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Deviens ce que tu es

Je vais reprendre ce thème de façon un peu schématique, lapidaire pour que ça s’incruste dans
votre mémoire. J’exprimerai l’être humain sous forme d’un cône.

Ce cône est à l’image de l’être humain. Il ouvre par le haut, vers le monde extérieur; la forêt, le
ciel bleu, les autres, etc. À la surface du cône, il y a nos sens; la vue, le toucher, le goût, etc.
Donc je communique avec le monde extérieur par mes sens. La surface qui est en haut est celle
de mon corps et mes sens, puis, il y a la zone du «personnage».

«Le personnage» c’est ce que nous paraissons, ce que nous voulons laisser paraitre de nous-
mêmes. C’est l’homme social. C’est le rôle que nous jouons devant les autres, c’est la carte de
visite, je suis Docteur un tel, ah, Bravo! C’est la belle robe. C’est le nœud de papillon, c’est le
smoking, c’est le cocktail avec les gens du monde, chacun essayant de paraitre de la façon la
plus attrayante et attirante possible. C’est l’image que nous voulons donner de nous-mêmes
aux gens autour de nous. Je l’appelle «Le Personnage».

«Le Personnage» ça veut dire, ce n’est pas moi. C’est l’image que je veux donner de moi. En
d’autres termes, une image fausse et frelatée. Par exemple, vous allez à une soirée, et vous
rencontrez des gens puis tout à coup, vous rentrez à la maison, vous êtes une autre personne,
bougonne. Mais tu riais, tu rigolais, tu étais sympathique, tu étais ouvert et puis là tout à coup!
Tu as joué un rôle. On joue un rôle social pour paraître «Le Personnage».

Vous savez d’où vient le mot «Personnage» ou le mot «Personne» ?

En grec c’est le masque. Ce que je parais mais ce que je ne suis pas.

Je suis caché derrière mon masque et je ne laisse apparaitre que ce que je veux.

«L’apparaitre» c’est aussi mon compte en banque, l’argent et tout ce qui est relié à mon corps
et à mon extérieur.

Et puis, vous verrez une zone noire avant de passer au 2 e étage. Le 1er étage est ici, le 2e étage
est là, et le 3e étage ici. Je veux passer de cet étage à celui-ci mais pour y passer, il me faut
dépasser. Passer et dépasser.

Pour dépasser il faut entrer dans ce que j’appelle «la petite mort» - Vous avez la petite mort
puis vous avez «la grande mort».

«La petite mort» est celui qui n’attache pas beaucoup d’importance à sa robe, à son veston, à
son apparence, à sa voiture. Celui qui a franchi cette zone extrêmement superficielle, qui est
souvent celle de la société. Paraitre, se faire voir, écouter son nom, se sentir flatté, etc. Tout ça
ce n’est pas moi.

J’arrive au 2e étage, ça c’est moi. C’est la zone de «la personnalité».

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«La personnalité» c’est ce que je suis.

Le 1er étage c’était ce que «j’apparais» et le 2e étage c’est ce que «je suis » Intelligent, doué,
cultivé... Enfin, mes qualités réelles et mon être réel.

Je prends un exemple Einstein avec ses lunettes sur le nez, il a l’air d’un singe, mais ça lui
importe peu parce qu’il est dans une autre sphère. Sa valeur ne dépend pas de son apparence.

Quand on a franchi ça on est libre par rapport au «personnage».

J’appelle ça «la petite mort» parce que pour franchir ça il faut mourir à l’apparaitre, à
l’extérieur, au corps, et je dirai à l’image qu’on veut donner de soi à la société.

Le 2e étage est donc ce que je suis; intelligence, culture, valeurs réelles.

Mère Theresa ce n’est pas Maryline Monroe ni Sofia Lauren. C’est la petite Theresa mais sa
valeur n’est pas dans l’apparaitre, sa valeur est dans l’être.

Posons-nous la question «Deviens ce que tu es». Est-ce que je suis encore au niveau du 1 er
étage? Ou est ce que je suis passé au niveau du 2 e étage? Est-ce que j’attache beaucoup
d’importance à l’image sociale que je donne de moi-même ou au contraire, je m’attache à mes
valeurs profondes?

Puis, après ce 2e étage, il y a le 3e étage.

Vous allez me dire «Mais qu’est ce qui reste?» Ce que j’apparais, ce que je suis, et là, au 3e
étage, qu’est-ce qu’il y a?

Au 1er étage «Le personnage»

Au 2e étage «La personnalité»

Et au 3e étage «La Personne»

Comme vous venez de dire «Moi» non, ce n’est pas «Moi».

Là c’est moi, et là c’est moi, et là c’est moi. J’ai trois moi? Oui.

(Je résume en disant qu’hier soir j’étais hors sujet avec l’apocalypse etc. et je veux terminer
avec une espèce de vue synthétique de l’être humain à travers l’image d’un cône, avec les trois
niveaux de mon être).

L’apparaitre au 1er étage et l’image sociale que je donne de moi.

L’être au 2e étage.

Et la personne au 3e étage.

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La personnalité ce n’est pas la personne? Non.

La personne est un au-delà, non seulement du personnage mais même de la personnalité. Je


suis au-delà de ma personnalité? Oui.

Ça c’est l’évangile «Qui veut nier sa vie la trouve. Qui veut se perdre, se retrouve». Ça veut dire
que je suis au-delà de ce que je suis. Pas seulement au-delà de ce que je parais (ça c’est facile,
c’est clair) mais au-delà de ce que je suis. Donc tu es autre chose que ce que tu es? Oui.
Mystère!

Cela vous plonge dans une dimension qui est la dimension ultime de l’être humain. C’est quand
je ne suis plus rien ni personne que je deviens une personne.

Quand je ne suis plus personne que je suis une personne. Vous me direz «Vous jouez sur les
mots?» Non, je ne joue pas sur les mots.

Non seulement il faut nier l’apparaitre, il faut nier même l’être. Or l’être n’est pas encore l’être.
L’être est un au-delà de l’être. Et si nous voulons connaître Dieu, eh bien, c’est précisément
avec cette logique que je vous le présente ce matin.

Je pourrais vous en parler pendant des heures.

Où est Dieu dans tout ça? Là? Là-haut? Dehors? Dans l’infini des étoiles? Les galaxies? Les
univers? Non. Dieu est dans le cœur du cœur du cœur de l’être. Le cœur du cœur du cœur de
l’atome. Le cœur du cœur du cœur de la vie. Le cœur du cœur du cœur de l’homme.

Vous avez tous fait des mathématiques? Vous savez ce que c’est qu’un point? Un point
mathématique, n’a ni volume, ni surface, ni dimension. Le point n’est rien. Ce point s’appelle
Dieu. Le cœur de l’être s’appelle Dieu.

Dieu le cherche-t-on au niveau des sens? Non. On le cherche au niveau de toutes tes valeurs
humaines. Au-delà, plus loin, plus profond, mais jusqu’où? Jusqu’au point qui s’appelle le
Centre.

Je vous ai parlé le premier jour du Chemin du Centre. C’est pour moi une idée extraordinaire. Le
centre de la circonférence n’est rien. Le centre de la sphère n’est rien, et Dieu, IL n’est rien. S’IL
était quelque chose, IL serait de l’ordre du créé.

Je le dis souvent en arabe mais je le dis aussi en français, «Dieu n’existe pas. Dieu est». Tu
existes, j’existe, cette table existe (ex-sistere) Dieu est une projection de l’être qui passe de
l’être à l’existence. L’existence est une projection de l’être qui est source mais qui n’est pas
saisissable, qui n’a pas d’existence. L’être n’a pas d’existence. La création a une existence.

Le grand malentendu avec l’athéisme contemporain et même avec la foi de la plupart des gens
c’est qu’ils croient que Dieu existe. Or Dieu n’existe pas et les athées sont plus proches de la
vérité en disant qu’IL n’existe pas que celui qui affirme qu’IL existe.

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Les grands mystiques hindouistes, bouddhistes, chrétiens, juifs, musulmans, etc. ont découvert
ça. Comme disait la bible «Je suis un Dieu caché».

Et quand je vous ai invités à cette retraite à faire silence - ce que vous n’avez pas toujours
respecté - c’était pour rentrer dans le vide. Ce vide qui est un plein. Ce silence qui est plénitude
et de passer, de franchir la petite mort et la grande mort.

Je vais parler de ces deux morts.

Dans l’itinéraire spirituel, Saint Jean de la Croix et les grands autres auteurs spirituels parlent de
la mort des sens et de la mort de l’esprit. Ou plutôt de la nuit des sens et de la nuit des esprits.
Quand je parle de mort, j’ai des équivalents : Mort égal silence. Mort égal vide. Mort égal
désert.

Pourquoi les ermites vont-ils au désert? Parce qu’il n’y a rien, et quand il n’y a rien, il y a tout.

Une chanson de mon enfance disait «Je n’ai rien et pourtant j’ai tout». Celui qui n’a rien, il a
tout.

«Dépouillé de tout, l’univers est à moi!» Saint Jean de la Croix.

Alouette, gentille alouette, je te plumerai, je te plumerai, je te plumerai, je te dépouillerai, je


t’enlèverai.

La statue cachée au fond du marbre. On l’enlève, on l’enlève et finalement, la statue apparait.

L’être est au-delà de l’être. Pas seulement au-delà de l’avoir. C’est clair que l’être est au-delà de
l’avoir, perdre son avoir peut entrer dans la zone de l’être. Mais il faut perdre aussi l’être pour
entrer dans la zone de l’absolu, de l’infini.

Ce que je dis est vertigineux, parce qu’on se dit «Ce n’est pas possible!»

Simone Weil, une philosophe contemporaine juive qui a découvert le christianisme et qui s’est
fait baptiser la veille de sa mort par un prêtre dominicain, le père Perrin, (à ne pas la confondre
avec la ministre des affaires étrangères qui a le même nom), m’a profondément marqué. C’est
une mystique de l’ordre de Jean de la Croix. Incroyable! Lisez tout ce que vous voulez sur
Simone Weil. Elle est morte à 40 ans pour avoir voulu partager la vie des travailleurs en usine.
Elle était très fragile de santé mais pour elle, elle voulait vivre la croix.

Un mot que vous devez retenir «La Kénose»

Kénose est un mot grec «Kénosis» qui veut dire : Rien, vide, mort. Le mystère de la croix est un
mystère de Kénose. Dieu s’est anéanti. «Il s’est anéanti prenant la condition d’esclave et se
faisant le dernier des derniers», l’épitre Philippin, chapitre 2.

Dieu se fait «rien» dans la croix. Le mystère de la croix pour moi c’est Dieu qui se nie comme
Dieu. Et moi, je dois aussi me nier comme homme.

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«Mais vous nous avez dit pendant ces deux jours que le christianisme est la religion de l’homme
accompli, de l’homme selon l’évangile». Oui, mais pas l’homme selon Nietzche. Le surhomme
de l’évangile est à l’extrême. Il est à l’opposé du surhomme Nietzschéen ou prométhéen.

Quand on est passé là, on ne fait plus qu’Un avec Dieu. C’est lui ou c’est moi? C’est lui et c’est
moi. Mais c’est lui parce que c’est mon moi le plus profond, le plus ultime. Ici c’est moi, ici c’est
moi, et ici c’est moi. Non, ici ce n’est plus moi, c’est «Je». Le «Je» ce n’est pas le «Moi». Le
«Moi» c’est encore un objet. Je me frappe, je frappe qui? Moi. Donc je suis un objet. Ce «Me»
que je frappe, ce n’est pas le «Je». Qu’est ce qui frappe? C’est le «Je». Mais le «Je» n’a pas
d’existence. Il n’a pas de consistance. Il est source. C’est le sujet à l’état pur, à l’état nu.

Je parle de Mort parce que quand on meurt, on emporte avec soi «Rien» et c’est ce «Rien» qui
est ce qui demeure.

Ce que je vous dis là a besoin de beaucoup de réflexion.

Lisez Simone Weil, lisez les mystiques musulmans, lisez les mystiques chrétiens, lisez
l’indouisme parce que leur mystique est la même expérience dans toutes les religions. C’est le
dénominateur commun de toutes les religions, c’est là où on est au-delà du religieux. La
mystique c’est la plongée au cœur de l’être et du néant.

Alors quand je parlais de l’alouette gentille alouette, on m’enlève, on m’enlève mais ce qu’on
m’enlève ce n’est pas toi. Celui qui a compris ça est libre.

Je le dis comme ça mais ce n’est pas facile parce que quand on vient à être dépouillé de tout,
entre autre de la santé, c’est terrible.

Alors la mort, le passage à travers la mort. La mort ce n’est pas ce que nous croyons. La mort
physique ce n’est pas la mort. La vraie mort c’est la mort de l’ÉGO.

L’égo c’est ce qui me limite. L’égo c’est la coque dans laquelle je m’enferme pour être «Moi».
Tu veux être «Toi»? Mais le Christ te dit «Tu es au-delà de toi-même».

Comme si je l’avais vécu moi-même. Quand ça vient, c’est terrible.

Même pour le Christ lui-même qui avait prêché ça, quand il est arrivé à ce point de Gethsémani,
l’agonie a été horrible pour lui. L’échec. Il perd tout. Il entre dans la vraie mort.

Le chemin spirituel consiste à faire cette démarche d’un étage à l’autre jusqu’au 3 e étage pour
arriver à ce Dieu dans la nuit, dans le désert, dans le vide, dans le silence.

J’aurai dû vous dire ça au début de la retraite mais vous n’aurais rien compris, parce que
beaucoup n’ont pas compris pourquoi le silence.

Alors là, je vais compléter le schéma.

Vous allez me dire mais c’est fini? Oui, il est complet, sans être complet, tout en étant complet.

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Les deux lignes du cône se prolongent vers un autre infini; Infini spatial, infini spirituel.

Et Dieu, IL est là. Ou plutôt IL est là. Mais cet infini qui s’ouvre est condensé dans le point. Si je
crée des petits pointillés, c’est pour déployer le contenu de ça. Dieu est le point, Dieu est le
Rien.

Ceux qui ont la foi, ceux qui croient en Dieu ne se rendent pas compte que Dieu est un espace
ouvert, illimité.

Je vais dire encore un dernier mot avant de vous laisser un moment de réflexion et de silence
ensuite on se retrouvera pour l’évaluation et la messe.

Simplement, pour atteindre cette zone; là c’est les sens (voir, gouter, toucher, entendre…) là
c’est l’intelligence (la raison, la saisie par l’esprit) et là c’est ce qu’on appelle la zone du cœur.
Le cœur au sens biblique du terme, au sens pascalien du terme, au sens mystique du terme.

En arabe nous avons un mot intraduisible en français, c’est le mot «Wigdane» et le mot
«Wigdane» vient du mot «Wagada» qui signifie trouver ou exister. Le «Wigdane» c’est le cœur
du cœur du cœur dans lequel on saisit le tout d’un seul coup. La zone du «Wigdane» appelons-
là «Le cœur profond».

Prier c’est plonger à ce niveau. Mais c’est traverser une nuit, un vide qui est très difficile à
traverser, la preuve votre difficulté dans cette retraite à vous taire. Pour vous ce silence, ce
vide, c’est du temps perdu, il nous fait passer une heure, mais on aurait pu écouter ton
enseignement, on aurait pu lire, etc.

«Il faut marcher de très longues routes, pour rencontrer les fleurs du printemps».

Amen.

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