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Śrīmad-Bhāgavatam

CHANT 1
CHAPITRE 17

Châtiment et grâce
pour Kali

VERSET 1

sūta uvāca
tatra go-mithunaṁ rājā
hanyamānam anāthavat 
daṇḍa-hastaṁ ca vṛṣalaṁ
dadṛśe nṛpa-lāñchanam 

TRADUCTION

Sūta Gosvāmī dit:


Parvenu en ces lieux, Mahārāja Parīkṣit y voit un śūdra dégradé, mais vêtu
comme un roi, frappant avec sa masse une vache et un boeuf comme s'il n'y
avait personne pour les garder.
TENEUR ET PORTEE

Le premier trait qui caractérise l'âge de Kali est que des śūdras dégradés, à savoir
des hommes privés de toute culture brahmanique aussi bien que de l'initiation
spirituelle, revêtiront l'apparence dé dirigeants ou de rois, mais sans posséder les
qualités de kṣatriyas. Ceux-ci mettront à mort d'innocentes bêtes, et plus volontiers
encore les vaches et les boeufs, laissés sans protection par leurs maîtres, c'est-à-dire
les vaiśyas, ou la communauté marchande, à qui incombe cette responsabilité.
La Bhagavad-gītā (18.44) enseigne en effet que les activités du vaiśya sont
l'agriculture, la protection de la vache et le commerce. Cependant, dans l'âge de
Kali, les vaiśyas, désormais dégradés, s'affaireront davantage à approvisionner les
abattoirs qu'à protéger la vache et le boeuf. Tandis que les kṣatriyas doivent veiller
à la protection des citoyens de l'Etat, les vaiśyas doivent assurer le bien-être
d'animaux tels la vache et le boeuf, et les utiliser pour la production des céréales, ce
à quoi contribue le boeuf, et du lait, que donne abondamment la vache. Pour ces
fonctions qu'ils ont, on désigne d'ailleurs le boeuf et la vache comme père et mère
de l'homme, à qui il faut donner toute protection plutôt que de les mettre à mort. Or,
dans l'âge de Kali, des śūdras occuperont les postes administratifs, et ces nobles
animaux se verront privés de la protection des vaiśyas, et massacrés dans des
abattoirs entretenus par des dirigeants śūdras.

VERSET 2
vṛṣaṁ mṛṇāla-dhavalaṁ
mehantam iva bibhyatam 
vepamānaṁ padaikena
sīdantaṁ śūdra-tāḍitam 

TRADUCTION

Le boeuf, aussi blanc qu'un lotus immaculé, laissait paraître une profonde
terreur devant le śūdra qui le harcelait de coups, terreur telle que, debout sur
une seule patte, il tremblait et urinait.

TENEUR ET PORTEE

Le second trait propre à l'âge de Kali se trouve ici illustré: les principes de la
spiritualité, par nature immaculés —telle la blanche fleur du lotus—, seront
assaillis par les śūdras dénués de culture qui peuplent cet âge. Même les
descendants de brāhmaṇas et de kṣatriyas s'en prendront comme des śūdras aux
principes religieux car dans le kali-yuga, il leur manque la culture de la sagesse
védique. Et quant aux hommes de vertu, ils se verront tourmentés par ces êtres
déchus. Les hommes de cet âge se dresseront contre tout principe de vie spirituelle,
et feront parallèlement apparaître mille sectes et fausses doctrines destinés à faire
périr le boeuf sans tache de la religion. On proclamera l'Etat séculier, c'est-à-dire
sujet à aucun principe religieux, ce qui entraînera une indifférence totale quant à la
spiritualité; alors les citoyens des différentes nations se croiront libres d'agir sans
aucune marque de respect pour les sādhu, les śāstra et le guru.

Le fait que le boeuf ne se tenait plus que sur une seule patte signifie que les
principes de la religion diminueront graduellement, jusqu'à être privé de tout
support tangible; et même le fragment qu'il pourrait en rester se verra soumis à tant
de contraintes qu'il sera tremblant, et en proie à une chute imminente.

VERSET 3

gāṁ ca dharma-dughāṁ dīnāṁ


bhṛśaṁ śūdra-padāhatām 
vivatsām āśru-vadanāṁ
kṣāmāṁ yavasam icchatīm 

TRADUCTION

La vache, pour les principes spirituels qu'on peut puiser en elle, s'avère des
plus bénéfiques, mais la voilà appauvrie, sans même un veau, et ruée de coups
aux pattes par un śūdra. Affligée, des larmes emplissent ses yeux; ainsi
affaiblie, elle cherche ardemment quelque herbe dans le pré.

TENEUR ET PORTEE
Le troisième trait marquant de l'âge de Kali se manifeste dans l'affliction de la
vache. Lorsqu'on la trait, on puise en elle les principes de la religion, car son lait a
ceci de particulier qu'il représente, sous forme liquide, la substance même des
principes de la spiritualité. Aussi les grands ṛṣis et munis ne se nourrissaient-ils que
de lait. Śrīla Śukadeva Gosvāmī , par exemple, se rendait chez un chef de famille à
l'heure de la traite, et obtenait de lui un peu de lait pour sa subsistance. Il y a encore
à peine cinquante ans, personne n'aurait refusé un ou deux litres de lait à un sādhu,
et chaque maître de maison donnait cette substance précieuse aussi largement que si
c'eût été de l'eau. Pour un sanātaniste (tenant des préceptes védiques), il en va du
devoir de tout chef de famille d'inclure parmi ses biens des vaches et des boeufs,
non pas pour le simple fait d'obtenir du lait à boire, mais surtout pour les princi pes
spirituels qui leur sont inhérents. Ces mêmes sanatanistes révèrent la vache selon
les codes de la spiritualité, et respectent les brāhmaṇas. Le lait de vache est en
outre un des éléments indispensables à l'exécution des sacrifices par le feu, par quoi
le grhastha connaît une existence paisible.

Il est certes agréable de voir une vache avec son veau, mais il faut également savoir
que la présence à ses côtés de son petit donne grande satisfaction à la mère et que
par suite, elle donnera autant de lait que possible. Mais dans le kali-yuga, on sépare
les veaux de leur mère aussitôt que possible, à des fins que nous ne voudrions pas
mentionner dans ces pages du Śrīmad-Bhāgavatam. La vache est là, les larmes aux
yeux, et un śūdra la trait par des moyens artificiels; et lorsqu'elle ne donne plus de
lait, il l'envoie à l'abattoir. Ce sont, sachons-le, des actes hautement répréhensibles,
responsables de tous les troubles que connaît aujourd'hui la société moderne.
L'humain n'a pas idée des malheurs qu'il provoque au nom du progrès économique.
L'influence de Kali gardera ces hommes plongés dans les ténèbres de l'ignorance, et
tous leurs efforts en vue d'obtenir paix et prospérité resteront vains s'ils ne veillent
pas en même temps à ce que vaches et boeufs soient en tout comblés. Peut-être les
insensés ne connaissent-ils pas le principe selon lequel le bonheur des hommes ne
peut être atteint qu'à travers celui de la vache et du boeuf, mais il n'en demeure pas
moins qu'il s'agit là d'une loi de la nature. Prenons à coeur ces instructions
authentiques du Śrīmad-Bhāgavatam, et adoptons les principes qui procureront le
plus haut bonheur à tous les hommes.

VERSET 4

papraccha ratham ārūḍhaḥ


kārtasvara-paricchadam 
megha-gambhīrayā vācā
samāropita-kārmukaḥ 

TRADUCTION
Assis sur un char couvert d'or repoussé, et solidement armé de son arc et de
ses flèches, Mahārāja Parīkṣit s'adresse au śūdra, ce bas personnage, d'une
voie profonde et tonnante comme un ciel d'orage.

TENEUR ET PORTEE

Un dirigeant, ou un monarque, comme Mahārāja Parīkṣit, possède la gravité qui


sied à une autorité aussi imposante et les armes qui lui permettent de châtier les
mécréants. Aussi peut-il mettre au défi les agents de Kali, seule voie qui permette
de neutraliser les effets de l'âge déchu. Toutefois, en l'absence de dirigeants forts, la
menace ne saurait être écartée, et la société des hommes voit sans cesse sa quiétude
rompue. Les dirigeants de pacotille élus pour représenter un peuple dégradé n'ont
rien de commun avec un roi aussi puissant que Mahārāja Parīkṣit. L'apparence
externe ou la politique d'un gouvernement n'a que peu d'importance; c'est l'oeuvre
accomplie qui compte.

VERSET 5

kas tvaṁ mac-charaṇe loke


balād dhaṁsy abalān balī 
nara-devo ’si veṣeṇa
naṭavat karmaṇā ’dvijaḥ 

TRADUCTION

"Mais qui es-tu ? Tu sembles puissant, et cependant, tu oses mettre à mort, et


sous mon règne protecteur, des créatures privées de recours! Ta vêture te fait
voir tel un homme aux traits divins [un roi], mais tu t'opposes par tes actes
aux principes qui régissent la conduite des kṣatriyas deux-fois-nés.

TENEUR ET PORTEE

Les brāhmaṇas, kṣatriyas et vaiśyas sont dits deux-fois-nés, car ces hommes d'un


ordre supérieur naissent une première fois de l'union de leurs parents, mais
également une seconde fois, au moment de recevoir l'initiation spirituelle
d'un ācārya, ou maître spirituel authentique, initiation qui correspond à une
régénération culturelle. Ainsi les kṣatriyas sont-ils deux-fois-nés au même titre que
les brāhmaṇas, et leur devoir propre consiste à protéger les êtres privés de recours.
Et parce qu'ils ont ce rôle de protéger les faibles et de châtier les mécréants, qui les
fait représenter le Seigneur, on qualifie les rois kṣatriyas "d'hommes-dieux". Or,
chaque fois que des dirigeants rompent avec cet ordre établi, le Seigneur descend
en ce monde pour rétablir les principes qui doivent régir un royaume conscient de
Dieu. Dans l'âge de Kali, de pauvres animaux sans défense, et particulièrement la
vache, qui devrait recevoir toute protection des gouvernements, sont tués sans
aucune restriction. Aussi peut-on dire que les dirigeants qui voient commettre ces
crimes sous leur nez ne méritent pas le qualificatif de représentants de Dieu. Ces
puissants administrateurs n'ont que l'apparence ou le titre de protecteur des pauvres
citoyens, car en vérité, ils s'avèrent appartenir à une classe d'hommes des plus
déchus et inutiles, privés qu'ils sont de tous les traits culturels des deuxfois-nés. Nul
ne peut espérer obtenir justice ou un traitement équitable de ces "une-fois-nés", vils
et dénués de toute formation spirituelle. C'est cette administration fallacieuse de
l'Etat qui cause le malheur de tous dans l'âge de Kali. La civilisation moderne n'est
pas constituée d'hommes deux-fois-nés, comme l'exige une culture spirituelle; ainsi,
les dirigeants du peuple, élus par le peuple —qui se compose d'hommes une-fois-
nés seulement—, ne peuvent former que des gouvernements de Kali, source de
malheurs pour tous.

Śrīmad-Bhāgavatam
CHANT 1
CHAPITRE 17

Châtiment et grâce
pour Kali.

VERSET 6

yas tvaṁ kṛṣṇe gate dūraṁ


saha-gāṇḍīva-dhanvanā 
śocyo ’sy aśocyān rahasi
praharan vadham arhasi 

TRADUCTION

"Comment, vil, oses-tu frapper une innocente vache dans un lieu solitaire,
profitant de ce que Kṛṣṇa et Arjuna, qui porte l'arc Gāṇḍīva, ont maintemant
quitté cette planète? Ton comportement est tout à fait répréhensible, et te
mérite la mort.
TENEUR ET PORTEE

Dans une civilisation d'où Dieu Se trouve manifestement banni, et où l'on ne trouve
aucun guerrier dévoué au Seigneur comme le fut Arjuna, les représentants de l'âge
de Kali profiteront de cette absence d'ordre pour organiser le massacre d'innocentes
bêtes en des lieux retirés, abattoirs et autres. Ces assassins méritent simplement
d'être condamnés à mort sur l'ordre d'un roi vertueux. Pour un roi de cette qualité,
et c'était bien la position de Mahārāja Parīkṣit, celui qui s'en prend à la vie d'un
animal loin de tous regards mérite la peine de mort au même titre qu'un meurtrier
coupable d'avoir secrètement mis à mort un enfant innocent.
VERSET 7

tvaṁ vā mṛṇāla-dhavalaḥ
pādair nyūnaḥ padā caran 
vṛṣa-rūpeṇa kiṁ kaścid
devo naḥ parikhedayan 

TRADUCTION

Puis, s'adressant au boeuf: "Et toi, qui es-tu ? Un boeuf, blanc comme le lotus,
ou un deva? Je vois qu'il te manque trois pattes, et que tu te déplaces sur la
seule qu'il te reste. Serais-tu quelque deva venu nous affliger sous la forme
d'un bœuf ?

TENEUR ET PORTEE

Au moins jusqu'au règne de Mahārāja Parīkṣit, nul n'aurait pu imaginer voir une
vache et un boeuf dans une condition aussi misérable. Aussi Mahārāja Parīkṣit se
montra-t-il fort étonné devant la scène horrible qui se déroulait devant lui. Il
demanda donc au boeuf s'il n'était pas quelque deva ayant volontairement accepté
cette condition pitoyable à seule fin d'indiquer le futur de la vache et du boeuf.

VERSET 8

na jātu kauravendrāṇāṁ
dordaṇḍa-parirambhite 
bhū-tale ’nupatanty asmin
vinā te prāṇināṁ śucaḥ 

TRADUCTION

"Pour la première fois dans ce royaume dûment protégé par la force des rois
Kurus, je te vois affligé, les yeux baignés de larmes. Jusqu'à ce jour, nul être à
la surface de la terre n'a pleuré par la négligence des kṣatriyas.

TENEUR ET PORTEE

Le premier et le plus important devoir du gouvernement consiste à assurer la


protection de la vie, tant celle des hommes que des animaux. Les dirigeants ne
doivent en rien manquer à ce principe, ni distinguer à cet effet l'homme de la bête.
L'homme au coeur pur ne peut que voir comme une horreur l'organisation par l'Etat
de l'abattage massif des animaux dans l'âge de Kali. Mahārāja Parīkṣit déplorait les
larmes coulant des yeux du boeuf, et s'étonnait d'être témoin d'un tel précédent dans
son royaume modèle, où la vie des hommes et des animaux jouissait d'une
protection égale. Ainsi en va-t-il dans le royaume de Dieu.
VERSET 9

mā saurabheyātra śuco
vyetu te vṛṣalād bhayam 
mā rodīr amba bhadraṁ te
khalānāṁ mayi śāstari 

TRADUCTION

"O fils de surabhi, ne te lamente plus; il n'y a rien à craindre de


ce śūdra degradé. Et toi, notre mère la vache, aussi longtemps que je régnerai
sur ce royaume et vaincrai les envieux, tu n'auras aucune raison de pleurer.
Tout ira bien pour vous.

TENEUR ET PORTEE

La protection du boeuf et de la vache, comme de tout autre animal, n'est ,ossible


que lorsqu'un Etat est gouverné par un dirigeant de la qualité de Mahārāja Parīkṣit.
Celui-ci, en roi kṣatriya cultivé et deux-fois-né, s'adresse a la vache comme à sa
mère. surabhi est le nom de la vache sur les planètes spirituelles, et
particulièrement de celles que soigne personnellement Śrī Kṛṣṇa. Tout comme
l'homme est à l'image du Seigneur Suprême, les traits et la forme de la vache en ce
monde s'apparentent à ceux de la surabhi dans le monde spirituel.

Dans l'univers matériel, la société accorde toute protection à la vie des humains,
mais aucune loi ne protège les descendantes des surabhis, qui contribuent pourtant
au bien des hommes en leur fournissant le lait, cet aliment miracle. A l'opposé,
Mahārāja Parīkṣit ou les Pāṇḍavas avaient pleinement conscience de l'importance
de la vache et du boeuf, et ils étaient prêts à châtier comme il convient, même par la
mort, quiconque s'attaquerait à la vie de ceux-ci. Il y a bien eu dans l'histoire
quelques efforts entrepris pour la protection de la vache et du boeuf, mais en
l'absence de dirigeants vertueux et de lois appropriées, ces efforts n'eurent jamais
d'aboutissement. La gent humaine devrait donc reconnaître l'importance de ces
animaux et, suivant l'exemple de Mahārāja Parīkṣit, leur accorder toute protection.
Car cette protection de la vache et de la culture brahmanique aura pour effet de
satisfaire le Seigneur, qui Lui-même leur porte un intérêt particulier (go-brāhmaṇa-
hitāya). En retour, Celui-ci nous conférera la paix véritable.

VERSETS 10-11

yasya rāṣṭre prajāḥ sarvās


trasyante sādhvy asādhubhiḥ 
tasya mattasya naśyanti
kīrtir āyur bhago gatiḥ 
eṣa rājñāṁ paro dharmo
hy ārtānām ārti-nigrahaḥ 
ata enaṁ vadhiṣyāmi
bhūta-druham asattamam 

TRADUCTION

"O toi qui est chaste, la gloire, la longévité et l'assurance d'une noble
renaissance s'évanouissent pour le roi égaré dont les sujets sont terrifiés par
des mécréants. Il va certes du premier devoir du roi de soulager avant tout
ceux qui souffrent; par suite, je dois faire périr cet homme des plus déchus.
car il fait montre de violence envers d'autres êtres vivants.

TENEUR ET PORTEE

Lorsqu'un animal sauvage sème le trouble dans un village ou une ville quelconque,
les forces de l'ordre font le nécessaire pour qu'il soit mis à mort. De même est-ce le
devoir du gouvernement de mettre à mort, et sur-le-champ, tout élément nuisible à
la société, —voleurs, brigands ou meurtriers ... Et le même châtiment doit frapper
ceux qui s'attaquent aux animaux, car ceux-ci appartiennent également au nombre
des prajās. Ce mot désigne en effet tout être, humain ou animal, qui a pris
naissance au sein d'un pays. Tout être vivant jouit du droit primordial de poursuivre
son existence sous la protection du roi, ou du dirigeant, de l'Etat où il a vu le jour.
Ainsi, les animaux de la jungle sont aussi les sujets du roi, et de ce fait ont le droit
de vivre; que dire dès lors d'animaux domestiques comme la vache et le bœuf !

Tout être qui terrifie ceux qui l'entourent est certes le plus déchu d'entre les sujets
d'un roi, qui doit aussitôt mettre à mort un élément aussi perturbateur. Au même
titre qu'un animal sauvage doit périr s'il sème le trouble dans un village et terrifie
ses habitants, tout homme qui sans raison s'en prend à la vie des animaux, sauvages
ou domestiques, ou jette la frayeur parmi eux, doit être châtié sur-le-champ. Tout
être vivant, quelle que soit sa forme, est un fils du Seigneur Suprême, ainsi le veut
Sa loi; et nul n'a le droit d'attenter à la vie d'un autre à moins que les lois naturelles
ne l'ordonnent. Notons, à cet effet, que le tigre peut tuer un animal plus faible que
lui pour assurer sa subsistance, mais qu'un homme ne peut faire de même. La loi de
Dieu permet qu'un être vivant subsiste en se nourrissant d'une autre espèce vivante.
Ainsi, les végétariens doivent également tuer pour se nourrir. Mais chacun doit se
nourrir exclusivement des espèces vivantes que lui attribuent les lois divines.
L'Īśopaniṣad enseigne à cet effet qu'on doit vivre selon les directives du Seigneur,
et non de manière indépendante, selon sa fantaisie. L'homme, pour sa part, peut se
nourrir de divers aliments végétaux, de fruits et céréales, ainsi que de produits
laitiers; tel est l'ordre établi par Dieu, et il n'est nul besoin pour lui de se nourrir de
chair animale, si ce n'est dans certains cas exceptionnels.
Les rois ou dirigeants illusionnés, même si l'on dit parfois d'eux qu'ils sont de
grands philosophes et érudits, permettent le maintien d'abattoirs sous leur règne,
ignorant que la torture de pauvres bêtes entraînera pour eux les conditions les plus
infernales. Les chefs d'Etat doivent toujours se montrer alertes en ce qui concerne
la sauvegarde des prajās, hommes ou bêtes, et s'assurer de ce qu'aucun d'eux, en
aucun lieu de son royaume, n'est harcelé par quiconque. Dès qu'un être se montre
violent, il doit s'emparer de lui et le mettre à mort, ainsi que l'a fait Mahārāja
Parīkṣit.

L'institution d'un gouvernement populaire, ou d'un gouvernement par le peuple, ne


doit pas permettre le massacre des innocentes bêtes, selon le bon vouloir de
dirigeants insensés; ces représentants du peuple doivent connaître les lois divines
telles que les révèlent les Ecritures. Mahārāja Parīkṣit souligne ici que selon les
codes divins, un roi ou dirigeant irresponsable risque sa renommée, sa longévité et
sa puissance, sans compter son élévation à un niveau d'existence supérieur et
jusqu'à son salut. Mais nos insensés ne croient pas même en l'existence d'une autre
vie.

Alors que nous commentons ce verset particulier, nous avons devant les yeux les
dires d'un grand homme politique récemment décédé. Ces mots sont ceux de son
testament, et dévoilent son piètre savoir des lois de Dieu, celles même auxquelles
Mahārāja Parīkṣit fait allusion. Voici ce qu'il dit: "Je ne crois en aucun cérémonial,
ni à la nécessité de s'y soumettre, ne serait-ce que dans la forme; ce ne serait là que
de l'hypocrisie, ni plus ni moins qu'une tentative pour se tromper soi-même ou pour
égarer autrui... La chose n'évoque en moi aucun sentiment religieux."

Si l'on compare cette assertion d'un grand homme politique moderne avec celle de
Mahārāja Parīkṣit, on ne peut qu'en remarquer le contraste. Mahārāja Parīkṣit était
aussi vertueux qu'on puisse l'être en ce qui concerne les codes scripturaires, quand
notre politicien, lui, ne parle que sur la base de ses croyances et sentiments
personnels. Après tout, tout homme en ce monde, si grand fût-il, demeure une âme
conditionnée, pieds et poings liés par la nature matérielle; et pourtant, il en est
d'assez insensés pour se croire libres d'agir selon leur caprice. La conclusion à tirer
de tout ceci est que les hommes vivant sous le règne de Mahārāja Parīkṣit se
trouvaient heureux, et les animaux parfaitement protégés, justement parce que la
tête de l'Etat n'était pas "capricieuse", ni dotée d'un maigre savoir concernant les
lois de Dieu. Les incroyants privés d'intelligence cherchent à nier l'existence du
Seigneur et à proclamer l'Etat séculier, de façon à vivre plus "librement", au prix de
leur précieuse vie humaine. La forme humaine doit tout spécialement servir à
approfondir la science de Dieu, mais des êtres insensés, et plus encore dans l'âge de
Kali, plutôt que de développer cette science, font toutes sortes de propagande
contre la religion aussi bien que contre l'existence de Dieu, et cela, en dépit du fait
qu'ils sont toujours liés par ces lois, qui prennent forme de naissance, de maladie,
de vieillesse et de mort.
Śrīmad-Bhāgavatam
CHANT 1
CHAPITRE 17

Châtiment et grâce
pour Kali.

VERSET 12

ko ’vṛścat tava pādāṁs trīn


saurabheya catuṣ-pada 
mā bhūvaṁs tvādṛśā rāṣṭre
rājñāṁ kṛṣṇānuvartinām 

TRADUCTION

Mahārāja Parīkṣit, s'adressant au boeuf: "O fils de Surabhi, qui t'a privé de
trois de tes pattes? Dans les Etats dirigés par des rois obéissant aux lois du
Seigneur Suprême, Śrī Kṛṣṇa, on ne trouve aucun être aussi malheureux que
tu ne l'es aujourd'hui.
TENEUR ET PORTEE

Les rois, ou dirigeants de tous les Etats doivent connaître les codes énoncés par Śrī
Kṛṣṇa, tels qu'on les trouve généralement dans la Bhagavad-gītā et le Śrīmad-
Bhāgavatam, et agir en conséquence, de manière à parfaire leur mission d'homme.
Le but de la vie humaine consiste à mettre un terme définitif à toutes les
souffrances inhérentes à la condition matérielle, et celui qui adhère aux
enseignements de par Śrī Kṛṣṇa peut s'acquitter de cette tâche sans difficulté
aucune. Ces codes, la Bhagavad-gītā les offre à notre compréhension sous forme de
synthèse, tandis que le Śrīmad-Bhāgavatam les expose en détail.
Dans un Etat gouverné selon les enseignements de Kṛṣṇa, on ne trouve personne
qui soit malheureux. A l'opposé, dès que ces codes sont rejetés, les pattes du boeuf
symbolique de la religion commencent d'être coupées une à une, à la suite de quoi
s'anime le cortège de toutes les souffrances. Au moment où Kṛṣṇa Se trouvait
personnellement présent sur Terre, on observait Ses enseignements sans la moindre
hésitation; mais il faut savoir qu'en Son absence, ces codes nous sont présentés
dans les pages du Śrīmad-Bhāgavatam, justement pour la gouverne de tous ceux
qui exercent une influence déterminante au sein de la société.

VERSET 13

ākhyāhi vṛṣa bhadraṁ vaḥ


sādhūnām akṛtāgasām 
ātma-vairūpya-kartāraṁ
pārthānāṁ kīrti-dūṣaṇam 

TRADUCTION

"O boeuf, toi innocent et profondément intègre, je te souhaite toute heureuse


fortune. Veuille me faire connaître le responsable de tes mutilations: qui donc
a ainsi terni la réputation des fils de Pṛthā.

TENEUR ET PORTEE

Le renom de monarques tels Mahārāja Rāmacandra et d'autres qui marchèrent sur


Ses traces, comme les Pāṇḍavas et leurs descendants, ne s'effacent jamais des
mémoires, car sous leur règne, les êtres intègres et sans tache ne connurent jamais
de difficulté. Or, le boeuf et la vache représentent certes les plus paisibles, les plus
purs de tous les êtres; leur bouse et leur urine même peuvent être utilisées pour le
bien des hommes. Les descendants des fils de Pṛthā, dont Mahārāja Parīkṣit,
veillaient à ne point salir leur réputation, mais de nos jours, les dirigeants ne
craignent pas même de pécher en abattant ces innocentes bêtes. Et là gît une
différence majeure entre le règne des rois pieux et le gouvernement des Etats
modernes, où les chefs d'Etat n'ont aucune connaissance des lois divines.

VERSET 14

jane ’nāgasy aghaṁ yuñjan


sarvato ’sya ca mad-bhayam 
sādhūnāṁ bhadram eva syād
asādhu-damane kṛte 

TRADUCTION

"Quiconque fait souffrir des innocents doit me craindre, en quelque partie du


monde qu'il se trouve. Car, en réprimant les mécréants sans scrupule, on
oeuvre en même temps pour la fortune des innocents.

TENEUR ET PORTEE

Les mécréants sans scrupule se multiplient seulement sous le règne de dirigeants


impuissants et couards. Car, dès que le chef d'un Etat se montre assez ferme pour
asservir tous les malfaiteurs, dans les moindres parties des contrées qu'il gouverne,
leurs méfaits cessent naturellement de s'étendre. Lorsqu'on unit une crapule à titre
d'exemple, il s'ensuit aussitôt une vague d'heureuse fortune pour les innocents et les
purs. Comme nous l'avons déjà mentionné, le premier devoir du roi ou d'un chef
d'Etat consiste à donner toute protection aux citoyens paisibles et sans reproches de
son royaume. Ainsi des dévots du Seigneur, qui possèdent par nature ces qualités, si
bien qu'il va du devoir de l'Etat de faire en sorte que chacun devienne un bhakta.
Alors, tous les citoyens acquerront à leur tour ces qualités, et les dirigeants n'auront
plus qu'à subjuguer les malhonnêtes. Voilà le moyen de donner paix et harmonie à
l'humanité tout entière.

VERSET 15

anāgaḥsv iha bhūteṣu


ya āgas-kṛn niraṅkuśaḥ 
āhartāsmi bhujaṁ sākṣād
amartyasyāpi sāṅgadam 

TRADUCTION

"Je me saisirai personnellement de tout sujet rebelle qui s'attaquera à un


innocent, fût-il un deva des planètes édéniques, vêtu d'une armure et couvert
de parures.

TENEUR ET PORTEE

On qualifie d'amaras, d'immortels, les habitants du royaume édénique, car la durée


de leur vie est infiniment plus étendue que celle des humains. Pour ces derniers,
dont la longévité maximale est d'une centaine d'années, une vie d'une durée de
plusieurs millions d'années ne peut que suggérer l'immortalité. La Bhagavad-
gītā nous enseigne que sur la planète nommée Brahmaloka, par exemple, la durée
d'un seul jour équivaut à 4 milliards 320 millions (4 320 000 x 1000) de nos années
solaires. Sur d'autres planètes édéniques, il faut six de nos mois pour faire un jour,
et leurs habitants vivent dix mille des années de ces jours. Sur toutes les planètes
supérieures, donc, la durée de l'existence s'avère beaucoup plus étendue que sur
terre, aussi imagine-t-on les devas comme des êtres immortels, bien qu'en réalité
nul en cet univers matériel ne soit immortel.

Mahārāja Parīkṣit défie même ces devas de venir torturer les innocents en son
royaume. Cela signifie qu'un chef d'Etat doit, à l'exemple de Mahārāja Parīkṣit,
montrer suffisamment de puissance et de détermination pour châtier les plus
violents offenseurs. Et tel doit être son mot d'ordre: quiconque enfreint les lois
divines devra être châtié.

Śrīmad-Bhāgavatam
CHANT 1
CHAPITRE 17

Châtiment et grâce
pour Kali.
VERSET 16

rājño hi paramo dharmaḥ


sva-dharma-sthānupālanam 
śāsato ’nyān yathā-śāstram
anāpady utpathān iha 

TRADUCTION

"Le devoir ultime du roi régnant consiste à accorder toute protection à ceux
de ses sujets qui respectent les lois, mais aussi à châtier tous ceux qui
s'écartent des prescriptions scripturaires même en temps normal, en dehors de
toute circonstance exceptionnelle."
TENEUR ET PORTEE

Les Ecritures mentionnent l'existence de devoir à accomplir en des circonstances


extraordinaires, et qu'on nomme āpad-dharma. On dit, par exemple, que le grand
sage Viśvāmitra dut, dans une situation particulièrement périlleuse, se nourrir de
chien. Il arrive donc qu'il soit permis de se nourrir de la chair d'animaux de toutes
sortes, mais cela ne justifie en rien l'établissement d'abattoirs organisés à seule fin
de nourrir les mangeurs de viande, ou le consentement de l'Etat pour de telles
pratiques. En temps normal, personne ne devrait chercher à vivre de la chair des
animaux, seulement pour flatter leur palais. Et quiconque dérogera à cette règle,
pour la satisfaction de quelques bas instincts, devra être châtié par le roi ou le chef
d'Etat.

Divers enseignements scripturaires visent à régler les devoirs quotidiens de chacun,


et celui qui adhère strictement à ces obligations prend nom svadharma-stha, ce qui
indique la fidélité dont il fait preuve dans l'accomplissement de ses devoirs.
La Bhagavad-gītā (XVIII.48) conseille de ne pas abandonner ses devoirs prescrits,
même s'ils ne sont pas toujours sans défaut. Ces sva-dharmas peuvent être violés en
cas d'urgence, par la force des circonstances, mais en aucun cas peut-on y manquer
en temps ordinaire. Et celui qui dirige l'Etat doit voir à ce que chacun s'en tienne à
son svadharma, quel qu'il soit, et accorder toute protection à ceux qui s'en acquit-
tent. Celui, au contraire, qui manque à ses devoirs s'expose à un châtiment
déterminé par les śāstras. Et il va du strict devoir du roi de veiller avec vigilance à
ce que ne survienne aucun écart aux devoirs prescrits pour chacun dans les
Ecritures.

VERSET 17

dharma uvāca
etad vaḥ pāṇḍaveyānāṁ
yuktam ārtābhayaṁ vacaḥ 
yeṣāṁ guṇa-gaṇaiḥ kṛṣṇo
dautyādau bhagavān kṛtaḥ 

TRADUCTION

La religion en personne dit:


Tes paroles conviennent tout à fait à un représentant de la dynastie des
Pāṇḍavas. Car Śrī Kṛṣṇa Lui-même, le Seigneur Suprême, séduit par les qua-
lités dévotionnelles de ces mêmes Pāṇḍavas, accepta de remplir auprès d'eux
diverses fonctions, telle celle de messager.

TENEUR ET PORTEE

Les fermes assertions ainsi que les défis lancés par Mahārāja Parīkṣit n'ont rien
d'exagérés en regard de sa puissance réelle. Ainsi, lorsqu'il affirme que même les
habitants des cieux ne pourront échapper à la rigueur de son gouvernement s'ils
enfreignent les principes de la spiritualité, ce n'est pas par prétention; le dévot du
Seigneur jouit, par la grâce de Dieu, d'une puissance égale, et parfois même
supérieure, à la Sienne, et toute promesse faite par un bhakta, si difficile soit-elle à
respecter en des circonstances ordinaires, se voit remplie par cette même grâce du
Seigneur. Ainsi, le service de dévotion pur et sans mélange des Pāṇḍavas, ainsi que
leur abandon total au Seigneur, firent que Celui-ci accepta de devenir tantôt leur
conducteur de char, tantôt leur messager, ou leur porteur de lettres, et ainsi de suite.
Le fait pour le Seigneur d'accomplir ces actes pour Son dévot Lui est toujours
source d'une profonde satisfaction, car Il éprouve ce désir de servir les
purs bhaktas, dont l'existence tout entière n'a d'autre objet que de Le servir dans un
sentiment d'amour et de dévotion absolu. Mahārāja Parīkṣit, petit-fils d'Arjuna —le
célèbre ami et serviteur du Seigneur—, était un pur bhakta au même titre que ses
ancêtres, aussi le Seigneur fût-Il toujours auprès de Lui, même lorsque, encore dans
le sein de sa mère et impuissant, il fut attaqué par le
radiant brahmāstra d'Aśvatthāmā. Le bhakta, donc, se trouve toujours sous la pro-
tection du Seigneur, de sorte que la promesse faite par Mahārāja Parīkṣit de
protéger ses sujets ne peut être tenue pour vide de sens. La religion en personne
accepta cette vérité, et remercia le roi d'ainsi se montrer à la hauteur de sa digne
position.

VERSET 18

na vayaṁ kleśa-bījāni
yataḥ syuḥ puruṣarṣabha 
puruṣaṁ taṁ vijānīmo
vākya-bheda-vimohitāḥ 

TRADUCTION
O meilleur des hommes, il nous est très difficile d'identifier de façon exacte le
malfaiteur qui a causé nos souffrances, car nous nous trouvons confus devant
les opinions divergentes de différents théoriciens et philosophes.

TENEUR ET PORTEE

Le monde compte de nornbreux théoriciens et philosophes, qui chacun présentent


leur propre théorie quant à la causalité des choses et de leurs effets, et plus
précisément sur les causes de la souffrance ainsi que ses effets sur divers êtres. On
dénombre généralement six grands philosophes: Kaṇāda, l'auteur de la
philosophie vaiśeṣika; Gautama, l'artisan de la logique; Patañjali, le créateur du
système yogique; Kapila, le promoteur de la philosophie du sāṅkhya; Jaimini,
l'instigateur du karma-mīmāṁsā; et Vyāsadeva, le maître du vedānta-darśana.

Bien que le boeuf, personnification de la religion, et la vache, déesse de la Terre,


aient parfaitement su que Kali était directement responsable de leurs souffrances,
ils avaient en même temps pleine conscience, parce que dévots du Seigneur, que
nul, s'il n'a la sanction de Dieu, ne peut leur infliger le moindre mal. Dans les mots
du Padma Purāṇa, nos difficultés présentes sont les fruits que portent nos
semences de péchés; or, ces semences peuvent graduellement se dessécher et
mourir par la pratique du service de dévotion pur. Ainsi, même lorsqu'il voit le
responsable direct de ses souffrances, le bhakta ne l'accuse pas de lui avoir infligé
ces douleurs. Il comprend que le responsable immédiat du mal qui lui est causé
n'agit en fait que poussé par une cause d'origine plus lointaine; aussi tolère-t-il ses
souffrances et y voit-il un don de Dieu. Il comprend que sans la miséricorde du
Seigneur, la faible dose de malheur qu'il doit subir aurait certes dû être amplifiée
dans des proportions considérables.

Mahārāja Parīkṣit désirait obtenir du boeuf et de la vache qu'ils lui désignent le


responsable direct de leurs souffrances, mais ils refusèrent de lui livrer cette
information, animés des sentiments que nous venons de décrire. Les théoriciens,
cependant, ne reconnaissent pas la sanction du Seigneur; ils cherchent plutôt à
définir par leurs propres moyens la cause des souffrances, et ce sont précisément
leurs théories que nous énoncerons dans les versets qui suivent. Selon Śrīla Jīva
Gosvāmī, ces spéculateurs sont eux-mêmes victimes d'égarement, de sorte qu'ils ne
peuvent déterminer la cause ultime de toutes les causes, à savoir le Seigneur
Suprême, Dieu.

VERSET 19

kecid vikalpa-vasanā
āhur ātmānam ātmanaḥ 
daivam anye ’pare karma
svabhāvam apare prabhum 
TRADUCTION

Ainsi, certains philosophes, qui s'opposent à toute forme de dualité, affirment


que l'être est seul responsable des joies et des peines qui lui échoient. D'autres
rejettent cette responsabilité sur des puissances surnaturelles, quand d'autres
encore voudraient ne tenir que l'action pour l'origine de telle manifestation.
Quant aux bas matérialistes, ils voient en la nature la cause ultime de tout ce
qui est.

TENEUR ET PORTEE

Des philosophes tel Jaimini, dont nous avons déjà mentionné le nom, et ses
successeurs, voudraient établir que l'action et ses fruits représentent la cause
première de nos moindres joies et peines; et, toujours selon eux, même s'il existe
quelque puissance supérieure, dotée de pouvoirs surnaturels, à savoir des devas ou
un Dieu unique, Celui-ci, ou ceux-ci, agissent également sous l'influence de cette
loi, puisqu'ils accordent à tous les êtres les fruits attendus de leurs actions. Et
comme l'action ne saurait être considérée indépendamment de son auteur, l'agissant
devient pour eux le seul responsable de son bonheur ou de son malheur. Or,
la Bhagavad-gītā (VI.5) souligne le fait que le mental, lorsque libre de toute
affection matérielle, peut arracher l'être aux souffrances sous-jacentes à la matière,
qu'il faut donc prendre garde de ne pas laisser le mental s'engluer dans la matière si
l'on désire demeurer à l'écart des maux qui lui font cortège. Ainsi le mental peut-il
devenir un ami ou un ennemi en regard des joies et des peines qui nous échoient.

Les athées, pour leur part, comme ceux qui adhèrent à la philosophie du sāṅkhya,
postulent qu'en la nature matérielle gît la cause de toutes les causes. Selon eux, la
combinaison des éléments matériels est seule responsable de nos joies et peines, et
la désintégration de la matière correspondrait à l'affranchissement de ses griffes.
Gautama et Kaṇāda se représentent ainsi les combinaisons atomiques comme la
cause ultime, quand un impersonnaliste tel Aṣṭāvakra voit, lui, cette origine
première de tout ce qui est dans la radiance spirituelle du Brahman. Toutefois, le
Seigneur en personne enseigne dans la Bhagavad-gītā (XIV.27) qu'Il est le
fondement du Brahman impersonnel, aussi est-ce Lui, la Personne Souveraine, qui
en dernière analyse représente le principe même de toutes causes. Ce que vient
également corroborer la Brahma-saṁhitā (V.1), où Śrī Kṛṣṇa est décrit comme la
cause première de toutes les causes.

VERSET 20

apratarkyād anirdeśyād
iti keṣv api niścayaḥ 
atrānurūpaṁ rājarṣe
vimṛśa sva-manīṣayā 
TRADUCTION

Certains autres penseurs prétendent que ni la raison, ni l'imagination, ni les


mots ne permettent de déterminer la cause réelle de nos souffrances. Ainsi, ô
roi, juge par toi-même, considérant ces diverses propositions au moyen de ta
propre intelligence.

TENEUR ET PORTEE

Comme nous l'avons expliqué, les Vaiṣṇavas, les dévots du Seigneur, croient


fermement que rien ne peut se produire sans la sanction du Seigneur Suprême.
Comme Il l'enseigne Lui-même dans la Bhagavad-gītā (XV.15), Il est le maître
absolu, et habite, sous la forme omniprésente du Paramātmā, le coeur de chaque
être, dont Il est témoin des moindres actions. L'argument des athées selon lequel
nul ne peut être puni pour ses méfaits à moins d'être jugé coupable devant un
tribunal qualifié, se trouve réfuté sitôt que nous acceptons l'existence de ce
compagnon constant de l'être distinct, témoin éternel de ses moindres gestes. On
peut oublier ce qu'on a fait au cours de ses vies passées ou durant sa vie présente,
mais il faut savoir que l'âme infinitésimale et l'Ame Suprême, le Paramātmā, se
tiennent ensemble, comme deux oiseaux, sur l'arbre du corps matériel. Le premier
jouit des fruits de cet arbre quand le second l'observe seulement. L'aspect
Paramātmā de l'Etre Suprême a donc connaissance de toutes les actions de l'être
distinct, et c'est uniquement grâce à Ses directives que celui-ci peut se rappeler, ou
oublier, ce qu'il a fait dans le passé.

L'Etre Suprême est donc également, et en même temps, le Brahman impersonnel


qui tout pénètre et le Paramātmā "localisé" dans le coeur de chaque être. Il connaît
tout du passé, du présent et du futur, et l'être distinct ne peut Lui cacher aucun de
ses actes. Les bhaktas savent cette vérité, aussi accomplissent-ils leurs devoirs avec
sincérité, sans aspirer avec trop d'ardeur aux fruits de leurs actes. D'autre part, que
ce soit par la spéculation ou par l'érudition pure, nul ne peut déterminer les
réactions du Seigneur, à savoir les raisons pour lesquelles Il met certains êtres en
difficulté et d'autres non. Il est le connaissant suprême du savoir védique, et en tant
que tel un véritable vedantiste; pour tout dire, Il est l'auteur même du Vedānta. Nul
n'est indépendant de Lui; seulement, tous Le servent de manière différente. A l'état
conditionné, on Lui offrira ce service par la force des choses, poussé par l'énergie
matérielle, mais à l'état libéré, il deviendra volontaire, accompli avec amour, et
animé par l'énergie spirituelle.

Quant aux Actes du Seigneur, on y trouve nulle incongruité ou imperfection: tous


sont fidèles aux voies de la Vérité Absolue. Bhīṣmadeva décrit d'ailleurs fort
justement les actions inconcevables du Seigneur. En conclusion, les souffrances
du deva de la religion et de la déesse de la Terre, tous deux présents devant
Mahārāja Parīkṣit, s'inscrivent dans un dessein visant à prouver que l'empereur se
comportait tel un chef d'Etat modèle, puisqu'il savait donner protection aux vaches
(qui représentent la Terre) et aux brāhmaṇas, principes vivants de la spiritualité,
lesquels constituent les deux piliers de l'évolution spirituelle pour l'humanité
entière. Chaque être se place sous la domination complète du Seigneur, aussi Celui-
ci ne commet-Il aucune erreur lorsqu'Il désire que quelqu'un agisse de telle ou telle
manière, et ce, quelles que soient les circonstances. La grandeur de Mahārāja
Parīkṣit fut ainsi mise à l'épreuve, et nous allons maintenant voir comment sa clair -
voyance trancha la question.

Śrīmad-Bhāgavatam
CHANT 1
CHAPITRE 17

Châtiment et grâce
pour Kali.

VERSET 21

sūta uvāca
evaṁ dharme pravadati
sa samrāḍ dvija-sattamāḥ 
samāhitena manasā
vikhedaḥ paryacaṣṭa tam 

TRADUCTION

Sūta Gosvāmī dit:


O meilleur des brāhmaṇas, l'empereur Parīkṣit ayant ouï ces propos de la
religion en personne, se trouva comblé, et lui répondit, sans erreur ou regret
aucun.
TENEUR ET PORTEE

Le discours du boeuf, seigneur de la religion, était tout empreint de philosophie et


de savoir, et il combla le roi, désormais en mesure de comprendre que ce boeuf
affligé n'était certes pas un être ordinaire. Car, à moins d'être parfaitement versé
dans les lois du Seigneur Suprême, nul ne saurait énoncer des vérités
philosophiques aussi profondes. Or, l'empereur, qui partageait lui-même cette
sagesse, répondit de juste manière, sans le moindre doute ni la plus petite erreur.

VERSET 22

rājovāca
dharmaṁ bravīṣi dharma-jña
dharmo ’si vṛṣa-rūpa-dhṛk 
yad adharma-kṛtaḥ sthānaṁ
sūcakasyāpi tad bhavet 

TRADUCTION

Le roi dit:
O toi qui as pris la forme d'un boeuf et connais en vérité les principes de la
religion, tu affirmes que la destinée de celui qui enfreint le code de la
spiritualité sera également celle de celui qui l'accuse. Tu ne peux donc être que
la religion en personne.

TENEUR ET PORTEE

La pensée profonde d'un bhakta est que nul n'est seul responsable des bienfaits ou
des méfaits qu'il peut accomplir, puisque ceux-ci doivent toujours s'accompagner
de la sanction du Seigneur; aussi ne tient-il personne pour l'unique responsable de
ses actes. Dans un cas comme dans l'autre, dans le gain ou dans la perte, il accepte
d'emblée sa condition comme un don de Dieu, comme une manifestation de Sa
grâce. D'une part, on a aucun mal à reconnaître la volonté de Dieu dans le gain,
alors qu'on se laisse le plus souvent envahir par le doute devant la perte ou
l'adversité: comment le Seigneur peut-Il Se montrer si dur envers Son dévot, et le
soumettre à de telles difficultés? Jésus-Christ, par exemple, sembla bien soumis aux
plus grandes difficultés lorsqu'il fut crucifié par des ignorants, mais jamais il ne
montra de colère envers ses bourreaux. Voilà comment un bhakta accepte toute
chose, favorable ou défavorable; c'est pourquoi à ses yeux, l'accusateur est un
pécheur au même titre que l'auteur du méfait. Ainsi, voyant partout la grâce du
Seigneur, le bhakta peut tolérer toutes les adversités qui lui échoient, et Mahārāja
Parīkṣit nota ce trait propre aux bhaktas dans le boeuf qui se trouvait devant lui, et
il comprit que ce boeuf n'était autre que la religion en personne. Bref,
le bhakta n'éprouve aucune souffrance, car pour lui, qui voit Dieu en toute chose,
ce qu'on nomme la souffrance est une autre manifestation de la grâce du Seigneur.
La vache et le boeuf ne portèrent plainte devant le roi à aucun moment pour les
tortures que leur infligeait le perfide Kali, quand le commun des hommes s'en
prend toujours aux dirigeants. Et c'est précisément cette attitude remarquable du
boeuf qui amena le roi à en conclure qu'il ne pouvait être que la religion en
personne, puisque aucun autre n'aurait pu saisir avec autant de finesse les subtilités
liées aux principes de la spiritualité.

VERSET 23

athavā deva-māyāyā
nūnaṁ gatir agocarā 
cetaso vacasaś cāpi
bhūtānām iti niścayaḥ 
TRADUCTION

D'autre part, il ressort que les énergies du Seigneur sont inconcevables, et que
nul n'est en mesure d'en saisir la portée, ni par la spéculation intellectuelle, ni
en jouant avec les mots.

TENEUR ET PORTEE

On peut certes se poser la question suivante: pourquoi le bhakta devrait-il se garder


de reconnaître l'auteur d'une action? Comment, même s'il sait que le Seigneur est
définitivement l'agissant ultime, peut-il feindre d'ignorer l'auteur immédiat d'une
action? Pour élucider ce doute, il faut savoir que le Seigneur n'est pas non plus
vraiment responsable, du moins pas de manière directe, des actes accomplis par les
êtres distincts, car ceux-ci agissent sous l'influence de l'énergie matérielle,
ou māyā-śakti, mandatée en ce monde par le Seigneur. Or, l'énergie matérielle
suscite constamment des doutes quant à l'autorité suprême du Seigneur. Ainsi, la
religion en personne savait parfaitement que rien ne peut se produire sans la
sanction du Seigneur Suprême; et pourtant, il fut pris de doute sous l'influence de
l'énergie illusoire, et s'abstint de faire référence à la cause ultime de ses souffrances.
Son hésitation provenait de la souillure à la fois de Kali et de l'énergie matérielle.
L'atmosphère tout entière de l'âge de Kali se trouve amplifiée par l'effet de l'énergie
illusoire, et ce, dans des proportions que nul ne saurait déterminer.

VERSET 24

tapaḥ śaucaṁ dayā satyam


iti pādāḥ kṛte kṛtāḥ 
adharmāṁśais trayo bhagnāḥ
smaya-saṅga-madais tava 

TRADUCTION

Dans le satya-yuga [l'âge de l'intégrité], les principes de l'austérité, de la


pureté, de la compassion et de la véracité te faisaient quatre pattes solides.
Mais il apparaît aujourd'hui que trois de tes pattes ont été brisées par suite
d'une infiltration partielle de l'irréligion, sous les formes de l'orgueil, d'un
trop grand attachement au sexe opposé et de l'absorption de substances
enivrantes.

TENEUR ET PORTEE

L'énergie illusoire, ou la nature matérielle, n'a d'emprise sur l'être distinct que dans
la mesure où celui-ci cède à l'attrait trompeur de māyā. Tout comme des phalènes
captivées par le brillant éclat de la flamme qui les fera périr, les âmes
conditionnées, toujours fascinées par l'énergie illusoire, s'y précipitent comme dans
un brasier; et les Ecritures védiques veulent alerter l'âme conditionnée contre ce
danger afin qu'elle ne tombe pas en proie à l'illusion mais cherche plutôt à s'en
affranchir. Ces mêmes Vedas enjoignent de ne pas sombrer dans les ténèbres de
l'ignorance, mais bien plutôt de s'élever vers la lumière. En outre, Śrī Kṛṣṇa en
personne nous prévient: la puissance de l'énergie matérielle est telle qu'on ne peut
la vaincre, mais celui qui s'abandonne totalement au Seigneur peut aisément le
faire. Mais là encore, l'abandon aux pieds pareils-au-lotus du Seigneur n'est pas des
plus faciles; il ne devient possible que pour ceux qui ont cultivé le savoir spirituel
selon les principes de l'austérité, de la pureté, de la compassion et de la véracité.
Ces quatre principes, marque d'une civilisation évoluée, comptaient parmi les traits
remarquables de l'âge de Satya. Dans cette ère, chaque homme était pratiquement
un brāhmaṇa qualeié de l'ordre le plus élevé, et selon les divisions naturelles de la
société, ils appartenaient tous au rang des paramahaṁsas, ou les plus hauts des
adhérents à l'ordre du renoncement. Leur fondement culturel même les empêcherait
d'être victimes, fût-ce dans les plus minces proportions, de l'énergie illusoire; leur
force de caractère les rendait capables d'échapper aux griffes de māyā.

Peu à peu, cependant, au fur et à mesure que les principes de base de la culture
brâhmanique —l'austérité, la pureté, la compassion et la véracité, se détériorèrent,
et dans les proportions où grandissaient l'orgueil, l'attachement outré pour la femme
et le désir de s'enivrer, l'humanité s'éloigna de plus en plus de la voie du salut, du
sentier qui conduit à la félicité spirituelle. Avec la progression de l'âge de Kali,
l'homme devient de plus en plus orgueilleux, attaché aux femmes et victime de
pratiques enivrantes. Sous l'influence de cet âge, même le pauvre s'enorgueillit du
peu qu'il possède; la femme s'habille le plus souvent de manière à vaincre le coeur
des hommes, et la masse des gens se livrent par trop à l'enivrement sous toutes ses
formes —l'alcool, le tabac, le thé, etc. Toutes ces habitudes, nées de soi-disant
progrès de la civilisation, sont à l'origine de toutes les pratiques irréligieuses, si
bien qu'on ne peut espérer mettre un frein à la dépravation, à la corruption et au
népotisme, comme le souhaitent les dirigeants. Ces maux de la société ne peuvent
être enrayés en créant simplement de nouvelles lois ou en insistant sur la vigilance
policière; il faut attaquer l'infection à sa racine, dans le mental, au moyen du
remède approprié, à savoir le soutien des principes inhérents à la culture
brahmapique —l'austérité, la pureté, la compassion et la véracité. La civilisation
moderne, fondée sur le développement économique, engendre un climat inattendu
de pauvreté et de pénurie, qui menace les biens des consommateurs. Or, si.. les
dirigeants et les hommes influente de la société font preuve de compassion envers
les masses égarées, et consdorent la moitié de leurs richesses pour qu'elles soient
éduquées dans la conscience de Dieu, ou la sagesse du Bhāgavatam, l'âge de Kali
verra certes vaincus tous ses efforts pour empiéger les âmes conditionnées et en
faire ses victimes. Nous devons toujours garder à l'esprit que la vanité de soi, ou
l'infatuation de ses propres qualités, l'attachement indu à la femme, ou l'entretien de
rapports trop étroits avec elle, et l'intoxication sous toutes ses formes, écartera
l'humanité du sentier de la paix réelle, et ce, en dépit des cris de l'homme réclamant
la paix dans le monde. L'enseignement des principes du Bhāgavatam amènera
d'emblée tous les hommes à pratiquer l'austérité, la pureté interne comme externe,
la compassion envers les âmes souffrantes et la véracité dans les affaires de chaque
jour. Tel est le moyen de combler les manques de la société humaine, si
manifestement saillants à l'heure actuelle.

VERSET 25

idānīṁ dharma pādas te


satyaṁ nirvartayed yataḥ 
taṁ jighṛkṣaty adharmo ’yam
anṛtenaidhitaḥ kaliḥ 

TRADUCTION

Tu n'es plus soutenu que par une patte, qui représente ta véracité, et tant bien
que mal, tu te traînes ça et là. Mais la discorde en personne [Kali], gonflée par
l’essor de la fourberie, s’efforce également de te retirer l’usage de cette patte.

TENEUR ET PORTEE

Les principes de la spiritualité ne tiennent pas à quelques dogmes ou formules créés


par l'homme; ils s'appuient sur les pratiques régulatrices de l'austérité, de la pureté,
de la compassion et de la véracité. La masse des hommes doit être éduquée dans
l'observance de ces principes dès leur plus tendre enfance. L'austérité, c'est accepter
de plein gré tout ce qui permet de parfaire sa réalisation spirituelle, même si cela
implique quelque inconfort pour le corps. Ainsi du jeûne; jeûner deux à quatre fois
dans le mois représente une forme d'austérité que l'on peut s'imposer, mais en vue
de la réalisation spirituelle seule, et non pour quelque but politique ou autre.
La Bhagavad-gītā (XVII.5-6) condamne tout jeûne visant un but autre que la
réalisation spirituelle. De même, la pureté est nécessaire et pour le mental et pour le
corps. La propreté du corps est d'une utilité certaine, mais la pureté du mental est
également nécessaire, et elle s'obtient par la glorification du Seigneur Suprême.
Car, nul, s'il ne glorifie le Seigneur, ne peut débarrasser son mental de toutes les
impuretés qui s'y sont entassées. Une civilisation athée n'a donc aucun moyen de
purifier le mental, car elle n'a aucune idée de Dieu; et dans de telles conditions,
l'homme ne peut vraiment avoir de belles qualités, même s'il jouit de tous les atouts
matériels. Nous devons juger de la valeur d'une chose à ses fruits. Or, la civilisation
de l'âge de Kali n'a entraîné que l'insatisfaction, alors que chacun recherche avec
ardeur la paix intérieure. Mais cette paix, on la trouvait dans sa forme la plus
parfaite dans l'âge de Satya, et ce en raison du respect qu'on y montrait pour les
qualités humaines mentionnées plus haut. Puis, comme venait le tretā-yuga, le
quart de ces qualités se perdit, et dans le dvāpara-yuga, elles avaient déjà diminué
de moitié; mais dans l'âge de Kali, on ne trouve plus que le quart de ce qu'elles
furent originellement, et même ce dernier quart s'affaiblit peu à peu en raison de
l'essor que connaît la fourberie. L'orgueil, réel ou simulé, détruit les effets de
l'austérité; l'attachement outré au sexe opposé ruine la pureté; le fait d'absorber des
substances enivrantes ou excitantes fait disparaître la compassion; et la fausse
propagande finit par engloutir la véracité. Cependant, si l'on ravive le bhāgavata-
dharma on empêchera l'humanité d'être victime des maux multiples qui rongent la
société actuelle.

Śrīmad-Bhāgavatam
CHANT 1
CHAPITRE 17

Châtiment et grâce
pour Kali

VERSET 26

iyaṁ ca bhūmir bhagavatā


nyāsitoru-bharā satī 
śrīmadbhis tat-pada-nyāsaiḥ
sarvataḥ kṛta-kautukā 

TRADUCTION

Le Seigneur en personne et ceux qui forment Son entourage allégèrent certes


le fardeau de la Terre; et Sa présence d'avātara à la surface du globe, où II
déposa Ses empreintes de pieds infiniment propices, conféra au monde toute
heureuse fortune.
VERSET 27

śocaty aśru-kalā sādhvī


durbhagevojjhitā satī 
abrahmaṇyā nṛpa-vyājāḥ
śūdrā bhokṣyanti mām iti 

TRADUCTION

Maintenant, la chaste [la Terre], délaissée dans son infortune par le Seigneur
Suprême, pleure son futur, des larmes aux yeux, car les hommes les plus bas la
gouverneront et l'exploiteront en se faisant passer pour des dirigeants.

TENEUR ET PORTEE

Le rôle du kṣatriya, l'homme qualifié pour protéger ceux qui souffrent, est de
diriger l'État. Des hommes de niveau inférieur, et sans formation, ou dénués de la
noble ambition de veiller à la protection des âmes souffrantes, ne peuvent être
intrônisés à la tête de l'Etat. Dans l'âge de Kali, malheureusement, des hommes de
cet ordre, ignorant tout de la protection des malheureux, sont élevés au poste de
dirigeants par des votes populaires, et plutôt que d'assurer leur rôle de protecteur,
ces êtres déchus créent une situation pratiquement intolérable pour tous. Ces
"dirigeants" nagent dans l'illégalité, et voient à leur propre intérêt au prix du bien-
être de leurs concitoyens; et c'est pourquoi notre chaste mère la Terre pleurait en
songeant à la condition pitoyable de ses fils, hommes et animaux. Car tel est bien le
futur qu'elle entrevoyait en cet âge de Kali, où l'irréligion est appelée à prévaloir de
façon manifeste. Et en l'absence d'un roi qualifié pour enrayer les tendances irréli -
gieuses des hommes dans leur masse, une diffusion systématique des ensei-
gnements du Śrīmad-Bhāgavatam, visant l'éducation du peuple, aura pour effet
d'éclaircir l'atmosphère polluée par la dépravation, la corruption, le chantage et
d'autres maux qui souillent cet âge.

VERSET 28

iti dharmaṁ mahīṁ caiva


sāntvayitvā mahā-rathaḥ 
niśātam ādade khaḍgaṁ
kalaye ’ dharma-hetave

TRADUCTION

Après avoir ainsi réconforté le deva de la religion et la déesse de la Terre,


Mahārāja Parīkṣit, qui pouvait à lui seul combattre des milliers d'ennemis,
prit son sabre tranchant pour donner la mort à la personne de Kali, cause
même de l'irréligion.

TENEUR ET PORTEE

Comme nous l'avons déjà expliqué, la personne de Kali se trouve représentée par
celui qui se livre délibérément à diverses activités coupables, prohibées par les
Ecritures révélées. L'âge où nous vivons se marquera certes de tous les signes
propres à Kali, mais ceci ne laisse aucunement entendre que les dirigeants de la
société, chefs d'Etat, érudits et hommes d'intelligence, ou plus que tout autre, les
dévots du Seigneur, doivent rester sur leur position et se montrer indifférents
devant les effets de l'âge noir. En effet, ce n'est pas parce que la mousson entraînera
à coup sûr des pluies violentes que l'on ne doit pas se prémunir contre l'averse. De
même, il va du devoir de tous ceux qui exercent une influence dominante dans la
société d'adopter toutes les mesures nécessaires contre l'activité de Kali, ou des
personnes influencées par cet âge. Et Mahārāja Parīkṣit représente à cet égard un
chef d'Etat modèle, car il se montra aussitôt prêt à pourfendre la personne de Kali
de son sabre tranchant. Les dirigeants ne doivent pas simplement voter des lois qui
visent à enrayer la corruption; ils doivent encore être prêts, glaive en main, à faire
périr tous ceux qui, selon les śāstras authentiques, sèment la corruption. Les
dirigeants ne peuvent espérer mener à bien leur campagne contre la corruption, ou
l'alcoolisme par exemple, s'ils accordent dans un même temps des autorisations
permettant d'exploiter cafés et buvettes, ou autres commerces aux activités néfastes.
Ils doivent d'emblée fermer toutes ces maisons et imposer de sévères châtiments, la
mort même, à ceux qui se livreront à toute activité favorisant l'intoxication, ou
l'enivrement, sous l'une ou l'autre de ses formes. Voilà le moyen de mettre un frein
aux activités de Kali; et Mahārāja Parīkṣit, ici qualifié de mahā-ratha, nous en offre
le meilleur exemple.

VERSET 29

taṁ jighāṁsum abhipretya


vihāya nṛpa-lāñchanam 
tat-pāda-mūlaṁ śirasā
samagād bhaya-vihvalaḥ 

TRADUCTION

Lorsque la personne de Kali saisit l'intention du roi de l'occire, il abandonne


sur-le-champ son habit royal et, pressé par la peur, s'abandonne tout entier en
se prosternant à ses pieds.

TENEUR ET PORTEE

La vêture royale de Kali n'était qu'un artifice. Tel vêtement sied tout à fait à un roi,
à un kṣatriya, mais qu'un homme de niveau inférieur s'en couvre trompeusement, et
son identité réelle se verra dévoilée dès qu'un kṣatriya qualifié comme Mahārāja
Parīkṣit le mettra au défi. Un véritable kṣatriya ne se rend jamais; il relève le défi
de tout kṣatriya rival, et combat jusqu'à la victoire ou à la mort. Jamais il
n'abandonne la partie. Dans l'âge de Kali, toutefois, tant de simulateurs jouent les
dirigeants ou les chefs d'Etat, et en empruntent l'allure, mais qu'un vrai kṣatriya les
défie, et voilà mise à nu leur identité réelle. Par suite, sitôt que la personne de Kali,
trompeusement vêtue d'habits royaux, réalisa son incapacité à affronter Mahārāja
Parīkṣit au combat, il quitta son costume et se prosterna devant lui tel un
subordonné.

VERSET 30

patitaṁ pādayor vīraḥ


kṛpayā dīna-vatsalaḥ 
śaraṇyo nāvadhīc chlokya
āha cedaṁ hasann iva 

TRADUCTION
Mahārāja Parīkṣit, digne de recevoir la soumission d'autrui et dont les exploits
méritent d'être chantés dans l'histoire, ne mit pas à mort le pauvre Kali,
prosterné et tout abandonné à ses pieds; mais il sourit avec compassion,
faisant preuve de bienveillance envers le misérable.

TENEUR ET PORTEE

Même un kṣatriya ordinaire ne peut tuer celui qui se soumet à sa personne, que dire
dès lors de Mahārāja Parīkṣit, par nature compatissant et bienveillant envers les
misérables. S'il sourit, c'est parce que Kali a quitté son costume, et dévoilé son
identité d'homme déchu; il songe en lui-même que nul, s'il souhaite le mettre à
mort, ne peut échapper à son glaive tranchant, mais que par ironie, le misérable
Kali, de rang inférieur, put échapper à la mort par l'abandon opportun qu'il fit à ses
pieds. La gloire et la bienveillance de Mahārāja Parīkṣit devaient être chantées au
cours de l'histoire: il fut un empereur bon et compatissant, qualifié et digne de
recevoir la soumission même de ses ennemis. Ainsi la personne de Kali fût-elle
sauvée par la Providence.

Śrīmad-Bhāgavatam
CHANT 1
CHAPITRE 17

Châtiment et grâce
pour Kali

VERSET 31

rājovāca
na te guḍākeśa-yaśo-dharāṇāṁ
baddhāñjaler vai bhayam asti kiñcit 
na vartitavyaṁ bhavatā kathañcana
kṣetre madīye tvam a dharma-bandhuḥ

TRADUCTION

Le roi dit:
Nous avons hérité de la gloire d'Arjuna, et puisque te voilà ainsi soumis, les
mains jointes, tu n'as absolument rien à craindre pour ta vie. Cependant,
comme tu as fait de l'irréligion ton amie, tu ne peux demeurer nulle part en
mon royaume.
TENEUR ET PORTEE
Kali, qui se fait l'ami de l'irréligion dans toutes ses formes, peut être excusé s'il
s'abandonne, mais en aucune circonstance peut-on lui permettre d'élire domicile en
quelque lieu que ce soit d'un Etat voulant le bien de ses citoyens. Les Pāṇḍavas
représentaient dans leurs fonctions le Seigneur Suprême, Śrī Kṛṣṇa, lequel Se fit, à
toutes fins pratiques, l'artisan de la Bataille de Kurukṣetra. Mais Il n'était en cela
animé d'aucun motif personnel; Il désirait seulement qu'un roi modèle comme
Mahārāja Yudhiṣṭhira et ses descendants, dont Mahārāja Parīkṣit, gouverne le
monde. Aussi, un roi responsable de la qualité de Mahārāja Parīkṣit ne peut-il
permettre à l'ami de l'irréligion de grandir en son royaume, au prix de la gloire sans
tache des Pāṇḍavas. Voilà l'unique façon de balayer la corruption d'un Etat: il faut
en bannir les amis de l'irréligion.

VERSET 32

tvāṁ vartamānaṁ nara-deva-deheṣv


anupravṛtto ’yam adharma-pūgaḥ 
lobho ’nṛtaṁ cauryam anāryam aṁho
jyeṣṭhā ca māyā kalahaś ca dambhaḥ 

TRADUCTION

Si nous laissons Kali, l'irréligion en personne, parader sous les traits d'un
homme-dieu, d'un souverain, le cortège de ses méfaits, à savoir la convoitise, la
duplicité, la malhonnêteté, l'incivilité, la fourberie, l'infortune, la tromperie, la
discorde et la vanité, le suivra certes partout.

TENEUR ET PORTEE

Les principes de la spiritualité, soit l'austérité, la pureté, la compassion et la


véracité, que nous avons déjà expliqués, peuvent être adoptés par les tenants de
toutes confessions. Nul besoin pour l'hindou de devenir musulman, ou pour le
musulman de devenir chrétien, ou de se convertir à toute autre foi, s'il doit ensuite
devenir un renégat et briser les principes de la spiritualité. La religion
du Bhāgavatam consiste à adhérer strictement à ces principes. Ceux-ci n'ont rien de
simples dogmes ou de principes régulateurs à caractère sectaire. Les principes
régulateurs peuvent en effet varier selon les circonstances de temps et de lieu; mais
dans tous les cas, il faut veiller à ce que le but de la religion soit atteint. Le fait de
s'attacher aux dogmes et aux formules sans approfondir les enseignements
authentiques n'a guère de valeur. Ainsi, un Etat séculier peut se montrer impartial
devant telle ou telle foi particulière, mais il ne peut rester indifférent devant les
principes spirituels évoqués plus haut. Dans l'âge de Kali, cependant, les dirigeants
se montreront fermés aux bases de la spiritualité, de sorte qu'avec leur appui, nom-
bre d'éléments contraires à ces principes, parmi lesquels la convoitise, la duplicité,
la tromperie, la fourberie, la malhonnêteté, etc., s'élèveront tout naturellement; et
dans de telles conditions, une simple propagande visant à enrayer la corruption au
sein de l'Etat n'aura guère de poids.

VERSET 33

na vartitavyaṁ tad adharma-bandho


dharmeṇa satyena ca vartitavye 
brahmāvarte yatra yajanti yajñair
yajñeśvaraṁ yajña-vitāna-vijñāḥ 

TRADUCTION

Par suite, ô allié de l'irréligion, tu ne mérites pas de hanter les lieux où


d'habiles brahmānas accomplissent des sacrifices en accord avec la vérité et les
principes de la spiritualité, pour la satisfaction du Seigneur Suprême.

TENEUR ET PORTEE

Yajñeśvara, le Seigneur Souverain, est le bénéficiaire de sacrifices variés, prescrits


par les Ecritures sous diverses formes pour différents âges. En d'autres mots,
"sacrifier" signifie reconnaître la suprématie du Seigneur et agir pour qu'Il soit
satisfait à tous égards. Les athées nient l'existence de Dieu, et n'accomplissent donc
aucun sacrifice pour Lui plaire.

Tout lieu, ou contrée, où l'on reconnaît la suprématie du Seigneur et Lui offre des
sacrifices, prend nom brahmāvarta. Il existe divers pays en différentes parties du
monde, et les rites des sacrifices visant la satisfaction du Seigneur Suprême peuvent
varier pour chacun d'entre eux; le Śrīmad-Bhāgavatam met toutefois en lumière le
coeur même de ces sacrifices, et c'est la véracité. Cette véracité représente le
principe fondamental de la spiritualité, et le but ultime de toute religion consiste à
satisfaire le Seigneur. Or, dans l'âge de Kali, le sacrifice universel est le saṅkīrtana-
yajña. Telle est la pensée des sages hautement qualifiés qui savent répandre les
pratiques du yajña. Le Seigneur Caitanya enseigna la pratique de
ce yajña particulier, et ce verset du Śrīmad-Bhāgavatam nous laisse entendre qu'on
peut accomplir ce sacrifice, le saṅkīrtana-yajña, en tout lieu, de manière à
repousser l'influence de Kali et à sauver l'humanité des effets de l'âge sombre.

VERSET 34

yasmin harir bhagavān ijyamāna


ijyātma-mūrtir yajatāṁ śaṁ tanoti 
kāmān amoghān sthira-jaṅgamānām
antar bahir vāyur ivaiṣa ātmā 

TRADUCTION
Dans tous les sacrifices, même ceux où sont parfois invoqués les devas, on
invoque également le Seigneur Souverain, car II est l'Ame Suprême en chaque
être, et Se trouve, comme l'air, à l'intérieur comme à l'extérieur de tout ce qui
est. C'est Lui seul, en fait, qui accorde tout bienfait à l'adorateur.

TENEUR ET PORTEE

Même si l'on rend un culte aux devas, comme Indra ou Candra, et qu'on leur offre
des oblations sacrificielles, il faut savoir que c'est le Seigneur Suprême qui accorde
les fruits du sacrifice, qu'Il est en outre le seul à pouvoir combler de bienfaits
l'auteur du sacrifice. Car les devas, même si on les adore, ne peuvent rien sans la
sanction du Seigneur, puisque c'est Lui l'Ame Suprême au cœur de tous les êtres,
animés et inanimés.

Ce que confirme le Seigneur en personne dans la Bhagavad-gītā: "Toute oblation


qu'avec foi l'homme sacrifie aux devas est en fait destinée à Moi seul, ô fils de
Kuntī, mais offerte sans la connaissance."

Le fait est que le Seigneur Souverain est unique, et sans égal. Il n'existe aucun Dieu
hors du Seigneur Lui-même. Par nature, Il vit éternellement au-delà de la création
matérielle. Mais on n'en trouve pas moins de nombreux adorateurs des devas —le
Soleil, la Lune, Indra... Ces derniers ne sont toutefois que des agents du Seigneur
Suprême en ce monde. Ils sont, pour ainsi dire, des manifestations indirectes de Sa
Personne, et incarnent certains de Ses Attributs. Un véritable savant, ou
un bhakta érudit, connaît bien la position de chaque être, et c'est pourquoi il adore
directement l'Etre Souverain, sans se laisser divertir par aucune de Ses
manifestations qualitatives en ce monde. Par contre, ceux dont le savoir laisse
davantage à désirer, se tournent vers ces devas, et leur culte manque de solennité
par son irrégularité.

VERSET 35

sūta uvāca
parīkṣitaivam ādiṣṭaḥ
sa kalir jāta-vepathuḥ 
tam udyatāsim āhedaṁ
daṇḍa-pāṇim ivodyatam 

TRADUCTION

Śrī Sūta Gosvāmī dit:


A cet ordre de Mahārāja Parīkṣit, Kali fut pris d'un tremblement de crainte,
et voyant le roi se tenir devant lui tel Yamarāja, le maître de la mort, prêt à le
faire périr, il s'adressa à lui en ces termes:
TENEUR ET PORTEE

L'empereur était prêt à tuer Kali sur-le-champ s'il s'opposait à son ordre. Sans quoi
il n'avait aucune objection à lui laisser poursuivre son existence. Kali, pour sa part,
après s'être efforcé d'échapper au châtiment par divers moyens, décida qu'il devait
s'abandonner au roi, aussi commença-t-il à trembler pour sa vie. Un roi, ou un chef
d'Etat, doit avoir le courage de s'opposer à Kali même s'il doit pour cela agir
comme s'il devenait lui-même Yamarāja, le prince de la mort; et chacun doit obéir
aux ordres du roi s'il ne veut pas mettre sa vie en péril. Voilà comment dominer les
agents de Kali qui perturbent la vie paisible des citoyens d'un Etat.

Śrīmad-Bhāgavatam
CHANT 1
CHAPITRE 17

Châtiment et grâce
pour Kali

VERSET 36

kalir uvāca
yatra kva vātha vatsyāmi
sārva-bhauma tavājñayā 
lakṣaye tatra tatrāpi
tvām ātteṣu-śarāsanam 

TRADUCTION

"O Majesté, où que j'aille vivre sous votre règne, je vous verrai armé de votre
arc et de vos flèches.
TENEUR ET PORTEE

Kali saisissait bien que Mahārāja Parīkṣit était l'empereur de toutes les terres du
monde, et que partout où il irait, il reverrait le roi animé du même sentiment à son
égard. Le destin de Kali était de mal agir, et celui de Mahārāja Parīkṣit de réduire à
l'impuissance tout fauteur de trouble, et Kali plus que tout autre. Il eut donc mieux
valu pour ce dernier de périr sur-le-champ aux mains du roi plutôt que d'être abattu
ailleurs. Mais tout compte fait, il s'était abandonné au roi, et c'était maintenant à
celui-ci de juger des mesures à prendre.

VERSET 37
tan me dharma-bhṛtāṁ śreṣṭha
sthānaṁ nirdeṣṭum arhasi 
yatraiva niyato vatsya
ātiṣṭhaṁs te ’nuśāsanam 

TRADUCTION

"Ainsi, ô meilleur des gardiens de la religion, puissiez-vous désigner quelque


endroit où je puisse vivre en permanence sous la protection de votre gou-
vernement."

TENEUR ET PORTEE

Si Kali s'adresse à Mahārāja Parīkṣit comme au meilleur des gardiens de la religion,


c'est que le roi a su se retenir de mettre à mort celui qui s'était abandonné à lui. En
effet, un être qui se soumet a droit à toute protection, s'agirait-il d'un ennemi; ainsi
le veulent les codes de la spiritualité. Imaginons alors quelle sorte de protection
accorde le Seigneur Suprême à ceux qui s'abandonnent à Lui, non pas en tant que
Ses ennemis, mais comme Ses serviteurs dévoués. En vérité, Kṛṣṇa protège l'âme
soumise de toutes fautes aussi bien que de leurs suites (B.g., XVIII.66).

VERSET 38

sūta uvāca
abhyarthitas tadā tasmai
sthānāni kalaye dadau 
dyūtaṁ pānaṁ striyaḥ sūnā
yatrādharmaś catur-vidhaḥ 

TRADUCTION

Sūta Gosvāmī dit:


A cette prière de Kali, Mahārāja Parīkṣit répondit qu'il lui pe rmettait de
s'établir là où on se livre aux jeux de hasard, à la boisson, à la pu stitution et à
l'abattage des animaux.

TENEUR ET PORTEE

Les piliers de l'irréligion, à savoir l'orgueil, la prostitution, l'enivrement et la


duplicité font obstacle aux quatre principes de la spiritualité, respectivement
l'austérité, la pureté, la compassion et la véracité. Or, Kali se vit accorder par le roi
quatre lieux de résidence, que mentionne notre verset: les lieux de jeux et de
prostitution, ceux où l'on s'enivre et ceux où l'on abat les animaux.

Śrīla Jīva Gosvāmī souligne que le fait d'ingurgiter des boissons enivrantes hors du
cadre prévu par les Ecritures —parmi lesquels le sautrāmaṇī-yajña—, de s'unir à
une femme hors des liens du mariage, ou de se livrer à l'abattage des animaux
contre les préceptes scripturaires, constitue autant de pratiques irréligieuses.
Les Vedas tracent deux voies de conduite, l'une pour les pravṛttas, ceux qui
poursuivent la jouissance matérielle, et l'autre pour les nivṛttas, ceux qui cherchent
à s'affranchir des chaînes de la matière. Aux pravṛttas, les Ecritures enjoignent de
régler leurs actes de manière à s'approcher graduellement du sentier de la libération.
C'est ainsi qu'aux hommes vivant dans la plus basse ignorance, et s'adonnant aux
boissons alcoolisées, aux femmes et à la chair animale, on recommande parfois de
boire dans le cadre du sautrāmaṇī-yajña, de se marier et de manger de la chair
animale selon certains rites sacrificiels. Comprenons toutefois que ces prescriptions
védiques ne s'adressent qu'à une certaine classe d'hommes, et certes pas à tous.
D'autre part, parce qu'elles figurent parmi les enseignements des Vedas, on ne peut
tenir ces pratiques pour relevant de l'adharma, de l'irréligion, lorsque s'y livrent
les pravṛttas à qui elles sont permises. Le bonheur des uns fait, dit-on, le malheur
des autres; et de même, les activités prescrites pour les hommes qui subissent
l'influence de l'ignorance peuvent être des plus néfastes pour celui que gouverne
la vertu. Śrīla Jīva Gosvāmī Prabhu précise donc que les injonctions scripturaires
destinées aux hommes de basse classe ne doivent jamais être interprétées comme
irréligieuses. Mais le fait est que les pratiques ainsi recommandées sont en elles-
mêmes contraires au dharma, en sorte qu'il ne faut jamais les encourager. Or, les
injonctions scripturaires ne visent pas à encourager ces adharmas, mais bien plutôt
à les rectifier pour qu'ils rejoignent graduellement la voie du dharma. Il va du
devoir de tout chef d'Etat, marchant sur les traces de Mahārāja Parīkṣit, de veiller à
ce que les principes de la spiritualité —austérité, pureté, compassion et véracité—
soient établis dans son territoire et à ce que les principes de l'irréligion —la vanité,
les unions charnelles illicites, ou la prostitution, l'enivrement et la duplicité—
soient enrayés par tous les moyens. Et faisant contre mauvaise fortune bon coeur,
on pourra reléguer la personne de Kali en des lieux, s'il en est, où on se livre aux
jeux de hasard, à la boisson, à la prostitution et à l'abattage des animaux. Quant à
ceux qui chérissent ces habitudes impies, leur situation peut être régularisée à l'aide
des préceptes scripturaires destinés à restreindre de telles activités, qu'aucun Etat ne
doit jamais encourager. En d'autres mots, l'Etat doit mettre un frein catégorique à
toute forme de jeux, d'enivrement, de prostitution et de duplicité. Et pour enrayer la
corruption sous toutes ces formes auprès de la majorité, l'on peut introduire les
principes de la spiritualité de la manière suivante:

1. L'austérité: instituer au moins deux jours de jeûne par mois. Ne serait-ce que d'un
point de vue économique, cette pratique permet à l'Etat d'épargner des tonnes
d'aliments, sans compter qu'elle agirait de façon très favorable sur la santé générale
des citoyens.

La pureté: marier jeunes hommes et jeunes filles dès qu'ils atteignent


respectivement l'âge de 24 et de 16 ans. L'éducation mixte dans les collèges et
universités ne présente aucune difficulté pourvu que garçons et filles soient dûment
mariés. Et si l'on note quelques rapports intimes entre étudiants de sexe opposé, on
doit les marier dans les règles, pour éviter toute union illicite. Par ailleurs, le
divorce ne fait qu'encourager la prostitution, et pour cette raison devrait être aboli.

3. La compassion: demander à tous les citoyens qu'ils donnent jusqu'à la moitié de


leur revenu en charité, ceci dans le but d'engendrer une atmosphère spirituelle au
sein de la société, sur le plan individuel aussi bien que collectif. Il faut également
encourager la propagation des principes du Bhāgavatam, qui préconisent: a) la
pratique du karma-yoga, qui consiste à n'agir que pour la satisfaction du Seigneur;
b) l'écoute assidue du Śrīmad-Bhāgavatam auprès de personnes qualifiées, ou
d'âmes réalisées; c) le chant collectif des gloires du Seigneur, au foyer ou aux lieux
de culte; d) l'offrande de divers services aux bhāgavatas qui se consacrent à la
prédication du Śrīmad-Bhāgavatam; e) d'établir sa résidence en un lieu où
l'atmosphère est saturée de conscience divine. Si l'Etat est régi par les principes ici
mentionnés, la conscience de Dieu se répandra naturellement partout.

Les jeux de hasard, comme d'ailleurs toutes formes de spéculations monétaires,


sont tenus pour dégradants, et le fait d'encourager ces pratiques conduit à la
disparition complète de la véracité au sein de l'Etat. Il faut d'autre part éviter à tout
prix que jeunes hommes et jeunes filles restent célibataires après les âges ci-haut
mentionnés, de même qu'il faut mettre un frein immédiat à toute forme d'abattage
animal, en quelque lieu qu'il se déroule. Les hommes par trop attachés à la chair
animale peuvent continuer de s'en nourrir, mais seulement dans le cadre des
injonctions scripturaires; toute vente par voie commerciale encourage la
consommation immodérée de chair animale et doit être stoppée d'emblée. Quant à
l'enivrement ou à l'intoxication sous quelque forme que ce soit, s'agit-il de fumer
des cigarettes, de chiquer du tabac ou de boire du thé, il faut également les
prohiber.

VERSET 39

punaś ca yācamānāya
jāta-rūpam adāt prabhuḥ 
tato ’nṛtaṁ madaṁ kāmaṁ
rajo vairaṁ ca pañcamam 

TRADUCTION

Kali désirait davantage, et devant ses supplications, le roi lui permit de vivre là
où il y a de l'or. Car partout où l'on trouve de l'or on trouve également la
duplicité, l'enivrement, la concupiscence, l'envie et enfin l'inimitié.

TENEUR ET PORTEE

Mahārāja Parīkṣit avait bien permis à Kali de vivre en quatre endroits, mais le
sombre personnage ne pouvait en trouver aucun car sous le règne de l'empereur de
tels endroits n'existaient pas. Aussi Kali pria-t-il le roi de lui concéder un lieu où il
puisse poursuivre ses tristes desseins. Mahārāja Parīkṣit lui accorda alors de vivre
en tout endroit où il y a de l'or, car là où ge trouve l'or se trouvent également les
quatre fléaux mentionnés dans notre verset, avec par-dessus tout l'inimitié. Et c'est
ainsi que Kali entreprit d'étalonner ses oeuvres autour de l'or. Car, le Śrīmad-
Bhāgavatam enseigne que l'or, où qu'on le garde, encourage la duplicité,
l'enivrement, la prostitution, l'envie et l'inimitié. Même un système d'échange
monétaire basé sur l'or s'avère mauvais; un tel système repose en effet sur la
duplicité, puisque les billets de banque en circulation ne correspondent pas aux
réserves d'or qui doivent les justifier. En d'autres mots, on imprime davantage de
monnaie qu'il n'y a en vérité d'or dans les coffres de l'Etat et cette inflation
artificielle des valeurs monétaires par les dirigeants encourage la prostitution
économique. En raison du peu de valeur de la monnaie, les prix des objets de
consommation augmentent inutilement. Mais il est un principe d'économie selon
lequel le mauvais argent fait fuir le bon argent. Nous devrions remplacer dans nos
échanges le papier monnaie par des pièces d'or, car ceci aura pour effet de mettre
un terme à la prostitution de l'or. On peut en outre permettre aux femmes de porter
des parures d'or moyennant un certain contrôle, et l'accent devra être mis dans ce
cas sur la quantité, et non sur la qualité. Voilà qui apaisera la concupiscence, l'envie
et l'inimitié. Si on introduit l'or comme monnaie courante, sous forme de pièces, la
tendance du métal précieux à entraîner la duplicité, la prostitution et ainsi de suite
cessera automatiquement, et avec elle disparaîtra le besoin de ministère pour la pro-
tection des moeurs, d'ailleurs lui-même corrompu et fondé sur la duplicité.

VERSET 40

amūni pañca sthānāni


hy adharma-prabhavaḥ kaliḥ 
auttareyeṇa dattāni
nyavasat tan-nideśa-kṛt 

TRADUCTION

Ainsi, avec la permission de Mahārāja Parīkṣit, fils d'Uttarā, Kali obtint de


vivre dans les cinq endroits que nous avons décrits.

TENEUR ET PORTEE

L'âge de Kali a donc commencé avec la normalisation de l'or. Pour cette raison, la
duplicité, l'enivrement, l'abattage des animaux et la prostitution sont aujourd'hui
répandus partout dans le monde, et les hommes sains d'esprit montrent un vif désir
d'évincer toute corruption de la surface du globe. Le moyen d'y parvenir a déjà été
élaboré, et il n'en tient qu'à tous d'en tirer parti.
Śrīmad-Bhāgavatam
CHANT 1
CHAPITRE 17

Châtiment et grâce
pour Kali.

VERSET 41

athaitāni na seveta
bubhūṣuḥ puruṣaḥ kvacit 
viśeṣato dharma-śīlo
rājā loka-patir guruḥ 

TRADUCTION

Par suite, quiconque aspire et marche vers le bien absolu, plus particuliè-
rement les rois, les hommes de religion, les dirigeants, les brāhmaṇas et
les sannyāsīs, doivent éviter par tous les moyens de venir au contact des prati-
ques irréligieuses que nous avons mentionnées.
TENEUR ET PORTEE

Les brāhmaṇasreprésentent les précepteurs spirituels des trois autres varnas, et


les sannyāsīs représentent les maîtres spirituels de tous les
autres varnas et aśramas. Il s'agit donc là de personnages de haute responsabilité
dans la société. Et de même le roi et les dirigeants du peuple, responsables du bien
matériel de tous. Les hommes de religion désireux de parfaire leur existence et tout
homme responsable, c'est-à-dire qui veille à ne pas dépenser en vain sa précieuse
énergie humaine, devraient se tenir à l'écart des pratiques irréligieuses mentionnées
plus haut, et particulièrement des rapports illicites avec le sexe opposé.
Un brāhmaṇa privé d'intégrité voit aussitôt s'annuler tous ses efforts pour maintenir
sa position de brāhmaṇa. Pareillement, qu'un sannyāsī ait quelque rapport illicite
avec les femmes, et sa prétention aux honneurs du sannyāsa s'en trouve aussitôt
anéantie. Et si un roi ou un dirigeant se montre par trop infatué de sa personne, ou
qu'il devient esclave de la boisson ou du tabac, il perd certes toute qualité pour
veiller au bien du public. La véracité, ou l'intégrité, formant la base de tous les
principes religieux, les quatre personnages au chef de la société —le sannyāsī,
le brāhmaṇa, le roi et le chef d'Etat— doivent posséder un caractère et des qualités
exemplaires; tous doivent répondre à ces critères décisifs. Avant que quiconque soit
accepté comme précepteur matériel ou spirituel de la société, il doit satisfaire à ces
exigences de pureté. Ces figures prédominantes dans la société peuvent ne pas
posséder une formation académique complète, mais il est pardessus tout nécessaire
qu'ils soient libres des quatres formes de souillure que nous avons déjà décrites —le
jeu, l'enivrement, la prostitution et l'abattage des animaux.

VERSET 42

vṛṣasya naṣṭāṁs trīn pādān


tapaḥ śaucaṁ dayām iti 
pratisandadha āśvāsya
mahīṁ ca samavardhayat 

TRADUCTION

Ensuite, l'empereur restaura les trois pattes manquantes du boeuf de la


religion et, par des oeuvres réconfortantes, il améliora à suffisance la condition
de la terre.

TENEUR ET PORTEE

A vrai dire, en le confinant à des lieux précis, Mahārāja Parīkṣit s'est joué de Kali.
En présence de Kali, de dharma (sous la forme d'un boeuf) et de la terre (sous la
forme d'une vache), l'empereur put juger de l'état général de son royaume, aussi
prit-il sur-le-champ les mesures nécessaires pour restaurer les pattes manquantes du
boeuf de la religion —celle de l'austérité, de la pureté et de la compassion.
Considérant par ailleurs le bien commun de tous les habitants de la terre, il conclut
que les réserves d'or devaient être employées en vue de favoriser l'équilibre de la
société. L'or, on le sait, s'assimile à une véritable centrale génératrice de duplicité,
de toxicomanie, de prostitution, d'inimitié et de violence. Mais s'il est utilisé sous la
direction d'un roi qualifié, d'un véritable dirigeant, d'un brāhmaṇa ou
d’un sannyāsī, le même or peut servir à la restauration des trois pattes manquantes
du boeuf de la religion.

Ainsi, comme le fit son aïeul Arjuna, Mahārāja Parīkṣit recueillit tout l'or destiné à
satisfaire aux tendances illicites suscitées par Kali, et suivant les instructions
du Śrīmad-Bhāgavatam, il employa cette richesse à l'accomplissement
du saṅkīrtana-yajña. Comme nous l'avons déjà suggéré, les biens de chacun
devraient être divisés en trois parts: la moitié pour le service du Seigneur, un quart
pour les membres de la famille, et le dernier quart pour ses besoins personnels.
Utiliser la première moitié de ses biens pour le service du Seigneur, ou pour la
diffusion du savoir spirituel dans la société par le saṅkīrtana-yajña, révèle la
compassion humaine dans sa portée maximale. Les hommes en ce monde vivent
généralement dans l'ignorance de ce qui touche au savoir spirituel, et plus
spécifiquement du service de dévotion offert au Seigneur; par suite, la diffusion
systématique de la connaissance absolue qui s'attache au service de dévotion
représente-t-elle la plus haute forme de compassion qu'on puisse manifester en ce
monde. Pour peu que l'on enseigne à chacun comment sacrifier pour le service du
Seigneur la moitié de ses économies, on verra certes d'emblée réapparaître
l'austérité, la pureté et la compassion, restaurant par là sans plus de mal les trois
pattes manquantes du boeuf de la religion. Or, si l'on propage à suffisance les
principes de la religion —austérité, pureté, compassion et véracité—, notre mère la
terre s'en trouvera naturellement comblée, et il y aura fort peu de chance que Kali
puisse s'infiltrer dans une structure sociale aussi bien protégée.

VERSETS 43-44

sa eṣa etarhy adhyāsta


āsanaṁ pārthivocitam 
pitāmahenopanyastaṁ
rājñāraṇyaṁ vivikṣatā 

āste ’dhunā sa rājarṣiḥ


kauravendra-śriyollasan 
gajāhvaye mahā-bhāgaś
cakravartī bṛhac-chravāḥ 

TRADUCTION

Mahārāja Parīkṣit, le très fortuné empereur à qui Mahārāja Yudhiṣṭhira


confia le royaume d'Hastināpura lorsqu'il voulut se retirer pour aller vivre
dans la forêt, gouverne aujourd'hui le monde avec grand succès puisqu'il a
hérité de la gloire des hauts faits accomplis par les rois de la dynastie Kuru.

TENEUR ET PORTEE

Le long sacrifice entrepris par les sages de Naimiṣāraṇya a commencé peu après le
décès de Mahārāja Parīkṣit. Il devait se poursuivre pendant mille années, et il
s'avère qu'au début, certains des contemporains de Baladeva, le frère aîné de Śrī
Kṛṣṇa, aient visité l'arène sacrificielle. Selon des autorités en grammaire, on peut
utiliser le présent de l'indicatif pour relater des événements qui se sont déroulés
dans un passé récent. C'est dans ce sens que l'assertion de notre verset concernant le
règne de Mahārāja Parīkṣit se trouve formulée au présent. Cette même forme peut
encore être utilisée dans le cas d'action continue. Et certes, la voie empruntée par
Mahārāja Parīkṣit demeure applicable aujourd'hui car la société peut être améliorée,
à condition que les dirigeants concernés soient profondément déterminés à apporter
cette transformation. Pourvu que nous soyons prêts à réagir selon l'exemple de
Mahārāja Parīkṣit, nous pouvons encore purifier la société de toutes les activités
immorales qu'y a introduites la personne de Kali. L'empereur permit bien à Kali de
résider en certains lieux, mais ce dernier n'en put trouver aucun dans le monde car
Mahārāja Parīkṣit veillait strictement à ce que le jeu, les boissons enivrantes, la
prostitution et l'abattage des animaux n'aient aucune place dans son royaume. Nos
dirigeants actuels voudraient bien bannir la corruption de leurs Etats respectifs,
mais dans leur sottise ils ignorent tout des mesures à prendre pour y parvenir. Ils
octroient des permis pour tenir des maisons de jeux, des débits de boissons et de
drogues diverses, des maisons closes, des hôtels où l'on encourage la prostitution et
des cinémas; ils laissent s'infiltrer la duplicité dans tous les rapports, même dans les
leurs propres, et ils prétendent toujours vouloir évincer la corruption de l'Etat ! Ce
qu'ils veulent, c'est le royaume de Dieu, mais sans conscience de Dieu. Mais
comment peut-on concilier ces deux attitudes contradictoires? Pour mettre un terme
à la corruption, il faut d'abord organiser la société de manière à lui faire accepter les
principes de la spiritualité, à savoir l'austérité, la pureté, la compassion et la
véracité; et pour que les conditions deviennent favorables à cette évolution, il faut
enrayer tout jeu de hasard, l'enivrement ou l'intoxication sous toutes ses formes, la
prostitution et la tromperie. Telles sont quelques-unes des leçons pratiques que l'on
peut tirer des pages du Śrīmad-Bhāgavatam.

VERSET 45

ittham-bhūtānubhāvo ’yam
abhimanyu-suto nṛpaḥ 
yasya pālayataḥ kṣauṇīṁ
yūyaṁ satrāya dīkṣitāḥ 

TRADUCTION

Mahārāja Parīkṣit, fils d'Abhimanyu, montre tant d'expérience que grâce à


son administration experte et à son habile patronage, vous avez pu accomplir
ce sacrifice, qui autrement se serait avéré une tâche impossible.

TENEUR ET PORTEE

brāhmaṇaset sannyāsīs se montrent compétents en ce qui touche à l'élévation


spirituelle de l'être, tandis que les kṣatriyas, les dirigeants, se spécialisent dans l'art
d'instituer la paix et la prospérité matérielle au sein de la société. Ces deux groupes
représentent les piliers du bonheur universel, aussi doivent-ils agir de parfait
concert pour le bien commun de tous les hommes. Mahārāja Parīkṣit était
suffisamment expérimenté pour éconduire Kali de son champ d'activité, ce qui eut
pour effet de créer une situation favorable à l'inspiration spirituelle. Si le commun
des hommes ne se montre pas réceptif, il s'avérera pour le moins difficile de leur
faire sentir la nécessité de l'éveil spirituel. Toutefois, l'austérité, la pureté, la
compassion et la véracité, principes de base de la spiritualité, favorisent la
réceptivité au savoir spirituel. Mahārāja Parīkṣit parvint à créer une telle
atmosphère, ce qui permit aux ṛṣis de Naimiṣāraṇya d'entreprendre une suite de
sacrifices qui devaient se poursuivre durant mille années. Autrement dit, sans le
support de 1'Etat, nulle doctrine philosophique pas plus qu'aucun principe religieux
ne peut se développer, et ce soutien doit être assuré par une coopération étroite
entre brāhmaṇaset kṣatriyas pour le bien de tous. Cet esprit continua de régner
jusqu'à l'époque de Mahārāja Aśoka, lequel accorda un soutien total à Buddha, ce
qui eut pour effet de répandre le bouddhisme partout à travers le monde.

Ainsi s'achèvent les enseignements de Bhaktivedanta sur le dix-septième chapitre


du premier Chant du Śrīmad-Bhāgavatam, intitulé: "Châtiment et grâce pour
Kali".

Śrīmad-Bhāgavatam
CHANT 1
CHAPITRE 18

Mahārāja Parīkṣit maudit


par le fils d'un brāhmaṇa

VERSET 1

sūta uvāca
yo vai drauṇy-astra-vipluṣṭo
na mātur udare mṛtaḥ 
anugrahād bhagavataḥ
kṛṣṇasyādbhuta-karmaṇaḥ 

TRADUCTION

Śrī Sūta Gosvāmī dit:


Grâce à la miséricorde de Śrī Kṛṣṇa, le Seigneur Souverain aux agissements
merveilleux, Mahārāja Parīkṣit, bien qu'il fut frappé par l'arme du fils de
Droṇa alors qu'il se trouvait encore dans le ventre de sa mère, échappa aux
brûlures mortelles.
TENEUR ET PORTEE

Les sages de Naimiṣāraṇya s'émerveillèrent en entendant la description du règne


peu commun de Mahārāja Parīkṣit, et surtout en ce qui concerne le châtiment qu'il
infligea à Kali, l'empêchant désormais de faire le moindre mal en son royaume.
Sūta Gosvāmī, pour sa part, désirait également dépeindre la naissance et la mort
tout aussi extraordinaire de Mahārāja Parīkṣit; c'est pourquoi ce verset est énoncé
de façon à faire croître l'intérêt des sages de Naimiṣāraṇya pour ces récits.

VERSET 2

brahma-kopotthitād yas tu
takṣakāt prāṇa-viplavāt 
na sammumohorubhayād
bhagavaty arpitāśayaḥ 

TRADUCTION

Mahārāja Parīkṣit s'est toujours abandonné en toute conscience au Seigneur


Suprême, si bien qu'il ne fut jamais effrayé ni confondu par le redoutable
serpent ailé qui devait lui infliger une morsure fatale, suite à la violente
passion du fils d'un brāhmaṇa.

TENEUR ET PORTEE

On qualifie de nārāyaṇa-parāyaṇa un dévot du Seigneur tout entier abandonné à


Lui. Un tel bhakta ne craint aucun lieu ni aucune personne, ni même la mort. Pour
lui, rien n'a d'importance que le Seigneur Suprême, aussi voit-il le ciel et l'enfer
d'un oeil égal. Il les sait tous deux être des créations du Seigneur, et il voit dans la
vie comme dans la mort différentes conditions d'existence également créées par le
Seigneur. Ainsi pour le bhakta, l'essentiel consiste à se rappeler Nārāyaṇa en toutes
circonstances et dans n'importe quelle condition. Et il se livre constamment à cette
pratique. Mahārāja Parīkṣit était l'un de ces purs bhaktas. Il avait été injustement
maudit par le fils inexpérimenté d'un brāhmaṇa, agissant sous l'influence de Kali,
mais il vit dans cette malédiction la volonté de Nārāyaṇa. Il savait que Nārāyaṇa,
Śrī Kṛṣṇa, l'avait sauvé alors qu'il brûlait dans le ventre de sa mère, et il songeait
que s'il devait être tué par la morsure d'un serpent, ce ne pouvait être que par un
désir du Seigneur. Le bhakta ne s'oppose jamais à la volonté du Seigneur, et il voit
tout ce que Dieu lui envoie comme une bénédiction. Ainsi Mahārāja Parīkṣit ne se
trouvait-il nullement effrayé ou confus devant de telles circonstances. Voilà la
marque d'un pur dévot du Seigneur.

VERSET 3

utsṛjya sarvataḥ saṅgaṁ


vijñātājita-saṁsthitiḥ 
vaiyāsaker jahau śiṣyo
gaṅgāyāṁ svaṁ kalevaram 

TRADUCTION

Et après avoir quitté tous ceux qui formaient son entourage, le roi s'aban-
donna au fils de Vyāsa [Śukadeva Gosvāmī], se fit son disciple, et put ainsi
réaliser la position réelle du Seigneur Suprême. Il quitta enfin son corps
matériel sur la rive du Gange.

TENEUR ET PORTEE
Le mot ajita revêt ici un caractère particulier. Par ce nom, Ajita, signifiant
l'Invincible, on désigne le Seigneur Suprême, Śrī Kṛṣṇa, qui manifeste cette qualité
à tous égards. En effet, nul ne connaît Sa position réelle. Invincible, Il l'est
également de par Son savoir. Nous avons également entendu parler de Son dhāma,
de Sa demeure éternelle, Goloka Vṛndāvana, que de nombreux érudits ont d'ailleurs
également interprété de différentes manières. Mais par la grâce d'un maître spirituel
de la qualité de Śukadeva Gosvāmī, à qui le roi s'abandonna tout entier en disciple
des plus humbles, il devient possible de comprendre la nature profonde du
Seigneur, ainsi que de Son royaume éternel, et de tout Son entourage spirituel.
L'empereur, donc, conscient de la position spirituelle et absolue du Seigneur,
conscient également de la méthode sublime qui permet d'approcher
Son dhāma immatériel, se voyait confiant quant à sa destinée ultime. Et cela suffit
pour l'inspirer à abandonner toute chose matérielle, son propre corps même, et sans
la moindre difficulté ou le plus petit attachement. La Bhagavad-gītā (11.59)
enseigne: paraṁ dṛṣṭvā nivartate—on peut renoncer à tout attachement matériel
lorsqu'on apprend à voir le paraṁ, la qualité supérieure des choses. A la lumière de
la Bhagavad-gītā, nous comprenons que l'énergie spirituelle du Seigneur est
supérieure à Son énergie matérielle; et par la grâce d'un maître spirituel authentique
comme Śukadeva Gosvāmī, il devient tout à fait possible de connaître tout ce qui a
trait à cette énergie supérieure en quoi le Seigneur manifeste Son Nom, Ses
Attributs, Ses Divertissements, Son Entourage ainsi que la variété spirituelle. A
moins de pénétrer profondément cette énergie supérieure, éternelle, du Seigneur, il
n'est guère possible d'abandonner l'énergie matérielle, malgré toutes les théories
qu'on peut élaborer sur la nature réelle de la Vérité Absolue. Par la grâce de Śrī
Kṛṣṇa, Mahārāja Parīkṣit fut en mesure de recevoir la miséricorde d'un personnage
comme Śukadeva Gosvāmī, et c'est ainsi qu'il put connaître la position véritable du
Seigneur infaillible. Il s'avère fort ardu de découvrir le Seigneur uniquement par les
Textes védiques mais la chose devient tout à fait aisée si seulement on obtient la
miséricorde d'un bhakta libéré tel Śukadeva Gosvāmī.

VERSET 4

nottamaśloka-vārtānāṁ
juṣatāṁ tat-kathāmṛtam 
syāt sambhramo ’nta-kāle ’pi
smaratāṁ tat-padāmbujam 

TRADUCTION

S'il en est ainsi, c'est que l'homme qui a modelé son existence autour des
gloires spirituelles et absolues du Seigneur Suprême, chantées par les hymnes
védiques, et qui s'y absorbe sans fin par le souvenir des pieds pareils-au-lotus
du Seigneur, ne court aucun risque de s'égarer, fût-ce au dernier instant de sa
vie.
TENEUR ET PORTEE

La plus haute perfection de l'existence s'atteint par le souvenir, au dernier instant de


sa vie, de la nature sublime du Seigneur. Or, un tel achèvement n'est possible que
pour celui qui a appris à connaître la position réelle du Seigneur à la lumière des
hymnes védiques transmis par une âme libérée, comme Śukadeva Gosvāmī ou
quelque autre représentant de la succession disciplique. Car, on n'y gagne rien à
entendre ces hymnes d'un quelconque spéculateur. Par contre, le fait de les écouter
d'une âme véritablement réalisée et d'en percer le message grâce à une attitude de
service et de soumission en révèle toute la lumière, comme par une fenêtre
transparente. Ce qui amène le disciple soumis à vivre sur le plan spirituel et à
poursuivre cette réalisation jusqu'à la fin de sa vie. Par cette méthode scientifique,
on peut se rappeler le Seigneur même à l'instant de la mort, quand le pouvoir de la
mémoire est grandement réduit par suite de déficiences au niveau des organes. Au
moment de la mort, il s'avère très difficile pour un homme ordinaire de rappeler à
sa mémoire des objets précis, mais par la grâce du Seigneur et de Ses dévots
qualifiés que sont les maîtres spirituels authentiques, on peut aisément acquérir
cette faculté. Et il en fut ainsi pour Mahārāja Parīkṣit.

VERSET 5

tāvat kalir na prabhavet


praviṣṭo ’pīha sarvataḥ 
yāvad īśo mahān urvyām
ābhimanyava eka-rāṭ 

TRADUCTION

Aussi longtemps que le très puissant et magnanime fils d'Abhimanyu régnera


sur le monde en empereur unique, Kali n'aura aucune chance de se
développer.

TENEUR ET PORTEE

Kali, nous l'avons déjà expliqué, était apparu sur Terre depuis longtemps, et il
cherchait la possibilité de répandre son influence partout à travers le monde. Mais
en présence de Mahārāja Parīkṣit, il ne pouvait parvenir à ses fins comme il l'avait
souhaité. Voilà un bon gouvernement. Toute sorte d'éléments perturbateurs, à
l'exemple de Kali, chercheront toujours à étendre leur action néfaste; mais il va du
devoir de l'Etat compétent d'empêcher leurs méfaits par tous les moyens. Ainsi,
bien qu'il ait désigné à Kali plusieurs endroits où il puisse vivre, Mahārāja Parīkṣit
ne lui donna aucune chance de gagner la faveur de ses sujets.
Śrīmad-Bhāgavatam
CHANT 1
CHAPITRE 18

Mahārāja Parīkṣit maudit


par le fils d'un brāhmaṇa

VERSET 6

yasminn ahani yarhy eva


bhagavān utsasarja gām 
tadaivehānuvṛtto ’sāv
adharma-prabhavaḥ kaliḥ 

TRADUCTION

Dès l'instant où le Seigneur Suprême, Śrī Kṛṣṇa, quitta ce monde, Kali, qui
favorise tous les principes de l'irréligion, apparut sur terre.
TENEUR ET PORTEE

Le Seigneur, Son Saint Nom, et Ses Attributs... ne font qu'Un. Kali ne pouvait
s'introduire sur terre à cause de la présence du Seigneur Suprême et si nous veillons
à ce que le Saint Nom et les Attributs de la Personne Souveraine soient chantés
sans fin, Kali n'aura aucune possibilité de se manifester là où de telles activités sont
accomplies. Tel est le moyen de chasser Kali de ce monde. L'homme moderne a
grandement fait progresser la science matérielle, ce qui lui permit d'inventer
nombre d'appareils sophistiqués, comme la radio, qui peut transmettre des sons
dans l'air. Mais si, plutôt que de diffuse des sons malsains visant la seule
satisfaction des sens, l'Etat veille à la propagation de sons spirituels à travers le
chant des Saints Noms, de la Renommée et des Actes du Seigneur, tels qu'ils sont
authentiquement dépeints dans la Bhagavad-gītā et le Śrīmad-Bhāgavatam, alors
certes, le climat favorable qui sera ainsi créé favorisera le rétablissement des
principes de la spiritualité dans le monde et les chefs d'Etat si profondément
désireux de chasser la corruption de cette Terre verront ainsi leurs vaillants efforts
couronnés de succès. Aucune chose n'est mauvaise si elle est dûment utilisée pour
le service du Seigneur.

VERSET 7

nānudveṣṭi kaliṁ samrāṭ


sāraṅga iva sāra-bhuk 
kuśalāny āśu siddhyanti
netarāṇi kṛtāni yat 
TRADUCTION

Mahārāja Parīkṣit était réaliste, comme les abeilles qui savent extraire
l'essence seule [d'une fleur]. Il savait parfaitement qu'en cet âge de Kali, toute
oeuvre salutaire produit sur-le-champ de bons fruits, quand les activités
funestes doivent d'abord être accomplies pour qu'on en perçoive les effets.
Aussi n'envia-t-il jamais Kali.

TENEUR ET PORTEE

On nomme aussi l'âge de Kali l'ère de la déchéance. Dans cet âge, vu la condition
lamentable dans laquelle ont chu les hommes, le Seigneur Suprême leur accorde
une faveur particulière. On y devient coupable de péché que si la faute est commise
en action. Dans les autres âges, le simple fait de penser à une activité coupable en
entraînait toutes les suites. Dans l'âge où nous vivons, cette règle est inversée et l'on
obtient le résultat des actes de vertu rien qu'en pensant à ceux-ci.
Le roi Parīkṣit, que la grâce du Seigneur avait comblé d'une haute érudition et d'une
expérience profonde, n'enviait Kali d'aucune manière, car il était déterminé de ne
lui laisser aucune chance de se livrer à des actes coupables. Il protégeait ainsi ses
sujets des attaques pernicieuses de l'âge noir, tout en allouant à Kali certains lieux
précis où il puisse vivre à son gré. Comme nous le verrons à la fin du Śrīmad-
Bhāgavatam, en dépit de tous les méfaits de Kali, il est un avantage appréciable
dans cet âge, et c'est qu'on y peut atteindre le salut par le simple chant du Saint
Nom du Seigneur. C'est pourquoi Mahārāja Parīkṣit organisa la propagation du
chant des Saints Noms du Seigneur, de manière à sauver ses sujets des griffes de
Kali. C'est d'ailleurs uniquement pour cet avantage qu'offre l'âge néfaste que parfois
certains grands sages étendent leur bénédiction sur cet âge. Les Vedas enseignent
également qu'en discourant sur les Actes de Śrī Kṛṣṇa, on peut échapper à tous les
inconvénients que présente l'âge noir. Le début du Śrīmad-Bhāgavatam confirme
également que le Seigneur Suprême Se laisse emprisonner dans le coeur de celui
qui entend ou chante le récit du Bhāgavatam. Tels sont quelques-uns des avantages
uniques propres à l'âge de Kali, et Maharaja Pariksit les utilisait tous; fidèle à sa
foi vaiṣṇava, il ne pensa aucun mal de Kali.

VERSET 8

kiṁ nu bāleṣu śūreṇa


kalinā dhīra-bhīruṇā 
apramattaḥ pramatteṣu
yo vṛko nṛṣu vartate 

TRADUCTION

Mahārāja Parīkṣit considérait que les intelligences réduites verraient en Kali


un être de grande puissance, mais que les hommes maîtres d'eux-mêmes
n'auraient certes rien à craindre de lui. L'empereur avait la puissance d'un
tigre, et il avait le souci de protéger les insouciants.

TENEUR ET PORTEE

Quiconque ne voue pas sa vie au Seigneur fait pour ainsi dire preuve d'insouciance
et d'inintelligence. Et si, à l'inverse, son intelligence n'est pas rigoureusement
développée, nul ne peut devenir un bhakta. Or, les abhaktas deviennent victimes de
l'influence de Kali. Et la proclamation de décrets ou l'organisation de commissions
d'enquêtes contre la corruption, que favorisent d'ailleurs eux-mêmes les chefs d'Etat
et les commerçants, ne suffiront pas à enrayer les méfaits de Kali, à savoir le jeu,
l'enivrement, la prostitution et l'abattage des animaux, qui sont à la base de toutes
les formes de corruption. Nous ne pouvons créer un climat plus sain pour la société
que si nous sommes prêts à appliquer les mesures adoptées par Mahārāja Parīkṣit,
soit la propagation du service de dévotion parmi la masse des hommes.

VERSET 9

upavarṇitam etad vaḥ


puṇyaṁ pārīkṣitaṁ mayā 
vāsudeva-kathopetam
ākhyānaṁ yad apṛcchata 

TRADUCTION

O sages, comme vous m'en avez prié, je vous ai pratiquement tout dépeint des
récits concernant Śrī Kṛṣṇa en relation avec l'histoire du vertueux roi,
Mahārāja Parīkṣit.

TENEUR ET PORTEE

Les mots Śrīmad-Bhāgavatam signifient le récit des Divertissements du Seigneur.


Et ces Divertissements, le Seigneur les accomplit toujours en relation avec Ses
dévots, et on peut ainsi compretidre que l'histoire de Ses purs dévots a la même
valeur que celle de Śrī Kṛṣṇa. Le bhakta considère d'ailleurs les Divertissements de
l'Un comme des autres comme également spirituels et absolus.

VERSET 10

yā yāḥ kathā bhagavataḥ


kathanīyoru-karmaṇaḥ 
guṇa-karmāśrayāḥ pumbhiḥ
saṁsevyās tā bubhūṣubhiḥ 

TRADUCTION
Ceux qui désirent atteindre à la perfection totale de l'existence doivent prêter
une oreille soumise aux propos qui se rapportent aux Divertissements et aux
Attributs spirituels et absolus du Seigneur Suprême, qui toujours agit
merveilleusement.

TENEUR ET PORTEE

L'écoute systématique des Divertissements, Attributs et Noms sublimes de Śrī


Kṛṣṇa conduit à la vie éternelle. L'écoute systématique implique une connaissance
de plus en plus profonde de Sa Personne, qui entraîne à son tour une évolution vers
la vie éternelle. Ce que confirme la Bhagavad-gītā. En outre, la glorification des
Actes sublimes de Śrī Kṛṣṇa représente justement le remède prescrit pour
neutraliser les maux que sont la naissance, la maladie, la vieillesse et la mort, et qui
échoient à tous les êtres conditionnés par la matière. L'accès à un tel niveau de
perfection s'identifie au but de la vie humaine, et à l'obtention de la félicité
spirituelle.

Śrīmad-Bhāgavatam
CHANT 1
CHAPITRE 18

Mahārāja Parīkṣit maudit


par le fils d'un brāhmaṇa

VERSET 11

ṛṣaya ūcuḥ
sūta jīva samāḥ saumya
śāśvatīr viśadaṁ yaśaḥ 
yas tvaṁ śaṁsasi kṛṣṇasya
martyānām amṛtaṁ hi naḥ 

TRADUCTION

Les vertueux sages dirent:


O grave Sūta Gosvāmī! Puisses-tu vivre de longues années, et puisse ta
renommée se perpétuer à jamais, car tu dépeins merveilleusement les Diver-
tissements du Seigneur Suprême, Śrī Kṛṣṇa, lesquels sont un nectar à nos
oreilles de mortels.
TENEUR ET PORTEE

Lorsque nous entendons le récit des Divertissements et Attributs sublimes du


Seigneur Suprême, nous devons toujours nous rappeler les paroles mêmes de Kṛṣṇa
dans la Bhagavad-gītā (IV.9). Ses Actes, même lorsqu'Il les accomplit dans la
société des hommes, sont tous de nature divine, car ils se placent sous le signe de
l'énergie spirituelle plutôt que de l'énergie matérielle. La Bhagavad-gītā les qualifie
de divyam, ce qui signifie précisément que le Seigneur ne naît pas et n'agit pas
comme un être ordinaire, soumis aux contraintes de l'énergie matérielle. Son Corps
non plus n'est pas matériel, ou sujet à transformation, comme celui d'êtres
ordinaires. Et celui qui comprend ces vérités à la lumière des enseignements du
Seigneur ou auprès de sources autorisées, n'a plus lui-même à renaître après avoir
quitté son enveloppe charnelle. De telles âmes éclairées sont admises dans le
royaume spirituel du Seigneur, où ils s'engagent dans Son service d'amour absolu.
Par suite, plus nous entendons les gloires du Seigneur, telles que les rappqrtent
la Bhagavad-gītā et le Śrīmad-Bhāgavatam, plus nous pouvons saisir Sa nature
divine, et progresser de façon certaine sur la voie du retour à Kṛṣṇa.

VERSET 12

karmaṇy asminn anāśvāse


dhūma-dhūmrātmanāṁ bhavān 
āpāyayati govinda-
pāda-padmāsavaṁ madhu 

TRADUCTION

Nous avons tout juste entamé ce sacrifice par le feu dans un but intéressé, et
sans certitude aucune quant à ses fruits, vu l'imperfection qui entache notre
entreprise. La fumée a noirci nos corps, mais nous nous trouvons pro-
fondément satisfaits grâce au nectar des pieds pareils-au-lotus du Seigneur
Suprême, Govinda, dont tu as bien voulu nous abreuver.

TENEUR ET PORTEE

Au-dessus du feu sacrificiel animé par les sages de Naimiṣāraṇya flottaient certes
beaucoup de fumée et de doutes en raison des failles multiples qui s'étaient glissées
dans leur entreprise. La première de ces failles réside dans le fait que l'âge de Kali
se caractérise par un manque absolu de brāhmaṇas expérimentés qui puissent
mener à bien de telles cérémonies. Or, la moindre faute commise au cours de ces
sacrifices entraîne l'échec complet et les résultats en seront aussi incertains que
ceux d'une moisson. En effet, les meilleurs labours dépendent toujours de pluies
providentielles, et de ce fait laissent toujours le cultivateur dans l'incertitude quant à
la récolte. Et certes, les sacrifices accomplis dans l'âge de Kali obéissent, quels
qu'ils soient, à la même règle. Les brāhmaṇas avides et sans scrupule du kali-
yuga induisent le public innocent à s'engager dans l'accomplissement de sacrifices
ostentatoires et douteux, en prenant bien garde de ne pas leur révéler l'ensei-
gnement des Ecritures selon lequel il n'est d'autres sacrifices fructueux dans cet âge
que le chant collectif des Saints Noms du Seigneur. Sūta Gosvāmī se conformait à
cette directive en louant les Noms et Gloires sublimes du Seigneur devant
l'assemblée des sages, qui tous pouvaient percevoir de manière tangible les effets
de l'écoute des Divertissements spirituels et absolus de Kṛṣṇa. Effets tout aussi
concrets pour l'âme que les effets ressentis par le corps lorsqu'on le nourrit. Ainsi
s'opère la réalisation spirituelle.
Les sages de Naimiṣāraṇya souffraient de la fumée s'échappant du feu sacrificiel, et
nourrissaient de sérieux doutes quant à l'issue de leur entreprise; mais l'écoute des
propos émanant d'une âme réalisée comme Sūta Gosvāmī les comblait pleinement.
Le Brahma-vaivarta Purāṇa rapporte que Viṣṇu dit à Śiva que dans l'âge de Kali,
l'homme connaîtra mille soucis à oeuvrer en vain dans le cadre de l'action
intéressée et de la spéculation intellectuelle, alors que s'il adopte la pratique du
service de dévotion, aucune énergie ne sera perdue, mais le résultat en sera assuré.
En d'autres mots, aucune entreprise, qu'elle vise la réalisation spirituelle ou le bien
matériel, ne peut être fructueuse si elle ne s'inscrit dans le cadre du service
dévotionnel offert au Seigneur.

VERSET 13

tulayāma lavenāpi
na svargaṁ nāpunar-bhavam 
bhagavat-saṅgi-saṅgasya
martyānāṁ kim utāśiṣaḥ 

TRADUCTION

La valeur de l'accès aux planètes édéniques ou de la libération du cycle des


naissances répétées en ce monde, et que dire de bienfaits matériels, de la
prospérité ou autres, convoités par des êtres voués à la mort, ne saurait être
comparée fût-ce à un seul instant passé en compagnie d'un dévot du Seigneur.

TENEUR ET PORTEE

On ne peut comparer deux objets que dans la mesure où il existe entre eux certaines
similitudes. Or, la compagnie d'un pur bhakta ne se compare à aucun bien matériel.
Les hommes par trop assoiffés de bonheur matériel aspirent pour leur part à
atteindre les planètes édéniques —la Lune, Vénus, Indraloka, etc.—, et ceux qui
ont approfondi les voies de la spéculation philosophique recherchent, eux, la
libération hors des chaînes de la matière. Car, lorsqu'on devient déçu par toute
forme d'enrichissement matériel, on se prend à convoiter la contrepartie des plaisirs
de ce monde, à savoir la libération, qu'on nomme apunar-bhava —
l'affranchissement du cycle des naissances répétées. Un pur dévot du Seigneur,
cependant, ne désire ni le bonheur de vivre dans le royaume édénique, ni la
libération hors des chaînes de la matière. En effet, les plaisirs qu'offrent les planètes
édéniques ne sont à ses yeux que fantasmagorie, et parce qu'il est déjà affranchi de
tout concept matériel relatif au bonheur et au malheur, il se trouve déjà, bien
qu'encore en ce monde, libéré de la matière. Cela signifie que les
purs bhaktas connaissent une existence axée sur l'Absolu pour être absorbés dans le
service d'amour sublime offert au Seigneur, dans l'univers matériel ou dans le
monde spirituel. De même qu'un membre du gouvernement demeure le même aussi
bien au bureau qu'au foyer ou ailleurs, le bhakta n'a rien à voir avec la matière, et il
ne vit que pour le service d'amour absolu offert au Seigneur. Et puisqu'il n'a aucun
intérêt pour les choses de ce monde, quel plaisir pourrait-t-il tirer de bienfaits
matériels, comme la royauté ou toute autre forme de pouvoir, qui s'évanouissent
avec la destruction du corps. A l'opposé, le service de dévotion est éternel; parce
que spirituel, il ne connaît pas de fin. Ainsi, les atouts du pur bhakta diffèrent en
tout des valeurs matérielles et il serait vain de vouloir les comparer. Selon cet ordre
de pensée, la présence de Sūta Gosvāmī, pur dévot du Seigneur, représentait un
bienfait unique pour les ṛṣis de Naimiṣāraṇya, plongés dans leurs rituels intéressés.
Le contact en ce monde avec les bas matérialistes, qu'on nomme yoṣit-saṅgī ou
hommes profondément attachés à la matière à travers la femme et tout ce qui
l'entoure est certes proscrit, car il conditionne l'être en chassant loin de lui les
bienfaits de la vie et de la prospérité. A l'opposé se trouve le bhāgavata-saṅgī, ou
celui qui vit au contact du Nom, de la Forme, des Attributs et des autres traits
spirituels du Seigneur; sa compagnie est tout à fait désirable, louable, digne
d'adoration même, et il faut y reconnaître le but ultime de l'existence.

VERSET 14

ko nāma tṛpyed rasavit kathāyāṁ


mahattamaikānta-parāyaṇasya 
nāntaṁ guṇānām aguṇasya jagmur
yogeśvarā ye bhava-pādma-mukhyāḥ 

TRADUCTION

Le Seigneur Suprême, Śrī Kṛṣṇa, ou Govinda, représente l'unique refuge pour


les plus nobles de tous les êtres, et Ses Attributs spirituels et absolus ne
peuvent être mesurés même par Śiva et Brahmā, les plus illustres maîtres des
pouvoirs yogiques. Quel est celui qui, habile à en savourer le doux nectar, se
lasserait de l'écoute des propos liés à Sa Personne ?

TENEUR ET PORTEE

Śiva et Brahmā comptent parmi les chefs des bhaktas, et ils possèdent tous les
pouvoirs yogiques. Ainsi, Śiva put boire un océan de poison dont une seule goutte
aurait suffi à foudroyer un être ordinaire. Et Brahms pour sa part put engendrer tant
de puissants bhaktas, dont Śiva lui-même. Aussi les qualifie-t-on d'īśvaras, de
maîtres de l'univers. Mais leur pouvoir n'est pas suprême. Le maître absolu est
Govinda, Śrī Kṛṣṇa. Il est la Transcendance et Ses Attributs spirituels et absolus ne
peuvent être mesurés même par d'aussi puissants īśvaras que Śiva et Brahmā. C'est
pour cette raison que Kṛṣṇa représente l'unique refuge des plus grands parmi tous
les êtres. Brahms appartient lui aussi aux êtres distincts, mais de tous, il est le plus
grand. Or si telle est sa puissance, pourquoi se sent-il si fortement attiré par les
propos sublimes liés à la Personne de Kṛṣṇa? C'est que Ce dernier est la source de
tous les doux sentiments spirituels. Chacun aspire à goûter un bonheur quelconque
dans tout ce qu'il fait. Celui toutefois qui s'absorbe dans le service d'amour absolu
du Seigneur baigne dans un flot sans fin de riches émotions. Le Seigneur est
illimité, et Son Nom, Ses Attributs, Ses Divertissements et tout ce qui L'entoure
jouit de la même qualité. Ceux qui s'y délectent peuvent donc le faire sans fin, et
sans jamais se sentir rassasiés. Ce que confirme le Padma Purāṇa: "Le Seigneur
Souverain, la Vérité Suprême et Absolue, on L'appelle aussi Rāma, car Il prodigue
à tous les yogis une joie spirituelle sans limite."
Ces propos sublimes ne connaissent donc pas de fin. Toute activité matérielle est
soumise à la loi de saturation, mais ce phénomène est inexistant sur le plan
spirituel. Sūta Gosvāmī désirait poursuivre le récit des Divertissements de Śrī
Kṛṣṇa devant les sages de Naimiṣāraṇya, et les ṛṣis se montraient eux-mêmes
désireux de les entendre de lui sans fin. Parce que le Seigneur et Ses Attributs
transcendent la matière, les propos liés à Sa Personne suscitent un intérêt accru
dans un auditoire purifié.

VERSET 15

tan no bhavān vai bhagavat-pradhāno


mahattamaikānta-parāyaṇasya 
harer udāraṁ caritaṁ viśuddhaṁ
śuśrūṣatāṁ no vitanotu vidvan 

TRADUCTION

O Sūta Gosvāmī, parce que le Seigneur représente l'objet premier de ton


service, tu es un savant et pur dévot du Seigneur. Aie la bonté de relater, pour
nous qui sommes profondément désireux d'en entendre le récit, les
Divertissements du Seigneur, qui par nature transcendent tout concept lié à la
matière.

TENEUR ET PORTEE

La qualité requise pour dépeindre les Activités purement spirituelles du Seigneur


consiste à n'avoir pour seul objet d'adoration et de service que le Seigneur Suprême,
Śrī Kṛṣṇa. Quant à ceux qui écoutent ces propos, ils doivent être profondément
désireux d'entendre parler de Lui. Quand un orateur et un auditoire qualifiés se
trouvent ainsi réunis, les conditions deviennent idéales pour développer le sujet de
la Transcendance. Un orateur professionnel et un auditoire qu'absorbe les choses de
la matière ne peuvent saisir l'avantage réel de tels récits. Certains professionnels
organisent d'ostentatoires Bhāgavata-saptāha afin de pourvoir aux besoins de leur
famille avec les gains qu'ils tirent de cette entreprise, et des gens aux inclinations
matérielles se livrent à l'écoute de tels récits dans l'espoir d'en tirer quelques
bienfaits matériels dans le champ de la piété, de l'accroissement des richesses, de la
satisfaction des sens ou de la libération. Il est bien entendu que de tels échanges sur
le Śrīmad-Bhāgavatam ne sont pas à l'abri de la souillure des guṇas. A l'opposé,
l'entretien qui se déroule entre les saints de Naimiṣāraṇya et Śrī Sūta Gosvāmī se
place au niveau purement spirituel, car ces sages sont dénués de toute aspiration
matérielle et motivés par la seule écoute des Activités du Seigneur. Ces propos
regorgent de joies spirituelles infinies autant pour l'auditoire que pour l'orateur,
aussi peuvent-ils se poursuivre durant des milliers d'années. Les Bhāgavata-
saptāha d'aujourd'hui durent à peine sept jours, et une fois l'exhibition terminée, et
l'auditoire et l'orateur retournent à leurs activités matérielles courantes. Cela
s'explique par le fait que l'orateur n'est pas bhagavat-pradhāna, ni
l'auditoire śuśrūṣatām, tel que nous l'avons expliqué.

Śrīmad-Bhāgavatam
CHANT 1
CHAPITRE 18

Mahārāja Parīkṣit maudit


par le fils d'un brāhmaṇa

VERSET 16

sa vai mahā-bhāgavataḥ parīkṣid


yenāpavargākhyam adabhra-buddhiḥ 
jñānena vaiyāsaki-śabditena
bheje khagendra-dhvaja-pāda-mūlam 

TRADUCTION

O Sūta Gosvāmī, veuille dépeindre ces propos qui touchent au Seigneur, et par
quoi Mahārāja Parīkṣit, fermement établi au niveau de l'intelligence
libératrice, écouta l'enseignement du fils de Vyāsa [Śrīla Śukadeva], et attei-
gnit les pieds pareils-au-lotus de Celui qui est le refuge de Garuḍa, monarque
de la gent ailée.
TENEUR ET PORTEE

Il est une certaine controverse parmi les postulants qui empruntent la voie de la
libération, et qui sépare les spiritualistes en deux camps: les impersonnalistes et les
dévots du Seigneur. Ces derniers adorent la Forme spirituelle et absolue du
Seigneur quand les premiers méditent sur l'éclat irradiant qui en émane, et qu'on
nomme le brahmajyoti. Notre verset indique que Mahārāja Parīkṣit atteignit les
pieds pareils-au-lotus du Seigneur grâce au savoir reçu du fils de Vyāsadeva, Śrīla
Śukadeva Gosvāmī. Celui-ci, comme il le reconnaîtra lui-même, figurait à l'origine
au nombre des impersonnalistes, mais il devint plus tard attiré par les
Divertissements sublimes du Seigneur, et se fit ainsi bhakta (S.B., 2.1.9). Un
tel bhakta, au savoir parfait, se qualifie de mahā-bhāgavatas, de bhakta de premier
ordre. On qualifie les dévots du Seigneur de prākṛta, madhyamas, ou de mahā-
bhāgavatas, selon leur niveau de réalisation. Le prākṛta-bhakta, au niveau le plus
bas, rend son culte dans le temple, sans connaissance précise du Seigneur et de Ses
dévots. Le bhakta dit madhyama, au niveau intermédiaire, distingue clairement
entre le Seigneur, Ses dévots, les néophytes et les abhaktas. Le mahā-bhāgavata,
le bhakta de premier ordre, voit pour sa part toute chose en relation avec le
Seigneur, et perçoit Sa divine présence en tout. Par suite, il n'établit aucune
distinction particulière entre bhaktas et abhaktas. Mahārāja Parīkṣit, initié par
le mahā-bhāgavata qu'était Śukadeva Gosvāmī, en avait lui-même acquis les
qualités, si bien qu'il avait pu se montrer bienveillant à l'égard de Kali, et combien
plus à l'égard des autres êtres.

Les Ecrits contenant l'histoire spirituelle du monde nous rapportent de nombreux


exemples d'impersonnalistes qui devinrent plus tard bhaktas, mais aucun
de bhaktas qui se seraient faits impersonnalistes. Ce qui prouve que dans l'échelle
des valeurs spirituelles, la place qu'occupe le bhakta est plus élevée que celle de
l'impersonnaliste. La Bhagavad-gītā (XII.5) ne confirme-t-elle pas d'ailleurs que
ceux dont le mental se lie à l'aspect impersonnel de l'Absolu rencontrent davantage
de difficultés qu'ils n'obtiennent de résultats tangibles.

Ainsi, le savoir transmis par Śukadeva Gosvāmī à l'empereur Mahārāja Parīkṣit


aida celui-ci à atteindre le service du Seigneur. Et c'est ce niveau de perfection que
l'on nomme apavarga, ou la plus haute libération. La simple connaissance de la
libération reste matérielle; car la vraie libération consiste en l'affranchissement
vécu des chaînes de la matière. Et la perfection de la libération consiste, elle, à
atteindre au service spirituel et absolu que l'on offre au Seigneur, service lui-même
développé dans le savoir et le renoncement, tel qu'expliqué précédemment (S.B.,
1.2.12). Le savoir parfait, donc, tel que transmis par Śrīla Śukadeva Gosvāmī,
permet d'accéder au niveau du service sublime offert au Seigneur.

VERSET 17

tan naḥ paraṁ puṇyam asaṁvṛtārtham


ākhyānam atyadbhuta-yoga-niṣṭham 
ākhyāhy anantācaritopapannaṁ
pārīkṣitaṁ bhāgavatābhirāmam 

TRADUCTION
Ainsi, puisses-tu narrer pour nous les récits qui s'attachent au Sans-limite,
récits purificateurs et suprêmes, tels qu'ils furent énoncés devant Mahārāja
Parīkṣit. Imprégnés de bhakti, ils sont très chers aux purs bhaktas.

TENEUR ET PORTEE

Ces récits énoncés devant Mahārāja Parīkṣit, et si chers aux purs bhaktas, sont ceux
du Śrīmad-Bhāgavatam. Cet Ecrit est plein de narrations concernant les Activités
du Seigneur Suprême et Illimité, en sorte qu'il contient la science du bhakti-yoga,
du service de dévotion offert au Seigneur. Il est donc para, ou suprême, car bien
qu'enrichi des connaissances propres aux diverses branches du savoir, et plus
précisément de la religion, il est couronné du service de dévotion.

VERSET 18

sūta uvāca
aho vayaṁ janma-bhṛto ’dya hāsma
vṛddhānuvṛttyāpi viloma-jātāḥ 
dauṣkulyam ādhiṁ vidhunoti śīghraṁ
mahattamānām abhidhāna-yogaḥ 

TRADUCTION

Śrī Sūta Gosvāmī dit:


O Seigneur, bien qu'issu d'une famille mixte, nous voilà élevés par rapport à
notre naissance du simple fait d'avoir servi et marché sur les traces des
maîtres du savoir. Par le contact de ces âmes magnanimes, ne fût-ce qu'en
conversant avec elles, on peut se purifier sans délai de toute tare liée à la
naissance.

TENEUR ET PORTEE

Sūta Gosvāmī n'était pas issu d'une famille de brāhmaṇa; il était de souche mixte,
né d'une famille basse et inculte. Mais au contact des hauts enseignements de Śrī
Śukadeva Gosvāmī, qu'il élucida par la suite devant les grands ṛṣis de
Naimiṣāraṇya, toutes imperfections liées à ses origines inférieures furent certes
balayées. Śrī Caitanya Mahāprabhu appliqua ce même principe en accord avec la
tradition védique, et par Son contact divin, éleva au niveau du service de dévotion
nombre d'êtres diminués par leur naissance ou leurs actes, et les établit dans la
position d'ācāryas, d'autorités en matière spirituelle. Il expliqua clairement que tout
homme, qu'il soit brāhmaṇa ou śūdra par la naissance, chef de famille ou sage
errant selon les divisions sociales, peut, s'il est versé dans la science de Kṛṣṇa, être
accepté comme ācārya ou guru, comme maître spirituel.
Sūta Gosvāmī apprit la science de Kṛṣṇa auprès de grands ṛṣis et autorités en
matière spirituelle, comme Śukadeva, Vyāsadeva, etc., et il se qualifia tant que
même les sages de Naimiṣāraṇya lui exprimèrent leur profond désir d'entendre de
ses lèvres cette même science de Kṛṣṇa sous la forme du Śrīmad-Bhāgavatam.
Ainsi bénéficia-t-il de la compagnie d'âmes aussi magnanimes aussi bien dans son
apprentissage par l'écoute que dans sa prédication. Nous devons apprendre la
science spirituelle, la science de Kṛṣṇa, d'autorités en la matière, et lorsqu'elle est
assimilée, la qualité de notre prédication s'en trouve accrue. Or, Sūta
Gosvāmī possédait ces deux atouts, aussi peut-on affirmer sans l'ombre d'un doute
qu'il était parfaitement débarrassé de toute disgrâce liée à sa basse naissance
comme de toute angoisse. Car, ce verset le prouve de façon concluante, Śrīla
Śukadeva Gosvāmī ne refusa nullement d'enseigner Sūta Gosvāmī dans la science
de l'Absolu sous prétexte qu'il était de souche inférieure, non plus que les sages de
Naimiṣāraṇya ne refusèrent d'être enseignés par lui. Cela signifie que déjà dans les
temps passés, il y a des milliers d'années, une basse naissance ne représentait pas
une barrière à la réception ou à la transmission de la science spirituelle. Il y a à
peine cent ans que prévaut le régime des castes dans la société hindoue. Outré par
sa rigidité inconsidérée, il est une véritable mutilation de l'institution des varnas:
phénomène dû seulement à l'accroissement, dans les couches sociales supérieures,
du nombre des dvija-bandhus, des représentants non-qualifiés de ces groupes. Śrī
Caitanya rétablit quant à Lui le système védique originel, et éleva Haridāsa
Ṭhākura au rang de nāmācārya, de maître en matière de prédication des gloires du
Saint Nom de Kṛṣṇa, bien que Sa Sainte Grâce avait choisi d'apparaître dans une
famille de musulmans. Telle est la puissance des purs dévots du Seigneur. On
attribue aux eaux du Gange une grande pureté, et toute personne qui s'y baigne
bénéficie de ce pouvoir purificateur. Mais les grands bhaktas peuvent purifier une
âme déchue qui poserait seulement son regard sur eux; que dire dès lors de celui
qui obtient de vivre à leur contact ? Śrī Caitanya Mahāprabhu souhaitait purifier
l'atmosphère polluée de la terre entière, et pour ce faire dépêcha des prédicateurs
qualifiés dans tous les coins du monde. Les Indiens plus particulièrement doivent
prendre à coeur cette mission, et la répandre avec science, se livrant par là à la plus
haute forme d'oeuvre humanitaire. Il vaut en effet infiniment mieux se qualifier
pour cette tâche —la propagation des Saints Noms du Seigneur— que de se livrer à
quelque prétendue philanthropie stéréotypée comme ouvrir des hôpitaux ou d'autres
établissements similaires. Car le mal intérieur qui frappe les générations actuelles
est beaucoup plus grave que de simples affections pathologiques. Il s'avère donc
important, juste et approprié, que des personnes qualifiées entreprennent sans tarder
de prêcher le Śrīmad-Bhāgavatam par toute la terre. Les mots mahattamānām
abhidhāna signifient également un dictionnaire des grands bhaktas, ou un Ecrit
émaillé des paroles d'âmes magnanimes. De tels recueils, réunissant les
enseignements d'illustres bhaktas, comme ceux du Seigneur, se trouvent dans
les Vedas et leurs compléments, notamment le Śrīmad-Bhāgavatam.

VERSET 19

kutaḥ punar gṛṇato nāma tasya


mahattamaikānta-parāyaṇasya 
yo ’nanta-śaktir bhagavān ananto
mahad-guṇatvād yam anantam āhuḥ 

TRADUCTION

Et que dire de ceux qui, sous la direction de bhaktas magnanimes, chantent les


Saints Noms du Sans-limite, aux puissances infinies? Le Seigneur Souverain,
aux pouvoirs illimités et aux Attributs sublimes, on Le nomme Ananta
[l'Incommensurable].

TENEUR ET PORTEE

Les dvija-bandhus, les membres incultes, à l'intelligence affaiblie,


des varnas supérieurs, produisent nombre d'arguments contre le principe selon
lequel un homme de naissance inférieure peut devenir un brāhmaṇa au cours de
cette vie même. Ils soutiennent que si un homme voit le jour dans une famille
de śūdra, ou de moins que śūdra, c'est à la suite des actes coupables qu'il a pu
accomplir dans le passé, et qu'il doit souffrir jusqu'au bout les désavantages qui
s'attachent à une basse naissance. Pour répondre à ces faux logiciens, le Śrīmad-
Bhāgavatam affirme que quiconque chante le Saint Nom du Seigneur sous la
direction de purs bhaktas peut du coup s'affranchir des tares qu'entraînent une
naissance inférieure. Un pur dévot du Seigneur ne se rend coupable d'aucune
offense (on en compte dix) lorsqu'il chante les Saints Noms, et pratiquer ce chant
sous la direction de purs bhaktas signifie précisément chanter sans commettre
d'offense. Ainsi pratiqué, le chant des Saints Noms du Seigneur est purement
spirituel, et il a pouvoir d'aussitôt purifier celui qui s'y livre des suites de toutes ses
fautes passées. Pour que le chant soit dénué de toutes offenses, on doit avoir
profondément saisi la nature divine des Saints Noms et, par suite, s'être abandonné
au Seigneur. La Personne du Seigneur et Son Saint Nom sont spirituellement
identiques, et représentent tous deux l'Absolu. Le Saint Nom participe donc de la
puissance du Seigneur; la toute-puissante Personne Divine possède d'innombrables
Noms qui ne sont en rien différents de Lui et qui sont tous aussi puissants que Lui.
En guise de conclusion à la Bhagavad-gītā, le Seigneur affirme que quiconque
s'abandonne complètement à Lui se voit, par Sa grâce, protégé de toute faute. Or,
Son Saint Nom, puisqu'il est identique à Sa Personne, a ce même pouvoir
d'affranchir le bhakta des suites de toutes ses fautes. Ce même chant, vu sa toute-
puissance, peut donc également sans le moindre doute délivrer n'importe qui des
tares liées à une origine peu louable. La puissance infinie du Seigneur s'étend, sans
limite, à travers un nombre incommensurable de bhaktas et d'avataras, qui par le
fait même deviennent investis de la même puissance infinie que le Seigneur. Et
devant cette puissance, même manifestée de façon partielle, aucune imperfection
liée à la naissance, et due à quelque acte répréhensible dont on a pu se rendre
coupable dans le passé, ne peut persister.

VERSET 20
etāvatālaṁ nanu sūcitena
guṇair asāmyānatiśāyanasya 
hitvetarān prārthayato vibhūtir
yasyāṅghri-reṇuṁ juṣate ’nabhīpsoḥ 

TRADUCTION

Il a maintenant été certifié qu'Il est sans limite [le Seigneur Suprême] et que
nul ne peut se comparer à Lui. Aussi, nul n'est donc vraiment en mesure de
décrire Ses Attributs comme il convient. Les grands bhaktas eux-mêmes, ne
peuvent, par leurs prières, s'attirer les faveurs de la déesse de la fortune. Celle-
ci s'attache au service du Seigneur, mais Lui ne désire en rien être servi de la
sorte.

TENEUR ET PORTEE

Le Seigneur Suprême, le Parameśvara, ou le Parabrahman, les śrutis Le dépeignent


comme libre de toute action et comme Celui que nul ne peut surpasser, ni même
égaler. Il possède des puissances sans limite, et chacun de Ses Actes s'accomplit de
manière parfaitement naturelle et ordonnée. Ainsi, l'Etre Divin jouit-Il en Lui-
même de la plénitude absolue, et Il n'a rien à recevoir de quiconque, y compris des
grands bhaktas tel Brahmā. Ceux-ci recherchent les faveurs de la déesse de la
fortune, qui malgré leurs prières leur refuse ses faveurs. Et pourtant, bien qu'elle
serve librement le Seigneur Souverain, Lui ne dépend aucunement d'elle. Dans Sa
Forme de Garbhodakaśāyī Viṣṇu, par exemple, Il engendre Brahmā, le premier être
créé dans l'univers matériel, à partir d'un lotus dont la tige émerge de Son ombilic,
et non dans le sein de la déesse de la fortune, qui Le sert éternellement. Telles sont
quelques réflexions sur l'indépendance et la perfection absolues de Kṛṣṇa. Qu'Il soit
libre de l'action ne signifie pas qu'Il soit impersonnel; Il est maître de puissances
spirituelles si inconcevables qu'Il peut accomplir toute chose d'un simple jet de Sa
volonté, et sans qu'Il n'ait à déployer le moindre effort personnel. Pour cette raison,
on Le nomme également Yogeśvara, le maître de tous les pouvoirs surnaturels.

Śrīmad-Bhāgavatam
CHANT 1
CHAPITRE 18

Mahārāja Parīkṣit maudit


par le fils d'un brāhmaṇa

VERSET 21

athāpi yat-pāda-nakhāvasṛṣṭaṁ
jagad viriñcopahṛtārhaṇāmbhaḥ 
seśaṁ punāty anyatamo mukundāt
ko nāma loke bhagavat-padārthaḥ 

TRADUCTION

A qui le nom de Seigneur Suprême sied-il sinon à la Personne Souveraine, Śrī


Kṛṣṇa. Brahmājī recueillit l'eau ayant caressé Ses ongles de pieds pour l'offrir
à Śiva en geste d'accueil révérenciel. Cette même eau [le Gange] purifie en
vérité l'univers entier, et Śiva lui-même.
TENEUR ET PORTEE

Le concept selon lequel les Ecritures védiques recommandent l'adoration de


plusieurs dieux relève d'une erreur monstrueuse commise par les masses ignorantes.
Dieu, par définition, représente l'Absolu unique et sans second, mais, et c'est bien
ce qu'enseignent les Vedas, Il Se déploie en de multiples formes. Innombrables sont
les émanations du Seigneur, dont certaines Le représentent dans Sa plénitude alors
que d'autres n'en sont que des manifestations partielles, comme le sont les êtres
distincts. Les êtres distincts n'ont pas la puissance des émanations plénières du
Seigneur; aussi compte-t-on deux grandes catégories d'émanations. Brahmā compte
généralement parmi les êtres distincts, et Śiva forme une catégorie intermédiaire
entre le Seigneur et les êtres distincts. En d'autres mots, même Brahmā et Śiva, les
plus puissants de tous les bhaktas, ne surpassent jamais ni même n'égalent Śrī
Viṣṇu, le Seigneur Suprême. Même Lakṣmī, la déesse de la fortune, adore en
compagnie de Brahmā, Siva et tous les puissants bhaktas, la Personne de Viṣṇu, ou
Kṛṣṇa. Dès lors, qui peut-on dire plus puissant que Mukunda (Kṛṣṇa), en qui tous
reconnaissent le Seigneur Suprême? Lakṣmījī, Brahmā et Śiva ne jouissent d'aucun
pouvoir indépendant: leur puissance vient de ce qu'ils procèdent du Seigneur
Suprême, et de ce qu'ils s'absorbent tous dans le service d'amour absolu de Kṛṣṇa,
lequel est également le propre de tous les êtres distincts.

On compte quatre lignées de bhaktas qui vouent leur culte au Seigneur, dont les
trois principales sont la Brahmā-sampradāya, la Rudra-sampradāya et la Śrī-
sampradāya, respectivement issues de Brahmā, de Śiva et de Lakṣmī en personne.
Quant à la quatrième lignée, il s'agit de la Kumāra-sampradāya, issue de Sanat-
kumāra. Or ces quatre sampradāyas originelles continuent scrupuleusement de
pratiquer le service sublime offert au Seigneur et de proclamer ainsi la suprématie
absolue de Śrī Kṛṣṇa, Mukunda, que personne ne surpasse ni même n'égale.

VERSET 22

yatrānuraktāḥ sahasaiva dhīrā


vyapohya dehādiṣu saṅgam ūḍham 
vrajanti tat pārama-haṁsyam antyaṁ
yasminn ahiṁsopaśamaḥ sva-dharmaḥ 
TRADUCTION

Les êtres sobres et maîtres d'eux-mêmes qui s'attachent au Seigneur Suprême,


Śrī Kṛṣṇa, peuvent trancher d'un coup tout lien avec la matière, qu'il s'agisse
du corps grossier ou du mental subtil, et marcher vers la plus haute perfection
de l'ordre du renoncement, auquel la non-violence et le détachement font
cortège.

TENEUR ET PORTEE

Seul un être sobre et maître de lui-même pourra graduellement s'attacher au


Seigneur Suprême. Etre maître de soi signifie ne pas se livrer au plaisir des sens
plus qu'il n'est nécessaire; et à l'opposé, ceux qui n'ont pas cette maîtrise se vouent
sans restriction à la satisfaction des sens. Mentionnons ici que l'aride spéculation
intellectuelle n'est qu'une autre forme de jouissance matérielle, celle-là subtile,
mentale. Or, les plaisirs matériels pavent la voie des ténèbres, alors que les âmes
sobres savent progresser sur la voie de la libération, hors de l'existence
conditionnée par la matière. C'est pourquoi les Vedas nous enjoignent de ne pas
emprunter la voie des ténèbres, mais bien plutôt de marcher vers la lumière, ou la
libération des conditions matérielles.

La maîtrise de soi ne s'obtient nullement en s'efforçant par quelque artifice de


priver les sens de tous plaisirs matériels; elle ne s'acquiert que lorsqu'on devient
profondément attaché au Seigneur Suprême en employant ses sens purifiés dans
Son service absolu. On ne peut mettre un frein aux impulsions des sens par la force;
il s'agit bien plutôt de les utiliser comme il convient. Purifiés, donc, les sens
s'absorbent sans trêve dans le service spirituel offert à Kṛṣṇa; aussi désigne-t-on
l'occupation parfaite pour les sens du nom de bhakti-yoga. Par suite, ceux qui
s'attachent à la pratique du bhakti-yoga sont les vrais êtres sobres, et maîtres d'eux-
mêmes, assez pour trancher d'un coup toute attache au corps. Cet abandon total
dans le service du Seigneur se nomme paramahaṁsa. Le mot haṁsas désigne le
cygne, capable, dans un mélange d'eau et de lait, de n'extraire que le lait. Et de
même, ceux qui adoptent le service du Seigneur plutôt que celui de la matière sont
dits paramahaṁsas. Ceux-ci possèdent naturellement toutes les qualités —
l'humilité, la modestie, la non-violence, la tolérance, la simplicité, la respectabilité,
la vénération, la dévotion, la sincérité... Toutes ces qualités divines s'éveillent
spontanément chez le bhakta. Et de tels paramahaṁsas, tout entiers voués au
service du Seigneur, sont très rares, même parmi les âmes libérées.

La véritable non-violence se traduit par l'absence d'envie. Chacun en ce monde est


envieux de ses semblables, mais un parfait paramahaṁsa, dédié au service de
Kṛṣṇa, montre une totale absence d'envie. Il fait au contraire preuve d'amour envers
tous les êtres, car il connaît le lien par quoi ils sont unis au Seigneur Suprême.
Quant au véritable renoncement, il consiste à dépendre tout entier de Dieu. Chaque
être vivant dépend d'un autre, car telle est sa nature. En fait, chacun dépend de la
miséricorde du Seigneur Suprême, mais lorsqu'il oublie sa relation avec Lui, il
porte sa dépendance vers les conditions issues de la nature matérielle. Le
renoncement consistera donc à cesser de dépendre des conditions matérielles pour
s'en remettre complètement à la miséricorde du Seigneur. Voilà la vraie
indépendance: nourrir une foi totale en la miséricorde de Kṛṣṇa, sans dépendre en
rien des conditions de la matière. Ce niveau de perfection, celui de paramahaṁsa,
représente le plus haut achèvement du bhakti-yoga, du service de dévotion offert au
Seigneur Suprême.

VERSET 23

ahaṁ hi pṛṣṭo ’ryamaṇo bhavadbhir


ācakṣa ātmāvagamo ’tra yāvān 
nabhaḥ patanty ātma-samaṁ patattriṇas
tathā samaṁ viṣṇu-gatiṁ vipaścitaḥ 

TRADUCTION

O ṛṣis dont la puissance purificatrice vaut celle du soleil, je veux maintenant


m'efforcer de dépeindre pour vous, en autant que ma connaissance me le
permet, tout ce qui touche aux Divertissements spirituels et absolus de Viṣṇu.
Comme les oiseaux qui volent aussi haut dans le ciel que leurs ailes le leur
permettent, les bhaktas même érudits ne peuvent parler du Seigneur que dans
la mesure de leurs réalisations.

TENEUR ET PORTEE

La Vérité Suprême et Absolue est sans limite, et aucun être distinct ne peut
connaître le Seigneur sans limite avec ses moyens limités. Le Seigneur est à la fois
personnel et impersonnel, aussi bien d'ailleurs que localisé. Dans son aspect
impersonnel, Il est le Brahman qui tout pénètre; par Son aspect localisé, Il est
présent dans le coeur de chaque être sous la forme de l'Ame Suprême; et dans Son
aspect personnel, suprême, Il fait l'objet du service d'amour absolu de Ses
compagnons fortunés, les purs bhaktas. Tout comme les oiseaux ne peuvent, dans
leur vol, dépasser une certaine altitude, les grands bhaktas, même très érudits, ne
peuvent percevoir qu'en partie les Divertissements du Seigneur dans Ses diverses
Formes. Aussi Śrīla Sūta Gosvāmī s'exprime-t-il justement lorsqu'il affirme ne
pouvoir décrire les Divertissements du Seigneur que dans la mesure où il les a
réalisés. En vérité, seul le Seigneur en personne peut Se dépeindre tel qu'Il est; Ses
dévots érudits peuvent certes également Le décrire, mais seulement dans la mesure
où Celui-ci leur donne le pouvoir de le faire.

VERSETS 24-25
ekadā dhanur udyamya
vicaran mṛgayāṁ vane 
mṛgān anugataḥ śrāntaḥ
kṣudhitas tṛṣito bhṛśam 

jalāśayam acakṣāṇaḥ
praviveśa tam āśramam 
dadarśa munim āsīnaṁ
śāntaṁ mīlita-locanam 

TRADUCTION

Un jour que Mahārāja Parīkṣit chassait dans la forêt, solidement armé de son
arc et de ses flèches, il éprouva une fatigue extrême, et se sentit pris par la faim
et par la soif alors qu'il suivait des cerfs. Cherchant un point d'eau, il pénétra
dans l'ermitage du célèbre Śamīka ṛṣi, et vit le sage assis là, en parfait silence
et les yeux clos.

TENEUR ET PORTEE

Le Seigneur Suprême fait montre d'une telle bonté à l'égard de Ses purs dévots
qu'en temps voulu, Il les rappelle à Lui, créant pour cela un concours de
circonstances favorables et propices pour le bhakta. Ainsi de Mahārāja Parīkṣit; pur
dévot du Seigneur, il n'avait aucune raison de connaître une fatigue extrême, ni de
souffrir de la faim ou de la soif, car un dévot du Seigneur n'est jamais troublé par
les exigences du corps. Mais par le désir du Seigneur, même un tel  bhakta peut en
apparence être épuisé et assoiffé, à seule fin que soit créée une situation favorable
qui lui permette de renoncer à toute activité de ce monde. Car il faut abandonner
tout attachement ou lien qui nous retienne à la matière avant de pouvoir retourner
vers Dieu, vers notre demeure originelle. C'est pourquoi même si un bhakta se
trouve profondément absorbé dans les affaires de ce monde, le Seigneur créera une
situation favorisant le détachement total chez Son dévot. Jamais le Seigneur
Suprême n'oublie Son pur dévot, même si ce dernier se trouve engagé dans des
activités apparemment matérielles, et c'est pourquoi il arrive parfois qu'Il crée une
situation mystérieuse où le bhakta se voit obligé de renoncer aux choses de ce
monde. Alors que certains y voient une source de frustration, et lui prêtent une
influence négative, le bhakta, lui, peut y saisir un signal du Seigneur. Śrī Kṛṣṇa
destinait Mahārāja Parīkṣit à devenir l'instrument de révélation du Śrīmad-
Bhāgavatam, tout comme Il avait destiné son aïeul Arjuna à recevoir pour le bien
du monde entier le message de la Bhagavad-gītā. N'eut été l'illusion d'Arjuna,
aveuglé, selon la volonté du Seigneur, par ses attaches familiales, Kṛṣṇa n'aurait pas
eu l'occasion d'énoncer la Bhagavad-gītā pour le bien de tous. Et de même, s'Il
n'avait pas causé la fatigue, la faim et la soif de Mahārāja Parīkṣit en des
circonstances particulières, le Śrīmad-Bhāgavatam n'aurait pu être énoncé par Śrīla
Śukadeva Gosvāmī, l'autorité première de cet Ecrit. Ceci sert donc de prélude au
récit des circonstances qui conduisirent à l'énonciation du Śrīmad-
Bhāgavatam pour le bien de tous. Ce prélude commence donc par les mots "Un
jour" ...

Śrīmad-Bhāgavatam
CHANT 1
CHAPITRE 18

Mahārāja Parīkṣit maudit


par le fils d'un brāhmaṇa

VERSET 26

pratiruddhendriya-prāṇa-
mano-buddhim upāratam 
sthāna-trayāt paraṁ prāptaṁ
brahma-bhūtam avikriyam 

TRADUCTION

Les organes des sens, la respiration, le mental et l'intelligence du muni se


trouvaient coupés de toute activité matérielle, et lui-même était en samādhi,
au-delà des trois états [l'éveil, le rêve et l'inconscience], spirituellement établi
dans une parfaite égalité qualitative avec le Seigneur Suprême et Absolu.
TENEUR ET PORTEE

Il apparaît que le muni dans l'ermitage duquel pénétra le roi, se trouvait en profonde


méditation yogique. L'élévation spirituelle peut s'opérer par trois voies: celle
du jñāna, du développement théorique de la connaissance liée à la Transcendance,
celle du yoga, ou de l'absorption méditative profonde, obtenue par la manipulation
des fonctions physiologiques et psychologiques du corps, et celle du bhakti-yoga, la
plus reconnue de toutes, où les sens sont engagés dans le service de dévotion offert
au Seigneur. La Bhagavad-gītā nous enseigne également le développement graduel
de la perception, de la matière inerte à l'énergie spirituelle vivante. Le corps et le
mental matériels se développent à partir de l'âme, laquelle oublie, sous l'influence
des trois guṇas, son identité réelle. La voie du jñāna, qui procède par la méthode
ascendante, élabore diverses hypothèses quant à la réalité de l'âme, alors que
le bhakti-yoga engage directement l'âme spirituelle dans des activités concrètes. La
perception de la matière inerte se trouve alors transcendée, et s'établit à un niveau
beaucoup plus subtil. Des sens grossiers, on s'élève au mental subtil, puis aux
activités de la respiration, à l'intelligence et, au-delà, à l'âme, à l'étincelle de vie.
Celle-ci peut être réalisée par les pratiques mécaniques du yoga, manifestées dans
la méditation en vue de restreindre les sens, dans la régulation des fonctions
respiratoires et dans l'application de l'intelligence à l'élévation spirituelle. Ce
samādhi entraîne la cessation des activités matérielles du corps, et c'est dans cette
condition, que décrira d'ailleurs davantage le verset suivant, que l'empereur vit
le muni.

VERSET 27

viprakīrṇa-jaṭācchannaṁ
rauraveṇājinena ca 
viśuṣyat-tālur udakaṁ
tathā-bhūtam ayācata 

TRADUCTION

Le sage méditatif était également couvert d'une peau de daim, et sa longue


chevelure entremêlée formait des nattes grossières et raides. Le roi, cependant,
le palais complètement desséché, lui demande de l'eau.

TENEUR ET PORTEE

L'empereur avait soif au point où il ne put s'empêcher de demander de l'eau au


sage, bien que celui-ci se trouvait en samādhi. Un tel geste, venant d'un roi si noble
et si dévoué, ne pouvait être que l'effet de la Providence; autrement, jamais une
telle action sans précédent n'aurait pu être accomplie. Mahārāja Parīkṣit fut donc
placé dans cette situation pour le moins étonnante de façon à ce que les conditions
soient peu à peu réunies pour permettre au Śrīmad-Bhāgavatam d'être révélé.

VERSET 28

alabdha-tṛṇa-bhūmy-ādir
asamprāptārghya-sūnṛtaḥ 
avajñātam ivātmānaṁ
manyamānaś cukopa ha 

TRADUCTION

N'ayant reçu aucune marque de bienvenue —ni siège, ni lieu où se tenir, ni


eau, ni douces paroles—, le roi se sent négligé, et songeant ainsi, se met en
colère.

TENEUR ET PORTEE

Les lois de réception sont telles, selon les codes védiques, que même un ennemi,
lorsqu'on le reçoit chez soi, doit se voir offrir tous les respects, si bien qu'il n'ait
aucune chance de comprendre qu'il se trouve chez un antagoniste. Lorsque Śrī
Kṛṣṇa Se rendit, accompagné d'Arjuna et de Bhīma, chez leur ennemi Jarāsandha
dans la province de Magadha, leurs respectables personnes furent reçues
royalement par le roi Jarāsandha. L'un d'eux, à savoir Bhīma, devait même
combattre contre J Jarāsandha, mais cela n'empêcha en rien qu'ils soient reçus selon
les convenances. Le soir, ils s'asseyaient tous ensemble comme des amis, comme
des invités ordinaires, et le jour, ils combattaient violemment, mettant leur vie en
danger. Telles sont les lois qui régissent l'art de recevoir, et selon lesquelles même
l'homme le plus pauvre, qui n'a rien à offrir à son invité, doit au moins lui présenter
une natte de paille où il puisse s'asseoir, une coupe d'eau qu'il puisse boire et de
douces paroles de bienvenue; il s'agit là d'une obligation. Par suite, la réception
d'un hôte, qu'il soit ami ou ennemi, n'a pas à entraîner la moindre dépense; c'est une
simple question de bienséance.

Lorsque Mahārāja Parīkṣit franchit le seuil de la porte de Śamīka ṛṣi, il ne


s'attendait à aucune réception royale, car il savait parfaitement que les saints et les
sages ne possèdent aucune richesse matérielle. Mais jamais il n'aurait cru qu'on ne
puisse même lui offrir un siège en paille, une coupe d'eau et quelques douces
paroles. Et après tout, il n'était pas un hôte ordinaire, non plus que l'ennemi du ṛṣi,
en sorte que la réception glaciale du sage étonna profondément le roi, par suite de
quoi celui-ci n'eut pas tort de se mettre en colère contre lui, à l'heure précise où,
dans des circonstances pour le moins étranges, il éprouvait le besoin brûlant
d'étancher sa soif. Il était tout à fait naturel pour un roi de se mettre en colère dans
une situation aussi dramatique, mais parce que Mahārāja Parīkṣit n'était lui-même
rien moins qu'un saint, le fait pour lui d'agir ainsi ne peut qu'étonner; et il faut
certes comprendre qu'un tel geste ne put s'accomplir que par la volonté suprême du
Seigneur. L'empereur était un grand dévot du Seigneur, et le sage ne valait pas
moins que lui; mais par la volonté du Seigneur, les circonstances furent telles que
le ṛṣi servit à inciter le roi à trancher tout lien avec la famille ou le gouvernement,
de manière à s'abandonner tout entier aux pieds pareils-au-lotus de Śrī Kṛṣṇa. Le
Seigneur miséricordieux confronte parfois Son pur dévot à de telles circonstances
afin de l'arracher à l'océan boueux de l'existence matérielle, et de le ramener à Lui,
même s'il semble extérieurement que le bhakta soit en proie à quelques frustrations.
Le Vedas se trouve toujours sous la protection du Seigneur, et en toutes
circonstances, dans le succès comme dans l'échec, le Seigneur continue d'agir
comme son guide suprême. Ainsi le pur bhakta accepte-t-il toutes conditions,
même adverses, comme une bénédiction du Seigneur.

VERSET 29

abhūta-pūrvaḥ sahasā
kṣut-tṛḍbhyām arditātmanaḥ 
brāhmaṇaṁ praty abhūd brahman
matsaro manyur eva ca 

TRADUCTION
Ainsi, ô brāhmaṇas, le roi se mit en colère, et devint envieux du
sage brāhmaṇa, comme cela ne s'était jamais fait, poussé par les circonstances
qui avaient suscité en lui une faim et une soif excessives.

TENEUR ET PORTEE

Il était sans aucun doute unique pour un roi comme Mahārāja Parīkṣit, d'éprouver
de l'envie et de se mettre en colère, et à plus forte raison contre un sage  brāhmaṇa.
Le roi savait fort bien que les brāhmaṇas et les sages, comme d'ailleurs les enfants,
les femmes et les vieillards, ne peuvent en aucun cas être châtiés par le roi. Et
inversement, même si l'empereur se rend coupable d'une faute grave, jamais il ne
doit être vu comme un malfaiteur. Mais dans le cas qui nous occupe, Mahārāja
Parīkṣit, exceptionnellement, se mit en colère et montra de l'envie envers le sage. Et
bien qu'il semble que c'était en raison de sa faim et de sa soif, c'est en vérité la
volonté du Seigneur qui est à l'origine de ces événements. Le roi avait raison de
punir son sujet pour l'avoir si froidement reçu, ou même négligé, mais parce que le
coupable était ici un sage, un brāhmaṇa, le cas était tout à fait sans précédent. Tout
comme le Seigneur n'est jamais envieux de personne, de même Son dévot. La seule
raison juste pour laquelle Mahārāja Parīkṣit ait pu se mettre en colère et concevoir
de l'envie à l'endroit du sage réside donc dans le fait que le Seigneur l'avait ainsi
voulu.

VERSET 30

sa tu brahma-ṛṣer aṁse
gatāsum uragaṁ ruṣā 
vinirgacchan dhanuṣ-koṭyā
nidhāya puram āgataḥ 

TRADUCTION

Outragé de la sorte, le roi, au moment de quitter les lieux, ramasse un serpent


sans vie de la pointe de son arc, et le dépose, plein de colère, sur l'épaule du
sage. Puis il retourne à son palais.

TENEUR ET PORTEE

Donnant donnant: voilà comment le roi traita le sage, bien qu'il n'ait jamais
auparavant commis d'actes aussi déraisonnables. Au moment de quitter les lieux, le
roi trouva, par la volonté du Seigneur, un serpent mort gisant sur le sol, et songeant
à la froide réception que lui avait réservé le sage, il se dit qu'il méritait d'être
récompensé selon les mêmes critères, aussi lui offrit-il, en guise de guirlande, cette
carcasse de serpent. Dans des circonstances ordinaires, un tel geste n'aurait rien eu
d'étonnant, mais dans le cas particulier de Mahārāja Parīkṣit, d'autant plus qu'il
avait à faire à un sage brāhmaṇa, l'acte était certes exceptionnel, et il ne pouvait
avoir été accompli que par la volonté du Seigneur.

Śrīmad-Bhāgavatam
CHANT 1
CHAPITRE 18

Mahārāja Parīkṣit maudit


par le fils d'un brāhmaṇa

VERSET 31

eṣa kiṁ nibhṛtāśeṣa-


karaṇo mīlitekṣaṇaḥ 
mṛṣā-samādhir āhosvit
kiṁ nu syāt kṣatra-bandhubhiḥ 

TRADUCTION

S'en retournant chez lui, l'empereur se mit à songer. Il se demanda si le sage


n'était pas véritablement absorbé dans une méditation profonde, ses sens
parfaitement contrôlés, les yeux clos, ou s'il s'était montré en samādhi pour ne
pas avoir à accueillir un kṣatriya, d'ordre inférieur.
TENEUR ET PORTEE

Dévot du Seigneur, le roi n'approuvait pas son propre geste envers le sage, aussi se
prit-il à considérer la position de ce dernier: se trouvait-il réellement dans une
extase méditative, ou faisait-il seulement semblant de l'être pour ne pas avoir à
accueillir le roi, un kṣatriya, donc d'un statut inférieur au sien. Un tel repentir naît
dans le coeur d'une âme vertueuse sitôt qu'elle commet la moindre faute.
Cependant, il ne faudrait pas croire ici que les pensées du roi soient justifiées par
une faute réelle dont il se serait rendu coupable. Śrīla Viśvanātha Cakravartī
Ṭhākura ainsi que Śrīla Jīva Gosvāmī s'en portent tous deux garants: le geste du roi
n'était en rien le fruit de quelques fautes passées. Il s'agissait plutôt d'un plan du
Seigneur destiné à produire une apparence de revers dans la vie de l'empereur, et
ce, à seule fin de le rappeler à Lui, en Son royaume. Selon Śrīla Viśvanātha
Cakravartī, il s'agissait définitivement d'un dessein de Kṛṣṇa, dont la volonté a créé
pour le roi une telle situation. Et Son dessein était le suivant: que Mahārāja Parīkṣit
soit maudit, sous l'influence de Kali, par le fils inexpérimenté du brāhmaṇa, qu'il
quitte alors ses attaches profondes et son foyer pour toujours, et qu'il puisse ainsi
entrer au contact de Śrīla Śukadeva Gosvāmī, lequel devait lui présenter ce grand
ouvrage qu'est le Śrīmad-Bhāgavatam, et qu'on tient pour l'avatāra littéraire du
Seigneur.
Cette manifestation littéraire de Kṛṣṇa procure de nombreux renseignements
fascinants concernant les Divertissements spirituels et absolus du Seigneur, ainsi
par exemple du rāsa-līlā, qu'Il échangea avec les jeunes gopis purement spirituelles
de Vrajabhūmi. Ce Divertissement précis revêt d'ailleurs une signification toute
spéciale, car quiconque en entend le récit comme il convient ne peut que se
détourner de tout désir charnel en ce monde pour s'engager sur le sentier du service
d'amour sublime et absolu qu'on offre au Seigneur. Pour conclure, si un
pur Vedas se trouve confronté à une quelconque situation de malheur en ce monde,
ce n'est que pour favoriser son élévation à un niveau spirituel plus élevé, pour son
bien donc. En plaçant, par exemple, Arjuna ou les Pāṇḍavas dans une situation
difficile, apparemment créée par les intrigues de leurs demi-frères, Kṛṣṇa dessina le
prélude à la Bataille de Kurukṣetra, qui devait lui permettre de Se manifester sous
la forme sonore des enseignements de la Bhagavad-gītā. Et de même, en plaçant le
roi Parīkṣit, autre dévot du Seigneur, dans une situation pour le moins fâcheuse, le
Seigneur poursuivait le dessein de créer les circonstances qui devaient permettre la
manifestation du Śrīmad-Bhāgavatam. L'affliction présumée du roi devant la faim
et la soif ne pouvait d'ailleurs qu'être illusoire car il avait dû affronter bien d'autres
maux, quand par exemple il se trouvait encore dans le sein de sa mère, où la chaleur
irradiante du brahmāstra lancé sur lui par Aśvatthāmā ne l'avait pas incommodé.
Aussi, la douleur affichée par le roi ne manquait-elle pas d'étonner, tel qu'indiqué
précédemment, par son caractère sans précédent. Les bhaktas tel Mahārāja Parīkṣit
possèdent assez de force pour tolérer les revers occasionnels que la volonté du
Seigneur peut leur faire éprouver, et jamais ils n'en ressentent le moindre trouble. Il
faut donc comprendre ici, pour le cas qui nous occupe, que l'ensemble de la
situation a été planifiée par le Seigneur.

VERSET 32

tasya putro ’titejasvī


viharan bālako ’rbhakaiḥ 
rājñāghaṁ prāpitaṁ tātaṁ
śrutvā tatredam abravīt 

TRADUCTION

Le sage avait un fils d'une grande puissance brahmanique, et c'est alors qu'il
jouait avec de jeunes garçons sans maturité qu'il apprit le tort que l'empereur
avait infligé à son père. Il s'exclame alors:

TENEUR ET PORTEE

Grâce à l'excellente gouverne de Mahārāja Parīkṣit, même un enfant d'âge tendre


s'amusant avec des camarades jeunes et insouciants pouvait acquérir toute la
puissance d'un brāhmaṇa qualifié. Il s'agit ici de Śṛṅgi, qui reçut de son père une
solide formation de brahmacari qui devait lui permettre de devenir, malgré son
jeune âge, aussi puissant qu'un brāhmaṇa accompli. Mais, guettant l'occasion de
détruire l'héritage culturel des quatre varnas, Kali parvint à influencer le fils
inexpérimenté du brāhmaṇa; ce qui permit à l'âge noir de s'infiltrer au coeur de la
culture védique. C'est d'ailleurs depuis cet incident qu'existe le mépris des couches
inférieures de la société, et depuis ce jour, sous l'influence de Kali, la culture n'a
cessé de se détériorer. La première victime d'une injustice brahmanique fut donc
Mahārāja Parīkṣit, et la protection qu'il exerçait contre les méfaits de Kali s'en
trouva relâchée. Le verset suivant nous rapporte les paroles outrageantes du jeune
garçon.

VERSET 33

aho adharmaḥ pālānāṁ


pīvnāṁ bali-bhujām iva 
svāminy aghaṁ yad dāsānāṁ
dvāra-pānāṁ śunām iva 

TRADUCTION

"Voyez l'offense de ces dirigeants contre leurs maîtres! Dressés comme des
corbeaux et des chiens de garde, ils se soulèvent contre les principes qui
régissent leur position de serviteurs.

TENEUR ET PORTEE

On tient les brāhmaṇas pour la tête, le cerveau du corps social, et les kṣatriyas pour


ses bras. Certes, les bras sont nécessaires pour assurer la protection du corps contre
tout danger, mais ils doivent agir selon les directives de la tête. Tel est l'ordre
naturel établi par le Seigneur Suprême, et qu'appuie la Bhagavad-gītā lorsqu'elle dit
que les quatre varnas, ou classes sociales
— brāhmaṇas, kṣatriyas, vaiśyas et śūdras—, sont déterminés par la personnalité
et l'occupation respectives de chaque individu. Le fils d'un brāhmaṇa a
naturellement de bonnes chances de devenir à son tour un brāhmaṇa grâce aux
sages directives qu'il reçoit de son père, et il en va de même pour le fils d'un
médecin. L'institution des varnas repose ainsi sur des bases scientifiques, liées de
façon précise aux qualités de ses ascendants. Le fils doit en effet développer pour
lui-même les qualités du père, et ainsi seulement devenir un brāhmaṇa, ou un
médecin. Même s'il est né dans une famille de brāhmaṇa ou de médecin, nul ne
peut prétendre à ces titres s'il n'acquiert pas les qualités qui doivent les
accompagner. Tel est le verdict de toutes les Ecritures concernant les varnas.

Ici, Śṛṅgi, fils qualifié d'un grand brāhmaṇa, se voit doté de tous les pouvoirs
brahmaniques, tant par la naissance que par sa formation. Mais du fait de
l'inexpérience propre à son jeune âge, il fait pourtant preuve d'un manque de
culture. Sous l'influence de Kali, le voici qui s'enorgueillit de sa puissance
brahmanique et juge à tort Mahārāja Parīkṣit en le comparant à un corbeau et à un
chien de garde. Les rois sont certes les gardiens de l'Etat, en ce qu'ils scrutent d'un
œil vigilant les frontières du royaume pour en assurer la protection et la défense;
mais comparer le roi à un chien de garde dénote un grand manque d'éducation.
Ainsi les pouvoirs brahmaniques commencèrent-ils de se perdre, en sorte qu'on
commença de mettre l'accent sur les droits conférés par la naissance, sans tenir
aucun compte de la culture de l'individu. Avec l'âge de Kali commença donc la
chute des brāhmaṇas. Et comme ceux-ci sont à la tête de l'ordre social, tous les
autres membres ont également perdu de leur vigueur, si bien qu'on ne trouve plus
aujourd'hui que de prétendus brāhmaṇas et kṣatriyas, dénués de puissance réelle. Et
le père de Śṛṅgi, comme nous l'apprendrons dans ces pages, déplora grandement le
fait que la culture brahmanique commence ainsi à se détériorer.

VERSET 34

brāhmaṇaiḥ kṣatra-bandhur hi
gṛha-pālo nirūpitaḥ 
sa kathaṁ tad-gṛhe dvāḥ-sthaḥ
sabhāṇḍaṁ bhoktum arhati 

TRADUCTION

"Il a été établi que les descendants de familles royales sont comme des chiens
de garde faits pour rester au seuil de la maison. Sur quelles bases peuvent-ils
se permettre de pénétrer dans la demeure et de prétendre manger dans la
même assiette que le maître?

TENEUR ET PORTEE

Le fils inexpérimenté du brāhmaṇa fut prévenu de ce que le roi avait demandé de


l'eau à son père, mais que ce dernier n'avait pas répondu à sa requête. Et il tenta de
justifier l'inhospitalité de son père d'une manière tout à fait impertinente, digne d'un
jeune garçon privé de culture. Il ne se sentit aucunement désolé du mauvais accueil
fait au monarque; bien au contraire, il s'efforça de légitimer cette malséance à la
manière d'un brāhmaṇ du kali-yuga. Il compare ici l'empereur à un chien de garde,
en vue de démontrer qu'il ne doit pas pénétrer dans la demeure d'un brāhmaṇa pour
partager son eau. L'animal reçoit certes l'appui de son maître, mais cela ne signifie
en rien qu'il puisse réclamer à manger et à boire dans les mêmes plats que lui. Mais
un tel raisonnement, plein de vanité, montré par les membres d'une couche sociale
plus élevée envers une autre de niveau moindre entraîne la décadence de l'ordre
social parfait, et nous pouvons ici constater que le fils inexpérimenté
du brāhmaṇa en fut à l'origine. Selon Śṛṅgi, de même que le chien ne doit jamais
pénétrer dans les appartements de son maître, bien qu'il reçoive de lui sa nourriture,
l'empereur n'avait aucun droit d'entrer chez Śamīka ṛṣi, d'où la culpabilité du roi,
toujours selon l'opinion du jeune garçon, et l'innocence de son père dont le silence
se trouvait ainsi justifié.

VERSET 35

kṛṣṇe gate bhagavati


śāstary utpatha-gāminām 
tad bhinna-setūn adyāhaṁ
śāsmi paśyata me balam 

TRADUCTION

"Après que Śrī Kṛṣṇa, le Seigneur Suprême, maître souverain de tous les
êtres, ait quitté ce monde, les dissidents en profitèrent pour répandre leur
règne en l'absence de notre divin protecteur. Aussi devrai-je moi-même les
châtier; voyez seulement ma puissance."

TENEUR ET PORTEE

Le fils inexpérimenté du brāhmaṇa infatué de son peu de brahma-tejas, a été


envoûté par le kali-yuga. Mahārāja Parīkṣit avait permis à Kali de s'établir en
quatre lieux, que nous avons déjà décrits, mais le roi dirigeait l'Etat avec tant
d'adresse que Kali eut bien du màl à trouver de tels endroits. Le maître du kali-
yuga se mit donc à guetter l'occasion d'instituer son règne, et par la volonté du
Seigneur, il put trouver une faille en la personne gonflée d'orgueil de ce jeune fils
de brāhmaṇa. Ce dernier, désireux de montrer sa puissance destructrice, eut ainsi
l'audace de maudire un aussi noble monarque que Mahārāja Parīkṣit. Et il marquait
par ce geste sa volonté de remplacer le Seigneur, Śrī Kṛṣṇa, en Son absence. Tels
sont les principaux traits qui caractérisent les dissidents cherchant, sous l'influence
de l'âge noir, à prendre la place de Śrī Kṛṣṇa; qu'ils possèdent quelques pouvoirs, et
les voilà qui se proclament avatāras. Il se trouve d'ailleurs un grand nombre de
telles "manifestations divines", apparues à la surface du globe après le départ de Śrī
Kṛṣṇa. Ceux-ci ne font qu'égarer les honnêtes gens en exigeant leur respect, et ce,
afin de soutenir leur gloire personnelle. Bref, c'est à travers Śṛṅgi, ce fils
de brāhmaṇa, que Kali trouva la possibilité d'établir son règne.

Śrīmad-Bhāgavatam
CHANT 1
CHAPITRE 18

Mahārāja Parīkṣit maudit


par le fils d'un brāhmaṇa

VERSET 36
ity uktvā roṣa-tāmrākṣo
vayasyān  ṛṣi-bālakaḥ
kauśiky-āpa upaspṛśya
vāg-vajraṁ visasarja ha 

TRADUCTION

Alors qu'il parlait ainsi à ses compagnons de jeu, le fils du ṛṣi, les yeux rougis
par la colère, toucha selon le rite l'eau de la rivière Kauśika, puis lança des
paroles fulgurantes.
TENEUR ET PORTEE

Comme l'indique ce verset, l'incident au cours duquel fut maudit Mahārāja Parīkṣit
laissait paraître un certain manque de maturité. En cette occasion, Śṛṅgi, le fils
du ṛṣi, voulait simplement faire valoir son audace aux yeux de ses compagnons de
jeu, qui étaient tous aussi irresponsables que lui. Tout homme possédant le moindre
jugement l'aurait empêché de causer un si grand tort, qui devait entraîner de
nombreuses souffrances pour l'humanité. En condamnant à mort un roi de la valeur
de Mahārāja Parīkṣit seulement pour exhiber ses pouvoirs bramaniques, le fils
inaverti du brāhmaṇa commit une grave erreur.

VERSET 37

iti laṅghita-maryādaṁ
takṣakaḥ saptame ’hani 
daṅkṣyati sma kulāṅgāraṁ
codito me tata-druham 

TRADUCTION

[Le fils du brāhmaṇa maudit le roi en ces termes:]


"Dans sept jours, un serpent ailé viendra mordre le plus déchu des membres
de cette dynastie [Mahārāja Parīkṣit], pour avoir enfreint les codes d'éthique
en se tournant contre mon père."

TENEUR ET PORTEE

Ainsi, pour la première fois, on fit un usage inconsidéré des pouvoirs


brahmaniques, à la suite de quoi les brāhmaṇas de l'âge de Kali perdirent peu à peu
toute la puissance et la culture propres aux brāhmaṇas. Le fils
du brāhmaṇa considérait Mahārāja Parīkṣit comme le déchet de sa dynastie
(kulāṅgāra), alors qu'en fait, c'est à lui-même que s'appliquait ce qualificatif,
puisque par sa faute les brāhmaṇas ont perdu toute puissance, tel un serpent à qui
l'on a brisé les crochets. Un serpent n'est redoutable qu'aussi longtemps qu'il
possède ses crochets; autrement il n'effraiera que les enfants et certes pas leurs
aînés, informés de sa condition. La personne de Kali conquit donc d'abord le fils
du brāhmaṇa, pour ensuite s'attaquer peu à peu aux autres varnas, si bien que
l'institution scientifique des divisions de la société a pris dans cet âge une forme
corrompue, celle des castes, qu'une autre classe d'hommes, eux aussi influencés par
l'âge de Kali, cherchent à également déraciner. Il faut dès lors découvrir la cause
première d'une telle dégradation, et ne pas chercher à condamner en elle-même
l'institution du varnāśrama, sans connaître sa valeur éprouvée.

VERSET 38

tato ’bhyetyāśramaṁ bālo


gale sarpa-kalevaram 
pitaraṁ vīkṣya duḥkhārto
mukta-kaṇṭho ruroda ha 

TRADUCTION

Puis, lorsque le jeune garçon retourna à l'ermitage, et qu'il vit son père un
serpent posé sur ses épaules, il en conçut une profonde affliction et fondit en
larmes.

TENEUR ET PORTEE

En lui-même, le jeune garçon ne se sentait pas heureux d'avoir commis une si grave
erreur, et il chercha à soulager son coeur en pleurant. Ainsi, après avoir pénétré
dans l'ermitage et y avoir vu son père dans la condition où il se trouvait, il versa de
chaudes larmes dans l'espoir d'être affranchi de sa douleur, mais il était trop tard, et
le père regretta qu'un tel incident se soit produit; c'est ce qu'il ressortira des versets
qui suivent.

VERSET 39

sa vā āṅgiraso brahman
śrutvā suta-vilāpanam 
unmīlya śanakair netre
dṛṣṭvā cāṁse mṛtoragam 

TRADUCTION

O brāhmaṇas, le ṛṣi né de la famille d'Aṅgirā Muni, en entendant les pleurs de


son fils, ouvre peu à peu les yeux et voit sur son cou la carcasse du serpent.

VERSET 40

visṛjya taṁ ca papraccha


vatsa kasmād dhi rodiṣi 
kena vā te ’pakṛtam
ity uktaḥ sa nyavedayat 

TRADUCTION

Il jette par terre le serpent mort et s'enquiert auprès de son fils de la raison de
ses pleurs: quelqu'un lui aurait-il fait du mal ? En réponse, le fils lui relate
tous les événements qui sont survenus.

TENEUR ET PORTEE

Le père n'attacha pas une grande importance au fait qu'on ait déposé une carcasse
de serpent sur ses épaules, et il se contenta de jeter le cadavre par terre. En vérité, il
n'y avait guère eu d'offense sérieuse de la part de Mahārāja Parīkṣit, mais le fils
insensé y vit un sérieux outrage et, sous l'influence de Kali, maudit le roi, mettant
ainsi fin à un heureux chapitre de l'histoire de l'humanité.

Śrīmad-Bhāgavatam
CHANT 1
CHAPITRE 18

Mahārāja Parīkṣit maudit


par le fils d'un brāhmaṇa

VERSET 41

niśamya śaptam atad-arhaṁ narendraṁ


sa brāhmaṇo nātmajam abhyanandat 
aho batāṁho mahad adya te kṛtam
alpīyasi droha urur damo dhṛtaḥ 

TRADUCTION

En apprenant de son fils la malédiction conférée au roi, le meilleur des


hommes, qui n'aurait jamais dû être condamné de la sorte, le père ne félicita
nullement son fils, mais au contraire lui exprima son regret en disant: "Hélas !
Combien grave la faute dont s'est rendu coupable mon fils ! Il a puni une
offense minime par un lourd châtiment."
TENEUR ET PORTEE

Le roi incarne le meilleur de tous les hommes. Il est le représentant de Dieu, et


jamais aucun de ses actes ne doit être condamné; en d'autres mots il ne peut
commettre de faute. Ainsi, il pourra ordonner qu'on pende le fils criminel
d'un brāhmaṇa sans pour autant se rendre coupable lui-même du meurtre
d'un brāhmaṇa. En vérité, même si on dénote chez l'empereur une faille
quelconque, jamais on ne doit le condamner, pas plus qu'on ne mettrait à mort un
praticien qui tuerait son patient par erreur. Et à plus forte raison un noble et
vertueux empereur comme Mahārāja Parīkṣit. Selon les institutions védiques, le roi,
bien qu'il soit appelé à gouverner, reçoit une formation de saint homme, d'où son
nom de rājarṣi. Car les citoyens d'un Etat ne peuvent vivre dans la paix, libres de
toute crainte, que si son roi le gouverne parfaitement. Or, si habile et vertueux était
le règne des rājarṣis que les sujets du roi l'honoraient comme le Seigneur en
personne. Et tel est l'enseignement des Vedas. On qualifie également le roi
de narendra, le meilleur d'entre les hommes. Comment, dès lors, le fils
inexpérimenté et gonflé d'orgueil d'un brāhmaṇa, même s'il avait acquis les
pouvoirs propres aux brāhmaṇas qualifiés, pouvait-il condamner un empereur
comme Mahārāja Parīkṣit?

Śamīka ṛṣi, brāhmaṇa vertueux et expérimenté, n'approuva nullement le geste dont


son fils s'était rendu coupable; aussi s'affligea-t-il pour tout le mal qu'avait pu
causer celui-ci. En règle générale, nous l'avons vu, jamais une malédiction ne
pouvait être proférée à l'égard du roi, et combien moins à l'endroit d'un aussi
vertueux empereur que Mahārāja Parīkṣit. L'offense du roi était par ailleurs des plus
insignifiantes, et le fait, pour le fils du brāhmaṇa, de le condamner à mort était
certes une faute grave. Śamīka ṛṣi exprime donc son regret à la suite de cet incident.

VERSET 42

na vai nṛbhir nara-devaṁ parākhyaṁ


sammātum arhasy avipakva-buddhe 
yat-tejasā durviṣaheṇa guptā
vindanti bhadrāṇy akutobhayāḥ prajāḥ 

TRADUCTION

"O mon fils, ton intelligence n'est pas encore développée, et la maturité te fait
défaut; aussi ignores-tu que le roi, le meilleur des hommes, vaut tout autant
que le Seigneur Suprême, et que jamais on ne doit le placer sur un pied
d'égalité avec les autres hommes. Sous la protection qu'il leur accorde grâce à
sa puissance inégalable, les citoyens de l'Etat vivent dans la prospérité
complète.

VERSET 43

alakṣyamāṇe nara-deva-nāmni
rathāṅga-pāṇāv ayam aṅga lokaḥ 
tadā hi caura-pracuro vinaṅkṣyaty
arakṣyamāṇo ’vivarūthavat kṣaṇāt 
TRADUCTION

"Sache, mon fils, que le Seigneur, qui brandit une roue de char, Se trouve
représenté par l'ordre monarchique, et que lorsque ce régime se trouve aboli,
le monde entier s'emplit de malfaiteurs qui dès lors s'attaquent aux citoyens
laissés sans protection, comme des brebis dispersées.

TENEUR ET PORTEE

Selon le Śrīmad-Bhāgavatam, le régime monarchique représente le Seigneur


Suprême, Dieu. Cette institution permet en effet de créer un gouvernement
foncièrement responsable, car le roi y représente le Seigneur Suprême et Absolu
par les qualités divines que lui confère sa formation en vue de protéger les êtres
vivants. Ainsi, la Bataille de Kurukṣetra répondait aux desseins du Seigneur
d'établir sur le trône Son parfait représentant en la personne de Mahārāja
Yudhiṣṭhira. Un roi dûment cultivé et versé dans l'accomplissement du service de
dévotion ainsi que dans l'art martial fait un dirigeant idéal, et une telle monarchie
personnalisée vaut infiniment mieux qu'une prétendue démocratie animée par des
dirigeants dénués de formation et de tout sens des responsabilités. De véritables
malfaiteurs, et parmi eux plusieurs chefs d'Etat éminents, adeptes de la démocratie
moderne, manipulent les votes pour se faire élire, et parvenus à leur fin,
engloutissent comme des loups affamés la masse des citoyens, alors comparés à des
brebis dispersées. Un roi dûment formé vaut infiniment mieux que des centaines de
ministres malfaisants et inutiles; et notre verset laisse entendre que par l'abolition
du régime monarchique comme celui de Mahārāja Parīkṣit, les hommes se trouvent
exposés aux nombreuses attaques de Kali, sans compter que le tapage publicitaire
qui entoure la démocratie n'a jamais donné satisfaction à quiconque. Les versets qui
suivent dépeignent les effets d'une administration privée de roi qualifié.

VERSET 44

tad adya naḥ pāpam upaity ananvayaṁ


yan naṣṭa-nāthasya vasor vilumpakāt 
parasparaṁ ghnanti śapanti vṛñjate
paśūn striyo ’rthān puru-dasyavo janāḥ 

TRADUCTION

"Ainsi, la monarchie abolie, et les biens du peuple pillés par des malfaiteurs de
toutes sortes, des dérèglements graves viendront perturber la société. Les
hommes se feront violence, s'entre-tueront même, s'empareront des femmes et
des bêtes; et nous devrons porter le poids de toutes ces fautes.

TENEUR ET PORTEE
Le mot naḥ (nous) est ici lourd de sens. Car, c'est au nom de la communauté entière
des brāhmaṇas que le sage assume la responsabilité de l'abolition de la monarchie,
et la mise au pouvoir de soi-disant démocrates, qui pillent le plus souvent les biens
de leurs concitoyens. Ces malfaiteurs s'emparent de l'appareil administratif sans se
sentir le moins du monde responsables de voir à la prospérité de leurs électeurs.
Tous cherchent à s'emparer du poste de dirigeant pour satisfaire leurs ambitions
personnelles, de sorte qu'à la place d'un roi unique, s'élèvent de nombreuses têtes
irresponsables qui accablent d'impôts les citoyens de l'Etat. Et notre verset prédit
qu'en l'absence d'un gouvernement monarchique qualifié, chaque homme deviendra
cause de trouble pour les autres, que ce soit par l'usurpation des biens, des animaux
ou des femmes, ou par la violence.

VERSET 45

tadārya-dharmaḥ pravilīyate nṛṇāṁ


varṇāśramācāra-yutas trayīmayaḥ 
tato ’rtha-kāmābhiniveśitātmanāṁ
śunāṁ kapīnām iva varṇa-saṅkaraḥ 

TRADUCTION

"Les hommes dans leur masse choiront alors systématiquement des voies de la
civilisation évolutive organisée en varṇas et āśramās, selon les occupations et
les qualités de chacun en regard des normes établies par les Vedas pour le
genre humain. Par suite, ils s'absorberont davantage dans la poursuite des
richesses en vue de la satisfaction des sens, ce qui aura pour effet d'engendrer
une population indésirable, composée d'hommes ne valant guère mieux que
chiens ou singes.

TENEUR ET PORTEE

Ce verset annonce qu'avec la disparition de la monarchie, l'ensemble de la


population deviendra indésirable, comme s'il s'agissait de vulgaires chiens ou
singes. En effet, ces derniers éprouvent un attrait excessif pour l'activité sexuelle, et
l'espèce canine, pour sa part, se montre dénuée de toute retenue quant à l'acte
charnel en lui-même. Et de même, l'ensemble des hommes nés d'unions illicites,
comme chiens et singes, s'écarteront systématiquement du sentier védique, relatif à
un comportement équilibré dans le cadre des varṇas et āśramās, fondés sur les
occupations et les qualités de chacun.

Le mode de vie védique se trouve désigné par le nom d'ārya, qui indique une
civilisation à caractère évolutif; et les āryas sont ceux qui parfont leur existence
dans le cadre de la civilisation védique, laquelle vise le retour à Dieu, en Son
royaume, où il n'existe ni naissance, ni maladie, ni vieillesse, ni mort.
Les Vedas exhortent tous les hommes à quitter les ténèbres de l'univers matériel
pour s'élever vers la lumière du monde spirituel, situé bien au-delà de notre vision
matérielle et hors des limites du monde que nous habitons. L'institution
des varṇas et āśramās a été scientifiquement conçue par le Seigneur et les
grands ṛṣis, Ses représentants, en fonction des qualités de chacun. La voie ainsi
tracée pour le juste comportement de tous les hommes fournit donc tous les
enseignements requis pour la conduite de son existence aussi bien matérielle que
spirituelle. Le mode de vie védique n'autorise aucun homme à se comporter tel un
singe ou un chien, à seule fin d'assouvir ses sens ou d'embrasser la philosophie de
Mammon, en se livrant corps et âme à l'accroissement de ses biens. Une civilisation
ainsi dégradée se trouve être le fruit d'un gouvernement athée, ou privé de roi, d'un
gouvernement populaire, créé par le peuple, et pour le peuple. Et nul ne devrait
décrier la mauvaise administration d'un gouvernement qu'il a lui-même élu.

Śrīmad-Bhāgavatam
CHANT 1
CHAPITRE 18

Mahārāja Parīkṣit maudit


par le fils d'un brāhmaṇa

VERSET 46

dharma-pālo nara-patiḥ
sa tu samrāḍ bṛhac-chravāḥ 
sākṣān mahā-bhāgavato
rājarṣir haya-medhayāṭ 
kṣut-tṛṭ-śrama-yuto dīno
naivāsmac chāpam arhati 

TRADUCTION

"L'empereur Parīkṣit est un roi vertueux, hautement célébré, et compte parmi


les plus grands dévots du Seigneur Suprême. Il est un saint représentant de la
royauté et s'est fait l'auteur de nombreux sacrifices-du-cheval. Or, lorsqu'un
tel roi, harcelé par la faim et la soif, éprouve quelque fatigue ou lassitude, il ne
mérite certes pas d'être maudit."
TENEUR ET PORTEE

Après avoir fait ressortir les principes généraux s'attachant à la position de roi, et
affirmé que l'empereur ne peut pas malfaire, et que par suite il ne doit jamais être
condamné, le sage Śamīka voulait parler plus spécifiquement de Mahārāja Parīkṣit.
Aussi trouve-t-on dans ce verset une description sommaire des qualités de
l'empereur, qui, même d'un point de vue purement administratif, s'avérait être un
dirigeant hautement célébré pour la façon dont il gouvernait en se conformant aux
principes religieux propres à la royauté. Les śāstras nous révèlent les devoirs de
tous les varṇas et āśramās, et la Bhagavad-gītā (18.43) mentionne précisément les
qualités du kṣatriya, présentes dans leur entier en la personne de l'empereur. Mais
au premier chef, au-delà de ses attributs royaux, Mahārāja Parīkṣit était un grand
dévot du Seigneur, une âme réalisée. Or, si un roi d'une telle noblesse éprouve
quelque fatigue ou lassitude, souffrant de la faim ou de la soif, et qu'il demande
pour lui-même un peu d'eau, il ne convient nullement de le frapper de malédiction.
Ainsi, Śamīka ṛṣi admet que selon toutes considérations, c'est fort injustement que
son fils a maudit Mahārāja Parīkṣit, et permis ainsi à la personne de Kali de
s'insinuer dans les divisions établies au sein de la société pour en troubler l'ordre. Et
bien que l'ensemble des brāhmaṇas n'ait rien eu à voir avec l'incident qui nous
concerne, en voyant que le geste puéril de son fils aurait des répercussions sur
l'atmosphère générale du monde, Śamīka ṛṣi assuma, au nom de la communauté
des brāhmaṇas qu'il représentait, l'entière responsabilité de la détérioration de
l'ordre juste établi dans la société.

VERSET 47

apāpeṣu sva-bhṛtyeṣu
bālenāpakva-buddhinā 
pāpaṁ kṛtaṁ tad bhagavān
sarvātmā kṣantum arhati 

TRADUCTION

Le ṛṣi prie alors le Seigneur Souverain, l'omniprésent, de pardonner à son fils


immature son manque d'intelligence, qui l'a fait commettre une aussi grande
faute: maudire une personne tout entière affranchie du péché et méritant, vue
sa position subordonnée, toute protection.

TENEUR ET PORTEE

Tout homme doit assumer la responsabilité de ses actes, vertueux ou impies. Et


le ṛṣi Śamīka pouvait comprendre que son fils s'était rendu coupable d'une grave
offense en frappant de malédiction Mahārāja Parīkṣit, lequel, en roi vertueux qu'il
était, et libre de toute souillure en tant que bhakta de premier ordre, méritait la
protection des brāhmaṇas. Or, lorsqu'une offense est commise à l'endroit d'un
dévot du Seigneur, il s'avère extrêmement difficile d'en neutraliser les effets. Par
ailleurs, les brāhmaṇas, à la tête de la société, se doivent de protéger les groupes
subordonnés, et non pas de les frapper de malédiction. Il peut certes arriver
qu'un brāhmaṇa poussé à la fureur maudisse un kṣatriya ou un vaiśya, à lui
subordonné dans l'ordre social; mais dans le cas de Mahārāja Parīkṣit, rien, comme
nous l'avons déjà expliqué, ne justifiait une telle malédiction. Le garçon insensé a
agi par pure vanité, celle d'être le fils d'un brāhmaṇa, et s'est par là rendu passible
de châtiment selon la loi de Dieu. Car jamais le Seigneur n'excuse l'insensé qui
condamne Son pur dévot. Donc, le jeune étourdi n'était pas seulement coupable
d'une faute, celle d'avoir maudit un roi, mais également de la plus grande offense,
celle d'avoir condamné un illustre dévot du Seigneur. C'est pourquoi le ṛṣi en
conclut qu'hormis le Seigneur Suprême, nulle méthode de purification ne pourrait
racheter la grave erreur de son fils. Aussi s'adresse-t-il directement au Seigneur
Suprême, Le priant au nom de ce fils irréfléchi et privé d'intelligence de lui
accorder Son pardon, Lui qui seul peut modifier le cours d'événements immuables.

On peut ici se poser la question suivante: si c'était le désir du Seigneur que


Mahārāja Parīkṣit soit mis dans cette position malencontreuse, pour qu'il soit libéré
de l'existence matérielle, alors pourquoi le fils du brāhmaṇa fût-il tenu responsable
de son geste offensant. La réponse est que, de toute manière, un enfant fut choisi
pour commettre cette offense, en sorte qu'il puisse être facilement excusé, et que la
prière de son père puisse être reçue. Mais on peut également se demander pourquoi
l'entière communauté brahmanique dut être tenue responsable de l'infiltration de
Kali dans la société, et le Varāha Purāṇa nous offre cette fois la réponse. On y
apprend en effet que les asuras ayant fait preuve d'hostilité envers la Personne du
Seigneur, mais sans obtenir d'être par Lui tué, purent renaître dans des familles
de brāhmaṇas à la faveur de l'âge de Kali. Le Seigneur infiniment miséricordieux
leur donna la chance d'ainsi prendre naissance dans des familles
de brāhmaṇas vertueux afin qu'ils puissent s'élever jusqu'au salut; mais les asuras,
plutôt que de profiter de cette heureuse occasion, mésusèrent de la culture
brahmanique, infatués qu'ils étaient de leur noble naissance. Et le meilleur exemple
nous en est offert par le fils de Śamīka ṛṣi. Tous les descendants de brāhmaṇas se
voient donc ici prévenus: qu'ils ne se montrent pas insensés tel Śṛṅgi, et qu'ils se
gardent soigneusement contre les attributs démoniaques qui, dans leur vie passée,
faisaient leur lot. Le jeune sot fut bien sûr excusé par le Seigneur, mais ceux qui
n'ont pas un père du rang de Śamīka ṛṣi risquent d'être mis en grande difficulté s'ils
font un mauvais usage des privilèges que leur confère le fait d'être né dans une
famille de brāhmaṇas.

VERSET 48

tiraskṛtā vipralabdhāḥ
śaptāḥ kṣiptā hatā api 
nāsya tat pratikurvanti
tad-bhaktāḥ prabhavo ’pi hi 

TRADUCTION

Telle est l'indulgence des dévots du Seigneur que même s'ils sont diffamés,
trompés, maudits, rejetés ou mis à mort, jamais ils ne cherchent à
contrecarrer de telles adversités.
TENEUR ET PORTEE

Le ṛṣi Śamīka savait bien que le Seigneur n'accorde pas Son pardon à celui qui a
commis une offense aux pieds d'un de Ses dévots. En pareil cas, le Seigneur ne peut
que recommander de prendre refuge auprès du bhakta ainsi offensé. Le
sage brāhmaṇa songeait donc que si Mahārāja Parīkṣit renvoyait sa malédiction à
son fils, alors celui-ci pourrait être sauvé. Mais il savait également qu'un
pur bhakta se montre indifférent devant les avantages et les revers de l'existence; et
qu'ainsi, jamais il ne cherche à agir contre ceux qui le diffament, le maudissent, le
méprisent, etc. Car le bhakta n'attache aucune importance à ces attaques
personnelles. Par contre, que ces mêmes gestes soient portés vers le Seigneur ou
Ses dévots, et le bhakta réagira avec véhémence. Mais dans le cas de Mahārāja
Parīkṣit, il s'agissait d'une atteinte à sa propre personne, aussi Śamīka ṛṣi savait-il
que le roi ne ferait rien pour contrecarrer la malédiction proférée contre lui. Il en
conclut donc qu'il n'était d'autre recours que d'en appeler au Seigneur pour que Ce
dernier prenne en considération l'immaturité de son fils.

Il n'y a pas que les brāhmaṇas qui aient la puissance de maudire ou de bénir leurs


subordonnés; les dévots du Seigneur, même s'ils ne sont pas issus d'une famille
de brāhmaṇas, jouissent en fait de pouvoirs plus grands qu'eux. Mais jamais ces
puissants bhaktas ne mésusent de leurs pouvoirs pour leurs intérêts personnels. Ils
ne les utilisent toujours que pour le service du Seigneur et de Ses dévots, et à
aucune autre fin.

VERSET 49

iti putra-kṛtāghena
so ’nutapto mahā-muniḥ 
svayaṁ viprakṛto rājñā
naivāghaṁ tad acintayat 

TRADUCTION

Le sage ne tint donc pas pour sérieuse l'offense du roi, et il regretta la faute
commise par son propre fils.

TENEUR ET PORTEE

Les faits ont maintenant été élucidés. L'offense de Mahārāja Parīkṣit, qui avait posé
un serpent mort sur le cou du sage, n'était pas du tout grave, au contraire de celle de
Śṛṅgi, qui en retour frappa le roi de malédiction. Mais cette offense, bien que
sérieuse, n'avait été commise que par un enfant irréfléchi. Aussi, bien qu'il ne soit
pas possible de neutraliser une telle faute, il pouvait être excusé par le Seigneur
Suprême. Mahārāja Parīkṣit, pour sa part, n'attachait guère d'importance à la
malédiction proférée contre lui par le brāhmaṇa insensé. Au contraire, il profita
pleinement de cette situation malencontreuse, et par la magnanime volonté du
Seigneur, il attint, à travers la grâce de Śrīla Śukadeva Gosvāmī, la plus haute
perfection de l'existence. En vérité, tout s'était déroulé selon le désir du Seigneur, et
Mahārāja Parīkṣit, le ṛṣi Śamīka et son fils Śṛṅgi servirent tous d'instruments dans
l'accomplissement de Ses désirs. Aucun d'eux ne fut donc mis en difficulté en
termes karmiques, puisque tout fut accompli pour le bénéfice de Yajñā, le Seigneur
Suprême.

VERSET 50

prāyaśaḥ sādhavo loke


parair dvandveṣu yojitāḥ 
na vyathanti na hṛṣyanti
yata ātmā ’guṇāśrayaḥ 

TRADUCTION

D'une façon générale, les spiritualistes, même s'ils se trouvent impliqués par
d'autres dans les activités duelles de l'univers matériel, ne s'en affligent ni ne
s'en réjouissent, car ils se situent sur le plan spirituel.

TENEUR ET PORTEE

On compte parmi les spiritualistes les philosophes empiriques, les yogis et les


dévots du Seigneur. Le but des premiers consiste à se fondre dans l'existence de
l'Absolu; celui des seconds à percevoir l'Ame Suprême, omniprésente; et celui
des bhaktas à s'absorber dans le service d'amour absolu du Seigneur Suprême. Or,
comme le Brahman, le Paramātmā et Bhagavān représentent différents aspects de la
même Transcendance, tous les spiritualistes se situent au-delà de l'influence
matérielle des trois guṇas. Or, joies et peines matérielles sont le fruit de ces guṇas,
et leurs causes n'affectent donc en rien les spiritualistes. Dans notre récit, et le sage
et le roi étaient spiritualistes: le premier en tant que yogi, et le second en tant
que bhakta. Ni l'un ni l'autre n'étaient donc affectés par l'incident créé par la
volonté suprême. L'enfant frivole n'avait été qu'un instrument dans la main du
Seigneur.

Ainsi s'achèvent les enseignements de Bhaktivedanta sur le dix-huitième chapitre


du premier Chant du Śrīmad-Bhāgavatam, intitulé: "Mahārāja Parīkṣit maudit par
le fils d'un brāhmaṇa".

Śrīmad-Bhāgavatam
CHANT 1
CHAPITRE 19
L'apparition de Śukadeva Gosvāmī

VERSET 1

sūta uvāca
mahī-patis tv atha tat-karma garhyaṁ
vicintayann ātma-kṛtaṁ sudurmanāḥ 
aho mayā nīcam anārya-vat kṛtaṁ
nirāgasi brahmaṇi gūḍha-tejasi 

TRADUCTION

Śrī Sūta Gosvāmī dit:


En retournant au palais, l'empereur sentit que le geste porté par lui contre
le brāhmaṇa irréprochable, grave et puissant, était haineux et barbare, en
conséquence de quoi il éprouva une profonde affliction.

TENEUR ET PORTEE

Le roi vertueux regrettait le traitement inconvenant qu'il avait par erreur


infligé au grave et puissant brāhmaṇa, en outre irréprochable. Un tel repentir
est naturel de la part d'un homme de vertu comme le roi et peut seul libérer
un bhakta des suites de toutes les fautes qu'il a pu commettre par inadver-
tance. Naturellement, aucune faute n'entache les dévots du Seigneur, et s'il
leur arrive de se rendre coupable de quelque erreur accidentelle, ils la
regrettent sincèrement, et par la grâce du Seigneur, toute faute involontaire
ainsi commise par un bhakta se trouve réduite en cendres dans le brasier du
repentir.

VERSET 2

dhruvaṁ tato me kṛta-deva-helanād


duratyayaṁ vyasanaṁ nāti-dīrghāt 
tad astu kāmaṁ hy agha-niṣkṛtāya me
yathā na kuryāṁ punar evam addhā 

TRADUCTION

"Puisque j'ai outrepassé les lois du Seigneur Suprême, je dois certes


m'attendre à quelque calamité dans un proche futur. Je désire donc que ce
châtiment s'abatte sur moi directement, et sans détour, que je rachète ainsi ma
faute et que jamais je ne me rende à nouveau coupable d'une telle offense.

TENEUR ET PORTEE
Selon les codes du Seigneur Suprême, les brāhmaṇas et les vaches doivent
recevoir toute protection. Lui-même Se montre d'ailleurs enclin à combler
les brāhmaṇas et les vaches à chaque fois que l'occasion s'en présente.
Mahārāja Parīkṣit avait connaissance de ces sages principes, aussi en conclut-
il que son outrage au puissant brāhmaṇa serait certes puni par les lois de Dieu,
et qu'il devait donc s'attendre, dans un futur très rapproché, à rencontrer
quelques difficultés majeures. Par suite, il désira que la calamité imminente
s'abatte sur lui directement, sans que les membres de sa famille aient à en
souffrir. En effet, la mauvaise conduite d'un homme a des répercussions sur
toute sa famille, et c'est pour cette raison que Mahārāja Parīkṣit désirait subir
pour lui seul son châtiment. Il avait la certitude qu'une calamité allait
s'abattre sur lui et les siens, et il voulait en porter seul le poids, sans aucun
détour. Il escomptait que ses souffrances personnelles l'amène à s'abstenir
dans le futur de toute nouvelle ineptie, et que la faute dont il s'était rendu
coupable soit ainsi rachetée de manière à ce que ses descendants n'aient pas à
en souffrir. Voilà comment pense un bhakta responsable. En contrepartie, les
membres de la famille d'un bhakta partagent également les fruits du service
qu'il offre au Seigneur. Ceci fut démontré par Mahārāja Prahlāda, qui sauva
son père démoniaque par la force de sa propre dévotion. En fait, le plus grand
bienfait, ou bénédiction, que puisse accorder le Seigneur à une famille c'est d'y
faire naître un bhakta.

VERSET 3

adyaiva rājyaṁ balam ṛddha-kośaṁ


prakopita-brahma-kulānalo me 
dahatv abhadrasya punar na me ’bhūt
pāpīyasī dhīr dvija-deva-gobhyaḥ 

TRADUCTION

"Barbare et pécheur que je suis pour avoir, par inintelligence, agi contre la
culture brahmanique, la conscience divine et la protection de la vache. Je
souhaite que mon royaume, avec ses forces et ses richesses soit aussitôt
consumé par le feu de la colère du brāhmaṇa, en sorte que dans le futur je
n'aie plus jamais une conduite aussi funeste."

TENEUR ET PORTEE

La civilisation axée sur le perfectionnement de l'être repose sur trois


principaux facteurs d'évolution, à savoir la culture brahmanique, le dévelop-
pement de la conscience divine et la protection de la vache. Toutes richesses
accumulées au sein de l'Etat par le commerce, les affaires, l'agriculture et
l'industrie doivent être utilisées à part entière au service de ces principes, faute
de quoi elles dégraderont la société. La protection de la vache assure
l'alimentation de la culture brahmanique, laquelle favorise le développement
de la conscience divine, et c'est ainsi que la perfection humaine peut être
atteinte. L'âge de Kali tend à détruire ces principes de vie, et bien que
Mahārāja Parīkṣit se soit fermement opposé à la domination de Kali sur le
monde, l'influence de l'âge noir s'infiltra à un moment choisi, si bien que
même un aussi puissant empereur fut incité à se détourner de la culture
brahmanique pour une simple provocation née de la faim et de la soif.
Mahārāja Parīkṣit se lamente sur cet accident, et souhaite voir son royaume
tout entier, avec ses forces et ses richesses, réduit en cendres pour ne pas avoir
été pleinement engagé au service des trois principes énoncés plus haut.
L'Etat ou le foyer où la puissance et la richesse ne sont pas pleinement
employées au développement de la culture brahmanique, de la conscience
divine et de la protection de la vache, se voit certes voué à une fin tragique par
la Providence. Si nous voulons la paix et la prospérité pour le monde, nous
devons tirer une importante leçon de ce verset: chaque foyer, comme chaque
Etat, doit oeuvrer au progrès de la culture brahmanique pour sa purification;
à celui de la conscience divine pour son élévation spirituelle, et à celui de la
protection de la vache pour son alimentation, sous forme de lait en quantité
suffisante, lequel représente le plus parfait des aliments. Voilà qui permettra
de parfaire la société.

VERSET 4

sa cintayann ittham athāśṛṇod yathā


muneḥ sutokto nirṛtis takṣakākhyaḥ 
sa sādhu mene na cireṇa takṣakā-
nalaṁ prasaktasya virakti-kāraṇam 

TRADUCTION

Alors qu'il se repent ainsi, le roi reçoit la nouvelle de sa mort imminente, qui
sera causée par la morsure d'un serpent ailé, tel que l'a dit le fils du sage. Mais
il la reçoit fort bien, car il y voit l'occasion de se détacher totalement des
choses de ce monde.

TENEUR ET PORTEE

Le bonheur véritable s'obtient par la vie spirituelle, ou par la cessation du


cycle des morts et des renaissances. Or, ce cycle n'est interrompu que
lorsqu'on retourne à Dieu, en sa demeure originelle. Obtiendrait-on de vivre,
en ce monde, sur la plus haute planète (Brahmaloka), personne ne pourrait
échapper aux conditions répétées de la naissance et de la mort. Chacun veut
mettre fin à ce cycle répétitif, mais sans avoir à emprunter le sentier de la per-
fection, lequel exige que l'on s'affranchisse de toute attache matérielle de
manière à se qualifier pour entrer dans le royaume spirituel. Par suite, les
êtres matériellement appauvris font de meilleurs postulants que ceux à qui
sourit la prospérité. Mahārāja Parīkṣit était un grand dévot du Seigneur, et un
candidat qualifié pour entrer dans le royaume de Dieu; mais malgré tout,
l'environnement matériel dans lequel il vivait en tant qu'illustre empereur du
monde représentait un obstacle à son désir de s'établir parfaitement dans sa
juste position de compagnon du Seigneur dans le monde spirituel. Dévot du
Seigneur, il pouvait comprendre que la malédiction du jeune brāhmaṇa, bien
qu’elle fut malavisée, se présentait comme une bénédiction pour lui, car elle lui
permettrait de se détacher de ses obligations politiques et sociales en ce monde.
Śamīka Muni, donc, après avoir pleuré la faute de son fils, se fit un devoir de
prévenir le roi de manière à ce qu'il puisse se préparer à retourner à Dieu. Il
fit alors parvenir à l'empereur la nouvelle que Śṛṅgi, son fils insensé, mais
jeune et puissant brāhmaṇa, avait malheureusement fait mauvais usage de ses
pouvoirs subtils en le frappant injustement de malédiction. En effet, le geste
du roi, qui avait déposé un serpent mort sur les épaules du muni, ne justifiait
en rien sa condamnation à mort par le jeune insensé; mais comme il n'existait
aucun moyen d'empêcher que la malédiction ne prenne effet, le roi fut aussitôt
informé de manière à ce qu'il puisse préparer sa mort, laquelle devait survenir
dans les sept jours. Śamīka Muni et Mahārāja Parīkṣit étaient tous deux
parfaitement réalisés, le premier comme yogi et le second comme bhakta. Sur
le plan spirituel, ils se trouvaient donc tous deux au même niveau, et ni l'un ni
l'autre ne craignait la mort. Mahārāja Parīkṣit aurait certes pu se rendre
auprès du muni et implorer son pardon, mais la nouvelle de sa mort lui fut
annoncée avec tant de regret de la part du muni qu'il se refusa à le soumettre à
une humiliation plus profonde en allant vers lui. Il détermina plutôt de se
préparer à la mort, maintenant imminente, en trouvant la voie du retour à
Dieu.
Sa vie, l'homme doit l'utiliser tout entière pour se préparer à retourner vers
Dieu, ou à s'affranchir de l'existence matérielle, caractérisée par la répétition
de la naissance et de la mort. C'est pour cette raison qu'au sein
du varṇāśrama-dharma, chaque homme et chaque femme reçoit une formation
lui permettant d'atteindre ce but: une existence éternelle. Aussi le varṇāśrama-
dharma est-il également connu sous le nom de sanātana-dharma, qui désigne
l'occupation éternelle de l'être. Cette institution prépare donc l'homme à
retourner à Dieu; et c'est à cet effet que le chef de famille s'y voit demander de
devenir vānaprastha, de se rendre dans la forêt pour y développer le savoir
parfait, puis d'embrasser le sannyāsa, ou l'ordre du renoncement, avant que
ne survienne la mort inéluctable. Parīkṣit Mahārāja eut la fortune de
connaître l'heure de sa mort sept jours avant qu'elle ne survienne, mais
l'homme du commun ne bénéficie pas d'informations aussi précises, bien que
la mort frappe tous les êtres. Le sot oublie cette évidence, et néglige son devoir
qui consiste à se préparer à retourner vers Dieu, en passant sa vie à satisfaire
ses basses tendances animales —manger, boire et s'amuser. L'homme de l'âge
de Kali adopte volontiers une existence aussi irresponsable par son désir
coupable de condamner la culture brahmanique, la conscience divine et la
protection de la vache, dont la responsabilité incombe à l'Etat. L'Etat doit en
effet employer ses ressources au service du développement de ces trois prin-
cipes, et par là éduquer la population de façon qu'elle se prépare à affronter la
mort, et à retourner vers Dieu. L'Etat qui s'acquitte de ces devoirs peut certes
être qualifié de bienfaisant. L'Inde particulièrement aurait davantage intérêt à
suivre l'exemple de Mahārāja Parīkṣit, dirigeant idéal, plutôt que d'imiter les
Etats matérialistes, dénués de toute conception relative au royaume de Dieu,
but ultime de l'existence. Car la détérioration des idéaux de la civilisation
indienne n'a pas contribué à la dégradation de la vie civique de l'Inde seule,
mais également à celle des autres pays.

VERSET 5

atho vihāyemam amuṁ ca lokaṁ


vimarśitau heyatayā purastāt 
kṛṣṇāṅghri-sevām adhimanyamāna
upāviśat prāyam amartya-nadyām 

TRADUCTION

Mahārāja Parīkṣit, déterminé, s'assoit alors sur les rives du Gange et


s'absorbe dans la conscience de Kṛṣṇa, rejetant toute autre voie de réalisation
spirituelle. Car le service d'amour absolu offert à Kṛṣṇa représente la plus
haute perfection et surpasse toute autre pratique.

TENEUR ET PORTEE

Pour un bhakta comme Mahārāja Parīkṣit, aucune des planètes matérielles, et


même Brahmaloka, la suprême, n'est aussi désirable que Goloka Vṛndāvana,
la demeure de Śrī Kṛṣṇa, le Seigneur originel. La Terre n'est qu'une des
innombrables planètes matérielles dans l'univers, et le mahat-tattva renferme
des univers en nombre infini. Les bhaktas apprennent du Seigneur et de Ses
représentants, les maîtres spirituels, ou ācāryas, qu'aucune des planètes
peuplant ces univers sans nombre ne peut leur convenir comme lieu de
résidence. Ils aspirent toujours à retourner à Dieu, en leur demeure originelle,
pour y devenir des compagnons du Seigneur, que ce soit comme serviteurs,
amis, parents ou bien-aimés et ce, sur l'une ou l'autre des innombrables
planètes Vaikuṇṭhas ou à Goloka Vṛndāvana, la planète où réside Śrī Kṛṣṇa.
Toutes se trouvent éternellement dans le monde spirituel, ou paravyoma, lequel
se situe sur l'autre rive de l'Océan Causal, qui baigne le mahat-tattva.
Mahārāja Parīkṣit avait déjà conscience de tous ces faits, cela en raison de ses
vertus accumulées et de sa naissance dans une famille de grands vaiṣṇavas;
aussi ne montrait-il aucun intérêt pour les planètes matérielles. Nos hommes
de science désirent ardemment atteindre la Lune par quelque moyen mécani-
que, et il leur est pratiquement impossible de songer à la planète la plus
évoluée de cet univers; mais un bhakta comme Mahārāja Parīkṣit ne se soucie
guère de la Lune ou de toute autre planète matérielle. Ainsi, lorsque l'empe-
reur eut la certitude du moment de sa mort, il devint plus déterminé encore à
s'absorber dans le service d'amour absolu de Śrī Kṛṣṇa, et entreprit de jeûner
complètement sur les rives de la Yamunā, cette rivière spirituelle qui traverse
Hastināpura, la capitale de l'Etat de Delhi. Le Gange et la Yamunā sont tous
deux tenus pour amartyā, spirituels, mais la Yamunā se trouve davantage
sanctifiée pour les raisons qui seront maintenant énoncées.

VERSET 6

yā vai lasac-chrī-tulasī-vimiśra-
kṛṣṇāṅghri-reṇv-abhyadhikāmbu-netrī 
punāti lokān ubhayatra seśān
kas tāṁ na seveta mariṣyamāṇaḥ 

TRADUCTION

Cette rivière [sur les rives de laquelle s'assit l'empereur pour jeûner] porte
dans son lit une eau des plus propices à laquelle se mêle la poussière des pieds
pareils-au-lotus du Seigneur et des feuilles de tulasī. Ainsi, elle sanctifie les
trois mondes, à l'intérieur comme à l'extérieur, et même Śiva, ainsi que les
autres devas. Par suite, quiconque est destiné à la mort doit prendre refuge
auprès d'elle.

TENEUR ET PORTEE

Dès qu'il reçut la nouvelle de sa mort dans les sept jours à venir, Mahārāja
Parīkṣit se retira de la vie de famille et se rendit sur les rives sacrées de la
Yamunā. On dit généralement qu'il prit refuge des rives du Gange, mais Śrīla
Jīva Gosvāmī précise qu'il s'agissait de la Yamunā, ce qui est d'ailleurs plus
justifiable compte tenu de la position géographique d’Hastināpura, la capitale
de Mahārāja Parīkṣit, qui se situe à proximité de la présente ville de Delhi, où
coule la Yamunā. Or, il était normal pour le roi de prendre refuge auprès de la
Yamunā, puisqu'elle coulait pratiquement aux portes de son palais. Et notons
qu'en termes de sanctification, la Yamunā se trouve plus directement liée à
Kṛṣṇa que le Gange. Le Seigneur l'a en effet sanctifiée dès le début de Ses
Divertissements absolus en ce monde, lorsque Son père Vasudeva dut la
traverser pour conduire bébé Kṛṣṇa en lieu sûr, à Gokula, sur la rive opposée
à celle où se trouve Mathurā. Le Seigneur tomba alors dans ses eaux, qui
reçurent ainsi la poussière sanctifiante de Ses pieds pareils-au-lotus. Or, notre
verset mentionne précisément que Mahārāja Parīkṣit prit particulièrement
refuge de cette rivière qui coule merveilleusement, emportant la poussière des
pieds pareils-au-lotus de Śrī Kṛṣṇa et des feuilles de tulasī. Et de fait, les pieds
pareils-au-lotus de Śrī Kṛṣṇa sont toujours décorés de feuilles de tulasī, de
sorte qu'aussitôt qu'ils entrèrent au contact des eaux du Gange et de la
Yamunā, celles-ci devinrent sanctifiées. Mais encore une fois, le Seigneur eut
davantage de contact avec la Yamunā qu'avec le Gange. Selon le Varāha
Purāṇa, cité par Śrīla Jīva Gosvāmī, il n'existe aucune différence entre les
eaux du Gange et celles de la Yamunā; mais lorsque les eaux du Gange voient
leur pouvoir sanctificateur multiplié par cent, elles deviennent la Yamunā.
Selon le même ordre d'idées, les Ecritures nous enseignent que mille Noms de
Viṣṇu valent un Nom de Rāma, et qu'il faut trois Noms de Rāma pour égaler
un Nom de Kṛṣṇa.

VERSET 7

iti vyavacchidya sa pāṇḍaveyaḥ


prāyopaveśaṁ prati viṣṇu-padyām 
dadhau mukundāṅghrim ananya-bhāvo
muni-vrato mukta-samasta-saṅgaḥ 

TRADUCTION

Ainsi, fermement résolu, le roi, en digne descendant des Pāṇḍavas, se rendit


jusqu'aux rives du Gange pour y jeûner jusqu'à ce que vienne la mort et s'y
abandonner aux pieds pareils-au-lotus de Śrī Kṛṣṇa, seul capable d'accorder
la libération. Là, libre de toute compagnie, de toute attache, il accepta les
voeux d'un sage.

TENEUR ET PORTEE

Les eaux du Gange sanctifient les trois mondes, y compris les deva-maîtres de


l'univers et leurs subordonnés, car elles émanent des pieds pareils-aulotus de
Viṣṇu, le Seigneur Souverain. Or, Śrī Kṛṣṇa Se trouve à la source du principe
même du viṣṇu-tattva, en sorte que le refuge de Ses pieds pareils-aulotus peut
affranchir de toutes fautes, comme l'offense commise par le roi à l'endroit
du brāhmaṇa. Par suite, Mahārāja Parīkṣit résolut de méditer sur les pieds
pareils-au-lotus de Śrī Kṛṣṇa, Mukunda, qui confère la libération sous toutes
ses formes. Et les rives du Gange, ou de la Yamunā, fournissent une occasion
de se rappeler le Seigneur de façon constante. Mahārāja Parīkṣit se défit donc
de toute compagnie matérielle, pour méditer sur les pieds pareilsau-lotus de
Śrī Kṛṣṇa; et telle est la voie de la libération. Par s'affranchir de tout contact
avec la matière, on entend mettre un terme définitif à ses fautes, et méditer sur
les pieds pareils-au-lotus indique que l'on s'est affranchi des suites de toutes
les fautes que nous avons pu commettre dans le passé. L'univers matériel est
constitué de telle sorte qu'on s'y voit contraint de pécher, volontairement ou
involontairement; et le meilleur exemple nous en est offert par Mahārāja
Parīkṣit lui-même, reconnu comme un roi vertueux et sans tache. . Mais lui-
même devint victime du péché, en offensant un brāhmaṇa, et ce, bien qu'il ne
désira aucunement se rendre coupable d'une telle erreur. Il en fut même
maudit, mais parce qu'il était un grand dévot du Seigneur, tous ces revers se
transformèrent en circonstances favorables pour lui. Le principe est le
suivant: nul ne doit commettre sciemment d'actes coupables au cours de sa
vie; chacun doit plutôt se rappeler sans cesse, et sans jamais en dévier, les
pieds pareils-au-lotus du Seigneur. Car, ce n'est qu'en voyant un tel esprit
chez Son dévot que le Seigneur l'aidera à progresser régulièrement sur le
sentier de la libération, jusqu'à lui permettre d'atteindre Ses pieds pareils-au-
lotus. Et comme l'enseignent toutes les Ecritures, même si le bhakta, par
inadvertance, en vient à commettre un acte coupable, le Seigneur affranchira
cette âme soumise de toutes fautes. Bien entendu, jamais le dévot du Seigneur
n'accomplit d'actes coupables volontairement, mais l'univers matériel est tel
qu'on y pèche même contre son gré. Et le plus sûr moyen de s'affranchir de
toute faute, même accidentelle, est de se rappeler constamment les pieds
pareils-au-lotus du Seigneur. Par ailleurs, celui qui pèche délibérément, en
comptant sur la promesse du Seigneur qui le sauvera, se rend coupable des
plus grandes fautes, et pour lui, il n'y a pas de délivrance possible, même s'il se
rappelle constamment les pieds pareils-au-lotus du Seigneur. Un tel offenseur
n'a aucune chance de s'affranchir des griffes de l'action intéressée.

VERSET 8

tatropajagmur bhuvanaṁ punānā


mahānubhāvā munayaḥ sa-śiṣyāḥ 
prāyeṇa tīrthābhigamāpadeśaiḥ
svayaṁ hi tīrthāni punanti santaḥ 

TRADUCTION

Tous les grands maîtres à penser, accompagnés de leurs disciples, et avec eux
les sages capables, par leur présence, de sanctifier même les lieux saints,
arrivent alors sous prétexte d'un pèlerinage.

TENEUR ET PORTEE

Lorsque Mahārāja Parīkṣit s'installa sur les rives du Gange, la nouvelle en fut
répandue dans toutes les directions de l'univers, et les sages à l'esprit profond,
conscients de l'importance des événements qui allaient se dérouler, se
rendirent tous sur les lieux, prétextant un pèlerinage. A la vérité, ils venaient
rencontrer Mahārāja Parīkṣit, et non se baigner au lieu saint, car tous avaient
qualité pour sanctifier même les lieux les plus sacrés. Les hommes du commun
se rendent aux lieux de pèlerinage pour se purifier de toutes leurs fautes, et ces
endroits deviennent ainsi encombrés par les fautes qu'ils y laissent. Mais
lorsque de grands sages s'y rendent, leur présence même sanctifie ces lieux. Il
est donc aisé de comprendre que les sages venus rencontrer Mahārāja Parīkṣit
n'étaient donc aucunement poussés par le désir de se purifier en ce lieu comme
le feraient des hommes ordinaires; bien plutôt, prétextant un bain en ces
endroits sacrés, ils vinrent rencontrer l'empereur, car ils pouvaient
comprendre qu'à la faveur du jeûne de sept jours qu'avait entrepris le roi,
Śukadeva Gosvāmī lui transmettrait le Śrīmad-Bhāgavatam, et tous désiraient
tirer parti de cet événement unique.

VERSETS 9-10

atrir vasiṣṭhaś cyavanaḥ śaradvān


ariṣṭanemir bhṛgur aṅgirāś ca 
parāśaro gādhi-suto ’tha rāma
utathya indrapramadedhmavāhau 

medhātithir devala ārṣṭiṣeṇo


bhāradvājo gautamaḥ pippalādaḥ 
maitreya aurvaḥ kavaṣaḥ kumbhayonir
dvaipāyano bhagavān nāradaś ca 

TRADUCTION

Pour cette occasion, arrivent de toutes les parties de l'univers les sages Atri,
Cyavana, Śaradvān, Ariṣṭanemi, Bhṛgu, Vasiṣṭha, Parāśara, Viśvāmitra,
Aṅgirā, Paraśurāma, Utathya, Indrapramada, Idhmavāhu, Medhātithi,
Devala, Ārṣṭiṣeṇa, Bhāradvāja, Gautama, Pippalāda, Maitreya, Aurva,
Kavaṣa, Kumbhayoni, Dvaipāyana et l'illustre Nārada.

TENEUR ET PORTEE

Cyavana: Grand sage, un des six fils de Bhṛgu Muni. Il naquit de façon
prématurée lorsque sa mère, enceinte de lui, fut kidnappée.
Bhṛgu: Alors que Brahmājī accomplissait un grand sacrifice pour Varuṇa,
Maharṣi Bhṛgu naquit du feu sacrificiel. Grand sage, il eut pour épouse très
chère Pulomā. Il pouvait voyager dans l'espace comme Durvāsā, Nārada et
d'autres, et il avait l'habitude de visiter les différentes planètes de l'univers. Il
fut un de ceux qui essayèrent d'empêcher la Bataille de Kurukṣetra. Il
instruisit Bhāradvāja Muni sur les mouvements des astres, et composa
la Bhṛgu-saṁhitā, célèbre traité d'astrologie. Il expliqua comment l'air, le feu,
l'eau et la terre procèdent de l'éther, et aussi la façon dont l'air agit à
l'intérieur de l'estomac et règle l'activité des intestins. Grand philosophe, il
établit par la logique la nature éternelle de l'âme (Mahābhārata). Il fut
également un anthropologue de haut renom, et il avait déjà élucidé la théorie
de l'évolution en des temps fort reculés. Il fut également un rigoureux artisan
de l'institution du varṇāśrama, avec ses divisions sociales et ses étapes
spirituelles. Il convertit enfin en brāhmaṇa le roi kṣatriya Vītahavya.
Vasiṣṭha: Voir p.388. (Śrīmad-Bhāgavatam 1.9.6.)
Parāśara: Petit-fils de Vasiṣṭha Muni et père de Vyāsadeva, il est le fils de
Maharṣi Śakti, et sa mère qui se nommait Adṛśyatī, le porta quand elle n'avait
que douze ans. Et c'est à l'intérieur du ventre de sa mère qu'il apprit les Vedas.
Son père fut tué par un asura, Kalmāṣapāda, et pour le venger, dès l'instant où
il en apprit la nouvelle de sa mère, il voulut anéantir le monde entier; mais son
grand-père Vasiṣṭha l'en empêcha. Il entreprit alors un yajña destiné à faire
périr les rākṣasas, mais Maharṣi Pulastya contrecarra ses plans. Attiré par
Satyavatī, qui devait plus tard devenir l'épouse de Mahārāja Śāntanu, il
conçut en son sein Vyāsadeva, et par sa bénédiction, le corps de Satyavatī
devint odorant à des kilomètres à la ronde. Il était également présent au
moment où Bhīṣma quitta son corps. Il fut le maître spirituel de Mahārāja
Janaka et un grand dévot de Śiva. Il est l'auteur de plusieurs Ecrits védiques
et traités sociologiques.
Gādhi-suta, ou Viśvāmitra: Grand sage rompu à l'austérité et aux pouvoirs
surnaturels, il est connu sous ce nom de Gādhi-suta en tant que fils de Gādhi,
puissant roi de la province de Kanyākubja (une partie de l'Uttara Pradesh).
Né kṣatriya, il devint néanmoins brāhmaṇa sans changer de corps par la force
de ses accomplissements de haute valeur. Il eut un jour maille à partir avec
Vasiṣṭha Muni alors qu'il remplissait encore les fonctions de roi kṣatriya, et il
accomplit un grand sacrifice avec l'aide de Maṭaṅga Muni de manière à
pouvoir vaincre les fils de Vasiṣṭha. Il devint par la suite un grand yogi, mais
incapable de contrôler ses sens, il devint le père de Śakuntalā, la reine à la
beauté célèbre dont nous parlent les récits historiques. Mais revenons à
l'incident qui l'opposa à Vasiṣṭha Muni. Encore kṣatriya donc, Viśvāmitra
visita un jour l'ermitage de Vasiṣṭha Muni, qui lui offrit une réception royale.
Viśvāmitra demanda alors à Vasiṣṭha de lui faire don de sa vache Nandinī, à
quoi le muni se refusa. Viśvāmitra entreprit donc de s'emparer de la vache, et
une querelle éclata entre le sage et le roi. Vivamitra fut finalement vaincu par
la puissance brahmanique de Vasiṣṭha, à la suite de quoi le roi résolut de
devenir brāhmaṇa. Avant de devenir brāhmaṇa, cependant, il se livra à de
rudes austérités sur les rives de la Kauśika. Il fut également du nombre de
ceux qui cherchaient à empêcher la Bataille de Kurukṣetra.
Aṅgirā: Un des six fils issus du mental de Brahmā, et père de Bṛhaspati, le
grand prêtre érudit des devas sur les planètes édéniques. Il naquit de la
semence de Bṛhaspati donnée aux cendres d'un feu. Utathya et Saṁvarta
furent également ses fils. On dit qu'il vit encore, accomplissant des austérités
et chantant les Saints Noms du Seigneur au lieu connu sous le nom
d'Alokānanda, sur les rives du Gange.
Paraśurāma: Voir p.388. (Śrīmad-Bhāgavatam 1.9.6.)
Utathya: Un des trois fils de Maharṣi Aṅgirā, il fut également le maître
spirituel de Mahārāja Mandhātā. Il épousa Bhadrā, fille de Soma (le deva de la
Lune). Un jour, Varuṇa, le deva de l'eau, enleva son épouse, et pour lui faire
payer son offense, il but toutes les eaux du monde.
Medhātithi: Vieux sage des temps anciens, membre de l'assemblée du roi des
cieux, Indradeva. Son fils fut Kaṇva Muni, qui éleva Śakuntalā dans la forêt. Il
fut promu aux planètes édéniques pour avoir strictement observé les principes
du vānaprastha.
Devala: Grande autorité en matière spirituelle, comme le sont Nārada Muni et
Vyāsadeva. On trouve d'ailleurs son respectable nom dans la liste de sages
qu'Arjuna donne dans la Bhagavad-gītā pour prouver que Śrī Kṛṣṇa est Dieu,
la Personne Suprême. Il rencontra Maharaja Yudhisthira après la Bataille de
Kuruksetra et il se trouve également être le frère aîné de Dhaumya, le prêtre
des Pāṇḍavas. A la manière des kṣatriyas, il permit à sa fille de choisir son
propre époux au cours d'un svayaṁvara et tous les fils non encore mariés
des ṛṣis furent invités à la cérémonie. Selon certains, il s'agit d'un personnage
différent d'Asita Devala.
Bhāradvāja: Voir p. 387-388. (Śrīmad-Bhāgavatam 1.9.6.)
Gautama: Un des sept grands sages de l'univers. Śaradvān Gautama fut l'un
de ses fils, et les membres de la Gautama-gotra (dynastie) sont, jusqu'à nos
jours, du nombre de ses descendants par le sang ou par les liens de la
succession disciplique. En général, les brāhmaṇas qui se réclament de la
Gautama-gotra lui sont liés par le sang, quand les kṣatriyas et
les vaiśyas revendiquant les mêmes origines lui sont tous liés à travers la
succession disciplique. Il fut l'époux de la fameuse Ahalyā, qui fut transformée
en pierre lorsque Indradeva, le roi des cieux, abusa d'elle. Ahalyā fut plus tard
délivrée de sa condition par Sri Rāmacandra. Gautama est l'aïeul de
Kṛpācārya, un des héros de la Bataille de Kurukṣetra.
Maitreya: Grand ṛṣis d'antan, il fut le maître spirituel de Vidura, et une
grande autorité en matière de religion. Il conseilla à Dhṛtarāṣṭra de rester en
bonne relation avec les Pāṇḍavas, mais Duryodhana n'était pas d'accord avec
un tel avis, et fut ainsi frappé de malédiction par lui. Il rencontra Vyāsadeva et
échangea avec lui des propos sur la religion.
Dvaipāyana: Voir Badarayana, p.387. (Śrīmad-Bhāgavatam 1.9.6.)
Nārada Muni: Voir p.386. (Śrīmad-Bhāgavatam 1.9.6.)

VERSET 11

anye ca devarṣi-brahmarṣi-varyā
rājarṣi-varyā aruṇādayaś ca 
nānārṣeya-pravarān sametān
abhyarcya rājā śirasā vavande 

TRADUCTION

Arrivent également de nombreux autres personnages, saints devas et rois,


et aruṇādayas, chefs de différentes dynasties de sages. Lorsqu'ils sont tous
assemblés devant l'empereur [Pariksit], celui-ci les reçoit comme il se doit et
s'incline devant eux, touchant le sol de sa tête.
TENEUR ET PORTEE

La pratique qui consiste à toucher le sol de sa tête en s'inclinant devant des


supérieurs en signe de respect relève d'une excellente étiquette, qui oblige
profondément l'hôte ainsi honoré. Même un offenseur de premier ordre peut
être excusé par celui qu'il a offensé grâce à cet humble geste, et Mahārāja
Parīkṣit, bien qu'il fut honoré par les ṛṣis et les rois de tout rang, accueillit tous
les grands sages par ce geste de manière à être excusé pour toute offense qu'il
eut pu commettre envers eux dans le cours du temps. En général, tout homme
de sagesse adopte cette attitude à la fin de sa vie de manière à être pardonné
avant de quitter son corps; et c'est ainsi que Mahārāja Parīkṣit implore les
sentiments bienveillants de tous, qu'il puisse retourner à Dieu, en sa demeure
originelle.

VERSET 12

sukhopaviṣṭeṣv atha teṣu bhūyaḥ


kṛta-praṇāmaḥ sva-cikīrṣitaṁ yat 
vijñāpayām āsa vivikta-cetā
upasthito ’gre ’bhigṛhīta-pāṇiḥ 

TRADUCTION

Lorsque tous les sages et les autres personnages réunis pour l'occasion sont
confortablement assis, le roi, debout devant eux les mains jointes, leur fait part
de sa décision de jeûner jusqu'à ce que vienne la mort.

TENEUR ET PORTEE

Bien que le roi eut déjà déterminé de jeûner sur les rives du Gange jusqu'à
l'heure de sa mort, il soumit humblement sa décision aux grandes autorités en
matière spirituelle afin de connaître leur opinion. Ainsi, toute décision, aussi
importante ou arrêtée qu'elle puisse être, doit être confirmée auprès d'une
autorité en la matière; ce geste conférera toute perfection à l'oeuvre entre-
prise. C'est donc dire que les rois gouvernant la terre à cette époque n'avaient
rien de dictateurs irresponsables puisqu'ils s'en tenaient scrupuleusement aux
justes décisions des saints et des sages, prises en accord avec les préceptes
védiques. Et Mahārāja Parīkṣit, en roi modèle, observa ce principe jusqu'aux
derniers jours de sa vie.

VERSET 13

rājovāca
aho vayaṁ dhanyatamā nṛpāṇāṁ
mahattamānugrahaṇīya-śīlāḥ 
rājñāṁ kulaṁ brāhmaṇa-pāda-śaucād
dūrād visṛṣṭaṁ bata garhya-karma 

TRADUCTION

Le roi fortuné dit:


O combien nous sommes reconnaissants, et plus que tout autre parmi les rois,
pour avoir été instruits dans l'art d'obtenir les faveurs d'âmes magnanimes.
Car, d'ordinaire, vous [les sages] repoussez les représentants de l'ordre royal
tels des déchets que l'on jette au loin.

TENEUR ET PORTEE

D'après les principes de la religion, les excréments, l'urine, les eaux usées et
autres substances impures doivent être jetés au loin. Salles de bains, urinoirs
et toilettes à même les habitations peuvent s'avérer très pratiques, et ajouter
au confort de la vie moderne, mais ils doivent en fait se situer à une distance
appréciable de tous lieux habités. Notre verset souligne ce principe en
décrivant la manière dont ceux qui marchent d'un pas ferme vers leur
demeure originelle, le royaume de Dieu, considèrent les représentants de
l'ordre royal. Car, comme l'enseigna Śrī Caitanya Mahāprabhu, pour celui
qui désire retourner à Dieu, le fait d'entrer au contact intime d'un matérialiste
attaché à l'argent et aux biens de ce monde, ou d'un représentant de l'ordre
royal, présente un danger plus grand que de boire la ciguë. En d'autres mots,
le spiritualiste ne vit généralement pas au contact d'hommes par trop férus des
charmes externes de la création de Dieu. Car, son haut savoir en matière de
réalisation spirituelle lui donne de comprendre que les merveilles de l'univers
matériel ne sont que de faibles reflets de la réalité, présente dans le royaume
de Dieu. Aussi n'est-il guère attiré par l'opulence des rois ou quelque autre
bien de ce monde.
Dans le cas de Mahārāja Parīkṣit, cependant, la situation se présentait
différemment. Les apparences pouvaient laisser croire que le roi avait été
condamné à mort par le fils inexpérimenté d'un brāhmaṇa, mais la vérité est
qu'il fut rappelé par le Seigneur auprès de Lui. Les autres spiritualistes, les
grands sages et yogis réunis ensemble à l'occasion du jeûne de Mahārāja
Parīkṣit, éprouvaient un grand désir d'être en sa présence au moment où il
allait retourner à Dieu. Et Mahārāja Parīkṣit, quant à lui, pouvait également
comprendre que tous ces grands sages faisaient preuve de bonté à l'égard de
ses ancêtres, les Pāṇḍavas, pour le service de dévotion qu'ils offraient au
Seigneur. Aussi leur est-il reconnaissant d'être venus à lui aux derniers jours
de sa vie, et il attribue leur présence à la grandeur de ses aïeux. Il se sent fier
d'être le descendant d'aussi grands bhaktas. Or, un tel sentiment de fierté à
l'égard du Seigneur et de Ses dévots ne peut en aucun cas être assimilé à
l'orgueil suscité par la prospérité matérielle. Le premier élan appartient au
réel, quand le second est illusoire, et relève de la pure vanité.
VERSET 14

tasyaiva me ’ghasya parāvareśo


vyāsakta-cittasya gṛheṣv abhīkṣṇam 
nirveda-mūlo dvija-śāpa-rūpo
yatra prasakto bhayam āśu dhatte 

TRADUCTION

Le Seigneur Suprême, maître des mondes matériel et spirituel, a daigné Se


saisir de moi sous la forme d'une malédiction brahmanique. A cause de mon
attachement outré pour la vie de famille, le Seigneur, désirant me sauver, S'est
ainsi manifesté à moi que la peur m'oblige à me dissocier de ce monde.

TENEUR ET PORTEE

Bien que Mahārāja Parīkṣit fut issu d'une famille de grands bhaktas, les
Pāṇḍavas, et malgré la solide formation spirituelle qu'il avait reçu —
formation destinée à faire naître en lui un attachement indéfectible, absolu,
pour la compagnie du Seigneur—, la fascination exercée par l'existence
matérielle, et particulièrement au sein de la famille, se montre si puissante que
Mahārāja Parīkṣit lui-même dut en être détaché par un plan du Seigneur, soit
par la malédiction du fils d'un brāhmaṇa. Comprenons toutefois qu'une action
aussi directe n'est entreprise par le Seigneur que dans le cas d'un bhakta hors
du commun, appelé à remplir une mission particulière pour Lui. Ce que
Mahārāja Parīkṣit put comprendre en voyant présent devant lui les plus hauts
spiritualistes de l'univers. Le Seigneur vit auprès de Ses dévots, aussi la
présence des grands saints indiquait-elle également celle du Seigneur. Jamais
le Seigneur ne Se manifeste à un être désavoué par Lui, mais Mahārāja
Parīkṣit pouvait très bien voir que par la malédiction du brāhmaṇa le Seigneur
lui était apparu. Il percevait cette épreuve comme une situation favorable, en
ce qu'elle lui permettait de se détacher des charmes de la vie familiale devant
la menace de la mort cruelle. Aussi est-ce comme une marque de la faveur du
Seigneur Suprême qu'il accueillit la présence des grands ṛṣis.

VERSET 15

taṁ mopayātaṁ pratiyantu viprā


gaṅgā ca devī dhṛta-cittam īśe 
dvijopasṛṣṭaḥ kuhakas takṣako vā
daśatv alaṁ gāyata viṣṇu-gāthāḥ 

TRADUCTION
O brāhmaṇas, veuillez voir en moi une âme tout entière soumise, et que mère
Gange, qui représente le Seigneur, me tienne égaiement pour telle, car j'ai déjà
étreint en mon coeur les pieds pareils-au-lotus du Seigneur. Que le serpent
ailé, ou quelque autre création magique du brāhmaṇa, me morde aussitôt; mon
seul désir est que vous continuiez de chanter les gloires de Viṣṇu.

TENEUR ET PORTEE

Sitôt que l'on s'est tout entier donné aux pieds pareils-au-lotus du Seigneur
Suprême, on cesse de craindre la mort. De plus, l'atmosphère créée par la
présence des grands dévots du Seigneur sur les rives du Gange ainsi que
l'abandon complet du roi aux pieds pareils-au-lotus du Seigneur, suffisait pour
garantir le retour de Mahārāja Parīkṣit en sa demeure originelle, dans le
royaume absolu. Ainsi devint-il libre de toute appréhension face à la mort.

VERSET 16

punaś ca bhūyād bhagavaty anante


ratiḥ prasaṅgaś ca tad-āśrayeṣu 
mahatsu yāṁ yām upayāmi sṛṣṭiṁ
maitry astu sarvatra namo dvijebhyaḥ 

TRADUCTION

Et, réitérant mon hommage à vous tous, ô brāhmaṇas, je prie pour que s'il me
faut renaître en cet univers matériel, je puisse concevoir un attachement
indéfectible pour le Seigneur, Śrī Kṛṣṇa, aux puissances infinies, que je puisse
également obtenir la compagnie de Ses dévots et entretenir une relation
amicale avec tous les êtres.

TENEUR ET PORTEE

Mahārāja Parīkṣit explique ici que le dévot du Seigneur est le seul être parfait
car, eût-il de nombreux ennemis, il n'est lui-même l'ennemi de personne. Par
ailleurs, bien qu'il ne nourrisse envers eux aucune animosité, il n'aime pas
vivre au contact d'abhaktas, mais recherche plutôt la compagnie des autres
dévots du Seigneur. Ce qui est tout à fait naturel: les oiseaux de même espèce
vivent ensemble; qui se ressemble s'assemble. Et, par-dessus tout, la
préoccupation première du bhakta est de connaître un attachement parfait
pour Śrī Kṛṣṇa, le père de tous les êtres. De même qu'un fils fidèle à son père
montre des sentiments amicaux à l'égard de ses frères, le dévot du Seigneur, en
fils fidèle du père suprême, Śrī Kṛṣṇa, voit tous les êtres selon le lien qui les
unit au père suprême. Or, Celui-ci S'efforce de ramener à une condition plus
saine ceux parmi Ses fils qui se montrent rebelles envers Lui, en sorte qu'ils
reconnaissent en Lui le père suprême. Mahārāja Parīkṣit s'acheminait certes
vers le royaume absolu, mais il pria pour que même s'il devait revenir en ce
monde, ce soit dans les conditions de vie les plus parfaites. Le pur bhakta ne
désire pas même la compagnie d'un aussi grand personnage que Brahmā; il lui
préfère celle d'êtres insignifiants qui soient des dévots du Seigneur.

VERSET 17

iti sma rājādhyavasāya-yuktaḥ


prācīna-mūleṣu kuśeṣu dhīraḥ 
udaṅ-mukho dakṣiṇa-kūla āste
samudra-patnyāḥ sva-suta-nyasta-bhāraḥ 

TRADUCTION

Après avoir pris soin de confier la charge du royaume à son fils, Mahārāja
Parīkṣit, parfaitement maître de lui-même, s'assoit, face au nord, sur une natte
de paille avec les racines tournées vers l'est, et le siège lui-même posé sur la
rive méridionale du Gange.

TENEUR ET PORTEE

Gaṅgā (le Gange) est célébrée comme l'épouse de l'océan. On tient par ailleurs
une natte d'herbe kuśa pour sanctifiée si la paille qui la compose a été
arrachée avec la racine; en outre, il est propice d'orienter ces racines vers l'est.
Et le fait de s'y asseoir face au nord favorise encore davantage la réussite
spirituelle. De plus, avant de quitter le foyer familial, Mahārāja Parīkṣit remit
à son fils la charge de gouverner le royaume. Toutes les conditions favorables
se trouvaient donc ainsi réunies.

VERSET 18

evaṁ ca tasmin nara-deva-deve


prāyopaviṣṭe divi deva-saṅghāḥ 
praśasya bhūmau vyakiran prasūnair
mudā muhur dundubhayaś ca neduḥ 

TRADUCTION

Voyant la détermination de Mahārāja Parīkṣit à jeûner jusqu'à la mort, tous


les devas, habitants des planètes supérieures, louèrent le geste du roi; de joie,
ils répandent sans fin des fleurs sur la terre et battent de leurs tambours
célestes.

TENEUR ET PORTEE
Au moins jusqu'à l'époque de Mahārāja Parīkṣit, les communications
interplanétaires existaient, et la nouvelle du jeûne de Mahārāja Parīkṣit,
devant se poursuivre jusqu'à ce que la mort vienne le prendre, et en vue
d'obtenir le salut, parvint jusqu'aux planètes supérieures, où vivent les intel-
ligents devas. Ceux-ci jouissent d'une plus grande prospérité que les humains,
habitants de la Terre, mais tous obéissent aux ordres du Seigneur Suprême;
aucun habitant des sphères édéniques n'est un athée, un incroyant. Aussi
tout bhakta vivant à la surface de la terre reçoit-il leurs louanges; dans le cas
de Mahārāja Parīkṣit particulièrement, ils se montrèrent littéralement char-
més, et pour lui témoigner leur estime, jettèrent en pluie des fleurs sur la terre
et jouèrent de leurs tambours célestes. La nature du pur bhakta est telle qu'il
se réjouit lorsqu'il voit une âme retourner à Dieu. Et les devas sont toujours si
satisfaits des dévots du Seigneur qu'ils les assistent à tous égards au moyen de
leurs pouvoirs adhidaiviques, ce qui a pour effet d'attirer sur eux les faveurs
du Seigneur. Ainsi existe-t-il une chaîne invisible de coopération parfaite entre
le Seigneur, les devas et les bhaktas vivant sur terre.

VERSET 19

maharṣayo vai samupāgatā ye


praśasya sādhv ity anumodamānāḥ 
ūcuḥ prajānugraha-śīla-sārā
yad uttama-śloka-guṇābhirūpam 

TRADUCTION

Tous les illustres sages assemblés là louèrent la décision de Mahārāja Parīkṣit


et lui exprimèrent leur approbation par les mots "très bien". Par nature, les
saints personnages sont enclins à faire le bien aux hommes du commun, car ils
jouissent qualitativement des mêmes puissances que le Seigneur Suprême.
Ainsi se montrèrent-ils comblés devant Mahārāja Parīkṣit, ce dévot du
Seigneur, et lui adressèrent ces paroles:

TENEUR ET PORTEE

La beauté naturelle d'un être vivant se trouve mise en valeur lorsqu'il s'élève
au niveau du service de dévotion. Mahārāja Parīkṣit était animé d'un
attachement profond pour le Seigneur,  Śrī Kṛṣṇa, et en voyant cela, les
grands sages réunis pour l'occasion se montrèrent des plus satisfaits; aussi lui
exprimèrent-ils leur approbation par ces mots: "Très bien". De tels sages se
sentent naturellement portés à faire du bien aux hommes dans leur masse, et
lorsqu'ils voient un personnage comme Mahārāja Parīkṣit, élevé dans le
service de dévotion, leur joie ne connaît plus de limite, et ils lui offrent toutes
les bénédictions qui sont en leur pouvoir. Le service de dévotion offert au
Seigneur revêt un caractère tellement propice que tous les devas, les sages, et
jusqu'au Seigneur Lui-même, deviennent comblés, en sorte que
le bhakta désireux de parfaire son existence voit toutes choses rendues
favorables pour lui, et tout mauvais présage disparaître de sa voie. Le fait,
pour Mahārāja Parīkṣit, de rencontrer tous ces grands sages avant sa mort
était certes des plus propices, et on peut ici comprendre que la prétendue
malédiction du fils du brāhmaṇa s'était, pour le bhakta qu'il était, transformée
en bénédiction.

VERSET 20

na vā idaṁ rājarṣi-varya citraṁ


bhavatsu kṛṣṇaṁ samanuvrateṣu 
ye ’dhyāsanaṁ rāja-kirīṭa-juṣṭaṁ
sadyo jahur bhagavat-pārśva-kāmāḥ 

TRADUCTION

"O meilleur des saints rois, pour vous, empereur de la dynastie Pāṇḍu, et
strict représentant de la lignée de Śrī Kṛṣṇa, il n'y a rien d'étonnant à ce que
vous quittiez votre trône paré des heaumes de nombreux rois, en vue d'obtenir
la compagnie éternelle du Seigneur Suprême.

TENEUR ET PORTEE

Le sot politicien qui obtient un poste au sein du gouvernement croit que cette
situation temporaire représente le plus haut bienfait matériel qu'il ait obtenu
de toute sa vie; aussi s'accroche-t-il à ce poste jusqu'au dernier instant de son
existence, ignorant que le véritable bien suprême réside dans le fait de devenir
un compagnon libéré du Seigneur en Son royaume éternel. Et le but de la vie
humaine consiste précisément à poursuivre ce dessein, à faire retour vers Dieu,
en sa demeure originelle. Le Seigneur en personne affirme d'ailleurs à maintes
reprises dans la Bhagavad-gītā que c'est en parvenant avec succès à retourner
à Dieu, en Son royaume éternel, que l'on atteint le plus grand bienfait.
Prahlāda Mahārāja adressait lui-même cette prière à Śrī Nṛsiṁha: "O
Seigneur, j'ai grande crainte des sentiers de l'existence matérielle, mais je
n'éprouve pas la moindre peur en présence de Ta Forme féroce et terrifiante
de Nṛsiṁhadeva. Cette existence matérielle semble parfois une lourde meule
qui nous broie de sa masse. Déchus, nous sommes emportés dans un tourbillon
infernal de vagues, les hauts et les bas de cette existence; voilà donc, ô
Seigneur, que je dépose à Tes pieds pareils-au-lotus cette prière: rappelle-moi
en Ton royaume éternel comme l'un de Tes serviteurs, car là réside la
libération ultime hors de l'existence matérielle, dont j'ai une expérience très
amère. Dans toutes les espèces vivantes où j'ai dû prendre naissance, contraint
par les suites de mes propres activités, j'ai connu l'amertume sous deux formes
particulières: la séparation d'avec ceux que j'aimais et la rencontre d'éléments
indésirables. Or, les remèdes que j'ai appliqué à mes souffrances se sont avérés
être plus dangereux encore que les maux eux-mêmes. Ainsi suis-je ballotté
d'un point à un autre, vie après vie, et je Te prie de m'accorder refuge à Tes
pieds pareils-au-lotus."
Les rois Pāṇḍavas, plus saints que nombre d'hommes en ce monde,
connaissent les fruits amers de l'existence matérielle, en sorte qu'ils ne se lais-
sent jamais captiver par le chatoiement du trône impérial qu'ils occupent. Ils
attendent toujours d'être appelés par le Seigneur pour vivre auprès de Lui à
tout jamais. Et Mahārāja Parīkṣit était le digne petit-fils de Mahārāja
Yudhiṣṭhira. Ce dernier renonça en temps voulu à l'attrait du trône impérial,
qu'il confia au soin de son petit-fils; et de même, Mahārāja Parīkṣit renonça à
son tour, le moment venu, à la charge du gouvernement qu'il remit dans les
mains de son fils Janamejaya. Telle fut la voie empruntée par tous les rois de
la dynastie, qui tous étaient de stricts adhérents à la lignée de Śrī Kṛṣṇa. En
bref, les dévots du Seigneur ne se laissent jamais charmer par l'éclat miroitant
de l'existence matérielle, et ils vivent, sans aucun parti pris, détachés des objets
de fascination propres à l'énergie matérielle illusoire.

VERSET 21

sarve vayaṁ tāvad ihāsmahe ’tha


kalevaraṁ yāvad asau vihāya 
lokaṁ paraṁ virajaskaṁ viśokaṁ
yāsyaty ayaṁ bhāgavata-pradhānaḥ 

TRADUCTION

"Nous resterons tous en ce lieu jusqu'à ce que Mahārāja Parīkṣit, le plus


grand dévot du Seigneur, retourne à la planète suprême, qui est libre de toute
souillure matérielle comme de toute forme de lamentation."

TENEUR ET PORTEE

Au-delà des confins de la création matérielle, que l'on compare à un nuage


dans le ciel, se trouve le paravyoma, le monde spirituel, peuplé de planètes dites
Vaikuṇṭhas. Celles-ci sont connues sous différents noms comme
Puruṣottamaloka, Acyutaloka, Trivikramaloka, Hṛṣīkeśaloka, Keśavaloka,
Aniruddhaloka, Mādhavaloka, Pradyumnaloka, Saṅkarṣaṇaloka,
Śrīdharaloka, Vāsudevaloka, Ayodhyāloka, Dvārakāloka et des millions
d'autres lokas, ou planètes, spirituelles, où le Seigneur Suprême règne en
maître. Et tous les êtres qui les habitent sont des âmes libérées dotées de corps
spirituels jouissant des mêmes vertus que celui du Seigneur. Là, nulle
contamination matérielle; tout y est spirituel, et par conséquent, il ne s'y
trouve aucun objet de lamentation. Partout, la félicité spirituelle et absolue,
sans naissance, maladie, vieillesse ou mort.
Parmi toutes les Vaikuṇṭhalokas s'en trouve une suprême, du nom de Goloka
Vṛndāvana, qui forme la demeure de Śrī Kṛṣṇa et de Ses compagnons intimes.
Or, Mahārāja Parīkṣit était destiné à atteindre cette planète particulière, et les
grands ṛṣis réunis pour l'occasion prévoyaient déjà sa destinée. Ils s'étaient
consultés entre eux quant au grand départ de l'illustre monarque, et ils
désiraient demeurer à ses côtés jusqu'au dernier instant, car ils n'auraient
plus l'occasion de voir un aussi noble dévot du Seigneur. Lorsqu'un
grand bhakta quitte ce monde, il n'y a pas lieu de se lamenter, car il est destiné
à entrer dans le royaume de Dieu; mais d'autre part, il y a certes toutes les
raisons de s'affliger de la disparition d'un bhakta si l'on considère qu'il sera
désormais hors de notre vision. Car, il est aussi rare de pouvoir contempler de
ses yeux un grand dévot du Seigneur que le Seigneur Lui-même. C'est
pourquoi les grands ṛṣis décidèrent justement de rester sur les lieux jusqu'au
dernier instant du séjour du roi en ce monde.

VERSET 22

āśrutya tad ṛṣi-gaṇa-vacaḥ parīkṣit


samaṁ madhu-cyud guru cāvyalīkam 
ābhāṣatainān abhinandya yuktān
śuśrūṣamāṇaś caritāni viṣṇoḥ 

TRADUCTION

Tous les propos des nobles sages étaient fort doux à entendre, chargés de
signification, et présentés en accord avec la vérité pure. Après les avoir
entendus, Mahārāja Parīkṣit louangea les grands sages, désireux qu'il était
d'entendre le récit des Actes de Śrī Kṛṣṇa, le Seigneur Suprême.

VERSET 23

samāgatāḥ sarvata eva sarve


vedā yathā mūrti-dharās tri-pṛṣṭhe 
nehātha nāmutra ca kaścanārtha
ṛte parānugraham ātma-śīlam 

TRADUCTION

"O sages magnanimes, qui de toutes les parties de l'univers, avez eu l'immense
bonté de venir en ce lieu, vous valez tout autant que la personnification même
du savoir suprême, qui habite la planète située au-delà des trois mondes
[Satyaloka]. Aussi êtes-vous naturellement portés vers le bien d'autrui; de fait,
vous ne poursuivez nul autre intérêt, que ce soit dans cette vie ou dans l'autre.

TENEUR ET PORTEE
Six perfections, à savoir beauté, richesse, puissance, renommée, sagesse et
renoncement, appartiennent originellement en propre à la Personne Suprême
et Absolue. Les êtres distincts, fragments et parties intégrantes de l'Etre
Suprême, peuvent également posséder tous ces attributs matériels, mais
seulement de façon partielle, dans une proportion maximale de soixante-dix-
huit pour cent par rapport au Seigneur. Dans l'univers matériel, cependant,
ces attributs de l'être distinct se manifestent à un degré moindre, voilés qu'ils
sont par l'énergie matérielle, à la manière du soleil que vient parfois voiler un
nuage. La puissance ainsi voilée des rayons solaires apparaît très faible par
rapport à leur éclat originel, et de même, les attributs de l'être distinct venu en
ce monde perdent-ils leur couleur originelle pour s'éteindre presque
entièrement.
On divise les planètes en trois systèmes de niveaux différents: les mondes
inférieurs, intermédiaires et supérieurs. La Terre et ses habitants humains se
situe au début des mondes intermédiaires, alors que Brahmā et ses pairs vivent
sur les planètes supérieures, dont la plus élevée est Satyaloka. Les habitants de
cette dernière maîtrisent parfaitement la sagesse védique, de sorte que pour
eux, le nuage mystique de l'énergie matérielle se dissipe; on les désigne pour
cette raison du nom de Vedas personnifiés. Pleinement éveillés au savoir et
matériel et spirituel, ils ne poursuivent aucun intérêt personnel, que ce soit
dans les mondes matériel ou spirituel. On peut pratiquement les qualifier
de bhaktas sans désir, car il n'ont rien à poursuivre dans l'univers matériel, et
ils trouvent en eux-mêmes leur plénitude dans le monde spirituel. Pourquoi
dès lors, viennent-ils ici-bas, se demandera-t-on ? La réponse est qu'ils
descendent sur différentes planètes de cet univers sur l'ordre du Seigneur,
pour y remplir le rôle de messies, et y libérer les âmes déchues. Sur terre, ils
apparaissent en différents lieux et, en diverses circonstances, sous divers
climats, ils font le bien des hommes. Mais hormis leur mission—arracher à
l'influence illusoire de l'énergie matérielle les âmes conditionnées croupissant
dans l'existence matérielle—, ils n'ont rien à faire en ce monde.

VERSET 24

tataś ca vaḥ pṛcchyam imaṁ vipṛcche


viśrabhya viprā iti kṛtyatāyām 
sarvātmanā mriyamāṇaiś ca kṛtyaṁ
śuddhaṁ ca tatrāmṛśatābhiyuktāḥ 

TRADUCTION

"O brāhmaṇas, je vous soumets maintenant, à vous tous qui êtes dignes de foi,
cette question: quel est mon devoir immédiat? Veuillez, après mûres
considérations, me révéler le devoir ultime de chacun en toutes circonstances,
et plus particulièrement juste avant de mourir."
TENEUR ET PORTEE

Dans ce verset, l'empereur adresse deux questions aux sages érudits: la


première concerne le devoir de chaque homme en toutes circonstances, et la
seconde le devoir propre de celui que guette la mort. De ces deux questions, la
seconde revêt une importance particulière, car la mort peut nous surprendre à
tout moment, dans un instant comme dans cent ans. La durée d'existence d'un
être distinct n'est pas soumise aux conditions matérielles, mais le devoir de
l'homme qui va mourir n'en demeure pas moins très important. Mahārāja
Parīkṣit posa également ces deux questions à Śukadeva Gosvāmī lorsqu'il
arriva sur les lieux, et la presque totalité du Śrīmad-Bhāgavatam, du second
jusqu'au douzième Chant, n'a pratiquement été énoncée par l'illustre Gosvami
Sukadevaji que pour répondre à ces deux questions. Et la conclusion ainsi
atteinte est que le service de dévotion offert au Seigneur Śrī Kṛṣṇa, représente,
comme le confirme le Seigneur en personne dans la dernière partie de
la Bhagavad-gītā, le devoir éternel, ultime, de chaque être. Mahārāja Parīkṣit
avait déjà conscience de ce fait, mais il désirait que les nobles sages assemblés
là appuient sa conviction à l'unanimité, en sorte qu'il puisse poursuivre son
devoir sans qu'aucune controverse ne vienne troubler l'assemblée. A cet effet,
il a spécifiquement fait usage du mot śuddha, parfaitement "juste". Car de
nombreuses autres voies sont recommandées par divers philosophes pour
atteindre à la réalisation spirituelle, à la réalisation du soi. Or, certaines de ces
méthodes s'avèrent excellentes, quand d'autres n'ont qu'une valeur secondaire
ou moindre encore. La meilleure voie consiste à abandonner tout processus
d'ordre inférieur pour n'accepter que la méthode parfaite, à savoir l'abandon
aux pieds pareils-au-lotus du Seigneur, et par là s'affranchir de toutes fautes
aussi bien que de leurs suites.

VERSET 25

tatrābhavad bhagavān vyāsa-putro


yadṛcchayā gām aṭamāno ’napekṣaḥ 
alakṣya-liṅgo nija-lābha-tuṣṭo
vṛtaś ca bālair avadhūta-veṣaḥ 

TRADUCTION

A ce moment, le puissant fils de Vyāsadeva, parcourant la terre, désintéressé


et comblé en lui-même, arrive sur les lieux. Il ne montre aucun signe
d'appartenance à un quelconque varṇa ou āśramā, des femmes et des enfants
l'entourent, et sa tenue est celle d'un être négligé de tous.

TENEUR ET PORTEE
Le mot bhagavān est parfois utilisé pour désigner un grand dévot du Seigneur,
et c'est ainsi qu'on le trouve ici appliqué à Śukadeva Gosvāmī. De telles âmes
libérées sont désintéressées des affaires de ce monde, car elles se trouvent
comblées en elles-mêmes par leurs fructueuses pratiques du service de
dévotion. Ainsi que nous l'avons expliqué précédemment, Śukadeva Gosvāmī
n'accepta jamais de maître spirituel dans les formes, non plus qu'il ne se
soumit aux divers rites purificatoires; son illustre père, Vyāsadeva, avait agi
comme son maître spirituel naturel, car il avait entendu de lui le Śrīmad-
Bhāgavatam, après quoi il s'était trouvé parfaitement comblé, si bien qu'il
n'eut à dépendre d'aucune formalité rituelle. Celle-ci s'avère indispensable
pour ceux qui n'ont pas encore atteint la libération parfaite, mais Śrī
Śukadeva Gosvāmī avait déjà atteint ce niveau par la grâce de son père. Jeune
homme, il aurait dû être convenablement vêtu, mais désintéressé qu'il était des
conventions sociales, il allait nu, et se voyait raillé par la populace; curieux,
des femmes et des enfants l'entouraient, comme ils l'auraient fait d'un fou
rejeté de la société. Ainsi donc parut-il sur la scène, alors qu'il voyageait à son
gré par toute la terre. Il semble que devant les questions de Mahārāja Parīkṣit,
les nobles sages ne convenaient pas d'une décision unanime quant aux mesures
à adopter. Encore une fois, il existe, en vue de la réalisation spirituelle, de
nombreuses voies, tracées selon les diverses influences matérielles agissant sur
les êtres. Mais le but ultime de l'existence consiste à atteindre la plus haute
perfection du service de dévotion offert au Seigneur. Tout comme des
médecins peuvent parfois être en désaccord, les sages réunis en cette occasion
partageaient des opinions diverses, et c'est à ce moment que l'illustre et
puissant fils de Vyāsadeva apparut sur la scène.

VERSET 26

taṁ dvyaṣṭa-varṣaṁ su-kumāra-pāda-


karoru-bāhv-aṁsa-kapola-gātram 
cārv-āyatākṣonnasa-tulya-karṇa-
subhrv-ānanaṁ kambu-sujāta-kaṇṭham 

TRADUCTION

Il n'a que seize ans. Ses jambes, ses cuisses, ses mains, ses bras, ses épaules, son
front et les autres parties de son corps sont tous délicats. Ses yeux, grands et
merveilleux; son nez et ses oreilles, très relevés; son visage, fascinant; et son
cou joliment dessiné en forme de conque.

TENEUR ET PORTEE

On décrit normalement un personnage respectable à partir des pieds, et cette


pratique honorable est ici utilisée pour Śukadeva Gosvāmī, qui pourtant n'a
que seize ans. Mais la valeur n'attend pas toujours le nombre des années; on
peut être respectable et tenu pour aîné en raison de son expérience, et ce,
même si l'on n'est pas très âgé. Śrī Śukadeva Gosvāmī, décrit ici comme le fils
de Vyāsadeva, possédait, bien qu'il fut âgé de seize ans à peine, une expérience
et un savoir supérieurs à ceux de tous les sages réunis là.

VERSET 27

nigūḍha-jatruṁ pṛthu-tuṅga-vakṣasam
āvarta-nābhiṁ vali-valgūdaraṁ ca 
dig-ambaraṁ vaktra-vikīrṇa-keśaṁ
pralamba-bāhuṁ svamarottamābham 

TRADUCTION

Sa clavicule, charnue; sa poitrine large et bombée; son nombril profond et


spiralé; son ventre marqué de lignes gracieuses; ses bras, allongés, et sa
chevelure bouclée éparse sur son merveilleux visage. Il va nu, et son corps
reflète la carnation de Śrī Kṛṣṇa.

TENEUR ET PORTEE

Ces traits corporels particuliers sont ceux d'un personnage qui se distingue de
la masse des hommes. Tous les traits corporels de Śukadeva Gosvāmī énoncés
dans ces versets sont bien peu communs, et sont attribués, selon la science
physionomique, à un noble personnage. Sa carnation rappelait celle de Kṛṣṇa,
suprême entre les dieux, devas et autres êtres.

VERSET 28

śyāmaṁ sadāpīvya-vayo-’ṅga-lakṣmyā
strīṇāṁ mano-jñaṁ rucira-smitena 
pratyutthitās te munayaḥ svāsanebhyas
tal-lakṣaṇa-jñā api gūḍha-varcasam 

TRADUCTION

Son teint est couleur d'orage et sa beauté exquise vu la fraîcheur de sa


jeunesse. La fascination qu'exerce son corps et l'attrait de ses sourires le
rendent agréable aux femmes. Mais bien qu'il cherche à cacher ses gloires
naturelles, les grands sages réunis sont tous versés dans l'art de percer les
traits de la physionomie; aussi l'honorent-ils tous en se levant de leur siège
respectif.

VERSET 29
sa viṣṇu-rāto ’tithaya āgatāya
tasmai saparyāṁ śirasājahāra 
tato nivṛttā hy abudhāḥ striyo ’rbhakā
mahāsane sopaviveśa pūjitaḥ 

TRADUCTION

Mahārāja Parīkṣit, aussi connu sous le nom de Viṣṇurāta [qui toujours jouit
de la protection de Viṣṇu], se prosterne alors pour recevoir cet hôte de
marque, le plus grand, Śukadeva Gosvāmī. Aussitôt, les ignorantes femmes et
les enfants cessent de le suivre. Śukadeva Gosvāmī, honoré de tous, monte sur
son siège élevé.

TENEUR ET PORTEE

Dès l'arrivée de Śukadeva Gosvāmī au sein de l'assemblée des sages, tous, à


l'exception de Śrīla Vyāsadeva, de Nārada et de quelques autres, quittèrent
leur siège, et Maharaja Pariksit se montra fort heureux de recevoir un si
grand dévot du Seigneur en se prosternant devant lui de tout son corps. En
retour, Śukadeva Gosvāmī répondit aux voeux et à la réception des personnes
présentes par des étreintes et des serrements de mains, en inclinant la tête et
aussi en se prosternant, particulièrement devant son père et Nārada Muni.
Puis, il se vit offrir le siège du maître d'assemblée. Le voyant ainsi reçu par le
roi et les sages, les enfants des rues et les femmes ignares qui le suivaient
furent frappés de stupeur et remplis de crainte; aussi mirent-ils fin à leurs
manières frivoles, à la suite de quoi l'atmosphère s'emplit de gravité et de paix.

VERSET 30

sa saṁvṛtas tatra mahān mahīyasāṁ


 brahmarṣi -rājarṣi-devarṣi-saṅghaiḥ
vyarocatālaṁ bhagavān yathendur
graharkṣa-tārā-nikaraiḥ parītaḥ 

TRADUCTION

Śukadeva Gosvāmī se trouve alors entouré de saints rois, sages et devas,


comme la lune qu'entourent dans le ciel les étoiles, les planètes et d'autres
corps célestes. Il apparaît splendide, et de fait, reçoit les honneurs de tous.

TENEUR ET PORTEE

Dans la vaste assemblée de saints personnages se trouvait


le brahmarṣi Vyāsadeva, le devarṣi Nārada, Paraśurāma, l'illustre dirigeant
des rois kṣatriyas, etc. Certains d'entre eux étaient même de puissantes
manifestations du Seigneur. Śukadeva Gosvāmī , cependant, n'était ni
un brahmarṣi, ni un rājarṣi, non plus qu'un devarṣi ou un avatāra, comme
Nārada, Vyāsa ou Paraśurāma; et pourtant, il reçut plus d'honneurs qu'aucun
d'entre eux. Cela signifie que le dévot du Seigneur est davantage glorifié dans
le monde que le Seigneur Lui-même. Aussi ne doit-on jamais minimiser
l'importance d'un bhakta comme Śukadeva Gosvāmī.

VERSET 31

praśāntam āsīnam akuṇṭha-medhasaṁ


muniṁ nṛpo bhāgavato ’bhyupetya 
praṇamya mūrdhnāvahitaḥ kṛtāñjalir
natvā girā sūnṛtayānvapṛcchat 

TRADUCTION

Le sage Śrī Śukadeva Gosvāmī est donc assis, parfaitement paisible, et son
intelligence prête à répondre à toute question sans la moindre hésitation.
L'illustre bhakta, Mahārāja Parīkṣit, s'approche de lui et à nouveau présente
ses respects en se prosternant. Puis, les mains jointes, il s'enquiert auprès de
lui avec de douces et bienséantes paroles.

TENEUR ET PORTEE

Le geste de Mahārāja Parīkṣit, par quoi il questionne un maître en matière


spirituelle, s'accorde tout à fait avec l'enseignement des Ecritures selon lequel
on doit humblement approcher un maître spirituel si l'on désire comprendre
la science de la Transcendance. L'empereur était désormais prêt à rencontrer
la mort, et dans l'espace de sept jours à peine, il devait acquérir l'intelligence
du processus qui permet d'entrer dans le royaume de Dieu. Or, c'est
uniquement à de telles fins, d'importance majeure, qu'il convient d'approcher
un maître spirituel; la nécessité ne s'en présente pas avant que l'on éprouve le
besoin de résoudre les problèmes de l'existence. Celui qui ignore la façon
d'interroger un maître spirituel doit tout simplement s'abstenir de
l'approcher. Quant aux qualités du maître spirituel, elles étaient parfaitement
visibles en la personne de Śukadeva Gosvāmī. Ainsi, et le maître spirituel et le
disciple, respectivement Śrī Śukadeva Gosvāmī et Mahārāja Parīkṣit,
atteignirent la perfection à travers le Śrīmad-Bhāgavatam. Śukadeva Gosvāmī
avait entendu le Śrīmad-Bhāgavatam de son père, Vyāsadeva, mais il n'avait
jamais encore eu l'occasion d'en rapporter le récit. Il narra donc le Śrīmad-
Bhāgavatam devant Mahārāja Parīkṣit et répondit à toutes ses questions sur le
récit sans la moindre hésitation, en sorte que maître et disciple obtinrent tous
deux le salut.

VERSET 32
parīkṣid uvāca
aho adya vayaṁ brahman
sat-sevyāḥ kṣatra-bandhavaḥ 
kṛpayātithi-rūpeṇa
bhavadbhis tīrthakāḥ kṛtāḥ 

TRADUCTION

L'heureux empereur Parīkṣit dit:


O brāhmaṇa, de ta grâce seule, tu nous as sanctifié, et rendu aussi pur qu'un
pèlerinage. Ta présence en ces lieux en tant que mon hôte a seule opéré cette
merveille, et par là qualifie le vain représentant de l'ordre royal que je suis
pour servir les dévots du Seigneur.

TENEUR ET PORTEE

D'ordinaire, les saints bhaktas, comme Śukadeva Gosvāmī, n'entretiennent


aucun rapport avec ceux qui cherchent à jouir des plaisirs de ce monde, et
particulièrement les représentants de l'ordre royal. Mahārāja Pratāparudra,
par exemple, était un disciple de Śrī Caitanya, mais lorsqu'il exprima le désir
de rencontrer le Seigneur, Celui-ci refusa de le voir du fait qu'il était roi. Car,
pour le bhakta désireux de retourner à Dieu, en sa demeure originelle, il est
deux interdictions formelles, l'une bannissant tout rapport avec les femmes, et
l'autre avec les hommes avides de plaisirs matériels. Ce qui explique que
les bhaktas du niveau de Śukadeva Gosvāmī ne se montrent jamais intéressés à
rencontrer un roi. Mais le cas de Mahārāja Parīkṣit était bien entendu
différent. Bien qu'empereur, il était aussi un grand bhakta, et c'est ainsi que
Śukadeva Gosvāmī vint le rencontrer aux derniers instants de sa vie.
Mahârâja Pariksit, dans son humilité dévotionnelle, se voyait comme un bien
indigne descendant de ses illustres ancêtres kṣatriyas, mais il était en fait tout
aussi noble que ses prédécesseurs. On désigne du nom de kṣatra-bandhavas les
fils indignes de familles royales, de même qu'on qualifie les fils indignes
de brāhmaṇas de dvija-bandhus, ou brahma-bandhus. Mahārāja Parīkṣit se
sentit donc grandement inspiré par la présence de Śukadeva Gosvāmī; il se
voyait sanctifié au contact du grand saint, dont la présence peut transformer
tout lieu en saint pèlerinage.

VERSET 33

yeṣāṁ saṁsmaraṇāt puṁsāṁ


sadyaḥ śuddhyanti vai gṛhāḥ 
kiṁ punar darśana-sparśa-
pāda-śaucāsanādibhiḥ 

TRADUCTION
Le seul souvenir de ta personne sanctifie aussitôt nos foyers. Et combien plus
encore de te voir, de te toucher, de baigner tes pieds pareils-au-lotus, de
t'offrir un siège en notre demeure, ou quelque autre service personnel !

TENEUR ET PORTEE

L'importance des saints lieux de pèlerinage est due à la présence des saints et
grands sages qui s'y trouvent. On dit que les pécheurs laissent leurs fautes
dans les saints pèlerinages qu'ils visitent; mais la présence de saints en ces
lieux purifie l'amas de fautes ainsi accumulées, en sorte que par la grâce de ces
saints et bhaktas, les lieux de pèlerinage conservent leur caractère sanctifié. Et
de même, si ces saints pénètrent dans la demeure de matérialistes, les fautes
accumulées par ces êtres avides des plaisirs de ce monde s'en trouveront certes
neutralisées grâce à leur présence sanctifiante. En conclusion, les
saints bhaktas ne poursuivent aucun intérêt personnel lorsqu'ils visitent les
chefs de famille; leur seul but est de sanctifier leur demeure. Ceux-ci doivent
donc se montrer reconnaissants envers de tels sages lorsqu'ils se présentent à
leur porte. Le chef de famille qui manque d'égard envers ces divins guides de
la société se rend coupable d'une grave offense. C'est d'ailleurs pourquoi les
Ecritures enjoignent au maître de maison qui ne se prosternerait pas aussitôt
devant un tel saint de jeûner tout au long du jour de manière à neutraliser
cette offense majeure.

VERSET 34

sānnidhyāt te mahā-yogin
pātakāni mahānty api 
sadyo naśyanti vai puṁsāṁ
viṣṇor iva suretarāḥ 

TRADUCTION

Tout comme l'athée ne peut demeurer en présence du Seigneur Suprême. de


même les fautes irréductibles d'un homme se trouvent balayées aussitôt
qu'apparaît ta sainteté, ô majestueux yogi.

TENEUR ET PORTEE

On compte deux classes d'hommes: les athées et les dévots du Seigneur. Ces
derniers, en raison de leurs attributs divins, sont qualifiés de devas, ou asuras,
quand les athées prennent le nom d'asuras. Ceux-ci ne peuvent rester en
présence de Viṣṇu, le Seigneur Suprême; ils s'évertuent constamment à
détruire le Seigneur, mais le fait est qu'aussitôt qu'Il apparaît, les mécréants se
trouvent vaincus sans plus que ce soit par Son Nom, Sa Forme, Ses Attributs,
Ses Divertissements ou Son Entourage infiniment varié, tous spirituels et
absolus. Il est un dicton populaire selon lequel les spectres fuient à l'écoute du
Saint Nom du Seigneur. De même, le spectre de nos actes coupables se dissipe
aussitôt qu'apparaissent saints et bhaktas. Telle est la version de tous les Ecrits
védiques. Il est donc recommandé de ne rechercher la compagnie que de
saints bhaktas, de telle sorte que les spectres et asuras matérialistes ne puissent
exercer sur nous leur influence sinistre.

VERSET 35

api me bhagavān prītaḥ


kṛṣṇaḥ pāṇḍu-suta-priyaḥ 
paitṛ-ṣvaseya-prīty-arthaṁ
tad-gotrasyātta-bāndhavaḥ 

TRADUCTION

Śrī Kṛṣṇa, le Seigneur Suprême, si cher aux fils du roi Pāṇḍu, ses illustres
cousins, m'a également accepté comme un de Ses proches, à seule fin de leur
être agréable.

TENEUR ET PORTEE

Un pur dévot du Seigneur, Lui portant une adoration exclusive, sert ses
intérêts familiaux plus habilement qu'un autre, grandement attaché aux
préoccupations illusoires engendrées par la famille. La généralité des hommes
se trouve dans cette seconde catégorie, et l'élan économique de la société
humaine se trouve tout entier stimulé par l'influence de l'affection pour la
famille. Ces êtres égarés ignorent totalement qu'on peut mieux servir sa
famille en devenant dévot du Seigneur. Celui-ci accorde en effet une protection
particulière aux descendants et aux membres de la famille d'un bhakta,
fussent-ils eux-mêmes abhaktas. Mahārāja Prahlāda, par exemple, était un
grand dévot du Seigneur, et son père, Hiraṇyakaśipu, un grand athée, ennemi
déclaré du Seigneur. Mais en dépit de sa nature, Hiraṇyakaśipu se vit
accorder le salut, du simple fait qu'il était le père de Mahārāja Prahlāda. Telle
est la bonté du Seigneur qu'Il accorde toute protection aux membres de la
famille de Ses dévots, si bien que le bhakta n'a pas à se soucier de ses intérêts
familiaux, même s'il doit parfois délaisser certains de ses proches pour pouvoir
s'engager dans le service de dévotion. Mahārāja Yudhiṣṭhira et ses frères
étaient les fils de Kuntī, la tante paternelle de Śrī Kṛṣṇa, et Mahārāja Parīkṣit
reconnaît que si Kṛṣṇa l'a pris sous Sa tutelle, c'est en raison du fait qu'il était
l'unique petit-fils des nobles Pāṇḍavas.

VERSET 36
anyathā te ’vyakta-gater
darśanaṁ naḥ kathaṁ nṛṇām 
nitarāṁ mriyamāṇānāṁ
saṁsiddhasya vanīyasaḥ 

TRADUCTION

Sinon à moins d'avoir été inspiré par Śrī Kṛṣṇa, comment aurais-tu choisi de
te manifester en ce lieu, toi dont les errements restent inconnus des hommes
du commun, et à plus forte raison de notre personne, au seuil de la mort ?

TENEUR ET PORTEE

Le sage magnanime qu'était Śukadeva Gosvāmī fut sans aucun doute inspiré
par Śrī Kṛṣṇa à se manifester aux yeux de Mahārāja Parīkṣit, cet autre grand
dévot du Seigneur, à seule fin de l'instruire dans les enseignements du Śrīmad-
Bhāgavatam. L'on ne peut en effet atteindre le coeur du service de dévotion
que par la grâce du maître spirituel et du Seigneur Suprême. Le maître
spirituel est le représentant visible du Seigneur, et il doit nous permettre
d'atteindre à la perfection ultime. Et nul, s'il n'est autorisé par le Seigneur, ne
peut devenir maître spirituel. Or, Śrīla Śukadeva Gosvāmī est un maître
spirituel authentique, et c'est à ce titre qu'il fut inspiré par le Seigneur afin
qu'il apparaisse devant Mahārāja Parīkṣit en vue de lui transmettre le
message du Śrīmad-Bhāgavatam. Celui à qui le Seigneur montre Sa faveur en
envoyant auprès de lui son représentant authentique obtient par là la
possibilité d'atteindre le but ultime, soit de retourner à Dieu, en sa demeure
originelle. Sitôt qu'un bhakta rencontre un représentant véritable du Seigneur,
il peut être assuré de retourner à Dieu au moment de quitter son corps
présent. La sincérité du bhakta joue toutefois un rôle d'importance. Le
Seigneur Se trouve dans le coeur de chaque être, et connaît ainsi parfaitement
les élans de chacun; et dès qu'Il perçoit dans une âme un ardent désir de
retourner vers Lui, Il dépêche sur-le-champ Son représentant qualifié auprès
d'elle. C'est grâce à une telle sincérité que le bhakta obtient du Seigneur la
certitude qu'il pourra retourner à Lui. En conclusion, celui qui obtient aide et
assistance d'un maître spritiuel authentique bénéficie de l'assistance directe du
Seigneur Lui-même.

VERSET 37

ataḥ pṛcchāmi saṁsiddhiṁ


yogināṁ paramaṁ gurum 
puruṣasyeha yat kāryaṁ
mriyamāṇasya sarvathā 

TRADUCTION
Tu es le maître spirituel de grands saints et bhaktas. Je te prie de m'indiquer,
pour tous les hommes, et surtout pour celui qui va mourir, le sentier de la
perfection.

TENEUR ET PORTEE

A moins que l'on soit profondément désireux de s'enquérir des voies de la


perfection, il n'est nullement nécessaire d'approcher un maître spirituel. Le
maître spirituel n'est pas une décoration pour chef de famille. Il est en effet
courant chez les matérialistes à la page d'engager un soi-disant maître spiri-
tuel, dont ils ne tirent d'ailleurs aucun profit. Le prétendu guru flatte le
prétendu disciple, et tous deux se dirigent ainsi sans l'ombre d'un doute vers
les enfers. Mahārāja Parīkṣit, lui, est un disciple modèle, car ses questions
touchent à l'intérêt vital de tous les hommes, et plus particulièrement de ceux
que guette la mort; elles sont en outre au fondement même de la thèse
complète du Śrīmad-Bhāgavatam et nous verrons avec quelle intelligence son
illustre maître y répondra, une à une.

VERSET 38

yac chrotavyam atho japyaṁ


yat kartavyaṁ nṛbhiḥ prabho 
smartavyaṁ bhajanīyaṁ vā
brūhi yad vā viparyayam 

TRADUCTION

Veuille également me faire savoir ce qui, pour l'homme, doit constituer l'objet
de son écoute, de son chant, de son souvenir et de son adoration, ainsi que les
pratiques qu'il doit éviter. Daigne m'expliquer tout ceci.

VERSET 39

nūnaṁ bhagavato brahman


gṛheṣu gṛha-medhinām 
na lakṣyate hy avasthānam
api go-dohanaṁ kvacit 

TRADUCTION

Car, ô puissant brāhmaṇa, tu ne passes que bien peu de temps avec les chefs de
famille; c'est même à peine si tu demeures parmi eux le temps de traire une
vache.

TENEUR ET PORTEE
Les sages et les saints établis dans l'ordre du renoncement se rendent parfois à
la demeure d'un gṛhastha tôt le matin, à l'heure de la traite, pour demander
un peu de lait dont ils puissent se nourrir. Un demi-litre de lait fraîchement
recueilli du pis de la vache contient toutes les valeurs nutritives requises pour
l'homme. Ainsi, saints et sages des temps passés ne se nourrissaient-ils que de
lait. Même les plus pauvres parmi les chefs de famille avaient la garde d'une
dizaine de vaches au moins, qui chacune donnait de quinze à vingt litres de
lait, si bien que nul n'hésitait à se départir de quelques litres pour les sages
errants. Il va en fait du devoir d'un chef de famille de maintenir les saints et
les sages comme ses propres enfants.
Une âme magnanime comme Śukadeva Gosvāmī ne restait donc guère plus de
cinq minutes, le matin, dans un foyer. Ce qui revient à dire que d'aussi grands
saints ne sont que rarement vus chez les gṛhasthas; c'est pourquoi Mahārāja
Parīkṣit pria Śukadeva Gosvāmī de répondre à ses questions aussi rapidement
que possible. Et de même, tout maître de maison devrait être assez intelligent
pour obtenir quelques informations sur la spiritualité des sages bhaktas qui
pourraient le visiter. Jamais il ne devrait se montrer sot au point de demander
à un tel sage ce qui est disponible sur la place publique. Voilà donc les
échanges que doivent avoir les saints et les hommes de famille.

VERSET 40

sūta uvāca
evam ābhāṣitaḥ pṛṣṭaḥ
sa rājñā ślakṣṇayā girā 
pratyabhāṣata dharma-jño
bhagavān bādarāyaṇiḥ 

TRADUCTION

Śrī Sūta Gosvāmī dit:


Ainsi l'empereur a-t-il parlé, et interrogé le sage dans un langage des plus
suaves. Le magnanime et puissant fils de Vyāsadeva, versé dans les principes
de la spiritualité, entreprend alors de lui répondre.

Ainsi s'achèvent les enseignements de Bhaktivedanta sur le dix-neuvième


chapitre du premier Chant du Śrīmad-Bhāgavatam, intitulé: "L'apparition de
Śukadeva Gosvāmī ".

FIN DU PREMIER CHANT

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