conscience par certaines sociétés, d’envergure généralement importante, de leurs
difficultés d’adaptation à la réactivité de petits concurrents dans des secteurs par-
ticuliers. N’étant pas en mesure d’exercer de façon suffisamment rentable la tota-
lité des fonctions complémentaires et accessoires à l’exercice de leurs activités
principales 36, ces sociétés préfèrent alors recourir à l’externalisation de ces fonc-
tions au travers de contrats de sous-traitance ou d’exploitation commerciale avec
des sociétés tierces 37. Dans ce cadre, la préoccupation des sociétés n’est plus tant
de renforcer leur participation dans les sociétés collaboratrices mais plutôt
d’intensifier cette collaboration au moyen de rapports contractuels. En effet, la
constitution d’un réseau de sociétés basé sur des partenariats entre entités indé-
pendantes, spécialisées et complémentaires peut souvent s’avérer plus profitable
que l’organisation des grandes structures hiérarchiques, bureaucratiques et inté-
grées qui s’adaptent plus difficilement à leur environnement 38.

assument leurs risques, de telle sorte que chacune d’elles constitue une quasi-firme, soumise à une direc-
tion par objectif» (A. JACQUEMIN, «L’environnement économique – Le groupe d’entreprises : efficacité éco-
nomique et régimes juridiques», in La reconnaissance des groupes de sociétés en droit fiscal, Anvers, Kluwer,
1989, pp. 10-11); A. JACQUEMIN, «Le groupe de sociétés : décentralisation dans la concentration», in Les
groupes de sociétés, Commission droit et vie des affaires – XXVe séminaire, Liège, Faculté de droit de l’Uni-
versité de Liège, 1973, pp. 38-40. Plus généralement, lorsqu’il s’agit de sociétés cotées, la décentralisation
peut également être motivée par l’augmentation de la rentabilité des parts pour l’actionnaire. En effet, même
en l’absence de modification de nature économique, la valeur de la société originelle est souvent inférieure à
la valeur additionnelle des actions des sociétés après décentralisation. Sur cette question, voy. E. WYMEE-
RSCH, «Le droit belge des groupes de sociétés», in Liber Amicorum Commission droit et vie des affaires,
Bruxelles, Bruylant, 1998, p. 620.
36 Par fonctions complémentaires et accessoires, l’on vise ici, par exemple, les activités de comptabilité, de
publicité, etc.
37 Sur l’émergence de l’entreprise en réseau et ses particularités, voy. L. ROUZEAU, «L’aménagement des
groupes de sociétés et l’entreprise en réseau », Bull. Joly Soc., 2004, n° 1, pp. 165 et s. ; T. TILQUIN et
V. SIMONART, op. cit., p. 169.
38 L. ROUZEAU exprime le risque des gros groupes à succomber au «syndrome du diplodocus» : ce syndrome
«apparaît lorsque le corps toujours plus volumineux n’obéit plus à la tête puis ne parvient même plus à bou-
ger et se nourrir. Asphyxiés, épuisés, les conglomérats […] n’ont alors plus qu’à disparaître» (L. ROUZEAU,
loc. cit., p. 166).

28 LARCIER
RÉALITÉ FACTUELLE ET CONSÉQUENCES JURIDIQUES

SECTION 2
LE RÉGIME JURIDIQUE DES GROUPES :
ENSEIGNEMENTS DU DROIT BELGE,
INCIDENCE DU DROIT DE L’UNION EUROPÉENNE
ET ÉLÉMENTS DE DROIT COMPARÉ

En raison des diverses préoccupations économiques qui sous-tendent la création


et le fonctionnement des groupes, leur prise en compte par le droit est marquée du
sceau de l’hétérogénéité. Chaque groupe ayant, par sa nature, des finalités, une
organisation structurelle, des objectifs et des contraintes propres, il est, en effet,
malaisé de dégager un statut d’ensemble qui s’adapterait à l’évolution rapide des
phénomènes économiques et qui n’exclurait pas certains groupes de son champ
d’application 39.
Ces difficultés se manifestent au travers des différentes branches du droit qui,
chacune à leur façon, s’efforcent de façonner un statut juridique aux groupes en
fonction de leurs particularités respectives. Dans le cadre de notre analyse, nous
examinerons la prise en compte juridique des groupes en droit des sociétés avant
de nous attarder plus succinctement sur quelques situations significatives de
l’approche des groupes par diverses branches du droit belge 40, ainsi que par le
droit de l’Union européenne 41.
De façon synthétique, nous aurons l’occasion de constater que le groupe de socié-
tés pourra tantôt être considéré comme une pluralité de personnalités juridiques
autonomes dont il importe de conserver l’intégrité, tantôt entraîner la négation de
l’autonomie juridique des sociétés qui le composent sous couvert de la réalité éco-
nomique unitaire qui le sous-tend. De la sorte, le groupe peut être appréhendé
comme une «réalité juridique à géométrie variable» 42.

39 T. TILQUIN et V. SIMONART, op. cit., p. 168.


40 Pour un examen similaire en droit français, voy. J. PAILLUSSEAU, «La notion de groupe de sociétés et d’entre-
prises en droit des activités économiques», D., 2003, n° 35, pp. 2418-2425.
41 Son influence sur le droit belge est, en effet, croissante en raison du principe de primauté du droit de
l’Union européenne sur les droits nationaux dégagé par la jurisprudence de la Cour de justice depuis les
années 60. Il en résulte ainsi que le juge national a l’obligation d’écarter une règle interne lorsqu’elle est
contraire au droit de l’Union européenne; voy. A. MASSON, Droit communautaire : Droit institutionnel et droit
matériel, Bruxelles, Larcier, 2008, p. 239.
42 M. COZIAN, A. VIANDIER et F. DEBOISSY, Droit des sociétés, 16e éd., Paris, Litec, 2003, n° 1950.

LARCIER 29
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

§1. – Les groupes en droit belge des sociétés

A. – Notion de groupe de sociétés

En raison de la nature essentiellement économique des groupes de sociétés et de


la constante évolution des structures juridiques qui en découle, les auteurs du
Code des sociétés se sont gardés de définir la notion de «groupe de sociétés» 43. À
défaut d’une telle définition, le Code a néanmoins précisé, en son article 6, l’élé-
ment caractérisant l’existence d’un rapport mère-filiale, à savoir la présence d’un
pouvoir de contrôle 44.
Dès lors, pour qu’il y ait groupe au sens du droit des sociétés, il est nécessaire,
mais suffisant, qu’un rapport de contrôle soit établi 45 . La notion de contrôle
constitue donc un critère déterminant pour qui veut aborder l’organisation des
groupes de sociétés 46.
L’article 5 du C. soc. précise que par «contrôle», il faut entendre «le pouvoir de
droit ou de fait d’exercer une influence décisive sur la désignation de la majorité
des administrateurs ou gérants de celle-ci ou sur l’orientation de sa gestion» 47.

43 P. VAN OMMESLAGHE, «La notion de “groupe de sociétés” en droit des sociétés et en droit fiscal», in La
reconnaissance des groupes de sociétés en droit fiscal, Anvers, Kluwer, 1989, p. 27 : «les définitions reposant
sur des critères précis, si elles présentent l’avantage d’une application plus simple et d’une sécurité juri-
dique plus grande, offrent l’inconvénient de permettre une appréhension moins bonne des groupes de socié-
tés dont les formes et les modalités de constitution sont multiples et se réduisent mal à un ou plusieurs
critères rigides».
44 L’article 6 du C. soc. définit la société mère comme «la société qui détient un pouvoir de contrôle sur une autre
société» et la société filiale comme «la société à l’égard de laquelle un pouvoir de contrôle existe». À cet
égard, l’on peut remarquer qu’il résulte de la définition d’une filiale que les sous-filiales sont également visées.
45 E. Wymeersch souligne, à cet égard, qu’en droit belge, «le rapport de groupe est défini uniquement en
termes de contrôle» (E. WYMEERSCH, loc. cit., p. 638); Voy. aussi T. TILQUIN et V. SIMONART, op. cit., p. 172.
46 Pour une description détaillée de l’article 5 du C. soc., voy. H. OLIVIER, «Art. 5. C. soc.», in Commentaire
systématique du «nouveau» Code des sociétés, Waterloo, Kluwer, 2001, pp. 1-9; T. DELVAUX, «Le contrôle
d’une société – Sens et contresens d’un concept polysémique », J.T., 2007, n° 6287, pp. 789-794 ;
P.A. FORIERS, «Notion de contrôle et droit des groupes», in Contrôle, stabilité et structure de l’actionnariat,
Bruxelles, Larcier, 2009, pp. 215-221. Sur la question de l’incidence de la forme sociétale à l’égard du
contrôle actionnarial, voy. P. NICAISE et E.-J. NAVEZ, «Contrôle, stabilité et structure de l’actionnariat : le
polymorphisme du paysage sociétaire belge a-t-il toujours du sens?», in Contrôle, stabilité et structure de
l’actionnariat, Bruxelles, Larcier, 2009, pp. 8-56.
47 À cet égard, voy. la septième directive du Conseil du 13 juin 1983 fondée sur l’article 54, paragraphe 3, g du
traité instituant la Communauté économique européenne, et concernant les comptes consolidés (83/349/
CEE), J.O.C.E., no L 193 du 18 juillet 1983. Sous l’influence du droit européen la notion de contrôle a été
introduite en droit belge par trois textes réglementaires du droit comptable, à savoir i) l’annexe (Chapitre III,
section I, rubrique IV.A) de l’A.R. du 8 octobre 1976 relatif aux comptes annuels, ii) l’article 2 de l’A.R. du
6 mars 1990 relatif aux comptes consolidés des entreprises et iii) l’article 2 de l’A.R. du 14 octobre 1991
relatif à la définition des notions de société mère et de société filiale pour l’application des lois coordonnées
sur les sociétés commerciales. Ces dispositions ont été abrogées par l’A.R. du 30 janvier 2001 portant exé-
cution du Code des sociétés.

30 LARCIER
RÉALITÉ FACTUELLE ET CONSÉQUENCES JURIDIQUES

Cette disposition établit, en outre, une distinction entre le contrôle de droit et le


contrôle de fait, chacune de ces deux catégories étant soumise à des conditions
particulières ainsi qu’à des règles de présomption propres.
Le contrôle «de droit» 48 implique que la société mère détienne la majorité des
droits de vote attachés à l’ensemble des actions ou parts de la société filiale ou
qu’elle ait le droit de nommer ou de révoquer la majorité des organes de gestion de
cette dernière (peu importe que ce droit résulte des statuts de la filiale, d’une
convention souscrite avec celle-ci ou d’une convention entre associés). Lorsque
l’un de ces éléments est établi, le pouvoir de contrôle de la mère est reconnu de
manière irréfragable, sans qu’il soit donc nécessaire de vérifier l’effectivité de
l’influence de la société mère sur sa filiale 49. L’article 7, §1er, du C. soc. précise,
notamment, que pour la détermination du pouvoir de contrôle, il y a lieu d’ajouter
au pouvoir détenu personnellement, le pouvoir détenu indirectement à l’intermé-
diaire d’une filiale.
Le contrôle «de fait» 50 recouvre, quant à lui, l’ensemble des situations qui ne
rentrent pas dans le champ d’application du contrôle de droit. À cet égard, le
contrôle de fait est présumé lorsque la société mère a, à l’avant-dernière et durant
la dernière assemblée générale de la filiale, exercé des droits de vote représentant
la majorité des voix attachées aux titres représentés à ces assemblées. S’agissant
d’une présomption iuris tantum, celle-ci peut être renversée par toute preuve
contraire démontrant l’absence de contrôle. Tel sera ainsi le cas lorsqu’un contrôle
de droit est établi en faveur d’un autre actionnaire 51. Cette prise en considération
des filiales de fait au sein du groupe participe d’une volonté du législateur de
«privilégier la réalité économique que constitue le groupe de sociétés plutôt que
les sources du pouvoir ou la quotité du pouvoir votal sur lesquelles il est
construit» 52. Face à une société dont l’actionnariat est dispersé et peu présent aux
assemblées générales, un actionnaire minoritaire peut donc se voir conférer léga-
lement un pouvoir de contrôle s’il bénéficie, dans les faits, d’une majorité stable
auxdites assemblées 53. En l’absence de seuils légaux relatifs à l’appréciation de

48 Art. 5, §2 du C. soc.
49 T. DELVAUX, loc. cit., p. 791; H. OLIVIER, loc. cit., p. 6.
50 Art. 5, §3 du C. soc.
51 H. OLIVIER, loc. cit., p. 8.
52 Voy. Rapport au Roi précédant l’A.R. du 6 mars 1990 sur les comptes consolidés, cité par H. OLIVIER, ibi-
dem, p. 8.
53 Prenons l’exemple d’une société qui comporte au total 100 actions, dont chacune donne droit à une voix à
l’assemblée générale. Lors de l’avant-dernière assemblée générale, les titulaires d’actions auxquelles sont
attachées 60 voix sont présents où représentés. À l’occasion de la dernière assemblée générale, la participa-
tion des actionnaires augmente de telle sorte que 80 voix sont exercées. Dans cette hypothèse, l’actionnaire
qui aura exercé ses 41 voix durant ces deux assemblées générales sera présumé détenir un contrôle de fait
sur la société.

LARCIER 31
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

ce contrôle de fait, il peut être utile d’avoir recours à ceux utilisés par certaines
législations particulières 54.
La définition du contrôle à travers i) le pouvoir d’exercer une influence décisive
sur la désignation des membres de l’organe de gestion de la filiale ou ii) sur
l’orientation de sa gestion, telle que prévue à l’article 5 du C. soc., peut laisser
quelques doutes sur la nécessité d’un lien de participation entre les sociétés
concernées 55. L’influence décisive d’une société à l’égard d’une autre ne découle,
en effet, pas toujours d’une détention de participations. À titre d’exemple, il pour-
rait en être ainsi lorsqu’une société fournit des produits à ce point spécifiques
qu’une interruption des transactions pourrait mettre à mal la survie de la société
bénéficiaire. Il pourrait en être de même lorsqu’une société détient une créance
sur une autre, dont le montant est substantiel eu égard à sa capacité financière.
Dans ces hypothèses, en effet, la pression exercée par la société, fournisseur ou
créancière, pourrait être d’une importance telle qu’il lui serait loisible d’exercer
une influence décisive sur la gestion de l’autre. Il semble toutefois exclu que le
défaut de participation puisse aboutir, même dans ces circonstances, à ce qu’un
pouvoir de contrôle soit reconnu. Comme le souligne M. Delvaux, une telle inter-
prétation serait contraire à «l’objectif poursuivi par les dispositions de droit des
sociétés sensu lato qui appréhendent les rapports “société mère-filiales” », de
sorte que les exemples envisagés ne constitueraient pas « des situations de
contrôle au sens du droit des sociétés, faute de lien de participation» 56.
On peut donc constater qu’en droit belge des sociétés, la notion de groupe de
sociétés est subordonnée à l’existence d’au minimum deux sociétés vis-à-vis des-
quelles l’une détient dans le capital de l’autre une participation suffisante à exer-
cer un pouvoir de contrôle au sens de l’article 5 du C. soc. 57.
Certains pays étrangers préfèrent, toutefois, utiliser d’autres critères pour définir
la notion de groupe 58. Le droit allemand impose ainsi, en ses articles 17 et 18 de
l’Aktiengesetz (AktG) 59, la présence d’un lien de «domination» ou de «direction

54 Sur cette question, voy. P.A. FORIERS, loc. cit., pp. 220-221.
55 Il ne ressort pas, en effet, de la lecture de l’article 5 du C. soc. que le contrôle soit réservé exclusivement aux
détenteurs d’une participation.
56 T. DELVAUX, loc. cit., p. 791; voy. art. 13 et 14 du C. soc. relatifs aux notions de participation et de lien de
participation.
57 À cet égard, rappelons que l’influence exercée sur la filiale doit être décisive. L’«influence décisive» ne doit
pas être confondue avec «l’influence notable» dont il est fait référence à l’article 12 du C. soc. pour la défi-
nition des sociétés associées. Contrairement à l’influence notable, l’influence décisive se distingue par sa
capacité à permettre d’imposer une décision aux autres actionnaires.
58 S. GRUNDMANN, European Company Law, Oxford, Intersentia, 2007, p. 634. Pour un examen comparé de la
définition du groupe, voy. P. VAN OMMESLAGHE, «Les groupes de sociétés», R.P.S., 1965, n° 5280, pp. 226-
241 ; M. ANDENAS et F. WOOLDRIDGE, European Comparative Law, Cambridge University Press, 2009,
pp. 448-479.
59 Loi régissant les sociétés anonymes en droit allemand.

32 LARCIER
RÉALITÉ FACTUELLE ET CONSÉQUENCES JURIDIQUES

unique» de la société mère à l’égard de ses filiales 60. Ces critères se distinguent
de la conception belge du contrôle en ce qu’ils requièrent que soit démontrée la
pratique effective de la domination ou de la direction unitaire pour chaque cas
concret. Il se dégage, dès lors, deux conceptions fondamentalement différentes
pour l’appréhension juridique de la notion de groupe, l’une fondée sur des critères
essentiellement techniques, l’autre fondée sur des critères axés davantage sur la
réalité.
Partageant la position qui avait été retenue par le groupe d’experts du Forum
europaeum sur le droit des groupes de sociétés 61, nous estimons que la notion de
contrôle présente de nombreux avantages par rapport à ceux dégagés du droit alle-
mand. En effet, l’exercice effectif de l’influence ne devant pas être nécessaire-
ment établi pour que le contrôle soit reconnu, cette notion permet d’éviter de nom-
breuses incertitudes et présente des facilités d’application évidentes 62.
L’on peut, néanmoins, remarquer que la notion de contrôle exclut de son champ
d’application les consortiums 63. Le critère essentiel des groupes horizontaux étant
la direction unique, ceux-ci ne peuvent, en effet, être reconnus comme groupes au
sens du droit des sociétés. Il est, toutefois, classiquement présumé que les consé-
quences de cette exclusion peuvent être compensées par la possibilité offerte aux

60 R. LEDOUX, La loi allemande sur les sociétés par actions comparée à la législation belge, Bruxelles, Bruylant,
1941, p. 22. Pour une description de ces deux dispositions, voy. K. HOPT, «Le droit des groupes de sociétés
– expériences allemandes, perspectives européennes», Rev. soc., 1987, p. 375.
61 Pour une traduction du rapport en langue française, voy. Forum europaeum sur le droit des groupes de socié-
tés, «Un droit des groupes de sociétés pour l’Europe», Rev. soc., 1999, n° 1, pp. 40 et s., n° 2, pp. 285 et s.;
dans son rapport, le groupe d’experts souligne, par ailleurs, sa préférence pour la notion de contrôle (ibidem,
pp. 64-65).
62 A contrario, l’examen préalable et systématique de l’exercice effectif de la «domination» ou de la «direction
unique» par une société mère peut paraître particulièrement contraignant et poser des difficultés d’applica-
tion (ibidem, p. 64).
63 Contra : P.A. FORIERS, loc. cit., p. 229. L’auteur estime que la définition des «petits groupes», contenue à
l’article 16 du C. soc., peut servir de référence pour la définition de la notion de «groupe» en droit des
sociétés. À cet égard, l’article 16, §1er du C. soc. précise qu’«une société et ses filiales, ou les sociétés qui
constituent ensemble un consortium, sont considérées comme formant un petit groupe avec ses filiales
lorsqu’ensemble, sur une base consolidée, elles ne dépassent pas [certains seuils]». L’utilité, pour le législa-
teur, d’avoir défini les petits groupes résulte exclusivement de l’application des dispositions relatives aux
comptes consolidés (voy. art. 108 et s. C. soc., et plus particulièrement l’art. 112). Comme nous le constate-
rons infra, le droit comptable appréhende les groupes d’une façon plus large que le droit des sociétés, il
n’est donc pas surprenant que la définition des petits groupes fasse explicitement référence aux consor-
tiums. Bien qu’étant contenues ensemble dans le C. soc., ces deux branches du droit ne peuvent toutefois
être totalement confondues. Il convient, dès lors, de ne pas faire un amalgame entre le contenu de leurs
concepts respectifs. Pour une description du régime des petits groupes en droit comptable, voy. H. OLIVIER,
«Art. 16 C. soc.», in Commentaire systématique du «nouveau» Code des sociétés, Waterloo, Kluwer, 2001,
pp. 1-4; M. VANDER LINDEN, «Petites sociétés et petits groupes : nouveaux critères», Pacioli, 2005, n° 190,
pp. 3-4.

LARCIER 33
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

consortiums de régler préalablement une majeure partie de leurs difficultés par la


voie contractuelle ou statutaire.

B. – Absence de reconnaissance
ad hoc des groupes de sociétés

Bien que l’organisation des différentes sociétés au sein d’un groupe puisse s’inter-
préter, d’un point de vue économique, comme l’émanation d’une seule entité,
autonome et cohérente, le droit belge des sociétés n’accorde pas de personnalité
juridique spécifique au groupe 64, même si ce concept se retrouve en filigrane
dans de nombreuses dispositions du Code des sociétés 65 et qu’il y est fait explici-
tement référence en matière de conflits d’intérêts (art. 524 et 529 C. soc.) 66.
Chaque société conserve ainsi son identité propre et demeure soumise aux dispo-
sitions du droit commun des sociétés, sans considération, en principe, de son inté-
gration au sein d’un groupe 67.
En raison de cette particularité, le groupe de sociétés est traditionnellement défini
comme «un ensemble de sociétés qui, tout en conservant leur existence juridique
propre, se trouvent liées les unes aux autres, de sorte que l’une d’elles, la société
mère, qui tient les autres sous sa dépendance, en fait ou en droit, exerce un
contrôle sur l’ensemble des sociétés dominées et fait valoir une unité de
décision» 68.

64 P. VAN OMMESLAGHE, «Rapport général», loc. cit., p. 109 : «les diverses sociétés composant un groupe sont
juridiquement autonomes et conservent une personnalité morale distincte, sans qu’il faille déduire des liens
économiques unissant ces sociétés une disparition de leur identité propre»; voy. également E. WYMEERSCH,
«The groups of Companies in Belgian Law», in Groups of Companies in the EEC, Berlin, de Gruyter, 1993,
pp. 1-84.
65 Il s’agit généralement de dispositions ayant pour but d’éviter qu’une société mère ne se serve de sa filiale en
vue de contourner certaines règles. Ces dispositions ne se fondent donc pas sur une théorie du droit des
groupes mais visent, au contraire, à régir uniquement certaines situations spécifiques dans lesquelles
l’application normale des règles du droit des sociétés pourrait être contournée : T. DELVAUX, loc. cit., p. 790;
O. CAPRASSE et R. AYDOGDU, «L’abus du droit de vote et ses sanctions», in Le droit des sociétés aujourd’hui :
Principes, évolutions et perspectives, Bruxelles, Éd. du Jeune Barreau, 2008, p. 314; P. VAN OMMESLAGHE,
«Les groupes de sociétés et l’expérience du droit belge», in Les groupes de sociétés en droit européen, Berlin,
Walter de Gruyter & Co., 1982, p. 72; P. VAN OMMESLAGHE et X. DIEUX, «Les sociétés commerciales – Exa-
men de jurisprudence (1979 à 1990)», R.C.J.B., 1992, pp. 630-631. Pour une description de ces disposi-
tions, voy. J. CATTARUZZA, «Spécificités du Code des sociétés appliquées aux groupes de sociétés», in Les
relations intragroupes, Bruxelles, Bruylant, pp. 103-122; T. TILQUIN, loc. cit., p. 64 et les références citées.
66 Voy. art. 529, al. 2 in fine C. soc; cette matière est étudiée partiellement infra.
67 Toutefois, nous verrons infra que le principe de la personnalité juridique distincte des sociétés n’est pas
absolu. De nombreux tempéraments, d’origine légale ou jurisprudentielle, viennent, en effet, modérer les
effets de son application.
68 P. MERLE, Droit commercial – Sociétés commerciales, 8e éd., Paris, Dalloz, 2001, n° 642.

34 LARCIER
RÉALITÉ FACTUELLE ET CONSÉQUENCES JURIDIQUES

Cette approche – qui considère le groupe comme une pluralité de personnes


morales distinctes – est lourde de conséquences au regard de l’appréhension juri-
dique des groupes 69. Il en résulte, en effet, l’absence d’une véritable reconnais-
sance de principe du pouvoir d’injonction qu’exerce la société mère sur ses
filiales 70. En outre, les dispositions du Code des sociétés étant essentiellement
fondées sur la prise en compte individuelle des sociétés, leur application peut
entraîner des problèmes de compatibilité avec certaines exigences du groupe 71.
Pour autant, l’approche individualisante du droit des sociétés ne peut être balayée
d’un simple revers de main sous prétexte qu’elle ne correspondrait pas à la réalité
à laquelle sont confrontés les groupes de sociétés. La réflexion ne peut, en effet,
se limiter à condamner purement et simplement cette approche pour n’admettre
uniquement qu’une appréhension englobante de la situation des groupes 72. À cet
égard, une doctrine majoritaire estime que l’absence de personnalité juridique
aux groupes doit être défendue dans la mesure où une telle reconnaissance abou-
tirait à remettre en cause l’indépendance des sociétés qui en font partie. Or, la
sauvegarde de cette indépendance peut paraître essentielle tant elle permet de
préserver les nombreux avantages qui peuvent en découler sur le plan du dévelop-
pement des sociétés 73. En outre, elle permet aux groupes de conserver leurs spé-
cificités par rapport à d’autres modes d’organisation structurelle, telle que la
fusion par exemple, qui aboutissent déjà à centraliser plusieurs entités au sein
d’une même personne morale 74.

§2. – Les groupes à travers d’autres branches du droit belge : appréhen-


sion polysémique
Le refus de prendre en considération le groupe en tant que personne n’est pas
propre au droit des sociétés. D’autres disciplines juridiques, tel le droit fiscal par

69 A. JACQUEMIN, loc. cit., p. 15; T. TILQUIN, loc. cit., p. 69.


70 Sous réserve de ce qui sera observé infra au regard de l’article 524, §7 du C. soc. Ce pouvoir d’injonction
est, toutefois, implicitement reconnu dans la définition du contrôle de l’article 5 du C. soc.
71 On pense ici plus particulièrement aux règles de protection ou de responsabilité en faveur de certaines par-
ties prenantes. Cette problématique sera développée infra.
72 La deuxième partie de la présente contribution sera ainsi consacrée, notamment, aux adaptations qui pour-
raient éventuellement être mises en place en vue de suppléer à certaines difficultés engendrées par
l’approche individualisante par rapport aux groupes de sociétés. Nous verrons également infra que certaines
législations étrangères et initiatives européennes se sont déjà consacrées à l’introduction d’une réglementa-
tion d’ensemble des groupes de sociétés et que l’efficacité d’une telle approche est mise en cause par une
majorité d’auteurs et praticiens.
73 Nous avons vu que l’indépendance des sociétés permet de favoriser une meilleure répartition des décisions,
des responsabilités et des risques, avec pour conséquence l’amélioration de l’aptitude à réagir aux
contraintes du marché. Nier cette indépendance pourrait, dès lors, décourager le développement et le rap-
prochement de certaines sociétés (voy. A. JACQUEMIN, loc. cit., pp. 10-11).
74 V. SIMONART, La personnalité morale en droit privé comparé, Bruxelles, Bruylant, 1995, n° 120, p. 103.

LARCIER 35
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

exemple, font, en effet, de même. À l’exception de quelques correctifs visant à


tenir compte des relations intragroupes 75, le principe de taxation repose ainsi
essentiellement sur l’imposition séparée de chaque société, sans considération
pour le résultat global du groupe. La consolidation fiscale étant étrangère au droit
belge, aucune compensation ne peut donc être réalisée entre les bénéfices impo-
sables et les pertes subies par les différentes sociétés 76.
Cette séparation entre la société mère et ses filiales a, en outre, un impact impor-
tant sur les règles relatives à la capacité du groupe à agir en justice ou à contrac-
ter 77.
Certaines branches du droit retiennent, toutefois, une approche plus conforme à la
réalité économique des groupes en les considérant comme une manifestation mar-
quée par l’unité. Cette tendance est particulièrement présente en droit comptable
et en droit du travail.
En droit comptable, le législateur a, en effet, sous l’influence du droit de l’Union
européenne 78, introduit des règles de consolidation permettant l’intégration des
comptes de chaque société d’un groupe au sein d’un seul état financier 79. Cette
volonté du législateur procédait du souci de faire correspondre – conformément au
principe de l’image fidèle – les comptes de sociétés à leur réalité. De la sorte, par
l’effet de la consolidation, les comptes de la société mère ainsi que de toutes ses
filiales (sans considération de leur localisation) sont rassemblés pour former un
ensemble comptable unifié, comme s’il s’agissait d’une seule entreprise. Le périmètre
de consolidation (déterminé par une série de critères d’inclusion et d’exclusion de
sociétés) permet ainsi de rendre compte de l’ensemble que constitue le groupe 80.

75 Voy., notamment, P. MINNE et B. BEINE, «La reconnaissance des groupes de sociétés en droit fiscal belge –
Évolutions récentes», R.G.F., 1993, pp. 79-84; P. MINNE et S. DOUENIAS, Planification fiscale internationale
des sociétés belges, Bruxelles, Larcier, 2004, pp. 212 et s.
76 T. AFSCHRIFT, «Les conséquences fiscales de la restructuration de l’endettement – première partie», J.D.F.,
2006, pp. 285-286.
77 E. WYMEERSCH, «Le droit belge des groupes de sociétés», loc. cit., p. 627, n° 9 et les références citées. Sur
la capacité des sociétés à agir en justice, voy. T. DELVAUX, «Représentation et comparution des sociétés
devant les juridictions de l’ordre judiciaire», Rev. dr. ULg, 2002, pp. 443-493.
78 Septième directive du Conseil du 13 juin 1983 fondée sur l’article 54, paragraphe 3, g) du Traité et concer-
nant les comptes consolidés (83/349/CEE), J.O.C.E., n° L 193 du 18 juillet 1983.
79 Voy. art. 109 à 121 C. soc.; A.R. du 30 janvier 2001 portant exécution du Code des sociétés; loi du 17 juillet
1975 relative à la comptabilité et aux comptes annuels des entreprises. La transposition de l’obligation de
consolidation dans le Code des sociétés a pour conséquence qu’en cas de non-respect des dispositions y
afférentes, les administrateurs pourront se voir infliger la responsabilité spéciale prévue à l’article 528 du
C. soc., pour violation de l’une des dispositions du Code.
80 Pour une description du régime de consolidation en droit belge, voy. E. CAUSIN, Droit comptable des entre-
prises, Bruxelles, Larcier, 2002, pp. 881 et s.; Y. STEMPNIERWSKY, «Art. 109 à 121 C. soc.», in Commentaire
systématique du « nouveau » Code des sociétés, Waterloo, Kluwer, 2009 ; A. WHITE, « Contrôle de droit –
Contrôle de fait en consolidation», C & FP, 2000, liv. 2, pp. 117-121; J. BAUDET, «Organisation et mise en
œuvre pratique de la consolidation», C & FP, 1998, liv. 7, pp. 17-29; pour une description du régime de

36 LARCIER
RÉALITÉ FACTUELLE ET CONSÉQUENCES JURIDIQUES

À cet égard, il est intéressant de souligner que les consortiums peuvent égale-
ment faire l’objet d’une consolidation et partant, être considérés comme des
groupes au sens du droit comptable 81. Malgré l’intégration des dispositions rela-
tives à la consolidation dans le Code des sociétés, il apparaît donc que la notion
de groupe est bien plus étendue dans cette matière qu’en droit des sociétés
sensu stricto.
Le droit du travail utilise, quant à lui, le critère de l’«entreprise», définie comme
«unité technique d’exploitation», pour appréhender les groupes d’une façon parti-
culièrement centrée sur leur réalité économique et sociale 82. En vertu de l’article
14, §2, b) de la loi du 20 septembre 1948 ayant institué les conseils d’entreprise,
une unité technique d’exploitation est, en effet, présumée constituée lorsque plu-
sieurs entités juridiques distinctes répondent simultanément à deux conditions, à
savoir, d’une part, une affiliation économique commune (faire partie d’un même
groupe économique, être administrées par une même personne, ou plusieurs liées
économiquement entre elles, ou avoir la même activité ou des activités liées) et,
d’autre part, une cohésion sociale collective 83.
Les critères économiques et sociaux ont donc ici une place essentielle 84. Comme
le soulignent, par ailleurs, MM. Van Gehuchten et Reyniers, «c’est l’analyse en
termes d’unité technique d’exploitation qui prime, le concept juridique n’interve-
nant qu’à titre subsidiaire» 85.
Les groupes étant généralement perçus de l’extérieur comme constituant une entre-
prise unique, il peut paraître, de prime abord, peu surprenant de constater que
lorsque certaines branches du droit font explicitement référence à cette notion, leur
appréhension des réalités économiques soit davantage affinée que celles qui l’igno-
rent. Il convient, toutefois, d’être particulièrement prudent à l’égard des législa-

consolidation sur la base de la septième directive, voy. N. THIRION (dir.), Droit international et européen des
sociétés, Bruxelles, Larcier, 2009, pp. 130-134; G. MUSTAKI et V. ENGAMMARE, Droit européen des sociétés,
Bâle – Bruxelles – Paris, Helbing & Lichtenhahn – Bruylant – L.G.D.J., 2009, pp. 229-264.
81 M. VANDER LINDEN, «Consolidation d’un consortium», C & FP, 1995, p. 61.
82 Art. 14, §1er, al. 2, 1° de la loi du 20 septembre 1948 portant organisation de l’économie; voy. aussi Cass.,
24 février 1992, J.T.T., 1992, p. 173.
83 Cass., 27 novembre 2000, Pas., 2000, liv. 2, p. 1815; Cass., 29 janvier 2001, Pas., 2001, liv. 1, p. 181;
comp. convention collective de travail n° 62 du 6 février 1996 concernant l’institution d’un comité d’entre-
prise européen ou d’une procédure dans les entreprises de dimension communautaire et les groupes d’entre-
prises de dimension communautaire en vue d’informer et de consulter les travailleurs.
84 H.-F. LENAERTS, J.-Y. VERSLYPE et O. WOUTERS, «Les élections sociales 2004», J.T.T., 2006, n° 60, p. 481;
B. CEULEMANS, D. MOINEAUX, F. KURZ, E. PLAASCHAERT et L. PELTZER, «Chronique de jurisprudence : Élec-
tions sociales 2000», Chron. dr. soc., 2001, p. 530 et les références citées; Trib. trav. Charleroi, 12 mars
2008, J.T.T., 2009, n° 1035, pp. 167-168.
85 P.-P. VAN GEHUCHTEN et P. REYNIERS, «Information et consultation des travailleurs : de quelques paradoxes
du droit du travail à la lumière de la directive 2002/14/CE», R.D.S., 2007, p. 108.

LARCIER 37
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

tions qui utilisent la notion d’«entreprise» 86. L’entreprise est, en effet, une notion à
contours variables, dont le contenu paraît dépendre sensiblement des objectifs
poursuivis par les branches du droit concernées 87. La conception de l’entreprise
retenue par le droit du travail résulterait donc des objectifs spécifiques qu’il pour-
suit, visant ainsi à résoudre l’opposition existante entre l’autonomie juridique des
sociétés du groupe et la collectivité des travailleurs observée dans la réalité.
D’autres législations adoptent, toutefois, une définition de l’entreprise qui, bien
qu’étant essentiellement orientée vers des considérations économiques, nie l’exten-
sion du concept aux groupes de sociétés. Tant la loi sur la protection de la concur-
rence économique, coordonnée le 15 septembre 2006, que la loi du 6 avril 2010
relative aux pratiques du marché et à la protection du consommateur, définissent
ainsi l’entreprise comme « toute personne physique ou morale poursuivant de
manière durable un but économique» 88. En subordonnant l’identification d’une
entreprise à l’existence d’une personne physique ou morale, cette définition exclut
de son champ les entités comme les groupes qui, malgré leur unité économique,
sont dépourvues de personnalité juridique 89.

86 Sur la question de l’appréhension de l’entreprise par le droit, voy. notamment, P. VAN OMMESLAGHE, «En
guise d’introduction : Entreprise, entreprise en difficulté, concepts juridiques», Rev. dr. ULB, 1991, n° 3,
pp. 1 et s. ; J.-P. R OBÉ, « L’entreprise oubliée par le droit », Journal de l’Ecole de Paris, 2001, n° 32,
pp. 29-37; J.-P. ROBÉ, «L’entreprise en droit», Droit et Sociétés, 1995, pp. 117-136; J. PAILLUSSEAU, «Les
fondements du droit moderne des sociétés», loc. cit.; M. DESPAX, L’entreprise et le droit, op. cit., 443 pp.;
N. T HIRION , « Du droit commercial au droit de l’entreprise : nouveau plaidoyer pour les faiseurs de
systèmes», Rev. dr. ULg, 2006, pp. 313-324; A. HATCHUEL et B. SEGRESTIN, «La société contre l’entreprise?
Vers une norme d’entreprise à progrès collectif », Droit et Société, 2007, pp. 27-40 ; B. S EGRESTIN et
A. HATCHUEL, «L’entreprise, une invention moderne en attente de droit?», Entreprises et Histoire, 2009,
n° 57, pp. 218-233.
87 Sur cette question, voy. C. HANNOUN, «La réalité juridique de l’entreprise. Réflexions sur la perception par
le droit de la réalité matérielle de l’entreprise», Entreprises et histoire, 2009, n° 57, pp. 184-193.
88 Art. 1er, 1° de la loi sur la protection de la concurrence économique, coordonnée le 15 septembre 2006,
M.B., 29 septembre 2006; art. 2, 1° de la loi du 6 avril 2010 relative aux pratiques du marché et à la protec-
tion du consommateur, M.B., 12 avril 2010. Il est à noter que la loi du 6 avril 2010 englobe également, dans
sa définition de l’entreprise, les associations de personnes qui poursuivent un but économique de manière
durable; exposé des motifs, Doc. parl., Ch. repr., 2009-2010, n° 52-2340/001, pp. 35-36. Sur le contenu de
la notion d’entreprise en vertu de la loi du 6 avril 2010, voy. J. STUYCK, «Les nouvelles définitions de la loi
du 6 avril 2010 sur les pratiques du marché et la protection du consommateur, et leurs conséquences», in
La protection du consommateur après la loi du 6 avril 2010, Louvain-la-Neuve, Anthémis, 2010, pp. 20-26.
89 Voy. en ce sens, A. AUTENNE, «La notion d’entreprise en droit européen de la concurrence : retour sur un
concept clé pour déterminer la sphère d’application de l’ordre concurrentiel», in Actualité du droit de la
concurrence, Bruxelles, Bruylant, 2007, pp. 150-151. L’on peut s’étonner de cette exclusion dans la mesure
où ces législations sont particulièrement liées à l’organisation des marchés (protection de la concurrence
économique et des consommateurs de biens et services) au sein desquels les groupes prennent une place
prépondérante. Par ailleurs, nous constaterons infra que la jurisprudence européenne en matière de droit de
la concurrence n’impose pas une telle restriction. Il est, dès lors, quelque peu surprenant de constater que
les travaux préparatoires de la loi du 6 avril 2010 disposent que «pour l’interprétation de la notion d’entre-
prise, l’on peut également se référer à la jurisprudence développée par la Cour de Justice» (Exposé des
motifs, Doc. parl., Ch. repr., 2009-2010, n° 52-2340/001, p. 36).

38 LARCIER
RÉALITÉ FACTUELLE ET CONSÉQUENCES JURIDIQUES

§3. – L’expérience du droit de l’Union européenne face aux groupes


Dans la mesure où le droit européen est appelé à gérer des situations transfronta-
lières, l’on pourrait espérer que sa réglementation fasse l’objet d’une imprégnation
économique plus importante qu’en droit national et qu’en conséquence, une plus
forte sensibilisation à la réalité des groupes soit décelée.
À cet égard, dans certaines matières particulières, le droit de l’Union européenne
accorde aux groupes une appréhension centrée principalement sur des considéra-
tions économiques, avec pour conséquence qu’il est fait abstraction de l’autono-
mie formelle des sociétés pour faire prévaloir, à l’instar de l’entreprise en droit du
travail belge, une conception plus réaliste, fondée sur l’organisation économique
des groupes 90.
Parmi ces matières, le droit de la concurrence, qui considère le groupe comme
une «entreprise», sujet de droit à part entière, en constitue un excellent exem-
ple 91. L’utilisation de la notion d’entreprise est, en effet, particulièrement adaptée
à la situation des groupes puisqu’elle peut être définie comme «toute entité exer-
çant une activité économique, indépendamment de son statut juridique et de son
mode de financement» 92. En conséquence, toute entité qui exerce une activité
économique rentre dans le champ de la réglementation européenne en matière de
concurrence dès lors qu’elle constitue une entreprise 93 . Par ailleurs, cette

90 Il importera toutefois d’examiner la position retenue par la Cour pour chaque branche du droit envisagée. La
Cour adopte, en effet, une approche fonctionnelle qui lui impose d’interpréter les dispositions du T.F.U.E. en
fonction de leurs objectifs respectifs. Les solutions retenues dans une branche du droit de l’Union euro-
péenne ne peuvent donc être automatiquement transposées dans une autre. Cela a été rappelé très claire-
ment dans l’arrêt Allen où il a été jugé que les principes dégagés du droit de la concurrence pour les relations
intragroupes n’étaient pas transposables en droit social (C.J.C.E., 2 décembre 1999, Allen e.a., aff. C-234/98,
Rec., 1999, p. I-8643, point 19); voy. aussi L. IDOT, «La notion d’entreprise», Rev. soc., 2001, p. 194.
91 Pour un examen de la notion d’entreprise en droit de l’Union européenne, voy. A. AUTENNE, loc. cit., pp. 147-
172; T. FOUQUET, J. SLADIC et E. VANHAM, «Les règles de concurrence applicables aux entreprises», J.D.E.,
2010, pp. 111-112 ; L. IDOT, « La notion d’entreprise en droit de la concurrence, révélateur de l’ordre
concurrentiel», in L’ordre concurrentiel – Mélanges en l’honneur d’Antoine Pirovano, Paris, Frison-Roche,
2003, pp. 523-545; L. IDOT, loc. cit., pp. 191-209; O. MACH, L’entreprise et les groupes de sociétés en droit
européen de la concurrence, Genève, Georg, 1974, 278 pp.
92 C.J.C.E., 23 avril 1991, Höfner et Elser, aff. C-41/90, Rec., 1991, p. I-1979, point 21; C.J.C.E., 21 septembre
1999, Albany, aff. C-67/96, Rec., 1999, p. I-5751, point 77; C.J.C.E., 11 juillet 2006, FENIN c. Commission,
aff. C-205/03, Rec., 2006, p. I-6295, point 25. La notion d’entreprise a également été définie, par la Cour,
comme «une unité économique du point de vue de l’objet de l’accord en cause, même si du point de vue
juridique, cette unité économique est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales» (C.J.C.E.,
12 juillet 1984, Hydrotherm, aff. 170/83, Rec., 1984, p. 2999, point 11); L. IDOT précise qu’un tel constat
n’est pas surprenant, «droit économique par excellence, le droit communautaire s’intéresse plus à la réalité
économique qu’aux catégories juridiques» (L. IDOT, loc. cit., p. 202).
93 L’examen du caractère économique de l’activité occupe donc ici une place essentielle dans la mesure où il
permet d’identifier les entités soumises aux règles de la concurrence. Par ailleurs, l’appréciation du critère
de l’activité économique constitue une excellente illustration des difficultés du droit à appréhender un
domaine, tel que le marché, qui est, par essence, économique. Sur cette question, voy. E. BERNARD,

LARCIER 39
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

référence à la notion d’entreprise est d’autant plus importante qu’elle se retrouve


au cœur des trois branches de la réglementation en matière de droit de la concur-
rence, à savoir : la prohibition des ententes illicites 94, l’interdiction des abus de
position dominante 95 et le contrôle des concentrations 96. Le recours à une telle
qualification des groupes, qui abandonne l’obstacle du statut juridique propre de
chaque société pour privilégier la reconnaissance des rapports de synergie intra-
groupes, n’est pas dénué de conséquence par rapport à l’application des disposi-
tions en cause. Ainsi, par l’utilisation de l’expression «plusieurs entreprises» à
l’article 102 du T.F.U.E., la C.J.U.E. (anciennement C.J.C.E.) a, à de nombreuses
reprises, confirmé qu’une position dominante peut être détenue par plusieurs enti-
tés économiques lorsque, bien qu’étant juridiquement indépendantes les unes des
autres, des liens ou des facteurs de corrélation les unissent suffisamment pour
leur permettre d’adopter une ligne d’action commune 97. Il peut donc être reproché
à un groupe d’occuper une position dominante collective si, de par sa situation de
puissance économique, il constitue un obstacle à une concurrence effective sur le
marché. Par ailleurs, le recours à la notion d’entreprise permet au droit européen
de la concurrence d’étendre l’imputation des pratiques restrictives de concur-
rence au-delà des frontières établies par la personnalité juridique des sociétés
composant le groupe. La position de la C.J.U.E. est particulièrement éclairante
sur ce point : « le comportement anticoncurrentiel d’une entreprise peut être
imputé à une autre lorsque la première n’a pas déterminé son comportement sur le
marché de façon autonome, mais a appliqué pour l’essentiel les directives émises
par la seconde, eu égard en particulier aux liens économiques et juridiques qui

« L’“activité économique”, un critère d’applicabilité du droit de la concurrence rebelle à la


conceptualisation», R.I.D.E., 2009, pp. 353-385.
94 Art. 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne – «T.F.U.E.» (anciennement, art. 81 du
Traité C.E.)
95 Art. 102 du T.F.U.E. (anciennement, art. 82 du Traité C.E.).
96 Règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre
entreprises, J.O.C.E., n° L 24 du 29 janvier 2004. Ce règlement a pour objectif de contrôler les opérations
de concentration au regard de leur compatibilité avec le marché commun. Ainsi, les concentrations qui
créent ou qui renforcent une position dominante entravant de manière significative une concurrence effec-
tive sont déclarées incompatibles. Aux termes de l’article 3, 1. du règlement, une concentration est réputée
réalisée uniquement lors d’un changement durable du contrôle entre les entreprises concernées. Cette dis-
position définit deux types de concentrations, à savoir a) celles résultant de la fusion entre des entreprises
antérieurement indépendantes et, b) celles dues à l’acquisition d’un contrôle; voy. Communication consoli-
dée sur la compétence de la Commission en vertu du règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil relatif au
contrôle des opérations de concentration entre entreprises, J.O.C.E., n° C 43 du 21 février 2009.
97 C.J.C.E., 4 mai 1988, Bodson c. Pompes funèbres des régions libérées, aff. 30/87, Rec, p. 2479, point 5;
C.J.C.E., 27 avril 1994, Gemeente Almelo e.a. c. Energiebedrijf IJsselmij, aff. C-393/92, Rec., p. I-1477,
points 40 et s.; C.J.C.E, 31 mars 1998, France e.a. c. Commission, aff. C-68/94 et C-30/95, Rec., p. I-1375,
point 221; C.J.C.E., 16 mars 2000, Compagnie maritime belge transports e.a. c. Commission, aff. C-395/96 P
et C-396/96 P, Rec., p. I-1365, points 36 et s.

40 LARCIER
RÉALITÉ FACTUELLE ET CONSÉQUENCES JURIDIQUES

les unissaient. La circonstance qu’une société filiale a une personnalité juridique


distincte ne suffit donc pas à écarter la possibilité que son comportement soit
imputé à la société mère » 98. Dès lors, le pouvoir d’injonction dont dispose la
société mère, en vertu de son pouvoir de contrôle 99, justifie qu’il soit fait abstrac-
tion de la personnalité juridique de sa filiale pour lui imputer directement cer-
tains comportements illicites, accomplis par cette dernière 100. Dans le cadre de
restructuration, la Cour a, en outre, estimé que le changement de contrôle
n’empêche pas «la personne physique ou morale qui dirigeait l’entreprise concer-
née au moment où l’infraction a été commise de répondre de celle-ci, même si, au
jour de l’adoption de la décision constatant l’infraction, l’exploitation de l’entre-
prise a été placée sous la responsabilité d’une autre personne» 101. Enfin, dans le
prolongement de ce qui précède, il a également été jugé que les interdictions
portant sur les ententes illicites ne pouvaient être applicables aux relations entre
une société mère et sa filiale au motif qu’à défaut pour chacune de ces sociétés
d’avoir une volonté distincte suffisante à l’égard de l’autre, une entente entre ces
dernières était dépourvue de sens 102.
L’interprétation, par la Cour, de la directive 2001/23/CE (ayant codifié la directive
77/187/CEE 103) sur le transfert d’entreprises en droit du travail privilégie égale-
ment une conception économique du groupe 104. Les concepts utilisés sont toute-
fois différents. En effet, le groupe correspond ici à «une entité économique» dont
la notion renvoie à «un ensemble organisé de personnes et d’éléments permettant

98 C.J.C.E., 24 septembre 2009, Erste Bank der österreichischen Sparkassen c. Commission, aff. C-125/07 P,
point 80; C.J.C.E., 16 novembre 2000, Metsä-Serla e.a. c. Commission, aff. C-294/98, Rec., p. I-10065, point
27; C.J.C.E., 2 octobre 2003, Aristrain c. Commission, aff. C-196/99, Rec., p. I-11005, point 96.
99 Pour un examen de la notion de contrôle en droit européen de la concurrence, voy. T. DELVAUX, loc. cit.,
pp. 794-797.
100 Il apparaît, toutefois, que les infractions commises par les filiales ne pourront être imputées à la société
mère que pour autant qu’il existe des indices permettant d’établir l’exercice effectif du pouvoir d’injonction
de cette dernière. Voy. A. AUTENNE, loc. cit., p. 169.
101 C.J.C.E, 16 novembre 2000, Cascades c. Commission, aff. C-279/98 P, Rec., p. I-9693, points 77 et 78; voy.
également, A. AUTENNE, loc. cit., pp. 169-170 et les références citées.
102 C.J.C.E., 24 octobre 1996, Viho c. Commission, C-73/95, Rec., p. I-5457, point 51; C. HANNOUN, Le droit et
les groupes de sociétés, Paris, L.G.D.J., 1991, pp. 79-80; J. MALHERBE et P. MALHERBE, «Les prix de transfert
– Approche moniste ou dualiste», A.D.L., 2001, pp. 120-122.
103 Directive 77/187/CEE du Conseil, du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des
États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d’entreprises, d’établis-
sements ou de parties d’établissements, J.O.C.E., n° L 61 du 5 mars 1977, pp. 26-28; directive 98/50/CE du
Conseil du 29 juin 1998 modifiant la directive 77/187/CEE concernant le rapprochement des législations
des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d’entreprises, d’éta-
blissements ou de parties d’établissements, J.O.C.E., n° L 201 du 17 juillet 1998, pp. 88-92.
104 Directive 2001/23/CE, du 12 mars 2001, concernant le rapprochement des législations des États membres
relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d’entreprises, d’établissements ou de
parties d’établissements, J.O.C.E., n° L 82 du 22 mars 2001, pp. 16-20.

LARCIER 41
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

l’exercice d’une activité économique qui poursuit un objectif propre 105, et qui est
suffisamment structurée et autonome» 106.
Comme pour le droit national, cette corrélation entre la conception juridique du
groupe et sa réalité économique n’est cependant pas omniprésente. Il arrive, en
effet, que les dispositions du droit de l’Union européenne n’écartent pas la per-
sonnalité autonome des sociétés. À titre d’exemple, la Cour de justice a ainsi mis
fin aux tentatives de certaines juridictions nationales de regrouper sous une pro-
cédure judiciaire unique l’ensemble d’un groupe de sociétés établies dans des
États membres différents, préférant, de la sorte, privilégier l’autonomie juridique
plutôt que les besoins de centralisation de la gestion du groupe en procédure col-
lective 107 . Par ailleurs, dans un arrêt du 13 juillet 1962, la C.J.U.E. (alors
C.J.C.E.) a donné une définition de l’entreprise particulièrement liée à l’autono-
mie juridique des sociétés composant le groupe : «l’entreprise est constituée par
une organisation unitaire d’éléments personnels, matériels et immatériels, ratta-
chée à un sujet juridiquement autonome et poursuivant d’une façon durable un
but économique déterminé» 108.
En matière fiscale également, un groupe ne pourra être considéré comme un
contribuable unique, assujetti à une imposition commune, au motif qu’il existerait
des liens économiquement forts entre les sociétés qui le composent 109. Toutefois,
même en cette matière, le droit de l’Union européenne n’est pas resté insensible

105 C.J.C.E., 11 mars 1997, Süzen, aff. C-13/95, Rec., 1997, p. I-1259, point 13; C.J.C.E., 10 décembre 1998,
Hernández Vidal e.a., aff. C-137/96, C-229/96 et C-74/97, Rec., 1998, p. I-8179, point 26 ; C.J.C.E.,
15 décembre 2005, Güney-Görres & Demir, aff. C-232/04 et C-233/04, Rec., 2005, p. I-11237, point 32.
Cette définition a, par ailleurs, été reprise à l’art. 1er, §1er, b) de la directive 2001/23/CE, du 12 mars 2001.
106 C.J.C.E., 10 décembre 1998, Hernández Vidal e.a., (précité), point 27; C.J.C.E., 13 septembre 2007, Jouini
e.a., aff. C-458/05, Rec., 2007, p. I-7301, point 31.
107 C.J.C.E., 2 mai 2006, Eurofood IFSC Ltd, aff. C-341/04, Rec., 2006, p. I-3813.
108 C.J.C.E., 13 juillet 1962, Klöckner-Werke AG e.a. c. Haute Autorité, aff. C-17/61 et 20/61, Rec., 1962, p. 615;
il est, à cet égard, intéressant de reprendre les propos avancés par la Cour de justice, dans le sommaire de
son arrêt, pour justifier l’importance qu’elle accorde au rattachement du concept de l’entreprise à l’autono-
mie juridique des sociétés : «Dans l’élaboration des mécanismes financiers qu’elle institue pour sauvegar-
der l’équilibre du marché, la haute autorité a le devoir de tenir compte de la réalité économique à laquelle
ces mécanismes doivent s’appliquer, afin que les buts poursuivis puissent être atteints dans les conditions
les plus favorables et avec les moindres sacrifices possibles pour les entreprises assujetties; ce principe de
justice doit toutefois être aménagé avec le principe de la sécurité juridique. […] La création de tout sujet de
droit dans le domaine de l’organisation économique entraîne la constitution d’une entreprise distincte; une
activité économique ne saurait donc être considérée comme formant une unité sur le plan juridique lorsque
les effets juridiques de cette activité doivent être rattachés séparément à plusieurs sujets de droit distincts.
Ce principe s’applique également dans le cas d’un groupe d’entreprises dirigé par une société mère et ayant
un cycle de production étroitement intégré, où il est tenu compte du rendement de l’ensemble et non pas des
filiales individuellement considérées, car, sur le plan juridique, l’activité de ce groupe se déroule entre les
sujets qui sont juridiquement parties aux échanges économiques».
109 La matière fiscale relève essentiellement de la souveraineté étatique. Il convient donc de se référer aux
législations nationales pour la détermination du régime fiscal d’un groupe de sociétés international.

42 LARCIER
RÉALITÉ FACTUELLE ET CONSÉQUENCES JURIDIQUES

aux relations intragroupes. L’adoption de la directive «mère-filiale», dont l’objet


vise à supprimer les obstacles fiscaux frappant les distributions de bénéfices au
sein des groupes, en constitue une excellente illustration 110.
Par ailleurs, plusieurs tentatives européennes ont été mises en œuvre par le passé
en vue d’inciter les États membres à introduire une réglementation globale des
groupes en droit des sociétés. Inspirées du droit allemand (qui sera évoqué infra),
des dispositions spécifiques aux groupes de sociétés avaient ainsi été prévues
dans le projet de statut de société anonyme européenne soumis par la Commission
des Communautés européennes au Conseil des ministres le 30 juin 1970 111. Ce
projet prévoyait d’imposer aux sociétés dominantes de nombreuses obligations
qui, par leur lourdeur, présentaient, selon plusieurs auteurs, l’inconvénient de
menacer l’équilibre financier du groupe 112.
Il en était de même lors de l’élaboration, par la Commission européenne, de la
proposition de neuvième directive sur les groupes de sociétés. Motivé par la
volonté de conférer aux groupes de sociétés un fondement juridique solide consa-
crant leur reconnaissance en droit des sociétés, ce texte visait à instaurer une dis-
tinction fondamentale entre la réglementation des groupes de fait (fondés sur la
constatation de l’existence d’une influence significative ou dominante d’une
société à l’égard d’une autre) et des groupes de droit (fondés sur un acte conven-
tionnel de domination en vertu duquel une société se place sous la direction d’une
autre) 113. L’objectif consistait à établir un cadre juridique permettant une saine

110 Directive 90/435/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux
sociétés mères et filiales d’États membres différents, J.O.C.E., n° L 225 du 20 août 1990, pp. 6-9; directive
2003/123/CE du Conseil du 22 décembre 2003 modifiant la directive 90/435/CEE concernant le régime fis-
cal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents, J.O.C.E., n° L 7 du 13 jan-
vier 2004, pp. 41-44; pour une description de la directive, voy. P. MINNE et S. DOUENIAS, Planification fiscale
internationale des sociétés belges, op. cit., pp. 107-117.
111 Généralement dénommé «Projet Sanders», du nom du Professeur ayant présidé le groupe de travail qui l’a
élaboré; pour une description de ces règles spéciales relatives aux groupes, voy. G. KEUTGEN et M. HUYS,
«Demain, la société européenne», J.T., 1971, pp. 493-494; G. KEUTGEN, Le droit des groupes de sociétés
dans la CEE, Bruxelles, Bruylant, 1973, pp. 67-86; P. VAN OMMESLAGHE, «Les groupes de sociétés et le
droit européen des sociétés», in Les groupes de sociétés, Commission droit et vie des affaires – XXVe sémi-
naire, Liège, Faculté de droit de l’Université de Liège, 1973, pp. 235-276.
112 G. KEUTGEN et M. HUYS, loc. cit., p. 494.
113 Sur la proposition de neuvième directive relative aux groupes de sociétés, voy. N. THIRION (dir.), Droit internatio-
nal et européen des sociétés, op. cit., pp. 151-154; E. WYMEERSCH, «La proposition de neuvième directive com-
munautaire relative aux groupes de sociétés», in Modes de rapprochement structurel des entreprises – Tendances
actuelles en droit des affaires, Bruxelles, Story-Scientia, 1988, pp. 193-210; U. IMMENGA, «Examen critique du
projet de neuvième directive à la lumière de l’expérience du Konzernrecht», in Modes de rapprochement structu-
rel des entreprises – Tendances actuelles en droit des affaires, pp. 213-268; K. BÖHLHOFF et J. BUDDE, «Company
Groups – The EEC Proposal for a Ninth Directive in the light of the Legal Situation in the Federal Republic of
Germany», J. Comp. Bus. & Cap. Market L., 1984, pp. 163-197; R. RODIÈRE, «Réflexions sur les avant-projets
d’une directive de la Commission des Communautés européennes concernant les groupes de sociétés», D.,
1977, pp. 137-144; G. MUSTAKI et V. ENGAMMARE, Droit européen des sociétés, op. cit., pp. 315-319.

LARCIER 43
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

gestion des groupes tout en garantissant, en fonction de leurs spécificités, une


protection adéquate aux intérêts catégoriels touchés par les opérations intra-
groupes à travers, notamment, la mise en place de mécanismes de transparence,
de retrait ou de responsabilité particuliers.
Ces initiatives ont, toutefois, été tuées dans l’œuf dans la mesure où elles furent
considérées comme trop contraignantes et trop rigides eu égard à la diversité des
situations de groupe. Par ailleurs, cette inflexibilité risquait d’être préjudiciable
économiquement, dès lors qu’elle aurait défavorisé dangereusement les sociétés
établies dans l’Union européenne par rapport à leurs concurrents américains, jap-
onais ou canadiens 114. Sur recommandation du groupe de haut niveau d’experts
en droit des sociétés, la Commission européenne a donc jugé inutile de
«“réactiver” le projet de neuvième directive sur les relations de groupe – l’adop-
tion d’un acte législatif distinct sur les groupes n’apparaissant pas nécessaire» 115.
Au regard de ce qui précède, le bilan tiré de la reconnaissance de la réalité des
groupes par le droit de l’Union européenne est contrasté. Dans certaines matières
comme le droit de la concurrence, le droit européen parvient à faire véritablement
abstraction de la personnalité juridique des sociétés pour appréhender le groupe
exclusivement à travers l’entité économique qu’il représente. Dans d’autres
domaines, il y a, toutefois, lieu de constater que le droit européen ne réussit pas à
construire un droit des groupes ad hoc qui supplanterait l’absence de prise en
considération des groupes au niveau national.

§4. – La reconnaissance des groupes en droit comparé : l’exemple du


droit allemand («Konzernrecht»)
Contrairement à la législation belge, le droit allemand a développé, par une loi du
6 septembre 1965, une codification spécifique et détaillée en matière de groupes
de sociétés (ou «Konzern»). Cette approche, qui consiste à dépasser l’existence
propre de chaque société pour soumettre le groupe à un corps de règles spéci-
fiques régissant sa conduite, est toujours en vigueur en Allemagne et a influencé
de nombreuses autres législations étrangères, telles que celles du Brésil, du Por-
tugal, de l’Italie, de la Slovénie, de la Croatie ou de Taiwan 116.
Lors de la constitution d’un Konzern, le droit allemand a prévu un régime juri-
dique spécifique en fonction de trois catégories de groupe déterminées, à savoir i)
le groupe contractuel, ii) le groupe de fait, et iii) l’intégration 117.

114 R. RODIÈRE, loc. cit., p. 143, n° 22.


115 Commission européenne, Modernisation du droit des sociétés et renforcement du gouvernement d’entreprise
dans l’Union européenne – Un plan pour avancer, n° 3.3., http://ec.europa.eu/internal_market/company.
116 M. ANDENAS et F. WOOLDRIDGE, European Comparative Law, op. cit., pp. 448 et 449.
117 Conformément aux §§291 et 311 de l’AktG, la réglementation est, toutefois, limitée aux seuls groupes où la

44 LARCIER
RÉALITÉ FACTUELLE ET CONSÉQUENCES JURIDIQUES

Les groupes contractuels (ou « Unternehmensverträge ») se caractérisent par la


conclusion d’un véritable pacte de domination entre la société mère (dominante)
et la société filiale (dominée) 118. En vertu de cet accord, le contrôle est «réputé
légal » 119, ce qui signifie que la société dominante peut exercer librement son
pouvoir de direction et d’injonction sur la société dominée. Contrairement à la
position traditionnelle qui limite les sacrifices qu’une société peut consentir au
profit de la stratégie commune 120, le pacte de domination rend obligatoire, à
l’égard des sociétés dominées, le respect des instructions données et ce, même si
celles-ci sont motivées exclusivement par les intérêts de la société dominante, ou
d’autres sociétés du groupe, et qu’elles sont préjudiciables aux intérêts de la
filiale 121. Les administrateurs et les membres du Conseil de surveillance de la
société dominée peuvent même engager solidairement leur responsabilité s’ils
agissent en violation des injonctions données par la société dominante (§ 310
AktG) 122. De la sorte, l’importance de ce pouvoir est telle que le principe même
d’intangibilité du patrimoine social de la société dominée peut être remis en
cause 123.

domination est exercée sur une société par actions (AG) ou une société en commandite par actions (KGaA).
Ibidem, p. 452. Toutefois, une partie de la doctrine et de la jurisprudence allemande tend à lui reconnaître
une portée de principe général, permettant d’étendre son champ d’application aux sociétés à responsabilité
limitée (V. S IMONART , op. cit., p. 546 et les références citées) ; pour une consultation de l’AktG, voy.
www.juraforum.de/gesetze/AktG/.
118 Le pacte de domination trouve son origine dans le droit fiscal allemand. En effet, par la souscription d’un
contrat de transfert de profits, la société dépendante cesse d’être taxée individuellement sur ses propres
bénéfices pour l’être globalement avec les résultats de la société dominante. Cela permet ainsi de déduire, le
cas échéant, les pertes d’une société sur le résultat bénéficiaire d’une autre. Le pacte de domination et le
contrat de transfert de profits sont néanmoins indépendants l’un de l’autre de sorte que le premier est un
mécanisme propre au droit des sociétés (§291 AktG).
119 K. HOPT, «Le droit des groupes de sociétés – expériences allemandes, perspectives européennes», loc. cit.,
p. 375.
120 Nous verrons infra que l’évolution de la jurisprudence belge et française a mis en exergue une pluralité de
critères spécifiques permettant, dans une certaine mesure, de justifier qu’une société du groupe sacrifie ses
propres intérêts au profit d’un intérêt de groupe jugé supérieur.
121 Conformément au §308 de l’AktG, le pouvoir d’injonction de la société dominante bénéficie d’une assise
légale permettant de contraindre l’organe de gestion de la société dominée à suivre ses injonctions. Il existe,
toutefois, une réserve à ce principe : le non-respect des instructions peut être justifié lorsqu’il est manifeste
qu’elles ne servent aucunement les intérêts de la société dominante ou d’une autre société du groupe (§308
(2) in fine AktG).
122 Corrélativement, les administrateurs et les membres du Conseil de surveillance sont libérés de leur respon-
sabilité lorsqu’ils respectent les directives imposées par la société dominante. Cette responsabilité pourra,
toutefois, être engagée en cas de violation d’autres obligations, telle que celle relatives au contrôle des
directives de la société dominante; R. KRAAKMAN et al., The Anatomy of Corporate Law – A Comparative and
Functional Approach, 2e éd., Oxford, Oxford University Press, 2009, p. 18; M. BODE, Le groupe international
des sociétés – Le système de conflit de lois en droit comparé français et allemand, Bern, Peter Lang, 2010,
p. 63, n° 42 et les références citées.
123 H. WÜRDINGER, «Les groupes de sociétés en droit allemand», in Les groupes de sociétés, Commission droit et
vie des affaires – XXVe séminaire, Faculté de droit de l’université de Liège, p. 189.

LARCIER 45
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

En accordant un pouvoir aussi large à la société dominante, le législateur alle-


mand a, néanmoins, prévu un ensemble de garanties visant, d’une part, à étendre
la responsabilité de la société dominante et, d’autre part, à assurer la protection
des créanciers et des actionnaires minoritaires de la société dominée 124.
C’est ainsi que les §309 (1) et (2) AktG prévoient que les représentants légaux de
la société dominante doivent, sous peine de voir leur responsabilité solidairement
engagée, adopter un comportement conforme au critère du gestionnaire de société
normalement prudent et consciencieux lorsqu’ils donnent certaines directives à la
société dominée. En quelque sorte, la responsabilité de la société dominante se
substitue ainsi à celle des organes de gestion de la société dominée. Par ailleurs,
afin de protéger l’intégrité patrimoniale de la société dominée, le § 302 AktG
impose à la société dominante de compenser les pertes supportées par la société
dominée durant toute la période contractuelle. Cette disposition, particulièrement
protectrice de l’intérêt des créanciers, est complétée par les §303 (1) et (3) AktG,
qui précisent que dans le cas où le contrat de domination prend fin, la société
dominante a le devoir de fournir une sûreté aux créanciers de la société dépen-
dante ou, à défaut, de se porter garante de leur créance. Dans le but d’éviter que
la société dominée soit dépourvue de ressources au terme du contrat, le § 300
AktG dispose, en outre, que la société dominante a l’obligation de constituer une
réserve légale.
En vue de protéger l’intérêt des actionnaires de la société dominée lésés par les
décisions imposées par la société dominante 125, la loi impose de prévoir, dans le
contrat, l’octroi d’une compensation équitable aux actionnaires minoritaires,
tant lorsqu’ils entendent maintenir leur position dans la société que lorsqu’ils
désirent s’en retirer. Le § 304 AktG prévoit ainsi que tout actionnaire qui sou-
haite conserver ses actions dans la société dominée, malgré l’existence d’un
pacte de domination, doit avoir droit à une garantie de dividende. Par ailleurs,
les actionnaires minoritaires, qui en font la demande, ont le droit d’échanger
leurs actions de la société dominée contre celles de la société dominante.
Lorsque, toutefois, la société dominante n’est pas une société anonyme, les
actionnaires minoritaires ont le droit d’exiger, auprès de cette dernière, le rachat
de leurs actions dans la société dominée, moyennant paiement d’une indemnité
en espèce (§ 305 AktG).
Les groupes de fait (ou « Faktische Konzerne») sont, au contraire, ceux au sein
desquels l’exercice du contrôle est effectué en l’absence de pacte de domination.

124 G. KEUTGEN, Le droit des groupes de sociétés dans la CEE, op. cit., pp. 38-56.
125 Sur la protection, en droit allemand, des actionnaires minoritaires dans les groupes de sociétés, voy. S. MAUL
et V. MACE, «La protection des actionnaires minoritaires dans les groupes de sociétés en droit allemand»,
R.D.A.I., 1997, pp. 471-490.

46 LARCIER
RÉALITÉ FACTUELLE ET CONSÉQUENCES JURIDIQUES

Bien qu’en pratique, le recours à ce type de groupe soit le plus fréquent 126, il est
intéressant de remarquer que la volonté initiale du législateur de 1965 était
d’encourager les unions contractuelles en prévoyant un régime moins favorable
aux groupes de fait. Dès lors, le législateur s’est efforcé, par l’application du §311
(1) AktG, d’interdire à la société dominante d’influencer la société dominée à
effectuer des opérations qui lui seraient préjudiciables dans la mesure où une
compensation suffisante ne serait pas fournie en contrepartie. Le §311 (2) AktG
prévoit, en outre, que cette compensation doit être effectuée au cours de l’année
durant laquelle a eu lieu le préjudice. Pour éviter, toutefois, qu’une société domi-
née subisse un préjudice de la société dominante du fait de son contrôle, le §312
AktG prévoit la rédaction obligatoire d’un rapport (dénommé, « rapport de
dépendance») permettant de rendre compte en détail des différentes transactions
réalisées entre ces sociétés durant l’année considérée. Ce système a fait l’objet de
nombreuses critiques par les praticiens, notamment en raison des difficultés
quant à l’évaluation de l’atteinte portée à la société dominée, ainsi qu’à la déter-
mination de la compensation adéquate à charge de la société dominante 127.
Enfin, lorsqu’une société anonyme (appelée « société principale ») possède au
minimum 95% des actions d’une autre société anonyme, le droit allemand permet
d’organiser une véritable procédure juridique d’intégration (ou «Eingliederung»)
de la seconde société au sein de la société principale 128. Cette intégration a pour
conséquence d’assujettir, sans réserve, la société intégrée aux instructions de la
société principale comme si le groupe ne formait qu’une seule et unique entité
juridique. Afin de garantir un tel pouvoir et d’éviter les obstacles pouvant décou-
ler d’une minorité de blocage, la totalité des titres des actionnaires minoritaires
est automatiquement transférée à la société principale moyennant l’octroi d’une
compensation adéquate, qui peut s’effectuer sous la forme d’actions de la société
dominante ou d’une indemnisation en espèces 129. De la sorte, la société intégrée
est toujours une filiale à 100% de la société principale. À l’égard des créanciers,
une responsabilité solidaire est également prévue pour les dettes de la société
intégrée 130. L’on peut donc constater que l’intégration a des effets similaires à
ceux d’une fusion. Ces deux opérations ne peuvent, cependant, être confondues
dans la mesure où l’intégration permet à la société intégrée de conserver sa propre
personnalité juridique 131.

126 M. ANDENAS, F. WOOLDRIDGE, op. cit., p. 458.


127 Ibidem, pp. 458 à 460; K. HOPT, op. cit., p. 376.
128 §§319 et s. AktG.
129 §320b AktG.
130 §322 AktG.
131 Chaque société intégrée conserve ainsi sa raison sociale et peut poursuivre ses activités en maintenant ses
propres organes; H. WÜRDINGER, op. cit., p. 10.

LARCIER 47
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

§5. – Les nombreuses hésitations du droit français face aux groupes


Malgré de nombreuses questions quant à l’opportunité d’introduire une réglemen-
tation d’ensemble sur les groupes de sociétés (à l’instar de la législation alle-
mande instaurée l’année précédente) 132, la réforme du droit français des sociétés
du 24 juillet 1966 a privilégié la reconnaissance de l’autonomie juridique des dif-
férentes sociétés. Tout comme le droit belge, le droit français des sociétés est ainsi
construit sur le postulat de l’indépendance des sociétés et ignore, à l’exception de
quelques règles relatives à certaines relations intragroupes, la réalité économique
des groupes 133.
Bien que ce régime subsiste encore à l’heure actuelle, l’absence de mise en place
d’un corps de règles visant à réglementer de façon globale et cohérente la situa-
tion des groupes n’est pas restée sans réaction. Inspirée du projet Sanders et de la
législation allemande, une proposition de loi «sur les groupes de sociétés et la
protection des actionnaires, du personnel et des tiers » (plus communément
dénommée «proposition de loi Cousté») a, en effet, été déposée sur le bureau de
l’Assemblée nationale le 9 avril 1970 134. Cette proposition de loi tendait à instau-
rer un droit spécifique aux groupes et a fait l’objet de plusieurs aménagements par
la suite. Celle-ci a, toutefois, été abandonnée en raison des nombreuses critiques
dont elle a fait l’objet 135.
Préalablement à l’introduction de la loi du 15 mai 2001 relative aux nouvelles
régulations économiques (qualifiée plus couramment de «loi NRE») 136, le débat
sur la réglementation des groupes avait été à nouveau relancé par le rapport
Marini du 10 septembre 1996. Ce rapport, qui comprenait cent trois propositions
sur la «modernisation du droit des sociétés», sollicitait la transposition, en droit
français, du régime allemand des groupes contractuels. En se gardant de proposer
une réglementation sur les groupes de fait, ce rapport postulait, dès lors, la mise

132 Voy. J. BOUCOURECHLIEN, «Faut-il réglementer les groupes de sociétés en France? Tésultats et perspectives
d’une étude du CREDA», in Les groupes de sociétés, Commission droit et vie des affaires – XXVe séminaire,
Liège, Faculté de droit de l’Université de Liège, 1973, pp. 61-88.
133 Pour un examen du régime juridique des groupes en droit français, voy. M. PARIENTE, «Les groupes de socié-
tés et la loi de 1966», Rev. soc., 1996, pp. 465-470; F. DURAND et Q. URBAN, «Groupes de sociétés», Bull.
Joly Soc., 2009, étude EG010; Y. GUYON, «The Law of Groups of Companies in France», in Groups of Com-
panies in the EEC, Berlin, de Gruyter, 1993, pp. 141-164; R. HOUIN, « Les groupes de sociétés en droit
français », in Les groupes de sociétés en droit européen, vol. 2, Berlin, Walter de Gruyter & Co., 1982,
pp. 45-57.
134 Y. GUYON, «Examen critique des projets européens en matière de groupes de sociétés (le point de vue
français)», in Les groupes de sociétés en droit européen, Berlin, Walter de Gruyter & Co, 1982, p. 156.
135 Voy. G. KEUTGEN, op. cit., pp. 87-96; R. HOUIN, loc. cit., pp. 56-57; J. PAILLUSSEAU, «Faut-il en France un
droit des groupes de sociétés?», J.C.P., 1971, I, 2041bis; J. PAILLUSSEAU, «Les groupes de sociétés – Ana-
lyse du droit positif français et perspectives de réforme», R.T.D.comm., 1972, pp. 841-844.
136 J.-P. DOM, «Les dimensions du groupe de sociétés après les réformes de l’année 2001», Rev. soc., 2002,
pp. 1-26.

48 LARCIER
RÉALITÉ FACTUELLE ET CONSÉQUENCES JURIDIQUES

en place d’un régime optionnel de droit des groupes. En raison, notamment, du


constat de l’échec de l’expérience allemande, cette proposition n’a également pas
été en mesure d’aboutir 137.
De nombreux auteurs se sont réjouis de la position du législateur qui, malgré les
nombreuses propositions de loi en sens contraire, s’est gardé de réglementer glo-
balement les groupes en préférant la voie de mesures ponctuelles. Comme le pré-
cisait M. Barbieri, «le choix opéré par le législateur français, qui n’a pas suivi les
sirènes de propositions réitérées d’une réglementation d’ensemble, s’est révélé
[…] judicieux : les analyses doctrinales ont confirmé l’impossibilité de définir un
critère universel des groupes et l’inadaptation d’une réglementation des groupes à
des situations de fait trop diverses pour être saisies globalement; l’expérience
allemande issue de la loi du 6 septembre 1965, originale mais quasi unique […],
apparaît comme un échec et marque, de l’aveu même des juristes allemands, les
limites de l’intervention législative dans des domaines mouvants, pouvant échap-
per à son emprise» 138.

137 Très peu de conventions de domination ont, en effet, été conclues par les sociétés allemandes. Sur près de
2000 sociétés anonymes allemandes contrôlées, seulement 200 à 300 contrats auraient été établis
(J.-J. DAIGRE, «Les groupes», in La modernisation du droit des sociétés – Premières réflexions sur le Rapport
Marini, Paris, Éd. Joly, 1997, p. 62, n° 75; K. HOPT, loc. cit., pp. 382-383).
138 J.-F. BARBIERI, «Comment rénover le droit français des groupes de sociétés?», Petites affiches, 5 novembre
1997, n° 133, p. 6; voy. aussi, J.-J. DAIGRE, loc. cit., pp. 59-68; J.-P. BERTREL, «Faut-il en France un droit
des groupes de sociétés?», Droit et Patrimoine, octobre 1996, p. 14.

LARCIER 49
L’INTÉRÊT DE GROUPE

CHAPITRE 2
L’INTÉRÊT DE GROUPE :
CONSÉCRATION JURIDIQUE DE LA RÉALITÉ
ÉCONOMIQUE DES GROUPES

Comme nous l’avons souligné, le droit belge des sociétés n’aborde pas les groupes
en tenant compte de l’unité qu’ils représentent d’un point de vue économique.
Toute perméabilité entre les sociétés d’un groupe est, en effet, exclue, de sorte que
chacune doit être traitée de façon individuelle, sur la base de sa personnalité juri-
dique propre. L’appartenance à un groupe ne permet donc pas de conférer à la col-
lectivité un droit supérieur qui primerait les intérêts individuels de chaque
société.
Face à l’évolution des pratiques utilisées au sein des groupes, ce principe n’est,
cependant, pas resté totalement inflexible. Attentives aux situations de fait, les
juridictions ont, peu à peu, été enclines à remettre en cause l’application stricte
de l’autonomie juridique des sociétés pour reconnaître l’admissibilité de la
défense d’un «intérêt de groupe», moyennant le respect de certaines conditions.
Cette reconnaissance de l’intérêt de groupe occupe une place particulièrement
importante dans notre analyse, dans la mesure où c’est par le recours à cette
notion que de nombreuses interrogations relatives aux situations de groupe, telles
qu’en matière de responsabilité par exemple, parviennent à se résoudre. La licéité
des transferts intragroupe est, en effet, essentiellement subordonnée au respect
des conditions prévues par cette notion.
Le bénéfice de ces initiatives prétoriennes ainsi que les obstacles qu’elles ont per-
mis de supplanter ne pourront, toutefois, être véritablement compris qu’après un
examen préalable de la problématique de l’« intérêt social », propre à chaque
société. En effet, comme le précise en ce sens M. Thirion, «on ne saurait conce-
voir le groupe de sociétés comme un monolithe inextinguible ; chaque société,
structure d’accueil d’une entreprise différente, conserve, à des degrés divers il est
vrai, un particularisme dont il importe de tenir compte » 139. Chaque société
constitue ainsi le centre de rencontre d’une série de personnes, actionnaires ou
partenaires de la société. Ces personnes étant soucieuses d’assurer leurs intérêts
personnels 140, les organes de gestion des sociétés sont généralement confrontés,

139 N. THIRION, «Délocalisation d’une division de l’entreprise et l’intérêt social», R.P.S., 1996, p. 84, n° 31.
140 Selon certains auteurs, la défense de cet intérêt propre est d’une importance telle qu’elle en constitue l’un
des fondements du droit : «les bases du droit, l’adhésion de l’homme aux règles de la vie en société, seraient
fondées sur le plaisir et l’utilité qu’il peut en tirer; c’est donc la satisfaction de son intérêt, son bonheur
maximal, que l’être social rechercherait avant tout» (P.-Y. GAUTHIER, «Contre Bentham : l’inutile et le

LARCIER 51
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

dans leurs décisions, à des difficultés pour appréhender ces préoccupations sou-
vent contradictoires.
Nous approfondirons, ensuite, plus amplement la façon dont ces intérêts peuvent
s’organiser lorsqu’ils se rencontrent au sein d’un groupe.

SECTION 1
L’INTÉRÊT SOCIAL : UN CONCEPT UNIQUE
AUX MULTIPLES ACCEPTIONS

La notion d’intérêt social est insérée à de nombreuses reprises dans le Code des
sociétés, sans qu’aucune définition ne lui ait pourtant été réservée 141. Le Code
belge de gouvernance d’entreprise 2009 (communément dénommé « Code
Daems») fait de même lorsqu’il énonce, comme principe essentiel, qu’une société
doit se doter «d’un conseil d’administration effectif et efficace qui prend des déci-
sions dans l’intérêt social» 142. Cette profusion de références à l’intérêt social –
malgré l’absence de délimitation de son contour juridique – a pour conséquence
le développement de nombreuses difficultés d’application et d’incertitudes.
M. Strowel souligne, à cet égard, que, «comme tout concept, celui d’intérêt est
entaché d’une certaine ambiguïté » 143 . Cette ambiguïté favorise l’émergence
d’interprétations divergentes.
L’on peut, toutefois, relever que la considération de l’intérêt social comme
«concept à contenu variable» 144 résulte d’une démarche volontaire du législateur
qui, conscient du caractère évolutif des situations que le droit doit appréhender, a

droit», R.T.D.civ., 1995, p. 797). Sur cette question, voy. les œuvres de Jeremy Bentham et sa doctrine de
l’utilitarisme (M. EL SHAKANKIRI, La philosophie de Jeremy Bentham, Paris, L.G.D.J., 1970 ; P. GÉRARD,
F. OST et M. VAN DE KERCHOVE (dir.), Actualité de la pensée juridique de Jeremy Bentham, Bruxelles, Publica-
tions F.U.S.L., 1987, 740 pp.).
141 Voy. les dispositions suivantes du Code des sociétés et leur référence explicite à la notion d’intérêt social :
art. 281, §1er, al. 2; art. 281, §1er, al. 3, 1°; art. 301, §1er, al. 2; art. 301, §1er, al. 3, 1°; art. 510, al. 2;
art. 521, al. 2; art. 551, §1er, al. 2; art. 551, §1er, al. 3, 1°; art. 580, §1er, al. 2; art. 580, §1er, al. 3, 1°;
art. 596, al. 1; art. 907, al. 2 et art. 976, al. 2.
142 Principe n° 2 du Code belge de gouvernance d’entreprise 2009 publié le 12 mars 2009. Pour une consulta-
tion électronique, voy. www.corporategovernancecommittee.be.
143 A. STROWEL, «À la recherche de l’intérêt en économie. De l’utilitarisme à la science économique
néoclassique», in Droit et intérêt : approche interdisciplinaire, vol. I, Bruxelles, Publications F.U.S.L., 1990,
p. 37 ; pour certains auteurs, l’intérêt social est une notion aux contours aléatoires (voy. B. BASUYAUX,
« L’intérêt social, une notion aux contours aléatoires qui conduit à des situations paradoxales », Petites
Affiches, 6 janv. 2005, n° 4, p. 3).
144 M. COZIAN, A. VIANDIER et F. DEBOISSY précisent, en effet, que, «comme la bonne foi ou l’intérêt de la
famille, l’intérêt social est un standard, un concept à contenu variable; d’autres parlent de concept mou.
C’est un impératif de conduite, une règle déontologique, voire morale, qui impose de respecter un intérêt
supérieur à son intérêt personnel» (Droit des sociétés, 13e éd., Paris, Litec, 2000, n° 466, p. 175).

52 LARCIER
L’INTÉRÊT DE GROUPE

entendu donner à cette notion une certaine flexibilité, à l’instar de l’utilisation


d’autres standards juridiques 145. Certains auteurs assimilent ainsi l’intérêt social
à l’image d’une «boussole de la société», permettant d’aiguiller le conseil d’admi-
nistration sur l’orientation des décisions à prendre 146.
Par son caractère protéiforme, le contenu de l’intérêt social s’est, au fur et à
mesure, dessiné autour d’une pluralité de conceptions dont les principes peuvent
être synthétiquement et grossièrement résumés à travers deux orientations princi-
pales que sont, d’une part, la défense de l’intérêt des seuls actionnaires et, d’autre
part, la défense des intérêts externes en sus des actionnaires. L’examen de cette
matière dépassant largement le cadre de la présente contribution 147 et de nom-
breux auteurs s’étant déjà consacré à cette matière 148, nous nous limiterons à
exposer brièvement ces deux opinions principales.

§1. – L’intérêt social : défense de l’intérêt des seuls actionnaires


Une société est généralement constituée par la mise en commun d’apports par
plusieurs associés en vue de réaliser un projet commun à un coût et à un risque
moindre que ce qu’ils auraient dû supporter en agissant isolément. Dans cette
perspective, chaque associé entend effectuer un investissement grâce auquel il
pourra s’enrichir. Partant, certains auteurs considèrent, notamment au regard de
l’intérêt commun que constitue la recherche d’un enrichissement personnel pré-

145 Sur la question de la flexibilité du droit des sociétés, voy. B. SAINTOURENS, «La flexibilité du droit des
sociétés», R.T.D.comm., 1971, p. 958; voy. également J. CARBONNIER, Flexible droit : pour une sociologie du
droit sans rigueur, 6e éd., Paris, L.G.D.J., 1988, p. 379 : «le droit n’est pas cet absolu dont souvent nous
rêvons. Le droit est droit, sans doute, mais les hommes le plient en tous sens, le ploient à leurs intérêts, à
leurs fantaisies, voire à leur sagesse. Flexible droit, droit sans rigueur. Faut-il, d’ailleurs, s’en lamenter? Il
est peut-être salutaire que le droit ne soit pas cette massue, ce sceptre qu’on voudrait qu’il fût…».
146 A. PIROVANO, «La “boussole” de la société : Intérêt commun. Intérêt social. Intérêt de l’entreprise?», D.,
1997, p. 189.
147 La notion d’intérêt social a, en effet, à elle seule fait l’objet de plusieurs thèses : voy. A. FRANÇOIS, Het ven-
nootschapsbelang in het Belgische vennootschapsrecht, Anvers, Intersentia, 1999; G. SOUSI, L’intérêt social
dans le droit français des sociétés commerciales, thèse dactyl., Lyon III, 1974; Hussein EL MAHI, La protec-
tion de l’intérêt social (études du rôle respectif des actionnaires et des salariés), thèse, Nantes, 1990 ;
B. DUPUIS, La notion d’intérêt social, Paris, A.N.R.T., 2001; M. MOUTHIEU, L’intérêt social en droit des socié-
tés, Paris, L’Harmattan, 2009.
148 Pour une description détaillée des différentes conceptions soutenues, voy. O. CAPRASSE et R. AYDOGDU,
«L’abus du droit de vote et ses sanctions», loc. cit., pp. 305-313; J.-M. GOLLIER, «Le dirigeant et la respon-
sabilité sociétale de l’entreprise», in Le statut du dirigeant d’entreprise, Bruxelles, Larcier, 2009, pp. 310-
322.

LARCIER 53
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

sente chez tous les associés 149, que l’intérêt social doit se confondre avec l’intérêt
des seuls actionnaires 150.
L’appréhension de l’intérêt social au travers des attentes purement actionnariales
n’est pas sans conséquence. Cette reconnaissance préférentielle favorise, en effet,
le rôle et le pouvoir des actionnaires en assemblée dans la mesure où les décisions
des organes de gestion doivent, dans cette hypothèse, être essentiellement, voire
exclusivement, orientées vers la poursuite de cet intérêt 151. Dans le cadre des
groupes de sociétés, cette conception concède sans conteste une place prépondé-
rante à la volonté de la société mère.

§2. – L’intérêt social : défense de l’intérêt des actionnaires et des inté-


rêts externes
Une deuxième interprétation consiste à ouvrir le champ de l’intérêt social non
seulement à l’intérêt des actionnaires, mais également à d’autres acteurs, exté-
rieurs à la société sensu stricto, considérés comme les «parties prenantes» à la vie
sociale et appelés «stakeholders» (citons, à titre d’exemples : les travailleurs, les
bailleurs de fonds, les clients, les créanciers, les fournisseurs, la région écono-
mique, la communauté et, plus généralement, tous les partenaires dont le sort est
lié, de quelque manière que ce soit, à la continuité de la société en cause) 152.
De la sorte, la société ne peut plus être comprise uniquement comme «la chose
des actionnaires» 153. Au contraire, l’intérêt social s’émancipe ici de cette inter-

149 Cet intérêt commun reste, toutefois, personnel. Comme le souligne, par ailleurs, T. HASSLER, il est
l’«heureuse rencontre entre deux égoïsmes» («La notion d’intérêt commun», R.T.D.comm., 1984, p. 582).
150 D. SCHMIDT, Les conflits d’intérêts dans la société anonyme, Paris, Éd. Joly, 1999, p. 206 : «L’intérêt social est
l’intérêt des actionnaires […]. Dans tous les cas, l’intérêt social est l’intérêt que les actionnaires ont décidé
de satisfaire. […] L’invocation d’un intérêt social qui serait rendu distinct de l’intérêt commun des action-
naires n’apporte rien sauf l’opacité » ; B. G LANSDORFF, « Interventions nouvelles du juge en droit des
sociétés», L’entreprise économique sous tutelle judiciaire?, Bruxelles, C.I.E.A.U., 1989, n° 4; D. SCHMIDT,
«Les conflits d’intérêts dans la société anonyme», Bull. Joly Soc., 2000, n° 1, point 4.
151 Sur la question de l’importance du pouvoir des actionnaires en matière de gouvernement d’entreprise, voy.
J.-J. CAUSSAIN, Le gouvernement d’entreprise – le pouvoir rendu aux actionnaires, Paris, Litec, 2005, 172 pp.
152 J. HEENEN, «L’intérêt social», in Liber Amicorum Paul De Vroede, Diegem, Kluwer, 1994, p. 891; X. DIEUX,
«La responsabilité des associés en matière de sociétés commerciales», in La responsabilité des associés,
organes et préposés des sociétés, Bruxelles, Éd. du Jeune Barreau, 1991, p. 71; C. BRÜLS, «L’“intérêt social”
de Fortis ? Une histoire à suivre », note sous Bruxelles, 12 décembre 2008, J.L.M.B., 2009, p. 423 ;
T. TILQUIN, «La société privée et la société faisant ou ayant fait publiquement appel à l’épargne. Évolutions
récentes», R.D.C., 1993, p. 92; P. VAN OMMESLAGHE, «L’acquisition du contrôle d’une société anonyme et
l’information de l’acquéreur», in Mélanges R.O. Dalcq, Bruxelles, Larcier, 1994, p. 606; Comm. Bruxelles,
17 mai 1988, R.P.S., 1988, n° 88, p. 18.
153 X., Travaux de l’Association Henri Capitant des amis de la culture juridique française, vol. 15, Paris, Dalloz,
1963, p. 330.

54 LARCIER
L’INTÉRÊT DE GROUPE

prétation stricte en intégrant en son sein toutes les parties qui collaborent à la
réussite de la société, fût-ce indirectement 154.
Lorsque cette conception est retenue, celle-ci a pour conséquence de conférer aux
dirigeants un pouvoir sensiblement plus important que celui découlant de la pré-
dominance actionnariale. En effet, les dirigeants doivent ici accomplir leur mis-
sion en tenant compte d’une multitude d’intérêts, généralement contradictoires,
qu’ils doivent arbitrer en l’absence de repères bien définis 155. Il pourrait ainsi
être justifié, à titre d’exemple, que la réalisation volontaire d’un résultat décevant
corresponde à l’intérêt social d’une société au motif que la décision était motivée
par la défense des intérêts externes dont les dirigeants seraient seuls maîtres de
l’appréciation.

SECTION 2
L’INTÉRÊT DE GROUPE

Lorsqu’un groupe se constitue, les sociétés jusqu’alors autonomes s’intègrent au


sein d’une collectivité marquée par une coordination de décisions ainsi que par
une unité d’action. Cette concentration a pour conséquence de déplacer sensible-
ment le centre de gravité décisionnel vers les sociétés de tête, soucieuses de la
maximalisation du profit du groupe 156. Dans cette perspective, certains sacrifices
sont souvent imposés à une société dans l’intérêt de la communauté. Il en est ainsi
lorsqu’une société, faisant partie d’un groupe, octroie un prêt à taux préférentiel,
se porte caution, vend ses produits en dessous du prix de revient ou dispose d’une
partie de son personnel au profit d’une autre société membre du groupe. Ces
sacrifices peuvent, a priori, paraître formellement condamnables si l’on s’en tient
à une conception purement individuelle de la société dans la mesure où ils pour-
ront être considérés comme contraires à son propre intérêt.

154 L’étendue des intérêts externes à protéger dépend, notamment, du secteur d’activité de la société visée.
À cet égard, le collège d’experts-vérificateurs, constitué à la suite de l’arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles
dans l’affaire Fortis, a précisé que «dans le cadre d’un groupe actif dans les secteurs bancaire et de l’assu-
rance, l’intérêt général joue un rôle plus important encore que dans d’autres secteurs en raison de la protec-
tion des déposants ou épargnants, du secteur de crédit en général et de la stabilité financière» (Rapport
préliminaire du collège d’experts, 26 janvier 2010, p. 46, n° 147).
155 Voy. Comm. Mons, 10 juillet 1979, R.P.S., 1979, n° 6034, pp. 254-255 : «les administrateurs d’une société
non seulement doivent tenir compte de problèmes d’intérêt des actionnaires mais [ils doivent également]
s’astreindre à administrer la société dans le but d’assurer sa bonne marche, de la conduire au succès au
milieu des aléas du commerce».
156 J. LÉAUTÉ, «La reconnaissance de la notion de groupe en droit pénal des affaires», J.C.P., 1973, I, p. 2551 :
« Le dogme de l’indépendance des sociétés commerciales, base du droit commercial classique, est ici
contredit : devenue membre d’un groupe, la société reçoit des ordres, donnés de plus haut dans l’intérêt du
groupe».

LARCIER 55
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

Il convient donc de déterminer dans quelle mesure ces comportements peuvent


être légitimés eu égard aux particularités des relations intragroupes. Comme le
précisent MM. Oostvogels et Boone, « le “splendide isolement” que postule la
seule prise en compte de l’intérêt social isolé n’est plus qu’un principe abstrait
quand on le rapporte à l’entrelacs d’intérêts et de dépendances réciproques qui
confère à chaque groupe ses caractéristiques» 157.
À cet égard, de nombreuses décisions 158, ainsi qu’une certaine doctrine 159, ont
pris en compte la réalité économique des groupes en leur reconnaissant un intérêt
spécifique propre, détaché de celui des sociétés qui le composent, et qu’ils peu-
vent faire valoir même lorsque la protection de cet intérêt est jugée comme consti-
tuant une entrave à l’intérêt social d’une société membre du groupe 160. Cette
conception transcende ainsi les difficultés résultant de l’absence de personnalité
juridique du groupe pour tenir compte de l’unité économique qui sous-tend leur
création ainsi que leur fonctionnement. De la sorte, ainsi que le définit M. Til-
quin, « l’intérêt de groupe est l’intérêt commun de l’ensemble des sociétés du
groupe, qui infléchit la prise en compte de l’intérêt social par les sociétés du
groupe et est arbitré ou imposé par la société mère» 161.
Il convient, dès lors, de déterminer dans quelle mesure il peut être excipé de
l’existence d’un groupe pour justifier que les intérêts d’une société soient
«sacrifiés». Une «balance d’intérêts» 162 doit, en effet, être trouvée entre, d’une
part, le principe d’autonomie propre à chaque société et, d’autre part, la concep-
tion économique du groupe fondée sur une cohérence homogène.
Afin de respecter cet équilibre, la jurisprudence a, à maintes reprises 163, limité la
légalité de décisions motivées par les aspirations d’un groupe, lorsqu’elles ont

157 S. OOSTVOGELS et D. BOONE, «De l’intérêt social à l’intérêt de groupe en droit des sociétés : perspectives
luxembourgeoises», in Droit bancaire et financier au Luxembourg, vol. 3, Bruxelles, Larcier, 2004, p. 1062.
158 Ibidem, p. 1067 et les références citées; Bruxelles, 16 juin 1981, R.P.S., 1981, p. 145; Comm. Liège,
13 octobre 1981, R.P.S., 1982, p. 45; Bruxelles, 15 septembre 1992, J.T., 1993, p. 312; Bruxelles, 29 juin
1999, J.D.S.C., 2002, p. 371; Cass., 3 mai 2000, Pas., 2000, I, p. 829.
159 J. HEENEN, loc. cit., p. 896 et les références citées; N. THIRION, «Délocalisation d’une division de l’entre-
prise et l’intérêt social», loc. cit., p. 84; V. SIMONART, «Le contrat de management. Aspects de droit des obli-
gations et de droit des sociétés», R.D.C., 1991, p. 1058.
160 S. OOSTVOGELS et D. BOONE soulignent, à cet égard, que c’est le caractère institutionnel du groupe qui per-
met de rendre légitime le bénéfice d’un intérêt supérieur. Le groupe, envisagé comme une institution, doit
correspondre à «une organisation fortement structurée empreinte d’autorité, au service de l’assouvissement
de buts propres» (loc. cit., p. 1043).
161 T. TILQUIN, «La gouvernance d’entreprise et les groupes de sociétés», loc. cit., p. 75.
162 C. HANNOUN, op. cit., p. 98.
163 L’on peut, toutefois, remarquer que certaines décisions utilisent le critère de ce qui «n’est pas manifeste-
ment contraire à l’intérêt social» pour justifier le sacrifice d’une société au profit de l’intérêt commun, sans
faire référence à l’intérêt de groupe (voy. Bruxelles, 9 octobre 1984, R.P.S., 1986, n° 6371, p. 50 et note
M. MARÉCHAL).

56 LARCIER
L’INTÉRÊT DE GROUPE

pour conséquence de violer l’intégrité d’une société qui en fait partie. Une série
de balises a ainsi progressivement émergé en vue de permettre d’établir une ligne
de démarcation entre ce qui est tolérable et ce qui ne peut être admis. Parmi ces
balises, nous retiendrons, plus particulièrement, celles soulevées par un arrêt de
principe de la Cour de cassation de France rendu en date du 4 février 1985 – dont
le contenu est généralement assimilé à la jurisprudence dégagée en droit belge 164
– dans le cadre de la célèbre affaire «Rozenblum», rendue en matière d’abus de
biens sociaux 165 :
«Le concours financier apporté par les dirigeants de fait ou de droit d’une société
à une autre entreprise d’un même groupe dans laquelle ils sont intéressés directe-
ment ou indirectement, doit [i] être dicté par un intérêt économique, social ou
financier commun, apprécié au regard d’une politique élaborée pour l’ensemble
de ce groupe, et ne doit [ii] ni être démuni de contrepartie ou rompre l’équilibre
entre les engagements respectifs des diverses sociétés concernées, [iii] ni excéder
les possibilités financières de celle qui en supporte la charge» 166.
À la lecture de ce paragraphe, l’on peut, tout d’abord, observer que les enseigne-
ments de cet arrêt visent exclusivement les aides apportées par une filiale au pro-
fit de sa mère et non le cas contraire 167.
Ce paragraphe reprend, par ailleurs, trois critères qui conditionnent la reconnais-
sance de la licéité des décisions prises dans l’intérêt d’un groupe. Au regard de
l’importance de ces différents critères dans le cadre de notre analyse, nous leur
accorderons, dans les lignes qui suivent, un examen particulier.

164 E. WYMEERSCH, «Le droit belge des groupes de sociétés», loc. cit., p. 641; voy. aussi J. PEETERS, Het ven-
nootschapsbelang en de verhouding ervan met het groepsbelang. Een studie naar Belgisch en Frans recht,
Anvers, Kluwer, 2002, 75 pp.
165 Pour une description de l’évolution de cette jurisprudence, voy. C. HANNOUN, op. cit., pp. 89-92 et les réfé-
rences citées; J. FOURCADE, M. PICARD et O. RATEAU, «Rapport sur la notion de groupe évoquée comme jus-
tifiant certains faits susceptibles d’une qualification pénale», Rev. soc., 1980, pp. 696 et s.; A. DEKEUWER,
«Les intérêts protégés en cas d’abus de biens sociaux», J.C.P., 1995, I, p. 500; M.-E. BOURSIER, «Le fait
justificatif de groupe dans l’abus de biens sociaux, entre efficacité et clandestinité (analyse de 20 ans de
jurisprudence criminelle)», Rev. soc., 2005, pp. 273-314.
166 Cass. fr., 4 février 1985, D., 1985, p. 478; Rev. soc., 1985, p. 651.
167 Cela peut se comprendre dans la mesure où l’on considère généralement qu’une société mère a toujours un
intérêt personnel à soutenir sa filiale. Ce soutien lui permet, en effet, d’éviter que sa réputation ne soit enta-
chée et de limiter la chute de la valeur de ses participations.

LARCIER 57
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

§1. – Poursuite d’un intérêt commun apprécié au regard d’une politique


de groupe

A. – Quand y a-t-il un intérêt commun?

La défense de l’intérêt du groupe postule que son organisation se réalise au tra-


vers d’une «structure renforcée» 168 impliquant, entre les différentes sociétés, une
communauté d’intérêts économiques, sociaux ou financiers 169.
Il est utile, à cet égard, de rappeler la position de la juridiction de fond dans
l’affaire Rozenblum, position confirmée par la Cour de cassation de France, dans
la mesure où elle apporte des précisions sur ce que recouvre cette exigence de
communauté d’intérêts. Afin de justifier le caractère irrégulier de plusieurs trans-
ferts de trésoreries entre les sociétés du groupe, le tribunal correctionnel de Paris
a, en effet, précisé qu’«il ne suffit pas, pour caractériser un groupe, de l’associer
au nom d’un homme d’affaires animant plusieurs entreprises, ou au sigle d’une
société holding, pour créer pour autant d’un coup de baguette magique l’entité
économique répondant à cette notion. […] [Il doit exister] entre les différentes
sociétés se réclamant du groupe, une unité économique et financière fortement
structurée et reposant sur des bases non artificielles. Cette unité économique doit
pouvoir être démontrée par la complémentarité des activités des établissements
composant cette structure économique» 170.
Dès lors, une synergie doit être établie entre les activités des sociétés du groupe.
De la sorte, ne peuvent bénéficier d’un intérêt propre, les groupes constitués de
sociétés exerçant des activités non coordonnées ou non complémentaires entre
elles 171. De cette constatation, l’on peut déduire que les groupes purement finan-
ciers – c’est-à-dire hiérarchisés par la seule détention de participations finan-
cières et dont le seul point commun réside dans la composition de l’actionnariat –
doivent être exclus 172.

168 Forum europaeum sur le droit des groupes de sociétés, loc. cit., p. 72.
169 À cet égard, la jurisprudence belge a également eu recours à cette condition en précisant que la décision de
favoriser une société du groupe n’est valable que s’il «existe une interpénétration économique et sociale des
sociétés qui se soutiennent mutuellement» (Bruxelles, 9 octobre 1984, R.P.S., 1986, n° 6371, p. 50 et note
M. MARÉCHAL); C. BRÜLS, loc. cit., p. 423 : «La prise en compte d’un intérêt commun du groupe implique
qu’il existe effectivement un groupe bien structuré et organisé en vue d’une politique économique qui soit à
l’avantage de tous». Pour une description de ces notions en droit français, voy. Q. URBAN, «La “communauté
d’intérêts”, un outil de régulation du fonctionnement du groupe de sociétés», R.T.D.comm., janv-mars 2000,
liv. 53, pp. 1-25.
170 Corr. Paris, 29 avril 1983, Rev. sc. crim., 1984, pp. 86-87, obs. P. BOUZAT.
171 L’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Rozenblum concernait un groupe de sociétés dont les activités étaient res-
pectivement la fabrication de chaussures, la restauration de luxe, la coiffure, le voyage et la construction
d’immeubles (S. OOSTVOGELS et D. BOONE, loc. cit., p. 1055).
172 E. ROGER-FRANCE, «Abus de biens sociaux, droit fiscal et groupes de sociétés», R.G.F., 1998, p. 266.

58 LARCIER
L’INTÉRÊT DE GROUPE

Dans la mesure où seuls sont admis les groupes qui associent leurs sociétés à une
organisation collective rationnelle, l’on peut remarquer que la conception retenue
ne concorde pas avec la notion générique de groupe telle qu’elle résulte du droit
belge des sociétés. Nous avons pu constater, en effet, que le groupe de sociétés se
définit à travers le pouvoir de contrôle dont l’existence ne dépend aucunement
d’une complémentarité entre les activités 173. L’exigence ainsi posée paraît, dès
lors, limitative quant au champ des groupes susceptibles de se voir reconnaître un
intérêt spécifique.
Ce rejet de principe du bénéfice des conséquences de l’intérêt de groupe aux
formes de concentrations de sociétés dont la constitution n’a été nullement moti-
vée par la coordination d’un intérêt commun (autre que celui de l’actionnaire de
contrôle) ne surprend guère si l’on tient compte du fondement économique de la
reconnaissance de l’intérêt de groupe par les juridictions. En effet, la volonté
d’autoriser, par l’effet de l’intérêt de groupe, certains transferts intragroupes nous
paraît participer du souci des juridictions de concevoir économiquement le
groupe comme une entreprise à l’intérieur de laquelle se réalise une multitude
d’interactions nécessaires à l’accomplissement de l’activité globale qu’il importe
de défendre. Il serait, dès lors, difficilement justifiable d’étendre ces considéra-
tions à des activités compartimentées et hermétiquement exercées par chaque
société du groupe ; dans de telles circonstances, en effet, les glissements de
valeurs auraient véritablement pour seul objet de satisfaire l’intérêt égoïste d’une
seule société, à savoir la société de tête, qui entend uniquement sauvegarder la
valeur de ses participations.

B. – L’organisation d’une politique de groupe

Dans la juste continuité de ce qui a été évoqué précédemment à propos du fonde-


ment économique de l’intérêt de groupe, il importe que la communauté d’intérêts
soit appréciée à l’aune d’une politique de groupe. Cette politique de groupe sup-
pose, d’une part, qu’elle fasse l’objet d’une application uniforme pour l’ensemble
du groupe et, d’autre part, qu’elle tende vers un compromis équitable pour toutes
les sociétés 174.
La licéité des transferts intragroupes est ainsi obligatoirement conditionnée à une
centralisation planifiée des objectifs qui animent le groupe. À cet égard, plusieurs

173 En tout état de cause, E. WYMEERSCH souligne que les divergences entre la conception qui tend à une néces-
saire synergie entre les activités et le champ de la notion de contrôle en droit des sociétés reposent «sur un
socle commun, à savoir l’idée que lorsque des sociétés commerciales disposent de leurs biens à des condi-
tions plus avantageuses que celles offertes par le marché, elles peuvent le faire à condition de pouvoir rai-
sonnablement espérer recevoir des avantages similaires en retour» (E. WYMEERSCH, loc. cit., pp. 641-642).
174 Forum europaeum sur le droit des groupes de sociétés, loc. cit., p. 73.

LARCIER 59
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

décisions ont précisé que cette planification devait faire l’objet d’une définition
préalable, excluant ainsi toutes réactions ponctuelles ou court-termistes 175.
D’une certaine manière, la politique de groupe peut être assimilée à l’objet social
du groupe 176. De la sorte, le groupe peut être perçu comme une société de sociétés
disposant d’un objet social propre, se substituant à celui des diverses entités qui
la composent 177.
Il n’existe, toutefois, aucune précision quant à la détermination de la société à qui
incombe la charge d’élaborer, de fixer ou d’appliquer la politique du groupe. Le
critère impose, en effet, que cette politique soit élaborée «pour l’ensemble du
groupe» et non qu’elle le soit en groupe. À cet égard, même s’il est fort probable
que la société dominante jouera souvent un rôle déterminant dans la planification
du groupe et la conduite de sa politique, son intervention ne s’avérera pas toujours
suffisante 178.
L’importance de la politique de groupe a, par ailleurs, été mise en exergue par le
groupe d’experts de haut niveau en droit des sociétés qui soutient que «les États
membres devraient être tenus de mettre en place une règle-cadre couvrant les
groupes qui permettrait aux dirigeants des sociétés appartenant à un groupe
d’adopter et de mettre en œuvre une politique de groupe coordonnée» 179.

§2. – Existence d’une contrepartie ou absence de rupture d’équilibre


Cette condition témoigne de la nécessité de trouver un compromis entre la consta-
tation, d’une part, qu’il serait regrettable qu’un comportement effectué dans l’inté-
rêt du groupe soit entaché d’illicéité et, d’autre part, que la défense du groupe ne
justifie pas la négation des sociétés qui le composent. Un équilibre transactionnel
doit donc être trouvé entre ces deux exigences, d’apparence contradictoire, que

175 Cass. fr., 9 décembre 1991, Rev. soc., 1992, p. 358; Trib. gr. inst. Paris, 26 novembre 1968, R.T.D.comm.,
1968, p. 1080, Gaz. Pal., 1969, I, p. 309.
176 Il est intéressant de remarquer que cette assimilation a été utilisée lors d’une décision rendue par le tribunal
correctionnel de Paris qui précisait que les dirigeants ne pouvaient invoquer l’intérêt de groupe que si «les
éléments qui le composent, même parfois disparates, concourent à la réalisation de l’objet social du groupe,
qui peut alors provisoirement se substituer à l’objet social des diverses sociétés qui le composent» (Corr.
Paris, 16 mai 1974, D., 1975, p. 37, R.T.D.comm., 1975, p. 123).
177 C. HANNOUN, op. cit., p. 91.
178 Il a, en effet, parfois été exigé que l’assemblée générale de la société mère intervienne également (Cass. fr.,
23 avril 1991, Rev. soc., 1991, p. 785). Certains auteurs font, par ailleurs, valoir la nécessité d’un accord
avec les sociétés dépendantes (Cass. fr., 29 mai 1986, Gaz. Pal., 1986, II, note M. HECQUARD, p. 480).
179 Le groupe précise, en outre, que cette règle-cadre devra être établie, «pour autant que les intérêts des
créanciers [des sociétés du groupe] soient effectivement protégés et qu’un juste équilibre entre charges et
intérêts des actionnaires (extérieurs) des différentes sociétés soit préservé dans la durée » (Rapport du
Groupe de haut niveau d’experts en droit des sociétés, Un cadre réglementaire moderne pour le droit européen
des sociétés, 4 novembre 2002, p. 114; téléchargeable sur http://ec.europa.eu/internal_market/company).

60 LARCIER
L’INTÉRÊT DE GROUPE

sont la promotion de l’intérêt du groupe et la protection de l’intérêt des socié-


tés 180.
Il n’est pas toujours évident de déterminer avec précision ce que recouvre l’exi-
gence de contrepartie et l’absence de rupture d’équilibre. À cet égard, s’il est vrai
que l’appartenance au groupe peut, d’une certaine manière, être perçue comme la
contrepartie de l’avantage consenti (dès lors que la société appauvrie peut profiter
du prestige du groupe), celle-ci est difficilement appréciable financièrement et
s’avère, bien souvent, insuffisante à corroborer le caractère onéreux de l’aide
consentie. Dès lors, sauf à établir une intégration particulièrement forte d’une
société au sein d’un groupe, en manière telle qu’un avantage certain et tangible
pourrait être reconnu à cette société 181, il apparaît que la seule appartenance au
groupe ne pourra généralement être prise en considération.
En outre, il est généralement considéré que la contrepartie ne doit pas être fournie
de façon immédiate dans le cadre de chaque opération. Celle-ci peut, en effet,
être différée dans le temps pour autant, cependant, que le déséquilibre ne
demeure pas permanent 182. L’on peut, également, se demander si l’équilibre
recherché vise uniquement les sociétés concernées par l’opération ou si celui-ci
doit s’étendre, au contraire, à toutes les sociétés du groupe 183.

180 La transaction suppose «l’existence de sacrifices ou de concessions mutuelles» (F. EWALD, L’État-Provi-
dence, Paris, Grasset, 1986, p. 462); C. HANNOUN explique l’émergence de la nécessité de trouver un équi-
libre comme suit : «Sous la pression de la réalité économique, l’équilibre des intérêts organisé par le droit
des sociétés s’est modifié. Conçu pour des sociétés autonomes, il ne correspond plus à la réalité écono-
mique. Tout le problème est en définitive de retrouver l’équilibre rompu par la pratique» (C. HANNOUN, op.
cit., n° 56, p. 38).
181 H. HOVASSE, La validité des sûretés consenties entre sociétés groupées et le principe d’autonomie patrimoniale,
thèse, Université de Rennes, 1974, p. 277 : «Le groupe peut d’autant plus faire sentir sa pression sur les
sociétés dominées que celles-ci tirent avantage de lui appartenir. C’est une solution raisonnable, en harmo-
nie avec la réalité économique. C’est aussi celle de la jurisprudence». Sur la question des avantages qui doi-
vent être pris en considération, voy. Corr. Lyon, 20 juin 1985, Gaz. Pal., 1986, p. 782.
182 E. WYMEERSCH, «L’article 60 et le droit belge des groupes de sociétés», in Hommage à Jacques Heenen,
Bruxelles, Bruylant, 1994, n° 22, p. 651 : «Ce n’est qu’en analysant la totalité des relations entre la société
et le groupe dont elle fait partie que l’on pourra décider si l’influence du groupe a été bénéfique, ou en
revanche si elle a dépassé les limites de ce qui peut être considéré comme admissible en droit » ;
E. WYMEERSCH, De belangenconflictenregeling in de vennootschappen. De regeling voor NV, de BVBA en de
Coop. V. (artikelen 60, 60bis en 133 Venn. W.), Anvers, Maklu, 1996, p. 134; A. FRANÇOIS, Het vennoots-
chapsbelang in het Belgische vennootschapsrecht, op. cit., pp. 715-716; contra : J. HEENEN, loc. cit., p. 899
(«une filiale ne peut […] avancer des fonds à une autre société du groupe si elle n’en retire pas un profit
actuel et certain»).
183 Sur la question de l’interprétation de l’absence de rupture d’équilibre, voy. C. FREYRIA et J. CLARA, «De
l’abus de biens et de crédit en groupes de sociétés», J.C.P., éd. E., 1993, p. 253.

LARCIER 61
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

§ 3. – Proportionnalité par rapport aux possibilités financières de la


société concernée
Dans le prolongement du critère précédent, il a été jugé que la défense de l’intérêt
de groupe ne peut justifier le sacrifice d’une société. Ce dernier critère a donc
pour objet de préciser qu’il ne peut être imposé aucune charge qui serait dispro-
portionnée par rapport aux possibilités financières du contributeur. Une décision
ne peut, en conséquence, occasionner un préjudice notable à une société, en met-
tant en péril sa propre survie et, par là même, en difficulté les parties qui collabo-
rent à sa réussite 184. À tout le moins, si une telle décision devait, malgré tout, être
prise, il paraîtrait essentiel qu’une compensation suffisante soit accordée à très
court terme 185.

184 H. GUIGOU, «Les dirigeants du groupe», in Le droit des groupes de sociétés, Paris, Dalloz, 1991, p. 197.
185 O. CAPRASSE et R. AYDOGDU, «L’abus du droit de vote et ses sanctions», loc. cit., p. 317.

62 LARCIER
DEUXIÈME PARTIE

L’INTÉRÊT DE GROUPE
ET LES INTÉRÊTS CATÉGORIELS
L’INTÉRÊT DE GROUPE ET LES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

Dans les lignes qui suivent, nous examinerons l’état actuel de la législation à
l’égard de la protection d’une série d’intérêts catégoriels déterminés, à savoir la
société contrôlée, les actionnaires minoritaires, les créanciers ainsi que les tra-
vailleurs. Le cas échéant, nous insisterons plus particulièrement sur les limites de
ces mesures protectrices ainsi que sur l’intérêt éventuel de leur aménagement. De
la sorte, nous pourrons ainsi être en mesure d’évaluer s’il se dessine, au sein de
notre paysage juridique, l’émergence progressive d’un véritable droit des groupes.
En raison de leur personnalité juridique distincte et de l’autonomie patrimoniale
qui en découle, les sociétés sont traditionnellement appréhendées sous l’angle de
leur indépendance par le droit des sociétés. En outre, il ne peut, en principe, être
déduit de la nature économique des liens unissant les sociétés groupées, la remise
en cause des effets de cette indépendance juridique.
Certes, les interventions prétoriennes relatives à la reconnaissance de l’intérêt de
groupe ont permis d’admettre la licéité de certaines opérations qui, motivées par
l’unité du groupe et la solidarité intrinsèque qui y est économiquement inhérente,
ont pour conséquence de causer un préjudice à une société du groupe. L’applica-
tion de cette notion a pour effet d’égratigner l’indépendance juridique de principe
des sociétés pour tenir compte, à titre exceptionnel et moyennant plusieurs condi-
tions, de certaines exigences économiques fondamentales, difficilement appré-
hendables par les mécanismes légaux traditionnels. L’objectif étant, toutefois,
orienté principalement vers la reconnaissance et la protection de l’intérêt global
du groupe, le recours à l’intérêt de groupe n’aboutit pas à une prise en considéra-
tion directe de la protection d’autres intérêts, tels que ceux des parties liées à la
société appauvrie.
Ainsi, l’intérêt de groupe présente l’avantage de favoriser les relations intra-
groupes économiquement opportunes grâce, notamment, à une immunité offerte
aux dirigeants amenés à prendre des décisions qui, bien que préjudiciables à leur
société, sont influencées par des stratégies de groupe considérées comme accep-
tables 186. Cependant, sous réserve des critères d’équilibre et de proportionnalité
contenus dans cette notion, l’intérêt de groupe présente l’inconvénient de ne pou-
voir régler directement les conflits d’intérêts survenant entre les parties prenantes
d’une société et cette même société. En effet, lorsqu’elles sont confrontées à une
société faisant partie d’un groupe (et soumise, de ce fait, aux exigences relevant
de préoccupations collectives), les parties en relation avec cette société éprouve-
ront généralement des difficultés à défendre leurs droits, dans la mesure où la
barrière de la personnalité juridique limitera sensiblement les recours contre les

186 La responsabilité d’un dirigeant est, en effet, appréciée à l’aune de la conformité de son comportement par
rapport à l’intérêt de groupe.

LARCIER 65
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

autres sociétés du groupe bénéficiaires de l’appauvrissement de la société concer-


née.
En d’autres termes, les sacrifices supportés par une société peuvent être admis au
regard de la finalité économique des groupes pour autant qu’ils rentrent dans le
champ des limites imposées par l’intérêt de groupe. Toutefois, par la licéité recon-
nue à certains transferts de valeur, l’application de l’intérêt de groupe a également
pour corrolaire de léser, dans une certaine mesure, les parties dont les droits ne
peuvent – en raison de l’obstacle des personnalités juridiques – être exercés qu’à
l’égard de la société appauvrie. L’on pense ici, notamment, au préjudice subi par
les créanciers d’une filiale qui, en raison du dépouillement d’une partie des actifs
de cette dernière au nom du groupe, voient la solvabilité de leur cocontractant se
réduire. Il en va de même pour les actionnaires minoritaires d’une société qui, en
raison d’un transfert effectué au profit du groupe, doivent supporter une perte de
valeur sur leurs participations (contrairement à la société mère qui pourra com-
penser cette perte par l’augmentation de la valeur de ses participations dans la
société ayant profité de l’avantage).
Bien que la barrière de la personnalité juridique soit, en principe, garante de la
protection des intérêts catégoriels pour les sociétés isolées, l’on peut donc s’inter-
roger sur l’opportunité de son maintien dans le cadre des groupes, dès lors que,
dans ce dernier cas, elle peut aboutir, paradoxalement, à la fragilisation de ces
intérêts 187.
Plutôt que d’une analyse inspirée par des considérations purement juridiques,
nous avons vu que la consécration de l’intérêt de groupe procède essentiellement
de préoccupations d’origine économique. L’on peut, en conséquence, également
se demander s’il ne pourrait être envisageable de soulever également cette réa-
lité économique pour justifier l’altération de l’autonomie patrimoniale 188. En
effet, dès lors que l’obstacle des personnalités juridiques a pu être levé en ce qui
concerne la gestion d’une société (et donc en faveur des dirigeants dont les déci-
sions s’apprécient à l’aune de l’intérêt de groupe), se pose la question de savoir
si cet obstacle peut, corrélativement, l’être en faveur d’autres intérêts catégo-

187 S. SEROPYAN, De l’autonomie patrimoniale en droit des sociétés, Paris, A.N.R.T., 2002, p. 133.
188 C. CHAMPAUD, op. cit., n° 372, p. 278 : «Puisque l’intérêt collectif du groupe prévaut sur l’intérêt particulier
de chaque société, il peut sembler inéquitable de maintenir un cloisonnement patrimonial dont les effets ne
se font sentir que dans un seul sens, dans le sens défavorable à ceux que le législateur protège
généralement»; R. CONTIN et H. HOVASSE, «L’autonomie patrimoniale des sociétés – Réflexions sur les fina-
lités d’une organisation juridique des groupes», D., 1971, chron. 197, n° 4.

66 LARCIER
L’INTÉRÊT DE GROUPE ET LES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

riels, tels que les actionnaires minoritaires, les créanciers ou même les tra-
vailleurs 189.
Pour ce faire, notre examen n’aura pas pour objet de remettre en cause les prin-
cipes de la personnalité juridique. Il consistera, plutôt, à s’interroger sur les pos-
sibilités offertes par l’intérêt de groupe pour pallier les insuffisances de
l’approche individualisante 190. L’intérêt du groupe pourrait ainsi être considéré
comme une «limite de justification de ce qui normalement est inexcusable pour
les sociétés isolées» 191 et justifierait, de la sorte, une reconnaissance limitée de la
théorie de la levée du voile social 192. Cette théorie permet, en effet, d’ignorer la
personnalité juridique d’une société d’un groupe lorsque, dans certaines circons-
tances particulières, des motifs économiques ou d’équité le justifient.
L’existence d’un droit des groupes signifie qu’un ensemble de techniques sont
mises en place en vue de conjuguer et coordonner les divergences entre la protec-
tion des intérêts catégoriels et le soutien accordé aux décisions promues au nom
du groupe. Tenant compte des conséquences inhérentes à la «vulnérabilité» des
sociétés contrôlées, ce droit des groupes a ainsi pour objectif de tendre vers une
amélioration de la situation des tiers, tout en autorisant entre sociétés apparentées

189 E. SCHOLASTIQUE, «Détermination des personnes habilitées à exercer l’action sociale ut singuli dans un
groupe de sociétés», note sous Cass. fr., 4 avril 2001, D., 2002, p. 1475, n° 20; pour un examen comparé
des droits des actionnaires minoritaires, voy. E. PERAKIS et al., Rights of Minority Shareholders, Bruxelles,
Bruylant, 2004, 791 p.
190 C. HANNOUN, op. cit., p. 281, n° 422 : «L’autonomie des sociétés n’est admise que dans la mesure du but
assigné à la règle qui l’exprime»; S. SEROPYAN, op. cit., p. 135 : «La limitation des effets de l’attribution de
la personnalité morale sera fonction des buts recherchés».
191 Ibidem, p. 134.
192 V. SIMONART, La personnalité morale en droit privé comparé, op. cit., p. 457 : «Lever le voile social d’une per-
sonne morale consiste à faire abstraction de sa personnalité ou de certains de ses attributs dans des hypo-
thèses déterminées en écartant son autonomie juridique » ; la levée du voile social est une théorie
d’inspiration allemande et anglo-américaine dont l’origine est étrangère à toute considération juridique. La
jurisprudence allemande invoquait, ainsi, la prééminence des réalités économiques sur les formes juri-
diques, tandis que les États-Unis privilégiaient le recours à des notions d’intérêt public et d’équité. Voy.
C. BRÜLS, «Quelques réflexions juridiques et économiques sur la théorie de la levée du voile social», R.P.S.,
2004, p. 319, n° 32 et les références citées; K. VANDEKERCKHOVE, Piercing the corporate veil : A transnatio-
nal Approach, Alphen aan den Rijn, Kluwer Law International, 2007, 765 pp.; S. BAINBRIDGE, «Abolishing
Veil Piercing», Journal of Corporate Law, 2001, pp. 479-535; K. STRASSART, «Piercing the Veil in Corporate
Groups », Comm. L. Rev., 2004-2005, pp. 637-665 ; R. T HOMPSON, « Piercing the Veil within Corporate
Groups : Corporate Shareholders as Mere Investors», Int’l L., 1998-1999, pp. 379-396; J. MATHESON, «The
Modern Law of Corporate Groups : an Empirical Study of Piercing the Corporate Veil in the Parent-Subsi-
diary Context», N.C.L. Rev., 2008-2009, pp. 1091-1155.

LARCIER 67
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

des opérations qui seraient illégales sans ce lien 193. Dans ce cadre, l’intérêt de
groupe constituerait la pierre centrale de l’édifice de ce droit des groupes, autour
de laquelle s’articuleraient différents mécanismes de protection visant à complé-
ter le régime mis en œuvre.

193 J.-P. ROBÉ, L’entreprise et le droit, op. cit., p. 36. Comme le souligne G. Keutgen, il s’agirait d’entendre par là,
«les droits qui, au-delà des concepts du droit des sociétés traditionnels, envisagent les groupes comme une
manifestation d’ensemble qu’ils tentent d’ordonner normativement, singulièrement en prévoyant un système
de protection contre les déviations [qui en découlent] et en organisant le groupe de manière à lui permettre
la poursuite de sa finalité économique propre» (G. KEUTGEN, Le droit des groupes de sociétés dans la CEE,
Bruxelles, Bruylant, 1973, p. 25).

68 LARCIER
LA PROTECTION DE LA SOCIÉTÉ

CHAPITRE 1
LA PROTECTION DE LA SOCIÉTÉ :
RÉGLEMENTATION DES CONFLITS D’INTÉRÊTS

Une procédure de règlement des conflits d’intérêts applicable à toute décision ou


opération qu’une société cotée belge 194, telle que définie à l’article 4 du C. soc.,
est amenée à prendre dans le cadre de ses relations avec d’autres sociétés du
groupe dont elle fait partie est prévue par l’article 524 du C. soc. Tenant compte
de la spécificité des relations intragroupe, cette disposition a principalement pour
objet d’encadrer les décisions de cession interne au sein des groupes au moyen
d’une série de garde-fous destinés à protéger les sociétés appauvries par de telles
cessions.
Fondamentalement, l’intérêt qu’entend protéger cette réglementation se situe au
niveau de la société même, en ce qu’elle a pour objectif de préserver cette société
contre les déperditions qu’elle pourrait subir en raison de l’influence opportuniste
de son actionnaire de contrôle, et plus largement du groupe.
La procédure vise l’ensemble des opérations internes au groupe, tant verticales
que latérales 195, et s’applique uniquement aux décisions ou opérations accom-
plies par une société cotée, pour autant que les rapports envisagés portent, tantôt
sur les relations que cette société entretient avec une société qui lui est liée, à
l’exception de ses filiales 196, tantôt sur les relations que l’une de ses filiales a
avec une société liée à cette filiale, autre qu’une filiale de cette filiale 197. En
outre, l’article 524, §5 du C. soc. prévoit l’extension de la procédure aux déci-
sions ou opérations accomplies par une filiale belge non cotée d’une société belge
cotée avec des sociétés liées à cette dernière. Dans la mesure où la procédure est
exclusivement limitée, dans le cadre des groupes, aux seules opérations décidées
par une société dans ses rapports avec d’autres membres du groupe dont elle fait

194 La limitation du régime aux seules sociétés cotées procède d’une considération du législateur selon laquelle
la présence d’actionnaires minoritaires au sein de ces sociétés crée un besoin plus intense de protection face
aux cessions internes au groupe, par rapport aux actionnaires d’autres sociétés, qui peuvent, quant à eux,
négocier plus facilement de meilleures techniques de protection ou marquer leur accord avec le niveau de
protection existant au moment de l’achat des actions.
195 Par ailleurs, la procédure n’est pas exclusivement réservée aux groupes de sociétés. En faisant référence aux
sociétés liées à la société cotée, le législateur a, en effet, entendu élargir le champ d’application de la dispo-
sition aux consortiums, conformément à l’article 11 du C. soc. Voy. exposé des motifs, Doc. parl., Ch. repr.,
2001-2002, n° 1211/001, p. 18; cette constatation fait dire à certains auteurs que «les décisions et opéra-
tions visées ne sont pas seulement celles qui concernent une transaction au sein du groupe, mais toutes
celles qui concernent les relations de groupe» (P. HAMER et C. DE POTTER, «Les conflits d’intérêts», in Évo-
lutions et perspectives du droit des sociétés – Anno 2006, Bruxelles, Bruylant, 2006, p. 251).
196 Art. 524, §1er, al. 1er, 1° du C. soc.
197 Art. 524, §1er, al. 1er, 2° du C. soc.

LARCIER 69
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

partie (sans se préoccuper, plus largement, des opérations entre ces autres
membres du groupe), le régime en vigueur ne constitue pas un droit universel des
groupes de sociétés 198.
L’on peut, à cet égard, s’interroger sur l’utilisation de l’appellation « conflits
d’intérêts» pour les situations visées par cette disposition. En effet, comme le pré-
cise Mme Simonart, la notion de conflit d’intérêts peut être définie comme «la
divergence ou l’opposition qui apparaît lors d’opérations déterminées entre les
intérêts personnels d’une personne et d’autres intérêts qu’elle doit défendre
activement» 199. Les conflits d’intérêts qui pourraient être constatés au sein du
groupe se situent donc uniquement dans les rapports entre les sociétés du groupe.
En effet, dans le cadre des relations intragroupes, seule une société peut se
retrouver tiraillée entre la volonté de défendre son intérêt personnel (de s’enrichir)
et celle de devoir faire primer l’intérêt du groupe dont elle fait partie (de faire cer-
taines concessions). Or, s’il est vrai que les administrateurs peuvent engager leur
responsabilité lorsqu’ils prennent des décisions, il n’existe au contraire, sous
réserve de certaines exceptions 200, aucune obligation imposant à un actionnaire
de prendre en considération d’autres intérêts que les siens. En principe et sous
réserve du droit commun de la responsabilité, une société mère peut donc, en sa
qualité d’actionnaire, prendre une décision motivée par un intérêt purement égo-
ïste (en ce sens qu’aucune disposition légale relative aux conflits d’intérêts – au
sens technique du droit des sociétés – ne vise ce type de situation). En outre, la
doctrine paraît unanimement admettre que l’article 524 du C. soc. ne vise pas les
décisions ou opérations de l’assemblée générale 201. Pour régler les conflits d’inté-
rêts qui pourraient survenir dans les relations entre sociétés d’un groupe, le légis-
lateur a donc privilégié l’implication d’intervenants indirectement liés à ce conflit,
à savoir les administrateurs de la société cotée, à qui incombe la charge de devoir
apprécier la nature des cessions consenties. L’objectif n’étant pas, contrairement à
l’article 523 du C. soc., d’apprécier si l’administrateur a un intérêt opposé à celui
de la société, la réglementation s’adresse donc davantage aux relations intra-
groupes qu’aux conflits d’intérêts à proprement parler. Comme le suggérait

198 C’est ce qui ressort, par ailleurs, expressément des travaux préparatoires de la loi : exposé des motifs, Doc.
parl., Ch. repr., 2001-2002, n° 1211/001, p. 18.
199 V. SIMONART, «Les conflits d’intérêts au sein de l’assemblée générale de la société anonyme en droit
comparé», Les conflits d’intérêts, Bruxelles, Bruylant, 1997, pp. 196-197.
200 Pour une description des différentes limites à la liberté de l’assemblée générale, en droit belge et en droit
comparé, voy. ibidem, pp. 199-244.
201 Les auteurs soulignent, principalement, l’absence de référence à l’assemblée générale dans les travaux pré-
paratoires et l’insertion de l’article 524 sous le chapitre consacré à l’administration et à la gestion journa-
lière de la société anonyme; voy. D. SZAFRAN, «Les conflits d’intérêts au sein des groupes de sociétés et la
notion d’administrateur indépendant», in Actualités en droit des sociétés, Bruxelles, Bruylant, 2006, p. 43.

70 LARCIER
LA PROTECTION DE LA SOCIÉTÉ

M. Wymeersch, il eût sans doute été préférable d’aborder cette problématique à


travers le concept plus nuancé de «balance des intérêts» 202.
De la sorte, il y a lieu de distinguer la notion de conflits d’intérêts, telle qu’elle est
comprise techniquement par le droit des sociétés, et l’acception qui lui est donnée
dans le cadre de la présente analyse, où elle concerne les difficultés liées à la pro-
tection de certaines catégories de personnes face aux exigences imposées par les
groupes (et justifiées par l’intérêt du groupe).
Par ailleurs, nus constaterons dans la suite de notre analyse, que le comportement
d’une société mère peut dans certaines circonstances, avoir pour conséquence,
que lui soit reconnue la qualité d’administrateur de fait. Cette qualité élaborée par
la doctrine et la jurisprudence a pour objet de permettre d’étendre le régime de
responsabilité à ceux qui exercent, en fait, les compétences normalement dévo-
lues aux administrateurs. Dans le cadre d’un groupe, ce mécanisme joue donc en
défaveur de la société mère puisqu’il peut aboutir à soumettre cette dernière au
même régime de responsabilité que les administrateurs. L’on pourrait dès lors
pousser le raisonnement plus loin en s’interrogeant sur la possibilité d’avoir
recours à l’article 523 du Code des sociétés – applicable pour les conflits d’inté-
rêts qui opposent un administrateur à la société – pour permettre la consécration
d’une véritable procédure de conflits d’intérêts entre une société mère et sa filiale
lorsque l’intensité de l’immixtion de la première dans la gestion de la seconde
pourrait justifier qu’elle soit considérée comme administrateur de fait. Cependant,
il nous paraît qu’une telle extension de l’article 523 aux conflits mère-filiales ne
peut être réalisée dans la mesure où, si l’on peut comprendre que la qualité
d’administrateur de fait soit sollicitée par des tiers en matière de responsabilité, il
est plus difficilement envisageable de contraindre une société à se prévaloir d’ini-
tiative de cette qualité en vue de la soumettre aux mêmes obligations que celles
imposées aux administrateurs de droit.
La réglementation des conflits d’intérêts ayant déjà fait l’objet d’examens appro-
fondis par une part importante de la doctrine, nous nous permettons de renvoyer
le lecteur à ces différentes contributions 203. Nous avons, en effet, préféré orienter

202 E. WYMEERSCH, «L’article 60 et le droit belge des groupes de sociétés», loc. cit., p. 651.
203 Pour une description de la législation relative aux conflits d’intérêts au sein des groupes de sociétés, voy.
P. HAMER et C. DE POTTER, loc. cit., pp. 223-284; J. CATTARUZZA, «Spécificités du Code des sociétés appli-
quées aux groupes de sociétés», loc. cit., pp. 122-133; X. DIEUX et D. WILLERMAIN, Corporate Governance –
La loi du 2 août 2002, coll. Les Dossiers du Journal des Tribunaux, Bruxelles, Larcier, 2004, pp. 61 et s.;
E. JANSSENS, «Nouveau règlement pour les conflits d’intérêts internes au groupe», Bilan, 2002, liv. 424,
pp. 5-7 ; E. WYMEERSCH , loc. cit., pp. 633-655 ; H. D E WULF , « De nieuwe regeling voor intra-
groepsbeslissingen : Het herschreven art. 524 W. Venn.», T.R.V., 2002, liv. 8, pp. 576-603; Y. DE CORDT,
L’intérêt social comme vecteur de la responsabilité sociétale, Bruxelles, Bruylant, 2008, pp. 97-103 ;
E. POTTIER et T. L’HOMME, «La loi “corporate governance” du 2 août 2002 modifiant le Code des sociétés»,
R.D.C., 2005, liv. 4, pp. 337-347; D. SZAFRAN, loc. cit., pp. 33-55; P. BAERT, «De nieuwe regeling van de

LARCIER 71
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

exclusivement l’analyse sur les spécificités de cette réglementation par rapport


aux préoccupations envisagées précédemment, plus particulièrement sur la pro-
blématique de la reconnaissance de l’intérêt de groupe et la remise en cause de
l’autonomie patrimoniale des filiales.
À cet égard, l’article 524, §2 du C. soc. dispose que les décisions et opérations
visées doivent être soumises préalablement à l’appréciation d’un comité, composé
de trois administrateurs indépendants, assisté par un ou plusieurs experts indé-
pendants. L’avis de ce comité doit : i) décrire la nature de la décision ou de l’opé-
ration, ii) apprécier le gain ou le préjudice pour la société et pour ses action-
naires, iii) chiffrer les conséquences financières, et iv) constater si l’opération est
ou non «de nature à occasionner pour la société des dommages manifestement
abusifs à la lumière de la politique menée par la société ». Par ailleurs, si le
comité considère que la décision ou l’opération n’est «pas manifestement abusive,
mais qu’elle porte toutefois préjudice à la société», celui-ci doit préciser quelles
sont les compensations dont la société bénéficie en contrepartie desdits préju-
dices 204.
Une telle approche paraît parfaitement correspondre à l’évolution doctrinale et
jurisprudentielle de la notion d’intérêt de groupe. En permettant aux administra-
teurs de la société préjudiciée d’apprécier l’étendue du dommage et de poser un
avis sur la conformité de l’opération par rapport à l’intégrité de cette société, le
législateur n’a pas manqué de s’intéresser à la nécessité de prendre en considéra-
tion l’intérêt social, qui interdit que la survie d’une société soit menacée au béné-
fice du groupe. En outre, en reconnaissant que des préjudices peuvent, moyen-
nant le respect de certaines conditions, être imposés par le groupe au détriment
d’une société qui en fait partie, le législateur confirme, en quelque sorte, la pri-
mauté de l’intérêt de groupe. Par ailleurs, et à l’instar de la jurisprudence sur
l’intérêt de groupe, la réglementation vise principalement les rapports que l’on
pourrait qualifier d’ascendants, c’est-à-dire ceux qui concernent une filiale à

groepsinterne belangenconflicten», in Behoorlijk vennootschapsbestuur. Een analyse van de wet van 2 augus-
tus 2002, Antwerpen, Intersentia, 2003, pp. 77-109; M. WYCKAERT, «De nieuwe belangenconflictregeling :
op naar een Belgisch groepsrecht?», in Nieuw Vennootschapsrecht 2002 – Wet Corporate Governance, Kalm-
thout, Biblo, 2003, pp. 157-194; P. ERNST et N. YOUNES, «Groepsinterne belangenconflicten in de Wet Cor-
porate Governance – een eerste commentaar op het nieuwe artikel 524 W. Venn », in De Wet Corporate
Governance ont(k)leed, Mechelen, Kluwer, 2004, pp. 183-236 ; L. K ETELS , « Het belangenconflict in
vennootschapsgroepen : het toepassingsgebied van artikel 524 van het W. Venn», Acc. Bedr., 2004, liv. 2,
pp. 4-15; Y. DE CORDT, «La transparence en droit des sociétés», in La transparence en droit des sociétés et en
droit financier, Bruxelles, Larcier, 2008, pp. 138-161; M. FYON et N. DUPONT, «Les groupes en droit des
sociétés : une réalité économique mais un régime juridique encore incomplet», in Les groupes de sociétés,
Bruxelles, Séminaire Vanham & Vanham, 2003, pp. 20-30.
204 En vertu de l’article 524, §1er, al. 3, 1° du C. soc., la procédure n’est, toutefois, pas applicable «aux déci-
sions et aux opérations habituelles intervenant dans des conditions et sous les garanties normales du marché
pour des opérations de même nature».

72 LARCIER
LA PROTECTION DE LA SOCIÉTÉ

l’égard de sa société mère, et non l’inverse. L’article 524, §1er, 1° et 2° du C. soc.


exclut, en effet, l’application de la procédure pour les relations entre la société
cotée ou sa filiale, avec leurs filiales respectives 205. De la sorte, l’on peut se
demander si cette exclusion laisse supposer une forme de consécration légale de
l’intérêt personnel d’une société à toujours soutenir ses propres filiales.
Le respect des conditions prévues par l’article 524 du C. soc. ne suffit toutefois
pas, à lui seul, à confirmer la légalité des décisions prises. L’article 529, alinéa 2
du C. soc. prévoit, en effet, que les administrateurs sont personnellement et soli-
dairement responsables pour toutes décisions qui ont causé à la société un préju-
dice financier abusif au bénéfice d’une société du groupe. S’il est admis qu’une
société puisse subir un préjudice temporaire et modéré dans l’intérêt du groupe, il
est néanmoins précisé qu’en aucun cas ce sacrifice pourra causer un déséquilibre
manifeste entre les sociétés concernées, ni être hors de proportion avec la capa-
cité financière de la société qui en supporte la charge.
Par ailleurs, l’article 524, § 7 du C. soc. prévoit une obligation de publicité
annuelle pour toutes les limitations substantielles ou charges que la société mère
a imposées à la filiale durant l’année concernée, ou dont elle a demandé le main-
tien. En autorisant la société mère à imposer de telles restrictions aux activités de
sa filiale, l’on peut en déduire que le législateur admet qu’une société mère
puisse, à travers l’exercice de son contrôle, user d’un véritable pouvoir d’injonc-
tion sur sa filiale 206.
Cette disposition se limite, toutefois, à imposer une publicité aux limitations ou
charges que doit endurer la filiale. Elle ne réglemente, dès lors, aucunement la
répartition des chances ou des opportunités d’affaire entre les sociétés du groupe
(corporate opportunities) 207.
L’article 524 établit, en outre, une distinction selon que l’opération est accomplie
à la suite d’une décision émanant d’une société cotée belge (qu’il s’agisse d’une
société mère ou d’une filiale) ou selon qu’elle est prise directement par une filiale
non cotée belge d’une société cotée belge :
- ainsi, lorsqu’une filiale d’une société cotée belge entre en relation avec une
société liée à cette filiale, autre qu’une filiale de cette filiale, en exécution
d’une décision prise par sa société mère (hypothèse visée par l’art. 524, §1er,
al. 1er, 2° C. soc.), le conseil d’administration de la société mère devra respec-

205 Rappelons que l’article 6, 2° du C. soc. définit largement la filiale comme étant «la société à l’égard de
laquelle un pouvoir de contrôle existe». Les sous-filiales sont donc également visées par cette définition.
206 P. HAMER et C. DE POTTER, loc. cit., p. 278.
207 Sur la problématique des corporate opportunities, voy. ibidem, pp. 282-284; D. WILLERMAIN, «Les “corporate
opportunities” (notamment au sein des groupes de sociétés)», R.D.C., 2005, pp. 453-479; Anvers, 22 mai
2003, T.R.V., 2005, p. 489 et note H. DE WULF.

LARCIER 73
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

ter la procédure de l’article 524 du C. soc. et la filiale devra ensuite prendre


sa décision 208 ;
- si, toutefois, l’initiative de la décision ou de l’opération provient d’une filiale
non cotée belge 209, et non de sa société mère cotée belge, dans les relations
que cette filiale entretient avec les sociétés liées à cette société mère, le §5
de l’article 524 du C. soc. précise que cette décision ou opération doit être
préalablement autorisée par le conseil d’administration de la société mère.
En imposant, d’une part, que la procédure soit appliquée au niveau de la société
mère cotée, et non de sa filiale, pour le cas visé à l’article 524, §1er, alinéa 1er, 2°
du C. soc. et, d’autre part, que la société mère ait à donner son aval pour les déci-
sions ou opérations émanant d’une filiale rentrant dans le champ de l’article 524,
§ 5 du C. soc., le législateur a donc apporté des tempéraments au principe de
l’autonomie des sociétés. Comme le font donc remarquer, à cet égard, MM. Hamer
et de Potter, «il y va d’une véritable concrétisation du phénomène de groupe de
sociétés, d’une exception explicite à la règle de l’autonomie juridique de chaque
société qui en fait partie et d’une reconnaissance de l’ingérence du centre déci-
sionnel d’un groupe dans les affaires de ses membres. Cette disposition oblige à
révéler, détailler et justifier des décisions qui ne devaient pas, jusqu’alors, faire
l’objet de formalisme» 210.

208 Si la filiale est une société non cotée, son conseil d’administration ne sera pas tenu de suivre la procédure
prévue par l’article 524 du C. soc. dans la mesure où, n’étant pas cotée, cette disposition ne lui est pas appli-
cable. Par contre, si cette filiale est une société cotée, son conseil d’administration devra également se sou-
mettre à l’article 524. L’avantage de soumettre la société mère à la procédure prévue par l’article 524 du
C. soc. est de faire intervenir la société qui est la plus à même, par son contrôle, de connaître l’ensemble des
relations intragroupes.
209 Dans le cas où cette filiale serait une société cotée, l’on tomberait dans l’hypothèse visée à l’article 524,
§1er, al. 1er, 1° du C. soc. La procédure devrait donc uniquement être réalisée dans le chef de cette société.
210 P. HAMER et C. DE POTTER, loc. cit., p. 257.

74 LARCIER
LA PROTECTION DES ACTIONNAIRES

CHAPITRE 2
LA PROTECTION DES ACTIONNAIRES

SECTION 1
LA DÉFENSE DES DROITS DES ACTIONNAIRES
MINORITAIRES DE LA SOCIÉTÉ MÈRE
CONTRE LES DÉCISIONS PRISES AU SEIN DES FILIALES
(PROBLÈME DE L’ACTIONNARIAT INDIRECT)

Pour qu’une société puisse introduire, pour son compte, une action en responsabi-
lité à l’encontre de ses dirigeants 211, il est nécessaire que ses actionnaires soient
réunis en assemblée générale 212. Cette exigence s’explique par la nature contrac-
tuelle du lien existant entre la société et les membres de son organe de gestion, de
telle sorte que seule cette dernière peut intenter l’actio mandati 213.
Le législateur a, toutefois, accordé un tempérament à la rigueur de ce principe en
ouvrant aux actionnaires minoritaires le droit d’introduire une action sociale met-
tant en cause, en leur nom mais dans l’intérêt et pour le compte de la société dont
ils sont associés, la gestion des administrateurs ou gérants de cette société 214.
Ainsi, moyennant le respect de plusieurs conditions, les actionnaires minoritaires
peuvent intenter directement une action fondée sur un préjudice subi par la
société, malgré l’obstacle qu’aurait pu constituer la personnalité juridique de
celle-ci. En effet, cette mesure permet de supplanter la nécessité du recours à
l’assemblée générale pour reconnaître un droit direct en faveur des actionnaires

211 Pour un examen des différentes formes de responsabilité pouvant être imputée à un dirigeant d’une société
intégrée au sein d’un groupe, voy. J.-P. R ENARD , « Les groupes de sociétés et la responsabilité des
dirigeants : des responsabilités accrues pour les opérations entre sociétés d’un groupe», in Les groupes de
sociétés, Bruxelles, Séminaire Vanham & Vanham, 2003, pp. 1-36.
212 Cass., 25 septembre 2003, T.R.V., 2004, liv. 1, p. 35 et note J. VANANROYE, R.D.C., 2005, p. 382 et note
S. GILCART ; M. COIPEL, «Dispositions communes à toutes les sociétés – Dispositions de droit civil et com-
mercial applicables aux actes de sociétés», Rép. not., 1982, t. XII, liv. 2/1, n° 338, p. 215; C. RESTEAU, Les
sociétés anonymes, t. II, Bruxelles, Swinnen H., 1982, n° 944, p. 187 ; J. RONSE, J.-M. NELISSEN GRADE,
K. VAN HULLE, J. LIEVENS et H. LAGA, «Vennootschappen (1978-1985)», T.P.R., 1986, n° 259, p. 1280.
213 Voy. art. 289 (S.P.R.L.), art. 415 (S.C.R.L.) et art. 561 (S.A.) du C. soc. Nous verrons, dans la seconde section
du chapitre consacré à la protection des créanciers, que le caractère contractuel des rapports entre la société
et ses administrateurs a de lourdes répercussions en matière de mise en cause de la responsabilité de ces
derniers, par des tiers, pour les fautes de gestion commises dans le cadre de leur fonction.
214 Voy. art. 290 et 291 (S.P.R.L.), art. 416 et 417 (S.C.R.L.) et art. 562 à 567 (S.A.) du C. soc.; A. BERTRAND et
A. COIBON, «Shareholders Suits against the Directors of a Company, against other Shareholders and against
the Company itself under Belgian Law», E.C.F.R., 2009, p. 282.

LARCIER 75
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

de la société. Son introduction procède du souci de garantir le droit des minori-


taires contre les actions abusives de l’actionnariat majoritaire 215.
De la sorte, l’action sociale en responsabilité d’une filiale, ou d’une sous-filiale,
contre ses gérants ou administrateurs doit nécessairement émaner de son assem-
blée générale ou de ses actionnaires minoritaires. Partant, l’introduction d’une
telle action ne peut être introduite que par les actionnaires directs.
Confrontés au problème des groupes, l’on peut donc constater que les actionnaires
d’une société mère ne disposent pas du pouvoir d’intenter eux-mêmes une action à
l’encontre des dirigeants des sociétés contrôlées. Le droit de l’actionnariat indi-
rect, c’est-à-dire des actionnaires, principalement minoritaires, des sociétés de
contrôle, est dès lors nié au bénéfice du respect d’une personnalité juridique diffi-
cilement justifiable au regard de la spécificité des enjeux.
À cet égard, une société est généralement peu encline à poursuivre en justice ses
administrateurs, dans la mesure où ils ont été nommés par son assemblée générale
et qu’elle peut craindre, notamment, la mauvaise publicité qui pourrait découler
d’un procès. L’on peut donc supposer que cette crainte sera encore renforcée dans
le cadre des groupes puisque d’autres sociétés pourraient être concernées,
d’autant plus lorsque la nomination des administrateurs de ces dernières a été
influencée par la/les société(s) contrôlante(s).
Par ailleurs, l’impossibilité pour les actionnaires minoritaires d’une société mère
d’exercer l’action sociale de sa filiale est encore plus surprenante lorsque celle-ci
est détenue à 100%, dans la mesure où la filiale ne dispose pas d’actionnaires
extérieurs pouvant exercer l’action minoritaire.
En vue de pallier de tels écueils, certains auteurs ont tenté de recourir au méca-
nisme de l’action oblique afin de permettre aux actionnaires d’une société mère
d’exercer les droits de la filiale défaillante. Toutefois, la qualité d’actionnaire
n’étant pas équivalente à celle de créancier au sens de l’article 1166 du Code civil
(ci-après, C. civ.), le recours à ce mécanisme doit être rejeté 216.

215 Pour une description de l’action minoritaire, voy. M.-A. DELVAUX et P. DE WOLF, «Les responsabilités civiles
des dirigeants de sociétés commerciales», in Le statut du dirigeant d’entreprise, Bruxelles, Larcier, 2009,
pp. 231-234; J.-P. RENARD, «Art. 562 à 567 C. soc.», in Commentaire systématique du «nouveau» Code des
sociétés, Waterloo, Kluwer, 2006. Le droit français reconnaît également le droit des actionnaires minoritaires
à exercer une action pour le compte de la société. Cette action est couramment qualifiée d’action sociale ut
singuli, en comparaison avec l’action sociale ut universi qui est, quant à elle, directement exercée par la
société. Pour une description de cette action et un examen de ses fondements juridiques en droit français,
voy. A. CONSTANTIN, «Nature et régime de l’action sociale ut singuli – Articulation avec l’action sociale ut
universi», Rev. soc., 2001, pp. 323-336; J.-C. PAGNUCCO, L’action sociale ut singuli et ut universi en droit des
groupements, Paris, L.G.D.J., 2006, 515 pp.
216 Voy., sur cette question, C. ARMAND et A. VIANDIER, «Réflexions sur l’exercice de l’action sociale dans le
groupe de sociétés : transparence des personnalités et opacité des responsabilités?», Rev. soc., 1986, p. 561
et les références citées; C. RESTEAU, op. cit., pp. 188-190.

76 LARCIER
LA PROTECTION DES ACTIONNAIRES

Il peut paraître regrettable de constater que les actionnaires peuvent, via l’action
minoritaire, se prémunir contre les pratiques abusives des majoritaires lorsque la
société est isolée alors que ce droit ne leur est pas reconnu lorsque ces pratiques
l’ont été au travers d’une autre société, contrôlée directement ou indirectement
par la première. En effet, la circonstance qu’une filiale subisse un dommage en
raison d’une faute d’un de ses dirigeants n’exclut pas l’existence d’un préjudice
indirect à l’encontre des actionnaires de la mère, notamment en raison de la
dépréciation des actions détenues. Leur protection semble donc devoir se justifier
tout autant.
À cet égard, le droit américain et son recours au « double derivative action »
offrent une intéressante piste de réflexion. La derivative action est une action
exercée par un actionnaire en vue de suppléer l’inertie d’une société qui reste en
défaut d’agir contre ses dirigeants 217. Cette action peut ainsi, en quelque sorte,
être comparée à l’action minoritaire mais ne peut y être assimilée. Les juridic-
tions américaines reconnaissent, en effet, le droit d’un actionnaire minoritaire
d’une société mère d’intenter une action en responsabilité contre les dirigeants
d’une filiale, en cas d’inaction de la première 218. Le principe reste donc qu’une
action sociale ne peut être exercée que par la filiale contre ses dirigeants, avec
une exception, toutefois, en faveur des actionnaires de la société mère en
l’absence de réaction de la filiale 219. On parle alors de double, triple, voire de
multiple derivative action en fonction du nombre de maillons entre le demandeur
et la société défenderesse 220.

217 Sur l’application du mécanisme en droit comparé, voy. D. LATELLA, «Shareholder Derivative Suits : A Com-
parative Analysis and the Implications of the European Shareholders’ Rights Directive», E.C.F.R., 2009/3,
pp. 307-319; C. PAUL, «Derivative Actions under English and German Corporate Law – Shareholder Parti-
cipation between the Tension Filled Areas of Corporate Governance and Malicious Shareholder
Interference», E.C.F.R., 2010, pp. 81-115. Pour un examen critique de la derivative action en droit anglais,
voy. A. REISBERG, « Theoretical Reflexions on Derivative Actions in English Law : The Representative
Problems», E.C.F.R., 2006, pp. 69-108.
218 Ce droit est reconnu aux États-Unis depuis la dernière partie du XIXe siècle et, plus particulièrement,
lorsque le demandeur est actionnaire d’une société mère détenant la propriété exclusive de ses filiales. Voy.
I. LYNCH FANNON, «A transatlantic case : The derivative action as a corporate governance tool», Dublin Uni-
versity Law Journal, 2005, vol. 27, pp. 12-13. Cette jurisprudence s’est étendue à d’autres pays
(A. REISBERG, «Multiple derivative actions», Law Quarterly Review, 2009, vol. 125, pp. 209-215).
219 Il est intéressant de remarquer qu’en France, la Chambre criminelle de la Cour de cassation s’est prononcée
dans un sens similaire à la jurisprudence américaine en considérant, d’une part, que la société mère pouvait
exercer l’action de sa filiale à l’encontre de ses dirigeants en cas d’inaction de cette dernière et, d’autre part,
que les actionnaires de la société mère étaient en droit d’exercer cette action si la mère restait également en
défaut d’agir. Voy. Cass. fr., 4 avril 2001, D., 2002, p. 1475; Cass. fr., 6 février 1996, Dr. pénal, 1996, Comm.
n° 195.
220 C. ARMAND et A. VIANDIER, loc. cit., p. 561 : «Les juges acceptent l’action intentée […] par les actionnaires
d’une société mère à l’encontre des dirigeants d’une filiale, véritable jeu de saute-mouton avec les personna-
lités juridiques».

LARCIER 77
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

Cette jurisprudence est fondée principalement sur la protection des actionnaires


minoritaires et tend à éviter que des activités puissent, via la constitution d’un
groupe, échapper au contrôle des investisseurs. C’est ce qu’atteste, par ailleurs,
un arrêt de la Cour Suprême de l’Illinois rendu en 1988 : « A shareholder in a
holding company cannot maintain a classic single derivative action against the
subsidiary because he or she will not, technically, meet the threshold share-owner-
ship requirement to bring a derivative action against the subsidiary […]. The law,
however, cannot be deceived by specious and illusory devices, disguises or circuitry
of action […]. To prevent this from occurring, and falling victim to the alluring and
disingenuous argument that a shareholder in a holding company has not interest in
the subsidiary, courts have fashioned a remedy from the single derivative action
cloth – the double derivative suit» 221.
Les systèmes de common law, marqués par un actionnariat dispersé, bénéficient
généralement d’un régime juridique plus protecteur des minoritaires que dans
ceux de droit civil 222. Cela explique sans doute, en partie, pourquoi de telles
divergences sont perceptibles entre les droits belge et américain par rapport à la
protection des actionnaires minoritaires d’un groupe.
Le droit belge pourrait, toutefois, s’inspirer du droit américain pour accroître son
régime de protection des actionnaires minoritaires, par l’instauration d’un méca-
nisme analogue à celui du «double derivative action». Il nous paraît, en effet, cri-
tiquable qu’un dirigeant fautif d’une filiale puisse profiter de l’inertie des sociétés
du groupe pour être dégagé de sa responsabilité alors que celle-ci pourrait être
mise en cause par les actionnaires minoritaires dans une société isolée. L’on peut,
par ailleurs, s’interroger sur la conformité d’une telle différence de traitement par
rapport aux principes constitutionnels d’égalité et de non-discrimination.
Il est intéressant de remarquer que l’ordonnance de référé rendue par le président
du tribunal de commerce de Bruxelles dans le cadre de l’affaire Fortis a autorisé
qu’une telle action soit introduite par les actionnaires de la société mère 223. Dans
l’affaire ayant donné lieu à cette décision, les actionnaires des holdings de tête de
Fortis 224 avaient, en effet, introduit une action à l’encontre des décisions relatives
aux cessions d’actifs prises par le conseil d’administration de la filiale SA Fortis

221 R. FERRARA, K. ABIKOFF et L. GANSLER, Shareholder derivative litigation : besieging the board, New-York,
Law Journal Press, 1995, points 4-26 et 4-27.
222 Cette attention particulière des systèmes de common law à l’égard des actionnaires minoritaires s’explique,
notamment, par leur crainte de voir la majorité des capitaux se retirer des marchés dans le cas où ces inves-
tisseurs jugeraient leur protection insuffisante, ce contrairement aux pays de droit civil dont le capital est
centralisé essentiellement entre les mains de l’actionnaire de référence.
223 Comm. Bruxelles, 18 novembre 2008, R.D.C., 2008, pp. 902 et s., D.B.F., 2008, pp. 387 et s.
224 Le groupe Fortis était, en effet, composé suivant une structure bicéphale séparant les sociétés opération-
nelles de la branche bancaire, d’une part, et assurancielle, d’autre part, à travers deux holdings de tête, à
savoir respectivement la SA Fortis et la NV Fortis.

78 LARCIER
LA PROTECTION DES ACTIONNAIRES

Brussels 225. Cette action avait principalement pour but de suspendre les effets de
ces décisions. Dans son ordonnance, le président du tribunal a reconnu expressé-
ment la qualité d’agir des demandeurs, malgré l’absence de la qualité d’action-
naire dont ils pouvaient se prévaloir à l’égard de cette filiale 226. Pour justifier sa
décision, le tribunal a, notamment, rappelé que les décisions litigieuses avaient
été prises par les conseils d’administration des holdings dont les demandeurs
étaient actionnaires et que les filiales étaient presque toutes détenues à 100% par
ces holdings. Bien que cette décision ait été rendue en référé 227 et qu’elle
concerne essentiellement une problématique de droit judiciaire fondée sur la
recevabilité de l’action, nous pensons que son intérêt ne peut être minimisé et
qu’il conviendrait d’en tirer les enseignements pour généraliser le droit qu’elle
reconnaît aux actionnaires. À l’instar de la jurisprudence d’autres pays, le prix de
la protection des actionnaires minoritaires semble devoir passer par la corrosion
de la personnalité juridique des filiales. Ces actionnaires peuvent, en effet, subir
un préjudice «par répercussion» 228 dont il importe d’assurer la réparation 229.

225 Notons, à cet égard, qu’en vertu de l’article 522, §1er, du C. Soc., le conseil d’administration dispose d’une
compétence résiduelle qui lui confère, à l’exception de ce que la loi réserve à l’assemblée générale, la pléni-
tude des pouvoirs dans la gestion de la société. Ainsi, même si une décision porte atteinte à un élément
essentiel de la société (par exemple : les participations détenues par une société holding), l’assemblée géné-
rale ne peut, en principe, interférer dans la gestion et devra attendre de pouvoir agir, a posteriori, lors de la
décharge à accorder aux administrateurs. Voy. P. HAINAUT-HAMENDE et G. RAUCQ, «La société anonyme.
Première Partie : Constitution et fonctionnement», Rép. not., 2005, t. XII, liv. 3/1, pp. 497-501 ; L. SIMONT,
La loi du 6 mars modifiant la législation relative aux sociétés commerciales, Bruxelles, Bruylant, 1975, p. 37.
Il est intéressant de remarquer que le droit allemand des sociétés, bien que légalement fondé sur une répar-
tition des compétences semblable à celle du droit belge (§ 119 AktG), reconnaît, en vertu d’une jurispru-
dence construite en dehors de tout fondement textuel, le droit de l’assemblée générale à s’opposer à toute
décision du directoire qui porte sur une partie substantielle du patrimoine de la société. Voy. M. BODE, Le
groupe international de sociétés – Le système de conflit de lois en droit comparé français et allemand, Bern,
Peter Lang, 2010, pp. 136-138, n° 114 et les références citées.
226 Un appel a été interjeté par la suite contre cette ordonnance. L’arrêt qui en a résulté n’a pas remis en cause
la qualité d’agir des actionnaires : Bruxelles, 12 décembre 2008, J.L.M.B., 2009, pp. 388 et s.; D.B.F.,
2008, pp. 399 et s.; J.T., 2009, pp. 62 et s. En outre, cet arrêt a été cassé par un arrêt du 19 février 2010,
mais pour des raisons étrangères à celle de la compétence des actionnaires. La Cour de cassation a, en effet,
retenu uniquement un défaut de motivation formelle de la cour d’appel en raison de l’absence de réponse à
un argument avancé par la Société fédérale de participations et d’investissement selon lequel un démantèle-
ment de Fortis menacerait l’intérêt général : Cass., 19 février 2010, J.T., 2010, pp. 140-142.
227 Pour une description de l’autonomie de l’instance en référé par rapport au principal, voy. P. MARCHAL,
«Référés», Rép. not., 1992, t. XIII, liv. 7, pp. 69 et s.
228 C. BRÜLS, «L’“intérêt social” de Fortis? Une histoire à suivre», note sous Bruxelles, 12 décembre 2008,
J.L.M.B., 2009, p. 418.
229 Certes, les actionnaires disposent du droit d’exercer une action individuelle en responsabilité fondée sur les
articles 1382 et 1383 du Code civil. Toutefois, cette action aboutira difficilement à une décision favorable,
dans la mesure où chaque actionnaire devra établir l’existence d’un préjudice particulier et personnel, c’est-
à-dire distinct de celui subi par la collectivité actionnariale en raison de l’appauvrissement de la société.
Voy. M. DELVAUX, «L’action minoritaire – La responsabilité sur base de l’art. 1382 C. civ.», J.D.S.C., 1999,
pp. 222-223.

LARCIER 79
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

En outre, la reconnaissance du droit de l’actionnariat indirect pourrait ne pas être


uniquement limitée à la matière de la responsabilité mais s’étendre également à
d’autres mécanismes légaux 230. À titre d’exemple, le droit français autorise les
actionnaires minoritaires d’une société mère à demander une expertise pour les
opérations de gestion accomplies dans une filiale 231. L’article L225-231 du Code
de commerce français précise, en effet, que les actionnaires minoritaires peuvent
poser des questions sur « une ou plusieurs opérations de gestion de la société,
ainsi que, le cas échéant, des sociétés qu’elle contrôle […]. Dans ce dernier cas,
la demande doit être appréciée au regard de l’intérêt de groupe» 232. Il est, à cet
égard, intéressant de remarquer que le recours à notion d’intérêt de groupe appa-
raît clairement comme la justification de l’extension de la procédure aux sociétés
contrôlées.

SECTION 2
LA DÉFENSE DES DROITS
DES ACTIONNAIRES MINORITAIRES D’UNE FILIALE

La structure prédominante des sociétés de l’Union européenne est caractérisée


par la suprématie de l’actionnaire de contrôle ou de référence 233. Dès lors, les
résolutions prises par l’assemblée générale s’imposent en principe aux action-
naires minoritaires sans qu’ils puissent remettre en cause, sauf exceptions pré-
vues par la loi ou les statuts, la volonté de la majorité, concentrée entre les mains
d’un nombre très restreint d’actionnaires. Dans le cadre d’un groupe, cette situa-
tion est particulièrement présente dans la mesure où la société mère dispose d’un
pouvoir de contrôle sur ses filiales. Partant, les actionnaires minoritaires d’une
filiale, étrangers au groupe en ce sens qu’ils n’ont d’intérêt qu’à l’égard de cette
seule société, peuvent se voir contraints de respecter une décision prise dans
l’intérêt du groupe. Hormis l’hypothèse d’une détention à 100% des filiales (où la

230 T. TILQUIN, «La gouvernance d’entreprise et les groupes de sociétés», loc. cit., p. 83.
231 Voy. Cass. fr., 4 avril 2001, D., 2002, p. 1475, note E. SCHOLASTIQUE, loc. cit., nos 22 et 23; M. MOUTHIEU,
L’intérêt social en droit des sociétés, op. cit., pp. 87-91.
232 Comp. avec le régime belge des articles 168 et 169 du C. soc.; Comm. Bruxelles, 16 août 2000, T.R.V.,
pp. 384 et s.; M. DELVAUX, «Quelques réflexions en matière d’action en désignation d’un expert vérificateur
et d’action sociale minoritaire», J.D.S.C., 2002, pp. 184-185; M. CALUWAERTS, «Ce que permet et ce que ne
permet pas la procédure en désignation d’un expert vérificateur», J.D.S.C., 2002, pp. 277-279.
233 X. DIEUX, «“Shareholdership v. Stakeholdership” : Plaidoyer pour l’actionnaire de contrôle», in Liber Amico-
rum Jean-Pierre de Bandt, Bruxelles, Bruylant, 2004, p. 372; Y. DE CORDT, «Les lignes de force», in Évolu-
tion et perspectives du droit des sociétés – Anno 2006, Bruxelles, Bruylant, 2006, p. 16 ; E. WYMEERSCH,
«Comment le droit pourrait aborder certains groupes de sociétés», in Mélanges offerts à P. Van Ommeslaghe,
Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 709.

80 LARCIER
LA PROTECTION DES ACTIONNAIRES

présence d’actionnaires minoritaires fait défaut), surviennent alors des préoccupa-


tions relatives à la protection de ces actionnaires extérieurs, dont les intérêts sont
souvent relégués au second plan.
À cet égard, comme le fait remarquer M. Wymeersch, l’étendue de cette protection
doit être fonction de chaque cas d’espèce et il convient ainsi d’accorder une atten-
tion plus importante aux actionnaires de sociétés cotées en bourse, qui ne peuvent
s’organiser collectivement, qu’à ceux qui ont participé à la constitution de la
société et qui ont, par conséquent, pu librement négocier leur position au sein de
cette dernière 234.
Afin de se défendre contre les prétentions égoïstes de l’actionnariat majoritaire,
les actionnaires minoritaires disposent d’une série d’outils émanant du droit com-
mun. C’est ainsi que l’article 64, 3° du C. soc. prévoit le droit de postuler en jus-
tice l’annulation de décisions rendues par l’assemblée générale lorsque ces déci-
sions sont entachées d’excès ou de détournement de pouvoir. À cet égard, le
détournement de pouvoir «désigne toute irrégularité d’une décision d’assemblée
générale quant à son but» 235. Rentrent, dès lors, dans le champ de cette disposi-
tion, les décisions de l’assemblée générale motivées par d’autres intérêts que celui
du groupe 236.
En outre, tant la doctrine que la jurisprudence s’accordent de longue date à recon-
naître aux minoritaires le droit d’invoquer l’abus de majorité en vue d’obtenir des
dommages et intérêts en réparation de décisions emportant spoliation de leurs
intérêts 237. Outre la détermination d’un préjudice dans le chef des minoritaires,
l’abus de majorité implique que la décision des majoritaires ait été motivée par

234 Ibidem, pp. 707-708.


235 Exposé de motifs, Doc. parl., Ch. repr., 1989-1990, n° 1214/1, p. 34; E. POTTIER et A. COIBION, «Art. 64 C.
soc.», in Commentaire systématique du «nouveau» Code des sociétés, Waterloo, Kluwer, 2002.
236 D. WILLERMAIN, «L’annulation et la suspension des décisions des organes des sociétés», in Actualités en
droit des sociétés, Bruxelles, Bruylant, 2006, p. 73.
237 Pour une description du régime applicable aux abus du droit de vote (abus de majorité, d’égalité ou de mino-
rité), voy. O. CAPRASSE et R. AYDOGDU, Les conflits entre actionnaires – Prévention et résolution, Bruxelles,
Larcier, 2010, pp. 217 et s.; L. SIMONT, «Réflexion sur l’abus de minorité», in Liber Amicorum Jan Ronse,
Bruxelles, Story-Scientia, 1986, pp. 307-334; P. VAN OMMESLAGHE, «Rapport général», loc. cit., pp. 85 et s.;
X. DIEUX, «Nouvelles observations sur l’abus de majorité ou de minorité dans les personnes morales fonc-
tionnant selon le principe majoritaire», R.G.D.C., 1998, pp. 8-22; O. CAPRASSE et R. AYDOGDU, «L’abus du
droit de vote et ses sanctions», loc. cit., pp. 325 et s., et les références citées; M. COIPEL, «Dispositions com-
munes à toutes les sociétés – Dispositions de droit civil et commercial applicables aux actes de sociétés»,
Rep. not., 1982, t. XII, liv. 2/1, pp. 203 et s.; P.-A. FORIERS, « Abus de majorité, abus de minorité, abus
d’égalité – Conditions et sanctions», in Les nouvelles relations entre actionnaires, Bruxelles, Séminaire Van-
ham & Vanham, 24 novembre 1994. Sur la question de la corrélation entre les notions d’abus de majorité et
de détournement de pouvoir, voy. A. FRANÇOIS, Het vennootschapsbelang in het Belgische vennootschapsrecht,
op. cit., p. 545, n° 414; Y. DE CORDT, L’égalité entre actionnaires, Bruxelles, Bruylant, 2004, pp. 767-769,
n° 584; D. WILLERMAIN, loc. cit., pp. 75-77, n° 11.

LARCIER 81
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

une intention malveillante ou un dessein personnel 238. Lorsque ces deux condi-
tions sont établies, l’abus de majorité peut alors être invoqué à l’encontre de la
décision litigieuse, fût-elle prise par la société mère d’un groupe.
Dans ce dernier cas toutefois, l’abus de majorité ne pourra être invoqué lorsque la
décision relève de l’intérêt de groupe. En effet, comme nous l’avions évoqué pré-
cédemment, la défense du groupe permet de justifier que des décisions soient
prises au détriment d’une filiale. Dès lors que les conditions de l’intérêt de groupe
sont respectées, il apparaît donc que tout recours à la théorie de l’abus de majorité
doive être déclaré dépourvu de fondement 239.
Par ailleurs, si les actionnaires minoritaires entendent introduire, à des fins per-
sonnelles, une action en responsabilité fondée sur l’article 1382 du C. civ. pour
les fautes commises par les gérants ou administrateurs, celle-ci ne pourra sortir
ses effets qu’à la condition que soit démontré un préjudice propre, distinct de
celui subi par la société ou l’ensemble des actionnaires 240. La démonstration d’un
tel préjudice étant particulièrement délicate, l’on peut aisément supposer que ce
type d’action en responsabilité sera généralement rejeté.
Lorsqu’ils remplissent les conditions prévues pour l’action minoritaire, ceux-ci
peuvent, toutefois, introduire, pour le compte et dans l’intérêt de la société, une
action en responsabilité à l’encontre des membres de l’organe de gestion. Cette
responsabilité peut être fondée sur une multitude de motifs, tels que la faute de
droit commun (art. 1382 C. civ.), la faute de gestion (art. 527 C. soc.), la violation
du Code ou des statuts (art. 528 C. soc.), etc. En procédant de la sorte, la société
pourra, ainsi, être indemnisée pour les préjudices subis en raison de la gestion de
ses gérants ou administrateurs, ce qui aura, par l’amélioration de sa situation

238 P. COPPENS, «Du caractère intentionnel de l’abus de majorité», R.P.S., 1954, p. 292. À cet égard, une
conception objective de l’abus de majorité s’est progressivement dessinée en vue d’occulter tout critère
intentionnel de la définition d’abus de majorité. Se fondant sur la jurisprudence en matière d’abus de droit,
il importerait ainsi au juge de vérifier uniquement si les actionnaires majoritaires ont exercé leur droit de
vote «d’une manière qui dépasse manifestement les limites de l’exercice normal de ce droit par une per-
sonne prudente et diligente» (Cass., 10 septembre 1971, Pas., 1972, I, p. 28) ou de constater que le préju-
dice causé par l’usage du droit de vote est sans proportion avec l’avantage recherché ou obtenu par ce droit
(Cass., 30 janvier 1992, R.C.J.B., 1994, p. 185, note P.-A. FORIERS); voy. F. DE BAUW, Les assemblées géné-
rales dans les sociétés anonymes, Bruxelles, Bruylant, 1996, p. 321, n° 775 : «[l’abus de majorité consiste
en] une situation dans laquelle un ou plusieurs actionnaires abusent, au bénéfice d’intérêts privés et au
mépris de l’intérêt social, du pouvoir de décision que leur confère leur droit de vote lié à la participation
majoritaire dont ils disposent».
239 Bruxelles, 9 octobre 1984, R.P.S., 1986, pp. 50 et s., et note M. MARÉCHAL, «Sur l’abus de majorité dans les
groupes de sociétés» : «La décision de supporter la totalité des pertes résultant d’une opération et d’en
décharger d’autres sociétés du même groupe avec lesquelles une association en participation avait été
conclue, n’est pas manifestement contraire à l’intérêt social s’il y a interpénétration économique et commer-
ciale et soutien mutuel des sociétés et si la perte demeure limitée»; voy. aussi, Bruxelles, 13 janvier 1971,
R.C.J.B., 1973, p. 260; Rapport de la Commission bancaire 1970-1971, p. 189; 1981-1982, p. 87.
240 M.-A. DELVAUX et P. DE WOLF, loc. cit., p. 234; P. VAN OMMESLAGHE, loc. cit., p. 85, n° 35.

82 LARCIER
LA PROTECTION DES ACTIONNAIRES

financière, un effet de levier positif sur la valorisation des titres des actionnaires
minoritaires. Dans le cadre d’un groupe, une telle action sera particulièrement
efficace lorsque l’importance de l’immixtion de la société mère dans la gestion de
sa filiale atteint le seuil permettant de la considérer comme administrateur de fait
de cette dernière. Dans cette hypothèse, en effet, l’action minoritaire ouvrira, aux
actionnaires minoritaires, le droit d’introduire une procédure à l’encontre de la
société mère sur la base du régime de la responsabilité pour fautes de gestion 241.
Afin de favoriser le règlement des conflits entre actionnaires, le Code des socié-
tés prévoit, en ses articles 642 et suivants du C. soc., la possibilité pour tout asso-
cié d’une société anonyme, qui n’a pas fait ou ne fait pas appel public à
l’épargne 242, de demander à quitter la société en poursuivant en justice le rachat
forcé de ses actions par d’autres actionnaires, quelle que soit l’importance de sa
participation 243. Pour solliciter l’accomplissement de cette procédure de retrait,
l’introduction de l’action doit pouvoir être justifiée par de justes motifs et être
dirigée contre les actionnaires qui en sont à l’origine 244. L’appréciation des cir-
constances entourant l’opération de retrait conditionne donc le bénéfice de cette
mesure.
Par ailleurs, la loi du 1er avril 2007 relative aux offres publiques d’acquisition
consacre le droit pour les actionnaires minoritaires de solliciter une reprise forcée
de leurs titres par l’actionnaire qui détient, seul ou de concert, au moins 95% du
capital assorti de droits de vote et 95% des titres avec droit de vote 245 à l’issue
d’une OPA 246. Toutefois, contrairement à l’offre de reprise obligatoire («squeeze

241 Sur cette question, nous renvoyons le lecteur à ce qui sera abordé dans la seconde section du chapitre
consacré à la protection des créanciers.
242 Art. 635 du C. soc.; l’objectif poursuivi par le législateur est de limiter l’application de ce mécanisme uni-
quement aux sociétés dont les actionnaires peuvent difficilement céder leurs titres.
243 Voy. également l’art. 657 (S.C.A.) du C. soc. Pour une description de la procédure de retrait, voy.
O. CAPRASSE et R. AYDOGDU, Les conflits entre actionnaires – Prévention et résolution, op. cit., pp. 275-334;
O. CAPRASSE, « La résolution des conflits entre actionnaires », Le statut des actionnaires (S.A., S.P.R.L.,
S.C.) : Questions spéciales, Bruxelles, Larcier, 2006, pp. 265-288, et les références citées; P. HAINAUT-
HAMENDE et G. RAUCQ, «La société anonyme. Première partie : Constitution et fonctionnement», Rép. not.,
2005, t. XII, liv. 3/1, pp. 383 et s.; L. HERVE, «Les conflits d’associés en pratique et les mécanismes préven-
tifs des conflits», C & FP, 2010, n° 3, pp. 18-20. La procédure de retrait est également prévue pour les
S.P.R.L. en vertu des articles 340 et 341 du C. soc. À cet égard, voy. M. COIPEL, «Les sociétés privées à res-
ponsabilité limitée», Rép. not., 2008, t. XII, liv. 4, pp. 415 et s.
244 Sur l’interprétation de la notion de «justes motifs», voy. P. HAINAUT-HAMENDE et G. RAUCQ, op. cit., pp. 375
et s; E. POTTIER et A. COIBION, «Le règlement des conflits entre actionnaires : exclusion, retrait et modes
alternatifs de résolution des conflits», in Jurisprudence en droit des sociétés commerciales, Mechelen, Kluwer,
2006, pp. 237-243; L. HERVE, loc. cit., pp. 19-20.
245 Le cumul de ces deux conditions permet de tenir compte des différentes catégories de titres assortis de
droits de vote. Cette exigence résulte de la transposition de l’article 16.2 de la directive 2004/25/CE du Par-
lement européen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant les offres publiques d’acquisition.
246 Art. 8, al. 2, 7° de la loi du 1er avril 2007 relative aux offres publiques d’acquisition; art. 44 de l’arrêté royal
du 27 avril 2007 relatif aux offres publiques d’acquisition (arrêté royal OPA). Malgré que l’article 44 de

LARCIER 83
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

out»), qui permet à l’actionnaire majoritaire d’obtenir la cession forcée des titres
quelle que soit la nature de l’opération lui ayant permis d’atteindre le seuil de
95% (art. 513 C. soc.) 247, le mécanisme du rachat forcé («sell out») s’applique
uniquement si le seuil de 95% est atteint à l’issue de certaines offres publiques
d’acquisition particulières 248.
Par un arrêt du 14 mai 2003, la Cour constitutionnelle (alors Cour d’arbitrage) a
considéré qu’une différence de traitement entre ces deux catégories d’actionnaires
(majoritaires et minoritaires) pouvait être raisonnablement justifiée dans la
mesure où les actionnaires minoritaires n’ont pas d’intérêt comparable à celui des
majoritaires, qui sont «plus concernés par l’objectif de favoriser le bon fonction-
nement et l’évolution de la société» 249. Cette décision peut en partie s’expliquer
par le fait que, lorsqu’une société compte un ou plusieurs actionnaires de
contrôle, ses actionnaires minoritaires ont un pouvoir d’influence minime, voire
inexistant, même s’ils prennent part au vote. Il est toutefois intéressant de souli-
gner la position du groupe d’experts de haut niveau en droit des sociétés qui
défend, moyennant le respect de certains seuils, une généralisation du rachat
obligatoire, quelle que soit la façon dont la majorité a été acquise, pour les socié-
tés cotées et ouvertes 250.

l’arrêté royal fasse uniquement référence au §1er de l’article 513 du C. soc. (applicable uniquement aux
sociétés anonymes ou en commandite par actions ayant fait ou faisant publiquement appel à l’épargne), cer-
tains auteurs sont d’avis que cette procédure est concevable quelle que soit la nature ou la forme juridique
de la société visée : M. FYON, «La réforme du droit des offres publiques d’acquisition – (Première et seconde
partie)», D.B.F., 2007, liv. 5, p. 325.
247 Y. DE CORDT, op. cit., p. 620, n° 460 : «Cette procédure […] est, à l’origine, destinée à faire l’économie des
formalités administratives coûteuses résultant de la présence d’actionnaires minoritaires, détenant moins de
5% des titres […]. Il y va également d’un moyen de […] mener plus librement une politique de gestion
d’une filiale en fonction de l’intérêt de groupe dans lequel elle s’intègre».
248 L’article 44, §1er de l’arrêté royal OPA soumet, en effet, le droit au rachat obligatoire à la condition que l’offrant
ait acquis au moins 90% des titres sur lesquels portait l’offre, ce qui sera souvent difficile à atteindre en pra-
tique (cette condition ne s’applique, cependant, qu’à la suite d’une OPA volontaire : voy. art. 57 de l’arrêté
royal OPA pour les OPA obligatoires). Sur les questions soulevées à l’égard d’une généralisation du mécanisme
de «sell out», voy. Rapport Van Biesen, Doc. parl., Ch. repr., 2006-2007, n° 2834/004, pp. 17-19. Pour une
description des modifications apportées par la loi du 1er avril 2007, voy. M. FYON, loc. cit., pp. 242-280 et 295-
333; Y. DE CORDT et C. BRÜLS, «La protection des actionnaires en droit communautaire», J.T., 2007, pp. 129-
139; M. DUPLAT, «Le squeeze-out et le sell-out», in La réforme de la réglementation sur les offres publiques
d’acquisition, Journée d’étude Jean Renauld, Waterloo, Kluwer, 2007, pp. 251 et s.; A. BRUYNEEL, «Le droit
des OPA en 2007», J.T., 2007, pp. 569-583; M. VAN DER HAEGEN, «La loi du 1er avril 2007 relative aux offres
publiques d’acquisition : les offres obligatoires, les offres publiques de reprise et le “sell out”», C.J., 2007,
n° 1-2, pp. 13-19. voy. aussi M. VAN DER HAEGEN, «Le nouveau régime des OPA sous l’influence du législateur
européen : exemple d’harmonisation réussie parce qu’imparfaite?», D.A.O.R., 2008, pp. 201-215.
249 C. Arb., 14 mai 2003, T.R.V., 2003, p. 471, note M. WAUTERS ; D.B.F., 2003, p. 301, note L.-F. DU CASTILLON,
«L’offre publique de reprise (“squeeze out”) – Égalité de traitement», p. 307; X. DIEUX, «Examen de juris-
prudence. Droit financier (1990-2003)», R.C.J.B., 2005, pp. 406-408, n° 51.
250 Rapport du groupe de haut niveau d’experts en droit des sociétés, op. cit., pp. 127-128; Le groupe d’experts
considère qu’à l’égard des sociétés fermées, ces considérations se justifient tout autant. Toutefois, étant

84 LARCIER
LA PROTECTION DES ACTIONNAIRES

La situation des actionnaires minoritaires est encore plus défavorable lorsqu’ils


détiennent les actions d’une société affiliée à un groupe dans la mesure où la
défense de l’intérêt de groupe justifie parfois que soient prises des décisions qui
leur sont désavantageuses. L’on peut, dès lors, s’interroger sur l’opportunité de
l’introduction, en faveur des minoritaires d’une société d’un groupe, de modes de
prévention juridique différents de ceux applicables aux minoritaires de sociétés
isolées. À cet égard, il est constaté de longue date que les préoccupations des
minoritaires d’une filiale sont celles que l’on retrouve classiquement dans la plu-
part des sociétés commerciales, à savoir principalement des préoccupations de
transparence 251. En effet, en leur qualité d’actionnaires minoritaires externes au
groupe, ces derniers ignorent souvent la situation réelle de la société, contraire-
ment aux actionnaires majoritaires qui disposent de leurs propres sources d’infor-
mation en raison des liens qui les unissent au groupe. Une telle situation est criti-
quable car elle empêche les minoritaires d’exercer leurs droits en pleine
connaissance de cause. La défense de ces actionnaires semble donc devoir passer
principalement par un renforcement et une amélioration de l’information à leur
égard 252.
Conscient de cette nécessité, le groupe d’experts de haut niveau en droit des
sociétés avait suggéré que soit conféré aux minoritaires un droit d’enquête qui
puisse leur permettre de mettre en œuvre des mesures d’investigation spécia-
les 253. Par ailleurs, la Commission européenne a répondu à ces préoccupations en
soulignant qu’«une information et une transparence complètes sur la structure des
groupes et les relations en leur sein sont un préalable indispensable, si l’on veut

conscient que ces sociétés adoptent généralement des «arrangements spéciaux pour protéger les minorités»,
le groupe a estimé qu’il lui était préférable d’étudier préalablement les véritables besoins de ces sociétés.
251 P. BEZARD et al., Les groupes de sociétés – Une politique législative, Paris, Litec, 1975, pp. 63-64; B. OPPETIT
et A. SAYAG, «Méthodologie d’un droit des groupes de sociétés», Rev. soc., 1973, p. 595; sur l’information
des actionnaires dans les groupes, voy. M. BEJOT, La protection des actionnaires externes dans les groupes de
sociétés en France et en Allemagne, Bruxelles, Bruylant, 1976, pp. 119-151.
252 Dans le même sens, voy. D. SCHMIDT, op. cit., pp. 414 et s. Pour une description de l’information en faveur
des actionnaires, voy. R. PRIOUX et M. CALUWAERTS, «L’information légale des associés des S.A., S.P.R.L. et
S.C.R.L.», in Guide juridique de l’entreprise – Traité théorique et pratique, 2e éd., Waterloo, Kluwer, 2006, liv.
26.2, pp. 7-40. Pour un examen comparé du droit à l’information dans les groupes de sociétés, voy. P. REY-
MOND, «Les groupes de sociétés dans quelques systèmes nationaux : regard particulier sur le droit à l’infor-
mation – Aspects de droit comparé et de droit international privé», in Aspects du droit international des
sociétés, vol. 92, Zurich, Schulthess, 1994, pp. 1-41.
253 Rapport du groupe de haut niveau d’experts en droit des sociétés, op. cit., p. 68. Le groupe d’experts sou-
ligne, en outre, que «les investigations devraient être conduites par le tribunal ou l’organe administratif qui
ordonne les investigations spéciales, ou par des professionnels placés sous sa surveillance. Une telle procé-
dure pourrait constituer un moyen efficace et, dans l’ensemble, relativement peu coûteux de renforcer
l’information des actionnaires». L’on peut toutefois regretter que le groupe ne se soit pas étendu sur les
moyens qui pourraient être mis en œuvre en préférant « laisser aux États membres le soin d’arrêter les
détails de la procédure».

LARCIER 85
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

assurer que leur mode de fonctionnement reste compatible avec les intérêts de
leurs actionnaires et de leurs créanciers, à quelque niveau que ce soit», et que
des «initiatives supplémentaires seraient souhaitables, en vue d’améliorer, dans
la mesure nécessaire, l’information financière et non financière publiée par les
groupes» 254.
La transparence constitue donc un élément central de défense de l’égalité action-
nariale. Il importe, toutefois, de veiller à apprécier cette égalité non seulement au
niveau de la société mais aussi, plus largement, par rapport à l’ensemble du
groupe. À cet égard, l’article 524, §3, alinéa 4 du C. soc., qui prévoit une obliga-
tion de publicité à charge des sociétés cotées pour les décisions motivées par un
dessein de groupe, et plus particulièrement son §7, qui précise que la société est
tenue d’indiquer dans son rapport annuel « les limitations substantielles ou
charges que la société mère lui a imposées» 255, contribuent à répondre à ces pré-
occupations.

254 Commission européenne, Modernisation du droit des sociétés et renforcement du gouvernement d’entreprise
dans l’Union européenne – Un plan pour avancer, n° 3.3.
255 Pour une description non exhaustive de ces limitations ou charges, voy. les exemples cités lors de travaux
préparatoires de la loi : exposé des motifs, Doc. parl., Ch. repr., 2001-2002, n° 1211/001, p. 20.

86 LARCIER
LA PROTECTION DES CRÉANCIERS

CHAPITRE 3
LA PROTECTION DES CRÉANCIERS

SECTION 1
TRANSFERT DE SUBSTANCE
D’UNE SOCIÉTÉ MÈRE VERS SA FILIALE

Il advient régulièrement qu’une société mère soutienne l’une de ses filiales en lui
octroyant, notamment, des aides financières moyennant des conditions particuliè-
rement avantageuses. Cet «appauvrissement» de la société mère au bénéfice de
sa filiale répond, en principe, aux préoccupations de la mère de sauvegarder son
propre intérêt personnel. En effet, le soutien accordé à une filiale permet à la
mère de préserver la réputation du groupe, d’éviter que des reproches émanant
des marchés lui soient adressés et, plus concrètement, de sauver la valeur de ses
participations. Dès lors, cette façon de procéder correspond, dans les limites de la
défense de cet intérêt personnel, à une gestion saine de la société mère.
De la sorte, la circonstance que la société mère a des créanciers n’aboutit pas à
une privation de sa liberté dans l’organisation de ses stratégies de gestion. L’on
peut, au contraire, penser qu’il y va de l’intérêt même des créanciers d’encourager
les décisions qui ont pour conséquence d’assurer la pérennité et le développement
du patrimoine de la société débitrice, en s’octroyant ainsi davantage de garanties
pour le recouvrement de leurs créances.
Cette position semble, par ailleurs, pouvoir être confirmée à l’aune des enseigne-
ments dégagés à propos de l’intérêt de groupe. Nous avons pu, en effet, constater
que les évolutions doctrinales et jurisprudentielles de cette notion se sont limitées
exclusivement aux sacrifices accordés par une filiale au profit de sa mère, sans
tenir compte de la situation inverse. En d’autres termes, l’intérêt de groupe ne
s’intéresse, en effet, aucunement aux relations « descendantes » intragroupes,
c’est-à-dire relatives aux transferts effectués par la société contrôlante en faveur
de la société contrôlée 256. À cet égard, l’on peut se demander pourquoi la juris-
prudence s’est uniquement limitée à consacrer un tel intérêt de groupe à sens
unique. Sans doute a-t-il été jugé que, par un tel transfert, la société mère ne fait

256 Voy. Bruxelles, 15 septembre 1992, J.T., 1993, p. 312; T.R.V., 1994, p. 275 et note A. FRANÇOIS, dont l’arrêt
précise expressément qu’une aide mutuelle entre sociétés d’un groupe se conçoit aisément «lors d’un sou-
tien accordé par la société mère à une de ses filiales car il y va de son propre intérêt » ; voy. aussi
G. KEUTGEN, « Les groupes en regard du droit des sociétés », in Les groupes de sociétés, Fac. Dr. Liège,
C.D.V.A., 1973, n° 43, p. 127; M. DAMBRE, «De bescherming van de schuldeisers van een dochtervennoots-
chap in het internationaal privaatrecht», in Aspects des groupes d’entreprises, Anvers, Kluwer, 1989, p. 229.

LARCIER 87
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

que remplacer l’un de ses actifs par une augmentation corrélative de sa participa-
tion et qu’en conséquence, il se maintiendrait ainsi un équilibre dont les effets
seraient assimilables à une présomption de conformité à l’intérêt de groupe 257. À
défaut de déperditions pour la société mère et dans la mesure où cette dernière,
détenant le contrôle, n’est pas soumise à une politique établie par une entité supé-
rieure, le transfert de valeurs procéderait uniquement d’une décision de gestion
dont l’opportunité est laissée à la libre appréciation de la société mère. De la
sorte, l’aide consentie par une société mère à sa filiale paraissant plus évidente
que le comportement inverse, cette situation serait exclue du champ de l’intérêt
de groupe. L’hypothèse qui nous occupe présentement paraîtrait ainsi moins
contestable que celle d’un transfert d’actifs d’une filiale vers sa mère.
Une telle appréciation est, cependant, difficilement conciliable avec la protection
des créanciers lorsque, en raison de l’aide consentie à la filiale (transferts
d’actifs), la société mère reçoit une contrepartie (valorisation de ses actions) dont
la valeur est moindre que l’actif transféré. Cette situation pourra, notamment, se
présenter lorsque la société qui bénéficie de l’aide est déficitaire et que l’aide
consentie est directement destinée à assurer le paiement des dettes de cette
société. Une telle pratique, qui consiste alors à vider la société mère d’une partie
de ses actifs en vue de gonfler le gage commun des créanciers d’une filiale qui, en
vertu de l’autonomie patrimoniale, n’auraient pas pu normalement y avoir droit a,
en effet, pour conséquence de privilégier volontairement, voire indûment, les
créanciers d’une filiale au détriment de ceux de la mère.
En principe, il n’est pas permis aux créanciers chirographaires de s’opposer aux
transferts d’actifs que la société mère réalise au profit de sa filiale. En effet, en
application du principe de la sujétion uniforme prévu par l’article 7 de la loi hypo-
thécaire 258 et à défaut de sûretés réelles, l’engagement de la société s’étend sur
l’ensemble de son patrimoine, présent et futur, et non sur l’un des quelconques
biens déterminés du débiteur. De la sorte, aussi longtemps qu’aucune mesure
d’exécution forcée n’est intentée, le droit des créanciers n’atteint aucun bien, le
seul droit dont ils disposent portant uniquement sur le patrimoine, considéré
comme une entité distincte des actifs qui le composent 259. La société mère est
donc en droit de disposer librement de son patrimoine. Par ailleurs, à défaut de
droit réel, les créanciers ne bénéficient pas du droit de suite qui leur permettrait
d’étendre leurs actions sur les biens ayant appartenu à la société mère et qui ont

257 Ce qui n’est pas sans conséquence en matière d’appréciation de la responsabilité de la mère.
258 Art. 7 de la loi hypothécaire : «Quiconque est obligé personnellement est tenu de remplir ses engagements
sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présent ou à venir».
259 V. VAN DEN HASELKAMP-HANSENNE, «Le patrimoine», in Guide de droit immobilier, Bruxelles, Story-Scien-
tia, 1991, p. 1; T. TILQUIN, «Le transfert d’une universalité ou d’une branche d’activité», J.T., 1996, p. 496,
n° 9.

88 LARCIER
LA PROTECTION DES CRÉANCIERS

été affectés entre les mains d’une autre société du groupe 260. En conséquence,
seuls les créanciers bénéficiant d’une sûreté réelle, grevant l’un ou plusieurs
biens déterminés de la mère, pourront efficacement se garantir contre les actes de
dispositions posés par cette dernière, même en faveur de sa filiale 261.
Le droit commun offre, toutefois, aux créanciers une série de recours leur permet-
tant d’agir en vue de la conservation de leurs droits, ceux-ci pouvant ainsi sollici-
ter en référé la suspension provisoire de l’exécution de la décision attaquée (art.
179 C. soc.) ou engager la responsabilité de la société mère. En vertu de l’article
1167 du C. civ., les créanciers peuvent également introduire une action pau-
lienne. Cette action a pour objet de rendre «inopposable à un créancier un acte
anormal, déterminant ou aggravant l’insolvabilité de son débiteur, en sorte que le
créancier à la demande duquel il est fait droit, peut exercer ses droits sur les
biens aliénés ou grevés comme si l’acte attaqué n’existait pas» 262. Cette action
sera, cependant, souvent difficile à mettre en œuvre en raison de la rigidité de ses
conditions d’application : i) un acte d’appauvrissement du débiteur, ii) la fraude
de ce dernier, iii) la complicité du tiers, iv) l’antériorité de la créance, ainsi que v)
un préjudice subi par le créancier 263. Par ailleurs, si les conditions de l’action
paulienne ne parviennent à être remplies, les créanciers pourront toujours avoir
recours à l’adage « fraus omnia corrumpit », élevé au rang de principe général de
droit, en vue de rendre inopposable les actes accomplis par leur débiteur en
fraude de leurs droits. Dans ce cadre, il appartiendra, néanmoins, aux créanciers
d’établir l’existence d’un comportement fautif (à savoir la violation d’une disposi-
tion légale ou la méconnaissance d’une norme générale de bon comportement
déterminée par référence au bon père de famille) et frauduleux dans le chef du
débiteur. Par son arrêt du 3 octobre 1997, la Cour de cassation a, à cet égard, pré-
cisé que l’existence d’une fraude implique « la volonté malicieuse, la tromperie
intentionnelle, la déloyauté dans le but de nuire ou de réaliser un gain » 264.

260 M. GRÉGOIRE, Théorie générale du concours des créanciers en droit belge, Bruxelles, Bruylant, 1992, p. 44.
261 Ces créanciers peuvent, en effet, saisir les biens transmis en quelques mains qu’ils se trouvent et percevoir,
en priorité, le prix de leur réalisation. Sur les conséquences découlant des droits de suite et de préférence
conférés aux sûretés bénéficiant d’un caractère réel et pour un examen approfondi de ces dernières, voy.
F. T’KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, 4e éd., Bruxelles, Larcier, 2004,
pp. 107-347.
262 T. TILQUIN, Traité des fusions et scissions, Bruxelles, Kluwer, 1993, p. 327.
263 Ibidem, pp. 327-334; S. NOTARNICOLA, «À propos de l’action paulienne : quand le créancier poursuit la
condamnation du tiers acquéreur au paiement des sommes dues par le débiteur indélicat», R.G.D.C., 2008,
liv. 3, pp. 167-171.
264 Pour une analyse approfondie du principe «fraus omnia corrumpit» et de ses applications pratiques, voy. J.-
F. ROMAIN, Théorie critique du principe général de bonne foi en droit privé, Bruxelles, Bruylant, 2000, pp. 768-
794 ; X. DIEUX, «Développements de la maxime ‘fraus omnia corrumpit’ dans la jurisprudence de la Cour
de cassation de Belgique», in Actualité du droit des obligations, Bruxelles, Bruylant, 2005, pp. 125-154 ;
P. VAN OMMESLAGHE, «Un principe général du droit : fraus omnia corrumpit», in Liber amicorum Paul Mar-

LARCIER 89
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

Enfin, les relations des créanciers à l’égard de la société mère étant généralement
de nature contractuelle, il leur est également loisible de se prémunir des effets
des transferts d’actifs en prévoyant, en pleine connaissance de cause, l’insertion
de clauses spécifiques dans leurs conventions 265.

SECTION 2
L’INTÉRÊT DE GROUPE DANS LES RELATIONS
AVEC LES CRÉANCIERS D’UNE FILIALE

En vertu de sa personnalité juridique, chaque filiale peut entretenir des relations


juridiques avec différents partenaires, à l’instar de n’importe quelle société com-
merciale. Dans la mesure où ces relations visent uniquement les parties en cause,
se pose la question de la prise en considération de la dépendance économique à
laquelle sont sujettes les sociétés groupées 266. En effet, lorsqu’une filiale prend
une décision dans l’intérêt du groupe, celle-ci subit le plus souvent un préjudice
dont les effets peuvent se répercuter sur la situation des droits des parties parte-
naires. Il apparaîtrait donc, à première vue, que la juste protection des créanciers
devrait pouvoir justifier que, dans certaines circonstances, il soit fait abstraction
de la personnalité juridique d’une filiale en vue d’étendre leurs droits à l’encontre
de la société mère lorsqu’elle a contribué à la réalisation du dommage 267. Il serait,
en effet, critiquable d’autoriser que les parties prenantes, qui ont raisonnablement
et personnellement contracté avec la filiale, soient lésées au profit de la défense
d’un intérêt qui leur serait totalement étranger. En outre, contrairement aux modes
de restructuration de sociétés prévus par le Code des sociétés 268, il n’existe
aucune mesure particulière de protection des créanciers leur permettant d’étendre
leurs droits à d’autres sociétés 269.

tens. L’humanisme dans la résolution des conflits. Utopie ou réalité?, Bruxelles, Larcier, 2007, pp. 591-612.
265 X. DIEUX, «La responsabilité des associés en matière de sociétés commerciales», loc. cit., pp. 69-70.
266 Lorsqu’un tiers a contracté avec une société à responsabilité limitée, celui-ci ne dispose, en principe,
d’aucun recours à l’encontre de la société mère, indépendamment de l’importance du lien de participation
que cette dernière détient dans la première.
267 Le voile social des filiales serait ainsi levé au profit d’une protection accrue des parties avec lesquelles elles
entretiennent des relations et qui leur ont accordé leur confiance. Sur la question de la protection des créan-
ciers d’un groupe dans le cadre du régime légal espagnol fondé, à l’instar du droit belge, sur l’indépendance
des sociétés, voy. M. FUENTES, «Corporate Groups and Creditors Protection : An Approach from a Spanish
Company Law Perspective», E.C.F.R., 2007, pp. 529-552.
268 Voy. J. MALHERBE, Y. DE CORDT, P. LAMBRECHT et P. MALHERBE, Droit des sociétés – Précis, 3e éd., Bruxelles,
Bruylant, 2009, pp. 1018, 1059-1064; J. CATTARUZZA, «La restructuration des sociétés commerciales –
Aspects juridiques», in Guide de l’entreprise – Traité théorique et pratique, 2e éd., Waterloo, Kluwer, 2006,
liv. 172.1, pp. 43-45.
269 G. KEUTGEN et F.-X. DUBOIS, «Les procédures collectives face aux groupes de sociétés», in Faillite et concor-
dat judiciaire – Un droit aux contours incertains et aux interférences multiples, 2002, Bruxelles, Bruylant, p. 7.

90 LARCIER
LA PROTECTION DES CRÉANCIERS

L’on peut s’interroger sur la capacité du droit commun de la responsabilité à


répondre aux préoccupations liées à la protection des créanciers des filiales. Il est
vrai qu’en principe, une société mère peut, en sa qualité d’actionnaire, exciper de
la responsabilité limitée de sa filiale pour éviter d’être personnellement tenue des
engagements de cette dernière au-delà de son apport. Toutefois, l’immixtion de la
société mère dans la gestion de sa filiale pourra justifier quelques dérogations au
principe de la responsabilité limitée, de manière à fournir aux tiers lésés les
moyens d’exercer leurs droits à l’encontre des différents auteurs de leur préjudice.
À cet égard, le recours à l’intervention de la société mère pour le recouvrement de
dettes de sa filiale peut se justifier par la mise en cause de sa responsabilité
contractuelle (§1er) ou aquilienne (§2), ainsi que pour certaines fautes commises
dans la gestion de cette filiale (§3). Après avoir décrit ces différentes catégories
de responsabilité, nous examinerons, également, l’opportunité que pourrait avoir
l’introduction, dans notre cadre législatif, d’une responsabilité du fait d’autrui
propre à la situation des groupes de sociétés (§4).

§1. – Responsabilité contractuelle


Dans le cadre de l’organisation des relations contractuelles qu’entretient une
filiale avec ses créanciers, il survient fréquemment qu’une autre société du
groupe, généralement la société mère 270, offre des garanties en couverture des
engagements convenus. Ces garanties peuvent prendre diverses formes, à savoir,
notamment, l’octroi d’avances ou de crédits, l’attribution de sûretés réelles (telles
qu’une hypothèque ou un nantissement) ou de sûretés personnelles (telles qu’un
contrat de cautionnement ou la rédaction de lettres de patronage) 271. L’objectif
consiste ainsi à atténuer les conséquences de l’autonomie patrimoniale par des
aménagements contractuels en faveur des créanciers.

270 L’intervention de la société mère est traditionnellement sollicitée pour des raisons politiques et financières
évidentes. Il arrive, toutefois, que ce soit la filiale qui doive garantir les engagements de la mère, voire d’une
autre filiale. À cet égard, on parlera, selon le cas, de garanties descendantes, ascendantes ou transversales.
Voy. Cass., 7 avril 2005, T.R.V., 2006, pp. 597-601, note E. JENNE ; R.A.B.G., 2006, pp. 280-289, note
S. LOOSVELD ; C.-H. C HENUT, « Les garanties ascendantes dans les groupes de sociétés, ou les sûretés
consenties par les sociétés filles à leurs sociétés mères», Rev. soc., 2003, p. 73 et les références citées.
271 Pour garantir la licéité d’une sûreté octroyée par une société aux fins de garantir l’engagement d’une autre, il
importe de vérifier préalablement la conformité de l’opération avec l’objet social de la société garante et,
plus particulièrement, le respect de sa spécialité légale et statutaire. Pour un examen de cette question, voy.
ibidem, pp. 77-85 ; G. S CHAEKEN WILLEMAERS et J. R ICHELLE, « Sûretés dans un groupe de sociétés –
Réflexions sur les risques et les sanctions pour le bénéficiaire», D.B.F., 2004, pp. 279-282; L. DU JARDIN,
«Le crédit et les garanties entre sociétés groupées», J.T., 2000, pp. 610-611; M. COIPEL, «La spécialité
légale des sociétés quant à leur but et la compatibilité des actes gratuits avec cette spécialité», J.D.S.C.,
2006, pp. 6-12 ; P. HERMANT, « Les groupes de sociétés et le droit financier», in Les groupes de sociétés,
Bruxelles, Séminaire Vanham & Vanham, 2003, p. 16.

LARCIER 91
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

L’octroi de telles garanties par une société mère a pour conséquence d’accroître sa
responsabilité à l’égard de ces créanciers. À cet égard, la nature de cette respon-
sabilité sera sensiblement différente selon que la garantie est interne au groupe
(consentie par la société mère en faveur de sa filiale) ou qu’elle lui est externe
(résultant d’un engagement conclu directement par la société mère avec le créan-
cier de sa filiale).
Lorsqu’une société mère apporte son soutien à sa filiale, il lui importera d’être
particulièrement vigilante à examiner préalablement la situation financière de sa
filiale sous peine de voir sa responsabilité engagée, à l’instar du régime de res-
ponsabilité applicable aux dispensateurs de crédit 272. Si la filiale est déficitaire et
que les chances d’amélioration de sa situation sont faibles, il pourra, en effet, être
imputé à la société mère d’avoir créé une «apparence fallacieuse de solvabilité»
préjudiciable aux tiers 273. La responsabilité de la société mère, bien qu’ayant
pour origine la conclusion d’un contrat, aura, cependant, uniquement la nature
d’une responsabilité aquilienne à l’égard des tiers créanciers, qui, trompés par la
garantie offerte par la mère à sa filiale, ont traité avec cette dernière sur foi d’une
solvabilité d’apparence acceptable 274.
Il arrive, toutefois, fréquemment que le créancier n’accepte de consentir un prêt à
la filiale qu’à la condition que la société mère s’engage personnellement à fournir
une garantie en sa faveur. Souhaitant se rassurer sur la capacité de la filiale à res-
pecter les échéances convenues, le créancier entend ainsi profiter de la situation
intragroupe pour faire supporter à la société mère la charge de répondre, aux côtés

272 Il est, en effet, admis par la doctrine ainsi que par la jurisprudence que tout dispensateur de crédit a l’obli-
gation de s’interroger sur les capacités de remboursement de son débiteur, non seulement à l’égard de lui-
même mais aussi à l’égard des tiers : J.-P. BUYLE, «La responsabilité du banquier face aux entreprises en
difficultés», in La banque face aux entreprises en difficultés, Association belge des banques, 13 mai 1997,
p. 18; A. ZENNER et R. HENRION, «La responsabilité du banquier dispensateur de crédit en droit belge»,
J.T., 1984, p. 475; E. WYMEERSCH, «Enkele technieken van concernrechtelijke aansprakelijkheid», in Liber
amicorum Frédéric Dumon, t. I, Anvers, Kluwer, 1983, p. 322, n° 11; X. DIEUX et Y. DE CORDT, «Examen de
jurisprudence (1991-2005) – Les sociétés commerciales», R.C.J.B., 2008, pp. 473-476; L. DU JARDIN, Un
confort sous-estimé dans la contractualisation des groupes de sociétés : La lettre de patronage, Bruxelles,
Bruylant, 2002, pp. 237-239 et les références citées; Bruxelles, 11 septembre 1987, T.B.H., 1989, p. 7 et
note D. DEVOS ; Bruxelles, 15 septembre 1992, J.T., 1993, pp. 312-315; Comm. Bruxelles, 12 mai 1980, J.T.,
1980, p. 693. Sur la question de l’appréciation du soutien d’une banque à l’égard d’un groupe de sociétés,
voy. Bruxelles, 15 janvier 2010, D.B.F., 2010, p. 185; Comm. Bruxelles, 12 septembre 2000, R.D.C., 2001,
pp. 787 et s., note J.-P. BUYLE et M. DELIERNEUX ; R. ROUTIER, « Groupe de sociétés et soutien abusif :
jusqu’où le banquier est-il responsable?», note sous Cass. fr., 30 septembre 2008, Rev. soc., 2009, liv. 2,
pp. 422-429. La responsabilité de la société mère semblerait, toutefois, devoir être appréciée plus sévère-
ment que celle d’un banquier indépendant, dans la mesure où elle dispose d’un accès privilégié aux infor-
mations de sa filiale et qu’une plus forte crédibilité est généralement reconnue à son soutien : voy. P. VAN
OMMESLAGHE, «Rapport général», loc. cit., p. 119, n° 86; D. OHL, Les prêts et avances entre sociétés d’un
même groupe, Paris, Librairie technique, 1982, p. 273.
273 V. SIMONART, op. cit., p. 544; P. VAN OMMESLAGHE, loc. cit., p. 119, n° 86.
274 Comm. Malines, 7 octobre 1999, T.R.V., 2002, p. 151, note M. DALLE.

92 LARCIER
LA PROTECTION DES CRÉANCIERS

de sa filiale, du juste paiement de ces échéances. Lorsque la société mère a


accordé une sûreté au tiers créancier et qu’elle décide par la suite, en raison des
difficultés financières de sa filiale, de se rétracter unilatéralement en refusant de
rendre pleinement effective la garantie octroyée, celle-ci pourra voir sa responsa-
bilité contractuelle engagée à l’égard de ce créancier.
À cet égard, l’utilisation de divers mécanismes juridiques traditionnels peut
contribuer à apporter une assistance quant à la détermination de la nature et
l’étendue des engagements de la société mère.
Ainsi, le recours à l’interprétation de la volonté des parties pourra souvent s’avé-
rer particulièrement utile pour l’appréciation du caractère contraignant de cer-
taines déclarations contenues, notamment, dans les lettres de patronage. L’impu-
tabilité des faits reprochés sera, en effet, fondamentalement différente selon que
ces déclarations sont dépourvues d’engagement juridique ou qu’elles portent sur
de véritables obligations contractuelles, que celles-ci soient de moyen ou de
résultat 275.
La jurisprudence tire également de la constatation d’une confusion des patri-
moines entre les sociétés du groupe, une justification suffisante pour étendre
l’action en responsabilité des créanciers au-delà de la seule société cocontrac-
tante. Une telle confusion des patrimoines survient, en principe, lorsqu’elle occa-
sionne un désordre ne permettant plus de déterminer les droits de chacune des
personnes morales concernées 276. Toutefois, la jurisprudence admet également les
confusions apparentes, c’est-à-dire celles qui ont pour objet de faire apparaître
plusieurs sociétés comme n’en formant qu’une seule aux yeux des tiers. En appli-
cation de la théorie de l’apparence, des créanciers de bonne foi peuvent ainsi agir
indistinctement contre les diverses sociétés 277. Parmi les faisceaux d’indices rete-
nus généralement par la jurisprudence pour admettre la confusion des patri-
moines, nous pouvons citer, par exemple : l’utilisation commune de personnel, de
lignes téléphoniques ou l’identité de la localisation du siège social entre les socié-

275 L. DU JARDIN, op. cit., p. 4, n° 2; C. JASSOGNE, Traité pratique de droit commercial, t. I, Bruxelles, Story-
Scientia, 1990, p. 623; Gand, 3 juin 1993, D.A.O.R., 1994, p. 99.
276 P. VAN OMMESLAGHE, «Rechtsverwerking en afstand van recht», T.P.R., 1990, pp. 773-774; Liège, 31 mars
1992, J.L.M.B., 1993, p. 81; Comm. Bruxelles, 15 janvier 1980, R.P.S., 1980, p. 157. Voy. aussi B. GRELON
et C. DESSUS-LARRIVE, «La confusion des patrimoines au sein d’un groupe», Rev. soc., 2006, liv. 2, p. 284;
J. CALAIS-AULOY, «Protection des associés et créanciers des groupes de sociétés en droit positif français»,
Droit des groupes de sociétés, Paris, Librairies techniques, 1972, p. 153.
277 Sur la question de la responsabilité de la société mère fondée sur la création d’une situation apparente, voy.
E. WYMEERSCH, «Le droit belge des groupes de sociétés», in Liber Amicorum Commission droit et vie des
affaires, Bruxelles, Bruylant, 1998, pp. 628-631 ; T. TILQUIN, «La gouvernance d’entreprise et les groupes de
sociétés», in Les relations intragroupes, Bruxelles, Bruylant, 2004, pp. 84-85; V. SIMONART, op. cit., pp. 548-
549; P. VAN OMMESLAGHE, «Rapport général», loc. cit., p. 120, n° 87.

LARCIER 93
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

tés du groupe; la tenue d’une comptabilité ne respectant pas la personnalité dis-


tincte de chaque entité; la confusion des comptes en banque; etc. 278.
En outre, en vue de se soustraire à une série d’obligations, certaines sociétés
mères peuvent avoir recours à la constitution d’une filiale n’ayant aucune activité
réelle. Par l’interposition artificielle d’une personne morale, la société mère
entend ainsi profiter des règles de responsabilité limitée pour se désolidariser des
engagements pris par sa filiale. À cet égard, la théorie de l’abus de la personnalité
morale peut être avancée en vue d’outrepasser l’écueil de la personnalité juri-
dique d’une société fictive 279.
Lorsqu’il est reproché à la société mère d’avoir agi fautivement dans le cadre des
relations contractuelles de sa filiale, ces agissements pourront conduire à une
condamnation prenant la forme d’une responsabilité in solidum de ces deux socié-
tés 280.

§2. – Responsabilité aquilienne


Lorsque le préjudice causé à un créancier d’une filiale l’a été par sa société mère,
la responsabilité de cette dernière pourra être engagée sur pied des articles 1382
et 1383 du Code civil, pour autant qu’il lui soit reproché un manquement à la
norme générale de prudence et de diligence, en lien causal avec ce préjudice.
Nous verrons toutefois, dans les lignes qui suivent, que, si la société mère dispose
de la qualité d’administrateur de fait de la filiale, sa responsabilité aquilienne ne
pourra être engagée que moyennant le respect de certaines conditions. La juris-
prudence a, en effet, développé un régime particulier de responsabilité pour les
fautes aquiliennes commises par l’organe d’une société.

278 Voy. C. BRÜLS, «Quelques réflexions juridiques et économiques sur la théorie de la levée du voile social»,
loc. cit., pp. 311-312.
279 L’application de cette théorie n’a, néanmoins, pas pour effet de supprimer rétroactivement la personnalité
juridique des sociétés fictives. En effet, ces sociétés sont généralement constituées moyennant le respect
scrupuleux des dispositions légales et les effets de leur personnalité juridique doivent être respectés. Plus
fondamentalement, une société ne peut, en outre, être déclarée nulle ou inexistante que pour l'une des
causes de nullité limitativement énumérées par le Code des sociétés (voy. art. 454 C. soc.). Or, la fictivité ne
figure pas parmi l'une de ces causes. L’abus de la personnalité morale n’a donc que pour seule conséquence
de permettre d’engager une procédure à l’encontre du véritable «auteur» du dommage. Voy. M. COIPEL,
«Réalité économique ou réalité juridique? La question de la société “paravent” ou question du “voile”»,
J.D.S.C., 2002, pp. 5-7; N. FADEL RAAD, L’abus de la personnalité morale en droit privé, Paris, L.G.D.J.,
1991, pp. 153-154; Bruxelles, 17 janvier 1978, R.P.S., 1978, p. 232.
280 Voy. Comm. Bruxelles, 3 février 1988, J.T., 1988, p. 516 : dans le cadre de l’espèce ayant donné lieu à cette
décision, il a été reproché à une société mère d’avoir influencé sa filiale à rompre abusivement des pourpar-
lers précontractuels.

94 LARCIER
LA PROTECTION DES CRÉANCIERS

§3. – Responsabilité pour fautes de gestion


Le Code des sociétés prévoit de nombreuses dispositions qui peuvent aboutir à
engager la responsabilité d’une société mère lorsqu’elle commet certaines fautes
dans le cadre de la gestion de sa filiale. Parmi ces dispositions, l’on peut citer,
notamment, celles qui permettent d’engager la responsabilité des fondateurs pour
les irrégularités commises lors de la constitution d’une société 281, la responsabi-
lité des administrateurs pour les dommages résultant d’une violation du Code des
sociétés ou des statuts 282, ainsi que la responsabilité incombant aux personnes
ayant commis une faute grave et caractérisée qui a contribué à la faillite d’une
société dont elles ont détenu le pouvoir de gestion 283. Les limites de l’exposé ne
nous permettant pas de décrire plus amplement ces différentes catégories de res-
ponsabilité, aussi importantes soient-elles 284, nous renvoyons le lecteur à la très
abondante doctrine qui leur a déjà été consacrée 285.
Dans le cadre de la présente section, nous examinerons exclusivement l’applica-
tion de la responsabilité pour fautes de gestion, prévue par l’article 527 du
C. soc. 286, dans les rapports mère-filiales. En raison de l’étendue des fautes
visées, cette disposition a, en effet, une vocation plus générale à s’appliquer en
pratique : « les administrateurs […] sont responsables, conformément au droit
commun, de l’exécution du mandat qu’ils ont reçu et des fautes commises dans
leur gestion».

281 Voy. art. 229 (S.P.R.L.), art. 405 (S.C.R.L.) et art. 456 (S.A.) du C. soc.
282 Voy. art. 263 (S.P.R.L.), art. 408 (S.C.R.L.) et art. 528 (S.A.) du C. soc.
283 Voy. art. 265 (S.P.R.L.), art. 409 (S.C.R.L.) et art. 530 (S.A.) du C. soc.
284 L’on peut ainsi remarquer l’attention privilégiée accordée par le groupe d’experts du Forum europeaum à
l’action en comblement de passif en ce qu’elle permet d’assurer «une protection spécifique remarquable aux
créanciers des sociétés d’un groupe, en complétant de façon adaptée aux groupes le dispositif en vigueur
pour les filiales et sous-filiales» (Forum europaeum sur le droit des groupes de sociétés, loc. cit., p. 320). Par
l’introduction de ce mécanisme dans le dispositif légal, le législateur semble avoir condamné implicitement
le recours à la théorie jurisprudentielle de l’extension de faillite au maître de l’affaire. Sur cette question
voy. J.-F. GOFFIN, Responsabilités des dirigeants de sociétés, 2e éd. de l’ouvrage de O. RALET, Bruxelles, Lar-
cier, 2004, pp. 250-257; X. DIEUX et Y. DE CORDT, loc. cit., pp. 468-471, n° 28. Lorsqu’un groupe est insol-
vable, l’ouverture de procédures de faillite distinctes pour chaque société peut poser des difficultés de forme
comme de fond, plus particulièrement lorsque les activités du groupe se déployaient sur des territoires rele-
vant de juridictions différentes. Le groupe d’experts de haut niveau recommande, dès lors, à la Commission
de «prendre une initiative en vue d’examiner les possibilités d’introduire des règles de forme et de fond sur
la consolidation des faillites de groupes de sociétés dans les États membres» (Rapport du groupe de haut
niveau d’experts en droit des sociétés, op. cit., p. 114).
285 Voy. notamment, M.-A. DELVAUX, «Les responsabilités des fondateurs, associés, administrateurs et gérants
des SA, SPRL et SCRL », Droit des sociétés commerciales, SA, SPRL et SCRL, 2e éd., Bruxelles, Kluwer,
2002, pp. 647-728; J.-F. GOFFIN, op. cit., 505 pp.
286 Cette disposition vise exclusivement les sociétés anonymes. Voy. également art. 262 (S.P.R.L.) et art. 408, al.
1er (S.C.R.L.) du C. soc.

LARCIER 95
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

Cette disposition prévoit que la responsabilité des administrateurs ne peut être


engagée que pour les fautes commises dans « l’exécution du mandat qu’ils ont
reçu ». Cette responsabilité a donc une nature contractuelle qui découle de la
mauvaise exécution du mandat confié à l’administrateur et est, en conséquence,
soumise aux dispositions du droit commun du mandat 287. Comme nous aurons
l’occasion de le préciser, ce rapport contractuel ainsi tissé entre la société et
l’administrateur a pour effet d’empêcher, dans la grande majorité des cas, les tiers
de se prévaloir des fautes de gestion commises par un administrateur en vue
d’introduire une action en responsabilité directement à son encontre.
En outre, une faute de gestion doit avoir été commise dans l’exécution de ce
contrat. En raison des spécificités de la mission d’administrateur et des compé-
tences que l’on peut attendre de telles fonctions, la faute est appréciée sur la base
du critère de «l’administrateur normalement prudent et diligent» 288. Cette res-
ponsabilité est donc plus large que celle prévue par l’article 1382 du C. civ., dans
la mesure où le critère utilisé est plus sévère quant à l’appréciation de la faute 289.
Lorsqu’une société fait partie d’un groupe, la faute de gestion commise par l’un de
ses administrateurs doit être appréciée à l’aune de la notion d’intérêt de groupe.
En effet, la bonne exécution du mandat d’administrateur suppose une gestion
conforme aux décisions prises par les sociétés de contrôle, pour autant que les
conditions prétoriennes évoquées précédemment soient respectées. Dès lors,
lorsque le juge apprécie la responsabilité d’un administrateur pour fautes de ges-
tion, il lui importe d’avoir égard à la spécificité des relations qu’entretiennent les
sociétés au sein du groupe. L’appréciation de cette faute doit être faite de façon
marginale, c’est-à-dire en tenant compte des risques inhérents à la vie écono-
mique 290. Par ailleurs, bien que la désignation des administrateurs d’une filiale
procède généralement de l’intervention de la société mère, (qui entend ainsi assu-

287 Art. 1984 et s. du C. civ.; F. PINTE, «Art. 527 C. soc.», in Commentaire systématique du «nouveau» Code des
sociétés, Waterloo, Kluwer, 2004, pp. 4-5.
288 M.-A. DELVAUX et P. DE WOLF, loc. cit., p. 224; J.-F. GOFFIN, op. cit., p. 115, n° 68; Liège, 1er décembre
1969, R.P.S., 1971, p. 281.
289 Pour une énumération exemplative de fautes de gestion, voy. M.-A. DELVAUX et P. DE WOLF, op. cit., p. 224,
n° 31; J.-F. GOFFIN, op. cit., p. 116, n° 69; F. PINTE, loc. cit., pp. 13-15, et les références citées; Bruxelles,
28 septembre 1966, J.T., 1967, p. 97. La faute de gestion est traditionnellement définie comme «tout man-
quement à l’obligation que les administrateurs ont de gérer, suivant le mandat qu’ils ont reçu de la société,
les intérêts de cette dernière en bon père de famille, c’est-à-dire en apportant à cette gestion tous les soins,
toute la diligence avec lesquels un chef de famille est censé administrer le patrimoine familial. Elle peut
être constituée par un fait positif, par une omission ou par une négligence» (Étude sur la question de l’action
sociale et de l’action individuelle des actionnaires dans les sociétés anonymes, Centre d’étude des sociétés
anonymes, Bruxelles, 1937, p. 24).
290 Pour une description de la notion d’«appréciation marginale» du juge, voy. C. PARMENTIER, «La responsabi-
lité des dirigeants d’entreprises en cas de faillite», R.D.C., 1986, p. 748; J.-F. GOFFIN, op. cit., pp. 105-106,
n° 60; F. PINTE, loc. cit., pp. 8-9.

96 LARCIER
LA PROTECTION DES CRÉANCIERS

rer sa représentation au sein de l’organe de gestion de cette filiale), il est de la res-


ponsabilité de ces administrateurs de faire preuve d’indépendance en faisant pré-
valoir l’intérêt de groupe sur l’intérêt exclusif de la société mère, dont ils émanent
pourtant 291.
Au regard de ce qui précède, nous examinerons dans quelle mesure l’immixtion
d’une société mère dans la gestion de sa filiale peut permettre de conférer à la
première la qualité d’administrateur de la seconde, susceptible ainsi de com-
mettre des fautes de gestion au sens de l’article 527 du C. soc. Après avoir mis en
exergue les conditions permettant l’attribution d’une telle qualité, nous analyse-
rons les difficultés rencontrées par les créanciers d’une filiale qui entendent intro-
duire une action en responsabilité pour fautes de gestion à l’encontre de la mère.
Nous verrons, à cet égard, que le caractère contractuel inhérent aux rapports entre
une société et son administrateur est de nature à poser quelques obstacles signifi-
catifs.

A. – Administrateur de fait

Dans les groupes de sociétés, il arrive fréquemment que les décisions prises par
une filiale relèvent d’injonctions imposées par la société mère. Dans ce cadre, la
jurisprudence ainsi que la doctrine ont jugé qu’une telle immixtion pouvait être
tributaire de la qualité d’administrateur de fait, pour autant que plusieurs condi-
tions soient réunies 292.
Ainsi, pour que la qualité d’administrateur de fait soit reconnue à la société mère,
il est nécessaire d’établir que cette dernière a posé des actes de direction ou de
gestion ressortissant à la compétence du conseil d’administration, sans avoir été
régulièrement investie d’un tel pouvoir 293. Pour ce faire, il importe de démontrer
l’exercice d’une participation active de la société mère, en totale indépendance,
dans la gestion ou l’orientation du sort commercial et financier de la filiale 294.

291 P. VAN OMMESLAGHE, «L’acquisition du contrôle d’une société anonyme et l’information de l’acquéreur», loc.
cit., p. 599; E. WYMEERSCH, «Enkele technieken van concernrechtelijke aansprakelijkheid», in Liber Ami-
corum F. Dumon, t. I, Anvers, Kluwer, p. 325; J. HEENEN, «L’intérêt social», loc. cit., p. 897.
292 Liège, 1er décembre 1969, R.P.S., 1971, p. 280 et note C. LEMPEREUR ; Comm. Bruxelles, 3 avril 1984,
R.P.S., 1984, p. 184; Bruxelles, 14 septembre 1988, R.D.C., 1989, p. 171; J.-L. JASPAR et A. DE SMETH, «La
notion de gérant de fait», J.T., 1984, p. 645; P. VAN OMMESLAGHE et X. DIEUX, «Les sociétés commerciales –
Examen de jurisprudence (1979 à 1990)», loc. cit., p. 793, n° 130; J.-F. GOFFIN, op. cit., p. 87, n° 50 et les
références citées; L. BIHAIN, «Responsabilités des dirigeants de sociétés à l’égard des tiers», J.T., 2006,
n° 6230, p. 422, n° 3, et les références citées; J.-P. DOM, «À propos de l’absence d’immixtion dans la ges-
tion d’une filiale par sa société mère», Bull. Joly Soc., 2004, n° 5, pp. 666 et s.
293 P. VAN OMMESLAGHE et X. DIEUX, loc. cit., p. 793, n° 130.
294 O. POELMANS, «L’affaire des “Forges de Clabecq” et le droit de la faillite», note sous Bruxelles, 1er mars
1997, D.A.O.R., 1997, n° 43, p. 78; L. DU JARDIN, op. cit., p. 230. Sur la question de l’exercice de l’activité
en totale indépendance, voy. Comm. Liège, 17 mai 1983, Jur. Liège, 1983, p. 449 et note P. FRANÇOIS ;

LARCIER 97
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

Au regard de ce qui précède, l’administrateur de fait peut donc être défini comme
«toute personne qui, assumant les mêmes fonctions et les mêmes pouvoirs qu’un
dirigeant de droit, exerce en fait, en toute souveraineté et en toute indépendance,
une activité positive de gestion et de direction» 295.
La responsabilité des dirigeants de société étant attachée à la fonction d’admi-
nistrateur 296, une doctrine majoritaire considère que ceux qui exercent en fait
les compétences d’un administrateur rentrent dans le champ de cette fonction,
de telle sorte qu’ils s’exposent aux mêmes responsabilités que leurs homologues
de droit 297. En conséquence, si une société mère est reconnue administrateur de
fait, sa responsabilité devrait pouvoir être engagée sur pied de l’article 527 du
C. soc. Encore faudrait-il, toutefois, qu’une telle action soit introduite valable-
ment.

B. – Action des tiers


à l’encontre d’un administrateur

Comme nous l’avons évoqué, lorsqu’un administrateur agit dans le cadre de ses
fonctions, celui-ci est censé exécuter les obligations découlant d’un mandat
conclu avec la société. Dès lors, les fautes de gestion commises dans les limites de
ce mandat ne peuvent, en tant que manquements purement contractuels, ouvrir
aux tiers le droit de mettre en cause la responsabilité de l’administrateur 298. Ce
principe résulte, en effet, de la relativité des conventions qui exclut qu’un tiers
puisse invoquer à son profit les effets internes d’un contrat.
En outre, l’irresponsabilité des administrateurs à l’égard des tiers pour les engage-
ments de la société est explicitement prévue par l’article 61, §1er du C. soc., qui
consacre la théorie de l’organe en précisant que « les membres [des organes
sociaux] ne contractent aucune responsabilité personnelle relative aux engage-

J.-F. GOFFIN, op. cit., p. 88, n° 50 : «La qualification d’administrateur de fait suppose en outre que l’immix-
tion dans la gestion intervienne sans aucun fondement légal ou contractuel».
295 F.-X. LUCAS, «Action en comblement de l’insuffisance d’actif : le dirigeant de la société mère n’est pas
nécessairement le dirigeant de fait de filiales détenues à 99%», note sous Cass. fr., 2 novembre 2005, Bull.
Joly Soc., 2006, n° 4, pp. 469 et s.
296 M.-A. DELVAUX et P. DE WOLF, loc. cit., p. 207, n° 7.
297 Ibidem, p. 209, n° 9, et les références citées; F. PINTE, loc. cit., p. 2; L. DU JARDIN, op. cit., p. 229, n° 286 :
«La nuance, qui consisterait à apprécier différemment l’administration de fait suivant qu’on se situe dans le
cadre de l’article 530 ou dans celui des articles 527, 528 du Code des sociétés ou 1382 du Code civil,
semble bien peu praticable, notamment lorsqu’on se souvient que ces dispositions sont appelées à se com-
pléter, voire à se superposer»; contra : J.-F. GOFFIN, op. cit., p. 87, n° 50.
298 J. VAN RYN et X. DIEUX, «La responsabilité des administrateurs ou gérants d’une personne morale à l’égard
des tiers», J.T., 1988, p. 400; P. VAN OMMESLAGHE, «Examen de jurisprudence – Les obligations», R.C.J.B.,
1986, p. 188, n° 84.

98 LARCIER
LA PROTECTION DES CRÉANCIERS

ments de la société» 299. En application du mécanisme de la représentation, le


tiers est ainsi considéré comme ayant contracté directement avec le mandant et la
responsabilité du mandataire ne pourra être actionnée qu’en cas de dépassement
des limites de son pouvoir 300.
Toutefois, il existe des situations où l’inexécution (ou l’exécution défectueuse) du
mandat d’administrateur peut également constituer un manquement à l’obligation
générale de prudence et de diligence prévue aux articles 1382 et 1383 du C. civ.
Dans une telle hypothèse, l’on peut s’interroger sur le droit des tiers à introduire
une action en responsabilité aquilienne à l’encontre de l’administrateur fautif,
malgré les conséquences qui découlent de ce mandat.
À cet égard, les juridictions admettent de longue date le recours conjoint aux res-
ponsabilités contractuelle et aquilienne 301. Nous ne développerons pas l’évolution
de cette jurisprudence à propos de laquelle nous renvoyons le lecteur aux nom-
breuses contributions qui abordent cette problématique 302.
Nous retiendrons, toutefois, que lorsque le tiers invoque la responsabilité quasi
délictuelle de la société, la responsabilité de l’administrateur ne pourra également
être engagée que pour autant que la faute commise constitue un manquement
significatif au devoir de loyauté qui s’impose à tout administrateur 303. Lorsqu’il
existe, au contraire, un contrat liant la société au tiers, il devra, en outre, être éta-
bli que le dommage est étranger à la mauvaise exécution de ce contrat 304.

299 Voy. V. SIMONART, «La théorie de l’organe», in Liber amicorum Michel Coipel, Bruxelles, Kluwer, 2004,
pp. 713-732; P. VAN OMMESLAGHE, «Théorie de l’organe : évolution récente», Liber amicorum Michel Coipel,
Bruxelles, Kluwer, 2004, pp. 765-786.
300 Voy. art. 1998 du C. civ.; sur l’application du mécanisme de la représentation, voy. P.A. FORIERS, «Aspects
de la représentation en matière contractuelle», Les obligations contractuelles, Bruxelles, Éd. du Jeune Bar-
reau, 2000, pp. 221-283; P.A. FORIERS, «Actualités en matière de représentation», Actualités du droit des
obligations, Bruxelles, Bruylant, 2005, pp. 1-22.
301 Voy. déjà Cass., 27 mai 1909, Pas., 1909, I, p. 272.
302 Voy. M.-A. DELVAUX et P. DE WOLF, loc. cit., pp. 240-255; L. BIHAIN, loc. cit., pp. 421-427; F. PINTE, loc. cit.,
pp. 10-13 ; P. DE WOLF, « La responsabilité des administrateurs – Variations sur le thème du mandat »,
D.A.O.R., 2005, n° 74, pp. 7-15; X. DIEUX, «La responsabilité civile des administrateurs ou gérants d’une
personne morale à l’égard des tiers : une révolution de velours», in Mélanges John Kirkpatrick, Bruxelles,
Bruylant, 2004, pp. 225-242; X. DIEUX, «La responsabilité civile des dirigeants de la société anonyme :
Questions de principe!», in Actualités en droit des sociétés, Bruxelles, Bruylant, 2006, pp. 117-135.
303 Par un arrêt du 20 juin 2005, la Cour de cassation a décidé que «la faute commise par l’organe d’une société
au cours des négociations préalables à la conclusion du contrat engage la responsabilité directe de cette per-
sonne morale, cette responsabilité n’exclut pas, en règle, la responsabilité personnelle mais coexiste avec
celle-ci» (Cass., 20 juin 2005, D.A.O.R., 2005, liv. 76, p. 340 et note G. GATHEM ; J.T., 2006, liv. 6230,
p. 435, concl. J. LECLERCQ); contra : Cass., 16 février 2001, R.P.S., 2001, liv. 4, p. 348; Pas., 2001, liv. 2,
p. 107 (X. Dieux précise que cet arrêt de 2001 «fait aujourd’hui figure d’accident» : X. DIEUX, loc. cit.,
p. 120).
304 L’arrêt de la Cour de cassation du 7 novembre 1997 précise, à cet égard, que, «lorsqu’une partie contrac-
tante agit par un organe, un préposé ou un agent pour l’exécution de son obligation contractuelle, celui-ci ne
peut être déclaré responsable sur le plan extracontractuel que si la faute mise à sa charge constitue un man-

LARCIER 99
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

Cette dernière exigence relative au caractère du dommage a pour conséquence de


conférer une immunité de principe des administrateurs à l’égard des créanciers
qui ont contracté avec la société. En effet, le dommage invoqué par de tels créan-
ciers s’identifiera généralement à un préjudice découlant de l’inexécution d’une
obligation contractuelle entre la société et le créancier 305.
En conséquence, et sous réserve de quelques situations exceptionnelles, les
créanciers d’une filiale ne peuvent introduire valablement une action en respon-
sabilité directement à l’encontre de la société mère (en sa qualité d’administrateur
de fait). Nous verrons, toutefois, que l’action oblique peut permettre de pallier, en
partie, cette difficulté.

C. – Action de la société
à l’encontre d’un administrateur

La responsabilité des administrateurs reposant sur les principes du mandat, seule


la société mandante est donc susceptible d’introduire une action fondée sur
l’article 527 du C. soc. Dans le cadre d’un groupe de sociétés, l’on peut, sans
grand risque, affirmer qu’une telle action ne sera jamais introduite lorsque la
société mère est administrateur de fait d’une filiale dans laquelle elle détient la
majorité des voix. En effet, hors l’hypothèse de l’action minoritaire, c’est à
l’assemblée générale qu’il incombe d’introduire une action en responsabilité
contre ses administrateurs. Il serait, dès lors, absurde d’imaginer qu’une société
mère puisse, par l’intermédiaire de l’assemblée générale de sa filiale, vouloir
mettre en cause sa propre responsabilité.
Contrairement à la situation des actionnaires, pour lesquels nous avions suggéré
l’instauration d’un mécanisme de protection à l’instar du multiple derivative action
de droit américain, les créanciers peuvent introduire l’action oblique afin d’inten-
ter, en lieu et place de la société qui reste en défaut d’agir, l’actio mandati.
L’action oblique constitue alors une alternative intéressante à la protection des
créanciers, en ce qu’elle leur permet de suppléer à l’inertie de la société contre
ses dirigeants fautifs.

quement non à une obligation contractuelle mais à l’obligation générale de prudence et que si cette faute a
causé un dommage autre que celui résultant de la mauvaise exécution du contrat» (Cass., 7 novembre 1997,
R.C.J.B., 1999, p. 730, note V. SIMONART ; Pas., 1997, I, p. 457). Voy. également, Cass., 29 juin 1989, R.P.S.,
1989, p. 175; Bruxelles, 12 septembre 2003, http://www.juridat.be; Cass., 26 octobre 1990, Pas., 1991, I,
p. 216; R.C.J.B., 1992, p. 497, note R.O. DALCQ.
305 X. DIEUX, «La responsabilité civile des administrateurs ou gérants d’une personne morale à l’égard des
tiers : une révolution de velours», loc. cit., p. 232 : «ce dommage se confond nécessairement avec la priva-
tion de l’avantage que les créanciers s’attendaient à retirer du contrat»; P.-A. FORIERS, loc. cit., p. 9 : «le
dommage invoqué par les créanciers concernés s’identifierait à un défaut de paiement des obligations
contractuelles souscrites à leur égard».

100 LARCIER
LA PROTECTION DES CRÉANCIERS

Cet outil nous paraît, toutefois, insuffisant, dans la mesure où la charge de la


preuve sera particulièrement délicate à supporter par les créanciers, confrontés à
la complexité ainsi qu’au secret des relations intragroupes. Ces relations étant
souvent « obscures, non transparentes et finalement incontrôlables » 306, il leur
sera, en effet, très difficile d’établir, d’une part, l’existence d’une immixtion
intempestive de la mère dans la gestion de la filiale (justifiant qu’elle soit traitée
comme administrateur de fait) 307 et, d’autre part, la commission d’une faute de
gestion en violation de l’intérêt de groupe.

§4. – Quid d’une responsabilité du fait des filiales?


Déjà lors de l’adoption du Code civil, des préoccupations nourries du souci de
l’amélioration de l’indemnisation des victimes et d’une responsabilisation des per-
sonnes investies d’autorité sur autrui ont justifié l’établissement de présomptions
de responsabilité 308. L’article 1384 du C. civ. vise, à cet effet, plusieurs situations
permettant de faire assumer à une personne les agissements d’une autre, placée
sous sa garde ou son contrôle 309. Dans la mesure où le régime ordinaire de res-
ponsabilité débouche sur une série de complications liées à l’autonomie patrimo-
niale, à la fonction d’administrateur, ainsi qu’à la charge de la preuve, on peut
s’interroger sur l’opportunité d’une transposition du régime de responsabilité pour
autrui à la situation des sociétés mères pour les fautes de leurs filiales 310. En
effet, une société mère dispose d’une capacité privilégiée à éviter les comporte-
ments fautifs des filiales soumises à son contrôle. Quid, dès lors, d’un régime de
responsabilité similaire à ceux prévus par l’article 1384 du C. civ. pour la situa-
tion des groupes 311 ?
L’objectif consisterait à éviter l’écueil de l’autonomie patrimoniale pour faire sup-
porter l’indemnisation à celui qui contrôle l’activité de l’auteur du dommage, en
brisant ainsi l’obstacle devant lequel le créancier est toujours confronté : apporter

306 D. SCHMIDT, «La responsabilité civile dans les relations de groupe de sociétés», Rev. soc., 1981, p. 738.
307 Ibidem, p. 729 : «La démonstration de la qualité de dirigeant de fait sera fort difficile pour les raisons déjà
évoquées : la complexité et le secret des relations au sein d’un groupe, l’absence d’informations dont dispose
le créancier, la difficulté de mesurer l’influence de la société dominante et de faire le départ entre le conseil
pressant et l’ordre impératif».
308 Voy. art. 1384 et s. du C. civ.
309 Pour une description du régime de responsabilité du fait d’autrui, voy. T. PAPART, «Responsabilité du fait
d’autrui… Vers une responsabilité objective?», in Droit de la responsabilité, Louvain-la-Neuve, Anthemis,
2008, pp. 53-95.
310 Sur cette question, voy. B. GRIMONPREZ, «Pour une responsabilité des sociétés mères du fait de leurs
filiales», Rev. soc., 2009, pp. 715-733.
311 Sur la question de responsabilité d’une société mère du fait de ses filiales en droit de la concurrence, voy.
F. WENNER et B. VAN BARLINGEN, «European Court of Justice confirms Commission’s approach on parental
liability», Competition Policy Newsletter, 2001/1, pp. 23-27.

LARCIER 101
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

la preuve d’une faute de gestion commise à la tête du groupe. Comme le souligne


M. Grimonprez, «une véritable avancée n’est concevable que si le fardeau de la
preuve n’est plus porté par le demandeur» 312.
S’agissant d’un régime de responsabilité par présomption, il conviendrait d’être
attentif à éviter le danger d’une responsabilisation systématique de la société
mère pour toutes les fautes de sa filiale. Un tel élargissement de la responsabilité
de la société mère pourrait, en effet, avoir un impact négatif sur l’attractivité de la
Belgique en matière de groupes et avoir pour corollaire la fuite des sociétés mères
belges existantes vers des pays étrangers moins répressifs. Par ailleurs, pareil
élargissement aurait pour conséquence de faire supporter une charge excessive à
la société mère, dans la mesure où elle devrait sans cesse s’enquérir du comporte-
ment de sa filiale. Enfin, une telle responsabilisation de la société mère en raison
de la dégradation de la situation d’une filiale présenterait le risque d’étendre le
déclin de cette société à l’entièreté du groupe. Partant, cette systématisation de la
responsabilité affecterait également les intérêts catégoriels de la société mère et,
plus largement, des autres sociétés du groupe.
À cet égard, on l’a vu, l’application conjointe des articles 527 du C. soc. et 1166
du C. civ. (action oblique) permet aux tiers (créanciers) de poursuivre la responsa-
bilité d’un administrateur (société mère), sans avoir égard à la nature, contrac-
tuelle ou extracontractuelle, du lien entre ces tiers et la société mandante (filiale).
Une doctrine majoritaire considère, néanmoins, qu’il importe d’établir une dis-
tinction entre les créanciers volontaires et involontaires de la filiale 313. Cette dis-
tinction s’explique par la constatation que les créanciers volontaires connaissent
le risque qu’ils courent en contractant avec la filiale et peuvent, par conséquent,
prévoir des aménagements lors de la fixation des modalités du contrat, à l’inverse
des créanciers involontaires. Dès lors, la mise en place d’un régime de responsa-
bilité pour autrui se justifierait davantage, sinon exclusivement, en matière extra-
contractuelle 314.
En outre, l’appréciation de la notion de contrôle serait primordiale en ce qu’elle
permettrait d’établir l’existence d’un groupe de sociétés légitimant l’application
du régime. Bien que la notion de contrôle restreigne le groupe dans les limites de

312 Ibidem, p. 731, n° 27. Sur l’examen de cette problématique en droit suisse, voy. A. PETITPIERRE-SAUVAIN,
Droit des sociétés et groupes de sociétés, op. cit., pp. 139-145.
313 Voy. V. SIMONART, La personnalité morale en droit privé comparé, op. cit., p. 475, n° 545; B. GRIMONPREZ, loc.
cit., p. 728, n° 23; L. BIHAIN, loc. cit., p. 427, n° 12.
314 Toutefois, s’il peut être démontré que l’administrateur a commis une fraude ou un dol, les mêmes auteurs
estiment que la protection des créanciers volontaires se justifie autant que celle des créanciers involontaires
(V. SIMONART, op cit., p. 476, n° 545; L. BIHAIN, loc. cit., p. 427, n° 12).

102 LARCIER
LA PROTECTION DES CRÉANCIERS

sa dimension juridique, nous avons évoqué les difficultés qu’une approche écono-
mique pourrait avoir sur la définition des groupes 315.
Toutefois, il existe certains groupes au sein desquels il n’existe aucune interven-
tion active de la mère dans les affaires de sa filiale. Partant, la seule référence au
contrôle paraît insuffisante et il se justifierait, alors, d’exiger également que la
mère exerce effectivement son contrôle sur la filiale. Dans le cas contraire, un tel
régime aboutirait, en effet, à une solution contestable, qui consisterait à soumettre
une société holding purement financière à un régime de responsabilité par pré-
somption identique à celui d’une société mère dictant une véritable stratégie
entrepreneuriale. Nous estimons, dès lors, que, pour pouvoir bénéficier d’un tel
dispositif, les créanciers devraient être en mesure d’établir l’exercice effectif du
pouvoir de la mère. Toutefois, afin de modérer la charge de la preuve incombant à
ces derniers, le degré d’immixtion ne devrait pas être démontré avec la même
intensité que celui permettant la reconnaissance de l’administrateur de fait. Dans
le cas contraire, le fardeau de la preuve incombant aux créanciers rendrait, en
effet, le régime quasi inopérant, dès lors que les éléments à apporter découle-
raient de faits internes au groupe, dont les tiers peuvent avoir très difficilement
connaissance. À notre sens, la preuve de toute ingérence, même raisonnable,
devrait donc pouvoir suffire.
Il en va de même pour l’appréciation de la faute de gestion. Celle-ci étant, en
effet, appréciée à l’aune de l’intérêt de groupe, il sera souvent difficile aux créan-
ciers de disposer de suffisamment d’éléments leur permettant d’établir que le
comportement de la filiale ne répond pas à des exigences économiques justifiées
et proportionnées. Un tel régime de responsabilité ne devrait, toutefois, pas pour
autant libérer les créanciers de toute charge quant à la réalité des reproches
adressés à la filiale. À défaut de devoir établir l’existence d’une faute, ceux-ci
devraient, à tout le moins, établir qu’un acte dommageable a été commis par la
filiale et que cet acte est en relation directe avec l’exercice du contrôle de la
mère 316.
En outre se pose immanquablement la question de la nature de la présomption.
Devrait-il s’agir d’une présomption réfragable, à l’instar de la responsabilité des
parents pour les fautes commises par leur enfant mineur, ou d’une présomption
irréfragable, à l’instar de la responsabilité des maîtres et commettants pour les

315 L’approche économique aurait, en effet, pour conséquence de rendre flou le périmètre des groupes. Voy.
Forum europaeum sur le droit des groupes de sociétés, loc. cit., pp. 64-65.
316 L’on peut comparer cette solution avec le régime français de la responsabilité pour autrui qui n’impose pas
qu’une faute soit établie par la victime. La Cour de cassation de France a, en effet, jugé que la seule
démonstration d’un acte dommageable pouvait suffire à justifier l’application du régime. Voy. Cass. fr.,
13 décembre 2003, D., 2003, p. 234 et note P. JOURDAIN ; T. PAPART, loc. cit., p. 67.

LARCIER 103
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

faits de leurs domestiques ou préposés 317 ? Par souci d’éviter une trop grande
objectivisation de la responsabilité de la société mère, pour les raisons précédem-
ment évoquées, il pourrait être opportun de favoriser un système de présomption
réfragable 318. Afin de renverser cette présomption, la société mère devrait, par
exemple, être en mesure d’établir : i) que le fait reproché à la filiale répond à la
défense de l’intérêt de groupe, ou ii) qu’elle n’aurait pu empêcher la commission
du fait en cause.
L’introduction d’un tel régime de responsabilité du fait des filiales aurait pour
avantage de faire supporter à la mère les agissements fautifs commis dans les
affaires de ses filiales, sans remettre en cause les principes de la personnalité
juridique et de la relativité des conventions. En outre, ce système permettrait de
soulager les créanciers d’une part non négligeable du fardeau probatoire en impu-
tant à la société mère, en tant que personne la mieux informée, la tâche d’établir
que l’intérêt de groupe a été respecté ou qu’elle est étrangère à la décision liti-
gieuse de la filiale.

317 Pour une description du régime de la responsabilité du commettant, voy. P. HENRY, «Le point sur la respon-
sabilité du commettant», in Droit de la responsabilité, Louvain-la-Neuve, Anthemis, 2008, pp. 168-229.
318 Le groupe d’experts de haut niveau souligne, par ailleurs, qu’il est «convaincu que l’existence d’un groupe
de sociétés ne doit pas servir de prétexte à l’abandon du principe de la responsabilité limitée» (rapport du
groupe de haut niveau d’experts en droit des sociétés, op. cit., p. 110).

104 LARCIER
LA PROTECTION DES TRAVAILLEURS

CHAPITRE 4
LA PROTECTION DES TRAVAILLEURS

L’organisation des rapports intragroupes a souvent des implications importantes à


l’égard de la situation des travailleurs dans la mesure où, pour des motifs d’oppor-
tunité économique ou financière, les sociétés du groupe peuvent vouloir mettre en
commun une part de leurs ressources humaines. Il n’est, en effet, pas exclu que le
soutien accordé par une société du groupe à une autre société membre (qu’il
s’agisse d’une société mère ou d’une filiale) ait pour objet le partage ou la cession,
définitive ou temporaire, d’une partie de ses travailleurs. En outre, des transferts
de pôles d’activités s’inscrivant dans le cadre d’opérations de rationalisation
interne peuvent avoir pour conséquence des licenciements ou, à tout le moins,
une perte de certaines compétences spécialisées pour la société transférante.
Dans la mesure où de telles décisions ont des répercussions directes sur les droits
des travailleurs, nous avons jugé utile – malgré l’objet de la présente contribution,
orienté principalement sur des préoccupations du droit des sociétés – d’examiner
les mécanismes juridiques utilisés par le droit du travail pour garantir la protec-
tion de cette catégorie de parties prenantes. Une certaine doctrine commerciale
intègre, en effet, les travailleurs comme véritables stakeholders des sociétés, au
même titre que les actionnaires ou les créanciers. L’attention accordée à leur pro-
tection mérite, dès lors, que nous nous y attardions. Raison pour laquelle nous
nous autorisons une telle incursion dans une autre branche du droit.
La protection des travailleurs est, toutefois, une matière particulièrement large
qui soulève de nombreuses interrogations relatives, notamment, aux conditions de
travail des travailleurs ou à leur régime de sécurité sociale. Ces nombreuses ques-
tions sortant du cadre de la présente contribution, nous avons volontairement
limité l’analyse à trois questions principales, à savoir : i) les relations indivi-
duelles du travailleur avec son employeur en cas de mobilité au sein du groupe,
ii) les obligations sociales incombant au groupe lors de décisions ayant un impact
sur une collectivité de travailleurs, et iii) l’existence d’un organe représentatif des
travailleurs capable de défendre leurs intérêts.

SECTION 1
MOBILITÉ DES TRAVAILLEURS AU SEIN DU GROUPE

En raison, notamment, de la nécessité de pouvoir répondre aux fluctuations


importantes et irrégulières des besoins en quantité de travail ou de l’absence de
moyens financiers suffisants pour engager de nouveaux travailleurs, il peut adve-

LARCIER 105
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

nir qu’un groupe de sociétés procède, en son sein, à des détachements tempo-
raires (§1er) ou à de véritables transferts de travailleurs (§2) entre les entités qui
le composent. Ces opérations ont pour avantage de permettre aux groupes de
répondre aux impératifs de flexibilité que lui impose l’imprévisibilité du marché.
Dans un souci d’anticipation du partage des forces de travail, les sociétés d’un
groupe peuvent également conclure directement avec le travailleur un contrat de
travail multilatéral, afin de lui permettre d’exercer conjointement ses prestations à
leurs égards (§3).
Le contrat de travail faisant l’objet d’une réglementation particulière, nous allons
examiner si de tels mouvements intragroupes sont légalement autorisés et, dans
l’affirmative, leurs conséquences sur la situation du travailleur par rapport,
notamment, au calcul de son ancienneté dans le groupe 319, ainsi qu’à l’étendue
des engagements des sociétés qui l’occupent.

§1. – Le détachement d’un travailleur 320


La notion de détachement peut être définie comme «la situation dans laquelle un
travailleur a été engagé par un employeur dans le cadre d’un contrat de travail et
est envoyé auprès d’une autre société du groupe pour y exercer, en principe tem-
porairement, son activité professionnelle » 321. De la sorte, toute société d’un

319 L’ancienneté est, en effet, une préoccupation essentielle pour le travailleur dans la mesure où elle a une
influence directe sur différents aspects du droit du travail, tels que l’évaluation de la rémunération, la fixa-
tion du nombre de congés extralégaux ainsi que la détermination du délai de préavis en cas de licenciement.
320 Pour une description du détachement des travailleurs dans un contexte international, voy. Y. JORENS (dir.),
Handboek Europese detachering en vrij verkeer van diensten, Bruges, die Keure, 2009, 694 pp. ; A. VAN
R EGENMORTEL et Y. J ORENS (dir.), Internationale detachering, Bruges, die Keure, 1993, 385 pp. ;
M.S. HOUWERZIJL, De Detacheringsrichtlijn. Over de achtergrond, inhoud en implementatie van Richtlijn 96/
71/EG, Deventer, Kluwer, 2005, 428 pp.; O. DEBRAY et C. DIRKX, «Détachements, transferts et salary splits
dans les groupes de sociétés : Aspects de droit social et de droit fiscal», in Le droit des affaires en évolution
– Les relations intragroupes, Bruxelles, Bruylant, 2004, pp. 25-54; Ch.-E. CLESSE, Travailleurs détachés et
mis à disposition – Droit belge, européen et international, Bruxelles, Larcier, 2008, pp. 175 et s.; A. DEFOS-
SEZ, «Détachement des travailleurs, ordre public et dumping social, suite et certainement pas fin…», Rev.
dr. ULg, 2008, liv. 4, pp. 602-612; Ch.-E. CLESSE, «Le détachement de travailleur : questions spéciales et
actualités», in Actualités en droit social européen, Bruxelles, Larcier, 2010, pp. 29-70; P. VAN HAVERBEKE,
«Le détachement de travailleurs d’un pays de l’EEE vers la Belgique : questions pratiques», Ors., 2007,
liv. 3, pp. 8-18; B. LANTIN, «Le détachement des travailleurs étrangers en Belgique», Ors., 2003, liv. 1,
pp. 2-17 ; B. DE PAUW, « Le détachement de travailleurs de la Belgique vers des États non membres de
l’E.E.E. et inversement», Ors., 2001, liv. 4, pp. 100-110. Voy également, Proposition de directive du Parle-
ment européen et du Conseil établissant les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers
dans le cadre d’un détachement intragroupe, 13 juillet 2010, COM(2010) 378 final; cette proposition de
directive, présentée par la Commission européenne, a pour objectif l’harmonisation, dans toute l’Union euro-
péenne, des règles régissant l’admission des travailleurs ressortissants de pays tiers détachés par une entre-
prise dont le siège est situé en dehors de l’Union européenne et envoyés dans une entreprise du même
groupe au sein de l’Union européenne.
321 O. DEBRAY et C. DIRKX, loc. cit., p. 4.

106 LARCIER
LA PROTECTION DES TRAVAILLEURS

groupe (l’employeur) peut détacher l’un de ses travailleurs au profit d’une autre
société (l’utilisateur) sans qu’il ne soit mis fin au contrat de travail originaire et
sans qu’un second contrat ne soit conclu avec le «nouvel employeur».
Il importera, toutefois, de toujours veiller à distinguer la situation dans laquelle le
lien de subordination continue à être exercé par l’employeur initial, de celle où il
est exercé, en tout ou en partie, directement par l’utilisateur. La seconde hypo-
thèse est, en effet, considérée comme une «mise à disposition de personnel», dont
la pratique est strictement réglementée par la loi du 24 juillet 1987 sur le travail
temporaire, le travail intérimaire et la mise de travailleurs à la disposition d’utili-
sateurs 322.
À cet égard, la mise à disposition de personnel est, en principe, prohibée confor-
mément à l’article 31, §1er de la loi du 24 juillet 1987. Pour qu’il y ait mise à dis-
position au sens de cette loi, il est nécessaire qu’elle présente deux caractéris-
tiques essentielles que sont, d’une part, le maintien du contrat de travail dans le
chef de l’employeur à l’égard du travailleur qu’il met à disposition et, d’autre part,
l’exercice par l’utilisateur d’«une part quelconque de l’autorité appartenant nor-
malement à l’employeur d’origine» 323. Aucun contrat de travail ne doit, dès lors,
être conclu entre le travailleur et l’utilisateur, même si un lien de subordination
doit pouvoir être établi entre ces deux parties, en sus de l’autorité normalement
dévolue à l’employeur. De la sorte, lorsqu’une société met à disposition un tra-
vailleur sans que celui-ci ne se retrouve sous l’autorité de l’utilisateur, il ne peut
être question de mise à disposition prohibée 324.
L’article 32 de la loi du 24 juillet 1987 prévoit, cependant, un régime dérogatoire
à l’illégalité de principe de la mise à disposition de travailleurs lorsque cette opé-
ration se réalise «dans le cadre de la collaboration entre entreprises d’une même
entité économique et financière » 325. L’on peut, à cet égard, remarquer que le
recours à la notion d’entreprise s’adapte particulièrement bien à la situation des
groupes dans la mesure où elle correspond à un ensemble de sociétés (juridique-
ment indépendantes) qui dépendent économiquement ou financièrement l’une de
l’autre 326.

322 Ibidem., p. 4; M. GOLDFAYS, «La mise de travailleurs à la disposition d’utilisateurs – Eventually the true
story…», Ors., 2010, liv. 8, pp. 1-19; loi du 24 juillet 1987 sur le travail temporaire, le travail intérimaire et
la mise de travailleurs à la disposition d’utilisateurs.
323 V. PERTRY et S. NERINCKX, «Les nouvelles dispositions en matière de mise à disposition de travailleurs : vers
le détachement?», Ors., 2001, liv. 1, p. 2.
324 Ibidem, p. 3.
325 Art. 32, §1er, al. 2, a) de la loi du 24 juillet 1987.
326 La notion «d’entreprises d’une même entité économique et financière» doit être interprétée à l’aune de
l’arrêté royal du 27 novembre 1973 portant réglementation des informations économiques et financières à
fournir aux conseils d’entreprise. Par ailleurs, pour la définition de l’entreprise, l’article 1er de cet arrêté
royal renvoie à la loi du 20 septembre 1948 portant organisation de l’économie.

LARCIER 107
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

Le bénéfice de ce régime dérogatoire est, néanmoins, subordonné au respect de


cinq conditions cumulatives que nous pouvons résumer comme suit 327 :
1° la mise à disposition doit porter sur un travailleur permanent, c’est-à-dire un
travailleur qui, avant sa mise à disposition, était déjà lié par un contrat de
travail avec son employeur, vis-à-vis duquel il travaille habituellement;
2° la mise à disposition du travailleur doit avoir un caractère exceptionnel pour
l’employeur;
3° la mise à disposition doit être temporaire;
4° une convention tripartite (entre l’employeur, l’utilisateur et le travailleur)
doit être établie avant que ne débute la mise à disposition 328 ;
5° l’utilisateur doit aviser, au moins 24 heures à l’avance, le fonctionnaire com-
pétent au sein de l’inspection sociale.
Le §4 de cette disposition prévoit que, durant la période de mise à disposition, le
contrat de travail liant le travailleur à son employeur continue à sortir ses effets.
La mise à disposition de personnel n’effaçant pas les liens du travailleur avec la
société d’embauche, cette mise à disposition n’a, dès lors, aucune incidence sur le
calcul de l’ancienneté du travailleur détaché. Par ailleurs, il est expressément
prévu que l’utilisateur est solidairement responsable du paiement des cotisations
sociales, rémunérations, indemnités et avantages qui découlent du détachement
du travailleur. Cette responsabilité est, cependant, temporaire et prend fin à
l’échéance de la mise à disposition.

§2. – Le transfert intragroupe


Une solution plus radicale au détachement peut également consister à inter-
rompre, ou à suspendre, la relation de travail entre une société et son travailleur
en vue de le transférer auprès d’une autre société du groupe avec laquelle il
pourra conclure un nouveau contrat de travail.
À cette fin, il est loisible aux parties de s’accorder, dans le cadre de la signature
de ce second contrat, afin que l’ancienneté acquise auprès de la première société
puisse continuer à être valorisée malgré le transfert 329.
Toutefois, à défaut d’une telle reprise conventionnelle de l’ancienneté, le tra-
vailleur peut toujours se prévaloir des articles 59 et 82 de la loi du 3 juillet 1978

327 Pour une description plus complète de ces conditions, voy. O. DEBRAY et C. DIRKX, loc. cit., pp. 10-12;
O. DEBRAY, «Les groupes de sociétés et le droit social : la situation du personnel travaillant pour différentes
sociétés d’un groupe», in Les groupes de sociétés, Bruxelles, Séminaire Vanham & Vanham, 2003, pp. 10-13;
Ch.-E. CLESSE, Travailleurs détachés et mis à disposition – Droit belge, européen et international, op. cit.,
pp. 53-57.
328 Art. 32, §2 de la loi du 24 juillet 1987.
329 O. DEBRAY et C. DIRKX, loc. cit., p. 15.

108 LARCIER
LA PROTECTION DES TRAVAILLEURS

relative aux contrats de travail (ci-après dénommée L.C.T.), qui fixent, respective-
ment, le délai de préavis à notifier aux ouvriers et aux employés. En effet, ces dis-
positions prévoient que les durées de préavis peuvent être aménagées en fonction
de l’ancienneté acquise «au service de la même entreprise» 330 ou «chez le même
employeur» 331.
De la sorte, un travailleur ayant effectué des prestations de travail successivement
auprès de plusieurs personnes juridiques distinctes peut, dans certaines circons-
tances, faire valoir la totalité de ses différentes périodes de travail pour le calcul
de son ancienneté. Pour ce faire, le travailleur doit être en mesure d’établir qu’il a
exercé son activité : i) sans interruption, ii) auprès d’un même employeur 332.
Il est, en effet, requis de longue date que l’occupation d’un travailleur entre la
rupture de son premier contrat de travail et la conclusion du second contrat avec
la nouvelle société soit ininterrompue 333. Dès lors, la circonstance qu’un tra-
vailleur ne soit plus couvert par un contrat de travail – fût-ce pendant la période
transitoire de son transfert – pourra avoir pour conséquence l’annihilation totale
de son ancienneté, et ce, même en cas d’inactivité très brève 334. Dans l’intérêt du
travailleur, il convient donc d’être attentif à ce que la rupture du premier contrat
soit immédiatement suivie par la conclusion du nouveau. Il ne peut, toutefois, être
tenu compte d’une interruption purement juridique, réalisée en dehors de toute
interruption de fait 335.
Afin de déterminer si l’ancienneté résulte de prestations exercées auprès d’un
même employeur, une jurisprudence bien établie considère qu’il y a lieu de se
référer au concept d’« unité économique d’exploitation » que constitue l’entre-

330 Art. 59, al. 3 de la L.C.T.


331 Art. 82, §2, al. 2 de la L.C.T.
332 C. trav. Liège, 16 février 2006, J.T.T., 2006, p. 330; Cass., 2 décembre 2002, Chron. dr. soc., 2003, liv. 4,
p. 166.
333 L’absence d’interruption du travail n’est reprise qu’à l’article 59 de la L.C.T. qui ne s’applique qu’aux seuls
ouvriers. Toutefois, une jurisprudence constante considère que cette exigence doit également s’étendre aux
employés. Voy. Cass., 15 avril 1985, J.T.T., 1985, p. 356; C. trav. Gand, 2 mai 1990, J.T.T., 1990, p. 493;
C. trav. Bruxelles, 26 juin 1991, Chron. dr. soc., 1993, p. 29 ; C. trav. Mons, 14 mai 1992, J.T.T., 1993,
p. 144; C. trav. Liège, 6 mars 1997, J.T.T., 1998, p. 319; C. trav. Mons, 17 juin 1999, J.T.T., 2000, p. 164;
Trib. trav. Bruxelles, 24 octobre 2000, J.T.T., 2001, p. 53; C. trav. Liège, 14 décembre 2000, J.T.T., 2001,
p. 256.
334 La Cour du travail de Liège a ainsi considéré qu’une inoccupation de cinq jours calendrier était suffisante
pour interrompre l’ancienneté. Voy. C. trav. Liège, 16 février 2006, J.T.T., 2006, p. 330; J. CLESSE, «La rup-
ture non motivée», in Contrats de travail : vingtième anniversaire de la loi du 3 juillet 1978, Bruxelles, Éd.
du Jeune barreau de Bruxelles, 1998, pp. 173-174.
335 La jurisprudence paraît, en effet, considérer que l’interruption ne peut être prise en compte lorsqu’il est éta-
bli qu’elle a été imposée par l’employeur à dessein de faire échec aux règles prévues pour le calcul de
l’ancienneté ou en vue de bénéficier d’avantages sociaux. Voy. C. trav. Mons, 14 mai 1992, J.T.T., 1993, p.
144; C. trav. Mons, 17 juin 1999, J.T.T., 2000, p. 164; C. trav. Liège, 15 avril 2002, www.juridat.be, p. 4; C.
trav. Liège, 16 février 2006, J.T.T., 2006, p. 331.

LARCIER 109
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

prise, sans égard à la personnalité juridique des employeurs successifs 336. Ce


concept fait référence à l’existence d’un lien d’entreprise de manière à «totaliser,
au-delà des découpages contractuels, toutes les périodes globalement consacrées
à l’activité professionnelle dans le cadre d’une même unité de production parfois
dénommée communauté de travail » 337. La prise en considération de la réalité
économique des groupes occupe, dès lors, une place prépondérante dans la
mesure où la notion d’entreprise permet d’englober un ensemble de sociétés qui
exercent des activités économiques identiques ou, à tout le moins, similaires ou
complémentaires 338.
Pour qu’un groupe de sociétés puisse être considéré comme constituant un même
employeur, il est donc nécessaire d’établir qu’une destination économique com-
mune est poursuivie par les différentes sociétés. La doctrine et la jurisprudence
s’accordent, en effet, pour considérer que la notion de «même employeur» est
réduite à une continuité économique 339. Il a ainsi été jugé par la Cour du travail
de Liège qu’« un travailleur occupé successivement au service de deux
employeurs – personnes juridiquement distinctes, même dans l’éventualité où
elles exercent simultanément une activité identique, similaire ou complémentaire
– doit être considéré comme ayant été en service auprès d’un “même employeur”
indépendamment des fonctions qu’il a remplies auprès de ces deux employeurs
pour autant que ceux-ci forment une même entreprise ou communauté de
travail» 340.
En conséquence, la simple constatation de l’existence d’un lien juridique entre
les différentes sociétés d’un groupe est sans incidence sur la considération du
groupe comme un même employeur 341 . La circonstance, pour un travailleur,
d’avoir successivement exercé ses prestations en faveur de plusieurs sociétés
composant un groupe financier ne lui permettra donc pas d’établir l’existence

336 Cass., 28 mars 1958, Pas., 1958, I, p. 541; Cass., 9 mars 1992, J.T.T., 1992, p. 219; Cass., 2 juin 1971,
Pas., 1971, p. 930; Cass., 4 février 1991, Pas., 1991, I, p. 536.
337 M. JAMOULLE, Le contrat de travail, t. II, Liège, Faculté de droit, 1986, p. 194.
338 B. PATERNOSTRE, «Modes, congé et préavis», in Le droit de la rupture du contrat de travail, t. I, Bruxelles, De
Boeck-Wesmael, 1990, p. 1994.
339 J. CLESSE, loc. cit., p. 173; C. trav. Liège, 3 mars 1997, J.L.M.B., 1997, p. 1616; Trib. trav. Bruxelles,
24 octobre 2000, J.T.T., 2001, p. 54.
340 C. trav. Liège, 4 mars 1993, Chron. dr. soc., 1993, p. 320. Voy. aussi : Trib. trav. Gand, 14 avril 1995, R.W.,
1996-1997, p. 16.
341 Malgré une jurisprudence ancienne des juridictions de fond en sens contraire, la Cour de cassation a décidé
que l’existence d’un lien de droit entre les employeurs successifs n’était pas une condition nécessaire pour
qu’une unité économique d’exploitation soit reconnue. Voy. Cass., 9 mars 1992, J.T.T., 1992, p. 219, note
C. WANTIEZ ; Cass., 18 mai 1992, Pas., 1992, I, p. 818.

110 LARCIER
LA PROTECTION DES TRAVAILLEURS

d’une unité économique d’exploitation, à défaut pour le groupe de répondre aux


exigences économiques évoquées 342.
À l’exception des dispositions relatives à l’ancienneté, il convient, néanmoins, de
faire remarquer que la loi sur les contrats de travail respecte la frontière des enti-
tés juridiques distinctes 343. À titre d’exemple, la jurisprudence majoritaire consi-
dère ainsi que, même si un travailleur a été au service de plusieurs employeurs
successifs qui constituent, au sens de l’article 82 de la L.C.T., un « même
employeur », le dernier employeur conserve le droit de prévoir une nouvelle
clause d’essai 344.

§3. – Le contrat de travail multilatéral


Afin d’éviter les conséquences liées à la mise à disposition de personnel, les
sociétés d’un groupe peuvent organiser directement la répartition de la force de
travail du travailleur lors de la conclusion de son contrat.
Plusieurs sociétés faisant partie d’un groupe peuvent ainsi conclure avec le même
travailleur des contrats de travail distincts. Le travailleur se retrouve alors sous la
subordination d’une pluralité d’employeurs avec lesquels il entretient des rela-
tions indépendantes soumises aux modalités spécifiques prévues par chaque
contrat. La circonstance que chaque employeur fasse partie du même groupe ne
change rien au caractère autonome des différentes relations de travail, qui s’addi-
tionnent sans se confondre 345. Chaque employeur est donc tenu par des obliga-
tions distinctes découlant du contrat conclu 346.
Par ailleurs, un travailleur peut également être lié à plusieurs employeurs par la
conclusion d’un contrat de travail unique. Ce contrat de travail multilatéral,
conclu entre le travailleur et une pluralité d’employeurs, a pour objet d’engager le
travailleur à exercer ses prestations sous l’autorité patronale conjointe des
employeurs concernés, malgré la personnalité juridique distincte de ces derniers.
Cette pratique contractuelle est admise par une jurisprudence abondante 347,
parmi laquelle nous pouvons citer l’arrêt rendu par la Cour du travail de Liège, le
8 novembre 1996, qui précise que «dans le cadre d’un contrat de travail unique,

342 Voy. C. WANTIEZ et V. VANNES, «La notion d’employeur en droit du travail», in Le contrat de travail et la nou-
velle économie, Bruxelles, Éd. du Jeune barreau de Bruxelles, 2001, pp. 63-64, et les références citées.
343 Trib. trav. Bruxelles, 25 janvier 1995, J.T.T., 1995, p. 89
344 C. WANTIEZ et V. VANNES, loc. cit., pp. 65-66, et les références citées; O. DEBRAY et C. DIRKX, loc. cit., p. 19;
Trib. trav. Bruxelles, 24 octobre 2000, J.T.T., 2001, p. 54.
345 C. trav. Bruxelles, 14 décembre 1994, Chron. dr. soc., 1997, p. 446.
346 Dès lors, chaque employeur devra, notamment, se soumettre à la réglementation relative au travail à temps
partiel contenue à l’article 11bis de la L.C.T.
347 Pour un examen de cette jurisprudence, voy. O. DEBRAY et C. DIRKX, loc. cit., pp. 22-23, et les références
citées.

LARCIER 111
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

un travailleur peut être lié à deux employeurs distincts lorsqu’ils partagent l’exer-
cice des prérogatives patronales et qu’ils sont unis par des liens étroits» 348. La
Cour du travail de Bruxelles a, en outre, rappelé, par son arrêt du 7 octobre 1998,
qu’«aucune disposition légale n’interdit que dans l’exécution d’un même travail
un employé ait deux employeurs» 349.
L’exercice conjoint de l’autorité patronale n’a, toutefois, pas pour conséquence de
faire naître une solidarité entre les employeurs. L’article 1202 du C. civ. dispose,
en effet, que la solidarité ne peut être présumée et qu’elle doit, au contraire,
nécessairement résulter de la loi ou de la volonté expresse des parties. Dans la
mesure où le contrat de travail multilatéral ne rentre pas dans le champ de la loi
sur le travail temporaire, à défaut de mise à disposition de travailleurs, la solida-
rité prévue par l’article 32, §4 de cette législation n’est pas applicable. Il en res-
sort, dès lors, qu’en l’absence de stipulations conventionnelles en sens contraire,
il ne peut être excipé de la seule circonstance que plusieurs employeurs soient
parties à un même contrat de travail pour justifier l’application d’un mécanisme
de solidarité 350.
Une importante exception vient, toutefois, s’ajouter à ce qui précède. Il existe, en
effet, un principe général de droit qui reconnaît que « la solidarité est de droit
entre débiteurs commerçants tenus à une même obligation contractuelle» 351. De
la sorte, le travailleur pourra se prévaloir de la solidarité de ses employeurs
lorsque ceux-ci ont la qualité de commerçant 352.

SECTION 2
IMPLICATION DES TRAVAILLEURS

Lorsqu’un groupe est amené à réorganiser sa stratégie de marché ou privilégie


uniquement le développement de certaines sociétés, les décisions prises peuvent
avoir des répercussions néfastes sur la situation des travailleurs qui, notamment
en raison d’une modification du circuit de production intragroupe, de la remise en
cause de certaines techniques marketing ou de délocalisations, voient souvent
leurs emplois ou leurs conditions de travail menacés.
En vue de prémunir les travailleurs contre de telles conséquences, des mesures
prévues par le droit du travail sont mises en œuvre de manière à impliquer ceux-

348 C. trav. Liège, 8 novembre 1996, J.T.T., 1997, p. 150.


349 C. trav. Bruxelles, 7 octobre 1998, J.T.T., 1999, p. 152.
350 C. WANTIEZ et V. VANNES, loc. cit., p. 55-56; O. DEBRAY et C. DIRKX, loc. cit., p. 23.
351 Cass., 1er octobre 1981, Pas., 1982, p. 171.
352 Voy. art. 1200 et s. du C. civ.

112 LARCIER
LA PROTECTION DES TRAVAILLEURS

ci dans des processus de transparence ou de concertation avec les instigateurs de


ces décisions. Dans ce cadre, nous verrons que l’implication des travailleurs peut
se manifester par une pluralité de moyens permettant aux représentants des tra-
vailleurs d’exercer une influence sur les décisions à prendre au sein du groupe.
Cette influence s’exerce, principalement, à travers l’élaboration de mécanismes
d’information (§ 1er), de consultation (§ 2) ou de participation des travailleurs
(§3) 353. En fonction de la nature des décisions à prendre, la législation sociale a
institué plusieurs catégories d’organes représentatifs des travailleurs, à savoir les
conseils d’entreprise, les comités pour la prévention et la protection au travail
ainsi que les délégations syndicales. Par souci de concision, l’examen sera, toute-
fois, principalement orienté sur l’implication des travailleurs à travers les mis-
sions confiées aux conseils d’entreprise 354.

§1. – L’information
En sus de l’article 15 de la loi du 20 septembre 1948 portant organisation de
l’économie (et ayant institué les conseils d’entreprise) 355 et des dispositions de la
convention collective de travail n° 9 du 9 mars 1972 (ci-après C.C.T. n° 9) 356, le
cœur de la réglementation relative à l’information à communiquer aux travailleurs
ainsi qu’à leurs représentants est contenu dans l’arrêté royal du 27 novembre
1973 portant réglementation des informations économiques et financières à four-
nir aux conseils d’entreprise 357.
Conformément à l’article 1er de cet arrêté royal, le chef d’entreprise, ou son délé-
gué qui l’engage, est tenu de communiquer au conseil d’entreprise «les informa-
tions économiques et financières qui concernent l’entreprise telle que définie à
l’article 14 de la loi du 20 septembre 1948» 358. Ces informations ont pour objectif

353 Cette conception de l’implication des travailleurs est largement inspirée de l’article 2, h) de la directive
2001/86/CE du Conseil du 8 octobre 2001 complétant le statut de la Société européenne pour ce qui
concerne l’implication des travailleurs. L’intérêt de cette directive réside dans les trois modes principaux
d’implication des travailleurs qu’elle détermine, à savoir l’information, la consultation et la participation, et
qui représentent le schéma structurel que nous reprenons pour l’examen de la présente problématique.
354 Pour les comités pour la prévention et la protection au travail, voy. O. RIJCKAERT et P. BRASSEUR, Le conseil
d’entreprise & le comité pour la prévention et la protection au travail, Bruxelles, Kluwer, éd. 2003-2004,
pp. 222-275; pour un examen des compétences des délégations syndicales, voy. W. VAN EECKHOUTTE et
V. NEUPREZ, Compendium social, t. 2, Waterloo, Kluwer, 2009-2010, pp. 1551-1556.
355 Loi du 20 septembre 1948 portant organisation de l’économie.
356 Convention collective de travail n° 9 du 9 mars 1972 coordonnant les accords nationaux et les conventions
collectives de travail relatifs aux conseils d’entreprise conclus au sein du Conseil national du travail.
357 A.R. du 27 novembre 1973 portant réglementation des informations économiques et financières à fournir
aux conseils d’entreprise, M.B., 28 novembre 1973.
358 Par ailleurs, des conventions collectives de travail prévoient également la diffusion d’informations en cas de
transfert conventionnel d’entreprise ou de licenciement collectif. Voy. convention collective de travail n° 24
du 2 octobre 1975 concernant la procédure d’information et de consultation des représentants des tra-

LARCIER 113
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

de fournir aux travailleurs une image claire et correcte de la situation, de l’évolu-


tion et des perspectives de l’entreprise ainsi que de leur permettre d’examiner
l’incidence de ces données sur la politique en matière d’organisation, d’emploi et
de personnel 359.
L’article 14 de la loi du 20 septembre 1948, qui prévoit l’institution de conseils
d’entreprise 360 dans toutes les entreprises qui occupent un certain nombre de tra-
vailleurs 361, précise, en son alinéa, 2, 1°, qu’il faut entendre par entreprise,
«l’unité technique d’exploitation, définie […] à partir des critères économiques et
sociaux», et qu’en cas de doute, les critères sociaux doivent prévaloir 362.
L’existence de critères économiques se caractérise essentiellement par l’identité
de direction des sociétés en cause ou par les liens qui unissent les différentes
activités sur le plan économique. Les critères sociaux s’apprécient, quant à eux,
exclusivement sur la base de la situation des travailleurs qui, en raison de leur
similarité de traitement au sein du groupe, permet de relever de la formation
d’une communauté sociale 363.
Cette seule référence aux aspects économiques et sociaux pour la définition d’une
unité technique d’exploitation est particulièrement audacieuse puisqu’elle permet
de rendre compte du groupe (ou plutôt de l’entreprise) tel qu’il se présente aux
yeux des tiers, en faisant totalement abstraction de l’indépendance juridique des
sociétés qui le composent 364.

vailleurs en matière de licenciements collectifs; convention collective de travail n° 32bis du 7 juin 1985
concernant le maintien des droits des travailleurs en cas de changement d’employeur du fait d’un transfert
conventionnel d’entreprise et réglant les droits des travailleurs repris en cas de reprise de l’actif après
faillite; T. DUQUESNE et J. HICK, «Licenciement collectif et loi de relance économique – L’apparition des pro-
cédures d’information et de consultation dans les “petites” entreprises?», J.T.T., 2009, pp. 353 et s.
359 Art. 3 de l’arrêté royal du 27 novembre 1973.
360 Le conseil d’entreprise peut être défini comme : «un organe composé de façon paritaire au niveau de l’entre-
prise et institué en vue de promouvoir la concertation et la collaboration dans les matières concernant le
travail» (P. HUMBLET et M. RIGAUX, Aperçu du droit du travail belge, Bruxelles, Bruylant, 2004, p. 334).
361 Si l’entreprise n’est pas en mesure de disposer d’un conseil d’entreprise en raison, par exemple, d’un
nombre insuffisant de travailleurs, la délégation syndicale peut exercer les tâches normalement dévolues par
la loi du 20 septembre 1948 à cet organe de représentation. Voy. convention collective de travail du Conseil
national du travail n° 5 du 24 mai 1971 concernant le statut des délégations syndicales du personnel des
entreprises (cette convention collective de travail n’a pas été ratifiée par arrêté royal).
362 Plusieurs arrêts de la Cour de cassation donnent à penser que les critères sociaux sont déterminants, même
en l’absence de critères économiques. Voy. Cass., 22 octobre 1979, Pas., 1980, I, p. 242 ; Cass.,
12 novembre 1979, Pas., 1981, I, p. 330, Cass., 19 décembre 1983, J.T.T., 1984, p. 82. En ce sens, voy. éga-
lement P. VAN OMMESLAGHE, « En guise d’introduction : Entreprise, entreprise en difficulté, concepts
juridiques», loc. cit., pp. 14-17.
363 Pour un examen des critères économiques et sociaux retenus par la jurisprudence, W. VAN EECKHOUTTE et
V. NEUPREZ, op. cit., pp. 1391-1393; O. RIJCKAERT et P. BRASSEUR, op. cit., pp. 34-35.
364 Nous renvoyons, à cet égard, à la présomption prévue à l’article 14, §2, b) de la loi du 20 septembre 1948
dont il a été question lors de l’examen de l’approche des groupes par diverses branches du droit. Pour une
description détaillée de cette présomption, voy. O. RIJCKAERT et P. BRASSEUR, op. cit., pp. 39-50.

114 LARCIER
LA PROTECTION DES TRAVAILLEURS

Lorsqu’une synergie économique et sociale est suffisamment forte entre les socié-
tés du groupe pour que ce dernier puisse être considéré, dans son ensemble,
comme ne formant qu’une seule unité technique d’exploitation, les informations
économiques et financières à communiquer au conseil d’entreprise se confondront
donc avec celles relatives au groupe dans son ensemble. En effet, le conseil
d’entreprise, alors institué au niveau du groupe, pourra se prévaloir de son droit à
obtenir les informations prévues par l’arrêté royal du 27 novembre 1973, ce qui
permet d’assurer aux travailleurs une information optimale sur la situation du
groupe.
Il se peut, toutefois, qu’en raison de l’autonomie des diverses activités qu’il
exerce, le groupe soit considéré comme intégrant plusieurs unités techniques
d’exploitation 365 . Fort de sa volonté de garantir une parfaite information au
conseil d’entreprise sur l’environnement global de l’entreprise, le législateur a
précisé que les informations prévues par l’arrêté royal du 27 novembre 1973
devaient être complétées «par des renseignements relatifs à l’entité économique
ou financière dont l’entreprise fait partie» 366. Bien que l’on puisse regretter que la
notion d’entité économique et financière n’ait pas été définie par l’arrêté royal,
cette précision engendre un élargissement, à l’ensemble du groupe, des informa-
tions à fournir au conseil d’entreprise 367. Par ailleurs, l’article 3, alinéa 3 de
l’arrêté royal du 27 novembre 1973 précise expressément que les informations
prévues doivent permettre de «situer l’entreprise dans le cadre plus large […] du
groupe économique ou financier dont elle fait éventuellement partie» 368.
Enfin, il est intéressant de remarquer l’approche, adoptée par le droit français, qui
consiste à doter les groupes de sociétés d’un comité propre, ce même si les activi-
tés exercées par les sociétés sont totalement étrangères et non complémentaires.
Plus concrètement, deux types de comité peuvent être institués en fonction de la
connexité des différentes activités du groupe. Ainsi, et de façon comparable à ce
qui est prévu en droit belge, un comité central d’entreprise doit être constitué au

365 Comme cela peut également survenir au sein d’une même entité juridique qui poursuit plusieurs activités
distinctes. Voy. P.-P. VAN GEHUCHTEN et P. REYNIERS, « Information et consultation des travailleurs : de
quelques paradoxes du droit du travail à la lumière de la directive 2002/14/CE», loc. cit., p. 108.
366 Art. 1er, al. 2, 2° de l’arrêté royal du 27 novembre 1973.
367 O. RIJCKAERT et P. BRASSEUR, op. cit., p. 132 : «Il serait en effet dépourvu de sens de ne communiquer que
des informations sur l’unité technique d’exploitation lorsque l’existence et l’avenir de cette unité technique
dépendent essentiellement de la situation économique et financière d’un groupe pris dans son ensemble».
Sur l’interprétation, par la doctrine, des notions d’entités économiques et financières, voy. ibidem, pp. 132-
133.
368 Pour une description des différentes informations qui doivent être communiquées au conseil d’entreprise,
voy. ibidem, pp. 136-151; P. HUMBLET et M. RIGAUX, op. cit., pp. 340 et s.; L. BIHAIN et A. FRY, «Quelle
implication des travailleurs dans le processus décisionnel au sein des entreprises?», in L’entreprise et ses
salariés : quel partenariat?, Bruxelles, Bruylant, 2009, pp. 40-65.

LARCIER 115
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

niveau de chaque entreprise, l’entreprise étant considérée comme une «unité éco-
nomique et sociale» qui peut être composée de plusieurs sociétés juridiquement
distinctes à condition que leurs activités soient semblables ou similaires 369. Par
contre, lorsque les activités du groupe sont trop disparates, celui-ci pourra tou-
jours donner lieu à la constitution d’un comité de groupe 370. Ces deux comités ne
peuvent, toutefois, coexister à un même niveau 371.

§2. – La consultation
La consultation des travailleurs a pour objectif de leur permettre d’entamer un
dialogue ou des échanges de vues avec le personnel de direction de leur
employeur, au cours desquels ils pourront formuler leurs avis, suggestions et
objections. Afin de favoriser une telle collaboration, la C.C.T. n° 9 énumère une
série de missions de consultation qui rentrent dans le champ de compétences du
conseil d’entreprise.
L’employeur est, ainsi, tenu d’obtenir préalablement l’avis du conseil d’entreprise
lorsqu’il est appelé à agir, notamment, dans les matières suivantes : la formation et
la réadaptation professionnelles, la politique du personnel, les modifications
structurelles de l’entreprise susceptibles d’influencer l’emploi, etc. 372. Plus
généralement, l’article 15, alinéa 1er, a) de la loi du 20 septembre 1948 dispose
également que «les Conseils d’entreprise ont pour mission, dans le cadre des lois,
conventions collectives ou décisions de commissions paritaires, applicables à
l’entreprise, […] de donner leur avis et de formuler toutes suggestions ou objec-
tions sur toutes mesures qui pourraient modifier l’organisation du travail, les
conditions de travail et le rendement de l’entreprise».

§3. – La participation des travailleurs


Par participation des travailleurs, nous entendons l’influence que peut avoir
l’organe représentant les travailleurs et/ou les représentants des travailleurs sur

369 Sur l’interprétation de la notion d’unité économique et sociale en droit social français, voy. R. DE LESTANG,
« La notion d’unité économique et sociale d’entreprises juridiquement distinctes», Dr. soc., 1979, n° 4,
pp. 5-22; A. SUPIOT, «Groupes de sociétés et paradigme de l’entreprise», R.T.D.comm., 1985, pp. 627 et s.;
M. COHEN, «Les confusions relatives au périmètre de l’unité économique et sociale», R.J.S., 2001, pp. 183
et s.
370 Pour une description du périmètre du groupe de sociétés, voy. F. DURAND et Q. URBAN, «Groupes de
sociétés», Bull. Joly Soc., 2009, vol. 3, n° 445; M. COHEN, Le droit des comités d’entreprise et des comités de
groupe, 8e éd., Paris, L.G.D.J., 2005, pp. 182-189.
371 Un groupe comprenant plusieurs unités économiques et sociales peut être doté d’un comité de groupe. Tou-
tefois, lorsque le groupe se confond avec une unité économique et sociale, seul un comité central d’entre-
prise peut être constitué. Voy. ibidem, pp. 191-193.
372 Art. 8 et s. de la C.C.T. n° 9; pour un examen de la compétence consultative du conseil d’entreprise, voy.
O. RIJCKAERT et P. BRASSEUR, op. cit., pp. 165 et s.

116 LARCIER
LA PROTECTION DES TRAVAILLEURS

les affaires du groupe, i) soit en exerçant leur droit d’élire ou de désigner certains
membres de l’organe de gestion de la société qui les emploie ou, ii) soit en exer-
çant leur droit de recommander ou de s’opposer à la désignation d’une partie ou
de l’ensemble des membres de l’organe de gestion de cette société 373.
En droit belge, la gestion d’une société est effectuée via ses organes de gestion
que sont, principalement, le conseil d’administration ou le gérant 374. Une fois
nommés, ces derniers disposent de pouvoirs de gestion et de décision particulière-
ment étendus, en raison de la compétence résiduaire que leur confère le droit des
sociétés 375. À cet égard, aucune disposition légale ne contraint les sociétés à asso-
cier ou à faire participer les travailleurs, ou leurs représentants, au sein de leurs
organes de gestion 376. En cas de désaccord avec les décisions prises, les tra-
vailleurs ne pourront donc avoir recours qu’à la mise en cause de la responsabilité
des membres des organes de gestion, conformément aux principes qui ont été pré-
cisés lors de l’examen de la situation des créanciers d’une filiale 377. Ils pourront,
par ailleurs, éventuellement demander l’annulation ou la suspension de ces déci-
sions 378.
À défaut de cadre légal permettant la participation des travailleurs dans la gestion
des sociétés isolées, cette participation est a fortiori également exclue pour les
décisions ayant des répercussions sur le groupe. La réglementation sur les conflits
d’intérêts intragroupes prévoit, néanmoins, une importante exception en ce qui
concerne la nomination des administrateurs indépendants. L’article 524, §4, ali-
néa 1er du C. soc. dispose, en effet, que «pour ce qui est des entreprises au sein
desquelles un conseil d’entreprise a été installé en exécution de la loi du 20 sep-
tembre 1948 portant organisation de l’économie, la nomination des candidats en
tant qu’administrateurs indépendants est portée à la connaissance du conseil
d’entreprise préalablement à la nomination par l’assemblée générale».

373 Cette conception de la notion de participation reprend sensiblement celle énoncée à l’article 2, k) de la
directive 2001/86/CE du Conseil du 8 octobre 2001 complétant le statut de la Société européenne pour ce
qui concerne l’implication des travailleurs.
374 Art. 61 du C. soc.
375 En application du Code des sociétés, ceux-ci peuvent exercer tous les actes nécessaires ou utiles à l’accom-
plissement de l’objet social de la société, sauf les compétences limitées qui sont strictement réservées à
l’assemblée générale. Voy. art. 257 ou 522 du C. Soc; F. KÉFER et A. JANSEN, «La participation des salariés
aux organes de direction », in L’entreprise et ses salariés : quel partenariat ?, Bruxelles, Bruylant, 2009,
p. 148.
376 L. BIHAIN et A. FRY, loc. cit., p. 65.
377 Cette responsabilité pourrait, par exemple, être engagée s’il peut être démontré que les informations à com-
muniquer au conseil d’entreprise n’ont pas été transmises de façon régulière. Voy. Comm. Liège, 17 octobre
2003, R.D.C., 2005, p. 429.
378 Sur cette question, voy. D. WILLERMAIN, «L’annulation et la suspension des décisions des organes des
sociétés», loc. cit., pp. 57-102, spéc. pp. 83-84.

LARCIER 117
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

La loi a, en outre, conféré au conseil d’entreprise une compétence de décision et


de gestion dans certaines matières déterminées. L’on peut, dès lors, percevoir à
travers cette compétence l’esquisse d’une véritable participation des travailleurs,
bien que celle-ci soit particulièrement minime 379.
Par ailleurs, l’on peut souligner que le droit belge n’est pas resté insensible à la
mise en place d’un cadre législatif favorisant les plans de participation des tra-
vailleurs au capital et/ou aux bénéfices du groupe 380. Cette participation étant,
toutefois, exclusivement financière, celle-ci ne peut être comprise comme celle
que nous examinons présentement.
Il est intéressant de remarquer que la participation des travailleurs dans la ges-
tion des sociétés peut être fondamentalement différente à l’étranger. À cet
égard, le système de cogestion (la « Mitbestimmung ») du droit allemand, sou-
vent cité comme le modèle de référence en la matière, en constitue un excellent
exemple.
Par application de la loi allemande sur la cogestion de 1976, les sociétés de capi-
taux de plus de 2.000 salariés sont contraintes d’accorder une représentation pari-
taire des travailleurs au sein du conseil de surveillance 381. Cette législation
confère un pouvoir d’influence considérable aux représentants des salariés, dès
lors qu’elle leur octroie le droit de participer au vote au même titre que les action-
naires et, de la sorte, d’être associés à toutes les décisions stratégiques. En outre,
cette législation ne laisse pas en reste la situation des groupes puisqu’elle prévoit,
en son §5, 1°, de considérer les salariés des différentes sociétés du groupe comme

379 Pour une description des compétences de décision et de gestion conférées au conseil d’entreprise, voy.
notamment, art. 15, d) à h) de la loi du 20 septembre 1948; P. HUMBLET et M. RIGAUX, op. cit., pp. 344-345.
380 Loi du 22 mai 2001 relative aux régimes de participation des travailleurs au capital et aux bénéfices des
sociétés. Sur la question de la participation financière des travailleurs, voy. A. AUTENNE, Analyse écono-
mique du droit de l’actionnariat salarié : apports et limites des approches contractualiste, néo-institutionnaliste
et comparativiste de la gouvernance d’entreprise, Bruxelles, Bruylant, 2005, 504 pp.; P. MALHERBE et A. DE
SCHOUTHEETE, « La participation des travailleurs au capital et aux bénéfices des sociétés », J.T., 2003,
pp. 345-356; P. BRAUNS et A. DEPLAE, «Mécanismes d’intéressement. Participation des travailleurs : les
groupes de sociétés », Act. fisc., 2002, liv. 6, pp. 3-5 ; X., La participation financière des travailleurs,
Bruxelles, Bruylant, 1998, 342 pp.; X., La participation des travailleurs au capital et aux bénéfices des socié-
tés, Bruxelles, Bruylant, 2001, 343 pp.
381 Loi du 4 mai 1976 sur la cogestion des salariés («Mitbestimmungsgesetz»), disponible sur : http://
www.gesetze-im-internet.de/mitbestg/index.html; C. BRÜLS, «De quelques droits et obligations des diri-
geants d’entreprises », in Le statut du dirigeant d’entreprise, Bruxelles, Larcier, 2009, pp. 182-184. Sur
l’appréciation des systèmes moniste et dualiste en droit comparé, voy. K. HOPT et P. LEYENS, «Board Models
in Europe», E.C.G.I., 2004, pp. 1-24; P. JANSEN et O. SEUL, «Traditions et perspectives du dialogue social
dans les entreprises et les établissements de l’Union européenne», in L’Europe élargie : la participation des
salariés aux décisions dans l’entreprise, Bern, Peter Lang, 2009, pp. 9 et s.; K. HOPT, «La structure dualiste
en Allemagne : expériences, convergences et particularités d’Outre-Rhin», in La société à directoire, forme
d’élection de la gouvernance ?, colloque organisé à Paris le 15 novembre 2006, disponible sur : http://
www.creda.ccip.fr.

118 LARCIER
LA PROTECTION DES TRAVAILLEURS

s’ils étaient salariés de la société dominante, aux fins d’appliquer les dispositions
relatives à la cogestion. En d’autres termes, les salariés occupés par les filiales ou
sous-filiales du groupe peuvent prendre part à l’élection des membres du conseil
de surveillance de la société dominante et, ainsi, avoir une influence sur les déci-
sions du groupe. Bien que l’on puisse soutenir le principe de l’élaboration d’une
concertation salariale lorsque des décisions importantes doivent être prises, il est,
toutefois, malaisé de porter un jugement de valeur global sur l’intérêt d’une parti-
cipation aussi ancrée des travailleurs. L’opinion des praticiens et des théoriciens
allemands sur l’efficacité et les perspectives de ce régime semble, en effet, parti-
culièrement partagée 382.

SECTION 3
CAPACITÉ À AGIR DES ORGANISATIONS
REPRÉSENTATIVES DES TRAVAILLEURS

En vertu de l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme,


«toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’associa-
tion, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des
syndicats pour la défense de ses intérêts». Cette disposition confère, selon l’inter-
prétation donnée par la Cour européenne des droits de l’homme, aux syndicats le
droit de défendre les intérêts professionnels de leurs adhérents par l’action collec-
tive (que les États doivent à la fois autoriser et rendre possible) 383. À cet égard,
cette action collective comporte, notamment, le droit pour les syndicats de présen-
ter des revendications, d’intervenir pour la défense de l’intérêt collectif du person-
nel qu’ils représentent ou dans l’intérêt particulier d’un agent, d’être des interlo-
cuteurs cherchant à convaincre au nom de leurs adhérents, de recevoir de la
documentation à caractère général concernant la gestion du personnel, de mener
des négociations ou de conclure des conventions collectives.
Notons, toutefois, que pour pouvoir agir valablement, une organisation syndicale
doit généralement répondre à une série de critères représentatifs de son influence
dans le monde du travail. Ainsi, pour que des organisations les plus représenta-
tives des travailleurs soient admises à siéger au Conseil national du travail, il est

382 K. HOPT, «Le gouvernement d’entreprise – Expériences allemandes et européennes», Rev. soc., 2001,
pp. 8-10; N. VERSIEUX, «Allemagne : la cogestion à l’épreuve des restructurations», Les Échos, 22 février
2005, n° 19356, p. 9; R. LASSERRE, «La cogestion allemande à l’épreuve de la globalisation», R.E.A., 2005,
n° 72, pp. 7-16; K. HOPT, «La structure dualiste en Allemagne : expériences, convergences et particularités
d’Outre-Rhin», loc. cit., pp. 7-8.
383 Cour eur. D.H., arrêt Demir et Baykara c. Turquie du 12 novembre 2008, http://www.echr.coe.int, point 140,
et les références citées. L’article 11 est, en effet, susceptible d’application directe en droit interne belge.

LARCIER 119
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

désormais requis, en application de la loi du 30 décembre 2009 portant des dispo-


sitions diverses 384, qu’elles puissent établir le respect de diverses conditions 385.
Par un arrêt du 25 mars 2010, la cour d’appel de Bruxelles a, à cet égard, précisé
que les critères de représentativité exigés pour une organisation syndicale sié-
geant à la commission paritaire nationale ne peuvent être imposés à une organisa-
tion exerçant les attributs syndicaux ordinaires 386. Un juste équilibre doit, en
effet, être établi entre les critères de représentativité imposés et la nature des acti-
vités de l’organisation syndicale.
L’on peut, par ailleurs, s’interroger sur la capacité d’une organisation représenta-
tive des travailleurs à agir lorsqu’un acte ou une omission imputable à un tiers,
telle la communication insuffisante des informations prévues par la loi, porte pré-
judice à ses intérêts et entrave le bon déroulement de sa mission. La question
étant liée à la capacité juridique de telles organisations, celle-ci doit nécessaire-
ment être abordée à travers une réflexion sur l’octroi de la personnalité juridique à
ces dernières.
À cet égard, le droit français a considéré, par un arrêt de la Cour de cassation de
France du 23 janvier 1990, que les comités de groupe disposent de la personna-
lité juridique, en dépit du fait qu’aucun texte légal ne le spécifie expressément 387.
Cet arrêt s’inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence dégagée par un arrêt de
la Cour de cassation de France du 28 janvier 1954 qui précise que «la personna-
lité civile n’est pas une création de la loi; elle appartient, en principe, à tout grou-
pement pourvu d’une possibilité d’expression collective pour la défense d’intérêts
licites, dignes, par suite, d’être juridiquement reconnus et protégés » 388. C’est
donc par une jurisprudence consacrant la théorie de la réalité (qui consiste à faire

384 Loi du 30 décembre 2009 portant des dispositions diverses, M.B., 31 décembre 2009.
385 L’article 91, §4 de la loi du 30 décembre 2009 précise, à cet égard, que l’organisation doit i) être constituée
sur le plan national et avoir un fonctionnement interprofessionnel, ii) représenter l’absolue majorité des sec-
teurs et des catégories de personnel dans le secteur privé et le secteur public, pour autant que la majorité
des travailleurs soit également représentée, iii) au cours de la période de quatre ans précédant les nomina-
tions, compter en moyenne au moins 125.000 membres cotisants, y compris les membres des organisations
affiliées ou associées, et iv) avoir pour objet statutaire la défense des intérêts des travailleurs. Pour un exa-
men critique de ces différents critères, voy. J. JACQMAIN, « Représentativité syndicale », Chron. dr. soc.,
2010, p. 170.
386 Bruxelles, 25 mars 2010, J.L.M.B., 2010, pp. 1964.
387 Cass. fr., 23 janvier 1990, Rev. soc., 1990, p. 445 : «les comités de groupe […] sont dotés d’une possibilité
d’expression collective pour la défense des intérêts dont ils ont la charge et possèdent donc la personnalité
civile qui leur permet d’ester en justice». Sur les conséquences, pour le comité de groupe, du bénéfice de la
personnalité juridique, voy. M. COHEN, op. cit., p. 205; cette question ne s’est pas posée pour les comités
d’entreprise, dans la mesure où la loi leur confère de façon non équivoque la personnalité juridique. Voy.
art. L.2325-1, al. 1er du Code du travail : «Le comité d’entreprise est doté de la personnalité civile et gère
son patrimoine».
388 Cass. fr., 28 janvier 1954, D., 1954, pp. 217 et s., note LEVASSEUR.

120 LARCIER
LA PROTECTION DES TRAVAILLEURS

prévaloir les circonstances de fait sur la volonté du législateur) que la personna-


lité juridique a pu être reconnue en l’espèce 389.
Cette théorie s’oppose à la théorie de la fiction, qui subordonne le bénéfice de la
personnalité juridique à l’intervention du législateur. Cette seconde théorie cor-
respond, sans conteste, à celle retenue par le droit belge, et plus spécifiquement
par un principe général de droit qui veut que la personnalité juridique ne soit
octroyée qu’en vertu de la loi, sauf exceptions prévues expressément par cette der-
nière 390. À cet égard, aucune disposition légale ne contraint les organisations
représentatives des travailleurs à adopter une forme disposant de la personnalité
juridique (par exemple, une A.S.B.L.). Procédant, notamment, du souci d’éviter le
risque qu’une éventuelle personnalité juridique facilite la mise en cause de leur
responsabilité, ces dernières prennent, le plus souvent, la forme d’une association
de fait (dépourvue de toute expression juridique). À défaut de personnalité juri-
dique, ces organisations ne peuvent, dès lors, bénéficier d’un cadre légal leur
conférant une capacité de principe d’ester en justice. Cela ne signifie pas, pour
autant, que ces organisations soient dépourvues de tout moyen d’action. En effet,
dans certains domaines bien circonscrits, le législateur leur a octroyé expressé-
ment une véritable capacité d’agir en justice 391. Cette capacité confère, ainsi, à
ces organisations une «personnalité juridique restreinte», dans la mesure où les
pouvoirs qui en résultent sont uniquement cantonnés aux objectifs et aux droits
consacrés par la loi 392.
Rappelons, toutefois, l’une des règles essentielles du droit judiciaire qui précise
qu’une action ne peut être admise que lorsque le demandeur a qualité et intérêt
pour agir 393. Pour que cet intérêt soit valable, celui-ci doit être direct et person-
nel, en ce sens que les actions populaires sont exclues 394. De la sorte, l’intérêt

389 Pour un examen de la théorie de la réalité, voy. T. TILQUIN et V. SIMONART, Traité des sociétés, t. I, Bruxelles,
Kluwer, 1996, pp. 569-571, n° 748; V. SIMONART, La personnalité morale en droit privé comparé, op. cit.,
pp. 33-37.
390 W. GANSHOF VAN DER MEERSCH, «Propos sur le texte de la loi et les principes généraux du droit», J.T., 1970,
p. 568; Cass., 28 avril 1966, Pas., 1966, I, p. 1087.
391 Voy. notamment, art. 4 de la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commis-
sions paritaires; art. 24 de la loi du 20 septembre 1948 portant organisation de l’économie; art. 32duodecies
de la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail.
392 Sur la question de la personnalité juridique limitée des organisations représentatives des travailleurs, voy.
F. DORSSEMONT, Rechtspositie en syndicale actievrijheid van representatieve werknemersorganisaties, Bruges,
die Keure, 2002, 771 pp.; O. RIJCKAERT et P. BRASSEUR, op. cit., p. 368; M. COIPEL, «Les systèmes d’attribu-
tion de la personnalité morale et la reconnaissance d’une capacité limitée à des groupements qui en sont
dépourvus», J.D.S.C., 2001, pp. 6-8; Bruxelles, 10 février 1997, J.L.M.B., 1997, p. 310; J.T., 1997, p. 179;
Comm. Bruges, 12 octobre 1996, R.D.C., 2007, pp. 514-517, note D. MATRAY ; L. FRANÇOIS, «Les syndicats
et la personnalité juridique», note sous Cass., 28 avril 1966, R.C.J.B., 1968, p. 34; A. SUPIOT, «La protec-
tion du droit d’agir en justice», Dr. soc., 1985, p. 774.
393 Art. 17 du C. jud.; G. DE LEVAL, Éléments de procédure civile, 2e éd., Bruxelles, Larcier, 2005, pp. 17-18.
394 Cass., 19 novembre 1982, Pas., 1983, I, p. 338.

LARCIER 121
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

propre d’une personne morale comprend uniquement ce qui concerne son exis-
tence, ses biens patrimoniaux et ses droits moraux 395. Il apparaît, dès lors, que
lorsqu’une organisation représentative des travailleurs dispose de la capacité
d’agir en justice, elle ne pourra obtenir réparation que de son seul préjudice et
non de celui également causé à l’ensemble de ses membres ou affectant le but
pour la défense duquel elle a été constituée 396.

395 Voy., notamment, Cass., 4 février 2008, http://www.juridat.be.


396 Cass., 19 septembre 1996, Pas., 1996, I, p. 830; R.C.J.B., 1997, p. 105 et note O. DE SCHUTTER, «Action
d’intérêt collectif, remède collectif, cause significative»; G. CLOSSET-MARCHAL, «Vers une reconnaissance
jurisprudentielle de l’action d’intérêt collectif», J.T., 1999, p. 441.

122 LARCIER
CONCLUSION

CONCLUSION

Face à la complexité et la diversité des groupes, le Code des sociétés s’est abstenu
de cloisonner cette réalité dans les carcans d’une définition précise. L’importance
des groupes dans les pratiques commerciales ne pouvant, toutefois, être juridique-
ment ignorée, le législateur a privilégié une approche minimaliste qui consiste à
appréhender les groupes à travers le pouvoir de contrôle qu’exerce une société
mère sur sa filiale. Cette approche, qui permet la reconnaissance d’un groupe au
moyen de divers critères techniques, présente l’avantage de simplifier l’impréci-
sion découlant de l’organisation économique des groupes. Par ailleurs, en se réfé-
rant à ce concept, le législateur tente d’empêcher que, via le recours à des socié-
tés appartenant à un même groupe, les règles de fonctionnement des sociétés ne
soient trop aisément contournées.
Les difficultés liées à la perception juridique des groupes résident également dans
«l’ambivalence fondamentale» qui caractérise l’articulation des deux facettes de
leur réalité 397. En effet, la reconnaissance juridique du groupe comme une unité
aboutit à occulter la multiplicité des sociétés qui le composent alors qu’à
l’inverse, l’autonomie juridique de ces différentes sociétés rend malaisée l’instau-
ration d’une personnalité juridique englobante qui se superposerait, en quelque
sorte, à celles qui existent déjà.
Les effets de la réalité économique sur la reconnaissance juridique des groupes
sont, cependant, fortement différents selon la branche du droit envisagée. Selon
les cas, le groupe est nié au bénéfice de l’indépendance juridique des sociétés qui
le composent ou est appréhendé comme une «unité technique d’exploitation»,
voire comme une «entreprise». Par ailleurs, le droit belge des sociétés est fondé
sur le postulat de l’indépendance des sociétés, ce qui a pour conséquence que
toute atteinte au principe de l’autonomie juridique doit nécessairement être inter-
prétée comme une exception.
L’absence de traduction juridique exhaustive et cohérente des groupes n’est, tou-
tefois, pas exclusive de l’existence et du développement d’un droit des groupes en
droit des sociétés. Ainsi, la notion d’intérêt de groupe a progressivement fait sur-
face pour permettre à des opérations normalement considérées comme illégales
d’être autorisées moyennant le respect de plusieurs conditions ayant pour but de
sauvegarder, dans une certaine mesure, l’équilibre entre les différentes sociétés.

397 C. HANNOUN, «La réalité juridique de l’entreprise. Réflexions sur la perception par le droit de la réalité
matérielle de l’entreprise», Entreprises et histoire, 2009, n° 57, p. 192.

LARCIER 123
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

Le respect de cet intérêt de groupe n’implique pas, toutefois, qu’aucune mesure


de protection ne doive être mise en œuvre à l’égard des actionnaires minoritaires
et des créanciers de chaque société. Ces catégories d’intérêts particuliers contri-
buent, en effet, au bon fonctionnement des activités et participent au maintien de
la confiance des différents acteurs économiques vis-à-vis du groupe. Ils ne peu-
vent donc être sacrifiés sur l’autel du groupe, sous prétexte de réalités écono-
miques. À cet égard, le recours au droit commun permet déjà, dans une large
mesure, de répondre efficacement à une série de préoccupations. Cependant, ces
mesures s’avèrent insuffisantes dans plusieurs situations et ne peuvent donc
garantir, à elles seules, une véritable protection de ces parties prenantes. En effet,
la personnalité juridique des différentes sociétés composant le groupe – avec
l’autonomie patrimoniale et la responsabilité limitée qui en découlent – constitue
souvent un obstacle majeur aux droits de ces parties à agir contre d’autres sociétés
ayant participé à l’opération critiquée. En d’autres termes, si l’on peut saluer le
pragmatisme issu de la reconnaissance de l’intérêt de groupe, l’on peut également
s’interroger sur l’insécurité juridique découlant de l’absence de cadre législatif
entourant ce droit prétorien.
La construction d’un droit des groupes signifie qu’une réglementation doit pro-
gressivement être élaborée, et mise en œuvre, en vue d’améliorer la situation des
parties prenantes en raison du lien spécifique qui les unit au groupe. On peut,
toutefois, s’interroger sur l’opportunité d’une intervention législative coercitive
qui, basée sur la mise en place d’un corps de règles strictement défini, aurait
vocation à s’appliquer de façon homogène à l’égard de l’ensemble des groupes.
Les initiatives de l’Union européenne (telles que le projet Sanders sur la société
européenne et le projet de neuvième directive sur les groupes de sociétés) ainsi
que les nombreuses propositions de loi françaises ont, en effet, mis en exergue les
difficultés ainsi que les inconvénients liés à l’instauration d’un tel régime englo-
bant. Par ailleurs, le régime du Konzernrecht du droit allemand est souvent perçu
comme un échec par les juristes confrontés à la pratique de cette législation. En
lieu et place d’une réglementation englobante, il paraît, dès lors, se dessiner une
volonté, partagée par une majorité d’auteurs, de favoriser une approche plus poin-
tilliste, tendant à instaurer des mesures complémentaires sans altérer l’approche
individualisante du droit des sociétés. Les groupes se caractérisent, en effet, par
une multitude de préoccupations économiques sous-jacentes et de formes organi-
sationnelles distinctes, propres à satisfaire divers objectifs disparates. De la sorte,
il serait préférable de conférer à ce particularisme une approche juridique fondée
davantage sur la flexibilité que sur la normativité. Il semble, dès lors, qu’une
réglementation ponctuelle du droit des groupes, traitant uniquement de certaines

124 LARCIER
CONCLUSION

difficultés particulières, telles que la protection des actionnaires minoritaires, des


créanciers ou de la société doive être privilégiée 398.
Une telle réaction législative entrerait, par ailleurs, dans la droite ligne de la posi-
tion retenue en 2003 par la Commission européenne, qui précisa que «les États
membres devraient être tenus de mettre en place une règle-cadre sur les groupes
qui permettrait aux dirigeants de sociétés appartenant à un même groupe d’adop-
ter et de mettre en œuvre une politique de groupe coordonnée, pour autant que les
intérêts des créanciers de ces sociétés soient efficacement protégés et qu’un juste
équilibre entre les intérêts des différents actionnaires soit garanti dans la
durée» 399. À cet égard, on peut regretter qu’à l’issue de la consultation sur «les
priorités futures pour le Plan d’action sur la modernisation du Droit des sociétés et
le renforcement du gouvernement d’entreprise dans l’Union européenne» menée
par la Direction générale «Marché et services» (sous l’égide du Commissaire C.
McCreevy) 400, il ait été décidé de ne pas poursuivre ce projet 401. Cette absence de
prise en considération des groupes était sans doute motivée par des considérations
techniques, liées aux difficultés de mettre en place un corps de règles commun,
compte tenu des aspects transfrontaliers au sein desquels les groupes s’intègrent.
Gageons, toutefois, que sous l’égide du Commissaire M. Barnier, le sujet de
l’appréhension juridique des groupes bénéficiera d’un regain d’intérêt.
Certes, il est particulièrement délicat de cibler les différentes mesures à prendre
qui, tout en protégeant des intérêts catégoriels, n’aboutiront pas à générer une
réglementation trop rigide et partant, inapte à s’adapter aux réalités fluctuantes

398 Le groupe d’experts de haut niveau était, à cet égard, d’avis qu’il n’est pas souhaitable de promulguer «une
législation autonome traitant spécifiquement des groupes » et recommandait de s’intéresser surtout à
«examiner les possibilités de modifier certaines dispositions actuelles du droit des sociétés afin de prendre
en compte certains problèmes particuliers».
399 Commission européenne, Modernisation du droit des sociétés et renforcement du gouvernement d’entreprise
dans l’Union européenne – Un plan pour avancer, n° 3.3. Cette position est conforme à celle qui avait égale-
ment été retenue par le groupe d’experts de haut niveau qui souligna qu’il est «largement reconnu que les
groupes de sociétés présentent à divers niveaux des risques spécifiques pour les actionnaires et les
créanciers : le processus de consultation a montré que les milieux économiques jugeaient indispensable de
mieux protéger certains intérêts» (Rapport du groupe de haut niveau d’experts en droit des sociétés, op. cit.,
p. 114).
400 Cette consultation était composée de quatorze questions principales visant à apporter un éclairage, notam-
ment, sur le maintien de la pertinence des mesures de moyen et long termes à la lumière de l’agenda de Lis-
bonne. L’objectif était, ainsi, de réorienter les ressources de la Commission et des États membres vers les
domaines qui pouvaient réunir une certaine convergence de vue sur la nécessité des projets sous examen.
Voy. Directorate General for Internal Market and Services, Consultation on future priorities for the Action
Plan on Modernising Company Law and Enhancing Corporate Governance in the European Union,
20 décembre 2005, spec. pp. 10-11, http://ec.europa.eu/internal_market/company.
401 Directorate General for Internal Market and Services, Consultation and Hearing on future priorities for the
Action Plan on Modernising Company Law and Enhancing Corporate Governance in the European Union,
7 juillet 2006, p. 22, http://ec.europa.eu/internal_market/company.

LARCIER 125
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

des groupes, compte tenu de l’environnement politique et juridique du pays envis-


agé. Comme le fait remarquer Mme Autenne, «l’efficacité relative d’un système de
gouvernance est jugée à l’aune de sa plus ou moins grande faculté d’adaptation au
contexte dans lequel il s’insère. En d’autres termes, elle se mesure à son caractère
plus ou moins flexible, c’est-à-dire à sa capacité à s’adapter et à réagir plus ou
moins rapidement à un environnement changeant. Le succès d’un système de gou-
vernance dépend de la faculté de ce dernier à accomplir, à l’aide d’une série de
dispositifs institutionnels forgés par l’histoire et la politique, les fonctions néces-
saires à la réalisation d’une production suffisante» 402.
Pour assurer la protection des actionnaires minoritaires et des créanciers, tout en
laissant au groupe le soin de mener une politique collective et cohérente, nous
pensons qu’il serait opportun d’introduire, à l’instar de la réglementation sur les
conflits d’intérêts, d’autres mécanismes légaux (tels que la multiple derivative
action, la responsabilité du fait des filiales ou le droit de retrait en faveur des
actionnaires minoritaires), qui, en vue de poursuivre un objectif supérieur de
sécurité et de prévisibilité, affecteront partiellement les effets de la personnalité
juridique. Comme le précise M. Grimonprez, il nous paraît, en effet, que
«l’édiction d’une disposition légale audacieuse, aux conditions ciselées, répon-
drait aux impératifs de prévisibilité et de sécurité juridique mieux que ne le fait
actuellement un droit positif illisible et éclaté» 403.
Ainsi, l’examen de la protection des travailleurs au sein des groupes a permis, tout
spécialement, de montrer que certaines disciplines juridiques parviennent à bri-
ser l’écran juridique qui s’interpose entre les différentes sociétés, en utilisant des
concepts sui generis, émanant tant du législateur que de la jurisprudence, qui se
fondent, tantôt sur la primauté des aspects économiques 404, tantôt sur la prédomi-
nance de critères sociaux 405. Cet examen a également démontré l’efficacité d’une
intervention législative distincte de celle du droit des sociétés pour protéger les
travailleurs, permettant ainsi de percevoir les limites du droit des sociétés et de
constater qu’il ne doit pas, à lui seul, régler l’ensemble de la problématique des
groupes. C’est donc par une application conjointe, coordonnée, et éventuellement
concertée, des différentes branches du droit qu’une réglementation cohérente,
adaptée aux particularités des groupes, devrait pouvoir être trouvée.

402 A. AUTENNE, «Le droit des offres publiques d’achat : Éléments d’analyse économique néo-
institutionnaliste», in La réforme de la réglementation sur les offres publiques d’acquisition, Waterloo, Kluwer,
2007, pp. 358-359.
403 B. GRIMONPREZ, «Pour une responsabilité des sociétés mères du fait de leurs filiales», loc. cit., p. 733,
n° 29.
404 Voy. la notion d’«unité économique d’exploitation» utilisée pour déterminer l’ancienneté acquise auprès
d’un même employeur.
405 Voy. la notion d’«unité technique d’exploitation» utilisée pour définir l’entreprise au sein de laquelle doit
être institué un conseil d’entreprise.

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142 LARCIER
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TABLE DES MATIÈRES

PRÉFACE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9

INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13

PREMIÈRE PARTIE
LES GROUPES DE SOCIÉTÉS
ET LE DROIT

CHAPITRE 1. – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS : RÉALITÉ FACTUELLE


ET CONSÉQUENCES JURIDIQUES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23

SECTION 1. – APPROCHE FACTUELLE DES GROUPES .................... 23

§1. – Les groupes comme manifestation de l’actionnariat de contrôle . . 23

§2. – Typologie des principales formes de concentration de sociétés . . . . 25

SECTION 2. – LE RÉGIME JURIDIQUE DES GROUPES : ENSEIGNEMENTS DU


DROIT BELGE, INCIDENCE DU DROIT DE L’UNION EUROPÉENNE ET
ÉLÉMENTS DE DROIT COMPARÉ .................................. 29

§1. – Les groupes en droit belge des sociétés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30

A. – Notion de groupe de sociétés. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30

B. – Absence de reconnaissance ad hoc des groupes de sociétés . . . . . 34

§2. – Les groupes à travers d’autres branches du droit belge :


appréhension polysémique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35

§3. – L’expérience du droit de l’Union européenne face aux groupes . . . 39

§4. – La reconnaissance des groupes en droit comparé : l’exemple du


droit allemand («Konzernrecht») . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44

§5. – Les nombreuses hésitations du droit français face aux groupes . . . 48

LARCIER 143
F. MAGNUS – LES GROUPES DE SOCIÉTÉS ET LA PROTECTION DES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

CHAPITRE 2. – L’INTÉRÊT DE GROUPE : CONSÉCRATION JURI-


DIQUE DE LA RÉALITÉ ÉCONOMIQUE DES GROUPES . . . . . . . . . . 51

SECTION 1. – L’INTÉRÊT SOCIAL : UN CONCEPT UNIQUE AUX MULTIPLES


ACCEPTIONS ................................................ 52

§1. – L’intérêt social : défense de l’intérêt des seuls actionnaires . . . . . . 53

§2. – L’intérêt social : défense de l’intérêt des actionnaires et des


intérêts externes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54

SECTION 2. – L’INTÉRÊT DE GROUPE ............................... 55

§1. – Poursuite d’un intérêt commun apprécié au regard d’une


politique de groupe. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58

A. – Quand y a-t-il un intérêt commun? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58

B. – L’organisation d’une politique de groupe . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59

§2. – Existence d’une contrepartie ou absence de rupture d’équilibre . . 60

§3. – Proportionnalité par rapport aux possibilités financières de la


société concernée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62

DEUXIÈME PARTIE
L’INTÉRÊT DE GROUPE
ET LES INTÉRÊTS CATÉGORIELS

CHAPITRE 1. – LA PROTECTION DE LA SOCIÉTÉ : RÉGLEMEN-


TATION DES CONFLITS D’INTÉRÊTS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69

CHAPITRE 2. – LA PROTECTION DES ACTIONNAIRES . . . . . . . . . . . . . . 75

SECTION 1. – LA DÉFENSE DES DROITS DES ACTIONNAIRES MINORITAIRES DE


LA SOCIÉTÉ MÈRE CONTRE LES DÉCISIONS PRISES AU SEIN DES FILIALES
(PROBLÈME DE L’ACTIONNARIAT INDIRECT) ........................ 75

SECTION 2. – LA DÉFENSE DES DROITS DES ACTIONNAIRES MINORITAIRES


D’UNE FILIALE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80

144 LARCIER
TABLE DES MATIÈRES

CHAPITRE 3. – LA PROTECTION DES CRÉANCIERS . . . . . . . . . . . . . . . . 87

SECTION 1. – TRANSFERT DE SUBSTANCE D’UNE SOCIÉTÉ MÈRE VERS SA


FILIALE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87

SECTION 2. – L’INTÉRÊT DE GROUPE DANS LES RELATIONS AVEC LES


CRÉANCIERS D’UNE FILIALE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90

§1. – Responsabilité contractuelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91

§2. – Responsabilité aquilienne. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94

§3. – Responsabilité pour fautes de gestion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95


A. – Administrateur de fait . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97

B. – Action des tiers à l’encontre d’un administrateur . . . . . . . . . . . . 98

C. – Action de la société à l’encontre d’un administrateur . . . . . . . . . 100

§4. – Quid d’une responsabilité du fait des filiales? . . . . . . . . . . . . . . . . 101

CHAPITRE 4. – LA PROTECTION DES TRAVAILLEURS . . . . . . . . . . . . . . 105

SECTION 1. – MOBILITÉ DES TRAVAILLEURS AU SEIN DU GROUPE .......... 105

§1. – Le détachement d’un travailleur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106

§2. – Le transfert intragroupe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108

§3. – Le contrat de travail multilatéral . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111

SECTION 2. – IMPLICATION DES TRAVAILLEURS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112

§1. – L’information . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113

§2. – La consultation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116

§3. – La participation des travailleurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116

SECTION 3. – CAPACITÉ À AGIR DES ORGANISATIONS REPRÉSENTATIVES


DES TRAVAILLEURS ........................................... 119

CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123

BIBLIOGRAPHIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127

TABLE DES MATIÈRES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143

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