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Représentation politique (article en ligne : www.dicopo.

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La polysémie du concept de représentation

L’une des difficultés que l’on rencontre lorsque l’on s’essaie à déterminer l’essence de
la représentation est la polysémie du terme même. Un ouvrage de référence, celui de Hanna
Pitkin (Pitkin, 1967), s’attache à dénombrer ses acceptions qui lui paraissent le plus souvent
incompatibles entre elles. Hanna Pitkin, implicitement, prend pour critère le sens commun ou
les attentes communes à l’égard de la représentation, politique ou non. Elle distingue les
compréhensions « formelles » de la représentation, parmi lesquelles la théorie de
l’autorisation, évidemment illustrée par Hobbes, mais aussi par la théorie allemande de
l’organe d’Etat – qui fut reprise, pour son explication de la tradition représentative mise en
œuvre en France en 1791, par Carré de Malberg (Carré de Malberg, 1921)-, ou encore la
« théorie de la démocratie représentative », qui prend pour critère de la représentation
l’élection. Il faut y ajouter ce que l’on pourrait traduire par la « théorie de la reddition de
comptes » (accountability), selon laquelle la représentation est caractérisée par la
responsabilité de celui qui est censé agir pour le compte d’un autre. A ces approches
formelles, Hanna Pitkin juxtapose deux conceptions de la représentation, la descriptive, dont
le trait caractéristique est la ressemblance du représentant et du représenté et non l’autorité
que le premier a sur le second ni l’obligation de lui rendre des comptes, et la « symbolique »,
où Hanna Pitkin entend à la fois un rapport irrationnel entre représenté et représentant, et la
faculté du représentant de figurer l’unité de la communauté en vertu de son emprise sur les
gouvernés. Hanna Pitkin cherche par ailleurs à caractériser l’action du représentant, qui
consiste autant à parler pour autrui qu’à agir à sa place ou rechercher son intérêt, et rappelle la
controverse des débuts du gouvernement représentatif, entre mandat impératif et
indépendance du représentant ; l’un et l’autre sont des pôles entre lesquels se tient la
représentation politique, avec aucun desquels elle ne peut s’identifier complètement : tout à
fait indépendant, le représentant devient un oligarque, astreint à un mandat impératif strict, il
est un simple instrument aux mains des représentés.
La conclusion à laquelle parvient Hanna Pitkin, selon laquelle le concept de
représentation est irréductiblement polysémique et ses usages sans rapport les uns avec les
autres, est peut-être être due à son projet même, qui consiste à tenter de caractériser son
essence à partir du sens commun ou de la variété des usages du terme. Plutôt donc que de

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tenter de déterminer ce concept à partir de ses usages empiriques, on veut ici tenter la
démarche inverse. Il s’agit dès lors de comprendre les pratiques de la représentation à la
lumière du dispositif mis en œuvre à la fondation du gouvernement représentatif, qui se
caractérise par quelques uns des traits essentiels du concept de la représentation politique
élaboré par Hobbes à l’Age classique, autant que par les éléments propres à la pensée libérale
des fondateurs. Ce dispositif nous paraît déterminer la structure du gouvernement
représentatif, et ce sont ses failles qui, nous semble-t-il, permettent de comprendre les
transformations de sa pratique. De sorte que, largement tributaire de ce que Hanna Pitkin
nomme la « théorie de l’autorisation », il n’est pas pour autant exclusif des autres acceptions
du terme qu’elle distingue, celles de la reddition de comptes, de la représentation descriptive
et de la figuration symbolique, notamment. Si l’aspect symbolique de la représentation n’est
pas incompatible avec la notion d’ordre juridico-procédural de l’autorisation, les autres
approches de la représentation sont justement requises par les critiques adressées à l’exercice
de la représentation politique en exercice, qui s’en prennent au fond à l’abstraction du
dispositif philosophico-juridique mis en place aux origines. C’est ce dispositif qu’il s’agit de
qualifier par ses traits essentiels.

Le concept philosophico-juridique de la représentation politique

La représentation politique a partie liée avec le libéralisme politique ; les grands


théoriciens du gouvernement représentatif, de Siéyès à Constant en passant par Madison, le
conçoivent comme le seul régime adéquat à la nécessaire séparation des sphères sociale et
politique, privée et publique, en tant qu’elle permet aux individus de poursuivre leurs fins
privées (Siéyès, 1985, Clavreul, 1987, Constant, 1997) en même temps qu’elle constitue une
médiation indispensable aux passions et aux intérêts particuliers (Madison, 1957). La
représentation a donc d’abord une justification fonctionnelle : elle laisse le loisir aux individus
de vaquer à leurs affaires. Cette première justification est cependant indissociable d’un autre
objectif, qui ressortit à la problématique contractualiste: si le bonheur est désormais affaire
personnelle, au lieu que le bien-vivre des Anciens ne se pensait que dans le cadre de la cité, il
en résulte, d’une part, que le pouvoir a pour tâche d’organiser la coexistence des fins privées,
d’autre part que l’unité du corps politique n’est plus donnée, puisque les fins ne sont plus
naturellement pensées sur le mode de la communauté. Elle doit donc être construite. Ainsi se
comprend le caractère constructiviste de la théorie de la représentation politique, hérité du
contractualisme, chez les fondateurs du gouvernement représentatif, notamment français.

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Ainsi, l’élément le plus frappant de la doctrine juridique de la représentation que Siéyès, en
France, a en partie inspirée, et que l’on retrouve dans beaucoup de traditions juridiques, est le
caractère non préexistant de l’objet de la représentation. La volonté nationale ne précède pas
son expression par les représentants : le refus du mandat impératif qui s’impose quasi
universellement témoigne de ce que le gouvernement représentatif a vocation à représenter
une volonté une, qui risquerait d’être contredite par la dépendance de l’élu vis-à-vis du
collège particulier de ses électeurs. L’indépendance du représentant va de pair avec cette
conception de la représentation politique selon laquelle son objet ne lui préexiste pas ; la
pensée de Siéyès, en France, celle de Burke en Grande-Bretagne, celle aussi des Fédéralistes
américains ne laissent pas de doute à ce sujet. La question de l’indépendance du député, à
laquelle Hanna Pitkin consacre un chapitre de son ouvrage, est indissociable de la fonction
d’invention de l’unité sous l’espèce d’une volonté une, assignée au gouvernement
représentatif. Les fondateurs du gouvernement représentatif ont ce faisant transposé la
fonction d’expression de l’unité, du roi auquel elle appartenait sous l’Ancien Régime, aux
députés élus, mais il n’était pas question que la représentation nationale prétendît exprimer
une quelconque unité précédente comme cela avait pu être le cas dans certaines théories
politiques anciennes où le roi incarnait son royaume ; l’unité en question devait être inventée
sans aucun rapport avec les volontés particulières des individus.
Sur la base de ce premier constat, il devient évident que la philosophie a, elle aussi,
quelque chose à dire de la représentation politique. Avec l'émergence de la figure de l'ego
cogito s'est en effet trouvé bouleversé le rapport de l'homme au monde, qui a cessé d'être
donné pour devoir désormais être construit en tant qu'il est mis en perspective par le sujet
pensant. S’il est donc un rapport entre la représentation comme rapport au monde et la
représentation politique, c’est bien que l’une et l’autre constituent l’objet qu’elles représentent.
De fait, l’une des philosophies où s’accomplit la rupture avec l’aristotélisme, celle de Hobbes,
fournit en même temps l’une des premières conceptualisations de la représentation politique
selon laquelle le corps politique ne préexiste pas à sa représentation sous l’espèce d’une
volonté une (Hobbes, 1971). L’unité des sujets du pouvoir y est donc une donnée extérieure à
leur existence propre. Cette nouvelle conception de l’unité du corps politique, selon laquelle
elle est reçue par les individus d’un Représentant-Léviathan, nous paraît résulter d’une longue
histoire, qui n’est autre que celle du passage de l’ordre politique ancien à l’ordre politique
moderne et dont le moment crucial est la fin de l’ancrage en nature de la communauté
politique : le lien social était en effet pensé, dans la tradition aristotélicienne remaniée par le
christianisme, et principalement le thomisme, comme une donnée naturelle, en raison de fins

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communes qui unissaient les individus. Partant, le pouvoir ne faisait que les accomplir, et se
fondait sur une communauté antécédente. La perte de cette fondation en nature de la
communauté politique, sous l’effet notamment du nominalisme, et singulièrement, des pensées
de Duns Scot et Guillaume d’Occam, auxquelles on peut faire remonter la genèse de la
représentation (Mineur, 2004), a entraîné la ruine de l’évidence du lien social : les individus
ne sont désormais plus pensés sous la détermination d’une nature commune, et l’unité de
destination et de volonté autant que l’allégeance à un pouvoir commun deviennent l’objet
d’une représentation. En effet, l’unité de la communauté est réduite à une représentation
subjective, pur devoir-être, dès lors qu’elle n’est plus inscrite dans l’être même de l’homme,
vouée à se réaliser en chacun selon sa destination propre. Le social est désormais pensé comme
le lieu de confrontation d’individus animés par des fins, des valeurs et des intérêts différents,
que ne sous-tend plus la cohésion profonde d’une destination commune à tous, dictant à
chacun sa place dans l’ordre social et déterminant l’unité des volontés. En quelque sorte,
l’unité ne fonde plus le pouvoir, elle est fondée par lui ; mais il faut encore à cette
représentation de l’unité politique qui se substitue à son advenir dans l’être des individus, la
légitimité du consentement : le pouvoir ne se fonde plus sur aucune communauté précédente,
et la communauté, loin d’être immédiate, requiert désormais d’individus animés par des fins
divergentes la reconnaissance d’un pouvoir commun. La pensée de Hobbes, sur cette base,
réhabilite la communauté en la fondant désormais sur le consentement formel, ou
autorisation : les gouvernés sont appelés à reconnaître pour leurs les fins que leur propose le
législateur, et donc, la représentation qu’il produit pour une image d’eux-mêmes, parce qu’ils
lui ont consenti une autorisation à vouloir pour eux. La représentation y gagne son sens
proprement politique, la figuration de la communauté s’autorise de la délégation consentie par
les individus.
Certes, la représentation politique a partie liée avec le libéralisme politique ; les grands
théoriciens du gouvernement représentatif, de Siéyès à Constant en passant par Madison, le
conçoivent comme le seul régime adéquat à la nécessaire séparation des sphères sociale et
politique, privée et publique, en tant qu’elle permet aux individus de poursuivre leurs fins
privées (Siéyès, 1985 ; Clavreul, 1987 ; Constant, 1997), en même temps qu’elle constitue une
médiation indispensable aux passions et aux intérêts particuliers (Madison, 1957). La
représentation a donc d’abord, chez ces libéraux, une justification fonctionnelle : elle laisse le
loisir aux individus de vaquer à leurs affaires. Cette première justification est cependant
indissociable de l’objectif de constitution de l’unité, qui ressortit à la problématique
contractualiste : si le bonheur est désormais affaire personnelle, tandis que le bien-vivre des

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Anciens ne se pensait que dans le cadre de la cité, il en résulte, d’une part, que le pouvoir a
pour tâche d’organiser la coexistence des fins privées, d’autre part que l’unité du corps
politique n’est plus donnée, puisque les fins ne sont plus naturellement pensées sur le mode de
la communauté. Elle doit donc être construite. Ainsi se comprend le caractère constructiviste
de la théorie de la représentation politique, hérité du contractualisme, chez les fondateurs du
gouvernement représentatif, notamment français.

L’abstraction de la volonté étatique

Les origines libérales de la démocratie représentative sont donc caractérisées par un


dispositif particulier qui résulte d’un héritage de la philosophie, cristallisé dans le droit : il
s’agit de la disjonction de l’unité du peuple et de sa réalité empirique. Les analyses de Lucien
Jaume sont ici éclairantes, qui soulignent que le peuple, chez Hobbes, en tant que totalité
unifiée représentée par le Représentant-souverain, est un être artificiel et non une réalité
naturelle précédant la relation de représentation (Jaume, 1986). Lucien Jaume, esquissant une
comparaison entre le modèle hobbésien et la démocratie représentative contemporaine,
constate la proximité de la conception siéyésienne de la nation et de la Persona Multitudinis
de Hobbes. Certes, il souligne aussi le fait que Siéyès ne qualifie pas explicitement la nation
d’artefact engendré par la représentation, et que sa pensée sur ce point est ambiguë, puisque la
nation, tout en ne recevant sa volonté que de l’assemblée représentative, est néanmoins
présupposée. En fait, la nation semble être chez Siéyès présupposée à titre de principe (Siéyès,
1985): elle existe en soi, mais elle ne peut s’exprimer et vouloir qu’au travers de sa
représentation. La présupposition de la nation n’entraîne donc aucunement l’antériorité de la
volonté nationale, mais elle évite l’identification totale de la nation à sa représentation ou aux
individus actuellement existants que réunit la volonté une formée par la représentation. Ainsi,
la nation est en quelque sorte en puissance de la représentation qui manifeste sa volonté. En
tant que telle, elle est effectivement présupposée, et ne se réduit ni à sa représentation, ni aux
individus existants ; mais elle se confond actuellement avec le vouloir un dont elle est ainsi
dotée, et avec les individus existants dans la mesure où la volonté nationale formée par la
représentation leur est assignée. En ce sens, elle est bien une création de la représentation
politique. La première Constitution française reprit cet élément central de la conception
siéyésienne de la représentation, qui veut que l’unité de volonté ne préexiste pas à son
expression par l’assemblée représentative ; l’interprétation de la doctrine, et tout

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particulièrement celle de Carré de Malberg, confirme l’influence de Siéyès sur les premiers
constituants et, au-delà d’eux, sur toute la tradition constitutionnelle française.
Ainsi, selon la philosophie hobbesienne comme selon la doctrine juridique française,
ce n’est qu’au travers de sa représentation que le peuple est souverain, parce que ce n’est
qu’en tant qu’il est représenté qu’il accède au statut de peuple et quitte celui de multitude ; en
un mot, le peuple n’est peuple (souverain) qu’en tant qu’il a une volonté une, et il n’accède à
l’unité de sa volonté qu’au travers de la médiation de la représentation politique, à laquelle
sont déléguées les volontés diverses exprimées par la multitude. La représentation politique,
entre délégation et invention, est ainsi le lieu d’une transmutation du multiple à l’un ; cette
conception de la représentation forgée par Hobbes et les fondateurs du gouvernement
représentatif se maintient dans la philosophie du droit jusqu’à Carl Schmitt (Schmitt, 1993,
342), en passant par Kant (Kant, 1971, 195 ; 1991, 86). Sa logique repose sur le postulat selon
lequel les individus qui délèguent leurs volontés singulières et hétérogènes à leurs
représentants acquiescent a priori à la formulation de leur volonté une, publique, par la
représentation nationale ; en d’autres termes, elle repose sur la fiction juridique de l’identité
entre la volonté portée par la représentation politique et les volontés singulières des
représentés. Ce rapprochement conceptuel entre l’artificialisme contractualiste et la doctrine
juridique de la représentation politique permet d’ailleurs de rendre raison de l’emploi du
terme « représentation » par les fondateurs du gouvernement représentatif, en particulier
français, dont la doctrine juridique a parfois contesté la pertinence dès lors qu’il n’y a pas de
volonté précédente à re-présenter: la représentation dont il s’agit est une mise en perspective
des individus auprès d’eux-mêmes, sous l’espèce d’une collectivité - on se souvient d’ailleurs
que chez Hobbes, les représentés sont à la fois auteurs et spectateurs de la pièce que joue
devant eux le Représentant.
Telle qu’elle a été conçue à la fin de l’Age classique, la représentation politique
conjoint donc les deux significations de la délégation et la figuration. Il nous semble ainsi
qu’il n’y a pas lieu d’opposer, comme le fait Hanna Pitkin, la représentation « symbolique » à
la représentation fondée sur l’autorisation ; en effet, comme l’élection dans la pensée des
premiers constituants, l’autorisation servait à la fondation d’une identité juridique entre les
volontés des représentés et celles des représentants, de façon à permettre l’assignation du
vouloir un formulé par ces derniers aux gouvernés ; en ce sens, si l’élection est une délégation
de pouvoir, elle légitime la figuration d’une communauté par le représentant. La
représentation politique fondée sur l’élection-autorisation comporte donc indissociablement
une dimension figurative que l’on peut qualifier de symbolique.

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A partir du constat fondamental de la convergence du contractualisme hobbesien et de
la doctrine juridique, l’idée s’impose que l’objectif assigné à la représentation politique, la
représentation d’un vouloir un, et le moyen juridique forgé par les concepteurs du
gouvernement représentatif pour l’atteindre, l’indépendance du représentant, font de la
représentation politique le lieu de la production d’une idéalité, sans rapport avec le peuple
empirique. Selon la théorie juridique, la représentation nationale est le lieu et le moment où la
collectivité est dotée d’un vouloir un, venant ainsi à exister en tant que telle. Le vouloir un par
lequel juridiquement elle existe est donc, juridiquement aussi, celui des membres de la
collectivité, et c’est par le postulat ou la fiction – fondée sur l’élection dans la pensée des
Constituants, comme elle l’était sur l’autorisation dans la philosophie de Hobbes - de cette
identité entre les volontés des représentés et la volonté portée par les représentants que la
collectivité existe. Selon cette doctrine donc, il n’y a pas dualité de volontés, il n’y a qu’une
volonté nationale, formulée par la représentation, qui est, en droit, celle des représentés. En
cela, la représentation politique procède bien de l’artificialisme contractualiste, puisque l’unité
de volonté et la communauté politique se constituent par l’identification juridique des
individus à un représentant.

Le dispositif philosophico-juridique de la représentation politique et les principes du


gouvernement représentatif : le rôle de l’élection

Ce concept que la doctrine juridique a hérité de la philosophie à la fin de l’Age


classique, et qui constitue le cœur du dispositif de la représentation politique, a cependant été
mis en œuvre par des hommes des Lumières, à l’aide de principes qui en préservaient
l’essentiel, mais qui lui ont donné la physionomie que nous lui connaissons encore, en dépit
des transformations du gouvernement représentatif. Ces principes sont ceux qu’explicite
Bernard Manin (Manin, 1996). Ainsi, des quatre éléments qu’il discerne – élection des
gouvernants, indépendance des gouvernants, liberté de l’opinion publique, épreuve de la
discussion -, ceux de l’élection et de l’indépendance nous paraissent découler directement du
concept contractualiste de la représentation forgé par Hobbes : l’indépendance est une
condition de possibilité essentielle de la formation d’un vouloir un qui puisse être considéré
comme la volonté de la nation ; l’élection est un pouvoir de vouloir pour eux cédé par les
mandants aux mandataires, elle fonde juridiquement l’identité de volonté entre représentés et
représentants. Certes, si l’élection remplit ce rôle essentiel, il ne s’ensuit pas pour autant
qu’elle doive être réitérée : c’est là l’argument qu’oppose Hanna Pitkin aux théoriciens de la

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démocratie représentative qui la caractérisent par l’élection ; rien dans le concept de
représentation ne rend raison du caractère réitéré de l’élection et, de fait, le concept hobbesien
s’en passait. On peut cependant rétorquer que rien non plus, dans ce concept, n’empêche
qu’elle le soit ; si les fondateurs du gouvernement représentatif ont partout opté pour une
élection réitérée des représentants, c’est qu’ils considéraient que la reconnaissance des
représentés dans les volontés des représentants ne pouvait se satisfaire d’une identité juridique
acquise une fois pour toutes par une autorisation de principe, comme il en va dans la pensée
de Hobbes. C’est là le signe que les premiers constituants, même s’ils ont pensé une identité
essentiellement juridique entre représentants et représentés, ont aussi voulu que la réitération
de l’élection qui la fonde rapproche cette identité juridique d’une identité réelle : ils ont
entendu donner l’occasion aux gouvernés de juger des actions de leurs représentants, ce qui ne
pouvait qu’amener ceux-ci à tâcher de satisfaire à leurs attentes, quand bien même ils
n’étaient soumis à aucune obligation initiale. L’élection était conçue, sinon comme une
transmission de volonté, en tout cas comme la cession d’un pouvoir de vouloir – Carré de
Malberg, qui s’inspire de la théorie allemande de l’Organschaft, et conçoit l’élection, dans le
dispositif représentatif mis en place en France en 1791, comme une simple désignation de
l’organe chargé de doter la nation d’une volonté, le reconnaît (Carré de Malberg, 1921) -, et sa
réitération permettait de renouveler cette autorisation, de façon que la volonté nationale,
même élaborée en toute indépendance, pût toujours être rapportée aux membres actuels de la
collectivité ainsi dotée d’un vouloir un. De surcroît, soumis à l’épreuve de la réélection, les
représentants devaient rendre compte de leurs actes auprès des représentés, de telle sorte que
l’élaboration du vouloir un que les représentants inventaient en toute indépendance était
amenée à prendre davantage en compte les volontés particulières de leurs commettants que ne
le voulait la pensée hobbésienne. L’élection et sa réitération paraissent donc avoir été conçues
par les fondateurs du gouvernement représentatif comme le moyen de maintenir l’identité
juridique, voire d’aider à l’identification réelle des représentés aux représentants. On voit
ainsi que le concept originel de la représentation politique, même s’il répond largement à celui
de l’autorisation, n’en appelle pas moins aussitôt les éléments de la réitération de l’élection et
de la reddition de comptes, parce que l’autorisation n’est pas seulement, comme semble la
concevoir Hanna Pitkin, ce qui donne au représentant autorité sur les représentés, elle est bien
plus fondamentalement ce qui fonde l’identité de principe des volontés des représentés et de
la volonté du Représentant, et ce qui les constitue en collectivité. Le but premier de
l’autorisation est la réalisation de l’identité des représentés qui sont multiples et du
représentant qui est sinon un, du moins chargé de produire une volonté une, et d’opérer ainsi

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la transmutation de la multitude en peuple ; ce n’est en effet que parce que les individus
s’identifient à leur représentation, que tous sont considérés avoir une même volonté et
constituent ainsi une collectivité. C’est cet objectif de production d’unité qui rend raison de
l’adjonction, par les fondateurs du gouvernement représentatif, de la réitération de l’élection
et de la reddition de comptes à l’élément de l’autorisation, central dans le concept hobbesien.

Le dispositif philosophico-juridique de la représentation politique et les principes du


gouvernement représentatif : la liberté de l’opinion

Les deux autres éléments distingués par Bernard Manin, la liberté de l’opinion et
l’épreuve de la discussion, nous paraissent procéder de la philosophie libérale des fondateurs
du gouvernement représentatif : la discussion témoigne de la confiance dans la raison qui doit
permettre de parvenir à la meilleure décision possible, même si, comme le fait observer
Bernard Manin, « les inventeurs du gouvernement représentatif ne confondaient pas un
parlement avec une société savante » (Manin, 1996, 242), de sorte que cette discussion est
nécessairement limitée dans le temps, et que sa fonction est principalement d’apporter à la
décision de la majorité la caution de l’échange argumentatif qui a précédé le décompte des
voix. Quant à la liberté de l’opinion publique, elle est sans doute l’apport fondamental de la
pensée libérale des fondateurs du gouvernement représentatif au concept philosophique de la
représentation politique, puisqu’elle signifie qu’ils admettaient la manifestation de l’écart
entre les volontés des représentants et celles des représentés ; elle est donc le lieu même où se
développe la « crise de la représentation », en tant qu’elle permet à la critique de dénoncer son
manque de rapport avec la « réalité » du peuple. C’est en effet parce que le gouvernement
représentatif a été mis en œuvre par des libéraux que la différence entre la « réalité » du
peuple et sa représentation se traduit par une « crise de la représentation » : chez Hobbes déjà,
l’unité de volonté incarnée par le Représentant était un postulat juridique fondé sur
l’autorisation initiale consentie par les individus à l’homme qu’ils avaient choisi pour être leur
Représentant, et rien ne garantissait l’identification réelle de ces individus à sa volonté, même
si Hobbes affirmait qu’il dépendait du Souverain de faire de bonnes lois pour maintenir la
cohésion du corps politique. Si rien n’assurait de la réalité de l’identité entre gouvernant et
gouvernés, ni par conséquent de l’unité des volontés, l’identité juridique en revanche ne
pouvait être dénoncée, la parole du Représentant ne pouvait être publiquement démentie. Les
fondateurs libéraux du gouvernement représentatif ont reculé le seuil de tolérance de la
contestation, de son expression publique à son expression violente. De sorte que, si pour

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Hobbes la simple contestation du pouvoir était interdite parce qu’elle suffisait à ruiner
l’identité juridique entre les volontés des individus et celle du Représentant, la fondation
libérale du gouvernement représentatif a rendu possible la manifestation de l’écart entre
représentés et représentants : la compétition pour le pouvoir, et l’expression du sentiment de
mal-représentation, autrement dit de la différence entre la volonté portée par la représentation
et les volontés réelles des individus, sont parties intégrantes du régime représentatif. Si donc
le Léviathan de Hobbes a été qualifié par Schmitt de « représentation absolue » parce que les
individus n’y ont plus, à la suite du contrat, de volonté autonome, tandis que la démocratie
représentative connaît la dualité des volontés entre représentant et représenté, ce n’est pas
qu’il y ait une différence de nature entre le dispositif hobbésien et celui qui a été mis en place
au fondement de la démocratie représentative : l’identité de volonté entre représentant et
représentés n’est jamais qu’un postulat juridique et non une réalité, mais l’abstraction de la
volonté de la collectivité vis-à-vis des individus qui en sont les membres ne peut se manifester
dans le Léviathan de Hobbes, tandis qu’elle le peut dans la démocratie représentative, où le
problème se pose au grand jour de la réalité de l’identification des représentés aux
représentants. Ce que Bernard Manin appelle « la voix du peuple aux portes du parlement »,
ou encore la non-coïncidence entre l’opinion publique et l’expression électorale, qui
caractérise selon lui l’âge du parlementarisme, la première phase de l’histoire du
gouvernement représentatif qu’il distingue, nous paraît être l’expression de l’abstraction de la
volonté étatique élaborée par la représentation politique vis-à-vis des volontés des gouvernés.
La « voix du peuple aux portes du parlement » est la manifestation de cet écart, qui se donne à
voir de façon récurrente sous le nom de « crise de la représentation », rendue possible par la
liberté de l’opinion publique.

L’impératif d’identification réelle des représentants aux représentés et la crise de la


représentation

On voit ici que la représentation « descriptive » qu’Hanna Pitkin oppose aux approches
« formalistes » de la représentation est également appelée par le dispositif philosophico-
juridique mis en place aux origines du gouvernement représentatif, précisément en tant qu’il ne
garantit pas l’identification réelle des représentés aux représentants. L’identité juridique entre
les volontés des représentés et celle que portent les représentants reste abstraite, en effet, si
aucun rapport de similitude n’unit celle-ci à celles-là, fût ce à leur majorité, de telle sorte que
les représentés soient à même de reconnaître, dans la volonté de leur représentant, quelque

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chose d’eux mêmes. Le pouvoir ancien révélait une destination commune qui précédait le
pouvoir ; à défaut de cette destination antécédente, la loi ne peut faire réellement l’unité des
volontés qu’à la condition que les individus y reconnaissent quelque chose de ce qu’ils sont en
propre, autrement dit de leurs fins particulières. De fait, au cours de l’histoire du gouvernement
représentatif, il est ordinairement fait état d’une différence entre les volontés des représentés et
celles des représentants. Les critiques qui l’évoquent signifient au fond que l’unité de la
collectivité et la « volonté nationale » sont étrangères à des individus qui sont pourtant
juridiquement tenus de s’y reconnaître. On peut donc faire l’hypothèse que la « crise de la
représentation » politique, en tant que sentiment d’un décalage entre la représentation politique
existante et la réalité supposée des représentés, tient à la référence plus ou moins explicite, par
les critiques de la représentation existante, à un peuple empirique étranger à la figuration que
les représentants donnent de lui. Le concept d’autorisation permet donc bel et bien de rendre
raison du dispositif originel de la représentation politique, mais il a pour signification
essentielle l’affirmation de l’identité entre les volontés des gouvernés et celles des
gouvernants ; or, l’autorisation ou l’élection, même réitérée, fonde une identité juridique mais
manque à produire de l’identité réelle.
Hanna Pitkin souligne le fait qu’il s’agit, lorsque l’on veut caractériser la
représentation par la description, de qualifier la relation de représentation par la similarité
entre représentant et représenté, laquelle peut être de divers ordres ; elle estime donc
incompatibles une qualification de la représentation comme descriptive, et une caractérisation
du représentant par l’autorisation et l’indépendance (Pitkin, 1967, 90). L’élément sur lequel
nous paraît porter au premier chef l’effort de similarité est la volonté : le fait d’attacher de
l’importance à la similarité sociale entre représentants et représentés, par exemple, n’a de sens
que si son but ultime est de réunir les conditions nécessaires pour que les représentants
veuillent ce que voudraient ceux qu’ils représentent. De sorte que l’incompatibilité apparente
entre caractérisation par l’indépendance et caractérisation par la similarité disparaît, dès lors
que l’on quitte le plan de la polysémie du terme pour s’attacher à la logique propre du
dispositif de la représentation politique, où les deux éléments sont constitutifs de la tension
qui affecte le gouvernement représentatif.
Des travaux de référence touchent à cette question : ceux de Pierre Rosanvallon
retracent l’histoire du gouvernement représentatif français et s’attachent à décrire les efforts
accomplis depuis la Révolution française pour redonner chair à cette représentation qui
s’inscrivait délibérément en rupture avec la complexité du social (Rosanvallon, 1998). Pierre
Rosanvallon montre la difficulté de figurer la société alors que les anciens cadres qui

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l’organisaient ont disparu, et de passer d’un modèle constructiviste de représentation à un
modèle descriptif ; la question est en effet de savoir quel est le découpage du social qui
permet d’en rendre le plus justement raison. On peut donc comprendre que c’est précisément
parce que l’élément essentiel du dispositif originaire de la représentation politique est le
caractère abstrait de la collectivité représentée sous l’espèce d’une unité juridique, que les
efforts accomplis tout au long de l’histoire du gouvernement représentatif pour donner figure
à la représentation politique sont essentiellement des moyens en vue de rendre possible
l’identification réelle des individus aux volontés portées par leurs représentants. On peut
évoquer à cet égard, sans pouvoir les citer, les nombreux projets de mise en place d’une
représentation professionnelle élaborés au XIXe et au cours de la première moitié du XXe
siècle, où c’est la similarité sociale qui devait servir à l’identification des volontés des
représentés à celles de leurs représentants, ou encore les projets de réforme du mode de
scrutin, visant à établir la représentation proportionnelle des opinions, où cette identification
devait être directe.
Pourtant, la « crise » de la représentation ne s’est pas manifestée d’emblée,
l’abstraction de la « volonté nationale » n’est pas apparue en pleine lumière dès les origines.
C’est sans doute le suffrage censitaire qui en est cause, en raison du lien particulier qu’il
établissait entre élus et électeurs, qui compensait l’indépendance formelle du représentant.
Certes, la grande majorité des représentés étaient exclus du suffrage, de telle sorte que la
représentation politique était pour eux d’autant plus abstraite qu’elle était un postulat : si la
Constitution voulait que la représentation nationale fût celle du peuple entier, rien ne leur
permettait de s’y reconnaître, pas même l’élection qui jouait pour les électeurs le rôle d’une
autorisation de principe des représentants. Mais leur exclusion même empêchait la
manifestation de l’abstraction d’une représentation constituée sur la base d’une élection-
autorisation, puisque les électeurs quant à eux partageaient avec leurs élus une condition
sociale et un intérêt de classe qui faisaient de la volonté étatique une expression relativement
exacte des leurs ; en revanche, le suffrage universel a distendu les liens entre élus et électeurs,
transposant l’abstraction de la volonté étatique formée par les représentants au cœur de la
relation entre élus et électeurs. En même temps qu’il libérait ainsi à retardement les effets de la
doctrine juridique de la représentation, il mettait aussi au centre du débat public la question de
la représentativité des assemblées parlementaires. C’est en effet le suffrage universel qui
accrédite l’idée que l’élection équivaut à une transmission de volonté, et la représentation
politique paraît dès lors assujettie à la mission de refléter les opinions du pays ; la « crise de la
représentation », contenue en germe dans le dispositif juridique de la représentation politique

12
se développe alors : l’abstraction constitutive de la représentation politique est rendue
manifeste par la disparition de la connivence entre élu et électeur, propre au suffrage
censitaire, qui l’occultait jusque là.
La pratique et la perception du régime représentatif ont donc évolué, et l’idée s’est
progressivement imposée selon laquelle les gouvernants ont à traduire une volonté majoritaire
antécédente des électeurs : la doctrine juridique considère généralement que le suffrage-droit
s’est substitué au suffrage-fonction qui caractérisait selon elle la conception originaire du
gouvernement représentatif – même si, comme on l’a dit, l’élection était déjà mise au
fondement de cette identité de principe entre la volonté portée par la représentation et les
volontés réelles des représentés, dans la pensée des fondateurs du gouvernement représentatif,
de sorte que cette interprétation de la conception du gouvernement représentatif par la doctrine
doit être nuancée : s’il est exact que le vote n’était pas censé constituer aux origines une
transmission de volonté, il était néanmoins la pierre angulaire du dispositif de représentation,
l’autorisation des représentants qui fondait la mise en perspective du peuple sous l’espèce
d’une totalité unifiée. Il n’en reste pas moins que le gouvernement représentatif s’est
profondément transformé depuis deux siècles, sous l’effet notamment des partis politiques qui
à la fois ont conforté l’idée que la représentation politique était destinée à traduire les volontés
antécédentes des représentés, et sont apparus comme le meilleur moyen de leur recueil.
Bernard Manin voit, dans l’histoire du gouvernement représentatif, un âge caractérisé
par l’emprise des partis politiques succéder au parlementarisme marqué par le règne des
notables. On a rappelé que ce que Bernard Manin appelle le parlementarisme est caractérisé
par un clivage horizontal entre représentants et représentés ; le deuxième âge du gouvernement
représentatif, la « démocratie de partis », est caractérisé par le renversement de ce clivage
horizontal en un clivage vertical, qui transcende la séparation des représentants et des
représentés par celle de la majorité et de l’opposition. L’élection exprime ici la fidélité à un
parti, voire l’expression d’une appartenance de classe, et l’opinion publique correspond cette
fois à l’expression électorale. Bernard Manin montre que l’indépendance du représentant
caractéristique de ce qu’il appelle le parlementarisme s’est maintenue sous une autre forme
sous le régime de la « démocratie de partis » ; il n’en reste pas moins que l’existence d’un
régime de partis organisé a paru faire évoluer le gouvernement représentatif vers un
gouvernement « semi-direct », selon l’expression d’un juriste publiciste (Deslandres, 1900,
30). De fait, l’invocation d’un régime de partis enracinés dans l’électorat est, en France, un
leitmotiv de la rhétorique propre à la « crise de la représentation » ; on attend en effet des
partis politiques qu’ils rendent possible la transmission en quelque sorte directe des volontés

13
populaires, et amènent ainsi le gouvernement représentatif à cette coïncidence, justement, entre
l’opinion publique et l’expression électorale, entre les volontés présentes dans l’enceinte
représentative et celles des gouvernés, entre la volonté majoritaire à l’assemblée et une volonté
majoritaire durable présumée dans le pays. Si certains analystes s’inquiètent donc, à la fin du
XIXème siècle, comme le souligne Bernard Manin, de la perte d’indépendance que signifierait
pour le député l’appartenance à un parti, pour beaucoup, les partis politiques sont justement le
moyen de résoudre la « crise » de la représentation en rétablissant le lien entre les volontés des
élus et celles des électeurs que le suffrage universel avait distendu. L’organisation des partis
politiques « dans le sein même du corps électoral », comme l’écrivait Ostrogorski
(Ostrogorski, 1888, 43), était perçue comme le moyen de rétablir une certaine cohésion dans
l’électorat, à une époque où l’on craignait que le suffrage universel « inorganisé » ne donnât
une image du pays aussi illisible que celle que fournissait le suffrage censitaire était partielle.
De fait, l’aspiration à un régime partisan structuré naît, dans la France de la III ème République,
de la crise chronique du régime parlementaire, à laquelle il est souvent présenté comme un
remède définitif.
On pourrait s’attendre, par conséquent, à ce que le sentiment, suscité par la
« démocratie de partis », d’une transmission en quelque sorte directe des volontés populaires
mît fin au sentiment de « crise » de la représentation éprouvé de la fin du XIXe siècle aux
années d’entre-deux guerres, et qu’elle eût été résolue en France, plus tardivement qu’ailleurs
il est vrai, avec l’installation d’un régime de partis à vocation majoritaire. Si la « crise de la
représentation » continue d’être invoquée, sous une forme ou une autre, au point qu’elle paraît
consubstantielle à l’histoire du gouvernement représentatif, c’est peut-être que la
transformation de la pratique de la représentation par les partis politiques, qui a changé la
perception et les attentes nourries par les représentés vis-à-vis des représentants, a échoué à
faire en sorte que les premiers se reconnaissent immanquablement dans les seconds. On peut
ainsi faire l’hypothèse, en s’inspirant de la thèse d’Ostrogorski, que c’est le projet même de
regroupement durable des volontés, indépendamment d’enjeux précis, qui est inadéquat à la
modernité politique, caractérisée par la disparition de la naturalité du corps politique et des fins
communes qui le définissaient, de telle sorte que les individus ne sauraient se
reconnaître durablement dans une majorité partisane (Mineur, 2004) ; on peut encore, à cet
égard, convoquer l’étude classique de Converse (Converse, 1964) qui constatait le peu de
corrélation entre une identification partisane et les prises de position des individus sur des
enjeux précis. La sociologie critique, elle aussi, a soutenu que les programmes partisans ne
peuvent manquer de paraître quelque peu abstraits à ceux qu’ils sont censés rallier, en raison

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même de la généralisation qu’ils opèrent à partir des préoccupations particulières des
individus, induisant par là leur dépossession (Gaxie, 1996). Si la représentation paraît ne
pouvoir se défaire de la crise qui l’affecte, c’est donc peut-être parce que son invention est
solidaire de l’avènement d’une société d’individus, insaisissable sous la forme subsistante, et
identique à soi, d’un corps. La « crise de la représentation » est peut-être alors l’autre face de
l’indéfinition essentielle des fins d’une société démocratique, c'est-à-dire aussi, et l’on songe
ici aux considérations de Claude Lefort relatives à la démocratie, l’envers de la liberté.

Bibliographie

I - Références classiques

1 - Œuvres philosophiques

1. DESCARTES R, 1990, Méditations métaphysiques, trad. duc de Luynes, Paris :


Librairie générale française, Le livre de poche
2. HOBBES T, Léviathan, 1971, trad. François Tricaud, Paris : Sirey
3. KANT E., 1971, La doctrine du droit, trad. A. Philonenko, Paris : Vrin
4. KANT E., 1991, Projet de paix perpétuelle, trad. J.F Poirier et F. Proust, Paris : GF
5. ROUSSEAU J.J, 2001, Contrat social, Paris : GF-Flammarion
6. ROUSSEAU J.J, 1990, Discours sur l’économie politique, Paris : GF-Flammarion,

Commentaires et études

7. BOULNOIS O.,1999, Etre et représentation, Paris : P.U.F, collection Epiméthée


8. GOYARD-FABRE S., 1983, L’interminable querelle du contrat social, Ottawa :
Editions de l’Université d’Ottawa
9. GOYARD-FABRE S., 2001, Politique et philosophie dans l’œuvre de Jean-Jacques
Rousseau, Paris : P.U.F, collection Thémis philosophie
10. ZARKA Y.C, 1987, La décision métaphysique de Hobbes, Paris : Vrin
11. ZARKA Y.C, 1998, Philosophie et politique à l’Age classique, Paris : P.U.F

2 - Œuvres classiques portant sur le gouvernement représentatif ou les institutions

15
2.1 Ecrits politiques

12. CONSTANT B., 1997, Ecrits politiques, Paris : Folio


13. DESLANDRES M, 1900, La crise de la science politique », Revue du droit public, 1Er
volume, pp.29-49
14. GUIZOT F., 1851, Histoire des origines du gouvernement représentatif en Europe,
Paris : Didier
15. SIEYES E.J, 1985, Ecrits politiques, Choix de textes de Roberto Zapperi, Paris-
Montreux : Editions des archives contemporaines
16. MADISON G., 1957, Le fédéraliste, X, Le fédéraliste, Paris : LGDJ
17. MILL J.S, 1877, Le gouvernement représentatif, traduction de M.Dupont-White,
Paris : Guillaumin
18. NAVILLE E., 1876, Les progrès de la réforme électorale, Genève et Bâle : H.Georg,
19. PERNOLET E., 1876, « Discours sur la représentation proportionnelle », Les progrès
de la réforme électorale, Genève et Bâle : H.Georg

2.2 Ouvrages de doctrine juridique

20. CARRE DE MALBERG R., 1921, Contribution à la théorie générale de l’Etat, Paris :
Sirey
21. CARRE DE MALBERG R, 1984, La loi, expression de la volonté générale, Paris :
Economica
22. DUGUIT L., 1923, Traité de droit constitutionnel, Paris : E. de Boccard
23. ESMEIN A., 1921, Eléments de droit constitutionnel français et comparé, Paris :
Sirey
24. HAURIOU M., 1923, Précis de droit constitutionnel, Paris : Sirey
25. KELSEN H., 1932, La démocratie, sa nature, sa valeur, trad. Charles Eisenmann,
Paris : Librairie du recueil Sirey
26. SCHMITT C., 1993, Théorie de la constitution, trad. Lilyane Deroche, Paris : PUF
27. SCHMITT C., 1988, Parlementarisme et démocratie, trad. Jean-Louis Schlegel,
Paris : Seuil

Commentaires et études

16
28. BEAUD O., 1987, « « Repräsentation » et « Stellvertretung » : sur une distinction de
Carl Schmitt », Droits, octobre 1987, p.11-p.19
29. CLAVREUL C., 1982, Influences de la théorie d’E.Siéyès sur les origines de la
représentation en droit public, Thèse de doctorat en droit, Université Paris I
30. CLAVREUL C., 1987, « Siéyès et la genèse de la représentation moderne », Droits,
octobre 1987, p..45- p.55
31. MAIZ R., 1990, Nation and representation: E.J.Siéyès and the theory of the state of
the french Revolution, working papers, Barcelona: Institut de Ciencies Politiques i
Socials
32. PASQUINO P, 1998, Siéyès et l’invention de la Constitution en France, Paris : Odile
Jacob

III - Etudes sur la représentation ou le gouvernement représentatif

1 – Etudes théoriques sur la représentation

33. ARCY F. d’ (dir.), 1984, La représentation, Paris : Economica


34. COTTEN J.P, DAMIEN R., TOSEL A. (dir.), 2001, La représentation et ses crises,
Besançon : Presses universitaires franc-comtoises
35. HOFFMANN H., 1974, Repräsentation, Studien zur Wort und Begriffsgeschichte von
der Antike bis ins 19. Jahrhundert, Berlin : Duncker & Humblot
36. JAUME L., 1986, Hobbes et l’Etat représentatif moderne, Paris : PUF
37. MINEUR D., 2004, Archéologie de la crise de la représentation politique, Thèse de
doctorat en science politique, IEP de Paris
38. PITKIN H, 1967. The concept of representation, Berkeley: Berkeley university press

2 – Etudes sur la démocratie représentative ou les éléments du gouvernement représentatif

39. BOURDIEU P., 1981, « La représentation politique. Eléments pour une théorie du
champ politique », Actes de la recherche en sciences sociales, février-mars 1981, p.3 -
p.24
40. CONVERSE P., 1964, « The nature of belief in mass publics»,, in APTER D.,
Ideology and discontent, New-York: Free Press, 206-261

17
41. DONEGANI J.M , SADOUN M., 1994, la démocratie imparfaite, Paris : Gallimard,
collection Folio
42. GAXIE D., 1996, La démocratie représentative, Paris : Montchrestien, collection
« Clefs »
43. MANIN B., 1996, Les principes du gouvernement représentatif, Paris : Champs-
Flammarion
44. OSTROGORSKI M., 1888, La démocratie aux Etats-Unis, Annales de l’Ecole libre
des sciences politiques
45. OSTROGORSKI M, 1993, La démocratie et les partis politiques aux Etats-Unis,
Paris : Fayard

IV - Ouvrages et études d’histoire des idées ou des institutions politiques

46. CHARTIER R., RICHET D. (dir.), 1982, Représentation et vouloir politiques autour
des Etats-Généraux de 1614, Paris : Editions de l’EHESS
47. KOYRE A., 1973, Du monde clos à l’univers infini, trad. Raïssa Tarr, Paris :
Gallimard
48. KRYNEN J., 1987, « La représentation politique dans l’ancienne France », Droits,
octobre 1987, p.31-p.44
49. TÖNNIES F, 1944, Communauté et société : catégories fondamentales de la
sociologie pure, traduction J.Leif, Paris: P.U.F.
50. ROSANVALLON P., 1998, Le peuple introuvable, Paris : Gallimard

Liens : Amitié civique ; Aristote ; Autorité ; Citoyenneté ; Contractualisme ; Démocratie


délibérative ; Espace public ; Habermas J ; Hobbes T ; Imaginaire politique ; Légitimité
politique ; Libéralisme politique ; Liberté ; Liberté politique ; Nation ; Neutralité politique ;
Parti politique ; Positivisme juridique ; Pouvoir constituant ; Pluralisme ; Raison publique ;
Républicanisme ; Rousseau.

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