Cdu 053 0054

LA DÉRIVE DE LA FRANC-MAÇONNERIE ALLEMANDE
Didier Le Masson
Grand Orient de France | « La chaîne d'union »
2010/3 N° 53 | pages 54 à 64
ISSN 0292-8000
DOI 10.3917/cdu.053.0054
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Sous un aigle prussien tenant dans ses serres Buste de Frédéric portant un collier avec
l'orbe et le sceptre, le logo de la Loge des équerre en bijou, avec l'inscription :
Trois Globes (trois mappemondes sur pied). FRIDERICVS II BORVSS REX LATOMIAE
Inscription : SACRA LATOMORVM IN REGNO CONDITOR BEROLINI ET PRIMVS III GLOBOR
BORVSS. D. 13 SEPTEMB. 1740 INAVGVRATA PRAESVL. (Frederic, Roi de Prusse, fondateur
(les Rites de la maçonnerie inaugurés dans le de la maçonnerie à Berlin et premier Grand
Royaume de Prusse, le 13 septembre 1740). Maître de la Loge des Trois Globes).
54 ●
Tenue d'initiation du margrave

Frédéric von Brandenburg-Bayreuth
par le roi Frédéric II en 1740
au château de Rheinsberg.
Deutsches Freimaurer-Museum,
Bayreuth
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OSSIER
L D AL G P
A - A ALL AG
La dérive
de la franc-maçonnerie
allemande
PAR DIDIER LE MASSON
«L’Allemagne est un pays de catastrophes spirituelles.»
NN
Carl-Gustav JUNG
ourrie du rationalisme de Lessing et de l’idéalisme de Kant, Schelling

ou Fichte, la franc-maçonnerie allemande est aussi marquée par le romantisme ● 55
et l’illuminisme. Autant de composants qui l’éloignent de son homologue

française dans laquelle le matérialisme des Lumières a laissé des traces
profondes. Fidèle à l’esprit du luthéranisme, elle est, dès son début, beaucoup
plus respectueuse de l’ordre établi. Une tradition qui la conduira à une passivité
suicidaire puis dans certains cas à l’allégeance face au régime hitlérien.
La franc-maçonnerie arrive d’Angleterre à Hambourg, où la première

loge est fondée le 6 Décembre 1737. Puis à Berlin, où la première loge est
ouverte le 13 Septembre 1740 après l’accession au trône du Prince héritier
Frédéric. Le 24 Juin 1744 elle prend le titre de Grande Mère-Loge Nationale
Aux trois Globes, Große National Mutterloge zu den drei Weltkugeln. Les
statuts de la loge de Hambourg sont rédigés en langue française, comme le
seront ceux de la loge de Bayreuth. Longtemps, les rituels, compte-rendus
des travaux seront rédigés en français. Les loges, sous l’impulsion de nobles
et d’aristocrates, sont le plus souvent au départ des loges de cour (Hoflogen)
ve ou des loges de château (Schloßlogen) telle la loge de Bayreuth Zur Sonne
ayreuth
fondée en 1741 par Frédéric, Margrave de Brandenburg-Bayreuth. La loge
du Roi, dont il prendra le premier maillet portera d’abord le titre de « Loge
um,
du Roi notre Grand Maître. »
A la cour du roi de Prusse, le français est depuis longtemps, avec
l’arrivée des huguenots, la langue d’expression courante. On connaît la
célèbre phrase de Frédéric II : « je ne parle allemand qu’à Dieu et à mon
LA CHAÎNE D’UNION n°53 ● Juillet 2010
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La dérive de la franc-maçonnerie allemande
D
cheval ». Plus tard, protecteur de la Maçonnerie prussienne, le souverain
s’adressera à ses loges, en français. A la suite du Roi Frédéric, tous les
souverains prussiens seront francs-maçons, à l’exception de Guillaume II, le
vaincu de 1918 et farouche adversaire de la franc-maçonnerie.
Qu’en est-il alors de l’Aufklärung, terme allemand pour traduire
« Lumières » ?
L’Aufklärung n’est pas le calque des Lumières françaises
Il serait plus que hâtif que de comparer trait pour trait, l’Aufklärung
et les Lumières françaises. Ce serait ignorer ipso facto les fortes différences,
pluralités, diversités, et caractéristiques de la pensée, de l’histoire, de la
culture, du caractère et du tempérament germaniques : rationalisme d’un
Lessing et d’un Wieland, idéalisme des Kant, Fichte, Schelling, romantisme
– le Sturm und Drang – des Goethe, Herder, Schiller, l’illuminisme d’un
Boehme ou d’un Swedenborg, sans oublier Novalis et Hölderlin, poètes de
la Quête et de l’inachevé. L’âme allemande est toute dans le « werden » :
le devenir permanent. Goethe lui-même évoluera en permanence entre le
rationnel et l’irrationnel. A cela il faudrait ajouter l’influence d’un Leibniz,
d’un Spinoza et celle du Piétisme et de la Réforme. Au matérialisme athée des
encyclopédistes s’opposent l’idéalisme déiste allemand, le protestantisme
56 ●
luthérien. L’Allemagne est confessionnelle.

A l’époque de l’Aufklärung, l’Allemagne est un conglomérat de 350
principautés, mini-Etats, Kleinstaaterei, telles que fixées par le Traité de
Westphalie (1648), nous sommes loin de son unité réalisée par Bismarck en
1871. Le Prince impose sa religion à ses sujets, « cujus regio, ejus religio. »
Kant pose la question : Was ist Aufklärung? « Qu’est-ce que l’Aufklärung ? »
et la décrivant comme « la sortie de l’homme hors de l’état de minorité dont
il est lui-même responsable […] Sapere et aude ! Aie le courage de te servir
de ton propre entendement. Voilà la devise de l’Aufklärung. » 1
On est là, très proche de la conception protestante de la
responsabilité personnelle et de l’entendement que chacun doit se bâtir de
la philosophie de l’existence.
Il est faux de dire, avec Kant, que la franc-maçonnerie est la «fille
des lumières», car l'esprit des futures Lumières, était déjà exposé dans les
Constitutions d'Anderson, en 1723.
La franc-maçonnerie allemande est à 80% prussienne.
Le paysage germanique est largement dominé par la Prusse. La

Prusse est profondément marquée par le protestantisme, à la fois luthérien et
calviniste. La Réforme de Luther n’a rien de libéral : Luther prône et prêche
1. « Aufklärung ist der Ausgang des Menschen aus seiner selbstverschuldeten Unmündigkeit.»
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D
● 57

Fréderic III
le respect absolu de l’ordre établi, l’obéissance au souverain, maître des

corps et des âmes de ses sujets.
Par un Edit de 1798, le roi Frédéric Guillaume III accorde
la protection de la Maison Hohenzollern à toutes les Grandes Loges
prussiennes, sur tous les territoires de la Prusse, tout en interdisant les
sociétés « secrètes ». A la conception luthérienne de la Monarchie de droit,
Frédéric Le Grand substitue une « doctrine laïque de l’autorité royale »2
Les Hohenzollern s’appuient sur l’armée, la bureaucratie et une Maçonnerie
d’un parfait conformisme vis à vis du pouvoir. La protection royale dont elle
jouit constituera, un moment, une chance pour elle, mais aussi cause de
son malheur. La Maçonnerie prussienne est christlich, chrétienne, et se
reconnaît comme telle.
2. Jacques Droz, Histoire de l’Allemagne. PUF. Paris
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OSSIER
58 ●
Lettre du Roi Frédéric à ses loges
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D
Au moment de son interdiction, en Août 1935, la franc-maçonnerie
prussienne représente 80 % de la Maçonnerie allemande en trois grandes
Loges, dites « Vieilles Prussiennes » (Altpreußische Großlogen) : Große
National Mutterloge Zu den drei Weltkugeln, (1744), Grande Loge Nationale
Große Landesloge von Deutschland (1770) et Grande Loge de Prusse Royal
York de l'Amitie (1778).
Parallèlement : les Grandes Loges « Humanitaires » (Humanitäre
Großlogen) : Grande Loge de Hambourg (1811) Grande Loge Zur Sonne,
(Bayreuth 1811) Eklektischer Bund (Francfort 1823) Grande Loge de Saxe,
(Dresde 1811) Zur Eintracht, (Darmstadt 1846) Deutsche Bruderkette
(Leipzig 1924).
Enfin, les Grandes Loges
dites « Irrégulières », c’est-à-dire
non reconnues par les autres :
Fédération Au Soleil Levant
(Freimaurerbund Zur Aufgehenden
Sonne-FZAS, Nuremberg, 1903)
et la Grande Loge Symbolique
d’allemagne (Symbolische Großloge
von Deutschland, Hambourg). Cette
dernière, fondée en 1930, introduit
● 59
en Allemagne le Rite Ecossais

Ancien et Accepté, ainsi que le
Suprême Conseil d’Allemagne
Leo Müffelmann (Deutscher Oberster Rat) du R\E\
A\A\ sous l’impulsion du Frère
Leo Müffelmann avec l’aide des Suprêmes Conseils du Rite Ecossais Ancien
et Accepté de France, d’Autriche, de Belgique et des Pays-Bas. Ces deux
fractions de la Maçonnerie allemande peuvent être qualifiées de «libérales»
comparativement à leurs sœurs prus-siennes : ces dernières n’admettent pas
les juifs au contraire des loges humanitaires.
La franc-maçonnerie allemande, répartie sur tout le territoire, est
d’autre part très loin de former un bloc monolithique : obédiences de Berlin,
Hambourg, Darmstadt, Francfort, Nuremberg, Leipzig, Dresde, Bayreuth :
pour ainsi dire, une Maçonnerie de « régions ». La Maçonnerie prussienne ne
soutiendra pas la jeune République de Weimar, bien que son Président, le
Frère Gustav Stresemann, fût lui-même l’un de ses membres.
A la différence de la Maçonnerie prussienne, qui accusait les
autres Maçonneries européennes d’avoir fomenté le premier conflit mondial,
certaines obédiences libérales renoueront le dialogue, après la Première
Guerre, avec la franc-maçonnerie française et particulièrement avec le Grand
Orient de France et la Grande Loge de France.
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D
Lessing : « la franc-maçonnerie a toujours existé,
elle est indispensable. »
Le plus authentique représentant de l’Aufklärung et de l’esprit

de tolérance sera le Frère Gottlob-Ephraïm Lessing, reçu le 14 Octobre
1771 dans la loge Zu den drei Rosen à Hambourg. Philosophe mais aussi
esthète, pionnier du théâtre national allemand. Dans ses bien connus
Dialogues 3 entre un franc-maçon
et un profane, Lessing offre un
concentré de sa philosophie et de
son idéal maçonnique. Dans ces
textes, Lessing suggère plus qu’il
ne dévoile. Pour lui, l’admission
en loge, les rites, les rituels, les
mots, ne constituent que des
« signes extérieurs». La véritable
Maçonnerie réside dans l’état
d’esprit et l’action de chaque Frère.
Lessing attachait davantage de
mérite au combat que constitue la
recherche individuelle de la vérité
60 ●
qu’à la découverte de celle-ci et à Gottlob-Ephraïm Lessing,

sa simple transmission. par Anton Graff (1771)
En 1749 déjà, dans certaines lettres à son père, pasteur
protestant, il écrivait que la religion était une chose trop importante pour
être acceptée « de confiance» ou «sur la foi de» et reprochera à la religion
d’imposer des dogmes contraires à la raison et d’utiliser l’irrationnel. Les
religions, conscientes de leur supériorité, conduisent à l’intolérance et à
la persécution. Lessing se montre très critique vis-à-vis des églises et des
religions organisées. La recherche sincère de la vérité, les œuvres accomplies
discrètement permettent de se «sentir» Maçon. Il y a toujours eu des Maçons,
la Maçonnerie « a toujours existé ». « La franc-maçonnerie n’est pas quelque
chose d’arbitraire et dont on puisse se passer ; elle est, au contraire, quelque
chose d’indispensable (entbehrlich) qui a sa base dans la nature de l’homme
et de la société des hommes. Par conséquent, on peut être conduit à elle
aussi bien par quelqu’un que par raisonnement. » 4
Il faut libérer nos conceptions de tout ce qui est irrationnel, rejeter
toute idée de supériorité, le Maçon doit donner au quotidien l’exemple du
dépassement des clivages nationaux, sociaux, religieux : il doit être un citoyen
du monde (Weltbürger). Il se doit de respecter l’Etat, mais œuvrer dans
l’action civique en vue des réformes nécessaires et militer pour la réduction
3. Ernst und Falk – Gespräche für Freymäurer. 1778-1780

4. In Premier Dialogue
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des divisions nationales, religieuses, sociales que provoque, par nature,
OSSIER
l’Etat. La Maçonnerie se manifeste avant tout par l’action de ses membres.
Dans le Quatrième de ses Dialogues, Lessing aborde la question
templière dans la Maçonnerie : c’est précisément l’époque où sévit la SOT,
Stricte Observance Templière (1764-1782) pseudo Maçonnerie chevale-
resque, qui jette trouble et désorganisation profonds dans la Maçonnerie
allemande et à l’égard de laquelle il se montre extrêmement critique. Le
Convent de Wilhelmsbad (1782) mettra fin au mythe des « Supérieurs
Inconnus » et à cette « mascarade rouge-blanche » selon le mot de Goethe,
lequel un moment y appartint ainsi que sa loge Amalia zu den drei Rosen
à Weimar. Schröder, à Hambourg, et Feßler en Prusse, procèderont à la
réforme de la Maçonnerie allemande, par un retour strictement conforme à
son origine anglaise et à l’esprit des Constitutions.
La défaite de 1918 voit l’effondrement de la monarchie Hohen-
zollern, protectrice absolue de la Maçonnerie prussienne : cette dernière est
atteinte de plein fouet. Sous la protection du Souverain, elle avait acquis une
assise sociale dans le paysage prussien, une sorte d’invincibilité. Accusant
les autres Maçonneries européennes, dites de l’Entente, d’avoir fomenté le
conflit, elle refuse toute réconciliation avec elles. La Grande Loge irrégulière
FZAS, Fédération au Soleil Levant, est reconnue par la Grande Loge de France
en Septembre 1921. A cet égard, le Frère Leo Müffelman, visiteur régulier
● 61
de la loge Goethe de la Grande Loge de France et fondateur du Rite Ecossais

Ancien et Accepté ainsi que de la Grande Loge Symbolique d’Allemagne
(Symbolische Großloge von Deutschland, 1930) jouera un rôle capital.
L’antimaçonnisme, l’antisémitisme, surgissent avec le général
Lüdendorff qui se répand avec sa femme, Mathilde, en proclamations,
ouvrages et attaques où le virulent n’a d’égal que la fausseté. Avec lui on
voit apparaître le slogan, le concept de « complot judéo-maçonnique » et des
puissances supranationales (überstaatliche Mächte): juifs et Maçons ont été
les auteurs du conflit. Slogan dont s’empareront les pamphlétaires du régime
nazi, dont, au premier chef, Rosenberg, le théoricien du Parti.
L’adaptation5 de la Maçonnerie prussienne

au régime national-socialiste
Ce qui paraît encore plus irrationnel de notre côté du Rhin : à

l’arrivée et la prise du pouvoir par Hitler, les Grandes Loges prussiennes font
immédiatement acte d’allégeance au Führer. Leurs Grands Maîtres respectifs
lui font parvenir des télégrammes de fidélité, l’assurant ne travailler que pour
le bien de la Patrie.
Ainsi, la Grande Loge de Saxe écrit-elle à Hindenburg, Hitler,
Frick et Goebbels affirmant « Travailler dans l’esprit du Frère Frédéric Le
5. « Anpassung »
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D
Grand pour l’homme et la grandeur de l’Allemagne, son unité et sa liberté,
[et déclarant] croire à ses devoirs chrétiens et nationaux ». Stupéfiante
proclamation de la loge berlinoise Zur Verschwiegenheit de la Grande loge
Zu den drei Weltkugeln (3 WK): « Grâce à Hitler, une unité sera réalisée […]
L’œuvre d’Hitler est une œuvre culturelle […] portant en son sein la plus
haute morale ». Habicht, le Grand Maître de la Grande Loge 3 WK ira même
jusqu’à faire paraître dans un magazine photos et textes montrant les travaux
en loge, ce qui, d’ailleurs, le contraint à la démission. Celui qui le remplace,
Bordes, est un ami d’Hitler et avait déjà exclus de l’admission en loge, les
non chrétiens, mais il en rajoute, excluant aussi les membres qui ne peuvent
justifier d’une ascendance aryenne et ceux qui ont épousé une juive.
En Avril 1934 la Grande Loge de Prusse écrit : « Nous servons
fidèlement Adolf Hitler […] nous nous plaçons sur le terrain des idées
nationales-socialistes ». Mais le mal est sans doute plus ancien, et profond,
puisque en Septembre 1924 déjà, et bien avant la parution de Mein Kampf
à l’automne 1925, la loge de Regensburg adopte la croix gammée comme
symbole maçonnique ! La Grande Loge de Bayreuth adopte le drapeau
allemand qui devra figurer pendant les travaux de toutes les loges.
En Avril 1932, le Grand Maître de la Grande Loge Nationale déclare
qu’il ne voit pas le moindre inconvénient à ce que ses membres adhèrent au
Parti national-socialiste. On verra même des Vénérables de loges présider
62 ●
les travaux en uniforme nazi ! « Il ne fait pas de doute que le majorité

des obédiences prussiennes a tenté de travailler et de s’associer avec le
nazisme avant même l’arrivée d’Hitler au pouvoir. Elle salue son avènement
en soulignant que les thèses du nazisme coïncidaient avec les principes
qu’elle se glorifiait de défendre. » 6
Les Grandes Loges contraintes à s’auto dissoudre
Lourd tribut payé au régime : les grand maîtres prussiens sont

incarcérés, déportés, certains en décèdent. En dernière instance, Goering
donne l’ordre aux Grandes Loges de s’auto dissoudre, ce qui est pire qu’une
interdiction de fait. Dans un entretien entre le Grand Maître de La Grande
Loge Nationale et Goering, ce dernier lui déclare que « dans un Etat national-
socialiste, il n’y a pas de place pour la franc-maçonnerie ». Devant les refus
réitérés du régime et de ses tenants de reconnaître l’existence légitime de la
franc-maçonnerie, les Grandes Loges prussiennes, dans un effort désespéré
pour tenter de subsister, se transforment l’une après l’autre en associations
profanes sous des appellations diverses telles que «Ordre germano-chrétien
des Templiers», «Ordre national-chrétien de Frédéric Le Grand», ou bien
«Ordre germano-chrétien de Saxe» entre autres... La franc-maçonnerie
allemande a désormais perdu toute existence initiatique et spirituelle et
6. Alain Bernheim, Une certaine idée de la franc-maçonnerie. Dervy, Paris, 2008.
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D
toute sa substance d’origine, sa nature même : elle n’est devenue qu’une
« association ». Seules, les obédiences « humanitaires », sachant que la
Maçonnerie n’avait rien à attendre de bon du régime, procèdent d’elles-
mêmes à leur dissolution. La Grande Loge de Hambourg s’exile au Chili, la
Grande Loge Symbolique à Jérusalem avec à sa tête le Grand Maître, Leo
Müffelmann. Le 15 Août 1935 une Ordonnance de Goering (Goering Erlaß)
et de Frick, Ministre de l’Intérieur prononce l’interdiction définitive de la
franc-maçonnerie sur tout le territoire du Reich.
Dérive, déviation ? l’esprit des lumières s’est effacé

devant l’autoritarisme prussien
Peut-on alors parler de « dérive », de « déviation » de la franc-

maçonnerie allemande au regard de l’esprit des Lumières, de l’Aufklärung ?
Les raisons peuvent en être aussi simples que complexes. Certes, la
Maçonnerie prussienne n’avait pas soutenu la jeune République de Weimar,
et les Grandes Loges Humanitaires elles-mêmes ne l’avaient fait que sur les
doigts d’une seule main : on est loin d’un Montesquieu pour lequel l’amour
des lois et de la Patrie ne pouvait se réaliser que dans une République.
Représentant onze Grandes Loges réparties sur tout le territoire, la franc-
maçonnerie allemande était ainsi bien trop éparpillée - et partagée au surplus
● 63
par les querelles obédientielles - pour être en mesure de constituer un front

commun contre le nazisme montant. Un grand Maçon eut le courage extrême
de s’élever avec véhémence, avec tous les risques que cela impliquait,
contre le Régime : le Frère Leo Müffelmann dans sa revue maçonnique Alten
Pflichten7ce qui lui valut son incarcération et son décès.
Bon nombre de Maçons voyaient dans l’arrivée d’Hitler le
rétablissement de l’ordre et de la situation économique et la restauration
d’une sorte de monarchie après la disparition des Hohenzollern. D’où,
sans doute, cette volonté de saluer favorablement l’arrivée du Führer, une
sorte de revanche à prendre contre les autres Maçonneries de l’Entente et
l’humiliation du Traité de Versailles. L’esprit des Lumières s’est effacé devant
l’autoritarisme prussien et la cécité de la majorité des frères allemands face
à l’hydre meurtrière nationale socialiste. Le Prince de Homburg, d’Heinrich
von Kleist illustre bien l’amour prussien de la discipline inflexible, l’effort
moral, le devoir librement consenti. Goethe lui-même était un adepte du
despotisme éclairé. On est même en droit de se demander si l’esprit de
l’Aufklärung avait vraiment pénétré dans les loges prussiennes. Au bas mot :
infidélité à l’Aufklärung. « Les Lumières ont porté le projet cosmopolite en
même temps qu’elles ouvraient la voie au nationalisme. »8
Et faut-il rappeler qu’Hitler était grand admirateur de Frédéric II ?
7. « Anciens devoirs ».
8. Pierre-Yves Beaurepaire, L’Europe des Lumières. PUF, Paris.
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D
La franc-maçonnerie allemande a enfin réalisé son unité, en 1949,
avec la fondation de la Fédération des Grandes Loges Unies d’Allemagne,
Vereinigte Grosslogen von Deutschland. Des onze obédiences de 1935,
il n’en subsiste que trois. Lourde encore de son passé tragique qui, dans
l’inconscient collectif, nuit encore à son développement, la nature même
de la franc-maçonnerie allemande contemporaine a radicalement changé,
revenant aux vraies valeurs des Constitutions et de l’Aufklärung, ainsi qu’en
témoignent ses travaux de loges, ses diverses publications et son ouverture
très active vers le monde profane. Il existe même une Grande Loge Féminine
d'Allemagne -Frauengroßloge von Deutschland- qui travaille au REAA.
En l’an 2007, le PR. DR. Klaus Horneffer, PR. DR. Klaus Horneffer
ancien Grand Maître de la Fédération des Grandes
Loges Unies d’Allemagne puis Grand Maître de la
Grande Loge AFAM, écrivait9 à l’auteur du présent
article : « Les francs-maçons de cette époque auraient
mieux fait de montrer du courage civique et refuser
toute adaptation au régime. Mais les francs-maçons,
tout aussi peu que le reste de la population, n’ont
eu conscience de l’étendue du crime dont allait être
capable le Régime. »
64 ●
▲ DIDIER LE MASSON
9. Lettre du 28 Février 2007.
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L’Aufklärung n’est pas le calque des Lumières françaises

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La franc-maçonnerie allemande est à 80% prussienne.

Le paysage germanique est largement dominé par la Prusse. La

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le respect absolu de l’ordre établi, l’obéissance au souverain, maître des

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des divisions nationales, religieuses, sociales que provoque, par nature,

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L’adaptation5 de la Maçonnerie prussienne

Ce qui paraît encore plus irrationnel de notre côté du Rhin : à

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Les Grandes Loges contraintes à s’auto dissoudre

Lourd tribut payé au régime : les grand maîtres prussiens sont

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Dérive, déviation ? l’esprit des lumières s’est effacé

Peut-on alors parler de « dérive », de « déviation » de la franc-

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LA CHAÎNE D’UNION n°53 ● Juillet 2010

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9. Lettre du 28 Février 2007.

LA CHAÎNE D’UNION n°53 ● Juillet 2010

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