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HEGEL 150 ANS APRÈS

Author(s): Pierre-Jean LABARRIÈRE


Source: Archives de Philosophie , AVRIL-JUIN 1981, Vol. 44, No. 2, HEGEL 1831-1981
(AVRIL-JUIN 1981), pp. 177-188
Published by: Centre Sèvres – Facultés jésuites de Paris

Stable URL: https://www.jstor.org/stable/43034418

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Archives de Philosophie 44, 1981, 177-188.

HEGEL 150 ANS APRÈS

par Pierre-Jean LABARRIERE

RÉSUMÉ : 150 ans après la mort de Hegel , qu' avons-nous encore à


faire de sa pensée ? Interrogeant l'attitude qu'il engagea lui-même
dans son propre déchiffrement de l'histoire - difficiles ruptures
avec les idéaux dévoyés de la Révolution française , de la cité grecque
et du christianisme institué - il nous revient de dégager les procé-
dures logiques qu'il élabora , et qui, face à d'autres situations ,
peuvent inspirer encore celles qu'il nous revient d'inventer . Dans le
refus du dualisme et du monisme s'annonce la possibilité d'une
réconciliation du discours de l'altérité. C'est là que s'engagent
pour nous les voies d'une authentique réflexion sur la liberté dans
les médiations de l'histoire .

SUMMARY : What use is Hegel's thought to us, 150 years after


his death ? We have to analyse the logical processes he worked
out to understand historical situations and, with them, to find
out our own ones, as we face other situations ; while avoiding both
dualism and monism, we may reconcile discourse and alterity
and approach a genuine interpretation of freedom in historical
mediations.

Il est des monuments de la philosophie qui ne cessent de hanter


nos songes. Les découvrant un jour au carrefour des traditions, nous
pouvons bien avoir tentation, restaurés leurs murs, effacées leurs
trop visibles lézardes, de les élire pour demeure. Parfois même,
comme il en va de ces châteaux que l'on transporte pierre à pierre
d'une rive à l'autre de l'océan, il nous prend envie de les dresser
à nouveau dans l'espace et le temps qui sont les nôtres, par un jeu
de simple translation des solutions architecturales qu'eux-mêmes
surent risquer, en leur temps et en leur lieu, face aux interrogations
et aux quêtes de l'heure. Mais est-il possible d'être encore hégélien,
kantien ou platonicien, au sens strict de ces termes trop lourds ?
Voici 150 ans mourait Hegel. Vivant dans un tout autre monde
que celui qu'il connut, qu'avons-nous encore affaire de sa pensée
et de son œuvre ? L'histoire intermédiaire, durement parfois, et
sans que cela soit jamais à mettre au compte du libre initiateur
qu'il fut, nous a avertis de l'échec global de la tentative qu'il fit
pour réconcilier raison et effectivité - l'absolu d'une pensée libre

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et la contingence de l'histoire. Nous reste do


par nous-mêmes, à nouveaux frais. N'est-ce p
qui nous en avertit lui-même ? Une première
je rappellerai comment il dut, pour venir à s
mirage d'une fixation représentative sur les id
du christianisme, de la Révolution françai
qu'il nous faut maintenant réaliser à son endr
par sa doctrine cette fois, nous en avertit en
philosophie digne de ce nom, c'est d'amener q
à la dignité du Selbstdenken .
Ce ne sera pas pour autant donner congé à
diose. Les civilisations et les pensées émin
davantage sur l'homme quand elles atteignent
nous indiquant ainsi, dans leur dé-faite, ce
à être honoré en vérité. Hegel 150 ans apr
qu'il nous donne, nous saurons peut-être m
mêmes en réfléchissant sur les failles qui on
au moins relatif, de cette pensée. En attenda
nous, aient loisir de thématiser, dans cette m
nos propres aventures d'esprit...
Entreprise autre, on le voit, que celle qu
à décider de ce qui est vivant et de ce qu
construction. Le propos voudrait être plus m
tieux ?) : il s'agit, sans nulle sujétion, de dire
pensée tout entière vivante qu'il attend. U
tirer profit de la réussite et de l'échec du
que demeure l'hégélianisme.

L'individu, la philosophie et le temps

S'il est un trait distinctif de ce philosopher, c'est la rupture


qu'il opère par rapport à certaine forme de pensée détachée des
contingences du temps. Principe de limitation, principe d'effectivité :
« Tu ne seras pas mieux que ton temps, mais son temps tu le seras au
mieux ä1. C'est que l'histoire n'est pas à entendre à partir d'une pré-
cellence absolue de l'intériorité intentionnelle : elle est une façon de
gérer l'imprévisibilité du monde et ses limitations, au risque d'une
parole d'unité et de sens.
Mais l'aphorisme qui vient d'être cité n'est sans doute pas si
aisé à comprendre. Il s'adresse à l'individu. D'une part pour le
cantonner dans cette intelligence de l'époque que je viens d'évoquer,
mais d'autre part pour lui faire devoir, au sein de ces conditions,

1. Aphorisme du temps de léna.

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HEGEL 150 ANS APRÈS 179

de se montrer éminent. Qu'est-ce donc, pour l'ind


son temps au mieux ? N'est-ce point par quelque m
ce temps lui-même ? Car voici le dilemme : ou bien
temps que l'on exprime, ou bien l'on fait en sorte
même passe le temps, et qu'il acquière, de la parol
quelque forme de pérennité. N'est-ce point ce q
lorsque, dans la Science de la Logique , il souligne
essentielle de l'acte de comprendre2 ? Ne pourr
temps que celui qui s'éveillerait, dans le temps, à
constitutif du temps lui-même. Et le philosop
reconnu, dans la distance, porteur d'un savoir qui
pour nous.
Je viens ďévoquer cette ambiguïté essentielle - source de richesse
et de vérité - qui fait que l'individu ne peut honorer son temps
« au mieux » que s'il l'excède pour le dire en vérité. Un autre texte,
de Janvier 1807 - postérieur donc de quelques années à l'aphorisme
cité - nous redisant, en termes encore plus radicaux, la totale
limitation de l'individu, va nous éveiller à la raison de cette relati-
vité : la pulsion tout à fait essentielle de l'universel qui meut les
figures particulières dans lesquelles nous sommes engagés. Voici,
respectée dans sa complexité linguistique, cette dernière phrase
de la Préface à la Phénoménologie de V Esprit : « Parce qu'en outre,
dans un temps où l'universalité de l'esprit est tellement renforcée
et où la singularité, comme il sied, est devenue d'autant plus indif-
férente, où aussi celle-là s'attache à son domaine plénier et à son
royaume cultivé et l'exige, la part qui au travail total de l'esprit
échoit à l'activité de l'individu ne peut être que petite, alors celui-ci,
comme le comporte déjà la nature de la Science, est contraint
de s'oublier d'autant plus, et certes de devenir et de faire ce qu'il
peut, mais on est contraint d'exiger d'autant moins de lui qu'il est
lui-même en droit d'attendre moins de soi et de moins exiger pour
soi »3.
L'accent est mis ici sur ce que l'on pourrait appeler l'ampleur
profondément différente du singulier et de l'universel, de l'individu
et de la Science. D'aucuns en conclueront que le premier doit
accepter de tenir sa place effacée et modeste, afin que la Science soit
assurée d'apparaître dans sa validité propre et sa relative trans-
cendance. N'est-ce point en accord, d'ailleurs, avec la thèse cons-
tante de Hegel selon laquelle c'est l'Esprit qui se pense lui-même
dans l'individu et par l'individu ? Un autre texte, de 1821, va radi-
caliser encore le propos, en affirmant que ce n'est pas seulement

2. Science de la Logique , éd. Lasson II 3 (trad. P.-J. Labarrière et Gw. Jarczyk,


II, Aubier-Montaigne 1976, p. 1).
3. Ph. G.t édition Hoffmeister 58 /34 sq. (trad. Hyppolite I 01 /37 sq.).

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le philosophe, mais bien la philosophie elle-m


naître strictement mesurée par l'esprit d'un
ce qui est , écrit en effet Hegel dans la Préface
tales de la Philosophie du Droit , est la tâch
ce qui est c'est la raison. En ce qui concerne
sans contredit un fils de son temps ; ainsi égal
son temps saisi dans des pensées . Il est tout
qu'une philosophie quelconque outrepass
que de s'imaginer qu'un individu saute pa
par-dessus Rhodes. Sa théorie l'outrepas
bâtit un monde tel qu'il doit être , ainsi existe-
dans son opinion - un élément mou dans le
se laisse imprimer »4.
On le voit, le propos se précise. Ce qui
l'attitude qui permettrait au philosophe de
est » en le tirant dans le sens d'un simp
revient pas à la philosophie, en effet, de d
doit être, mais de permettre l'engagemen
dans la pauvreté de ce qui est donné5. Vo
préciser en quoi la philosophie de Hegel peut
150 ans après : il ne s'agit pas de recherche
monde futur - le nôtre - mais de compren
ont permis à cette philosophie d'être en pr
sur la réalité de son temps ; et de faire nôtr
procédures, face à une autre réalité et à d'au

Hegel, un triple arrachement

C'est donc Yattitude de Hegel face aux problèmes de son temps


qu'il convient tout d'abord de sonder. J'évoquerai ici, comme je
l'ai annoncé, trois éléments essentiels qui l'ont marqué au temps
de sa formation intellectuelle, alors que se forgeait sa personnalité
profonde. Trois éléments qui ont été déterminants pour lui au
travers de cette crise qu'il connut entre 1793 et 1800, dès sa sortie
du Stift de Tübingen et tout au long de ses deux préceptorats, à
Berne et à Francfort. - Car il traversa alors une crise spirituelle
des plus graves. Par trois fois au moins, il dut accepter un douloureux
arrachement aux formes historiques dévaluées auxquelles avait

4. Ph. R., édition Hoffmeister, p. 16 (trad. Derathé, p. 57).


5. Voilà qui ne disqualifie pas i utopie comme réalité philosophique. Mais l utopie
ne consiste pas à se représenter un monde imaginaire et à le projeter dans un
avenir espéré ; sous sa forme logique , la seule qui vaille, elle implique une attention
aux structures intemporelles de toute connaissance historique. La forme du futur
est alors ce qui dit le présent comme sens.

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HEGEL 150 ANS APRÈS 181

conduit un principe, par lui accepté d'emblée, et


cause : celui d'une liberté radicale qui aurait va
Prendre à nouveau conscience de cela, c'est nous m
de mieux comprendre ce qui constitue, au plan
l'essentiel de son philosopher, en même temps
cet essentiel peut éclairer notre propre tâche.
Il y eut d'abord le jugement porté sur la Révolu
On sait l'enthousiasme que les événements de Pari
parmi les jeunes étudiants de Tübingen ; jamais H
sur ce jugement premier, et, jusqu'à la fin de ses j
avec faste et piété le souvenir de ce 14 juillet 178
et bientôt tout un peuple, osèrent affirmer que n
ne saurait prévaloir contre la « liberté absolue
individus et aux groupes humains. Mais d'autan
lui fut à porter le fait que si noble dessein ait
dans la confusion de cette « Terreur » si évidemm
non-sens. Capitale fut alors la réflexion que He
raisons de cet échec6. Elles tiennent, selon lui, à l
tout abstraite avec laquelle les révolutionnaires, to
sagesse des médiations historiques, voulurent que
cipe en vienne, ici et maintenant, à informer
concession la vie concrète des individus ; ce q
négation potentielle de ceux-ci, sous l'effet d'une
termination. Un Joachim Ritter7 a su montrer ic
à mes yeux définitive, que la façon dont Hegel salu
de l'État par Napoléon ne tient aucunement, chez
d'embourgeoisement de la pensée, mais à une c
fait fondée en raison : celle que le monisme pr
pendant la période révolutionnaire était inévit
l'échec, puisqu'il omettait de prendre en comp
conditions historiques qui sont le corps d'effectivit
concrète.
Ce n'est pas à dire que Hegel en revienne au dualisme de la
société d'ancien régime, dommageablement fondée sur une sépara-
tion radicale des faits et des valeurs, du monde de l'effectivité et de
celui de la pensée : cette forme-là de « présent » - et de « présence »
- n'est et ne sera jamais susceptible d'une parole de sens. Même si
tout l'engagement de l'intelligence tend alors à relier, en seconde
instance, ces parts disjointes de la réalité, cela ne suffira jamais
à racheter le défaut de problématique qui provient de ce que l'on
part de deux éléments postulés l'un et l'autre dans une sorte de
rupture ontologique première. Si Hegel, pour son compte, dut

6. Ph. G. 416 /28 sq. (II 133 /12 sq.).


7. Hegel et la Révolution française , Be&uchesne, Paris 1970,

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s'arracher douloureusement à des idéaux dévo


dans Tordre de certaine unité principielle
la Révolution française, ainsi en alla-t-il enco
Comme tant de littéraires et de philosoph
connut la séduction de ces sortes d'idées réal
les « belles totalités » du « monde éthique
l'humanité avait prononcé là une réciproc
individus et le tout de la société. Mais, al
française abordait l'individu en lui faisant
le poids de l'universel, c'est un mouvement
prévalu, l'universel de la cité étant abordé
« faire de tous et de chacun »8. On sait pourt
Cette surdétermination individuelle se prit au
fort étroit, et en vint à distribuer les tâche
ce hasard biologique qui vous fait femme
ce monde était condamné dans son principe,
ner » selon l'harmonie dont il portait pro
justifiée d'une Antigone annonça la disparit
qui, au fond, ne sut jamais honorer l'individ
du héros mort.
Deux espoirs, deux échecs. Et pour une même raison. Car ici et
là, bien que sous mode divers, c'est la réalité de l'individu qui est
manquée. Son seul destin : disparaître, ou se révolter. Dans les
deux cas est sonné le glas de mondes rebelles à la raison. Car la
raison exige que soit tentée sans relâche cette « satisfaction de
l'individu » que les Lignes-fondamentales de la Philosophie du Droit
mettront au plus haut des tâches d'intelligence et de liberté9.
Nous sommes bien loin, avec cela, de l'image banale d'un Hegel
réduisant l'individu à n'être qu'un rouage de l'universel. Certes, il
s'agit que s'éveille en lui ce qui le destine aux réalités de l'esprit ;
mais le jugement qu'il porte alors sur l'immédiateté de son désir est
tout entier ordonné à une libération de ses véritables virtualités.
C'est ainsi que le christianisme, et singulièrement sous la forme
qu'il reçut au 16e siècle de l'admission du « principe protestant »,
apparut toujours aux yeux de Hegel comme le système de pensée
qui avait su prononcer sans ambiguïté que tout homme reçoit de sa
relation à l'absolu une irrépressible dignité. Son adhésion à ce prin-
cipe fut aussi totale que celle qu'il accorda au principe de la Révolu-
tion française, et Rosenkranz a sans doute raison d'affirmer qu'il

8. Ph. G. 314/18 (II 10/19).


9. On sait la place tout à fait centrale de 1'« individu » dans cette œuvre. Sous
les espèces de la personne (Droit abstrait), du sujet (Moralité), enfin du membre
(Ethicité), c'est toujours lui qui est la mesure de la vérité visée et atteinte. - Eric
Weil, dans sa Logique de la Philosophie , a repris et exploité cette notion de « conten-
tement » de l'homme et de l'humanité ; op. cit.t pp, 9, 12, 20, etc...

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HEGEL 150 ANS APRÈS 183

demeura jusqu'au bout fermement convaincu de la


du luthéranisme. Mais, là aussi, la désillusion fut
reux l'arrachement aux formes dévoyées que ce
dans l'histoire. Un mot résume cette crise et sa révolution : la
pensée du pur mouvement - identité du singulier et de l'universel
dans leur différence structurelle et fonctionnelle - se dégrada dans
la simple représentation d'une réalité donnée, ici et maintenant,
sous mode d'un « être-là ». Que le Christ soit dit Dieu, un Dieu
apparu dans le temps comme hors du temps, entraîne une double
conséquence. Pour lui d'abord : a-t-il bien épousé le mouvement
de cet advenir à soi qui est essentiel à la liberté de l'homme ? N'y
a-t-il pas là, à nouveau, quelque forme de surdétermination par
l'absolu10 ? Pour chacun de nous ensuite : le fait que toute vérité
soit censée être simplement donnée là, sous sa forme achevée, dans
la distance de l'espace et du temps, risque de l'éloigner et d'en faire
une chose inaccessible à la liberté du croyant. Alors peuvent se
développer et se développèrent de fait les systèmes dualistes les
plus aberrants, qui distribuent le ciel et la terre, la vérité et l'erreur,
selon un ordre figé qui justifie toutes les oppressions sociales. La
stricte séparation entre les valeurs et les faits qui constitua la base
théocratique de la société d'ancien régime ne représente qu'une
forme parmi d'autres d'un échec séculaire. Une fois encore, pour
honorer le principe, il faut donc restaurer les valeurs d'histoire et
de médiation.

Concept et histoire

Réflexion une sur un triple échec : au travers même des distanc


et des recoupements, c'est une seule vérité qui pour Hegel s'annon
ici. Aux plans toujours conjoints de la pensée et de l'agir, dualism
et monisme sont pareillement condamnés ; le premier en ce qu'i
s'interdit, à moins d'une bienheureuse inconséquence, de jam
conjoindre en vérité les parts du réel qu'il aura abstraitement dis
ciées au double plan de l'origine et de la structure; quant au secon
qu'il est de bon ton d'appliquer, sans justification aucune, à Hege
lui-même, il est au principe de tous les totalitarismes ; et ceux-
sous une forme ou sous une autre, aboutissent toujours à la négati

10. Dans cette première remarque s'annonce une parenté, sensible aux yeux
de beaucoup, entre l'inspiration fondamentale du christianisme et celle de la
Révolution française. Sous la double raison d'une commune excellence et d'une
abstraction semblable, à tout le moins possible. Dernier avatar reUgieux, l'événe-
ment de 1789, relayé symboliquement dans toute notre modernité, annoncerait
lui aussi, à sa manière, la nécessité de repenser la foi chrétienne dans son effort
ď effectuation historique.

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184 P.-J. LABARRIÈRE

de l'individu, jusques et y compris à sa dispa


nisme de la Révolution française, dualism
perversion du christianisme institué, en dang
et l'autre de ces erreurs et d'aboutir à l'insta
bloqué : avertis par ces échecs - corruptio op
faut, pense Hegel, conjurant la tentation tou
simples restaurations, inventer à nouveaux
théoriques et pratiques qui nous mettent à l
de ces erreurs du passé. - Y compris donc
nous regarde, face à ce que d'aucuns n'hési
apparence de raison, à appeler l'échec de l'hég
Encore faut-il s'entendre sur cette derni
n'a jamais dressé des plans pour une organis
de la cité ; il n'a jamais non plus écrit de
perpétuelle, et il raille sans pitié les philo
des conseils pour le soin des nourrissons, la
et autres choses aussi importantes que cel
les mouvements politiques qui se sont réclam
ou indirectement, n'ont pas toujours bril
l'homme. Certes, il serait peu honnête d'en tirer
Il est bien évident, en l'espèce, qu'on ne saur
poids des aberrations qui voulurent acquérir
grandeur, peut-être, en s'abritant sous le pr
Mais une chose, au moins, ressort de là : c'est
tentée par Hegel entre le singulier et l'un
de l'histoire et l'absolu de la liberté, n'a pas é
comme il l'entendait. D'où une double conc
concerne : il nous faut d'abord interroger à
systématique à laquelle Hegel s'est arrêté,
à la vérité de son propos que pour déceler en
la faille secrète qui fit que l'on se méprit su
tenter de dire pour notre temps les formes
telle parole réconciliatrice, lorsque, avertis
dont elle fut l'objet, nous cherchons à éviter
Une double compréhension de la relation e
proposée. Hegel, pour son compte, l'expri

11. Ph. R., Préface, Edit. Hoffmeister, p. 15 (trad. De


12. A quoi il faut évidemment ajouter ce fait capita
un instant : puisque la philosophie consiste à « saisir so
il nous revient d'inventer, s'il est requis, de nouvelles «
face à un monde qui, par rapport à celui de Hegel, a é
d'échelle, changé aussi de nature. C'est alors la reconna
de telle procédure par lui utilisée qui nous engagera
inédites. Entre telle forme du passé et nous-mêmes, il
qu'une homologie de rapport - ou encore un rapport d

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HEGEL 150 ANS APRÈS 185

tente d'élucider la signification historico-concept


qu'il entretient avec ses devanciers. Plus exactemen
double hypothèse lorsque, dans la Phénoménol
l'identité différenciée entre l'intérieur et l'ext
l'objet va quitter les régions encore formelles de s
plan de la seule « raison » pour rejoindre le lieu d
historique13. Deux types d'expression sont alor
possibles : ou bien l'on considère que l'homme
n'a jamais connu ce « bonheur », et qu'il nous r
vers lui en assumant la tâche qui consiste à l'él
l'on pense que ce « bonheur » a été perdu, et qu
retrouver par une sorte de retour à l'origine. D
on le voit, qui ont laissé leur trace au niveau des gr
du monde : eschatologie d'une part, croyance d
paradis perdu ; à moins que ces deux types d'in
conjuguent au sein d'une vision qui fait devoir
porter vers son avenir dans le souvenir propremen
l'origine.
Hegel, pour sa part, tranche ce dilemme en faveur de la seconde
lecture. Il écrit en effet : « Puisqu'à nos temps est plus proche la
forme de ces moments dans laquelle ils apparaissent après que la
conscience ait perdu sa vie éthique, et, la recherchant, répète ces
formes, alors ils peuvent se trouver mieux représentés dans l'expres-
sion de cette sorte »14.
Perspective cohérente avec ce qui, nous l'avons vu, s'imposa à
lui dans la structuration de sa propre expérience : cité grecque,
christianisme originel, esprit de la Révolution française se sont
proposés à ses yeux comme des « figures », historiquement repérables,
d'une sorte de perfection principielle ; et c'est la réflexion qu'il
engagea sur l'échec de ces figures - sur le fait que nous avons perdu
le bonheur qu'elles promirent - qui lui permit de déterminer quelles
procédures doivent être concrètement à l'œuvre dans l'invention de
toute forme future. Où l'on voit cependant que la solution est
moins simple peut-être qu'il ne le dit ; car, d'une part, ce « bonheur »
ne fut point si plénier qu'on l'imagine, puisque son insuffisance
s'annonce justement dans l'impossibilité où il fut de durer ; d'autre
part et en conséquence, il faut dire alors que l'homme n'a jamais
connu un tel état bienheureux, à tout le moins dans sa plénitude
idéelle, et donc concrète : il est en marche vers lui, tirant justement
leçon de ce que durent disparaître les moments où l'on crut l'appro-
cher de plus près. D'ailleurs, si l'on y regarde bien, Hegel, en choisis-
sant l'une de ces hypothèses, n'entend pas exclure l'autre, puisque,

13. Ph. G. 258 /29 sq. (I 292 /30 sq.).


14. Ph. G., 261/2 (I 296/3).

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186 P.-J. LABARRIÈRE

après avoir énoncé les deux lectures possibles


blée : « Les deux choses peuvent être dites d
Concluons, en ce qui nous concerne : c'est
hypothèse qui a valeur fondamentale ; mais
rer qu'en prenant les chemins que nous ouv
150 ans après Hegel, il nous revient à notre t
et de façonner « le nouvel être-là, un nouvea
figure de l'esprit »16 ; et nous ne pourrons l
sons en liberté le chemin qui mena jusqu'
en lui, dans ses réussites et dans ses échecs,
de ce visage du monde qu'il nous faut prom
« royaume des esprits »17, l'œuvre de Hegel
cante, comme l'un des lieux où s'exprima
cohérence théorique, la relation de l'univers
même et de l'autre, de l'identité et de la dif
que, dans la liberté de la distance, il nous r
encore.

La question de l'autre

La configuration de notre monde n'est plus celle qui prévalait


alors. On pourra certes dire, avec quelque raison, que Hegel, qui sut
pressentir la montée du machinisme industriel et l'intégrer à son
système de pensée, a proposé un cadre théorique opératoire pour
le siècle qui le suivit - et même si les hasards de l'histoire firent
que son héritage, pendant cette période, fut souvent dépecé au
bénéfice d'options partisanes. Mais, sur ce point comme sur tant
d'autres, le dernier conflit mondial - accès à l'ère post-industrielle,
en même temps qu'à une nouvelle conscience planétaire, dominée
par les espoirs et les craintes qu'engendre la maîtrise de la fission
de l'atome - a signé l'entrée dans un nouvel âge du monde, où
l'on ne saurait plus s'accommoder des solutions élaborées pour une
autre époque et d'autres conditions. La philosophie, aujourd'hui
comme hier, n'est-elle pas « son temps saisi dans des pensées » ?
Mais c'est alors que notre regard sur ce temps peut s'instruire
des procédures qu'un Hegel, à l'orée de la modernité, sut instaurer
pour tenter de surmonter le dilemme d'alors et de toujours : celui de
l'opposition - et trop souvent de l'exclusion - entre le sujet et
l'objet, l'idéalisme et le réalisme ; ou, en d'autres termes et selon
une problématique quelque peu différente, le problème de notre

lß. Ph. G. 258 /33 (I 292 /34).


16. Ph. G. 564 /3 (II 312 /10).
17. Ph. G. 564 /13 (II, 312 /19).

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HEGEL 150 ANS APRÈS 187

ballottement entre les formes connexes, bien


opposées, du monisme et du dualisme. Avec cela,
sommes au point de rencontre des problèmes théo
que nous imposent les urgences du temps et des
a communément adressés à Hegel au cours de ce siècle et demi,
- des reproches qui, pour beaucoup, expliquent l'échec relatif
de sa pensée, même s'ils ne vont pas jusqu'à la disqualifier totale-
ment. Me situant donc au croisement de ces voix, j'ai la conviction
qu'il nous faut inventer des déterminations du concept et de l'expé-
rience qui expriment au plus près ce que l'on peut appeler la « récon-
ciliation » du discours et de Valtérité . Programme ambitieux auquel
je voudrais, pour terminer, apporter quelques mots de commentaire.
Formulant comme je viens de le faire ce qui m' apparaît être la
tâche philosophique de notre temps, j'inclus en elle l'estime et la
culture de ce que nous entendons sous le terme le plus sacré qui
soit, celui de liberté. Libre en effet est celui qui n'opte pas pour
ce que l'on a appelé joliment « l'idéologie de la rupture » ; et d'abord
pour cette dissociation qui marque encore, quoi que nous en ayons,
nos mentalités et nos comportements : celle de l'intériorité subjec-
tive et de l'extériorité - ou de 1'« étrangèreté » - du monde, posé
par hypothèse comme rebelle à la raison. Mais, à l'inverse, la liberté
implique aussi que le discours, par lequel je comprends le monde et
me comprends au monde, ne réduise d'aucune manière la différence
structurelle qu'il nous revient bien plutôt de reconnaître et d'instau-
rer entre l'acte de l'esprit et ses propres conditions d'histoire.
L'unité de ces deux négations, c'est le cheminement tout de positi-
vitě qui tend à montrer qu'il n'est de différence humainement
signifiante que celle qui provient d'une reprise de l'immédiateté
seulement donnée par ce qu'il faut appeler, justement, une liberté
instauratrice.
Le terme de « réconciliation », dont Hegel use pour signifier cette
identité différenciée, peut bien éveiller le soupçon d'une sorte de
perte de tension spéculative. Il n'est pas essentiel, et rien n'em-
pêche d'y renoncer. A condition qu'un autre - celui de « fonctionne-
ment structurel »? - recueille ce qu'un Hegel visait sous celui-là :
non pas certes l'extinction des différences, mais leur juste « arti-
culation » - autre mot dont la plénitude nous parle peut-être
mieux - leur articulation au titre même de leur différence.
Hegel 150 ans après. Vingt-cinq années de scrutation patiente
de son œuvre m'ont convaincu de ce que les procédures logiques qu'il
mit au jour contiennent, si nous voulons respecter leur équilibre
très hautement paradoxal, tout ce qui est requis pour honorer tout à
la fois, avec la même rigueur d'engagement, les valeurs d'unité et
de pluralité qui seront toujours co-déterminantes pour qui veut avoir
prise sur le cours des choses. A une condition : que nous ayons la

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188 P.-J. LABARRIÈRE

liberté, dans la distance, de réinterroger ce


plus large part en elles, s'il est possible, à cet
en laquelle il nous faut voir, non point la lim
l'origine et la substance du discours en lequel
alors cette finesse plus grande de l'analyse qu
d'une simple altérité de différence, laquelle e
à cette altérité de relation qui est principe et co

18. J'ai tenté une analyse de ce genre dans une étude


L'expérience , ou le discours de Vautre ,

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