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UNIVER5ITEDE METZ

FACULTE DES LETTRESET SCIENCESHUMAINES

SENANTÛT]R
NEVANT T}TETT

T}IESE POUR LE DOCTORAT

DE TROISIEI{E CYCLE

PRESENTEEPAR

JI SOON LEE-VTOO

SOUS LA DIRECTION DE
B I B L I O T H E O UUEN I V E R S I T A I RDEE M E T Z ESSEUR MICFTELBAUDE

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UNIVERSITE DE METZ

FACI'LTE DEg LETTNESET SCIENCESHT'MAINES

SENANCOUR
DEVA,.NTDIEU

THESE POUR LE DOCTORÀT


DE TROIgIEME CYCLE

PRESEI{ITEEPAR 4389oozL
JISOON LEE-YIOO

SOUSLA DIRECTIONDE

MONSIEURLE PROFESSEURMICHEL BAI'DE

1989
A mes parents

A Kwangsik
3-

ABREVIAIIONS

P.A. : Les premiers âges, I.ncertitudes humaines

G.A. : Sur les Générations actuelles, Absurdités

humaines

A1. : Aldomen ou 1e bonheur dans I'obscurité

R. : Rêveries sur la nature primitive,de I'homme

o b . : Oberman

Ar. : De lrAmour

Obs. : Observations critiques sur I'ouvrage

intitulé Génie du Christianisme

L.M. : Libres Méditations d'un solitaire inconnu

Ch. : Résumé de I'Histoire de Ia Chine

T.M. : Résumé de I'histoire des traditions morales

et religieuses chez les divers peupleb


4-

v. : Petit Vocabulaire de qjgplg*véIÈl!

I. : Isabelle
INTRODUCTION
6-

Dans la littérat,ure française, Senancour apparaît

souvent comme solitaj.re, étranger et dans I'ombre. Ainsi,

on va jusqu'à le considérer comme un raté.

Son oeuvre possède en effet un caractère qui ne pour-

ra jamais pénétrer le vaste public. Drun tempérament in-

tellectuel pluÈôt que poète, Senancour veut être, €t reste,

un penseur. Unamunol'a appelé un "géant" de Ia pensée(I).

Pour Senancour qui dit : 'rl,a pensée est, Ia vraie partici-

pat,ion à Irexistence. "(2), il n'y a pas de frontière entre

Ia pensée et la vie ; la pensée est pour lui la vie, la

vraie vie(3).

Sa pensée qui est essentiellement philosophique, est

exigeante et richer sê nourrissant d'une prodigieuse quan-

tité de livres. D'ailleurs, Senancour esÈ plus métaphysi-

cien que les autres préromantigues et plus profondément

nihiliste. Donc, malgré ses caractères romantiques, Ie

style gris et austère, ainsi que la pensée fort,e qui émane

de son oeuvre communiquent au lecteur un malaise. Mais bien

que son oeuvre nrattire pas par un charme faciler pâr I'ai-

sance, 1'éc1at, la variété, elle peutr êrr revanche, exercer

une sorte de fascination dont on a peine à se détacher.

En tout câsr iI eut une sorte de vocation au silence,

mais également toujours quelques "happy fe!,r" qui aimaient

son oeuvre et peut-être sa vie aussi. Nous nous rappelons

que I'oeuvre de Senancour prit, de son vivant, I'aspect


d'une flambée romantique. L'article de Sainte-Beuve sur

Oberman dans Ia Revue de Paris, avait entraîné la redécou-

verte de Senancour par les romantiques. On vit, enfin un


jourr sê presser rue de Ia Cerisaie, Sainte-Beuve , LIszE,

George Sand, Gustave Pl"anche, venus accomplir avec recuelle-

ment un pèlerinage vers celui en qui ils voyaient, un ancê-

tre du romant,isme et une image des destinées humai-nes :

"Destinée d'Oberman, majestueuse dans sa misère, sublime

dans son infirmité", s'écrie George Sand(4).

Après sa mort, dans les dernières années du dix-neu-

vième siècIe et à I'aube du vingtième sièc1er uD certain

nombre d'érudits - par exemple, Levallois, Tôrnudd, J.Mer-

lant, A- Pizzorusso, G.l"lichaut et A.t4onglond ont essayé de

tracer le portrait de cet inconnu(5). Et aussi dans la

deuxième moitié de vingtième siècle, Ia postérit,é essaye


peu à peu de rendre à cet homme de la pénombre Ia place qu'il

mérite. Ainsi aujourd'hui, son chef-d'oeuvre, Oberman est

facilement accessible chez deux éditeurs, ',Livre d,e poche,,

et "Folio" r grâce à : respectivement Béatrice Le GaII et

Jean-Maurice Monnoyer. Néanmoins, nous pensons qu'iI nous

reste encore beaucoup à découvrir chez Senancour.

*
**

Nous avons choisi pour cette étude un thème important :


8-

I'écrivain devant Dieu. Chez Senancour, ce thème peut ne

pas sembrer très nouveaur pârcê que nous avons déjà vu quel-

ques études où 1'on traite l'évolution religieuse de Senan-

cour. llais plus nous entrions dans notre étude, plus nous

nous sommes qonvaincue que tout n,avait pas été suffisam-

ment dit et quraucune étude sur senancour ne s'était penchée

spécialemenÈ sur ce Èhème. C'est-à-dire qu'il n,y avait

pas encore de synthèse sur ce sujet. Nous espérons donc que

I'ensembre de notre étude présente une synthèse de tour ce


qui- concerne le sujet religieux chez Senancour.

La plupart des écrivains ont, dans leur vie, rencontré

le fait relig5-eux : soumis ou révortés, confiants ou angois-

sés, ils ont été interpellés, et ils ont répondu. Tantôt

cherchant Dieu dans des chemins sans issue, tantôÈ croyant

se détourner de rui et découvrant brusquement son visage i


apôtres ou adversaires, souvent militants, parfois apparem-

ment désintéressés, jamais vraimenÈ indifférent,s(6) .

Quel est donc le cas de Senancour ? euand et comment

Dieu lui apparaît-ir et quels sont ses attitudes à r'égard

de Ia religion ? Quels sont les sentiment,s de Senancour

face à l'expérience qu'il fait devant Dieu ?

Pour répondre à tous ces problèmes, notre étude s'est


concentrée en particurier sur il analyse de son idée de Dieu
et de ses divers sentiments religieux : en détai1, son anti-
christianisme, ses angoisses métaphysiques et son aspira-
9-

tion religieuse. 11 importait aussi d,étudier ses idées


sur la religion, pour ainsi direr sur Ie dogrme, les pra-

tiques' r'égrise et.sur les probrèmes de morale et rerigion,


ainsi que de politique et religion.

Pour cette recherche, nous avons dans la première par-


tie suivi d'abord ra méthode chronorogique et analytlque
afin de bien comprendre }a première formation religieuse
de senancour et ses sentiments religieux jusqu'à ses pre-
miers livres jumeaux : les premiers âges et les Générations
actuelles. Maj.s à partir de ra deuxième partie, nous avons
enployé la méthode thématique et synthétiguê, parce qu'une
analyse chronorogigue et logique ne se revèlait plus effi-
cace chez un esprit nébureux et contradictoire ; puisque
sa pensée, ses sentiments, tout chez lui al-Iait et venait
plutôt qu'iI n'évoluait, iI était difficile de classer sys-
tématiquement et chronologiquement son développement spi-
rituel avec un point précis d'aboutissement.
10

NOTES

INTRODUCTION

(f) Cité par B.Le Gallr L'imaginpire chez Senancour, p.III


(2) L.M. ,1970, p.292

(3) Oberman' Edi.tion établie, présentêe, commentée et

annotée par B.Didier, Livre de poche, p.467


(4) Cité par B.Didier, tittÉrature française,Le XVIIIe
s-iècle, III (1778-1820), p.283

(5) Voir L'imaginaire chez Senancour, p.III-IV


(6) Cf. Les écrivains devant ùieu, au dos de livre,

Desclée De Brouwer
1t

REPERES BIOGRAPTIIQUES

Etienne-Jean-Baptiste-Pierre-Ignace Pivert de SENANCOUR

(16 novembre L770 10 janvier 1846)

L77O : Naissance drEtienne-Jean-Baptiste Pivert dans

Ie quartier Saint-Paul; sa famille est de bonne

bourgeoisie très aisée ; son père est contrô-

Ieur général des rentes de l'Hôtel de Ville de

Paris. Ses parents sont cousins germains.

Sa mère a déjà quarante ans.

1784 : Senancour est mis en pensi.on à Fontaine, près

de Chaalis, chez Ie curé Dupuis. Il lit vers

cette époque Robinson Crusoé, êt très tôt,

lrHistoire du Japon de Koempfer.

1785-I789 : Senancour est pensionnaire au coIlège de

La Marche, sur Ia Montagne Sainte-Gene-

viève.II accomplira en quatre ans six an-

nées d'humanités. Surtout, iI a pour

condisciple et ami Ie jeune François !tar-

cotte, futur Contrôleur général des eaux

et forêts, gui servira sans doute de pro-

totype à FonsaLbe, et dont Ia soeur Ma-

rie-Antoinette Joséphine épousera Ie ba-

ron Charles-Athanase de Walckenaër.

On reconnaît généralement en elle Ia fu-


L2

ture Madame DeI.

1789 : 14 juillet :prise de Ia Bastille

Fin des études de Senancour au collège de

La lrlarche. Le L4 août, il fuit vers la Suisse,

à I'insu de son père, êt avec la complicité

de sa mère. 11 passe par Lyon, Montluel, Nan-


tua, et se dirige vers Genève, Vevey, Clarens,
1e château de Chj_llonr il s,installe provi-

soirement à Saint-Maurice puis à Fribourg.


-- 1790. juillet : Senancour écrit à Saussurer pour rece-

voire de lui ses conseils en vue de s,établir

dans une solitude complète. 11 écrit d.ans Ie


même sens à Bernardin de Saint-pierre.

1790. septembre : Le 13 septembre, le mariage de Se-


nancour dans I'église de Givisiez avec Marie

Daguet. Il aura deux enfants: une fiLle Eu-


Ialie qui sera, dans ses vieux jours, infir-
mière, secrétaire, dévouée et qui est roman-
cière elle-même; un fils F1orian. Un troi--

sième enfant, adultérin, naîtra ultéri-eure-

ment,

1792 : Les Premiers Ages, Incertitudes humaines,


par Ie "Rêveur des Alpes".

L793 : Nouvelles excursions en solitaire, séjour à


'
Thiel, Iieu d'une illuminaÈion que relaÈera
I3

qlgrmagr visite à f ile Saint-Pierre. Région

de I'Unterwalden et de I'Hasly. Parution

de Sur 1es générations actuelles, imprimé

à Neuchâte1.

1794 ou L795 : Senancour revient seul à Paris. La

dévaluation des assi"gnats te dépouille de

ses biens. Mort de son père. I1 revoit Ma-

rie-Joséphine l{arcotte, mariée depuis le 25

mai 1794 à M. de l{alckenaer et ressent une

vive passion pour elle. En novembre L795,

il est à lvlont-Lévêque, près de Senlis, où

il- rest,e jusqu'en L797. 11 commenceun énor-

me cahi-er où iI consigne ses lectures et

ses réflexions : Les Annotations encyclopé-

diques. 11 publie son premier roman, AIdo-

men ou Ie Bonheur dans l'obsçuxèlq. Séjour

à Villemétrie( dans Oberman : t4éterville ).

L797 : Senancour écrit une missive très solennelle

à I'un des Directeurs, François de Neufchâ-

teaur pour se justifier et pour obtenir quel-

que secours. I1 obtient une subvention du

bureau pour 1'encouragement des Sciences et

Arts. Il va vivre à I'hôtel Beauvaur êD tant

que précepteur des enfants de César d'Houdetot,

fils d e F l a d a m ed ' H o u d e t o t : autour d.'eIIe re-


14

naît, après la tourmente révolutionnaire, le


dix-huitième siècle. Il y lie anitié avec

le chevalier de Boufflers, avec Elzéar de

Sabran

1799-1800 : Publication des Rêveries sur Ia nature


pTimitive de I'homme.

1802 : Retour en Suisse. 11 y demeure jusqu'à I'au-


tomne 1803. Il doit organise.r sa séparation

d'avec sa femme. Il semble avoir visité de


nouveau la Suisse, être allé à Saint-saphorin.

I1 a vécu aussi dans le château de Chuprur si:


tué à Saint-Sylvestre.

1803 : A partir de 1803, Senancour vit à paris, sauf


un séjour dans Ie Gard qu,i1 fait en 1916.
1804 : Parution d,Oberman.

1806 : ùlort de son épouse. pubrication de De I'Amouri

Ie sous-titre porte: " considéré dans les 1ois


réelles et dans res formes sociales de ilunion
des sexes".

1807 : Valombré, pièce de théâtre

1808 : Deuxième édition de De I'Amour.

1809 : seconde édition de Rêveries sur la nature primi-

tive de lrhomme.
\,/
1814 : Lettres d'un habitant des vosges sur Buonaparte,
Chat,eaubriand, etc.
l5

181s Sa brochure, De {apotéon.


1816 ParuÈion des OPservations crj.tiques s,irr I'ou -
v,Fage intitul4 "Génie 4u Christianisme',.
Senancour vit de sa plume et écrit dans de nom-

breux journaux : Le Constitutionnel(lBl5-1g29),

Le Mercure de Fraqce ( 1811-1819 ) , Le Mercure


du di:!-neuvième siècle ( 182 3-L827 ), L'AbeiIIe
(I82L-L822), La France lirr!1qire (I932-f834),
La Minerve littéqaire (1820-IBZL), Ia Revue
encyclopédigue ( 1828-1929 )

1819 : Libres Médit,ations Ç'un soJit.aj.re inconnu sur


le détachemgnt 4J: monge et sur 4'autres objets
de la morale religieuse.

I824 Résumé de I'hiPtoire ,de Ia Chine


I825 Résumé de I'histoire des traditions morales et
religieuses chez tous les peuples.

A propos de la seconde édition de ce l i v r e r êo


L827, Senancour sera condamnér pour irré1igion,
à I'amende et à la prison.

1829 Troisième édition de De l,Amour.

1832 22 janvier: article de Sainte-Beuve sur Oberman


dans Ia Revue de paris . Cet article préIude à
la redécouverte de Senancour par les romanti-
ques.
(
I5

1833 : Oberman, deuxième édition, chez Ledoux avec

préf,ace de Sainte-tseuve. Réédit,ion des Rê-

veries, t,exte en partie nouveau, Isabelle,

également chez Ledoux.

1835: Quatrièrne édition de De I'Amour. Dans ses

dernières années ,, ses efforrs


"l]Jr,r"
à une troième édition des Libres Méditations ,
différentes des précédentes (1g19,1g30).

1 8 4 0 : Troisième édition d'Oberman- avec préface de

George Sand

1841 : Sa pension est diminurée.

1846 : 10 janvi.er : Senancour meurt à Saint-Cloud.


PREMIERE PARTIE

LA PREMIERE FORMATIONRETIGIEUSE

(t
I8

CHAPITRE PREMIER

LA FORMAÎION JANSENISTE

II sera nécessaire de rappeler pour bien apprécier

la première formation religieuse de Senancour, I'atmos-

phère familiale dans laquelle iI a grandi, la vue reli-

gieuse de ses parents et l'éducation religieuse qu'iI

a suivie.

Commechez la plupart des enfants, I'influence des

parents est d'abord un facteur déterminant. Son trlère,

Claude Laurent était un homme pieux qui avaiÈ longtemps

rêvé d'être prêtre, chose exceptionnelle au milieu des

gens du commerce. A 24 ans, il avait reçu les ordres

mineurs et coulait pieusement sa vie chez ses parents.

Sur les murs de sa petite chambrer oû pouvait voir "deux


porÈraiÈs sujets de dévotj-onr un autre sujet d'histoire

sainte". Quant à sa bibliothèque, elle était le reflet


19

de l'état d'esprit de "l'abbé Pivert" : "un coffre de

cuir" recélait "trente et un volumes, sujets de dévotion,

et d'instruction, tant i.n-quarto, qu'in-octavor Çurin-

douze". Ailleurs, des brochures de théologie, "deux

dictionnaires et une vie de Saintsn(I).

Mais il n'avait jamais réalisé son rêve; plus tard,

marié, iI gardera toute sa vie Ia nostalgie de Ia vie

religj.euse; iI aura toujours un remords latentr un sen-

timent de culpabilité à I'égard de sa vocation. Nous

trouvons un passage dans Oberman où le père avoue peut-

être peu de temps avant de mourir, ses regrets : "Sj-

dans ma jeunesse j'étais entré dans un monastère, comme

Dieu m'y appelait, je n'aurais pas eu tous les chagrins

que j'ai eus dans Ie monde. Je ne serais pas aujour-

d'hui si infirme et si cassé" (2) .

Donc, nous pouvons supposer que le petit Senancour

avait de bonne heure dû entendre de tels propos, gui

lui donnèrent la peur de la vie, une habitude de, plainte'

et, cette mollesse de courage qui, plus tard, Ie laissè-

rent désarmé devant I'épreuve quotidienne.

Dtautre partr sâ mère, Marie-Catherine avait la

nostalgie de la vie conventuelle : Ia vie du cloÎÈre.

Et Ie goût religieux commun la poussa à épouser, sa cou-

sin. germain, celui qui avait failli être prêtre.

Ir{ais ce couple s'était plus par leur goût conrmun


20

pour la vie rerigieuse ; au lieu de suivre leurs vocations,


ils avaient, voulu mêter reurs destinées et, tous deux s,en

étaient mal trouvés. Avec I'expérience de son mariage

malheureux, senancour imagine dans oberman ra décept,ion

de ses parents, remontant, au premier moment, de reur union :

" vous vous êtes mariés pour vous aider rnutuellement, di-

siez vous r pour adoucir vos peines en 1es partageant,pour

faire votre salut : et Ie rnêmesoir, Ie premier soir, mé-

contents I'un de I'autre et de votre destinée, vous n'eûtes


plus dr aut.re vertu ni drautre consol-ation à attendre que

Ia patience de vous supporter jusqu,au t o m b e a u ' ,( 3 ) .

En effet, ses parents formaient un étrange ménage,

mais en tout cas Ia maison était remplie de gens d'église.

Àinsi, tandis que son père souhaitait pour son fils Ia


paix religieuse qu'iI ntavait pas eue, sa mère, affectueuse

mais d'une dévotion tracassière, I'obligeait à de longs

exercices de piété qui I'ennuyaient. "A juger les parents

de Senancour sur ses lignes, êÈ aussi sur le caractère de

leur enfant, J.Merlant dit, ç'auraient été des jansénistes

dégénéres, négligeant, de I'ancienne discipline des soli-

taires, tout ce qu'eIIe avait d'héroîque et d'exartant pour

Ia volonté, - et ne gardant de leur doctrine que res é1é-

ments déprimanÈs, un quiétisme trister une foi qui devait

s'affaiblir dans I'ennui des petites pratiques et Ie dé-


goût des étroitesses de conscience, voilà tout Ie capit.al
2I

moral qurils purent transmettre à leur fils"(4).

*
**

Tout de mêmer Ç[uând ses parents ont, essayé de faire

partager à leur fils unique leurs propres convictions, iI

semble que I'enfant en a subi I'infLuence d'abord forLe-

ment, au niveau de sa candeur et profondément dans 1,édu-

cation qu'on lui donnait.

Avec son ami Wanner, il construit de petits oratoires

à Ia Vierge et aux saints. S'il va à Ia campagne, il se

promène à travers champs, répétant d'antiques litanies

et dans Ia fraîcheur des herbes hautes, mine d'éternelles

rogat,ions vers un reposoir imaginaire enfoui parmi les

fleurs humides épanchant leur encens natif. En vi11e,

il suit sa mère d'égIise en ég1ise, intrigué et attiré

par Ie mystère des cantiques, 1'obscurité des voûtes i


il est frappé par la dignité d'un "vieillard à longs

cheveux blancsr gui présentait habituellement I'eau

bénite'(5). Lorsque Senancour nous dit que dès I'enfance

iI a été très religieux, nous n'aurons donc aucune diffi-

culté à le croire.

Mais 1'austérité du milieu janséniste amène désormais


cet.enf,ant à souffrir de I'image du Dieu puissant,. Dieu

caché. Sa mère ne cesse de lui expliquer qu'il ne sau-


22

rait pas échapper à Ia surveill,ance de Dieu, gu'il est pour-


suivi, cerné de tous côtés par un regard impracable : ,,ce
Dieu puissant", ce "Dieu caché, tous vos moments sont à lui,

vos pensées les prus involontaires sont soumises aux rois


dont, (Ies hommes d'église) sont nécessairement res inter-
prètes sacrés"(6). 11 doit faire attention au Marin qui nous
guette. "Mêmedes paroles inutiles sont un péché"(7). Le
jugement qui comporÈe un accident, Ia mort conme un châti-

ment nous menace à chaque instant. "Dans le séjour des mé-


chants, seront réunis toute les douleurs de 1tâme et tous les
supplices du corps. Le regret, la fureur, I'envie et toutes
les passions haineuses y déchireront l'âme ; et I'idée de
sa destinée irrévocable, 1'accablera sans cesse du poids

terrible d'une éterniÈé de maux"(B). Dans ces leçons d'un


jansénisme bâtard, plus iI a peur, moins iI peut communier
avec Dieu.

Dès lors, Senancour assimilera le christianisme à Ia


doctrine de Port-Royal, êt iI se refusera à voir dans
1e sentiment religieux du cathorique autre chose que ra
peur de l'enfer. De la sombre hérésie qui créa en rui
ra révolte définitive contre toute rerigion positive,

iI a gardé beaucoup plus qu'ir ne croitr Dê serait-ce


i

que Ia conception aristocraÈique qu'iI a de la religion


et de la sagesse. Ainsi que I'observait sainte-Beuve,
Ie petit nombre des sages répond chez Iui au petit
-23

nombre des élus : "il sépare Ie très petit nombre de

sages et de vérités, qu'i.l enferme dans I'arche de sa

Èhéosophie, déIaissant I'humanité entière sur un océan

d'erreurs, de rites bizarres eÈ de vertiges"(9).

Si paradoxal qu'iI puisse paraître, cette formation jan-

séniste qui le charge du poids de fautes immenses, Iui

donne aussi l'orgueil d'être à part, marqué de toute éter-

nité par un destin exceptionnelr pâE un dessein de Dieu

qui, iI ose parfois I'espérer, I'a choisi au nombre des

élus. Une fois rejetées ces croyances, il ne pourra re-

noncer à une vue très pessimiste de I'humanité cédant aux

attraits des "absurdités", des crimes répétés de généra-

tion en générat,ion, mais dont s'isolent certains "adep-

tes", rares sages en butte à f incompréhension et aux

sarcasmes(10).

Drautre partr son enfance religieuse et austère se

présente comme un temps de contraintes absurdes et étouf-

f antes, Iorsqu' j,l s'en souvient par Ia suite :

"Lrenfant, lisons-nous dans les Générations actuelles,

en entrant dans la vie, commence Ia pénible carrière de

I'esclavage d'autant plus inique à cet âge qu'innocent

encore, l'on ne peut regarder ce qu'il souffre des autres

comme Ia réaction de ce qu'iIs eurent à souffrir de lui"(I1).

Dans Oberman, il ne cesse de gémir par Ia voix de son

héros : "Une prudence étroite et pusillanisme dans ceux


24

de qui Ie sort m'a faiÈ dépendre, a perdu mes premières

années, êt je crois bien qu'elle m'a nui pour toujours,,(121

I1 est évident que cette enfance souffrant du milieu


janséniste lui fera prendre Ie chemin de 1'antichristia-

nj.sme que nous aborderons aprèsr pârcê que I'une des prin-

cipales objections de Senancour contre Ie christianisme,

c'est la tendance de cette religion à ne considérer la

vie que conune une vall-ée de larmes, à Ie rendre plus triste

encore en y multipliant les mortifications, les péniten-

ces, les jeûnes, à gâter jusqu'à 1'avenir en 1'assombris-

sant <les tourments cte I'enf er.


25

NOTES

CHAPITRE PREMIERE

(1) Cité par B. Le Gall, L'imaginaire chez SenFncour

p. 18. Cf. Scellés après Ie décès drlgnace pivert,

préc., n. 2.

(2) Ob. ' t. I, p. 17

(3) Ibid. t p. 226

( 4 ) J. l'lerlant, Senancour, sa vie, son oeuvre r son inf luence ,

p. 5

(5) B. Le GaIl , L'imaginaire chez Senancour, p. 22


(6) B. t. r., p. 128

( 7 ) G.A. p. 361

(8) Ibid., p. I47

(9) Sainte-Beuve, Portraits contemporains, t. Tt p. 170

Voir aussi T.M., p. 139

(10) B. Le GaIt, op. cit. pp. 23-24

( 11) G.A. p. 81

(12) Ob. t. I , p. 2
25

CHÀPITRE II

LES CONVICTIONS EBRANLEES

Quand La notion de Dieu est celLe d'un pouvoir

surnaturel qui administrait avec rigueur une loi incom-


préhensible, La vie du petit Senancour sous Ie surveil-

lance de Dieu est certes celle des souffrances. sa fai-


blesse morale, dê)à fragile pnysiquement, s,aggrave dans
cette sit,uation et le voue à une existence "casanière,
inactive, ennuyéeu(l) dont Senancour se plaint dans

Oberman. Nous pouvons dire guê, s,il lui manquait l,éIan,

la foi dans Ia vie, la force égale et soutenue, c'est dû


d'abord à toutes les contraintes de cett,e enfance, si
pauvre en joies.

Pourtant le temps de son éveil viendra et iI s'é-


loignera peu à peu de sa première formation janséniste.
27

De sept à dix ans il commence à changeù; après qu'il a

lu Robinson cçuqo'i, les rivres gui jusque-rà rui avaj-ent


fourni des notions scientifiques ont été transformé en matière

à d,infinies rêveries, inspiratrices de chimères. senan-

cour s'éveille peu à peu à un autre monde, Ie monde mysti-


que. D'ail1eurs, Ia lecture est' un asile trouvér pârcê
guê, pend,ant qu,iI tisâit des livres, iI pouvait échapper
aux tracasseries de sa mère, à ses remontrances, à Dieu ec

au Diable.

A 15 ans' senancour est devenu pensionnaire au collège


de La Marche. Mais, iI n'y avait 1à qu'une recrudescence

de la vie prisonnière de la maison pat,ernelle. te jeune

pensionnaire nerveux, moqué de camarades plus grossiers,

de santé épaisse, €t parmi lesquels iI était tombé comme


un hibou pouvait seurement y renforcer le goût de f isole-
ment- Dès lors, senancour fait I'expérience d,,une ruptu-
re entre lui et la société ; pour 1ui, ,'L,enfer, crest
les Autres". Les rerations avec les hommes sont pour lui
une torture- Et c'est re sentiment d'isolement qu,il éprou-
ve en société :

"Je suis seul : les forces de mon coeur ne sont


point cornmuniquées, elles réagissent dans 1ui,

elles attendent : me voilà dans Ie mondererrant,

soliÈaire au milieu de la foule qui ne m'est rien:


comme lrhomme frappé dès long-temps dfune surdité
28

accidentelle"(2).

Pourtant, 1'adolescent solitaire arrive désormais à

se plonger dans les rivres. si la forêt de Fontainebreau

gu'il découvrait à quatorze, seize et dix-sept ans et où

iI éprouvai.t "un sentiment de paix, de liberté, de joie

sauvager pouvoir de la nature"(3) peut être une libération

dans la vie affective, Ia lecture assez semblable à ce que

fut I'expérience de Fontainebleau sera pour lui une 1ibé-

ration dans Ie d.omaj.ne intellectuel (4) .

Avec le sentiment de libération, pri.s d.,une fringale

de savoir, le jeune Senancour a beaucoup 1urbeaucoup appris,

beaucoup retenu. ces lectures étaient essentierrement

philosophiques et I'intelligence y trouve son aliment.


'I1 fréquente surtout Buffon, Bernardin de Saint-pierre,

Marebranche, Helvétius et il n'oublie pas non plus vortaire,

l"lontesquieu et Rousseau.

Or ce que nous voulons souligner ici, c'est que I'é-

blouissemenÈ de Ia philosophie provoque un changement de

la perspective religieuse de 1'adolescent et jor:e un rôle

important dans Ia perte de Ia foi. par exemple, Ies argu-


mentaÈions d.'Helvétius qu'il fréquenta surtout jetèrenr en
son âme les germes du doute. Nous noterons plus tard que

lraccent irréligieux des Générations actuelresrgu,il publia

à 23 ans, est extrêmement proche de cerui d'Hervétius,rors-


29

que ce livre dénonce le caractère antinaturel du christiani-


sme' Enfin iI a appris que I'on oppose res droits de ra rai-
son' à r'autorité de la foi et de la révélation, I'on rejet-
te res faits insuffisamment prouvés,l'on doute des miracres
et, étudie les textes sacrés ; ir a connu quelques déj-stes
eÈ savants penchés vers I'athéisme.

Dans cet éblouissement de philosophie, Senancour pou_


vait finalement échapper au réseau d,interdi-ctions et d.e
péchés que lui avait légué sa mère ; il n'était plus cou-
pabre puisqu'iI n'y avait prus ni faute ni Rédemption i
I'ascétisme nravait plus de raison d'être : tout un pan
de sa première enfance s'effondraiÈ. Dès lors tout acte
religieux lui apparaîÈ comme une pantom$e de fanat,iques
et I'univers, dans lequel iI a vécu .a ,ria., semble seule-
ment un assembrage de rites bizarres. A ceÈte date conmen-
ce à se déveropper très certainement le thème d.e I'absurdi-
té humaine qui tiendra une prace imporÈante dans I'oeuvre
du début de Senancour.

cependant la vie de colrège qu'il mena pendant quatre


ans, se Èermina. La fin de ra vie scolaire où r'adorescent
se sentait prisonnier signifiait-etle donc une libération ?
Non, iI s'inquièta encore plus, car il falrait alors choi-
sir une voie, dont toute son existence dépendrait, pour
ainsi dire, "il farrait choisir, ir farrait commencer, pour
la v'ie peut-être, ce que tant de gensr Çui n'ont en eux
30

aucune autre chose, appellent un état"(s). te choix est


épuj-sant surtout pour un homme de caractère indécis. D,ail,-
leurs, il avait, dès. lrenfance, éprouvé',1'éloignement Ie
plus positif pour toute profession"(6) ; il sentait qu,il
y avait entre lui et Ia société une rupture, une incompa-
tibilitér Çui I'empêchait de choisir un métier et de se
mêler à la société :

"Je demandai. aux hommes s'irs sentai.ent comme moi i


je demandai aux choses si eLles étaient seLon
mes penchants, et je vis qu,il n'y avait d'accord
ni entre moi et la société, ni entre mes besoins
et les choses qu'elle a faj-tes" (7).

Alors, le père de senancour, sans vouloir contraindre


son fils pour I'avenir, exigea qu'il passât deux années à
saint-surpice. son père voulait rui imposer res conclu-
sions de sa propre expérience, regrettant de ne n,y être
pas enterré Iui-même, cultivant la nostalgie du sacerdoce.
Nous avons vu que Les convictions de Senancour chancelaient

déja au collège. Néanmoins, nous ne pouvons pas dire gu,er-


les avaient parfait.ement disparu. Erre survivaient sous
reur forme secrète et maudite d'angoisse envers une évencu-
elle culpabirité que la raison refusait cependant. ce sen-
timent religieux il a fait souffrir sans cesse face à ra
demande de son père. Mais à Saint-Sulpice, Ia communion
31

était obligatoire toutes les semaines : "on sait qu'il fal-

lait s'y confesser chaque semaine"(8). Donc, il redoutait

"drêt,re entraîné à commettre, presque incrédule, un sacri-

Ièger €n se soumettant à des praÈiques dont il ne saisis-

saiÈ plus le sens. N'ayant plus Ia foir cê vestige de lrem-

preinte catholique qui était en lui ne lui a pas permis

drentrer au séminaire.

Enfin, iI prit une décision : Ia fuite devant sa des-

tinée. Le t4 août, 1789, met,tanÈ seulemenÈ sa mère dans

la confidence, i1 part secrètement pour Ia Suisse. Senan-

cour ne pouvait plus juger s'il croyait encore, mais cette

fuite représente sa première forte révolte contre Ia vie

religieuse. Lors de son départ, il était de toute façon

pris par une passion du bonheur, auquel il pensait que

sa culture religieuse et son enfance 1'avaient rendu im-

propre.

*
**

Dès sa fuite en Suisse, s'achève Ia période de jeunesse

et de formation. Or cette période commence par des événe-

ments malheureux. Nous allons voir dans Ie chapitre sui-

vant comment et avec quelle force ces évênements tristes

ébranlent sa foi qui chancelait déjà.


32

NOTES

CHAPITRE II

(1) 9L t. I, p. 57
(2) Ibid. , p.9l
(3) Ibid. r p. 58

(4) B.Le Gall, op. cit.,p.64

(5) Ob., t.I, p.4

(5) Vieilh de Boisjolin, Vie de Senancour,p.289

(7) ob. t.I, p.4


(8) Cité par J.M.Monnoyêr, Obermanrp.14,Notice sur la

vi e d e S e n a ncour r par Boisjolin


33

CHAPITRE III

LES EXPERIENCES t{ISERABLES

1. La Révolution

En France, Itannée 1789, est "1'année de violences,

mais aussi de la naissance d'un régime libéral et parle-

mentaire, êt surtout de la Déclaration des droits d.e I'hom-

me et du citoyen. Cette déclaration trace désormais la

ligne de partage entre les Etats de droit et les autres. Et

pourtant, Ia Révoltrtionr sous Ie coup d'un double conflit

avec le roi et avec I'Egliser vâ se trouver entraînée vers

les heures les plus sombres"(1).

Quand Senancour partit en 1789 pour Ia Suisse, Ies

raisons polit5.ques furent totalement éLrangères à sa fui-

tê, bien qu'il ait franchi Ia frontière d.ans Ie flot d'émi-

grés, dans lesquelles se trouvaient beaucoup de prêtres et


34

de nobres. rl semble de toute façon vrai que res séjours

en suisse re feront seulement souffrir au moment/ de ra


Révorution. Mais il ne pouvait pas rester indifféremment,
devant les grands événements ,. en Suisse, iI 1es suivit et
entre temps il eut Ioccasion de revenir plusieurs foj-s
en France. on peut être étonné de retrouver si peu de sou-
venirs de Ia période révolutionnaire dans 1'oeuvre(2). Mais
c'est parce euron n'a pas lu senancour avec suffisamment

d I attention.

Dans la note des Générations actuelles gur est paru en


L 7 9 3 , n o u s p o u v o n s trouver Ia trace de son èemps :

"Quand le tyran conduj.t, dans ces gouffres de té-


nébres et drhorreurs sa déprorabre victime, reurs
murailres insensibres retiennent 1'opprimé et rais-
sent s'éIogner avec une joie féroce Ie scéIérat
puissant qui devrait à jamais y expier Ies maux
du faible. L'homme atroce oublie sa victime, de
vils géoliers I'insultent encore ; la foule insou-
ciante passe et repasse devant ses portes épais-
ses, jusqu'au jour inattendu où elles se ferme-
ront sur quelques-uns dreux : ceux qui se font un
jeu de déceler lrerreur eÈ plus souvent d'épier
I'imprudenÈ, vont perpétuellement criant sous ces
remparts du despotisme des arrêts spêcieux pour
35

Ie bonheur des sujets'( 3) .

D'ailleurs, 1.: images obsédantes du cachot, du géô-


lier et des chaînes qui reviennent avec une extrême insj.s-
tance dans son oeuvre, nous mont,rent que les événemenrs
peuvent cependant avoir marqué un auteur sans que pour au-
tant il les relate directement dans son oeuvre(4). On pense
que senancour était à parj.s à ra fin de LTgz ou au début de

1793 pour surveiller f impression de son rivre : les Géné-


rations actuelles. Et ir dut aussi rentrer à paris au cours
de 1'hiver L794-I795, comme Oberman le suggère.

l4ais quand iI regagnait paris, iI ne trouvait plus 1à


ra ville de son enfance, mais seurement la rupture. Les ret-
tres d'oberman à Paris traduisent Ies impressions de senan-
cour après Thermidor. rl se révolta surtout de voir ra mi-
sère manifeste autour de Iui. La lettre zg d,oberman est

touÈ entière inspirée du spectacle, à I,entrée pour les pre-


mières loges, f,infortuné n'a pas trouvé un seul individu
qui lui.donnât: irs n'avaiènt rien: et ra sentinelre qui
veillait pour res gens comme il faut, le repoussa rude-
ment ( 5 ) . De plus r Ç[uand il s'agit drun homme inf irme, i]_

s'indigne, appellant Ie feu d.u Ciel sur une ville où de

"plats tyrans" restent indifférents à la souffrance :

"Lorsque crest un homme infirme, confie-t-ilr Çui


36

mendie tout un jour, avec Ie cri des longues

douleursr âu milieu drune ville populeuse, je

mrindigner. et je heurterais volontiers ces gens

qui font un détour en passant auprès de lui, qui

le voient et ne I'entendent pas. Je me trouve

avec humeur au milieu de cette tourbe de plats

tyrans : j'imagine un plaisir juste et mâIe à voir

f incendie vengeur anéantir ces villes et tout

leur ouvrage" ( 6) .

De I'aube à la nuitr uD infirme, implorait, au nom du bon

Jésus et de Ia Vierge, et, main dévot faisait un détour pour

l'éviter. Tandis euêr non loin de 1à, à Ia port,e du Théâ-

tre de I'Egalité un simple garçon de boutique donnait à un

malheureux son unique pièce d'argent dont il comptait pay-

er une place au parterre.

Singulière méditation d'Oberman que cette lettre 29,

fruit d'une expérience certaine, et qui nous éclaire sur

le coeur partagé de Senancour. Méditation qui parÈ de la

pure philosophie antichrëtienne et qui s,arrêÈe, à demi émer-

veillée conrme interdite, devant un ineffable mouvement

de charité qui at,tire 1'un vers I'autrer preseue éga1e-

ment pauvres, Ie bienfaiteur et I'obligé. " A paris, tout

I'a deçu : tendre anarchiste que secoue le rire sarcastique

de Gandide, qui maudit et lrancienne société façonnée par


37

le christianisme, êt la tyrannie jacobine gui, sous cou-


leur d'affranchj.ssement,, couvre ( (Ie globe d,oppression
et de désespoir))"(7).

D'autre part,, ses retours à paris avaient drautre cau-


se que le désir de retrouver des parents quittés brutaLe-
ment et de faire publier son oeuvre : ir fallait, veiller
à Ia conservation d'une fortune que les événements rédui-
sirent, à très peu de choses. Mais la Révolution priva à
la fin senancour de la rnajeure partie de sa fortune. Rui-
né, iI s'est senti donc victime de ra Révolut,ion. Alors,
il n'y avait pas de Dieu pour rui et pour res hommes de
bien ; il ne trouva ni grâce, Di sa1ut.

Le mariage malheureux

En février 1790, senancour arrive à Fribourg en suisse.


A Fribourg, les prêtres et les nobles, émigrés de France,
devenaient à ce moment-rà chaque jour plus nombreux, d.'abord
accueillis par une popuration catholique et bien pensante
qui aimait se fratter de rerations avec ra noblesse et qui
n'ignorait pas Ie sentimenÈ de charité. sans être poriti-
quement un émigré, Senancour y fut considéré comme teL.
De toute façon, r'espérance de voir sa mère venir 1e rejoin-
dre.le décida à rester dans ce canton catholique ; Iui-
38

même cert,ainement désirait, cette venue, mais iI commen-

çait à y souffrir de ilabandon. Luirqui n'est pas encore

aussi fortemenÈ détaché du catholicisme qu,iI re croit, a


dû donner Ia préférence aux cantons cathotiques, pour ses
visites au curé d'Etroubles(B).

Enfin, Senancour loge dans une famille patricienne

bien accueillant,e , chez M. Daguet ; dès lors des relations


gu'iI ne peut fuir naissent entre senancour et La famj-lre
Daguet. Senancour y voj.t une jeune fille, Marie-Françoise,
un peu triste. senancour devient le confj.dent de cette jeu-

ne fille mérancolique et recoit d'elre des aveux qui tou-


chent sa propre détresse. Ainsi commença une très brève
périod.e de bonheur, ou prutôt drilrusion de bonheur. Dans
ces premiers expériences amoureuses il jouit d'une "grâce",
au sens religieux.

Mais avant qu'il veuilre lui-même transformer cette


grâce en mariage, il s'enfonce déjà dans une situation dans
laquelre iI doit se marier avec eller pêrc€ qu'iI se devait
draccepter Ia responsabirité de 1'avoir éloignée de la per-

sonne avec laquelle elre avait une liaison auparavant.


Le jour de mariage, tandis que le cortège s'acheminait de
Ia maison drAgy à 1'ég1ise de Givisiez, Senancour avaiL
pourtant des pressentiments noirs au sujet de son mariage
qui ne paraît pas s,être fait de sa seule volonté.
'Enfin, ces pressentiments mauvais se réaIisèrent dans
39

Ieur incompabitité d'humeur ; leur union fut vraiment

marheureuse. La vie avec cette jeune femme de caractère

difficile était alors pour rui d.evenu un véritable enfer.

11 gémissait, sur "les longues sollicitudes, les chagrins

irrémédiables d'une union indissoluble"(9) et iI avait souf-

fert de l'ennui gui, une fois chassé, revient comme le dé-

mon de la Bible

Ailleurs, il y eut pendant ce mariage malheureux un

nouver événement qui rui donna un choc et après de cruers

déboires. Lorsqu'il regagne Ia Suisse en 1BO2 après l,ab-

sence de plusieurs années, iI apprend Ia naissance d.'un en-

fant adurtérin. sa femme avaj-t préparé pendant plusj-eurs


jours de réf1exj.ons, probablement de concert avec ses pa-

rents, fe moyen de I'imposer à senancour. senancour a alors

crairement vu 1'hypocrisie et la duplicité chez une dévote.

Senancour en a souffert plus que de 1a jalousie.

En général, I'héroine préromantique ne croit pas offen-

ser son Dieu en se jetant vers son amant. Au contraire,

elle est de prus en plus persuadée que I'amour est de droit

divin. De son côté, senancour avait professé les idées res


plus libérales en matière de fidéIiÈé conjugale :

"Pourguoi fauÈ-il que Èoute Ia durée d'une femme

nous soit subordonnée ? Ne nous saurait-elle don-

ner de plaisirr pârcê qu'elle en a goûté avec un


40

autre homme ? Ses faveurs sont,-elles plus douces

parce qu'elle les refuse à tous par devoir?"(10)

II a dit aussi dans De l'Ànogr, "Ia jalousie étaj-È une

faibLesse, quand elle n'était pas une sottise"(11). 11

essayait d'êÈre indulgenÈ pour I'adultère de sa femme. Mais

il ne pouvait pas avoir de I'indulgence envers sa duplicité.

D'ailleurs, Senancour ne tarda pas à découvrir Ie cou-

pable qui était le directeur de conscience sa femmer guel-

que Tartuffe :

I'Une dévote qui ne pouvait à seize ans souffrir

qu'on I'embrassât dans des jeux de société ; quj-,


mariée à vingt-deux ans, n'envisageait qu'avec

horreur Ia première nuitr reçoit à vingt-quaEre

son directeur dans ses bras"(12)

Cet homme d'ég1ise avait dû lui parler comme entrée en ma-

tière "du salut et des mortifications de Ia chair,,(12),

lui faire valoir que du moment qu'elIe n,était, plus vierge,


peu importait qu'elle passât drun mari à un amant. Bien

plus que conÈre la femme adulÈère, crest contre cet hom-

me plus sainÈ que lui que se t,ourne sa colère, qu' il a

Ies mots les plus méprisants, les termes les plus durs.

on comprend sans peine que sa propre droiture soit sévère


41

contre un personnage doublement, fourbe. Nra-t-il pâs,

Iui qui sut dominer un attachement, passionné, acquis l-e

droit de condamner lramant ? Contre le coupable sa colè-

re s'épanchait d'abordrplus discrètement, dans une note

de Ia leÈtre 53 :

"Je n'ai pas encore découvert Ia différence entre

le misérable qui (... ) rend une femme enceinte,

puis I'abandonne, et Ie soldat qui dans Ie sac-

cage d'une ville en jouit, et 1'égorge. Celui-ci

serait,-iI moins infâme, êt parce que du moins iI

ne trompe pôs, et parce que ordinairement il est

ivre ?" ( 14 )

Après avoir vu un homme de Dieu oublier son dévouement

et sa femme Ie tromper son anticléricalisme qui est apparu

Iors de ses lectures dradolescence s,exacerba. Et Ia ville

où couvents eÈ églises surabondaient lui parut peuplée d'hy-

pocrites et de petits esprits. Ainsi confrontant sa pro-

pre expérience avec celle de ses parents, Senancour arrive

à maudire le mariage, "les longues sollicitudes, Ies cha-

grins irrémédiables drune union indissoluble',(15), et les

préjugés innombrables "qui vont étendre jusque dans les fa-

milles les contraintes et les amertumes du cloître"(16).

On verra après dans De I'Amour et Observations sur le Gé-


42

nie du christianismer gu'il fait un plaidoyer pour le di-

vorce, protestant contrè Irindissolubilité du mariage.

Pourt,ant malgré la malédiction sur le mariage et l,an-

tichristianisne, iI n'a pas d'ironie envers re mariage chré-

t,ien :

"Un autre sacrement aut,orise entre t.el et telle

le voeu de la nature. Toute autre union des sexes

est illicite et, criminelle, car Ie mariage seuL

sanct,ifie ces plaisirs charneLs qui assimilent

l'homme à la bêt,e, êt donne la grâce d,en haut,

nécessaire pour former de dignes enfants de 1'é-


gIise"(17).

On voit que c'est sur Ie devoir, surtout sur la fidélité


des femmes qu'iI insiste avant tout dans le mari-age, con-

tracté par ra permission divine. Et quand ce devoir avait

été négligé par une dévote et un homme saint, cela ne pou-

vait que renforcer son anticléricalisme.

*
**

Sur sa jeunesse, accompagnée de ces expériences mal-


heureuses, sa révolte sraÈtaque à tout. Sa pensée, à cet-
te heure entièrement détachée de la foi chrétienne, aboutit
pour un temps à un nihilisme absolu"(18).
43

NOTES

CHAPITRE II.I

(1) Le monde, 3 septembre I9BB

(2) sainte-Beuve s'exclamait : "chose étrange ! 1a Révolu-


tion française, en grondant autour de rui-, n'avait ap-
porté aucune perturbation notable, aucun exempre de
circonstance, à travers ra suite de ses pensées,,.rsainte-
Beuve, Portraits Contemporains, t.I, p.165
Et la critique d'outre-Manche de renouvel-er cette re-
marque : "few things in oberman are more unaccountable
than the absence of any reference to the scenes of the
Revolution,,., Oberman, By Etienne pivert de Senancour,
Translated with introduction and notes by J.Anthony
Barnes, p. XVII
(3) G.4., p. 65, n.a
( 4 ) Dans Ardomen, senancour compare longuement La situation
du Groenlandais à celre du prisonnier qui finit par
s'habituer à son cachot(pp. 36-37). Et nous trouvons
dans oberman des exempres : 'Heureux ! moi ? cependant
je le suj-s r et heureux avec plénitude, (... ) conme ce_
lui qui sort de Ia fange des cachotsr êt revoit après
dix ans, la sérénité d,u ciel', (tr,pp75-26); et pour ex_
pliquer comment 1'oubli des grandes doure'rs est impos-
sible :" Je sentis que si (Fonsalbe) eût passé dix an_
44

nées dans un caveau humider sâ santé en fût aItérée


(... ) les peines morales peuvent aussi laisser des
impressions ineffaçablesu (II rp.237) i prison encore,
la vie conjugale, du jour où I'on a décrété I'uni_on
infrangible : "Si quelques hommes ont été un fléau
pour ilhommer c€ sont bien les légisrateurs profonds
qui ont rendu le mariage indissoluble, afin que I'on
fût forcé de s'aimer. pour compréter I'histoi-re de
la sagesse humaine, il nous en mangue unr gui voyant
la nécessité de s'assurer de 1'homme suspecté d.'un

crime et f injustice de rendre malheureux en atten-

dant son jugement celui qui peut être innocentr or-


donne dans tous les cas vingt ans de cachot provisoire,
au Ii-eu d'un mois de prison, afin que la nécessité de
s'y faire adoucisse le sort du détenu et lui rende sa
chaîne aj-mablè " ( r, p.205 ) . Et i1 y a aussi partout
l'évocation d.es brutalités du geôlier(cf. ob.LeLtre
45) et des chaînes(Cf. Ob.,Lettre 43).
( 5 ) ob. , t. I, p.10I

(6) Ibid., p.1I1

(7 ) A. ltonglond, Ir4ariage, p. 238


(8) Oberman (une journée dans les montagnes) rend visire

au Curé de Saint-Rémy.

( 9 ) G.4., p. 94

(10) Ibid., pp. 29g-2g4


45

(11) Ar.,1808, p.56

(12) Ob., t. II,p. 28

( 13 ) Ibid.,p. 30

( 14 ) Ibid. ,p. 87

(15) G.4., p. 94

(16) Charly Guyot, Voyageurs romantiques en pays neuchâte-

lois, pp. 107-108

( I7 ) c.A. , p. 354

(18) G.A.rp. VIII, Introduction par Marcel Raymond


46

CHAPITRE IV

LA REVOLTE DANS SES PREMIERES OEUVRES

senancour commence à l'âge de 22 ans sa carrière d'hom-


me de lettres, faisant paraître une plaquette, "Lps premiers
âges", êt I'année suivante, "sur res générations actuelres,,.
ces deux livres jumeaux de senancour, au lieu de se répon-
d're, de se compléter, se recouvrentr âu moins partielle-
ment i ilun traite des "incertitudes" du premier âge et L'au-
tre des "absurdités', douloureuses du présent.
L'attitude rerigieuse de l,auteur qui se trouve dans
Ies deux livres est Ia même ; elle est très négative à I'é-
gard de Ia religion. Nous verrons comment le senÈimenr an-
ti-religieux, qui est devenu plus profond après les lectures
de philosophes et qui s'est confirmé dans ses expériences
misérables se concréÈise dans ses prernières oeuvres.
47

*
**

chez ce très jeune hommer Çui s'érance avec tant d'in-


trépidité, de naïveté, à Ia conquête de la solitude, pour
y rencontrer Ia nature et ra libertér on discerne un pen-
chant à la mysticité, sinon au mystj_cisme. Mais Senancour
est 1'éLève des philosophes.

Les premières paragraphes des premiers âges débutent


par une prise de conscience de soi-même. "Je suis", disent-
i1s, pour ajouter incessamment : "Mais qui suis-je ?"(1)
La soluti-on de ce problème est celre que recherche toute
philosophie et toute religion. or son cogito fait ressor-
tir surtout sa petitesse, dans l'espace et dans l_e temps,
sa déréliction qui I'angoisse, en une obscurité totarer pour
commencer, souffrir et finir. rI entend cependant I'autre,
son sembrable qui arrive à f improviste : "Nous t'instrui-
rons, cat nous savons tout" (2). Un pèrer un maîÈrer un

roi, un prêtre lui parlera. u n h o m m ee n t o u t cas qui s'est


levé avant moi, que des générations et des générations ont
précédé et qui s,offre à me revêtirr ou à m,aliénerr Çui
m'impose cette aliénation en me forçant à penser, à croire,
à agir comme res autres. on lui apprend, que c'est un mar
que d'avoir certaines d'idéesr uD mal de les communiquer.
on Lui apprend aussi que s'iI ne croy.ait pas en Europe à un
48

Dieu bon, il souffrirait éternellement, que s'il ne confes-

sait pas Ia liberté de I'hommer on l'enfermerait pour I'en

convaincre(3). Etc;

Itlais tout commence avec Senancour par un grand ref us,

refus d'accepter I'héritage humain, I'histoire. Libre du

joug universel de I'opinion des hommes, i-l oublie quel cul-

te fut celui de son enfance. Dans ce refus, Senancour va

subir pourtant I'angoisse métaphysique et f insécurit,é cos-

mique conrme une maladie dont, il ne guérira jamais i ces sen-

timents étaient largement répandus au dix-huitième siècle ;

Locke et ses successeurs s'étaient. efforcés de les appri-

voiser, de les apaiser. Senancour sera dans la situation

du libertin que Ia considération de I'abÎme met au déses-

poir, €t qui refuserait I'eau bénite. 11 ne peut qu'inter-

roger ; mais "l'univers se tait ; I'univers est incompré-

hensible" (4) . "Ce silencieux univers m'étonne" (5) . Quand

iI n'entend aucune parole et rien ne se révèIe, l'extrême

faiblesse que ressent Senancour et son effroi devanÈ I'in-

sondable éveillent en lui un esprit de prière. Mais cette

prière n'est qu'une prière conditionnelle, une prière au

dieu absentr âu dieu inconnu qui peut-être nrentend pas :

"O Être seul illimité, seul éternelr Çuê I'homme


religieux blasphème, que dans son indicible démen-

ce il ose presque faire semblable à lui I grand


49

tout, être que je ne puis atteindre, dont je dé-


sire 1!existence, dont Ia nature m'est inconnue,

si tu es, pardonne t O pardonne, si en m'ané-


antissant devant toi, ma bassesse t'outrage en-
core en trinvoguant ! Tu es trop grand. pour vou-

loir le mal : je ne redoute point, à peine puis-


je adorer. Plus près de toi... j'oserais aimer.
Si j'étais grand, impassible, m o n h o m m a g es e r a i t

moins intéressé, plus généreux ; mais je sais un


atome qui souffre un moment et disparaît : eh bien

! je souffre, j'adore,demain je ne serai plus (...)

Principe universel, tu fus, tu es, tu seras"(6).

on ne trouve ici que des aspirations chrétiennes refou-


lées, désorientées; I'idée de Dieu est en effet loin de cel-
le du chrétien ; "I'être seul illimité, seul éternel" appa-
raît presque une Divinité abstraite, identifiable avec Ia
Nature, le Grand Tout.

De cette attit,ude religieuse ressortent ses affinités


avec ses maÎtres. senancour a Iu 1es Anciens et les l"Ioder-
nes, Pascal, Buffon, Montesquieu, Rousseau avec une atten-

Èion particulière, I'abbé Raynal ; mais il a été fort impres-


sionné par la "secte" qui incrine au matérialisme ou en fait
profession, par Diderot, d'Holbach, Helvétius, Boulanger,
Fréret. NuI doute qu'ir n'ait, feuilleté les brochures er
50

les tracts qui sont sortis, vers 1770, de I'officine du


Baron : la Théologj-e portative, L'Esprit du Clergé, Les Dou-
tes sur Ia religion, De la cruauté religieuse, pe I'impos-
ture sacerdotale, Les prêtres démasqués, Ie Christ dévoilé...
vaste entreprise de démystificationr guêrrê ouverte conrre
toute espèce de mystère(7).

pess êux, le sentiment religieux est une erreur, un va-


gabondage de f imagination qui finit par faire de U imagi-
naire une réa1ité opprimante, mortelle. Dieu, crest I'ener-
gie de la nature peu à peu déifiée. "Le mot Dieu", écrj_ra
Dupuis en L794, "paraît destiné à exprimer I'idée de la for-
ce unj-verselre et éternerlement actj-ve qui imprime re mouve-
ment à toute la nature" ; d'Holbach d.isait déjà : ,, (Les
h o m m e s) f i r e n t peu à peu de cette énergie ( de la nature )
un être incompréhensible qu' j-ls personniflèrentr Çu'i]s
appelèrent le moteur de la nature, qu,i1s désignèrent sous
le nom de Dieu'(8). Ce Di-eu-1à, peu s'en faut qu,il ne soit
Ie mal : dans la dernière de ses additions aux pensées philo-
sophiques, Diderot mettait en scéne cet homme des premiers
temps gui, voulant se venger de ses sembrables, s,élance
hors de Ia caverne en criant : "Dieu ! Dieu !'r. eue se pas-
se-t-iI ? z Drabord les hommesse prosternent, ensuite irs
se relèvent, s I interrogent, disputent, s, aJ.grissent, s, ana-
Èhématisent, se haissent, srentr'égorgent. .., (9) .
De sbn côté, senancour est prus fort ; nous pouvons mieux
51

Ie prouver dans les Générations actuelles qui a un ton plus


sombre et plus âpre que le livre précédent

*
:b*

Dans sur les Générations actuellesr ên appelant aux


foudres céIestes, r'auteur s'irrj-te contre " I'humain à ja-
mais exécrable gui, 1e premier, nous déchira par le moyen
imaginé pour nous consoler " , et " perpétua par 1'autorité
d'un Dieu (... ) re joug que des scélérats imposèrent aux
nations ". rl 1uj- paraît contradictoire et absurde qu,un
Dieu se soit plu " à nous tirer du néant pour nous tourmen-
ter dans 1'éternité" ( l0 ) .

En fin de compter euand à ra formation des religions,


la théorie à raquelle s'arrête vol-ontiers senancour 1'asso-
ciera à I'institution des régimes tyranniques (11); pour
assurer son pouvoir, Ie chef, le maître, re roi qui est né-
cessairement un imposteur, se réclame d'un dieu dont ir sera
désormais le "lieutenant". euand " le faibre opprimé dit
au fort oppresseur : tu me tyrannises et tu n'es que mon
égal", le rourbe lui répondit : un être supérieur à tous
deux m'a fait ton maître. Dès rors f infortuné appella ses
maux destin, volonté des dieux. Et de proche en proche,

"cha.cun imaginant un défenseur contre le protecteur de son


adversaire, tout fut déifié.(12).
52

se sentant menacé, chacun cherche appui dans le "surnaturel"


Mais le résul-tat n'est que terreurs, abîmes :

"les peuplesr eui veulent une religion consolante,


et non des dogmes désespérants, croient I'action
perpétuelle et immédiate de Dieu sur le monde,
et ses regards fixés sur lthomme, dont 1es verrus
ou les vices volontaires lui plaisent ou f irri-
tent, êt qu'iI a fait libre pour donner une mo-
ralité à ses actions, €t lui commander en partle
par la persuasion, tandis qu'iI exerce sur Ie res-
te un empire absolu, sous lequel I'homme doit un
jour rentrer pour éprouver toute Ia bonté d,un
Dieu r:émunérateurr ou tout Ie pouvoir d'un Dieu
vengeur sur sa f aible créature qu'il a i _ m eo u q u ' i l
abhorre. Ainsi de I'espoir naquirent les terreurs:
1'asy1e fut construit, mais 1'abyme fut creusé"(13).

En définitive, Senancour conclut,, le but initial de la reli_


gion ne reste que de soumettre rrhomme à l,hommer eue de ré-
primer les instincts du faibre qui pourrait sentir croître
sa force. "oh ! les absurdités humaines',, semble t-ir crier.
senancour se révolte fort autant contre des prêtres
et des anachorètes qui se dévouerent à leur culte, dans des
temples magnifiques, comrneles esclaves dans 1es palais
53

somptueux des rois que contre ilimposÈure de roi. rr met


sur I'image de monde re tableau de ra démence qui s,étend
de siècIe en siècre, de pays en pays. La terre grouille de

"dervis, de fantômes, de bonzes, de moines, de fakirsr eui


partout sont les derniers des hommes ; d.,anachorètes aus-
tèresr Çui en sont les plus infortunés" ( l.4) . euand i1s
font produire le fanatisme de la vie ascétique, il_s doivent
être condamnés :

"Un moine est un être absurde, malheureux, inutile


et mauvais : victimes de leurs préjugés, i1s les
étendent et Ies multiplient ; si de durs devoirs
leur sont imposés, ils prêchent à reur tour de cru-
elles vertus et débitent d'innombrables préjugés,
qui vont étendre jusques dans les familles la con-
trainte et, Ies amertumes du c1oître. Le peuple,
Èoujours stupide, envie Ie sort paisible de ces
infortunes qui végètent rongés d'ennui , iI admire,
il vénère ces despotes obscurs, souvent les plus
vils et les plus fourbes des hommes"(15).

La faute de son enfance triste, de cette atmosphère de croî-


t're q u i r é g n a i t chez ses parents, Senancour I'attribue ain-
s i aux prêtres :
54

"Les prêtres gui, chez les peuples peu civil_isés,

sont toujours les plus oisifs, êt dès lors les


plus adroits de la nation r qui, plus écoutés,
n'en sont que plus fourbes ; et plus vénérés,nren
sont que plus prompts à nuirer sê sont partout

emparés de Ia médecine, des sorts, de Ia divina-


tion et des maléf ices,'(16).

Pour rui, 1a vie chréti-enne que les prêtres représentent est


un symbore d'absurdité et le Dieu de ilEgrise n'est rien
drautre que le vengeur qui cherche ses victimes, 1,épouvan-
tail quragitent les rois et leurs prêtres.

"Ces opinions erronées peuplèrent 1'Europer êfl-


trrautres contrées, d,infortunés gui, pour obte-
nir le bonheur après 1a mort, vouent 1eur exis-
tence aux privations et aux larmes, êt marchent
au ciel- par la voie austère de I'abstinence, d,es
flagellations, du silence perpétue1, de toutes
1es austérités dont Ia démence humaine se plut

à accroître ses misères" ( 17 ) .

Lrunivers de Senancour n'estr ên effet, gu'un univers


absurde ; la vision sinistre qui s,est certes formée pendant
res ânnées au coIlège de la Marche, dans ra solitude et res
55

deux expériences malheureqses I'ont bien confirmé. La foi,

ou plus précisément les croyances religieuses y prennent

seulement 1'aspect des superstitions les plus ridicules.

L'idée de Dieu ne sera guère qu'une déformation de celle de

Ia Nature et, Ia Providence ne sera qu'ilIusion consolante.

Doncr sâ révol-te s'attaque à tout ce qui, comme les "absur-

dités humaines", Ies opinions, Ies contradictj-ons et les

songes informes, végètent et fermentent dans 1'esprit de

1'homme, et qui "font du monde intellectuel une atmosphère

sans bornes connues, obscure, nébuleuse, agitée de mi1le

vents qui }e bouleversent sans reIâche, êt sillonnée de

lueurs passagères, d'éclairs sinistres qui ne présentent

par intervalle le hasard de la lumière, au milieu de la per-

manence des ténèbresr euê pour instruire les orgueilleuses

intelligences égarées dans cet océan illusoire, que dans

son étendue illimitée iI n'est aucun point fixe où se re-

poser, mais au-dessous des abîmes sans fond, êt au-dessus

Ie néant" ( 18) .

I1 est évident que Senancour se révolte conÈre les

prêtres et leurs dogmes, mais iI se révolte également con-

tre les philosophesr plus exacÈement contre tout ce que

leur pensée a de constructif. Pourquoi cette rupture, à

travers l'antiphilosophie, malgré sa dette considérable

envers les philosophes français du dix-huitième siècle ?

Pouf lui, "les philosophes du dix-huitième siècle ne se


56

sont pas bornés à faire table rase. Ils ont essayé de

j,eter les f ondements des sciences de t'fronune pour ne

rien dire des sci-ences de la nature" (19 ) .


57

NOTES

CHAPITRE IV

(1) P.A.'p.I

(2) Ibid., p.2

(3) Ibid., p.6

(4) Ibid. , p.26

(5) Ibid.,p.25

(6) Ibid., p.9

(7) Voir Senancour, Marcel Raymond, pp.3g-39

(8) drHolbach, Histoire critique qe Jésus-Chr , chapitre


I(De I'univers-Dieu et de son culte)
(9) Additions que publia Naigeon en 1770. Diderot utilisera
une seconde fois cet apologue dans la Conversation d'un
philosophe avec la Maréchale.
(10) G.4., p.71

( 11) cf. Ibid. , p.130

(12) Ibid., p.72

(13) Ibid., p.115

(14)-(15) Ibid., p.193

( 16) Ibid. , p.200

(17) Ibid., p.361

(18) Ibid., p.103

(19 )' G.A. , Introduction par lvt.Raymond,p.XV


DEUXIEMEPARTIE

L I ANTICHRISTIANISME

D E SENANCOUR DANS LES OEWRES DE JEUNESSE


59

CHAPITRE PREMIER

LES PREMIERES REVERIES

Dans 1es premières Rêveriesr pâruês en 1799, r'attitude

anti-religieuse des Générations subsist,e, mais 1'esprj-t de

senancour y évorue peu à peu davantage vers un anti-créri-

calisme de Èendance plus précisément, anti-catholique.

surtout 1a neuvième Rêverie révèIe clairement son antipa-

thie contre Ie christianisme.

D'abord, Ie christianisme organisé, le catholicisme


y est traité conrme une imposture t pour gouverner les hom-

mes sans les rendre heureux, croit-il, on les a trompés par

res moyens religieux. rr est une déviation de la pensée qui

s'obstine à faire enfin souffrir |homme. rr voit dans Ia


sérénité du sage ra forme la plus achevée de ilorgueir ; it
affirme un Dieu en qui la justice triomphe de la bonté, êt
quroffensent les fautes des homnes, malgré leur petitesse et
50

sa grandeur. Ce Dieur eui exige jalousement que tout tui


soit rapporté, iI est le Dieu puissant et Ie Dieu caché.
'rrl est encore le Dieu jaloux qui ne souffrira jamais que
vous vous éloigniez des sentiers que nous tracerons : ir
est surtout 1e Dieu terrible, le Dieu vengeur, Ie Dieu
exterminateur i et ce qui doit redoubreï vos précautions,
votre zèIe, votre amour, il est, souvent le Dieu tentateur,,
(1). D'ailleurs, le Dieu qui se pIaît aux carnages est

cruel et absurder pârcê que sa volonté est 'rantérieure aux


principes humains"(2). Néanmoins, on conclut absurdement,
de 'sa grandeur infinie que ilhomme ne saurait iloffenser,
ou du moins ne peut I' irriter i I' auteur des Rêveries
garde ici Ie ton des Générations, dénonçant les absurdités
humaines.

Mais quand Ies prêtres disent : "ir ne faut être qéné-

reux qu'envers 1es ministres des autels,,, ne se


"onar"lr-
sent-ils pas ? Et si on permet que nos frères soient mas-
sacrés au nom de Dj-eur pârc€ qu'ils ont peu de foi, n,y a
t-il point rà de contradicti-on ? senancour démontre que
c'est absorument une erreur. Le christianisme nous demande
d'agir comme suit :

"(...) détruisez en vous I'homme de la n a c u r e pour


y substituer I'homme de la grâce docile à nos vues.
Ne doutez pas un moment, tout examen est une im-
6I

piété, toute discussion est un blasphème"(3) i

"Moyennant ces combats, ces sacrj-fices, ees priè-

res, ces macérations, vous obtiendrez une éternité

de contempations ineffables, si, après la vie la

plus méritoire, une mauvaise pensée ne vient à

I'instant de Ia mort vous plonger pour jamais dans

Ies abîmes infernaux" (4) .

voilà ce que senancour appelle I'imposture. A quoi bon se

soumettre à ra morare chrétienne ? demande-t-il. La reri-


gion chrétienne usurpe les titres dont elle se targue pour

se présenter comme la seule garantie eontre la peur de la

mort. cette illusoire désir de survivre dont les chrétiens

tirent argument pour affirmer ra réalité de la vie éter-

nelle de l'âme ne trouve pas son compte dans de te11es

reçons. Nous nous souvenons ici drune phrase de dtHolbach,

condamnant également Ia morale chrétienne :

"Si, commela religion chrétienne 1e répète si

souvent, le nombre des élus est'très petit, Ie

salut très difficle, le nombre des réprouvés très

grand et la damnation très faciler eui est-ce qui

pourrait désirer d'être toujours avec Ie risque

si évident d'être damné éternellement ? Ne vau-

drait-il pas mieux n'être point né que d'être


-62

forcé contre son gré de jouer un jeu aussi dan-

gereux ? te néant lui-même ne présente-t-il pas

une idée préférable ?'( 5 ) .

C o m m eS e n a n c o u r , d'Holbach trouve Itimposture appuyée sur

le fanatisme, insultant à la raison pour se soustraire à


lrexamen, divinisant ilabsurdité par rraudace et semant les

haines pour obtenir I'empire.

A vrai dire, lrauteur des Rêveries est encore la proie

drun ressentiment qui pèse sur lui depuis lradolescence.

Des traces de son animosité contre les prêtres et la "su-


perstition" sont surtout les restes d'une irritation pro-

voquée par 1'austérité du milieu famitial, renouvetée par

Itecclésiastique de Fribourg et les rancoeurs d'un mariage

malheureux. De toute façonr on estime que les premières

Rêyeries montrent I'antichristianisme le plus absoru de

toute son oeuvre.


63

NOTES

CHAPITRE PREMIER

( 1) R. , 1, p.128

(2) Ibid., p.130

(3)-(4) Ibid., p.L29

(5) Lettres à Eugénie, O.C. de Fréret, II, p.102


64

CHAPITRE II

OBERMAN

Oberman, l-toeuvre la plus connue de Senancour conserve

bien la dominante anti-catholique des Rêveries de L7gg, mais

avee moins de virulence et avec des nuances nouvelles.

Les lettres d'Oberman qui traitent des religions sont

adressées à un ami qui voulait Ie convertir. Oberman il

est le reflet dfune étape de 1tévolution de Senancour

polémique 1à avec 1'ami inconnu, donnant ses opinions reli-

gieues. Or Ie sentiment d'opposition à sa conversion esÈ

suffisamment fort pour calmer sa conscience chrétienne.

En réalité, res parents de senancour avaient toujours essayé

de convertir leur fils. Quand Senancour revint de Suisse

après Thermidor, iI a dû entendre la mêmepersuasion que

celle de la mère de Léon BIoy : "Pourguoi as-tu rejeté

sans un profond examen Ia foi de ton enfance ? (... ) Ton


65

coeur cependant a besoin drun centre qu'il ne rencontrera


jamais sur Ia terre. C'est Dieu, c'est f infini quril te
faut et vers lequel te poussent toutes tes aspirations,'(1).
Mais il semble que leurs efforts rui faisaient violence i
"On voulait me convertir,r (2) , dit Oberman, évoquant les
derniers jours de ses parents.

rl y avait quand même ra tentation de croire, exprimée


dans les lettres 38 et 43, "soit qu'il y ait dans son esprit
une lassitude impuissante à rien affirmer, soit qu'ir ait
honte de la candeur de la foi"(3). par exemple, Oberman

essaie de voir à quels besoins du coeur répond ra religion


dans sa lettre 43. Mais déçu, son esprit se révoIte :

"La religion finit toutes ces anxiétés, elle fixe


tant d'incertitudes, elle donne un but qui nrétant
jamais atteint n'est jamais dévoilé : elle nous
assujettit pour nous mettre en paix avec nous-
mêmes i eIIe nous promet des biens dont I'espoir
reste toujours, parce que nous ne saurions en fai_
re l'épreuve ; elle écarte I'idéê du néant, elle
écarte les passions de la vie i eIIe nous débar-
rasse de nos maux désespérants, de nos biens fugi-
tifs ; (...) Elle est aussi bienfaisante qurelle
est solennelle ; mais el1e semble nrexister que
pour ouvrir au coeur de I'homme des abîmes nou-
66

veaux. Erle est fondée sur des dogmes que plusieurs

ne peuvent croire : en désirant ses effets,


ils ne peuvent les éprouver ; en regrettant sa
sécurité, ils ne sauraient en jouir"(4).

rl reconnaît que ra foi fournirait une règ1e à sa volon-


Lê, une attente à son coeur. Mais son instinct très exi-
geant répugne à admettre en même temps deux sortes de véri-
tés i parce qu'il ne respecte gurun type intellectuer de
véritér eui ne peut sraccorder avec le mode draffirmation
propre au sentiment. rr dépend de vous de croire, a dû
dire I'ami d'Oberman(5). Mais Oberman proteste qu'iI ne
peut décider de rien encore : "j'aimerais mêmeà ne pas
nier ; mais (... ) je trouve au moins téméraire d'affirmer,,(6).
Là-dessus, iI se met à r'aise pour discuter : il ne suffit
pas de me prouver qu'il nrest nurle raison de ne pas croire,
ni que mon intérêt est de croire ; prouvez-moi que je ne
puis ne pas croire. La beauté d'un dogme nrest point signe
de vérité : "Ce dogme est beau et consolant sans doute i
mais ce que j'y vois de beau, ce gue j'y trouverais de con-
solant' loin de me le prouver, ne me donne pas même rres-

pérance de le croire"(7). Si on demande dressayer aveugle-


ment de prendre de Iteau bénite, cfest seurement du sophi-
sme.

La vérité ne saurait exigerr pour sê raisser voir, gu,-


67

on se soumette d'abord à eIIe, tout en Itignorant. S'il


ouvre Pascar, la preuve par les martyrs ne lui donne au-
cune confirmation : tous res fanatismes ont seulement pour
lui une "puérilitéu. "Ce raisonnement est décisif s,il
s'agit de la conduite, il est absurde quand c,est la foi
que l'on demande. croire a-t-il jamais dépendu de la vo-
lonté ?'(9). parier nrest pas pour lui croire et parier
nrest pas Ie chemin qui mène à Ia croyance :

"Ne vous attachez donc plus à nous prouver que

dans la vie sociale telle qutelle est, chacun en


particulier aurait. intérêt à croire. On vous

accorde celar êt même iI y aurait de la mauvaise

foi à Ie contester. (... ) ce dont if faut que

vous vous occupiez, crest de nous donner Ie pou-

voir de croire. Etablissez la vérité, I'incontes-


table vérité des choses que vous annoncez"(I0).

senancour avait alors des scrupules à trancher et son


esprit était trop encombré de raisonnements phirosophiques

pour juger à propos de remettre en question toute ra vérité.


rnsistant sur le jugement de la raison comme la base indis-
pensabre de toute pensée morale, à oberman senancour fait
choisir le doute i ,,Le doute, crest Oberman'r a dit George
Sand dans la Revue des Deux Mondes, 1e 15 juin Ig33.
68

Le doute peut être la preuve d'une impuissance de

Itesprit à penser et à vouloir, mais opposé au"doute de

faiblesse", il y a aussi Ie "doute de force" qui vient de

Ia plus ferme pensée et de la plus résolue. Pour Ie cas

d'Oberman, le doute appartient plutôt à Ia deuxième caté-

gorie, comprenant d'une part le doute méthodique où on sus-

pend son jugement à I'égard des idées dont la vérité n'est

pas évidenter ên attendant qu'on puisse les démontrer et

drautre part Ie doute sceptique où on ne saurait être ab-

solument sûr d'aucune chose.

Ainsi, iI lui arrive d'examiner, mêmele christiani-

sme. Le haissant comme institution et doctrine arrêtée, iI

en tiendrait compte comme de toute manifestation incomplète

de Ia vérité essentielle.

*
**

Dans la lettre 8I, Oberman est mis en demeure de s'ex-

pliquer sur la morale chrétienne. Il a fait d'abord ad-

mettre à son contradicteur que Ia morale est t'objet de 1'é-

crivain : I'Vous convenez que Ia morale doit seule oecuper

sérieusement I'écrivain qui veut se proposer un objet utile

et grand"(11). Or, "en parlant de morale, comment ne rien

dire des religions ?" (L2) . I1 ne craindra jamais de parler

des religions, mais sans vouloir en détruire aucune en au-


69

cun point du monde. "En écrivant sur les affections de


l f h o m m ee t sur re système généra1 de l'éthique, je parJ-e-

rai donc des religions ; et certesr ên en parrant, je ne


puis dire drautres choses que celle que j,en pense,,(13).
Les chrétiens insistent Eur ra morale religieuse,
joignant la religion et la morare. senancour comprend
bien que "la morare bien conçue par tous, ferait les hom-
mes très justes, et dès l-ors très bons et t,rès heureux"(141.
Mais est-ce que la morale rerigieuse sera conçue par tous ?
oberman nrest pas de cet avis ; est-ce que I'on est athée,
conteste-t-irr parce quron est méchant ? euand on dit que

"lrhomme de bien ne peut que désirer I'immortalité et on


a osé dire d'après cela: le méchant seur n,y croit pas,,(rS),
ce jugement téméraire prace dans ra crasse de ceux qui ont
à redouter une justice éternerle plusieurs des plus sages
et des plus grands des hommes. Est-ce que 'tout homme qui
croit finir en mourant est lrennemi de ra société ?,,(16).
Est-ce que I'athéer eui ne croit pas à la vie éternelle,
est lfennemi de la société ? ce jugement atroce ou imbé-
cire de I'intolérance est sans doute pour oberman une erreur.

rrAu moins, objectera-t-on,


la foule n'est pae
ainsi organisée. Dans le vulgaire des hommes,
chaque individu ne cherche que son intérêt per-
sonnelr êt sera méchant stil n'est utirement trom-
70

pé. - Ceci peut être vrai jusqu'à un certain point.


si les hommes ne devaient et ne pouvaient jamais
être détrompés, iI n,y aurait plus qu,à décider
si I'intérêt public donne Ie droit de mentir, et
si c'est un crime ou du moins un mal de dire la
vérité contraire. Mais si cette erreur utiler ou
donnée pour tel1er rê peut avoir gu'un temps, €t
sril est inévitabre qu'un jour on cesse de croire
sur paroler Dê faut-il pas avouer que tout votre
édifice moral restera sans appuir Çuand une fois
ce brillant échafaudage se sera écroulé ? pour
prendre des moyens plus faciles et plus courts
drassurer Ie présent, vous exposez I'avenir à une
subversion peut-être irrémédiable,'( I7 ) .

Donc' ir est dangereux de fonder la morale sur la religion i


ear la morale disparaîtra aussi, si la religion disparaît
un jour. rt y a 1à ra faiblesse, des bases de la morare
religieuse, fondée sur la foi dont la persistanee est aIéa-
toire ; tandis que "si au contraire vous eussiez su y met-
tre ce qui pouvait manquer au monde sociar, aux institutions
de la cité, votre ouvrage (... ) eût été durabre comme re
monde'(18). comme oberman, senancour pense finalement que
I'on reconnaîtra plus universellement la nécessité de ne
plus fonder cet asire morar sur ce qui s'écroule.
7L

Une autre raison pour laquelle Oberman ne peut pas

accepter la morale rerigieuse, crest parce qu'eIle est in-


efficace.

"Je veux vous montrer des êtres plus forts que

vous, et qui sont presque toujours indomptés ,


qui vivent au milieu de vous, non seulement sans
frein religieux, mais mêmesans lois ; dont les
besoins sont souvent très mal satisfaits ; qui
rencontrent ce guron leur refuse, €t ne font pas
un mouvement pour I'arracher : et parmi eux, tren-
te-neuf au moins sur quarante mourront sans avoir
nui, tandis que vous prônez I'effet de Ia grâce,

si parmi vos chrétiens, iI y en a dans ce cas,

trois sur quatre. Où sont des êtres miraculeux,

ces sages ?" ( 19 ) .

senancour montre conme un autre exempre le sujet dfun prince


qui succombe à la vue de ltor, à ra vue d'une berle femme :

"Où est le sujet gui, jouissant de sa raison, ne


sera pas dans I I impuissance de contrevenir à I'or-
dre de son prince, s'il lui a dit : vous voilà

dans mon harem, au milieu de toutes mes femmes i


pendant cinq minutes n,approchez dfaucune : j,ai
72

I'oeil sur vous ; si vous êtes fidèle pendant ce


peu de temps, tous ces plaisirs vous serons per-
mis ensuite pendant trente années dfun prospérité

constante ?" ( 20 )

Le sujet' eui n'a besoin que de croire à la parole de son


prince, nra pas de foi.

"Assurément l-es tentations du chrétien ne sont


pas plus fortes, €t Ia vie de lrhomme est bien
moins devant 1'éternité, que cinq mj-nutes compa-
rées à trente années : il y a il infini de distan-
ce entre Ie bonheur promis au chrétien, et l_es
plaisirs offerts au sujet dont je parle ; enfin
la parole du prince peut laisser quelque incer-
titude, cerre de Dieu n'en peut raisser aucune"(2r)

Dfailreurs, la morale de la religion qui pourrait être


un moyen de fanatisme et de persécution n,est pas logique.

"La morale gagnerait beaucoup à abandonner ra force d'un


fanatisme éphémère, pour stappuyer une majesté sur Irinvio-
Iablè évidence" (221 . Oberman ne veut pas que la morale se
modifie de cette façon :

"I1 faut se hâter de prouver aux hommes qurindé-


73

pendamment d'une vie future, Ia justice est né-


cessaire à leurs coeurs t quer pour t'individu
même, il n'y a point de bonheur sans la raison, et
que les vertus sont des lois de la nature aussi
nécessaires à lrhomme en société que les 1ois
des besoins des sens" ( 23) .

Ainsi, si la religion est un mal, crest par rrineffica-


cité, pêr ilincohérence de la morale, pour ainsi dire par
ses erreurs. rr faut donc séparer la morale de la religion i
il recherche la morare naturerre, pas la morare religieuse.

A ce moment 1à, les vertus morales sont pour senancour comme


pour Oberman des lois de Ia nature.

"Puisque I'homme avait reçu le sentiment de I'or-


dre, puisqu'il était dans sa nature, iI fallait
en rendre le besoin sensible à tous les indivi-
dus" (24\.

cette idée nrest pourtant pas spécifique à senancour.


Mêmeavant Rousseau, des moraristes srefforçaient déjà de
détacher la morale de ra rerigion et de ne plus faire re-
poser nécessairement rrune sur lfautre. L'idée srétait
répandue que la vertu nrest p â s r c o r n m eI r e n s e i g n e le chris-
tianisme, une lutte contre la nature, mais Irheureux déve-
74

Ioppement de la nature. La nature est substantiellement

bonne. Pour pratiquer Ia vertu, il ntest pas besoin du

secours de Ia grâce, mais simplement de lrusage de la rai-


son(25).

Nous pouvons finalement tirer une conclusion drune


phrase que senancour déclare par l'intermidiaire de son
héros : "j'admire la religion telle qu'erre devrait être'u(26)
Et nous pouvons supposer guê, dans ces considérations sur
la morale religieuse, senancour peut confirmer rrantichris-
tianisme, non pas par la négation absorue du christianisme,

mais plus raisonnablement par Ie doute.

*
**

Enfin le christianisme est chez lui considéré comme


une religion dépassée. Chateaubriand dans lrEssai sur les
Révolutions, se demandait au même moment q u e l l e religion

"remplacerait le christianisme',. Dans Ia dernière décen-


nie du sièc1e, les nouvelles générations pensent assister

à un grand naufrage :

I'Pour tout signe dtespérance et dtunionr c€ gibet


sanctifié, étrange emblème, triste reste d'insti-
tutions antiques et grandes que lron a misérable-

ment perverties" ( 27 ) .
75

Le christianisme nrest plus qurune rerigion qui a fait fair-


lite i "re culte est désenchanté" et "r,arche est usée"(2g).
11 falrait donc une croyance sublime. vous eroyez au ré-
veil de lrancienne ferveur ? vous eroyez à ra renaissance

de lrEg1ise ?

"Je ne suj-s pas fâché que vous en fassiez 1'ex-


périence t je nren conteste point Ie succès, êt
je le désirerais volontiers : ce serait un fait
curieux" (29).

comme oberman le prouve, senancour lui-même a cherché


appui, consoration, espoir à I'aide des mêmes arguments,

mais son intelligence srest rebellée. Autour de lui il voit


1a croyance ruinée ehez tant de ses contemporains. La dé-
monstration des aporogistes ni ne re convainc ni ne re per-
suade. L'immoralité de quelques prêtres(30), Ia médiocri-
té de tant dfautres re troublent. rl sfoffusque de reur
nombre même. L'anthropomorphisme des symbores religieux

le choque. Né mystiguêr ir demandera un jour aux révé-


lations du moi profond querques-unes des espérances que

ra raison semble lui refuser. Mais entre rg0o et lg03 ir


s'arrête encore à une religion qui soit, ptutôt "qurune
simple partie du code civil", I'le résurtat le plus révéré
des conceptions humaines, le seul édifice moral des lois
natureI1es,ayantpoursanctionnécessaireetadorée
76

I'intelligence des mondes, senti.e dans I'homme et dans

toutes choses, mais non expliquée et personnifiée par I'hom-

me"( 31) .
77

NOTES

CHAPITRE II

(1) Jacques Petit, Léon BIoy devant Dieu, p. l8


(2) ob., r' p.203

(3) J.Merlant, Senanqour, p.134

(4) ob., T' p.185

(5)-(6) Ibid. 'p.187

(71 Ibid., p.188

(8)-(9) Ibid' p.189

( 10) R. ,II , p.79

(11) Ob. II' p.I77

(L2) Ibid., p.181

( 13 ) Ibid., p.182

( 14 ) Ibid., p.31

(15) rbid.,r, p.189

( 16 ) Ibid., p.190

(I7) Ibid., pp.t90-I91

(18) Ibid., p.19I

( 19) Ibid. , II, pp.2L-22

(20)-(2I) Ibid., p.98

(221 rbid. , r, p.I43

(231 lbid., p.191

(241 Ibid., p.r94


78

(25) Voir Pré{c3er!._qte, A.Monglond, p.25

(261 Ob., II, p.3I

(27) Ibid., r, p.64

(28')-(29) Ibid. , Ir, p.23

( 30) On lit une phrase exprimant I'antipathie contre le


prêtre : "je vois pour patriarche, un prêtre avide,

sinistre, aigri par les regrets, séparé trop tôt du


monde : un jeune hommechagrin, sans dignité, sans
sagesse, sans onctionr eui damne les faibles et ne
console pas les b o n s : ' ,, O b . , I I p . 6 4

(3f) A.Monglond, Le journal intime d'Oberman, p.2L4


79

CHAPITRE III

oBSERVATTONS
CRTTTQUEq

SUR LE GENIE DlI CHRISTIANISME

senancour fait paraître en 1Br6 une oeuvre de criti-


que religieuse, "Observations critiques sur l,ouvrage inti_
turé Génie du christianisme". Mais nous supposons gue ce
livre était composé auparavant. La préface de ce livre
avance : "Après avoir ru René en lglr, j'ouvris un autre
vorume de Génie du christianismer êt quelques passages que
je rencontrai me rappelèrent combien, en parcourant cet ou-
vrage deux ou trois ans auparavant, j'avais été frappé de
la confiance avec laquerre on y abuse de la tégèreté du com-
mun des lectures. Crest alors gu€, plus curieux de voir Ie
reste du 1ivre, j 'écrivis c e s r e m a r q u e s u( t ) .

Beaucoup de gens sont surpris quril ait attendu vrai-


ment neuf ans pour lire &enér Çuand on sait le succès de cet
80

ouvrage et qu'il ait parcouru Ie Génie en lg0g-lgo9, en fer-


mant res yeux sur l'épisode le plus connu. rr semble donc
que ra po]émique a entraîné senancour à gauchir ra vérité.

Nous pourrons en faire ra preuve dans ces notes intimes


gufavait pu consulter Levallois : "Lorsquer ên l80r et rg0z

, j'ai fait les lettres drOberman" je crois que je con-


naissais Atalal mais il est certain que je ne connaissais

aucune autre page de M. de chateaubriand. Après f impres-

sion d'oberman, je vis quelque part que le Génie du chris-

tianisme contenait une puissante note métaphysique. (... )


J'achetai une petite édition du Génie du christianisme"(2).

ce passage nous indique bien qu'ir a ru le Génie du chris-

tianisme après lrimpression d'oberman, autrement dit en


1804. Il a alors conçu Ia pensée de l-e réfuter.

En fait, nous verrons que l-rauteur des Obervations

critiques sur re Génie du christianisme nrest pas loin de


I I attitude religieuse de Senancour dans Oberman ; la polé-

mique sur la religion et ra morale révelée dans oberman se

développe dans ce rivre de critique très concrètementr pour

ainsi dire les lettres d'oberman sont déjà des réponses

très précises à Chateaubriand.

Quand Ie Génie du christianisme paraît à paris en avril


1802r euatre jours avant re concordat, chateaubriand a eu
raison de dire de son livre : ,'I1 est venu juste et à son
moment". rl était très certain que le christianisme avait
-8r

besoin d'être réhabilité. Le dix-huitième siècIe I'avait

eouvert de ridicule, affirmant qutil n'y avait que les im-

béciles pour y croire. Chateaubriand croyait alors qu,iI

fallait au moins affranchir les classes éclairées de 1a

peur du ridicule attaché à la pratique de Ia religion, la

Ieur représenter respectable, décente et belle. Pour cela

il a essayé de ranimer plutôt qu'à démontrer Ia foi t it


suffisait "d'appeler tous les enchantements de I'imagination

et tous les intérêts du coeur au soeur de cette même reli-

gion contre laquelle on les avait armés" i autrement dit,

i1 suffisait de révei1ler par des tableaux pittoresques et

pathétiques la religiosité endormie au fond des âmes. C'é-

tait re dessein de I'auteur de Génie du christianisme (3) .

Mais Senancour s'oppose à ce plan, voulant resÈer dans

le domaine de Ia raison. Au point de vue togique et philo-

sophique, le Génie du christianisme est en effet très fai-

ble, c'est-à-dire, I'apologie rationnelle est faible.

C o m m el e dit Senancour dans son avant-propos, Ie Génie du

christianisme est un ouvrage dragrément, un ouvrage dreffet,

quelque chose dressentiellement frivole(4). Mais à fran-

chement parler, les lccteurs ne stattachent plus qu'à la


partie esthélique r le christianisme prouvé par sa beauté,

voilà ce qutils en admettent ou au moins ce qu'ils en con-

servent. Senancour critique avant tout cette religion es-

thétique.
82

Senancour, qui est logicien à cette date, veut prou-

ver qurune rerigion qui possède un charme poétique demeure


une h é r é s i e :

"Une religion que Dieu même a établie est adora-

ble, et n'a pas besoin d'être poétique ; mais une


religion que les hommes auraient faite, auraient
corrigée, auraient embellie, quelque agréable
qurelle fût devenue, resterait puéri1e et mépri-

sable'( 5 ) .

Ainsi, I'imagination dans I'argumentation théologique rui


sembre impure. son ami, Erzéar de sabran a déjà exprimé
ra mêmeopinion que senancour : 'rune religion n'a pas besoin
d'être poétique pour être vraie ni pour être bonne"(6).
Pourtant, Chateaubriand mêIe à son émotion poétique
une émotion religieuser plus vague, incertaine dferle-même
et parfois artificierrer ên sorte que senancour trouve là
la cause de son attaque. D'ailreurs, ra fameuse note mé-

taphysique de Génie sur I'existence de Dieu re met en goût

et en appétit de réfutationr parcê que ses preuves de ilexi-

stence de Dieu lui semblent, souvenL pu6riles ou contest.ablcs.


Voici sa démonstration puérile 3

"Que les nids des oiseaux sont bien faits ! Donc


83

Dieu existe. Le crocodile pond un oeuf comme

une poule. Donc Dieu existe. J'ai vu une belle

nuit en Amérique. Donc Dieu existe. Lrhomrne a

le respect des tombeaux. Donc I'âme est immor-

telIe"(7).

Senancour lui reproche de croire qu'i1 suffit d'exalter Ia

beauté d'une religion pour en démontrer la vérité.

, Senancour veut rester rebelle aux émotions esthétiques

du catholicisme, c'est pourquoi il rejette aussi la sensi-

bilité lui semble seulement un mauvais guide en matière de

religion. chateaubriand a dit qu'il n'était en L797 point

chrétien ; le futur et même prochain auteur du Génie écri-

vait sans sourciller des notes commecelles-ci : "euelque-

fois je suis tenté de croire à I'immortalité de I'âme, mais

ensuite Ia raison m'empêche de I'admettre". A côté de ce

texte imprimé, Chateaubriand écrivait aussi : "Dieu, répon-

dez-vous, vous a fait libre. Ce nrest pas Ià Ia question.

A t-il prévu que je tomberaisr eu€ je serais â jamais mal-

heureux ? Oui, indubitablement. Et bien ! votre Dieu nrest

plus qu'un tyran horrible et absurde ;" et encore il dit :

"Cette objection est insoluble, et renverse de fond en com-

ble le système chrétien. Au rester p€rsonne nly croit plus"

(8). Or, expliquant sa transformation decisive Chateaubri-

and avoue : "Ma mère, après avoir été jetée, à soixante-


84

douze ans' dans des cachots où erre vit périr une partie
de ses enfants, expira dans un lieu obscurr sur un grabat,

où ses malheurs I'avaient reléguée. Le souvenir de mes

égarements répandit sur ses derniers jours une grande amer-

tume ; erre chargear êrr mourant, une de mes soeurs(Madame

de Farcy) de me rappeler à cette religion dans laquelle


j'avais été élevé. Ma soeur me manda le dernier voeu de ma
mère ; quand la lettre me parvint au delà des mersr Râ soeur

elle-même n'existait prus ; erle était morte des suites de

son emprisonnement. ces deux voix sorties du tombeau, cette

mortr Çui servait d'interprète à la mort, mront frappé :


je suis devenu chrétien. Je n'ai point cédé, j'en conviens,
à de grandes lumières surnaturerl-es ; ma conviction est sor-
tie du coeur : j 'ai pleuré et j'ai cru" ( 9 ) .

Frappé par }a mort de sa mère puis de sa soeur Ju1ie,

lui qui a perdu sa foi religieuse est revenu à ra rerigion

de son enfance. Pourtant, comment une douleur famiriare,

essentierrement personnerre, motif d'ordre purement intime,

a-t-eIIe pu se transformer en un traité de théologie, orné


de métaphores ? comment cette diarectique est-elle sortie
de cette émotion, cette érudition de ce désespoir ? com-

ment les pleurs se sont-iIs changés en arguments ? La dou-


leur nrest-elle pas que la source d'une conversion indivi-
duerle ? Nous ne pouvons pas le concevoir, il aurait fal-
Iu nous Ie montrer.
85

Les motifs de coeur, pompeusement invoqu6s, touchent

peu Senancour :

"Je voudrais que le coeur ne fût pas le seul gui-

de de lrhomme, parce gue les mouvements du coeur

étant passionnés, orageux, fanatiques, il ne res-

terait aucun espoir de rétablir I I ordre dans Ies

sociétés humaines" ( l0 ) .

I1 veut bien croire, mais non pas par surprise, ni exalta-

tion. une antipathie concentrée à l'égard des dévots, une

raison facilement irritée par les sentimentauxr pâr chateau-

briand qui a cru en pleurant, I'horreur de tout compromis

entre ilimagination et I'intelrigencer cê sont finalement

des motifs qui éloignent Senancour de la conversion.

Senancour répond également à la religion morale et po-

ritique comme à la rel-igion esthéÈique de chateaubriand.

rr examine dans une note longue cette série de questions :

"Peut-on donner officiellement une religion au peuple ?

cela est-il nécessaire ? Pareille tentative doit-erIe être

faite, étant donné 1'état des esprits en occident (janvier

1811-1815) ? Enfin, l.'exp6rienco dc I'fncrédulité a-t-elle

été rée1lement faite sous la Révolution ?u Sur le premier

point, la réponse est claire. "Si, dans un Etat, Ia classe

supérieure ne croit pâs, eomment Ia classe inférieure croi-


-86

ra-t-eIle ?rr La ville ne voudra pas être croyante, puisque

la cour ne I'est point ; les campagnards imiteront la vill-e,

et I'on en arrivera à cette ficÈion ridicule et dangereuse

drune religion sans foi. Ce sera une dissimulation univer-

serre, €t gui, par ce caractère mêmed'universatitér rrê trom-

pera personne. Sur Ie deuxième point, iI répond que les

moeurs de Ia multitude ne sont pas meilleurs quand la reli-

gion a beaucoup de pouvoir. Les institutions humaines,

lorsqurelles ont quelque sagesser Dê sont p"" tnoirr" puis-

sanÈes que la religion, êt on ne peut en abuser au même

point. Troisièmement, il répond que rien n'est plus péril-

Ieux que de faire reposer la morale éternelle sur des do-

gmes transitoires et contestables. Quatrièmement, iI ré-

pond que les arguments tirés de la prétendue épreuve révo-

Iutionnaire nront aucune valeur. Ainsi, il nous demande :

"Etes-vous convaincus ? restez chrétiens. Mais si vous ne

1'êtes pasr cessez d'être hypocrites. Soyez sincères : Ia

soumission à Ia vérité est le premier culte ; crest Ia vé-

rité qui est certainement divine"(11).

Drailleurs, s'iI y a un point qui blesse partj-culière-

ment Senancour, crest Ia perpétuelle assimilation d'une

croyance libre avec ltincrédulité abeolue. pourquoi faub-

iI nécessairement choisir entre Irathéisme ou le cathotici-

sme ?
-87

"J'abandonne volontiers à I'1. de Chateaubriand

les athées ; mais je prends la défense de ceux gui,

croyant apercevoir partout les traces drune intel-

Iigence infinier ont le malheur de ne pouvoir pro-

noncer sur presque tout le reste r poureuoi


partager les hommesen deux classes, les chrétiens

et les athées ? Ce point de vue est très faux.

Que ferez-vous des trois quarts du genre humain ?

On peut três bien admettre avec empressement l, i-

dée consolante et raisonnable, I'idée sublime de

lrexistence de Dieu, €t ne pas admettre une révé-

lation i on peut à Ia fois suivre sa raison et ne

pas renoncer à sa raison ; on peut voir Dieu pro-

duire le phénomène de lrunivers et ne le pas voir

pleurer dans la crèche de Bethléem" ( 12 ) .

Comme iI a déjà dans Oberman critiqué, il reproche à I'écri-

vain catholique ce procédé abusif du tout ou rien, ce choix

imposé entre I'athéisme et le christianisme.

Drautre part, Chateaubriand lui remontrerait en vain

les sorutions offertes par le christianisme aux problèmes

où se perd I'esprit. Le péché originel est une explica-

tion commode' - ctest tout. Le remords nrest pas Ia preuve

que Dieu existe au plus int.ime de notre conscience : iI est

un produit, social i un criminel sans remords serait, de nos


88

joursr uD homme aussi monstrueux qurun homme à qui l'on


aurait démontré la propriété de I'hypothénuse, et qui la
nierait ensuite. La révélation nrest nulrement prouvée par

1 | argument de 1 | assentiment universel : "une exprication


hypothétique du monde pourrait, sans avoir été révélée, s,é-
tendre au roin et se propager rongtemps". vous réduirez-

vous à dire que Ie christianisme est re culte naturel à


Itâge présent du monde ? Mais alors : ,, 10 II aurait donc
pu s'établir sans avoir été révélé i 2o peut-être, dans un

autre âge, une autre révélation décrarera-t-elre que ce cul-

te-ci est suranné ! ... " si le christianisme a terminé sa


mission, quril disparaisse. Tout au plus senancour convient

de Dieu : "Mais les Musulmans, êt drautresr prétendraient

qu'il lra considérablement altérée " euand à la tradi-


tion, dont I'Eglise fait si grand état, elle compte pour

beaucoup en politique i en religion, où il ne s,agit que

de vérité, ir ne saurait y avoir d o m m a g eà r a r o m p r e ( r 3 ) .

Senancour soutient alors la conception du christianisme

de Voltaire : la religion est un fait naturel, crest


pourquoi ir faut séparer nettement ra question rerigieuse

et la question politique. Pour en finirr pour rul-, ra reri-


gion, dès qu'on en voulait traiter, dès qu'on. prétendait en
vivre et en faire vivre res autresr rrê devait être ni esthé-
tique ni politique, mais purement et. simprement ra rerigion.
89

NOTES

CHAPITRE III

(I) obs., p.ij

,(2) J.Levallois, Senancour, p.110


(3) cf., Lanson, Histoire de la rittérature française, p.g95
(4) obs., p.iij-iv

(5) Ibid., p.iv-v

(6) E. de Sabran, Ngtes critiques, p.165 , Cf. Saint-Martin:


ul,'un de ces éloquens
écrivains dit avec une douce sen-

sibilité qu'il a pleuré et puis, eu'iI a cru. Hélas,


que n'a-t-il eu le bonheur de commencer par être sûr !
combien ensuite ir aurait pleuré ! !!" (Ministère de
1'homme-esprit, p. 379)

(7) Chateaubriand, gélie du Christianisme_, cité par Lanson,


op.cit. , p.895
(8)-(9) cité par J.Levallois, Senalcour, pp.llG-I17
(10) Cité par J.Leva1lois, op.cit., p.l1g
( 11) , pp. 55-56, note
.Obs.
( 1 z1 r b i d . , p p . I 0 5 - 1 0 7
( 13 ) J.Merlant, op.cit., pp.147-148
TROÏSIEME PARTIE

L I ANGOISSE METAPHYSIQUE
91

CHAPITRE PREMIER

DIEU OU LA NECESSITE

Les Rêveries sont iloeuvre de senancour où Ia métaphy-

sique est abordée Ie plus systématiquement. Dans ce rivre,

le thème de Ia Nécessité annonce I'un des grands thèmes mé-

taphysiques. ce problème se pose d'abord discrètement chez


Senancour comme une alternative : Dieu ou la Nécessité ?
Pour quelre intelligence suprême et indéfinissable fut donc
préparé ce spectacle à la fois rapide et durabre, toujours

varié et toujours le même ? eu'est-ce en effet que ce hau-

tain "spectateur impassible" ? euel est cet être qui eut be-
soin de moi pour me détruire ?

"Si tout passe ainsi, êt que nul être ne jouisse

immuable de cette succession de vie et de morÈ,

eoneevrai-je davantage cette terrible nécessité


92

qui forme pour dissoudre, qui produit sans relâ-

che pour eonsumer toujours, gui fait toutes cho-

ses et n'en maintient aucune, dont les lois sont

inintetligibles, dont 1a cause nfest qu'elle-même,

dont la fin n'est encore qu'elle-même ?'(l)

Ce qui I'a frappé, ce qui I'accable, est-ce Dieu ou Ia

Nécessité ? Bien que Senancour se refuse à un choix,


"ssrr*er
ils sont pour lui tous les deux terribles et redoutables.

II 1ui semble que le génie de I'univers travaille pour dé-

truire :

"Que lui importe ( à la nature ) que le sol fécon-

de Ia terre ou gue le bronze vomisse la mort ?

Qurimportent et les vertus et les joies des mor-

tels, êt leurs douleurs ou leurs crimes, êt leurs

et leurs amours ou leurs fureurs ? (... ) la même

terre contient les vergers heureux et les volcans

dévastateurs. Le volcan stéteint i une mêmeruine


dévore I'animé et I t inanimé ensevelis dans un même

oubli ; et dans un monde renouvelé, if ne subsis-

te nulle trace de ce qui fut abhorré ou divinisé

dans un monde effacé. L'homme se forme, sranime,

se perpétue, languit et meurt ; Itherbe germer sê

développe, fructifie, se flétritr sê corrompt.


93

Ainsi commencent et finissent toutes choses ; ain-

si, Ies globes se forment, s'embrasentr Sê fécon-

dent : puis, refroi-dis et stérilisés, sont dissous

pour servir à Ia formation nouvel-Ie des mondes qui,

comme eux, doivent s ' animer et s ' éteind.re . Une

mêmefécondité produira I'insecte d'un jour et I'a-

stre de mille siècles i une même nécessité décom-

posera pour jamais et ce ver éphémère et ce soleil

passager conme Iui" (2) .

Animé par un souffle venu de I'Ecclésiaste, Senancour

abisse I'homme à ras I'herber puis l'élève à Ia hauteur des

astres. Qu'importe I I1 n'est plus ici la gloire ou Ie re-

but de 1'univers. Un mêmedestin, "une mêmenécessité",

1'entraîne.conme tout le reste vers une mêmefin(3). Voi-

1à Ia mort cosmique "univers sépu]cral" (4) . Nous retrouve-

rons après dans la lettre 48 d'Oberman des phrases qui évo-

quent ce mouvement splendide et t,ragique.

"Vous voyez sur Ia lune comme si elle était près

de vos téIescopes i vous y cherchez un mouvement i

it n'y en a point ; il y en a eu, mais ell-e est

morte. Et le lieu, Ie globe où vous êtes sera

mort comme elle" ( 5) .


-94

L'univers enÈier n'est plus qu'un vasLe atelier où s'éla-

bore un travail implacable de destruction.

Cependant pour Senancour, la nécessit,é a peu à peu Ia

primauté sur Dieu. Si I'univers entier chancelle avec lui

devant la mortr crêst par Ia nécessité.. Or Senancour tire

heureusement une conclusion optimiste de cette idée de Né-

cessité. La nécessité, définit-il' est une force indépen-

dante de notre volonté. 11 est donc disposé à accepter

purement et sj.mplement cette force, étendant sa pensée jus-

qu'au dj-mension de I'univers.

"Tout est indifférent dans 1a nature, car tout

est nécessaire : tout est beau, car tout est, dé-

terminé" ( 6) .

I1 élabore une représentation de 1'univers qui ne manque

pas de grandeur, comme Spinoza. Ainsi, cette idée s'accen-

tue dans les Rêveries en lettres capitales :

"Ie dernier pas de I'intelligence, I'unique vé-

rité : TOUTEST NECESSAIRE"(7).

L'idée de Nécessité nrest certainement pas neuve. On

la rencontre ch.ez Platon, chez 1es Stoiciens et chez Lucrè-

ce.' On ne peut pas ignorer f influence de tous ces philoso-


95

phes qui étaient familièrs à Senancour(8), mais Senancour

a emprunté cette idée de Nécessité en particulier à Spi-

noza ; cette idée a été mise en valeur au maximum par

Spinoza ; iI exclut la contingence et I'expérience de la

Nécessité fait sa béatitude. Senancour, de son côtér s€

plonge dans une ivresse : "Eternelle nécessité ! c'est tout

ce que je sais, €t c'est 1à que tout s'abîme (...)"(9).

Mais il est douteux, conme Ie dit M.Raymondr eu€ cette

nécessité, à laquelle it joint I'at,t,ribut de 1'éternité,

soit pour lui de l'ordre de Ia pure immanence. ElIe paralt

conserver, sinon une valeur divine ( comme chez Spinoza ),

du moins une valeur qui touche au sacré(lO).

Cette idée de Nécessité se substitue quelquefois à

celIe de I'Ordre universel, conçu comme une harmonie inhé-

rente au cosmos. Benancour considére que I'unj.vers est ani-

mé d'un mouvement perpétuel, mais clos en quelque sorte.

Or "Ia plus grande sommepossible de mouvement", ce serait

peuÈ-être Ia loi universelle. La troisième Rêverie qui est

tout entière consacrée à élucider par ce vaste système, "les


Iois de I'ordre universel" décrit Ie monde comme "un tout

harmonique, résultat de Ia compensation des effets contrai-

res de deux causes différenÈes"(1I).

Ainsi, iI semble avoir enÈrevu dans 1'univers deux

principes complémentaires : Ie positif (yang) et Ie négatif

(yin), que la philosophie chinoise nous enseigne. D'après


96

elle, Ie mot yang signifie primitivement clarté du soIeil

ou ce qui appartient à Ia clarté du soleil et à la lumière i


le mot yin signifie lrabsence de la clarté du soleil, c,est-

à-dire I'ombre ou obscurité. Dans leur développement ul-

térieur, Ie yang et 1e yin sont considérés comme deux prin-

cipes ou forces cosmi-ques représentant respectivement Ia

masculinité, l'activité, Ie chaud, la splendeur, la sages-

sêr la dureté, etc pour le yang t et Ia férninité, Ia pas-

sivité, Ie froid, Irobscurité, I'humidité, Ia douceurr €tc...

pour Ie yin. Ce serait pai I'interaction de ces d.eux prin-

cipes primordiaux que se produisent tous les phénomènes de

I'univers. EÈ ces deux prj.ncipes doivent normalement s'é-

quilibrer pour engendrer I'harmonie (12).

L'harmonie "préétablj.e" entre les monades est "une hy-


pothèse absolument gratuite"(I3), écrit Senancour aussi com-

me LeibniEz. En tous cas, si l'homme comprend cett,e loi

universelle, iI ne doit pas tout remettre en question pour

trouver sa réponse :

"Au-delà, I'homme n'a rien à conjecturer t et 1es

données lui sont tellement inaccessibles, qu'il-

ne peut même arriver ce semble à des suppositions

imaginaires (...) : crest I'inconnu nécessaire"(14).

Mais nous trouvons que I'idée de Ia Nécessité se trou-


97

ble à partir du dernier paragraphe de ra douzième Rêverie :

"Si tout est nécessaire, la cause première, Ia

raison de l-'univers est seule incompréhensible ,


(...) s'iI est autrement, la nature est toute

entière inexplicable et contradictoire aux yeux

de 1'homme" (15).

A la suite de ce trouble, Senancour fait la critique des

Rêveries dans Oberman :

"I1 m'arrive de dire : tout est nécessaire : si

1e monde est inexplicable dans ce principe, dans

les auÈres, iI semble impossible. Et après avoir

vu ainsi, iI m'arrivera, le lendemain de dj-re


(Ie) contraire (... )"(16).

oberman insiste plusieurs fois sur le fait qu'il n'émet que

des "hypothèses", qu'il "n'emploie ces expressions affirma-

tives que pour répéter sans cesse : iI me semble, je suppo-

sêr j'imagine (...)"(17). Crest pousser trop loin Ia cri-

tique des systèmes et vider de sens tout ce qui peut consti-

tuer sa "pensée". En tout cas, iI constate dans cette même

lettre que f idée de nécessité ne s'accorde pas "avec Ia

recherche des lois morales et de Ia base des devoirs',(lB).


98

Si tout est nécessairer euê produiront nos recherches, nos

préceptes, nos vertus ? "lvlais la nécessité de toutes choses

n'est pas prouvée"(19). 11 n'aj.me point à parler sérieuse-

ment de ce qu'i1 ignore.

Senancour ne reviendra guère, après cela, à f idée de

Nécessité.
-99

NOTES

CHAPITRE PREITIER

(1) R., I, p.17

(2) Ibid., pp.22-23

(3) lvl.Raymond, Senancour, p. 63

(4) R. I, p.87

(s) Ob., II, p.17

(6) R. , T, p.20

(7) Ibid., p.27

(8) Nous allons éCudier f influence de Platon et des Stoi-

ciens d.ans Ie chapitre VI de la cinquièrne partie.

(e) R., II, p.9

(10) M.Raymond, op. cit., p.51

( 11) R., I, p.184, Cf . ibid., p.L92

(12) Cf .
_ T o r r gY e o u - L a n , P r é c i s d'histoire de la Philosophie

chinoise, p.153, voir R.,Irp.192-193, "deux élérnents"


( 13 ) R. ,I ,p.L67

( f4 ) Ibid. , II, pp.7-8

( 15 ) Ibid. , T, p.183

(15) ob., rI, p.L77

(f7) Ibid., p.178

(18) Ib:!1!., p.L77

( le ) I!!|., p.l7e
100

CHAPIÎRE II

L' IMPENETRABTLITEDE L' UNTVERS

Au fond des angoisses rnétaphysiques de senancour,

se trouve le sentj.ment de f impénétrabilité de I'univers.


L'univers, ra nature est impénétrable pour ilhomme, d.onc
"Ia connaissance de I,être n'existe point"(I).

senancour insiste sur ce sentiment de la ,'profondeur

impénétrabre" des choses des premières Rêveries à oberman,


aux Rêveries de 1809, jusqu'aux Libres Méditations même.

"La science est vaine (... ) ]a science n'est


point (... ) (2) ; il y a dans la nàture, ou une
grande force cachéer ou un nombre de forces in-
connues qui suivent des lois inaccessibles aux
démonstrations des sciences humaines" (3) .
101

L a meme l e ç o n encore, dans Oberman, à 1'adresse des hom-


mes

"Pourquoi donc, ô hommes qui passez aujourd'hui I


voulez-vous des certitudes ? et jusques à quand
faudra-t-il vous affirmer nos rêves pour que vo_
tre vanité dise : Je sais ? Vous êtes moins
petits quand vous ignorez"(4).

Et senancour sout,ient cette opinion jusque dans les Libres

Yéditations : "Le plan général est pour nous aujourd,hui

comme s'il n'était pas"(5). Ainsi, le bénéfice du savoir


est de nous faire "découvrir notre ignorance,'( 6 ) . II déve-
roppe ici il idée de la "docte ignorance", de ra perception
de f impénétrabirité de I'univers. Montaigne aimait déjà
la "docte ignorance", mettant I'accent sur la vanité de Ia
connaissance et f infirmit,é de la raison humaine. Et cri-
tiquant Ia vanité anthropomorphique de l,homne, iI trouve
que "cette belle raison humaine ne fait que se fourvoyer,

Iorsqu'elle se mêIe d.e choses d.ivines,,(7).

Senancour, de son côté, blâme toutes les déformations


de lresprit, surtout ilanthropomorphisme sous ses diverses
formes. En tout cas, l'univers prime sur ilhomme i comment
I'homme peut-il le dépasserr ou seulement l,embrasser du
regaid, ou en saisir dans sa conscience un reflet gui ne
L02

soit pas une ombre fuyante ? on peut dire que de 1à vient

ra cause du refus ou de la méfiance de senancour à r'égard


des religions et des philosophies systématiques. Toure
dogmatique et tout système est un produit d.e I'intellec-

tuel, €t un produit exclusif, se refermant donc sur lui-


même sans atteindre à Ia vérité, qui est indicible.

Les vues de senancour à cet égard re rapprochent de


celles des stoiciens et des Epicuriens, de celles aussi d'en-
tre les chrétiens pour qui Ie pyrrhonisme est une utire pro-
pédeutique ; dans Ie chapitre qui est consacré à 1'étude du
stoîcisme et de r'épicurisme de senancour, nous pourrons Ie
confirmer.

En effetr un certain agnosticisme développé ici par


senancour et re non-savoirr un état permanent d'incertitude,

est pour Iui dès sa jeunesse une manière de se protéger con-


tre le pire. Pourtant malgré son agnosticisme, Ie senti-
ment profond de I'impénétrabirité re mène en définitive au
panthéisme pessimiste. euand senancour aboutiÈ à une sorte
de panthéisme, il ne voit dans res prus belles manifesta-
tions de la naÈure "que re couronnement et re témoignage
subsistant des forces aveugles, n'en (retient) jusque dans
(son) admiration rien que de morne, de const,ernant, et de
désoIé'(8).

La conscience aiguë et presque perpétuelle de cette


opposition entre le Tout et U individu produit dans la rê-
103

verj-e un mouvement constant de va-et-vient, d'alternancer c€

qui exclut les délices de La fusion du moi et de I'univers.

"Que m'importe cette beauté que je n'admire qu'un jour,

cet ordre dans lequel je ne serai plus rien, cette régé-

nération qui m'efface"(9), crie-il.


l_04

NOTES

CHAPITRE II

(1) R., It p.26

(2) rbid., rr, p.9

(3) Ob., II, p.2

(4) Ibid.' p.5

(5) L.M., 1830, p.505

(6) L.M., p.230

(7) Montaigne, Oeuvres complètes,p. 500

(8) Sainte-Beuve, Article sur les Nouveaux voyages de

Îôpffer (16 aoûr 1853), C.L., t.VIII, pp.4ZI-4ZT

(9) R., I, p.16


I05

CHAPITRE III

SUR L I II4MORTAI,ITE

La mort est une force permanente qui ronge sans relâ-


che I' individu, I'espace, I'un5-vers :

"CommeeIIe est sinistre cette idée de destruction

totale, d'éterneÈ néant ; elLe fatigue, e1le tra-


vaille tout notre être, elle Ie pénètre d'un fré-
missement de mort. Comme touÈ génie, toute vertu

se séchent et s'éteignent dans sa froide horreur !


elle opprime, eIIe serre Le coeur, el1e atterre,'
(r).

Le jeune philosophe a beau essayer de se persuader que cet,te

inquiét,ude provient de son "délire drextension" et qu'il ne


tient gu'à lui dry mettre fin par quelques sophismes, i1 ne
t06

nous convainc, ni ne se convainc, lorsqu'il écrit : "Demain

tu ne seras pas : qui importer €o vis-tu moins aujourd'hui?"

(2) .

11 est sans cesse poursuivi par la hantise de la mort i


1e thème d.e Ia mort est ainsi partout présent, mais en par-

ticul j-er dans la première et Ia sixième Rêveries. Maj.s il

nreet pas aussi inflexible que Camus qui dit : "la mort, n'a

rien de sacré, elle ne fait que susciter la peur,'(3).

Senancour pense à I'immort,atité de 1'âme qui est une grande

espérance. Le désir de f immortalité est en fait chez I'hom-

me un sentiment très profond et inévitab1e. On peut aussi

remarquer dans la conscience de Senancour un désir d'immor-

t,alité.
a

Oberman contient cette phrase qui porte 1'aveu déchirant

d'un désir sans limite :

"Que m'importe ce qui peut finir ? ( ... ) Je veux

un bienr ûrt rêve, une espérance enfin qui soit

toujours devant moi, au-delà de moir plus grande

que mon attente elle-même, plus grande que tout ce


qui passe" (4).

Dans les Rêveries de l ' é d i t i o n de 1809 il y a la même reven-

dication, mar-s moans forte :


107

"(L'homme) sent son existence se dissiper sans

cesse, êt iI nla qu'un désir secret et continu,

Ie désir de ce qul ne périraJ-t point"(5).

Tirée du même ouvrage, cette constation encore, qui marque

une espérance inouie, Ie désir de I'infini: "Nous ne som-


m e s m a l h e u r e u x q u e p a r c e q u e n o u s n e s o n r m e sp a s i n f i n i s " ( 6 ) .

Mais malgré ce désir, I'imrnortalité nrétait jamais fa-

cilement affirmé au jeune senancour. Dans les observations

sur le Génie du christianisme, Senancour parle drune j_mmor-

talité hypothèse, ainsi que d'un Dieu conjecture :

"Je sais un homme qui désir I'immortalité de

I'âmer et je doute que parmi tant d'hommes qui

I'espèrent, iI en soit un seul qui La désire

plus que lui. Mais it cherche du preuves, er

iI n'en trouve pas. (...) Je croisr ên effet,

qur il nry en a point" ( 7 ) .

Senancour qui soutient Ia même opinion dans l e s Rêveries

de 1809 déclare :

"C'est à la faiblesse de notre pensée et à

f impénétrabilité des choses que nous devons

recourir si nous voulons espérer I'irnmortali-

ré"(g).
108

Lrindice re prus net en faveur de I'immortalité, sera une


probabilité qu'on obtiendra en querque sorte par défaut.

Exceptionnellement dans Ardomen et ynarès(9), senan-


cour, sur rrimmortalitér rrê fait gue répéter dociremenc,

mais sans beaucoup de conviction, re credo du vicaire sa-


voyard. L'immortalité, fondée sur I'idée d,un Dieu "bien-
faisant et rémunérateur,'(10) nry est plus qu,une hypothèse
probabre et, de plus, consorante. Le moyen de gagner cette

immortalité, refusée par ynarès à "I'homme dépravé"(11),

est de suivre "la voj.x intérj_eure que (Dieu) p1aça dans son

coeur" ( 12; .

Mais après Aldomen et ynarès, senancour traite encore


dans I e s Rêveries I'i-mmortalité de chimère ; I'existence du
moi e s t expliquée d'une façon gui, en définitive, I,annihile

"Tout composé a le sentiment de son être, mais


les plus organisées ont seuls Ie sentiment du moi
ou de la succession. Le moi de tout être organi-

sé n'est donc autre chose que cette succession

d'impulsions qui doit nécessairement finir par

Ia décomposition des organes, conme elle a néces-


sairement commencé lors de leur formaÈion,'(13).

Ainsi, Senancour considère lrimmortalité de I'âme conrme


une'erreur, une erreur du sentiment intérieur, que la rai-
r09

son redresse(14). "Pui.sque (I'homme) se sent exister main-

tenant, iI doit se sentir existant dans Ie temps sans bor-

nes. Le raisonnement seul I'avertit que, comme Ia sérj-e

de ses sensations successives à un terme dans le passé, €1-

le pourra en avoir un dans l'avenir'r(15). Senancour essaie

de disjoindre froidement Ie sentiment et I'expérience int,é-

rieure d.'une part, €t d'autre part les rai.sonnements et les

preuves.

Ot, il se heurte ici à une véritable antinomie dont

les deux termes se balancent de façon plus égale ; toute


possibilité de solution disparait. L'anéantissement semble

contradictoire(16), dit-il à peu près, car d'où viendrait

que nous sentions en nous une aspiration vers 1'absolu, si

nous devons mourir tout, entier ? Quel est ce cachet d'infi-

ni empreint sur nos pensée ? Sans doute, mais . rrlrimmor-

talité est impossible"(17). Nul ne résoudra ses antino-

mies. Faut-il donc désespérer ? On pourra ici songer à

Pascal : "Incompréhensible que Dieu soit, €t incompréhensi-

ble qu' il ne soit pas r que I'âme soit avec Ie corps r ellê

nous n'ayons pas d'âme..."(18).

Senancour semble opter pour un mode drincompréhensibi-

lité comme Pascal. Ivlais 'bien que son espoir retombe, L'au-

teur des Rêveries ne perdra pas I'attente. "Ne sont-ce pas

aussi res enfants qui croient une chose certaine parce qu,ils
le désirent ?" (19) Dès lors nous pouvons entrevoir
1r0

que s'ébauchent en lui l'attente et le désir (infini), plus

forts que la négation.

Pourtant pour Oberman, si I'immortalité de l'âme est

"le désir de l'homme de bien", elIe est rejetée par,,plu-

sj-eurs des plus sages et des plus grands hommes"(20; ; elIe

est un objet. de foi dont la persuasion ne peut se commander,

et que Ia raison repousse.

D'autre part, c o t t r m eI ' i - m m o r t a l i t é de r'âme est traitée


de chimère dans les Rêveri.es, l'idée d'une immatérialité de
la pensée et de 1'âme y laisse voir égalemenr son aspect

chimérj-que. Parmj. les idées religieuses, les "absurdités


humaines" que senancour passait en revue dans 1es Génération

actuellesr sê trouve Ia définition de 1'âme. senancour,


dont la position y est essentiellement mat,érialiste dans

Ie matérialisme r'âme n'est rien drautre qu'une espèce de

matière pure de son côté I'identifie à I'intelrigence.

L'âme est donc matérielre et ra pensée un principe physique.

La douzième Rêverie de L799 a pour seul thème re même pro-


jet de réduire I'âme à Ia matière, à une transmutation de

la matière :

"L'âme est 1e principe quelconque qui anime le

corps, êt certesr cê principe peut être matériel


dans Irhomme qui respire conrme dans I'huître qui

srouvtre er Ie lys qui végèÈe,'(2L).


111

I1 semble quril se plaise alors à rappeler les phrases

des Générations : "les Orientaux, Les Grecs et les Romains

ont appellé I'esprit en général, ou 1'âme en particulier,

souffle " (22) .

Or cette idée de l'âme materielle se développe en même

temps que celle de I'âme universelle. Senancour se rappel-

Ie avec praisir que Ia théorie de 1'âme universelre fut sou-

tenue par les "des Egyptiens qui instruisirent pythagore

jusqu'à LeibnLEz, et de 1'Inde aux Gau1es"( 23). Et iI sait


qu"'on 1'apperçoit dans Malebranche commedans Spinosa', (24).

Diderot déjà a trouvé l'âme universelle : "Le monde, sembl_a-

ble à un grand animal, a une âme (... ) ; Ie monde, je ne d.is


pas est, mais peut être un systèrne infini de perceptions,

et (...) Ie monde peut être Dieu"(25). Identifiant I'uni-

vers et Dieu, Diderot aboutit dans cette voie à un panthé-

isme ; cette opinion est aussi celle des Stoiciens(26).

senancour ad.mire cette idée de 1'âme universerr-e, mais il

n'affirme pas encore son panthéisme.


LL2

NOTES

CHAPITRE ITI

( 1)- ( 2 ) R. ,I, p.19

(3) Cité par Marcel MéIanÇorl, Albert Camus, Analyse de sa


pensée, p.23

(4) Ob. I, p.18

(5) R., Ir, p.2

(6) Ibid., II, p.91

(7) Obs= p.100

(8) R., II, p.74

(9) Cf. 41.(Ynarès),p.86 : "Je pense que celui qui par

I'usage équiÈabre et bon de ses facurtés aura mérité

une existence plus heureuse et plus durable, r'obtien-


dra du Dieu bienfaisant et rémunérateur : mais pour

I'homme dépravé qui loin de tendre de toutes ses forces,


au bien générar les a employés à accroître autant qu'ir

était en lui Ia somme des maux, il n'a point rnérité

I'existence' ell-e rui sera refusée : la mort sera pour


Iui I' anéantissement" .
(10)-(11) A1. (Ynarès), p.86

(L2) A1., p.67

(13) R.' pp.23-24

(14) Voir R., Irn.13 de la page IB0 : ,,Mais supposons que


1r3

f immortalité soit une erreur, iI est tout simple

que I'on ne revienne à aucun âge de I'erreur dont

I'expérience ne peut à aucun âge nous détromper ;"


(15) 8., T, p.181

(16)-(17) Ibid., p.18

(18) Pensées, fragment 230

(19) R., I, p.181

(20) Ob., T, p.189

( 21) R. , I, p.167

(22) G.4., p.108

(23)-(24) R., T., p.185

(25) Diderot, De I'interprét,ation de Ia nature, p.229

(26) Le panthéisme stoîcien considère Dieu comme I'âme du

monde, imrnanent au monde. Cf. : Dans le panthéisme

de Spinoza, Dieu est la substance, unique dont le

monde n'est que l'émanation.


r14

CHAPITRE IV

SUR LE PROBLEME DU MAL

Dans 1es premières oeuvres de senancour, 1e problème


du mar est placé au centre de sa pensée religieuse. pre-

miers âges et Générat,ions actuelJes, dont, la pensée s'appro-


che de I'athéisme, affi-rment 1'existence du mal et rejèt,-
tent f idée de Ia toute puissance de Dieu créateur. 11
y indique d'abord f ineptie des théorj.es optj-mistes : "L,op-
timisme est erroné"(I) ; le monde n'est pas bon : ',i1 fau-
drait une perfection bien plus grande dans Ia disposition

de la matière insensible, eÈ surtout dans l'être sentant,


la faculté et I'occasion de jouir constamment, et jamais
celle de souffrir" (2). Assurant son opinion sur Ie ma1, il
pose encore Ia question : "si notre faible vue aperçoit du
mar dans I'univers, comnent oserons nous dire que notre
Dieu ne pouvait rien faire de plus parfait ?,(3). I v t ê m er é -
115

serve dans une note des Générations : "L'ordre de Ia na-

ture n'est pas parfait". Et un peu après iI dit : "On

échouera toujours contre Ia question, pourquoi y a-t-il du


mal dans le monde ?" (4) Donc, le mal exi-ste réellement,
non seulement dans 1'ordre humain, mais aussi dans 1'ordre
de la nature, et La contradiction n'est pas résolue.

Dans lnarèsr cê problème conme celui de I'immortalité

est pourt,ant résoru selon les thèses de Rousseau : Ie monde

n'est pas uniquement fait pour un seul individu; "De telle


sorte cependant que nu1le part, ni pour nul individur ou agré-
gation d'êtres, soit vivant et sentant, soit insensibles
et inanj-més, Ie mal n'excède Ie bien dans Ia durée de son

existence"(5) et "une telle vie est préférable au néant,'(6).


ce sont égarement les termes de la Lettre à voltaire de
L756:

"Pour qui sent son existence, il vaut mj-eux exis-

ter que de ne pas exister. Ivlais il f aut appl j_-


quer cette règle à la durée totale de chaque être

sensible, et non à quelques instants particuliers

de sa durée, tel(s) que Ia vie humaine"(7).

comme Rousseau, Ynarès reconnait impricit,ement I'existence


du mal qui. ne cesse d'être tel, que par le perspective de
lrimmortalité:
115

"J'etendrai mes conjectures sur toute (la durée

de I'homme), alors je trouverai de grandes possi-

bilité qui appuyent (ces principes)"(8).

Lrexamen de la question du ma1 ne se fait pas nécessaire-

ment, du moins au dix-huitième sièc1er pour ên trouver la

solution. L'intention réelle est souvent, soit de prou-

ver I'exi-stence de Dieu en niant la réalité du maI ou en

limitant sa signification, soit de prouver I'inverse.

C'est presque ce que 1'auteur d,ynarès fait. ynarès ne par-

Ie du mal que pour prouver f immortalité, êt par conséquen-

cêr lrexistence de Dieu. Cette affirmation lui suffit :

Dieu ne doit pas être défini et I, intervention de ra pro-

vidence est crairement désignée dans ra suprématie du bien

sur Ie mal.
penç lee Rêveries, sans chercher à exaninerIa réali-

té du mal, senancour pose que Ia question même du maI nrest


qu'une idée humaine et, cotnmeteIle, sans portée dans 1'or-

dre universel i pour ainsi dire, Ie bien et Ie maI ne sau-


raient être que des déterminations relatives à 1'hommer €E

extrj.nsèques. rdée depuis longtemps hésitante à laquelle

spinoza et même LeibniÈz ont donné un relief particulier.

Lrauteur des Rêveries se demande j

"Pourguoi le lièvre a-t-il reçu Ia Iégèreté, la


IL7

Èimidité et f instinct de ruses ? C'est pour

échapper au chien. Mais pourquoi le chien a-t-

iI des membres agilesr LtD aboiement sinistre et

une gueule forte ? Pour troubler Ie lièvre,

I'at,teindre et s'en nourrir" (9 ) .

Le bien et }e mal Se compensent dans l'ordre naturel et

tout y est indifférent. Le mal individuel' ce que nous

nommons ainsi, est Ia conséquence d'une vue partielle' Les

notions de "bien", de "ma1", SOnt Corrélatives, réversibles'

êt, lorsqu,on prend assez de hauteur, indiscernables. I1

s'agit de "rapports abstraits" qui peuvent changer essen-

tiellement de nature :

"Si par exemple, il résulte de ce mal personnel'

r UII

autre mal, et ainsi pour ainsi dire jusqu'à I'in-

fini, mais de telles manières que dans Ia sonrme

de tous ces effets Ie bien I'emporte sur Ie ma1 i


'
Ies sonmes éga1es s,étant détruites l'une l'autre,

ce qui reste doit seul être compté, êt puisque

cet excédent est du côté du bien, le tout qui ré-

sulte d'une multitude infinie d'excédents sembla-

bles peut, être considéré comme essentiellement

bon. Nous voudrons qu'iI fût bon relativement'


118 -

conrme iI I'est absolument ; nous voudrions que 1e

mal individuel n'existât point. tvtais cela n,était-

il pas hors de la nature des choses ?"(10)

En sonme "la bonté" de I'univers ne saurait être posée

qu'indépendamment de Èout critère d'ordre éthiquer ou spi-

rituel. L'univers sera "bon" s'il dure, si le processus de

I'incessant devenir est rendu possible par 1'équilibre des


forces antagonistes et par celui des espèces ; et cet équi-
libre, 1'homne, inexplicablement,, paraît appelé à Ie rom-
pre.

Dans Oberman, la posit,ion de Senancour change peu.

L'idée du mal subsiste pour mieux marquer I'insuffisance de


f idée d.'une Providence générale. I{aj_s Oberman se doit de
voir les choses en philosophe, êt dès lors ,'en grand',. Le
mal ir|affiIer ter-
me de I'immuable cycle de la vie et de Ia mort :

"Ce monde où nous paraissons nrest que I'essai

du monde ; si ce qui esÈ ne fait qu'annoncer ce


qui doit être ; cette surprise que le mal visi-

b1e excite en nous ne paraît-elle pas expliquer ?


Le présent travaille pour I'avenir ; Irarrange-
ment du monde est que Ie monde actuelr soit con-
sumé ; le grand sacrifice du monde était néces-
119

saj-re, et nrest grand qu'à nos yeux. Nous pas-

sons à I'heure du désastre, mais il le fallait,

et 1'histoire des êtres d'aujourd'hui est dans

ce seul mot, ils ont vécu. L'ordre fécond et

invariable sera Ie produit de la crise laborieuse

qui nous anéantit : I'oeuvre est déjà commencée,

et les siècles de vie subsisteront quand nous,

nos plaintes, notre espérance et nos systèmes

auront à jamais passé "(I1).

Ce système, Oberman le trouve dans la science primitive,

celle qui a produit les institutions des premiers âges :

, "Voilà ce que les anciens pressentaient : ils


I

I conservaient Ie sentiment de la détresse de la

ëe==e- proæe a produit

les institutions des premiers âges ; elles du-

rèrent dans Ia mémoire des peuples conme Ie grand

monument d,'une mélancolie sublime" (12).

En effet, iI lui sembre être une explication plausibre du


maI, mais cette explication ne lui fait pas quitter par-

faitement ses doutes métaphysiques.


120

NOTES

CHAPITRE IV

( 1) P.A. , p.46

(2) Ibid., p.45

(3) Ibid., p.46

(4) G.4., p.109, n.c et p.112r r.â

( 5) Al. (Ynarès ), p.84

(6) Ibid., p.85

(7) Rousseau, Lettre à Voltaire, t.IV, p.1070 i c'est


aussi- la thèse de la Profession de foi.
(8) At. (Ynarès), p.85

(9) R.,I, p.30

(10) Ibid., II, p.91

( 11) Ob. , II, p. 199

( 12) Ibid., p.199


QUATRIEI4E PARTIE

L'ASPIRATION VERS

L E MONDE PRIMITIF ET LE MONDE IDEAI


L22

CHAPITRE PREI4IER

L'ENNUI

L'aspiration profonde de Senancour vers le monde pri-

mitif et le monde idéa1 provient essentiellement de sa con-

science malheureuse. Or sa conscience malheureuse est dûe

surtout à sa faiblesse physique et morale et elle aboutit

à I'ennui.

Stupeur, apathie, torpeur, ces mots qui retentissent

sans cesse eÈ lugubrement sous la plume de Senancour, Iais-

sent entendre sa grande misère. Son héros, Aldomen définit

son mal "une sorte de stupeur"(l). Et Oberman se plaint

continuellement de son inaction, de son apathie : "Cepen-

dant I'apathie m'est devenue comme naturelle t it sembre


que I'idée d'une vie active m'effraye ou m'étonne"(2).

cette inaction invoque la souffrance viorente de son âme et

en même temps Ie malheur pour Oberman qui croit que Ie bon-


L23

heur s'acquiert par 1'activité.

Inactif, faible et infirme, Senancour I'est aussi au

moral i comme le docÈeur Finot explique, Ia faj_blesse phy-

sique pouvait chez 1ui provoquer Ia défaillance du psychi-

sme. Or ce qui est pire, c'est ce qu,un ennui insupporta-

bLe accompagne ce mal. Luir gui a ',1e malheur de ne pou-

voj-r être jeune" a "l'ennui de la vie comme seul sentiment,

même à I'âge où on conmence à vivre"(3). Enfin "Ies longs

ennuj-s de ses premiers ans ont apparemment détruit la sé-

duction"(4). Ce senti-ment provoque un jour le cri d'un

ennui insupportable : "L' ennui m' accable" ( 5 ) .

certesr on s'était déjà beaucoup ennuyé au dix-huitième

siècle ; les ravages de ce mal s'étendaienr sans cesse au

fur et à mesure que s'écouLaient les ans. l4ais I'ennui de


senancour n'est pas Lassitude, conséquence de l'excès des
praisirs ou des fatigues de la vie de saron. senancour est
ennuyé avant d'avoir joui. De plus , chez l-ui, ,,I,ennui ne
naît pas de I'uniformité,'(6). Dans les Rêveries it juge

l'ennui :

"L'ennui naît de I'opposition entre ce que l,on

imagine et ce que I'on éprouve, entre la faibles-

se de ce qui est, et I'étendue de ce que I'on veuti

il naît du vague des désirs et de f indolence


d'actj.on i de cet état, de suspension et d'incer-
124

titude où cent affections combattues s'éteignent

mutuellement;"(7) i et encore : "(...) I'ennui

naît de liopposition entre Ia sphère illimit,ée,

rapide ou riante, que nous imaginons, et la sphère

étroite, Iente ou triste, où nous nous trouvons

circonscrits"(8).

En fait, dans l'état, drapathie, l'âme est vide, crest-à-


dire qu'en lui le moi qui pense ne peut sympathiser avec 1e
moi qui vibre. L'ennui de senancour provient surtout de ôè
déca1age, Ie décalage entre 1'être rée1 et Irêtre imagi-
nairer pâf,cê gu'on s'ennuie dès qu'on cesse de coincider

avec soi.

Autrement dit, I'ennui se joint à I'attente. Senan-


cour dira qu'i1 "n'aime pas attendre"(9)r quand il entre-
voit à sa porÈée un plaisir médiocre, mais sûr. Et il dira
qu'i1 a besoin "d'une grande attente"(I0), s'iI imagine
dans Ie lointain un bonheur qui aurait quelque grandeur.

Le plus souvent, I'attente se traduit par re sentiment d,un


suspens au-dessus du vide à quoi correspond : "L'attente
creuse devant nous un vide où se perdent nos jours"(ll).

Dans Ia "léthargie"(12), Ir,,abattement,,(I3), Ir,,accable-


ment"(14), if n'y a pas de repos pour l,ennuyé. ïI n,a pas
de point d,appui, il est 'comme en suspens"(15).
oberman
déciit son mal avec une précision crinique dans la lettre
l-25

46:

"Toujours attendre, et ne rien espérer ; toujours

de f inquiétude sans désirs, êt de I'agitation

sans objet, des heures constamment nulles"(16).

La vie extérieuse devient un automatisme qui recouvre mal

cette agitation interne : et ainsi se superpose un nouveau

décalage à toutes ces discordances que nous avions signalées

conme caractéristiques. Si I'ennui est inquiétude et non re-

pos, c'est essentiellement parce que "l-e principe métaphy-

sique de l'ennui est Ie Temps"(17).

Senancour ressenÈ aussi Ie malaise du temps: "J'échap-

pe au présent, je ne désire point I'avenir, je me consume,

je dévore mes jours" (18) ; "L'ennui consume (sa) durée" (19).

Tandis que le pouvoir de I'homme sur Ie temps est absolu-

ment nuI, Ia succession temporelle Ie presse :

"consumé Ie temps qui s'écoulait pour nousr €n

Iaissant toujours échapper celui qui s'offraj-t

pour appeler avidement celui qui n'était point

encore, €t' qui toujours négligé dès qu'i} s'appro-

che, nrest jamais pour nous"(20).

11 est en effet impossible à I'ennuyé de vivre dans le pré-


L26

sent' soit quril désire et se projette dans le futur, soit


qu'il regrette et s'enferme dans son passé. "chacun de
mes jours est supportable, écrit oberman, mais reur en-
semble mraccable"(21). rl lui est impossible de ne pas
perdre son temps, mais impossible également d'aimer cette
durée que pourtant iI regrette. Le temps s'enfuit et ober-
man souffre d'avoir trop de temps : "quand on a ra tête

inquiétée et dérangée par f imagination (... ) croyez-vous


que ce soit une chose si facile que d'avoir jamais trop ?"
(22) L'ennuyé vit dans Ie monde de la contradiction, obéis-
sant "à une causalité paradoxare dont le ressort pourrait

s'appeler Ia Dialectique du trop" ( 23 ) .

D'autre part, I'ennui se Iie au sentiment de ra des-


truction i "I'ennui est une tombe,(24). L,ennuyé vit dans
une tombe, parce que I'ennui creuse la tombe(Z1). La na-
ture entière paraît pour I'ennuyé une tombe, parce que 1'en-
nui entraîne Ie spectre de la mort.

Enfin, I'ennuyé, Ie malheureux d.ésire avidement le


bonheur. En effet, tout ileffort de senancour s'est dans
sa jeunesse concentré pour se dérivrer du malheur et pour
rechercher re bonheur ; "où fuir re marheur ? Je ne veux
que cera" (26). Et Ie problème de Dieu et de la religion
n'occupe senancour qu'à travers cerui du bonheur dans sa
jeunesse. Malebranche a dit : ,,1,amour-propre, ou Ie dé-
sir'invincibre d'être heureux, est re motif qui d,oit nous
r27

faire aimer Dieu, nous soumettre à sa loi" (27y. Si on veut


adapter cette phrase à senancour, ce ne sera possibre que
dans un sens modif ié. parce que ra rel j-gion chrétj_enne
déjà obscurcissait le jeune senancour, Ie Dieu de senancour
et sa loi ne correspondent pas au christianisme. cela peut
être dans cette période prutôt son Dieu personnel et sa re-
ligion personnelle.
L28

NOTES

CHAPITRE PREMIER

(1) A1., p.XXI

(2) ob., I, p.175

(3)-(4) Ibid., p.4

(5) Ibid., p.175

(6) R., It p.72

(7) Ibid., p.73

(8) Ibid. , p.74

(9) ob., I, p.67

( 10 ) Ibid. , p.25

(1I) R., I, p.89

(12) Ob., 1, p.44

( 13 ) rbid. , p.151

( 14 ) Ibid. , p.239

(15) Ibid., p.44

(16) Ibid., p.208

( 17) V.JankéIévitch, L' alternative, p.130


(18) Ob., I, pp.234-235

(f9) Ibid., II, p.156

(20) A1., p.44, Cf. R., I,p.205


(2f) Ob., I, p.194
-I29-

(22\ Ibid., rr, p.243

(23) V.Jankélévitch, op.cit. , p.I30


(24) Ob., I, p. 14

( 25) Cf . Ob. I, p.14, I, p.165, Ob. , II, p.193


b,
(26) gb., I, p.28 Son désir nrest pourtanL seulement la

recherche du bonheur individuel, mais aussi du bonheur

social,. ' r H o m m ed ' u n j o u r ,


s'écrie-t-il dans 1es

Rêveries, placé par l'éterneIle nécessité sous la loi


de la douleur et du plaisir, ta seule fin morale est
le bonheur, et t,on seul devoir le moyen convenu pour

le bonheur de tous" (R. rIrp.136-137) t et ,,Les autres

hommes sont encore dans Ia nature, ce que me plaît da-


vantage"(b, T' p-2a) - Aldomen est surtout soucieux
du bonheur de son ent,ourage. Or malgré son désir de
faire Ie bonheur des hommes, Ia préoccupation du bon-
heur est avant tout son destin personnel. "C'est de
moi, déclare Aldomen, de moi seulr eu€ je veux m,occu-
per maintenant : cherchons d'abord comment je puis être
heureux et sage dans un état obscure, maj-s choisi"(!!.,
p.11-12). N o u s s o m m e sp r é v e n u s . c,est pour lui et à
sa mesure que senancour prétend édifier sa théorie
du bonheur. Mais, sans contradiction, il pourra en-
suit,e Ia proposer à Èous 1es hommes.
(2t 1 Cité par Robert, Mauzi, L'idée du bonheur, p. 635
130, -

CHAPIÎRE IT

LE REVE PRIMITIVISTE

La première condition du bonheurr polJr 1'âme sensi-

ble, est d'ériminer 1'ennui à f intérieur de ra conscien-

ce. Les Rêveries proposent tout un prograrnme en ce sens.

Pour éviter les pensées rel-atives à des objets absents ou


étranger qui provoquent I'ennui, ir faut auparavant avoir
freiné le désir d'extension. Loin de céder à ce besoin

de I'imagination d'étendre 1'être, s'efforcer au contraire


de le restreindre. C'est-à-dire, sa quête du bonheur, du
salut conmence par I'appli_cation de cette maxime :

"CresÈ en limitant son être guron Ie possède

Èout entier ; 1'extension n'est que rnisère et

dépendance"(l).
131

L'extension se comprend chez lui c o n r m eu n e m i s è r e


et un mal. senancour dével-oppait, déjà cette idée d.ans ses
premiers livres : "En vain, dit, senancour, mon idée vau-
draj-t-e1le s'immiscer à toutes les espèces (...) J'ignore
d'où me viennent ces désirs illimités (... ) si opposés au
bonheur (...)"(2)- Aussi dans Ies premiers âges, le moi
est un moi humilié : malgré ra puissance d'expansion spiri-
tuelle de I'homme, i1 est lié à la terre,'où r'i-mmuable né-
cessité ( lui) impose de ramper" ( 3 ) . Dans res Rêveries, 1,ex-
tensi-on est devenue une manifestation de ra sensibirité de
1'homme organisé, mais el1e reste ,,funeste,,, car ,,ce sens

intérieur susceptibre d'affections innombrables, consume


et précipite l-'existence qu'i1 agrandit, êt afflige la vie
qu'i] devoit embeIlir" (4) .

L'él-an vers la métaphysique ou Ia rerigion, r'audace


chimérique de f intelligence nous rendent malheureux : ',
"l'homme fut en démence dès qu'ir rêva dans f intellectuel_,
malheureux dès qu'ir mit de f,importance à ses songes in-
formes"(5). L'aspi-rati.on vers I'au-delà, la vie future,
la perpétuité de r'être, une puissance souveraine, ce sont
ce qui le blessent dans ra conception religieuse. rr brâ-
IIIêr il dép1ore cette vaine extension vers des domaines in-
connus, probablement chimériques :

"Nos besoins réels et dès lors nos besoins sen-


r32

is étaient bornés : c'est en les étendant im-

prudemment dans I'indéfini gu'on a fait naître

cette attente illimitée que maintenant I'on af-

fecte de donner pour preuve d.'une destination

supérieure à la vie terrestre"(6).

Quand Senancour ne se fasse pas de condamner la "fo1-


Ie grandeur" qui nous a fait quitter les proportions de no-

tre nature, Ie remède pour Ie bonheur apparaît très simple i


iI seraiÈ de savoir se borner à "f instant actuel", à "une

vie simple et circonscrite" au pur "sentiment de sa propre

existence" ( 7 ) . 11 f aut que 1'espèce humaine, ,,abjure enf in

Ie désir trop extensif de I'inexpérimenté, I'avidité des

extrêmes, €t Ia vénération de I'inconnu, et I'amour du gi-


gantesque, et Irhabitude des passions ostensibles, et I'or-
gueil des vertus austère, êt la manie des abstractj-ons, €t

la vanité de 1'j.ntelrectuer, êt Ia crédulité pour f invisi-

ble, et 1e préjugé universel de la perfectibilité,,(8) ;


seure cette abjuration nous rendra heureux. Ainsi trouve

t-on qu'à l'origine de sa quête du bonheur se place le rêve


prirnitivister pour ainsi dire, I'idée du salut par le retour

à une plénitude éIémentaire.

L'adjectif "primitif', peut recouvrir plusieurs signi-


fications. or senancour entend d'abord un état où I'homme

est confondu avec Ia nature, se plie à ses lois, obéit à


133

son rythme. Ce rêve d'un état primitif de I'homme est

principalement 1'héritage du dix-huitième siècle. Cet

héritage est drune importance capitale dans Ia pensée de

Senancour, sous une forme ou sous une autre et dans tou-

tes ses oeuvres qui touchent à Ia questj.on sociale t il


abonde autant dans les Pr"@g, les Générations ac-

tuelles, Aldomen que dans les Rêveries.

Par exemple, de toutes les questions dans les deux

premiers livres jumeaux, "la plus ou peut-être la seule

importante" est celle-ci : quel fut l,homme à I'origine

des temps ?" Et dans les Premiers âgesr orr trouve une in-

aItérable nostalgie d'un mythique âge d'or : "Le travail

était léger, la servitude et le désespoir inconnus, les ma-

ladies très-rares, ra mort indifférente. o innocence anti-


que I ô paix oubliée ! ô bonheur ! ô temps qui ne sont

plus ! douce chimère gu€r dans I'ivresse qu'excuse Ie dé-

sir si légitime du bien, l,imagination embellit et prolon-


ge, mais Ia raison altère et réduit à peu de générations !
quel sera I'homme assez dêpravé pour ne te pas aimer, assez
vain pour t'oublier, assez facÈice pour ne pas gémir d'être

né trop Èard ?"(9)

La description de I'homme naturel qui occupe le centre

de I'exposé des Premiers âges, est suivier c o t t u n €d a n s I e

DisgourP sur I'inéqaliÈér pêr 1'étude de I'évolution qui

amènera la formation de la société, eË de la question de l-a


134

perfectibilité humaine. Ensuite vient, 1'évocation nos-


talgique de cette société idyllique, ici aussi ra société
pastorare telre qu'elle est évoquée par Rousseau. rr s'a-
git de t,enter de regagner l'unité de l'homme et du monde
drAdam et du Jardin avant la fuite et l'exir. Mais ce
rêve sera désormaj-s solitaire et il n,est plus question

d'entraîner un peuple ent,ier dans les voies de la rétrogra-


dation. c'est parce que senancour croit que les projers
d'un Iégislateur peuvent être mis en échec par r'événe-

ment historique, par la mauvaise volonté de I'autre.

comme nous avons déjà vu, senancour était dans les


Rêveries dominé par I'idée de Nécessité. ce probrème peut
se poser alors à lui :

"Si Ia Nécessité est la loi du monde, I'homme qui

se plierait à cette loi n'aurait-il pas tout de


même une chance de rencontrer Le bonheur ?
Céd.ant docilement, ne se conformerait-i1 pas à

sa "nature primit,ive" ? It s'agit en sommed.'es-


sayer de faire glisser de l,ordre du sacré en ce-
luj- du profane, et sans regret, Ie mythe du para-

dis ou celui de 1'â9e dror(lO).

La nature primitive est nommée "nature essentielle,' dans


re s P ré l i mi n a i re s des Rêver ies. senancour s' effor ce de r e-
135

venir à L'être essentier de l'homme, à ce "centre" que for-


menÈ ses "premières affections,,. A I,état primitif, la
nature de l'homme était au degré éminent de force et de
pureté. or l'homme a défiguré la nature. 11 est respon-
sable de cette déchéance. L'homme est tout autant coupa-
b1e d'avoir mutilé en lui les t,races du caractère primit,lf
et les penchants naturels.

"Que cette t,erre est différente de la terre


primitive I"(11).

L'homme actuel n'est prus celui de la nature : dès son en-


fance il est corrompu, comprimé par des contraintes artifi-
cielles qui se multiplient au fur et à mesure de son exis-
tence. "Tyran de rui-même et de ra Nature'(r2), disait déjà
Rousseau de I'homme en société. cette conception qui est
généralement celle des Rêveries s'apparente aussi étroi-
tement à Ia pensêe du Discours sur ilinégaliÈé. "sembla-
b1e à Ia statue de Glaucus, que Ie temps, la mer et les ora-
ges avaient tellement défigurée . . ., ( 13 ) , Iisai-t-on dans
Ia Préface de ce livre

Autrement dit, Rousseau avait critiqué essentierlement


l'élargissemenÈ de la curiosité et des besoins au-delà de
I'horizon primitif. senancour pense comme Rousseau quand

il s'en prend à 1"'extension" des désirs, caractère ordi-


136

naire de ilhomme civirisér êt selon lui "déviation" de no-


tre nature. A vingt ans, senancour opte comme Rousseau
pour I'homrne naturer. Mais, tandis que Rousseau avait

discerné dans 1'humanité primitive un privi-Iège divin, la


libertér gui arlait lui permettre d'accéder au stade de la
moralité. senancour se borne à exalter les "Iois sensi-
bles dont 1'exécution était jouissancê',, c'est-à-dire l_es
lois de I'instinct. si 1'homme s'en était satisfait, iI
n'eût pas rompu "le cercle de perfection bornée" qui assu-
rait son bonheur. D'ailleurs, contrairement à Rousseau
et au dix-huitième siècrer cê rêve primitiviste, ayant ces-
sé de nourrir une espérance réformatrice, s,exaspère dans
Ie sentiment de son irréalité ; à la fin iI est accompagné
drune profonde amertume.

Nous savons que senancour a rêvé un momenÈ d'être le


Législateur t et il a faitr êD longues pages enthousias-
tes, le porÈraiÈ de I,"instituteur des peuples"(14). Mais
ces Èhèmes se conçoivent mal dans un espriÈ comme le sien,
qui a perdu la foi dans I'homme. Dès lors tout espoir
devenant chimère, r'exaltation de la simpricité naturerle
est vaine eIle-même : I'opposition de ra nature à ra civi-
lisation fait prace à cerre du rêve et de la vie réeIre.
De cetÈe insatisfaction, noyau de toute 1,oeuvre, €t du
refus profond de la guérir par un substitut céreste, pro-
cède tout Ie trouble des Rêveries et d,Oberman.
137

NOTES

CHAPITRE TI

(1) 41., p.44, R., I, p.69 et p.137

(2) G.A., p.3

(3) Ibid., p.3

(4) R., I, p.58

(5) G.A., p.102

(5) R., I, Pp.126-127


(7 ) A1. , p.44r T, p. 69
L,
(8) R. ' I, pp.8-9

(9) P.A., p.63

(10) M.Raymond, op.cit., p.7B

(11) G.A., p.54

(I2) Cité par M.Raymond, Senancour, p.50

(13) Rousseau, Discours sur les sciences et les arts,


Discours sur I'origine de I,inégalité, p.150
(14) R. ' I' pp.209-2L7
138

CHAPITRE III

L I EPICURISME

Dans la marche tâtonnante en quête de Ia ',primitivi-

té", le stoicisme, I'épicurisme qui s'opposent à 1'exten-

sion attirent notre jeune philosophe. Ainsi, ces doctrines

d.eviennent un jour une manj.ère de religionr uD culte.

Stoï,ciens, Epicuriens, Senancour écoute les uns eL les

autres, mais les seconds plus volontiers, conme ses maî-

tres dans l'art de jouir. plaisir, douleurr cê sont les


principes des actions des hommes conme le siècre I'affirme.

Senancour entend Diderot qui parle : ',pas un point de Ia

nature entière qui ne souffre ou qui ne jouisse"(l). II


nrest pas moins net que Diderot : "Ton exi.stence tout en-
tière est dans cette alternative : jouir ou souffrir" (2) .

It{ais il poursuit : 'rTout commande le plais13,'(3). Alors,


Epicure lui fit, enÈendrq : "Fais pour la terre, jouis sur
139

terre"(4) t et encore: "Jouis, iI nrest pas d'autre sa-


gesse ; fais jouir ton semblable, iI n'est pas d,autre

vertu"(5). L'épicurisme, ici nettement avouér sê lie ce-


pendant au sentiment de la solidarité, de la charité :

"Jouj-s dans toi-même et dans tout ce qui res-

semble à toi. Elles passeront 1es stéri1es atro-

ces et les superstitions sanguinaj-res ; ils


passeront les stériles efforts des vertus aus-

tères et les écarts effrénés, plaisirs de la ser-

vitude ; mais Ia loJ' primitive ne périra jamais"

(6).

Epicurien' pourtant senancour est épicurien sceptique


qui se rapproche d.e Montaigne. pour re devenir, il a emprun-
té à ce philosophe 1"'héraclitéisme", le sentiment de la
fuite universerre et continue des choses(7), de ilimpéné-

trabllité d.e la nature et ensuite de 1'universelle vanité.

comme lt'lontaigne, senancour tient pour assez vaine la scien-


ce officielle, - et la philosophj.e traditionnerle pour in-

capabre de nous conduire parmi la dissimilitude infinie


des êtres : "combien de choses, disaient res Essais, appel-
rons-nous miraculeuses et contre nature ? cera se fait par

chaque homme et par chaque nation, seron la mesure de son

ignorance : combien Èrouvons-nous de propriéÈés occultes et


140

de quintessences ? Car aller seLon nostre intelligence,

autant qu'elle peut suj-vre et autant que nous y voyons :

ce qui est au delà est monstrueux et désordonné" ( 8 ) .

Et Oberman, suivant Ia même inspiration : "Je suis loin

d'affirmer (... ) qu'iI existe une chaîne occulte <ie rap-

ports (...) qui puisse faire juger ou sentir d'avance ces

choses futures que nous croyons accidentelles. Je ne dis

pas : cela est. Mais n'y a-t-il point quelque témérité à

dire : cela nrest pas ?"(9). La conclusion qu,il en tire,

c'est Ia vanj-té de l"'intel1ectuel", de ce que Montaigne

appelait "la maladive curiosité des savants", qui comptent

atteindre au vrai par méthode et par règIes.

Senancour a puisé en Montaigne aussi Ie sentiment de

I'inexistence, de I'irréalité de tout ce que nous aimons

et croyons tenir. Pourquo j-, s 'était écrié Mont,aigne, ,'pre-

nons-nous titre d'être, de cet instant qui n,est qu,une

éIoise dans le cours infini d'une nuit éternelle"(10).

Et Senancour l-e commente en ces termes : ',comne si Ia vie

était réelle, et existante essentiellement ! C o m m es i Ia


perception de I'univers était I'idée d'un être positif, €t

le moi de I'homme quelque autre chose que I'expression acci-

dentelle d'une harmonie éphémère t"(11) Cependant, on en-

tend. par Ià un art de vivre en paixr pârmi les hommes et

dans sa vie intérieure, de régler ses passions en res sa-

tisfaisant ; puis, Ie talent de contenter ses curiosités


141

d'esprit en les retenant.

A cette périod.e de sa pensée, la constatation de I'in-

utitité universelle ne conduit pas senancour, c o n r m ee 1 l e y

conduira schopenhauer au renoncement total du "voul-oir vi-

vre"r ou à Ia recherche d'un nirvâna d.'indifférance et de

sereine apathie, eIle le mène à tirer de ses facultés eE

de ses passions Ie meilleur parti, à les organiser intel-

ligemment, en d'un bonheur éga1, discret, et relevé : ,,C,est

une bien douce volupté de prolonger la jouissance en étu-

diant le désir, de ne point précipiter sa joie, de ne point

user sa vie" ( 12 ) .

Enfin, Senancour remonte à Lucrèce par son épicurisme

austère :

"Pensée d'Epicure ! pensée vraie et sublime !

L'art de jouir est la science de la vie, €t la

volupté est la fin que connaît Ia sagesse, (... )


Cette force vivante qui dit aux autres : rou-

Iez et subsistez, à Ia matière : soit éternelle

et toujours mobile, a dit aux homrnes : jouissez

eÈ passez" (13).

Cédant au besoin profond de sa nature, Senancour a pu ré-


intégrer dans son épicurisme Ie sentiment religieux.
Ma i s fi n a l e ment, le scepticisme épicur ien I' a dêç u i
- L42

c o n r m eJ . M e r l a n t le remarque(14), senancour était épicurien


par dépit, et par bravade châgrine ; iI est gauche à jouer

ce rôle. Parce qu'iI a senti I'incapacité d'être en re-


pos dans Ie scept,ici-sme et ir Iui était aussi difficire de

sortir du scepticisme gue d'y rester.


143

NOTES

CHAPITRE TII

(1) Diderot, Le Rêve de I'Alembert, éd. Vernière, p.313


Cf. "Nos premières idées ne sont que peines et plai-
sirs" ( condilrac, Traîté de! sensa!&ns, r, p. 7)
(2) R., 1, p.137

(3) Ibid., p.136

(4)-(5) G;4., p.100

(6) R., I, p.138

(7) En se souvenant de Montaigne qui dit : ,,je peins ie


passage et non l'être',, Senancour écrit : "Tout n'est
que passage et chemin sans but"(De I'Amour, lgog, p.67,n.)
(8) Montaigne, Essais, Livre I, ch. XXVI
(9) Ob., I, p.2L9

(10) Montaigne, op.cit., Livre II, ch.XII


( 11) Ob. , II, p.72

(L2) J.Merlant, Senancour, pp.79-80


(13) Ax., éd.1806, p.2l-9

( 14 ) J.lvterlant, op. cit, p. 84


L44

CHAPITRE IV

LE STOICISME

Tout en éÈant épicurien, Senancour était également

stoicien. Nous savons par les Préliminaires des Rêveries

qu'il a renoncé au stoicisme de ses vingt-deux ans. De Ia

fin de 1795 à I'automne de 1798, senancour traverse les jours

les plus sombres de sa vie, d'une vie déjà si maltraitée par

le sort. Avec l'expérience de I'amour triste avec Marie

Daguet, senancour n'ose pas espérer qu'iI pourra encore aimer,

lorsqu'il regagne Paris en L7g4-L7g5. pourtant c'est au prin-

temps et pendanÈ 1'été r7g5 qu'il ressent te prus violemment

la seule véritable passion de sa vier pour Mme Walckenaër,

la soeur de son ami Marcotte. Alors, Senancour après tant

dramertumes conjugares secrèt,ement dévorées, retrouve au fond

de son propre coeur inaltéré, Ie "besoin insatiable de con-

fiance" et communie avec le désir ',drunion, d,éner9ie, de


145

bonheur"(I). Mais iI ne ressent finalement qurun amour

inacessible pour une femme mariée. Cet amour impossible

en France, ainsi que la secousses de la Révolution, 1es dé-

boires en Suisse ont certainement contribué à amener Senan-

cour au désespoir. Pour comble de malheur iI perd ses pa-

rents I'un après l'autre et i1 reste seul- ruj-né.

Alors Senancour est au sommet de la tentation forte de

Ia mort volontaire ; elle marque toutes les oeuvres de Ia

jeunesse. Dans les lettres 41 et 42 d'Oberman, nous trou-

vons un homme "las de mener une vie si vaine " (2) ainsi que

sa réflexion profonde sur le suicide :

"Dès longtemps Ia vie me fatigue. EIle me fati-

gue tous les jours davantage. (... ) Je trouve

aussi quelque répugnance à perdre irrévocabl-e-

ment mon être"(3).

II désire sortir de cette terre. Bien qu'i1 exprime ses

regrets sur 1e plan moral, il conclut que si Ia société

qui est un pacte ne fait rien pour luj-, ou si elle fait

beaucoup contre 1ui, iI a aussi le droit de refuser de Ia

servir : "Notre pacte ne lui convient plus, je le romps

aussi : je ne me révolÈe pâS, je sors"(4).

Or étonnement, la philosophie stoîque est à ce temps-

1à le salut ; en lisant, empruntés à Ia Bibliothèque de


r46

Senlis, force volumes de Sénèque et de Charron, il sort de

sa crise, aux alentours de 1797. La suite des préliminai-

res montre comment il a retrouvé par delà le désespoir un

nouveau stoîcisme, fait plus d'un durcissement de l-a volon-

Eê, d'une parfaite "ataraxie":

"Je désirai quitter Ia vie, bien plus fatigué du

néant de ses biens qu'effrayé de tous ses maux.

Bientôt mieux instruit par Ie malheur, je le trou-

vai douteux lui-même, €t je connus qu'i1 était

indifférent de vivre ou de ne vivre pas"(S).

Finalement Senancour ne se tue pâs, parce qu'iI con-

naÎt qu'il est indifférent de vivre ou de ne pas vj-vre.

Les phllosophes anciens avaient prévu le cas où Ia douleur

étant insupportable et "Irataraxie" étant devenue impossi-

ble, Ie sage devaiÈ chercher un refuge dans la mort volon-

taire. Mais Senancour, grâce au stoicisme, arrive à 1'é-

veil nouveau de son âme sur Ia souffrance. 'rpeut-être

I'homme heureuxr parmi nous est-iI celui qui a beaucoup

souffert"(6), croit-il. Il ne rejetÈera pl.us Ie malheur

conme une faillite de Ia vie r il n'attendra plus des jours

meilleurs. Autrefois, iI a voulu éviter sa douleur et ex-

orciser les ennuis de Ia vie, mais cela a bien changé :


r47

"Je suis bien changé, vous dis-je. Je me rap-

pelle que Ia vie m'impatientait et qu,il y a eu

un moment où je Ia supportais conme un ma1 qui

n'avait plus que quelques mois à durer. Mais ce

souvenir me paraît maintenant celui d'une chose

étrangère à moi" ( 7) .

C o m m eO b e r m a n , S e n a n c o u r p o u r r a aimer sa douleur et s'y at-

tacher tant qu'eI1e dure.

La crise passée, il fera parfois une cure de stoicisme;

même quand i1 l'aura estimé vain, i1 en ressayerar par hy-

giène, parce qu'iI y trouve des raisonsr euelque temps vala-

bles d'être en repos. On retrouve les traces suffisanres

de son stoicisme dans de nombreux passages d'oberman et par-

ticulièrement dans 1e Manuel de pseusophanes. oberman qui

cherchait un lieu où se fixer depuis la lettre 4 finit par

s'installer dans la solitude d'ImensÈroèm durant 1es hui-

tième et neuvième années. La découverte de cet asile, site

idéaIr gui est Ie résultat d,'une longue quête après de mu}-

tiples pérégrinations, est ainsi Iiée à la vie intérieure

de senancour et sa vie intérieure est en particulier dominée


par Ie stoicisme.

On peut dire que la doctrine stoicienne développe chez

Senancour la religion du moi comme le Bouddhisme(B) Ie fait,

en lui enseignant que Ia seule vérité se trouve dans la vie


148

intérieure et que Ie bonheur est dans re consent,j-ment aux

lois de Ia nature.

"Tout ce que l'homme éprouve est dans son coeur,

écrit-il : ce qu'iI connaît est dans sa pensée.

11 est tout entier dans lui-même"(9).

or selon res stoiciens, 1'homme sans passions est l_e chef-


d'oeuvre de Ia nature. 11 ne faut plus avoir de passions,
ni de besoins. Le besoin qui est le manque, est une cause
de malheur et rend I'homme esclave des choses :

"Celui qui a dix besoins n'est pas heureux quand

neuf sont remplis : l'homme est et doit être ainsi


fait. La plainte me conviendrait ma1 t et pour-

tant Ie bonheur reste loin de moi"(IO).

Les stoîciens ont décraré : de mêmequ,un bâton est droit ou


courbe, de même toute action humaine esÈ bonne ou mauvaise,

bonne lorsque les passions sont soumises à la raison, mau-


vaise lorsque la raison succombe aux passions(11).

C o m m eS p i n o z a , Senancour reconnaît aussi un sort uni-


guê, inexplicable- rr y a son propre destin et il y a un

ordre supérieur dans ta roi naturerle. Apprend donc à te

contenter de ta destinée en suivant Uordre naturel. Et


L49

essaie de vivre dans Ie présent, parce que la vie se fond

toute entière dans ce présent que tu négliges poqr le sâ=

crifier à I'avenirr parce Çuê le présent est le temps,

I'avenir n'en est que I'apparence. Arors, une autre morare


réside pour senancour dans I'effort conservateur que Ie

sage porte sur son âme. Elle oppose à Ia mobilit,é des ap-
parences ilimmobilité de Uesprit : ses deux vertus sont
Ia retenue et Ia permanence :

"Je dois resterr euoi qu'il arrive, toujours

le même et toujours moi : non pas précj,sément

teL que je suis dans des habitudes contraires

mes besoins, mais te1 que je me sens, teL que

veux être ..."(12) i

Drautre part, I'influence de ce stoicisme s'exerçant


au moment de I'expérience révolutionnaire, vécue par un aristo-

crate frustré , I 'aura amené aussi à se forger un mythe


de 1'homme supérieur gui, en chaque circonstance est sou-
cieux surtout "d,'être ce qu,i1 doit, être,,, au-dessus de la
foure réglant sa conduite d'après I'harmonie des mond.es.

"Détaché de tout lien traditionner, exclu de tout,e organisa-

Èion humaine et par surcroît, privé du bonheur sentimentar


auquer iI aspiraiÈ, il rui reste son moi qui srenorgueillit

de ne défaillir ni d,evant 1,'énigme de la vie universerle,


150

proposée aux intuitions isolées de sa pensée, ni devant

I'absolu renoncement aux joies humaines" (13) .

Mais ce moi profond. qu,il veut fixer, cette "forme


maîÈresse" existe-t-elle ? I1 en a quelquefois f intui-

tionr cê sont ses moments de grâce ; Ie plus souvent, iI


n'éprouve en lui que 1e vide. Bien que le stoicj.sme de tê-

te puisse nous libérer de bien des peines mesguines, 1'hom-

me n'est pas seulement un être de pensée, mais de désir.

11 voudra vivre avec t.outes les forces qu'il sent en lui.

Le stoïcisme de tête arrivera à la fin à Ie désespérer.


151

NOTES

CHAPITRE IV

(1) T., p.103

(2',) Ob. , r, p. 156

(3) Ibid., p.L74

(4) Ibid., p.I71

(5) R., I, p.4

(6) ob., I, p.L24

(7) Ibid., II, p.160

(8) Bouddha dit de trouver soi-même I "mon maître est Le

moi-même"; "recours à moi même".

(9) ob., T, p.111

(10) Ibid., II, p.141

(1f) Les bouddhistes suivent la même voie que les stoïciens;

ils chel.chent le bonheur sur Ia voie de 1'absence de

besoins, donc de I'absence de désirr crest-à-dire

cherchenÈ Ie bonheur indépendant de tous les objets

extérieurs i et c'est également par Ia voie de la con-

sidération, de Ia réflexionr ên un mot de la raison,

qu'ils parviennent à ce bonheur.

( 12) ob. , T, p.27

(13) J.Merlant, Senancour, p.58


L52

CHAPITRE V

LE BESOIN DE LIINFINI

Du temps de la jeunesse de senancour durant raquelre


Ie suprême objet de sa recherche est Ie bonheur, l'état
prinitif est ilobjet le plus désiré fondamentalement.

Mais' ir faut remarquer dès maintenant que Ie primitivi-

sme de senancour a dépassé la représentation rousseauiste,


contenant le sens plus Iarge.

senancour qui aime à imaginer une science primitive

aujourd'hui perdue a toujours accordé beaucoup d,impor-

tance à r'école des primitivistes fantastico-érudit,s du


dix-huitième siècre. senancour res a rus et les cite sou-
vent ; il cite surtouÈ Baitly, Boulangêr, court de Gébel-in
qui s'avançait à ra recherche du I'tonde primitif . Dans son
livre surî I'Atlantide, Bailly croit pouvoir démontrer que

les Atrantes ou Hyperbornéens venaient en réalité de 1'Asie,


153

"berceau du monde", "pays de Ia noblesse des hommes,'(f).

Là, concluait-il, "guelques-uns de nos ancêt,res, une par-

tie du genre humaj-n, ont trouvé le bonheur dont Ies hommes


peuvent jouir sur Ia terre"(2). Boulanger soulignait Ia
tristesse des anciennes religions où se marque, seron rui,

I'impression des grandes catast.rophes èt en particurier du


DéIuge ; il sous-entendait néanmoins que Ëant de malheurs

nous masquent la vision de l'origine eÈ que la vraie pri-

mitivité nous échappe(3) .

Dans le même temps, Court de Gébel-in, linguiste, esquis-


sant 1es traits d'une première langue conrmune, demandait de
retenir f idée de I'unité de cette première languer postu-

lation nécessaire, tiée à cel1e de 1'unité qui fut d'abord


celle du genre humain. voilà, une cit,ation de court de Gé-
belin par Senancour : "alphabet primitif (... ) par lequel
seul on peut lire Ie grand livre de Ia pensée humaine dans

tous les âges"(4). Ainsi, Senancour imagine cette science


première comme une "comnunication subrime entre 1'accident
et f infini, entre le point de la terre eÈ l,immensité céles-

te entre I'être et I'homme"(5).

Mais' comment donc distinguer de ters rêves, dès lors


qu'on soupçonne l-eur vanité, de l-r,,extension', si souvent
condamnée auparavant ? Là est le. noeud des anbiguités

senancouriennes. Faut-il renoncer au désir même d'un mon-


de meilreur, d'un monde idéat ? un tel renoncement n'est
154

pas concevabre, il faut accepter de vivre par I'imagination

et par I'espérance.

Senancour dira Ie besoin de briser Ie cache de Ia pen-

sée logique, de se dégager d.'un espace clos, compartimenté :

"Que deviendrai-je, s'il faut que je me borne à

ce qui est ?"(6) ; "II y a dans moi une inquiétu-

de qui ne me quj-ttera pas ; c'est un besoin que


je ne connais pasr eue je ne conçois pâs, qui me

commander eui m'absorbe, qui m'emporte au de1à

des êtres périssables"(7) .

cette souffrance qui peut recevoir du romantisme un nom,

c'est le tourment de I'infini ; Ie besoin d,infini proclamé

par Rousseau a marqué Joseph de ltaistre, Madame de st,aër(g),

chateaubriand(9), victor cousin(10) et on doit ajouter se-


nancour. Senancour écrit : "1,infini m'est caché : mais

on n'oublie pas f infini ; celui qui lra entrevu le cner-

chera toujours"(11) ; et encore ',iI y a I'infini enÈre ce


que je suis et ce que j'ai besoin d.'être"(12).
Ainsi, 1'extension cesse dès lors d'être un mal fonda-

mental et devient en un certain sens la clef même de l'hom-

me:

"I1 est naturel à I'homme de se croire moins bor-


155

né, moins fini, de se croire plus grand que sa

vj-e prèsente, lorsqu,il arrive qu,une perception

subite 1ui montre les conÈrastes et r,équilibre,


Ie lien, l,organisation de I'univers. Ce sentl-
ment lui paraît comme une découverte d'un monde à
connaÎtre, comme un premier aperçu de ce qui pour-
rait lui être dévoiIé un jour'(13).

Et son retournement va fort loin, décrivant le repliement


sur soi comme ruineaux :

"Dans notre marche rétrograde, nous nous attachons

à abandonner les choses extérieures, et à nous


contenir dans nos besoins positifs ; centre de
tristesse, où I'amertume et le silence de tant de
choses n'attendent pas Ia mortr pour creuser à nos
coeurs ce vide du tombeau où se consument et s'é-
teignent tout ce qu'ils pouvaj.ent avolr de can-
deur, de grâces, de désirs et de bonté primiti-
ve"(14).

ce dernier mot sembre être ra survivance d'une pensée qui


a changé ; en fait I'idée primiÈiviste s'est élargie en mé-
t,aphysique de 1 'univers .
ù
Désirant découvrir un monde à connaître, Senancour veur
aboutir à une contempration de 1'univers avec une passion
156

de savant, de mystique et de poète. Dans cette ouverture


vers I'infini, re sens de t'adjectif "primj-tif ". sera très
sensiblement modifié et enrichi i on trouvera I'idée du
monde primitif qui tend à s'identifier à celle du monde
idéat.

Nous avons vu dans les Rêveries que Ie primitif s,op-


pose à I'idéa]- Mais pour obermanr âu contraire, re primi-
tif et I'idéal se rejoignent, se confond.ent. 11 nous dit
d'un côté que "les effets romantiques sont les accents d.'une
Iangue primitive"(15), et de I'autrer Çuê "les lieux pleins
d'oppositions, de beautés et d'horreur (...) éIèvent I'ima-
gination de certains hommes vers le romantique, le mysté-
rieux, f idéaI" (15) . "Romantique,,, d'abord donné comme
équivalent de "primitif" est pris ensuite comme synonyme
d| "idéal".

Le monde primitif apparaît alors conrme un paradis per-


du: l'homme, qui en porte au coeur la nostalgie, I'aper-

çoit f,urtivement par Ia grâce de I'intuition poétique, lors-


gu€r par exemple, il entend la nuit 1e chant du rossignor :

"Ce chant des nuits heureuses, sublime expression


drune mélodie primitive indicible éIan d.'amour

eÈ de douleur, voluptueux comme le besoin qui me


consume, simple, mystérieux, immense conrme le

coeur qui anime'(17).


L57

Arors que Ie senancour des Rêveries se défiait de I' illimi-


té, oberman trouve sa joie, son ravissement dans le senti-
ment de I'illimité : "Je ne saurais trouver queIle forme,
quelle analogier euel rapport secret a pu me faire voir
dans cette fleur une beauté illimité,(18).

Nous considérons ici f infruence sur senancour du Mon-


de primitif de court de Gébelin qui a le caractère d'une sorte

d'archétype reconst,itué par induction : ce n'est nullemenc


un éÈat de sauvagerie ou de barbarie, il est situé hors
de 1'histoire. "rl précède tous les peuples connus. ce
furent ses Législateurs qui ouvrirent cette carrière à tous
Ies auteurs ; ceux-ci n'eurent qu'à conserver et à imiter",
écrit Court de Gébelin(19). Aussi pour Senancour, I'idée

de la primitivité devient un idéar anté-historique. "Les


sauvages ont aussi leurs détresses"(20), lit-on dans res
Rêveries de 1809. La civiLisation des modernes n'est prus
formellement accusée : "Nous ne sommes pas plus atroces ou
vils qu'on ne l'était iI y a trente siècle"(21). C,est dire
que le monde primitif, Ie monde idéal est éterneLlement pré-

sent, ri passé ni futur.

En effet, senancour paraît annoncer 1a pensée des his-

toriens des rerigions (M.E1iade), qui nous apprennent que


les sauvages ont également leur mythe du "bon sauvage".

Drautre partr êD renonçant à placer ra primitivité dans un


temps historique, ir en fait une réalité extratemporelle,
158

perceptible, sinon recouvrable, dans le présent même ; ce-

la tout en conservant f idée d'un ordre primitive, la primi-

tivité appartenant à un premier plan divin (22) .

Mais bien que la nature primitlve ne soit plus seule-

ment Ia nature sauvage, il nrest certainement pas possible,

dans les viIles, de réintégrer I'homme à la nature- Dans

Oberman, seuls les paysages de haute montagne, Ia pureté

des sommets permettent à I'homme civilisé de se régénérer

et de retrouver ce qu'est vraiment Ia nat,ure de I'homme vé-

ritable. Ainsi, chez Senancour le mot de primltivisme est

toujours lié à celui de Ia campagne. La ville symbolise

Ie lieu de toutes les dépravations, de toutes les misères,

toutes les forces mauvaises de la civilisat,ionroù I'ennui

sévit.
159

NOTES

CHAPITRE V

(1) Bailly, Lettres sur I'Atlantide de platon et sur

I'ancienne hisÈoire de I'Asie, p.260

(2) Ibid. , p.390

(3) M.Raymond, Senancour, p.76

(4) R., I, p.215 et note 5


(5) R., II, p.4

(5) ob., T, p.80

(7) Ibid., I, p.74

(8) Cf. Madamede StaëI, De I'Allenagne, t.IV, p.L74 :

"Le sentiment de il infini est Ie veritabre attribut de

l'âme" .

(9) Cf. Chateaubriand, René, p.208 : "Je cherche seulement

un bien inconnu donÈ f instinct me poursuit. Est-ce

ma faute si je trouve partout des bornes, si ce qui est

f ini n'a pour moi aucune valeur ?,,


(f0) Cf. Victor Cousin, Du vrai..., p.108 : "Le coeur est

insatiable parce qu'il aspire à I'infini. ce sentiment,

ce besoin de I'infini est au fond des grandes passions

comme des plus légers désirs".


( II ) R. , rr, p.L24

(12) Ob., I, p.74


160

(13) Ibid., II, p.80

( 14 ) Ibid., p.95

( 15 ) rbid. , T, p.161

(16) Ibid., II, p.149

( 17 ) Ibid. , Ir, p.83

(18) Ibid., I, p.103

(19) Court de Gébelin, Le Monde primitif, p.433


(20) R., rr, p.97

( 21 ) Ibid., p.105

(22) M.Raymond, op.cit, p.210


161

CHAPITRE VI

LE MONDE IDEAL PAR LA

CONTEMPLATION DE LA NATURE

l. Des analogies universelles

QueI est le monde idéal de Senancour et quel est le

chemin vers ce "monde inconnu gue nous cherchons toujours"


(1) ? Nous trouvons avant tout que la contemplations di-

recte de 1a nature permet d'avancer bien davantage vers re

monde idéal

Dès son premier écrit, i1 perçoit que tout est rapport

et analogie dans la nature ; dans les premiers âges(2), iI

mentionne 1'anarogie comme méthode d'induction pour resti-

tuer ilhomme, aujourd'hui dévié de sa nature, à I'ordre uni-


versel et à ra parenté des autres êtres t peu après, Aldo-
men imagine des relations entre re monde.inanimé et "res
L62

aperçus métaphysiques des destins de I,homne', :

" 0 Spittwead que de rapports I (... ) cette ana-

logie a été sentie dans tous les temps. La natu-

re qui n'est qu'ordre et harmonie aurait-elle éta-


bli des relations entre les formes ou les combi-

naisons matérj-elles des corps inanimés et les aper-

çus métaphysiques des destins de l,homme ?"(3)

Mai-s on ne nie pas qu'il y a une condamnation ambiguë


dans la première page des Générations, margré sa découverte
de lrAnalogj-e ; le jeune Senancour écrit : "I'analogie, gui-

de suspect, imaginaire sans doute"(4). Dans Ie domaine de

la pensée religieuse, il déprore ce procès qui entraîne

1'homme à une conception jugée alors totarement erronée.


Et iI y décrit seurement, un mode obscur, absorument fermé
à I'hommer uD "grand Tout, dont I'existence est incompréhen-

sib1e, la cause une essence ind.éfinissable, Ia nature, les


propriétés, un composé inénarrable"(5) ; pour qui se refuse
à la pensée anarogique, il ne peut, y avoir de cohérence, ni
d.e lien entre les êtres.

cependant son essai pour accéder au "cier de UAnalogie"

est positivement rendu possibre dès les Rêveries. Lrordre


universer que senancour perçoit ou qu'il céIèbre nrest pour

lui que Ie possible, f inconnu, une intelligence, soupçon-


163 -

née dans 1es choses, une "mérodie générale", tantôt "premier


dessein" et tantôt "ce qui devrait être". L'auteur des Rêve-
ries conçoit volontiers cet ordre hypothétique seron re sym-
bolisme propre aux théosophes du siècle précédent, conrme
fondé sur une analogie universelle.

De plus' oberman perçoit plus souvent que I'auteur des


Rêveries lrAnalogie de 1'univers ; pénétrant ilharmonie su-
périeure, crest-à-dire la nature en tant qu'un ensemble de
rapports' une Analogie absorue, oberman a 1'expérience de
Ia révélation entre Ie "moi", 1'univers et des autres. Dès
que ilhomme est entraîné dans ce rythme universel, "i-1 mar-
che avec la nature entière", au moi-ns pendant 1a durée de

f illumination r iI se saisit luj_-même comme faisant partie

de cet ensembre, englobé dans ces anarogies. "cet enchaîne-


ment de rapports dont il est le centre et qui ne peuvent fi-
nir entièrement gu'aux bornes du monde, re constitue partie
de 1'univers, unité numérique dans le nombre de ra.nacure.

Le rien que forment ces liens personners est 1'ordre du mon-


de, eL la force qui perpétue son harmonie est ra loi natu-
relle"(6).

Sur ce chemin, Senancour aboutit à une sorte de pan-


théisme. sainte-Beuve établit magistralement un paraIlère
ent,re senancour et trois grands peint,res de paysages. selon
Sainte-Beuve : "des trois grands peintres, Jean-Jacques,

Bernardin de Saint-Pierre, Chateaubriand, aucun, (... ) mal-


r64

gré son vif entraînement vers la nature, ne va au pan-


théisme i chacun reste (chez) soi, et se distinguer de tout
et en distingue Dieu. oberman seur est en proie à ra na-
ture ; il s'y livre, iI s,y plonge, et cherche à n,être
qurune sorte de modification sourde du grand mirieu univer-
se1"(7).

Méditer sur Ia nature, qui est une oeuvre unlque, com-


posée d'opérations multiples, c'est un acte total qui per-
met de communier avec tous 1es ordres, minéral, végét,al, hu-
main. Par la communion humainer orr peut conci-lier l,amour
de soi et l'amour des autres: "je nraime, iI est vrai, écrit
obermanr euê Ia nature ; maj.s c'est pour cera qu,en m'aimant

moi-même, je ne m'aime point exclusivement ; et que les au-


tres hommes sont encore dans ra nature, ce que j'en aime
davantage"(8). Autrement dit, découvrir les analogies du
monde est un acter un acte de participation à ra vie de 1'u-
nivers -

Nous pouvons nous rappeler ilexpérience très impres-


sionnante de ra nuit de Thiere. son "indicibre sensibili-
té" rui a arors permis d'accéder à une "vaste conscience,,
de la nature. oberman essaie avant tout de s'incarner, de
se retrouver dans un autre "je", dépossédé de rui-même i
après avoir éprouvé sa présence dans re monde comme cel_re
dtun étranger, il rêver pour se rassurer eÈ srapaiser, de
faire partie des choses et, des hommes, de revenir à Ia na-
165

ture. "Je m'aime moi-même, mais crest dans Ia nature,

c'est dans I'ordre qu'elle veut, crest en sociêté avec

I'homme qu'elle fait, êt d'accord avec 1'universalité des

choses"19)r écrit-iI. If y a e n c o r e d e s m o m e n t , so ù I ' O b e r -

man réel coincide avec l'Oberman de désir. L'extase à la

Dent du I'lidi r Ç[uê nous développerons par la suite est la

plus remarquable.

En tout cas, il nous faut ajout,er que ces extases sont

seulement ce qu'iI sait précaire ; I'angoisse athée et mé-

caniste menace en permanence ses vues optimistes :

"I1 n'y a plus de ces demj--ténébres, de ces espa-

ces cachés qui plaisent tant à pénétrer. 11 n'y

a plus de clartés douteuses où se pui-ssent' repo-

ser mes yeux. Tout est aride et fatigant, corrme

Le sable qui brûle sous Ie ciel de Zaara : et tou-

tes les choses de Ia vie, dépouillées de ce revê-

temenÈ, présentent,, dans une vérité rebutante, le

savant et triste mécanisme de leur squelette dé-

couvert,"(10).

En dêfinitive, il arrive qu'iI fasse de Ia perception

d'analogies secrètes Ie privilège de quelques-unes : "Nous

voyonsr pêt exempler Çgrê la plupart ne sauraient concevoir

des rapports ent,re I'odeur qu'exhale une plainte et les


166

moyens de bonheur du monde. Doivent,-irs pour cela regarder

comme une erreur d.e f imaginatj.on re sentiment de ces rap-


ports ? ces deux perceptions si étrangères I'une à r'autre
pour prusieurs esprits Le sont,-elles pour le génie qui peut

suivre la chaîne qui les unit ?"(11) On serait tenté alors

de croire que cette chaîne de rapports existe dans ra naÈure,


puisque Senancour présente cette relation "qui les unit,'

sur le monde indicatif, et que tous les hommes ne sont pas

également capables de la percevoir, le génie ayant, comme


nous 1'avons vu précédemmentr urt rôIe privilégié.

En fin de compt,e, I'analogie est moins à ses yeux la

1oi de Ia nature que la démarche du génie scrut,ateur :

"Le génie esÈ un besoin insatiable (... ) de reculer les li-


mites visibres ; de douter dès que ra lumière manque, mais
de s'élancer toujours vers l,inconnu sur Ies traces de
I'analogie"(12).

2. Lrextase de la Dent du Midi

L a su i sse r pals dont senancour gar de r es souven i r s

tristes de sa femmer rê lui apporte pas que des déconvenues.


Pendant son séjour dans ce pays, ir t.ente querques ascen-
si o n s d e s A rp e s. r r y connaît la r évér ation de r a be auté
r67

de Ia nature et éprouve de véritables illuminat,ions mys-

tiques et panthéistes. Souvenons nous ici d.e son expérien-

ce exemplaire dans I'ascension des Dents du Midi qui est

bien décrite dans la lettre 7 d'Oberman.

C o m m en o u s I e savons, Senancour quitte Paris pour Ia

Suisse Ie 14 août L78g. Traversant sans s'y arrêter Genè-

vêr puis Lausanne, ville "trop française" où les émigrés

conrmencent à affluer, il s'engage dans Ia vallée supérieure

du Rhône et. descend dans une auberge de Saint-Maurice.

C'est de 1à qu'il entreprend seul I'ascension des Dents du

l,lidi. Fils unique, nrayant grandi dans la contrainte entre

une mère inquiète, pusillanime, êt un père à 1'humeur som-

bre, teintée de jansénisme, adolescent passionné de lectures

et perdu dans ses rêveries, il est pourtant déjà à dix-neuf

ans un homme de désir.

L'ascension d'Oberman s'accompagne d'une sorte de cé-

rémonie initiatique et religieuse. D'abord par une ruptu-

re : le renvoi du guide : "je voulais que rien de merce-

naire n'altérât cette liberté alpestre"(13), écrit Oberman.

Crest parce que le qride lui semble représenter le monde

maudiÈ des conventions sociales et de I'argentr ÇuriI pour-

rait salir son acte de purification. Oberman est alors

lrhomme de Ia montagne qui veut être sacré.

"Je laissai à terre montre, argent, tout ce qui


- 168

était sur moi, êt à peu près tous mes vêtements,

et je m'éloignai sans prendre soin de les ca-

cher"(f4).

Oberman croyait que cacher ses vêtements et ses biens, c'eût

été se souiller I'âme d'un espoir de retour. 11 ne faut

pas regarder en arrière quand on gravit Ia montagnê, pas

plus qu'Orphée ne peut voir Euridyce, ni les rescapés de la

Bible, la vi1Ie en flammes. C'est conme Nerval qui quitte

ses "habits terrestres" et les disperse autour de lui pour

recevoir le message de Ia folie. L'audace d'Oberman arrive

alors jusqu'à la folie; m a i s c o m m e ù l a d a m eL e G a l I Ie dit


(15), iI n'y aura pas de vie mystique sans I'abandon d'une

certaine raison. La folie de la montagne est pour Senancour

ce que fut pour drautres la folie de la Croix.

Ainsi, cet effort figure I'ascèse qui précède toute

communion avec ltau-delà. 11 a fallu auparavant ces rites

de libération et de purification, Ia nudité baptismale.

A ce prix seulement 1'être, comme "agrandi", peut pénétrer

le mystère de lrautre-monde, en une révélation.

Enfin sur les hauteurs, le néophythe qui srest dépouil-

1é, s'est purifié par un nouveau baptêmer sê prépare à en-

tendre les dieux, à accueillir la parole, et à offrir un

coeur transparent à Ia réalité qui s'y réfléchira. Oberman

sent désormais I'apparition en lui drun nouvel homme :


169

"Sur les terres basses, c'est une nécessité que

I'homme naturel soit sans cesse altérér €D respi-

rant cette atmosphère sociale si épaisse, si ora-


geuse, si pleine de fermentation, toujours ébran-
Iée par le bruit des arts, le fracas des plaisirs

ostensibles, les cris de Ia haine et 1es perpé-

tuels gémissements de 1'anxiété et des douleurs.

Mais 1à, sur ces monts déserts, où le ciel est


plus immense r où I'ai-r est plus f ixe, et les
temps moins rapides, êt la vie plus permanente :
1à, Ia nature ent,ière exprime éloquemment un ordre
plus grand, une harmonie plus visibler uD ensembl_e
éternel : 1à, l,homme retrouve sa forme altérab1e

mais indestructible r "(16)

Lrunivers et |homme, libéré de son cadre social, ten-


dent à se joindre, à s'identifierr pâr une possession dou-
ble et réciproque : "son être est à rui comme à llunivers"
(17) - A ce moment-là, "il vit d'une vie réelre dans iluni-
té sublime"(18). C'est ce qu'iI voulait éprouver r cê que
du moins ir cherchait. Et quand ir a entrevu ',l'harmonie

éternelle", Oberman s,écrie : ,,Enfin je crois être sûr de


moi- rl est des moments qui dissipent la défiance, les pré-
ventions, les incertitudes, et où I'on connaît ce qui esr,
par une impérieuse et inébranlable conviction',(19).
170

De p1us, cette euphorie soutient une extase spirituel-

Ie; I'homme des vallées consume, sans en jouirr sâ durée

inquiète et irritabfe, mais dans la cessation de toute in-

quiétuder sâ pensée, moins pressée, est plus véritablement

active. Oberman pénétre donc dans un nouveau monder urr au-

tre monde et un autre temps dont le rythme différe de celui

du temps normal ; ce passage, comme le renversement du jour

dans la nuiÈ, nous fait songer plus à Tao ou la Voie des

taoîstes qu'à 1a mystique chrétienne. Tandis que la recher-

che de l'absolu en Occident va vers 'r1e Tout,,, eller êfl Ex-

trême-Orientr vâ vers rrIrUnrr. Or pour les taoistes, attein-

dre r'lrunrr ou "le Super-un", crest le Tao. Autrement dit,

ce qu'on appelle en Occident. une révélation intérieure, Nou-

ve1 homme, Contemplation mystique, Coeur spirituel ... I


c'est pour les taoîstes Ie Taor la Simplicité sans nom, Ie

Non-agir et I'Union mystérieuse. Sur cette Voie, I'homrne

dépasse les distinctions du soi et du monde, Ie "moi" et le

"non-moi". Par suite, iI n'a pas de soi. It est un avec

1e Tao.

Or Ia montée de brouillard I'inquiète tout à coupr pâr-

ce qu'iI croit que Ie voile des vapeurs cache la vérité et

tr'annonce, ou il la faiÈ pressentir et simultanément sé-


pare I'homme de ce qui doit ou ne doiÈ pas être révéIé.

Mais les brumes se dispersent heureusement devant ses yeux

avant dratteindre les cimes et Ie ciel reste immaculé-


171

Après I'extinction du cri de 1'aigle, Oberman prend alors

une conscience plus d'une nouvelle qualit,é de son extase :

Ie silence universel, jamais altéré, car les cris de I'ai-

gle ne le toublent pasr car ils se dissolvent dans I'im-

mensité muette :

"Puis tout rentra dans un calme absolu ; comme

si Ie son lui-même eût cessé d'être, êt que Ia

propriété des corps sonores eût cessé d,êtrer êt


que la propriété des corps sonores eût été effa-

cée de l'univers. Jamais Ie silence n,a été con-

nu dans les vallées tumultueuses i ce nrest que

sur les cimes froides que règne cette immobili-

Èé, cette solennelle permanence que nulle langue

n'exprimera, que I' imagination n'atteindra pas,,( 20 )

cependant les perpétuelles mutations de l-'univers se-


raient à sa pensêe un mystère impénétrable. En ce monde
nouveau où il se régénère, 1'homme aurait-ir besoin aussi
d'un autre langage ? Parce que Ie langage dans Ies praines

est sans efficacité, tout devrait-iI être par lui ou pour

J-ui rebaptisé ? s'il avait essayé d'écrire ce qurir éprou-


vaitr ên fait ir aurait "bientôt cessé de (le) sentir d,'une
manière extraordinaire"(2I). Tout compte fait, Oberman
adlnire le mutisme de Rousseau, parvenu au sommet df une mon-
L72

tagne du Dauphiné :

"Vous savez comment fut trompée l'attente de ces

hommes du Dauphiné qui herborisaient avec Jean-

Jacques. Ils parvinrent à un sommet dont Ia po-

sition était propre à échauffer un génie poéti-

que : i1s attendaient un beau morceau d'éloquen-

ce ; I'auteur de Julie s'assit à terre, se mit

à jouer avec quelques brins d'herbe, et ne dit

mot" (22) .

Enfin, Oberman par son ascension a atteint la révéla-


tion, €t accédé au monde de f idéal. Mais ir faut redescen-
dre dans Ia valIée. Redescendre sur ra terre, c'est pour

lui regagner Ia plaine ; le désenchantement, la chute dans


1a disharmonie, "I'industrieuse oppressj-on" des hommes L'ac-

cablent, iI a repris ses "chaînes" :

"Je redescendis sur la terre ; là s,évanouj.t cet-


te foi aveugle à I'existence absolue des êtres,

cette chimère de rapports régulj.ers, de perfec-

tions, de jouissances positives, ( 23 ) .

Revenu parmi les ombres, iI traite ainsi de chimère


qu'il lui fut donné drentrevoir dans son ravissement.
173

Tel est, en effet, son malheur : dans Ie monde où vit Ie

vulgaire est pour tui sans consistance' mais 1'expérience

des cimes ne peut être retenue ni prolongée, êt celui qui

en fut favorisé est réduit à se sentir comme Ie jouet d'une

illusion.
L74

NOTES

CHAPIÎRE V

(f) Ob.' I, p.11

(2) P.A., P.V


(3) Al., p.8

(4) G.A., p.1

(5) Ibid' p.2

(6) Ob.' II' p.74

(7) Sainte-Beuve, Chateaubriand et son groupe littéralre,

14e1eçon, t.I, p.288

(8) Ob., T' p.27

(9) Ibid.' p.24

(10) rbid., rr, p.150

(11) Ibid., p.220

(I2) Article La minerve littéraire, t.II, L82L, Du Génie,

p.296
( 1 3) O b . , I ' p.41
(14) Ibid, pp.4L-42

(15) B.Le GaII, op.cit., p.348

(16) .ob.,- I, p.43

(17)-(18)-(19) Ibid., p.44

( 20) Ibid. , p.47

(2L)-(22) Ibid., p.48


L75

(23)- Ibid., p.49


L76

CHAPITRE VII

LE MYSTIQUE SANS DIEU

1. Lroccultisme

Senancour a connu I'expérience mystique à travers Ia

perception de I'Analogie dans la nature, dans I'univers.

"Mais je suis las des choses certaines, et je cherche par-

tout des voies d'espérance"(1). 11 tentera dès lors de

prendre les chemins aberrants des sciences occultes ; il


plaidera pour la signification des nombres, des rêves, des

superstitionsr pouf, la "doctrine magique" qui leur donne

toute leur importance. Pour Senancour, les dogmes des t,héo-

sophes offrent.des contours trop arrêtés ; ils contrarient

la fluidité de sa pensée. 11 veut attacher de I'importan-

ce au vagabondage de son esprit, donc iI se plaira à juger

également vraisemblances toutes les fantaisies humaines.


L77

On peut déjà trouver la curiosité de Senancour pour la

magie dans les Générations actuelles et dans Ie manuscrit

des Annotations Encyclopédiques qui nous offre Ia variété

de ses lectures. Dès les Générations, Senancour rappelle

que Ies "cabalistes admettent trois transmigrations" et que

selon eux "des attributs ou des perfections de Ia divinité,

résultent des émanations transmises par les anges de chaque

planète"(2). 11 s'y inspire aussi du sabéisme(3) néo-paien

de Dupont de Nemours. Dans les Annotatigns Enc.yclopédiques,

iI trace avec soin Ie triangle magique "abracadabra".

Senancour admet sans d.ifficulté les sciences mystérieu-

ses des initiés anciens : crest 1à d'où le christianisme

tire la doctrine du Verbe et ce1le de I'immortalité de 1'â-

me i crest de cela que srinspire Moise. L'Egypte fournit

aux juifs leur religion ; de plus récentes arcanes ont fait

germer notre croyance. "Pythagore, Zoroastre, les Gymnoso-

phistes ont étér plus que Jean, €t surtout bien plus que

Moise, les précurseurs de Jésus et de Paul"(4)récrit Senan-

cour.

EÈ Senancour a connu L.S.Mercier et grâce à lui a con-

nu Lavater. Tandis que I'enthousiasme incohérent de t4er-

cier dut galvaniser sa torpeur, Ie nom moins enthousiaste

Lavater I' intéressait passionnément par la physiognomonie,

que Senancour, à son exemple, vantera :


L78

"Si je vous accorde que Lavater est un enthou-

siaste, vous m'accorderez qu'iI n'est pas un rado-

teur. Je soutiens que de trouver Ie caractère et

surtout l-es facultés des hommes dans leurs traits,

c'est une conception du génie, êt non pas un éca-

rt de I'imaginaÈion" (5) .

l"lais plus qu'un curieux tel que l,lercier, les méd.itations d'O-

berman sont attirées par Ie Philosophe Inconnu.

Dans I'état mystique, ce qui paraît réel au commun des

hommes peut être qualifié d'illusoire. Donc son esprit veut

bannir c o n r m eu n s o n g e l e s apparences qui l,opprimaient.

Des pages d'Oberman rappellent celles où le philosophe In-

connu parle "d'une sorte dtégarement", de "stupeur inquète"

qui règnerait sur la nature : le 'lmagisme" Iui redonne la

lumière eÈ Ia vie. 11 veut être en effet l'homme init,ié

qui voit comme faux ce que Ie vulgaire appelle vrai, €t per-

çoit comme imméd.iatement sensible ce qu'i1 appelle imaginai-

re.

Ainsi, Senancour croirait "gu'une volonÈé inconnue,

qurune intelligence drune nature indéfissabre nous entraîne

par des apparences, par la marche des nombres, par des son-
ges d.ont les rapports avec les faits surpassent de beaucoup

les probabilités du hasard. On dirait que tous les moyens

lui servent à nous séduirer euê les sciences occultesr eu€


L79

les résultats extraordinaires de Ia divination et les vastes

effets dus à des causes imperceptibles, sont I'ouvrage de

cetÈe industrie cachée ; qu'elle précipite ainsi ce que

nous croyons conduire t qu'elIe nous égare afin de varier

Ie monde"(6). I1 considère par la suite qu'iI est aussi té-

méraire de refuser toute valeur aux recherches des occulti-

stes que de leur accorder une foi Èrop aveugle :

"Je suis loin d'affirmer, de croir positivement,

qu'il y ait en effet dans Ia nature une force qui

séduise les hommes, indépendamment du prestige de

leurs passions ; qu'il existe une chaîne occulte

de rapports, soit dans les nombres, soit dans les

affections, qui puisse faire juger, ou sentir d'a-

vance, ces choses futures que nous croyons acci-

dentelles. Je ne dis pês, Cela est ; mais n'y a-

t-il pas quelque témérité à dire, Cela nrest pas ?"

(7)

Dans Oberman, iI plaide volonÈiers pour les "pressenti-


me n ts, p ro p ri é té s secr ètes des nom br es, pier r e philos ophar e,
i n fl u e n ce s mu tu e lles des astr esr science cabar isÈique , hau-
te ma g i e , to u te s chim èr es décr ar ées telles par r a cer ti tude
une et infaillible" ( 8) .

Commetant de préromantiques et de Romantiques, iI dé-


180

couvre d'autre part chez Pythagore une confirmation de son


goût des symboles, une angoisse devant re mystère de 1'écher-

le des êtres. D'un même courant de pensée naîtra r-'ad.mira-

ble sonnet des chimères et le vers : "un pur esprit s,accroît


sous l'écorce des pierres"(9). Or, Senancour puise avant

tout chez les Pythagoriciens res éléments d'une science des


nombres. Nous trouvons dans Oberman un 1ong exposé, tni-

sérieux,mi-badin,de,..nuoilnombres;cette1ongue

lettre sur l-es nombres nous fait sentir f infruence du néo-

Pythagorisme autant que du Martinisme.

Après des considérations assez banales sur Ie hasard et


d.es variations sur le thème : le monde est une roterie, r,ex-
posé devient plus précis.

"Si tant de choses se font par hasard, et que

pourtant le hasard ne puisse rien faire, iI y a

dans la nature, ou une grande force cachée, ou un

nombre de forces inconnues qui suivent des lois

inaccessibles aux démonstrations des sciences hu-

maines'( 10) .

Pourquoi chercher à rire des anciens qui regardaient

les nombres comme le principe universel ? Le ton parfois

railleur cache mal ce qui semble être au moins momentané-

menÈ - une conviction de senancour. ce "langage embté-


matique (... ) nra pu paraître ridicule ou vain,
181

que parce qu'on I'a jugé sans savoir quel en était I'es-

prit, commeI'on prononcerait mal sur I'algèbre si I'on

n'en connaissait pas I'application aux véritables objets de

Ia sci-ence" (11) .

Senancour tente de voir dans le nombre Ie principe

universel. Le nombre est "Ie principe de toute dimension,

de toute harmonie, de toute propriété, de toute agrégat,ion",

c'est-à-dire "Ia loi de I'univers organj-sé". Sans les lois

des nombres, la matière serait chaos. Dieu n'est gue "Ia

conception universel-le" des propriétés des nombres. "Les

analogies de ces propriétés forment la docÈrine magiguê,

secret de touÈes les initiations, principe de tous les

dogmes, base de tous les cultesrssource des relaÈions mo-

rales et de tous les devoirs"(12).

Et de nous donner, à son tour, une clef de ces analo-

gies i on Ia comparera volontiers avec celle des martinistes.

Martinès de Pasqually, Kirchbergêr, Eckarthausen, Gébelin,

Fabre d'Olivet et tant d'autres tiennent à préciser Ia va-

Ieur propre à chaque nombre. Senancour n'y manque pas lui

non plus.

"L'Unité est assurément le principe (...) Pour

Deux, c'est très différent. S'il n'y avait pas

deux, iI nty aurait qu'un. O r r Ç [ u â û dt o u t est un,

tout est semblable ; quand tout est semblable, iI

n'y a pas de discordance, tà est la perfection i


L82

c'est donc deux qui brouille tout. Voilà le mau-

vais principe, crest Satan (...) Cependant, sans

deux, iI n'y aurait point de composition, point

de rapportsr point d'harmonie. Deux est 1'été-

ment de toute chose composée en tant que composée.

Deux est Ie symbole et Ie moyen de toute généra-

tions. Trois est le principe de la perfection i

c'est le nombre de la chose composée et ramenée

à I'unité, de Ia chose éIevée à I'agrégation, €t

achevée par l'unité (..,) Quatre ressemble beau-

coup au corps, parce que 1e corps a quatre facul-

tés (... ) Cinq est protégé par Vénus (... ) Je

ne sais rien du nombre six, sinon que Ie cube a

six faces (... ) Sept (... ) représente tout:s les

créatures, ce qui le rend drautant plus intéres-

sant qu'elles nous appartiennent toutes (... )

Cet empire a manqué être perdu par Ie péché ; maj_s

il faut mettre deux sept ensemble i I'un détruira

Irautre (... ) C'est fà Ie nombre mystigue du se-

cond ordre (... )"(13)

Malgré certaines variantes, iI nous donne bien des interpré-

tations traditionnelles r par exemple, iI se rappelle ,,les

horreurs attachées au nombre cing'r. Et pour expliquer neuf,

iI fera appel à des Iêgendes mongoles ou africaines, au Zend-


183

Avesta et, à Ia science chinoise.

curieux mérange de traditions superstitieuses, commen-

te Madame Le GaII, de science pythagoricienne, et de cita-

tions patristiques, de connaissances occultes et de consi-

dérations personnelles ( 14 ) ; auxquelles s'ajoutent quelques

affinités avec la philosophie chinoise qui ressemble remar-


quabrement à la théorie des pythagoriciens sur conceptes

des nombres. D'après Ia théorie des pythagoriciens, les


quatre él-éments de Ia philosophie grecque, c,est-à-dire Ie
feu, I'eau, la terre et l'air sont dérivés, bien qu,indirec-

tement, des nombres. Senancour supporte la mêrne idée :

"Sans les nombresr point de fleurs, point de ter-

rasse. Tout phénomène est nombre ou proportion.

Les formes, I'espace, la durée sont des effets,

des produits du nombre ; mais le nombre n'est pro-

duit, nrest modifié, nrest perpétué que lui-même"

(Is).

En Chj.ner oo considère ordinairement la divination conrme une


méthode pour révérer le mystère d.e ilunivers et que la divi-
nation au moyen des Èiges de mirlefeuille se basait sur ra
combinaison de différents nombres. Ainsi, les chinois croi-
ent que I'on peuÈ chercher le mlzstère de I'univers dans l_es

nombres. Et irs soutiennet que les nombres produisent res


r84

cinq éléments de I'univers : 1'eau, le feu, Ie boisrle mé-

ta1 et Ia terre(16).

Le nombre permet ainsi de pénétrer dans le mystère du

monde. EÈ I'univers tient en une équation. Le philosophe

Inconnu écrivait dans son Tableau naturel : 'rI1 y a des

nombres pour la constj-tution fondamentare des êtres, il y


en a pour leur actionr pour leur cours, de même que pour

leur c o m m e n c e m e n te t p o u r l e u r fin"(I7). C'est f idée de


cette phrase que Senancour soutient finalement.

*
**

si la spéculation de senancour sur les nombres est


une recherche consciente dans 1a quête de I'absolu, il y a
aussi chez lui une recherche subconsciente. Dans sa recher-
che d"'un peu de déIire", senancour sradresse égarement aux
rêves' parce gue les rêves semblent lui permettre un con-
tact direct avec res forces inconnues qu'étudiaiÈ r,occul-
tisme. rl croit que le subconscient rui fournira une route
pour accéder au monde idéal. Et le Martinisme justifie

sa curiosité pour les phénomènes de demi-conscience, où le


contrôIe rationnel cesse.
185

A rmenstrèm, oberman et son ami Fonsarbe jouissent de


leurs "bizarreries"(18) ; ils sont princes en ceci, mais ils
ont dû se soumettre à une certaine discipline, apprendre à
dormirr pour faire du sommeir un état spécifique : "I'état
intermédiaire entre le sommeil et le révej_I'(19). "Je puis
maintenant me jouer un peu avec le sommeir"(2}), dit, ober-
man. Le sommeil ne sera pas alors la simpre négation de ra
vie éveilIée ; il sera aussi autonome qu'elle

Pour Oberman, iI aura falIu la retraite d'Imenstrôm


pour qu'il apprenne à tirer une voropté du sommeir. ober-
man "dormait auparavant sans s'en apercevoir pour ainsi di-
rêr et sans repos commesans jouissance" ; il s'assoupis-
sait ou s'éveillait, restant "absolument Ie mêmequ'au
nilieu du jour". Mais "à présent, il obtient, pendant quel-
ques minutes, Ie sentiment des progrès du sommeir, 1'affai-
brissement voluptueux qui annonce 1'oubri de Ia vie, êt dont
Ie retour journalier la rend supportabre aux malheureux en
la suspendant, en la divisant sans cesse". Arors il aura
compris qu'un homme éveillé, même génia1, n'atteint pas
les images fantasques et sublimes que re moind.re dormeur

discerne au cours d'une nuit(2L).

"oberman en rappelant qu'iI appartient au royaume de la

nuit attribue au songe ra dignité d,une révélation dans res


ténébres de Uesprit et du coeur. senancour étaiÈ sur ra
voie qui conduira Nerval à Aurélia. Mais ir ne put ou ne
186

voulut pas aller jusqurau bout, jusqu'à I'initiation suprê-

me. Il se contentera de saisir dans Ie rêve quelques "rap-


ports mystérieux" ( 22).

"J'entends dire et répéter que nos rêves d.épen-

dent de ce dont nous avons été frappés 1es jours

prêcêdents. Je crois bien que nos rêves, ainsi

que toutes nos idées et nos sensations, ne sont

composés que de parties déjà famitières et dont

nous avons fait l'épreuve ; mais je pense que ce

composé n'a souvent pas d'autre rapport avec Ie

passé. Tout ce que nous imaginons ne peut, être

formé que de ce qui est ; mais nous rêvons, comme

nous imagj-nons, des choses nouvelles, et qui nront

souvent, avec ce que nous avons vu précédemment,

aucun rapport que nous puissons découvrir" ( 23 ) .

Dans son rêve, l'éruption du volcan devient catastro-


phe cosmique : le cataclysme devient feu d'artifice. II

voit un rieu de Ia suisse en songe, toujours t,rès différent

de ge qu'il est réellement, et t,oujours Ie même que je l,ai

rêvé Ia première fois. Et iI fait un rêve prophétique.

Ainsi, Senancour essaie de chercher, dans.ses évasions, ses

extases, ses rêves, à se créer un autre univers, car les

songes sont pour rui ce qui révé1e des rapports mystérieux


187

entre Ie monde réel et Ie monde idéal.

Parvenu à ce point, nous ressentons que 1'expérience

de senancour est par certaj-ns aspects très proche de ceIle

des romantiques allemands. senancour semble être de tous

les préromanti-ques français le plus proche des écrivains

d'Outre-Rhin i nous pouvons remarguer surtout l,affinité

entre Senancour et Jean-Pau1 ou Novalis(24).

2. Les paradis artificiels

J.llerlant a insisté dans son livre sur le mysticisme

nat,uraliste de Senancour. Bien que son insistance sur Ie

don mystique naturel nous paraisse un peu exagéré, iI est

vrai que Senancour connaît presque naturellement les volup-

tés d'esprit du mysticisme et qu'il les a cultivées. Le

mustique a en général des choses une connaissance intuiti-

ve sans commune mesure avec Ia science vulgaire. Il ne

procède pas par une investigation analytique, i1 perçoit

des vérités d'ensemble, grâce à un sens spéciaI et, i n d é f i -

nissable.

Pour Senancour, I'êssentiel de Ia quête myst,ique est

re prus souvent que ra vertu rêvélatrice réside en une sen-


188

sation. Le mystique naturaliste, c'est pour 1ui, I'homme


sensible ; 1'homme sensible qui est capable d'être ébranlé
par des sensations 1à où d'autres n'auraient qu,une concep-

tion abstraite, intellectuelle. senancour veut expérimen-


ter alors res excitants qui lui donnent la sensation prj--
mitive à coup sûr i ce qu'il veut, c,est atteindre les pa-

radis artificiels.

Pour les paradis artificiels, comme pour La folie, 1es


thèmes étaient esquissées timidement dans 1a génération de
senancour, préromantique français. rrs ne prennent leur dé-
veloppement qu'après 1830 et plus tard encore avec Baudelai-
r.êt Nerval, d.ans le troisième temps du romantisme français.
or senancour précède Baudelaire et les autres romantiques
français dans la recherche des paradis artificiels.

Dans les Rêveris et oberman, le thème des paradis arti-


ficiers est évident. c o m r n em o y e n s p o u r a r r i v e r aux paradis
artificiels, senancour a pans ses oeuvresrdécouvert le vin,
le thé, le café eÈ peut-être le tabac. par l,usage de ces
e.xcitants, senancour a connu d'abord les révêrations que les
psychologues apperlent anesthésiques et ensuite a atteint
des moments d'impuissance de sa volonté, rêvant de se ren-
dre maître de sa félicité ; cet état est proche de ce qu'on
appelle la "mystique de I'anéantissement" en climat chrétien,
et de I'abolition du "moi" d,u yoga hindou ou bouddhique.

Et ces excitants permettent à I'homme heureux de goûter


189

bonheur et à I'homme malheureux font l'oubli"(25)


"boire
,::'
d'une vie misérable selon Ia belle expression que Senancour

reprendra dans Oberman(26'). Quand Oberman désire réveiller

I'âme et rédrri-re le poids de I'ennui, Ie thé donne des émo-

tions qui vont l'amener à la paix et à I'indifférence :

"Le thé est drun grand secours pour s'ennuyer

d'une manière calme. Entre Ies poisons un peu

lents qui font 1es déIices de I'homme, je crois

que c'est un de ceux quj- conviennent le mieux à

ses ennuis. 11 donne une émotion faible et sou-

tenue : comme elle est exempte des dégoûts du re-

tour, eIIe dégénère en une habitude de paix et

d'indifférence, en une faiblesse qui tranquillise

Ie coeur que ses besoins fatigueraient, êt nous

débarrasse de notre force malheureuserr (27).

D'ailleurs, ces produits ramènent I'individu à la natu-

f,êr à I'état primitifr êrr "fortifiant" en lui la "sensation


présente". Déformés, nous ne savons plus sentir t il faut

ces artifices pour que nous retrouvions tout Ie charme de

cette sensation. L'homme primitif était heureux pour I'u-

nité de sensations. L'homme actuel qui use d'excitants

peut se réintégrer facilement. Quand iI cherche tout ce qui

assoupit I'inquiétude, tout ce qui change en exaltation heu-


190

reuse lrexartation triste, f ivresse lui rend la "sensation


primitive" où 1'esprit cesse d'anticiper sur 1'avenir, €t
jouit paisibrement d'un présent qui s'écoule sans discordan-

ces. Ce que la concentration volontaire ne donne que rare-

ment et d'une façon précaire, les excitants le donnent à

coup sûr.

Cependant, Senancour ne connaît pas que les effets va-

riables des excitants, il en connaît aussi re résurtat con-

stant. La sixième rêverie excuse et condamne déjà l,usage

des stimulants, analysant leurs effets. r1 distingue trols

états successifs dans ce délire que provoquent res excitants.

D'abord on connaît un sentiment de bien-être, et puis si I'on

veut s'aventurer davantage, Ia joie intense, mais troisième-

mentr urr sentiment de dépression, de fatigue où I'on res-


sent Ia destruction qu,ont produite ces stimulants.

Malgré cette progression inévitable expérimentée chaque


jourr pêu d'hommes savent s,arrêter à ce premier bien-être,

êt, dans cette joie légère, ne pas chercher une joie plus

forte : la plupart sont toujours entraînés par ce besoin

d'arler au-delà ; toujours éprouvant, et pourtant oubliant


toujours qu'il n'est point de bien extrême, êt qu'au-delà du
sommet conrmencela chute(28). Aj.nsi une fois éprouvée ra
délicieuse euphorie au premier degré, il est impossibre
de ne pas désirer alrer plus roin. La septiènte rêverie y
revient, êt oppose aux "fermentés"(29) qui nous font rétro-
191

grader vers I'état Ie plus convenable à notre être, mais

instantanémenÈ et d'une manière destructrice, la vraie phi-

losophie, gui nous donnerait Ie bien-être contenu. Ober-

man aussi nous parle de troubles nerveux éprouvés à Ia sui-

te de l'abus qu'iI avait fait de certain vin blanc.

Définitivement, Oberman voit que I'usage des stimuLants

vieillit nos organes et "ces.émotions outrées, et qui ne sont

pas dans 1'ordre des convenances naturelles entre nous et

Ies choses, effacent les émotions simples, êt détruisent cet-

te proport,ion pleine drharmonie qui nous rendait sensibles à

tous les rapports extérieurs, quand nous n'avionsr pour ain-

si dire, de sentiments que par eux"(30). Même s'iIs procu-

raient Ia liberté, cette liberté factice qui nrest point se-

lon Ia nature, "n'est pas une vraie liberté"(3I).

Senancour pense que I'on ne peut pénétrer dans son mys-

tèrer ên enfreignant les lois de la nature. La sensation

Èotale, celle qui donne accés au secret du monde et permet

d'y participer, Senancour 1'aura appréciée beaucoup mieux

au cours dtétat naturel qu'au fond. drune tasse de thé ou

d'un verre de punch.


L92

3. Les extases des qensations olfactives

et des sensations auditives

La sensation crée chez Senancour une certitude : "Je

sens, est Ie seul mot de I'homme qui ne veut que des véri-

tés" (32) . Senancour recherche en effet les diverses exta-

ses par la sensation de I'univers. "Une odeurr un son, un

trait de lumière ( . . . ) tout m'avertira de cette mystérieuse

combinaison, dont f intelligence entretient et change sans

cesse la suite infinie, êt d,ont les corps ne sont que les

matérieux, qu'une idée éternelle arrange conme les figures

d'une chose invisible" (33).

Or parmi les mélodies de I'univers, il est très sensi-

b1e aux olfactives et en particulier aux auditives ; plus

immatérielIes, elles introduisent plus aisément dans un mon-

de supérieur et entraÎnent vers I'infini :

"Les odeurs occasionnent des,perceptions rapides

et immenses, mais vagues : celles de la vue sem-

blent intéresser davantage I'esprit que le coeur i

on admire ce quron voit, mais on sent ce qu'on en-

tend"(34).

Les fleurs sont admirées plus par leurs odeurs que par
- 193

leurs formes et leurs couleurs. chez senancour, r'odeur


de Ia fleur provoque spontanément Uextase, brusquement

l'état d'âme du rêveur qui avait pu être assombri. "Une


fleur adorante se trouve-t-elre sous ses pâs, son parfum
a dissipé tous ces fantômes, êt ramené sur ilavenir le voi-
le des il-lusions plus heureuses"(35). Une odeur peut faire

oublier totalement les douleurs de ce monde. son pouvoir


est bien plus grand encore ; quand une jonguille a fleuri,
oberman s'écrie : "Le fantôme du monde idéal fut tout en-
tier d.ans moi : jamais prus je n'éprouverai quelque chose
de plus grand, €t de si intantané"(3d).

Pourtant senancgur doit regretter de ne pouvoir saisir


plus rongtemps les rapports orfactifs. chez lui, la freur
symborise Ia femme et ilamour ; elle signifie, autrement dit,
le bonheur. or, de I'anour senancour ne sembre guère avoir

connu que le mariage décevant en suisse, et à paris, une


passion platonique et douloureuse pour I'inaccessible lvladame
Walckenaër ; iI a planté des fleurs symboliques dans son
jardin int,érieu : violette du premier amour fribourgeois, €t
jonquille de ses désirs mystiques, dédiée à son ange. Donc,
le parfum ne figure pas un bonheur constant, toujours bref,
parce que toutes les tentatives amoureuses se sordaient par
un éche

Drautre part, Senancour, par tempérament, semble avoir


eu r,ouie fine. Les notations auditives abondent dans Ardo-
194

men, les Rêveries et Oberman. Or I'ouîe s e r a pour lui Ie

sens mystique par excellence. Tandis que Ia surd.ité Ie sé-

parait du monde, lrouie établira I'harmonie entre 1'homme

et I'uni-vers.

Dans les solitudes silencieuses des A1pes, Ie moindre

son perçu lui révèle brusquement une présence spirituelle

dans le paysage qu'i1 regardait avec l-es yeux du corps ï

"Le chant d.'un oiseau dans la chaleur du soir", le cri d,un


grillon, le bruit d''un brin d'herbe agité par Ie vent évei1-

lent, dans cette âme limpide et inst,able une émotion profon-

de. Et quand il a entendu à Fontainebleau res cerfs bramer

dans la -nuit : "Sons isolés de l'être vivant, s'écrie-t-i1,

vous ne peuplez point les soritudes, comme le dit mal l'ex-


pression vulgaire, vous les rendez plus profondes, plus mys-

térieuses ; c'est par vous qu'elles sont romantiques"(37).

D'ailleurs, Ie son d.,une voix aimé 1ui est prus révélatrice :

"Lorsqu'eIIe parle (...) eIIe éveille 1,âme de sa

Iéthargie Lorsqu,elle chante, iI semble


qu'eI1e agite les choses, gu'elle les déplace,
qu'eIIe les former êt qu'elle crée des sentiments

nouveaux E1le nous emporte, elle nous précipi-

te avec eIle dans le monde immense t et notre vie

s'agrandit de ce mouvement sublime et calme"(38).


195

Pourtant au dernier terme, il lui semblera que res sons

ressemblent à du silence condensé ; à la fin de Ia let-

tre 55, Senancour risquera I'audacieuse expression de "son

silencieux" ; voici comment il parle de ceux qui ilont péné-

t,ré jusqu'à I'âme, dans les hautes régions alpestres :

"Comment trouverais-je dans les choses ces mouve-

ments qui ne sont. plus dans mon coeur, cette éIo-


quence des passions que je n,ai pas i et ces sons

silencieux, (... ) symbole d'un monde déjà quitté"


( 39) .

sur les sommets senancour connaît la révélation du vérita-

ble silence, non pas absence, vide, mais ptênitude de Ia

musique et de Ia contempration. ce silence plein sera I'a-


bouÈissement de toute mélodie ; par lui se dévoile le carac-

tère mystique de I'ouie. Le chant de I'univers, que tra-

duisent en définitive la musique primitive ou res bruits d.e


Ia nature, ne se perçoit que dans le sirence intérieur.

*
*.*
196

De toute façon, tous ces développements d'extases mys-

tiques s'éclairent par leur conclusion :

"Je cherche un peu de déIire, afin de pouvoir au

moj-ns rire de moi : car il y a un certain repos,

un plaisir, bizarre si I'on veut, à considérer que

touÈ est songe" ( 40 ) .

Quand nous distinguons dans Ia quête mystique Ia voie

vers les profondeurs de Dieu et la voie de pure immence,

cette recherche appartient mieux à la deuxième. Dans 1es

voies diverses que Senancour t,ente dans cette quête, il trou-

ve enfin un apisement à son inquiétude et sent quelque lu-

eurs sur I'abso1u.


197

NOTES

CHAPITRE VII

(1) ob. , I, p.220


(2) G.À., p.138

(3) Sabéisme : Religion des Sabéens, membres de plusieurs

sectes religieuses des débuÈs de 1'Islam.


(4) Obs., p.L29, note

(s) o b . , r r , P . 4 1
(6) Ibid., It p.2L7

(7) Ibid. , o .2l-9

(8) Ibid., II, p.I

(e) Cité par B.Le gal1r op.cit., p.309


(10) ob., rr, p.10
( 1 1 ) Mercure de France, sep. 1813, p.444, Cf. Nerval, Oeuvres,
Pléiade, t. tt p.39

(12) Ob. ' II, pp.5-6

( 13) Ibid,., pp.7-10

( 14) B. Le 9a11, op.cit. r p.314


(15) Ob., II, p.6

(16) Les chinois (en particulier l'école du yin-yang)

séparent les nombres du yang, toujours impairs


des nombres du yin, t,oujours pairs. Et d'après eux,

Ies nombres du yang et les nombres du yin se corres-


r98

pondent et se complètent : "Un, le nombre pour ciel


(c'est-à-dire yang), produit 1'eau et, six, Ie nombre

pour terre(c'est-à-dire yin), Ie complète. Deux, ( . . .)

produit le feu et sept, (... ) Ie complèÈe. Trois, (.. \

prod.uit Ie bois et huit, (... ) Ie complète. euatre, ( .)

produit Ie métal et, neuf,(...) Ie complète. Cinq,(. )

produit Ia terre et dix , (...) Ie complète" (précis

d'histoire de la philosophie chinoise, p.155)

(17) Saint-Martin, Tableau naturel, t.II, p.133

(18 ) Ob., II, p.193

(1e) Le gall, op.qit., p.315

( 2 0) O b , , I I , p.195

(2r) Ibid. , p.200

( 2 2 ' , )I b i d . , p . 2 0 0

(23) Ibid. , p.201

( 2 4 ) J.Ivlerlant, a étudié dans son livre I'af f init,é mystique

entre Senancour et N o v a l i s . Voir son livre Senancour

pp.99-I0I

(25) R., 1, p.85

(26) Ob., I, p.59

(271 lbid., IL 9.g2


(28) R., r, p.84

(29) Ibid. , p.91

(30) Ob., IT, p.92

( 31) Ibid. , p. 94
199

(32) rbid., p. 73

( 3 3) r b i d . , I, p.153

( 3 4) r b i d . , p . I 4 7
(35) R., r, p. 59

(36) Ob., r, p.102-103

( 3 7) r b i d . , p. 96

( 3 8) r b + d ., p.154

( 3 9) r b i d . . , t r I , p . 5 3

( 4 0) r b i d . , p . 1 5
200

CHAPITRE VIII

LES DEUX MOUVEMENTS CYCLOTHYMIQUES

Prusieurs voies s'offraient à vrai dire à senancour


pour découvrir le monde idéar. saisissant par des analogies
Ie mystère du monde, il avait la certitude d,une existence
d'un monde idéal et en a pour 1e moins pressenti_ d'heureux
moments d'extase.

De ces moments d'extension qu'ir connaît, il dit cepen_


dant: "I1 me faut des illusions sans bornesr Çui s,éloi_
gnent pour me tromper toujours,'(l). Mais on a vu que le
femps est venu où son âme retombe rourdemenÈ sur terre r corTl-
me fatiguée de ces visions sublimes i "l'albatros se brise
les ailes"(2)- Est-ce qu'ir est vrai que nous sommestrom-
pés ? "A la vérité, jusqu'à présent, du moins, rien de ce
qui existe n'a pleinement mon affection, et un vide inex-
primabre est la constante habitude de mon âme altérée. Mais
20r

tout ce que j'aime pourrait exister, la terre entière pour-

rait être selon mon coeur, sans que rien fût changé dans Ia

nature ou dans I'homme lui-même excepté les accidents éphé-

mères de I'oeuvre sociale'(3). Enfin, chimère et vérité

sont indiscernables

"Triste et vaine conception d'un monde meiLleur I

Indicible extension dramour I Regret des temps

qui coulent inutiles ! Sentiment universel, sou-

tiens et dévore ma vie : que serait-elle sans ta

beauté sinist,re ?" (4 )

A Thiel, à Ia Dent du lvlidi, à Fontainebleau un seul

écho se prolonge longuement comme le son du cor sur les


eaux : "Mais pourquoi ces choses seraient,-elles purement

idéaIes ? Pourquoi ce qui n'est point, semble-t-il davanta-


ge selon la nat,ure de I'homme que ce qui est ?"(5). Senan-
cour est arors tenté de consid,érer la réalité comme une chi-
mère :

"La vie positive est aussi c o n r m eu n s o n g e i c r e s t

eIle qui n'a point d,ensemble, point de suite,


point de but. EIle a des parties certaines et

fixes : elle en a d'autres qui ne sont que hasard

et discordancer Çui passent comme des ombres, êt


dans lesquelles on ne trouve janais ce gu,on a vu.
202

Aj-nsi, dans Ie sommeilr on pense en même temps des

choses vraies et suivies, êt d'autres bizarres,

désunies et chimériques, qui se 1ient, je ne sais

comment, aux premières. Le même méIange compose

et les rêves de la nuit et les sentiments du jour.

La sagesse antique a dit que Ie moment du réveil

viendrait enfin" ( 6) .

A Thiel, dans la paix de la nuit, Oberman interroge

désespérément ; "cette nature inconcevabLe gui, contenant


toutes choses, semble pourtant ne pas contenir ce que cher-

chent (ses) désirs'(7). Tout 1'univers visible soudain

n'est plus que le signe d'un monde invisibre. L'âme, ravie


en extase, déplace les bornes du vrai et en vient à considé-

rer que son rêve intérieur est moins irrusoire que le deve-
nir extérieur. Ter est l-e tourment de senancour,. dans leque]

nrentre que par contrecoup le doute sur I'existence de Dieu


et, de sa providence, êt qui consiste pour 1'essentiel- dans
une dialectique sans fin du réer et de I'iréel, de Uimmé-
diat et de l'illimité, du proche et de I'inaccesible en tant
qu'objets du désir humain.

Dans Ia contemplation de Ia Ur-Natur qu'est I,Idéal,

senancour traverse des périodes d'exalÈation et de d.épres-

sion. rl est cyclothymique. sa vie intérieure esÈ rythmée


par ces mouvements contrariés d'expansion et de rétrécisse-
203

ment. Nous pouvons discerner dans une page céIèbre I'aI-

ternance d,e ces équivalences et cet,te vivante incertitude z

"Une jonquille était fleurie. Crest la plus for-

te expression du désir : crétait Ie premier parfum

de I'année. Je sentis tout, Ie bonheur destiné à

l'homme. Cet,te indicible harmonie des êtres, Ie

fantôme du monde idéaI fut tout entier dans moi i


jamais je n'éprouvai quelque chose de plus grand,

et si rde i.nstantané. Je ne sauraj-s trouver quel-

le forme, quelle analogier guêl rapport secret a

pu me faire voir dans cette fleur une beauté i1li-

mitée, I'expression, 1'élégance, I'att,itude d'une

femme heureuse et simple dans toute la grâce et la

splendeur de la saison d'aimer. Je ne concevrai

point cette puissance, cette immensité que rien

n'exprimera, cette forme que rien ne contiendra,

cette idée d,'un monde meilleurr Çuê l,on sent et


que la nature n'aurait pas fait ; cette lueur cé-

Ieste que nous croyons saisir, Çlui nous passionne,


qui nous entraîne, êt qui n'est qu'une ombre in-

dj-scernable, errante, égarée dans Ie ténébreux

abîme (... ) Qui réprimera dans nos coeurs le be_

soin drun autre ordre, d'une autre nature ? Cette

lumière ne serait-eIIe qu'une lueur fantastique ?


204

EIle séduj-t, elle subjugue dans la nuit universel-

Ie. On s'y attacher on la suit : si elle nous

égare,'elle nous éclaire et nous embrase" ( B) .

Ainsi, iI est bien vrai que ra sensibilité frustrée,


chez lui comme chez tant de ses contemporains, tend à quitter

la terre, mais i1 n'est pas moins vrai qu'ir a ignoré re saut


dans la rerigion ou ses substituts spiriÈuaristes. La plé-
nitude qui lui est refusée, et qui fait tout son entretien,

nrestr êrr fin de compte, nul1e part. L'Etre n,est pas son

refuge contre la mj-sère du réer : ir n'a cessé de dire qu'i1

est hors de notre portée : 'rla connaissance de l'être n'exi-


ste point" i "je ne sais point de langue conmune entre le
chétif et 1'rnfini, entre nous qui passons et ra permanence
inconnue"(9).
205

NOTES

CHAPITRE VIIT

( 1) Ob. , T., p.7 4

(2) B.Le GaIl, op.cit., p.387

(3) Ob., I, p.24

(4) Ibid., p.65

(5)-(6) Ibid., r, p.67

(7) Ibid., p.23

(8) Ibid., p.102-103

(9) R.' I, p.26, note


CINQUIEME PARTIE

UNE NOUVELLE CONCEPTION RELIGIEUSE

DANS LA MATURITE ET LA VIEILLESSE DE SENANCOUR


207

CHÀPITRE PREMIER

LE REVIREMENT

VERS LE CHRISTIANISME

Avant d'analyser les Libres ltéditations, oeuvre très

importante de la maturité, iI sera utile de se rappeler les

Rêveries de la deuxième édition de 1809r pârcê qu'el1es sonr

t,rès proches dans Ie temps des Libres Méditations.

Senancour, en 1809, allait avoir quarante ans. Cette

année marque Ie temps de la maladie. D,ailleurs le senti-

ment de 1'échec s'est considérablement accentué paralrère-

ment à r'infirmité physique. or cette année 1809 est consi-

dérée conme une époque importante pour Senancour. Car il


juge son passé à Ia moitié de sa vie et iI peut se Èrouver,

malgré quelques défailtances, guéri de ses tourments d'an-

tan ; un beau fragment, publié par Sainte-Beuve sur Ie manu-

scrit laissé par Mademoiselre de senancour, nous informe


208

sur sa vie intérieure, Ie jugement qu,i1, portait sur son


passé. rr se représente alors conme désabusér oê tendant
qu'au reposr gardant, bien "un peu des séductions de r.es-
pérance", puisgue tout homme en a besoin pour sa
"aimer
vie", mais dépris de lui-même, êt consacrant toute I'ener-
gie qu'il tient d'un reste d'illusions à faire le bien "de
ceux qui ont encore des désirs,,(I). En ce temps là il sem-
ble que re souci du problème reri-gieux avait grandi en lui.
Enfin, res Rêveries de ra deuxième édition qui
furent pubriées en rg09 montrent une étape vers une nouvel-
le conception de la religion. La vision de Dieu a avant
Èout changé par rapport aux Rêveries de L7gg. Alors que le
besoin d'extension, le désir de l,infini n'est plus consi-
déré comme une erreur, senancour consent, à nommer re mystère
omni-présent commesuit : ,'L'infini, crest Dieu ; f inconnu,
le possible, c'est Dieu"(2). Après Ie Dieu cruel de ]-7gg,
celui de 1809 en est en fait é10igné : ,,ra conception su-
prême de I'abstrait, c'est Dieu',(3). Mais Ie Dieu est ici
impassible, comme la Nature dont it n'est gue la représen-
tation. A ce titre, ir est exonérÇ de Ia responsabilité
du maI, êt il faudra peu de chose pour qu,il devienne la
source du bien.

C o m m eI a v i s i o n de Dieu, I'attitude de Senancour à l'é-


gard de ra religion marque une nouvelle étape. D,e 1 'Amour
de 1808 t,émoigne que senancour n,a pas fait un pas vers le
209

christianisme, depuis 1804. pourtant, r-' année suivante,

1 'atti-tude de senancour a changé. Dans les Rêveries d.e


1799' toute la discussion sur 1e problème de r'âme n'a

d'objet que de s'opposer à ceux qui défendent la rerigion.


or' en 1809, la religion, ceIle du moins que senancour dé-

core d'un R majuscule, est 1'éga1e de la philosophie(4) êt,


dans 1a trente-cinquième rêverie, qui reprend le thème de
lrimmortarité de r'âme de ra douzième rêverie de L7gg, rou-
te l'âpre et tranchante discussion sur la nature de I,âme a
disparu. D'ai1leurs, cette deuxième édition des Rêverj-es
nous montre des scrupules à détruire la religion d'autrui,
un grand respect pour 1"'homme religieux" et 1'auteur dé-
prore égarement une "triste inimité entre 1a philosophie
et la religion" ( 5) .

Cependant ce qu'on doit remarquer aussi, c'est qu'une


exigence de ri-gueur intellectuelle retient son adhésion à
un dogme déterminé : "r1 ne s'agit pas de rendre la religion
inÈéressante, mais d'en démontrer ra vérité'(6). De prus;
il demeure persuadé que "la métaphysique ra plus érevée
aboutit au néantu ( 7) .

Ainsir oD ne peut pas dire qu'ir y a une rupture radi-


cale entre ra nouvetle étape de 1Bo9 et cerle d'oberman.
son point draboutissement seul aura changé. Finarement, iI
apparaÎt que le changement de ses attitudes à l'égard d.e ra
religion lors des Rêveries de 1809 ne reflètent que ses dis-
2t0

positions intimes.

*
**

Malgré cette nouvelle phase de 1809, Senancour en Ig16

fait paraître les observations sur Génie du christianisme

avec encore un ton très dur, très hostile au catholicisme.

cel-a montre que sa sympathie pour re christianisme s,est dé-


veloppée seuJ-ement les années suivantes. L'exemple de cha-
teaubriand que senancour détestait, n'a plus longtemps suffi
à le reteni-r loin du christiani-sme. Enfin entre rg16 et
1819 le revirement de senancour s'achève. Dès lors nous
pouvons remarquer une nouvelre attitude envers Ie christia-

nisme.

En effet en 1819 les LibresJ4éditations nous dépeignent

un senancour qui semble avoir adhéré de tout son être à un


spirituarisme t,rès fortement teinté de christianisme. Bien
que ce livre soit pubrié en r819r cê n'est pas I'influence

cathorique de ra Restauration. senancour est plus que dé-


gagé à cet égard. D'autre partr oD croit que cette nouvel-

re orientation nrest pas étrangère à son séjour à Anduze


pendant deux années de paix.

En 1816, sous I'empire d,e "certains motifs", dit Made-


2LL

moiselle de Senancour, Senancour partit pour Marseille ; de

1à il se rendit à Nîmes, enfin à Anduze, dans Ie Gard, où il

séjourna près de deux ans. Là, il jouit d'une solitude qui

"convenait aux études sérieuses" i et surtout, d,ans cette

vaIlée "bien arrosée et richement garnie de mûriers et d'oli-

viers, (... ) bien accueilli d'une population estimable et

paisible, malgré le mélange des deux cultes, (... ) il fut

assez particulièrement en rapport avec Ie curé, aimable vieil-

lard, êt les deux pasteurs protestants, dont Ie plus jeune

fut pour lui plein drattentions"(8). D'ailleurs, it lut

beaucoup drauteurs catholiques ou protestants et s'assimiLa

Ieurs pensées. Tout prêt à devenir chrétien, Senancour se

laisse en ce temps-là 1e plus volontiers pénétrer par des in-

fluences chrétiennes. Donc, s'iI y a dans les Libres Médita-

tions de 1819 de nombreuses citatj.ons drauteurs protestants

ou catholiques et si Senancour y fait sien le vocabulaire

chrétien, c'est sans doute dû à son expérience de Ia vie à

Anduze.

ltais il semble que I'aut,eur ne choisit pas ici entre Ie

catholicisme et le protestantisme, parce qu'il voulait à cet-

te date le christianisme le plus pur, ie plus primitif pos-

sib1e. I1 dira plus tard à Liszt : lrEvangile est muet sur

Ie christianisme, êÈ plus encore évidemment, sur le catholi-

cisme. II ne srest reféré qu'à l,Evangile, et encore a-t-iI

évité une exégèse trop personnerle. rr a supprimé le christ


212

en tant qurhomme-Dieur ên tant que personnage historique,

pour ne garder qu'une morale appuyée sur un spiritual-isme

déiste. Sa fille ne fera que transcrire ses motifs :

"Proclamez, Iui disait son père, I'existence de

Dieu ; tout I'annonce ; les merveilles de I'uni-

vers l-e"prouvent et nul du moins n'osera dire :

vous mentez ; mais si vous prétendez l'expliquer,

si vous le faites paraître parmi les hommes, si

vous lui donnez une existence terrestre et une fa-

mille dont vous racontez I'histoire, si vous 1'a-

moindrissez à ce point, sous prétexte de le rendre

accessible aux intelligences bornées, vous jetez

les autres dans I'incrédulité, votre onéreux échaf-

faudage s'écroule en débris stériles ; la morale

a perdu son imposant appui" ( 9 ) .

En ce temps-là, Senancour, s'i1 n'est certes pas catho-

Iique, ni protestant, sera un mystiguêr étant moraliste.

Tandis que Senancour voudrait conférer à Ia religion toute

sa pureté, en s'écartant des fanatismes et des dogmes, il

ne refuse plus conrme jadis un fondement mystique à la morale.

I1 est à p e u p r è s c o m m eV o l t , a i r e qui diÈ : "L'athéisme (... )

ne peut faire aucun bien à Ia morale et peut lui faire beau-

coup de mal ; il esÈ presque aussi dangereux que Ie fanati-


2I3

sme||(10). 11 srest voulu moraliste et également le mysti-


que quj. ne s ' é c a r t e pas radicalement d'une certaine tradi-
tion. Dans une phrase des Libres Méditations, apparaît son
désir :

"Comment celui qui admire les oeuvres de Dieu se


lasserait-il- de vivre ? Exister, n'est-ce pas

admirer et aimer ? si l,on jugeait que Dieu n'est


pâs, nrayant alors rien de grand à prévoir, on
prendrait peu d'intérêt au cours des heures irrévo-
cables"(11).

on n'ose affirmer re mysticisme d'un esprit aussi af-


franchi, d'un tempérament aussi raisonneur. Jusqur alors,
r'écrivain ne voulant rien dire qui dépassât sa pensée, s'é-
tait cont,ente d'appellations vagues, telles que I'intelIi-
gence infinie ou la suprême bonté. Mais Dieu est en plu-
sieurs endroits des Libres Méditations expressément nommé.
Nous alrons voir re chapitre suivant comment sa pensée philo-
sophique incrine à s'orienter vers re mysticisme et comment
I'idée de Dieu est substituée à celle du Néant.
2L4

NOTES

CIIAPITRE PREIIIER

(1) Cité par J.Merlant, Senancou!, p.145


(2) R. ' II, p.I20

(3) Ibid., p.120

(4)-(5) Ibid-. 9-L74


(6) Ibid., p.187

(7) Ibid., p.10

(8) J.Merlant, op.cit., p.155

(9) Mademoiselle de Senancour, Notice biographique,

pp.L22-I23

( 10 ) Voltaj-re en un voLume, L, abeille, 1822, p.I7


(11) L.M., Oité par J.Levallois, op.cit.,p.I6l
2I5

CHAPIÎRE II

LA QUETE MYSTIQUE

1. "Un laborieux mouvement d'espérance"

Le solitaire des Libres Méditations garde encore de


ilhumeur et de 1'esprit d'oberman. c'estr pâr exempre, 1a

dépendance, inconsciente ou avouée, à I'égard des impressions


physiques :

"Quand le ciel est froid et nêbuleux, je sens trop


la présence du mal

se répand autour de ma deneure, le souvenir de I'or-


dre universel m'accable dans la solitude i un im-
portant besoin de ne pas rester inutile suspend ra
douce simplicité dont je pouvais jouirr êt je trou-
2L6

ve beaucoup de tristesse dans 1'étonnante beauté

des choses" ( f) .

C'est Oberman disant : "L'étonnante harmonie des choses fut

sévère à mon coeur agité"(2). D'aj-Ileurs nous pouvons lire

ceci dans Ia trentième Méditation: "Je n'ai pas su me ga-

rantir sans retour des écarts de la pensée r je l'éprouve

quelquefois avec autant. de honte que de découragement. L'en-

nui revient, il surmonte tout, il change d,aspect de 1,uni-

vers, €t I'espoir suprême s'éteint au milieu du silence qui

m'envj-ronne. Je me sens inondé d'amerÈume à la vue du passé

détruit, de I'avenir inutile, €t du malheur de nos plaintes

perdues dans Ie vide'( 3) .

Les fantômes des anciennes angoisses Ie hanÈent certai-

nement. Pourtant à cette vue triste des choses, le soritai-

re sait substiÈuer un inlassable effort vers une vue confian-

te : "Un long travail consume les jours dont la beauté, en

renouvelant des voeux trompeurs, ne me laisserait apercevoir

autour de moi que I'uniformité de I,aband,on',. A1ors, ajou-

tera-t-il en 1930, "(...) je ne sais quel secret murmure de

I'harmonie de touÈes choses me fait pressentir des merveir-

les inconnues"(4). C'est donc le t,ravail, l,effort, la

"Iongue et lourde tâche" de vivre qui rendent aux sens "la

clef de 1'âme".

Les Libres Méditations, dit, l4.Raymond, sont encore un


2L7

l-ivre de recherches, autant que de direction, de médication

spirituelle (non de "dévotion") qui s'adresse, une fois de

plus, à des "adeptes", à de nouveau "anachorètes", prêts à

se retirer du monde. Et Senancour, c o n r m eà I ' o r d i n a i r e ,

mais de façon singulièrement pressante, posanE une condition

après 1'autre, suivant des hypothèses, pesant des alternati-

ves, s'interroge sur le moyen de sortir enfin du doute et

d'accéder au plan où une foi philosophique, une sagesse re-

ligieuse, seraient possibles(5).

"Que de justesse exigent des conclusions fondées

sur des probabilités ! " ( 6) .

En fait, Senancour fait des efforts pour Ia justesse des pro-

babilités, en faveur d.'un Dieu ordonnateur, rémunérateur.

Tandis que les doutes dans Oberman sont restés conrme une hy-

pot.hèse négative et immuable, dans les Libres Méditations,

Ie doute devient "favorable" ( 7 ), espérant avoir "presque

tout I'effet d'une conviction plus heureuse"(8). CetÈe ver-

tu libératrice du doute est confirmé dans les Rêveries de

1833 ; il renferme "une promesse" ( 9 ) ; "pouva"a


"'*r"irer,
iI ne désespère jamais"(10) ; et il se voit aÈtribué une au-

tre qualification "positive" t iI est, dit "rêveur". I1 y a

un pas encore : "Crest par le doute qu'on s'éloigne Ie moins

de Iâ vérité"(11). Senancour affirme aussi avoir renoncé


2r8

au doute "qui aveugler âu doute aride", sous-entendant gu'u-

ne autre sorte de doute ouvre 1es yeux et porte ses fruits.

Fl.Raymond commente ce point en disant que,,à un doute néga-

tif, ou négateur(aride), a succédé un doute propédeutique :

le suprasensible, êt lrautre monde, êt Dieu, seront rangés,

si l'on ose direr êu bénéfice de ce doute"(I2;.

L'argument du pari, dont Ia valeur était contestée dans

les Rêveries et dans Obermanr sê présente dans Ies LibreF Mé-

d.itations sous une f orme f acilement reconnaissable : I'homrne

est appelé à choisir entre le présent et Ilavenir, êt c'est

1e présent qu'iI doit "sacrifier" : "La sagesse prescrit


de tout faire pour mériter une durée pérpétue1le, et de ne
point balancer entre Ia vie et l'éternité. Nul ne se repen-

tira jamais d'avoir réprimé des caprices d'un moment, afin

de céder à des besoins infinis"(13). Senancour se souvient

de Pascal : "Ne pas souhaiter que Dieu existe (...), c,est

un effrayant témoignage de la faiblesse d e s h o m m e s "( 1 4 ) .

Et on voit qu'iI note ceci, à ajouter à Ia neuvième l"lédita-

tion, à la fin de sa vie :

"Abandonner I'idée de Dieur cê serait touÈ perdre.

On ne peut participer à aucune grandeur sans cet-

t,e idée mystérieuse, libre et indéterminée',(15).

Dieu sera le seul "mystère" gue Senancour accepte en


2L9

sa plénitude surhumaine eÈ qu'il veut résolument êcarter.

"Un laborieux mouvement d,espérance,,(16), c,est Ià, la

caractère fondamental des Libres Méd.itations.

"Ne plus espérer désormais, ne plus désirerr c€

serait travailler à se détruire soi-même en re-

nonçant à ce que notre persévérance était peut-

être destj-née à conquérir ..."(17)

Enfin, dans les Libres Médj_tations, Senancour triomphe

des angoisses cosmiques qui le tourmentaient. Du moment


que senancour ditqu"'une si grande force nous détruirait si
'êar.
elle cessait de nous f avorable,,( 18 ) , Ia bonté de Dieu
est évidente. Le monde n'est plus considéré par rui comme
un champ stérile où ra mort exerce ses ravag€s, mais conme
Ie lieu d'une créaÈion continuellement féconde. Les oeu-
vres antérieures de senancour, et pas seulement oberman, mê-
me les Rêveries de 1809(19), les plus proches, dans Ie temps,
des Libres t'[é@ien_g., entonnaient un hymne navrant à ra
stérilité. Mais I'auteur des Libres Méditations voit la
Permanence, I'Eternité, par delà Ia mort ; le croyant a vain-
cu Ia mort. "La terre, boule froide eÈ muette"(2O) dans les
Rêveries devient la terre promise : "eu'erle soit à jamais
bénie cette providence qui nous destine une journée d,alar-
mes et dtattente, afin que nous ayons quelques titres pour
220

entrer dans la terre promise, si nous savons achever d'un

pas ferme un trajet si court !"(21).

Alors, Senancour chante la vie de 1'univers, sa splen-

deur qui vainc I'ennui, êt aussi s'indigne :

"Je ne puis comprendre qu'il soit si facil_e d'ou-

blier Ia magj.e de l'univers et que ( . . . ) on perde

tout souvenir de 1'étendue qui nous enveloppe, ou

de 1a force qui pénétre et modifie toutes choses.

Singulière inadvertance des hommes ! ils se plai-


gnent de I'ennui de leurs jours ; mais I'Océan sou-

lève ses flots, mais Ie soleil luit, êt les fleurs

srouvrent, et 1'éternelle vie du mond.e nous est

donnée en spectacle ! Inépuisable circulation des

eaux, secrète beauté de l,herbe du désert !,(22).

Même le désir nrest plus symbolisé par des sabres désespéré-


ment stériles i "1'herbe", signe mystérieux de I,universel

triomphe de la fécondité là où erle est 1a prus inattendue.


Ainsi, la terre renaît et Ie monde revit. La mort n'est prus

riée aux images de stéritité et de dépérissement dès lors


qu'elle est semence de vie éternerle. euand la mort tri-
omphe de la mort et Ia mort devient source d,espoir, aliment
pour la foi, Irhomme sort enfin d'un long cauchemar. on sai-t
que senancour a été obsédé par ra mort. Mais Uangoisse de-
22L

vant la mort, tort,urante obsession d'oberman, fait place


à un espoir : Ia survie d,e l'âme.

Dans les Libres Méditations, l,immortalité est heureuse-


ment à p e u p r è s affirmée. senancour a trait,é dédaigneuse-
ment i l i m m o r t a l i t é de chimère dans res Rêveries. pourtant

àla page 31 des Libqes Méditations de 1830, il fait dans le


sens contraire cette déclaration très nette :

"Si je partageais Ie malheur de ceux qui regardent


conme chimérique notre immortalité (...) j'auraj-s

perdu la seule attente qui puisse donner beaucoup


de prix à I'existence" ( 23 ) .

En fait, il faut que la vie soit une méditation de la


mort : ainsi toutes choses sont ramenées à leurs réelres pro-
portions et 1a mort même n'est prus qu,un accident de notre
durée perpétuelIe. La vie présent est aimabre, puisqu'el_le
fait partie "du grand bienfait de I'existence ; mais ne I'ai-
mons pas pour ce qu'elle renferme d'actuel et de fugitif"(24).
Finalement, tout change positivement quand Dieu retrouve sa
place.

"Je nrai point de chagrins sans consolation ; 1'é-


ta t re plus habituel de mon âme est un pais i br e r e-
noncement, une espérance indéfinie, un doute favo-
222

rable, une tristesse heureuse" ( 25 ) .

rr reste à examiner I'idée de "tristesse heureuse".


En 1836, dans un fragment destiné à 1a vingt-quatrième Médi-
tation, senancour dit : ra douleur subie nous tuerait, "mais
ta douleur combattue occasionne I'espérance ..."(26). on
pourra reconnaîÈre ici I'idée stoicienne qui il a attiré dans
sa jeunesse. Mais nous remarquons immédiatement que l_a no-
tion chrétienne du péché n'est plus étrangère au lecteur
assidu des sermonaires qu'ils soient le p.Elisée, Abbadj_e,
ou Zimmermann. La douleur est chez lui reconnue conme essen-
tielle à notre nature et le malaise humain ne naît prus.
si, autrefois, sa misère ilirritait, aujourd,hui, il croit
à la chute. ce que senancour appelait ra longue erreur de
1'humanité sortie de ses voies, il l,apperlera bientôt chute
originelle, et instinct de retour vers Dieu; Donc ra tris-
tesse rerigieuse est ce qui peut nous initier au monde éter-
nel.

Drautre part nous entrevoyons que la perspective où se


place le mal a aussi changé chez rui. Le mal n'est pas dans
I'ordre naturel. senancour nie sa réalité ; r'homme n'est
pas dans le mal social, c'!esÈ-à-dire que le mar n,est prus
de création sociale, car ',lragitation du monde actuel esc ap-
paremment conforme aux dessein de la providence,, (271. Mais
si le mal existe, le mal est au plus profond de nousr €E nê
223

peut êt,re atténué que par un avant-goût de ilexistence sur-


naturelle. Quand iI tui arrive de contempler ses anciennes
souffrances, I'expérience des années obscures et douLoureu-
ses prend une signification nouvelle :

"La douleur est bonne, êt iI est utile d.e la con-


naître dès Ia jeunesse 11 convient que

I'homme souffre, êt qu,il souffre à tout âge


11 faut respecter cette destination et bénir, dans
1es moments pénibles, d,es rigueurs apparemment in-
dispensabl-es" (28 ) .

L'échec est une épreuve qui permet d'approcher de ra


lumière ( 29 ) ; Ia souf f rance, 1 , inf irmité, une ascése. ,,Vous

arrivez trop promptement aux bornes d.e ra joie. c'est la


douleur qu'il faut connaître, parce qu'il faut étudier I'in-
fini"(30)- Par Ia douleur nous connaîtrons mieux 1,infini.
on voit, autrement, ce que ra souffrance ainsi conçue a de
chrétien. La souffrance "peut nous indiquer une dest.inatlon
ultérieure etr êrr quelque sorte, suspendue',(31)récrit Senan-
cour- 11 a fortemenÈ senti Ia nécessité mystique de ra
souffrance.

Ainsi les Méditations sonÈ remplies de I'action de grâ-


ces envers la providence qui offre la douleur en don. Mais
le solitaire ne la p r e n d p a s comme un châtiment ; il voit,
224

seulement, que seule eIIe nous fait découvrir la vérité.

C'est bien la douleur qui a fait I'unité de sa vie.

Après la tristesse heureuse, il se plaît aussi à la

solitude religieuse. La lecture de Zimmermann, qui était

un philosophe très inconnu, mais a été un intercesseur pour

Senancour pendant ces années de recherche mystique, est ve-

nue corroborer la réflexion personelle i Senancour trouvait

ch.ez lui une anaryse de Ia soritude et de ses vertus dont il

se souvient à plus d'un moment.

"Dans Ia solitude, les vraies jouissances du coeur

font naître souvent des idées religieuses, et ce1-

Ies-ci augmentent réciproquement les plaisirs de

Ia solitude. Une vie simple, innocenÈe et tran-

quille, rend Ie coeur beaucoup plus propre à s'é-

Iever vers Dieu, la vue de toute la nature appelle

à Ia religion, et I'effet J-e plus sublime de Ia

religion est Ia tranquillité" ( 34 .

cette phrase est ce qui permet de donner une prus grande ré-

sonnance à une expérience intérieure. La soritude n'esc

donc plus morne abandon, mais solitude religieuse.


225

2. L'expérience mystique

Senancour ignorait les Romantiques allemands au temps

d'Oberman. Mais au moment où iI écrit les Libres Médita-

tions, il connaÎt l-eur existence, car iI a Iu De l'Allemagne

(33 ). Le Solitaire des Libres Méditations, comme les Roman-

tiques allemands, essaie de parvenir à Dieu par l-a médita-

tion analogique. "L'homne ne connaÎt que des rapports"(34 );

"Tout semble être analogie"(35). Senancour a déjà saisi les

rapports dans les oeuvres précédent les Libqes Méditations.

Or cette fois Ia perception de relations est devenu de plus

en plus exclusivement celle d'une éthiquer puis d'une reli-

gion.

A partir de 1804, Senancour, très sciemment, s'est vou-

Iu moraliste, sage puis mystique. "Des figures passent de-

vant vous, êt elle vous offrent, pâE certaines analogies,

I'occasion d'un exercice moral"(36 ). On comprend dans un

autre texte plus étendu que Senancour entend par "exercj-ce

moral" une adoration :

"Ce qui est illimité est divin ; f infini, sous

tous les rapportsr cê serait Dieu. Une pensée

profonde suscitée par quelque bruit dans l'épais-

seur des bois, 1'union de plusieurs familles ou-


226

bliées sur un sol favorable, I'expressive simpli-

cit,é des regrets du sage, Ia communication des

idées d'un hémisphère à l'autre, d'un âge à un au-

tre âge, tout ce qui est heureux, vaste, incompré-

hensibler c€ qui est sublime enfin, est l,ouvrage

du Dieu que je reconnais, du Dieu qui est et qui

sera"(37).

Malgré ce développement, le mysticisme de la maturité

a pourtant une continuité avec celui de la jeunesse. Le sen-

timent des rapports poussé à son plus haut dégré, donne à dé-

couvrir que la correspondance entre le microcosme et le ma-

crocosme est Ie signe d,'une correspondance entre I'homme et

Dieu. La contemplation de Ia nature est d.onc une prière.

Dès lors, I"étude des inanimés devient clnez rui également re


plus important des devoirs parce qu'à Èravers eux se révèle-

ront les vérités morales :

"II est manière de considérer les choses inanimées;

elles appartiennent ainsi à 1'étude la plus ind.is-

pensable, celle du principe de nos devoirs. Ces

diverses parties du monde présentent un aspect mé-

taphy.sique, et des analogies avec 1es vérités mo-

rales"(38).
227

La conÈemplation de 1"'analogie universelle où, selon

l-'excellente expression de Madame Durry, Ie matériel est Ie

signe du spirituel" 139;, où, pour Senancour, }e monde figu-

re Dieu, apaise , cat el.le est Ia conternplation de I'Equili-

bre. Lui, qui est capable de saisir les analogies, perçoit

I'Ordre. Senancour a lu dès I'adolescence Malebranche ; i1

sfen souvient lors des Libres Méditations. Toute I'oeuvre

chante un hymne à l'Ordre. On peut dire que cette adoration

de I'ordre esL la seule prière que Senancour ait jamais fai-

te. Oberman a ad.mis que "Ie monde est disposé avec intel-

li-gence'(40 ) r et Senancour reprendra, dans les Rêveries de

1833(41 ), l,expression d.,Oberman.

L'Ordre reflète f intelligence divine à travers les for-

mes de I'univers. Le respect de cette harmonie est pour

Irhomme 1e moyen d'accepter et de sanctifier son intégrabion

dans la matière : "Si je ne puis me séparer de l,universali-

Èé des choses, si je fais à jamais partie du monde que Dieu

gouverne, puis-je espérer un bien qui s'éIoigne du bien de

tous ? Me posséderai-je moi-même, si je néglige des soins

confiés à l'homme pour son propre avantage ?"(421. Et l,Or-

dre est perçu à travers I'inanimé comme lrAnalogie :

"Le bruit des vents, le reÈour de la lumière, Ia

rapidité des eaux rappellent I'ordre général du

monde ; et imparfaite, mais continuelle révélation


228

des lois qui restent incompréhensible . .. " (43 )

Finalement, Ia conÈemplation de Ia nature apparaît chez

Ie solitaire, c o n r m eu n e m é d i t a t i o n métaphysique ou religi-

euse qui le conduit à I'Analogie, l'Ordre, Dieu. Mais bien

que Ia nature permette l'éIévation de I'âme vers Dieur cê

nrest pas 1à le panÈhéisme, puisque Dieu a une existence in-

dépendante du grand Tout.

D'autre part, le Dieu des Libres Méditations ne s,in-

carne pas. Senancour éprouvait une répugnance très forte à

f idée gue la DiviniÈé ait pu prendre un corps. Cette idée

lui semblait insupportable, absurde et sacrilège - proche

en cela de tant de romantiques. Senancour s'est efforcé de

garder seulement Ia vision pure de Dieu, sans représentation.

S'iI est, vrai que Senancour propose I'approche d'une défini-

Èion de Dieur or pourrait difficilement en forger une défi-

nition abstraite : "Heureux, sans plaisir ; parfait, sans

vertu ; prévoyant tout sans avoir rien à éviter, (... ) con-


tenant 1'espace, êt t,erminant les temps : principe immuable

des changements, principe inépuisable de tout amour, de tou-

te beauté, de tout,e justice" (44).

Nous nous souvenons ici que I'avidité de sentir Lors

des Rêveries servait de seul guide pour approcher I,absolu.

Or dans les Libres lttéditations c'est Ie désir qui permet d'y

accéder.
229

"Mais 1e désir, I'inconcevable désir ! Ie pressen-

timent de quelque chose de perpétueIr c€ besoin

dans moi qui vais disparaître ! I1 y a Ià une com-

municaÈion souverainement mystérieuse. La science

me montre un abîme entre Dieu et les mortels ; mais


je me crois rapproché de Dieu par les relations

indéfinissables que Ie désir étaUtit. Ainsi les

affections c o n r m el e s idées, le visible et I'invisi-

b1e, les hommeset Ia matière, tout n'existe que

pour celui qui est : les divers objets sont des de-

grés qui mènent à lui ; I'image divine est réf1é-

chie de toutes parts, êt les choses fugitives ap-

paraissent commeun indice de I'Eternel" ( 45 ) .

Le désir exprime une ultime aspiration à la permanence, si

forte depuis Aldomen i car I'Eternel est, par définition, la

Permanence. Par ailleurs, le désir constitue, la forme su-


prême, sublimée, du délire d'extension condamné jadis. II

sembre que saint-Martin soit responsabre de ce changement ,


re Philosophe rnconnu a dit ce qui sui-t : "c'est dans l'ex-
tension sans borne de notre être immorterr Ç[u€ se trouve le
signe parrant du Dieu bienfaisant à qui sont dus tous nos

hommages"(46).

Chez Ie solitaire d e s !!!r es MéditaÈions, le dé s i r es r


Ia nostalgie du divin, I a forme ultime d.e 1'aspiration de
230

l'âme à I'infini et de son extension : "Nous demandons à

Dieu de nous rapprocher de lui, c'est-à-dire de nous chan-


gêt, de nous fortifier, et d'agrandir jusqu'à nos sentiments"
(47). Le seul désir humain aurait 1e pouvoir de sourever

Ie voile ; it serait Ie pouvoir qui rejoindrait Dieu en son

mystère. Donc, 1'âme sensible des Rêveries devient désor-

mais une âme capable de Dieu.

or la convict,ion de la présence de Dieu vient justement

chez lui du sentiment de 1'existence : "ses sentiments reri-


gieux sont une suite du sentiment de notre existence. vivre,
c'est savoir quelque chose de Dieu,,(48). Après avoir dit :

"Je sens, donc j'existe", senancour est parvenu à cette au-


tre affirmation : 'rJe me sens exister, donc Dieu existe".

L'inverse est vrai aussi. cette conviction irrumine ra vie


de senancour, I'amour de Dieu lui permetÈant de ressaisir sa
continuité intérieure, f identité de son être avec lui-même.

3. Le mysticisme de lumière

Beaucoup de mystiques puisent reur source mystique dans


le rythme mêmede notre vie soumise aux arternances d,ombre
et de lumière. rls ont déveroppé le thème contrasté des
ténèbres et de la lumière avec toute les nuances et les in-
23L

terférences possibles. Ils en arrivent ensuite jusqu'à pou-

voir dire que Dieu est lumière.

Nous trouvons chez Senancour aussi un mystique de lu-

mière. Les astres de lumière symbolisent chez lui Ie champ

divin. Senancour espère pouvoir, dans une autre vie, commu-

niquer avec les astres (49) , car il sent que les asties fi-

gurent 1'éternité de Dieu(50) et Ia permanence de la lumière

intellectuelle(51), I'éblouissement de qui découvre I'au-

delà (52) . Dans 1'espace céIeste qui est I'image la moins

matérielle de la perfection divine, le so1eil et les étoiles,

les galaxies reflètent Ia splendeur de Dieu, symboles par

excelLence de I'Infini. Nous avons souvent vu le thème des

astres étroitement lié à celui de la lumière ; Ie soleil

noir de Nerval, les Songes de Bernardj-n ou les astres obscurs

d'Oberman et surtout des Rêveries de 1809. Or dans les Li-

bres Méd.itations, la clarté domine, répond aux ténébres.

On voit des phrases des Libres Méditations où Ie sens don-

né au mot lumière est à mi-chemin entre I'illuminisme et la

philosophi.e voltairienne, comme : "Ces sages (... ) qui ré-

pandirent une lumière jusqu'alors inconnu"(53)' conme : "Le

juste craint surtout de n'être pas assez grand lui-mêmer âs-

sez éc1airé"(s4)r ou bien comme : "Se renfermer dans les

ténèbres d'une frivolité impie ou d'une foi superstitieuse"

(s5).
Le concept opposé à celui de Ia lumière est "ténèbres".
232

Les "ténèbres" impliquenÈ re mal moral, I'ignorance intel-


lectuelle et le fanat,isme, car "Ie mysticisme des rumières
est comme chez voltaire considéré comme une mystique de Ia
Raj.son"(56). Mais il ne faut pas se tromper ; Ia nuit n,a
pas la même vareur que les ténèbres. La nuit qui renforce
1'éc1at des étoiles est, au contraire, Ie lien mystj_que,

"Ii-eu des révélations" selon 1'expression d.e Novalis. La


nuit pascale est flamme et feu nouveau, récurrection et, apo-
théose. Pascal sait que le premier écraj-r de 1a grâce luira
dans la nuj-t la plus extrême, €t c'e'st pourquoi il épaissit
conrmeà plaisir les ténèbres du désespoir, exaltant le con-
traste dialectique de 1a tragédie et du sarut ; Dieu est un
Dieu caché, Deus absconditus, mais à demi cachér cêr s'il_
est faux que 1e christianisme soit manifeste, il n'esr pas
vrai non plus qu'iI soit entièrement obscur(57).

senancour ne va pas aussi loin que pascal, mais senan-


cour ad.met aussi le caractère initiatique de ra nuit. La
nuit, lieu et symbore de 1'expérience mystique, dès res Rê-
veries de 1809, nous laissait"(58), mais pour nous révéIer
le Néant(59). Maintenant dans res Libres Méditations, plei-
ne de voix, elle s'ouvre par une "tranquille soirée"(60) :

"Quelquefoisr âll rnilieu de la nuit, sous le ciel


êtoilé, ir cherche à entrevoir la règle de toutes
choses eÈ les signes d'une volonté qui n'ait pas
233

eu de conmencement" ( 6I )

Une étoile qui brille conduit "à la fois Ie Bédouin à

travers les sabres, le Natchez dans res savanes",symbore de


la fécondité des moyens de Dieu(62). IL est des nuj-ts dont

Ia légèreté même est le signe qu,une communication avec


I'au-deIà est possible :',c,est Iteffet d,une belle nuit,

dont les ombres légèresr ên nous ôtant la vue de quelques

objets rapprochés, mais circonscrits, offrent à nos médita-

tions tout I'espace des cieux"(63). La nuit nous apprend

à devenir véritabrement voyants : "comme on ent^revoit res

astres lorsque la lumière du jour se retire, rorsqu'on cesse

de pouvoir observer la plupart des objets de la terre i ain-


si on discerne des signes plus sensibles de ra roi générare"
( 64 ) . De plus la nuit permet de percevoir ra sprendeur des
astres, êt donc de Ia "lumière intellectuelle"(65).

Par comparaison à ra nuit qui se trouvait déjà dans les


premières Rêveries et surtout dans Oberman, le continu philo-
sophique de ra révélation s'est ici plus précisé. Ainsi

senancour a-t-iI connu une nuit sans cesse prus rumineuse

dans sa démarche.

La lumière est communication ; sa rapiditér son immaté-

riaritê rui permettent de figurer le mouvement de ra grâce

de Dieu vers I'homme et l,élan de I'homme vers Dieu :

"si nous nous attachons à ne pas affaiblir en nous ce rayon


234

d'une vraie lumière, il retournera vers son auteur, vers ce-

Iui qui nous a donné la raison, l'équité, Ia générosité"(66),

car Ie Dieu d.u Solitaire est splendeur de Ia Raison.


235

NOTES

CHAPITRE II

(1) L.M., 1819, p.409

(2)'Ob., Cité par J.t'terlant,op.cit,.,p.I57

(3 ) L.M., p.431

(4) Ibid., p.431

(5) M.Raymond, Senancour, p.223

(6) R., 1833, note A

(7) L.l.[., p.26

(8) Ibid., p.120

(9) R., 1833, chapitre L7, p.164

( 10) Ibid. , pp.159-160

(lf) Cité par M.Raymond, op.cit., p.2I2, Fragment autob.

publié par G.ttichaut

( 12 ) It{.Raymond, op . cit . , p .2L2

(13) L.M., p.34

(14 ) Ibid., p.2L3

(15) Ibid., 1970, p.134

(16) I8I9, fin de la préface


Ibid.,
ainsi que le tit.re de ce sous-chapitre
( 17) cf . L.M. , 1970,p.Lg2

( 18) Ibid., p.155

(19) Cf. Rêveries, 1809, p.5l : Les "fruits innombrables",


236

on res attribuait seulement à I'ennui. p.55 : un pas-


sage ajouté à vingt-sixième Rêverie faisait voir ta
mort' avec "sa viei.lle main que le frisson a desséché,, :
elle saisit, erle entraîne, erre précipiÈe dans ra tom-
be et "la trappe se referme". p.gs : La charrue n,etait
1à que pour suggérer Le "sillon de larmes,,. p.I23 :
La mort universerle régnait. La quarante-quatrième
Rêverie, entièrement nouvelle, traduisait exclusivement,
nous I'avons vur cette obsessi.on. p.170 : Le souve-
nir des "années funèbres" planait. p.176 : Toute pro_
lifération y était jugée malsaine, "sinistre,,.
(20) R., rI, p.123

(21) L.!1., p.303

(22) Ibid. ' p.88

(23) Ibid., 1830r p.31


(24) Cité par J.Merlant,op.cit.,p.l6g, Cf . 3elrtéditation
(25) Ibid. , p.2G

(26) rbid., 24e Mé- c'est touÈ r'esprit des Méditations


de 1819 : "ra vie est un raborieux mouvement d,espérance,,.
(27) L.M., p.375

(28) Ibid., pp.28G-287

(29) Cf. J.Lacroix, l'échegr p.1Il


(30) L.M., p.2O

(31) Cité par J.Merlant,op.cit.,p.160

(32) Zimmermann, De la Solitude, t.II, p.223


237

(33) senancour a ru De I'Allemagne, comme'le prouvent abon-


damment les Annotatj-ons encyclopédiques et ses articl_es
du Mercure.

(34)-(35) Ar., 1808, p.1, Cf. 1806, p.14


(36) L.M., p.50 Cf. aussi p.f51

(37) Ibid., P.132


(38) Ibid., p.145

(39) I"1;J; Durry, Laforgue, p.99

(40) Ob., II, p.181

(41) R., 1833' p.358

(42) L.M., p.46

(43) Ibid., pp.I4I-L42, Cf. p.273


(44) Ibid., pp.137-138

(45) Ibid., p.150-151

(46) Saint-Martj.n, L'homrqede désir, p.22


(47) L.M., p.137

( 48 ) Ibid. , p.155

(49) Ibid., p.196

( 50 ) Ibid. , p.225

(51) Ibid., pp.225-226

(52) cf. Petit vocabulaire p.15 : "euers transports d'admi-


ration chez celui qui n'aurait vu jusguralors : au-des-
sus de sa t,ête qu,un épais brouillard, et qui, tout-à-
coup apercevant les astres de Ia nuitr ên sauraiÈ et la
grandeur, êt la marche, et les distances,'.
238

( 53) L.l{. , p.297

( 54) Ibid. , p.327-328

( 55) Ibid. ' p.99

( 56 ) R. Pomeau, La rel j.gion de Volt,aire, p. 415


(57) V.Jankélévitch, La nocturne, pp.25-2G
(58) R., rr, p.178

( 59) Cf. R. , II, p.25,78,IL6,L22,124 .

(60) L.M., p.422

( 61) Ibid. , p.94

(62) Ibid., pp.87-88, Cf. aussi p.157 eE p.94


( 63) Ibid. , p.270

( 64) Ibid. , p.387

(65) Ibid., pp.225-226

( 65) Ibid. , p.L47


239

CHAPITRE III

LE CHANGEMENT

DANS LA DEUXIEME EDITION DES LIBRES MEDITATIONS

Senancour est un inquiet, toujours prêt à tout remet_


tre en question. rr ne pouvait pas rester dans l'attitude
de 1819. La deuxième édition des Libres Méditationsr paruê
en 1830 reflète un Èransformation par rapport à celle de
1819.

Dans les Libres Méditations de 1930, Senancour a suppri_


mé presque toutes les citations de I'Evangile. on pourra,
par exemplê, comparer, à titre de preuve, la fin de Ia troi-
sièmer ou, celIe de la vingt-neuvième Médit,aÈion, dans l,une
et I'autre édition : La troisième, en lglgr sê terminait par
une sorte de prière, par une invocation au créateur : "Me-
mento creatoris", tirée de 1,Ecclésiaste; ce texte a été re-
foulé en note, êt tout un passage vient se greffer, morne ré-
240

frexion sur la disparition des empires(1). Là où senancour

considérait l-'examen de conscience comme un exercice pré-

cieux, essentiel du christianisme : ,,cette pratj-que a été

recommandée par des sages, êt le christianisme 1'a consacrée",

en 1830, iI note : "cette pratique a été recommandée par

d'anciens sagtes et ell-e est plus que jamais consacrée,,(2).

Nous voyons que I'esprit n'est plus Ie mêmeet que sa


pensée s'est nettement laicisée. En effet, des trois versi-
ons' celle de 1830 sera ra moins chrétienne, la prus proche

d'une morale Iaïque, morale vaste, inspirée par une connais-

sance très compréhensive de I'histoire de 1'humanité et de


ra variété des religions. eu'est ce qui s'est donc passé

entre 1819 et 1830 ?

Pour expriquer cette raicisation des Méditations de


1830, il est nécessaire d'évoquer 1es mésaventures du sori-

taire. Après son dernier voyage en suisse en rgo3, senancour


ne retrouva pas les avant,ages matériers que lui avait procu-
rés Ie préceptorat à I'hôtel Beauvau. on se rapperle que

sa fortune avaiÈ pratiquement disparu pendant la Révolution.


Jusqu'à ce qu'il bénéficie en 1833, d'une pension, pâr I'in-

termédiaire de Thiers, il traversera des années extrêmemenc

difficiles. A 1a fin, iI fallaiÈ gagner sa vie; "Ia néces-

sité l'obligea à tirer parti de ses travaux"(3). Senancour


apporte une contribution assidue à prusieurs revues, ouvra-
ges collectifs, travaux de ribrairie, etc rr uorrr,. de
24r

très nombreux arÈicLes ; iI participe au Mercrire(1811-1814,

1823-L827), à Ia Minerve littéraire(1820-182].), à I'Abeille

(I821-L822) et à Ia France littéraire de Quérard(183I-I834).

Et 1e Constitutionnel à travers lesquels il agace Ie Conser-

vateur et les Débats, recevra néanmoins Ie plus d'articles

près de neuf cents. Quel- que soit le vrai mo.tif , i1 est

bénéfique d'avoir la possibilité de s'exprimer par divers

articles. rls nous aident à saisir Ie progrès de sa pensée

religieuse et politique pendant cette période ; i1s jettent

une vive lumière sur une période de son exi-stence qui est

très ma1 connue, pendant laquel1e iI s'éIabore lentement une

sagesse.

Les articles du Constitutionnel, où Senancour se réser-

ve le plus souvent, les questions religieuse' nous montrent

son attitude en face du mouvement catholique. La faiblesse

des raisonnements de certains catholiques y est surtout, dé-

noncé. Nous savons déjà comment, iI rappelait au "philoso-

phe de I'Aveyron" que le premier devoir du penseur est de

"savoir douter longtemps" (4).

I1 attaquait Bonald à propos de ses Recherches philoso-

phiques sur les premiers objets des connaissances morales.

Voilà les pointes lancées Ie 7 juillet 1818 : "ce peu d'in-

dulgence, cette vigueur timorée, cetÈe nuance de prosélyti-

srnêr qui caractérisent ses écrits" ; plus loin : "M. de Bo-

nald ne reconnaÎt guère d'autre sagesse orientale que celle


242

des Juifsr. gui n'étaient pas fort avancés dans I'Orient"(5).

Et le I8 juillet, toute une polémique à propos de l'origine

divine du langage : "Nous devons tout à celui sans qui nous

ne serions pas ; mais i1 nous a tout donné indirectement en

faisant libre notre intelllgence'( 6) .

En même temps que des allusions méchantes à Chateaubri-

and, il avait aussi une grande sévérité à I'égard de Lamen-

nais. Senancour prend bien soin, justement, d'indiquer en

quel espritr pur€rnênt, religieux, il veut parler de religion.

11 ne croit pâsr iI n'a jamais cru, avec d'Holbach et sa co-

terier Çu€ f imposture soit à la source des religions :

"Le charlatanisme" peut abuser d'un sentiment, non Ie créer.

Le t8 décembre, Senancour s'élève contre f intolérance de

Lamennais et 1'accuse de partialité, d'étroitesse dans ses

vues historiques : crest Voltaire, découvrant I'Orient, €t

daubant le "Discours sur I'histoire prétendue universelle".

"Lrauteur, dit, Senancour, évit.e d'opposer avec quelques dé-

tails les peuples qu'iI doit admirer aux peuples qu'iI lui

est nécessaire de déprécier"(7). Ce n'est pas d'ignorance

qu'il I'accuse, mais de déIoyauté : "Il altère ...Ia cou-

leur des objets et si les moins discrets de ses lecteurs

ne se permettent qu'un sourire, sans doute, iI leur saura

grê de tant d'égards"(8). Et voici le vieil esprit antisa-

cerdotal qui reparaît : "L'impartiale balance fatiguera des

mains habituées au geste plus commode et plus saint qui doit


- 243

courber tous les fronts'(9). Le 2I juillet 1819 Senancour

était revenu à Ia charge contre "Ia logique insidieuse" de

Lamennais, et contre "f impiété" de prétendre associer "le

pouvoir terrestre à Ia puj-ssance éternelLe de Ia religion" ( 10

En revanche, iI fait systématiquement l'éIoge des pen-

seurs qui ont formé sa jeunesser par exemple, Voltaire, Con-

di-lIac et iI leur reste fidèIe, essayant une synthèse entre

1'Illuminisme chrétien et Ia philosophie d.es Lumières.

D'autre part, Ies feuilletons de la Minerve littéraire

ou du ivlercure sont plus sereins que ceux du Constitutionnel,

plus détachés des contingences politiques. Une pensée cohé-

rente proche de cel-le des Libres Méditations s'exprime à tra-

vers les sujets les plus divers : un compte rendu de La loi

naturelle de Volney(11), de I'Abrégé de l-'Origine de tous

les Cultes de Dupuis (L2) , de Voltaj-re en un volume par Gou-

riet(13). Nous lisons avec intérêt I'article sur J.J.Rous-

seau(14), I'Extrait d'une d.isgression sur les dispositions

de 1'esprit humain à travers I'Europe(15), De 1'érudition

dogmatique et de I'érudition philosophique(16). Nous y

glanons des déclarations sans équivoque :

"Que la religion soit rendue à sa Iiberté premi-

ère, son influence sera plus favorable, et on re-

connaîtra I'empreinte céleste qui doit Ia distin-

guer de nos faibles institutions"(17).


244

Et encore, nous y voyons Senancour réclamant une sagesse

qui serait Ie fruit d'un équilibre entre la religion et Ia

philosophie :

"La philosophie n'a jamais été opposée à la reli-

gion grande et vraie. Elles se réunissent et ce

sont les deux parties de la sagesse"(18).

L'évolution de sa pensée religieuse que nous avons

brièvement vue dans ses travaux, s'accorde certes avec son

changement lors de deuxième édition des Libres Méditations.

Dégoûté par les excès de la Restauration, Senancour affiche

désormais une pensée beaucoup plus détachée de tout dogme,

plus laique. Nous en apprendrons plus par la suite sur

I'attitude religieuse de Senancour, en ce temps-Ià, avec son

ouvrage Résumé de I'histoire des traditions morales qui est

paru un peu avant Ia seconde édition des Libres Méditations.


245

NOTES

CHAPITRE TII

(1) L.M., 1819, p.36 et 1830, p.46-49


(2) rbid., 1819, p.423 et 1830, p.554
(3) V. de Boisjolin, Vie de Senancour, p.42
(4) J.Merlant, Senancour, p.2l-4

(5) Constituti_q4ne1, 7 juillet, 1818


(5) Ibid., 18 juil1et,1818

(7)'(8)-(9) Ibid., 18 décembre, 1818

(10) Ibid., 2L juilleÈ, 1819


(11) La Minerve Littéraire, 1820, t.I, pp.2LB-ZZO
(12) L'Abe1le, L82L, E.V, pp.9-13 et pp.57-63
( I3 ) Ibid., 1822, pp.14-18

(14) La ltlinerve LiÈtéraire, I82L, t.II, pp. 4 66-477


(15) Le MeEcure du dix-neuvième siècle, L826, t.XV, pp.173-

178

(I6) Ibid., I826, t.XII, pp.576-582

(17) LrAbeille_, 182I, t.V, p.11

(18) L'AbeilIe_, 1821, t.V, p.62


246

CHAPITRE IV

RESUME DE L'HISTOTRE DES TRADITIONS MORALES

ET RELIGIEUSES CHEZ LES DIVERS PEUPLES

Avant même de donner la seconde édition des Libres Mé-

ditations, senancour s'est tivré à 1'écriture d'une suite de

"résumés historiques" : un Résumé de 1'histoire de la chine,

un Résumé de I'histoire des tradj-tions morales et religieuses

et un Résumé de I'histoire romaine. cette corlection de "Ré-

sumés" constitue un ensemble d'exposés très ut,iles pour com-


prendre I' itinéraire spirituel de senancour dans sa maturité

et son changement dans la deuxième édition des Libres Médita-

tions. or, dans ce chapitre qui recherche la nouverle con-

ception religieuse de senancour, Ie Résumé de ilhistoire des

traditions morares et rerig.ieuses sera principalement étu-


247

dié, parce qu'il est I'ouvrage où sa pensée apparaît de Ia

façon la moins ambiguë.

A ce moment-là, Senancour s,intéresse surtout à I'his-

toire des diverses religions ; iI aspire à "retrouver les


traces d'une religion antique et pure, d'une sorte de révé-

lation primiÈive, souillée, défigurée par des générations

successives" ( l) .

"Dans ce pélerinage à travers les cultes du pas-

sé, errant d'autel en autel, nous n'irons pâs, in-

fatués de la supériorité moderne, nous railler de


l-a misère des dieux abandonnés ; au contraire, nous

demanderons aux vides sanctuaires s'i1s n'ont pas

renfermé un écho de Ia parole de vie" (Z).

C o m m eQ u i n e t , Senancour veut errer dtautel en autel,


interrogeant, le mystère des vides sanctuaires pour voir s'ils
nront pas renfermé un écho de ra parore divine. Amené à re-

chercher des doctrines secrètes, ir rencontrera sur son che-


min les prus vieux mythes dans lesquels chaque homme recon-

naÎt ses aspirations secrètes.

senancour étudie Ies traditions rerigieuses chez les

divers peuples. En Arabier ên rranr ên rnder êrr chiner êD

Egypte ou e-n Perser pêrÈout, re phirosophe espère retrouver

des traces de la sagesse éternelle. Et remonÈant dans un


248

passé immémorial, it désire connaître la tradition qui af-

firme constamment Ia présence de Dieu en lthomme, Ia foi en

une éternité.

Historien des religions, i1 retrouve pourtant parfois

le ton des Générations actue,llee, pour évoquer les méfaits

du fanatisme, 1'absurd.ité de I'humanité perdue par toutes

sortes de superstiÈions. Et il montre que des habitudes mo-

rales sont sacrés chez les uns, mais pas chez les autres.

Par exemplê, on réprouve le suicide, mais au Japon iI ,,sem-

ble appartenir aux moeurs fortes". Dans l,ancienne Espagne

ou dans 1'île de Céos, il était parfaitement admis. Et sur

il indissolubilité du mariage à laquerre sont si attachés Les

catholiques, "les Juifs ont encore le divorce conformément

à leurs livres sacrés ; l'évangile de Saint-Mathieu à Ia main,

res chrétiens grecs admettent le divorce pour cause d,adur-

tère, êt les chrétiens réformés peuvent divorcer parce qu,irs

disent que I'Evangile est leur loi"(3). Les prêtres pour-

raient fort bien se marier, puisque la pollzgamie leur était

interdite dans Ia primitive Eglise(4).

Néanmoins, Traditions morares diffère des Générations

actuellesr parce Çue Senancour y dégage un bilan positif i


Senancour par delà Ia diversité des religions, s!efforce de

retrouver res traces d'une tradition primitive et éternerle.

Tandis guê, lors des Générations actuelles, l,histoire des

religions ne fournissait à Senancour que la matière d'un


249

sottisier, Iors dès Tradit,ions morales son projet est de

d.émontrer que partout "les mêmes vêrités ont affermi les

hommes justes", qu'il y a "une loi éternelle", une perpétuel--

Ie sagesse. Bien que les folies dogmatiques, les supersti-

tions, les inventions humaines, 1es impostures des prêtres

soulèvent encore son accusation, eLles ne I'offusquent plus

comme dans sa jeunesser pârcê qu'i1 s'essaye à distinguer

maintenant Ia part de 1'éternel et sa persistance.

*
**

En ce temps-Ià, Sènancour se montre surtout séduit par

I 'Orient. Le goût pour I'Orient s'-épanouit en France au

dix-huitième siècle et Senancour n'ignore pas cette atmos-

phère. Nous avons déjà pu sentir que Senancour avait été

fasciné par I'Orient dans sa jeunesse ; lorsqu'iI partit pour

la Suisse en 1789, c'était avec i'espoir d'aller ensuite

beaucoup plus loin, vers I'Orient. Mais pour le jeune Senan-

cour, IrOrj-ent n'était plus que Ie lieu absÈrait qui symboli-

se le bonheur. L'historien des religions a appris peu à peu

Ies traditions morales et religieuses dans des pays d'Orient.

Dans les Générations actuelles, Senancour ne citait

guère de coutumes d'Extrême-OrienÈ que pour en montrer I'ab-

surdité ; dans les premières Rêveries il dénonçait en Chine

une "morale savante et maniérée"(5). Mais à partir des Ob-


250

servations sul_le téIle, s'est marqué un renouveLlement :

"on a prétendu effectivement qu'iI n'y avait rien de nouveau

dans les dogmes, dans les institutions, dans Ia philosophie

du chrj.stianisme. On a prétendu que, sous un autre nom,

f intérieur de 1'Asie avait aussi- son christianisme"(6).

Le pays favori de Senancour semble alors être Ia Chipe

qui était chère aux philosophes du dix-huitième siècle.

Avant Senancour, Madame de Staël a déjà été envoûtée par Ia

Chiner pays de rois astronomes et sages(7). Les moeurs, Ies

institutiônsrles vertus, voilà ce qui les intéresse en un

pays qui est "Ie principal monument vivant de I'Antiquité".

La Chine peut être I'origine de toute choses ; la sagesse

s'est ensuite transmise en Occident par les Pythagoriciens

et les Platoniciens, êt de Grèce a gagné Rome(8). Senancour

est attiré surtout par Ia hauÈe conception de la phirosophie,

la modération, Ie goût de la musique, la bonté qui se main-

tiennent dans cette nation. Ayant lui-même 1'expérience de

Ia mystique musicale, iI est particulièrement aÈtiré par le

chinois qui a su conserver quelques éléments du primitivi-

sme dans sa musique :

"C'est peut-être dans la Chine quron trouve les

plus enciens témoignages en faveur des ressources

que la musi.que doit offrir à la morale. Autrefois

les termes trop indécis du langage s'éloignaient


25L

peu du vague de 1a musique i on pouvait donc Ia

regarder conrme une langue unj-verselle, moins igno-

rée des peuplades grossières, et des animaux eux-

mêmesr euê les paroles séparées du chant"(9).

De p1us, Senancour loue le chinois, comme un peuple


.
"admirable par sa transmission des plus simples, des plus

nobles idées religieuses ; exempt des préjugés des casces,

ainsi que de I'administration des prêtres"(10).

Après Ia Chine, il aime l'Inde. Senancour regrerr,e que

le public français connaisse si mal un pays "dont La légis-

lation paraît déceler un génie plus antique" que 1'Egypte

même(11), berceau d.es religions et des théosophies. Comme

Lanjuinais, Senancour se plaît à Ie faire remarquer :

"Spinoza c o n r m eB e r k e l e y ou J.Boehme, êt les Quié-

tistes comme les llluminés, auraient pu s'auùori-

ser de nombreux passages de ces livres antiques.

La doctrine générale qu'ils renferment est 1e spi-

ritualisme, dont iI serait difficile de séparer

une sorte de panthéisme" (L2).

AvanÈ d'étudier sur la Chine et I'Inde, Senancour s'est

intéressé d'abord à I'Egypter pals pour lequel iI a toujours

eu une grande passion. A mi-chemin entre I'Extrême-orient


252

philosophique du dix-huitième siècle et Ie proche-Orient

mystique d'un Nerval, il rêvait des Pyramides et de Tentyra.

En Egypte, "nous voyons que tout fut. sager ou colossal-r ou

caractéristique chez Ie vieux peuple qui instruisirent Ies

Romainsr eui instruisirent un peu plus tard. Ies Allobroges

et Les Grenoblois"(13). Ce pays répond à deux aspirations

de Senancour : Ia permanence(14) et 1a pédagogie universel-

le. Et Senancour estime que les Egyptiens ont gardé une

foi très pure : "On croit que les Egyptiens initiés au

troisième degré, reconnaissaient un seul Dieu. Leur mot

"Kenthor" désignait apparemment 1'âme universelle ; comme


Ies mots "Cnef" et autres signifiaientr ên divers lieux,

Tout Dieur oll Dieu qui est tout. Sérapis avait dit : ,,Je

suis I'unique Dieu"(f5) .

*
**

La pensée religieuse de Senancour se nourrit donc avec

de vieilles traditions qu'eIIe retrouve et qu'elle amprifie,

idéalisant certains peupres dépositaires d'une sagesse éter-

nelle. Cependant,, à la recherche des traditions, Senancour

devait être attiré par la théosophie ; I'essentiel de Ia

théosophie est Ia croyance en une tradiÈion de sagesse inspi-

rêe, aussi ancienne que I'humanité, en une pérennité du mys-


253

tère- une théosophie, mais raisonnable et extrêmement

épurée, crest à cette date la religion d.e Senancour.

Proche en cela de son ami Bal-Ianche, iI distingue deux


théosophies ; celle des charlatans et I'autre, Ia vraier Çui
ne demande pas I'abdication de nos facultés rationneLles.

voilà querques phrases de la conclusion des Traditions mora-

les :

"On pourrait distinguer deux théosophies ; elles


différeraient, comme les études de l,astronome

différent des vaines suppositions de 1'astrologie.

La vraie théosophie serait cerle qui admettrait que


la Divinité, principe de toute sagesse, voulût que

ses loi-s deviennent manifestes pour notre raison

exercée, Iibre et impartj-ale. Cela suffirait au


sage, mais des enthousiastes, apparemment assez

vains pour prétendre que des révélations immédiates

les distinguent de Èous les autres hommes, assu-

rent qu'ils voient en Dieu, et que Dieu parle en


eux. Ce moyen semble expéditif : paracelse en fai-

sait, beaucoup de cas ; llarc AurèIe n,y avait pas

songé ..."(16)

Une première théosophie, raisonnable, c'est celle à 1aquelle


iI consentirait à se rattacher, et une seconde qui éveil1e
254

sa méfiance, crest celle des "enthousiastes" et des illumi-

nés.

Or Ia théosophie raisonnable qu'iI désirer sê nourrit

d'un rêve d'unité religieuse. Senancour veut travailler à

I'avènement d'une religion "épurée". Les illuminés ambition-

naient aussi de restaurer Ie christianisme primitif. Mai's

Senancour blâme Les f ondateurs de religions nouvelles, s\^/e-

denborgiens, phalanstériens, dont les dogmes offrent des con-

tours trop arrêtés i pour lui, leurs dogmes ne sont pas ma-

tière de croyance, mais des fruits du doute. Senancour at-

taque en généraI I'anthropomorphisme et critique le "stupide


abus de langage" par lequel la divinité "se trouva être sur-

homme" :

"Quelquefoisr âu lieu de se borner à des considé-

rations, à des doutes sur les lois mystérieuses de

Ia nature, les modernes Nicomaques veulent soumet-

tre au raisonnement des mystères proprement dits,

et ils changent en assertion de simples recherches;

c'est un des plus grands écarts de I'esprit humain:

les Boeh... , les Sw... , les St 14..., Ies Ech...

ont ainsi renoncé à être d e s h o m m e st r è s utiles"(I7).

Le Dieu unique garantissant un corps de vertus universerle-

menÈ répandues, il s'ensuiÈ que "toute religion nouvelre est


255

plutôt un schisme". La religion de I'avenir, telIe que 1'en-


visage senancour, serait sans dogme, libérée des entraves
confessionnelles, des inventions humaines, dégagée des mythes
des "aIIégories" ; erre reposerait tout entière sur 1'accep-
tation d'un mystère transcendant que nul ne pourra divulguer
(18). '

outre cette théosophie raj.sonnabler un autre caractère


se trouve dans sa théosophie. crest un aspect de la "renais-
sance orientale" de la fin du dix-huitième siècIe(19). A
côté de la théosophie chrétienne s,érève, ra perspective gé-
nérale demeurant Ia même, une théosophie qui situe en Asie
ra source de la vérité rerigieuse et se refuse à accorder au
christe une situation préeminente. La théosophie de Ia se-
conde lignée est un aspect de ra "renaissance orientale" qui
regarde Ia religion chrétienne comme une "copie", ou un syn-
crétisme. or ce nouvel aspect apparaîÈ aussi chez senancour.
Le Résumé de 1'histoire des Traditions morales fait de
Jésus-christ "Lrn jeune sage", venu à son Èour, initié après
tant d'autres, tous adeptes de Ia vérité :

"La purification au moyen de I'eau était ùsitée en


orient. un solitaire appartenant peut-être à une
secte gui, sous Ie nom de Sabis, existait encore
en Perse du temps de chardin, baptisa ses disciples
sur les bords d,un torrent de Judée ; iI y baptisa
256

un jeune sage que bientôt des Juifs placèrent au


nombre des prophètes. Ce dernier réformateur pa-
raissait avoir puisé quelque notion particulière

d'une haute doctrine, soit en Egypte, d,où iI re-


venait, dit-on, soit en écoutant les Esséniens ou
les plus raisonnables d'entre 1es pharisiens ,'.o'
Ie nommait Jésus (... ) " (20).

Senancour était, dans son enfance, attaqué p a r un e f -


froyabre tabreau des souffrances du christ en croix

"Jésus fut donc saisi, maltraité, puis attaché à


Ia croix qui était le gibet du peuple juif. Mais
au moment que la divinité de Jésus quitta re corps
auquel elle s,était unie, la nature épouvantée
pleura Ia mort de son auteur, êt le prodlge de son
effroi attesta au genre humain le supplice d,'un
Dieu ; car I'atmosphère fut remplie d'épaisses té-
nèbres, les fondements de Ia terre s'ébran1èrent
et les liens de la mort furent brisésu(21_).

on rui enseignait qu'ir était responsabre pour une part de


Ia mort de son rédempteur ;"j'ai versé telle goutte de sang
pour toi", lui disait le crucifix aux bras atrocement dis-
Èendusr êll visage labouré par le supprice et les affres de
257

Ia mort. Ainsi puisa t-il 1à un complexe de curpabilité.

Or maintenant, Senancour se détache du portrait du


Christ qui a terrifié son enfance et Ie réhabilité, en Ie
faisant héritier drune tradition orientale. rr rappelre
d'autre part guer selon certains, Jésus revenait d.'Egyptç où
il étalt allé puiser Ie meilleur de sa d.octrine. Et après
une dissertation quelque peu subtile sur re rapport qu'on
peut trouver entre Ie nom de Jésus et ceux de Zeus, de Jého-
vah et même du dieu indou Krisna, il concluait en disant :

"Drautres analogies ont fait penser que Jésus en-

seignant vers 1e Jourdain quatorze sièc1es envi-


rons après la mémorable apparition de Krisna vers
le Gange, a été simplement au nombre des prophètes

hébreux, ou des clefs de secte, et que depuis Ia


mort de ce respectable moralister orr lui a prêté
les attributs d'un personnage allégorigu€, d'après
beaucoup d'idées orientales, et surtout d'après
I'attente vague d.'un Sauveur, entretenue depuis
Ies temps diluviens. Des crj.tiques, qui semblent

attachés à dire quelque chose de plus ori-


. "'être
ginal, ont même supposé que Jésus n'avait pas ex-

isté ; on ne trouve sur ce sujet, observaient-ils,

aucun mouvement important et authentigue dans re


sens ordinaire" (22) .
258

L'auteur d'évoquer alors les anciens perses et la

Bhagavad-Gîtâ. Peut-être les ressemblances qui unissent Jé-

sus à tant d'autres dieux sont-eIl-es réelles. Mais 1'his-

torien est pris d'un doute : nrauraient-elIe pas été renfor-

cées par les gloses postérieures ? sur des faits historiques


assez fuyantsr on aurait dessiné un personnage entièrement

allégorique. Jésus peut donc êt,re une image, Ie plus beau


symbole qu'ait enfanté f imagination humaine.

*
**

Les phrases des Traditions morales sur Jésus-christ ne


semblent pas aujourd'hui très scandareuse. Mais erres suf-
fisaient en ce temps-rà pour choquer une Monarchie particu-

lièrement réactionnaire et cléricale, peu sensible aux char-


mes des exégèses symbolistes. Enfinr un assez grave incident

toubla cette existence recluse et patiente. En 1927, ra

deuxième édition des Traditions morales valut à senancour un


procès ; Ie livre, gui avait paru inoffensif en rg2s, fut ju-
gê irréligieux et subversif en L827. senancour fut donc tra-
duit devant le tribunal correctionnelr pour ouÈrage au chris-

tianisme. I1 est utile de considérer brièvement cette affai-


re. Senancour, pendant cette affairer sê dêfendit avec sé-
rénité et, saisit I'occasion de faire une profession de foi
259

publique.

L'auteur du Traditions morares apprit Ie 2l mai que l-a


deuxième édition de ce rivre avait été saisie. Le 7 août
1827, le tribunal de porice correctionnel s'occupe de I'af-
faire senancour. L'écrivain vour-ait présenter lui-même sa
défense. rr fut ensuite assisté très éloquemment par Me
Berville. Le jugemenÈ fut renvoyé à huitaine. Le L4 août
senancour fut candamné à neuf mois de prison et à cing cents
francs d'amende, son éditeur Durey à trois mois de prison et
trois cens francs. Les accusés firent immédiatement appel.

En définitive, Ie philosophe fut acquitté ainsi que son édi-

teur au mois de janvier suivant

changé entre temps était la condition favorable.

A la fin d,e ce procès, senancour s'expriqua longuement


en un discours qui reprenait et étoffait celui. du 14 août.
11 avait vraiment du courage pour prétendre à la liberté
religieuse, ainsi qu'à Ia 1iberté d'expression :

"Les croyances religieuses sont toutes protégées:

tel est parmi nous le principe légaI. Cette pro-


tection même demandant que les fidères des diffé-
rents cultes ne s'irritent pas mutuellement, une
loi devait défendre 1'outrage,' ( 23 ) .

se n a n co u r p ensait que nur le Egr ise ne saur ait ins i s ter


260

sur I'excellence spéciale de sa doctrine, sans bIâmer par

cela même les symboles contraires. "Si à I'égard de chaque

culte, disait à la tribune un ministre du roir orl ne pouvait

alléguer qu'il est faux, i1 n'y aurait plus de liberté des

cultes" (24) . Ensuite il défend le théosophe et le déiste

qui sont réputés souvent indignes de porter un jugement sur

les questions religieuses, êt même sont considérés c o f l r m ec o u -

pable lorsqu'ils s'en avisent :

"On leur refuse aussi Ie droiÈ d'éprouver de mani-

fester Ie moindre sentimenÈ de piété, tout cela

parce qu'aux religions officielles ils préfèrent

le sentiment humain et religieux dans sa générali--

Eê, parce guê, pour juger et peser les choses, ils

veulent demeurer impartiaux, nrentrer dans aucun

camp, dans aucune chapelle. Accoutumés aux calmes

procédés de Ia recherche philosophique, ils s'in-

terdisent les violences de langage qui prouvent

beaucoup plus le défaut d'éducation, la force du

tempérament ou I'aveuglement de 1'esprit de secte,

que la profondeur réfléchie de la croyance. Qui-

conque nrest pas intolérant est-il donc incapable,

ipso facto, d'avoir une opinion en matière de foi,

de distinguer dans les différents cultes ce qu'ils

ont de bon et de mauvais, de comprendre, de prier


26I

Dieu, de s'élever à une conception religieuse de


la destinée universelle ? Crest ce qui sembl-erait

résulter de la position toute particulière que I'on

fait aux déistes" (25).

N'étant que théosophe, Senancour aurait pu parler .ie


Jésus, de sa diviniÈé. Dans aucun passage des Traditions

morares, dans ces expressions, jeune sage, respectable mo-


raliste, il n'y a droutrage; on ne peut y trouver d'ail-reurs
qu'une opinion et non une négation formelle.

"Tout se réduit à opter entre deux maximes de con-

duite. La vérité est-elle un besoin de notre intel-


ligence émanée de la vérité divine ? Alors on com-
prendra ce mot de lrEvangile : "euicongue fait le
maI hait Ia lumière". En effet, Ia 1umière et Ia
rectitude étant inséparables, hair la lumière, ne
pas vouloir qu'on la cherche avec modération et
bonne foi, ce serait déjà favoriser le mal. Si d.onc
ce principe doit prévaloir, Ie respect pour la vérj_-
té sera une convenance morale, une loi politique,

une nécessité religieuse : tout examen sérieux,


grave et franc sera légit,ime" (26) .

Cet,te idéer. c,est qu'à travers les ténèbres du fétichisme,


les incohérences de Ia superstitions, à côté des dogmes im-
262

posés, des révélations supposées, des inventions ou des pra-


tiques sacerdotales, la pure conscience et la saine raison
nront jamais perdu leus droits, jamais abd.iqué, jamais per-
mis qu'une prescription définitive s'étabrit. Elre était
familière aux écrivains du dix-huitième siècre. on ra Lrou-
ve dans Vo1taire, dans Fréret et plus particulièrement U..r=
Boulanger(27).

Dans les fragments de son apologie, nous trouvons enco-


re re ton de ra défense, calme, modéré, mais d,une invinci-

ble fermeté:

"Quand on ne sépare pas de l,idée de I'ordre f idée


de la vérité, si I'on se propose d'avoir d.e I'influ-

ence par ses écrits, c'est dans l,avenir. Cette


dispositj.on pacifique et silencieuse en quelque
sorte mérit,ait peu d'animadversion. Ecrire sur des
objets importants sans amour de la vérité, ce se-
rait trop descendre', (28) .

senancour aimait à s'érever et dans son érévation cons-


tante, iI voulait entraîner à sa suite lous Ies esprits di-
gnes de chercher Ie vrai et de goûter re bien. cet homme
qu'on a parfois représenté c o r n m eu n d é s e s p é r é r sê réfugiait
vers ra fin de sa vie dans 1a plus haute espérance. Bientôt,

senancour reprit son livre des libres MÉdilaths publié en


263

1819, et s'efforça de Ie perfectionner encore, voulant mon-


trer la théosophie.

Le scandale du procès et le retentissement de I'acquit-


tement avaient été assez grands pour gu,un autre que lui son-
ge à exproiter ce succès. Le souvenir de ce procès fut.évo-
qué à juste titre et avec beaucoup d'à-propos, par salnt,e-
Beuve, le 7 mai 1815, lors de Ia discussion de la Loi sur 1a
Presse.
264

NOTES

CHAPITRE IV

(1) B.Le GalI, op.cit., p.534

(2) Quinet, Le Génie des Religions, È.I, p.]3


(3) T.M., p.296

(4) Ibid., p.95, r.I

(5) R., T, p.150

(6) Obs., p.25

( 7 ) M a d a m ed e S t a ë l , De I'Allemagne, TV, p.195-196, voir


P.l4artino, L'Orient dans la 1ittérature française aux
dix-septième et dix-huitième siècresr êt R.Etiembre,

L'Orient philosophique au dix-huitième siècl_e


(8) Cf. T.M., p.290, voir aussi dans Ia France littéraire,

nov. 1832 : De I'esprit religieux chez un prince, les


considérations sur la sagesse primit,ive et orientale
(p.s78)
(9) T.M., p.101-I02

(10) Ibid., pp.357-358

(11) L'Abeille, 1821, t.III, p.363, in Tableaux chronologi-


ques de I'histoire ancienne eÈ nodernestpar J.-G. Thou-
ret de lrAssemblée Constituante. première

les temps res plus recurés jusqu'à l'ére chrétienn"


(12) Mercure, L823, t.III, p.32I , rL.Z
265

(13) L'Abei11e, 1821, t.III, p.2L4, in Voyage aux Alpes et

en ltalie

(14) Sur Ia perpétuité de 1'Egypte, Cf. Ar., 1808, p.69,D.

(15) t.M., 1819, p.159

( 16) T.M. , p.405

(17) Ibid., pp.404-405, Si I'on le complète, crest Boehme,

Swedenborgr Saint-Martin et Eckhartshausen.

(18) M.Raymond, op.cit., pp.236-237

(19) Voir, Raymond Schwab, Lô renaissance orientale

(20) T.M., pp.282-283

(21) G.A.' p.342

(22) T.M., pp.287-288

(23)-(24) Cité par J.Levallois, S e n a n c o u rI P . 1 4 7

(25) Cité par J.Levallois, op.cit., pp.148-149

(26) J.Leva1lois, op.cit., p.151

(27) Ibid.' p.140

(28) Cité par J.Levallois, op.cit., p.154


266

CHÀPITRE V

LA DERNIERE VERSION DES

LIBRES MEDITATIONS

11 reste encore à étudier une troisième édition des


Libres ltéditatigns. Au lendemain de la seconde édition des
Libres Méditat,ionsr êD 1830, le manuscrit est commencé et
en 1835-1836, ir était rédigé en majeure partie, conme le
prouvent Ies quelques indications de dater ۔ marge des feuil_
lets. Et iI demeure inédit jusqu'à ce que Madame Le Galr

Ie découvre et le fasse publier en Lg7O.

En fait, cet écrit est le fruit d'efforts particuriers


dans Ia vieillesse de Senancour ; scrupuleux, jamais satis-
fait de ses écrits et à prus forte raison de cerui qui était
chargér pâr excerlence, de transmettre sa pensée religieuse
et philosophique, il passa ra fin de sa vie à le retoucher,
à Ie transformer. cetÈe dernière version est très corrigée
267

en comparaison de celle de 1830, c'est-à-dire qu'une nette

évorution phirosophique s'y manifeste. senancour y abandon-

ne un certain moralisme au profit d'érévations métaphysiques,


mais il ne revient, pas au christianisme de 1819, bien qu'elre
prolonge et élargisse considérablement les intuitions db ra
version de 1819.

Par rapport aux deux versions précédentes, celle-ci mar-


que avant tout un élargissement des perspectives avec un apai-
sement spirituel ; elle permet de découvrir chez cet écrivain
une concept,ion profonde de Dieu, de rrhomme et du cosmos.

La rêverie cosmj-guê, constante, atteint avee ces derniers

textes une véritabre plénitude. si elle nous attire, c,est


plus par 1'ampreur de Ia rêverle cosmique que par une pensée
philosophique véritablemenÈ original.e.

certes oberman méditait déjà sur res "astres imnenses",


les Rêygries de 1809 avaient des accents très pascaliens sur
I'infinimenÈ grand et f infiniment peÈit. or rà oùr €n rg3o,

lrauteur semblait un peu essoufflé, étriqué dans son morali-

sme, re métaphysicien essaie d'étendre sa pensée aux dimen-


sions de ilunivers. Devant I'abîme de I'immensité, il sur-
monte l'effroi d'oberman ou de rrauteur des Rêveries de lgog
et parfois encore de f833(1). "L'étendue de I'univers,

écrit-ilr âu lieu de nratterrer, nourrit mon espoir"(2).

Enfin, dans Ia troisième versionr uo passage nouveau sur res


innimbrables demeures qui existent peut-être dans l,univers
268

et que nous ignorerons jusqu'au jour où nos yeux s'ouvriront:

"Au moment de naître, vous ne saviez pas que vous

dussiez partager quelquefois ce qui- vous agrée dans


les incidents de la terre ? Au moment où votie
pensée est sortie d,,un sommeil- inexplicabLe, eI1e
ne se sentait pas appelée à étuaier ou à bénlr Ie
présent. Un autre réveil ne pourra-t-il vous of-
frir un autre spectacre et vous livrer à d'autres
suites d'idées ? Le monde ne contient-il pIus, €t
de nombreux globules planétaires que vous ne con-

naissez pâs, et des demeures très d.ifférentes plus


ignorées encore'(3).

Le contemprateur trouve partout res existences qui écro-


sent ou s'éteignenÈ t il voit aussi dans le d.ésir j _ m m e n s ed e s

cieux, des astres quj. naissent et meurent ; il pense à ,'tant


de sphères inégates où res différents instj_ncts commencent
et peuvent différemment renaître à I'incalcurable durée de
cette organisationr êu grand cycle de l,ordre perpétue1,,(4).
si, ."pour quiconque doit finirr c€ mouvement est, la mort,
pour qui ne finira jamaisr cê mouvement est Ia vie"(S). fI
arrive non seulement à la même vision de la dimension de
I'espace, mais aussi de la di.mension du Èemps:
269

"Le Nil a vu ces longs s j-ècles de I,homme. ( . . . )

Six milIe ans nront pas expliqu[ le songe toujours


reproduit, le songe toujours dissipé ; il flotte
comme une représentation vaine. Durant ces âges
de nos familles laborj.euses, durant ces minutes
de I'univers, plusieurs sol_eils ont pâlir ou se
sont ranimés'(6).

Ai-nsi demande t-il notre accord pour une belle conclu-


sion: "ce que nous voyons de l'univers nlest-iI pas une
transformation continuell-e ?" (7). C o m m el e poète de Ia Ba-
gavad-gÎta, il entrevoit "Ie monde indestructible,,(g). .*r-
"
vers qui n'a pas de commencement, ni d.e fin, 11,ê qu'un proces-
sus où ra loi de la vie est celle du changement, de Ia re-
création, du renouvellement.

cependant le solitaire revient souvent aux angoisses


droberman, lorsqu'il évoque ra condition humaine i I,homme
semble toujours faible dans 1'univers, y passant comme une
ombre, décidé par une destinée qu,il ignore. ltais heureuse-
ment, ir évite ses angoisses avec rrespoir, dans I'attente.

"cetÈe attenÈe paraît démesurée ; néanmoins erle


reste en nous comme une grande promesser êt nous
y croyons devant Dieu. (... ) j'ai 1aissé Ie dou-
te qui aveugle, Ie doute aride ;r(9)
270

Enfin, s'éIève une prière à Ia Vérité au Dieu; "je


t'invoquerai, ô Vérité !"(I0) Pour échapper aux angoisses,

il faut nous attacher à ra recherche du seur "être exi-stant


par lui-même"(11) : Dieu. Dieu est celui justement qui ig-

nore ces transmutations,auxquelles nous sonmes soumis. r1

est 1'être absolu ; Senancour veut dire davantage que la

"substance absolue' de spinoza. Dieu est cerui qui existe,

c'est-à-dire dont l'être se manifeste ; exister, c'est être

au sens actif. L'univers exprime la pensée divine. Nous


pouvons donc approcher Dieu, car I'univers est perpétuel com-
me Dieu. Nous considérons Ie monde comme une manifestation

de la volonté de Dieu, car 1'univers est perpétuer comme

Dieu. rr comprend alors que "dans res prus anciens jours,

I'aspecÈ du monde a dû faire naître des sentiments rerigieux"


(12). En fin <ie compte, senancour pense, "Dieu est Dieu, êt
nous sonmes à lui"(13). C'est tout et c,est suffisant.

Nous trouvons sans doute dans ra dernière version I' a-


boutissement ext,rême des Méditations de 1819. pourtant se-
nancour sembre alors préférer une religion de 1'Esprit à un
spiritualisme chrétien ; Senancour fait ici songer à I,idée
qu'élaborera quelques années plus Èard Vigny.

Le solitaire croiÈ avant tout à un progrès de l,humani--


té ; lorsque I'homme aura disparu de ce grobe, r'espèce hu-
maine sera rempracée par une autre, à moins que senancour
s'érève à des considérations évolutionnistes r profondément
27L

modifiée, elle ne puise émigrer vers drautres astres eL


poursuivre dans d'autres univers son aventure. L'homrne se-
rait doué alors de sens dont nous n'avons même pas ilidée,
drorganes inconnus et d'une pensée dont Ia nôtre, actuel-
lement, n'est que 1'ébauche. Ainsi, I'i_ntelligence humaine
ne "remprira sa destination quren apprenant querque chose
de I'art impérissabre: toute l-oi humaine doiÈ être une suite
de la grande impulsion observée dans Ie cours du monde" ( 14 ) .
rr faut donc se soumettre à l,ordre de Uunivers qui est à
Ia fois Ie Grand oeuvre, 1'art sublime, l,expression perpé-
tuelle de la Pensée. Dans ces réflexions, Senancour sembl_e
avoir enfin trouvé un certain apaisement intérieur. L,an-
goisse devant Ia mort, Èorturante obsession d,oberman fait
prace à un espoir : la survie de r'âme. Finalement, il
croit gue nous devons essayer d,instaurer re règne de 1'es-
prit' pur- "La pensée est ra vraie partipation à 1'exis-
tence"(15), dit-il.

Croyant à Ia permanence de la pensée, iI se plaît aus-


si à imaginer une immense commu'-ion des espriÈs, une sorte
de fusion : "Des intelligences humaj-nes ne peuvent-elles re-
vivrer Dê peuvent-elles se réformer ou se désabuser durant
de longs âges, êt ensuiÈe srendormir, dans ilocéan de I'in-
telligence, subordonnées ? Au moyen de cette circulation,
analogue à celle des eaux, les différentes parties de I'uni-
vers changeraient, êt I'ensemble ne changerait pas"(f6).
272

"Ainsi notre intelrigence entrera en rapport avec cerre


d'autres hommes, €t aussi drautres êtres pensants, venus
d'autres ptanètes. Le solitaire accepte I'idée d.,un inter-
cesseur' d'un intermédiaire gui, nous protégeant durant notre
existence terrestre, nous aiderait à progresser vers Dieu.
on songe, évidemment, à la théorogie chrétienne et au dogme
du Fils intercesseur entre I'homme et le père. I,lais senan-
cour ne peut admettre f incarnation"(17).
273

NOTES

CHAPITRE V

(I) Les Rêveries de 1833 sont encore empreintes d'angoisse

devant I'immensité et 1e mouvement de I'univers.

Cf. p.27-28, 54, 150, L63, L64, 175-L76, 283, 318, 324,

328, 329-330, 331, 337

(2) L.!1. , troisième version, p. 301

(3) Ibid., p.167

(4) Ibid., p.86

(5) Ibid., p.80

(6) Ibid., p.90

(7) Ibid., p.I40

(8) Ibid.' p.301

(9)-(10) Ibid. ' p.302

(11) Ibid.' p.29L

(L2) Ibid. , p.77

(13) Ibid., p.L24

( 14 ) cf . neuvième Méditation
I41:,
(f5) Ibid., p.292

( I6 ) Ibid., p.110

(17) L.M., troisième version, introduction par B.Le gall

p.65 , Cf.vingt-septième Méditation : "Si nous devons

subsister, savons-nous avec quelle intelligence la nôtre


- 274

sera en relation dans d'autres séjours ?"

Nous pouvons entrevoir son mépris sur I'idée de f incar-


nationr pâr exemple dans Ia 30e Rêverie de 1g33, inti-
Èulée Religions :
"on avait supposé, dans le principer euê querque chose
de I'esprit divin descendait des hautes régi-ons en fa-
veur de certains prophètes (... ) Ensuiter pâr ur stupi-
de abus de langage, la divinité elle-même se trouva êcre
un hommee urr animacule, du sang, des membres : I,Unique,

I'Eternel, marchar preura, s'habilla, se l-ava les pieds


Enfant de l'orient ! vous pensez bien que jamais
un pareil délire ne pourrait atteindre not,re Europe :
elle est si instruite".
275

CHAPITRE VI

LE SYNCRETTSME

PHILOSOPHIQUE ET RELIGIEUX

Grand lecteur, collectionneur d'idées, Senancour a ren_


contré des idées ou des thèmes religieux et phirosophiques
chez les Anciens eÈ chez res Modernesr ou même dans res pre-

miers livres qui révèlent à l,occident quelque chose des re-


ligions et des philosophies de I'orient. A ra première lec-
ture, les Libres Méditations nous étonnent surtout par le nom-
bre et ra variété des réminiscences philosophiques. orr un
caractère capital d,e ce livre sembre venir de leur synthèse;
un esprit avide d'unité aime amargamer res systèmes d'origi-

nes très diverses et parfois contradictoires ou voudrait dé-


couvrir un lien, dans ra variété des systèmes qui I'ont atti-
rê ; it est persuadé qu'à ce point de rencontre ir trouvera
Ia vérité. "pourtant il ne faudrait pas croire à un direttan-
276

tisme heureux. senancour est trop angoissé pour que ra rec-


ture drun philosophe ne se transmue pas chez lui en une ex-
périence exisÈentille' (1) .

Drautre partr euand on veut examiner I'origine d.e cer-


taines des doctrines, les matières de ilamargame, ce n'est
pas facile et parfois déraisonnable. car les doctrines peu-
vent avoir plusieurs origines en même temps. Ainsi, d.ans
ce chapitre qui est consacré aux études des sources du ca-
ractère syncrétiste de 1a pensée de senancour, plus que d'af-
firmer de façon péremptoire querles étaient les sources cer-
taines des Libres Méditations, il nous a semblé prus int,é-
ressant de montrer les affinités indéniables qui rapprochent
cetÈe oeuvre de nombreuses pensées.

1. La tradition chrétienne

D'abord, nous pouvons remarquer ra tradition chrétien-


ne ; Senancour ne I'ignore plus dans les Libres tléditations.
Lrauteur des Rêveries ou droberman a connu assez peu 1'Evan-
gile, Ia Bible. Bien que senancour ait été élevé dans une
grande atmosphère de piét,ér €t qu'il aiÈ en très tôt un con_
Èact avec les textes sacrés, nous supposons que ces rectures
furent vite oubliées du jour où I'adorescent décida de sfaf-
fanchir. Mais nous avons vu que I'auteur des Libres l{édita-
277

ti.ons de 1819 a adhéré à un spiritualisme fortement teinté


de christianisme i comme n o u s 1 e s a v o n s d é j à , iI y a dans les
Méditations de 1819 des références nombreuses et précises à
I'Ancien et au Nouveau Testament, une très belle paraphrase
du psaume "superflumina Babyronis". Et à partir de 1g19, se-
nancour ne quitte pas un spiritualisme à Ia fois chréti-en et
théoisophique.

L'influence du christianisme est aussi notable dans ra


dernière version, sur le chapitre de l,éthique. La notion de
grâce, exposée à Ia vingt-huit,ième Méditation, est assez pro-
che de la doctrine chrétienne ; du christianisme, I'auteur
a retenu un enseignement d'humirité, d'abnégation, de mansué-
tude évangélique :

"A une longue d,istance de mon but,, je ne calculerai


pas celle qui pe't exister entre moi, et d'autres
morters retenus par leur mauvais penchants : des
faveurs particulières m'ont protégé sans doute"(2).

Dans Ia Méditation sur I ' o b s c u r i t , é des lois morales, Senancour


nous rappelle qu'iI v a dans Ia Èradition chrétienne une con-
ception mystique de 1 a s o c i é t é des âmes ; crest aussi cel1e
de Ballanche :

"Soyez bons, ê t q u e c e soit sur tout la r aiso n qui


278

vous y porte. Si vous ne vouLiez pas pour l-es

autres ce que vous voulez pour vous-mêmes, vous

agiriez contre Ie principe dês lois sociales, êt

vous cesseriez d'être de vérit,ables membres du

corps dont vous devez faire partie. Soyez sincè-

res, parce que 1'ordre I'exige. Soyez équitables,

parce gue l'equité est Ie lieu de tous les êtres i

instruits, de ceux que nous voyons, êt de ceux qui-

doivent exister, sans que maintenant on le sache"

(3).

Et dans la dix-neuvième Méditation, Senancour rejoint toute

une tradition chrétienne qui fait de I'espérance une vertu

cardinale :

"Mais n'espérer plusr cê serait oublier que peu de

choses sont inconnues, ce serait ne plus s'appuyer

sur Ia force inébranlable. N'espérer plus, crest

me regarder qu'avec terreur Ie renouvellement des

êtres, descendre tout agité dans Ia nuitr s€ sentir

abandonné dans le vide"( ).

Finalement, nous trouvons que des Èraces de Ia tradition

chrétienne sont marquées dans l e s Libres MéditaÈions.


279

2. Platon, Ie Stoi,cisme et Spinoza

senancour est resté fidèle au "subrime" praton. on re-


marquait déjà dès les Générations actuelles, son enthousia-

sme pour lui ; re jeune sceptique des Générations actuerres


ne ménageaj-t pas son admiration pour rui et son pressenti-

ment d'un monde idéar, margré de très profondes dj-vergences,


gardera des traces de Platonisme. Alors ra conception de
la divinité était une des rares à échapper à ses sarcasmes,

où Dieu est essentj-ellement : "L'archétype de tout I'univers,


ce qu'il y a en lui de rée1 et qui constitue son être, sur
Iequel il est mod.elé"(5).

Dans les Libres Méditations, Ie monde se comprend com-

me dans la pensée de Platon : re monde est un "vaste phéno-

m è n e s a n s c o m m e n c e m e n Èn i fin"(6), mais il n'a de réalité que


par rapport à I'idée suprême, à Dieu. parfois même Senancour

semble croire que nos institutions ne sont que des "réminj--

scences" des idées premières entrevues dans une existence

antérieure(7). Nrest-ce pas Ià f influence de platon ?


or si senancour considère re "grand cycle de 1'ordre
perpétuel", c'esÈ une idée à la fois platonicienne et stoî-
cienne. senancour reste marqué par la période stoique de sa
jeunesse, tandis que r'épicurisme ne tient prus la prace qui
lui était réservée dans les premières oeuvres.

Bien que son stoicisme soit beaucoup moins fort qu'au


280

temps des Rêveries, il demeure dans les Libres Méditations

sensible à cetÈe philosophie, surtout dans les vues méta-

physiques et dans les préceptes moraux. L,univers suit un

"pran invariable"(I), manifestation d'une "imperturbabre sa-


gesse"(g). 11 faut s'y soumettre sans faiblesse ; seul ce

"facile consentement"(r0) à r'ordre du monde nous apportera

le bonheur, et la force de supporter la souffrance, car "f im-


patience dans I'affriction est le comble de I'affliction,, ;
nous devons nous persuader d'ailleurs que "res vrais biens

sont au dedans de nous "et qu'j-r est par conséquent absurde


de faire dépendre notre féIicité d'événements qui nous sonr

étrangers. "si nous vivons dans Ie désordre, comment pour-

rons-nous entendre I'ordre généra1 ?"(Il) gt nous trouvons

encore une résurgence du stoicisme teintée de théosophie :

"Sans besoinr sâns travail, sans examen ; prépa-

rant toujours, sans avoir rien à éviter, impassj--

ble auteur des êÈres qui souffrent cependant,,( 12 ) .

outre f influence du stoicisme, I'influence de spinoza


est aussi chez senancour très profonde. Avec Ia renaissan-

ce spinoziste en Arlemagne dans Ia période du sturm und

Drang(1770-1780 environ), re spinozisme est curieusement


fructuant en France au dix-huitième siècle et chacun puise

dans I'Ethique ce qu'iI veut. senancour appartient à la der-


28r

nière génération qui aura vraiment été marquée par Spinoza.

"Tout est indifférent dans la nature, car Èout est

nécessaire : tout est beau car tout est déterminé.

L'individu n'est rien, commeêtre isolé : sa cau-

sêr sa fin, sont hors de lui. Le tout existe seul

absolument, invinciblement, sans autre cause, sans

autre fin que lui-même, sans autres lois que celles

de Ia nature, sans autre produit que sa permanen-

ce"(13).

Ce passage est tiré de la première Rêverie qui est très mar-

qué par Spinoza. Nous trouvons aussi dans les Libres Médita-

tions des traces de Spinoza ; 1a nécessité y apparaît à Se-

nancour conme un c r i È è r e de I'existence :

"Lrexistence des corps paraît douteuse ; s'iIs ne

sont pas nécessaires, ils n'existent pas" ( 14 ) .

Ce qui l'a frappé che2 Spinoza, crest cette présence

d'une nécessité qu'il a d'abord jugée accablanÈe, puis bien-

faisanter pêrcê que c'est le signe de la volonté de Dieu.


282

3. L'hindouisme

En vieillissant Senancour s'est t,ourné vers 1'Orient.

senancour qui a toujours été attiré par 1'hist,oire des reri-

gj.ons srest passionné par la pensée religieuse orientale.

Drautre part, 1'amitié pour Lanjuinaj-s senancour était for-

tement lié avec rui qui contribua si activement au renouveau

des éÈudes de I'hindouisme au début du dix-neuvième siècre

ai-guïse sa curiosité pour I'Inder pour la pensée hindoue.

Dans les Libres Méditations, nous trouvons sans trop de

difficultés les Èraces de 1a pensée hindouiste et de I'hin-

douj.sme. Depuis sa jeunesse senancour était grand recteur

de la Bhagavad-gîta - il a ru ce rivre d.ans Ia version an-


graise de l{ilkins, ou peut-êtrer plus indirectement, d.ans ra

traduction de 1'anglais en français de parraud qu'il a consul-

tée à senlis en 1799. Dialogue entre Arjuna et le Bienheu-

reuxr cê chanÈ trait,e des probrèmes éternels de r'être et d.u

non-être, de I'âme, de la matière, du mal, du renoncement, de

ta béatitude, du mérité et du d.êmérite, du châtiment, de ilim-

mortalité, de Ia Providence. senancour qui pouvait en appren-

dre les conseils et les sagesses, y puise ses idées.

Senancour a parlé dans Obermarr de "sépulcre universel",

une phrase de Bhagavad-gîta. rl trouve la confirmat,ion de


I'intuition qui sraccorde avec son profond pessimisme dans
des légendes hindoues. Senancour ne peut pâs, plus que Ie
283

poète de Ia Bhagavad-gîta échapper à Ia hantise du mal, de

la souffrance et de la mort. La lutte du bien qui se dégage

péniblement, et quir ên attendant de s'épanouir, végète dans

I'angoi.sse, Iui apparaît sous un aspect tragique. Senancour

est Èrop pessimiste' pour accepter que des générations soient

sacrifiées pour la beauté future du monde. 11 semble alors

qu'il se rappelle la doctrine hindoue des avatars, série in-

définie de tâtonnements créateurs, où le démiurge aveugle

prodigue sans les compter, les vaines souffrances :

"Si cette fermentation silencieuse et terrible qui

semble ne produire que pour immoler, (... ) si cette

puissance qui combat le repos et qui promet Ia vie,

broie et pulvérise son oeuvre afin de Ia préparer

pour un plus grand dessein, si le monde où nous pa-

raissons nrest que I'essai du monde,(... ) cette

surprise que le mal visible excite en nous ne pa-

raît-elle pas expliquée ? (... ) Nous passons à

1'heure de désastre, ,mais iI te fallait (... )"(15)

"Voilà ce que les anciens pressentaienÈ,', ajoute-t-il ,'ils


;
conservaient Ie sentimenÈ de la détresse de ra terre". cette

idée vaste eÈ profond,e a produit res institutions des pre-

mieres âges qui durèrent dans Ia mémoire des p",rpf.=, comme

le grand monument d'une mélancolie sublime i crest-à-dire


284

l-eur mérancorie sublime s'exprimait dans reur institutions

mêmes.

Les Hindous respectent cependant La métempsychose dans

Ia doctrine de 1'écoulement universel. senancour est dis-


posé à accepter cette doctrine. Le solitaire des Libres Mé-
ditations dit :

"Vous posséderez ces avantages, si votre attente

et votre conduite, Si toutes vos pensées restent

soumises à la loi qui cessant alors d,être tout à


fait impénétrabler peut vous ménager, après la vie,
drautres épreuves, drautres occasions de perfection-

nement"(f5).

Pour les indiens, l'homne, hantée par ra crainte de la


réincarnaÈion sans fin, se voit abandonné au cercle des re-
naissances qui s t ajoutent res unes aux autres comme res an-
neaux d'une chaîne pesante et interminabre. captive du monde
matériel, 1'âme aspire donc à la délivrance. Afin de pouvoir
envisager l'évasion, Ia pensée indienne est amenée à considé-
rer que re monde phénoménaI n'est qu'une ilrusion(mâyâ) dont
iI suffit de percer Ie caractère harrucinatoire pour ra voir

s'évanouir. senancour atteint dans les Libres Méditations


la même pensée.
285

"Croyez au prodige mystérieux de I'universelle

apparence"(17).

Lrexpression du monde qui est re "prodige mystérieux de


1'universelle apparence", semble venir tout droit de 1a Bha-
gavad-gîta. Attiré par ce thème de l,apparence, Senancour
considère Ie monde conme un "phénomène" une manj-festation

de Dieu. Peut-être, d,ans cette notion de "vaste phénomène,',

de "phénomène général", peut-on voir, également le souvenir


de Praton et de v.cousin. c'esÈ aussi une idée concordante

avec celle des Taoistes qui croient à un monde refrété î

"pour eux, I'homme Iui-même faiÈ partie de f illusion qu,est


Ie monde". Le "monde, (...) c'est un signe mobile de I'in-
variabre voronté ; c'est ra parore première, dont 1'explica-
tion nrest exacte pour aucun mortel, c'est un reflet de ra
grande lumière ; c'est 1'apparence sans bornes"(19).

Drautre part, Schopenhauer aimait, dans Ia pensée hin-

doue, précisément ce qu'en avait aimé senancour : "L'homme,


est-il dit dans Le monde comme volonté, esÈ Ie libérateur de
tout le reste de la nature, qui att,end de lui sa rédemption,,
(19). Le monde se résorbant dans re néant par la voLonté de
Uhomme converti à Ia sagesse, cera aurait été pour ilesprit
circonspect de senancour un système bien avenÈureux : maj-s,
au terme de son pessimisme mystique, re nirvana rui apparaît
comme le plus haut désir du philosophe ; et iI lui arrive de
286

sry exercer. Ainsi i] échappe au leurre universel, sensibre


surtout dans l,amour, dont il parle comme Schopenhauer :

"L'action de la naÈure est seulement de changer et de mou-


voir, êt iI semble que sa fin ne soit autre chose que re tra-
vail des êtres. Elle excite I'homme à produire souvent un
autre homme r et elle lui inspire sans cesse de se détrui-re
Lui-même. crest dans la voie de ra vie qu'erre re mène à ra
tnort ; et c'est quand i1 croit atteinore une énergie plus
';rande, gu'elle détruite par 1à cette mobilité vivante dont
La jouissance est la perte"(20).

Nous trouvons final-ement un auÈre affinité avec 1a Bhaga-

)@!c dans ra définition de Dieu. Dieu est dans res Libres


'@Egti""= essentierlement c'est certaine-
"incorruptibre".
lnent une expression empruntée des Dialogues de Kreesna et
'i'Arjuna(Arjoon) : "Apprends que celui par qui toutes choses
()nt été crées, est incorruptible, €t que rien n,est capabre
'le détruire ce qui n'est pas suscepÈible de destruction,, (2r).

*
**

l'lais quand Senancour s'est voulu plus moraliste que


Inystique, il se détourne de Ia métaphysique de I'Inde qui
s'accordait avec son sentimenÈ de I'irlusion universerle et
tl s'int,eresse dêsormais à la morale religieuse de chiner par
axemPle, Ia sagesse de Kong-Tsé et Niou-Tao.
287

Dans les Libres Méditations nous trouvons une mention de

Ia sagesse du Philosophe chinois Confucius : ',Un sage de I'O-

rient(Confucius) voulait gu'on s'examinât bien soi-même et

gu'on regardât les auÈres avec plus d'indulgence"(22). Et

il fait allusion à confucius dans un autre passage : "Agrissez

envers vos semblables comme vous voudriez les voir agir à vo-

tre égard. La charité et la justice se trouvent réunies dans

cette parole gui, à 1'époque où elle fut reproduite ainsi pa-

raissait déjà remonter à des jours presqu'oubliés'(23).

voltaire rappelait dans I'Essai sur les moeurs dont senancour

se souvient certainement, cette parole de confucius. Le nom-

bre "vingt-cinq siècIe" est un peu approximatif i nous sup-


posons qu'i1 a peut-être été attiré au confucianisme par vor-

tairer pêrcê qu'iI tente bien d'expliquer dans les Annotations

encyclopédiques, les pensées de Confucius dans I'oeuvre de

Voltaire.

4. Voltaire

Les philosophies français du dix-huitième siècle qu'iI

a fréquentés exerce naturellement une infruence. vortaire,

Rousseau, Ivlontesquieu, Condillac, Buffon, Bernard.in de Saint-

Pierre et Diderot sont notamnent ses maîtres. or dans sa ma-

turité, I'influence de Voltaire semble I'emporter définitive-


288

ment, sur celle des autres écrivains en particulier dans

Ie domaine de Ia pensée religieuse. L'article consacré à ce

philosophe est un des plus longs des Annotations et rend hom-

mage à 1'universalité de ce génie. D'ailleurs les Rêveries

de 1809 s'indignaient du discrédit dont certains voulaient

fapper Voltaire(24). Et en 1834, Senancour écrivit dans Ia

France litÈéraire un article vigoureusement raj.sonné sur I'a-

théisme imputé à voltaire(25). 11 y prend Ia défense du sage

de Ferney contre les attaques dont il était l'objet.. Sa con-

clusion était la suj-vante : "Quant à Voltaire, il a pu n'être

pas assez religieux, mais il I'a été sincèrement"(26). Cet-

te défense prouve autant que Ia fidélité de Senancour, sa

connaissance et sa compréhension de I'oeuvre voltairienne.

A vrai dire, la religion de Senancour a beaucoup de ca-

ractères voltairiens. "I1(Voltaire) a juré de détruire la

foi dans le Dieu incarné"(z7). Senancour nra pas fait du

Christ une figure mythique et sublime, comme le risqueront

maintes épopées romantiques et les poèmes d.e Vignyr ou de Ner-

val. Mais iI a conme Voltaire essayé de désincarner, autant

qu'iI était podsible, le Dieu chrétien. "La crise religieu-

se du dix-huitième sièc1e fut une crise de f incarnation" (28),

dit l,l.René Pomeau. Senancour appartient bien au siècle qui

I'a vu naÎtre. Le Christ n'est pas Dieu ; iI n'est pas non

plus Ie symbole de I'humanité t il est simplement un "jeune

Sage" qui prêcha au bord du Jourdain, tandis que d'autres


289

priaient, sur les rives du NiL ou du Gange.

D'autre part, si Senancour est obsédé par Ie problème

du mal- dans le monde, cela lui vient d'un thème voltairienne.

Mais leurs affinités sur ce thème prennent fin, car ce thème

s'est métamorphosé chez Senancour. Senancour j-gnore le re-

mède que voltaire a trouvé contre I'angoisse : 'rsa ressource

est de fuir Ie pessimlsme dans ].'actj-on'(29 ) . Le sol-itaire

a Ie caractère souvent très sombre dans ses méditations mal-

gré les périodes d'espoir et de confiance et le désespoir de

sa jeunesse est toujours prêt à reparaître.

En outre, le déisme de Senancour se situe assez fidèle-

ment dans la tradition de celui de Voltaire. L'auteur des

Libres MéditaÈions rêve d'un théisme pur de tout dogme : iI

atÈeint à une "libre adoration" qui fait également songer

à ce1le de Rousseau et de ses disciples qui est moins senti-

mentaler plus rationnelle, et se garde de tout attendrisse-

ment un peu facile.

C o m m en o u s I ' a v o n s déjà vu, I,'influence de Voltaire a

été certainement notable dans 1'élaboration d'un 'fmysticisme

de Ia lumière". C o m m eI ' a très bien montré M.René pomeau,

vorÈaire propose une mystique de la lumière : "la rumière ma-

niseste Dieu" i "si I'on veut comparer Ia Divinité à quelque

être existant, crest la lumière qu'iI faut choisirr pêEC€ guêr

comme Dieu, la lumière agit part,out" (30). S'y opposent les

"ténèbres" du fanatisme et de I'ignorance, car Ie mysticisme


290

des lumières est chez voltaire une mystique de ra Raison.


Or, Senancour répète des phrases de Voltaire :

"Le mysticisme des lumières est évidemment une

mystique de la raison t et cette mystique condamne


en I'homme tout ce qui n,est pas raison,,(3I).

Et dans 1a neuvième lléditation, il nous enseigne aussi à se


conformer sans faiblesse à"r'inviorabre raison" q!:i nous per-
mettra d'accéder à Ia lumière.

5. Saint-Ivlartin et le XIXe siècIe f rançais

Attaché à Ia philosophj_e des Lumières, Senancour demeu_


re fidèIe aux maîtres de sa jeunesse. senancour n'est pour-
Èant pas isoré dans sa génération. rr se rattache ainsi à
ra génération d"'hommes de désir", fortement marqué par re
Philosophe inconnu.

L'influence de saint-Marti-n est chez lui très évidente.


Saint-Martin aura été médité, approfondi pendant toute la pé_
riode où s'élaborent res Libres lléditations. Le titre même
de ilouvrage : Libres mêditati:ons d'un solitaire inconnu,
constitue à lui seul une rêférence au "philosophe inconnu".
29L

La fin de Ia septième Méditation semble faire une allu-

sion à ces "ateliers de régénération", d.ont parlait déjà

Oberman ; mais dans les Libres Méditations, I,essentieL de


il influence martj-niste nous paraît se ramener à deux thèmes

capitaux : celui du "désir" et celui de ra "parole,'. senan-


cour est plus que jamais un "homme de désir". Nous rencon-
trons souvent le mot emprunté ( 32 ) à Saint-lvlartin et des phra-
ses où 1'écho de saint-Martin est bien sensible. Le désir
de Dieu désormais aimante ilexistence du solitaire ; il est
sa raison d'être, la preuve que tout ne périra pas en nous.

ce "pressentiment des hautes vérités" est par lui-même une


preuve de l-'existence d'un au-delà. "se peut-ir que re dé-

sir m'ait abusé, gu'une sagesse dj-vine ne nous protège paS,


que 1es traces du vrai nous échappent ?" s,écrie le solitai-
re quand iI craint de retomber dans les ténèbres. or senan-
cour, conÈrairement à la plupart des Romantiques, connaissait
davantage lrEsprit des choses que I'Homme de désir. 11 y a
trouvé un exposé systématique du rôIe de la parole, exposé
donÈ iI a su tirer profit. rr avait pu méditer en effet cet-
te déclaration essentielle de saint-tr{artin, qui est à ra fois
I'affirmation d'une mysÈique et drune métaphysique :

"La parole a pour objet d'effectuer et de réali-

ser continuellement les fruits de la pensée et de


faire développer le germe des choses. VoiIà pour-
292

quoi, dans Le style, les images, Ies figures ont


tant d'empire ; et en effet, plus e1les sont for-
tes et grandesr plus el1es nous charmentr pâïcê
qu'alorsr plus elles semblent nous rapprocher de
ce but pour lequel elles sont faites. Montons de
1à à f idée de I'éternel1e paroler Çui réalise per-
pétuellement l'être à ses propres yeux, et qui Ie
rend sans cesse le témoin et l'admirateur de sa
propre majesté effective, et nous aurons Ie tableau
vivant des véritables droits de 1a parole" ( 33 ) .

Barlanche écrivait de même : "La parole a je ne sais


quelle force inconnue qui nous entraîne au-derà de nous-mêmes;
elre est conrme un lien mystérieux qui nous engage plus que
nous Ie voudrions"(34). une telre conception de ra parole
s'apparenÈe d'aiIleurs à la tradition chrétienne, la plus
ancienner puisque le FiIs de Dieu est Verbe. Donc ; dieu
nous a donné 1e don de la parole, ce Verbe qui est notre vé-
ritable rédemption êt, par notre intermédiaire, celle de I'u-
nivers dont les obscurs symboles ne prennent vie que par les
mots de Uhomme. ce sont 1à des thèmes essentiels à la ré-
flexion romantique et un des thèmes principaux des Libres Mé-
ditations.

Ainsi, nous pouvons dire qu'il appartienÈ bien à Ia gé-


néraÈion dr"homnes de désir" _gui reviennenÈ avec préd,ilection
293

sur quelques-uns des grands probrèmes de 1'humanit,é. D'ail-


leurs, nous pouvons prouver que senancour n,est jamais isolé
dans sa génération. parmi ses quasi-contemporains, res phi-
losophes que senancour a le mieux connus et dont il a subi
f infLuence dans son évol-utj-on spirituelle sont notammenc
Victor Cousin, Ball-anche, Benjamin Constanc.

Les Annot,ations e.ncyclopédiques nous apprennent d'abord


que senancour avait lu res Fragments phirosophiques de vic-
tor Cousin. En fait, certaines affi-rmations des Libres Mé-
ditations sont très proches de cerles des Fragments : Dieu
est "I'idée essentielle, I'idée de tlexistence absorue" i
"I'idée seule participe de I'existence absorue,,, leitmotiv
de prusieurs méditations. or, dans res Fragments, re sori-
taire avait pu lire cette définition des rapports du fini et
I'infini, de I'être absolu et du Moi :

"L'infini par rapport au fini est I'être absolu,


théâtre immobile de ce phénomène agité, de cette
lutte du moi et du non-moi gu'on appelle,la vie.
Le moi, crest I'individualité, le non-moi, c'est
la multiplicité ou la pluralité, l'être, c'est
1'unité absolue. L'infini, I'être par excellence,

I'uniÈé absolue, contient d.ans son sein et Ie moi et


Ie non-moi, Ia dualité primitive et son reflet,
lui communique l,unité qui Ia rend possible, uni-
294

té de conscience qui devient 1'unité de connais-


sance, laquelle devient I'unité de proposition"(35)

Dfautre part, certaines expressions des Méditations


semblent avoir été directement empruntées à Ballanche, en
particulier Ia "régénération',, le "moyen social de régénéra-
tion". Ballanche était alors un des rares amis de senancour.
Tous deux étaient mystiques, tous deux interprétaient r'éni-
gme du monde à r'aide des clartés qu'ils croyaient recevoir
de leur propre destinée. Ensuite, ils aspiraient, tous les
deux, à I'union de toutes les âmes rerigieuses, I'un dans le
catholicisme rajeunj- et purifié, 1'autre dans une doctrine
concilatrice, à laquelle iI croyait tous les catholiques d'é-
lite prêts à adhérer.

senancour avait aussi connu personnellement Benjamin


Constant. Chez I'auteur d.e La Religion, il a certainement
trouvé la confirmation de certaines idées qui lui étaient
chères, particulièrement celle de ra spécificité du sentiment
religieux.

"Si donc iI y a dans Ie coeur de I'homme un senti-

ment qui soit étranger à tout Ie reste des êtres


vivanÈsr et qui se reproduise toujours quelle que
soit Ia position où I'homme se trouve, nrest-iI pas
vraisemblable que ce sentiment esÈ une loi fonda-
295

mentale de sa nature ?"(36)

Cette "Ioi fondamentale de notre nature" exprime une inten-

tion originale et irréductible qui apparaît J-orsqu,on la com-

pare à une aut,re l-oi également fondamental-e de notre na-

ture, celle de "f intérêt bien entendu". senancour n'avait pas

pu ne pas approuver ces lignes. Benjamin Constant essaie

certainement de définir ce sentiment religieux en des termes

qui sont très proches de Senancour :

"Le sentiment religieux est Ia réponse à ce cri

de I'âme que nul ne fait taire, à cet éIan vers

f inconnu, vers I'infinir eue nul ne parvient à

dompter entièrement" ( 37 ) .

De plus, comme Benjamin ConstanÈ, Senancour a tenu à

distinguer Ie sentj-ment religieux des formes qu,il prend(38);

conrmelui, iI a été persuadé que le sentj-ment religieux n'a

triomphâ'vériÈabrement que dans les époques "où ra liberté

fut sa compagne" ( 39 ) .
296

NOTES

CHAPITRE VT

(1) L.M., troisième version, Introduction par B.Le ga1l,p.35


(2) L.M., troisième version, p.277

( 3 ) Ibid. , pp. 156-157

(4) Ibid., pp.192-193

(5) G.A.,p.118,n.a. platon est cité également p.125


(6) L.M., p.168

(7) Ibid., p.290

(8) Ibid., p.110

(9) Ibid., p.130

(10) Ibid., p.L92

( 11) Ibid., p.219

(L2) Ibid., p.133

(13) R., I, p.20

(14) L.M., p.140

( 15) Ob. , II, p. 199

(f5) L.!!., p.164

(17) Ibid. ' p.148

(18) Ibid., p.L22

( 19 )- ( 20 ) ciÈé par J.t'terlant, Senancourr p.I04


(2L) La È-Geeta ou Dial s de Kreesna e t d ' A r oon,
Londres, L787, p.35. Voir aussi p.LZ7 t "L'être Lncor-
297

ruptiblefr.

(22) L.M. , p.248

(23) Ibid., p.260

(24) R., rr, p.151, n.


(25) La France littétaire, L834, t.XIII, pp.351-364
(26) J.Levallois, op.cit., p.I25

(27) René Pomeau, La religion de Voltaire, p.45g


(28) rbid., p.458

(2g) Ibid., p.45 7

( 30 ) Ibid., p.415

(31) L.M., p.350 , Cf. René Pomeau, op.cit.,p.415


(32) Cf. L.M., p.232 et p.286

(33) Paris, Laranr ân VIII, t.I, p.I79


( 34 ) antigone, p.161

( 35 ) Paris, L a g l r a n g e , d e u x i è m e é d . , 1 8 3 3, p . 3 5 2

(36) Paris, Pichon et Didier, 1830, t.I, pp.2-3


(37) Ibid., p.29

(38) cf . : "Le sentiment religieux naîÈ du besoin que Uhomme


éprouve de se mettre en communication avec res puissances
invisibres. La forme naît du besoin qu'ir éprouve égare-
ment de rendre r6guriers et permanents les moyens de com-
munication qu'il croit avoir découverts"(De Ia Re1igion,
T.I,p.40). Voir aussi : Les éçEivains devant Dieu,
Benjamin Constant(IVr "Sent,iment religieux" eÈ "Formes
religieuses") , par H.Gouhier
298

(39) Paris, Pichon et Didier, 1830, t.f, p.59


299

CHAPITRE VII

"ETERNITE, SOIS }lON ASILE''

L'essentiel de Ia vieillesse était justement pour'Senan-


cour la vie int,érieure dont t,émoj-gnent les Libres Méditations.
11 vivait très retiré, en ermite, rue de 1a Cerisaie, aux
confins du Marais, et rien ne vient interrompre une existen-
ce sj.lencieuse, cachée, sinon Ie bien tardif sourire de 1a
gloire en 1833(1). on en trouvera un témoignage dans ces
feuillets inédits :

"Nul ne cherchera, écrit Senancour, dans les pays


que j'ai pu traverser, d'autres vestiges de mes

Pâsr et si quelqu'un y songeaitr cê serait en vain:


les lieux m'ont vu et personne n,a su mon nom,,(2).
300

sa viellesse n'est pas pourtant une période de sécheres-


se désolante, conme on l'a rongÈemps cru. sa brève notorité
en 1833, rui permit de t,rouver enf in des éditeurs pour se
charger d'oeuvres très remaniées ou de textes nouveaux ; il_
fait réediter les Rêveries et oberman en 1g33 et des textes
neufs, le curieux petit vocabulaire de simpre vérité en 1g34
et rsabelle en r833. senancour s'était alors concentré dans
une seule pensée : la recherche. sa pensée semble être restée
vraiment active jusqu'en 1841 où ir a écrit
-D e l a R e l i g i o n
éternelle.

Avant tout le grand travail de la vieillesse de Senancour


avait été de mettre au point une troisième version des Libres
Méditations, si différente de celle de Ig30 qu'il s,agit en
fait d'un rivre neuf . 'L'impressj-on de ce manuscrit, très
corrigé, était depuis rongtemps son idée dominante, re seul
intérêt qui re rattachât à Ia vie", nous apprend sa firre(3).
on Èrouve dans une rettre de senancour à Ferdinand Denis le
même témoignage :

"c'est ma prus grande affai.re, I'affaire de ma vie.


C'est à présent mon livre. Non qu'iI soit ce qu'il
faudrait désirer. Maisr ê n s u p p o s a n t m ê r n eq u , i l ne
lremporte pas un peu sur 1es autres, du moins, iI
va beaucoup plus au but. oberman et les Rêveries
préparenÈ seulement les voies. D'ailleurs, si ilun
301

d'eux a réellement de I'avenirr c€ doit être Llbres


Méditations" (4).

En fait, Senancour a consacré tous ses efforts à une


troisième édition des Libres Méditqtions. rnfirme, malade,
cloué à son lit, bientôt ne pouvant même plus écrire et dic-
tant à sa fiIIe, il entonne dans ce livre l'hymne d'espoir
tendu et sublime que seuls peuvent chanter ceux qui ont con-
nu le véritable désespoir. or senancour qui n,avait jamais
pu trouver un éditeur, le confia peu avant sa mort à un jeune
professeur allemand, espérant que le pubtic serait
aermanique
plus apte à apprécier cet ouvrage philosophique. Mais il n'a-
vait plus de nouvelles du professeur, ni des Libres ir4édita-
tions - c o n r m en o u s r e s a v o n s d é j à , cette troisième version
des Libres Méditations a seulement été publiée en t97o par
I v l a d a m eL e G a l l qui I'a découverte en Finlande. Ainsir euand
le manuscrit, auguel il attachait un extrême intérêt et qui
conÈenait un texte quasi nouveau à force d'être refondu, fut
disparu, le chagrin qu'ir en'éprouva devait être I'une des
profondes désolaÈions de sa vieillesse.

Pourtant, senancour ne se découragea poinÈ et se remit


à écrire un ouvrage intituré De ra Rerigion éternelle.
Or cette année-là, iI vint habiter sur la place Royale et il
eut le chagrin de voir brûIer ce manuscritr pâr inadvertance,
au cours du déménagement. rl est dommage que nous ne puis-
302

sons pas lire cet ouvrâgê, bien qu'J_f soit difficile de pen-
ser que ce texte nous eût révélé des perspectives plus rar-
ges que cerres qui s'ouvrai-ent naturellement à lui depuis
I'époque d'oberman. De toute façonr on pense que c'était
le développement de sa belle pensée : ,,La religion est la
morale dans f infini". 11 aurait murmuré : "voilà qui mar-
que le sceau à ma vie manquée,' ; et sa fi1le explique que ce
fut "l'accomplissement de sa vie perdu"(5).

s'iI avai.t rêvé d'être législateur et d'étabrir un gou-


vernement idéal dans une îIe sauvage a vingt ans, au moins
par ses écrits, une rerigion pure, une religion sans dogmes,
sans culte, sans crergé i on rattachera à ce même désir res
nombreu* conseils pédagogiques que contiennent res Libres
Méditat*ons. De plus, Senancour demandait que l!on ne pro-
fite pas du dernier instant pour Iui imposer un prêtre.
on sait bien que senancour avait souffert dès sa jeunes-
se de troubles nerveux et d'affections voisines de la goutte.
Dans ses dernières années, ces maladies avec les infirmités
dues à la vieirresse lui ont donné beaucoup d.e doureur; ses
souffrances furent parfois si vives qu'iI songea au suicide.
11 sent désormais ilombre de ra mort qui vient vers Iui.
Mais on voit un courageux qui sravance vers Ia mort, ,,combat_

tant tous les jours"(6). II croit que "la mort ne serait qu


gu'un réveilr ou une transf,ormation,'(7). II n,a plus d,ef-
303

froi devant Ia mort. Mais s'il y a quelque chose qu'iI re-


grette, c'est qu'il ne peut pas réaliser ses chimères : Ia
plénitude de 1a pensée, 1'ami idéa1, 1e soleil et 1e ciel

immense. senancour a imaginé des fins plus intrépides ou prus


conformes à ses aspirations profondes, mais tout rui est re-
fusé en cet ulÈime instant(8).

Lorsque, Ie 10 janvier 184G, il expira dans une maison

de santé, à saint-cloud, la dernière recommandation adressée


par rui à son fils et à l'excel-lent Ferdinand Denis, fut
d'inscrire sur sa tombe ces paroles qui résumaient toute sa
vie j-ntellectuelLe et morale, et qu'on y peut lire encore :

"Eternité, deviens mon asile l"(9).

Les deux termes d'une opposition qui paraissait irréduc-


tibre' il- fait ici re voeu de les rapprocher, de les unir.
C'est en réalité sa seule prière, elle postule Ia fin de la
dialectique qui a soustendu, si elle ne I'a pas déchirée,

toute son existence. Le mouvement qui rui a fait désirer de

"changer d'espérance", de changer de monde, a ici son corré-


latif. Longtemps, iI a été partagé entre Ia vision de Ua-
bÎme de I'espace et du temps, êt Ie besoin d,,un asile où,,se
circonscrire" pour regagnerr pâr urrê insertion dans une na-
ture partout sensibilisée, le lieu d,un bonheur primitif qui
fut donné à I'homme sous un ciel antérieur. L'Eternité, où
le temps est érevé à la puissance de I'rnfinir êst le rieu
absoru, insondable et sans limite. Le dernier senancour ne
- 304

pense pas quril puisse être pour lui un autre asile qu'au

sein mêmede I'abîme, où réside "Ia Sagesse", au-delà du-


quel est "la Vérité inal-térable"(10).
305

NOTES

CHAPITRE VII

( I ) Les romantiques s'avisèrent soudain de découvrir en rui


un précurseur. Deux articles de saint-Beuve, un de Geor-
ge sand, un autre de philarète chasles Ie mett,ent en ru-
mière.

(2) L.M. , 29e Méditation

(3) Wotice biographique, publiée par G.Michaut, Senancour,


Xes amis et s g E _e r r 1 1 e m i . s ,p . 1 3 7

(4) Le Mariage et la vieillesse de Senancourrpêr A.Mongond

pp. 62-63

(5) Cité par J.Merlant, p.51

(6) L.l{., p.573

(7) Ibid., p.140

(8) Voir B.Le Gall, L'imaginaire chez Senancourr p.57g


( 9 ) L.M. , troisième version, p.292

( 1 0 ) ! 1 .R a y m o n d , o p . c i t . , p.246
CONCLUSION
- 307

senancour n'est pas athée. 11 sembre seulement 1,être

quelquefois. Mais s'iI a dû résister à la tentation de 1'a-


théismer c€ n'est qu'au début de sa jeunesse. Nous nous
rappelons ce qu'était dans les premiers âgesr sê prière con-
ditionnerle au dieu inconnur âu dieu absent. rr y a aussi,

en note des Générations actuerles, un aveu assez clair où


I'auteur évoque les raisonneurs, au nombre desquels il sembre
bien être tenté d.e se ranger : "euel mal font à r'Etat quel-
ques raisonneurs isolés gui, pour le désespoir de leur vie,
croient qu'i1 n'est ni providence ni avenlr?"(I) néanmoins,
cette phrase ne doit pas encore être consj.dérée conrme la né-
gation absolue de tout Etre ou principe Èranscendant. Nous
trouvons un peu après, aux dernières pages de la dernière
Rêverie de 1809r eu€ senancour affirme avec une assurance
récemment acquise, n'avoir jamais cédé à un athéisme vérita-
bre; enfin, une sorÈe de profession de foi s'y trouve égare-
ment :

"Je ne me suis point fait un dieu ridicule (... ) i


je n'ai pas cherché Dieu dans les images que les

artisants fabriquent mais je I'ai adoré dans I'uni-

vers (...). L'Eternel est, s'iI n'était pas, rien

ne serait. (... ) Dès mon enfance je me suis senti


sous I'oeiI de I'inaltérab1e vérité i,, (2)
308

Senancour s'est pourtant révo1té conÈre Ia religion

traditionnelle dont iI a surtout connu des formes bien dé-

plaisantes : étroitesse d'esprit, hypocrisie ; à ce moment-

1à, plus Ie sentiment religieux s'accentuait crrez Iui, plus

se manifestait son antipathie contre Ie christianisme.

Cependant, il sent avec une extrême acuité I'angoisse des pro-

bIèmes métaphysiques ; Ia menace d'un univers sans significa-

tion et sans Dieu, une vision aiguë d.e Ia nécessité indiffé-

rente et inhumaine des choses. Senancour croit que cette sor-

te d'angoisse esÈ d'essence philosophique, donc il ne veut

pas que ces problèmes soient posés par aucune religion éta-

blier pâr aucun système. Ne croyant plus à Ia religion, ne

pouvant rien par sa raison, il s'épuise ainsi dans 1'ennui.

Enfin c}:ez Iui, nous trouvons le besoin d'un bonheur

primitif qui fut donné à I'homme sous un ciel antérieur et,

d'autre part le désir passionné vers un autre monde que le

monde présent qui- le dégoûte et 1'accable, vers un ailleurs,

vers un absolu. Ivlais malheureusementr pêr Ie conflit conti-

nuel enÈre Ie désir et Ia réalité, cette aspiration ne se

résout pas facilement dans Ie sein de Dieu. D'ailleurs, les

autres conflits entre Ia raison et Ia sensibiliÈé comme fon-

dements de Ia croyance en Dieu rendent difficite la communi-

cation avec Dieu.

En tout cas, il entrevoit le Dieu qui n'existe qu'en

fonction d'un rêve de régénération terrestre et dans Ia me-


309

sure où il est garant de Uaccomplissement de ce rêve, faute

de quoi le postulat même de son existence s,évanouirait.

"Salut, jeunes amis de la vérité sublime, de ce1le


qui ne se manj.feste que dans un grand éloignementi

salut au nom de cette lumière voilée à jamaj-s dé-

sirable"(3).

ce Dieu lointain est Ia figure de il inaccessibre idéal- hu-

main dans lequel 1'écrivain communie avec ses lecteurs.

Cependant dans les Libres qégtle!èen_q qui sont pleines

d'affirmations spiritualistes, ra conversion de senancour


paraÎt tout à coup décisive. rl est sans doute alors chré-
tien de désir et un mystique. !!ais dans la deuxième édit.ion

des Libres Méditations, son attitude religieuse a déjà chan-


gé ; sa pensée s'est très nettemenÈ laicisée. D'autre part,

senancour qui s'intéresse aux traditions morales dans les


divers pays, recherchant reurs doctrines et aspirations se-
crètes est envoûté surtout par res traditions morales et
religieuses dans des pays d'orienÈ. De plus, ir rêve d.'une
uniÈé religieuse et désire fortement instaurer une rerigion

épurée et universelle.

Dans sa vieillessersenancour a fait querques démarches


pour entrer à 1'Académie des sciences morales, mais les a
à Ia fin abandonnées. euand ir sut qu'ir pouvait y avoir
310

équivoque sur ses dispositions religieuses, quand il sentit

que des amis au zèIe indiscret, peut-être Ballanche, en pro-

fiteraient pour Ie montrer tout prêt à se soumettre, il écri-

vit une longue profession de f.o!, où il protestait de son

absolue indépendance :

"Je ne voudrais, y disait-il, ni être approuvé par

erreur, ni, d'un autre côté, être soupçonné de ten-

dances secrètes, d'arrière-pensée d,esprit de par-

ti. J'observe doncr pour ceux de qui je n,ai pas

I'avantage d'être connur euê je n'insiste qu'en

faveur des religions indépendantes de tout dogme,

de tout système sacerdotal"(4).

Dans ses dernières années, iI ne voulait s,enfermer

dans aucune Egrise particulière, les regardant t,outes comme

des moments successifs de l'esprit humain dans re temps et

dans ]'espace. Pour Iui, sa foi était fondée sur cette no-

tion de permanence.gui, selon qu,on lra remarqué, aurait pu

Iui servir de devise : "celui qui médite sur l'éternité,

a-t-il écritr n€ sera point Ie joueÈ du temps"(5).

On voudra peut-être chercher dans les oeuvres sans ces-

se remaniées de senancour une ligne d'évolution de son sen-

timent religieux. tt{ais nous concruons que c,est très diffi-

cile de ilatteindre. La pensée de senancour ne se veut ja-


311

mais un aboutissement, elle se meut sans cesse. Nous devons

simplement nous satisfaire d'une expression très simple et

rapide de Sainte-Beuve : "plus religieux en vieillissant" (6) .

Ainsi, nous ne trouvons pas chez Senancour une foi théocen-

trique quelconque; et sa croyance ne s'exprime pas sous une

forme unique. Mais personne ne peut affirmer qu'il est ir-

religieux.
3L2

NOTES

CONCLUSION

(1) G.A., p.165

(2) R., II, p.121

(3) R., éd. de 1833, p.17

(4) Cit,é par J.Levallois, Senancour, p.187

(5) Cité par J.Levallois, op.cit., p.200

(6) SainÈe-Beuve, Chateaubrland et son groupe, È.I, p.358


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précédée d'une introduction par Zvi Levy, Genève; Librai-

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Libres Méditations d'un soritaire inconnu, sur divers objets

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de Boisjolin, 1830

Libres Méditations, troisj-ème version, édition critique avec


introduction et c o m m e n t a i r e p a r Béatrice Le gaII, Genève,
Librairie Droz, L97 0

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Ouvrage réédité en L827

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collection ressources, 1980

De Napoleon, Paris, Beaupré, lBI5

B. ARTICLES

(Nous ne mentionnerons que les articles que nous

avons cités dans notre étude. pour une bibliogra-

phie générale des articles écrits par Senancour, on


se réfèrera à B. Le gall : L'imaginaire chez senancour,
t.II , p.624-639)
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1821' T. rrr' p.207'2L6 : voyage aux Arpes et en rtalie

1821, T. rII, p.360-370 : Tableaux chronologigues de I'His-


toire ancienne et moderne

182r ' T-v, p.9-13 et 57-63 : L'abrégé de I'origine de tous


les cultes par Ch.Dupuis
- L822, T. II, p.14-18, Voltaire en un volume

- Le Constitutionnel

7 et 18 juillet, 1818 :Recherches philosophiques sur res


premiers objets des connaj.ssances morales

18 décembre, 1818 : Essai sur I'ind.ifférence en matière


de religion

2I juillet, 1819 : De Ia liberté religieuse

- La France littéraire -

1834' T. XIII, p.351-364 : De I'athéisTe imputé à Voltaire

- Le Mercure de France

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pliqués et traduits pour Ia première fois en vers eumol-
318

iques français,précédés d,un discours sur ltessence eE


la forme de la poésieretc.

- Le Mercure du XIXe siècle

1823, T. III, p.3I8-326 :

chez les peuples du Gange

L826, f. XIf, p.576-582 :

1' érudit,ion philosophique

1826, T- xv, p.173-178 : Extrqit d.'une digression sur res


dispositions de 1 'egprit humaj.n en Euro

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319

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INDEX

Les noms cités en note ne figurent pas dans cet index.


341

INDEX DES NOMS DE PERSONNES CITEES

( A lrexception de ELienne pivert de senancour. )

A B B A D T E( J . ) , 222.

ARJUNA(ou ARJOON), 292, 296.

BAILLY (S.), I52.

B A L L A N C H E( p . S . ) , 253, 277, 2g2-2g4, 310.


B A U D E L A I R E( C . ) , I88.

B E R K E L E Y( G . ) , 25I.

B E R V T L L E( M e ) , 25g.

BLOY (L. ), 64.

( J. ) , 25L,
BOEHIvIE 254.

B O N A L D( L . d e ) , 24L.

B O U F F L E R S( C h e v . d e ) , 14.
(N.),
BOULANGER 49, L52, 153, 262.

B U F F O N( c . L . d e ) , 28, 49, Zg7.

c A l v t u s( À . ) , 106.

C H A R R O N( P . ) , T46.

C H À T E A U B R I A N(DR . d e ) , -:-4, g0-g3, g 5,


L4, LSA, L631
zLO, 242.
342

C O N D I L L À C( E . d e ) , 243, 287.

C O N F U C I U S ,2 8 7 .

C o N S T A N T( 8 . ) , 293-295.

cousrN (v. ) , L54, 295, 293.

D A G U E T( A . ) , 38.

D A G U E T( M . , dpouse de Senancour), LZ, 38, L44.


DENIS (F.), 300, 303.

D T D E R O T( D . ) , 49, 50, 11I, 139, 297.

DUPUIS (M.L.), 11, 50, 243.

D U R E Y( é d . ) , 25g.

D U R R Y( M . J . ) , 227.

E C K A R T H A U S E(NK . v o n ) , 18I, 254.

ELIADE (M. ), 157.

ELISEE (P. ), 222.

E P T C U R E ,1 3 9 , 1 4 1 .

FABRED'OLIVET (A.), 181.

FARCY ( I*{me de ) , g4 .

FINOT (Dr.), L23.

F R E R E T( N . ) , 49, 262.

GEBELIN (Court de), LSZ, 153, LS7, 181.


343

G O U R T E T( J . e . ; , 243.

H E L V E T T U S( C l . A . ) , 29, 49.

H O L B A C H( P . H . d ' ) , 49, 50, 6L, 62, 242.

H O U D E T O T( C . d ' ) , 13.

H O U D E T O T( S . d ' ) , 13.

JEAN (Saint), I77.

JESUS-CHRIST,L77, 2II, 255-257, 26L.

KIRCHBERGER
(N.A. ), 18r.

KONG-TSE,286.

K R I S N A ( o u K R E E S N A, ) 2 5 7 , 2 9 6 .

LAII{ENNAIS ( F. R. de ) , 242 , 243 .

L A N J U T N A T S( . 1 . O . ; , 25I, 292.

L A V A T E R( J . ) , 177, 179.

L E D O U X( A . ) , 16.

LE GALL (8.), 7, 169, Ig3, 265, 301.


LEIBNITZ (c.W.), 96, 111, 116.

L E V A L L O T S( J . ) , 7, 90.

LISZT (Er.), 7, 2LL.

L U C R E C E ,9 4 , L4L.
344

M A I S T R E ( . 1 .d e ; , I 5 4 .

M A L E B R A N C H(EU . d e ) , 28, l1l, L26, 227.

MARC-AURELE, 253.

M A R C O T T( F . ) , 11, L44.

} I A R C O T T( J . ) , Cf. h I A I , C K E N A E(RJ . ) .

M A R T I N E SD E P A S Q U A L L Y( J . ) , 181.

MATHIEU(Saint), 248.

M E R C I E R( L . S . ) , L77, 178.

M E R L A N T( J . ) , 7, 20, L42, 197.

M I C H A U T( G . ) , 7.

MOÏSE, L77

r { o N G L O N D( A . ) , 7.

(J.M. ),
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M O N T A T G N E1, 0 1 , 1 3 9 , 1 4 0 .

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N E R V A L( G . d e ) , 168, 185, 188, 23L, 252.

N E U F C H A T E À (UF r . d e ) , 13.

N O V A L T S( F . ) , Lgl, 232.

O R P H E E ,I 5 8 .
345

P A R A C E L S E ,2 5 3 .

P A R R A U D( J . P . ) , 282.

PASCAL (8.), 49, 109, 2]-8, 232.

PLATON, 94, 250, 279, 285.

PAUL ( Saint), L77 .

P I Z Z O R U S S O( A . ) , 7.

P L A N C H E( G . ) , 7.

P O M E A U( R . ) , 288-289.

P Y T H A G O R E1, 1 1 , I 7 7 , 180, 250.

Q U E R A R D( J . M . ) , 24I.

QUrNT (8. ), 247.

R A Y M O N D( M . ) , 95, 2L6, 218.

RAYNAL(Abbé c.-F.-F.), 49.

RICHTER (J.P. ), I87.

R O U S S E A U( J . J . ) , LiL, 243, 297, 2gg.

S A B R A N( E . d e ) , L4, 82.

S A I N T - M A R T I N( L . - C I . d e ) , L78, 229, 290-29L.

SAINT-PIERRE (J.-H.Bernard.in de), L2, 28, I53, 23L,

287 .

SAINTE-BEWE (Ch.-A.), 7,15, L6, 22, L63, 207, 253,

3II.
346

SAND (G. ), 7, L6, 67.

S A U S S U R E( P . d e ) , L2.

S C H O P E N H A U E RT, 4 L , 2 8 5 - 2 8 6 .

S E N A N C O U (RC I . - t . d e ) , 18.

S E N A N C O U R ( E . - V . d e ) ,L 2 , 2 0 7 , 2 I 0 - 2 I 2 .

(F.-J.),
SENANCOUR 12, 303.

(M.C.PIVERT de),
SENANCOUR 19.

S E N E Q U E ,L 4 6 .

sprNozA, 94-95, 111, 116, L4g, 25L, 270, 279, 290-29I.

STAEL ( G.de), L54, 250.

S W E D E N B O R(G
8. ), 254.

T o R N U D D( A . ) , 7.

U N A M U N O( M . d e ) , 6.

VIGNY (A.de), 270.

voLNEY (J.-V. ), 243.

VoLTATRE(F.M. ), 29, 115, 2L2, 23L-232, 242-243, 262,

287-290.

t{A r,cK E N À E (C
R h .-A. ) , 11, 13.
( J. !,I.ARCOTTE
9{ALCKENAER ) , II , L3 , L44 , 193 .
I{ANNER( ami de Senancour), 2L.
347

w r L K r N s( c n . ; , 292.

Z I M I , I E R M A N(N
J.-c. ), 22L.

zoRoAsTRE, L77.
TABLE DES MATIERES
349

ABREVIATIONS

INTRODUCTION

REPERES BIOGRAPHIQUES 11

PREMIERE PARTIE

LA PREMIERE FORMATION RELIGIEUSE

CHAPITRE PREMIER - La formation janséniste I8

. La vue religieuse de ses

parents et Iratmosphère

familiale

. L'éducation religieuse qu,il

a suibie

CHAPIÎRE II - Les convictions ébranlées ... 26

. L'influence des lectures


350

. La fuite en Suisse t Ie refus de

la vie religieuse à laquelle il

est prédéstiné

CHAPITRE III Les expériences misérables 33

. La Révolution

. Le mariage malheureux

CHAPITRE IV - La révolte dans ses premières

oeuvres ..... 46

. Les premiers âges; Incertitudes

humaines

. Sur les générations actuelles;

Absurdités humaines

DEUXIEIvIE PARTIE

L I ANTICHRISTIANISME

DE SENANCOUR DANS LES OEUVRES DE JEUNESSE

CHAPITRE PREMIER - Les premières Rêveries 59


351

. De lrattidude anti-religieuse vers

un anti-catholicisme

C H A P I T R EI I Oberman ......64

. "Le doute, c'est Oberman."

. Sur Ie problème de la morale

chrétienne

. Le christianisme, c'est une

religion dépassée

CHAPITRE III Observations critiques sur Ie

Génie du christianisme 79

. Contre Ia religion e5thétique

. Contre 1a religion morale et

politiQue

TROISIEME PARTIE

L ' ANGOISSE I{ETAPHYSIQUE

CHAPITRE PREMIER - Dieu ou la Nécessité 9I


352

. Lrunivers sépulcral

. L'idée de la NécessiÈé

. L'idée de I'Ordre universel

C H A P I T R EI f - L'impénétrabilité de I'univers 100

. Un certain agnosticisme

. Le panthéisme pessimiste

C H A P I T R EI I I Sur lrimmortalité 105

. Le désir de I'immortalité

. L'immortalit,é de chimère

CHAPITRE IV - Sur le problème du mal ll4

. t'idée du mal

. "Rapports abstraits"

QUATRIEME PARTIE

LIASPIRATION VERS

LE MONDE PRIMITIF ET LE MONDE IDEAI,


353

CHAPITRE PREMIER - L'ennui . L22

. Le mal d'Oberman et sa conscience

malheureuse

. Le désir du bonheur

CHAPITRE II - Le rêve primitiviste

. Lr'extension est un mal-.

C H A P I T R EI I I L'épicurisme ..... 138

. Epicurien sceptique

CHAPITRE IV - Le stoicisme . l-44

. La tentation du suicide

. Une cure de stoicisme

. La religion du moi

C H A P I T R EV - L e b e s o i n d e I ' i n f i n i ....L52

. Le désir d'un monde meilleur, d'un

monde idéal

. L'idée de la primitivité devient

un idéa1 anté-historigue.
354

CHAPITRE VI Le monde idéaI par la contemplation

de Ia nature 161

. Des analogies universelles

. L'extase de la Dent du Midi

CHAPITREVII Le mystique sans Dieu . L76

. L'occultisme

. Les paradis artificiels

. Les exÈases des sensations olfactives

et des sensations auditives

CHAPITRE VIII Les deux mouvements cyclo-

thymiques ...200

. Lrextension et Ia circonscription

CINQUIEME PARTIE

UNE NOWELLE CONCEPTIONRELIGIEUSE

DANS LA MÀTURITE ET LA VIEILLESSE DE SENANCOUR

CHAPITRE PREMIER - Le revirement vers Ie christia-


355

nisme 207

. Les Rêveries de 1809

. Les Libres Méditations de 1819

CHAPITRE II La quêt,e mystique . 2J-5

. "Un laborieux mouvement d'espé-

rance tr .

. L'expérience mystique

. Le mysticisme de lumière

CHAPITRE III Le changement dans Ia deuxième

édition des Libres Méditations ...239

. L'esprit moins chrétien et plus

laique

CHAPITRE IV - Résumé de I'histoire des traditions

morales et religieuses chez les di-

vers peuples 246

. L'étude sur'Ies trad,itions reli-


gieuses

. La r enaissance or ientale
3s6

. La théosophie raisonnable

. "Jésus est un jeune sage."

CHAPITRE V - La dernière version des Libres Médi-

tations 266

. Un élargissement des perspectives

dans Ia dimension de I'espace er

dans Ia dimension du temps

. Une religion de l'Esprit

C H A P I T R EV I - Le syncrétisme philosophique et reli-

gieux

. La tradition chrétienne

. Platon, le Stoicisme et Spinoza

. L'hi.ndouisme

. Voltaire

. Saint-Martin et le XIXe siècle

français

C H A P I T R EV I I "Eternité, sois mon asile !' 299

. Les derniers travaux dans la

vieillesse
357

. La religion éternelle et la

religion pure

. La mort de Senancour

CONCLUSION 306

BIBLIOGRAPHIE 313

I. Oeuvres de Senancour

A. Livres et brochures

B. Articles

II. Articles et ouvrages consacrés

à Senancour

III. Bibliographie généraIe

A. Bibliographies, Dictionnaires,

Encyclopédies

B. Etudes

C. Textes

INDEX 340

TABLE DES MATIERES 348

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